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REMMM 101-102, 83-105 Michel Boivin* Nature, raison et nation dans le modernisme shi‘ite de l’Inde britannique Abstract: In South Asia, as in the rest of the Muslim world, colonial domination gave rise to many questions for Muslims. By trying to understand why they were dominated, they went on to build an aggiornamento. If the ideas of thinkers like Sayyid AÌmad Khân (1817-1898) has been well studied, the role played by Shî‘ites such as Sayyid Amîr ‘Alî (1849-1928), an Ithnâ ‘Asharî Shî‘ite, or Sulân MuÌammad Shâh Âghâ Khân (1877-1957), an Ismâ‘ilî Shî‘ite, is little known. For these authors, who often gave rebuttals to Christian polemists, the Quranic mes- sage was divided into two fundamental features: the “eternal” verses, those related to the fun- damentals of the faith, and the “temporary” verses, those related to pragmatic problems which occurred during the Prophet’s lifetime. By making this distinction, they gave birth to a libe- ral and secularist conception of Islam which shaped an Islamic rationalism. On the political level, even if they were activists in the first Muslim associations, they were not able to envision the concept of a Muslim Nation in India although Sulân MuÌammad Shâh Âghâ Khân acclai- med the birth of Pakistan. Résumé : comme dans le reste du monde musulman, la domination coloniale sur le sous- continent indien a provoqué des interrogations. La recherche des causes de cette domination a fait émerger un aggiornamento et si la réflexion de penseurs comme Sayyid AÌmad Khân (1817- 1898) a été largement analysée, on connaît moins le rôle joué par les penseurs shî‘ites comme Sayyid Amîr ‘Alî (1849-1928), un shî‘ite ithnâ ‘asharî, ou Sulân MuÌammad Shâh Âghâ * CEIAS-CNRS.

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Page 1: Nature, raison et nation dans le modernisme shi‘ite de l

REMMM 101-102, 83-105

Michel Boivin*

Nature, raison et nationdans le modernisme shi‘ite

de l’Inde britannique

Abstract: In South Asia, as in the rest of the Muslim world, colonial domination gave rise tomany questions for Muslims. By trying to understand why they were dominated, they wenton to build an aggiornamento. If the ideas of thinkers like Sayyid AÌmad Khân (1817-1898)has been well studied, the role played by Shî‘ites such as Sayyid Amîr ‘Alî (1849-1928), an Ithnâ‘Asharî Shî‘ite, or Sul†ân MuÌammad Shâh Âghâ Khân (1877-1957), an Ismâ‘ilî Shî‘ite, is littleknown. For these authors, who often gave rebuttals to Christian polemists, the Quranic mes-sage was divided into two fundamental features: the “eternal” verses, those related to the fun-damentals of the faith, and the “temporary” verses, those related to pragmatic problems whichoccurred during the Prophet’s lifetime. By making this distinction, they gave birth to a libe-ral and secularist conception of Islam which shaped an Islamic rationalism. On the politicallevel, even if they were activists in the first Muslim associations, they were not able to envisionthe concept of a Muslim Nation in India although Sul†ân MuÌammad Shâh Âghâ Khân acclai-med the birth of Pakistan.

Résumé : comme dans le reste du monde musulman, la domination coloniale sur le sous-continent indien a provoqué des interrogations. La recherche des causes de cette dominationa fait émerger un aggiornamento et si la réflexion de penseurs comme Sayyid AÌmad Khân (1817-1898) a été largement analysée, on connaît moins le rôle joué par les penseurs shî‘ites commeSayyid Amîr ‘Alî (1849-1928), un shî‘ite ithnâ ‘asharî, ou Sul†ân MuÌammad Shâh Âghâ

* CEIAS-CNRS.

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Khân (1877-1957), shî‘ite ismâ‘îlî. Pour ces auteurs, qui répondent souvent à des polémisteschrétiens, le message coranique se répartit en deux catégories fondamentales : les versets “éter-nels”, relatifs aux fondements de la foi (unicité de Dieu), et les versets “temporaires”, ceux quiont été édictés pour répondre à des questions ponctuelles qui se posaient à l’époque du Pro-phète. Ce faisant, ils élaborent une conception libérale et séculariste de l’islam qui fait émer-ger un rationalisme islamique. Sur le plan politique, s’ils participèrent activement aux premièresassociations de défense des intérêts des Musulmans, ils ne parvinrent pas à penser la nation musul-mane de l’Inde, bien que Sul†ân MuÌammad Shâh Âghâ Khân ait accueilli avec enthousiasmela création du Pakistan.

Dans la période actuelle, marquée par l’essor du fondamentalisme musul-man, il est difficile de trouver des héritiers à Sayyid Amîr ‘Alî (1849-1928). Ilest vrai que cet avocat loyaliste, qui vécut la plus grande partie de sa vie enGrande-Bretagne, conçut une interprétation rationaliste de l’islam qui rendaitd’emblée caduque toute application littérale du message coranique. Sayyid Amîr‘Alî, un shî‘ite ithnâ ‘asharî (ou duodécimain) qui n’appartenait à aucune écoleconstituée, connut pourtant un immense succès et son principal ouvrage, TheSpirit of Islam, fut réédité de nombreuses fois en Inde et au Pakistan, où ildemeure toujours disponible. Le succès de l’ouvrage dépassa largement les limitesdu sous-continent indien. En 1946, W.C. Smith pouvait encore écrire que cetouvrage était le plus cité des ouvrages modernes sur la religion en Égypte (Smith,1946 : 55).

Le cas de Sul†ân MuÌammad Shâh Aghâ Khân (1877-1957) est différent. Sonœuvre est beaucoup moins abondante mais l’impact de sa pensée a été fort surses disciples. En effet, Sul†ân MuÌammad Shâh Aghâ Khân fut le 48e imâm desShî‘ites ismâ‘îlî nizârites1. Cela dit, les nombreux articles qu’il publia ainsi qu’unouvrage sur l’évolution de l’Inde n’ont pas été sans influencer les colonisateursbritanniques2.

Il fut appelé à la rescousse à plusieurs reprises quand la Ligue Musulmane étaitau bord de l’éclatement. En 1930-32, il compta parmi les représentants desMusulmans indiens aux Conférences de la Table Ronde.

Après avoir rappelé les principaux débats du réformisme musulman du sous-continent indien, ainsi que la place très spécifique que ces auteurs y occupent,il faudra revenir sur un auteur incontournable quand on aborde un tel sujet :MuÌammad Iqbâl (1877-1938). La pensée de Sayyid Amîr ‘Alî sera étudiée à tra-vers deux prismes : en premier lieu, la place qu’il accorde à la science dans l’his-toire de l’islam et des Musulmans, puis, en second lieu, la nature de la sciencequ’il définit, ainsi que sa fonction dans la nouvelle épistémè islamique. Il estimportant de relever que les conceptions de ces deux auteurs shî‘ites sont fon-datrices d’une conception libérale et séculariste de l’islam. On peut par consé-

1. Sur l'histoire des Ismâ‘îlî, voir l'ouvrage magistral de Farhad Daftary (1990). Pour une présentationgénérale, voir mon petit ouvrage (Boivin, 1998). Peu de travaux universitaires ont été consacrés à Sul†ânMuÌammad Shâh Aghâ Khân (Boivin, 2002).2. La majorité de ses articles ont été compilés par l'historien pakistanais K.K. Aziz (1998).

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quent les considérer comme des fondements du discours sur la nation musul-mane de l’Inde qui, à travers l’action de MuÌammad ‘Alî Jinnah, aboutira, aprèsbien des péripéties il est vrai, à la création du Pakistan. Dans ce domaine, SayyidAmîr ‘Alî et Sul†ân MuÌammad Shâh Aghâ Khân ont été des précurseurs. Ils ontfondé et dirigé deux des premières et plus importantes organisations pour ladéfense des intérêts des Musulmans indiens.

Sayyid Amîr ‘Alî et Sul†ân MuÌammad Shâh Aghâ Khân sont tous deuxshî‘ites mais ils appartiennent à deux branches différentes : le shî‘isme ithnâ‘asharî et le shî‘isme ismâ‘îlî. On verra en réalité que leur affiliation religieuse n’ap-paraît qu’en filigrane dans leur conception de la raison et de la science. Lecontexte historique qui prévaut alors, celui de la domination quasi-complète dumonde musulman par l’Europe, oriente leur discours vers la défense et la recons-truction d’une pensée islamique détachée de toute attache sectaire.

Sayyid Amîr ‘Alî, Sul†ân MuÌammad Shâh Aghâ Khânet le réformisme musulman de l’Inde coloniale

Le réformisme musulman dans l’Inde coloniale

On peut situer le début de la rénovation de l’islam en Asie du sud à l’époqueoù Nadir Shâh mettait Delhi à sac (1739). Shâh Walî Allâh (1703-1763) com-posa plusieurs traités pour démontrer que les différents madhhab devaient êtrecompris comme des développements historiques sans véritable signification reli-gieuse. Ce faisant, il considérait que l’ijtihâd était possible (Schimmel, 1980 : 154).L’expansion de la colonisation britannique sur l’ensemble du sous-continentprovoqua une rénovation de la pensée musulmane en Inde. On a déjà vu que dansla plupart des cas, les auteurs répondaient aux attaques de polémistes chrétiensdont les écrits dénigraient l’islam, le décrivant comme une religion arriérée et fai-sant du Prophète un charlatan. Cette confrontation atteignit un point culminantavec la révolte des Cipayes de 1857 (The Indian Mutiny). Le pays était alors sousla domination de l’East India Company, et l’empereur moghol Bahadur II en étaitle souverain le plus important. Les Musulmans furent accusés d’avoir fomenterla rébellion et l’empereur fut déporté en Birmanie.

Sayyid AÌmad Khân (1817-1898) fut le premier auteur musulman de l’Indeà formuler de façon systématique une pensée rénovée3. Sa problématique sesituait dans le cadre de l’iÒlâÌ (Merad, 1973). Outre les dénégations des polémisteseuropéens, la situation de domination quasi-totale des Musulmans par les Euro-péens le conduisit à s’interroger sur les causes du retard des Musulmans. MuÌam-mad Iqbâl voyait en lui le premier Musulman à avoir fait face à l’ère moderne

3. Sur cet auteur capital, voir la notice de J.M.S. Baljon dans EI2 (tome 1 : 296-7), et surtout l'article enfrançais de Christian W. Troll (1976), dont s'inspirent les lignes qui suivent.

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(Troll, 1976 : 208). Se basant sur une étude minutieuse du Coran, des Ìadîthet de la vie du Prophète, Sayyid AÌmad Khân voyait dans l’islam la religion dela liberté, de la raison et de la science. Le premier défi à ses idées fut l’ouvragede William Muir sur la vie du Prophète publié en 18614. Le résultat sera de lepousser à élaborer sa propre conception du ‘ilm al-kalâm, à partir d’une approchecritique de certaines sources, dont les Ìadîth.

En reconnaissant la supériorité des Européens, fondé sur la maîtrise de lascience, Sayyid Ahmad Khân était contraint de rechercher son adéquation avecles sources scripturaires de l’islam : tout était alors question d’interprétation.Cette argumentation défensive le poussait à accepter un ta’wîl du Coran, dansla mesure où il permettait son adéquation avec une vérité établie par la scienceeuropéenne. Cette entreprise ne put être mise en œuvre que par une dialectiquerationaliste dans laquelle la raison (‘aql) devenait le critère ultime de la vérité. Enpoussant son raisonnement à l’extrême, Sayyid AÌmad Khân finit par voir dansla Nature la preuve ultime de la raison créée par Dieu. L’axiome de sa pensée devintalors : « L’œuvre de Dieu (c’est-à-dire la Nature) est identique à la parole deDieu » (Baljon, 1975 : 297). Ce point de vue valut à Sayyid AÌmad Khân d’êtredéclaré kâfir par des oulémas indiens et ses détracteurs l’affublèrent du quolibetde neitcharî. Ce terme passé en ourdou venait de l’anglais nature.

Le rationalisme chez MuÌammad Iqbâl

Il est difficile d’aborder le problème du rationalisme islamique dans le sous-continent indien sans aborder l’œuvre de MuÌammad Iqbâl, bien qu’il ait étésunnite et non shî‘ite. MuÌammad Iqbâl fut en effet le seul penseur du sous-conti-nent à avoir étudié la philosophie occidentale en profondeur. Ce travail cul-mina en 1908 avec la soutenance d’une thèse de doctorat en philosophie àMunich sur les développements de la métaphysique en Perse, publiée la mêmeannée à Londres (Iqbal, 1908). L’auteur se livrait à une analyse historique de laphilosophie islamique et ce faisant, il construisait une réflexion originale qui attein-dra sa pleine maturité dans The Reconstruction of Religious Thought in islam,livre qu’il publiera en 1930 (Iqbal, 1930). Contrairement à Sayyid Amîr ‘Alî quiétait juriste de formation, MuÌammad Iqbâl était un philosophe.

À l’instar de Sayyid Amîr ‘Alî, MuÌammad Iqbâl reconnaît le rôle de cataly-seur joué par la philosophie grecque. En revanche, c’est seulement avec la périodepersane de l’histoire musulmane que les philosophes commencèrent vraiment àréfléchir à leur religion. Ces philosophes mirent au point une dialectique sub-tile qui aboutissait à la conception de l’unité de Dieu. Cependant, la conceptionla plus novatrice des penseurs musulmans en rapport avec le rationalisme et lascience fut leur explication de la matière. Pour eux, les phénomènes naturels pos-

4. William Muir publia un ouvrage dont le retentissement en Inde fut immense, en particulier par l'ana-lyse critique qu'il faisait de la validité du Ìadîth comme source historique. Voir Muir, The life of Maho-met and the history of Islam to the Era of the Hegira, 4 vols, London, Smith, Elder and Co, 1861.

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sédaient une existence indépendante : « L’activité de Dieu consiste donc seule-ment à rendre les atomes perceptibles. Les propriétés de l’atome découlent de sapropre nature. Une pierre jetée en l’air retombe en raison de la propriété qui résideen elle » (Iqbal, 1908 : 47).

À la suite du Mu‘tazilisme, Iqbâl distingue deux écoles rationalistes en islam :le scepticisme et l’ismaélisme. Le scepticisme est pour lui une conséquencelogique de la méthode purement dialectique du rationalisme. Le principal repré-sentant de cette école est al-JâÌiz. MuÌammad Iqbâl consacre un assez longdéveloppement à l’ismaélisme. Sa principale originalité réside dans l’affirma-tion de l’autorité associée avec la pratique de la libre pensée. Son fondateur,‘Abdullâh Ibn Maimûn, l’ancêtre des califes fatimides, « essaya, sous le pieux cou-vert de la doctrine de l’imâmat (autorité) de synthétiser toutes les idées prédo-minantes de l’époque » (Iqbal, 1908 : 50).

En quoi les Ismâ‘îlî5 peuvent-ils être associés au rationalisme? En premier lieu,ils partagent la même conception de la divinité sans attributs. La dialectique del’unité de la divinité et de la pluralité des Existants est expliquée par les différentesphases de transformations qui permettent la métamorphose de l’Un primordialen Raison universelle, puis de la Raison universelle en Âme universelle. LesIsmâ‘îlî éveillaient graduellement les adeptes à l’esprit du scepticisme : « à la fin,ils les amenèrent à ce degré d’émancipation spirituelle où tombe le rituel solen-nel et où la religion dogmatique apparaît n’être rien de plus qu’un arrangementsystématique de faussetés inutiles » (Iqbal, 1908 : 53).

Présentation des auteurs

L’œuvre de Sayyid Amîr ‘Alî s’adresse à un large public mais l’emploi de l’an-glais laisse entendre que les premiers destinataires étaient les Britanniques. Il n’estpas un ‘âlim et on ne trouve par conséquent aucune argutie du ‘ilm al-kalâm. Bienqu’une partie de son discours soit influencée par les grands débats théologiquesde l’islam, il est évident que les publications de Sayyid Amîr ‘Alî restent avanttout des réponses aux attaques des polémistes chrétiens britanniques.

Sayyid Amîr ‘Alî appartient à l’aile moderniste du réformisme musulman dusous-continent indien. Il naît dans une famille de sayyid dont la généalogieremonte au huitième imâm ‘Alî al-Ri∂â qui s’était établi dans le voisinage de Mash-had, en Iran. Ses ancêtres avaient exercé des fonctions importantes sous les Safa-vides et l’un d’eux avait été au début du VIIIe siècle un mujtahid renommé à Qom.Lors de l’invasion de l’Inde par Nâdir Shâh en 1739, l’un des corps d’armée étaitcommandé par son arrière-arrière-grand-père, AÌmad Afzal Khân. À la demandede l’empereur moghol MuÌammad Shâh, et avec l’accord de Nâdir Shâh, ildécida de s’établir à Delhi. Les descendants de AÌmad Afzal Khân passèrent ensuite

5. Il faut signaler que MuÌammad Iqbâl est un des seuls penseurs musulmans à voir dans les Ismâ‘îlî desMusulmans authentiques et des champions de la science et de la philosophie, victimes « de persécutions affreu-sement barbares qui les contraignirent à rendre la pareille au fanatisme sanguinaire » (Iqbal, 1908 : 51).

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au service des nawâb d’Oudh, avant que le père de Sayyid Amîr ‘Alî ne se fixeau Bengale.

Sayyid Amîr ‘Alî naquit à Chinsura, un ancien établissement hollandais situésur la Hooghly, le 6 avril 1849. Il commença ses études à la madrassa de Calcuttaavant de gagner le Hooghly College, un établissement dirigé par Robert Thwaytesoù il se familiarisa rapidement avec la littérature britannique. Le soir, un mol-lah venait lui enseigner l’arabe, le persan, l’ourdou et les études islamiques àdomicile. Après la mort de son père alors qu’il avait sept ans, Sayyid Amîr ‘Alîfut grandement influencé par Sayyid Karâmat ‘Alî, qui était alors le mutawâli del’imâmbârâ de la ville. Non seulement ce personnage avait reçu une éducationislamique très solide, mais il avait aussi acquis une solide connaissance des écri-tures sacrées hindoues. Son passe-temps favori était de comparer ces écritures avecla philosophie arabe classique. En outre, Sayyid Karâmat ‘Alî avait parcouru lemonde musulman. Après avoir séjourné plusieurs années auprès de Fath ‘AlîShâh, l’empereur de Perse, il avait rencontré Dust MuÌammad, l’émir d’Afgha-nistan. Par conséquent, il était très au fait des problèmes contemporains dumonde musulman.

Sayyid Amîr ‘Alî s’orienta vers des études juridiques et il obtint rapidementune licence en droit. En 1868, le vice-roi Lord Kimberley créa une boursed’études qui permettait aux meilleurs étudiants indiens d’aller poursuivre leursétudes en Angleterre. Sayyid Amîr ‘Alî fut reçu et il s’embarqua en décembre dela même année. Établi à Londres, il s’intégra très rapidement à la société anglaiseet il réussit à être admis au barreau de la ville en 1873. Lors d’un séjour à Paris,il rencontra Garcin de Tassy.

Sayyid Amîr ‘Alî a laissé une œuvre abondante, entièrement composée enanglais, et qui connut en son temps un succès tel que son principal ouvrage, Spi-rit of Islam, fut traduit en arabe, en persan et en turc. Malgré cela, Sayyid Amîr‘Alî n’a fait l’objet que de quelques publications (Aziz, 1968 ; Abbassi, 1989).AÌmad Aziz consacre une dizaine de pages de son Islamic Modernism in India andin Pakistan à “l’humanisme éthique” de Sayyid Amîr ‘Alî (Aziz, 1967 : 86-97).

Sayyid Amîr ‘Alî a publié plusieurs dizaines d’articles ainsi que quatre livres.Le plus important est The Spirit of Islam, dont le sous-titre est A History of theEvolution and Ideals of Islam, with the Life of the Prophet, qui fut publié pour lapremière fois sous ce titre en 1922. Le livre est en fait la énième reprise d’un ouvrageinitial publié en 1873 avec le titre Critical Examination of the Life and Teachingsof Mohammad. Parmi les neuf chapitres qui composent l’ouvrage, les deux der-niers sont consacrés à l’esprit littéraire et scientifique de l’islam, ainsi qu’au ratio-nalisme et à l’esprit philosophique. Le second ouvrage important de SayyidAmîr ‘Alî est A Short History of the Saracens publié à Londres en 1889. Commel’indique son titre, cet ouvrage est consacré à l’histoire du monde musulman desorigines à la chute de Grenade.

Sul†ân MuÌammad Shâh Aghâ Khân naquit le 3 novembre 1877 à Karachi.Son grand-père, Îasan ‘Alî Shâh s’était réfugié en Inde en 1843, après avoir

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tenté de prendre le contrôle de la province persane de Kirmân. Îasan ‘Alî Shâhdescendait d’Ismâ‘îl, le fils aîné du sixième imâm Ja‘far al-∑âdiq, et il était le 46e

imâm des Shî‘ites ismâ‘îlî nizârî. À sa mort en 1881, son fils aîné ‘Alî Shâh luisuccéda avant de mourir de maladie en 1885. C’est à ce moment qu’un enfantde huit ans, Sul†ân MuÌammad Shâh Aghâ Khân, devint imâm. Il reçut unedouble éducation, islamique et occidentale, grâce à des précepteurs britanniqueset à un mollah iranien. Lorsqu’il fut libéré de la tutelle du conseil de régence, Sul†ânMuÌammad Shâh décida de parcourir l’Inde. En 1896, il se rendit à Aligarh oùil rencontra Sayyid AÌmad Khân. Il est alors convaincu de la nécessité de “réfor-mer” l’islam et de développer en priorité l’éducation au sein des Musulmansindiens. Il devient peu à peu un leader en vue des Musulmans indiens, au pointd’être choisi pour diriger la délégation qui se rend auprès du vice-roi des Indes,lord Minto, pour revendiquer des élections séparées. En 1906, il est membre fon-dateur de la Ligue Musulmane Panindienne avant d’en être élu le premier pré-sident. Son rôle d’homme politique sera épisodique par la suite.

Savoir et sciencechez Sayyid Amîr ‘Alî

Les imâm shî‘ites, pionniers du savoir scientifique

Bien que ne se situant pas dans la dialectique du ‘ilm al-kalâm, Sayyid Amîr‘Alî reprit la problématique de Sayyid AÌmad Khân. Sa connaissance de la civi-lisation occidentale était plus profonde que celle de Sayyid AÌmad Khân. Il serendit à Londres à l’âge de vingt ans pour y étudier le droit. On peut par consé-quent considérer que son œuvre est plus une comparaison systématique des réa-lisations de la civilisation chrétienne avec celles de la civilisation islamique. L’ob-jectif est alors de démontrer de façon péremptoire la supériorité de cette dernière,ainsi que la dépendance de la première envers celle-ci.

Pour Sayyid Amîr ‘Alî, il est clair que le savoir fut largement diffusé dès les débutsde l’islam, ce qui eut comme conséquence de favoriser le développement de l’es-prit critique. La quête du savoir est une recommandation maintes fois réitérée dansle Coran, et l’intérêt que le Prophète lui-même portait au savoir suffit à le distinguerde tous les autres prophètes. Le premier imâm ‘Alî avait étudié l’enseignement duProphète “à la lumière de la raison”. Sayyid Amîr ‘Alî voit dans l’accès au pouvoirdes Omayyades un coup d’arrêt à la diffusion du savoir dans le monde musulman.En revanche, les enfants de Fâ†ima se dévouèrent à cette tâche :

« Ils n’étaient pas tournés vers le passé, écrit-il, le salaf n’était pas leur guide. Avecles préceptes du Maître pour éclairer leur chemin, ils avaient en tête le développe-ment de l’humanité, et se consacraient eux-mêmes au développement de la scienceet du savoir dans toutes ses branches. » (Ameer Ali, 1922 : 364.)

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Comment Sayyid Amîr ‘Alî explique-t-il la naissance de la tradition scienti-fique arabe ? Pour lui, le véritable essor scientifique du monde musulman est liéà l’œuvre d’un homme, Ja‘far al-∑âdiq :

« Un homme à l’esprit critique et un penseur efficace, écrit-il, compétent dans laplupart des branches du savoir de l’époque, il fut virtuellement le fondateur des prin-cipales écoles philosophiques de l’islam. » (Ameer Ali, 1889 : 207.)6

La définition que Ja‘far al-∑âdiq donna du savoir est significative pourl’auteur :

« L’illumination du cœur est son essence : la Vérité son but principal ; l’Inspiration,son guide ; la Raison, ce qui le rend possible ; Dieu, son inspirateur ; et les mots [uti-lisés par] l’homme son langage. » (Ameer Ali, 1922 : 364.)7

À Médine, les imâm accueillirent une partie des professeurs et des étudiantsdes anciennes écoles de philosophie, en particulier de celle d’Edesse. Cette écolede Médine fut sans aucun doute la première école du savoir musulman.

Sayyid Amîr ‘Alî reconnaît que l’apport des sciences étrangères fut fonda-mental. L’essor de cette tradition arabe fut nourrie par les écrits polémiques desChrétiens nestoriens qui s’étaient réfugiés à Damas. Les débats qu’ils provo-quèrent avec les Musulmans, mais aussi les querelles qu’ils avaient avec leurspropres coreligionnaires favorisèrent le développement d’un discours rationalisteet philosophique (Ameer Ali, 1922 : 365). Cela dit, il ne faut pas négliger pourautant, selon lui, quelle fut la fonction de l’islam dans ce processus :

« Depuis des siècles, la philosophie grecque était connue des Persans et des Arabes ;les Nestoriens s’étaient répandus dans les dominions de Chosroes depuis le débutdu règne de Justinien, mais ce ne fut pas avant que tous ces éléments variés ne soientfusionnés en un tout organique par l’islam que la culture et la science grecques exer-cèrent un effet réel sur le développement intellectuel de l’Asie occidentale. » (AmeerAli, 1922 : 366.)

L’islam à l’avant-garde de la civilisation

L’âge d’or du développement du savoir se situe – aux yeux de Sayyid Amîr ‘Alî– sous le règne des six premiers califes abbassides. D’innombrables écoles et aca-démies furent créées. Des bibliothèques publiques et gratuites apparurent danschaque cité. Les philosophes grecs de l’Antiquité étaient étudiés côte à côte avecle Coran. Mâmûn incarne le plus parfaitement cette période :

« Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, un gouvernement religieuxet autocratique s’allie de lui-même à la philosophie, préparant et participant à sontriomphe. » (Ameer Ali, 1922 : 371.)

6. Sur cette question, Toufic Fahd accepte la tradition qui fait de Ja‘far al-∑âdiq le père de la traditionscientifique arabe, mais il conclut que Ja‘far al-∑âdiq aurait plutôt stimulé la recherche scientifique, et quec'est dans ce sens que le qualificatif peut lui être attribué (Fahd, 1970 : 141).7. Cette citation est empruntée au Târikh al-Îukamâ de Jamâl al-Dîn al-Kitti, qui l'emprunte lui-mêmeà Shihâb al-Dîn Sohrawardî.

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Sayyid Amîr ‘Alî multiplie les exemples tendant à démontrer que la civilisa-tion islamique est supérieure à la civilisation chrétienne. Cette tournure apolo-gétique apparaît à travers la citation de plusieurs faits historiques. En premier lieu,il observe que de nombreux chrétiens appelés à de hautes responsabilités ont étéformés dans des écoles musulmanes. Il cite le cas de Gerbert et du pape Sylvestre II.Le second point important de la démonstration réside dans l’exposé de plu-sieurs actions brutales par lesquelles les Chrétiens ont stoppé l’enseignement etla diffusion du savoir : la destruction des bibliothèques des empereurs païens, l’in-cendie de la bibliothèque Palatine fondée par Auguste, etc.

À cette attitude de destruction systématique, Sayyid Amîr ‘Alî oppose l’épa-nouissement de la civilisation islamique de Mâmûn, surnommé pour l’occasionl’Auguste des Arabes. Ce développement sans précédent du savoir s’appuyaitune méthode :

« La méthode déductive, bien qu’elle soit présentée fièrement comme une inven-tion et unique monopole des Européens, était totalement maîtrisée par les Musul-mans » (Ameer Ali, 1922 : 372).

Suit une énumération des savants et des sciences dans lesquelles les Musul-mans accomplirent des progrès : astronomie, physique, mathématiques, optique,mécanique, médecine, géologie, histoire naturelle, chimie. Après Bagdad, denouveaux centres du savoir virent le jour dans le monde musulman, à Cordoueet au Caire, auxquels succédèrent les capitales de nouveaux royaumes.

Sur les raisons de la cessation de cette activité scientifique, Sayyid Amîr ’Alîn’émet aucun doute :

« Les incursions destructives de ces maraudeurs chrétiens qui s’appelaient eux-mêmes les Croisés furent désastreuses pour la cause du savoir et de la science enAsie occidentale et en Afrique du nord » (Ameer Ali, 1922 : 381).

À ce sujet, l’auteur considère que l’argument selon lequel ce furent les Mongolsqui mirent fin à cet épanouissement n’est pas valide. Ce fait historique ne doit enaucun cas être comparé aux invasions barbares de l’empire romain. Les Mongolspénétrèrent progressivement l’empire musulman et le temps qu’ils soient parvenusau cœur de l’empire, leur férocité s’était considérablement émoussée. Sayyid Amîr‘Alî reconnaît que l’invasion de Gengis Khan a constitué une exception: les Mon-gols ont alors laissé misère et désolation. Mais il avance un argument favorable àsa thèse, à savoir que la conversion des Mongols à l’islam les a civilisés: « [alors qu’ilsétaient] les destructeurs des centres du savoir et des arts ils devinrent les fondateursd’académies et les protecteurs des savants » (Ameer Ali, 1922 : 382).

Si Sayyid Amîr ‘Alî reconnaît qu’ils ont surtout développé et amélioré la majo-rité des sciences, il souligne que les Musulmans sont d’autre part les inventeursde nouvelles sciences. C’est le cas de la chimie moderne, dont le père est Abû MûsaJâbir. L’étude des substances médicales, dans une perspective scientifique, est uneautre création des Arabes. Ils furent par ailleurs des pionniers dans la diffusiondu savoir parmi les femmes. Il affirme que l’égalité était totale dans ce domaineet que les femmes possédaient leurs propres écoles.

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Barbarie chrétienne et civilisation musulmaneNon seulement Sayyid Amîr ‘Alî affirme que la première manifestation du ratio-

nalisme en Occident s’est produite dans les provinces qui étaient jadis sous lecontrôle des Musulmans, mais il soutient que le double échec des armées musul-manes, devant Constantinople et en France, a retardé le progrès du monde deplusieurs siècles. La Renaissance aurait pu être avancée de sept siècles. Quant àla cause du retard des Musulmans à l’époque moderne, elle est entièrement dueaux Chrétiens qui détruisirent la vie intellectuelle en Espagne, en Afrique et enAsie, entre les XIIe et XVIIe siècles : « Les Musulmans avaient fait de l’Espagne unjardin ; les Chrétiens l’ont tranformée en désert » (Ameer Ali, 1922 : 400).

Comme ses contemporains, Sayyid Amîr ‘Alî cite abondamment les auteurseuropéens. Dans le contexte qui nous occupe, il n’hésite pas à convoquer Gobi-neau qui est un des premiers à avoir expliqué que le retard des Musulmansn’était pas dû à l’islam. Le résultat final de sa démonstration est de prouver quedans le passé, l’islam a été animé d’un esprit scientifique comparable à celui quiprévaut au XIXe siècle en Europe. En dernière analyse, la place que les Musulmansont accordé au savoir les distingue d’emblée des autres civilisations. Sayyid Amîr‘Alî inverse le discours alors dominant en Europe qui fait de l’islam une religionarchaïque et arriérée, sans futur. Non seulement l’histoire démontre que l’islama été le centre de la civilisation et du développement scientifique, mais elle éta-blit que la renaissance chrétienne n’aurait pas pu avoir lieu sans l’existence de cettescience “arabe”. Sayyid Amîr ‘Alî fait de la raison l’instrument de cet essor. C’estpourquoi il faut maintenant examiner comment il la conçoit dans l’histoire etdans le savoir islamique.

La place du rationalismechez Sayyid Amîr ‘Alî

La raison contre le fatalisme

Sayyid Amîr ‘Alî consacre un long développement du dixième chapitre de Spi-rit of Islam au problème du fatalisme, de la prédestination et du libre-arbitre. S’ap-puyant sur de très nombreuses citations coraniques, il conclut que l’homme estle maître absolu de son comportement. Cette idée implique que l’homme est douéde raison. Si Sayyid Amîr ‘Alî se réfère aux lois de la nature, ce n’est pas pour enfaire le fondement d’une rationalité d’essence divine, comme Sayyid AÌmadKhân. Il n’envisage la nature que comme l’instrument de la volonté divine, etc’est pourquoi il considère que les références coraniques aux “décrets de Dieu”se rapportent aux lois de la nature.

L’enracinement de la rationalité dans le Coran ne dispense pas Sayyid Amîr‘Alî de situer les différentes formes de cette rationalité vis-à-vis de la philosophiegrecque :

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« La définition de la raison (proposée par) MuÌammad, celle d’une cognition dufini et de l’infini, nous renvoie au discours et à la pensée aristotéliciennes, alors queles recommandations de ‘Ali à son fils doivent être lues avec avantage par l’admi-rateur de l’éthique aristotélicienne » (Ameer Ali, 1922 : 409).

Cela dit, ‘Alî apparaît bien comme le premier à avoir formulé un point de vuecorrect sur la question de la prédestination. Il fit de l’usage de la raison le fon-dement de la pensée islamique. Après l’école de Médine, le rationalisme “imâ-mien” se diffusa à Damas, Kûfa, BaÒra et Baghdad. Le rationalisme imâmienconnut un coup d’arrêt avec le massacre de Kerbelâ et le sac de Médine. Leflambeau fut repris par le sixième imâm, Ja‘far al-∑âdiq.

Il est logique que le père de la science arabe soit un des plus importants repré-sentants du rationalisme islamique. Sayyid Amîr ‘Alî met en valeur les disputa-tions que l’imâm avait avec les Chrétiens, les Juifs et les Zoroastriens. Ja‘far al-∑âdiq associa la prédestination (jabr) à l’infidélité, affirmant que l’homme avaitla capacité de choisir entre le bien et le mal, sans tomber pour autant dans l’ex-trémisme des tenants de la liberté absolue (tafwîz). ‘Alî al-Ri∂â, le huitièmeimâm, réitéra cette condamnation en soulignant que la thèse du jabr avait été fabri-quée à l’aide de traditions inventées. Sous les Ommayyades, on se référa aux salafqui étaient morts, pour inventer de telles traditions. Sayyid Amîr ‘Alî expliqueque les Mu‘tazila sont nés d’une dissidence de l’école de Médine dirigée par lesimâm. Mais ce sont eux les véritables fondateurs de la “science de la raison”, expres-sion par laquelle il traduit ‘ilm al-kalâm. L’effort de réflexion des Mu‘tazila visaità trouver une concordance entre la raison et la révélation. Mais l’islam, contrai-rement au christianisme où de nombreux dogmes contredisent la raison, n’estcomposé que d’un dogme, celui de l’unicité de Dieu. Sayyid Amîr ‘Alî en conclutque le Mu‘tazilisme est plus proche du rationalisme moderne que de la scholas-tique. Les Mu‘tazilites améliorèrent les connaissances en sciences physiques. Lesméthodes de raisonnement de ces Ìukamâ étaient identiques à celles de la sciencemoderne.

La raison philosophiqueIl est remarquable que Sayyid Amîr ‘Alî passe des Mu‘tazilites aux philosophes

sans aucune transition. Il présente ceux qu’il considère comme les plus grands :al-Kindî, al-Fârâbî, Ibn Sînâ, Ibn Bajja, Ibn ™ufayl et Ibn Rushd. Utilisant Sha-rastânî, Sayyid Amîr ‘Alî souligne qu’Ibn Sîna fut le théoricien des deux raisons,la raison passive et la raison active. Ibn Rushd chercha à établir une concordanceentre la religion et la philosophie. Vers la fin du Xe siècle, les philosophes furentaccusés d’hérésie. La philosophie ne disparut pas malgré ces conditions peu pro-pices à la réflexion. C’est en effet vers cette époque que se constituèrent les“Frères de la Pureté” (Ikhwân al-∑afâ) à BaÒra, qui devint le centre du rationa-lisme et de l’activité intellectuelle.

Le mystère qui entoure ces Frères ne doit rien à une quelconque conceptionésotérique de la connaissance : il s’explique par les seules conditions politiques.

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Les Frères mirent sur pied un véritable réseau de groupes de réflexion dont lesactivités couvraient tous les champs de la connaissance humaine :

« Ils composèrent, en fait, une encyclopédie populaire de toutes les sciences etphilosophies qui existaient alors. Les théories de ces évolutionnistes du dixième siècle,comme le développement de l’organisme animal, peuvent être comparées avecavantage à ce qui se développe à l’époque actuelle » (Ameer Ali, 1922 : 433).

Il est surprenant que Sayyid Amîr ‘Alî ne fasse aucune allusion aux liens desFrères avec le shî‘isme. La tradition ismâ‘îlî voit dans l’imâm AÌmad le coordi-nateur de l’Encyclopédie (Corbin, 1986 : 194). Muhammad Iqbâl, pour sa part,indique qu’une relation secrète existait entre les missionnaires ismâ‘îlî et lesFrères (Iqbal, 1908 : 49).

Le chapitre consacré à l’étude de l’esprit rationaliste et philosophique en islampoursuivait les mêmes visées apologétiques que le précédent, à savoir que rienne s’oppose au développement intellectuel de l’islam. La description des écolesphilosophiques démontre que la civilisation musulmane a été le centre du ratio-nalisme à une époque où le christianisme était dominé par la patristique. SayyidAmîr ‘Alî insiste sur l’idée que jusqu’à la Réforme, le catholicisme était l’ennemimortel de la science, de la philosophie et du savoir : « Mais le catholicisme,reconnaît-il, après la rupture produite par Luther et Calvin, découvrit que ni l’étudede la science, ni la recherche philosophique ne faisaient du croyant un incroyant ».Enfin, last but not least, Sayyid Amîr ‘Alî est convaincu que l’islam a déjà accom-pli dans le passé une telle démarche : « Le protestantisme islamique, dans une deses phases – le Mu‘tazilisme – a déjà préparé la voie » (Ameer Ali, 1922 : 454).Plus que les sources, dont Sayyid Amîr ‘Alî ne cherche pas véritablement à extrai-re une conception de la raison, ni même une forme quelconque de rationalité,le précédent historique est à ses yeux l’argument décisif.

La réfutation de Renan

On connaît le rôle joué par Ernest Renan dans les débats relatifs à l’islam auXIXe siècle. L’un des épisodes les plus fameux est la réponse que Jamâl al-Dîn al-Afghânî publia dans le Journal des Débats du 18 mai 1883, à la suite d’un articleque Renan avait publié dans le même journal le 29 mars de la même année sur« L’islam et la science ». Des échos de ces échanges parvinrent jusqu’aux Indesbritanniques. Le 28 juillet 1901, l’Indian Social Reformer, un journal publié à Bom-bay, revenait sur le débat. C’est par ce journal que Sayyid Amîr ‘Alî semble enavoir pris connaissance.

Sayyid Amîr ‘Alî a cité Renan dans son Spirit of Islam, certes à deux reprisesseulement. La première fois, il s’agissait de montrer que l’islam avait été le centredu développement scientifique. Renan insistait sur la tolérance qui prévalait àCordoue, tolérance qu’il était difficile de retrouver à l’époque moderne. Laseconde citation était relative à Averroes. C’est dans le troisième appendice deson livre que Sayyid Amîr ‘Alî ajoute un texte relatif à Renan. Il est surpris par

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les assertions de celui qu’il connaît comme l’auteur d’Averroes et l’averroisme.Dans son article, Renan affirmait que l’islam était opposé à la science, et que lascience ne s’était développée que lorsque la religion s’était affaiblie. Sayyid Amîr‘Alî insiste davantage sur la réponse que Renan fit à al-Afghânî que sur son argu-mentation. Dans cette réponse, Renan reconnaît que le christianisme a été aussihostile à la science que l’islam.

Sayyid Amîr ‘Alî rend responsable l’autorité qui prévaut en islam, ce qu’iln’hésite pas à qualifier de “Church”. S’il est vrai que l’islam n’a pas d’Église, il fautbien reconnaître que des institutions religieuses existent, ce qui signifie qu’ellespeuvent exercer une coercition à l’encontre de la réflexion. C’est pour cette rai-son que Sayyid Amîr ‘Alî utilise le terme “Église”, non sans équivoque puisqu’ilne s’en explique pas vraiment. C’est pourtant ce sous-entendu qui lui permetd’écrire que les Musulmans sont les premières victimes de l’islam. Par islam, ilfaut entendre institution islamique. Il accuse alors le fanatisme religieux avantd’employer une nouvelle formule ambiguë : « L’émancipation du Musulman desa religion serait le plus grand service que quelqu’un pourrait lui rendre » (AmeerAli, 1922 : 483). Rappelons que Sayyid Amîr ‘Alî s’adresse aux Britanniques età un lectorat musulman “éclairé”: peu importe, cette assertion est fondatrice d’uneconception du sécularisme en islam.

La suite du texte est consacrée à l’expression d’une double contestation. D’unepart, Sayyid Amîr ‘Alî reproche aux savants européens, tout en leur témoignantle plus grand respect, de comparer la forme la plus développée du christianismeà la forme la plus arriérée de l’islam. D’autre part, il s’élève contre l’assertion deRenan d’après laquelle les plus importants penseurs musulmans ne sont pasarabes mais persans. Cette dernière réfutation couvre plusieurs pages dans les-quelles Sayyid Amîr ‘Alî s’appuie sur les auteurs arabes classiques, avec forcecitations généalogiques.

Le succès de Sayyid Amîr ‘Alî s’explique cependant par la clarté de son rai-sonnement et la pertinence de son argumentation. En outre, l’auteur s’appuiesur les sources classiques de l’islam, aussi bien sunnites que shî‘ites. On y décèleà peine l’origine et la formation shî‘ite de l’auteur. Sayyid Amîr ‘Alî n’a jamaisprétendu être un rénovateur de l’islam. Son seul souci était de contrecarrer lesattaques des polémistes chrétiens et de prouver que l’islam n’était pas réfractaireau progrès intellectuel, qui revêtait la forme du raisonnement scientifique.

La place de la Naturechez Sul†ân MuÌammad Shâh Aghâ Khân

L’islam, une religion naturelle

Sul†ân MuÌammad Shâh Aghâ Khân approuve et reprend dans une largemesure la conception de la Nature de Sayyid AÌmad Khân. Dans la pensée aga-

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khanienne, elle n’est cependant qu’une facette de sa conception. En effet, chezl’Aghâ Khân, l’idée de Nature fonctionne sur un autre registre dans lequel larecherche de sa connaissance constitue une étape dans la connaissance de Dieu.L’Aghâ Khân évite par conséquent de tirer des conclusions aussi hardies queSayyid AÌmad Khân et de ce point de vue, il ne peut être considéré comme unneitcharî. Concernant le concept de la Nature, Georges Balandier écrit que

« durant les périodes de rupture, de remise en cause globale qui effectuent untournant de l’histoire, cette philosophie de la nature se modifie ; elle annonce, pré-pare, accompagne les changements en voie de se faire et en cours de réalisation »(Balandier, 1985 : 175).

Il semble que la conception aga-khanienne de la Nature reflète parfaitementcette situation dans sa structure ambivalente. C’est à plusieurs reprises que l’AghâKhân, surtout dans les dix dernières années de sa vie, présente l’islam comme unereligion naturelle (natural religion). Sur le modèle de Sayyid AÌmad Khân, il uti-lise cette expression pour exprimer l’idée que la loi de la cause et de l’effet est laloi qui régit la Création. La Nature est justement l’équivalent de la Création dumonde physique. Les éléments qui composent la Nature sont les “signes deDieu” – c’est-à-dire qu’ils sont les preuves de la puissance divine, ainsi que de laloi et de l’ordre divins (Collectanea, 1955 : 77). L’Aghâ Khân va jusqu’à écrireque le Coran fait référence à la loi de la Nature comme la preuve de l’existencede Dieu, cette qualité étant divine par définition.

Le Coran et la sunna insistent sur le fait que les hommes doivent réfléchir àces “signes”. Bien que l’Aghâ Khân ne nie pas l’existence des miracles, la loi dela Nature est pour lui le paradigme de la religion islamique :

« L’Islam est fondamentalement une religion naturelle, explique-t-il. Tous cesdogmes et doctrines, de quelque secte ou école que ce soit, sont basés en dernièreanalyse sur la régularité et l’ordonnancement des phénomènes naturels, sur l’in-clination naturelle des êtres humains pour la survie et la reproduction, tandis quela religion occidentale, le christianisme, est basée sur les événements miraculeux etla foi en les miracles, ce qui signifie une rupture dans cette régularité à laquelle leCoran fait allusion des milliers de fois » (Collectanea, 1955 : 13).

En établissant ce parallèle entre les deux religions – parallèle exprimé en des termesidentiques par al-Afghânî, l’Aghâ Khân oublie que le modernisme occidental s’estélaboré non pas en accord avec le christianisme, mais contre le christianisme. EnEurope, le XIXe siècle triomphant a acculé la religion dans ses derniers retranche-ments. Les auteurs n’en tiennent pas compte et ils raisonnent comme si la religionchrétienne avait favorisé le développement scientifique. Pourtant, de 1616 lorsquele pape Paul V condamne les théories de Copernic comme contraires aux Ecritures,au Syllabus de Pie IX qui condamne en 1864 toutes les théories du siècle parmilesquelles se trouve le darwinisme, le développement de la pensée scientifique n’estqu’un long combat contre les autorités religieuses, parce qu’il implique ipso factola sécularisation de la pensée, compte tenu du fait que la Bible n’est plus la matriceoriginelle de la totalité du savoir.

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Aucun réformateur, à l’exception de MuÌammad Iqbâl, n’a soulevé cettequestion : pourquoi ? La réponse la plus courante est celle qui consiste à dire quela question de la sécularisation ne peut être pensée dans la religion islamique parceque cette religion se veut totalisante. Mais le christianisme, malgré la tendancedominante à résoudre le problème par la formule « Rendez à César ce qui est àCésar », n’a-t-il pas eu lui-même la tentation récurrente de s’affirmer comme pen-sée englobante de la réalité, en d’autres termes comme domination du spiri-tuel/religieux sur le temporel/politique ? Nous ne rappellerons pour illustrationque la lutte multiséculaire entre le pape et l’empereur8. Il est vrai d’autre part quedans le Coran et dans la sunna, l’Islam englobe tous les champs de la connais-sance, et de ce fait, aucune rupture épistémologique ne peut être envisagée à par-tir de ces sources. Mais là aussi, les Musulmans du passé ne se sont pas toujourspréoccupés des fondements idéologiques, et on observe à plusieurs reprises dansl’histoire de l’Islam une séparation de fait du politique et du religieux.

Nature, science et éthique

Par conséquent, ne doit-on pas chercher ailleurs l’origine de cette attitude carac-téristique des réformateurs musulmans de penser le développement scientifiqueà travers la régénération de la pensée religieuse islamique? Cette question dépassecertes largement le cadre du présent article. Pourtant, l’analyse des écrits del’Aghâ Khân permet de proposer deux hypothèses. Premièrement, l’accentuationdu principe de l’unité comme première représentation de Dieu rend difficile laséparation à “l’occidentale” du religieux et du non-religieux ; d’autre part, lefacteur communautaire – lui même issu du principe de l’unité – ne permetguère d’envisager le rejet de la pratique religieuse hors de la cité. Ces élémentsfont apparaître l’idée de l’élaboration d’une laïcité spécifique.

Pour l’Aghâ Khân, la régularité et l’ordre des phénomènes naturels constituent,quoi qu’il en soit, le modèle, à la fois par sa perfection divine, vers laquelle doittendre le croyant, et par le fait que cette perfection de la Création est un mys-tère, un secret que le croyant doit chercher à percer. Il attribue d’autant plus del’importance à l’étude de la Nature que c’est sur cette question que le savoir euro-péen et le savoir musulman se sont, selon lui, séparés. L’Aghâ Khân est convaincuque c’est grâce au génie de Sayyid AÌmad Khân et à celui de MuÌsin al-Mulkque les Musulmans ont pris conscience de ce qui constitue finalement la causefondamentale du retard islamique.

En effet, le contrôle des forces de la Nature donne la puissance aux êtreshumains, et qui dit augmentation de ce pouvoir dit développement (Collecta-

8. Cette question a été traitée, dans le cadre du judéo-christianisme, par Marcel Gauchet, Le désenchan-tement du monde – Une histoire politique de la religion, Gallimard, 1985, 306 p. Pour un autre point devue, voir B. Badie, Les deux États-Pouvoir et société en Occident et en Islam, Fayard, 1986, 331 p. Lacélèbre citation évangélique « Rendez à César ce qui est à César », qui traditionnellement justifie la pré-coce séparation du religieux et du politique en milieu chrétien, demanderait à être ré-examinée.

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nea, 1955 : 13). Pour l’Aghâ Khân, seule l’étude de la Nature peut conduire àl’étude scientifique :

« (La nature) est la chose qui a été le plus touchée par l’influence de ces processusd’observation et d’interprétation auxquels on donne le nom de science », écrit-ilen 1918 au sujet de la civilisation européenne. « En réalité, la méthode inductived’aujourd’hui est presque un monopole de cette division de cette culture. Elle a sisouvent déjoué les secrets de la nature pour des motifs matériels qu’on peut presquedire qu’elle est la seule à savoir comment mettre au service de l’humanité les forcesles plus obscures du monde inanimé » (Aga Khan, 1918 : 3).

L’étude scientifique a un objectif matériel et moral : le bien-être de l’huma-nité. La pensée de l’Aghâ Khân est ici fortement marquée par le positivisme etl’utilitarisme qui dominaient l’idéologie moderniste de l’Europe à la fin du XIXe

siècle. Il en retient que la connaissance positive peut être déduite de l’étude dela Nature. Comme le dit le Coran, Dieu a créé la Nature pour aider l’homme àsurvivre : elle est entièrement à la disposition de l’homme.

Raison et bon sens

On observe que dans ses écrits publics, l’Aghâ Khân ne fait jamais référenceà la philosophie ismâ‘îlî, contrairement à MuÌammad Iqbâl. Ce n’est pas le caslorsqu’il s’adresse à des disciples. Face à ses disciples, l’Aghâ Khân affirme quele ‘aql est la base de leur religion. Il le définit comme la faculté de raisonner, c’est-à-dire la faculté de comprendre. La religion sans le ‘aql, continue-t-il, ne permetpas de comprendre, et par conséquent on ne peut rien obtenir. La source de cetterationalité est de toute évidence dans le Coran. L’Aghâ Khân accorde une grandeimportance aux injonctions coraniques exhortant l’homme à comprendre. Lecontexte intellectuel de l’époque conduit l’Aghâ Khân à considérer que cette injonc-tion s’applique avant tout aux phénomènes de la Nature. Mais il n’empêcheque ces injonctions témoignent pour lui de l’ouverture d’esprit et surtout d’uneorientation vers la recherche de la compréhension et de la connaissance, carac-téristique de l’esprit de l’Islam.

On a vu que Sul†ân MuÌammad Shâh Aghâ Khân était né au sein d’unefamille fraîchement immigrée d’Iran. Son demi-frère aîné, ShiÌâb al-Dîn Shâh(1850-1883), publia dans les années 1880 un petit traité qui constitue un exposéde ce qu’était l’ismaélisme au sein de la famille imâmienne. Il est important devoir quelle place il fait à la Raison. ShiÌâb al-Dîn Shâh oppose raison (‘aql) àinconscient (nafs) :

« La Raison (‘aql), est la faculté qui vous permet de toujours distinguer le juste che-min, qui vous empêche de vous en détourner. Il est dit que c’est la Raison qui vouspermet de vénérer Dieu, de gagner la bénédiction de la vie éternelle, d’entrer auParadis, et d’y trouver un refuge permanent » (Shihâb al-Dîn Shâh, 1947 : 9).

La Raison n’est ici rien d’autre que le principe qui permet de distinguer le Biendu Mal. L’auteur écrit que l’homme a toujours le choix entre suivre ce que lui

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dicte la raison, et la satisfaction de ses bas instincts, c’est-à-dire ce que lui dicteson inconscient. Il s’étend longuement sur les conséquences néfastes qu’entraînele mauvais choix. La raison chez ShiÌâb al-Dîn Shâh n’est donc plus envisagéesuivant la vision du monde néo-platonicienne. Il n’est plus du tout question dela Raison Universelle comme première instaurée par Dieu. La raison est envisa-gée sous un aspect plus technique bien qu’elle reste encore totalement la servantede la révélation.

La raison islamique a été maintes fois décrite par les auteurs comme échap-pant à l’historicité. Ils l’expliquent par le fait que les sciences instrumentales del’exégèse classique ne pouvaient pas connaître de coupure épistémologique quiaurait comme conséquence de la reléguer dans un savoir dépassé9. Chez l’AghâKhân, la raison est toujours au service de la Révélation. Sa conception de larationalité islamique est plus proche du bon sens et de la logique qui suffit à dis-tinguer le bien du mal et le vrai du faux. Elle n’est pas opérative dans le champdes spéculations métaphysiques. On retrouve ici une conception proche de cellede ShiÌâb al-Dîn Shâh. L’Aghâ Khân n’évoque à aucun moment une “RaisonUniverselle” comme hypostase de la divinité. Dans la théogonie pré-fatimide etfatimide, la “Raison Universelle” ou “Premier Intellect” constituait la premièrehypostase souvent personnifiée par l’imâm (Marquet, 1985 : 176).

La rationalité de l’Aghâ Khân se confond en dernière analyse avec sa concep-tion de la Nature. Il affirme indifféremment que l’Islam est une religion natu-relle ou une religion rationnelle (Aga Khan, s.d. : 10). En effet, pour lui, le prin-cipe de fonctionnement de cette rationalité est le même que celui de la Nature,à savoir le principe de cause à effet. Cette conception mécaniste de la rationa-lité, qui englobe sa conception de l’Histoire, limite beaucoup leur fonction entant que source de la connaissance. Leur utilisation dépend de la conformité del’Histoire et de la raison avec le Coran. L’Aghâ Khân recourt souvent à l’une ouà l’autre pour mettre hors de cause l’Islam et sa source fondamentale, le Coran.Le cas le plus évident de cette utilisation est son explication du retard islamique.

Rationalisme et nationalisme

La Central National Muhammadan Associationet l’amélioration de la situation des Musulmans indiens

On a signalé que certains modernistes avaient été des précurseurs et desacteurs du mouvement nationaliste des Musulmans indiens qui conduisit à la créa-tion du Pakistan. Il s’agit maintenant de voir comment la politique s’insère dansleur discours rationaliste, quelle est la nature de cette nation dans le contexte par-

9. Voir par exemple Mohammed Arkoun, « Le concept de raison islamique » dans Pour une critique dela raison islamique, Maisonneuve et Larose, 1984 : 65-99.

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ticulier du sous-continent indien et en quoi ils peuvent être considérés commedes précurseurs ou des acteurs du nationalisme musulman indien. Avant d’ana-lyser leur discours politique, il faut revenir sur leurs actions au sein des natio-nalistes musulmans de l’Inde. Bien qu’il ne soit pas question de donner uneanalyse détaillée de ce phénomène complexe, on rappellera que le tournant desXIXe et du XXe siècles est marqué par la confessionnalisation du nationalismeindien10.

Sayyid Amîr ‘Alî et Sul†ân MuÌammad Shâh Aghâ Khân appartiennent àdeux générations différentes : cet écart explique la diversité de leurs engage-ments. Sayyid Amîr ‘Alî fut le premier Musulman indien à affirmer publique-ment que la communauté musulmane indienne devait s’organiser sur le plan poli-tique, ce en quoi il s’opposait à Sayyid AÌmad Khân. En 1877, il fondait laNational Muhammadan Association (NMA), près de dix ans avant la création del’Indian National Congress (le Congrès), comme le signale Khurshid Kamal Aziz(Aziz, 1968 : 44)11. L’usage de l’adjectif “national” indique que des change-ments importants sont en cours. Dans ses statuts publiés en 1882, la NMAaffirme que son objectif premier est de mettre fin à l’arriération des Musulmansindiens. Pour cela, il est proposé de mettre en adéquation les « nobles traditionsdu passé (avec) la culture occidentale et les tendances progressives de l’époque »,mais aussi de mettre en œuvre « la régénération politique des Musulmans indienspar un renouveau éthique et par des efforts constants pour obtenir du gouver-nement une reconnaissance de ses justes et raisonnables revendications » (cité inAziz, 1968 : 46). Notons qu’il est rapidement précisé que le bien-être des Musul-mans est intimement lié à celui des autres “races” de l’Inde.

Sayyid Amîr ‘Alî n’épargna pas ses efforts pour parcourir le pays et en 1888,la NMA avait 53 branches. L’action de la NMA visait surtout à accroître lareprésentation des Musulmans indiens dans les assemblées locales et les institu-tions judiciaires. C’était l’objet du memorandum adressé au vice-roi des Indesen 1882 qui, après l’avoir examiné, demanda à son administration de faire desenquêtes pour voir dans quelle mesure les Musulmans étaient sous-représentés.C’est surtout dans la position qu’il prit vis-à-vis du Congrès que Sayyid Amîr ‘Alîapparaît comme un précurseur du nationalisme musulman en Inde. En 1886,soit un an après la création du Congrès, il expliquait les raisons de sa non-par-ticipation à cette nouvelle organisation. Il était convaincu que le programme duCongrès conduirait à l’éviction politique des Musulmans : « (…) le principe dereprésentation, précise-t-il, doit être examiné avec la plus grande attention en rap-port avec les droits de la minorité (musulmane) » (cité in Aziz, 1968 : 48). Lors-qu’il prit sa retraite de juge à la Haute Cour du Bengale à l’âge de cinquante cinq

10. Sur le contexte historique du sous-continent indien, voir Markovits, 1994.11. On considère habituellement que le nationalisme en Inde apparut avec la fondation du Congrès en1885, bien que cette vision de l'histoire ait été reconstruite dans une large mesure par le Congrès lui-mêmequi domina la vie politique de l'Inde indépendante jusqu'à la fin des années 1980. Voir Markovits,1994 : 430 et ss.

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ans, en 1904, Sayyid Amîr ‘Alî décida de venir s’établir en Angleterre. Son départprovoqua de facto le déclin de la NMA.

Bien que ses objectifs politiques soient limités, Sayyid Amîr ‘Alî formule l’ar-gument qui sera déterminant dans l’érection des Musulmans indiens en nation.Acquis au principe démocratique, il comprend que les Hindous seraient majo-ritaires dans un tel système et qu’ils négligeraient les intérêts spécifiques de leurscompatriotes musulmans. En juriste pragmatique, il appuie son raisonnementsur la mise à l’écart des élites musulmanes pratiquée par les Britanniques aprèsla révolte des Cipayes de 1857. Dans un article qu’il publie en 1882 dans unerevue britannique, Sayyid Amîr ’Alî produit des tableaux statistiques qui démon-trent l’inégale répartition des postes importants entre Hindous, Musulmans etChrétiens (Amîr ‘Alî, 1882 : 54-57). Si Sayyid Amîr ‘Alî jette bien les bases dunationalisme musulman, il est cependant loin de penser que les Musulmansindiens constituent une nation. Bien qu’il utilise à une reprise le terme “nation”dans son article, il est évident que la conception qu’il en a n’est pas politique maisplutôt juridique. Le terme “nation” est utilisé comme équivalent de “communauté”,qu’il définit dans le même article comme « un peuple homogène (…) ayant unereligion et un langage communs » (idem : 42). Certains de ces éléments consti-tutifs d’une nation musulmane sont discutables. C’est par exemple le cas du“langage commun”. Car si l’ourdou est bien la lingua franca des Musulmans del’Inde, Sayyid Amîr ‘Alî écrit lui-même que cette langue est aussi usitée par la majo-rité des Hindous (ibid. : 49).

L’All India Muslim Leagueet la sauvegarde des intérêts des Musulmans indiens

Sul†ân MuÌammad Shâh rencontra Sayyid AÌmad Khân en 1896 à Aligarh.Il décida alors d’œuvrer pour la sauvegarde des intérêts des Musulmans et pourl’amélioration de leur sort, le tout grâce au développement de l’éducation parmieux. C’est dans ce sens qu’il prononça plusieurs discours importants, l’un en 1902en tant que président de la session de l’All India Muslim Conference réunie à Delhiet un autre pour la même occasion à Bombay en 1904 (Boivin, 2001 : 377-385).Sul†ân MuÌammad Shâh considérait dans un premier temps que les Musul-mans devaient unir leurs forces au Congrès, mais il fut progressivement convaincuque le Congrès était incapable de prendre en compte les intérêts des Musulmans,ou ne voulait pas. Il en conclut qu’un gouffre historique, culturel et religieux,séparait les Musulmans et les Hindous (Aga Khan, 1954 : 76-77).

Au début du XXe siècle, Sul†ân MuÌammad Shâh apparaissait aux yeux de lapresse comme l’héritier de Sayyid AÌmad Khân, bien qu’il ait été éloigné de son conser-vatisme dans certains domaines, notamment en ce qui concernait le purdah. Souhaitantpar dessus tout améliorer la condition des Musulmans, Sul†ân MuÌammad Shâh sevit confier en octobre 1906 la direction de la délégation qui se rendit à Simla pourdemander au vice-roi Lord Minto que les Musulmans aient des élections séparées.

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En décembre de la même année, à Dacca, l’All-India Muslim League (Ligue Musul-mane Panindienne) était fondée et Sul†ân MuÌammad Shâh en fut élu président.

L’expression qui désignait les Musulmans indiens dans le memorandum adressépar la délégation était “communauté distincte”. Sul†ân MuÌammad Shâh, lors-qu’il écrira ses mémoires en 1954, utilisera alors l’expression “nation dans lanation” (Boivin, 2003 : 255-258). Il est probable qu’il se soit inspiré d’un discoursprononcé par MuÌammad Iqbâl en 1930 où il parle d’une “Inde musulmane àl’intérieur de l’Inde” (Shaikh, 1989 : 200). Pour lui, le fondement de la nationmusulmane de l’Inde n’est pas un territoire mais un idéal religieux partagé.

Quoi qu’il en soit, les deux expressions utilisées par Sul†ân MuÌammad Shâh,aussi différentes soient-elles, indiquent bien qu’il ne fut jamais le partisan d’unepartition. Dès 1918, il exposait dans un ouvrage intitulé India in Transition queseule la formule fédérale conviendrait à la pluralité communautaire d’une Indeindépendante (Boivin, 2003 : 4-5). On voit par conséquent que même si, en adhé-rant à la Ligue plutôt qu’au Congrès, Sul†ân MuÌammad Shâh donnait la prio-rité aux intérêts des Musulmans sur l’unité de la nation indienne – dominée certespar les Hindous – il restait un nationaliste musulman modéré. Plusieurs faits danssa carrière politique en apportent le témoignage, en particulier sa démission dela présidence de la Ligue en 1913, de concert avec Sayyid Amîr ‘Alî. Publique-ment, il explique cet acte par des raisons de convenances personnelles. Mais endécembre 1912, le futur fondateur du Pakistan – MuÌammad ‘Alî Jinnâh – quiétait encore membre du Congrès, avait fait adopter le self-government à la Ligue.Plus tard, des Musulmans émirent des discours encore plus radicaux. En 1921,Maulânâ Mohânî exhorta les Musulmans des provinces majoritaires à revendi-quer le droit à l’autodétermination, arguant que c’était là le seul moyen pour euxde vivre comme de vrais Musulmans (Shaikh, 1989 : 200).

La question du califat

On observe que dans cette première phase de la construction nationale desMusulmans indiens, nos modernistes shî‘ites ont du mal à instrumentaliser leconcept européen de nation. Aucun d’eux n’a de surcroît une conception sépa-ratiste de la nation musulmane. Cette situation s’explique en outre par le fait queces auteurs ne peuvent dissocier les Musulmans indiens d’une autre appartenance,celle à l’umma. À une époque où le califat ottoman ne parvenait pas à enrayerson déclin, ce sentiment d’appartenance ne pouvait être que ravivé. Sayyid Amîr‘Alî et Sul†ân MuÌammad Shâh menèrent de concert plusieurs actions pour ladéfense du califat ottoman bien que, paradoxalement, ils ne participèrent pas àla Khilafat Conference (1920-1922) dont Gandhi fut élu président12.

Le soutien qu’apportaient Sayyid Amîr ‘Alî et Sul†ân MuÌammad Shâh au cali-fat ne manquait pas d’incongruité puisqu’il s’agissait de deux Shî‘ites. D’autant

12. Sur ce mouvement où Musulmans et Hindous s'associèrent, voir Markovits, 1994 : 442 et ss.

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qu’ils y voyaient une autorité spirituelle plutôt que politique, alors qu’aux yeuxd’autres Sunnites indiens, cette autorité était de nature politique et non religieuse(Boivin, 2003 : 330). Quoi qu’il en soit, Sayyid Amîr ‘Alî et Sul†ân MuÌammadShâh précisèrent leurs craintes sur l’avenir du califat dans plusieurs lettres écritesconjointement. Adressées au Times, elles furent publiées après la Conférence dela paix (12 janvier-28 juin 1919). Dans l’une d’elles, les auteurs félicitaientLloyd George de renoncer à priver la Turquie de sa capitale, ainsi que de laThrace et de l’Asie mineure. En revanche, dans une lettre parue dans le Timesdu 6 juillet 1919, ils demandaient que le souverain ottoman conserve sa « suze-raineté spirituelle » (spiritual suzerainty) dans les pays qu’il avait perdus.

L’incongruité soulignée plus haut ne s’arrête pas là : ces deux Shî‘ites indiensallaient en effet fournir le prétexte qui allait conduire la Grande Assemblée Natio-nale turque à voter la suppression du califat. Dans une lettre écrite le 24 novembre1923, et qui sera publiée par le Times du 14 décembre de la même année, nosShî‘ites se posent en défenseurs du calife en tant qu’imâm des Sunnites ! Ils met-tent en garde la Grande Assemblée Nationale contre les « effets perturbateurs quepeut produire la position incertaine du calife »13. Pour eux, le déclin de la puis-sance de l’islam comme force éthique est en relation directe avec la diminutionde l’influence du calife sur les Musulmans sunnites : « Dans notre opinion, pour-suivent-ils, une quelconque diminution du prestige du calife ou l’élimination ducalifat en tant que facteur religieux du corps politique turc signifierait la désin-tégration de l’islam et sa disparition concrète comme force morale dans le monde ».

Ismet Pasha, à qui la lettre était adressée, s’empressa de dénoncer un complotinternational ourdi par la puissance britannique, d’autant que ses auteurs étaientconnus pour leur loyauté envers le roi-empereur. Atatürk convoqua d’urgencela Grande Assemblée Nationale, prétendit que la patrie était en danger. Un “tri-bunal d’indépendance” fut créé et doté de pouvoirs extraordinaires. Bien entendu,le calife était directement associé à ce complot et c’est dans un tel climat que lecalifat fut aboli en 1924.

Ni Sayyid Amîr ‘Alî ni Sul†ân MuÌammad Shâh ne parviendront à résoudrele problème d’appartenance des Musulmans indiens qui découle en outre deleur conception de l’autorité de l’islam: leur appartenance à la nation musulmanede l’Inde prévaut-elle sur leur appartenance à l’umma ou bien est-ce l’inverse ?Le fait qu’ils ne parviennent même pas à formuler cette question incite à parlerd’un véritable impensé politique dans leur discours. En revanche, MuÌammadIqbâl est convaincu que l’idéal d’un Islam universel ne peut être obtenu dans lecadre de la soumission politique. Pour lui, le sentiment d’appartenir à une nationmusulmane (qawm) constitue un préalable à l’appartenance à la communauté(umma).

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13. Voir le texte complet dans Boivin, 2002 : 401-403. Pour une analyse, idem : 328-342.

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MuÌammad Iqbâl n’accordait pas une place prépondérante au rationalismedans l’évolution de la pensée islamique. Se plaçant d’un point de vue strictementphilosophique, les thèmes qu’il abordait étaient moins marqués par le moder-nisme occidental bien qu’il fasse souvent référence aux philosophes occiden-taux. La conception de Sayyid Amîr ‘Alî est quant à elle orientée par l’objectifqu’il poursuit : démontrer que l’islam n’est pas inférieur au christianisme dansle domaine du savoir. On a vu que le précédent historique était un argument déci-sif, supérieur à la dialectique rationnelle et à la question de la nature des sourcesdu savoir. Sul†ân MuÌammad Shâh Aghâ Khân quant à lui ne parvient pas à déta-cher la raison d’une relation de type mystique avec Dieu. Notons que dans tousles cas, la raison est au service de la divinité. Elle doit avant tout justifier ce quiconstitue le dogme premier de l’islam: l’unicité de Dieu. Un peu naïvement, SayyidAmîr ‘Alî considère que le développement scientifique ne nuit pas à la vie reli-gieuse. L’évolution de l’Occident le contredit pourtant.

Le point le plus intéressant chez ces auteurs est que malgré leur différence deformation, ils éprouvent des difficultés à penser la nation musulmane de l’Inde.On a vu qu’ils n’employaient guère ce mot, contrairement à Muhammad Iqbâl.Par conséquent, leur discours rationaliste atteint rapidement ses limites lors-qu’il s’agit du champ politique. Nos auteurs sont loin d’être convaincus que lesMusulmans indiens forment une nation. Sultân Muhammad Shâh Aghâ Khânessayera à la fin de sa vie, après la création du Pakistan, de combler cette lacuneen parlant d’une “nation dans la nation”, mais ce terme ne fut pas employé dansla déclaration de 1906 : il n’y était question que de communauté.

Peut-on voir dans les conceptions élaborées par Sul†ân MuÌammad ShâhAghâ Khân et Sayyid Amîr ’Alî une mise en œuvre du ta’wîl shî’ite ? Cette ques-tion nécessiterait une analyse plus approfondie mais quoi qu’il en soit, la concep-tion rationaliste de Sul†ân MuÌammad Shâh Aghâ Khân lui permit d’accomplirune réforme profonde au sein des Ismâ‘îlî. Sayyid Amîr ‘Alî fut cependant beau-coup plus critique vis-à-vis de l’institution, n’hésitant pas à écrire que le Musul-man était la première victime de l’islam, entendons de l’institution islamique.Cette outrance serait difficilement envisageable aujourd’hui. Pourtant, sonfameux Spirit of Islam continue d’être régulièrement réédité dans les principaleslangues de l’islam. Paradoxalement, c’est la conception apologétique de l’islamqui rendit Sayyid Amîr ‘Alî si populaire.

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