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MUSIQUES DU MONDEArt des peuples en mouvement
Conférence de François Bensignor - 2015
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PEUPL ES EN MOUVEMENT
Si l’on considère l’évolution de la musique à travers les âges, l’on constate souvent
qu’elle s’opère au gré d’événements historiques, économiques, culturels ou autres,
comme par le biais de rencontres, d’emprunts, d’assimilation ou d’osmose de styles. Des
musiciens se croisent avec leurs instruments, leurs connaissances, leur savoir-faire. De
ces échanges et de la confrontation avec leurs publics naissent de nouvelles musiques.
L’histoire des musiques du monde offre de très nombreux exemples dans lesquels les
phénomènes de créations de nouvelles formes esthétiques proviennent du déplacement
géographique de populations et des rencontres, des chocs ou des croisements culturels
qu’il entraîne.
Pour illustrer ce propos, nous nous appuierons sur des exemples caractéristiques :
Partie 1 Les musiques issues de la migration des Rom :
les Tsiganes et les Gitans.
Partie 2 Les musiques issues du commerce triangulaire,
gros plan sur l’évolution de la rumba.
QU ’ ENTEND -ON PAR MUS I QUES DU MONDE ?
Le point commun entre toutes les musiques extrêmement diverses que l’on peut qualifier
de musiques du monde est qu’elles sont liées à au moins un référent musical identifié comme partie intégrante de l’expression d’une culture traditionnelle.
Dans leur grande diversité, les musiques du monde peuvent être :
• Des pièces de tradition orale attachées à un terroir particulier, à une fonction sociale
spécifique — dont certaines relèvent du collectage d’ethnomusicologues, selon une
démarche scientifique.
• Des œuvres provenant des grands répertoires de musiques savantes non occidentales
: musiques indiennes, musiques persanes, musiques arabes, musiques ottomanes,
musiques chinoises, etc.
• Des productions contemporaines de musiques populaires plébiscitées là où elles se
font : musiques des Caraïbes, d’Afrique, du Brésil, etc.• Des musiques de création, fruit de rencontres entre musiciens de cultures différentes,
qui travaillent à la fusion des genres.
• Des musiques élaborées par perpétuation de formes musicales puisées dans une
tradition orale définie, mais réorganisées selon des codes écrits de composition.
• Des musiques créées avec la technologie numérique, procédant par collage, mélange,
juxtaposition, digestion, jusqu’à la formulation de nouveaux langages à la syntaxe
originale. Dans ce domaine, les DJ ont notamment poussé la pratique du remix au
niveau d’un art.
Comme on le voit, le domaine des musiques du monde est tellement vaste qu’il serait
présomptueux de vouloir en brosser le portrait complet en une ou deux journées. J’aidonc choisi, au travers d’exemples particulièrement marquants, d’aborder des aspects
historiques, sociologiques et artistiques qui permettent de mieux comprendre les
phénomènes souvent complexes qui ont fait naître ces musiques.
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PA R T I E 1Musiques du monde, art des peuples en mouvementLes Tsiganes et les Gitans
Conférence de François Bensignor - Novembre 2015
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H I STOR I QUE D E L A M I GRAT I ON D ES ROM Aujourd’hui, on estime à environ 12 millions le nombre de Rom en Europe. En 1000 ans de migration,
on peut estimer qu’au départ, le groupe de migrants ne dépassaient pas 20 000 individus. Même si l’onn’a pas de traces historiques écrites sur la migration de ce peuple, on retrouve des indices dans la langue
romani. Elle contient des racines indiennes et persanes, mais aucune racine arabe. Le chercheur Stéphane
Laederich en déduit que le séjour des Rom en Perse précède l’invasion arabe des 7e et 8e siècles.
La langue romani contient aussi des mots arméniens. Or, fin 9e / début 10e siècles, une transformation du
“l” et “ghé” s’est opérée dans la langue arménienne. Il n’y a pas trace de ce changement de prononciation de
la consonne dans les mots arméniens du romani. Le chercheur en conclut, que la migration des Rom vers
la Méditerranée a eu lieu avant le 9e siècle à travers l’Arménie.
Au 10e siècle, les Byzantins ont déporté les populations arméniennes de l’Anatolie vers les Balkans,
principalement en Bulgarie et en Macédoine. Des témoignages existent de l’arrivée des Rom en Europe à
cette époque. Ils se regroupent en Grèce, notamment dans une région du Péloponnèse appelée la Petite
Égypte.
Vers le 14e siècle, l’avancée des Ottomans en Europe de l’Est semble être le déclencheur de l’éparpillement
des Rom. Certains clans prennent les routes du Nord, d’autre celles du Sud. Tous apportent un extraordinaire
savoir faire musical dans les pays où ils s’installent.
La surprenante histoire de la langue romani et du peuple rom
Le spécialiste Stéphane Laederich
répond aux questions de Martina A. Catella,
ethnomusicologue, chanteuse et professeur de musique.
Remontons aux alentours du 5e siècle au Nord Ouest de
l’Inde.
Sur les terres arides du Rajasthan vit un peuple de nomades
connus pour leur maîtrise des musiques et des danses.
Leur réputation parvient aux oreilles du roi Bahran V quirégna sur la Perse de 420 à 436.
Bernard Leblon écrit (Musiques tsiganes et flamenco,
l’Harmattan) : « Un jour, le bon roi sassanide vit que ses
sujets les plus démunis étaient contraints de s’enivrer
tristement, les jours de fête, sans la moindre musique. Il
s’en étonna et on lui répondit que les musiciens étaient
rares et beaucoup trop chers pour le peuple. »
Ému, le roi écrit à son beau-père qui règne sur la vallée
du Gange et lui demande de lui envoyer 12 000 musiciens
Luri (joueurs de luth).
« À leur arrivée en Perse, Bahram leur fit remettre à chacun
un âne, un bœuf et mille charges de blé et leur demanda,en échange, de faire de la musique gratuitement pour les
pauvres tout en vivant de l’agriculture. Au bout d’un an,
les Luri, qui avaient mangé leurs bœufs et leurs semences,
se présentèrent affamés devant le roi, qui leur dit alors
: “Vous n’auriez pas dû dissiper les semences, le blé en
herbe et la récolte. Maintenant, vos ânes vous restent.
Chargez les de vos bagages, préparez vos instruments de
musique et mettez-y des cordes de soie.” Bien entendu,
on a voulu voir dans ces musiciens indiens condamnés à
l’errance les ancêtres des Rom ou Tsiganes. »
VIDÉO
https://www.youtube.com/watch?v=yE_s8TG7LC4&feature=youtu.behttps://www.youtube.com/watch?v=yE_s8TG7LC4&feature=youtu.behttps://www.youtube.com/watch?v=yE_s8TG7LC4&feature=youtu.be
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Les Rom sont un peu partout en
Turquie, mais leur communauté est
particulièrement nombreuse en Thrace
orientale, la partie européenne de la
Turquie. À Istanbul on peut les écouterdans les restaurants de Passadji, près
d’Istiklal, par exemple.
La Roumanie est une terre de Tsiganes.
Leur réputation y est désastreuses, mais
leur musique fabuleuse. Sa rencontre
avec les airs populaires roumains a
donné naissance au fameux “chant long”.
Les très belles rééditions Sounds of a Bygone Agesur le label Asphalt Tango :
Au temps de la dictature de Ceausescu, il y avait deux sortes
de musiques populaires,
— le folklore officiel qui avait pleinement droit de citée dans
les théâtres, à la radio, à la télévision
— la « muzica de mahala » jouée par les Rom, que le pouvoir
interdisait de se produire en concert. Ils étaient seulement
autorisés à animer les fêtes, les mariages, etc.
Pourtant, quelques musiciens exceptionnels ont été
enregistrés durant la dictature. Après la chute du tyran,
Helmut Neumann et Henry Ernst, fondateurs du label
allemand Asphalt Tango, ont pu exhumer ces enregistrements
sublimes, pour nourrir leur collection : Sounds of a Bygone
Age. Exemple avec Toni Iordach, dont l’orchestre accompagne
la grande chanteuse Romica Puceanu, dont le label français
Buda Music a publié une très belle compilation de 2 CD.
L A ROUTE DU NORDLes Tsiganes magnifient les musiques d’Europe orientale, des Carpates aux Balkans, du Bosphore au Danube : en Turquie, Bulgarie, Roumanie, Hongrie, Macédoine, Serbie, etc. Ils ont cette
fabuleuse capacité à s’approprier les musiques locales et à les transformer en les poussant dans leurs derniers retranchements à l’aide d’une virtuosité hors du commun.
Dans l’abondante discographie disponible, notons deux excellentes collections publiées par deux labels allemands :
Les compilations double CD du label Network :Gypsy Queens, Road of the Gypsies, Balkan Blues, etc.
Selim Sesler, Anatolian Wedding,
Doublemoon Romica, Chansons tziganes, BudaMusique
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La Fanfare Ciocarlia est originaire du
village de Zece Prajini. Elle contient
sans doute les souffleurs les plus
rapide et les plus fins de Roumanie.
C’est en octobre 1996 que les deux
producteurs Allemands, Helmut
Neumann et Henry Ernst, débusquent
cette fanfare qui ne jouait alors que
pour les mariages. Depuis elle a faitle tour du monde.
Le Taraf de Haïdouks a pu sortir de son village de Clejani, situé
à une centaine de kilomètres de Bucarest, grâce au producteur
Bruxellois Stéphane Karo. Il a des milliers d’anecdotes à
raconter sur les musiciens du groupe à force de tourner avec
eux dans le monde entier.
Le label Network s’intéresse aux Tsiganes depuis
longtemps. Il nous a fait découvrir la grande
artiste de Macédoine Esma Rezepova, qui a été
élue en Inde « Reine des Rom ». Sa technique de
voix enfantine se retrouve chez de nombreuses
chanteuses tsiganes, mais elle la maîtrise
merveilleusement bien.
Dans le film Latcho Drom de Tony Gatliff, le vieux violoniste
Nicolae Neascu dit ‘‘Culai’’, décédé en 2002, jouait un air à
déchirer les cœurs, qui évoquait les souffrances infligéespar le tyran roumain. Il attachait un fil de nylon à l’une des
cordes de son violon et jouait simplement en pinçant le fil
de nylon faisant glisser ses doigts pour faire sonner la corde.
Un moment exceptionnel qui marquait de son étrangeté les
concerts du Taraf de Haïdouks.
La découverte de ces musiques,
qui étaient restées cachées en
Roumanie du fait de la dictature,
leur a permis non seulement de
s’exporter à travers le monde, mais
aussi de se mélanger à d’autres.
Ainsi, Erik Marchand, chanteur
breton et joueur de clarinette,
a mené un travail extrêmement
intéressant avec des musiciens
Roumains. En respectant à la fois
leur tradition et la sienne, il opère
un mélange savoureux et très
stimulant. Il montre aussi comment
des traditions peuvent s’enrichir
quand on ne les laisse pas se figer.
Esma Redzepova, Gypsy Carpet,
Network
Taraf de Haidouks, Band of gypsies,
Crammed Disc
Fanfare Ciocarlia, Queens and Kings,
Asphalt Tango
Erik Marchand et le Taraf de
Caransebes, +Dor, La World/BMG
Erik Marchand, Pruna, Le Chant du
Monde
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L A ROUTE DU SUDLes Rom qui empruntent la route du Sud vont essaimer au long de leur parcours, au
Liban, en Égypte et au Maghreb. Ils arrivent en Andalousie vers le 14e siècle, environ un
millénaire après leur départ du Rajasthan.
À cette époque, l’Andalousie vit encore sous la domination arabe. Al Andalous est un
phare culturel. On y cultive les sciences, les ar ts, la philosophie. Zyriab, venu de Bagdad,
y a introduit le raffinement et créé une nouvelle forme de musique, composée de noubas,
qui va donner naissance à toutes les écoles de musique arabo-andalouse.Comme on l’a vu, les Rom empruntent les
répertoires musicaux des peuples qu’ils
rencontrent.
Mais ils ont une façon particulière de les
interpréter, qui rend ces musiques plus habitées.
Ils leur confèrent une émotion, que d’autres
musiciens ne parviendront jamais à produire. Le
maître du buzuq libanais Matar Muhammad nous
offre un magnifique exemple de jeu sublime.
On le sait peu, les Musiciens du Nil, eux aussi, font partie des descendants des Rom
installés en Égypte.
Mais revenons à l’histoire. En 1492, les Arabes et les Juifs sont chassés par la Reconquista
des Rois catholiques. Les Gitans restent en Andalousie, parce qu’ils sont chrétiens.
Témoin les letras de “Por El Camino d’Egipto”, chantées par Pedro Bacan — d’abordguitariste et qui chante rarement. Ces paroles évoquent Marie et Joseph fuyant le roi
Hérode sur la route d’Égypte à Nazareth portant l’enfant dans ses langes…
Au début les Gitans sont bien tolérés par les catholiques espagnols, mais leur façon
de vivre en communauté, avec leurs propres lois, va rapidement déplaire aux Princes.
Alors que leurs cousins d’Europe orientale sont réduits en servage ou carrément vendus
comme esclaves, les Gitans en Espagne vont être victimes de persécutions. On a du
mal à déterminer la naissance du genre flamenco. Parce qu’il mûrit dans le secret des
familles. Il n’apparaît au grand jour que vers le milieu 19e siècle.
Pedro Bacan et Concha Vargas mettent tout leur cœur de musicien et de danseuse dans une
casetta du grand village de tentes dressé pour la Feria de Séville en 1991
(photo François Bensignor)
L ’ANDALOUSIEAu bout de cette route du Sud, l’Andalousie.
Matar Muhammad, Hommage à un
maître du buzuq, Inédit
The Musicians of the Nile,
Luxor to Isna, Real World
The Musicians of the Nile,
Charcoal Gypsies, Real World
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Paco de Lucía va poursuivre une carrière extrêmement
brillante à l’international. En 1981, le trio qu’il forme avec
John McLaughlin et Al Di Meola entre dans la légende de la
guitare. Paco de Lucia est celui qui rend toute sa noblesse
à la guitare flamenca et qui l’élève au sommet de l’art
musical. Le film Paco de Lucía , légende du flamenco réalisé
par son fils, Curro Sánchez, est sorti sur les écrans français
en 2015.
Enrique Morente n’est pas gitan. C’est pourtant un très
grand chanteur de flamenco. Il est entré dans ce monde par
la poésie. Aussi un peu par l’influence de Grenade, la ville
où il est né et où il est mort. Aucune expérience n’effrayait
Morente. Il a travaillé avec Léonard Cohen et enregistré
avec un groupe de hard-rock espagnol. Ces concerts
commençaient toujours par une première partie de
flamenco pure, la seconde présentant ses expérimentations.
Enrique Morente a initié ses deux filles à son art de
prédilection. L’aînée, Estrella Morente interprète un air de
zambra, une danse populaire qui ne fait pas vraiment partie
du strict répertoire flamenco, mais tellement séduisant.
Pour prolonger ce survol dans la séduction, évoquons
la chanson séfarade, qui a été conservée elle aussi dans
le secret des cuisines et dont la richesse a commencé à
réapparaître depuis une trentaine d’années.
Yasmin Levy, fille de Yitzak Levy, qui a collecté à Tel Aviv
les chants conservés dans les familles venues de toutes les
diasporas juives de Méditerranée. Elle n’a jamais connu son
père, mais lui rend le plus bel hommage en interprétant
magnifiquement le répertoire qu’il a collecté.
Sous la botte du Général Franco, le flamenco folklorisé sera
récupéré comme symbole de l’identité espagnole. Mais les
esprits révolutionnaires — pour certains exilés au Mexique ou
en France — vont se réapproprier le genre.
Au milieu des années 1970, le flamenco connait une
transformation exceptionnelle et définitive, sous l’impulsion
conjuguée de deux immenses artistes : Camaron de la Isla et
son alter ego le guitariste Paco de Lucia.
Les deux artistes introduisent la modernité dans le flamenco,
sans en altérer la profondeur. Il font entrer la basse électrique
dans les orchestrations et enregistrent des chansons qui
deviennent de véritables tubes, dont le fameux “Como El Agua”,
paru en 1981.
Le “cante jondo” — c’est-à-dire chant profond, la forme la plus
élaborée et la plus dépouillée de cet art noble — est un des
piliers du flamenco que nous connaissons. Voici deux grandes
figures du flamenco tel qu’il se chantait au cabaret, les fameux
tablaos, dans la première moitié du 20e siècle :
La Niña de los Peines (Séville, 1890 – Séville, 1969)
Elle commence à chanter en public à l’âgée de 8 ans. En 1910,
elle enregistre ses premiers chants, et en 1920 elle est une
des artistes les mieux payées au Teatro Romea. Dès lors, elle
va tourner dans toute l’Espagne. En 1922, elle participe à
Grenade au Concurso de Cante Jondo, un festival de musique
initié par Manuel de Falla et Federico García Lorca, afin de
donner une nouvelle dynamique à l’art du flamenco.
Le grand cantaor Manolo Caracol (Séville, 1909 – Madrid, 1973)
Il est le fils d’une grande lignée de chanteurs flamencos, dont
le célèbre El Planeta. Sa voix hors du commun demeure l’une
des plus impressionnantes dans le monde du flamenco.
Niña de los Peines, Cante Flamenco, Fandango
Caracol Manolo, Grand cantaores du flamenco Vol.7, Le Chant Du Monde
Camaron de la Isla & Paco de Lucia, Arte y majestad, Philips Espagne
Camaron de la Isla & Paco de Lucia, Como El Agua, Philips Espagne
Paco de Lucia, Cositas Buenas, Universal
Enrique Morente, Despegando, Caiman Productiones
Estrella Morente, Mujeres, Virgin
Yasmin Levy, Romance & Yasmin, Connecting Cultures
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PA R T I E 2Musiques du monde, art des peuples en mouvementLes musiques issues du commerce triangulaire,
gros plan sur l’évolution de la rumba
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I DA Y VUELTA
« Ida i Vuelta » : c’est ce mouvement d’aller-retour entre
les deux rives de l’Atlantique. On le sait, la rencontre au
Nouveau Monde entre les descendants d’Africains déportés
en esclavage et les colons européens va produire desmusiques fantastiques. Un foisonnement extraordinaire
de nouveaux styles musicaux : blues, jazz, tango, samba,
biguine, zouk, reggae, sans oublier le calypso, la rumba, le
mambo, le cha-cha-cha… les maîtres des dancings dès les
années 1940.
RETOURNEMENT D E S I TUA T I ON
La fuite occidentale des Européens vers les confins duNouveau Monde s’est appuyée sur la déportation massive
d’Africains, qu’ils tentaient de déshumaniser en les privant
de leurs cultures ancestrale. Effort vain, puisqu’aujourd’hui
des rythmes sophistiqués, élaborés de générations en
générations par des communautés, dans des villages de
brousse, afin de communiquer avec leurs ancêtres, garants
des équilibres avec la nature, sont reproduits, recomposés,
tout en gardant un sens pour la communauté globale.
Les musiques noires, avec leurs dérivés, sont aujourd’hui
le commentaire du déplacement des pôles culturels
mondiaux. Retournement de situation jamais imaginé parles tenants de la colonisation, l’Afrique aux milliers de
langues trouve l’universalité de sa parole à travers son
lègue à la musique globale.
BREF RAPPEL H I STOR I QUE
Au 19e siècle, après l’abolition de l ’esclavage, de nouveaux
genres musicaux métis apparaissent au Brésil, dans
la Caraïbe et aux États-Unis. Les anciens esclaves, qui
constituaient jusqu’alors l’essentiel de la main d’œuvrerurale se déplacent vers les villes. C’est là, dans des ghettos
urbains ou péri-urbains, que s’inventent les nouvelles
musiques métisses.
Au début du 20e siècle, à la faveur de la modernisation
des technologies de reproduction du son et de
l’internationalisation de l’industrie de la musique, la
création musicale dans l’Afrique coloniale, est impactée
par l’influence des nouvelles musiques « cousines »
d’Amérique. Dans les années 1930-40, ces nouvelles
musiques deviennent les reines des dancings.
À la fin du 20e siècle, l’avènement des musiques du monde
est un facteur de multiplication du jeu de miroir entre les
deux continents, l’Europe jouant parfois comme troisième
bande. La globalisation induit une nouvelle grammaire
musicale, qui s’élabore à partir de schémas hérités des
cultures d’Afrique.
3 ESPACES CUL TURELS
Schématiquement, ces nouvelles musiques relèvent de
trois mondes :
• Le monde latin
Catholique et syncrétique, il paraît comme le creuset des
plus beaux métissages : témoin les splendeurs brésiliennes
ou vénézuéliennes et les musiques qui les font danser.
• Le monde anglo-saxon
Protestant, libéral mais intolérant, voire sectaire, il est
pétri d’exclusion, inventeur de la ségrégation raciale, du
Klu Klux Klan — aussi de l’apartheid en Afrique du Sud.
• Le monde francophone
Il produit le “tout-monde” cher à Édouard Glissant, des
archipels créoles, qui se vivent isolées, tiraillées entre la
tentation du repli et le désir d’avenir.
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L A TRA I T E NÉGR I ÈREL ES L I EUX D ’ EMBARQUEMENT
On constate sur cette carte que la plus grande proportion des
captifs vendus aux négriers européens — environ la moitié
— provient de l’aire Bantou, surtout les régions qui forment
aujourd’hui les deux Congo et l’Angola (en rose).
L’autre région qui paie un lourd tribu (41,6%), ce sont les pays
bordant le Golfe de Guinée, depuis la Guinée jusqu’à la frontière
nord du Cameroun. La civilisation ancienne et raffinée des
Yoruba, des Ibo, des Ewe et des Fon y pratique le culte Vaudou.
Au Nouveau Monde, les sociétés d’esclaves s’appuieront sur ce
culte dans leurs religions syncrétiques (mélangée au christianisme
imposé par les colons) : le Vaudou en Haïti, la Santeria à Cuba, le
Candomblé au Brésil.
N’oublions pas que les esclaves étaient d’abord dépossédés
de leurs repères culturels. Dans le rituel de l’arbre de l’oubli,
on leur faisait faire le tour de l’arbre pour signifier qu’ils se
débarrassaient de leur identité.
Afin de diminuer les risques de mutineries sur les bateaux, les
marchands séparaient les familles, les ethnies, les locuteurs des
mêmes langues.
La seule parcelle d’identité qu’ils conservaient se trouvait dans
les éléments les rapprochant de leurs cultures : la spiritualité,
indissociable de la musique en Afrique.
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L A TRA I T E NÉGR I ÈREL ES L I EUX D E D ÉBARQUEMENT
Cette estimation donne un total d’un peu moins de 9, 5 millions
d’esclaves débarqués au Nouveau Monde. D’autres estiment
à 11 millions le nombre d’esclaves victimes de la traite
transatlantique.
Dans leur nouvelle condition, les esclaves étaient contraints de
refaire société :
— Soit sur les plantations, auprès de leurs compagnons d’infortune.
— Soit dans les communautés de Noirs marrons, s’ils avaient le
courage de fuir et la chance d’intégrer un de ces groupes rebelles.
Ces sociétés cosmopolites, qui doivent se reconstruire dans
un terrible isolement, réinventent des rites dans lesquels la
musique a une part essentielle, notamment le tambour, qui
permet d’entrer en communication avec les esprits des ancêtres.
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L E S N O I R S M A RRO N S
Sur les 80% d’esclaves africains débarqués au Brésil et dans la Caraïbe, nombreux
sont ceux qui tentent de s’échapper. Certains réussissent et opposent une grande
résistance aux colons. On les appelle : les Noirs Marrons.
Le terme Marron dérive de l’espagnol « cimarron », un mot issu de la langue des
Indiens Tainos, qui vivaient dans les Grandes Antilles à l’arrivée des Européens. Au16e siècle, les Espagnols installés à Hispaniola — Haïti / République Dominicaine
— emploient ce mot pour désigner le bétail échappé dans les collines. Plus tard, il
désigne les Indiens qui fuient les Espagnols. Dans les années 1540, il va s’appliquer
exclusivement aux Noirs fugitifs.
Noir Marron est synonyme d’homme courageux au caractère indomptable. Leurs
microsociétés vont de la petite bande autonome au mini-État rassemblant plusieurs
milliers de membres. Les Noirs marrons instaurent entre eux des pratiques d’entraide
mutuelle et ils recréent des cultes inspirés de leurs cultures d’Afrique. Les tambours
et la musique y sont toujours très présents.
En Amérique latine, ils constituent des sociétés connues sous les noms de Palenque
(cf. Colombie), Quilombo, Mocambo (cf. la pub pour le café), etc. Et on retrouve
partout des sociétés de Noirs Marrons : Brésil, Guyanes, Venezuela, Colombie, côtes
du Pérou. Bien sûr aussi dans la Caraïbe : en Jamaïque, en Haïti ou encore à Saint-
Vincent, l’île rebelle.
Le phénomène du marronnage a pour effet déterminant de préserver certains
éléments des cultures originelles et les cultes qui y sont assimilés.
L ES BUSH INENGE D E GUYANE E T DU SUR INAM
La population de descendants d’esclaves noirs installés des deux côtés du fleuve
Maroni (son nom est assez éloquent), qui sépare la Guyane du Surinam, est connue
sous le nom de Bushinenge. Une population composée de quatre peuples : Aluku ou
Boni ; Ndyuka ; Paramaka ; Saramaka.
Bigi Ting
Ils jouent de l’aléké. Ce style est apparu dans les
années 1950 et est encore très prisé jusqu’aux
années 2000 par les jeunes établis des deux
côtés du fleuve Maroni en Guyane et au Surinam.
L’aléké commente le quotidien, parle de la vie,
des filles, des garçons, ou de l’or qu’on ramasse
dans le fleuve… Il se joue sur une base de quatre
tambours et des maracas.
Si l’on écoute chanter Yandé Codou Sène, la
griote sérère de Léopold Sédar Senghor, on est
frappé par la similitude de la technique vocale…
Sans doute y avait-il des descendants de Sérères
parmi les Noirs rebels établis sur le Maroni.
On constate à quel point les Bushinenge du
Maroni ont su conserver la pratiques d’éléments
de leurs cultures originelles. La danse Awassa
en fait partie.
Bien entendu, ces éléments restent très fragiles:depuis l’arrivée de la télévision sur le fleuve
Maroni, dans les années 2000, la pratique de
l’aléké et de l’awassa, très vivace il y a 12 ans
chez les jeunes, commence à se perdre.
Ce serait dommage qu’elle disparaisse.
Bigi Ting, Vol. 12 Pikien Tang N’Aksi,AP
Yandé Codou Sène, Night Sky in Sine
Saloum, Shanachie
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L ES GAR I FUNA D ’ AMÉR I QUE C ENTRA L E
Si une culture était menacée de disparition, c’est celle des Garifuna. Heureusement
certains, comme les membres de l’Ensemble Wabaruangun, du Honduras, s’efforcent
de la garder vivante. Elle est particulièrement symbolique du destin d’une société
de Noirs Marrons.
Les Garifuna sont les anciens “Rebelles Noirs”
de l’île Saint-Vincent, autrefois alliés aux
Indiens Arawaks, qui y vivaient à l’arrivée des
Européens.
Leur histoire débute en 1635, quand des
navires négriers font naufrage au large de
l’île Saint-Vincent. Les esclaves Noirs détenus
à fond de cale s’échappent. Secourus par
les Arawaks, également appelés “Caraïbes
Rouges”, ils s’intègrent dans leur société.Lutteurs valeureux, les Africains s’associent
à la résistance farouche que les Arawaks
opposent aux Européens. Ainsi, on va les
appeler les “Caraïbes Noirs”.
Durant la Guerre des Antilles (1775-1783), ils s’allient aux Français qui bataillent
contre les Anglais afin de contrôler l’île et les Petites Antilles. La langue des Garifuna,
appartient à la famille des langues arawak. Mais le contact avec les Européens
y a apporté pas mal d’influences françaises: Un verre se dit “werre”, du fromage
“froumas”, fenêtre “fenêter”, table “tabula”, guerre “laguerre”, Dieu “Bounguiou”, etc.
En 1782, le Traité de Versailles attribue Saint-Vincent aux Anglais. Les Garifuna,
qui s’opposent à leur colonisation, sont vaincus en 1797. Faits prisonniers, ils sont
déplacés sur l’îlot Baliceaux, sorte de camp de concentration. Des 4300 détenus,
seuls 2000 ont survécu, quand les Anglais décident de déporter les Garifuna au
large du Honduras, sur l’île de Roatan. De là, les derniers descendants des Caraïbes
Noirs rejoignent le continent et s’installent au Honduras, à Belize, au Guatemala et
au Nicaragua.
Umalali
Ivan Duran, producteur de Belize, va
populariser la musique des Garifuna.
Pendant 10 ans, il enregistre les chants
des femmes. Il a compris que, bien que
les hommes soient toujours mis en avant,
la transmission de la culture Garifuna — la
langue, les chants, les danses — passent
avant tout par les femmes. Ce travail de
collectage terminé, il donne aux chansons
un environnement musical contemporain,
mais respectueux de la tradition.
Andy Palacio
La Punta est l’élément du fond traditionnel
qui a le mieux résisté à l’érosion du temps.
Dans les années 1990-2000, elle est
revisitée par une star locale de rock, le
chanteur et guitariste Andy Palacio, un
jeune Garifuna qui met à la mode la “punta-
rock”.
Andy Palacio sera l’un des principaux
artisan de la reconnaissance de la langue,
des danses et de la musique des Garifuna. Il
est l’un de ceux qui portent le projet devant
l’Unesco. En 2001, la culture des Garifuna
fait partie des dix-neuf premiers “chefs
d’œuvre du patrimoine oral et immatériel
de l’humanité” proclamés par l’Unesco.
Andy Palacio est mort trop tôt, le 18 janvier 2008, âgé de 47 ans, foudroyé par
une crise cardiaque dans un avion. Mais il nous laisse des trésors.
Honduras – Ensemble Wabaruagun,
Chants des Caribs noirs, Ocora Radion
France, 2002
Umalali, The Garifuna Women’s
Project, Stonetree records, 2008
Andy Palacio, Watina, Stonetree
Records
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L E PA L ENQUE D E SAN BAS I L I O , CO LOMB I E
Beaucoup de Noirs Marrons font souche
sur la côte caraïbe de la Colombie, dans les
marécages, la forêt dense, des lieux escarpés,
inaccessibles, à l’exemple du Palenque de
San Basilio, reconnu par l’Unesco comme
«Patrimoine oral immatériel de l’humanité» en2003.
Situé dans une zone de collines, non loin de
la côte et près du port de Carthagène, c’est
le premier village libre de Noirs marrons. Il a
été fondé en 1599 par un ancien roi d’Afrique
de l’Ouest, Benkos Bioho, qui s’est enfui de
Carthagène avec une centaine d’esclaves.
Il fonde son propre royaume, résistant aux
autorités espagnoles. En 1713, lassé de l’incessante guérilla menée par ses soldats,
le roi d’Espagne finit par accorder son autonomie au Palenque de San Basilio. Haïti
ne gagne son indépendance qu’un siècle plus tard.
Le groupe qui a pour nom Les Joyeuses Ambulances est constitué de pleureuses,des personnes âgées chargées des rituels funéraires. Elles interprètent un chant de
« lumbalu » ou « baile de muerto », qui rappelle les rites des pays de l’aire bantoue:
Congo, Angola, Cameroun, etc.
Batata
Batata était l’un des percussionnistes les
plus réputés de San Basilio. Une école porte
son nom. Il interprétait tous les rythmes
traditionnels, mais il a aussi largement
contribué à les moderniser. Précisons quela musique du Palenque est très métissée:
les rythmes afro se sont mélangés avec les
musiques populaires héritées des Espagnoles.
Il a été aussi beaucoup influencé par les
musiques cubaines, comme l’indique le nom
de son groupe : Rumba de Palenque.
L E K A D E L A CARA Ï B E
Les éléments des cultures africaines sont bien évidemment à l’origine de toutes les
musiques de la Caraïbe :
Le Calypso et le GwoKa portent même dans leur nom le vocable KA, qui réfère au
tambour. On retrouve des formes très proches du GwoKa dans les Petites Antilles : le
Bèlè en Martinique et à la Dominique, le Ka à Sainte-Lucie, le Boula & Kata à la Grenade
et à Carriacou, ou le Boula & Cutter à Trinidad & Tobago. Le Calypso dérive du Kaiso,très populaire avant lui.
Pour certains chercheurs, le phonème Ka est associée à un mot de la langue Haussa
qui signifie “aller”, impliquant la notion de mouvement. D’autres commentateurs
font remonter son origine beaucoup plus loin. L’héritage du mot Ka proviendrait
de l’Antiquité égyptienne. Dans l’Égypte ancienne, en effet, le Ka est l’un des cinq
éléments qui constituent l’être tout au long de sa vie. Le Ka, qui naît en même temps
que l’humain et lui survit après sa mort, est son double spirituel. Il représente la force
transmise d’une génération à l’autre.
Selon la croyance égyptienne, après la mort, le Ka devient le véritable représentant
de la personnalité humaine. Mourir se dit d’ailleurs “rejoindre son Ka”. Les adeptes
des théories de Cheikh Anta Diop sur la civilisation “négro-africaine” voient ainsi
dans l’utilisation du terme Ka associé au tambour l’effet de la permanence qui relie la
diaspora de la Caraïbe à la dynastie des Pharaons Noirs.
Palenque de San Basilio, Collection
Ocora
Batata y Su Rumba Palenquera, Radio
Bakongo, Network
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L A RUMBA A L L ER E T RETOUR
C’est à Cuba qu’est née la Rumba. Le terme viendrait
du mot cumba, qui désigne le nombril dans la
langue des Kongo, et d’une danse où les couples se
frottaient nombril contre nombril. Le Dr Olavo Alèn
Rodriguez donne tous les repères pour s’y retrouver
dans l’évolution de la rumba et ses dérivés à Cuba,dans ce livre CD que je vous conseille.
Résumons quelques points d’histoire :
En 1886, l’abolition de l’esclavage rend la liberté
à environ 250 000 noirs à Cuba. Il s’agit d’une
main d’œuvre rurale, sans terres. Comme elle ne
peut rester sur les plantations, elle vient grossir la
population urbaine et s’installe dans les quartiers
pauvres, les bidonvilles. La rumba prend forme
dans ces espaces insalubres, où les moments de réjouissances sont une alternative au
désœuvrement.
Dans le parler populaire cubain, le mot “rumba”, désigne au départ des réunions profaneset festives. On les appelle aussi “tumba” ou “macumba”. Mais bientôt le terme rumba va
qualifier par extension toute forme de fête populaire, bien sûr musicale.
Le Dr. Olavo Alén Rodriguez écrit: « Bien qu’aujourd’hui il soit plus facile d’identifier les
éléments africains d’origine Yoruba que ceux d’origine Bantou ou Congo, je suis persuadé
que l’essentiel de la contribution africaine à la musique cubaine vient d’esclaves issus du
complexe linguistique bantou.»
En effet, n’oublions pas que dès le 16e siècle, une grande part des esclaves acheminés à
Cuba provient de l’aire bantoue : on les appelle les Kongos. Ils s’organisent en sociétés
et pratiquent leurs propres rites initiatiques et funéraires syncrétiques, Palo ou Regla
Congo. Ils reconstituent un instrumentarium imposant qui déroule un jeu de timbres
extraordinaires.
L’influence des cultures des peuples issus des anciens royaumes côtiers du Golfe de
Guinée : Yoruba, Ibo, Ewe et Fon est aussi essentielle. Notamment à travers la Santeria,
la religion syncrétique de Cuba, cousine du Vaudou haïtien et du Candomblé brésilien. Le
terme vaudou vient de vodun en langue fon ou de vudu en langue Ewe.
À Cuba, les esclaves originaires des royaumes côtiers du Golfe du Bénin sont réunis sous
une même appellation : le nom de Arada, évoquant Allada, ville de l’ancien royaume
du Dahomey (actuel Bénin) qui a fourni la France en esclaves pendant plus d’un siècle.
Toussaint-Louverture, le libérateur d’Haïti, était originaire d’Allada, le berceau du Vaudou,
culte des Orishas.
La Rumba cubaine est jouée à l’origine uniquement avec des Chants et des Percussions.
Elle est basée sur trois rythmes de danses : la colombia, le yambu, le guaguanco.
La plupart des percussionnistes cubains étaient
des initiés. Chano Pozo faisait partie de la
confrérie Abakwa, une des plus secrètes à Cuba.
On y vénère le tambour fétiche Ékué, réceptacle
de la voix du Léopard ancestral. Selon la légende,
Ékué, être sacré vivant dans le fleuve, est mort
de honte pour avoir été capturé dans la calebasse
d’une femme. Le tambour ékué a été recouvert de
sa peau. Il parle grâce à elle à l’occasion des fêtesinitiatiques.
Chano Pozo
Chano Pozo sera le premier à introduire les congas
dans le jazz au sein de l’orchestre de Dizzie
Gillespie. Il va mourir assassiné dans un bar de
Harlem en 1948.
Celia CruzOn associe souvent la salsa à Cuba. Pourtant, le
terme salsa est rarement employé par les musiciens
cubains. Et pour cause, la salsa a été inventée à
New-York dans le creuset du label Fania Records,
qui a su réunir les plus grands artistes latino des
années 1960-70. Musiciens expatriés de Porto-
Rico, de République Dominicaine, de Panama et
de Cuba ont fait la fortune de ce genre. Celia Cruz
en fut la reine incontestée, après avoir mené une
grande carrière à Cuba avant la révolution. Son
charisme est prodigieux.
Sierra Maestra
D’autres artistes ont continué à cultiver la Rumba
à Cuba, comme le groupe Sierra Maestra.
Afrocuban Music to Salsa par le Dr
Olavo Alen Rodriguez, (Livre-disque)
Pi’ra:nha
Tumi Cuba Classics, Vol. 3 : Rumba -
Igniaco Piñero, Tumi Music
Celia Cruz, Homenaje A Los Santos,
Seeco
Sierra Maestra, Rumbero Soy,
Riverboat / World Music Network
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L ES VOYAGES D E L A RUMBA
La musique voyage avec les instruments qui la produisent et ceux qui en jouent.
R U M B A F L A M E N C A ,
R U M B A C A T A L A N EÀ Séville, dans le quartier de Triana, d’où
l’on peut voir dressée sur l’autre rive du
Guadalquivir la Torre del Oro (Tour de l’or),
abritant le précieux métal d’Eldorado, les
Gitans s’approprient la rumba. Assimilée
au flamenco, elle entre dans la famille des
“palos” (type de chant flamenco) de “ida y
vuelta”, c’est-à-dire nés des aller-retour entre
l’Espagne et le Nouveau Monde, comme les
“guajiras” et les “colombianas”.
Poursuivant le voyage, la rumba flamenca,
qui déroule ses quatre temps sur un tempo
relativement lent, est transformée dans les
années 1950 par les Gitans de Barcelone.
Sous leurs doigts, la rumba catalane
retrouve l’accent cubain des bongos, jusqu’en
Camargue où, teintée de rock, elle va devenir
un phénomène mondial avec les Gipsy Kings.
El Niño Josele, Calle Ancha, Al Sur
The Gipsy Kings, Somos Gitanos,
P.E.M. / Sony
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Comprenant les profits qu’ils peuvent tirer en vendant des disques, plusieurs commerçants
grecs installent des studios et promeuvent sur les ondes les disques des vedettes locales
qu’ils produisent. Le plus connu d’entre eux, Joseph Kabasele, alias Grand Kallé, invente
un style original et policé, dérivé des musiques cubaines. Avec les membres de son
orchestre, l’African Jazz, parmi lesquels figurent le jeune chanteur et compositeur
prolifique Tabu Ley Rochereau, tout comme le virtuose de la guitare Dr Nico, il domine
la scène congolaise de 1953 à 1960. “Indépendance Cha-Cha”, son immense succès
international marque la fin de la colonie belge.
Indépendance Cha Cha
Des millions de Congolais ont appris l’indépendance de leur pays par le refrain de cette
chanson : “Indépendance cha-cha tozuwi ye ! / Oh Kimpwanza cha-cha tubakidi / Oh Table
Ronde cha-cha ba gagner o ! / Oh Lipanda cha-cha tozuwi ye !”
“Nous avons obtenu l’indépendance / Nous voici enfin libres / À la Table Ronde nous avons
gagné / Vive l’indépendance que nous avons gagnée”
Son auteur, Roger Izeidi, a pris soin d’y délivrer le message en lingala, tshiluba et kikongo,
trois des langues principales au Congo. Et Radio Congo Belge, équipée du plus puissant
émetteur en Afrique, le diffuse largement.
Cette opération de communication a été initiée par le journal Congo. Joseph Kabasele, super
star avec son African Jazz, est dépêché à l’hôtel Plazza de Bruxelles afin de commenter
en chanson la Table Ronde qui se déroule du 20 janvier au 20 février 1960. Onze partis
congolais font face aux autorités belges. Joseph Kasavubu (futur président) et son rival
Patrice Lumumba (futur chef du gouvernement) négocient âprement.
Proche de ce dernier, qui en fera son secrétaire d’État à l’information, Kabasele s’entoure
de quatre musiciens de l’African Jazz : Roger Izeidi, Petit Pierre, Déchaud Mwamba et Dr
Nico. Mais il convie également Vicky Longomba et Brazzos, issues de l’OK Jazz, l’écurie
concurrente.
Écrites à chaud, gravées sur place chez Philips, “Indépendance Cha Cha” et “Table Ronde”(signé Kabasele) témoignent de l’histoire en train de s’écrire. Les Congolais réserveront un
accueil triomphal aux artistes, qui les joueront pour la première fois en public le 30 juin
1960, jour de l’Indépendance.
L A R U M B A C O N G O L A I S E
Mais le voyage le plus beau de la rumba est celui qui la ramène
au pays des Kongos. Elle emprunte d’abord la route des
marins. Au cours des années 1920-30, quelques compagnies
européennes dont les comptoirs sont implantés sur les côtes du
golfe de Guinée, de l’actuel Liberia au Nigeria, déploient leurs
activités en Afrique central.
À Matadi, dernier port accessible de la mer en amont du fleuve
Congo, transitent les marchandises destinées à l’exploitation
réglée du Congo Belge. Elles sont acheminées par voie ferrée
jusqu’à Léopoldville, capitale du roi qui s’est approprié un
territoire près de 77 fois plus grand que son royaume. Bateau,
docks et entrepôts emploient des travailleurs de la côte ouest-
africaine, habitués aux tâches des comptoirs.
Ces “Coastmen” jouent la musique de vin de palme (“palm-wine
music”) qui imprime aux guitares européennes un balancement
délicieusement nonchalant. Leur “high-life” inspiré des fanfares
militaires de la Gold Coast (ancien Ghana) se met à la mode jazzet s’enregistre à Londres en 78 tours. Les dancings en raffolent
jusqu’au-delà de l’Afrique coloniale.
Et la rencontre musicale entre Congolais et Coastmen à Matadi
engendre le “maringa”. Le likembé y joue la mélodie, bientôt
remplacé par l’accordéon ou la guitare jouée note à note, de
manière mimétique, et non pas en accords. Une technique qui
deviendra la marque des géants de la rumba congolaise, Franco
Luambo ou Dr Nico.
Les nouvelles tendances musicales se propagent dans la
capitale avec les flux humains qui y convergent. Au cours desannées 1940, la future Kinshasa, qui connaît une croissance
exponentielle, se met à danser sur les rythmes cubains : rumba,
cha-cha-cha, boléro, etc.
Les musiciens locaux se les approprient pour animer les soirées
des bars à ciel ouvert du quartier des autochtones, appelé “le
Belge”. Radio Congo Belge a installé le plus puissant émetteur
d’Afrique sub-saharienne, afin de couvrir l’ensemble du pays.
Informations nationales et messages personnels alternent
avec des programmes musicaux diffusant Tino Rossi et autres
interprètes du cha-cha-cha
édulcoré à la mode en Europe.
Franco, Guitar Hero, Cantos
Docteur Nico, 1968-1973, Sonodisc
Joseph Kabasele, Le Grand Kallé His Life his Music, Sterns Music Tabu Ley Rochereau, Classic Titles, Cantos
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Les deux écoles de la rumba congolaise
La rivalité qui oppose Kallé & l’African Jazz à l’OK Jazz de Franco stimule la créativité
d’innombrables musiciens, chanteurs et compositeurs.
À défaut d’écoles, ils affinent leurs talents au sein des orchestres des deux grands
maîtres, définissant les canons d’une rumba congolaise, qui évolue durant près de
quatre décennies sans jamais trahir ses fondements. Le puissant impact de Franco sur
sa génération est traduit dans l’un des slogans de l’OK Jazz : “On entre OK, on sort KO !”
Son aura se mesure à la ferveur des “fan clubs” féminins et masculins qui l’adulent.
Afro-cubaine dans son balancement rythmique des débuts, électrique à l’image du rock,sa guitare façonne un style africain à nul autre pareil, repris et imité dans toute l’Afrique
subsaharienne et jusque sur la côte atlantique de la Colombie.
L A R U M B A C O N G O L A I S E E N C O L O M B I E
Dès le début des années 1970, un marché
parallèle du vinyle africain se développe au port
colombien de Carthagène.
Généré par les “picos”, sound-systems itinérants,
il concerne exclusivement les quartiers et villages
où la communauté noire vit selon ses propres
règles, comme le Palenque de San Basilio.
Les énormes enceintes des “picos” y déversent un
mix de musiques locales et de rumba congolaise
sur lesquels se déhanchent les mauvais garçons.
Qu’éclate une bagarre, alors luisent les lames des
“champeta”, longs couteaux de pêcheurs. Ainsi
est baptisé ce nouveau genre en vogue à l’aube
du 21e siècle, également appelé “terapia criolla”.
De La Havane à Séville, de Kinshasa à Carthagène,
les dérivés de la rumba sont une thérapie contre
l’adversité qui attise le feu de la modernité.
Conception éditoriale : François Bensignor
Extraits de cartes publiées avec l’aimable autorisation de Zebrock
Illustration et graphisme des cartes : Anaïs Bellot
Graphisme : Ariam Ile-de-France
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Champette Criola Vol.2, Visionary
Black Music from Underground
Colombiafrica, Palenque Records
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