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COMMEDIA / PAGE 5 Distribution (par ordre alphabétique) Luc Bourgeois ........................................... Goldoni Steve Gagnon................................................. Carlo Martin Héroux..................................M. Medebach, ............................................Giulio, père de Goldoni .......................................................... et autres rôles Catherine Paquin-Béchard....................... Marina, ..............................autres amoureuses de Goldoni .......................................................... et autres rôles Marie-Ève Pelletier.................... Mme Medebach, ................................. Margherita, mère de Goldoni .......................................................... et autres rôles Carl Poliquin .............................................. Il Genio ...................................................................... D'Arbès .......................................................... et autres rôles Concepteurs et collaborateurs artistiques Assistance à la mise en scène et régie ...................................... Claire L’ Heureux Costumes ............................................ Julie Breton Décor ........................................ Olivier Landreville Éclairages ...................................... Jocelyn Proulx Musique................................... Catherine Gadouas Maquillages ............................ Suzanne Trépanier Direction de production et direction technique ...............Maryline Gagnon Assistant à la direction technique ............................................. Alexi Rioux Assitante aux costumes ........ Marie-Noëlle Kliss Coupeuse ...................................Francine Leboeuf Couturières .....Monia Saoud et Kathy Robinson Réalisation du décor ..... Productions Yves Nicol Chargé de projet .............................Patrick Perrin Équipe du Théâtre de l’Opsis Direction générale et artistique ..................................... Luce Pelletier Coordination générale ................... David Trottier Directrice des communications .......... Marie-Claude Hamel Équipe de production – Théâtre Denise-Pelletier Direction de production................ Réjean Paquin Direction technique......... Jean-François Landry Attachée de presse ........................ Isabelle Bleau Photographe de production ...................... Marie-Claude Hamel Équipe de scène – Théâtre Denise-Pelletier Chef machiniste............................. Pierre Léveillé Chef électricien ........................ Michel Chartrand Chef sonorisateur ............................... Claude Cyr Chef habilleuse ........................ Louise Desfossés Chef cintrier ............................. Pierre Lachapelle Pierre Yves Lemieux remercie le Conseil des arts et des lettres du Québec de son appui financier. L'éQUIPE DU SPECTACLE COMMEDIA Texte de Pierre Yves Lemieux Inspiré de la vie et de l’œuvre de Goldoni Mise en scène de Luce Pelletier Une production du Théâtre de l’Opsis en partenariat avec le Théâtre Denise-Pelletier Salle Denise-Pelletier Du 12 mars au 9 avril 2014

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commedia / page 5

Distribution (par ordre alphabétique)Luc Bourgeois ........................................... GoldoniSteve Gagnon................................................. carlo Martin Héroux ..................................M. Medebach, ............................................Giulio, père de Goldoni .......................................................... et autres rôlesCatherine Paquin-Béchard .......................Marina, ..............................autres amoureuses de Goldoni.......................................................... et autres rôlesMarie-Ève Pelletier .................... Mme Medebach, ................................. Margherita, mère de Goldoni .......................................................... et autres rôlesCarl Poliquin .............................................. Il Genio......................................................................D'Arbès .......................................................... et autres rôles

Concepteurs et collaborateurs artistiquesAssistance à la mise en scène et régie ...................................... Claire L’ Heureuxcostumes ............................................Julie BretonDécor ........................................Olivier LandrevilleÉclairages ......................................Jocelyn ProulxMusique...................................Catherine GadouasMaquillages ............................Suzanne TrépanierDirection de production et direction technique ...............Maryline Gagnon Assistant à la direction technique ............................................. Alexi RiouxAssitante aux costumes ........Marie-Noëlle Klisscoupeuse ...................................Francine Leboeufcouturières .....Monia Saoud et Kathy Robinson

Réalisation du décor .....Productions Yves Nicolchargé de projet .............................Patrick Perrin

Équipe du Théâtre de l’OpsisDirection générale et artistique .....................................Luce Pelletiercoordination générale ...................David TrottierDirectrice des communications ..........Marie-Claude Hamel

Équipe de production – Théâtre Denise-PelletierDirection de production ................Réjean PaquinDirection technique ......... Jean-François Landry Attachée de presse ........................Isabelle BleauPhotographe de production ......................Marie-Claude Hamel

Équipe de scène – Théâtre Denise-Pelletierchef machiniste .............................Pierre Léveilléchef électricien ........................Michel Chartrandchef sonorisateur ...............................Claude Cyrchef habilleuse ........................ Louise Desfosséschef cintrier ............................. Pierre Lachapelle

Pierre yves Lemieux remercie le conseil des arts et des lettres du Québec de son appui financier.

l'équipe du spectAcle

COMMEDIAtexte de Pierre Yves LemieuxInspiré de la vie et de l’œuvre de GoldoniMise en scène de Luce PelletierUne production du Théâtre de l’Opsis en partenariat avec le Théâtre Denise-Pelletier

Salle Denise-PelletierDu 12 mars au 9 avril 2014

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Avec la création de Commedia, le théâtre de l’opsis clôt son cycle italien amorcé en 2010 par la production d'Il Campiello de Goldoni qui a été présentée au théâtre Denise-Pelletier en 2011. c’est Luce Pelletier, directrice générale et artistique de la compagnie, qui assure la mise en scène de ce texte écrit par Pierre yves Lemieux, une œuvre qui oscille entre le sérieux et le ludique et qui, sous le vernis de la légèreté, soulève d’importantes questions sur la création artistique et sur les conditions, matérielles et culturelles, dans lesquelles celle-ci se déploie.

Commedia : une vision vertigineuse

Dans ses mémoires, l’auteur de théâtre carlo Goldoni écrit : « … tous les hommes possèdent dès leur enfance un Génie qui leur est propre, qui les pousse vers un genre de profession et d’étude plutôt que vers un autre […]. Moi, je me suis senti à coup sûr attiré comme par une force intérieure insurmontable vers les Études théâtrales dès ma

plus tendre jeunesse »1. Selon l’auteur, s’il advient, au fil du temps, qu’on ignore cette prédisposition quasi surnaturelle ou qu’on lui tourne le dos abruptement, alors rien ne va plus et tout s’effondre. or, au moment où débute Commedia, Goldoni, qui a triomphé pendant plusieurs années sur les scènes vénitiennes, se retrouve maintenant épuisé par d’innombrables querelles artistiques, lessivé, désenchanté. Il a choisi l’exil. À la veille de son départ pour la France, abattu et mélancolique, en proie à l’un de ses « vertiges noirs », il reçoit la visite de son infatigable génie. cette fois, il est réticent à le suivre.

GoldoniÀ combien de chagrins faudra-t-il que je m’expose cette fois ? Sans garantie de fortune, pour un bonheur éphémère et si vite oublié.

Il GenioIl n’y a d’éphémère que l’oubli. Quand on crée, quand on joue, ça n’existe plus l’oubli.on se remémore, on invente et alors basta l’éphémère !2

Aussi, par cette sombre nuit de 1762, l’auteur se laisse-t-il entraîner encore une fois par son génie, lequel, sous ses yeux, lui joue une ultime représentation à venise, une « vision » tourbillonnante, un « moment épiphanique où son passé et sa destinée se maelströment devant lui »3.

Découpée en une multitude de tableaux qui s’enchaînent de façon tournoyante et virevoltante, Commedia propose un voyage imaginaire au cœur de l’existence de Goldoni, une vie entièrement vouée à la création théâtrale, avec ses joies mais aussi avec ses nombreux aléas. Sans progression linéaire, mais avec des boucles et des allers-

1 Goldoni, c., cité par G. Luciani (1992). Carlo Goldoni ou l’honnête aventurier. Grenoble : Presses Universitaires de Grenoble, p. 16.

2 Lemieux, P. y. (2014). Commedia, texte dramatique inédit, p. 6. 3 Id., p. 2.

présentAtion et résuMé

Carlo Goldoni par Alessandro Longhi, XVIIIe siècle.

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retours dans le temps, la pièce nous montre l’auteur à différentes étapes de sa vie, de sa petite enfance à la maturité, en passant par les intrépides années de jeunesse, fertiles en aventures. Si les lieux sont multiples – jardins, cours intérieures, places publiques, bateaux, salles et coulisses de théâtre… –, ils appartiennent tous à venise, dont ils rendent un portrait bigarré, entre somptuosité et beauté quelque peu usée. La ville, qu’on surnomme parfois la Sérénissime ou la Dominante est, dans Commedia, un quasi personnage, et plusieurs des enjeux de la pièce se rattachent à ses pratiques, à sa culture et à sa vie quotidienne4.

Au moment où débute la pièce, après que Goldoni ait consenti à suivre une fois de plus son génie, une lumière inonde une cour intérieure. c’est celle de la maison de son enfance. Devant l’auteur, se matérialisent sa mère et son parrain qui se querellent au sujet d’une pièce que le petit carlo a écrite. Le parrain croit que l’enfant a plagié alors que sa mère, puis son tuteur, le défendent. c’est là la première dispute à éclater autour des écrits de l’auteur. celles-ci seront nombreuses au cours de sa longue vie et il aura maintes fois à défendre ses textes et ses singulières postures esthétiques contre différents détracteurs, qu’il s’agisse de certains nobles ou d’auteurs contemporains rivaux tels chiari et Gozzi. À intervalles, Commedia lève le voile sur plusieurs de ces querelles à travers lesquelles se font jour quelques-uns des principes fondamentaux de la réforme théâtrale engagée par Goldoni. on voit, par exemple, combien une certaine partie de la noblesse était réfractaire à la représentation des « petites gens » à la scène, concevant cela comme une dépravation du plus mauvais goût.

Suivante de la ContessaGoldoni trouve ses personnages dans la rue, c’est là que ses pièces devraient être présentées.Pas dans les théâtres, mais dans la fange.

4 voir « Un monde à part. venise au XvIIIe siècle », infra.

Goldoni (s’enflammant)Mes personnages sont dignes de toutes les scènes d’Italie !Il y a aussi de la grandeur chez les petits !tout comme il y a de la petitesse chez certains grands !5

D’autres sujets de discorde rattachés aux visées artistiques de Goldoni émaillent Commedia : les acteurs peuvent-ils jouer sans masque ? est-il préférable de représenter la réalité quotidienne des habitants de venise ou bien de privilégier l’évasion dans le rêve, le fantastique ? peut-on bousculer l’ordre établi et accorder plus de place à une actrice de second rôle qu’à la « vedette » de la pièce ? Des plus fondamentales aux plus anodines, ces questions sont mises en actes dans la pièce de Pierre yves Lemieux, à travers les dialogues, certes, mais aussi à travers les nombreux extraits d’œuvres de Goldoni qui persillent Commedia.5 Lemieux, P. y., Op. cit., p. 17.

Palazzo Centani sur le Rio San Toma, maison natale de Goldoni, Didier Descouens, 2013.

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ce faisant, prend vie sous nos yeux un théâtre en pleine transformation et une pensée artistique en train de se construire.

Ainsi, la pièce nous montre « les combats et les désillusions d’un auteur qui passe par-dessus bien des difficultés pour continuer à écrire »6. Au fil de ce parcours résilient, qui s’attache aussi à explorer bien d’autres territoires, notamment les paysages 6 Lemieux, P. y., (2014). Entretien, n.p.

escarpés de la séduction et de l’amour, c’est donc toute une réflexion sur la création artistique qui est déployée. Une réflexion qui, parce qu’elle aborde des enjeux essentiels et intemporels, notamment quant aux conditions de création des artistes, n’a de cesse de faire écho à l’époque contemporaine et de nous interpeler. Catherine Cyr

présentAtion et résuMé

Pierre Yves Lemieux, auteur

entretien Avec pierre Yves leMieux, Auteur

À la fois épris des lettres et du monde de la scène, Pierre Yves Lemieux a étudié la littérature et l’interprétation théâtrale. Depuis de nombreuses années, ces deux passions s’additionnent ou s’amalgament au sein de plusieurs théâtres, en particulier au théâtre de l’opsis dont il est membre depuis les tout débuts. Auteur prolifique, il pose un regard aiguisé et sensible sur ses semblables de même que sur les travers de son époque. Son écriture, qui marie lucidité et humour fin, ne se cantonne pas à un genre en particulier : inassignable, elle vogue de la comédie au drame, du théâtre de recherche au spectacle multimédia, en passant par le théâtre jeune public. L’auteur est reconnu autant pour ses créations originales que pour ses singulières réécritures des grandes œuvres du répertoire. Au théâtre de l’opsis, il a notamment signé Monsieur Smytchkov, Le Bruit et la fureur, Comédie russe, A propos de Roméo et Juliette et La Sirène et le harpon. Parmi ses textes les plus récents, on retrouve Les Rois du ciel (2009), délicieuse et subversive pièce pour enfants, Pyramide (2011), drame existentiel nimbé d’humour noir, ainsi que La Belle et la Bête (2012), une audacieuse relecture du célèbre conte de fées portée à la scène par la compagnie multidisciplinaire Lemieux Pilon 4D Art. habitué du théâtre Denise-Pelletier, où ses pièces Les Trois Mousquetaires (2001) et Scaramouche (2006) ont vu le jour, il y revient aujourd’hui avec Commedia, un périple imaginaire et virevoltant dans la bourdonnante venise de Goldoni.

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Quelle a été la genèse de la pièce ?

J’ai reçu en cadeau un ouvrage sur le metteur en scène italien Giorgio Strehler. Dans un entretien, il confie qu’il a toujours voulu écrire une pièce sur la vie de Goldoni. or, il est mort avant de pouvoir réaliser ce rêve. Au moment où j’ai lu cet entretien, je cherchais depuis plusieurs mois un nouveau projet d’écriture pour le cycle italien du théâtre de l’opsis. Ça a été le déclic. Par contre, Commedia n’est pas une œuvre biographique. c’est une fiction à partir du personnage de Goldoni. ce personnage est bien différent de celui qui figure dans les Mémoires de l’auteur, un document amusant mais truffé d’erreurs et de fabulations. en faisant des recherches, en parcourant ses pièces, sa correspondance et plusieurs essais sur lui, c’est un tout autre Goldoni qui m’est peu à peu apparu. Au théâtre de l’opsis, où les créations sont souvent iconoclastes, mon travail d’écriture en est un de changement de vision et, cette fois, j’ai voulu poser un nouveau regard sur l’auteur. bien sûr, je ne fais pas le portrait du vrai Goldoni ! D’ailleurs, personne ne peut le faire car trop d’éléments à son sujet demeurent mystérieux. Aussi, même si les faits historiques que je relate sont justes, le personnage est fictif. Il est inventé. J’ai imaginé sa personnalité, en partie, en me servant de la mienne et en puisant dans ma propre expérience d’auteur. De cette façon, il m’est possible de parler de l’écriture aujourd’hui.

Pourquoi votre texte s’intitule-t-il commedia ?

Il s’intitule ainsi parce que, justement, il porte en son centre un profond questionnement sur

l’écriture. ce sont des interrogations qui touchent la comédie mais aussi l’écriture au sens large : Qu’est-ce qu’écrire au XvIIIe siècle à venise ? Qu’est-ce que ça représente aujourd’hui ? Quels sont les parallèles que l’on peut tracer entre les conditions d’écriture à cette période et celles que l’on rencontre à l’époque actuelle ? ces parallèles sont nombreux dans la pièce et nous permettent de constater que peu de choses ont changé depuis le temps de Goldoni. venise a créé l’industrialisation du théâtre et tout ce qu’on vit aujourd’hui découle de ce système : le vedettariat, la marchandisation de l’art et toutes les contraintes que connaissent les auteurs à l’égard du temps ou de l’argent. Goldoni subissait ces différentes pressions et elles l’affectaient, influençaient sa création. Il en allait de même aussi pour les différents artistes, peintres, acteurs et actrices que l’on rencontre dans la pièce.

Teatro San Luca, maintenant Teatro Goldoni, Venise.

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Ces derniers, souvent des personnages historiques, sont nombreux. Les avez-vous aussi « inventés » ?

Je pourrais dire que tout est inventé dans Commedia ! J’ai fait énormément de recherches historiques sur venise et ces recherches m’ont permis de nourrir la construction des personnages. Souvent, on sait peu de choses sur ces êtres qui ont réellement existé et ce sont ces données historiques, parfois surprenantes, qui permettent de comprendre et d’imaginer le contexte dans lequel évoluent les personnages. Par exemple, on retrouve dans la pièce une actrice, Madame Medebach, à propos de laquelle on en connaît bien peu, sinon qu’elle était sujette à d’étranges « vapeurs ». en effectuant mes recherches, j’ai découvert que venise était à l’époque une plaque tournante en europe pour la fabrication et la vente de terriaca, un médicament à base d’opium. celui-ci donnait quantité de « vapeurs » à ceux qui le prenaient ! Je ne sais pas si la vraie Madame Medebach en consommait (et sans doute n’en prenait-elle pas), mais, dans la pièce, ses états d’âmes sont tributaires de cette drogue, laquelle finit d’ailleurs par la tuer. Il n’est pas utile de savoir si ce fait est réel ou imaginé. celui-ci, comme mille autres qui parsèment le texte, me permettent de dessiner un contexte social et de donner vie à une multitude de personnages. Surtout, ils me permettent de livrer une vision des choses toute personnelle. Unique.

outre les acteurs et les actrices qui entourent Goldoni, on rencontre aussi des peintres, comme Tiepolo et Longhi, dans commedia. Une didascalie évoque même un ciel « délicieusement canalettain »…

c’est venise ! Ma pièce brosse en quelque sorte le portrait de la ville, alors on ne peut échapper à la représentation de cette intense activité artistique. De plus, c’est à travers les peintres et leurs combats

qu’il m’est possible d’aborder la question de l’image théâtrale. À la manière de Longhi, qui peint des tableaux réalistes, Goldoni souhaite développer un théâtre vraisemblable, proche de la réalité des gens. Lorsque tiepolo, qui privilégie le merveilleux et crée des fresques fantaisistes, se querelle avec Longhi sur la nature de l’image, c’est aussi tout le questionnement de Goldoni qui est mis au jour. Il est présent lors de l’altercation entre les deux peintres et il y trouve un écho avec le monde théâtral, lui-même tiraillé entre deux pôles : l’évasion dans le rêve ou la représentation du quotidien. cette opposition est encore présente aujourd’hui et source de bien des questionnements : doit-on privilégier un théâtre qui nous extirpe du réel et tend vers le merveilleux, le fantastique, ou doit-on, au contraire, proposer un théâtre réaliste, arrimé aux enjeux sociaux et politiques de notre époque ? La réponse n’est pas certaine. et entre ces deux pôles, d’autres voies sont aussi imaginables.

au-delà de cet important questionnement esthétique, est-ce que l’imaginaire des artistes a nourri l’écriture de la pièce ?

oui, énormément. Je me suis beaucoup imprégné de l’esprit de certains tableaux. Par exemple, il y a dans la pièce une scène qui se déroule lors de la fête de San Rocco et, visuellement, celle-ci est très proche d’un immense tableau de canaletto, « La Festa di San Rocco », d’ailleurs récemment présenté à l’exposition « Splendore a venezia » au Musée des beaux-arts de Montréal. Dans ce tableau, qui montre une scène extérieure croquée sur le vif, on voit une église entourée de grandes toiles tirées sous lesquelles défilent les gens. c’est une exposition en plein air dans une atmosphère festive. cette image, pleine de vie, représente parfaitement le cadre d’une des scènes de Commedia.

La musique n’est pas en reste dans la pièce. on entend Vivaldi…

présentAtion et résuMé

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on le voit, aussi. Goldoni fait sa rencontre. chacun prend l’autre pour un fou, un illuminé, alors qu’au fond ils se ressemblent beaucoup. Ils étaient tous les deux très prolifiques, perpétuellement plongés dans un état de grande effervescence créatrice. Une effervescence anormale, créée par d’impitoyables conditions de création. À travers cette rencontre avec vivaldi, j’aborde l’un des grands thèmes de la pièce, soit la manière dont la société marchande pressure les artistes pour ensuite les jeter après usage. À l’époque baroque, comme aujourd’hui d’ailleurs, les œuvres avaient une durée de vie très brève et les artistes étaient vite oubliés. Pour exister, pour prendre part à la vie artistique de leur temps, ils devaient donc produire des œuvres massivement et celles-

ci étaient rapidement consommées. Les Quatre Saisons de vivaldi, ça a été à la mode un petit bout de temps puis on a relégué la pièce aux oubliettes. comme son créateur. vivaldi, à l’instar de Goldoni, a donné à travers ses œuvres une grande part de lui-même à venise, puis, mis à l’écart, il a choisi l’exil. ce phénomène de dévoration rapide des œuvres, mis en place au XvIIIe siècle, a perduré jusqu’à aujourd’hui. et les artistes, parfois bien malgré eux, participent toujours à ce système.

Vous avez effectué beaucoup de recherches à propos de Venise. Quelles ont été vos découvertes les plus frappantes ?

Canaletto, La Festa de San Rocco, vers 1735.

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ce qui m’a d’abord épaté, c’est l’importance du système policier qui régnait dans la ville à l’époque. venise, c’était Las vegas ! Une ville de plaisirs, de grands spectacles et de fêtes, une ville extrêmement libre, abritant des hammams, des maisons de jeu et des tripots. La ville était en ébullition jour et nuit et, pour prévenir tout débordement, il y avait là-bas un système répressif extrêmement rigoureux, difficile à imaginer aujourd’hui. on pouvait vite se retrouver « aux plombs », la prison du palais des Doges. c’était aussi une ville paranoïaque : le soupçon de complot, le mensonge et la délation y étaient omniprésents. casanova était emprisonné pour sorcellerie mais, en réalité, on le suspectait d’être un espion. D’ailleurs, Goldoni aussi a été soupçonné d’espionnage. cette paranoïa était également celle de l’aristocratie et de la noblesse qui voyaient leur pouvoir décliner et craignaient de disparaître. Dans la pièce, j’évoque ce phénomène à travers le personnage de la contessa. Dans une sorte de dédoublement de paranoïa, on voit Goldoni s’imaginant que cette aristocrate complote contre lui…

ce qui m’a beaucoup étonné, aussi, c’est la ville au quotidien avec ses mœurs et ses pratiques. L’image usuelle de venise, dorée, scintillante, avec ses jolis masques de carnaval, ça correspond peu à la réalité. La ville foisonnait de casinis où les gens s’adonnaient aux jeux de hasard ou rencontraient furtivement leurs amants et leurs maîtresses. ces rencontres avaient aussi lieu dans les hammams qui, à l’origine étaient un peu comme des spas où l’on pouvait se détendre et recevoir des soins de la peau. Avec le temps, ces lieux, d’essence orientale, se sont transformés en endroits un peu moins fréquentables.

J’ai aussi été surpris par la nature des évènements se déroulant sur les places publiques, notamment lors des fêtes de la mi-carême. c’était vraiment la foire : il y avait des combats de taureaux, des luttes à mains nues avec un chat ou une oie, et

présentAtion et résuMé

toutes sortes de jeux plus proches du Moyen Âge que de l’esprit baroque ! or, cette venise-là, Goldoni la connaissait aussi. en plaçant le personnage dans cet univers, je romps avec l’image habituelle qu’on se fait de l’auteur, dont les pièces montrent des univers proprets, lisses. De la même façon qu’il a osé, dans son temps, présenter des œuvres se déroulant dans des cafés ou des auberges, ce qui offusquait la noblesse, je choisis de déplacer le personnage de Goldoni dans un univers plus rugueux. Je livre ainsi une autre image de l’auteur. Ai-je le droit de le montrer sous ce jour ? bien sûr ! J’effectue ce travail de métamorphose depuis le tout début de ma carrière. Je l’ai fait, par exemple, avec les figures de Roméo et Juliette. ces personnages sont des icônes, des institutions, et il peut être extrêmement riche de changer le regard que l’on porte sur eux, de les questionner pour mieux les redécouvrir.

Y a-t-il des résonances entre la dramaturgie de Goldoni et votre propre imaginaire ?

Il y en a beaucoup. Nous utilisons tous les deux la langue de façon très souple. Lorsque j’écris une comédie qui porte sur mes contemporains, j’ai recours, comme Goldoni, à une langue qui est celle des gens ici et maintenant. Quand j’établis une réécriture d’une pièce classique, comme il l’a fait avec des textes de Molière et de tasso, la langue devient plus poétique ou littéraire. Il y a aussi, chez Goldoni, une importante part d’observation sociale, une façon particulière de donner vie à tout un groupe de gens pour construire un univers précis. c’est ce qu’il a fait, par exemple, dans La Villégiature. cette œuvre est proche, dans sa structure et dans ses thèmes, des Estivants de Gorki, une pièce que j’ai réécrite. c’est aussi le travail que je fais avec Commedia : plusieurs personnages forment un groupe et définissent, peu à peu, une société. en déployant de telles structures dramatiques, Goldoni annonce

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Pirandello de même que tchekhov, deux auteurs avec lesquels j’ai aussi beaucoup d’affinités. Par ailleurs, Goldoni écrivait avant tout pour des acteurs. c’est ce que je fais aussi. Je les connais bien, je sais quelles sont leurs forces, leurs particularités. Leur travail nourrit énormément mon écriture. et puis, je suis d’abord un acteur et mon écriture porte la conscience du jeu. enfin, je pense que Goldoni était un être curieux de tout. Je le suis aussi. Je partage avec lui un plaisir de la découverte et une certaine candeur. Dans Commedia, même à un âge avancé, le personnage a, au fond, toujours 20 ans. « Pourquoi suis-je incapable de vieillir ? » se demande-t-il ? Je pourrais me poser la même question. Mes scènes de théâtre les plus fortes, comme plusieurs des

Johann Gottfried Steffan, Le palais des Doges, XVIIIe ou XIXe siècle.

siennes, s’attachent à des amoureux candides, remplis de foi et de naïveté. Goldoni avait une façon toute particulière de passer à travers son temps et, malgré toutes les tempêtes qu’il a rencontrées, il a toujours continué à écrire des pièces lumineuses. Ça aussi, ça me ressemble.

Propos recueillis et mis en forme par Catherine Cyr

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LUC BOURGEOIS GOLDONIJe suis incapable de vieillir. Je pense, je goûte, je respire, je me vois comme à 20 ans. À chaque pièce mon sang est une lave en fusion. À chaque pièce je redeviens aussi idiot qu’un débutant. Pourquoi suis-je incapable de vieillir ?

STEVE GAGNON CARLO Ne tirez pas ! C’est une pièce de théâtre ! Ce n’est pas de l’argent ! Ce n’est qu’une pièce de théââââââtre ! Aaah ! Ne tirez pas ! Ne tirez pas !

MARTIN HÉROUX GIULIOTu veux un théâtre ? Je vais t’en construire un. Toute ville devrait avoir son théâtre.

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CATHERINE PAQUIN-BÉCHARDMARINA Il a onze ans! Onze ! ONZE !

MARIE-ÈVE PELLETIER MMe MeDeBACH16 pièces ! Cher auteur, vous allez me tuer !

CARL POLIQUIN IL GeNIO Il n’y a d’éphémère que l’oubli. Quand on crée, quand on joue, ça n’existe plus l’oubli. On se remémore, on invente et alors basta l’éphémère!

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Une des particularités du Théâtre de l’opsis est le travail par cycle. Comment cette structure s’est-elle mise en place ?

en 1998, nous avons perdu notre espace permanent, le théâtre de la bibliothèque1. c’était, pour nous, un important lieu de rencontre, un endroit qui bourdonnait d’activités et de réflexions en marche. Nous nous sommes alors demandé comment recréer, sans lieu fixe, un tel espace d’échange et d’ébullition théâtrale. c’est ainsi que, peu à peu, est née l’idée du travail par cycle, une approche qui nous permettrait de nous réunir autour d’un même thème pendant plusieurs années et, ainsi, de regrouper nos réflexions et nos expérimentations. 1 Qui se trouvait au 535, avenue viger est, dans l’ancien édifice de l’École

des hautes études commerciales devenu le centre d’archives de Montréal.

Dès le premier cycle, autour de tchekhov, nous avons formé une sorte de famille artistique en travaillant souvent, d’un spectacle à l’autre, avec les mêmes concepteurs et les mêmes acteurs. De cette façon, chaque spectacle venait enrichir le suivant, trouvait en lui des échos ; un univers théâtral se formait.

Consacrer quatre années à un même thème, ça permet aussi de l’explorer plus en profondeur…

oui, cette étendue de temps est beaucoup plus longue que la norme. c’est difficile d’approfondir une démarche quand, par exemple, on travaille sur une pièce de Marivaux et que, quelques semaines

entretien Avec luce pelletier, Metteure en scène

Grande amoureuse des mots, infatigable exploratrice des arcanes du jeu de l’acteur, Luce Pelletier, depuis ses tout débuts comme comédienne, s’investit dans plusieurs champs de la pratique théâtrale, de l’interprétation à l’écriture en passant par l’enseignement. or, c’est surtout en tant que metteure en scène qu’elle a fait sa marque dans le paysage du théâtre québécois. Depuis 1994, elle est à la barre du théâtre de l’opsis, une compagnie qu’elle a cofondée en 1984 et où, entourée de quelques complices, tels Serge Denoncourt ou Pierre yves Lemieux, elle poursuit différents cycles de recherche artistique. D’une durée de trois ou quatre ans, ces cycles s’attachent à explorer les mille et une facettes d’un même champ théâtral. Dans le premier cycle, consacré à tchekhov, elle monte avec bonheur les pièces L’Homme en lambeaux (1999), Monsieur Smytchkov (2000), Trois Sœurs (2001, codirigées avec Denis bernard) et La Poste populaire russe (2001). Suivent le Cycle Oreste, où elle met en scène, notamment, Elektra de von hofmannsthal (2004) et un magnifique Meurtres hors champ de Durif (2006) et le Cycle états-uniens, où elle signe, entre autres, les mises en scène de Under Construction de charles L. Mee et Anna Bella Emma de Lisa D’Amour. en 2010, elle lance le Cycle italien, passant de l’univers virevoltant de Goldoni aux inclassables écritures contemporaines, telles celles qui composent le collage de textes Resistenza (2013). À travers ce dernier cycle, elle poursuit un travail minutieux où « inventivité et plaisir du jeu se marient à la rigueur de la recherche »1.

1 Dictionnaire des artistes du théâtre québécois, Montréal, Édition Québec Amérique, 2008, p. 316.

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après, on est transporté complètement ailleurs ! Au théâtre de l’opsis, nous sommes beaucoup centrés sur la parole de l’auteur, la découverte d’univers dramaturgiques distincts. Alors, en quatre ans de recherche et de création, il est possible d’aller plus loin, de défricher davantage chacun de ces univers. Notre démarche est nourrie par de nombreux voyages à l’étranger, des lectures, des rencontres. Quand tout ça s’additionne, il se crée une sorte de « bulle » particulière autour de la création. Le cycle devient en quelque sorte un lieu, un espace unique où on a envie de retourner parce qu’il s’y développe des choses passionnantes.

dans les débuts de la compagnie, vous aviez une double volonté de faire redécouvrir au public les textes classiques et de lui faire connaître la dramaturgie contemporaine. Ce mandat s’est-il peu à peu transformé ?

L’exploration et la réinvention des textes classiques, c’était surtout le dada de Serge Denoncourt, qui est maintenant moins présent ici. Aussi, au fil du temps, mon propre penchant artistique, qui est la découverte d’auteurs contemporains, a-t-il pris plus de place. et puisque plusieurs compagnies, ou metteurs en scène, montent des auteurs d’ici, j’ai choisi d’aller explorer davantage

ce qui s’écrit ailleurs, à l’extérieur du pays. Mais qu’il s’agisse d’auteurs québécois ou étrangers, l’important pour moi est de mettre la parole au cœur du spectacle. À une époque où le théâtre se tourne de plus en plus vers l’image, je choisis de mettre les mots en lumière. ce sont les mots qui me permettent d’aborder l’histoire, de raconter, d’explorer l’humain.

La recherche dramaturgique vous anime.

oui, profondément.

Le décor conçu par Louise Campeau pour Il Campiello, petite place entourée de maisons humbles, avec sa fontaine et son auberge.

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Décor de Commedia par Olivier Landreville.

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Cet intérêt pour le texte ne signifie pas que le jeu de l’acteur est à l’arrière-plan. il y a au Théâtre de l’opsis une réflexion perpétuellement en marche autour de celui-ci. est-ce que chaque spectacle constitue une sorte de laboratoire pour repenser ou expérimenter le jeu ?

chaque pièce exige qu’on l’approche de façon unique. Lorsque j’amorce une création, j’aime m’entourer d’acteurs-créateurs avec lesquels, dans une grande liberté, il me sera possible d’expérimenter différentes méthodes (ou non-méthodes !) de jeu et avec lesquels je pourrai mettre à l’épreuve de nouvelles idées. Les acteurs qui reviennent souvent au théâtre de l’opsis, ceux qui m’interpellent le plus, ce sont ceux qui, en explorant leur propre créativité, en participant activement à la construction de leur personnage, me permettent d’aller plus loin dans ma démarche. Avec eux, chaque création devient une recherche sur le terrain, un véritable laboratoire théâtral. Il m’importe aussi de ne pas me répéter. ces dernières années, j’ai souvent privilégié le dénuement scénique, l’épure et l’adresse directe au spectateur, comme dans La Resistenza, le dernier spectacle du Cycle italien. Là, je sens qu’il me faut transporter le jeu ailleurs…

Vous avez amorcé le cycle italien en revisitant il campiello, déjà monté par le Théâtre de l’opsis en 1989 au Théâtre denise-Pelletier. Vous aviez d’ailleurs joué dans la pièce. Pourquoi avez-vous souhaité revenir à cette pièce en particulier pour lancer le cycle ?

L’idée a surgi en discutant avec Serge Denoncourt, qui adore monter Goldoni, et qui avait signé la mise en scène d’Il Campiello en 1989. Au moment d’amorcer le Cycle italien, comme il était libre, je l’ai invité à mettre en scène un nouveau Goldoni au théâtre de l’opsis. Nous avons donc épluché

plusieurs textes ensemble mais nos conversations nous ramenaient toujours à notre souvenir partagé de la création d’Il Campiello. Aussi, nous sommes-nous demandés ce que ça ferait de reprendre cette pièce près de 30 ans plus tard. comment l’aborder maintenant ? Qu’est-ce qui changerait ? Qu’est-ce qui demeurerait intact ? c’est donc avec beaucoup de bonheur que Serge a replongé dans l’univers d’Il Campiello. Étonnamment, il ne s’est pas creusé d’écart considérable entre la première production de la pièce et sa nouvelle mouture. La scénographie était plus élaborée cette fois-ci mais l’essence de la pièce, son rythme vif, son jeu pétillant, sont restés sensiblement les mêmes. Les propositions artistiques ont seulement été amenées un peu plus loin. De plus, Serge vit désormais en Italie une partie de l’année et sa mise en scène était teintée de cette expérience. elle portait aussi les traces de son grand bagage théâtral, développé au fil des ans. D’une certaine manière, Il Campiello fait partie du répertoire du théâtre de l’opsis. contrairement aux compagnies qui créent du théâtre pour enfants, et dont le répertoire circule beaucoup, nous n’avons pas souvent l’occasion de reprendre une œuvre, de la faire connaître à nouveau. Ça a été une belle expérience.

Le cycle italien commence et se termine avec Goldoni. Pourquoi faire cette boucle ?

J’ai un esprit assez systématique : j’aime les boucles ! et puis, comme le cycle a surtout été composé d’œuvres contemporaines, je trouvais que les textes classiques manquaient. J’ai alors relu plusieurs auteurs phare italiens, parcouru des pages et des pages de Pirandello, de Dario Fo, sans que jamais ne s’allume véritablement l’étincelle susceptible de mettre un projet de création en marche. Je ne souhaitais pas non plus monter un autre texte de Goldoni puisque le cycle en comportait déjà un. Aussi, lorsque Pierre yves Lemieux s’est proposé d’écrire une adaptation

entretien Avec luce pelletier, Metteure en scène

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théâtrale des Mémoires de Goldoni, en mettant de l’avant les difficultés qu’il a rencontrées dans son immense entreprise de réforme du théâtre, de même que toutes les batailles qu’il a livrées, cela m’a plu. J’ai trouvé qu’il y avait là un écho certain avec le théâtre actuel et ses propres tiraillements. Il y a aussi, dans Commedia, une réflexion sur la place de l’auteur qui a de fortes résonances avec notre époque. enfin, il m’importe beaucoup que la dernière année d’un cycle soit celle de la réappropriation : après avoir effectué plusieurs voyages en dramaturgie étrangère, il est bon de ramener la réflexion à notre réalité. Jeter un regard sur l’Autre, certes, mais pour mieux s’examiner soi-même. c’est ce que nous avions fait, par exemple, avec Les États-Unis vus par…, la pièce de clôture du Cycle états-uniens. c’est aussi ce que nous faisons avec Commedia.

Le cycle italien se rattache surtout à des auteurs dramatiques contemporains. Trouvez-vous des échos entre cette dramaturgie et celle de Goldoni ?

A priori, ils paraissent très éloignés. D’ailleurs, il n’y a pas une dramaturgie italienne mais plusieurs dramaturgies différentes, uniques. or, même si les formes sont très variées, ce qui relie ces écritures, c’est le désir d’interroger la grande histoire. Par exemple, beaucoup d’auteurs règlent

leurs comptes avec la Seconde Guerre mondiale, abordant des sujets que leurs parents, sans doute trop proches du traumatisme, n’ont pas su écrire. Plusieurs de ces auteurs sont aussi, comme Goldoni l’était, de grands observateurs de la réalité sociale. À travers une écriture parfois un peu pamphlétaire, ils réfléchissent sur la société italienne d’aujourd’hui. en l’interrogeant, en la mettant en scène, ils cherchent aussi à la faire avancer. ce qui est parfois bien difficile dans le contexte politique actuel ! on retrouve également chez eux le souci de raconter des histoires qui sont authentiques et qui sont proches du « vrai monde ». c’était le cas, par exemple, de la pièce Frères, que j’ai montée à l’hiver 2012. L’auteur, Francesco Silvestri, souhaitait parler du sida, une réalité qui, même à la fin des années 1990, était mal connue d’une partie de la population. Il fallait donc raconter une histoire susceptible de rejoindre les gens. D’ailleurs, dans le théâtre italien, il y a un fort courant narratif, appelé Narratione, où il s’agit, avant tout, de raconter. Dire des mots, simplement, comme lorsqu’on s’assoit autour d’un feu pour échanger des histoires. À travers celles-ci, les auteurs se donnent une mission, peut-être la même que celle de Goldoni : témoigner de la réalité de leur temps.

Propos recueillis et mis en forme par Catherine Cyr

Décor de Commedia par Olivier Landreville.

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Né à venise en 1707, carlo Goldoni semble prédestiné à la fête et au théâtre. Alors que son père, qui est médecin, est souvent absent, il grandit entre un grand-père entiché de spectacles et une mère éprise de carnavals. Dès l’âge de 3 ans, le petit carlo, qui a reçu en cadeau un castelet, se plaît à jouer des piécettes devant les yeux amusés de sa famille. À 10 ans, il a déjà une malle bien remplie de poèmes et de pièces qui, tout à la fois, étonnent et charment son entourage. or, son père ne voit pas d’un bon œil sa passion pour l’écriture et le spectacle. Il souhaite que son fils suive ses traces. cette voie n’est toutefois pas celle de Goldoni puisque la seule vue des malades le plonge dans l’effroi, lui donne des vertiges et des « vapeurs hypocondriaques »! À contrecœur, il embrasse une carrière d’avocat. celle-ci est de courte durée et, rattrapé par son amour du théâtre, il abandonne tout pour consacrer le reste de sa longue vie à l’écriture. Il est d’abord le poète attitré de la troupe de Medebach (1750) puis il joint les rangs du dynamique théâtre San Luca (1753). Jamais au repos, Goldoni signe de sa plume une quinzaine de tragi-comédies, de nombreux livrets d’opéra et plus d’une centaine de comédies. Il est l’auteur dramatique le plus prolifique de son époque. Surtout, il est celui qui, au fil du temps, opère une immense réforme du théâtre. celle-ci touche à la fois l’écriture, le jeu de l’acteur et le rapport au réel. ces trois dimensions sont finement entrelacées.

du cAnevAs Au texte

Dans la deuxième moitié du XvIIIe siècle, sous le vernis éclatant d’une incessante activité, le théâtre

vénitien s’essouffle. La commedia de l l ’ar te 1, qui a connu son heure de gloire au siècle précédent, s’émousse. bientôt, el le sombre dans la décadence. De spectacle en spectacle, les mêmes canevas usés sont repris. À l’étroit dans leurs masques figés, les capitaine, Pantalon et Arlequin s’échinent à faire rire un public devenu friand de grossièretés. Pour Goldoni, comme pour son prédécesseur Luigi Riccoboni, ce déclin du théâtre italien est désespérant. À ses yeux, la commedia dell’arte n’est désormais plus qu’une suite ininterrompue d’ « indécentes arlequinades »2, de farces licencieuses et de vulgarités de tout acabit. comment mettre fin à cette déchéance? 1 voir l’encadré « La commedia dell’arte », infra.2 Goldoni, c., cité par N. Jonard (2002). Histoire de la littérature italienne.

Paris : ellipses, p. 76.

dU THÉÂTRe eT dU moNde dossier

bas les masques ! goldoni et la réforme du théâtre

Maurice Sand, Masques et bouffon : Il Capitan

Maurice Sand, Masques et bouffons : Pantalone

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comment réinventer le théâtre sans, toutefois, faire table rase des acquis du passé? ces questions agitent Goldoni qui, patiemment, en habituant progressivement le public à divers changements, opère un profond bouleversement du théâtre italien. Le premier de ces changements consiste en une graduelle réintroduction du texte. Depuis longtemps, celui-ci, réduit à une peau de chagrin, consiste en une mince trame fatiguée aux ressorts éculés. c’est un canevas qui s’effrite, simple support pour l’improvisation, les acrobaties et les lazzis, c’est-à-dire des « contorsions, rictus, grimaces […], jeux de scènes interminables ».3 ces lazzis exécutés par les comédiens, autrefois des morceaux de bravoure très attendus du public, ne sont, souvent, désormais plus que des numéros salaces. et ils pullulent. en effet, la scène est le royaume des acteurs et le texte n’y a guère plus d’importance que les costumes. Alors que certains des contemporains de Goldoni voudraient remédier au problème en donnant un second souffle à la tragédie antique ou en imitant le théâtre français, il choisit de ne pas tourner le dos à la comédie. Plutôt, il vole à son secours en y réintroduisant le texte. Au début, cela se fait à petites doses. L’auteur ne souhaite pas choquer ou désemparer le public. Surtout, son entreprise ne se précise à ses propres yeux qu’au fur et à mesure qu’il l’expérimente. Le changement est donc lent. Goldoni construit d’abord de petits canevas, qui seront de plus en plus étoffés, où certains passages, tels les monologues, les lamentations et les déclarations d’amour sont entièrement écrits. Les acteurs sont tenus de jouer ces passages tels quels sans céder à l’élan de l’invention. Après quelques années de ce régime de création, l’auteur signe sa première pièce écrite du début à la fin, La Femme de bien (1743). Deux ans plus tard, il revisite un canevas très populaire qu’il pimente peu à peu de scènes entièrement dialoguées : Le Serviteur de deux maîtres (1745), qui met en scène un sautillant et fantasque Arlequin, est né. 3 Pavis, P. (2006). Dictionnaire du théâtre. Paris : Armand colin, p. 190.

À cette pièce, qui demeure aujourd’hui l’une des plus populaires de l’auteur, s’ajoutent bientôt La Serva amorosa (1752), La Locandiera (1753) et d’innombrables comédies pleinement écrites, portant les mots en leur centre.

Par ailleurs, bien que l’écriture soit au cœur de sa vie et de son entreprise de réforme théâtrale, Goldoni n’en reste pas moins un grand admirateur de l’art des acteurs (et des actrices!). ceux-ci, bien que leur inventivité soit moins sollicitée durant la représentation des pièces, demeurent l’âme vivante du spectacle. c’est donc souvent en fonction de leur personnalité, de leur talent et des « caractères » qu’ils incarnent (généralement les mêmes durant toute leur carrière), que l’auteur forge ses textes, invente les situations rocambolesques ou touchantes qui les mettront à l’honneur. Ainsi, conquis par les exploits scéniques de la jeune soubrette Maddalena Marliani, et sans doute aussi un peu épris de ses charmes, c’est pour elle qu’il invente la délicieuse Mirandolina, objet de toutes les quêtes amoureuses qui parsèment La Locandiera.

à visAge découvert

c’est en travaillant auprès des acteurs que Goldoni met en place un autre aspect important de sa réforme théâtrale : l’abandon du jeu masqué. À l’instar de la réintroduction du texte théâtral, et allant de pair avec cette transformation, l’élimination des masques ne survient pas du jour au lendemain. c’est au fil de l’écriture et du jeu que le changement se dessine. Jouant de plus en plus souvent à visage découvert, les acteurs peuvent désormais s’extraire du moule extrêmement rigide auquel ils étaient jusqu’alors confinés. Sans leur faire perdre leur virtuosité, cette tombée des masques élargit grandement leur registre de jeu : grâce aux expressions du visage, ils peuvent apporter à leur personnage de l’étoffe et quelques nuances.

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Si certains ont vu dans cet abandon du jeu masqué mis en place par Goldoni la mort de la commedia dell’arte, il n’en est rien. Ironiquement, il a contribué par son écriture à préserver un art en train de s’étioler. et, même transformés, ou dépourvus de leur masque, les personnages-types de la commedia dell’arte ont longtemps perduré grâce à sa plume. Ainsi, dans les nouvelles « comédies de caractères » qu’échafaude l’auteur, persistent les traits déterminants de certains masques : Pantalon se devine chez le Père de famille autoritaire jusqu’au ridicule ou chez le Marchand et ses nombreux avatars, désormais plus avisés, voire avares, que libidineux; l’ombre d’Arlequin plane sur tous les serviteurs rusés, bienveillants ou mauvais, qui traversent l’ensemble de l’œuvre de l’auteur; enfin, plusieurs des intrigues amoureuses que tisse Goldoni mettent en scène des personnages chez qui se repèrent les traces de l’amoureux fougueux (innamorato) comme celles de l’amoureuse, que cette dernière soit ingénue ou, au contraire, envieuse et médisante (innamorata).

Des toutes premières comédies (Les Rustres) aux pièces de la maturité (La trilogie de la Villégiature), les personnages évoluent grandement. Peu à peu, à l’instar du chevalier de La Locandiera, transformé par l’amour, ils ne sont plus captifs d’une typologie rigide. Sur le visage démasqué des acteurs peut graduellement se lire une trajectoire du sentiment ou une lutte entre des désirs, des vices et des vertus opposés. en les éloignant de la caricature, Goldoni procède à une profonde humanisation des personnages. ce faisant, ces derniers rapprochent la comédie du réel : sur les planches du théâtre, ce ne sont plus de vertueuses abstractions ni des monstres de grossièreté qui se meuvent mais des êtres complexes et nuancés, à l’image des hommes et des femmes qu’ils représentent.

Montrer le réel

Inséparable de la réintroduction du texte au théâtre et de la tombée des masques, une nouvelle représentation du monde participe à la réforme théâtrale instaurée par Goldoni. À l’image de son ami le peintre Pietro Longhi, l’auteur cherche à montrer la réalité. Il s’intéresse à la vie quotidienne, scrute de près les mœurs de ses semblables, explore les multiples facettes de l’âme humaine, des plus lumineuses aux plus sombres. D’abord à gros traits, puis par petites touches de plus en plus subtiles, ses comédies mettent au jour les imperfections des hommes, émouvantes tout autant que risibles. toutes les couches sociales sont convoquées dans ses pièces, de la noblesse aux gens du peuple, en passant par la bourgeoisie. cette écriture nouée au réel, qui étonne et ravit un public nombreux, ne fait pourtant pas que des adeptes. elle rebute, entre autres, les auteurs de théâtre Pietro chiari et carlo Gozzi. ce dernier, comme le révèle l’univers fantaisiste de ses pièces (L’Amour des trois oranges, 1761; Turandot, 1762; L’Oiseau vert, 1765) prône plutôt un théâtre détaché de la réalité. Surtout, issu de l’ancienne noblesse vénitienne et attaché à ses valeurs, il critique la

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Nouveau Théâtre Italien par Riccoboni chez Coustelier en 1718. Riccoboni, avant Goldoni, préconise un théâtre du texte.

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Visite d’une bibliothèque, Pietro Longhi (1702-1785).

présence de gens de « basse extraction » au cœur de maintes comédies goldoniennes et vante « la souveraineté correctrice de la Noblesse sur le peuple ignorant et subordonné ».4 ces critiques heurtent Goldoni mais ne le détournent pas de son entreprise. Au tournant des années 1750, il entame une période faste, qui dure une douzaine d’années, où il écrit plusieurs pièces où se déploie une grande finesse psychologique, telles que La Serva amorosa (1752) et La Locandiera (1753). De même, les questions de société habitent son œuvre et l’auteur aborde avec perspicacité de nombreux thèmes liés à son époque agitée : l’enflure de la vanité sociale, l’endettement galopant de la bourgeoisie, les amours empêchées par des conventions sociales contraignantes, ou encore la mode des sigisbées, ces jeunes hommes oisifs vivant au crochet de femmes fortunées. or, bien que plusieurs de ces thèmes soient sérieux, ils sont abordés avec légèreté. chez Goldoni, en 4 Nardone, J.-L. et A. Perli (2002). Anthologie de la littérature italienne, 2,

XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles. toulouse : Presses Universitaires du Mirail, p. 163.

effet, le comique valse toujours avec la gravité. Dans ses Mémoires, il écrit que la comédie « ne se refuse pas aux sentiments vertueux et pathétiques, pourvu qu’elle ne soit pas dépouillée de ces traits comiques et saillants qui forment la base fondamentale de son existence ».5 en opérant ce singulier mélange des tons, l’auteur, qui précède 5 Goldoni, c. cité par N. Jonard. Op. cit.

Pietro Longhi, Dames chez le couturier. Vers 1760.

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en cela Gorki et tchekhov, met au jour un tout nouveau type de comédie.

Au terme de cette intense période de productivité créatrice, et fatigué de la querelle qui perdure avec Gozzi, Goldoni s’exile à Paris, rêvant d’y poursuivre avec plus de liberté sa carrière théâtrale. Là-bas, il rejoint la comédie-Italienne, une troupe de théâtre logée à l’hôtel de bourgogne et qui, en alternance avec l’opéra-comique, propose des comédies au public parisien. or, ses illusions s’effritent rapidement : la plupart des spectateurs français comprenant mal l’italien, on le contraint à revenir à la comédie à canevas. Profondément désenchanté, il choisit tout de même de demeurer en France. Durant ce séjour, qui sera son dernier à l’étranger, il se fait professeur d’italien pour les princesses royales et écrit encore quelques pièces

qui connaissent un succès modeste. en 1771, il livre Le Bourru Bienfaisant à la comédie-Française tout en travaillant à ses Mémoires, lesquels sont publiés en 1787. Dans la tourmente de la Révolution française, il se retrouve, au soir de sa vie, privé d’une pension accordée par le roi. Il meurt dans la misère en 1793.

Catherine Cyr

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Paris, Théâtre Italien, vers 1840. Dessin d’Eugène Lami, gravure de C. Mottram.

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C’est au milieu du XVIe siècle, en Italie, qu’apparait la commedia dell’arte. Au siècle précédent, on jouait encore les comédies des auteurs latins Plaute et Térence ainsi qu’un répertoire de comédies « savantes » s’adressant à un public lettré. Héritière des formes populaires comme la farce et l’art des jongleurs et bouffons de la Renaissance, proche parente des fêtes carnavalesques, la commedia dell’arte s’implante rapidement en Italie. Son univers, tissé d’humour et de prouesses acrobatiques, séduit un public toujours plus large. Cette nouvelle forme de comédie prend la forme d’une création collective élaborée par des acteurs qui improvisent, verbalement ou gestuellement, à partir d’un mince canevas. Ce « texte » ne comporte que des indications sommaires et les acteurs improvisent leur partition selon les caractéristiques de leur personnage. Ce dernier relève d’un type précis, c’est-à-dire qu’il possède des traits physiques et moraux fixes, souvent représentatifs d’un état ou d’un travers (l’amoureux, l’avare). Il est identifiable grâce au masque porté par l’acteur. L’établissement de types permet au public de retrouver, d’un spectacle à l’autre, des personnages (et des acteurs) qui lui sont familiers.

Regroupés en troupes, perpétuant un savoir-faire familial, les acteurs, qui incarnent souvent un même personnage toute leur vie, parcourent l’Italie, puis l’Europe. Dans ce théâtre d’acteur, la dimension centrale est le langage corporel. La gestuelle remplace les longs discours et les improvisations, truffées de morceaux de bravoure (lazzis), rythmées par d’importantes prouesses physiques (pirouettes, contorsions, sauts vertigineux), font avancer une fable qui égrène les situations comiques et revirements inattendus. Avec les mêmes ingrédients dramaturgiques (quiproquos, travestissements, disparitions, amours contrariées, ruses de valets…), la commedia dell’arte fait varier les intrigues à l’infini et n’a de cesse de se réinventer. Elle connaît son heure de gloire au XVIIe siècle, avant de s’épuiser peu à peu. Vers le milieu du XVIIIe siècle, au moment où Goldoni entreprend sa réforme théâtrale, cet art montre certains signes de déliquescence : les mêmes vieux canevas sont repris sans grande inventivité et le ton des spectacles est de plus en

la commedia dell’arte

plus grivois. Au XIXe siècle, la commedia dell’arte s’éteint complètement. Pourtant, elle continue de fasciner et son esprit perdure, aujourd’hui, à travers diverses formes comiques, notamment dans le jeu clownesque et dans l’univers de la marionnette.

quelques types de la commedia dell’arte

LE ZANNI est un serviteur grossier et agressif. C’est l’ancêtre de tous les valets.

ARLEQUIN est le plus célèbre des zannis. C’est un valet agile et sautillant, parfois niais, souvent rusé. Il porte un demi-masque et une mentonnière noirs. Son front, très ridé, surmonte des sourcils étonnés.

PANTALON est un riche vieillard libidineux qui oscille entre le sérieux et le ridicule. Il porte un masque brun à nez busqué et proéminent.

LE CAPITAINE incarne un faux brave, ronflant et prétentieux. Son masque est couleur chair. Sous un nez protubérant, il porte des moustaches hérissées.

LE DOCTEUR est l’incarnation satirique du savant imposteur et pédant. Son langage est traversé de citations latines déformées. Son masque lui couvre le front et le nez et ses joues sont maculées de rouge.

LES AMOUREUX sont des personnages sérieux et non masqués. Ils s’expriment dans une langue recherchée. Ils sont souvent au centre des imbroglios et quiproquos de la pièce.

catherine cyr

Maurice Sand, Masques et bouffons : Arlequin

Maurice Sand, Masques et bouffons : Dottore

Maurice Sand, Masques et bouffons : Isabella

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Dans la pièce-manifeste de sa réforme théâtrale, Il Teatro comico (1750), et dans la préface qu’il signe, Goldoni affirme que son écriture se fonde sur la rencontre des deux grands « livres » du Monde et du théâtre : le premier lui donne les personnages et les sujets de ses pièces alors que le deuxième lui fait connaître « avec quelles couleurs on doit représenter les caractères, les passions, les évènements qu’on lit dans le livre du Monde »1. Mais quel est donc ce monde que Goldoni observe à la loupe et qu’il cherche, dans ses pièces, à rendre vivant avec le plus de véracité possible ? Si quelques œuvres se déroulent à l’extérieur de venise, à chioggia (Barouf à Chioggia, 1762), à la campagne (La Villégiature, 1761) ou dans une Perse imaginaire (L’Épouse persane, 1753), plusieurs des fables imaginées par l’auteur se déroulent dans la Sérénissime2. Nées du ventre de la ville, ces pièces révèlent les pratiques, les usages, et les étonnantes singularités de ceux qui y vivent. Ainsi, Goldoni « transforme la place, la rue, ou le carrefour, lieux génériques, traditionnels, de la comédie, en autant de «vues» vénitiennes, variant les angles d’observation à la manière d’un canaletto […], mais avec les sons, les corps – la vie – en plus »3 .

lA ville des plAisirs

Au XvIIIe siècle, venise se dresse à la charnière de deux visions contraires, comme « suspendue entre splendeur et engloutissement »4. Alors que, d’une part, est amorcé un inéluctable déclin économique et politique, d’autre part, la ville n’a de cesse de briller de tous ses feux, rayonnant de plaisirs, de musiques et de fêtes. ces dernières 1 Goldoni, c. cité par N. Jonard. Op. cit., p. 76.2 Surnom donné à la ville de venise.3 Decroisette, F. (1999). Venise au temps de Goldoni. Paris : hachette,

Littératures, p. 9.4 Id., p. 7.

sont innombrables et, religieuses ou profanes, elles rythment le calendrier dans une ville où le divertissement est roi et où, dit-on, on ne travaille que lorsque les loisirs le permettent. La quintessence de la fête s’incarne dans le carnaval, un moment où le temps est arrêté et l’ordre du monde inversé, où tout ce qui est excessif devient permis. Au XvIIIe siècle, la célébration inclut des bals, des chasses, des jeux d’adresse et des spectacles sur l’eau. La ville est animée jour et nuit :

tous les théâtres, tous les Ridotti sont ouverts. Les cafés, les auberges, les entrepôts à vin

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un monde à part. venise au xviiie siècle

Palais des Doges, détails du toit, Guerinf (mai 1986).

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regorgent de monde. Dans les rues et les campi, les masques improvisent des farces et des comédies ou se contentent de se promener, les uns pour voir, les autres pour se faire admirer. Pendant les derniers jours, les nobles ne détestent pas se mêler à la foule, complètement protégés par la grande cape noire (tabarro), le tricorne et le masque (bauta). […] Le masque est le protagoniste du carnaval. Son usage, très quotidien, tient un rôle essentiel, car il permet l’anonymat, il dissimule les traits aussi bien naturels que distinctifs. Le travestissement des habits, de la condition sociale, de l’âge, ouvre la porte à toutes les transgressions5.

Pour Goldoni, cependant, ce carnaval, pétri d’excès de toutes sortes, s’est quelque peu dénaturé. c’est pourquoi, dans ses pièces (ironiquement présentées en période carnavalesque), celui-ci est le plus souvent relégué aux coulisses, évoqué en creux dans les dialogues ou vivement critiqué par les personnages, notamment les femmes et les jeunes filles sages (Les Femmes 5 calabi, D. (1999). Venise au fil de son histoire. Paris : Éditions Liana Levi,

p. 104.

jalouses, 1752). Aux débordements du carnaval et aux divertissements officiels, l’auteur préfère la représentation des jeux, des chants, des fêtes

Pietro Longhi, Le gentilhomme indiscret. Vers 1740. Google Art Project.

Pietro Longhi, (Il ridotto) Le casino. XVIIIe siècle.

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et des rencontres quotidiennes qui se déroulent sur les nombreuses places publiques de la ville (Il Campiello, 1756).

or, la coupure n’est pas aussi nette entre le carnaval, débordant, et les plaisirs du quotidien. on observe une extension considérable du temps carnavalesque sur les autres jours du calendrier et son esprit de transgression, d’excès, imprègne bien des lieux et bien des pratiques. Parmi celles-ci, la plus répandue est celle du jeu. comme le souligne Françoise Decroisette, « [on] jouait gros jeu à venise »6. Dans plusieurs quartiers de la ville, voisinant les riches demeures comme les taudis et les tripots, se dressaient des casini (appartements privés) et des ridotti (lieux de rencontres et de divertissements plus ou moins licites) où les biens nantis comme les gens de condition plus modeste venaient tenter de faire ou de rétablir leur fortune. Lorsque la chance n’était pas de leur côté, ils avaient le loisir de se retirer dans la « chambre des soupirs », espace dédié à toutes les consolations. Dans ces lieux où étaient proposés d’innombrables parties de cartes et jeux de hasards, l’argent circulait de tous les côtés et les fortunes pouvaient rapidement passer d’une main à l’autre. Dans sa dramaturgie, à travers des personnages de joueurs impénitents ou malheureux, Goldoni rend bien compte de cette réalité.

Par ailleurs, l’auteur ne s’en tient pas qu’à ces aspects sombres. Dans ses pièces, le ludique occupe une grande place. Ainsi, outre les inévitables jeux de cartes, il met en scène différents jeux pratiqués chez soi, en famille ou entre amis, de même que plusieurs jeux de la rue, de la place, tels le Loto della venturina, permettant de gagner des beignets, ou le jeu de la semola, où il était possible de trouver des sous dissimulés dans de la farine. Avec la représentation de banquets et de repas festifs, la présence des jeux dans le théâtre de Goldoni, même avec leurs possibles 6 Decroisette, F. Op. cit., p. 141.

dérapages, le situe du côté de la quête des plaisirs et de la recherche du bonheur, si éphémère soit-il.

les trois ordres de lA société

Dans ses comédies, Goldoni fait souvent se rencontrer, voire s’entrechoquer, diverses couches sociales : nobles désargentés ou dissipés, marchands prospères, valets et soubrettes ingénieux, souvent mieux avisés que leurs maîtres. tout ce beau monde se croise sur les places publiques, dans les cafés, aux abords des puits, ou à l’extérieur de la ville lorsqu’une famille et sa suite part en villégiature. S’il est vrai que ces diverses strates sociales coexistent à venise et que le port du déguisement et du masque permet, temporairement, d’abolir les distinctions, ces dernières demeurent toutefois assez marquées. Ainsi, au sommet de la pyramide, la ville est gouvernée par le Doge, un noble élu « à vie » par les membres du Grand conseil, selon un processus complexe et tarabiscoté. Si, avec tous ses apparats, il fait figure de roi en son palais, sa fonction est plus symbolique que véritablement politique. Dans un système que l’on peut qualifier d’ « aristo-démocratie », ce sont plutôt des nobles influents, répartis en divers conseils, qui sont aux commandes de venise.

Les nobles constituent le « premier ordre » de la population. en effet, « au XvIIIe siècle, la population vénitienne se répartit en trois « ordres ». Les « gentilshommes » […] dits plus généralement « nobles » ou « patriciens », les cittadini, et les popolani »7. Alors que la noblesse accuse un déclin – les mariages et la natalité sont en chute, les richesses diminuent, parfois jusqu’à la misère – les cittadini sont ceux qui donnent à la ville son effervescence et son dynamisme. Il ne faut pas oublier que venise est avant tout une ville marchande et nombreux sont les cittadini, que

7 Id., p. 53.

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l’on peut apparenter aux bourgeois, qui exercent des métiers honorables ou tiennent commerce. enfin, au bas de la pyramide, et composant plus de 90% de la population vénitienne, se trouvent les popolani. ces derniers comprennent tous ceux qui, pour subsister, exercent de petits métiers et « qui n’ont aucun pouvoir dans la cité, c’est-à-dire tout le reste de la population – artisans, serviteurs, « pauvres» recueillis dans les Ospedali, mendiants, juifs et religieux » 8.

Dans son théâtre, Goldoni visite chacune de ces catégories sociales, n’hésitant pas à déplacer les valeurs et vertus traditionnellement accordées à l’une ou à l’autre. Ainsi, chez lui, sous le vernis de la drôlerie, dignité et beauté sont rendues au « petit peuple », et ses travers – gourmandise, jalousie, appât du gain – ne sont mis de l’avant que pour accorder aux personnages une plus grande part d’humanité. Souvent, les valets, servantes, ménagères, aubergistes et autres gens de « petits métiers » montrent de plus grandes qualités de cœur, et font preuve de plus d’esprit que bien des nobles (La Brillante Soubrette, 1754 ; Les Cuisinières, 1755 ; Il Campiello, 1756). ces derniers, sans être écorchés durement, sont parfois l’objet d’une certaine raillerie, et leurs ridicules n’échappent pas à l’œil avisé de l’auteur ni à sa plume vive. en particulier, les avares, ceux qui ont dissipé leur fortune et sont désormais réduits à l’état de pique-assiette ou ceux qui cherchent à tout prix à faire un mariage d’argent, sont des figures récurrentes de la comédie goldonienne (L’Avare jaloux, 1753 ; La Villégiature, 1761).

Par ailleurs, de nombreux types de personnages se retrouvent indifféremment dans toutes les catégories sociales, notamment le père aimant, un peu bonasse, ou la jeune fille vertueuse. Aussi, sans être niées, les différences entre les « ordres » de la population sont-elles, chez l’auteur, souvent atténuées ou bousculées. certes, il est attendu

8 Id., p. 54.

de chacun qu’il « tienne son rang » mais tous ont droit de parole et peuvent faire montre des pires défauts comme des plus belles qualités. enfin, un même espace social réunit souvent, pêle-mêle, ces diverses couches de population : sur les places publiques, à l’auberge, dans les cafés, fraient avec bonheur, mais non sans quelques frictions, des personnages appartenant à toutes les strates sociales, de même que de nombreux étrangers. Sans doute la réalité était-elle quelque peu différente et Goldoni force-t-il le trait de l’égalité, cédant, en cela, au mythe d’une venise libre, égalitaire et ouverte à tous. toutefois, qu’il soit altéré ou non, ce reflet d’une importante réalité sociale traverse toute l’œuvre de l’auteur, profondément imprégnée d’observations et de questionnements sur la manière dont vivaient, ensemble, ses contemporains.

lA société des FeMMes

Dans la venise du XvIIIe siècle, aux trois ordres de la population s’ajoute, selon Françoise Decroisette, un « quatrième ordre », celui des femmes. celles-ci composent en effet plus de la moitié de la population de la ville et leur place et les fonctions qu’elles occupent connaissent de grands bouleversements. Leur fonction symbolique traditionnelle, qui est d’exalter par leur beauté les merveilles et la toute-puissance de la ville, ne suffit plus. L’instrumentalisation de leurs charmes à des fins politiques ne répond plus à leurs aspirations :

Au siècle où partout en europe les femmes revendiquent un statut, dénoncent leur état de subordination, affirment leurs droits à accéder à la culture et à choisir leur sort, c’est trop peu, c’est même insupportable. venise […], cité-femme par excellence, ne peut échapper à cette vague de revendication. La fonction de représentation qu’on assigne aux femmes, en masquant leur état de dépendance vis-à-vis de l’autorité masculine, est ressentie comme

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un asservissement, une tyrannie même, et non plus comme une reconnaissance et un espace d’affirmation9.

cette prise de conscience, amorcée au siècle précédent, se décline à travers de nombreuses publications consacrées au statut des femmes, à leurs devoirs et à leurs droits. en plus de ces écrits, font rage de nombreux débats sur le mariage et sur l’éducation des petites filles. celles-ci doivent-elles, comme le veut la tradition, être gardées à la maison, loin des réalités du monde extérieur, où on leur enseignera le chant, la broderie et les bonnes manières, ou doivent-elles recevoir une éducation comme celle des garçons et s’instruire de sciences, de politique et de littérature ? Si les défenseurs de la tradition sont nombreux et s’offusquent de ce que de plus en plus de femmes accèdent dorénavant à des fonctions qui leur étaient jusque-là interdites, leurs opposants sont presque tout aussi nombreux, notamment chez les nobles et les cittadini. Ainsi, pour peu 9 Id., p. 202.

que leur père les y encourage, nombre de fillettes et de jeunes filles de bonne famille reçoivent une éducation riche, abordant tout à la fois les domaines de la géographie, des mathématiques, de la philosophie et de la poésie. Plus tard, plusieurs de ces jeunes femmes éclairées, telles caterina Dolfin tron ou Isabella Albrizzi, tiendront des salons littéraires dans leurs casini, écriront des ouvrages scientifiques ou poétiques, participeront à diverses activités d’édition. certaines, comme Rosalba carriera, deviendront artistes et auront un succès rayonnant.

Par ailleurs, toutes n’ont pas cette chance. L’éducation des jeunes filles de la classe populaire demeure limitée et, dans les couches supérieures, il est fréquent que le père de l’enfant ne voie pas d’un bon œil son émancipation intellectuelle. complètement soumises à l’autorité paternelle, nombre de jeunes femmes sont donc confinées à

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Pietro Longhi, La Sainte Famille. Vers 1752.

Pietro Longhi, La matinée des femmes de Venise. Vers 1741.

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la maison, dans l’attente docile du mariage ou de l’entrée au couvent. La prise du voile était souvent forcée, comme le raconte dans ses écrits acerbes sœur Arcangela tarabotti, contrainte par son père de se retirer dans un monastère. Même si ces lieux n’étaient pas aussi austères qu’on pourrait le croire – on relate de nombreuses fêtes données entre leurs murs et, dans certains, beaucoup de permissions de sortie étaient accordées –, ils représentaient, pour beaucoup, une prison. Le mariage, qui est « avant tout, affaire économique, non pas affaire de sentiments »10, est souvent tout aussi contraignant.

À l’exception de certains jeunes gens appartenant à la classe des popolani, qui peuvent se fréquenter puis se marier par amour, les vénitiens contractent des mariages de raison où fortune et réputation sont en jeu. Passant du joug paternel à l’autorité de son mari, la femme est investie de bien peu de liberté. Seul le veuvage paraît une issue enviable, les veuves ayant de l’honorabilité, on leur accorde la possibilité de gérer librement leurs affaires, notamment dans le domaine commercial. Par ailleurs, le tableau n’était évidemment pas tout noir : il existait bien des mariages heureux où, seule ou avec son mari, une femme pouvait s’engager dans une carrière. Les domaines de l’édition et du théâtre étaient particulièrement propices à cet épanouissement, malgré des conditions matérielles parfois difficiles. Par exemple, l’actrice Madame Medebach jouait dans la troupe de son mari (troupe pour laquelle Goldoni écrivait au début de sa carrière) et participait aux diverses décisions liées à celle-ci.

10 Id., p. 213.

Ainsi, entre, d’une part, l’épanouissement intellectuel, artistique et social et, d’autre part, un désir de liberté trop souvent entravé, le portrait de la condition féminine à venise au XvIIIe siècle est fort contrasté. et l’écriture de Goldoni joue de ce contraste. comme le remarque Élisabeth Ravoux-Rallo, son théâtre « donne un rôle privilégié aux femmes et en offre une image à la fois triomphante et dominante, même si c’est parfois avec une certaine ironie d’homme, une certaine réserve »11. Les femmes apparaissent nombreuses dans les comédies de l’auteur et leurs visages sont variés :

Des ménagères suspicieuses, inquiètes des manières indépendantes d’une veuve que leurs maris fréquentent trop assidûment à leur goût (Les Femmes jalouses) ; des femmes exclues de certaines réunions secrètes de leurs hommes, qui n’ont de cesse d’être éclaircies sur ce mystère (Les Femmes curieuses) ; des jeunes filles de bonne humeur qui décident,

11 Ravoux-Rallo, e. (1984). La femme à Venise au temps de Casanova. Paris : Éditions Stock, p. 43.

Teatro San Samuele, Venise, par Gabriel Bella 1730-1799.

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le temps d’un carnaval, de se divertir honnêtement en jouant un tour à un étranger (Les Femmes de bonne humeur) ; des servantes qui se coalisent contre leurs patrons mauvais payeurs (Les Cuisinières). et une belle aubergiste qui part en guerre contre les hommes en se mettant elle-même au défi de séduire un chevalier misogyne, comme une grande coquette sans scrupule pour qui la vraie liberté consiste d’abord à ne pas tomber amoureuse (La Locandiera)12.

À travers les personnages de femmes qu’il dessine, c’est, encore une fois, un regard lucide sur son époque que l’auteur propose. Adoptant une position ambiguë, prenant tantôt le parti des femmes désireuses de s’émanciper, faisant tantôt preuve d’un certain traditionalisme, Goldoni met au premier plan certaines réalités, notamment l’opportunisme des sigisbées13 qui n’en ont qu’après la fortune de leur dame, ou encore le fléau des mariages forcés qui broient bien des aspirations. La critique de l’entrée imposée au couvent se fait plus discrète (il n’est pas permis de l’évoquer sur scène) et, de loin en loin, un personnage est conduit en « retraite » -- c’est l’euphémisme choisi. Ainsi, oscillant entre la critique de certaines pratiques culturelles et l’adhésion à certaines autres, le théâtre de Goldoni se fait le miroir d’une société ambivalente à l’égard de la femme tout comme à l’endroit des nombreux 12 Decroisette, F. Op. cit., p. 199.13 chevalier servant qui accompagne officiellement et au grand jour une

femme mariée.

Monument à Carlo Goldoni par Antonio Dal Zòtto, Venise (1883).

bouleversements sociaux qui l’agitent. L’inscription soutenue de ces derniers dans chacune des comédies de l’auteur fait de celui-ci un artiste pleinement engagé dans les tribulations de son époque, un créateur au diapason de son temps.

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Une importante partie de la vie de Goldoni s’est déroulée à venise, une ville reconnue de tout temps pour son effervescence artistique. Au XvIIIe siècle, alors qu’un lent et inexorable déclin politique et économique ronge la Sérénissime, le monde des arts semble former un bastion de résistance : sept théâtres, très fréquentés, sont disséminés dans la ville et de nombreuses représentations se jouent en plein air. La musique, à toute heure, résonne dans les églises et les palais, et se fait entendre sur les places publiques. Les résidents de la ville, comme les visiteurs étrangers, sont nombreux à goûter les concerts et les spectacles, somptueux ou de fortune, souvent arrimés aux fêtes du carnaval. La peinture n’est pas en reste. elle connaît une période faste grâce à la sensibilité et au talent des artistes qui, tels canaletto, Francesco Lazzaro Guardi, Pietro Longhi, Giambattista tiepolo ou Rosalba carriera, font émerger des goûts et des styles nouveaux. Qu’ils réinventent l’art de la fresque, s’attachent à la miniature et au portrait ou cherchent à représenter la vie intime et le quotidien, ces peintres, souvent reconnus et appréciés à l’étranger, participent à l’ébullition de la vie artistique vénitienne.

Giambattista Tiepolo a vu le jour à venise en 1696. Dernier des six enfants d’un capitaine de la marine marchande, qui le fait orphelin à un an, il découvre très tôt l’art pictural et fréquente assidument le milieu bourdonnant des peintres vénitiens d’esprit baroque, notamment Giovanni battista Piazetta et les trois frères Guardi. Après son apprentissage à l’atelier de Gregorio Lazzarini, il met rapidement en place un style unique, marqué par l’expressivité exacerbée de la composition. « Fresquiste virtuose […], [il] allie aux somptueux effets de luminosité et de théâtralité des exubérances formelles qui

sont une apothéose de l’âge baroque. comme un livre d’images précieuses, sa peinture exalte les splendeurs d’un monde aristocratique »1. Dès le début des années 1720, il se lance dans l’exécution de fresques gigantesques, un domaine où il laissera sa marque. Deux aspects caractérisent son style : la netteté des personnages et l’extraordinaire luminosité des fonds de ciel, lesquels occupent une part immense du tableau. vibrante, chatoyante, la lumière domine la composition comme si elle était elle-même le personnage principal de la scène représentée. Dans les années qui suivent ses débuts prometteurs, la popularité de tiepolo va grandissant. À venise, les commandes ne cessent de pleuvoir. Apprécié des nobles et du pouvoir ecclésiastique, il orne de ses fresques les murs des palais et des églises. Séduit par les fastes de la ville et par la vie mondaine, il est de toutes les fêtes. cela ne l’empêche toutefois pas de poursuivre une très prolifique carrière artistique et de produire nombre de chefs-d’œuvre, parmi lesquels les fresques pour la Scuola Grande dei carmini (1740-1744) et les célèbres fresques d’Antoine et Cléopâtre au palais Labia. Durant la dernière partie de sa vie, il fait plusieurs séjours à l’étranger où sa peinture est également très prisée, notamment en Allemagne. en 1761, il part pour l’espagne où, pendant cinq ans, il décore trois des plafonds du palais royal de Madrid. Son style, bien que toujours empreint d’attention pour la luminosité, change : les compositions se font inquiètes, nimbées de mysticisme ou d’allusions à la mort. Il s’éteint à Madrid en 1770. Figure majeure de l’art du XvIIIe siècle, source d’inspiration de nombreux peintres, dont Goya, il laisse une œuvre où se marient admirablement maîtrise technique et sensibilité expressive. 1 www. Larousse. fr/encyclopedie

Artistes contemporains de goldoni

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Pietro Falca, dit Pietro Longhi est le plus célèbre peintre du courant baroque italien. Né à venise en 1701, il y reste presque toute sa vie, attachant sa carrière artistique aux battements de cœur de la Sérénissime. Alors que plusieurs de ses contemporains, comme canaletto (1697-1768), embrassent le « védutisme », un style qui traduit la beauté des monuments et des paysages urbains, Longhi se tourne vers la société des hommes. Il participe à un nouveau mouvement qui, dans les arts figuratifs, troque les sujets historiques ou religieux pour la représentation de la vie quotidienne. c’est au retour d’un séjour à bologne, dans l’atelier du peintre balestra, qu’il développe peu à peu son style propre. Après s’être adonné sans bonheur à la fresque et à la peinture décorative, il s’initie au portrait et à la scène de genre, inspiré notamment par les estampes délicieusement expressives du peintre anglais William hogarth. Dès lors, animé par le souci de représenter fidèlement son époque, à la manière d’un mémorialiste, il traduit en peinture, avec minutie, diverses réalités

quotidiennes. comme tiepolo, il accorde une grande attention à la lumière mais son regard est moins tourné vers le ciel que vers le ventre de la ville. contrairement aux védutistes, il sillonne les rues, entre dans les maisons, croque des scènes qu’il représentera ensuite sur la toile avec des traits délicats, étalant ses couleurs claires avec de petits pinceaux de miniaturiste. Les personnages qu’il peint appartiennent autant à l’univers des palais qu’à celui des maisons du peuple. Ses thèmes de prédilection sont les scènes familières, les concerts, les spectacles de rue, de même que les moments intimes qui rythment la journée : toilette des enfants ou conversation au salon.

À la manière de Goldoni, avec lequel il noue une longue amitié, il pose sur les hommes, en particulier les biens nantis, un regard teinté d’ironie, notamment « dans la description de personnages richement vêtus, dans leurs appartements, guindés dans leur vie de luxe et de farniente »2. or, contrairement à l’auteur de théâtre, qui n’épargne pas de ses satires cette société déliquescente, Longhi représente ses semblables avec une sorte de bienveillance. chez lui, la moquerie, comme dans les célèbres tableaux L’Arracheur de dents (1746) ou Le Rhinocéros (1751) n’est jamais lapidaire mais délicate, teintée de fraîcheur. Il meurt à venise en 1785, au terme d’une longue vie dédiée à la représentation fidèle de son époque.

Rosalba Carriera est née en 1675 à chiogga, ville où Goldoni a passé une partie de sa jeunesse. elle est l’une des premières miniaturistes européennes. elle exerce d’abord son art à venise à une époque qui, certes, accordait beaucoup de liberté aux femmes mais où peu d’entre elles étaient pleinement engagées dans une carrière de peintre. Sa trajectoire artistique, de même que l’immense succès remporté par ses tableaux, sont donc exceptionnels. elle abandonne très tôt l’art 2 www.italie-découverte.com

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Pietro Longhi

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de la miniature, où pourtant elle excelle, pour se consacrer quasi exclusivement à la pratique du portrait, caractérisé chez elle par le raffinement du trait et l’extrême attention portée au détail et à l’expressivité. Son style, quoique marqué par l’influence du rococo vénitien, notamment par la peinture de son beau-frère Gian Antonio Pellegrini, est unique : le trait est sûr, régulier, mais empreint de légèreté. Une sorte d’évanescence, due à l’usage exclusif du pastel, se dégage de chacun de ses tableaux. À ce style « appartiennent les couleurs claires et aérées, le sfumato des formes, comme effrangées, la sensibilité mondaine et souriante, mais très cordiale et humaine, la grâce poudrée des dames et des chevaliers »3.

Si, contrairement à Longhi, elle ne teinte pas d’ironie ses représentations d’hommes et de femmes du monde, elle partage avec ce dernier un souci pour le réalisme du rendu. Les visages affichent mille détails, et, les regards, malgré la légèreté et la clarté des couleurs, sont vifs, ou profonds, et révèlent la complexité du monde intérieur du personnage. Peignant directement

3 Laclotte, Michel et Jean-Pierre cuzin (Dir.), Dictionnaire de la peinture, Paris, Larousse, 2003, p. 158.

sur la toile, sans effectuer de dessin préalable, carriera lance la mode du pastel en europe, en particulier à Paris, où elle effectue un séjour en 1720. Là, du matin au soir, elle est accablée de demandes qu’elle peine à remplir : tous les mondains, toutes les belles dames de la Régence désirent obtenir leur portrait. elle exécute, entre autres, ceux du jeune roi Louis Xv, du Régent, des princesses de conti et de bien d’autres jeunes femmes dont l’histoire n’a pas conservé le nom. Son influence est grande, et durable, sur les portraitistes français. en 1723, elle se retrouve à la cour d’este à Modène, en Italie, et en 1730 à vienne. elle meurt à venise en 1757, laissant une œuvre toute en finesse, nimbée de sensibilité.

Antonio Lucio Vivaldi est né à venise en 1678. celui qu’on surnommait « le prêtre roux » à cause de sa chevelure flamboyante a créé une œuvre musicale foisonnante qui a profondément influencé ses contemporains et plusieurs compositeurs

Rosalba Carriera, auto-portrait, 1715

Portrait par François Morello de La Cave, 1723, d’un violoniste vénétien considéré comme étant Vivaldi.

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européens des générations suivantes, notamment bach et telemann. vivaldi était d’abord un violoniste virtuose. Aussi, bien qu’il ait écrit plusieurs concertos de soliste pour d’autres instruments (piccolo, hautbois, basson, mandoline, viole d’amour…), et bien qu’il ait composé des cantates, de la musique lyrique et de la musique sacrée, il s’est fait connaître avant tout grâce à ses pièces pour violon. très prisée en Italie, sa musique a aussi enchanté, plusieurs années durant, les mélomanes de toute l’europe, grâce au travail des copistes et des imprimeurs. Impresario du teatro San Angelo de venise pendant plusieurs années, vivaldi y fit jouer plusieurs de ses opéras. compositeur prolifique, il se targuait de pouvoir écrire un concerto plus rapidement que le copiste ne pouvait le transcrire ! en juillet 1741, au soir d’une vie entièrement consacrée à la musique, il s’éteint dans la misère, à vienne, et est enseveli le jour même dans le cimetière de l’hôpital. Sa dépouille est accompagnée par le « glas simple » réservé aux gens de modeste condition ou aux personnes seules et sans attaches. Il sombre rapidement dans l’oubli. L’époque baroque, en effet, « considère que l’œuvre d’art ne vaut que

dans l’instant et meurt avec son créateur »4. ce n’est qu’au XIXe siècle que le compositeur est redécouvert grâce à des retranscriptions réalisées à l’étranger. Son œuvre, immense, solaire, ne sort pleinement de l’obscurité qu’au siècle suivant. Ses Quatre Saisons comptent aujourd’hui parmi les pièces les plus jouées au monde.

S’il est vrai que la période baroque exalte l’instant présent et que nombre de créateurs, à l’instar de vivaldi et de Goldoni, disparaissent dans l’indifférence, l’art du XvIIIe siècle ne s’inscrit pas dans l’éphémère. Grâce au travail patient de ceux qui l’ont redécouvert, perpétué, ou réinventé, parvient aujourd’hui jusqu’à nous une sensibilité artistique qui, à travers ses multiples déclinaisons, à ouvert la voie à de nouvelles représentations du monde. Des représentations qui, s’éloignant de la figuration des mythes profanes et religieux, se sont attachées à montrer la réalité des hommes et des femmes de leur temps, révélant leur beauté de même que leurs failles et leurs fragilités.

Catherine Cyr

4 Patrick barbier, La Venise de Vivaldi. Musique et fêtes baroques. Paris, Grasset, 2002, p. 261.

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1673 Mort de Molière

1678 Naissance de vivaldi

1688 Naissance de Marivaux

1696 Naissance de tiepolo

1697 bannissement des acteurs italiens de France. Leur retour est autorisé en 1716

1701 Naissance de Longhi

1707 Naissance de Goldoni

1714 Les turcs déclarent la guerre à venise

1720 Naissance de Gozzi Inauguration du haymarket theatre Royal de Londres

1725 Naissance de casanova

1729 La Passion selon saint Matthieu de bach

1732 Naissance de beaumarchais

1732 Goldoni devient avocat au barreau de venise

1734 engagement au théâtre San Samuele

1736 venise devient port franc

1737-1741 Goldoni dirige le théâtre San Giovanni crisostomo

1738 Paix de vienne

1741 Le Messie de händel

1741-1743 Goldoni est consul de la République de Gênes à venise

1744 La Donna di garbo (La Brave Femme) : premier texte de Goldoni entièrement rédigé

1745 Goldoni à Pise comme avocat

1748 Goldoni signe un contrat avec Girolamo Medebach pour le théâtre Sant’Angelo

1749 Début de la rivalité Goldoni / chiari

1750 La Famiglia de il antiquario (La Famille de l’antiquaire) premier texte de Goldoni joué sans masques. Goldoni écrit seize comédies en un an pour le Sant’Angelo

1751 Publication en France des deux premiers volumes de l’Encyclopédie

le xviiie siècle : quelques repères

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dossier

1753 Goldoni signe un contrat avec les frères vendramin pour le théâtre San Lucacréation de La Locandiera

1756-1763 Guerre de sept ans entre l’Angleterre et la France

1757 Luttes Goldoni / Gozzi. Gozzi compose ses Fables théâtrales pour le théâtre San Samuele

1758 Lettre sur les spectacles de Rousseau

1759 ouverture du premier théâtre public en Russie

1761 L’Amour des trois oranges de Gozzi

1762 exil de Goldoni en France ; Fusion de la comédie-Italienne avec l’opéra-comique ;Le Roi Cerf et Turandot de Gozzi

1763 Mort de Marivaux

1764 construction du théâtre de Drottningholm à Stockholm

1765 L’Éventail de Goldoni triomphe au théâtre San Luca. Goldoni est à versailles, maître de langue de la princesse Adélaïde, fille de Louis Xv

1767 Naissance de Napoléon

1771 Présentation du Bourru bienfaisant à Paris, à la comédie-Française

1773 Le Paradoxe sur le comédien de Diderot

1776 Déclaration d’indépendance des colonies américaines

traduction française des œuvres de Shakespeare

1778 Inauguration du théâtre de la Scala à Milan

1783 Paix de versailles et naissance des États-Unis d’Amérique

1784 Goldoni commence à écrire ses Mémoires en français

1789 Déclenchement de la Révolution française. Lodovico Manin, 120e et dernier Doge

1793 Mort de Goldoni à Paris

1797 traité de campo Formio. L’Autriche reçoit venise et ses territoires en échange de la belgique et de la Lombardie. La France annexe corfou, zante et céphalonie

Sources : Françoise Decroisette, Venise au temps de Goldoni, hachette 1999 Nicola Mangini, Goldoni, Seghers 1969

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POUR EN SAVOIR PLUS...

sur carlo goldoni Les fourmillants Mémoires du dramaturge italien ont abreuvé, en partie, l’élaboration de Commedia. Dans cet ouvrage rédigé à la fin de sa vie, l’auteur raconte son long parcours d’homme de théâtre, depuis son enfance sous le signe du spectacle jusqu’aux succès et aux tumultes de sa longue carrière. cultivant la nostalgie de l’Italie, il en brosse aussi un portrait idéalisé. Il existe plusieurs éditions de l’ouvrage. À la Grande bibliothèque de Montréal, on peut trouver celle établie et annotée par Paul de Roux : Mémoires de M. Goldoni pour servir à l’histoire de sa vie et à celle de son théâtre, Paris : Mercure de France, 2003 (1988).

Gérard Luciani, professeur à l’Université Stendhal de Grenoble et spécialiste du théâtre vénitien est l’auteur d’une monographie à la fois accessible et très minutieuse portant sur la vie de Goldoni comme sur son théâtre. Le chercheur présente, notamment, le contexte artistique et socio-politique dans lequel a pris naissance la réforme théâtrale goldonienne. Il met en lumière plusieurs aspects de celle-ci avec de nombreux exemples tirés des pièces de l’auteur. L’ouvrage s’intitule Carlo Goldoni ou l’honnête aventurier. Il est publié aux Presses Universitaires de Grenoble (2002).

Un dossier de la revue JEU a été consacré à La Locandiera de Goldoni, monté au tNM par Martine beaulne. Dans ce dossier, on lira, en particulier, l’article de Giuseppina Santagostino, « carlo Goldoni et sa double réforme », p. 9-16. Les Cahiers de théâtre JEU, no 70, 1994.1.

Le Cahier no 80 (Automne 2011) du Théâtre Denise-Pelletier a été consacré à la production d’Il Campiello de Goldoni, production du théâtre de l’opsis et mise en scène de Serge Denoncourt.

sur venise au xviiie siècle Professeure de langue et de civilisation italiennes à l’université de Paris-vIII, Françoise Decroisette signe un ouvrage incontournable, richement documenté, sur la vie à venise au XvIIIe siècle. Spécialiste du théâtre et de l’opéra italiens, l’auteure allie, dans ce livre intitulé Venise au temps de Goldoni (Hachette, 1999), la mise en perspective historique et des citations tirées de l’œuvre du dramaturge et

de certains de ses contemporains. Les systèmes économique et socio-politique y sont abordés, de même que divers aspects de la pratique artistique et de la vie quotidienne.

Intéressée par la condition féminine à venise au XvIIIe siècle, elisabeth Ravoux-Rallo, qui enseigne la littérature comparée à l’université de Provence, a écrit La Femme à Venise au temps de Casanova (Stock, 1984), imposant ouvrage qui expose les ambitions, les luttes et les créations de nombreuses femmes, que celles-ci appartiennent à la classe populaire ou à la noblesse. Son étude est d’autant plus passionnante qu’elle fait une large place à des textes originaux et méconnus, écrits par les femmes elles-mêmes.

sur le théâtre Dirigé par Daniel couty et Alain Rey, l’ouvrage collectif Le théâtre (Bordas, 1995) comporte un chapitre intitulé « La commedia dell’arte : l’acteur au centre de la création ». cette étude présente la commedia dell’arte et ses spécificités, de son origine jusqu’à son déclin. en outre, ses pages sont magnifiquement illustrées par des dessins et reproductions de tableaux de l’époque.

Pour une recherche d’informations précises, qu’elles soient historiques, esthétiques ou terminologiques, on consultera le Dictionnaire du théâtre dirigé par Patrice Pavis et publié aux Éditions Armand colin.

Autres titres barbier, Patrick (2002), La Venise de Vivaldi. Musique et fêtes baroques. Paris, Grasset.

Jonard, N. (2002), Histoire de la littérature italienne. Paris, ellipses.

Laclotte, Michel et Jean-Pierre cuzin (Dir.) (2003), Dictionnaire de la peinture. Paris, Larousse.

Luciani, G. (1992), Carlo Goldoni ou l’honnête aventurier. Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble.

Nardone, J.-L. et A. Perli (2002), Anthologie de la littérature italienne, 2, XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles. toulouse, Presses Universitaires du Mirail.

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POUR ALLER PLUS LOIN

en musique Le Musée des beaux-arts de Montréal a présenté du 12 octobre 2013 au 19 janvier 2014 une grande exposition intitulée Splendore a Venizia – Art et musique de la Renaissance au baroque à Venise. Plusieurs des artistes contemporains de Goldoni, des peintres comme des musiciens, y étaient à l’honneur. Pour accompagner l’exposition, un très beau disque compilation de quinze pièces de grands compositeurs a été produit. Sur celui-ci, on retrouve, notamment, des œuvres d’Antonio vivaldi, claudio Monteverdi, Giovanni Gabrieli et tomaso Albinoni. Le titre du disque est Splendore a Venezia et il est coproduit par la maison montréalaise Atma et le Musée des beaux-arts de Montréal.

Au cinéma bien des œuvres cinématographiques ont eu pour cadre, au fil du temps, les rues et les places de venise. Filmée sous tous ses angles, les plus somptueux comme les plus décadents, la Sérénissime a été à l’honneur dans des films de Federico Fellini (Casanova), Luchino visconti (Mort à Venise, Senso), Michelangelo Antonioni (Identification d’une femme) et, plus récemment, Woody Allen (Tout le monde dit I love you) et André Téchiné (Impardonnables).

sur le théâtre italien Le chercheur Stéphane Resche a fait paraître, récemment, un article portant sur la foisonnante dramaturgie italienne actuelle. L’auteur présente quelques écrivains phare et aborde les dimensions thématiques et esthétiques des pièces de même que certains aspects reliés à leur contexte de production. L’article s’intitule « Nouvelles énergies sud-italiennes ». Il est paru dans JEU Revue de théâtre, no. 149, 2014.1

détecter, lors de la représentation, les scènes …Les scènes à l’école. Goldoni est renvoyé de son collège. Il a le trac parce qu’il doit passer un méga examen.

Les scènes entre Goldoni et son père qui veut lui faire apprendre un métier qu’il n’aime pas.

Les scènes avec sa mère sur des femmes qu’il devrait épouser alors qu’il en aime d’autres.

… et les moments …De poésie…

De fureur et d’hypocondrie mais toujours branchés sur une souffrance morale (sentiment de rejet, de solitude, d’incompréhension)

De réflexions sur l’écriture qui sont orageuses et qui relèvent d’une guerre des générations.

… et les façons d’écrire.Les scènes sont extrêmement courtes, le rythme rapide, pour ne pas dire effréné.

La structure n’est pas linéaire ; c’est parfois comme surfer sur internet.

Les scènes «sérieuses» sont toujours placées entre deux scènes de jeunesse...

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MotsBasta ! : tant pis ! Ça suffit ! Au diable ! Un benêt : Un idiot.Bichonner : caresser, embrasser, chouchouter, prendre soin de… Un bigot : Quelqu’un de très religieux. Bougre, sodomite, Jésuite, Chevalier de la Manchette : homosexuel. Castelet : Petit théâtre de marionnette.Un censeur : Quelqu’un qui lit les pièces pour enlever des extraits qui ne conviennent pas aux règlements, lois, mœurs établis. Il peut aussi la faire interdire.Une charge : Un travail, une fonction effectuée pour la République. Lorsqu’un membre de la famille mourrait, il fallait payer pour permettre à un parent de prendre sa place.Une Donna : Une dame.Une dot : Montant d’argent que la femme (ou son père) donnait à son mari lors du mariage.Encorner, Se faire poser des cornes : Être cocu. c’est-a-dire être trompé (infidélité conjugale) par sa femme. Exécrable : Détestable. Mauvais. Fourbe : Malhonnête. Son génie : Son talent. Gondolier : Qui pilote une gondole. Petit bateau allongé, conduit à la rame.Hypocondriaques : Des gens qui imaginent qu’ils sont malades. Un lourdeau : Un maladroit, un idiot Médisances : Des propos méchants (sur quelqu’un d’autre), faux, des racontars. Minauder : Être affecté, jouer à la petite fille. Des missives : Des lettres. Des messages. Une muse : Qui inspire. Donne des idées. La muse souffle à l’oreille du poète ce qu’il doit écrire. Un prétendant : Un amoureux (qui prétend à la main d’une femme ou à son amour). Des pleutres : Des peureux.

Les Plombs : Prison de venise. Annexe au Palais des Doges. Un protecteur : Un mécène. Quelqu’un qui offre de l’argent à un artiste pour qu’il réalise une œuvre d’art. et qui à cette époque «défendait» l’artiste si celui-ci rencontrait des difficultés avec la censure ou la Justice. Un puceau : Un garçon qui n’a jamais fait l’amour. Une réforme : Un grand changement. Une rente : Montant d’argent versé de façon régulière. Satyre : Personnage lubrique, obscène, vicieux. Ne pas confondre avec une satire qui est une parodie, une imitation parfois méchante de quelqu’un ou quelque chose. Des sequins : ce sont des pièces de monnaie. De l’argent. Une soubrette : Une servante. Un personnage souvent amusant et gai. Peut être fourbe parfois.Suave : Doux.

expressionsAvoir grand souci : Faire grand cas de quelque chose. y accorder une grande importance. Brisons-là !: Mettre un terme à une discussion. Arrêter de parler de quelque chose. Donner une pièce : La jouer, la présenter. Faire la lippe : bouder.Je me suis échiné : J’ai travaillé très fort.La pièce est tombée : elle n’a pas eu de succès, on ne la présente plus. Mener grand train : vivre luxueusement.On n’y comprend goutte : Ne rien comprendre ! Quelqu’un de basse extraction : Qui n’est pas de la noblesse ou d’une grande famille. S’attirer les faveurs : Les bonnes grâces, l’affection, l’aide de quelqu’un. Un joli minois : Un joli visage.

Établi par Pierre Yves Lemieux, janvier 2014

PETIT LEXIQUE