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Les actes des ateliers At e li e r d e la concurre nce du 23 jui n 2 0 0 9 Les actes des ateliers Les restrictions verticales

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Les actes des ateliers

Atelier de la concurrence du 23 juin 2009

Les actes des ateliersLes restrictions verticales

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Les actes des ateliers

Présidé par : Patrick Rey, professeur à l’école d’économie de Toulouse et Anne Wachsmann, avocate, cabinet Linklaters

Introduction .................................................................................................................................................... 3

Nathalie Homobono, directrice générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes.

Présentation de la modernisation des restrictions applicables aux restrictions verticales ...... 5

Andréi Gurin, DG Concurrence, coordinateur des politiques

La fin des exceptions sectorielles : une même règle pour tous est-elle possible ? ...................... 9

Anne Wachsmann

Enjeux économiques de la modernisation .............................................................................................. 13

Patrick Rey

Focus n° 1 : la réforme du règlement automobile ................................................................................ 17

Jacques Gauthier, directeur droit économique et social, PSA Peugeot Citroën

Focus n° 2 : mieux prendre en compte le comportement des consommateurs ............................. 20

Eliana Garces Tolon, membre du cabinet de Meglena Kuneva, commissaire en charge de la protection des consommateurs, Commission européenneFrancis Amand, chef du service de la régulation et de la sécurité

Débat ................................................................................................................................................................ 24

Conclusion ....................................................................................................................................................... 24

Francis Amand

Les actes des ateliers

Atelier de la concurrence du 23 juin 2009

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Atelier du 23 juin 2009

de l’Économie, relevait de l’organisation de service public et donc de la compétence du juge administratif.

La solution dégagée par la Cour d’appel de Paris est tout autre.

Pour cette Cour, la singularité de l’affaire réside dans le fait que les activités concernées, concurrentielles ou de service public, ont en réalité une seule et même nature, à savoir le transport de passagers vers et en provenance de l’île d’Yeu. La Cour en déduit que la thèse retenue jusqu’alors d’un marché pertinent saisonnier réduit à la seule période estivale, n’est pas fondée. De la même manière, la Cour estime qu’un test de prédation qui consisterait à évaluer et à ventiler des coûts dans le but de vérifier l’existence de subventions croisées est tout simplement inopérant, en l’absence de deux activités distinctes.

En définitive, la Cour d’appel retient qu’elle n’a pas d’élé-ment suffisamment fiable lui permettant d’affirmer que la régie départementale aurait une position dominante sur un marché clairement défini, ni qu’elle aurait pu en abuser.

L’originalité de cette décision pose question.

N’y aurait-il pas, de la part de la Cour, une réticence à trancher la question du marché pertinent et à admettre que la régie départementale pourrait disposer d’une position domi-nante sur un marché déterminé, quand dans le même temps, l’analyse de ce marché pertinent que développe la décision, tendrait à renforcer cette hypothèse ?

Autre point intéressant, le fait que la Cour revendique un total abandon de la grille d’appréciation de la prédation ta-rifaire, utilisée par elle-même en première instance, laissant par-là même entendre qu’il n’existerait pas à ce jour d’outil d’évaluation adapté à des cas similaires. Elle exclut, semble-t-il, également l’application de tests dit « Akzo ». Enfin, elle ne répond pas directement à l’objection soulevée par la Cour de cassation, qui par un surcroît d’exigence semblait, de son côté, pourtant donner raison à l’application du test des coûts incrémentaux au cas d’espèce.

Sur les trois affaires touchant d’autres domaines, la pre-mière concerne le jugement rendu par la Cour de cassation le 20 mai dernier sur le sujet des saisies informatiques. Cette décision censure l’ordonnance du juge des libertés et de la détention, (JLD) du TGI de Nanterre, en date du 17 juillet 2007 dans l’affaire Scherring-Plough, le TGI de Nanterre étant la seule juridiction à critiquer les pratiques de saisies informati-ques développées par la DGCCRF. Tous les autres JLD avaient validé ces méthodes approuvées une première fois par la Cour de cassation le 12 décembre 2007 dans l’affaire SITA.

La pratique de la DGCCRF en la matière consiste à procéder à une saisie globale des messageries, dès lors qu’un examen sommaire de celles-ci révèle que des documents, entrant dans le champ de l’autorisation donnée, y figurent.

Dans cet arrêt, la Cour de cassation reproche au JLD de Nanterre d’avoir annulé les saisies en adoptant une motiva-tion trop vague. La Cour précise ainsi qu’il appartenait au

IntroductionNathalie Homobonodirectrice générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes

En matière de concurrence, l’actualité récente a repris pro-gressivement ses droits et beaucoup de vigueur, à l’issue d’une période qui était, elle, plus largement dominée par le thème de la réforme institutionnelle qui nous a beaucoup occupés au long de l’année 2008 et début 2009.

Quatre décisions récentes, de la Cour d’appel de Paris, et de la Cour de cassation, méritent d’être signalées. L’une, à propos d’une question de fond, les trois autres touchant des points importants qui tiennent soit aux pouvoirs d’enquête, soit à la procédure.

La première décision concerne l’affaire de la desserte mari-time de l’île d’Yeu et l’arrêt de la Cour d’appel de Paris rendu à la suite d’un renvoi, après Cassation. Cet arrêt du 9 juin réserve un certain nombre de surprises. La Cour d’appel était appelée à se prononcer pour la seconde fois sur le fait de savoir si la régie départementale, qui assure la liaison toute l’année au titre de sa mission de service public, pratiquait des prix pré-dateurs en période estivale, afin d’évincer la concurrence des compagnies privées.

En 2004 et 2005, le Conseil de la concurrence et la Cour d’appel de Paris avaient écarté cette hypothèse. Sur la foi de plusieurs expertises, ils avaient en effet, l’un et l’autre consi-déré que la pratique de prédation n’était pas constituée, dès lors qu’il apparaissait que les tarifs pratiqués par la régie pour son activité concurrentielle couvraient l’ensemble des charges exposées durant la période estivale, abstraction faite évidemment des coûts inhérents à la réalisation de sa mission de service public.

Ce faisant, aussi bien le Conseil que la Cour avaient ap-pliqué le test dit « des coûts incrémentaux », élaboré par la Commission européenne dans sa décision du 20 mars 2001, Deutsch post AG, test qui permettait d’apprécier si un opéra-teur faussant la concurrence en subventionnant des activités réalisées sur un marché concurrentiel par des excédents pro-venant de son activité services publics.

Le 17 juin 2008, la Cour de cassation a censuré l’arrêt de la Cour d’appel, au motif que le raisonnement adopté par la Cour ne permettait pas de vérifier l’adéquation de la flotte exploitée par la régie pendant la période estivale, aux besoins de l’exécution du service public. C’est le problème du dimen-sionnement de la flotte.

A ce sujet, le représentant du ministre chargé de l’Éco-nomie avait observé, devant la Cour d’appel, qu’un éventuel surdimensionnement du service public pourrait constituer une circonstance de nature à réduire de manière artificielle le coût incrémental des activités concurrentielles de la régie. Mais cette question, selon le représentant du ministre chargé

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Plus récemment, afin de donner une ampleur plus grande à l’action de suivi d’application de la loi de modernisation de l’économie, le gouvernement a demandé à la DGCCRF de mettre en place, en son sein, une brigade de contrôle qui permet aux professionnels de toutes tailles et de tous sec-teurs, et notamment aux plus fragiles, de signaler aux agents de la brigade, les pratiques jugées déloyales dont ils seraient les victimes.

La brigade permettra ainsi de généraliser les contrôles qu’elle effectue à la fois sur les prix et sur le différentiel de prix, entre le prix d’achat et le prix de vente, et de sanction-ner au besoin les manquements. Cette brigade est constituée d’un chef de file régional et d’un interlocuteur identifié dans chacun des départements. Au total, plus de 120 personnes vont être mobilisées et ces moyens vont donc être augmen-tés de 50 % puisque nous avions dimensionné une première équipe d’environ 80 personnes entre le niveau national et les implantations territoriales pour suivre ces sujets. A la suite de la décision du gouvernement, 120 personnes seront déployées pour travailler sur ces questions.

Dernier point pour vous présenter les intervenants de cet atelier.

Tout d’abord je dois vous demander d’excuser Olivier Guersent qui ne peut être présent parmi nous. En effet, Neelie Kroes, Commissaire chargée de la concurrence, lui a demandé de présider ce matin une réunion bilatérale avec les autorités chinoises. C’est donc Andrei Gurin, chargé plus spécifiquement de la question des restrictions verticales à l’unité Politique de l’antitrust et des concentrations et contrôle interne des dé-cisions de la DG concurrence, qui a accepté d’intervenir à sa place, ce dont je le remercie vivement.

Les deux présidents de nos travaux sont Anne Wachsmann qui traitera les aspects juridiques de la problématique et Patrick Rey qui en explorera les enjeux économiques.

Nous aurons ensuite un témoignage et une approche professionnelle du sujet par Jacques Gauthier qui représente Peugeot-PSA.

Enfin, Eliana Garces Tolon, membre du cabinet de Meglena Kuneva, Commissaire chargée de la consommation, traitera la problématique en introduisant le point de vue du consom-mateur. Sa présence permettra de poursuivre le débat qui a été ouvert récemment sur la question de l’application des rè-gles encadrant les restrictions verticales aux ventes par inter-net, débat ouvert lors d’une rencontre récente organisée par l’Autorité de la concurrence. Nous lançons ainsi un nouveau type d’ateliers en mettant les échanges traditionnels entre les juristes et les économistes sous l’œil du défenseur des consommateurs.

JLD, d’une part de rechercher si les supports d’informations saisies concernaient, au moins pour partie, les pratiques sus-pectées, et d’autre part, d’examiner la régularité des saisies. La Cour de cassation a ainsi renvoyé l’affaire devant la Cour d’appel de Paris.

Autre jugement, celui rendu le 29 avril par la Cour d’appel de Paris, qui confirme sa position sur la recevabilité en tant qu’élément de preuve, d’enregistrements téléphoniques par la partie saisissante à l’insu de l’auteur des propos.

En l’espèce, la Cour d’appel n’a pas hésité à résister à la censure de la Cour de cassation, qui avait précédemment jugé dans la même affaire qu’accepter ce procédé comme moyen de preuve violait l’article 6.1 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales.

Pour parvenir à écarter ce moyen de nullité de la procédure, la Cour d’appel a rappelé que l’article 6.1 de la CSDHLF im-pose le respect d’une exigence générale de procès équitable, mais qu’il revient aux droits procéduraux des Etats membres de fixer les moyens de preuve admissibles au regard de cette exigence. La Cour a ainsi estimé que l’efficacité des poursui-tes encourageait à ne pas exclure, a priori, la valeur probante d’enregistrements obtenus par ce procédé. Selon la Cour, per-mettre au contraire qu’un débat contradictoire puisse s’ins-taurer sur l’authenticité et la teneur de ces éléments, ne porte pas atteinte, concrètement, au droit à un procès équitable, au principe du contradictoire et aux droits de la Défense.

Dernier jugement, l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 8 avril 2009 rendu dans l’affaire des défibrillateurs cardiaques. Il pose le principe de la recevabilité des recours incidents formés par le Ministre, à l’égard de toutes les parties présentes devant l’Autorité de la concurrence, y compris celles qui n’auraient pas déposé de recours à titre principal. La Cour a en effet considéré qu’aucune disposition procédurale, législative ou réglementaire, n’interdit au Ministre de réclamer l’aggravation de l’ensemble des sanctions prononcées en première instance par la voie d’un recours incident.

Quelques mots sur la récente brigade de contrôle de la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008, qui a redéfini les relations commerciales dans toute la chaîne, des producteurs aux distributeurs, principalement entre les gran-des surfaces et leurs fournisseurs. L’objectif était double : aug-menter le pouvoir d’achat des consommateurs en renforçant la liberté tarifaire entre les fournisseurs et les distributeurs et rendre ces relations commerciales plus efficaces en supprimant les marges-arrière.

Le suivi de l’application de la loi constitue une priorité de la DGCCRF pour 2009, la première fixée par le gouvernement. Dès le mois d’avril, un plan de contrôle des pratiques commer-ciales a été lancé par mes services. 400 conventions liant des fournisseurs et des distributeurs, couvrant des contrats impor-tants, ont été recueillies et sont en Cours d’examen. Le but est de vérifier que la remontée des marges-arrière s’effectue dans le respect des principes et des objectifs posés par la loi. Nous espérons des résultats assez précis à l’été.

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autorités de concurrence et aux juridictions nationales le pou-voir d’appliquer l’article 81(3) CE. Le règlement a également aboli le système de vérification préalable des accords par la Commission. Par conséquent, le nombre d’affaires traitées par la Commission a largement diminué et le contentieux a été plutôt développé par les autorités nationales de concurrence et les juridictions nationales.

Il n’en reste pas moins que le rôle de la Commission reste important, malgré les transferts et les évolutions voulus et mis en œuvre par le règlement 1/2003. La Commission joue un rôle important dans le réseau européen de la concurrence (REC) et intervient également de plus en plus devant les juri-dictions nationales et communautaires. Le 15 juin 2009, par exemple, la Commission est intervenue en France dans l’af-faire Pierre Fabre où se posaient, devant la Cour d’appel de Paris, des questions fondamentales d’interprétation du droit communautaire. La Commission intervient également régu-lièrement devant la Cour de justice qui se prononce sur des questions préjudicielles.

Maintenant, je voudrais relativiser l’intitulé de notre sujet, du mien notamment. La modernisation a déjà eu lieu en 1999. L’approche alors mise en œuvre a donné des fruits. Maintenant, il s’agit de la mettre à jour, de trouver et d’améliorer l’approche actuelle, plutôt que de la remplacer et de moderniser ce qui a déjà été modernisé par ailleurs. La Commission a déjà com-mencé la révision du règlement d’exemption. Nous espérons publier un texte fin juillet 2009. Par la suite, la Commission lancera une consultation publique de deux mois sur le projet de règlement et de lignes directrices et nous espérons adop-ter les textes début 2010, sachant que le règlement actuel expire le 31 mai 2010.

Faut-il maintenir un règlement d’exemption en sachant que nous nous sommes modernisés du point de vue de la procédure ? On pourrait se demander si ce qui était la fonc-tion des règlements d’exemption avant l’exception légale, le désengorgement des services de la Commission des notifica-tions multiples, a encore sa place dans un système généralisé d’exception légale ?

Un règlement d’exemption en tant qu’instrument juridi-que reste important, notamment parce qu’un règlement est directement applicable dans les ordres juridiques des Etats membres et constitue donc une source d’uniformité d’appli-cation du droit communautaire et cela, peut-être, est sa fonc-tion essentielle dans le cadre de la modernisation qui a suivi le règlement 1/2003. Avec les autorités de concurrence dans l’Europe à 27, il faut une approche cohérente et uniforme d’application du droit communautaire.

Entrons maintenant dans le vif du sujet.

Selon la règle générale de l’article 3 du règlement d’exemp-tion, l’exemption par catégorie s’applique si les parts du marché du fournisseur sont inférieures à 30 %. Par exception à cette règle générale, s’il y a fourniture exclusive, la part de marché pertinente pour vérifier s’il y a une exemption par catégorie est celle de l’acheteur.

Présentation de la modernisation des règles applicables aux restrictions verticales1

Andrei GurinDG Concurrence, Coordinateur des politiques

Le sujet d’aujourd’hui est la modernisation des règles ap-plicables aux restrictions verticales. Je travaille sur ce dossier et je suis de près la réforme.

Tout d’abord, il y a deux dates charnières dans l’évolution des règles applicables aux restrictions verticales.

En 1999, nous avons introduit dans le règlement d’exemp-tion 2790/99 et les lignes directrices sur les restrictions ver-ticales la nouvelle approche plus économique d’un point de vue des règles substantielles. Avant 1999, il y avait l’approche dite « juridique » ou « formaliste ». L’idée était d’une part, de moderniser les règles substantielles, notamment de se concen-trer sur les entreprises dont le pouvoir de marché et dont les comportements ont un effet réel sur la concurrence, et d’autre part d’alléger les coûts administratifs des petites entreprises, notamment des PME.

D’un point de vue juridique, l’approche économique si-gnifie que soit l’autorité de concurrence, soit le demandeur, dans le cadre d’un contentieux privé, doit d’abord prouver les effets restrictifs de la concurrence. Puis, si une restriction de concurrence est établie, le défendeur doit prouver les effi-ciences résultant d’une pratique restrictive de la concurrence selon les conditions de l’article 81(3) CE.

On utilise ici ce que nous appelons le «consumer welfare test». Un élément de nouveauté en 1999 était l’introduction d’un seuil de 30 % de parts de marché en-dessous duquel existe normalement ce que nous appelons une «zone de sé-curité» où existe une présomption de légalité des accords en cause au regard de l’article 81(3) CE. Donc, le bilan net positif de l’accord est présumé, sous réserve des restrictions caracté-risées et des clauses non-exemptables.

La grande modernisation de 1999 a donné de bons résul-tats, parce que le nombre d’affaires en matière de restrictions verticales a largement diminué. La priorité donnée, dorénavant, aux entreprises avec un pouvoir de marché a permis aux autori-tés de concurrence, mais aussi à la Commission, de développer une politique cohérente vis-à-vis des phénomènes de collusion et de verrouillage de marché, tout en prenant en compte les efficiences en général associées aux accords verticaux.

La deuxième date charnière, c’est la modernisation pro-cédurale du règlement 1/2003. Ce règlement confère aux

1. Les opinions exprimées dans cette présentation sont purement personnelles et n’engagent pas la Commission européenne.

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D’autre part, le règlement définit de façon restrictive la notion de fourniture exclusive. On est en présence d’une obligation de fourniture exclusive si le fournisseur a un seul acheteur à l’inté-rieur de la Communauté. C’était la seule possibilité pour prendre en compte la part de marché de l’acheteur au titre de l’exemp-tion par catégorie. L’impossibilité de prendre en compte les parts de marché des deux parties à l’accord s’expliquait à l’époque, en 1999, par l’opposition au critère des parts de marché. Il était très difficile de faire accepter ce critère, notamment à la com-munauté juridique, qui percevait le critère de la part de marché comme source d’insécurité juridique. La solution actuelle était donc un compromis pour ne pas compliquer davantage l’appli-cation pratique du critère des parts de marché. La Commission a donc décidé dans son règlement de prendre en compte juste la part de marché d’une seule partie à l’accord.

Je pense que cette crainte des juristes était injustifiée. Nous nous sommes habitués à regarder les parts de marché et à ré-fléchir en fonction du pouvoir de marché des entreprises.

Aujourd’hui, on pourrait se demander si ce critère se justifie avec notamment le développement de la puissance d’achat des entreprises, ce que nous appelons le « buyer power ». Ainsi, nombre de situations sont couvertes par le règlement d’exemption par catégorie, alors qu’elles ne devraient pas l’être. Par exemple, s’il y a une fourniture exclusive avec un acheteur dominant sur un marché national, mais que l’entre-prise fournisseur a plusieurs acheteurs dans la Communauté, nous regardons la part de marché du fournisseur, mais pas la part de marché de l’acheteur.

Dans ce cas, il y a un fort risque de forclusion du marché de la distribution, alors même que ce genre de situation peut être couvert par l’exemption par catégorie, instituée par le règlement. Le risque ici est ce que nous appelons les « false negatives », c’est-à-dire des situations qui normalement engen-drent un risque pour la concurrence, mais qui sont couvertes par cette présomption de légalité qui est celle du règlement d’exemption.

D’autre part, la solution actuelle pose des difficultés du point de vue des remèdes contre la puissance d’achat car, si un accord est couvert par le règlement d’exemption, alors il n’y a pas de possibilité de recours immédiat devant les juridic-tions nationales parce que seules les autorités nationales de concurrence et la Commission peuvent retirer le bénéfice de l’exemption. La possibilité de recours direct devant un juge na-tional est donc paralysée, parce qu’il faut s’adresser d’abord aux autorités nationales de concurrence ou à la Commission.

Il y a aussi un autre problème : les victimes d’une pratique anticoncurrentielle couverte par le règlement ne peuvent pas intenter un recours en responsabilité parce que le retrait du bénéfice de l’exemption n’a pas d’effet rétroactif. D’autre part, il n’y a pas non plus de possibilité pour l’autorité de concur-rence d’imposer une amende pour un comportement couvert par le règlement d’exemption.

Pour résoudre les problèmes évoqués on pourrait faire dé-pendre le bénéfice de l’exemption de la part de marché des deux parties à l’accord. Cela ne signifie pas que nous avons

un préjugé contre la puissance d’achat, mais simplement que les accords avec les acheteurs dont la part de marché dépasse 30% ne seront pas couverts par le règlement d’exemption, et que les entreprises devront donc auto-évaluer leurs accords, et en cas de problème ce sera toujours à l’autorité de concurrence et aux demandeurs de prouver les effets anticoncurrentiels s’il y en a. En tout cas, ces accords n’auront pas ce privilège extraordinaire qu’est l’exemption par catégorie.

D’ailleurs, c’est la solution que nous avons retenue pour d’autres instruments. Je pense à la communication « de mi-nimis » et au règlement d’exemption des accords de transfert de technologies. Dans ces cas, l’exemption par catégorie et le bénéfice de la communication de minimis dépendent de la part de marché des deux parties à l’accord.

Le sujet majeur de cette révision est le traitement des res-trictions caractérisées. L’article 4 du règlement d’exemption dresse une liste de restrictions caractérisées, notamment les prix minimums imposés par le fournisseur au distributeur, et les restrictions à la revente.

Dès le début, il faut dire que l’on vise à maintenir une concurrence efficace tant au niveau des fournisseurs qu’au niveau des acheteurs et des distributeurs. La concurrence intra-marque est importante et digne de protection car les coûts de distribution sont assez souvent plus importants que les coûts de production. Nous voulons protéger aussi ce niveau où la concurrence a lieu. C’est là notamment le rôle des restrictions caractérisées qui visent la concurrence intra-marque.

La première restriction caractérisée est celle des prix mi-nimums imposés par le fournisseur à ses distributeurs. En présence d’une telle pratique l’accord dans son ensemble ne peut pas bénéficier de l’exemption par catégorie. D’autre part, restriction caractérisée veut dire aussi restriction par ob-jet, c’est-à-dire qu’il y a une présomption des effets restrictifs de la concurrence, sous l’article 81(1) CE, et que l’exemption individuelle est peu probable.

Notre réflexion sur le traitement des prix minimums im-posés a été marquée par le débat qui a eu lieu de l’autre côté de l’Atlantique, notamment dans l’affaire Leegin où la Cour Suprême des États-Unis avait aboli l’approche d’interdiction per se de cette pratique résultant d’un précédent du début du XXe siècle, Doctor Miles. Avant l’affaire Leegin, le droit américain pratiquait une approche formaliste selon laquelle, si l’autorité ou le demandeur établissait l’existence même de la pratique, il n’y avait aucune possibilité de la justifier sur le terrain des efficiences : l’entreprise était en infraction et il y avait un risque d’amende ou de dommages et intérêts.

Dans cette affaire Leegin, les juges du fond ont refusé de prendre en compte le témoignage d’un expert, d’un écono-miste, sur les effets pro-concurrentiels de la pratique en ques-tion. C’était, du point de vue de la procédure, un élément de preuve irrecevable en présence d’une pratique interdite per se. En désavouant les juges du fond, la Cour Suprême a dé-cidé que cet élément de preuve pouvait être pris en compte, notamment du point de vue de l’examen des efficiences, se-lon la règle de raison.

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Le droit communautaire se distingue du droit américain, car ce genre de témoignage, nous l’aurions pris en compte, nous aurions dû l’écouter et si des efficiences solides étaient présentées, alors nous aurions dû établir, et non pas seulement présumer, les effets restrictifs de la concurrence et faire le bi-lan de l’accord selon notre article 81(3) CE. Par conséquent, s’agissant des restrictions caractérisées, le droit communau-taire pratique une règle de raison où l’ordre dans la charge de la preuve est inversé.

C’est d’abord à l’entreprise de prouver les efficiences, si la pratique des prix minimums imposés est établie, et c’est par la suite à l’autorité de démontrer les effets restrictifs de la concurrence et de voir si le bilan global de l’accord est positif ou négatif. Je relativiserai donc le développement aux États-Unis dans le contexte communautaire.

C’est là peut-être notre différence, par rapport aux États-Unis, l’exemption individuelle d’une restriction caractérisée n’est pas exclue si les efficiences sont établies par l’entreprise en question. Nous n’avons pas de règle d’interdiction per se en droit communautaire. Peut-être que dans nos lignes directrices nous devrions préciser que restriction caractérisée ne veut pas dire restriction per se, même si cela semble souvent être perçu de cette façon, notamment par la communauté juridique.

Dans notre réflexion, nous tenons compte de la littérature économique sur les prix minimums imposés, qui montre que les prix minimums imposés peuvent avoir des effets négatifs mais aussi des efficiences, des effets pro-concurrentiels.

S’agissant des effets négatifs, le plus important peut-être est la collusion entre les distributeurs qui, finalement, aboutit aussi à une collusion entre les fournisseurs, notamment si les marchés sont concentrés et s’il y a des relations croisées (« in-terlocking relationships »). Ce modèle a été développé par le Professeur Patrick Rey dans son étude, notamment sur la loi Galland. C’est un des effets soutenu d’une certaine façon par des preuves empiriques.

Un autre effet anticoncurrentiel est que la pratique des prix minimums imposés élimine toute concurrence intra-marque sur les prix : au niveau de la distribution, la concurrence par les prix est éliminée. Bien entendu, le contre-argument est qu’il existe d’autres dimensions de la concurrence encouragées par la suite, mais nous verrons qu’il y a de fortes réserves sur ces questions. Il existe deux autres effets : parfois, même les fournisseurs ne veulent pas d’une concurrence suffisamment forte entre les distributeurs, qui peut aussi causer des pressions sur leurs propres marges ; ensuite en éliminant la concurrence par les prix, il y a aussi un risque de moins de dynamisme et d’innovation sur la chaîne de distribution, notamment par l’élimination de formats discount de la distribution.

S’agissant des effets pro-concurrentiels, selon la littérature économique, les prix minimums imposés peuvent conduire les distributeurs à s’engager à fournir plus de services, en prévente notamment, et plus de promotions.

C’est également un moyen de lutte contre le parasitisme, le « free riding », thèse avancée depuis les années 1960.

Toutefois, j’aurais un doute sur l’efficacité dans la pratique de cette efficience. Le fait qu’un prix minimum soit imposé à tout le monde ne veut pas dire que, positivement, les distri-buteurs vont fournir les services et la promotion souhaités. Si je pense à la théorie des jeux, les distributeurs vont attendre de voir qui va faire quoi et finalement, qui va s’engager le premier à faire le genre de promotion souhaitée, et les autres vont profiter des efforts du premier distributeur tout en ayant des marges garanties.

Par conséquent, le problème du parasitisme n’est pas ré-solu, ou en tout cas, il y a de forts doutes sur l’efficacité des prix minimums pour résoudre cette question. En règle géné-rale, il existe d’autres moyens, moins restrictifs au niveau de la concurrence par les prix, à savoir peut-être un réseau de distribution exclusive, qui peut mieux résoudre le problème du parasitisme.

D’autre part, il a été soutenu que même en l’absence de parasitisme, les prix minimums encouragent la promotion des biens du producteur et que finalement, en éliminant la concurrence sur les prix, on encourage d’autres formes de concurrence. Ici, de nouveau, il y a quelques réserves parce qu’en général dans ce cas-là, le fournisseur est censé être moins informé normalement que le distributeur sur le genre d’efforts qui doit être fait pour accepter juste une sorte de carte blanche comme les prix minimums.

En règle générale, et dans nos contacts avec l’industrie, on s’est rendu compte que les fournisseurs sont bien informés du genre de promotion qui doit être fait par les entreprises distributeurs. Je pense à l’industrie du luxe par exemple où les services de promotion et de prévente sont parfois de façon ex-haustive contractés dans des contrats assez longs et détaillés. Je dirais qu’un réseau de distribution sélective est sans doute plus à même de répondre à cette problématique.

On dit également que les prix minimums incitent les dis-tributeurs à conserver les stocks, surtout quand la demande est incertaine. De nouveau, cela peut aller dans les deux sens, parce que s’il y a un prix minimum imposé, alors les stocks sont vendus moins vite que s’il n’y a pas de prix minimum imposé. Cela peut donc avoir un effet inverse. Dans nos contacts avec l’industrie, nous nous sommes également rendu compte qu’en général des pratiques visant à déplacer le risque vers le four-nisseur, ce que nous appelons les « return policies », c’est-à-dire le retour des produits invendus au fournisseur, sont très fréquentes dans la pratique et que les stocks volumineux sont moins fréquents dans la pratique. Donc de nouveau, des dou-tes existent sur la pertinence de ce genre d’efficience.

Les études empiriques faites notamment en Europe ne sont pas non plus convaincantes. Nous avons eu en effet connais-sance des pratiques de prix minimums dont les effets pour les consommateurs ont été largement négatifs. Je pense à la législation allemande des années 1970 qui autorisait les prix minimums imposés pour les produits de marque.

Je pense également à la loi Galland, en France, qui a contribué à une hausse des prix, à une collusion entre les dis-tributeurs et entre les fournisseurs. Je ne suis pas sûr que les

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teurs aient bénéficié de tout cela puisque les prix des produits de consommation en France étaient plus élevés qu’en Espagne ou dans d’autres pays voisins. Il y a aussi la législation britannique, qui autorisait les prix minimums dans l’industrie du livre.

Après l’abolition de cette législation, nous avons assisté à une chute des prix. L’entrée d’Amazon sur le marché par exemple, et des grands supermarchés, a permis d’augmenter le nombre de titres et les efficiences invoquées pour mainte-nir ce genre de règlementation étaient en réalité infondées. Aussi, d’après l’expérience de la Commission, mais aussi de la plupart des autorités nationales, en présence de prix mini-mums imposés les entreprises n’ont pas avancé, dans des cas pratiques, concrets, des efficiences crédibles.

Certains personnes expliquent ce phénomène par l’impres-sion que la pratique des prix minimums était interdite per se et qu’aucune justification en sa faveur ne pouvait être invoquée. Cela me surprend, car quand une entreprise risque de se voir infliger une amende, elle a tout intérêt à prouver pourquoi elle pratique des prix minimums.

Pour conclure, à ce stade nous devrions être plutôt prudents. Je pense qu’il est souhaitable de maintenir la pratique des prix minimums imposés dans la catégorie des restrictions caractérisées, tout en précisant mieux qu’une exemption individuelle est possible. Nous voulons apprendre sur des cas concrets comment fonction-nent les efficiences alléguées en faveur des prix minimums.

Donc, on devrait à mon avis encourager les entreprises à se justifier, tout en maintenant à ce stade cette présomption d’effets négatifs. Les lignes directrices pourraient développer quelques efficiences, pas les plus importantes, mais un peu plus crédibles que le reste. C’est ainsi que dans des circonstances particulières, les prix minimums peuvent encourager l’entrée sur un nouveau marché, parce que le distributeur, surtout le premier qui pénètre un marché géographique, un nouvel État membre, devrait avoir une certaine protection.

Ce serait une pratique limitée dans le temps, qui peut ré-soudre et protéger les investissements du premier distributeur. Puis, nous avions entendu dans nos contacts avec l’industrie que la pratique de prix minimums peut aussi résoudre le pro-blème des produits d’appel, ce que nous appelons les loss lea-ders, et de nouveau il y a peut-être une possibilité d’utiliser de façon ponctuelle la pratique de prix minimums imposés pour résoudre ce problème.

Je traiterai enfin les restrictions à la revente. Je voudrais m’arrêter sur un problème qui peut-être n’a pas été vu ou traité durant les conférences précédentes. Il s’agit de l’article 4(b) du règlement qui prévoit que pour la distribution exclu-sive, l’exemption par catégorie s’applique pour la restriction des ventes actives vers un territoire exclusif.

Donc, il faut qu’il y ait un distributeur exclusif pour avoir une possibilité de restreindre les ventes actives vers son ter-ritoire. S’il n’y a pas d’exclusivité, le fournisseur ne peut pas, normalement, selon le règlement, interdire les ventes actives. C’est donc une restriction caractérisée. Je pense qu’à juste titre quelques critiques ont été formulées à cette règle.

La première critique est un cas de figure qui n’est pas rare en Europe. Il s’agit du fait que les fournisseurs ont des modèles de distribution différents dans les différents États membres. Il arrive que dans les pays comme la France, un fournisseur ait un réseau de distribution sélective parce que les distributeurs sont d’accord pour faire des investissements assez importants, alors que dans un nouvel État membre, le fournisseur a, soit un réseau de distribution exclusive, soit un réseau libre.

Le fournisseur ne peut donc pas interdire les ventes actives du nouvel État membre vers la France où les distributeurs font peut-être plus d’efforts et plus d’investissements et sont donc tout aussi dignes de protection que dans le cas de figure d’une distribution exclusive. En pratique, la coexistence de réseaux de distribution sélective et d’autres types de réseaux de distri-bution est difficile, parce que les fournisseurs ne peuvent pas limiter les ventes actives vers les territoires où la distribution sélective est appliquée, où la même problématique se pose, celle de la protection des investissements.

Il y a aussi une question pratique dont nous nous sommes rendu compte. Assez souvent, les exclusivités sont partagées. Il y a des territoires, par exemple, où deux ou trois distribu-teurs partagent une exclusivité. Donc il n’y a pas vraiment un distributeur par territoire. Et dans ce cas-là, comme il n’y a pas un territoire exclusif à 100 %, les fournisseurs ne peuvent pas limiter les ventes actives vers ce territoire, alors même qu’il s’agit d’une certaine forme d’exclusivité.

Donc, je pense que nos règles sont assez formalistes, assez strictes sur cette question alors qu’il y a des possibilités, notam-ment ces deux cas-là qui méritent une revisite des règles actuel-les. Une solution envisageable consisterait à limiter la restriction caractérisée aux ventes passives uniquement, ce qui est exigé par la jurisprudence de la Cour de justice. C’est le cœur même de cette jurisprudence, sauf pour les zones de distribution sélective où les ventes actives et passives ne peuvent pas être limitées parce que ces réseaux sont fermés. Un correctif est peut-être nécessaire : la limitation des ventes actives doit se limiter à un seul niveau de la distribution. Cela veut dire que les clients des distributeurs, notamment les commerçants parallèles, doivent être libres par la suite de vendre activement où ils veulent.

Je ne traiterai pas le problème internet. Les deux questions fondamentales posées sont la distinction vente active/vente passive dans le contexte d’internet, qui présente beaucoup de difficultés, et la question de la relation entre internet et la distribution sélective. Sur cette question, se pose de nouveau une grande problématique : comment concilier la distribution sélective et internet et faire en sorte que les critères de sélec-tion ou les exigences du fournisseur ne limitent pas de façon indue les ventes en ligne du distributeur ? C’est une question récurrente, à laquelle nous devrons réfléchir sérieusement, mais je la laisserai pour le débat.

Je vous donne rendez-vous fin juillet pour la consultation publique. J’espère avoir un dialogue important et fructueux étant donné que nous allons décider du sort des restrictions verticales pour les dix prochaines années.

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Les restrictions verticales

Atelier du 23 juin 2009

La fin des exceptions sectorielles : une même règle pour tous est-elle possible ?Anne WachsmannAvocate, Linklaters

Je souhaiterais tout d’abord commencer par quelques réflexions générales sur la question des régimes sectoriels en matière d’exemption par catégorie en constatant que, cinq ans après la mise en place de la réforme du régime des restric-tions verticales, les relations entre le général et le particulier sont toujours au cœur des débats2 : quels sont les éléments en faveur d’exceptions spécifiques, en comparaison d’un ré-gime général qui a commencé à être introduit en 1999 ? Le recours à un texte unique ne gomme-t-il pas les spécificités de chaque secteur ? Constitue-t-il, finalement, une amélioration pour les entreprises ? L’objectif de simplification, par l’unifi-cation de règles, garantit-il une sécurité juridique suffisante ? Peut-on considérer qu’un régime particulier est source de cor-poratisme ? Peut-on mélanger, de façon indistincte, services et produits ? Tous les types de distribution sont-ils fongibles en un seul régime ?

A l’inverse, le fait de traiter différemment des secteurs par-fois très proches milite plutôt en faveur d’un régime unique. On a pu le relever très souvent : pourquoi y a-t-il un règlement en matière de distribution automobile, alors que la distribution de motos ou scooters, dont les formes de distribution sont similaires, est soumise au régime général ?

En toute logique, la multiplication des textes est source de complexité, d’incertitude et de difficultés d’application pour le juge national. Quand se multiplient les régimes spé-cifiques, qu’en est-il de l’égalité devant la loi ? On peut enfin se demander si la multiplication des régimes n’est pas source d’inefficience, chaque secteur cherchant à préserver ses droits acquis et les autres cherchant à en bénéficier.

2. Voir à cet égard, les débats qui avaient eu lieu aux ateliers de la concurrence du 7 avril 2004, « La nouvelle approche des restrictions verticales : évolution ou révolution ? » et le colloque de la Conférence du Jeune Barreau de Bruxelles intitulé « Qui se soucie encore des restrictions verticales ? », organisé le 12 février 2009 et cité par A. Gurin, dans « L’avenir du règlement d’exemption et de la distribution en ligne », RLC, avril/juin 2009, n° 19, p. 112.

Le tableau suivant modélise le passage, au fur et à mesure des évolutions juridiques et « politiques », des régimes spé-ciaux aux régimes généraux.

Règlements sectoriels versus Règlement général

Justifications

Comparaison avec le régime général en vigueur

Régime spécial bière et stations-service

vs.

Règlements « généraux » distribution / achats exclusifs et franchise1

Structure particulière des marchés en cause

Importance des avantages financiers et économiques concédés par le fournisseur

Modernisation des débits de boissons et des stations-service

Plus favorable

Fin régime spécial bière / stations-service

vs.

Règlement restrictions verticales

Fin de l’approche formaliste

Prise en compte du market power et safe harbour

Prise en compte des effets et approche plus économique

-

Règlement automobile

vs.

Règlement restrictions verticales

Pas assez de concurrence

Pas assez d’importations parallèles

Pas assez de concurrence intra-marque

Plus strict

Sans pratiquer l’histoire du droit, on peut toutefois se rappeler que, dans les années 1980, il existait des régimes spécifiques en matière d’exemption pour la bière et les sta-tions-service. Lorsqu’on examine les attendus du règlement en cause, et qu’on les compare aux régimes généraux (même si, à l’époque, ce n’est pas véritablement un régime général qui était en vigueur), on relève que les secteurs de la bière et des stations-service étaient considérés comme ayant une structure particulière de marché, notamment en raison de l’im-portance des avantages financiers et économiques concédés par le fournisseur.

On peut aussi relever, de façon plus surprenante, que pour la nécessaire modernisation des débits de boissons et des sta-tions-service, on considérait qu’il fallait favoriser ces secteurs par ces règlements d’exemption. De façon générale, nous nous apercevons que les régimes de la bière et des stations-service

1. Règlement n° 1984/83 du 22 juin 1983 concernant l’application de l’article 85 § 3 du traité à des catégories d’accords d’achat exclusif, règlement n° 1983/83 du 22 juin 1983 concernant l’application de l’article 85 § 3 du traité à des catégories d’accords de distribution exclusive, et règlement n° 4087/88 du 30 novembre 1988 concernant l’application de l’article 85 § 3 du traité à des catégories d’accords de franchise.

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Les restrictions verticales

Atelier du 23 juin 2009

étaient plus favorables que les règlements « généraux » qui étaient structurés par type de distribution, à savoir distribution et achat exclusifs ainsi que franchise.

En 1999, ces régimes spéciaux ont pris fin avec le passage au régime général en matière de restrictions verticales3 avec la mise en place d’un safe harbour, la prise en compte du market power etc. (« règlement restrictions verticales »).

On peut également s’interroger sur la spécificité du secteur automobile, qui depuis l’origine, a bénéficié d’un règlement d’exemption spécifique par rapport au régime général : la Commission européenne (la « Commission ») considérait qu’il n’y avait pas assez de concurrence dans le secteur, que ce soit au niveau des importations parallèles ou sur le plan intra-mar-que. On doit à cet égard relever qu’un régime sectoriel n’est pas forcément toujours plus favorable que le régime général puisque, globalement, la doctrine s’accorde à dire que le rè-glement automobile4 est plutôt plus strict que le règlement général de 1999.

1) Les leçons de l’histoire : le cas de la bière et des sta-tions-service

Depuis 1983, il existait un régime fondé sur la distinction distribution exclusive, achat exclusif et franchise5. Il n’y avait pas vraiment de régime général comme c’est le cas à l’heure actuelle. La distribution sélective n’était pas couverte par un règlement d’exemption, ni les services.

Comme indiqué ci-dessus, il existait des règles spéciales en matière de bière et de stations-service, et dans ces deux secteurs, les exclusivités étaient admises pour une durée de dix ans6, alors qu’elles n’étaient admises que pour une durée de cinq ans dans le régime dit général (c’est-à-dire le régime couvrant la distribution et l’achat exclusifs). Pour ces deux secteurs, les exclusivités pouvaient donc être plus longues, en raison des investissements consentis par les fournisseurs. Sans rentrer dans les détails de l’affaire Neste7, on relèvera que la Cour de Justice des Communautés européennes (la « CJCE ») avait souligné en 2000, à l’occasion d’une question préjudicielle posée par un tribunal finlandais, les spécificités du secteur de la distribution de carburant en indiquant qu’un « contrat d’achat exclusif de carburants diffère sur un point de façon importante d’un contrat d’achat exclusif d’autres produits, tels que la bière ou les glaces, dans la mesure où il n’est vendu qu’une seule marque de carburants dans une station-service déterminée »8.

3. Règlement n° 2790/1999 du 22 décembre 1999 concernant l’application de l’article 81 § 3 du traité à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées. 4. Règlement n° 1400/2002 du 31 juillet 2002, concernant l’application de l’article 81 § 3 du traité à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées dans le secteur automobile.5. Voir les règlements n° 1983/83 du 22 juin 1983, n° 4087/88 du 30 novembre 1988 et n° 1984/83 du 22 juin 1983, précités.6. Voir les articles 6 à 9, pour les contrats de bière, et 10 à 13, pour les contrats de stations-service, du règlement n° 1984/83 du 22 juin 1983 précité. 7. Arrêt Neste Markkinointi Oy de la CJCE du 7 décembre 2000, aff. C-214/99.8. Arrêt précité, § 31.

Cette remarque est d’autant plus étonnante que le secteur de la bière, à l’époque, faisait aussi l’objet d’un régime spé-cifique. On voit ici que même la CJCE, parfois, peut faire des observations qui ne sont pas forcément pertinentes et, surtout, que ce constat concernant la distribution de carburant peut être fait dans beaucoup d’autres secteurs. Par conséquent, il s’avère que cet argument qui devait être en faveur d’une ap-proche sectorielle n’est pas totalement pertinent.

En 1999, un terme est mis à ce régime d’exemption spéci-fique plus favorable pour la bière et les carburants. Les com-mentateurs en ont été parfois un peu désorientés. Nous avons retrouvé des citations assez virulentes dans un certain nombre de revues, évidemment très liées aux brasseurs et aux distri-buteurs. On parle de « grand chambardement »9, de « séisme juridique »10. Les craintes exprimées sont très nombreuses. L’abolition d’un régime sectoriel entraîne ainsi inéluctablement quelques manifestations de corporatisme.

Ces craintes émanaient à la fois des fournisseurs en raison de la réduction de la durée des exclusivités à 5 ans (inquiétu-des de ne pas pouvoir rentabiliser les investissements réalisés) et des distributeurs qui craignaient la concurrence exacerbée d’autres modes de distribution. En 1998-1999, dans tous les travaux menés par la Commission et par les entreprises, on a ainsi relevé des justifications parfois très curieuses destinées à maintenir les différents régimes dérogatoires.

La durée des exemptions a ainsi toujours été un point cardinal, mais elle peut jouer dans les deux sens. On peut prendre l’exemple de la réforme du règlement automobile. Dans le régime actuel, le règlement automobile prévoit que le contrat de distribution est soit à durée indéterminée, soit d’une durée minimum de 5 ans.

Or, dans son rapport d’évaluation, la Commission a consi-déré qu’imposer une durée minimale de 5 ans était plutôt une mesure restrictive de concurrence. Du côté des concessionnai-res, le CNPA (Conseil National des Professions de l’Automobile) a considéré que la sécurité contractuelle, l’indépendance des distributeurs, la sécurisation des investissements, justifiaient au contraire de conserver cette protection minimum de 5 ans.

On se rappellera que dans le cas de la bière, les fournis-seurs cherchaient à conserver une durée la plus longue pos-sible, alors que les distributeurs étaient plutôt favorables à un racCourcissement des clauses. En matière automobile, c’est exactement l’inverse. Selon le stade commercial et les secteurs où l’on se trouve, les intérêts peuvent être complètement di-vergents. C’est le paradoxe sectoriel.

On a pu retrouver des remarques assez sentencieuses de la part de certains auteurs qui ont parfois joué les Cassandre. Par exemple, en matière de bière, on peut lire « la page sui-vante de l’histoire du contrat de bière reste assurément encore à écrire. Nous craignons fort toutefois, aujourd’hui, que la fin ne s’annonce guère heureuse »11.

9. Boissons-Restauration-Actualités, n° 223, octobre 1999.10. Revue de jurisprudence commerciale, octobre 2000. 11. T. Lambert, « Le contrat de bière : l’exclusivité en voie de disparition forcée ou l’évolution contrainte d’un mode de

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Les restrictions verticales

Atelier du 23 juin 2009

Finalement, quand on regarde la jurisprudence sur la ques-tion de l’application des restrictions verticales, en dehors des situations de collusion ou de restriction caractérisée (de « clause noire »), ce sont surtout les juges nationaux qui ont à traiter des difficultés contractuelles. Ces difficultés d’application se sont focalisées sur la question de la période transitoire (c’est-à-dire celle qui est intervenue immédiatement après la mise en place du règlement restrictions verticales de 1999) et celle de la durée des contrats.

Les solutions nationales ont été contrastées. Ainsi, a-t-on constaté une interprétation restrictive en Espagne où des juri-dictions ont considéré, s’agissant de contrats de stations-ser-vice que, dans le cas où les parts de marché d’un fournisseur étaient supérieures à 30 % et où le contrat, conclu sous l’em-pire du règlement n°1984/83 dépassait une durée de 5 ans, l’exclusivité d’approvisionnement engendrait une restriction de concurrence et que le contrat n’était pas exempté par le règlement restrictions verticales12.

En revanche, l’interprétation a pu être plus souple en France. Ainsi, en 200513, le TGI de Strasbourg a décidé, s’agissant d’un contrat de bière conclu en 1994, qu’au 31 décembre 2001 (date de fin de la période d’adaptation prévue par le règlement restrictions verticales), la durée du contrat restant à Courir étant de 26 mois, ce contrat (dont la durée totale était supérieure à 5 ans) était conforme aux conditions qui limitent la durée de l’obligation à 5 ans14.

2) Les divergences constatées : le traitement de l’automobile et de la pharmacie en matière d’importations parallèles

Les divergences concernent l’automobile et la pharmacie qui sont deux secteurs confrontés à la question des impor-tations parallèles. Tous deux comportent des spécificités en matière de prix et de tarification.

Dans le secteur de la pharmacie, le prix des médica-ments, dans la plupart des situations, n’est pas fixé par le laboratoire, mais par le pouvoir réglementaire. Par ailleurs, le consommateur n’assume pas tout ou partie du coût des médicaments qu’il obtient soit à l’hôpital, soit en phar-macie. De même, dans le secteur automobile, les taxes d’immatriculation et la fiscalité, très divergentes d’un pays à l’autre, impactent les prix de manière extrêmement dif-férente. Ces situations génèrent une pression aux impor-tations parallèles.

En matière de pharmacie, les jurisprudences européenne et française acceptent des restrictions aux importations pa-

distribution », Semaine Juridique, n° 41, octobre 2007.12. P. Ibanez Colomo, « A Spanish Court finds a distribution agreement to be null and void pursuant to article 81 § 2 EC and decides that the claimant is not entitled to recover the sums paid by virtue of the contract », e-Competitions, avril 2005, n° 320. Voir également, P. Ibanez Colomo, « The Spanish Repsol saga : a Spanish commercial Court declares null and void an exclusive purchasing agreement on the basis of Article 81 § 1 EC », e-Competitions, mars 2006, n° 12440.13. Jugement du TGI de Strasbourg du 4 février 2005, Brasseries Kronenbourg c/ SARL JBEG.14. Voir le commentaire de L. Idot, Europe, n°6, juin 2005, comm. 216.

rallèles en matière de médicaments. L’affaire GSK Espagne15, dans laquelle étaient en cause des doubles prix, en est un bon exemple. GSK avait mis en place un système de double prix en fonction de la destination des médicaments, selon qu’ils étaient revendus dans le pays ou bien à l’extérieur.

La Commission avait estimé que ce mécanisme était contraire à l’article 81 § 1, dans sa décision Glaxo-Wellcome de 200116. Cette décision a été annulée par le TPICE, qui a considéré que les importateurs parallèles étaient « suscep-tibles de conserver l’avantage que le commerce parallèle peut comporter en termes de prix, auquel cas celui-ci ne sera pas répercuté sur les consommateurs finals »17. Le TPICE a notamment relevé que « la caractéristique spécifique et essentielle du secteur (…) tient au fait que les prix des pro-duits en cause, soumis au contrôle des États membres, qui les fixent directement ou indirectement aux niveaux qu’ils jugent appropriés, s’établissent à des niveaux structurellement différents dans la Communauté et, contrairement aux prix d’autres biens de consommation (…) tels que les articles de sport ou les motocyclettes, demeurent en toute hypothèse soustraits, dans une mesure importante, au libre jeu de l’of-fre et de la demande »18.

On peut ne pas être d’accord avec les comparaisons re-tenues par le TPICE, notamment pour les articles de sport. Mais on constate une jurisprudence relativement favorable quant aux restrictions aux importations parallèles dans le secteur des médicaments. On retrouve le même accueil favo-rable dans la pratique décisionnelle au niveau du Conseil de la concurrence (le « Conseil ») en France, notamment dans des affaires où le Conseil a accepté des engagements assou-plissant le système de contingentement des médicaments à destination des grossistes répartiteurs en tenant compte du « contexte très spécifique », lié aux « caractéristiques régle-mentaires et structurelles du secteur de la distribution de médicaments auprès des officines via les grossistes réparti-teurs »19. Le Conseil a ainsi considéré que « la moins mauvaise solution consiste à admettre qu’un laboratoire pharmaceu-tique puisse mettre en place un système de contingente-ment de certains médicaments qui lui permet de prévoir le bon niveau de production et de rationaliser la gestion des circuits de distribution mais qui peut induire une régulation de l’approvisionnement des grossistes, à la condition que les restrictions induites par cette régulation soient limitées à ce qui est strictement nécessaire à un approvisionnement fiable et optimal du marché national ».

A l’inverse des médicaments, les jurisprudences européen-nes ont toujours été très sévères vis-à-vis des restrictions aux importations parallèles en matière automobile en faisant pri-mer les objectifs d’intégration du marché intérieur.

15. Arrêt du TPICE du 27 septembre 2006, aff. T-168/01.16. Décision de la Commission du 8 mai 2001.17. Arrêt du TPICE précité, § 122.18. Arrêt du TPICE précité, § 133. 19. Décisions du Conseil de la concurrence en matière pharmaceutique : Cons. conc. n° 07-D-22 du 5 juillet 2007, produits pharmaceutiques, n° 07-D-45 du 13 décembre 2007, Pfizer et n° 07-D-46 du 13 décembre 2007, GSK. Annulées devant la Cour d’appel de Paris pour des questions de procédure.

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Les restrictions verticales

Atelier du 23 juin 2009

Cela ressort clairement de l’affaire de principe Volkswagen20, où le TPICE a jugé que « l’absence d’harmonisation monétaire et fiscale n’[était] pas de nature à justifier des difficultés com-merciales telles que nous puissions accepter des restrictions aux importations parallèles ». C’est le même type de jurispru-dence que l’on retrouve dans l’affaire Opel21 où la Commission a sanctionné le constructeur pour son système incitant les concessionnaires, notamment par le biais d’un mécanisme de primes excluant les ventes à l’exportation, à favoriser les ventes nationales.

Le TPICE a confirmé qu’un tel système constitue une viola-tion par objet de l’article 81 § 1 : « eu égard tant à la nature de la mesure qu’aux buts poursuivis par [la mesure], et à la lumière du contexte économique dans lequel elle devait être appliquée, il y a lieu de considérer que, conformément à une jurisprudence constante, celle-ci constitue un accord ayant comme objet la restriction de la concurrence »22.

On peut également mentionner pour mémoire et très rapidement une affaire Renault de 200323, où le Conseil a considéré qu’il n’y avait pas de violation des règles de concurrence quand les constructeurs automobiles octroient à leurs concessionnaires des aides commerciales spécifi-ques - en l’occurrence les « budgets frontières » accordés par Renault - pour les soutenir face à la concurrence de concessionnaires Renault frontaliers situés à l’étranger et à celle liée aux importations parallèles de véhicules dans leur secteur.

Le Conseil avait considéré que les aides accordées par Renault « n’avaient ni pour objet ni pour effet de restreindre la liberté commerciale des concessionnaires mais visaient à venir en aide aux concessionnaires dont l’activité était loca-lement affectée, de manière sensible, par le développement d’importations parallèles. Or, il est loisible à un constructeur de consentir un effort commercial à l’égard de ses conces-sionnaires afin de soutenir son réseau, de développer ses ventes ou d’éviter leur chute. Par ailleurs, aucun élément au dossier ne permet d’établir que les conditions d’octroi de ces aides étaient discriminatoires »24. On peut dire que la prati-que décisionnelle du Conseil a été en l’espèce relativement souple et pragmatique.

3) Des difficultés communes : une différenciation secto-rielle des règles applicables ne se justifie pas

Certains secteurs cristallisent des difficultés d’application du règlement restrictions verticales.

On peut prendre l’exemple de la notion de verticalité telle qu’examinée par Catherine Prieto dans un excellent

20. Décision de la Commission du 28 janvier 1998 et arrêt du TPICE du 6 juillet 2000, aff. T-62/98.21. Décision de la Commission du 20 septembre 2000, et arrêt du TPICE du 21 septembre 2003, aff. T-368/00 et CJCE, 6 avril 2006, aff. C-551/03.22. Arrêt du TPICE précité, § 102. 23. Décision du Conseil de la concurrence n° 03-D-66 du 23 décembre 2003, Renault.24. Décision précitée, § 48.

article25. Le règlement restrictions verticales a pour champ d’application des accords conclus entre des entreprises qui ne sont pas au même niveau de la chaîne de production ou de distribution. Par essence, les restrictions verticales visent des situations de non-concurrence entre le fournisseur et le distributeur. Le règlement ne s’applique pas, sauf exceptions prévues à l’article 2 § 4, « aux accords verticaux conclus en-tre entreprises concurrentes ».

Or, ces règles sont complexes à appliquer. En effet, dans le cadre d’un accord de distribution entre concurrents, ce se-ront les lignes directrices horizontales qui seront appliquées pour traiter les aspects horizontaux de l’accord et les lignes directrices en matière verticale pour traiter les aspects verti-caux du même accord.

Cette application est particulièrement complexe dans certains domaines, notamment celui des accords de mar-que distributeur. Dans la grande distribution, les rapports entre fournisseurs de grandes marques et distributeurs sont classiquement verticaux. Or, les accords de marque de dis-tributeur viennent brouiller ces lignes de partage, puisque le distributeur devient alors un concurrent de son propre fournisseur, ce qui introduit une dimension horizontale dans l’accord de distribution. En fonction de la puissance d’achat de ce distributeur, du pouvoir et de la part de marché qu’oc-cupe éventuellement le fournisseur, les relations peuvent être difficiles à appréhender et la question de la verticalité est impactée par une situation où le distributeur est concurrent de son fournisseur.

Il y a d’autres domaines où la question de la verticalité peut être délicate à analyser, comme dans le cas des accords en matière de banque-assurance. En effet, il arrive parfois que les banquiers fournissent des services d’assurance, et/ou que les assureurs fournissent des services bancaires. Or, les accords entre banquiers et assureurs sont souvent conclus pour des durées extrêmement longues, parfois à titre réci-proque et avec des exclusivités. Quel est alors le cadre d’ana-lyse adéquat ? Il semble qu’il ne s’agisse pas du règlement restrictions verticales, puisque les durées envisagées sont souvent supérieures à 5 ans, ni vraiment des lignes directri-ces horizontales, s’agissant à titre principal d’un accord de distribution.

4) Le bouleversement procédural : la décentralisation après le règlement restrictions verticales

Quel est l’impact, sur l’existence d’un régime sectoriel, du bouleversement procédural et de la décentralisation introduite par le règlement restrictions verticales ? Pour les praticiens, un règlement d’exemption est plutôt perçu comme instaurant une norme à respecter. Or, cette vision est inexacte, puisqu’un règlement d’exemption n’établit qu’une présomption de li-céité et de compatibilité avec le droit de la concurrence et non une présomption d’illicéité, ou pire, une illégalité auto-matique, au-delà des critères ou des seuils définis.

25. C. Prieto, « Restrictions verticales : les écueils dans la qualification de relations verticales et d’accords », Concurrences, n° 4-2008, p. 10.

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Atelier du 23 juin 2009

Cette idée erronée était d’autant plus vivace lorsque le système de notification individuelle à la Commission était encore en vigueur, car il permettait une sorte de se-conde chance. Cette situation a changé à partir du 1er mai 2004, date à laquelle est entré en vigueur le système actuel d’auto-évaluation de leurs contrats par les entreprises ainsi que la possibilité pour le juge national et les autorités de concurrence nationales d’appliquer directement l’article 81 § 3. Cette réforme procédurale a modifié sensiblement l’ap-proche en matière de règlement d’exemption par catégorie et la nécessité de mise en place des exceptions sectorielles.

En conclusion, on peut constater que le risque d’hétéro-généité des solutions n’est pas complètement supprimé par un régime unique, mais il est probablement moins important. Il est en effet peu contestable qu’un règlement d’exemption unique assure un certain degré d’uniformité, particulièrement bienvenu quand des juges de divers pays, non spécialistes, sont amenés à l’appliquer.

Enjeux économiques de la modernisation Patrick ReyProfesseur à l’école d’économie de Toulouse

La situation actuelle, comme Andrei Gurin l’a dit, est ba-sée sur une approche qu’il a qualifiée d’économique ; je dirais « basée sur les effets sur les marchés ». Il a indiqué le schéma logique en ce qui concerne la charge de la preuve. A charge pour l’autorité d’établir qu’il y a un effet anticoncurrentiel, au titre du 81(1) ; si c’est le cas, à charge pour les parties prenantes d’établir qu’il y a des gains d’efficacité susceptibles de compen-ser ces effets anticoncurrentiels dans le cadre du 81(3).

A charge enfin pour l’autorité ou les tribunaux de vérifier que le bilan entre les deux a été effectué de manière correcte. Le règlement d’exemption, accompagné de la publication de lignes directrices, s’inscrit dans cette logique d’une approche plus tournée vers les effets économiques. Tout d’abord, c’est un règlement transversal, par rapport aux précédents, qui étaient des règlements plutôt catégoriels. Ceci correspond bien à l’idée que certaines pratiques peuvent poursuivre un même objectif, avoir des effets semblables sur le marché. Un règlement catégoriel, mettant en exergue une pratique donnée, s’expose à des arbitrages de la part des entreprises ou, a contrario, peut conduire les entreprises à adopter un cadre rigide entravant sa capacité à s’adapter à la réalité de leur marché.

Le règlement d’exemption est, de plus, conditionné à l’ab-sence d’une part de marché excessive. Cela va aussi dans le sens d’une meilleure prise en compte des effets possibles de ces pratiques sur le marché. L’idée d’avoir un critère de part de marché en tant que tel ainsi que le seuil de 30 % parais-sent raisonnables, parlons-nous toutefois de part de marché

à l’amont du côté des fournisseurs, à l’aval du côté des dis-tributeurs ?

Reste le point sur lequel je vais discuter, à savoir la ques-tion des clauses dites caractérisées, c’est-à-dire les clauses considérées comme ayant automatiquement un objet ou un effet anticoncurrentiel.

Je vais commencer par la pratique dite des prix minimums imposés, selon laquelle c’est le fabricant, le fournisseur, qui fixe le prix de vente au consommateur pour ses produits. Il y a un certain décalage entre la jurisprudence un peu partout dans le monde et ce que nous pouvons voir dans la littérature économique sur la question. Du côté juridique, c’est une clause qui est souvent noire. Elle est souvent illégale per se dans les juridictions où cette notion a Cours. Au niveau communau-taire, il s’agit d’une restriction caractérisée, considérée comme tombant automatiquement sous le coup de l’article 81.

A contrario, d’autres types de restriction qui ne portent pas sur les prix (protections territoriales, clauses exclusivité) bénéficient d’un traitement plus tolérant. Il y a toujours des exceptions. Si on regarde l’historique de la situation aux Etats-Unis, il y a eu un aller-retour entre l’illégalité en soi et les rè-gles de raison, tant pour les prix « plancher » que pour les prix « plafond ». Dans l’hexagone, les prix « plancher » sont bannis, considérés comme une pratique noire, sauf bien sûr lorsqu’ils sont obligatoires, comme dans le cadre des journaux ou des livres ; et pendant la période de la loi Galland, des prix « plancher » ont de facto été mis en place pour les produits de marque dans les grandes surfaces.

Si nous nous tournons vers la littérature économique sur l’effet des restrictions verticales, nous n’avons pas de contraste aussi clair entre les restrictions portant sur les prix, qui seraient nécessairement noires, et les autres types de restrictions, pou-vant apparaître sous un jour plus favorable.

Nous pouvons distinguer différentes catégories d’effets pro ou anticoncurrentiels. Il y a d’abord les problèmes de coordi-nation verticale, pour une marque donnée, entre fournisseur en amont et distributeur en aval. De manière générale, coor-donner les multiples décisions qui doivent être prises à ces deux niveaux n’est pas chose simple, et diverses restrictions verticales peuvent contribuer à améliorer cette coordination ; ceci est probablement dans l’intérêt des parties prenantes mais peut aussi, dans nombre de cas, bénéficier au consommateur qui se voit ainsi proposer des produits et des services dans de meilleures conditions.

Mais, pour notre propos, ce qui ressort surtout de cette littérature est que les pratiques portant sur les prix peuvent, tout autant que les autres, être utilisées afin d’améliorer cette coordination amont-aval, ce qui ne justifie donc guère un trai-tement différent pour les pratiques portant sur les prix.

Si nous nous tournons maintenant vers la littérature qui s’intéresse à l’effet des différents types de restriction verticale sur la concurrence inter-marque, le bilan n’apparaît pas né-cessairement favorable aux autres types de restriction, ce qui là encore ne justifie pas, d’un point de vue économique, le

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traitement différencié clouant au pilori les restrictions sur les prix. Je peux renvoyer ici à plusieurs synthèses de la littérature dont un rapport sur les accords de franchise qui remonte déjà à 15-20 ans, dans lequel nous avions déjà ces débats.26

Examinons plus en détail ces deux types d’effet que je viens de mentionner, concernant respectivement la coordination verticale intra-marque et la concurrence inter-marques.

La littérature a depuis longtemps identifié plusieurs pro-blèmes de coordination, en commençant par le risque de parasitage, ou « free-riding », des services de distribution. Jean Chapelle a par exemple mobilisé l’activité du Conseil de la concurrence, il y a maintenant un certain temps de cela, pour avoir attiré les clients dans ses magasins, ouverts en face de la Fnac ou de Darty, en leur disant « si vous ne savez ce dont vous avez besoin, traversez la rue et vous aurez toutes les informations nécessaires ; vous pourrez ainsi choisir en connaissance de cause, puis revenez chez moi et vous ob-tiendrez moins 20 % » – un exemple classique de parasitage des services de conseils à l’achat et de tests fournis par les autres distributeurs.

Un autre rôle des distributeurs peut être aussi, via leur réputation, de certifier la qualité des produits proposés. Afin de protéger et encourager les distributeurs à fournir ces diffé-rents services, il est peut-être utile de recourir à des restrictions verticales. C’est une bonne chose pour les entreprises, mais cela peut également bénéficier aux consommateurs – surtout lorsqu’il existe une forte concurrence inter-marques incitant les entreprises à développer les produits et services effectivement recherchés par les consommateurs.

Toutefois, les restrictions relatives aux prix, telles que l’adoption de prix plancher, peuvent aussi bien servir ce but que les autres types de restriction, telle qu’une protection ter-ritoriale exclusive. Interdire par exemple de vendre à un prix inférieur à celui de la Fnac ou de Darty réduit à néant toute stratégie de parasitage ; la concurrence portera alors sur les services proposés et, à prix égal, les clients se tourneront vers les distributeurs offrant les meilleures prestations. De même, attribuer un territoire exclusif à la Fnac ou à Darty empêche d’ouvrir un magasin situé juste en face.

Améliorer la coordination verticale ne bénéficie pas tou-jours au consommateur. La concurrence intra-marque peut par exemple parfois « remonter » vers les fournisseurs et limiter leur pouvoir de marché.

L’idée est la suivante : un producteur disposant d’un pou-voir de marché important a intérêt à maintenir des prix assez élevés pour ses produits et, pour ce faire, promettre à chacun de ses distributeurs qu’il sera « bien traité », notamment par

26. Rapport OCDE, « Politique de la concurrence et restrictions verticales: les accords de franchise », Publications de l’OCDE, Paris, 1994 ; P. Rey et F. Caballero-Sanz, « The Policy Implications of the Economic Analysis of Vertical Restraints », Economic Papers n° 119, European Commission, 1996 (voir aussi le.Livre vert sur les restrictions verticales publié par la Commission européenne en 1997) ; P. Rey, « Price Control in Vertical Relations », dans The Pros of Vertical Restraints, Swedish Competition Authority, 2008 ; et P. Rey et Th. Vergé, « The Economics of Vertical Restraints”, dans Handbook of Antitrust Economics, Paolo Buccirossi ed., MIT Press, 2008.

les autres distributeurs du fabricant, afin de convaincre les dis-tributeurs de faire les efforts nécessaires et d’accepter une forte rémunération des produits ; mais une fois un accord trouvé, le même producteur a aussi intérêt à se tourner vers d’autres distributeurs et à « parasiter » ainsi les premiers.

Des restrictions verticales permettent de limiter ces risques de comportement opportuniste, permettant ainsi au fournis-seur de mieux exploiter son pouvoir de marché – ce qui se fait alors au détriment du consommateur. Il s’agit donc ici d’un cas de figure où les restrictions verticales peuvent être utilisées à des fins anticoncurrentielles mais, ici aussi, cela peut se faire avec des restrictions sur les prix (comme des prix de revente imposés) ou d’autre nature (clauses d’exclusivité, protection territoriale …).

Il ressort de ceci que les effets avancés au titre d’une meilleure coordination verticale, qu’ils soient plutôt pro- ou anticoncurrentiels, ne permettent pas de conclure que les pratiques portant sur les prix sont nécessairement meilleures ou plus mauvaises que les autres.

Abordons maintenant la littérature relative aux effets des restrictions verticales sur la concurrence inter-marques. Une première ligne d’arguments souligne qu’en façonnant le com-portement des distributeurs et donc la nature de la concur-rence en aval, les restrictions verticales peuvent être utilisées par les producteurs pour atténuer la concurrence en amont entre marques rivales.

En d’autres termes, les producteurs peuvent organiser leurs relations commerciales avec les distributeurs de façon à ce que la concurrence inter-marques soit plus indirecte, et de ce fait atténuée. Ceci profite évidemment aux entreprises mais nuit aux consommateurs et à l’efficacité d’ensemble. Les pratiques susceptibles d’être utilisées doivent permettent de déléguer davantage de décisions aux distributeurs, de façon à rendre moins frontale la concurrence entre fabricants. Des clauses de restriction territoriale peuvent par exemple jouer ce rôle, car en limitant la concurrence intra-marque, elles donnent plus de liberté aux distributeurs dans la fixation de leurs prix de vente.

La pratique de prix minimums imposés va au contraire dans le mauvais sens, puisqu’elle limite la liberté d’action des distributeurs ; elle ne peut pas être utilisée à cette fin. Cette ligne d’arguments milite donc pour une attitude plus sévère à l’égard de restrictions telles que par exemple les protections territoriales, qu’à l’égard de clauses portant sur les prix mini-mums. Dans le même esprit, il y a une imposante littérature sur les stratégies d’éviction verticale, qui mettent en cause des pratiques de type vente liée ou clause d’exclusivité, et non pas des pratiques de type prix minimums.

Clairement, il nous est difficile, arrivés à ce stade, de justi-fier une attitude plus sévère à l’égard des restrictions portant sur les prix.

Avec Bruno Julien, nous avons toutefois formalisé un ar-gument, parfois avancé par certains tribunaux, selon lequel le contrôle des prix de revente par les producteurs peut le cas

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échéant faciliter ainsi la collusion en permettant aux acteurs de maintenir des prix plus uniformes. Cela leur permet en ef-fet de vérifier plus facilement que chacun s’en tient à l’accord qui a été conclu.

Enfin, je mentionnerai pour finir deux autres types d’argu-ments anticoncurrentiels. Tout d’abord, des distributeurs pour-raient être tentés de déguiser des accords de cartel purement horizontaux en accords verticaux. Un cas d’école est celui des librairies suisses, à une époque où il était légal en Suisse d’or-ganiser un cartel à condition de le soumettre à l’approbation et à la supervision d’un « bureau des cartels ».

Ce contrôle devenant trop pesant, les libraires décidèrent d’arrêter leur cartel, du moins en apparence, et se tournèrent vers un importateur exclusif pour les livres allemands ; de ma-nière intéressante, l’accord conclu par chacun avec cet impor-tateur spécifiait le prix de vente en librairie… En fait, l’accord horizontal de cartel avait été simplement remplacé par des accords supposés verticaux. Il existe peu de cas de ce genre en pratique, mais on ne peut pas exclure que ce soit lié au fait que, jusqu’à maintenant, la pratique des prix minimums était considérée plus ou moins comme illégale de fait. Si nous relâchons cette contrainte, nous ne pouvons pas préjuger du nombre de cas qui pourrait apparaître.

Par ailleurs, la situation la plus fréquente pour les produits de consommation Courante n’est pas celle d’une concurrence entre réseaux mono-marques séparés : on trouve au contraire les mêmes marques rivales (Coca et Pepsi, par exemple) dans les différentes enseignes (comme Auchan et Carrefour) ; nous observons donc des « relations croisées » entre producteurs et distributeurs, dans lesquelles des producteurs concurrents sont distribués par des enseignes elles-mêmes en concurrence.

Avec Thibaud Vergé, nous avons montré que, dans ce genre de situation, le contrôle des prix de revente par les producteurs peut en fait conduire à éliminer toute concurrence, tant en amont entre fournisseurs qu’en aval entre distributeurs.

L’épisode de la loi Galland confirme ces craintes. Elle n’a certes pas imposé aux entreprises l’adoption de prix minimums mais a permis de fait aux grands fabricants, via le système de seuil de revente à perte, de faire respecter par leurs distribu-teurs des prix « plancher ».

Un certain nombre d’indicateurs montrent que cette pé-riode a été marquée par une augmentation plus prononcée des prix des grandes marques en grande surface en France, par rapport aux pays voisins. Un tableau tiré du rapport Canivet sur la base d’une source Ilec27 montre par exemple que les prix des produits de marque en grande surface, qui étaient plutôt plus bas que dans le reste de l’Europe, avant l’adoption de la loi Galland, se retrouvaient en situation moins favorable quelques années plus tard.

On observe la même chose en regardant les prix des pro-duits alimentaires et des boissons non-alcoolisées. Ceci suggère que la loi Galland est bien concomitante d’une évolution des prix en France plus prononcée que dans les pays n’ayant pas

27. Ilec : institut de liaison et d’études des industries de consommation.

adopté de dispositif semblable.

Par ailleurs, Céline Bonnet et Pierre Dubois ont fait une étude économétrique, basée sur une approche d’économétrie structurelle et des données de panel relatives au marché fran-çais de l’eau en bouteille, portant sur plus de 10 000 ménages, plus de trois ans de données mensuelles et incluant la plupart des grandes enseignes ainsi que les principaux producteurs. Ils ont comparé différents modèles selon le type de contrat passé entre le fournisseur et le distributeur : s’agit-il de prix linéaires ou y a-t-il des éléments forfaitaires ?

Est-ce qu’il y a de la collusion en amont ou en aval ? Constate-t-on un contrôle de prix de revente par le fournis-seur ? Finalement, le modèle qui semble le mieux correspon-dre aux données inclut bien le contrôle des prix de vente par les fabricants. Le modèle ainsi estimé prédit que l’interdiction de ce contrôle du prix de revente par les fournisseurs aurait permis de réduire les prix d’environ 7 %, ce qui n’est pas né-gligeable.

Quelle conclusion tirer de cela quant à l’attitude à avoir à l’égard des pratiques de prix minimums imposés ? Une pre-mière leçon de la littérature est qu’il convient de distinguer les différentes situations, selon qu’il s’agit ou non d’une utili-sation généralisée à l’ensemble du secteur. Utiliser la pratique pour faciliter la collusion va à l’encontre du consommateur mais suppose que la pratique est généralisée ; de même en cas de « relations croisées », l’entrave à la concurrence est d’autant plus importante que la pratique touche un plus grand nombre d’acteurs.

A contrario, un nouvel entrant essayant de s’établir sur le marché et recourant à une pratique de prix imposés pour mieux coordonner son activité et le déploiement de son produit, ou une utilisation ponctuelle de cette pratique par un acteur donné représentent des cas de figure très différents. Cela ne milite pas pour une attitude systématiquement ouverte ou fermée, mais pour une appréciation liée à la situation du marché.

On peut noter qu’en tout état de cause, la notion d’il-légalité en soi n’existe pas au niveau communautaire ; en théorie tout au moins, il est toujours possible de recourir à l’article 81(3). Certes, en pratique la Commission a tout fait pour déCourager jusqu’à maintenant la prise en compte des arguments d’efficacité en ce qui concerne les clauses caracté-risées, notamment les prix minimums imposés. Une première étape consisterait à rappeler, de manière claire, que le 81(3) existe et est accessible. Au-delà, nous pourrions envisager de « renverser la charge de la preuve » pour les entreprises dont les parts de marché sont significatives. Il est en effet difficile de justifier, du point de vue économique, comment l’imposi-tion de prix minimums par une entreprise bénéficiant d’une faible part de marché est en soi susceptible de poser un sé-rieux problème ; les arguments d’efficacité, notamment pour ceux qui essaient d’entrer sur un marché ou de s’y développer, pourraient a contrario être plus pertinents.

Par rapport au schéma évoqué par Andrei Gurin (l’Autorité de concurrence appliquant le 81(1), à charge ensuite pour les entreprises de se défendre au titre du 81(3), nous pourrions

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envisager de rendre automatique le 81(1) lorsque la part de marché est significative ; cela permettrait peut-être de mieux concilier l’approche économique et le dispositif juridique.

Je voudrais maintenant brièvement discuter une autre clause caractérisée, le territoire exclusif. Le dispositif commu-nautaire fait à ce sujet une distinction entre ventes « actives » et « passives », distinction que nous ne retrouvons pas du point de vue économique. Or, les mêmes causes produisant les mêmes effets, s’il apparaît désirable de fournir une pro-tection territoriale, il est a priori souhaitable d’aller jusqu’au bout et de protéger contre les différentes formes de vente, passives comme actives.

Cette distinction entre vente active et vente passive ouvre d’ailleurs la porte à différentes techniques d’arbitrage, telles que le recours à des agents. Nous l’avons vu dans le secteur de l’automobile, où de sensibles différences de prix entre par exemple l’Allemagne et l’Italie ont engendré une proliféra-tion d’agents agissant comme intermédiaires et achetant les voitures en Italie, où le prix est moins cher, pour le compte d’acheteurs hors frontière.

Une telle vente est-elle passive, active ? Elle sera pro-bablement traitée comme passive puisque c’est l’agent qui va aller en Italie acheter la voiture, mais il fait cela pour le compte d’un acheteur qui se trouve de l’autre côté et peut par ailleurs recourir à différentes formes de « communication » pour trouver cet acheteur ; la distinction me semble donc quelque peu trouble.

Cette question des territoires exclusifs et des ventes acti-ves se reflète dans celle des importations parallèles, même si proscrire à tout prix l’interdiction des importations parallèles semble inspiré par un objectif centré davantage sur l’inté-gration des marchés que la concurrence. Notons au passage que cette attitude peut en fait desservir l’objectif d’intégra-tion des marchés.

Supposons par exemple qu’un fabricant cherche à entrer sur un nouveau marché et que les distributeurs en place ne sont pas prêts à le faire s’ils ne sont pas protégés à l’égard des importations parallèles ; interdire à ce fabricant de lutter contre les importations parallèles revient à l’empêcher d’entrer sur ce nouveau marché, ce qui va à l’encontre de l’objectif d’intégration.

L’enjeu des importations parallèles rejoint la question « est-ce une bonne idée d’autoriser une certaine forme de discrimi-nation sur les marchés, entre groupes de consommateurs ou entre pays ? » Du point de vue économique, la discrimination est un peu le nerf de la guerre de la concurrence. Interdire toute discrimination limite en effet l’intensité de la concurrence : une entreprise sera évidemment moins encline à consentir un rabais si elle doit est contrainte de l’appliquer automatiquement à tous ses autres clients. Il y a donc une certaine tension entre l’objectif d’intégration et celui de concurrence.

Cette tension est particulièrement présente pour des pro-duits tels que les médicaments pris en charge par les systèmes nationaux de santé. Il n’est pas évident de définir les clients dans

ce cas : par exemple, qui décide d’acheter ? Ce sont en fait les gouvernements (ou les autorités de santé) qui influencent les prescripteurs (c’est-à-dire les docteurs, et non les patients) via le système de santé défini au niveau national.

Dans le même esprit, qui paie pour ces médicaments ? C’est là encore en grande partie le gouvernement (ou plus exactement le contribuable, selon des règles définies par le gouvernement). Le client, défini traditionnellement comme celui qui décide d’acheter ou pas – et paie la facture en cas d’achat – est donc le gouvernement national plutôt que l’ « utilisateur » final : ce n’est pas le patient qui décide quel médicament il convient de prendre (et quels protocoles uti-liser pour prendre cette décision) et ce n’est pas non plus lui qui en paiera la plus grande part. Cette industrie est d’autant plus particulière que ce sont aussi les « clients », à savoir les gouvernements nationaux, qui déterminent les prix.

Le dispositif varie certes d’un pays à l’autre, et cela peut se faire de manière plus ou moins directe. Dans certains pays, une loi stipule que le prix doit être la moyenne des prix les moins chers en Europe. Dans d’autres cas, c’est plus indirect et passe par une régulation des taux de rentabilité des com-pagnies pharmaceutiques. Cependant, dans tous les cas nous avons un système où ce sont les clients (les gouvernements nationaux) qui, directement ou non, fixent les prix pour leurs marchés respectifs.

Il s’agit par ailleurs d’une industrie où, si la dimension prix est évidemment importante, d’autres dimensions (recherche, inno-vation) sont également critiques. Il y a donc un arbitrage à faire entre gains de Court-terme, en termes de contraintes budgétaires, et gains à moyen et long-terme, en termes de développement de meilleurs traitements dans le futur. Dans ce contexte, proscrire l’interdiction des importations parallèles revient à imposer aux autres gouvernements les choix de ceux qui privilégient le plus les aspects à Court-terme de contraintes budgétaires et sont donc le moins disposés à contribuer à l’effort de recherche-dévelop-pement. Plutôt qu’une « intégration » des marchés, cela revient à un alignement unilatéral sur les politiques nationales les plus tournées vers les contraintes budgétaires.

Il n’est pas du tout évident que ce soit la bonne façon de créer un marché unique ; il serait certainement préférable d’avoir des négociations multilatérales, rassemblant les dif-férentes autorités nationales autour de la table. Tout ceci est d’autant plus regrettable que le caractère de « bien public » de la recherche fait que nous partons probablement d’une situation où l’effort d’innovation est déjà inférieur à ce qui serait socialement souhaitable et nous allons donc nous écar-ter encore plus de ce niveau désiré. Le TPI a pris en compte ces spécificités dans son jugement dans l’affaire Glaxo-Spain, reste à voir quelle sera l’attitude du jugement de la Cour de justice.

Un autre débat porte sur les ventes en ligne et notamment sur la question de savoir s’il s’agit de ventes actives ou pas-sives. Du point de vue économique, une vente est « active » lorsque le vendeur « démarche » un territoire attribué à un autre distributeur.

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Dans la mesure où la publicité et les ventes en ligne vi-sent tous les territoires (y compris en dehors des frontières nationales), elles s’attaquent a priori également aux territoi-res protégés et tombent donc clairement du côté des ventes actives. Une autre distinction porte sur la différence entre les revendeurs en ligne qui n’exercent que cette activité (pure players) et ceux (brick and mortar) qui sont des distributeurs classiques, disposant de leurs propres magasins et dévelop-pant en plus une activité de vente en ligne. Toutefois, sur la partie de vente en ligne, les brick and mortar se retrouvent dans la même situation que les pure players et attaquent de front l’ensemble des autres territoires.

Afin de progresser dans ce domaine, il paraîtrait utile d’adopter une démarche semblable à celle évoquée ci-dessus pour les prix de vente imposés, faisant attention à ne pas être systématiquement négatif et en particulier à distinguer les cas de figure selon l’importance de la part de marché avant de renverser la charge de la preuve.

Focus n° 1 : La réforme du règlement automobileJacques GauthierDirecteur droit économique et social, PSA Peu-geot Citroën

Le secteur automobile est depuis très longtemps l’objet des attentions des autorités de la concurrence. Il y a eu les arrêts BMW dans les années 70, et plus récemment, des règlements d’exemption par catégorie spécifiques à l’automobile. Ce fut d’abord en 1985, le règlement 123-85 puis en 1995 le règle-ment 1475-95 instituant pour l’automobile un système de distribution sélectif et exclusif exempté. En 2002, un nouveau règlement, le 1400-2002, a remplacé le règlement précédent et introduit la distribution sélective dans le secteur automobile, ce qui a entraîné une réorganisation des réseaux. Ce règlement 1400-2002, vient à échéance le 31 mai 2010. Or, cette date coïncide avec celle du règlement 2790-99 portant exemption par catégorie des accords verticaux (restrictions verticales).

La réflexion sur l’évolution du règlement 1400-2002 a été lancée il y a un an environ, avec la publication en mai 2008 d’un rapport d’évaluation de la DG concurrence ainsi que cela était prévu par le règlement 1400-2002. Ce rapport d’évalua-tion a suscité les prises de position des différentes parties in-téressées. Dans ce contexte, Mme Neelie KROES, commissaire à la concurrence, a réuni des représentants de la distribution automobile en début d’année 2009.

La problématique est, en fait, la suivante : faut-il appli-quer à la distribution automobile un règlement d’exemption spécifique ou bien le règlement général d’exemption sur les restrictions verticales ?

Pour comprendre cette problématique, posons-nous la question suivante :

Pourquoi en 2002 un nouveau règlement spécifique à l’automobile ?

La Commission européenne avait pour objectif d’accentuer la libre concurrence au sein du secteur automobile en favo-risant d’une part la diversification des modes de distribution au sein de l’automobile - nous étions dans un système quasi unique de distribution sélective et exclusive, combinant donc ces deux formes de distribution - et d’autre part le multi-mar-quisme. La Commission européenne estimait en effet que le mono-marquisme pouvait être un moyen pour les construc-teurs en place, au sein de l’Union européenne, d’empêcher l’arrivée de constructeurs non européens.

La Commission souhaitait également faciliter le commerce transfrontalier, dans le cadre du marché intérieur unique en favorisant les importations parallèles, les mandataires, et les implantations hors frontière des concessionnaires.

Il s’agissait aussi de développer la concurrence dans le secteur de l’après-vente et des pièces de rechange. Enfin, la Commission européenne estimait que préserver l’indépendance des distributeurs à l’égard des constructeurs automobiles était également un moyen de favoriser la concurrence et qu’à ce titre il convenait de réglementer les relations contractuelles existant entre eux.

Le règlement 1400-2002 constitue un véritable corpus juridique, complexe et précis nécessitant parfois, et ce de manière paradoxale, des précisions supplémentaires. Il s’ac-compagne d’une brochure explicative, propre à l’automobile, de communications et déclarations faites par les hauts fonc-tionnaires de la DG concurrence, et d’un ensemble jurispru-dentiel important à la fois communautaire et national. Enfin, le développement des procédures d’engagement au niveau communautaire et national est venu ajouter sa pierre à cet édifice déjà complexe.

Pour comprendre les enjeux actuels, entrons dans le détail de ces dispositions spécifiques à l’automobile et comparons-les avec les dispositions du règlement général 2790-99.

Le secteur automobile est régi, en effet, par des disposi-tions très spécifiques. D’abord, le seuil de 30 % prévu par le règlement de 2790-99, en dessous duquel les accords res-trictifs de concurrence peuvent bénéficier de l’exemption par catégorie est relevé à 40 % pour la seule vente des véhicules neufs. Cela signifie que jusqu’à 40 % de part de marché au niveau national, le constructeur a la possibilité de mettre en oeuvre un système de distribution sélective quantitative, ce qui ne serait pas possible avec le règlement 2790-99. Par contre, la combinaison de la distribution sélective et de la distribu-tion exclusive est interdite par le règlement 1400-2002, alors qu’elle est autorisée par le règlement de 2790-99. Ensuite, relevons dans le règlement 1400-2002 une disposition très importante, à savoir la suppression du lien vente/après-vente qui se traduit par l’interdiction faite au concédant d’imposer au concessionnaire automobile d’assurer l’après-vente des vé-

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hicules neufs qu’il vend, disposition que nous ne retrouvons pas dans le règlement 2790-99.

S’agissant des importations parallèles, il existe, comme évo-qué ci-dessus, des dispositions particulières dans le règlement 1400-2002, relatives aux mandataires et à leurs activités, que l’on ne retrouve pas dans le règlement 2790-99 : cela provient d’une jurisprudence importante concernant le secteur auto-mobile remontant essentiellement aux années 70 et 80.

Élément différent, encore, la clause de localisation. Nous retrouvons dans le règlement 2790-99 cette disposition qui permet à un concédant d’interdire à son distributeur agréé d’ouvrir un établissement en dehors de son établissement prin-cipal ; dans l’automobile, cette faculté a été supprimée dans le but de favoriser l’unicité du marché intérieur. En d’autres termes, les distributeurs automobiles peuvent ouvrir où ils veu-lent, quand ils veulent et sans l’autorisation du constructeur, des établissements, en dehors de leur établissement principal, voire dans d’autres États-membres de l’Union européenne.

Autre sujet, objet de nombreuses discussions en 2002, que nous retrouvons dans le règlement spécifique à l’automobile, les ventes aux loueurs. Longtemps s’est posée la question de savoir comment il fallait traiter les loueurs professionnels de véhicules. Devait-on les considérer comme des revendeurs ou des intermédiaires ? La Commission européenne a considéré qu’il s’agissait de consommateurs finals. Il n’y a aucune dis-position similaire dans le règlement général.

Autre dispositif, propre à la distribution automobile, le mul-timarquisme : les constructeurs automobiles ne peuvent pas imposer d’exclusivité de marque à leurs distributeurs agréés. Sur un thème voisin, à noter la clause de non-concurrence qui est réduite à 30 %, alors qu’elle est de 80 % dans le règle-ment général. En d’autres termes, un concédant est autorisé à imposer à un distributeur de véhicules neufs ou de pièces de rechange de réaliser un chiffre d’affaire d’achat de pro-duits que commercialise le concédant mais seulement dans une limite de 30 % de l’ensemble de ses achats. Ce taux est de 80 % dans le cadre du règlement 2790-99.

À noter également les dispositions très spécifiques et plus complexes que celles prévues par le règlement 2790-99 pour les pièces de rechange.

Enfin, s’agissant de l’encadrement des relations contrac-tuelles, il existe de nombreux éléments dans le règlement 1400-2002 que nous ne retrouvons pas dans le règlement 2790-99. En voici quelques exemples :

n La durée des contrats : elle est soit de 5 ans au minimum avec un préavis de non-renouvellement de six mois, soit indé-terminée avec un préavis de résiliation de deux ans.

n L’obligation de motiver les résiliations des contrats à durée indéterminée, pour vérifier si la décision prise par le concédant est conforme ou pas conforme au droit de la concurrence.

n Un système d’arbitrage et d’expertise pour tenter de résoudre les contentieux apparaissant à l’occasion de l’exé-cution des contrats de distribution.

Nous avons donc là tout un ensemble extrêmement pré-cis, exhaustif et beaucoup plus sévère que les dispositions du règlement 2790-99. D’ailleurs, la Commission européenne, dans la brochure explicative publiée en même temps que le règlement 1400-2002, reconnaissait elle-même cette sévérité particulière réservée à la distribution automobile.

Ce comparatif m’a paru nécessaire puisque tout le débat va être de savoir s’il convient de maintenir ou non ces dispositions plus contraignantes, spécifiques au secteur automobile.

Le rapport d’évaluation de la DG concurrence du mois de mai 2008 est un premier élément de réponse important.

Ce rapport fait un constat sévère. Si les auteurs du rapport constatent que : « l’environnement concurrentiel du marché automobile s’est considérablement amélioré depuis l’an 2000 » [et que] « Le règlement 1400-2002 a facilité l’adaptation du secteur automobile à cet environnement, en mutation », ils précisent aussitôt que cette évolution s’est réalisée : « à par-tir des principes généraux dérivés des principes généraux de concurrence repris par le règlement 2790-99 ».

En d’autres termes, les auteurs du rapport reconnaissent que le marché européen automobile a été obligé de s’ouvrir à la concurrence plus sous la pression du marché que sous celle des dispositions du règlement 1400-2002. Et les auteurs du rapport continuent en affirmant : « il n’y a pas de lien de cause à effet évident entre les dispositions spécifiques du règlement 1400-2002 et les améliorations des conditions de concurrence ». Ils poursuivent en relevant que certaines dispositions du règlement 1400-2002 n’ont finalement pas eu à s’appliquer et que d’autres ont pu renchérir les coûts de distribution.

Les auteurs du rapport prennent plusieurs exemples fort intéressants.

Ainsi notent-ils que les concessionnaires ont peu utilisé les opportunités qui leur étaient offertes en matière de multimar-quisme. Bien souvent, et c’est le cas dans les réseaux Peugeot et Citroën, les concessionnaires appartiennent à des groupes constitués de plusieurs filiales, chacune d’elles représentant une marque donnée. Les règles du multimarquisme n’ont donc eu l’occasion de s’appliquer que très rarement.

Concernant l’absence de diversification des modes de dis-tribution, les auteurs du rapport relèvent que la distribution sélective quantitative des véhicules est devenue le modèle do-minant ; par contre, s’agissant des pièces de rechange et de l’après-vente, le système de distribution sélective qualitative a été appliqué par tous.

Les auteurs du rapport relèvent que les dispositions rela-tives à la clause de localisation n’ont pas été utilisées par les concessionnaires.

S’agissant du lien vente/après-vente, rappelons les disposi-tions du règlement 1400-2002 qui imposent la séparation des activités vente de véhicules neufs et après-vente, en interdisant au concédant d’obliger un concessionnaire de véhicules neufs à assurer la réparation des véhicules. Les auteurs du rapport

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bonne conduite qui reprendrait un certain nombre de dispo-sitions en matière de durée des contrats et préavis et de rè-glement des litiges.

Les autorités nationales de concurrence, telle l’adminis-tration française, sont favorables au maintien des principales dispositions du règlement 1400-2002, spécifique à la concur-rence dans le domaine automobile, ainsi qu’au maintien d’un certain nombre de dispositions relatives à l’encadrement des relations contractuelles.

Les associations de consommateurs ne se sont pas, à ma connaissance, prononcées dans ce débat.

Par contre, il est important de relever que les concessionnai-res et les distributeurs ont demandé le maintien pur et simple des dispositions du règlement 1400-2002 pour les 10 prochai-nes années. Cela a fait l’objet de débats et de Courriers pas-sionnés de la part des représentants des concessionnaires.

Les opérateurs indépendants et les équipementiers, d’une manière générale ne partagent pas non plus l’analyse des auteurs du rapport. Ils sont favorables au maintien de tout le dispositif du règlement 1400-2002 relatif à la concurrence sur le marché de l’après-vente et le marché des pièces de re-change.

Voilà où nous en sommes. Aujourd’hui, il existe plusieurs hypothèses de travail, certaines plus crédibles que d’autres. Pour les constructeurs automobiles, l’application du nouveau règlement sur les restrictions verticales, avec ou sans code de bonne conduite, s’inscrit naturellement dans la suite du rapport d’évaluation. Le renouvellement pour 10 ans du règlement 1400-2002 demeure la position des concessionnaires.

L’application, au secteur automobile, du nouveau règle-ment général sur les restrictions verticales assorti de lignes directrices spécifiques à l’automobile, a été envisagée à un moment. Aujourd’hui, deux hypothèses émergent : soit un nouveau règlement spécifique à l’automobile, mais qui pour-rait combiner à la fois les règles du règlement général appli-quées au commerce des véhicules neufs et les règles spécifi-ques du règlement 1400-2002 sur l’après-vente et les pièces de rechange, soit, la prorogation du règlement 1400-2002 pour deux ou trois ans, en attendant la sortie de crise dans le secteur automobile.

Prochaines étapes

Fin juin 2009, devrait avoir lieu une consultation inter-ser-vices au sein de la Commission et ce avant que la Commission ne prenne position fin juillet 2009 dans le cadre d’une com-munication. Entre temps, une nouvelle réunion entre le com-missaire à la concurrence et les professionnels de l’automobile devrait avoir lieu.

Tout cela doit être resitué à la fois dans le contexte général du processus de décision relatif au règlement général sur les restrictions verticales dont nous vous avons parlé en début de séance et dans le contexte politique lié au renouvellement de la Commission européenne.

se sont aperçus que la très grande majorité des concession-naires de véhicules neufs sont en fait réparateurs agréés de la marque. Cela s’explique par des raisons commerciales (assurer l’après-vente des produits qu’il vend est assez naturel pour le vendeur), mais aussi pour des raisons économiques, l’activité après-vente étant aujourd’hui plus rentable que l’activité de vente. Les dispositions du règlement 1400-2002 n’ont donc pas fonctionné.

L’obligation imposée par l’article 4.2 du règlement 1400-2002 aux constructeurs automobiles de donner aux opéra-teurs indépendants l’accès aux informations techniques de-vait favoriser la concurrence entre les réparateurs agréés des constructeurs et les réparateurs indépendants.

Les autorités communautaires et nationales de la concurrence ont été amenées à préciser ce dispositif d’engagements dans des procédures impliquant certains constructeurs. Aujourd’hui, la Commission européenne estime que cette question est qua-siment réglée puisque le règlement 751-2007 dénommé Euro 5 Euro 6, vient réglementer ce domaine avec un dispositif plus sévère, l’homologation type des véhicules pouvant être retirée lorsque les informations techniques ne sont pas fournies aux ré-parateurs indépendants. Enfin, les auteurs du rapport rappellent que restent applicables, en tout état de cause, les dispositions des articles 81 et 82 du Traité, qui permettent de sanctionner le non-accès aux informations techniques.

Les auteurs du rapport estiment, par ailleurs, que les dis-positions très précises du règlement 1400-2002 n’ont pas eu d’effet concurrentiel particulier dans le domaine des pièces de rechanges et que si les constructeurs ont maintenu une part de marché importante, ils le doivent notamment à leur logistique performante.

Enfin, s’agissant de l’encadrement des relations contrac-tuelles, les auteurs du rapport d’évaluation considèrent que la durée des contrats et des préavis, l’obligation de motiver la résiliation des contrats et le règlement des conflits, relèvent plus du droit contractuel que du droit de la concurrence ; ils ajoutent que la durée des contrats de distribution, lorsqu’elle est trop longue, peut même être un élément anticoncurrentiel.

En conclusion, les auteurs du rapport préconisent un ré-gime plus flexible, proche voire identique à celui prévu par le règlement général d’exemption des restrictions verticales.

Rapidement, quelques mots sur la réaction des acteurs économiques :

Les constructeurs, globalement, souscrivent à ce rapport mais émettent des réserves. Ils voudraient connaître les dispo-sitions du prochain règlement général si celui-ci devait s’ap-pliquer à l’automobile. L’accès des opérateurs indépendants aux informations techniques, réglé par d’autres dispositions communautaires, ne nécessite plus de dispositions particuliè-res. Ils estiment que l’encadrement contractuel est superflu puisque la jurisprudence nationale des différents Etats de l’Union européenne assure bien souvent un niveau élevé de protection et d’encadrement des distributeurs automobiles. Cela dit, les constructeurs suggèrent de publier un code de

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cela signifie que je valorise davantage ce produit qu’un autre, au moins étant donné la quantité et la différence de prix.

Quelle est la conséquence de cela ? Quand on parle des res-trictions verticales, de la théorie des efficiences des restrictions verticales, il s’agit de réduire quelque peu la concurrence sur les prix pour favoriser la concurrence sur d’autres aspects du service de vente ; on augmente un peu les prix, mais on crée des services forcément valorisés puisque le consommateur a payé un prix plus élevé. Cela signifie qu’il valorise les services. Toute l’évidence empirique sur ces efficiences est fondée sur le fait que sur un marché concurrentiel avec des restrictions verticales le prix et la quantité augmentent et on déduit auto-matiquement qu’il y a eu des efficiences : des services payés et donc valorisés par la consommateur.

La demande a augmenté : on consomme plus, à des prix plus élevés. Donc, cela est efficient et satisfait tout le monde.

Un article très connu tente de faire une évaluation empiri-que sur l’effet des restrictions verticales sur les consommateurs sur divers marchés. Il trouve que ces effets sont soit ambigus, soit positifs. Cet effet positif est fondé sur le fait que si l’on observe un prix plus élevé avec une quantité plus élevée, cela veut dire que l’on a des efficiences manifestées par une hausse de la demande et donc le résultat est positif.

Cependant, l’économie comportementale, et l’analyse de la façon dont les gens réagissent aux coûts de transaction et prennent leurs décisions évoluent. Actuellement, on pense que l’on pourrait observer une augmentation de la demande qui n’est pas causée par une efficience.

Ce serait le cas où la personne a fait une mauvaise es-timation du prix. C’est-à-dire qu’elle paie plus cher, sans le savoir. Quand la personne a surévalué le produit, il ne s’agit pas vraiment d’une évaluation objective. Ou elle a été pous-sée à son choix par les frictions sur le marché qui rendent un autre choix trop compliqué. L’effort de la comparaison est trop élevé ou complexe et on perçoit les choix comme étant plus restreints. Dans tous ces cas-là, on verrait une augmentation de la demande sans efficience.

Comment cela est-il possible ? Pourquoi parle-t-on de cela maintenant ? Le comportement des consommateurs a fait de plus en plus l’objet de recherche. On a observé comment les gens agissent et prennent des décisions. On a découvert que les gens ne sont pas conséquents.

Souvent, les préférences sont endogènes, elles sont très influencées par les facteurs environnementaux, les circonstan-ces et le cadrage du choix. Ce ne sont pas des préférences qui m’appartiennent et qui sont fixes. Selon où je suis, comment je suis et ce que l’on me propose, je peux choisir des choses différentes et je ne suis pas conséquent dans le temps.

Par exemple, quand il y a un choix trop vaste, les gens blo-quent ; quand il y a un excès d’information, les gens arrêtent de s’informer parce que cela devient pénible. Je crois que, si l’on a tous reçu des prospectus avec des « petites lettres », on sait ce que cela veut dire. Et puis, ils sont inconséquents dans

Conclusion

Pour conclure, je dirais que tous les acteurs du secteur de la distribution automobile sont aujourd’hui dans l’expectative. Ils attendent que la Commission européenne officialise sa po-sition. Cela devient urgent parce que le règlement 1400-2002 prend fin dans quelques mois.

Focus n° 2 : Mieux prendre en compte le comportement des consommateursEliana Garces TolonMembre du cabinet de Meglena Kuneva, commissaire en charge de la protection des consommateurs, Commission européenne

Ce que je vais vous présenter ici n’est pas la position offi-cielle de la Commission européenne, mais plutôt l’état actuel de l’évolution en économie, le rôle des consommateurs dans les marchés de consommation et les évolutions importantes actuellement observées. Je vais donc étudier l’impact que pourrait avoir cette évolution en analyse économique sur les conclusions tirées de certaines pratiques et sur la politique de consommation et de concurrence avec une application, évidemment, aux restrictions verticales.

Les préférences correspondent à : « Moi, je sais ce que je veux. Si on met des objets devant moi, je sais tout de suite si je les aime, si je ne les aime pas et à quel point je les aime. Cela fait partie de moi et ne dépend pas des autres. Je peux juger tous les produits, je ne bloque pas sur des choix et mes préférences sont stables dans le temps. Demain, s’il fait beau, je sais que je vais vouloir une glace. » Cela s’applique aussi aux pensions : « Demain, je sais que j’aurai besoin de cet argent. J’épargne aujourd’hui, demain, je vais apprécier d’avoir cet argent. » Le processus de décision : « Je sais ce que j’aime et je sais donc ce qui me convient. Étant donné mes préférences, l’information dont je dispose sur les produits, et les coûts de transaction pour choisir un autre produit, je choisis ce qui me rend le plus heureux et ce choix est toujours bon. Donc, per-sonne n’a à me dire ce que je dois faire. En général, si on me donne la bonne information, je ne me trompe pas. »

Qu’est-ce cela donne ? Cela a l’air un peu anodin, mais a des conséquences assez importantes sur l’interprétation de ce que l’on voit sur les marchés. En économie, on considère qu’une transaction est toujours une révélation objective de la préférence du consommateur. Le prix payé est une mesure quantitative en relation avec cette préférence. S’il y a un mar-ché concurrentiel, j’ai le choix. Si je choisis un produit plus cher,

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qu’autrui confirme ce que l’on pense déjà voire ce que l’on voudrait penser. On croit ces gens même si, dans le cas de la vendeuse, on sait que son but est de vendre le vêtement. On la croira tout de même. Dans le cas d’un vêtement, ce n’est pas grave, mais ce peut l’être dans le cas d’un investissement.

Je parlerai plus tard des experts. Ainsi, on a tendance à faire confiance aux experts même si on sait qu’ils sont payés pour nous faire payer davantage.

Surcharge du choix d’information. Quand on a trop de choix ou trop d’information, le marché devient trop compli-qué et on ne compare plus. Si le marché est incontournable – énergie, télécoms, services financiers – le choix est fait au hasard. Ceci arrive souvent lorsque les prix sont multidimen-sionnels. On a 100 minutes gratuites avec trois numéros pré-sentant un tarif préférentiel, un tarif pour la journée, un tarif pour le soir et le week-end ; on a trois pays dans lesquels on peut appeler gratuitement et une réduction de 20 euros à la signature du contrat.

Après, on a un autre tarif aux paramètres similaires, mais non comparables. Donc, on ne sait pas quoi faire. Alors, on dit : « Je veux les minutes gratuites ». On cherche l’opéra-teur qui propose le plus de minutes gratuites. On choisit cet opérateur même si, objectivement, on ignore si on a choisi le meilleur contrat. Si le marché n’est pas indispensable, parfois, simplement, on ne participe pas parce que c’est devenu trop compliqué. Là, évidemment, le prix peut augmenter par le manque de transparence mais la demande diminue et il s’agit sans aucun doute d’une grave inefficience.

Qu’est-ce que cela change ? Le choix que l’on observe sur le marché n’est pas forcément la manifestation objective d’une préférence stable et ce n’est pas vraiment une mesure absolu-ment fiable du bien-être du consommateur ou de sa satisfac-tion objective. Donc, s’il y a un marché concurrentiel, que j’ai le choix et que je choisis le produit le plus cher, cela ne signifie pas forcément et dans tous les cas que je valorise le bien par la différence de prix. C’est peut-être qu’à un moment donné, j’ai été convaincue de payer plus cher, que je ne me suis pas rendu compte que j’ai payé plus cher, ou encore que j’ai pensé que c’était une bonne idée, même si le lendemain, je change d’avis. Il en va ainsi pour les contrats de télécoms. Imaginez un iPhone avec un contrat pour l’utilisation de transmission de données.

On paye pour une consommation déjà minimale de don-nées. Les gens veulent l’iPhone et ils se focalisent donc sur le prix de l’iPhone. Le prix est moins élevé, car l’iPhone est lié au contrat de données. Si le consommateur observe le contrat, il pense : « Je vais voir la météo tous les jours ; je vais rece-voir les informations flash, etc. L’iPhone n’est pas cher, c’est génial ! » et il signe le contrat. Il a peut-être surestimé son utilisation de données et en fait ne regarde jamais la météo. En plus, il ne s’est peut-être pas rendu compte que le contrat durait deux ou trois ans et que, finalement, il s’est engagé à payer un service qu’il ne voulait pas à ce point.

Sur le marché, on verrait cependant une consommation augmenter avec un prix plus élevé et on conclurait qu’un mar-ché se développe de façon efficiente. Dans les analyses et les

le temps ; ainsi, par exemple, j’ai tendance à croire que le futur va ressembler au présent alors que ce n’est pas le cas.

C’est pour cela que l’on n’épargne pas autant, c’est pour cela que l’on ne prend pas assez d’assurances santé ; on pense que l’on ne va pas nécessairement tomber malade, etc.

La littérature qui se développe en ce moment dans l’éco-nomie comportementale est inhérente aux préférences réfé-rentielles. Cette théorie dit que l’on n’a pas de valorisation objective des produits. Je ne regarde pas une pomme en me disant : « Je vais la payer 3 euros. » Pour savoir combien je vais devoir débourser pour la pomme, il faut que je regarde le prix de la poire, de la banane et de la pomme que j’ai achetées hier sinon, je n’ai pas de référence. On se forge une idée de ce que l’on est prêt à payer par rapport à des références fondées sur l’expérience récente ou sur des références voisines.

Par exemple, si je vais acheter des chaussures, je me fais une idée du prix que je devrais payer pour les chaussures qui me plaisent par rapport à ce que d’autres acheteurs ont payé ou ce que j’ai vu dans un magasin proche etc. Après, c’est par rapport à cette référence que je décide quelle somme je suis prête à débourser. Il y a donc une importance de ces valeurs référentielles dans la construction de la volonté de payer.

Une autre littérature évoque l’importance du cadrage. Ainsi, dans certains cas, la façon dont les choses me sont présentées a un impact énorme sur mon choix. Par exemple, le don d’or-ganes. Quand on demande aux gens de déclarer s’ils ne veu-lent pas être donneurs, 90 % des gens sont donneurs ; mais lorsqu’on demande aux gens s’ils veulent se déclarer donneurs, alors on n’a plus que 10 % de réponses positives.

Les options de base ont une très grande influence sur le choix. C’est pour cela que parfois, quand on va sur internet pour acheter un service de voyage, il y a une case pré-cochée. Il est facile de la décocher, mais beaucoup de gens ne le font pas, parce qu’ils pensent que si la case est pré-cochée, cela signifie que la plupart des gens ont adhéré à l’option. Donc, cela signifie que l’option est recommandée. Si la case n’était pas pré-cochée, on n’aurait pas voulu l’assurance. Il s’agit là de processus de décision.

Même si le choix est objectivement le même et que le coût de cocher ou de décocher une assurance sur internet est pratiquement nul, les résultats du taux d’assurance sont très différents sur le marché selon l’option de base proposée.

En outre, il faut aussi prendre en compte les émotions bien que ce ne soit pas un élément dont les économistes parlent beaucoup. Elles sont très importantes. Toute une branche in-quiétante du marketing se développe actuellement pour ex-ploiter les comportements émotionnels. Elle a pour objectif d’opérer à un niveau de sublimation tel que le consommateur n’est pas forcément conscient des messages et des mécanismes que l’on enclenche chez lui pour le pousser à une décision. Ceci se pratique beaucoup, notamment chez les enfants.

En général, il s’agit d’une vendeuse dans un magasin qui nous dit : « Cela vous va très bien » et tout de suite, le vête-ment nous plaît davantage. On a toujours tendance à vouloir

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perts, même si de toute évidence l’expert n’est pas payé pour les aider mais pour vendre.

Mais, l’idée de l’expert est très puissante ; dans les mes-sages commerciaux personnalisés, elle crée une confusion entre le message commercial et la recommandation person-nelle experte. Cela pose beaucoup de problèmes. En outre, la personnalisation de l’offre rend la comparaison difficile. On constate, de plus en plus souvent, qu’une offre vraiment adaptée à une personne supprime la référence parce que per-sonne n’a la même offre, personne n’est exactement dans la même situation. Cela aussi rend le marché moins compétitif et un peu plus difficile pour les consommateurs.

Enfin, il faut prendre en compte la distance physique, les quartiers avec les produits chers et les quartiers avec les pro-duits moins chers, plus éloignés. Sur internet, le nombre de « clics » est extrêmement important pour distinguer et ‘éloi-gner’ les produits alors que l’effort n’est objectivement pas énorme. Les personnes n’aiment pas dévier du parCours in-ternet qu’elles ont mémorisé. Nous avons fait des études sur les termes de contrats sur internet : si des termes contractuels sont placés à plus de trois ou quatre clics de la page principale du contrat, c’est tout comme s’ils n’étaient pas dévoilés au consommateur qui ne les lira jamais.

Auparavant, on pensait que les entreprises avaient tout in-térêt à donner la bonne information et à éliminer les frictions, pour que les gens achètent leurs produits.

Or, on constate, notamment dans les marchés très concur-rentiels, que les entreprises ont parfois tendance à augmenter les frictions et la confusion, pour se protéger de la concurrence. Quant aux frictions du marché, quelles stratégies commer-ciales pouvons-nous observer ? Pour les produits un peu plus chers, on a des services personnalisés, le vendeur compétent, le vendeur expert et la distance avec les produits concurrents comme dans le cas de la distribution sélective.

Pour les produits moins chers, on a des offres d’appel at-tractives, l’occultation des prix, et des stratégies assez intéres-santes, surtout sur internet, pour créer une vraie confusion, un vrai coût de l’information.

Internet est une plateforme qui offre d’énormes oppor-tunités de vente et distribution avec beaucoup d’efficiences. C’est aussi une plateforme où les concurrents se protègent de l’intense concurrence des prix avec de nouvelles pratiques commerciales. Il y a deux stratégies de captation du consom-mateur qui fonctionnent très bien et même mieux sur inter-net : la personnalisation et l’occultation des prix.

En ce qui concerne la personnalisation, tous les internautes sont connus. On ignore leur nom, et leur domicile, mais les données les concernant ont été enregistrées et conservées. Donc, on peut très bien personnaliser en fonction de l’activité et les données démographiques révélées sur internet. Les rela-tions commerciales deviennent donc beaucoup plus ciblées et peuvent être confondues avec une recommandation experte. Cela va devenir de plus en plus un problème, notamment dans le domaine de la vente des services de santé en ligne.

articles, on parle plutôt d’une pratique qui aurait généré une efficience. Dans la réalité, cela est moins clair. Alors, quand on intériorise le fait que les individus se trompent ou sont in-fluencés, les analyses d’efficience sont moins évidentes.

Dans les accords verticaux, les restrictions imposées aux détaillants peuvent être efficientes car elles génèrent des servi-ces et des produits non tangibles. Mais, il y a aussi parfois des explications alternatives, qui n’impliquent pas des efficiences pour les consommateurs et il faut y faire attention. Par exem-ple, les prix minimums, prix recommandés : on pourrait penser aussi, en dehors de l’explication anticoncurrentielle classique, que c’est un mécanisme de transparence.

Mais, c’est aussi un mécanisme qui crée une référence pour le consommateur. C’est le cas, par exemple, de l’indus-trie du disque. Beaucoup de documents internes des compa-gnies, ainsi que des distributeurs, que j’ai pu observer dans ma pratique professionnelle, faisaient souvent référence au prix perçu du CD, qu’il fallait absolument protéger. On ne pouvait pas vendre un CD perçu comme un « hit », mais pas excellent, trop bon marché, parce que cela allait détruire la ‘valeur perçue’ d’un CD.

C’est une information que nous n’avons pas pu utiliser dans notre analyse économique parce que nous n’avons pas de cadre analytique qui incorpore des ‘perceptions de valeur’. Or, cela a une énorme importance et on comprend l’attitude des entreprises qui savent qu’elles influent à chaque instant sur le prix que le consommateur prendra comme valeur réfé-rentielle pour un CD en général.

Dans le luxe, on pourrait penser que des activités de valeur référentielle sont aussi en jeu. Dans la distribution sélective, quand on choisit ses magasins, ou quand on inclut dans les clauses de contrats l’interdiction de proposer des produits moins chers dans le même magasin, l’explication Courante est que cela va nuire à la marque et ainsi décevoir le consommateur. On peut aussi penser que l’on définit pour le consommateur des choix comparables, des produits comparables. On adresse plusieurs types de messa-ges aux consommateurs : certains produits sont nettement infé-rieurs et pas comparables ou certains magasins vendent de bons produits, d’autres des produits de moindre qualité. Ces messages sur la valeur du produit et celle du distributeur cadrent le choix du consommateur et constituent une référence.

Dans les relations verticales, on peut voir l’influence sur les consommateurs visant à une survalorisation du produit, sans qu’il y ait nécessairement une efficience intrinsèque.

Un autre aspect réside dans l’augmentation des frictions du marché destinée à augmenter la demande d’un produit. C’est la théorie de recherche dans la littérature économique. En fait, on a tendance, en l’absence de frictions de base sur un marché concurrentiel, à ne pas prendre en compte les frictions, alors qu’en fait, elles peuvent être assez importantes.

Cela peut être l’information qui n’informe pas, l’information complexe (les tarifs de téléphone par exemple), l’information excessive, l’information experte (de la part du banquier). Les individus ont une tendance naturelle à faire confiance aux ex-

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un pouvoir de marché exceptionnel, mais plusieurs qui adop-tent collectivement des pratiques, qui ne sont pas forcément bonnes et qui peuvent avoir des conséquences négatives pour les consommateurs.

Pour la politique des consommateurs, les questions sont plus nombreuses que les réponses. Faut-il s’attaquer aux pratiques commerciales qui jouent sur l’inconstance des consommateurs ou sur leur limite à absorber ou gérer l’information ? Est-ce qu’on travaille sur la transparence ? Sur l’élimination de ces frictions ? Sur la clarté des contrats ? Comment procède-ton ? Sur quels marchés ? La personnalisation excessive, la discrimi-nation des prix individu par individu vont se développer. Ces problèmes devront être étudiés.

En conclusion, les consommateurs sont différents du modèle que l’on s’est fait d’eux. Cela complique un peu les choses pour l’analyse économique. Notamment, cela a des conséquences sur l’interprétation de certains phénomènes de marché. Il se peut surtout que les marchés concurrentiels ne soient pas automatiquement aussi efficients qu’on le suppo-sait. À ce niveau-là, maintenant, il faut recourir à la recherche. Toutefois, à mon avis, il est encore trop tôt pour commencer à faire une politique basée sur cela. Cependant, il faut quand même prendre conscience qu’il y a des éléments importants dans ce genre de recherche et qu’il faut les développer.

Francis AmandChef du service de la régulation et de la sécurité

Le règlement sur les restrictions verticales traite principale-ment des modalités d’accès au marché aval. D’une manière gé-nérale, le législateur doit faire en sorte que cet accès soit ouvert d’une manière qui préserve la concurrence à chaque stade de la filière de distribution, ne compromette pas la pérennité des inter-venants au point que la concurrence disparaisse à ces échelons et enfin, laisse un choix ouvert au consommateur final. C’est toute la théorie principal-agent, question économique débattue depuis de longues années, qui doit être mobilisée à cette fin et que nous abordons aujourd’hui sous l’angle des distorsions de concurrence sur les marchés et notamment sur le règlement d’exemption sur les restrictions verticales. Le sujet est d’ailleurs d’une actualité très prégnante à l’heure où on s’interroge sur la meilleure façon de réguler les relations entre les producteurs agricoles, les transformateurs et les distributeurs.

C’est aussi un sujet pour lequel les solutions techniques sont controversées et tout le débat de ce matin l’illustre. Ainsi Anne Wachsmann et Patrick Rey nous ont rappelé qu’il y avait des débats sur la nocivité de la maîtrise des prix de revente sur les fournisseurs, la distinction entre ventes actives et ventes passives car les nouveaux modes de commercialisation et de prospection des clients atténuent la différence, et même sur les conséquen-ces économiques ou juridiques à tirer de la disparition de cette distinction. Se posent aussi des questions sur le seuil de parts de marché à partir duquel les problèmes méritent d’être adressés. Au delà de ces questions techniques, il y a aussi des divergences

L’achat d’un billet d’avion sur internet est un bon exemple de l’occultation du prix. Au Cours des trois ou quatre derniè-res années, la vente des billets d’avion sur internet a évolué : maintenant, vous ne disposez jamais du prix final au début. Vous avez un prix initial qui augmente, à chaque clic, en fonc-tion des options choisies : la place, le nombre de bagages…Le prix final obtenu ne correspond pas à celui que vous aviez prévu mais vous ne voulez pas recommencer une procédure aussi longue, alors vous achetez. Cette occultation du vrai prix au moment où le client prend sa décision s’applique aussi aux crédits, les gens savent très peu ce qu’ils paient.

Dans un papier sur les stratégies de certains détaillants pour créer les frictions sur internet, Ellison et Ellison montrent qu’il existe une friction d’équilibre pour les détaillants et les produc-teurs, ou pour les plateformes internet et les producteurs.

On sait que vous ne voulez pas être trop transparent, si-non vous n’allez pas gagner d’argent, alors, on vous offre un peu de friction, mais pas trop. Ainsi l’exemple d’Amazon qui veut vendre des produits soumis à des critères de distri-bution sélective. On lui dit « non » ; ils disent « Oui, je peux fournir un très bon service, même meilleur que vos magasins, une description, des photos, des feed-backs des usagers, des commentaires d’éditoriaux, un service clientèle permanent, je rembourse ». Tout ce que vous voulez…

Tout, sauf toucher, ce qui, pour certains produits est impor-tant. Mais pour d’autres pas autant. Et pourtant, ils se voient souvent refuser l’offre de cette distribution. Alors, parfois, ils disent : « Si vous voulez, on met vos produits à deux clics des autres, une page spéciale pour votre marque et puis, on vous met loin des autres ». Certains acceptent. Est-ce efficient ou peut-on s’imaginer un cas de friction mutuellement accordée à l’image d’Ellison et Ellison ? Les restrictions sur internet peu-vent être efficientes : ma marque se trouve dévalorisée par ceux qui vendent n’importe comment et par tous ces produits de mauvaise qualité qui circulent, et que l’on ne peut pas bien les distinguer des miens. Mais l’objectif de certaines restrictions n’est pas toujours évident sur internet.

Quel impact dans la politique de concurrence ? La recherche actuelle ne se centre pas tellement sur les pratiques verticales, mais sur les pratiques contractuelles plus inquiétantes, c’est-à-dire les prix complexes, les contrats, la stratégie de prix. Il faut analyser comment les entreprises sont en train d’apprendre à exploiter le processus décisionnel des consommateurs ? Il faudrait peut-être être plus prudent qu’on ne l’a été, avant de conclure que toutes les pratiques commerciales, dans un milieu concurrentiel, sont efficientes pour le consommateur.

Ce n’est pas parce qu’il y a de la concurrence, que les entreprises vont lutter pour offrir le mieux et vont vraiment faire la concurrence par le mérite. On voit des dynamiques inverses, où plus il y a de concurrence, plus le marché com-mence à devenir défavorable pour le consommateur ou plus difficile à gérer. Cela me ramène à l’idée selon laquelle, on ne fait pas d’analyse de dominance collective. Cela existe, mais on ne sait pas le faire. Ces pratiques sont un peu en relation avec la dominance collective. Il n’y a pas une entreprise qui a

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nous ne pouvons pas faire l’économie d’une réflexion sur ce comportement quand nous arrêterons les textes, puis quand nous les mettrons en œuvre.

En conclusion, il nous faut faire preuve de pragmatisme et m’empresse d’appeler pour cela vos questions.

DébatMonique Pateloup demande s’il est prévu de donner de

plus en plus d’impulsion pour que les entreprises, les banques, les sociétés de service, fassent comme Thierry Breton, l’avait fait avec Guy Canivet et Bruno Lasserre, un état comparatif permanent des produits comparables proposés.

Francis Amand estime que la question est légèrement hors sujet, même si la comparabilité des offres est le ferment de la concurrence. Chaque fois que cela sera possible, la trans-parence sera faite.

Anne-Lise Sibony demande si, au sein de la DG Concurrence, existe déjà une expérience d’expertises de ce type, des entre-prises ou associations de consommateurs, qui auraient produit des études empiriques sur les effets dont Eliana Garces Tolon a parlé et s’il y a, au sein de la Commission, des vues sur le fait de savoir si de telles études empiriques devraient être réalisées à chaque fois, au cas par cas, pour analyser une pratique, ou s’il est concevable d’avoir des études un peu générales sur le comportement des consommateurs européens.

Andrei Gurin répond que ces théories sont quelque chose de nouveau et reconnaît que son unité ne s’est pas beaucoup penchée sur cette question. Une équipe de chefs économis-tes devrait s’en préoccuper. C’est quelque chose qui reste à faire, avec des points de convergence, dans un dialogue un peu plus poussé entre les directions générales.

Eliana Garces Tolon ajoute qu’en ce qui concerne le dia-logue entre les directions générales, quand quelque chose de nouveau arrive et bouscule un peu les pratiques établies dans un autre département, ce n’est pas toujours très fluide. Il s’agit de gérer cela. Elle souhaite s’y atteler. Au final, il faut absolument une analyse réfléchie, au fur et à mesure du développement de la recherche et du constat d’effets importants qui changent la manière d’interpréter de nombreuses pratiques.

ConclusionFrancis Amand

Devant l’absence de question supplémentaire, je remercie les organisateurs de cet atelier, sur un sujet dont je répète qu’il est extrêmement important et d’actualité, qui donne à réfléchir. Je vous donne rendez-vous pour un prochain atelier en octobre, qui portera sur les banques. Autre sujet extrêmement important.

Merci à tous.

d’opinion sur la possibilité d’avoir un seul ou plusieurs textes, sur la durée acceptable ou souhaitable des contrats et même sur le bilan des réglementations en vigueur.

Pourquoi, s’agissant d’un problème aussi important, n’ar-rive-t-on pas à trouver de solution qui fasse l’unanimité ? Ceci résulte du paradoxe qui consiste à limiter la liberté des opéra-teurs, à organiser leur aval distributif ou leur intervention sur le marché, alors même que c’est de l’usage de la liberté qu’on attend l’efficacité des marchés. Organiser les restrictions ver-ticales revient peu ou prou à examiner la portée du slogan révolutionnaire « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté ». En clair, peut-on limiter la possibilité donnée aux fabricants de limiter la liberté de leurs revendeurs ? Comment limiter ou justifier par la démonstration des effets délétères les entraves à l’organisation des réseaux de distributeurs ? C’est le champ du règlement. D’ailleurs, tous les débats sur le maintien du rè-glement sectoriel, la distinction clause noire/clause grise, sur ce qu’on laisse aux juridictions par rapport à ce qu’on préempte par voie réglementaire, c’est-à-dire ce qu’on inscrit dans le corps du texte ou ce qu’on met dans les lignes directrices, tous ces débats actuellement pendants à la Commission, découlent de cette contradiction et du fait qu’il ne faudrait pas laisser trop de liberté aux ennemis de la liberté dont doivent bénéficier les revendeurs. Je vous appelle à méditer cela…

Il en résulte que les Autorités françaises de concurrence, aussi bien l’Autorité de la concurrence que les représentants du ministre, ont été conduits à rentrer sans tabou et sans a priori dans la discussion et les échanges d’aujourd’hui leur ont donné de nouvelles armes pour la suite. Nous bénéficions en France d’une jurisprudence sur les restrictions verticales que je qualifierais d’intelligente, détaillée et utile. Elle nous a servi dans le débat pour faire avancer nos thèses un peu plus nuan-cées que les thèses assez abruptes des tenants de la liberté complète, comme des tenants de la contrainte complète.

Un Comité consultatif sera réuni au milieu de l’été sur un nouveau texte. Nous continuerons de rester dans notre voie, qui consiste à concilier la liberté des opérateurs primaires à organiser leur aval, avec le maintien d’une concurrence ef-ficace, modulo la prise en compte des capacités d’arbitrage des consommateurs.

L’intervention d’Eliana Garces Tolon nous a utilement rappelé à cet égard que le droit de la concurrence ne doit pas appartenir seulement à ceux qui le mettent en œuvre, mais également à ceux qui doivent en bénéficier, c’est-à-dire les consommateurs. De fait, beaucoup de consommateurs ont considéré que les promesses du droit de la concurrence n’avaient pas été tenues, voire que l’absence de concurrence pouvait parfois les satisfaire. C’est contre cette déception infondée qu’il faut lutter, en faisant preuve de beaucoup plus de pragmatisme et en tenant compte, dans les arbitrages que nous prendrons, entre tel et tel type de solutions, des intérêts des consommateurs.

Je sens bien que les juristes doivent vaciller à l’idée que la corporation des économistes, qui remettent parfois leurs conclusions en question, va s’élargir aux économistes du comportement des consommateurs. Mais il me semble que