les dominicains dans l'universit de paris: ou, le grand couvent des

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    University of Toronto

    http://www.archive.org/details/lesdominicainsdaOObern

  • ^ ^70 dP

  • LES DOMINICAINS

    L'UNIVERSIT DE PARIS

  • LES DOMINICAINS

    DANS

    LllEliSIi 11 l'illS

    ou

    LE GRAND COUVENT DES JACOBINS

    DE LA RUE SAINT-JACQUES

    L'ABB EUGNE BERNARDDOCTEUR S-LETTRES ET EN THOLOGIE

    VICE-DOYEN DE SAINTE-GENEVIVE, LAUREAT DE l'aCADMIE FRANAISE

    PARIS

    E. DE SOYE ET FILS, IMPRIMEURS5, PLACE DU PANTHON, 5

    1883 ir

  • \Qy%

  • LK GRAND COUVENT DES JA

    Itua- c/c'.yCordtMi\

  • r

    s DE LA RUE SAINT-JACQUESLgende explicative.

    1. Matre-Autel.

    2. Chapelle du Rosaire,

    3. Chapelle de Sainte-Anne.

    /|. Chapelle de Saint-Thomas ou des

    lourbons.

    5. Chapelle de Saint-Pierre, martyr.

    6. Chapelle de Notre-Dame de Piti.

    7. Chapelle de la Passion.

    8. Chapelle de Saint-Pie V.

    9. Chapelle de Saint-Dominique.

    Entre les Chapelles de Saint-Pie V et de Saint-Dominique, se succdaient cellesde Saint-Franois, de la Visitation, de Saint-Hyacinthe, de Saint-Louis, de Saint-Vincent Ferrier et de Sainte-Catherine de Sienne,

    10. Porte d'entre de l'Eglise.

    11. Sacristie, ancienne chapelle de

    l'hpital Saint-Jacques, donne

    aux Dominicains par Jean de

    Barastre.

    12. Salle du Chapitre.

    13. Porte latrale de l'Eglise,

    li. Rue Soufflet en pointill.15. Rue Cujas.

    Ecole S^ Thomas

    Infirineric p^f de S^,-,^,.^. nX

  • PREFACE

    Je lisais les Anecdotes /nstoriques d'Etienne de Bourbon, un

    Dominicain du treizime sicle, contemporain de saint Louis.

    Ce Prcheur avait fait une ample collection d'apologues et de

    lgendes, d'exemples et de bons mots, de fines rparties et de

    traits de murs, qu'il tenait en rserve pour ses sermons, (les

    vieux rcits, ces vieux souvenirs, et mme ce vieux latin

    tournant au franais, m'avaient vivement intress. Saint-Viarc

    Girardin aimait les voyages de badauds, c'est--dire voir

    pour voir, prendre les ides mesure qu'elles arrivent, ne rien

    tudier et pourtant apprendre, mais d'une manire instinctive,

    apprendre peu prs comme on respire, et sans se donner

    plus de peine, s'clairer plutt que s'instruire . Grce

    l'explication du spirituel acadmicien, et surtout sous son

    patronage, cette faon d'aller ne m'a plus fait peur, et je

    n'prouve aucun scrupule voyager ainsi, non seulement par

    monts et par vaux, mais encore travers les livres. Volontiers

    j'ajoute : avec l'auteur des Souvenirs de voyages et d'Etudes :

    M C'est une douce chose qui a ses mrites , et je la gote

    fort quand, au lieu d'un auteur, comme dit Pascal, on

    trouve un homme. Il vous emmne dans son pays et vous

    dtaille son poque : ses penses deviennent les vtres; il vous

    introduit dans son monde, vous prsente ses amis, vous

    conte ses affaires, vous insinue ses gots, vous communique

    ses antipathies et ses prfrences. Sans tarder, vous allez de

    pair compagnon avec lui, si bien que,, sans vous en douter, il

    vous transporte au milieu d'une socit qui n'existe plus, et

  • Il

    que, sans vous en apercevoir, vous avez vieilli de plusieurs

    sicles.

    Bref, je voyageais avec Etienne de Bourbon. Depuis com-

    bien de temps? je ne saurais le dire. La nuit avait tendu ses

    voiles sur Paris : de ma fentre je voyais s'allumer le gaz, ces

    innombrables vers luisants qui piquent une multitude de petites

    toiles dans les tnbres de la grande ville. La foule des pas-

    sants allait, venait, se pressait, agite, affaire, comme elle l'est

    d'habitude dans les rues. Tout coup une voix sonore retentit

    devant la grille du Luxembourg, et le refrain de sa chanson

    disait :

    Non, tu n'es plus mon vieux quartier latin !

    Loin d'interrompre ma rverie, ce mlancolique refrain m'y

    plongea plus avant. Les grandes rues se rtrcissaient en se fai-

    sant tortueuses et mal paves : les hautes maisons se rapetis-

    saient et se disposaient de , de l, sans ordre et sans plan : le

    gaz s'teignait pour ne laisser poindre que quelques flambeaux

    ports par des valets conduisant une bourgeoise attarde, ou

    clairant une grande dame en visite. Ce n'tait plus le Paris

    actuel, ni celui de Louis XIII, pas mme celui de Charles VI :

    je revoyais le vieux Paris, le Paris de Philippe-Auguste, avec

    son Parloir aux Bourgeois et sa premire enceinte de murailles,

    quand soudain je crus entendre chanter :

    Le temps s'en vait,

    Et rien n'ai fait;

    Le temps s'en vient,

    Et ne fais rien.

    Et avec Etienne de Bourbon, Guerric de Metz se dressait

    mes cts : comme moi, il prtait l'oreille au refrain de cet

    eschollier qui rptait : Le temps s'en vait... Cette chanson

    dcida la vocation de Guerric. Biche et savant, il se fit Domini-

    cain. Je le vis s'loigner et aller frapper la porte du Couvent

    de Saint-Jacques, pour y prendre l'habit. Je le suivis par curio-

    sit, et je trouvai la maison tout embaume des souvenirs de

  • m

    saint Dominique, qui l'avait visite. La petite chapelle de

    riipital. donn ses premiers disciples par un docteur de

    l'Liniversit, Jean de Barastre, se reconnaissait aisment : atte-

    nant elle s'levait une grande et belle glise, autour de

    laquelle peu peu s'allongeaient les clotres, et s'levaient les

    constructions nouvelles dessinant la forme du C40uvent, du

    Chapitre et des Ecoles.

    Mon rve s'arrta l. Comment la pense m'est-elle venue de

    le reprendre et de le transformer en ralit? Etienne de

    Bourbon tait-il seul me rappeler ces choses d'un autre

    temps? La chanson que j'avais entendue de mes oreilles, avait-

    elle suffi pour me rejeter dans le pass? Non. Sans aucun

    doute, les travaux d'embellissement excuts dans Paris y

    taient bien pour quelque part. De jour en jour le refrain se

    vrifie, on ne reconnat plus le vieux quartier latin. Les quin-

    conces du Luxembourg ont disparu depuis longues annes : la

    ppinire n'existe qu' l'tat de souvenir : qui donc se rappelle

    encore la petite place Saint-Michel et les rues adjacentes de

    Saint-Thomas, Saint-Dominique ou Saint-Hyacinthe? On parle

    de dgager compltement la Sorbonne et d'liminer Is ptt de

    maisons qui l'entoure. Le soleil inonde de ses rayons le boule-

    vard Saint-Michel, la rue de Mdicis et la rue Gay-Lussac :

    le jour pntre de plus en plus aux alentours de la montagne

    Sainte-Genevive. L'air et la lumire, circulant librement,

    iront bientt porter, travers chaque quartier de Paris, dans

    toutes les demeures, la joie et la sant.

    L'antiquaire seul, curieux du pass et jaloux de ses monu-

    ments, verse bien, dans ses prfrences tant soit peu gostes,

    un pleur sur un jardin que l'on rogne, sur une alle qui se

    raccourcit, sur un arbre qui tombe, sur une maison qui dis-

    parat. C'est que ce jardin avait gay ses tristesses : travers

    cette alle couraient de doux souvenirs; aux branches de

    cet arbre llottaient, encore suspendus par un lger lil, tant

    de rves et tant d'illusions! Ces maisons, malgr leur air

    maussade, se faisaient admirer, glorieuses ([u'ellcs taient

  • IVd'avoir oll'ert un abri tutlaire au succs ou au gnie, dpen-

    dant il n'est pas dit que cet ami fanatique du vieux Paris

    soit condamn promener sans relche, au milieu de nos

    embellissements, ses rflexions amres ou sa figure renfro-

    gne. Un sourire vient parfois clairer ses larmes, car la

    pioche ne lui est pas toujours ennemie, et les dmolisseurs,

    par une agrable surprise, ont raison de sa tristesse, quand

    ils lui rvlent un coin de ce Paris qui ne se retrouvera

    bientt plus que dans les rgions souterraines : ainsi aux

    entrailles de la terre un riche filon, frapp par le marteau du

    mineur, fait jaillir dans l'obscurit des gerbes d'tincelles.

    La rue Soufilot se droule aujourd'hui large et spacieuse

    voir se tordre de jalousie le boulevard Saint-Michel. Les

    ouvriers chargs de cette transfiguration, ont dmoli le caf

    des Ecoles et le magasin du Panthon, qui se faisaient vis--

    vis, de chaque ct, l'intersection de la rue Saint-Jacques.

    Les bois et les pltras enlevs, la maison voisine du caf,

    surprise en dshabill, nous a prsent deux pans de murs

    formant angle droit et percs chacun d'une fentre ogivale. Une

    de ces fentres paraissaient encore garnie de ses meneaux. En

    creusant pour prparer les constructions nouvelles, on a ren-

    contr des fondations dont la ligne va se perdre, travers la rue,

    dans des caveaux qui semblent attester l'existence d'une crypte

    funraire la place occupe par le magasin du Panthon. Ces

    fentres et ces murs sont, n'en pas douter, les derniers

    vestiges d'une petite chapelle clbre qui s'levait jadis l, sur

    le bord de la rue Saint-Jacques.

    Plus bas, dans la rue Soufllot, du mme ct septentrional,

    les travaux d'largissement ont dcouvert un puits, des fts

    de colonnes et des murs d'une solidit merveilleuse, ensevelis

    sous des amas de dcombres, tandis que, du ct mridional,

    la main d'uvre montrait au jour le mur de Philippe-Auguste,

    et, l'angle de la rue Sainte-Catherine d'Enfer, une citerne

    avec les restes de l'ancien Parloir aux Bourgeois.

    La foule oisive ou affaire jette peine un regard insou-

  • ciant et distrait sur ces ruines, et elle passe son chemin.

    Aucuns se demandent ce que signilient ces ogives, ce que

    pouvaient bien tre ces vieux murs. Ils ne se doutent pas du

    pass glorieux rappel par ces monuments, des noms illustres

    qu'ils remettent en mmoire, des vnements dont la fortune

    diverse a battu ces murailles, du grand institut dont la pre-

    mire semence, pareille au grain de snev, a t jete, il

    y a six cents ans, dans le sanctuaire de cette chapelle, aujour-

    d'hui compltement ignore.

    Le mur de Philippe-Auguste, le Parloir aux Bourgeois, la

    chapelle Saint-Jacques, le Couvent des Jacobins, qui donc se

    soucie aujourd'hui des souvenirs veills par le nom seul de

    ces monuments d'un autre ge? Et pourtant ces ruines ddai-

    gnes ressuscitent un monde disparu, et nous reportent,

    travers les sicles, la vie civile, politique et religieuse de

    nos aeux. Le mur de Philippe-Auguste dtermine l'enceinte

    mridionale de Paris, avec ses modestes dimensionsau treizime

    sicle, ses essais de fortilications aprs la bataille de Poitiers;

    le Parloir aux Bourgeois signale les premiers essais de notre

    administration municipale ; la chapelle Saint-Jacques abrita

    parmi nous l'tablissement des Frres Prcheurs par saint

    Dominique.

    Le grand Couvent des Jacobins me sembla sortir de ces

    ruines parses, et se prsenter tel qu'il avait exist. Sur cette

    scne d'une autre poque, reprenaient vie saint Louis et

    Blanche de Castille, le lgat Romain de Saint-Ange et l'vque

    de Paris Guillaume d'Auvergne. Autour d'eux se groupaient

    les premiers fils de Saint-Dominique Paris, son successeur

    Jourdain de Saxe, le bienheureux Rginald, et la longue file

    des matres et des coliers qui vinrent la suite, grossir

    les rangs de l'Ordre naissant. C'taient Etienne de Bourbon,

    Vincent de Beauvais, Hugues de Saint-Cher, Humbert de

    Romans, Grard de Frachet, Guerric de Metz et Guerric de

    Saint-Quentin, Jean de Saint-Gilles, Albert le Grand, Pierre

    de Tarentaise.

  • VI

    Une grande pense les inspirait tous, le pre et les lils,

    le matre et les disciples. La thologie est la science du moyen

    ge; elle avait fix son empire Paris. Une multitude innom-

    brable d'hrsies la battaient en brche, et de l'difice de

    ses dogmes semblaient ne vouloir pas laisser pierre sur pierre.

    Les Dominicains accourent Paris prendre la garde de cette

    science, appele par Grgoire IX, l'aliment de la sagesse.

    L'Universit les reoit dans son sein. Ils fondent au Couvent

    de Saint-Jacques des coles publiques et le Collge gnral

    de l'Ordre, o viendra tudier l'lite des Dominicains de la

    Province de France et des autres Provinces. Une meute

    disperse les matres et les coliers : Jourdain de Saxe en

    profite pour riger deux chaires officielles aux Ecoles de Saint-

    Jacques. L'Ordre prenait ainsi possession de l'enseignement

    thologique, qui ne tarda pas se concentrer entre ses mains,

    et qu'il rgenta l'espace d'un sicle.

    Les Dominicains tenaient leur place dans l'Universit, le

    Couvent de Paris devenait le Collge gnral de l'Ordre, Saint-

    Jacques apparaissait comme le sanctuaire de la sagesse et le

    temple du Dieu des sciences. On accourait y chercher des

    armes pour le bon combat : on aimait y dormir son dernier

    sommeil. Il y avait l des coles clbres pour instruire les

    vivants, des spultures illustres pour protger le repos des

    morts. La patrie avec ses joies et ses douleurs, la science avec

    ses splendeurs et ses triomphes, la religion avec ses conso-

    lations et ses esprances, six sicles de notre histoire sont

    suspendus ces pierres, les dernires qui restent debout du

    grand Couvent des Jacobins, comme en un cimetire une

    plaque descelle, un marbre couvert de mousse, une croix

    renverse, sont seuls dire les titres d'une race teinte, le

    nom d'une grande famille disparue.

  • LES DOMINICAINS

    DANS

    L'UNIVERSITE DE PARIS

    I

    LES PREMIERS DISCIPLES DE SAINT DOMINIQUE A PARIS. MATTHIEUDE FRANCE. l'uOSPICE ET LA CHAPELLE DE SAINT-JACQUES.

    Le 15 aot 1217, saint Dominique runissait, au monastre de

    Notre-Dame de Prouille, en Languedoc, les seize compagnons que

    la Providence lui avait donns pour fonder l'Ordre des Frres

    Prcheurs. Aprs cette assemble, il les envoya dans diffrentes

    parties de l'Europe, et sept d'entre eux, trois Franais, trois Espa-

    gnols et un Anglais, reurent mission de se rendre Paris. Man-

    nes, frre de saint Dominique, Michel de Fabra et Odric de Nor-

    mandie, arrivrent le 12 septembre au lieu de leur destination; trois

    semaines aprs, Mathieu de France, Bertrand de Garrigue, Jean do

    Navarre et Laurent d'Angleterre accouraient les rejoindre. Les

    Frres, dit le P. Lacordaire (1), avaient lu, avant de se sparer,

    Mathieu de France pour abb, c'est--dire pour suprieur gnral

    de l'Ordre, sous l'autorit suprme de saint Dominique. Ce titre,

    qui emportait avec lui quelque chose de magnifique, cause du

    grand tat oi^i s'taient levs les chefs d'Ordre des anciennes

    religions, ne fut dcern que cette fois, et s'teignit pour jamais

    dans la personne de Mathieu de France (2). Une petite maison

    (1} Lacordaire, Vie de saint Dominique, ch. \, p. 299.

    (2) Bolhiml., Artn Snnctorum, t. I Augusti. p. lxlx\ : Fi'iUor Mathn-ns,Gallus,

    1*

  • 2 prs de Notre-Dame, entre le palais piscopal et l'Htel-Dieu (1),

    fut la premire rsidence des nouveaux aptres, et ils y passrent

    dix mois dans une dtresse extrme. Ils s'taient tablis l de

    prfrence, afin d'aider l'vque de Paris dans le ministre de la

    prdication, et aussi pour frquenter plus aisment les Ecoles du

    Parvis.

    Il y avait alors sur le sommet de la montagne Sainte-Genevive,

    vers l'extrmit de la granf rue Saint-Benoict, comme l'appelle le

    Rle de la Taille de 1292 (2), vis--vis l'glise Saint-Etienne des

    Grs, un hospice pour les pauvres plerins, fond par Jean de

    Barastre, doyen de Saint-Quentin. Anglais de nation, d'abord

    mdecin de Philippe-Auguste (3), puis son chapelain, Jean

    laissa la mdecine pour tudier la thologie, qu'il enseigna

    comme professeur l'Universit (4). En 1209, il avait achet d'un

    de ses amis, Simon de Poissy, le terrain ncessaire l'excution

    de son pieux dessein. Voici dans quels termes (5) :

    (( Au nom du Pre et du Fils et du Saint-Esprit, ainsi soit-il.

    Moi, Simon de Poissy, fais savoir tous ceux qui le prsent

    vir doctus et ad docendum paratus, qui fuit postmodum primus et novis-

    simus in Ordine nostro Abbas.

    (1) Echard, Scriptores Ordinis Prdicatorum^ 1. 1, p. 16. Conduxerunt autem

    ibi domuni juxta hospitale B. M. Virgiiiis, ante fores Parisiensis episcopi.

    (2) Documents indits. Paru sous Pliiiippe le liai, p. 162 et 329.

    (3) Du Boulay, Ht. Univ. Paris.., t. III, p. 92. Prima Dominicanorumdomus... ex donis M. Joannis de S. Quintino, anglicanae nationis viri et Phi-

    lippi rgis niedici primarii.

    [k) Echard, M., Note. Istura Joannem Parisiis sacras litteras interpretantem

    testatur audivissp noster Steplianus de Borbone.

    (5) Ecliard, /d., p. 17.

    In nomine P. et F. et S. S., A.

    Ego Simon de Pissiaco notum facio universis prsens scriptuni inspecturis,quod ego de consensu et concessu Agnetis uxoris me et hieredura meorum,concessi et dedi inagistro Johanni, rgis clerico et amico meo, XVI denariosin censn, quos habui ante ecclesiamS. Stephani, Parisiis, cum omni libertate etdominio tt justitia ejusdem censiv, ad opus domus Dei liospitalis videlicetS. Ja-cobi, quod idem Johannes ibidem construere proponit, in perpetuum libre possi-

    dendos. Ut autem hc donatio firma sit, sigilli mei munimine liane chartulamroboravi. Rogo etiam dilctissimum Dominum meum, Pliilippum, Francorumregem, quatenus amore Dei et meo ipsi hoc factum meum placeat confirmare.

    Actum apud Egremont anno Incarnat. Dom. MGCIX.

  • 3

    crit verront, que, de concert et d'accord avec Agns, mon

    pouse, et avec mes hritiers, je cde et donne matre Jean,

    clerc du roi et mon ami, seize deniers de cens que je possdais

    devant l'glise Saint-Etienne, Paris : je les lui donne pour tou-

    jours avec toute libert, pouvoir et justice de la dite censive, pour

    y btir, comme il en a le dessein, un Htel-Dieu en l'honneur de

    saint Jacques. Afin de confirmer cette donation, j'en ai scell l'acte

    de mon sceau. Je prie mon trs-cher seigneur Philippe, roi des

    Francs, en tant que pour Dieu et pour moi il daignera l'agrer, de

    vouloir bien ratifier cette concession.

    (( Donn Egremont, l'an de Tlncarnation MGCIX.

    La chapelle de cet hospice tait ddie l'aptre saint Jacques.

    Les compatriotes de saint Dominique se souvinrent du pleri-

    nage de saint Jacques de Compostelle, si clbre au pays de leur

    matre ; sans doute ils vinrent prier dans ce modeste sanctuaire

    qui leur rappelait l'Espagne. Jean de Barastre qui aimait cher-

    cher une distraction ses tudes dans la pratique de la charit

    chrtienne, entra bientt en rapport avec ces trangers que

    Dieu semblait lui envoyer ; il ne tarda pas les admirer, les

    aimer, et pour aider d'une manire efficace l'tablissement de

    leur ordre, le G aot 1218, il leur faisait prendre possession de

    son hospice et de la chapelle Saint-Jacques.

    Cette chapelle dont on vient de dcouvrir une ogive au milieu

    des murs rcemment dmolis, a t dans Paris le berceau de

    l'Ordre de Saint-Dominique ; elle donna son nom la rue Saint-

    Jacques, la porte et au faubourg, et amena le peuple appeler

    les Jacobins le couvent des Frres-Prcheurs. Ce modeste asile,

    observe le P. Lacordaire, devint un sjour d'aptres, une cole de

    savants, et le tombeau des rois (1).

    Jean de Navarre et Laurent d'Angleterre ne purent supporter

    les privations de toute sorte qui a^aient mis une si dure preuve

    (l) Lacordaire, Vie do saint Dominique, cli. xir, p. 329.

  • _ 4

    l'tablissement des Frres-Prcheurs Paris; ils taient partis

    pour Rome y retrouver saint Dominique. On aurait pu craindre

    pour la maison naissante la pnible impression cause par ce

    manque de courage. Mais il n'en fut rien, Dominique n'avait pas

    la lgre arrt son choix sur Mathieu de France pour mener

    bonne fin la fondation qu'il jugeait la plus importante de ses

    uvres : il comptait sur son zle et sur son habilet dans le

    maniement des affaires. On croit mme (1) que saint Dominique

    dans la pense d'aller bientt prcher l'vangile aux infidles,

    avait tabli Mathieu suprieur non-seulement de la maison de

    Paris, mais de l'ordre tout entier des Frres-Prcheurs.

    Mathieu, n Montfort l'Amaury, avait termin ses tudes

    l'Universit de Paris, lorsqu'il suivit en 1209, Simon de Mont-

    fort, son compatriote, la croisade contre les Albigeois. Le comte

    Simon le prit en si haute estime, qu'ayant fond le chapitre

    de Saint-Vincent de Castres, il voulut lui en confier la direction.

    Le nouveau prieur eut occasion de voir souvent Dominique ; cette

    familiarit fut si bien pour eux l'apprentissage des esprits, que,

    touch de tant de vertus, Mathieu n'hsita pas rsigner sa

    dignit pour s'attacher au saint patriarche, et prendre rang parmi

    ses seize premiers disciples. Il est nomm le premier entre ceux

    qui firent leurs vux dans le couvent de Saint-Romain' de Tou-

    louse. A l'assemble de Prouille, il vient le premier aprs saint

    Dominique (2). Que pouvait l'preuve sur une nie si fortement

    trempe? La tte ne flchit point, les membres restrent fermes

    dans leur assiette. Par leur zle et leur nergie Matthieu et ses

    compagnons surmontrent tous les obstacles.

    Leur mission s'exerait particulirement au milieu des tudiants

    qui, de tous les pays du monde, ne cessaient d'accourir autour

    des chaires de l'Universit de Paris, et le couvent de Saint-Jacques

    ne comptait pas encore une anne d'existence, que dj il renfer-

    mait trente religieux. Parmi ces premiers soldats enrls au

    (1) Constantin d'Orvleto, Ada S. Dominici, n 10. Touron, Vie de saintDominique, liv. II, cli. iv, p. 20fi.

    (2) EcLard, /'/., p. 92. Touron, M, liv. VI, p. 651.

  • 5

    service du Christ, sous la bannire de saint Dominique, nous

    connaissons Vincent de Beauvais, Pierre de Reims, Andr de

    Longjumeau, GeolTroi de Blevel, Clment, Simon Taylor, Philippe,

    Laurent de Fougres et Henri de Marbourg.

    Henri avait t envoy c Paris, plusieurs annes auparavant, par

    un de ses oncles, pieux chevalier qui habitait la ville de Mar-

    bourg. La mort de cet oncle le rappela, et il se mit enseigner

    Marbourg ce qu'il avait appris aux Ecoles de Paris (1) . La lgende

    rapporte qu'alors son oncle lui apparut en songe, et lui dit :

    Prends la croix en expiation de mes fautes, et passe la mer. Quand

    tu seras de retour de Jrusalem, tu trouveras Paris un nouvel

    ordre de prdicateurs qui tu te donneras. N'aie pas peur de

    leur pauvret, et ne mprise pas leur petit nombre, car ils

    (i deviendront un peuple, et se fortifieront pour le salut de beau-

    ci coup d'hommes (2). Cette intervention mystrieuse produisit

    son efTet. Henri n'y rsista pas ; il passa la mer, et comme il

    revint Paris au moment o les dominicains jetaient les fonde-

    ments de leur maison, il n'hsita pas embrasser leur institut.

    Ce fut un des premiers et des plus clbres prdicateurs du cou-

    vent de Saint-Jacques (3)

    .

    Nous trouvons dans les vies des Frres de l'ordre des Prcheurs,

    recueillies par un contemporain, un trait qui se rattache au nom

    de Henri de Marbourg, et qui nous difie sur les commencements

    de la maison de Paris (4). H arriva que deux Frres en voyage

    n'avaient encore rien mang trois heures de l'aprs-midi, et ils

    se demandaient l'un l'autre comment ils pourraient apaiser

    leur faim dans le pays pauvre et inconnu qu'ils traversaient. Pen-

    dant qu'ils tenaient ces discours, un homme en habit de voyageurs'offrit eux et leur dit : De quoi vous entretenez-vous, hommes

    de peu de foi? Cherchez d'abord le royaume de Dieu, et le reste

    vous sera donn surabondamment. Vous avez eu assez de foi

    (1) Echard, M., p. 1^8. Touron, Vie de saint Dominique, liv. VI, p. 727.(2) Grard de Fracliet, Vies des Frres de l'Ordre des Prc/iurs^P. 1\',ch.\ni,

    (3) Lacordaire, Vie de saint Dominique, cli. xiii, p. 329.

    (/) Grard de Fracliet, Vies des Frres, P. I, cli. v.

  • 6

    (( pour vous sacrifier Dieu : et maintenant avez-vous peur

    qu'il ne vous laisse sans nourriture? Passez ce champ, et

    lorsque vous serez clans la valle qui est au-dessous, vous

    (( rencontrerez un village : vous entrerez dans l'glise, o un

    (( prtre vous invitera, et il surviendra un chevalier qui voudra

    (i vous avoir chez lui presque par la force, et le doyen de l'-

    glise se jettera entre eux, emmnera le prtre, le chevalier et

    vous dans sa maison, o il vous traitera magnifiquement. Ayez

    (( donc confiance dans le Seigneur, et excitez vos Frres dans ces

    mmes sentiments. Ayant dit cela, il disparut, et tout se

    passa comme il l'avait annonc. Les Frres, de retour Paris,

    racontrent ce qui tait arriv Frre Henri et au petit nombre

    de trs-pauvres Frres qui s'y trouvaient alors runis.

  • Il

    SAINT DOMINIQUE A PAUS

    Au printemps de Tanne 1219 saint Dominique quittait Rome,

    et prenait par l'Espagne et par le midi de la France, le chemin de

    Paris. Il voulait visiter la maison naissante, afm d'encourager

    par sa prsence, le zle des premiers fondateurs, et de rpandre ses

    bndictions sur la petite communaut qu'ils avaient dj rassem-

    ble au couvent de Saint-Jacques. En passant par Toulouse, il yrencontra Bertrand de Garrigue qui, peut-tre, tait venu de Paris

    dans l'intention de le joindre pour l'entretenir des craintes et des

    esprances de leur tablissement. Ils partirent ensemble pour

    Paris (1), oti ils arrivrent au mois de juin.

    Jj'hospice et la chapelle de Saint-Jacques arrtrent les regards

    et les pas de saint Dominique, son entre dans la ville, par la

    porte d'Orlans (2). Mais la demeure que les Frres-Prcheurs

    devaient la gnrosit du Doyen de Saint-Quentin, frappa moins

    le saint patriarche, que les trente religieux (3) au milieu desquels

    il fut reu comme l'ange du Seigneur. Il revoyait aprs deux ans

    d'absence son frre Mannes, Mathieu de France, dont il avait

    voulu faire son successeur, et ses autres compagnons, les pre-

    miers fds de sa tendresse. Dans les nouveaux frres gagns par

    eux et groups autour de lui, comme les rejetons de l'olivier, il

    saluait avec le roi prophte (4) les signes prcieux de la bndic-

    tion du ciel. Il retrouvait Jiussi l, Pierre Cellani, cet enfant du

    (1) Echard, Sc7ipt. Ord. Prsedic.^t. I, p. 19. /r/., Chronique de Hiimbert,p. 70. Id., Dissertatio III, p. 77. Touron, Vie de saint Dominique, liv. II,ch XI, p. 257.

    (2) La porte d'Orlans prit peu de temps aprs le nom de Porte Saint-Jacques.

    (3) Ecliard, W., p. 18. B. Jourdain, Vita B. Dominici^ n" 37. fd.,Chronique de Humbert, p. 70.

    {h) Psaume cxvii, 3. Filii tui sicut novellae olivaruni in circuitu mens tu.Ecce sic benedicetur homo qui timot Doniinum.

  • --, 8

    Midi, jeune, rielie, honor, encore plus noble de cur que de nais-

    sance, qui avait donn le mmejour au saint patriarche sa personne

    et sa maison (1). Pierre avait reu l'habit de l'ordre des mains de

    saint Dominique, et s'tait livr, dans le Languedoc, la prdi-

    cation avec un zle qui ne pouvait que dplaire au vieux comte

    Raymond de Toulouse, toujours favorable aux Albigeois. Aussi,

    aprs la mort de Simon de Montfort, tu au sige de Toulouse,

    en 1218, la vie de Pierre Cellani se trouva-t-elle fort en danger.

    Dans sa sollicitude toute paternelle pour ce cher fils, Dominique lui

    avait envoy de Rome l'ordre de se rendre Paris, au moment o

    lui-mme se disposait entreprendre ce voyage.

    Mathieu de France offrit donc son matre vnr, dans le cou-

    vent de Saint-Jacques, les fruits pniblement amasss de son

    travail opinitre. Avec la justesse et la profondeur de ce coup d'il

    que Dieu met sous la paupire de ses grands serviteurs, de ceux

    que l'aptre appelle ses ambassadeurs (), ses fonds de pouvoirs

    ici-bas, Dominique comprit de suite le parti qu'il pouvait tirer de

    cette petite arme merveilleusement prpare combattre les bons

    combats. Sa rsolution fut aussitt arrte dans son esprit, et il

    resta un mois Paris pour achever de disposer ses nouveaux dis-

    ciples la tche qu'il leur destinait. Pendant ce mois qui passa,

    comme un temps do retraite, partag entre la prire, le recueille-

    ment et le bonheur de vivre en commun, Dominique consacra

    son activit aux soins de la maison de Saint-Jacques et la prdi-

    cation de l'Evangile, tout entier ces deux passions qui con-

    sumaient sa vie, la gloire de Dieu et le zle de son ordre.

    On dit, et nous ne voulons point taire cette gracieuse lgende(3),

    que, pendant son sjour Paris, au couvent de Saint-Jacques,

    (1) Bolland., Acta sanrtormn, t. I, August., p. 5.'i9. B. Jourdain, Vita B. Do-minici, c. n, n" ;

  • 9

    Domiiiiqiio fut invit prclier Notre-Dame. Avant de monter

    en chaire, il demeura longtemps genoux, en prires ; la sainte

    Vierge apparut son serviteur, brillante comme le soleil, pour

    lui remettre crit sur un feuillet le sujet qu'il devait traiter. Le

    saint leva les yeux et lut ces mots que Marie lui dsignait elle-

    mme : Ave^ gratta plenal Je vous salue, pleine de grce.

    Le bruit de la prsence de saint Dominique c Paris, ne se fut pas

    plus tt rpandu, que les Frres de Saint-Jacques virent entrer au

    couvent un jeune italien d'illustre origine, Guillaume de Mont-

    ferrat. Lorsque quatorze ans plus tard, en 1233, Grgoire IX

    ordonna l'instruction du procs de canonisation de saint Domi-

    nique, Guillaume fut un des principaux tmoins qui vinrent dposer

    sous la foi du serment, et il raconta en ces termes comment la

    connaissance du serviteur de Dieu l'avait amen c se faire frre

    dans l'ordre des Prcheurs. Voil environ seize ans, dit-il aux

    juges (1), que je vins Rome pour y passer le temps du Carme,

    et le pape aujourd'hui rgnant, qui tait alors vque d'Ostie, me

    reut dans sa maison. En ce temps-l, le frre Dominique, fonda-

    teur et premier matre de l'ordre des Prcheurs, se trouvait la

    cour romaine, et il visitait souvent le seigneur vque d'Ostie.

    Gela me donna lieu de le connatre : sa conversation me plut, et je

    commenai l'aimer. Bien des fois nous nous sommes entretenus

    des choses qui regardaient notre salut et le salut des autres, et il

    me semblait que je n'a\ais jamais vu d'homme plus religieux,

    quoique j'eusse parl dans ma vie beaucoup d'hommes qui

    l'taient. Mais aucun ne m'avait paru anim d'un si grand zle

    pour le salut du genre humain. J'allai la mme anne tudier la

    thologie Paris, parce que j'tais convenu avec le serviteur de

    Dieu qu'aprs deux ans de cette tude, et lorsque lui-mme aurait

    achev l'tablissement de son ordre, nous irions ensemble tra-

    vailler la conversion des paens qui sont en Perse et dans les

    contres du septentrion. Il y avait juste deux ans que Guillaume

    de Montferrat suivait les cours de thologie l'Universit de Paris :

    (1) Kcliard, /'/., Actes do lolntnp, 2""' Dposition, p. '\1.

  • - 10

    Il tint parole et reut des mains de saint Dominique (1), en com-

    pagnie de plusieurs autres tudiants (2) , l'habit de l'ordre dans la

    chapelle de Saint-Jacques. Etienne de Bourbon tait de ce nombre.

    Parmi les condisciples de Guillaume, il y en eut un que la Pro-

    vidence plaa tout exprs sur le chemin du saint patriarche,

    Paris. Ce jeune homme tait de la noble famille des comtes

    d'Eberstein, au diocse de Paderborn, et il s'appelait Jourdain de

    Saxe : Dieu le destinait tre le premier successeur de saint omi^

    nique dans le gouvernement gnral des Frres-Prcheurs.

    Jourdain tait venu continuer Paris les tudes qu'il avait

    commences en Allemagne. Il s'adonna d'abord la philosophie;

    puis il voulut snitier la connaissance des mathmatiques.

    Ensuite le jeune saxon se livra la thologie, et il y avait ajout

    la lecture des Saints Livres (3). On parlait dj de ses succs aux

    Ecoles, et l'clat de sa vertu relevait encore la distinction de son

    esprit. Sa pit l'amenait toutes les nuits Notre-Dame prendre

    part l'Office de Matines, et s'il advenait sa ferveur de prvenir

    la diligence du portier, l'tudiant faisait sa mditation devant

    l'gUse, sur le parvis, attendant qu'on vint ouvrir les portes (4).

    Rien ne le dtourna de cette manire d'agir tout le temps qu'il

    frquenta les Ecoles de Paris. Un jour un inconnu se prsenta lui

    demandant la charit : Jourdain tait sorti en toute hte, de peur

    de ne pas arriver au commencement des Matines. Afflig de n'avoir

    rien c donner ce pauvre qui demandait au nom de Jsus-Christ,

    il ta sa ceinture et la lui donna (3). Ainsi aux portes d'Amiens,

    saint Martin encore catchumne partageait son vtement avec

    un malheureux transi de froid, et mritait de voir la nuit suivante

    le Fils de Dieu lui apparatre revtu de cette moiti de man-

    teau : de mme Jourdain de Saxe tant entr dans l'glise pour se

    (i)Echard, W., p. 19.

    (2) Touron, M, liv. II, cli, xi, p. 257.(3) Ecliard, W., p. 98.

    (4i Touron, W,, liv. VI, p. 697.

    (5) Bolland., Acta Sandonim, t. IT, Febniar., p. 725. Cum intrasset, et anteCrucifixum oraret, ipsum dvote frquenter inspiciens, vidit eum corrigia ipsa

    cinctum, quam ante modicum pauperi amore dederat Crucifisi.

  • ' 11

    mettre en prire devant une image du Sauveur, prouva sur l'heure

    combien cet acte de charit avait t agrable au Divin Matre.

    Pour demeurer fidle ces bonnes rsolutions, Jourdain se

    sentit aid par l'amiti d'un jeune chanoine de l'glise d'Utrecht,

    Henri de Cologne, que la nature et la grce avaient enrichi des

    plus belles qualits. Vous eussiez dit un ange, crivait-il (1), et

    en lui la vertu semblait un don del nature. Henri avait tudi

    dans son pays les belles-lettres et la philosophie; puis emport,

    lui aussi, par le mouvement auquel la jeunesse studieuse ne savait

    plus rsister, il tait venu terminer son instruction aux Ecoles de

    Paris. Jourdain le fit loger dans la mme maison que lui (2).L'union de ces deux mes tait sainte : le mme dsir de la per-

    fection les portait galement tous deux vers les sources limpides

    du vrai, du beau et du bien; si un curieux ou un indiscret les

    avait interrogs sur la raison de cette amiti vraie, l'un n'et

    pas manqu de rpondre de l'autre : a Je l'aime, parce que c'est

    lui ! Ensemble, ils allaient aux Ecoles s'asseoir au pied de la

    chaire des mmes matres : ensemble, pour reposer leur esprit

    fatigu de l'tude, ils visitaient les malades et les prisonniers;

    ensemble, ils venaient s'agenouiller et prier aux mmes heures,

    devant les mmes autels, h. l'ombre des mmes sanctuaires. Ils

    formaient un groupe digne de la primitive glise, et c'tait plaisir

    de voir dans les Ecoles de Paris deux tudiants qui, la fleur de

    l'ge, montraient une retenue, une sagesse dont les hommes faits

    auraient, juste titre, eu raison de s'enorgueillir. L'esprit se

    reportait dans Athnes, au temps o deux jeunes chrtiens,

    Basile de Gsare et Grgoire de Nazianze, faisaient galement

    admirer la socit des fidles l'amiti qui les unissait, l'esprit

    qui les distinguait, la pit qui les rendait agrables Dieu.

    Jourdain, bachelier en thologie et engag dans le sous-diaconat,

    redoublait ses prires pour connatre la volont de Dieu et la voie

    dans laquelle il devait entrer. Soudain il entendit parler de saint

    (1) B. Jourdain, Vita B. Dominici, n. 40. Echard, M, p. 93. Angelum existi-mares, et quasi innatam ei crederes honestatem.

    (2) Touron, Id., liv. VI, p. 718.

  • 12

    Dominique : sur la montagne Sainte-Genevive, dans l'Universit,

    parmi les matres et les coliers, il n'tait bruit que du serviteur

    de Dieu, del puissance de sa parole, des prodiges de sa saintet.

    Une inspiration secrte toucha le cur de Jourdain ; il courut au

    couvent de Saint-Jacques voir le fondateur du nouvel ordre, l'en-

    tretenir, assister ses prdications (1) . Il se sentit aussitt sub-

    jugu, et fut entre les tudiants de Paris un des premiers lui

    donner sa confiance (2). Il vint lui ouvrir son me et demander

    ses avis pour clairer la route qu'il hsitait suivre. Dominique

    lui conseilla de recevoir le diaconat, mais il ne jugea pas propos

    de mettre de suite lin ses incertitudes. 11 le laissa lutter, per-.

    suad que le vent du ciel est ncessaire aux grands arbres pour

    leur faire pousser de profondes racines. La divine semence jete

    comme en passant par la main bnie du saint patriarche, n'tait

    pas tombe sur une terre infconde : elle devait, dans cette me

    d'lite, sous la rose du ciel, germer plus tard, crotre et se cou-

    vrir d'une large moisson de fleurs et de fruits.

    Les jours avaient pass vite au milieu de ces sollicitudes par-

    ticulires! et parmi les soucis d'intrt gnral. Le moment de la

    sparation approchait. Il ne restait plus Dominique que de

    poursuivre son uvre en accomplissant son dessein. Il se rappe-

    lait la vision qui l'avait encourag un jour qu'il priait Saint-

    Pierre pour le succs de son ordre (3) : il fut ravi lui-mme. Les

    deux aptres Pierre et Paul lui apparurent, Pierre lai prsentant

    un bton, Paul un livre, et il entendit une voix qui lui disait :

    (( Va et prche, car c'est pour cela que tu es lu. En mme

    temps il voyait ses disciples se rpandre deux deux dans le

    monde pour l'vangliser. Il n'avait pas oubli la parole significa-

    tive tombe de ses lvres lors de la premire dispersion de ses

    disciples (4) : Le grain, disait-il, fructifie quand on le sme ;

    il se corrompt lorsqu'on le tient entass.

    (i; B. Jourdain, Vita B. Domviid, n 36. Echard, Id. p. 19.(2) Touron, Id., liv. VI, p. 698.

    (3) Humbert, Vita sanrAi Dominiri, c. xxvj. Echard, Id., p. 29.(^) B. Humbert, Id. Echard, /f/., p. 29: u Seniina dispersa fructificant, con-

    gesta putresciint.

  • 13

    On peut (lire de la France avec vrit qu'elle fut la mine et le

    creuset d'o sortirent les Frres-Prcheurs (1). De Notre-Dame de

    Prouille, au pied des Pyrnes, de ce vieux sanctuaire consacr

    la Vierge Marie, l'entre du Languedoc, Dominique avait

    envoy de par le monde les premiers Frres de son ordre, en leur

    disant aussi : Va et prche. A Paris, du modeste hospice de

    Saint-Jacques, il jette un regard sur sa nouvelle famille, il l'es-

    time suffisante pour remplir la France de Frres-Prcheurs. A sa

    voix, Pierre Cellani part pour Limoges, Philippe pour Reims,

    Guerric pour Metz, Guillaume pour Poitiers, quelques autres

    Frres pour Orlans, chacun avec mission de prcher dans ces

    villes et d'y fonder des couvents. Pierre Cellani hsite; il doute

    de ses forces et craint de ne pouvoir mener bien une si grande

    entreprise. Dominique lui rpond avec son invincible con-

    fiance (2) : Va, mon fils, va sans crainte ! Deux fois le jour je

    penserai toi devant Dieu. N'aie pas peur : tu gagneras beaucoup

    d'mes et tu feras grand fruit. Tu crotras et tu multiplieras, et le

    Seigneur sera avec toi. Et il envoya Bertrand de Garrigue prendre

    Toulouse (3) la place laisse vide par le dpart de Pierre Cellani.

    Dieu rservait h son serviteur une faveur nouvelle avant de

    quitter Paris. Ce fut pour son me une grande joie, et pour

    l'uvre dont il poursuivait le succs avec une infatigable ardeur,

    une magnifique bndiction. Alexandre H, roi d'Ecosse, se trouvait

    alors Paris : il avait servi la fortune du prince Louis de

    France (i), appel au trne d'x\ngleterre par les barons, en 1216,

    et il venait auprs de Philippe-Auguste renouveler les anciennes

    alliances de son pays avec la couronne de France (5) . Soit que ce

    (i) Lacordalre, Vie de saint Dominique^ cli. x, p. 283.

    (2) Martne, \eterum Script, et Monum., t. VI, col. 402. Vad, fili, et confi-

    dcnter vade ; onini die habebo te coram Deo : et ne dubites. Multos acquiresDo-

    mino et affercs fructum multum : cresces et multiplicabis et Dominus erit tecum .

    ouron, /rf., liv. II, ch. xi, p. 257. Lacordaire, A/., ch. xiv, p. 354.(3) Touron, W., liv. II, ch. xi, p. 257.

    (4) Henri Martin, Histoire de France, t. IV', p. 93.

    (5) Touron, W., p. 258. Echard, Id., p. 111. Joannes Lcslus, Epis-copus Uosscnsis, De Rbus gestis Scot., lib. VI, p. 232. Ferunt Alexandrum

    cum in Galliam ad Philippum, ad redintegranda antiqua fdera venissct, forte

  • 14

    monarque et vu Dominique la cour, quand il allait rendre ses

    hommages la reine Blanche de Gastille, soit qu'il et assist

    ses prdications, ou seulement sur le bruit que faisait Paris le

    dpart des Frres aux diffrentes parties du royaume, il demanda

    instamment au saint patriarche d'envoyer quelques Prcheurs

    vangliser la terre d'Ecosse. Dominique s'empressa d'acquiescer

    au dsir du roi : dans son intrpide confiance, il donna ordre

    Laurent d'Angleterre (1) de prendre deux autres Anglais, Simon

    Taylor (2) et Clment (3), et de partir pour cette mission qui sem-

    blait ne pouvoir tre confie en meilleures mains. Alexandre leur

    donna des Eglises, leur fit btir des couvents et les environna de

    la protection la plus efficace.

    Nous lisons au livre des Actes (A) que saint Paul tant venu de

    Milet Ephse, prenait cong de cette Eglise qu'il aimait d'une

    affection particulire. Vous savez, disait-il entre autres choses,

    vous savez depuis le premier jour de mon arrive, comment j'ai t

    durant tout le temps avec vous. L'x\ptre et les fidles se mirent

    genoux pour prier une dernire fois ensemble : chacun donnait

    un libre cours ses larmes, car tous savaient qu'ils ne devaient

    plus l revoir. Tels furent les derniers adieux de saint Dominique

    ses Frres assembls au couvent -de Saint-Jacques. Il s'loi-

    gnait, et chacun devait craindre aussi de ne plus le revoir, trem-

    blants qu'ils taient tous pour les restes d'une vie que le sacrifice

    avait dj dvore. Il prit avec lui comme compagnon de l'oute,

    Guillaume de Montferrat (5), et partit de Paris par la Porte de

    Bourgogne pour regagner, travers cette province, le chemin de

    l'Italie.

    etiam i)omniculn cotivp.nisse, multumqtie precatutn ut ex iis quos ipse secum

    et habebat, sanctos quosdam viros, in Scotiam, ad erudieiidum populum mitteret.

    Qliod ubi factura est inaximo apud Alexandrum honore habiti sunt, desque,

    ubi agerent, aut suppeditatas sunt, aut nov dificat.

    (1) Touron, M., liv. VI, p. 659.

    (2) chard, M, p. 111. Touron, /r/., p. 738.(3) Ecliard, M., p. 149. Touron, /(/., p. 736.(4) Actes des Aptres, cli. xx, v. 18. Vos scitis a prima die qua ingressus

    sum in Asiam,,qualiter vobiscum per omne tempus fuerim.

    (5) Echard, Id., p. 47 et 97. Touron, Id., liv. V, p. 562.

  • m

    LES DOMINICAINS ET l'UNIVERSIT DE PARIS. LEURS PREMIRESCONQUTES PARMI LES MAITRES, RGINALD, PARMI LES COLIERS.

    JOURDAIN DE SAXE.

    Saint Dominique avait quitt Paris pour retourner en Italie, et

    nous le voyons passer Ghtillon-sur-Seine, quand le soleil de

    juillet brlait la campagne. Les chaleurs de l't ne ralentirent

    point sa marche; aprs avoir de nouveau franchi les Alpes, il

    traversa les plaines de la Lombardie afin de se rendre Bologne.

    Les premiers religieux qu'il avait envoys dans cette ville peu de

    temps auparavant, s'taient trouvs d'abord dans un tat aussi

    prcaire que leurs confrres de Paris : mais prsent la fonda-

    tion prosprait et prenait mme un accroissement qui tenait du

    prodige, sous l'influence irrsistible d'un homme de parole et

    d'action, le Frre Rginald,

    Dominique avait entrepris ce voyage de Bologne, et il se htait

    d'en toucher le but, dans la pense de servir de la faon la plus

    efficace les intrts de la maison de Saint-Jacques. Le sjour qu'il

    venait de prolonger un mois Paris, avait suffi au saint Patriar-

    che pour saisir au vif la situation de son Couvent, ses esprances

    avec ses embarras et ses difficults. Aux yeux du fondateur, les

    uvres n'taient point faites pour les hommes, mais bien les

    hommes pour les uvres : dsireux de fortifier la racine afin

    d'obtenir une tige puissante et des rameaux vigoureux, il donna

    sur-le-champ ordre Rginald de quitter sa chre communaut

    de Bologne et de partir pour Paris.

    Rginald avait t doyen de Saint-Aignan d'Orlans o il tait

    n, et professeur l'Universit de Paris (I), o il avait fait ses

    (1) Bolland, Acta Sanctorum, t. I Augusti, p. 551. B Jourdain, Vita B.Dominici, c. ii, n" 41. Echard, Id., p. 18. Reginaldus erat vir opinionemagnus, doctus scientia, celebris dignitate, qui in jure canonico rexerat Pari-

    sius annos quinque.

  • . 16

    tudes, 8t pendant cinq ans, il y avait enseign le droit canonique

    avec clat. Sa rputation tait clbre en France. En 1218, il visi-

    tait Rome avec son vque Manass de Seignelai (1), lorsque,

    gagn par saint Dominique, il abandonna tout pour entrer dans

    rOrdre des Frres Prcheurs. Ainsi, l'origine, nous trouvons

    un vque d'Orlans auprs de l'un des Frres qui ont jet le plus

    vif clat sur le berceau de l'Institut en France ; plus tard, quand

    un fils de Saint-Dominique viendra replanter Paris le grand

    arbre violemment dracin, Dieu lui donnera galement, pour le

    soutenir et le fortifier, la vaillante amiti d'un successeur de

    Manass, celui que l'on appelle l'Evque d'Orlans.

    Rginald est le premier nom franais qui rayonne en tte des

    glorieuses annales du Couvent de Saint-Jacques, car, suivant une

    expression de Quintilien (2), il semble passer devant celui de

    Mathieu comme une ombre lumineuse. Dans les fastes de l'Ordre,

    il tient la seconde place aprs saint Dominique. L'EgUse, rparant

    un lonp oubli, \ient de le ranger parmi les bienheureux, et elle a

    motiv ce titre sur le culte immmorial rendu par les sicles au

    serviteur de Dieu (3)

    .

    Thomas d'Aquin disait en voyant Bonaventure crire l'histoire

    de Franois d'Assise : Laissons un saint travailler la vie d'un

    saint. Le bienheureux Rginald a eu pour historien le bienheu-

    reux Humbert. Laissons donc, nous aussi, parler un saint, et

    recueillons de sa bouche les rares et prcieux dtails qu'il nous a

    transmis sur un autre saint (4). Dieu avait inspir Rginald le

    dsir d'abandonner toutes choses pour la prdication de l'van-

    gile, et le docteur se prparait ce ministre sans savoir encore

    comment le remphr, car il ignorait qu'un Ordre de prdicateurs

    (1) Echard, Id., p. 18, 29 et 89. Touron, Vie de saint Dominique, 1. II,c. VI, p. 231.

    (2) M. F. Quintilianus,7Hs/t7w/. Orat, 1. X, c. i, 73. Abstulit nomen et ful-gore quodam suai claritatis tenebras obduxit.

    (3) Benedictus XIV, De Servorum Dei Beatif. et Canon., t. II, c. xxii.

    (li) BoUand., Acta Sanctorum, t. I Augusti, Vita S. Dondiiici, c. ix, n 103.

    p. 581 . Thierry d'Apolda composa cette Vie de saint Dominique l'aide desanciens documents, et surtout en suivant les rcits du B. Humbert.

  • 17

    t t inslilii. (r, il iirrhu que dans im enU'utieii conlidoiiLicl

    uvoc un cardinal, il lui ouvrit son cur ce sujet, lui disant qu'il

    pensait h tout quitter pour prcher Jsus-Christ de r, del, dans

    un tat de pauvret volontaire. Alors le cardinal lui dit : Voil,

    justement qu'un ordre vient de se fonder dans le but d'unir la

    pratique de la pauvret l'office de la prdication, et nous avons

    dans la ville le matre du nouvel ordre : il y annonce lui-mme la

    parole de Dieu.

    xiyant ou cela, matre Rginald s'empressa de chercher le bien-

    heureux Dominique et de lui rvler le secret de son me. La vue

    du saint et la grce de ses discours le sduisirent : il prit ds

    lors la rsolution d'entrer dans l'ordre. Mais l'adversit qui est

    l'preuve de tous les saints projets, ne tarda pas heurter son

    dessein. Ilginald tomba si gravement malade, que la nature

    paraissait succomber sous les assauts de la mort, et que les

    mdecins dsespraient de le sauver. Le bienheureux Dominique,

    afflig de perdre un enfant dont il n'avait pas mme joui, se

    tourna vers la divine misricorde la suppliant avec importunit,

    comme il l'a racont lui-mme aux Frres (1), de ne pas lui ravir

    un fils qui tait plutt conu que mis au jour, et de lui en accorder

    la vie au moins pour un peu de lemps. Pendant qu'il priait ainsi,

    la bienheureuse Vierge Marie, Mre de Dieu et Matresse du

    monde, accompagne de deux jeunes filles d'une beaut incom-

    parable, apparut matre Ilginald, veill et consum par les

    ardeurs de la fivre, et il entendit la reine du ciel lui dire :

    (( Demande-moi ce que tu veux, et je te le donnerai . Comme il

    dlibrait en lui-mme, une des jeunes filles qui suivaient la

    bienheureuse Vierge, lui suggra de ne rien demander, mais de

    s'en remettre au bon plaisir de la reine des misricordes, ce qu'il

    agra volontiers. Alors Marie tendant sa main virginale, lui fit

    une onction sur les yeux, les oreilles, les narines, la bouche, les

    mains, les reins et les pieds, et en mme temps elle pronoK-ait

    certaines paroles appropries chaque onclion. u Je n'ai pu cou-

    (1) BollancL, Id., n" lO'i, p. 58-J. Eciiard, /rf., p. 18, 30 et 90. /(/. 15. Jour-dain, Vitd li. Dumlnki^ \v> ;t'i. Touron, Id., p. -^32.

  • 18

    natre, observe le bienheureux Humbert, que les paroles rela-

    tives Fonction des reins et des pieds. La Vierge disait donc

    en touchant les reins : a Que tes reins soient ceints du cordon de

    la chastet ; et en touchant les pieds : J'oins tes pieds pour

    la prdication de l'vangile de paix (1). Elle lui montra ensuite

    l'habit des Frres-Prcheurs en disant (2) : a Voici l'habit de ton

    ordre, et elle disparut ses yeux.

    Le malade se trouva aussitt guri, oint qu'il avait t par la

    Mre de Celui qui a le secret de tout salut. Le lendemain matin,

    lorsque Dominique vint le voir et quand il lui eut demand famili-

    rement de ses nouvelles, Rginald rpondit qu'il ne se sentait plus

    aucun mal, et il lui raconta toute la vision. Tous deux rendirent

    ensemble des actions de grces au Dieu qui frappe et qui gurit,

    qui blesse et qui panse les blessures. Les mdecins admirrent

    un retour la vie si subit et si inespr, ne sachant pas la main

    qui avait donn le remde.

    Trois jours aprs, Rginald tait assis avec Dominique et un reli-

    gieux de l'ordre des Hospitaliers, lorsque l'onction miraculeuse fut

    renouvele sur lui en leur prsence (3) . La Mre de Dieu attachait

    cet acte une importance considrable, et elle tenait l'accomplir

    devant tmoins. En effet, dit le P. Lacordaire (4), Rginald n'tait

    ici que le reprsentant de l'ordre des Frres-Prcheurs, et la Reine

    du ciel et de la terre contractait alliance en sa personne avec

    l'ordre entier. Le Rosaire avait t le premier signe de cette

    alliance, et comme le joyau de l'ordre son baptme : l'onction

    de Rginald, symbole de virilit et signe de confirmation, devait

    aussi avoir une marque durable et commmorative. C'est pourquoi

    la bienheureuse Vierge, en prsentant au nouveau Frre l'habit de

    l'ordre, ne le lui donna pas tel qu'on le portait alors, mais avec

    (1) chard, Id., p. 18 et 30. Stringantur rens tui cingulo Castitatis. -

    Ungo pedes tuos in prasparationem EvangeJii pacis.

    (2) Echard, M., p. 30. Iste est liabitus ordinis tui. Id., Dissertatio I,p. 71. Thierry d'Apolda, Vita sancti Bominici^ c. ix, n" 105.

  • 19

    un changement remarquable qu'elle semblait vouloir faire accepter

    sous les auspices de Rginald.

    Dominique, longtemps chanoine d'Osma, avait continu de

    porter l'habit canonial de cette glise, lorsqu'il vint en France, et

    plus tard il l'adopta pour le costume de son ordre. Cet habit con-

    sistait en une tunique de laine blanche, recouverte d'un surplis de

    lin, l'une et l'autre envelopps d'une chape et d'une capuce de

    laine noire. Dans le vtement prsent par la Sainte Vierge

    Rginald, le surplis de lin tait remplac par un scapulaire de

    laine blanche, c'est--dire, par une simple bande d'toffe destine

    couvrir les paules et la poitrine, en descendant des deux cts

    jusqu'aux genoux. Ce vtement n'tait pas nouveau. Il en est

    question dans la vie des religieux de l'Orient, qui l'avaient sans

    doute adopt pour complment de la tunique, quand le travail ou

    la chaleur les contraignait se dpouiller du manteau. N au

    dsert d'un sentiment de pudeur, tombant comme un voile sur

    le cur de l'homme, le scapulaire tait devenu dans la tradition

    chrtienne le symbole de la puret, et par consquent l'habit de

    Marie, la Reine des Vierges. Lors donc qu'en la personne de Rgi-

    nald, Marie ceignait les reins de l'ordre tout entier a du cordon

    de la chastet, et prparait ses pieds

  • 20

    sortirde sa cellule sans en tre revtu, mme pour aller au tombeau.

    L'vque d'Orlans et le doyen de Saint-Aignan avaient, en se

    rendant Rome, arrt le dessein de poursuivre leur voyage jus-

    qu' Jrusalem. Les vnements inattendus qui venaient de s'ac-

    complir dans la Ville ternelle, ne firent que les retarder sans les

    dtourner de l'excution de leur projet.

    Pendant que Rginald partait avec Manass visiter la Terre-

    Sainte, Dominique avait envoy quelques Frres fonder un nouvel

    tablissement Bologne, o ils s'taient fixs dans une maison et

    une glise appeles Sainte-Marie de Mascarella. La petite colonie

    y vivait dans un profond dnmtnt, sans pouvoir soulever ce

    fardeau d'une grande ville, o la religion, les affaires et les plai-

    sirs ont leur cours rgl, et que la nouveaut n'meut qu' de diffi-

    ciles conditions. Tout changea de face l'arrive d'un seul homme.

    Rginald parut dans Bologne le 21 dcembre 1218, son retour

    de la Palestine, et bientt la ville fut branle jusque dans ses

    fondements. Rien n'est comparable ces succs de l'loquence

    divine (1). Rginald en ]iuit jours tait matre de Bologne. Son

    zle enflammait les mes (2). Des ecclsiastiques, des juriscon-

    sultes, des lves et des professeurs de l'Universit entraient

    l'envi dans un ordre (3) qui, la veille encore, tait inconnu ou

    mpris. De grands esprits en vinrent jusqu' redouter d'en-

    tendre l'orateur, de peur d'tre sduits par sa parole. Une page

    des premires chroniques de l'ordre nous fournit la preuve de

    cette merveilleuse puissance (4). Il y est racont que lorsque

    frre Rginald, de sainte mmoire, autrefois doyen d'Orlans,

    prchait Bologne, et attirait l'ordre des ecclsiastiques et des

    docteurs de renom, matre Monta (5) , qui enseignait alors les arts

    (1) Lacordaire. Vie de saii born.inque^ cli. xiil, p. a31.

    (2) Ecliard, M, p. 18. Tota tune fervebat Bonoiiia. Bolland., UL, c. xi^no 121, p. 58i.

    (3) Echard, Id. Touron, Id., 1. Il, c. xm, p. 271. ioc tempore multiniagni et litterati viri, Arcliidiaconi, Decani, Abbates, Priores, Doctores om-nium facultatum ordinem intraverunt. IMalvenda, Chronic, ad an. 1219.

    (i) Grard de Fracliet, Vies des Frres, P. lY, cli. ix.

    (5) Echard, Id., p. 122.' Bolland, /

  • 21

    et jouissait d'une rputation fameuse dans toute la Lombardie,

    voyant la conversion d'un si grand nombre d'hommes, commena

    s'elfrayer pour lui-mme. C'est pourquoi il vitait avec soin

    frre Rginald, et dtournait de lui ses coliers. Mais le jour de

    la fte de saint Etienne, ses lves l'entranrent au sermon : et

    comme il ne pouvait s'empcher de s'y rendre, soit c cause d'eux,

    soit pour d'autres motifs, il leur dit : Allons d'abord Saint-

    Procul entendre la messe. Ils y allrent en eflet, entendirent non

    pas une messe, mais trois. Monta faisait exprs de traner le

    temps en longueur, pour ne pas assister h la prdication. Cepen-

    dant ses lves le pressaient, et il Unit par leur dire : Allons

    maintenant, Lorsqu'ils arrivrent l'glise, le sermon n'tait

    point encore achev, et la foule tait si grande, que Monta fut

    oblig de se tenir sur le seuil. A peine eut-U prt l'oreille qu'ilfut vaincu. L'orateur s'criait en ce moment : Je vois les deux

    ouverts? Oui, les cieux sont ouverts qui veut voir et qui

    veut entrer ; les portes sont ouvertes qui veut les franchi".

    Ne fermez pas votre cur, et votre bouche et vos mains, de

    peur que les cieux ne se ferment aussi. Que tardez-vous encore?

    Les cieux sont ouverts. Ds que Rginald fut descendu de

    chaire, Monta, touch de Dieu, alla le trouver, lui exposa son

    tat et ses occupations, et fit vu d'obissance entre ses mains.

    Mais, comme beaucoup d'engagements lui taient sa libert, il

    garda encore l'habit du monde pendant une anne, du consente-

    ment de frre Rginald, et cependant il travailla de toutes ses

    forces lui amener des auditeurs et des disciples. Tantt c'tait

    l'un, tantt l'autre, et chaque fois qu'il avait fait une conqute il

    semblait prendre l'habit avec celui qui le prenait.

    Le couvent de Sainte-Mario de Mascarella ne suffit bientt plus

    aux Frres. Rginald obtint de l'vque de Bologne, par l'entre-

    mise du cardinal Ugolin, l'glise de Saint-Nicolas des Vignes,

    situe prs des murs et entoure de champs. La lgende eut bientt

    fait d'imprimer ce changement de domicile un cachet surna-

    turel (1). Frre Jean de Bologne racontait que les cultivateurs de

    (1) Grard tic Frachct, Vies des Frres, P. j, cli. iv. Ecliard, A/., p. ('2.

  • la vigne de Saint-Nicolas y avaient souvent vu des lumires et des

    apparitions de splendeurs. Frre Glarin se rappelait que dans son

    enfance, passant un jour prs de cette vigne, son pre qu'il accom-

    pagnait, lui dit : Mon fils, on a souvent entendu dans ce lieu le

    chant des anges, ce qui est un grand prsage pour l'avenir.

    Et commel'enfant remarquait que peut-tre taient-ce des hommes

    qu'on avait entendus, son pre lui dit : Mon fils, autre estlavoix des

    hommes, autre la voix des anges, et on ne saurait les confondre.

    Au printemps de l'anne 1219 les Frres furent donc transfrs

    Saint-Nicolas, o ils continurent se multiplier, grce aux

    prdications de Rginald, ses vertus et la bndiction de Dieu.

    Car, dit le P. Lacordaire (1), aucun attrait humain ne cooprait

    ces conversions de jeunes gens et d'hommes dj avancs dans

    la carrire des emplois publics. Rien n'tait plus dur que la vie

    des Frres. La pauvret d'un ordre naissant se faisait sentir eux

    par toutes sortes de privations. Leur corps et leur esprit, fatigus

    du travail de la prdication vanglique, ne se rparaient que dans

    le jene et l'abstinence; une nuit brve sur une couche austre

    succdait aux longues heures du jour. Les moindres fautes contre

    la rgle taient svrement punies (2), Un frre convers avait

    accept sans permission je ne sais quelle toffe grossire; Rginald

    lui ordonna de se dcouvrir les paules, selon la coutume, pour

    recevoir la discipline en prsence des Frres. Le coupable s'y

    refusa. Rginald le fit dpouiller, et levant les yeux au ciel avec

    larmes, il dit : Seigneur Jsus-Christ, qui aviez donn votre

    serviteur Benot la puissance de chasser le dmon du corps de

    ses moines par les verges de la discipline, accordez-moi la grce

    de vaincre la tentation de ce pauvre Frre par le mme moyen.

    11 le frappa ensuite avec tant de force que les Frres qui taient

    prsents en furent mus jusqu' pleurer.

    Chose admirable! s'crie le P. Lacordaire (3), la religion se

    sert pour lever l'homme des moyens que le monde emploie pour

    (1) Lacordaire, Vie de saint Dominique^ cli. xiii, p. 334.

    (2) Grard de Fracliet, Vies des Frres, P. IV, ch. ii.

    (3) Lacordaire, Vie de saint Dominique, ch. xiii, p. 336.

  • 23 --

    l'avilir. Ello lui rond la libert par les pratiques do la servitude;

    elle le fait roi en le crucifiant. Aussi les pnitences du clotre

    n'taient point la plus rude preuve des jeunes ou des illustres

    novices qui se pressaient aux portes de Saint-Nicolas de Bologne.

    La principale tentation des uvres naissantes est dans leur nou-

    veaut mme, dans cet obscur horizon oi flottent les choses qui

    n'ont point encore de pass. Quand un tablissement a les sicles

    pour soi, il sort de ses pierres un parfum de stabilit qui rassure

    l'homme contre les doutes de son cur. Il y dort comme l'enfant

    sur les vieux genoux de son aeul ; il y est berc comme le mousse

    sur un vaisseau qui a cent fois travers l'Ocan. Mais les uvres

    nouvelles ont une triste harmonie avec les endroits faibles du cur

    humain : ils se troublent rciproquement. Saint Nicolas de Bologne

    ne fut pas l'abri de ces sourdes temptes qui, selon une loi de

    la Providence, doivent prouver et purifier tous les ouvrages

    divins auxquels l'homme vient apporter sa coopration. Rginald

    fut le pilote dont la main habile et ferme sauva la nacelle.

    Au dire de l'historien des origines dominicaines (1), quand

    l'ordre des Prcheurs tait comme un petit troupeau et une plan-

    tation nouvelle, il s'leva parmi les Frres, au couvent de Bologne,

    une telle tentation d'abattement, que beaucoup d'entre eux conf-

    raient ensemble sur l'ordre auquel ils devaient passer, persuads

    que le leur, si rcent et si faible, ne pouvait avoir de dure. Deux

    des Frres avaient dj mme obtenu d'un lgat apostolique la per-

    mission d'entrer dans l'ordre de Gteaux, et ils en avaient prsent

    les lettres frre Rginald, autrefois doyen de Saint-Aignan d'Or-

    lans, alors vicaire du bienheureux Dominique. Frre Rginald

    ayant assembl le Chapitre et expos l'affaire avec une grande

    douleur, les Frres clatrent en sanglots, et un trouble incroyable

    s'empara des esprits. Frre Rginald, muet et les yeux au ciel, ne

    parlait qu' Dieu, en qui tait toute sa confiance. Frre Clair le

    Toscan se leva pour exhorter les Frres. C'tait un homme bon et

    de grande autorit, qui avait enseign les arts et le droit cano-

    (1) Grard do Fracliot, Vies des Frres^ P. I, cli. v.

  • nique, et qui l'ut depuis prieur de la province romaine, pnitencier

    et chapelain du pape. A peine achevait-il son discours, qu'on voit

    entrer matre Roland de Crmone (1),docteur excellent et renomm,

    qui enseignait la philosophie Bologne, et le premier des Frres

    qui ait ensuite profess la thologie h Paris. Il tait seul, plutt

    ivre que transport de l'esprit de Dieu, et sans dire une autre

    parole il demande prendre l'hahit. Frre Rginald, hors de lui-

    mme, ta son propre scapulaire et le lui mit au cou. Le sacristain

    sonne la cloche ; les Frres entonnent le Veni, Creator Spiritus et

    pendant qu'ils le chantent avec des voix touffes par l'abondance

    de leurs larmes et de leur joie, le peuple accourt : une multitude

    d'hommes, de femmes et d'tudiants inonde l'glise ; la ville entire

    s'meut au bruit de ce qui arrive ; la dvotion envers les Frres se

    renouvelle; toute tentation s'vanouit, et les deux Frres qui

    avaient rsolu de quitter l'ordre, se prcipitent au milieu du Cha-

    pitre, renoncent la licence apostolique qu'ils avaient obtenue,

    et promettent de persvrer jusqu' la mort.

    Tel tait Rginald : telle est Iti figure que faisait ce prcheur

    franais parmi les premiers frres. Dominique esprait beaucoup

    de sa renomme, de son loquence et de son activit pour asseoir

    sur un fondement inbranlable le couvent de Saint-Jacques. La

    Providence semblait avoir choisi cet athlte au sein de l'Univer-

    sit, sur ce terrain de luttes et de combats, pour l'armer et le

    mettre exprs sous la main de Dominique, afm qu'il l'envoyt

    secourir Mathieu de France, l'aider conqurir pour Tordre

    naissant un rang honorable dans le monde de la science, une

    influence salutaire la cour et sur le peuple de Paris.

    Dominique avait command, Rginald obit c la parole du matre.

    Les frres de Bologne le virent s'loigner avec un amer regret,

    pleurant d'tre spars si tt des mamelles de leur mre. Ainsi parle

    le bienheureux Jourdain de Saxe, qui ajoute immdiatement (:2) :

    (1) Touron, Id. 1. II, c. xiii, p. 271. ... Multi ordineni intraverunt. Inter quos

    Boiioiiiaj fuit magister, Rolaiidus Cremoiiensis, sumiiius plulosopliLx', qui priimis

    Parisiis et Fratribus in Tiieologia rexit.

    (2) Echard, Ii/., p. 19. h/., B, Jourdain, Vifn li. T)nii,ini:i, u" 37 : Ti-ans

  • Mais toutes ces choses arrivaient par la volont de Dieu. Il y avait

    je ne sais quoi de merveilleux dans la manire dont le serviteur

    de Dieu Dominique dispersait c et l les Frres dans toutes les

    rgions de l'Eglise de Dieu, malgr les reprsentations qu'on lui

    adressait quelquefois, et sans que sa confiance ft jamais obs-

    curcie par l'ombre d'une hsitation. On et dit qu'il connaissait

    d'avance le succs, et que l'Esprit-Saint le lui avait rvl. En

    effet, qui oserait en douter? Il n'avait avec lui, dans le principe,

    qu'un petit noml)re de Frres, simples et illettrs pour la plupart,

    qu'il avait envoys en petits pelotons par toute l'Eglise, de sorte

    que les enfants de ce sicle, qui jugent selon leur prudence, l'ac-

    cusaient de dtruire ce qui tait commenc, plutt que d'lever

    un grand difice. Mais il accompagnait de ses prires ceux qu'il

    envoyait ainsi, et la vertu du Seigneur se prtait les multiplier.

    Rginald arriva Paris o sa prsence inattendue prit presque

    les proportions d'un vnement : quand on sut qu'il venait pour

    y demeurer, la joie de le revoir se doubla de l'esprance de le pos-

    sder longtemps. Mathieu surtout rendait grce Dieu de ces

    dispositions arrtes par saint Dominique. Il retrouvait son

    matre, car autrefois, tudiant l'Universit de Paris, il avait

    suivi les leons de droit canonique profess par Rginald (i),et

    il lui tait rest pour le docteur et pour la doctrine un sentiment

    de profonde admiration, commun d'ailleurs tous ceux qui avaient

    partag le mme enseignement. Le Prieur de Saint-Jacques bnit

    la Providence qui lui envoyait un pareil secours ; immdiatement

    il voulut en tirer parti. L'hospice et la chapelle cds par le doyen

    de Saint-Quentin ne suffisaient dj plus la communaut ; le

    nombre croissant des religieux rclamait des btiments plus vastes

    et des constructions nouvelles : aux Frres Prcheurs il ne man-

    misit autein indo Parisius, Fratrem Reginaldum, non sine gravi desolationc

    filionim, quos per verbum Evangelii recenter Ghristo genuerat : qui flebant aconsuetae matris uberibus sese tani festinanter avelli, sed hase omnia divinisnutibus agebantur. >

    (1) Ecliard, Id.. p. 92.

  • 26 -=-

    qiiait plus que le couvent. Mathieu devait ncessairemeut porter

    de ce ct les proccupations de son esprit ; c'est pourquoi, afin

    de faire face ces exigences matrielles, il se dchargea &uv

    Rginalddela direction des tudes et du soin de la prdication,

    Il fallait d'ailleurs pourvoir h ces fonctions, car depuis quelques

    semaines elles se trouvaient vaquer. Michel de Fabra qui avait

    t dsign pour enseigner la thologie la maison de Saint-

    Jacques (1), tait parti pour le royaume d'Aragon, o saint

    Dominique l'avait envoy avant de quitter Paris.

    Rginald prit sa place et se mit l'uvre (2) . Sa parole et sa

    saintet ne tardrent pas renouveler les prodiges qu'il avait

    oprs Bologne. Dominique ne s'tait pas tromp dans ses esp'

    rances, et le rsultat rpondait son attente. Les tudiants qui

    avaient connu Rginald, ceux qui avaient entendu clbrer ses

    louanges accouraient en foule se ranger autour de la chaire de

    l'ancien professeur, l'couter, le consulter, lui ouvrir leur me,

    lui confier leurs impressions. Deux de ces jeunes gens se htrent

    de faire profession entre ses mains : c'taient Henri de Cologne et

    Jourdain de Saxe, qui se dcidaient rpondre gnreusement

    la grce dont saint Dominique n'avait voulu que leur laisser de-

    viner les douces et irrsistibles attractions. Beaucoup d'autres

    se disposaient suivre leur exemple : Yves le Breton, Guillaume

    de Rennes, l'allemand Brocard, l'anglais Robert Kilvarby, Guerric

    de Saint-Quentin, Guillaume de Prault, docteur de l'Universit,

    Jean de Montmirail, archidiacre de Paris ; ceux-ci apprenaient le

    chemin du couvent pour en tudier la vie et la rgle, ceux-l se

    prparaient prendre l'habit dominicain dans la chapelle de

    Saint-Jacques, sous les auspices de Rginald.

    Son influence produisait dans le clotre les mmes fruits que

    dans la socit. Si le professeur par sa science exerait un heu-

    (1) Touron, M., 1. VI, p. 062.

    (2) Echard, M., p, yo. Venit itaque S. M. F. Reginaldus Parisius, et inde-fesso mentis fervore Christum Jesum et hune cruciflxnm, verbo prdicabat etopre, sed cito de terra sustulit eum Dominos, et consummatus in brevi explevittempora multa.

  • 27 ^

    roux empire sur la jeunesse des Ecoles, par sa haute vertu le

    religieux servait do modle , la communaut. Tous l'admiraient

    et chacun s'efforait de l'imiter. Un jour Mathieu, qui l'avait au^

    trefois connu dans le sicle, vivant avec toutes les aises do la

    clbrit et do la dlicatesse, lui" tmoigna son tonnement de le

    voir s'imposer do rudes pnitences : Go n'est rien, rpondit

    Rginald;je sais qu'on ne peut suivre Jsus-Christ qu'on portant

    sa croix, et pour mriter d'tre vraiment son disciple, je voudrais

    me mortifier en toutes choses. Mais ce Dieu de misricorde me

    remplit de tant de consolations, que parmi ces austrits je ne

    trouve que douceur et plaisir. Et comme le prieur insistait

    exprimant sa surprise de ce qu'il avait em])rass un institut aussi

    svre (1) : ce C'est sans aucun mrite de ma part, ajouta-t-il,

    car je m'y suis toujours trop plu.

    Il tait alors, aprs Dominique, l'astre le plus clatant de la

    nouvelle religion. Tous les frres, dit le P. Lacordaire (2), avaient

    les yeux sur lui, et sans prvoir la mort trop prochaine de leur

    fondateur, ils voyaient avec joie qu'il n'tait pas le seul capable

    de porter le fardeau de son uvre. Mais Dieu trompa ces senti-

    ments d'amour et d'admiration; il ne veut pas que ses desseins

    puissent sembler dpendre de l'action nergique d'un homme,

    ft-il un grand saint. Lorsque le doyen de Saint-Aignan, ds le

    dbut de sa vocation religieuse, semblait toucher aux portes du

    tombeau, Dominique avait demand pour lui la vie au moins

    pour un peu de temps. Sa prire fut exauce et son cher novice

    recouvra la sant : mais le Seigneur compta les jours et il les fit

    de peu de dure, pa7'vi^ comme disait le patriarehe Jacob au roi

    Pharaon.

    Rginald fut atteint d'une maladie mortelle au moment o la

    maison de Paris, o l'ordre tout entier concevaient de lui les

    plus hautes esprances. Le Prieur de Saint-Jacques, Mathieu de

    France, vint l'avertir que l'heure du dernier combat approcliait,

    (1) Echard, W., p. 90. Niliil in hoc Ordine mereri me reputo, quia nimis in

    eo railii semper complacit.

    (2) Lacordaire, Vie de saint Dominique, ch. xv, p. 368.

  • 28

    et lui demanda s'il ne voulait pas permettre qu'on ft sur son

    corps les suprmes onctions (1) : a Je ne crains pas le combat,

    rpondit Rginald, je le dsire et l'attends avec joie. La Mre de

    misricorde m'a oint Rome de ses propres mains, je lui ai

    donn ma confiance : maintenant je vais elle et j'en ai grande

    hte; mais de peur que je ne paraisse mpriser l'onction eccl-

    siastique, il me plat aussi de la recevoir, et je la demande. Les

    Frres ne savaient point alors, du moins gnralement, la ma-

    nire mystrieuse dont Rginald avait t appel l'ordre, car il

    avait pri Dominique de n'en point parler de son vivant. Mais le

    souvenir de cette insigne faveur se prsentant son esprit

    l'instant de la mort, il ne put s'empcher d'y faire allusion, et la

    reconnaissance lui arracha un secret que son humilit avait

    cach jusque-l.

    Rginald rendit le dernier soupir au couvent de Saint-Jacques.

    Mais sur cette tige bnie, la place du magnifique rameau enlev

    soudain par une fin prmature. Dieu suscita un rejeton prcieux

    suivant cette parole du pole (2) :

    Primo avuls non dficit alter

    Aureus

    Jourdain de Saxe fut ce rameau d'or qui adoucit par ses fleurs

    et ses fruits les regrets de la perte que l'ordre venait de faire.

    L'ange des Frres Prcheurs posa le berceau de Jourdain sur la

    tombe de Rginald, et le chant des funrailles s'teignit dans

    l'hymne de la nativit.

    (( La nuit mme o l'me du saint homme Rginald s'envola

    au Seigneur, dit Jourdain racontant son entre dans l'ordre et

    celle de Henri de Cologne, son ami (3), moi qui n'tais point

    (1) Grard de Frachet, Vies des Frres, P. V, cli. iir. Ecliard, Id. Egoluctam istam non timeo, sed cuiii gaudio expeto et expecto. Mater quidem niise-

    ricordia me Romai inuiixit, et in ipsa confido, et ad ipsam cum multo desiderio

    vado : tameii ne hanc ecclesiasticam unctionem contemnere videar, placet et

    eam peto.

    (2) Virgile, Enide^ liv. VI, v. l/i3,

    (3) Le B. Jourdain de Saxe, Vie de saint Dominique, ch. iir, n" 47.

  • 29

    encore Frre p;u' rii;il)il, mais qui avais f;iit vu de l'tre dans

    ses mains, je vis en songe les Frres sur un vaisseau. Tout

    coup le vaisseau fut submerg, mais les Frres ne prirent point

    dans le naufrage; je pense que ce vaisseau tait frre Rginald,

    regard alors des Frres comme leur bton. Un autre vit en songe

    une fontaine limpide qui cessait subitement de verser de l'eau,

    et qui tait remplace par deux sources jaillissantes. En supposant

    que cette vision reprsentt quelque chose de rel, je connais

    trop ma propre strilit pour oser en donner l'interprtation. Je

    sais seulement que Rginald ne reut Paris que la profession

    de deux religieux, la mienne et celle de frre Henri, qui fut depuis

    prieur de Cologne, homme que j'aimais dans le Christ d'une affec-

    tion que je n'ai accorde aussi entire personne, vase d'honneur

    et de perfection tel, que je ne me souviens pas d'avoir vu en cette

    vie une plus gracieuse crature (l).Le Seigneur se hta de le rap-

    peler lui, et c'est pourquoi il ne sera pas inutile de dire quelque

    chose de ses vertus. )>

    Je ne sais rien de plus doux et de plus fort que le lien qui se

    serrait ainsi entre ces deux mes. David ne trouvait point dans

    son langage inspir d'autre expression pour dire . l'amiti qui

    l'unisssait Jonathas. Jourdain de Saxe ne voulait pas aller seul

    Dieu et h l'ordre de saint Dominique, il dsirait leur donner en

    mme temps son meilleur ami. Pour y russir, il ne compta pas

    en vain sur l'influence de Rginald, et dans une page mue il nous

    raconte comment se gagna la victoire.

    Henri avait eu dans le sicle une naissance distingue, et on

    l'avait nomm tout jeune chanoine d'Utrecht. Un autre chanoine

    de la mme Eglise, homme de bien et de grande religion, l'avait

    lev ds ses plus tendres annes dans la crainte du Seigneur. 11

    lui avait appris par son exemple vaincre le sicle en crucifiant

    (1) Kcliai'd, /^/., p. O.'V (c Lnum scio, nomincm apud Parisius prter duos ipsiiniad profcssionem ordinis susceplssc, quorum quidem ego primus, altor vcro

    F. Henricus, postmodum Prior Coloniensis, niilii singulari affcclu pra3 cunctis,

    ut puto, mortalibus iti Christo carissimus, tanquam vcrn vas honoris et grati:v,

    quo gratiosiorem creaturam nie in hac vita vidisse non recolo.

  • 30

    sa chair et en pratiquant les bonnes uvres ; il lui faisait laver

    les pieds des pauvres, frquenter l'Eglise, fuir le mal, mpriser le

    le luxe, aimer la chastet : et ce jeune homme tant d'une nature

    excellente, se montra docile au joug de la vertu ; les honnes u-

    vres crrent en lui aussi vite que l'ge, et on l'et pris, h le voir,

    pour un ange en qui la naissance et l'honntet n'.aient qu'une

    mme chose. Il vint Paris (l),o l'tude de la thologie ne tarda

    pas de le ravir toute autre science, dou qu'il tait d'un gnie

    naturel trs-vif et d'une raison parfaitement ordonne. Nous nous

    rencontrmes dans l'htel que j'habitais, et bientt la commen-

    salit de nos corps se changea en une douce et troite unit de

    nos mes. Frre Rginald, d'heureuse mmoire, tant venu aussi

    la mme poque h Paris, et y prchant avec force, je fus touch

    de la grce, et fis vu au-dedans de moi-mme d'entrer dans son

    ordre; car je pensais y avoir trouv un sr chemin de salut, tel,

    qu'avant de connatre les Frres, je me l'tais souvent repr-

    sent.

    Cette rsolution prise, je commenai dsirer d'enchaner au

    mme vu le compagnon et l'ami de mon me en qui je voyais

    toutes les dispositions de la nature et de la grce requises dans

    un prdicateur. Lui me refusait, et moi je ne cessais de le presser.

    J'obtins qu'il irait se confesser Frre Rginald, et lorsqu'il

    fut de retour, ouvrant le prophte Isae par manire de consul-

    tation, je tombai sur le passage suivant (2) : Le Seigneur m'a

    donn une langue savante pour que je soutienne par la parole

    celui qui tombe; il m'veille le matin, pour que je l'coute comme

    mon matre. Le Seigneur Dieu m'a fait entendre sa voix, et je ne

    lui rsiste point, je ne vais pas en arrire. Pendant que je lui

    interprtais ce passage qui rpondait si bien l'tat de son cur,

    et que, le lui prsentant comme un avis du Ciel, je l'exhortais

    (1) Echard, kl., Venit Parisius, et statim ad studium tlieologi se contulit,

    liabens magnum ingeuii naturalis acumen, et ordinatissimam rationem. Adjunctusautem est milii hospitio, et commanentes in suavem ac validam convenimiis con-

    cordi unitatem.

    (2) Isae, cil. L, 4, 5.

  • 31

    soumettre sa jeunesse au joug de l'obissance, nous remarqumes

    quelques lignes plus bas ces deux mots (l) : Tenons-nous en-

    semble, qui nous avertissaient de ne point nous sparer l'un de

    l'autre, et de consacrer notre vie au mme dvouement. Ce futpar allusion cette circonstance que, lui tant en Allemagne et

    moi en Italie, il m'crivit un jour : O est maintenant le Te-

    nons-nous ensemble? Vous tes Bologne, et moi Cologne!

    Je lui disais donc : Quel plus grand mrite, quelle plus glo-rieuse coui'onne que de nous rendre participants de la pauvret

    du Christ et de ses aptres, et d'abandonner le sicle pour

    l'amour de lui ! Mais bien que sa raison le ft tomber d'accord

    avec moi, sa volont lui persuadait de me rsister.

    La nuit mme o nous tenions ces discours, il alla entendre

    matines dans l'glise de la bienheureuse Vierge, et il y demeura

    jusqu' l'aurore, priant la Mre du Sauveur do flchir ce qu'il y

    avait de rebelle en lui. Et comme il ne s'apercevait pas que la

    duret de son cur fut amollie par la prire, il commena dire

    en lui-mme : Maintenant, Vierge bienheureuse, j'prouve

    que vous n'avez point compassion de moi, et que je n'ai point ma

    place marque dans le collge des pauvres du Christ I Il disait

    cela avec douleur, parce qu'il y avait en lui un dsir de la pau-

    vret volontaire, et que le Seigneur lui avait une fois montr

    combien elle a de poids au jour du jugement. La chose s'tait

    ainsi passe. Il voyait en songe le Christ sur son tribunal, et deux

    multitudes innombrables, l'une qui tait juge, l'autre qui jugeait

    avec le Christ. Pendant que, sr de sa conscience, il regardait

    tranquillement ce spectacle, l'un de ceux qui taient ct du

    juge tendit tout coup la main vers lui, et ]ui cria :

  • 32

    demande. Mais, ce moment, Celui qui regarde d'en haut les

    humbles renversa les fondements de son cur, des ruisseaux

    de larmes arrivrent ses yeux : son me s'ouvrit et s'pancha

    devant le Seigneur ; toute la duret qui l'opprimait fut brise, et

    le joug du Christ, auparavant si lourd son imagination, lui ap-

    parut ce qu'il est rellement, doux et lger. Il se leva dans le

    premier mouvement de son transport, et courut chercher Frre

    Rginald, entre les mains duquel i pronona ses vux. 11 vint

    ensuite me trouver, et pendant que je considrais sur son ang-

    lique figure la trace des larmes, et que je lui demandais o il

    tait all, il me rpondit :

  • 33

    au commencement du mois de fvrier, avant d'avoir consomm

    cette dernire uvre, semblable l'alos qui meurt en fleuris-

    sant et ne voit jamais ses fruits (1). Mais comme Elle montant

    au Ciel dans un char de feu, jetait son manteau son disciple

    Elise, de mme Rginald laissa tomber sur les paules de Jour-dain, son scapulaire, et dans un des plis, les esprances que Dieu

    ne lui avait pas donn le temps de raliser. Il fut enseveli dans

    l'Eglise des Bndictins de Notre-Dame des Champs (2), car le

    couvent de Saint-Jacques n'avait encore ni glise ni cimetire.

    (1) Lacordaire, Vie de saint Dominir/ue, cli. xv, p. 37G. Le P. Lacordairea retrac le portrait du bienheureux Rginald avec des attentions dont la dlica-

    tesse fait honneur galement au Franais et au Frre Prcheur. Nous lui avons

    pris ses couleurs et ses pinceaux pour retoucher cette grande figure et la mettre

    sa place dans l'histoire du couvent de Saint-Jacques.

    (2) Echard, /'/. , p. 90 Sepultus est autem in Ecclesia B. Marise de Campis

    eo quod nondum Fratres sepulturam liaberent.

  • IV

    FORMATION DU COUVENT DE SAINT-JACQUES. HONORIUS III. LEPREMIER CHAPITRE GNRAL. LE DOYEN DE SAINT-QUENTIN. l'universit. LE CHAPITRE DE NOTRE-DAME. LA PAROISSEDE SAINT-BENOIT. LE SECOND CHAPITRE GNRAL.

    Le monastre de Notre-Dame des Champs ou des Vignes s'le-

    vait, comme l'indique assez son nom, en pleine campagne, au-

    del des murailles de la ville, s'ouvrant de ce ct par la porte

    d'Orlans ou de Saint-Jacques. Ce Prieur, qui dpendait de la

    grande abbaye bndictine de Marmoutiers (1), tiit ainsi voi-

    sin du couvent des Prcheurs. Ds l'origine, les meilleures rela-

    tions s'taient tablies entre les deux maisons, et les fds de saint

    Benot donnrent aux disciples de saint Dominique accs facile

    dans leur clotre, et dans leur glise, une place pour les vivants,

    l'hospitalit pour les morts (2)

    .

    Le doyen de Saint-Quentin avait mis les Dominicains en posses-

    sion de l'hospice et de la chapelle de Saint-Jacques, mais cet acte

    de gnrosit qui leur donnait place au soleil dans Paris, ne cons-

    tituait pas au couvent une existence rgulire ; il fallait la con-

    qurir ou l'attendre du temps et des circonstances. La marche

    suivre exigeait beaucoup de circonspection, la conduite tenir ne

    demandait pas moins de prudence : on courait risque h tout

    moment, chaque pas, de se heurter aux droits et privilges du

    roi, de la ville, de l'Universit, de l'vque, du chapitre de Notre-

    Dame, de la paroisse de Saint-Benot. Les Prcheurs, nouveaux

    (1) Jaillot^ Recherches sur Paris^i. IV, quartier Saint-Benoit, p. 150. GalliaCliristiana, t. VII, col. 42. Le Beuf, Histoire de Paris^ dition Cocheris, t. II, p. 59.

    (2) R. Glioppin, Motiasticon, 1. I, p. 38. Franci Dominicani, vulgo Jncohil

    vociianlur a Jacobo Parisiorum vico, circa quem illi primum hospitio excepti

    sunt apud B. Mariain de Vi/ieis, et quo in vico deliinc sacrani aRdem, sedemque

    doniicilii perpetuam collocarunt.

  • 35

    venus, devaient compter avec ces puissances qui les enveloppaient

    de toutes parts, sans oublier les voisins immdiats, seigneurs

    sculiers ou rguliers, dont les proprits touchaient les murs

    mme de la maison de Saint-Jacques, Ce n'tait encore qu'un de

    ces petits lots dont la pointe, au jour des grandes mares, merge

    peine quelques bipasses du rivage : laissez aux flots le temps de

    se retirer, et peu peu, ce rocher qui paraissait solitaire et d-

    tach, s'largit, s'tend, pour montrer que par la hase il tient

    solidement la terre ferme.

    Mathieu tait habile; on savait son exprience dans le manie-

    ment des affaires (1) : il ne manqua pas h sa rputation et dploya

    toutes les ressources de son esprit pour sortir sa maison d'une

    situation si dlicate. La communaut croissait en nombre; le cou-

    vent comptait dj des noms illustres ; les Frres s'affirmaient par

    l'autorit de leur prdication ; le prieur ne ngligeait rien pour se

    mnager des amitis ou des protections utiles.

    Le prieur de Notre-Dame des Champs avait suivi l'exemple du

    doyen de Saint-Quentin; il s'tait empress d'accueillir avec bont

    les Frres Prcheurs au milieu des difficults, de toutes sortes qui

    rendaient si pnibles les commencements de la maison de Saint-

    Jacques : il leur tait venu en aide avec une bienveillance que l'on

    connut en haut lieu, et dont on lui sut gr la cour de Rome.

    Saint Dominique instruit de la mort et des funrailles de Rginald,

    s'empressa de porter ces faits la connaissance du Souverain-

    Pontife. Le pape Honorius III voulut en 'tmoigner sur-le-champ

    sa satisfaction aux Bndictins, et de Viterbe, il leur cri\it la

    lettre suivante la date du 26 fvrier 1220 (2).

    (1) Touron, Vie de saint Domhtir/iin, 1. VI, p. ol.

    (2) R. Clioppin, Moimsticon, 1. I, p. 38. Archives Nationales, Hrgistres etCartom, L. 240, n" G6.

    Honorius opiscopus, servus servorum Dei,

    Dilectis Filiis Priori et conventui Saiict;e Marias de Vineis, extra portam Pari-

    siensem, salutciu et apostolicani bciiedictioiiem.

    Gratum gcrimus et acceptum, quod, sicut accepimus, dilectos filios Fratros

    ordinis Pra^dicatorum, in sacra pagina studentes apud Parisius, iiabentes in vis-

    ceribus cliaritatis, eos vestree pietatisoflSciislaudabiiiter confovetis, per quod gra-

    \

  • 36

    Honorius, vque, serviteur des serviteurs de Dieu,

    A nos chers fds le prieur et les religieux de Sainte-Marie des

    Vignes, hors la porte de Paris, salut et bndiction apostolique.

    Nous sommes heureux d'apprendre que vous accueillez dans les

    entrailles de la charit, et que vous comblez de vos bons offices,

    nos chers fils les Frres de l'Ordre des P