les albums du cabinet des estampes de la bibliothÈque

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LES ALBUMS DU CABINET DES ESTAMPES DE LA BIBLIOTHÈQUE NATIONALE collection dirigéepar LaureBeaumont-Mailet

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Page 1: LES ALBUMS DU CABINET DES ESTAMPES DE LA BIBLIOTHÈQUE

LES ALBUMS DU CABINET DES ESTAMPES DE LA BIBLIOTHÈQUE NATIONALE

collection dirigée par Laure Beaumont-Maillet

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Éditions AJbin'lV̂ n.ér'S.A., 1985 1 22, rue Hjkyghehs, 75014 Paris

ISBN 2-226-02511-1 ISSN 076X-0S85

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Avant-propos

J'ai connu par le monde industriel certain comte qui avait la monomanie des inventions. Eveillé, il se perdait dans des combinaisons à perdre de vue; endormi, il rêvait découvertes et perfectionnements ; enfin, depuis la plus grande jusqu'à la plus minime fonction de son existence, aucune ne s'accomplissait qu'entre une invention découverte et une invention à découvrir1.

En effet, l'homme est un animal qui rêve, qui invente,'découvre, se trompe et a parfois du génie. Qui a inventé la machine à calculer, le téléphone, la machine à vapeur, le vol du plus lourd que l'air, l'imprimerie, la fusée, le stylo- graphe? Des réflexes un peu chauvins vous soufflent sans doute des noms, mais peut-être avez-vous tort de répondre naïvement. Nombre d'inventions ont plusieurs pères successifs ou simultanés, et le plus connu n'en est parfois que le diffuseur commercial. En outre, autour des inventions phares, tourne une quantité d'inventions satellites qu'il n'est pas sans intérêt de connaître.

Aussi importe-t-il peu ici de dresser une chronologie des inventions mémo- rables, mais plutôt de proposer une promenade à travers des images, reflets d'inventions fantastiques. Fantastiques, car restées à l'état de projet ou de simple spéculation intellectuelle. Fantastiques, car complètement farfelues, irréalisables, utopiques, voire inutiles. D'autres encore n'entrent dans cette galerie qu'en raison de la distance, du décalage que l'œil aujourd'hui installe immédiatement, attribuant un caractère cocasse ou futile à des machines ayant fonctionné avec le plus grand sérieux.

L'esprit est pris de vertige devant la richesse innombrable des inventions, ce monde de rêves fous, d'ambitions déçues, de vies vouées à une idée, devant l'abondance des images.

Le choix est forcément réducteur et c'est à regret que l'on taille dans ces massifs luxuriants. Ce n'est pas dans la cathédrale rigoureuse de la science que l'œil se promène, avec ses fûts imposants et lisses, mais dans la jungle foisonnante, envahie de lianes, de plantes arborescentes et de fleurs incon- nues. Et notre itinéraire est celui de l'archéologue du souvenir : traquer dans les albums d'estampes conservés à la Bibliothèque nationale les curiosités (au sens ancien) et les montrer avec l'éblouissement des conquistadores exhibant à la cour des Rois catholiques les parures de plumes du Nouveau Monde. Notre

1 Edouard Foucaud Paris Inventeur, physiologie de l'indus- trie française, Paris, Prévot, 1844, p. 45.

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continent, c'est ce monde des sciences et techniques que les manuels oublient si souvent : non pas l'histoire classique des inventions, de la roue au moulin à vent, de la poudre au cyclotron, des Pyramides aux gratte-ciel, de l'impri- merie à l'électricité et au téléphone, mais ces parasites sur le tronc des inven- tions réussies, ces machines inutiles ou imaginaires, parfois d'une grande beauté.

Aucun statut n'a été défini pour ces inventions particulières par l'histoire des sciences. Celle-ci trahit un côté darwinien lorsqu'elle évacue ce qu'elle ne peut réduire à un schéma classificateur. Aussi serait-ce un leurre de vouloir rationaliser cette démarche. Parmi ces machines, certaines sont folles, d'autres pas du tout. Certaines sont viciées à la base, d'autres sont techniquement réus- sies, mais il leur manque une source d'énergie, un matériau, ou une utilité réelle qui dépasse la simple démonstration de savoir-faire technique.

Machines à rêver, certes : et le rêve se situe à plusieurs niveaux, celui de l'auteur, celui du spectateur, celui de l'objet.

D'abord, il s'agit des machines d'un rêve, matérialisation de désirs, chi- mères, visions. Rêve propre à l'humanité, comme la conquête de l'air, dont plus d'un mythe garde la trace, la construction d'androïdes ou l'éternelle jeu- nesse. A l'antique Fontaine de Jouvence succèdent les méthodes miracles et les appareils divers effaçant rides, flétrissures, obésité et autres marques du temps, comme l'Electrogène Raspail (n° 59). Rêve de l'inventeur ensuite, qui croit pouvoir maîtriser la direction des aérostats et révolutionner le monde des transports, comme Ernest Pétin (n° 12), avoir vaincu la tuberculose, comme Francisque Crôtte (n° 61), ou pouvoir faire adopter par l'armée sa Brouette militaire (n° 54). D'autres encore inventent une Machine parlante (n° 85) ou un nouvel instrument de musique, marchant à l'hydrogène, le Pyrophone (n° 92). Rêve de l'époque enfin, qui cristallise autour d'une invention tous ses espoirs de progrès ; c'est le cas lors de l'apparition de nouvelles sources d'énergie comme la vapeur et l'électricité (nos 81, 43, 84).

Nous pouvons ensuite percevoir ces objets comme de véritables machines à rêver, faisant rêver le spectateur, déclanchant les ressorts de l'imaginaire. Emouvantes, comme ce télégraphe à lanternes de la Grande Muraille de Chine2, fragiles ou énormes, certaines sont proprement incroyables. On sait qu'il avait fallu prévoir des trains spéciaux pour les foules qui venaient admi- rer les ateliers merveilleusement éclairés de l'entreprise d'Edison ; on imagine l'ébahissement des visiteurs devant les machines colossales présentées lors des Expositions universelles du XIXe siècle. On connaît l'enthousiasme des spec- tateurs des premières ascensions réussies en ballon.

Enfin, ce sont des machines de rêve, du point de vue de l'objet, comme les automates de Vaucanson (n° 90), de fantaisie comme les anticipations de l'an 2000 (nos 30, 84, 88), de cauchemar, comme le labyrinthe de l'Antiquité (n° 47) ou la machine à châtiment exemplaire de la Colonie pénitentiaire de Kafka.

Ainsi définies par leur pouvoir émotionnel et non par leur efficacité, ces machines répondent à des critères de choix qui les replacent dans une histoire parallèle et indépendante des inventions : non plus ce continuum avec des sauts brusques dont parle Umberto Eco, mais les ratés de cette spirale, rencontrés sur les chemins détournés de la science buissonnière.

Ces images nous permettent de jeter un coup d'œil sur notre enfance. Enfance de l'humanité, car parmi elles, beaucoup sont viables mais dépas-

2 In Le Magasin pittoresque, 1871, p. 336.

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sées : ainsi le char à voiles de Stevin (n° 31)3, les différents avatars du vélo- cipède, les machines hydrauliques de Zonca, Ramelli, Salomon de Caus (nos 77, 76, 91), ou le curieux Fauteuil pour les sourds inventé par Du Quet (n° 62).

Par ce retour sur les siècles passés, l'homme du XXe siècle pourrait penser que l'humanité est parvenue à l'âge adulte, mais est-ce vraiment le cas ? Cha- que époque défriche de nouveaux champs vierges et Le Départ du prototype, photographie de Robert Doisneau, ou les premières évolutions de l'hovercraft en 19594 allument le même regard ébloui qu'autrefois. L'émerveillement était grand alors devant ces inventeurs au souffle prométhéen qui domptaient l'élec- tricité, voyaient la terre avec le regard des dieux et créaient le chemin de fer.

Ces images réveillent aussi dans notre histoire personnelle le goût enfantin pour l'irrationnel, le fantastique, le gratuit. Et l'on se délecte à voir ce paro- dique Dampfmaschinen Pferd 5, ou l'extravagante machine composite dénommée Le Véritable navigateur aérien6, à imaginer L'île volante de Laputa découverte par Gulliver (n° 46), et à dénombrer les sources d'énergie utilisées par Cosinus pour la propulsion de son anémélectroreculpédalicoupe- ventombrosoparacloucycle1.

Par ailleurs, la lecture, immédiate ou savante, que nous faisons de ces ima- ges gauchit la destination première de machines pour lesquelles l'utilité était souvent la première règle. Le regard tend à être esthétisant ou tourne en déri- sion ces témoignages de techniques anciennes. La Machine pour faire tenir les pieds en-dehors, avec une seconde machine qui sert à faire tenir la teste droite, toutes deux inventées par M. Des Hayes en 1733 8 se voulaient certai- nement utiles, mais l'on ne peut s'empêcher de sourire.

Une fois connue cette dérive par rapport au projet initial, la machine n'en acquiert que plus de charme. Mais pour que le processus joue, il faut que le propos du créateur soit empreint du plus grand sérieux, même dans les inven- tions littéraires, comme l'homme-volant de Restif de la Bretonne ou le Philo- sophe sans prétention (nos 1, 71). C'est pour cette raison que les caricatures sont pratiquement absentes de cette sélection. Pour ne prendre qu'un exem- ple, la première expérience de la machine volante de Blanchard, ainsi que celle, ratée, de la machine aérostatique de Miollan et Janinet ont entraîné un grand nombre d'images raillant leur insuccès, mais cette interprétation contempo- raine serait en quelque sorte trop directive pour notre propos.

Certaines de ces machines sont « habillées », parfois au sens premier comme les gilets de sauvetage Pigot (n° 20), comme si leurs créateurs et l'époque même refusaient leur aspect brut de machines. Dessinées avant l'ère triomphante du machinisme, elles veulent garder un lien avec la nature. Il en est ainsi des pre- mières machines agricoles dont l'avant s'ornait de têtes de bœuf, ou des voi- tures automobiles précédées d'un cheval factice. Le Lit mécanique du Docteur Nicole (n° 64) et la Machine à coudre de salon (n° 40) procèdent du même souci de cacher ce qui ne doit pas être vu. L'Anémoscope de Guericke (n° 67) utilise un petit personnage pour marquer les changements de temps ; l'homme veut laisser son empreinte sur la machine : il use d'un double de lui-même en réduction pour noter ce qu'une aiguille ou colonne de mercure eût pu faire aussi aisément. On mesurera aussi la distance qui sépare les automates du XVIIIe siècle, doubles parfaits de leurs modèles, des modernes robots, dont seule la fonction concorde avec celle de l'original.

Ces images trahissent un peu ce regret d'une époque où la vision de la

3 On connaît également la brouette à voile des Chinois, qui utilise le même principe. Parmi les estampes d'inspiration simi- laire, citons le Coche volante (If 13 rés.) et Ylriele, traîneau amé- ricain (If 16).

4 Cf. Egon Larsen, A History of Invention, London, J.M. Dent, 1969, p. 189.

5 Cote If 13 rés. 6 Cote Ib 23 rés.

7 Christophe, L'Idée fixe du savant Cosinus, Paris, A. Colin, 1955, p. 155.

8 Jean Gauffin Gallon, Machines et inventions approu- vées par l'Académie royale des Sciences, Paris, G. Martin, J.B. Coignard, H.L. Guerin, 1735, t. 6.

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machine était encore anthropocentrique, charnelle en quelque sorte, et non vécue comme inhumaine, comme le dit si bien l'imaginaire collectif. Les machi- nes n'ont pas d'âme, mais l'homme contemporain ne peut s'empêcher de le leur reprocher.

Ces machines sont aussi un révélateur inconscient, celui d'un plaidoyer pour une science baroque, au sens le plus contrasté, bizarre, déformé, anti-classique du mot. Ce désir de déboulonner la statue de la science infaillible, parfaite, marmoréenne, repose pourtant sur un cliché. Koestler et Bachelard ont bien montré combien la création scientifique emprunte au rêve, à l'imaginaire, et ne naît pas uniquement d'un raisonnement logique. « Apprenons à rêver, mes- sieurs», s'exclame le grand savant Kekule9.

En dépit de cette mise au point, le cliché perdure et les défauts de froi- deur, d'inhumanité que l'on reprochait auparavant à la machine, enfantée par un cerveau, sont attribués à la science.

En outre, les inventions réussies perdent d'une certaine manière leur épais- seur en étant acceptées par la société. L'inventeur devient un archétype, pres- que uniquement un nom, quand il n'est pas entièrement oublié. Ces inventions sont digérées, aseptisées par l'utilisation collective, tandis que les inventions ratées ou abandonnées gardent toute la passion, tout l'enthousiasme de leur création. Et lorsqu'elles sont restées à l'état de projet, leur pureté originelle les rend inaltérables. Le Bateau volant du jésuite Lana (n° 5) n'a pas bougé, alors que de l'Éole d'Ader au dernier supersonique, que reste-t-il de l'inven- tion première, si ce n'est la définition du vol du plus lourd que l'air. Ainsi s'explique peut-être la nostalgie du regard actuel.

Ces machines à rêver ne composent nullement un musée des horreurs, ou d'objets introuvables, comme le célèbre Catalogue de Carelman. En effet, ce n'est pas l'absurde qui les réunit, ce sont des objets réels, raisonnables même. Un canular comme celui des sabots élastiques (n° 17) avait toutes les appa- rences d'une expérience sérieuse et proposait un objet dont l'utilité n'était pas mise en cause. L'humour de ces planches, c'est celui du jeu.

Le jeu vient de la distance entre l'objet et le spectateur. La distance peut n'être que géographique, et l'estampe japonaise qui dépeint un couple de pho- tographes français 10 donne à cette scène une note d'exotisme à l'envers lui conférant une saveur particulière. C'est l'autre côté du miroir révélé.

C'est aussi la distance historique des inventions lorsqu'elles n'en sont encore qu'à leurs premiers essais — toujours l'enfance — comme la Cagoule sous- marine de Végèce (n° 23), l'Appareil de plongée Le Triton (n° 26) ou l'Explo- rateur sous-marin de Jobard (n° 27). Le jeu vient aussi de la prolifération incontrôlée qui accompagne une invention réussie et reconnue, dont la progé- niture un peu fantasque lui échappe : ainsi le Velocimanipede (n° 35), le Tricycle nautique (n° 19) et bien d'autres avatars du vélocipède, dont l'utilisation la plus extravagante est peut-être la tauromachie11.

Le jeu peut être esthétique lorsqu'il détourne des images univoques dans une lecture subversive. Ainsi l'Intérieur d'un harem gravé en coupe par Duplessi-Bertaux 12 évoque irrésistiblement les Grands Magasins du Louvre ou du Bon Marché. La convention didactique qui dessine les signes + et - de l'électricité sur le corps du patient soumis à la douche statique (n° 60) en fait un personnage irréel.

L'humour peut être inhérent à la gravure, comme dans le Concert à la vapeur, tiré d'Un autre monde de Grandville (n° 93), mais il ne se découvre

9 Cité par Arthur Koestler, Le Cri d'Archimède, Paris, Calmann-Lévy, 1965, p. 101.

10 Cote Ad 1112, vol. 2.

11 Cf. L'Univers illustré, 29 mai 1869.

12 Cote AA 5.

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Les numéros des gravures en couleur renvoient à ceux des notices explicatives

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Direction artistique Massin Composition Times, Charente-Photogravure à Angoulême

Papier Couché demi-mat Malmenayde-Daguerre Photogravure Pollina, Luçon

Impression Pollina, Luçon Reliure Brun, Malesherbes

Achevé d'imprimer en septembre 1985 Dépôt légal : octobre 1985 N° d'édition : 9011 N° d'impt-ession : 7346

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