l'entreprise à l'épreuve du changement climatique

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HAL Id: tel-03156827 https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-03156827 Submitted on 2 Mar 2021 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. L’entreprise à l’épreuve du changement climatique: obligations et responsabilités Ana-Maria Ilcheva To cite this version: Ana-Maria Ilcheva. L’entreprise à l’épreuve du changement climatique: obligations et responsabilités. Droit. Université Côte d’Azur, 2020. Français. NNT: 2020COAZ0018. tel-03156827

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HAL Id: tel-03156827https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-03156827

Submitted on 2 Mar 2021

HAL is a multi-disciplinary open accessarchive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come fromteaching and research institutions in France orabroad, or from public or private research centers.

L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, estdestinée au dépôt et à la diffusion de documentsscientifiques de niveau recherche, publiés ou non,émanant des établissements d’enseignement et derecherche français ou étrangers, des laboratoirespublics ou privés.

L’entreprise à l’épreuve du changement climatique :obligations et responsabilités

Ana-Maria Ilcheva

To cite this version:Ana-Maria Ilcheva. L’entreprise à l’épreuve du changement climatique : obligations et responsabilités.Droit. Université Côte d’Azur, 2020. Français. �NNT : 2020COAZ0018�. �tel-03156827�

L’entreprise à l’épreuve du changement

climatique : obligations et responsabilités

Ana-Maria Ilcheva Groupe de Recherche en Droit, Économie et Gestion (GREDEG UMR 7321)

Présentée en vue de l’obtention

du grade de docteur en droit

d’Université Côte d’Azur

Dirigée par : Pascale Steichen,

Professeur, Université Côte d’Azur

Soutenue le 4 décembre 2020.

Devant le jury, composé de :

Mathilde Hautereau-Boutonnet, Professeur,

Université Aix-Marseille

Grégoire Leray, Professeur, Université Côte

d’Azur

Laurent Neyret, Professeur, Université de

Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines

Irina Parachkévova-Racine, Professeur,

Université Côte d’Azur

Pascale Steichen, Professeur, Université Côte

d’Azur

François-Guy Trébulle, Professeur, Université

Paris 1 Panthéon-Sorbonne

THÈSE DE DOCTORAT

L’entreprise à l’épreuve du changement

climatique : obligations et responsabilités

Jury :

Président du jury

Irina Parachkévova-Racine, Professeur, Université Côte d’Azur

Rapporteurs

Mathilde Hautereau-Boutonnet, Professeur, Université Aix-Marseille

Laurent Neyret, Professeur, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines

Examinateurs

Grégoire Leray, Professeur, Université Côte d’Azur

François-Guy Trébulle, Professeur, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Directeur de thèse

Pascale Steichen, Professeur, Université Côte d’Azur

L’entreprise à l’épreuve du changement climatique : obligations et responsabilités

Résumé

La réflexion juridique à propos de la place du droit dans la lutte contre le changement climatique

est de plus en plus abondante. Face à l’urgence climatique, l’ensemble des outils et acteurs

juridiques est mobilisé. L’entreprise est au premier rang des personnes concernées. Quel rôle le

droit assigne-t-il à l’entreprise dans la lutte contre le changement climatique ? Quelles

obligations et quelles responsabilités fait-il peser sur elle ? Sur quels fondements ? La présente étude analyse les rapports entre droit et changement climatique à travers le prisme de l’entreprise.

En amont de tout dommage, on constate aujourd’hui la mise en œuvre d’un processus de

responsabilisation des acteurs économiques face au changement climatique. Ces derniers sont

appelés à jouer un rôle, d’une part, sur le terrain de l’adaptation, d’autre part, sur le terrain de

l’atténuation du changement climatique. De nouvelles obligations, plus ou moins normatives,

apparaissent dans le domaine climatique, et des outils classiques du droit, tel que le contrat, sont

utilisés en tant qu’instruments de la lutte contre le changement climatique.

Qu’en est-il lorsqu’un dommage en lien avec le changement climatique survient ? De lege lata,

différents régimes de responsabilité paraissent mobilisables en matière climatique. Ils présentent

tous des potentialités et des limites, si bien qu’il semble opportun aujourd’hui d’engager une réflexion sur la consécration d’une responsabilité spécifique en matière de climat. De lege

ferenda, dépassant les obstacles liés aux conditions de la responsabilité, à l’imputation et à l’accès

en justice, cette responsabilité climatique pourrait permettre de rendre juridiquement

responsables les entreprises émettrices de gaz à effet de serre.

Mots clés : droit des obligations –– droit économique – droit de l’environnement – changement

climatique – contentieux climatique – responsabilité des entreprises

Companies in the Face of Climate Change: Obligations and Responsibilities

Abstract

Legal concern about the place of law in the fight against climate change is increasingly abundant.

Faced with the climate emergency, all the legal tools and actors are mobilized. Companies are

the ones primarily affected by this. What role does the law assign to compagnies in the fight

against climate change? What obligations and responsibilities does it place on them? On what

legal basis? This study examines the links between law and climate change through the prism of

the companies.

Before any damage occurs, economic players are now involved and empowered to act in the field

of climate change adaptation and mitigation. New obligations, more or less normative, are

appearing in the climate field, and classic legal tools, such as the contract itself, are used as instruments in the fight against climate change.

But what about when a damage related to climate change occurs? De lege lata, different liability

regimes can potentially be mobilized in climate matters. They all have potentials and limitations,

so much so that it now seems opportune to initiate a reflection on the consecration of a specific

liability regime in matters of climate change. De lege ferenda, overcoming the obstacles related

to conditions, imputation of liability and access to justice, this climate change liability regime

could make it possible to make companies that emit greenhouse gases legally responsible.

Key words: Law of Obligations – Economic Law – Environmental Law – Climate Change –

Climate Change Litigation – Corporate Liability – Corporate Responsibility

I

Au seuil de cette étude, je souhaite exprimer ma profonde gratitude

à Madame le Professeur Pascale Steichen, pour sa bienveillance,

sa confiance et son soutien à toute épreuve.

III

Table des principales abréviations

aff.

AJCT

AJDA

al.

art.

BDEI

Bull. civ.

Bull. crim.

Bull. Joly

C. civ.

C. com.

C. consom.

C. env.

C. mon. fin.

C. pén.

C. trav.

CA

Cass. 1ère, 2ème, 3ème civ.

Cass. com.

Cass. soc.

CE

CEDH

Ch. mixte

chron.

CJCE

CJUE

coll.

comm.

concl.

Cons. const.

D.

dir.

doctr.

Dr. soc.

Dr. sociétés

et alii.

éd.

Gaz. Pal.

GES

GIEC

Ibid.

id.

in

infra

JCP E

Affaire

Actualité juridique Collectivités territoriales

Actualité juridique Droit administratif

Alinéa

Article

Bulletin du droit de l’environnement industriel

Bulletin civil

Bulletin criminel

Bulletin Joly

Code civil

Code de commerce

Code de la consommation

Code de l’environnement

Code monétaire et financier

Code pénal

Code du travail

Cour d’appel

Première, deuxième, troisième chambre de la Cour de cassation

Chambre commerciale de la Cour de cassation

Chambre sociale de la Cour de cassation

Conseil d’État

Cour européenne des droits de l’homme

Chambre mixte de la Cour de cassation

Chronique

Cour de justice des Communautés européennes

Cour de justice de l’Union européenne

Collection

Commentaire

Conclusions

Conseil constitutionnel

Recueil Dalloz

Sous la direction de

Doctrine

Revue de droit social – Dalloz

Revue de droit des sociétés – LexisNexis

Et autres

Édition

Gazette du Palais

Gaz à effet de serre

Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat

Ibidem (même endroit)

Du même auteur

Dans

Noté ci-dessous

La Semaine juridique – édition entreprise et affaires – LexisNexis

IV

JCP G

JO

JOUE

L.G.D.J.

LPA

obs.

ONU

op. cit.

ord.

p.

préc.

pt.

PUAM

PUF

Rapp.

RCADI

RDC

Rec. Leb.

Resp. civ. et assur.

RFDA

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RIDE

RJE

RTD civ.

RTC com.

s.

spéc.

supra

t.

T. corr.

T. jud.

TGI

UE

v.

vol.

voy.

La Semaine juridique – édition générale – LexisNexis

Journal officiel de la République française

Journal officiel de l’Union européenne

Librairie générale de droit et de jurisprudence

Petites Affiches (les) – Lextenso

Numéro

Observations

Organisation des Nations Unies

Opere citato (dans l’ouvrage cité)

Ordonnance

Page(s)

Précité

Point

Presses universitaires d’Aix-Marseille

Presses universitaires de France

Rapport

Recueil des cours de l’Académie de droit international de la Haye

Revue des contrats – Lextenso

Recueil Lebon

Responsabilité civile et assurances – LexisNexis

Revue française de droit administratif

Revue française de droit constitutionnel

Revue internationale de droit économique

Revue juridique de l’environnement

Revue trimestrielle de droit civil

Revue trimestrielle de droit commercial

Suivants (et -.)

Spécialement

Noté ci-dessus

Tome

Tribunal correctionnel

Tribunal judiciaire

Tribunal de grande instance

Union européenne

Versus (contre)

Volume

Voyez

V

Sommaire

PREMIÈRE PARTIE :

L’entreprise responsabilisée dans le contexte du changement climatique

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

Chapitre I. Le contexte juridique de la lutte contre le changement climatique

Chapitre II. Analyse juridique du rôle de l’entreprise dans la lutte contre le changement

climatique : la recherche de conciliation

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

Chapitre I. Les démarches volontaires des entreprises en matière de lutte contre le

changement climatique

Chapitre II. Le développement d’obligations nouvelles dans le contexte de lutte contre

le changement climatique

DEUXIÈME PARTIE :

L’entreprise responsable dans le contexte du changement climatique

Titre I. La responsabilité de l’entreprise en droit privé positif saisie par le

changement climatique

Chapitre I. Diversité des régimes de responsabilité de l’entreprise mobilisables en

matière climatique

Chapitre II. Défis posés par le changement climatique aux régimes de responsabilité de

l’entreprise

Titre II. Jalons prospectifs d’une responsabilité climatique de l’entreprise

Chapitre I. Esquisses théoriques sur la responsabilité climatique de l’entreprise

Chapitre II. Reconnaissance juridique de la responsabilité climatique de l’entreprise

VII

À mes parents,

À mon frère,

IX

« Nos sociétés industrielles, socialistes ou capitalistes sont des

sociétés économiques. L’économie est la forme essentielle du

monde moderne, et les problèmes économiques sont nos

préoccupations principales. Pourtant le sens de la vie est ailleurs.

Tous le savent. Tous l’oublient. Pourquoi ? »

P. Dumouchel et J.-P. Dupuy, L’enfer des choses, Seuil, 1979.

1

Introduction

1. La question du changement climatique fait progressivement son apparition dans

les terres du droit. Mais si elle s’y installe, c’est parce qu’elle y est attirée. Le droit, force de

régulation sociale, fournisseur de normes, porteur et producteur de valeurs, permet de répondre,

de manière plus ou moins satisfaisante, aux questionnements que soulève le phénomène du

changement climatique. La réflexion juridique à propos du changement climatique est de plus

en plus abondante. Le sujet préoccupe les agendas politiques, anime certains prétoires et nourrit

les revues juridiques. La réalité des rapports entre droit et changement climatique semble être

établie et n’est plus vraiment contestée. Toutefois, ce qui peut encore être source de

contestation, ou du moins de désaccords, c’est la répartition des rôles des différents acteurs du

droit dans la lutte contre le changement climatique. L’entreprise en est l’illustration parfaite.

En effet, a-t-elle un rôle à jouer dans ce combat ? Si oui, lequel ?

2. Pour un juriste, l’attribution à l’entreprise d’un rôle à jouer dans la lutte contre

le changement climatique ne relève guère de l’évidence. D’ailleurs, cette question est plus

complexe qu’il n’y paraît, pour deux raisons principalement.

D’abord, la complexité de la question résulte de la notion même d’entreprise. C’est

une complexité d’ordre purement technique liée à la qualification juridique de cette notion.

Certes, l’entreprise est un objet d’étude du droit. Pour autant, elle n’est pas un sujet de droit

pouvant être titulaire de droits et d’obligations. Or dire que l’entreprise est un acteur de la lutte

contre le changement climatique revient à reconnaître juridiquement son existence, c’est-à-dire

à lui conférer des droits, à lui assigner des devoirs, à lui attribuer une responsabilité et à veiller

à ce qu’elle l’assume.

Cette question est également complexe car elle invite à brouiller certaines frontières

de notre représentation du monde juridique. Le malaise est évident devant le constat que les

problèmes globaux ne peuvent pas être résolus à la seule échelle globale ; il est plus grand

encore devant la nécessité, pour protéger des intérêts globaux, de mobiliser des branches du

droit qui relèvent, pour l’essentiel, du droit privé.

Introduction

2

Mais c’est aussi finalement cette complexité qui fait que la question peut intriguer la

pensée juridique1. Comme écrivait le Doyen Carbonnier, « quoiqu’elle évoque les

complications et que celles-ci mettent l’homme en fuite, la complexité est loin d’être regardée

aujourd’hui comme un défaut »2. Au contraire, ce serait plutôt « une voie d’accès à la vérité »3.

3. Pour comprendre le rôle de l’entreprise dans la lutte contre le changement

climatique, il est indispensable, avant toute chose, d’esquisser le rôle du droit dans ce combat

(I). Le changement climatique interroge la capacité du droit à appréhender ce type de

phénomènes globaux, si bien que les fonctions symbolique4 et instrumentale du droit sont mises

à l’épreuve. En réponse au défi climatique, le droit est mobilisé à travers l’ensemble de ses

outils et de ses acteurs, et c’est ainsi que s’établit le rapport triangulaire entre droit, changement

climatique et entreprise qui a inspiré cette étude (II). Ce rapport triangulaire se cristallise autour

de deux choses : la mise en œuvre d’un processus de responsabilisation de l’entreprise et

l’évolution de sa responsabilité juridique (III).

I. La question climatique saisie par le droit

4. Comment est apparu le questionnement sur le changement climatique (A) et

comment ce questionnement est-il devenu juridique (B) ?

A. L’apparition du questionnement sur le changement climatique

5. La science du climat n’est pas nouvelle. On en trouve des traces dès 1824, avec

le scientifique français Joseph Fourier, d’ailleurs fréquemment cité comme le premier à avoir

1 Voy. sur la question de la complexité du droit : J. Untermaier, « Nous n’avons pas assez de droit ! Quelques

remarques sur la complexité du droit en général et du droit de l’environnement en particulier », in Les hommes et

l’environnement. Quels droits pour le vingt-et-unième siècle ? Études en hommage à Alexandre Kiss, sous la dir.

de M. Prieur et C. Lambrechts, Éditions Frison-Roche, 1998, p. 499-511 ; Conseil d’État, Rapport public 1991,

EDCE, n° 43, La Documentation française, 1992. 2 J. Carbonnier, Sociologie juridique, PUF, coll. « Quadrige », 3ème éd., 2016, p. 331. 3 Ibid. 4 Voy. sur la fonction symbolique du droit : J. Commaille, À quoi nous sert le droit ?, Éditions Gallimard, coll.

« Folio essais », 1re éd., 2015, p. 43 et s., spéc. p. 43. : « La force du droit ne se mesure pas seulement par ce qu’il

fait mais aussi par ce qu’il dit ou pense qu’il est […] La fonction symbolique du droit est l’un de ses attributs

essentiels pour comprendre la nature même de ce qui fonde l’univers juridique lui-même, son identité et le statut

auquel il prétend dans le monde social. […] À la fonction instrumentale du droit, il faut donc ajouter la dimension

symbolique de celui-ci ».

Introduction

3

présenté la notion d’effet de serre5. Il utilise le terme pour décrire la rétention partielle dans

l’atmosphère des radiations solaires. Cette notion est aujourd’hui à la base de la climatologie.

En 1859, l’irlandais John Tyndall a démontré comment les différences dans la quantité de

vapeur d’eau et de dioxyde de carbone dans l’atmosphère ont entraîné des différences dans

l’absorption du rayonnement réfléchi et donc de la chaleur retenue. S’appuyant sur les travaux

de Tyndall et de Claude Pouillet, le lauréat du prix Nobel Svante August Arrhenius a affirmé

que le réchauffement climatique est la conséquence de l’augmentation du dioxyde de carbone

dans l’atmosphère. Le chimiste suédois mettait déjà l’accent sur l’importance des rejets de

dioxyde de carbone liés aux activités humaines, en constatant que la proportion de ce gaz à effet

de serre croît en fonction des consommations de charbon. Mais ces hypothèses n’ont pas été

vérifiées et le sujet fut oublié pendant de longues années. On a cru que les océans, ces « pompes

à carbone », en étaient de tels consommateurs qu’ils allaient annuler automatiquement la

pollution liée aux activités humaines. Et on persévérait dans ces activités, sans s’en soucier.

Finalement, ce n’est qu’en 1988 qu’il fut acquis que le climat se réchauffait, que la

cause de ce réchauffement était en grande partie liée aux activités humaines et qu’il était

nécessaire d’agir. Un nouvel acteur est apparu sur la scène internationale, à savoir le Groupe

d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (ci-après « GIEC »)6. Depuis 1988, ce

groupe a multiplié les enquêtes sur de nombreuses questions complexes liées au phénomène du

changement climatique7.

6. Dans son cinquième Rapport d’évaluation Changements climatiques 2014 :

Incidences, adaptation et vulnérabilité, le GIEC rappelle que « les changements climatiques

touchent déjà l’agriculture, la santé, les écosystèmes terrestres et océaniques,

l’approvisionnement en eau et les moyens de subsistance de certaines populations. Ce qui est

5 L’effet de serre est un phénomène naturel permettant de retenir la chaleur solaire dans l’atmosphère et de

maintenir une température acceptable pour entretenir la vie. Autrement dit, l’atmosphère terrestre agit comme un

filtre qui laisse passer certains rayons solaires et retient suffisamment de chaleur pour assurer à la Terre une

température propice à la vie. L’expression « effet de serre » est employée usuellement dans le sens d’effet de serre

« anthropique ». Les activités humaines affectent la composition chimique de l’atmosphère et entraînent

l’apparition d’un effet de serre additionnel, responsable en grande partie du changement climatique. 6 Le GIEC a été créé par deux institutions des Nations Unies : l’Organisation Météorologique Mondiale (OMM)

et le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE). Cet organisme intergouvernemental est ouvert

à tous les pays membres de ces deux organisations. Il a pour mandat d’évaluer, sans parti pris et de manière

méthodique et objective, l’état des connaissances sur l’évolution du climat, ses causes et ses impacts. Il produit

des rapports qui fournissent un état des lieux régulier des connaissances les plus avancées en matière de climat.

Cette production scientifique est au cœur des négociations internationales sur le climat. 7 En dehors des discours scientifiques, il est d’usage d’employer indifféremment les termes de « réchauffement

climatique », de « changement climatique » et de « dérèglement climatique ». Que les savants qui nous lisent nous

pardonnent.

Introduction

4

frappant dans les incidences observées de ces changements, c’est qu’ils se produisent depuis

les tropiques jusqu’aux pôles, depuis les petites îles jusqu’aux grands continents et depuis les

pays les plus riches jusqu’aux plus pauvres »8. Ce cinquième rapport du GIEC a constitué la

base scientifique de l’Accord de Paris, lequel vise à renforcer la riposte mondiale à la menace

des changements climatiques en contenant l’élévation de la température moyenne de la planète

nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels et en poursuivant l’action

menée pour limiter l’élévation des températures à 1,5 °C. En décembre 2016, les États parties

à l’Accord de Paris ont invité le GIEC à évaluer les impacts d’un réchauffement de 1,5 °C par

rapport aux niveaux préindustriels et les trajectoires d’émissions compatibles avec cet objectif

mondial plus ambitieux, ce qui a donné lieu à un rapport spécial sur les conséquences d’un

réchauffement planétaire de 1,5 °C9.

On apprend donc aujourd’hui que le défi de notre temps est de limiter à 1,5 °C par

rapport à l’ère préindustrielle (1750-1850) le réchauffement climatique de la planète. Les

scientifiques s’accordent sur le fait que limiter la montée du thermomètre permettra d’endiguer

les conséquences du changement climatique, conséquences qui dépasseront la capacité de

réponse des systèmes naturels et humains qui pourraient être définitivement altérés ou détruits.

Ces 1,5 °C sont perçus comme une sorte de seuil de sécurité, au-delà duquel tout s’emballerait.

En effet, le risque, la fréquence et l’ampleur des diverses calamités induites par le changement

climatique ne cessent d’augmenter. Il devient urgent d’agir pour limiter les dégâts pour la

planète.

7. Le défi du changement climatique est un défi totalement inédit. La

dynamique de la recherche scientifique dont les résultats ne poussent guère à l’optimisme, a

permis de mieux comprendre l’action de l’homme sur le climat. Certes, le changement

climatique est attribuable, en partie, à une variabilité naturelle, à une fluctuation naturelle du

climat de la Terre. Néanmoins, l’ampleur considérable de l’augmentation des températures

moyennes que l’on observe de nos jours est la conséquence directe de l’ingérence de l’homme.

« Le réchauffement du système climatique est sans équivoque »10 et « la majeure partie du

8 GIEC, « Rapport du GIEC : L’évolution du climat entraîne des risques omniprésents, mais il existe des

possibilités d’interventions efficaces », Communiqué de presse, n° 2014/11/PR, 31 mars 2014. 9 GIEC, « Réchauffement planétaire de 1,5 °C. Rapport spécial du GIEC sur les conséquences d’un réchauffement

planétaire de 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels et les trajectoires associées d’émissions mondiales de

gaz à effet de serre, dans le contexte du renforcement de la parade mondiale au changement climatique, du

développement durable et de la lutte contre la pauvreté », 2018. 10 GIEC, Changements climatiques 2007, rapp. de synthèse 2008, p. 2.

Introduction

5

réchauffement observé au cours des cinquante dernières années est due aux activités

humaines »11, constatait le GIEC au début des années 2000.

Il faut reconnaître qu’au fil du temps, nos sociétés ont accumulé de formidables

capacités de destruction. Nos économies modernes se sont fondées sur le postulat selon lequel

notre monde est illimité, ses ressources sont infinies et il appartient à l’industrie de l’homme de

les faire fructifier. François Ost parle de la « simplicité moderne » pour caractériser ce monde

qui s’est longtemps présenté comme illimité12. Il évoque « l’infini désir de l’homme investi,

croit-il, du droit d’appropriation et de transformation du monde qui l’entoure »13. Or ce modèle

économique fondé sur la domination de l’homme sur la nature a rapidement atteint ses limites,

si bien qu’il n’est plus soutenable de considérer l’homme comme « maître et possesseur de la

nature »14. Dans le même esprit, le Professeur René-Jean Dupuy écrivait : « Naguère encore,

les hommes vivaient comme si la Terre eût été inépuisable, la mer incorruptible, l’espèce

humaine immortelle. Dans cet univers d’éternité, ils menaient une vie instinctive. Que l’on

détruisît des ressources, que l’on s’entre-tuât, tout continuerait toujours. La certitude du progrès

prenait assise sur une humanité invulnérable : assurée de la durée, elle pouvait le croire continu.

Elle le recevait comme une foi qui ne pourra résister à la révélation de la vulnérabilité du genre

humain. D’un coup, la montée linéaire s’est rompue. Alors, les reproches se sont concentrés sur

le progrès technologique, accusé d’avoir rendu l’humanité mortelle, ce qui était inimaginable il

y a un demi-siècle »15. Cette idée d’« humanité mortelle » renvoie à l’idée de sa « finitude » et

de sa dépendance de son milieu. La vulnérabilité du genre humain révélée par cette prise de

conscience incline l’homme à repenser son rapport à la nature16. Cela dit, il ne s’agit pas de

renverser le rapport de domination en affirmant la primauté absolue de la nature sur l’homme

et en interdisant toute action de celui-ci. Il s’agit plutôt de rééquilibrer les rapports entre les

deux et de restaurer leur coexistence harmonieuse.

11 GIEC, Changements climatiques 2001, rapp. de synthèse 2002, p. 6. 12 F. Ost, « Oser la pensée complexe ; l’exemple des “communs” », in Droit public et droit privé de

l’environnement : unité dans la diversité ?, sous la dir. de M. Mekki et É. Naim-Gesbert, L.G.D.J., coll. « Grands

colloques », 2016, p. 7-19, spéc. p. 8. 13 Ibid. 14 R. Descartes, Discours de la méthode, 1637, rééd. Librio, coll. « Librio Philosophie », 2018. 15 R.-J. Dupuy, L’humanité dans l’imaginaire des nations, Juillard, coll. « Conférences, essais et leçons du Collège

de France », 1991, p. 71. 16 Voy. par exemple : M. Rèmond-Gouilloud, Du droit de détruire. Essai sur le droit de l’environnement, PUF,

coll. « Les voies du droit », 1989 ; F. Ost, « Quel rapport juridique à la nature : laissez-faire, réglementation,

contrat naturel ou responsabilité ? », Aménagement-Environnement, 1991, p. 190-195 ; F. Ost, La nature hors la

loi. L’écologie à l’épreuve du droit, La Découverte/Poche, coll. « Sciences humaines et sociales », 2003.

Introduction

6

8. En philosophie, les concepts de fragilité et de vulnérabilité connaissent un

essor important à la fin du XXème siècle. La fragilité de l’homme est au centre de la

philosophie de Paul Ricœur17, tandis que la vulnérabilité de la nature préoccupe la pensée de

Hans Jonas. Dans son ouvrage emblématique Le principe responsabilité, Hans Jonas évoque la

nécessité d’anticiper « la menace » du progrès technologique18 : « c’est seulement dans les

premières lueurs de son orage qui nous vient du futur, dans l’aurore de son ampleur planétaire

et dans la profondeur de ses enjeux humains, que peuvent être découverts les principes éthiques,

desquels se laissent déduire les nouvelles obligations correspondant au pouvoir nouveau »19.

Ce « pouvoir nouveau » est le pouvoir que l’homme exerce sur la nature. Son « intervention

technique » entraîne la « vulnérabilité critique de la nature »20. Par conséquent, la nature devient

un « objet de la responsabilité humaine » 21. Autrement dit, le pouvoir croissant de l’homme de

générer des risques est le critère de sa responsabilité. Or après les concepts de fragilité et de

vulnérabilité, c’est le concept de risque qui a connu un essor considérable.

Au début des années 2000, dans son ouvrage La société du risque, Ulrich Beck fait

état du phénomène de « pluralisation » des risques22 avant d’évoquer la « globalisation des

risques civilisationnels »23. Plus qu’une menace, ces nouveaux risques deviennent, nous dit-il,

la mesure l’action humaine. Ils apparaissent comme « une nouvelle grille de lecture de l’ordre

social et juridique, un prisme de la pensée contemporaine »24. On a pu parler de « société du

risque » pour qualifier cette société nouvelle qui se soucie davantage de la protection de ses

membres contre les risques qu’elle fabrique que de la répartition des biens qu’elle produit25.

9. Le risque climatique est l’exemple parfait de risque civilisationnel globalisé.

Il concerne la perturbation des systèmes hydrauliques, le manque d’eau potable, la

multiplication des catastrophes naturelles (tempêtes et inondations), la baisse du rendement de

certaines cultures, la modification de la biodiversité terrestre et marine indispensable à la survie

de l’homme, l’augmentation conséquente des problèmes de santé, le creusement des intégralités

17 P. Ricœur, « Le concept de responsabilité. Essai d’analyse sémantique », in Le juste 1, Esprit, 1995, p. 41-70. 18 H. Jonas, Le principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique, 1979, 3ème éd., Les Éditions

du Cerf, 1995, passim, spéc. préface p. 16. 19 Ibid. 20 Ibid., p. 31. 21 Ibid. 22 U. Beck, La société du risque. Sur la voie d’une autre modernité, 1986, Flammarion, 2008, passim, spéc. p. 55. 23 Ibid., p. 65-80. 24 H. Barbier, La liberté de prendre des risques, préf. J. Mestre, PUAM, 2011, p. 29. 25 U. Beck, La société du risque. Sur la voie d’une autre modernité, op. cit. ; id., « Fabriquons-nous une société

du risque ? », in Le monde des débats, novembre 1999, n° 8 ; également P. Peretti-Wattel, La société du risque,

La Découverte, coll. « Repères », 2001.

Introduction

7

sociales et économiques, l’accélération de la pauvreté, les migrations. Nous le pressentons :

l’enjeu économique du risque climatique est loin d’être négligeable26. L’adaptation à ce risque

est devenue la condition du maintien de nos modèles socio-économiques ; son atténuation, la

condition de survie de l’humanité sur la planète27. L’évolution des connaissances et les

découvertes des sciences de la vie ont permis donc d’identifier le risque climatique, ce qui n’est

pas resté sans interpeller le phénomène juridique.

B. Le changement climatique au centre du questionnement juridique

10. « Le droit n’est pas sans liens avec d’autres savoirs et d’autres discours »28.

Au contraire, il s’en inspire pour se transformer au gré des transformations du monde, pour s’y

adapter. Surtout, il est souvent fait appel au droit lorsqu’il s’agit d’assurer la cohérence du tout

et son intégrité. Le Professeur Jean-Jacques Sueur écrit, à propos des transformations du droit,

que « le monde est devenu un laboratoire à ciel ouvert où les savants de toutes les disciplines

se disputent à la fois avec leur propre passé et avec ce monde et ceux qui s’y trouvent, le droit

d’occuper un champ dont ils sentent bien que la plupart des éléments qui le constituaient

jusqu’alors (acteurs, règles, concepts), leur échappent en tout ou en partie »29. Le propre du

droit, c’est de ne pas rester figé. Un auteur du XXème siècle disait que « la seule chose

perpétuelle [dans le droit est] son évolution, sa transformation »30. En effet, le droit se plaît à la

créativité. Il est amené à bouger sous l’impulsion des « forces créatrices du droit »31, selon

l’expression de Georges Ripert, ou des « forces imaginantes du droit »32, selon celle de Mireille

Delmas-Marty. Ce sont ces forces qui, selon la définition de l’auteure, nous permettent « d’agir

26 M. Hautereau-Boutonnet, « Le risque climatique en droit des contrats », RDC, n° 2, 2016, p. 312. 27 F. Cerutti, « Le réchauffement de la planète et les générations futures », Pouvoirs, vol. 127, n° 4, 2008, p. 107-

122, spéc. p. 108-109 : « En tant que problème politique et moral, le réchauffement de la planète est un défi global,

c’est-à-dire une menace physique qui peut frapper gravement ou mortellement tout le monde sur terre et que l’on

ne contrera avec quelque chance de succès que si la quasi-totalité des pays et des peuples de la planète agissent

ensemble. Seules les armes nucléaires approchent de tels critères de définition […] ». 28 F. Terré, « Présentation », in Archives de philosophie du droit, t. 36, Droit et science, Sirey, 1991, p. 5 et s. 29 J.-J. Sueur, « Le droit vu d’ailleurs, comme un “objet commun” », in Le droit économique entre intérêts privés

et intérêt général. Hommage à Laurence Boy, sous la dir. de É. Balate, J. Drexl, S. Menétrey et H. Ullrich, PUAM,

2016, p. 349-372, spéc. p. 351. 30 M. Chauffardet, Le problème de la perpétuité de la propriété, Étude de sociologie juridique et de droit positif,

thèse, Aix-en-Provence, Librairie du recueil Sirey, 1933, p. 3. 31 G. Ripert, Les forces créatrices du droit, L.G.D.J., 1955, reprint 1998. 32 M. Delmas-Marty, Le relatif et l’universel : Les forces imaginantes du droit, Tome 1, Seuil, coll. « La Couleur

des idées », 2004. ; id., Le pluralisme ordonné : Les forces imaginantes du droit, Tome 2, Seuil, coll. « La Couleur

des idées », 2006 ; id., La refondation des pouvoirs : Les forces imaginantes du droit, Tome 3, Seuil, coll. « La

Couleur des idées », 2007 ; id., Vers une communauté de valeurs : Les forces imaginantes du droit, Tome 4, Seuil,

coll. « La Couleur des idées », 2011.

Introduction

8

à l’intérieur du droit afin d’élargir l’imaginaire juridique »33 et de trouver les moyens d’intégrer

les nouvelles dynamiques qui se mettent en place, « alors que notre représentation du droit ne

nous a pas préparés à [les] accueillir »34. Dans le contexte du changement climatique, le droit

se saisit de la question climatique, si bien qu’aujourd’hui, le changement climatique est au

centre du questionnement juridique.

11. Le droit peut-il venir au secours du climat ? La réponse suppose au préalable

d’interroger la capacité du droit de s’adapter au changement climatique35. Comme on l’a vu, le

dialogue du droit avec les sciences dures et avec les sciences humaines permet de comprendre

la nécessité de construire des réponses juridiques au phénomène du changement climatique.

Mais cette entreprise délicate suppose la reconnaissance du fait que le changement climatique

provoque des changements dans le droit. Il est, en effet, permis de douter de l’aptitude des

instruments juridiques classiques à combattre le changement climatique. Les solutions au

service du changement climatique actuellement inscrites dans le droit, pourvu qu’on arrive à en

citer quelques-unes, ne sont pas dans la capacité de répondre à ses multiples défis. Pour revenir

à notre question, le droit pourrait venir au secours du climat, encore faut-il qu’il soit apte à

s’ouvrir à de nouvelles perspectives. Sa créativité est mise à l’épreuve.

Plus précisément, c’est la créativité des acteurs juridiques et des disciplines juridiques

qui est ici mise à l’épreuve. De près ou de loin, et à leur façon, toutes les disciplines juridiques

pourraient participer à la lutte contre le changement climatique. Les juristes qui appliquent,

contrôlent, revendiquent, créent le droit – en bref, l’ensemble des juristes – ont un rôle important

à jouer. Il s’agit, en quelque sorte, pour les juristes, d’assumer la part de responsabilité qui leur

revient36. Dans ce contexte si préoccupant, l’objet même de leur travail – le droit – ne peut être

ignoré. Au contraire, il devrait être sollicité, encouragé, étudié à la lumière de ces nouveaux

phénomènes. L’ensemble des ordres et des disciplines ainsi que des acteurs juridiques sont

convoqués et émerge progressivement, particulièrement depuis l’adoption, le 12 décembre

2015, de l’Accord de Paris37, ce que l’on peut hardiment appeler un « droit climatique »38.

33 Préface de É. Gaillard, Générations futures et droit privé, L.G.D.J., 2011. 34 Ibid. 35 M. Hautereau-Boutonnet (dir.), « Quel droit face au changement climatique ? » (Dossier), D., 2015, p. 2259 et

s. 36 Sur les « timidités » de la doctrine juridique environnementaliste, voy. G. Martin, « Les angles morts de la

doctrine juridique environnementaliste », Revue juridique de l’environnement, vol. 45, n° 1, 2020, p. 67-80. 37 L’Accord de Paris sur le climat a été conclu le 12 décembre 2015 à l’issue de la vingt-et-unième Conférence des

Parties (COP 21) à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Il est

entré en vigueur le 4 novembre 2016, moins d’un an après son adoption. 38 M. Hautereau-Boutonnet, « Quel “droit climatique” ? », in « Quel droit face au changement climatique ? »

(Dossier), op. cit., p. 2260.

Introduction

9

Parmi les disciplines mobilisables au secours du climat, il y en a tant de disciplines de

droit privé que de droit public. Plus intéressant encore : de par sa transversalité, le changement

climatique est vecteur de la réflexion autour de la porosité de la frontière entre les diverses

disciplines juridiques et des interactions possibles entre droit privé et droit public.

12. Un « droit climatique » entre droit privé et droit public. On enseigne

traditionnellement le droit en distinguant entre ses deux grandes branches : la branche du droit

public et la branche du droit privé39. Le Doyen Carbonnier enseignait que le droit public a pour

objet l’organisation de l’État et des personnes morales qui en dépendent, ainsi que de leurs

rapports avec les particuliers, tandis que le droit privé a pour objet les rapports des particuliers

(personnes privées) entre eux40. Mais il précisait aussitôt que les frontières sont mouvantes.

D’autres auteurs ont étudié le caractère idéologique de cette distinction41 ou sa valeur purement

instrumentale42. La question de la pertinence de la distinction droit public-droit privé, présentée

pourtant comme la division fondamentale du droit, s’est donc posée. Divers phénomènes sont

à l’origine de cette remise en question. C’est un objet d’étude important des spécialistes du droit

économique43, comme du droit de l’environnement44.

Le droit économique45, d’abord, applique la distinction entre droit public et droit privé

plus qu’il ne l’étudie. Elle est de l’essence même de ce droit. À la naissance du droit

économique, Claude Champaud écrivait : « plus d’une discipline, le droit économique est un

ordre juridique répondant aux normes et aux besoins d’une civilisation encore en voie de

formation […] Le droit économique n’est pas une nouvelle branche du droit, mais un droit

nouveau qui coexiste avec le corps de règles juridiques traditionnelles […] Considéré comme

un droit original, mais à vocation générale, le droit économique se présente comme un esprit

juridique particulier appliqué à un corps de règles diverses. Seul l’esprit est vraiment

39 Voy. sur l’utilité de cette distinction : M. Troper, « L’opposition public-privé et la structure de l’ordre

juridique », in Politiques et management public, vol. 5, n° 1, 1987, Public, privé : espaces et gestion. Actes du

Second colloque international, Lyon, 15-16 décembre 1986 (Première partie), Construction de la dualité : une

invention ambiguë, p. 181-198. 40 J. Carbonnier, Droit civil, Tome 1, Introduction, les personnes, la famille, l’enfant, le couple, PUF, coll.

« Quadrige », 2ème éd., 2017. 41 F. X. Testu, « La distinction du droit public et du droit privé est-elle idéologique ? », D., 1998, p. 345. 42 J.-L. Sourioux, Introduction au droit, PUF, 1987, p. 114. 43 G. Farjat, Droit économique, PUF, coll. « Thémis », 2ème éd., 1982, p. 376 : L’auteur évoque clairement

« l’effacement de la distinction » droit public-droit privé ; voy. également : K. Sontag et E. Yamgjié, « La

distinction public-privé en droit économique », in Le droit économique entre intérêts privés et intérêt général.

Hommage à Laurence Boy, sous la dir. de É. Balate, J. Drexl, S. Menétrey et H. Ullrich, PUAM, 2016, p. 67-79. 44 M. Mekki et É. Naim-Gesbert (dir.), Droit public et droit privé de l’environnement : unité dans la diversité ?,

L.G.D.J., coll. « Grands colloques », 2016. 45 G. Farjat, Droit économique, PUF, coll. « Thémis », 1re éd., 1971 ; id., Pour un droit économique, PUF, coll.

« Les voies du droit », 2004.

Introduction

10

nouveau »46. Le droit économique a pour fil conducteur principal le marché47. Dans une

économie de marché mondialisée, le territoire de ce droit est tellement vaste qu’il ne paraît pas

avoir de territoire. Gérard Farjat disait que « l’une des caractéristiques des structures et du

fonctionnement du droit économique est la mobilité »48. À partir des années 1970-1980, on a

constaté une montée en puissance du « privé » par rapport au « public », si bien que « le pôle

dominant du droit économique n’est plus le droit public mais le droit privé »49.

Le droit de l’environnement, ensuite, est un droit par essence au croisement de ces

deux disciplines. Il s’est imposé comme un droit « hors catégorie », « hors norme »50. Certes,

il relevait à l’origine de la police administrative et intéressait assez peu les juristes du droit

privé. Leur désintéressement était dû essentiellement au fait qu’il dépend étroitement des

sciences et des technologies, ce qui rend sa compréhension souvent difficile. Néanmoins, petit

à petit, le droit de l’environnement s’est imposé comme un droit transversal. Finalement, il fut

qualifié de « droit de caractère horizontal, recouvrant les différentes branches classiques du

droit (privé, public et international) et un droit d’interactions qui tend à pénétrer dans tous les

secteurs du droit pour y introduire l’idée environnementale »51. Dès lors, un « droit économique

de l’environnement »52 est-il apparu.

La question climatique intrigue tout particulièrement ces deux domaines. On

comprend que la reconnaissance d’un « droit climatique », si elle était souhaitée, ne serait

possible qu’à travers une approche dualiste, en croisant les regards privatiste et publiciste. De

plus, cette question, qui s’apparente davantage à une question environnementale, se situe, en

réalité, au cœur du droit économique contemporain.

13. Entre droit public et droit privé, entre intérêt général et intérêts privés, la

question climatique est aujourd’hui partout et nulle part à la fois. Il ne serait nullement lucide

de prétendre pouvoir saisir cette question dans son intégralité. Le champ est tellement vaste, on

s’y perdrait. C’est pourquoi, dans le cadre de cette étude, le choix a été fait d’analyser les

rapports entre droit et changement climatique à travers le prisme de l’entreprise.

46 C. Champaud, « Contribution à la définition du droit économique », D., 1967, chron., XXIV, p. 215. 47 M.-A. Frison-Roche, « Le modèle du marché », in Archives de philosophie du droit, t. 40, Droit et esthétique,

Dalloz, 1996, p. 286 et s. 48 G. Farjat, Pour un droit économique, op. cit., p. 23. 49 Ibid., p. 24. 50 G. Martin, « Le Droit de l’environnement, nouveau Droit ou non Droit », in La nature en politique ou l’enjeu

philosophique de l’écologie, sous la dir. de D. Bourg, L’Harmattan, 1993, p. 86. 51 M. Prieur, Droit de l’environnement, Dalloz, coll. « Précis », 7ème éd., 2016, p. 7. 52 G. Martin, « Le droit économique aujourd’hui », D., 2010, p. 1436 ; voy. surtout : Pour un droit économique de

l’environnement. Mélanges en l’honneur de Gilles Martin, Éditions Frison-Roche, 2013.

Introduction

11

II. Le rapport triangulaire entre droit, changement climatique et entreprise

14. Pour comprendre le rapport triangulaire entre droit, changement climatique et

entreprise, il convient de revenir sur le contexte de ce phénomène global présentant des risques

inédits pour notre société (A), puis de replacer l’entreprise dans ce contexte (B).

A. Le contexte du changement climatique est aussi celui de la mondialisation

15. La portée causale des activités humaines à l’origine du changement

climatique a connu une extension considérable à la fois dans le temps et dans l’espace.

Dans le temps, d’abord, puisque ces activités génèrent des risques importants pour les

générations futures53. Dans l’espace, ensuite, puisque ces activités produisent des effets diffus

qui dépassent les frontières étatiques et engendrent des risques qui atteignent une dimension

planétaire. Les risques induits par le changement climatique54 sont si nombreux qu’il est

possible de leur dédier une étude entière. Leur particularité consiste en leur caractère, par

définition, global.

Comment le droit appréhende-t-il ces risques globaux ? On sait que, de manière

générale, le droit se préoccupe du risque lorsque le besoin de sécurité l’exige55. En effet, la

problématique de la sécurité est intrinsèque à la question du risque. D’ailleurs, pour un auteur,

« l’apparition du risque est le fruit du choc entre le développement du nombre et de l’ampleur

des dangers et de la montée de l’exigence de sécurité »56. Or, en matière de climat, d’une année

à l’autre, les risques augmentent de manière significative. Corrélativement augmente le besoin

de sécurité. Dans certaines régions, le réchauffement climatique est à l’origine d’un risque accru

de pénurie d’eau et de sécheresse. Quid de la santé des populations concernées ? Entraînant des

catastrophes écologiques ou fragilisant les cultures indispensables à la fabrication de certains

produits, les risques climatiques pourraient à l’avenir mettre à mal l’exécution même de certains

contrats d’approvisionnement. Quid de l’obligation contractuelle de sécurité ? Au droit de

répondre. Mais, quel droit ? C’est toute la problématique des phénomènes globaux.

53 Voy. sur les générations futures en tant que concept juridique nouveau : É. Gaillard, Générations futures et droit

privé. Vers un droit des générations futures, préf. M. Delmas-Marty, L.G.D.J., 2011. 54 Voy. supra n° 9. 55 Voy. sur l’exigence de sécurité : J. Mestre, « Avant-propos », in Le droit face à l’exigence contemporaine de

sécurité, Actes du colloque de la Faculté de droit d’Aix-Marseille, 11-12 mai 2000, PUAM, 2000, p. 9. 56 H. Barbier, La liberté de prendre des risques, op. cit., p. 27.

Introduction

12

16. Il est impossible, aujourd’hui, d’évoquer des phénomènes globaux aux

enjeux planétaires sans faire la part belle au phénomène de la mondialisation57. D’ailleurs,

Gérard Farjat disait que, d’une manière générale, « aucune réflexion sérieuse ne peut se situer

en dehors de ce cadre à l’époque contemporaine »58. En effet, le contexte du changement

climatique est aussi celui de la mondialisation. Or la mondialisation défie le droit59. Le droit ne

pourra apporter une réponse aux défis du changement climatique que s’il relève d’abord,

parallèlement ou simultanément, les défis que lui pose la mondialisation.

La mondialisation, qui traduit un véritable bouleversement des relations planétaires60,

n’a jamais cessé de faire couler de l’encre. Plus ou moins directement, tout le monde s’y réfère,

la plupart du temps, pour dénoncer ses dérives. En 1979, Paul Dumouchel et Jean-Pierre Dupuy

exprimaient déjà leur regret : « Nos sociétés industrielles, socialistes ou capitalistes sont des

sociétés économiques. L’économie est la forme essentielle du monde moderne, et les problèmes

économiques sont nos préoccupations principales. Pourtant le sens de la vie est ailleurs. Tous

le savent. Tous l’oublient. Pourquoi ? »61.

Mais que se cache derrière la notion de « mondialisation » ? Traditionnellement, cette

notion est rangée dans le registre de l’économie où elle se manifeste à travers « la formation

progressive d’un marché à l’échelle planétaire, caractérisé par la mobilité des biens et des

services, des capitaux, des facteurs productifs et même des hommes »62. En d’autres termes, la

mondialisation est un phénomène de l’extension des marchés concurrentiels63 au-delà des

frontières nationales à une échelle globale. Ce phénomène fait suite à la libéralisation du

commerce international et entraîne la diminution du contrôle étatique sur les activités

économiques. Surtout, il entraîne l’autonomisation des acteurs économiques64.

57 Voy. parmi une littérature abondante : M. Delmas-Marty, Trois défis pour un droit mondial, Seuil, coll.

« Essais », 1998 ; id., « La mondialisation du droit, chances et risques », D., 1999, p. 43-48 ; E. Loquin et C.

Kessedjian (dir.), La mondialisation du droit, Litec, 2000 ; D. Mockle (dir.), Mondialisation et État de droit,

Bruylant, Bruxelles, 2000 ; Ch.-A. Morand (dir.), Le droit saisi par la mondialisation, Bruylant, Bruxelles, 2001 ;

M. Salah, Les contradictions du droit mondialisé, PUF, coll. « Droit, éthique, société », 2002 ; J. Adda, La

mondialisation de l’économie, La Découverte, coll. « Repères », 2007. 58 G. Farjat, Pour un droit économique, op. cit., p. 148. 59 Voy. par exemple : L. Boy, « Le déficit démocratique de la mondialisation du droit économique et le rôle de la

société civile », RIDE, 2003/3, t. XVII, p. 471-493 ; M. Delmas-Marty, Résister, responsabiliser, anticiper ou

comment humaniser la mondialisation, Seuil, 2013. 60 G. Farjat, Pour un droit économique, op. cit., p. 148. 61 P. Dumouchel et J.-P. Dupuy, L’enfer des choses, Seuil, 1979, Avant-propos. 62 C.-A. Michalet, « Les métamorphoses de la mondialisation. Une approche économique », in La mondialisation

du droit, sour la dir. de E. Loquin et C. Kessedjian, Litec, 2000, p. 11-42. 63 Voy. sur l’émergence historique du marché concurrentiel : F. A. Hayek, Droit, législation et liberté, PUF, coll.

« Quadrige », 2013 ; R. Ege, « Émergence du marché concurrentiel et évolutionnisme chez Hayek », Revue

économique, vol. 43, n° 6, 1992, p. 1007-1036. 64 M. Delmas-Marty, La refondation des pouvoirs : Les forces imaginantes du droit, Tome 3, op. cit., p. 141.

Introduction

13

La mondialisation est marquée par la prépondérance de ces acteurs économiques. Au

début des années 1960 émerge la notion d’économie « multinationale », par référence aux

« entreprises multinationales », c’est-à-dire dont le siège social est dans un pays déterminé mais

qui exercent leurs activités dans un ou plusieurs autres pays, par l’intermédiaire de succursales

ou de filiales. Le rôle de ces entreprises multinationales est de plus en plus déterminant dans

les transformations de la mondialisation.

Le trait caractéristique de la mondialisation est la mobilité des activités productrices.

Or une conséquence importante de cette mobilité est la mondialisation des nouveaux risques

sanitaires, sociaux et environnementaux que le droit, dans ce contexte, peine malheureusement

à appréhender. De fait, il n’y a pas de techniques juridiques véritablement adaptées à la mobilité.

En ce sens, mais à propos de la sécurité alimentaire de la population mondiale, Laurence Boy

constatait « la relative incapacité actuelle du droit à répondre de façon satisfaisante à ce

problème mondial »65.

B. Dans ce contexte, l’entreprise est un acteur important de la lutte contre le changement

climatique

17. Il n’est pas sensé de croire que les États sont tout-puissants pour régler à un

niveau global le problème du changement climatique. Certes, ils peuvent et ils doivent

donner l’impulsion. Mais leurs actions seraient vaines si elle ne se déployaient pas à l’échelle

globale. Rien n’est moins sûr, mais admettons que les États expriment unanimement la nécessité

de lutter contre le changement climatique et qu’ils parviennent à un consensus quant aux actions

à mettre en œuvre. Il est quand même très difficile d’imaginer qu’ils puissent du jour au

lendemain, comme par magie, changer de paradigme et modifier les rapports de force que la

mondialisation a établis, pour imposer ces actions aux acteurs économiques. La mondialisation

a entraîné la remise en cause des ordres juridiques nationaux et l’autonomisation des acteurs

économiques. La balle est donc dans le camp de ces derniers. Mais qu’entend-on précisément

par « acteurs économiques » ? Les acteurs économiques, dans le contexte de la mondialisation,

sont ces acteurs que Gérard Farjat qualifiait de « pouvoirs privés économiques »66. Dès 1971,

Farjat analysait leur entrée dans les catégories fondamentales du droit interne et soulignait leur

rôle en droit économique. D’ailleurs, le débordement des catégories juridiques traditionnelles

est l’une des multiples conséquences de la mondialisation sur les systèmes de droit.

65 L. Boy, « Propos conclusifs », in Droit économique et sécurité alimentaire, RIDE, 2012/4, t. XXVI, p. 99-108. 66 G. Farjat, Droit économique, op. cit. ; id., Pour un droit économique, op. cit., p. 67-73.

Introduction

14

18. Les « pouvoirs privés économiques » sont investis d’un pouvoir « analogue

sur le plan matériel à celui de la puissance publique »67. Acteurs essentiels du marché, les

pouvoirs privés économiques ont une influence sur le pôle politique et constituent les vrais

centres de décision de l’économie mondiale. Dans un monde tissé de liens de dépendance et de

pouvoir, ils détiennent des prérogatives qui ressemblent fortement à des prérogatives de

commandement. Tel un « chef » politique, ils ont une autorité dans le système économique et

un pouvoir sans équivoque. Ils sont charismatiques, et cette qualité agit sur la manière dont on

les perçoit. Ils détiennent, en grande partie, les principaux moyens de communication et

d’information, ce qui leur permet de contrôler au plus près l’image qu’ils envoient d’eux-

mêmes.

Quel est le statut des pouvoirs privés économiques ? N’ayant pas de statut juridique

qui leur serait propre, les pouvoirs privés économiques sont un « concept » ; ce sont des

« centres d’intérêts »68. Cette qualification doctrinale, également issue des travaux de Gérard

Farjat, désigne une « catégorie intermédiaire entre les personnes juridiques et les choses »69. La

famille, le groupe de sociétés, l’entreprise, l’animal, l’embryon, la nature n’ont pas la

personnalité juridique. Ce sont pourtant « des points d’imputation du droit »70. Ils intéressent le

droit. Émilie Gaillard, dans sa thèse de doctorat, a rangé dans cette catégorie les générations

futures71. Tout comme pour celles-ci, la difficulté est grande de déterminer le statut juridique

des pouvoirs privés économiques. Pourtant, le droit ne peut pas les ignorer. Une branche du

droit s’y intéresse, d’ailleurs, tout particulièrement : il s’agit du droit économique, présenté

généralement comme le droit des décideurs et des organisateurs de l’économie.

19. Pour résumer, on avait dit que le changement climatique était la conséquence

malheureuse des activités humaines, que ce phénomène a connu une accélération importante

avec la croissance économique, que cette croissance économique était une croissance à l’échelle

mondiale. La mondialisation a remis en cause la capacité des États de répondre à des questions

qui relevaient traditionnellement de leur ressort. Le vide qui s’est ainsi créé a été comblé par

l’apparition d’une nouvelle figure : les pouvoirs privés économiques. Mais les pouvoirs privés

économiques ne se substituent pas aux États. À l’échelle globale, du moins a priori, les États

67 G. Farjat, « Les pouvoirs privés économiques », in Souveraineté étatique et marchés internationaux à la fin du

XXe siècle, Mélanges en l’honneur de Ph. Kahn, Litec, 2000, p. 613. 68 G. Farjat, « Entre les personnes et les choses, les centres d’intérêts », RTD civ., 2002, p. 221. 69 Ibid. 70 Ibid. 71 É. Gaillard, Générations futures et droit privé. Vers un droit des générations futures, op. cit.

Introduction

15

coopèrent afin de promouvoir un intérêt général global72. Or, s’il arrive que des acteurs

économiques travaillent ensemble sur l’échelle mondiale, cette collaboration s’effectue surtout

dans le cadre d’ententes économiques (des accords entre opérateurs économiques, des décisions

d’associations, des pratiques concertées), et dans le but de favoriser leurs intérêts particuliers.

20. La qualification de pouvoir privé économique résulte donc d’une analyse de

marché. Que recouvre cette notion dans les faits ? Si on s’y réfère, c’est généralement pour

désigner les entreprises multinationales et les puissants groupes de sociétés. Or, en droit

français, ni l’entreprise, ni le groupe de sociétés ne sont définis.

20-1 Pourtant, malgré les difficultés de qualification juridique, l’entreprise un

objet d’étude du droit. Souvent, l’entreprise est comprise comme « un agencement dynamique

et durable d’hommes, de moyens techniques et de capitaux, organisés en vue de l’exercice

d’une activité économique »73. L’entreprise transcende l’addition des différents éléments utiles

à son exploitation pour former un ensemble homogène, avec pour objet la poursuite d’une

activité économique. En effet, avant toute chose, l’entreprise est une activité économique. Cette

activité, qui peut être une activité de production, de transformation, de distribution de biens ou

de prestation de services, est organisée en fonction du ou des marchés choisis. Mais l’entreprise

est aussi un ensemble de moyens affectés à une activité : des moyens humains, des moyens

d’approvisionnement, des moyens de production, de distribution, de financement, voire des

moyens de ralliement de la clientèle. L’entreprise est, enfin, une communauté humaine

organisée. Suivant cette approche, plutôt qu’un concept, l’entreprise est « une réalité »74. Il

s’agit d’une notion dynamique, d’un « fourre-tout » presque. Toutefois, cette approche n’est

pas une approche juridique. S’il fallait partir du droit pour essayer de comprendre ce qu’est

l’entreprise75, on chercherait à savoir s’il s’agit d’un objet de droit ou d’un sujet de droit76.

Tout d’abord, l’entreprise est-elle un objet de droit ? La qualification d’objet de droit

renvoie à la notion de « chose » ou, plus exactement, à la notion de « bien »77. La coïncidence

72 Voy. infra n° 153. 73 Voy. Comm. Bruxelles, 27 novembre 1984, J.T., 1984, p. 721. 74 J. Paillusseau, « La notion de groupe de sociétés et d’entreprises en droit des activités économiques », D., 2003,

p. 2346. 75 J. Paillusseau, « Entreprise, société, actionnaires, salariés, quels rapports ? », D., 1999, p. 157. 76 Voy. sur cette summa divisio classique : P. Catala, « La transformation du patrimoine dans le droit civil

français », RTD civ., 1966, p. 185. Dans le même sens, Yan Thomas relève que « l’opposition métaphysique du

sujet et de l’objet fonde toute notre vision du droit » : « Res, chose et patrimoine (Note sur le rapport sujet-objet

en droit romain) », in Archives de philosophie du droit, t. 25, La loi, Sirey, 1980, p. 413 et s. 77 J. Carbonnier, Droit civil, Tome 2, Les biens, les obligations, PUF, coll. « Quadrige », 2ème éd., 2017 ; G. Cornu,

Droit civil. Les biens, L.G.D.J., coll. « Précis Domat », 13ème éd., 2007.

Introduction

16

entre la notion de « bien » et la notion de « chose », quand bien même qu’elle existe, n’est pas

entière. Effectivement, toutes les choses ne sont pas des biens. Les biens tirent leur essence de

la possibilité d’être appropriés. C’est parce qu’ils peuvent faire l’objet d’un droit de propriété

qu’ils ont la qualification d’objets de droit. Le Doyen Carbonnier disait que « les biens n’ont

de sens que par rapport à l’homme »78. Or il est des choses qui, par nature, répugnent à toute

appropriation (par exemple, les choses communes ou res communes79). Parallèlement,

d’ailleurs, il est des biens qui ne sont pas des choses, par exemple, les biens immatériels ou

biens incorporels. Malgré ce caractère, ils ne sont pas imaginaires parce qu’ils « représentent,

dans les patrimoines, une valeur économique »80 (par exemple, le droit de créance, la part

sociale, la clientèle d’un fonds de commerce). Dès lors, l’entreprise est-elle un objet de droit ?

Est-ce un bien susceptible d’appropriation, tel un fonds de commerce ? Certes, l’entreprise

comporte des actifs, des biens meubles et immeubles, qui peuvent faire l’objet d’un droit de

propriété. Mais quid du personnel ? Un dirigent d’entreprise est-il propriétaire de ses salariés ?

L’analyse ne résiste pas à l’examen.

A contrario, l’entreprise est-elle un sujet de droit ? Les sujets de droit, ce sont les

« êtres capables de jouir de droits »81, c’est-à-dire les « personnes »82. Les deux expressions

sont utilisées indifféremment en droit. Il existe deux sortes de sujets de droit : les personnes

physiques et les personnes morales. À l’instar des personnes physiques, les personnes morales

peuvent être titulaires de droits, débiteurs d’obligations, peuvent acquérir, peuvent contracter,

peuvent ester en justice. Cependant, leur existence résulte la reconnaissance que leur confère le

droit83. Ceci paraît évident, dans la mesure où « le droit procède par définitions, catégories et

qualifications, ne mettant en œuvre les régimes juridiques qu’une fois cet appareillage mis en

place »84. Ainsi, le droit français reconnaît-il la personnalité morale notamment aux sociétés

immatriculées au registre du commerce et des sociétés (RCS). L’immatriculation leur confère

la personnalité juridique, leur permet d’accéder à la vie juridique. C’est la raison pour laquelle

notre droit des sociétés français est construit autour du concept de « société ». Et c’est aussi la

raison pour laquelle la société est perçue comme le support qui permet de faire naître

78 J. Carbonnier, Droit civil, Tome 2, Les biens, les obligations, PUF, coll. « Quadrige », 1re éd., 2004, p. 1595. 79 C. civ., art. 714 ; M. Rémond-Gouilloud, « Ressources naturelles et choses sans maître », D., 1985, p. 27. 80 J. Carbonnier, Droit civil, Tome 2, Les biens, les obligations, op. cit., p. 1603. 81 J. Carbonnier, Droit civil, Tome 1, Introduction, les personnes, la famille, l’enfant, le couple, PUF, coll.

« Quadrige », 1re éd., 2004, p. 373. 82 J. Carbonnier, Droit civil, Tome 1, Introduction, les personnes, la famille, l’enfant, le couple, op. cit. ; G. Cornu,

Droit civil. Les personnes, L.G.D.J., coll. « Précis Domat », 13ème éd., 2007. 83 J.-P. Gridel, « La personne morale en droit français », Revue internationale de droit comparé, vol. 42, n° 2,

1990, p. 495-512. 84 M.-A. Frison-Roche et S. Bonfils, Les grandes questions du droit économique. Introduction et documents, PUF,

coll. « Quadrige », 1re éd., 2005, p. 83.

Introduction

17

l’entreprise à la vie juridique85 ou encore comme « l’outil le plus simple et le plus efficace par

lequel l’organisation qu’est l’entreprise va profiter du droit, va entrer dans le commerce

juridique, va faire connaître son existence individuelle, va disposer de la puissance de passer

des contrats »86. L’entreprise n’est donc pas un sujet de droit. Cette qualité est réservée, en droit

français, aux sociétés87.

Ni objet, ni sujet de droit, l’entreprise est pourtant un objet d’étude du droit. Elle

préoccupe le droit et la pensée juridique. La notion est souvent utilisée par le législateur88, par

les juges, par les auteurs. Selon un auteur, le mot « entreprise » serait né du « choc entre le

développement du nombre et de l’ampleur des grandes affaires, d’un côté, et l’essor du droit

du travail et de la consommation, de l’autre »89.

L’exercice de définition est périlleux. Mais ce qui est certain aujourd’hui, c’est que

l’entreprise n’est pas une structure neutre sur le terrain des valeurs90. Pourtant, les réticences à

lui reconnaître une mission autre que celle de générer du profit au bénéfice des actionnaires

sont nombreuses. Elles n’émanent d’ailleurs pas que des milieux économiques : en effet, une

partie de la doctrine, plus conservatrice, émet également certaines réserves à l’égard d’une

approche plus large de la notion d’entreprise, qui intègre d’autres acteurs que les dirigeants et

actionnaires. Malgré ces réticences, force est de constater que les choses ont beaucoup changé

ces dernières années. On ne peut s’empêcher de penser à l’essor de l’idée d’une « responsabilité

sociale de l’entreprise ». L’entreprise rencontre aujourd’hui ses parties prenantes91, elle répond

à des préoccupations extra-financières, elle se voit assigner de nouveaux devoirs, de nouvelles

obligations sont à sa charge92 (d’information, de vigilance, de prise en considération des enjeux

85 J. Paillusseau, « Les fondements du droit moderne des sociétés », Jurisclasseur permanent, 1984, I, n° 3148 ;

M. Despax, L’entreprise et le droit, Paris, L.G.D.J., 1957, p. 103 : « L’entreprise trouve son expression juridique

dans la société ». 86 M.-A. Frison-Roche et S. Bonfils, Les grandes questions du droit économique. Introduction et documents, op.

cit., p. 92. 87 Remarquons ici la singularité du droit français. Au niveau européen, depuis l’arrêt Höfner rendu le 23 avril

1991, la Cour de justice a adopté une conception fonctionnelle et extensive de la notion d’entreprise, fondée sur le

critère de l’activité économique. Ainsi, toute entité exerçant une activité économique est considérée comme une

entreprise au sens du droit communautaire, quel que soit son statut juridique ou son mode de financement. 88 Surtout en droit du travail : voy. par exemple : C. trav., art. L. 1224-1 : « Lorsque survient une modification

dans la situation juridique de l’employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise

en société de l’entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel

employeur et le personnel de l’entreprise » ; ou encore C. trav., art. L. 2325-1 sur le comité d’entreprise créé par

l’ordonnance du 22 février 1945 en vue de défendre les intérêts collectifs des travailleurs. 89 H. Barbier, La liberté de prendre des risques, op. cit., p. 27. 90 Voy. infra n° 209 et s. 91 Sur la notion de « parties prenantes », voy. infra n° 211. 92 Voy. infra : Première partie, Titre I, Chapitre II. Le développement d’obligations nouvelles dans le contexte de

lutte contre le changement climatique.

Introduction

18

sociaux et environnementaux de l’activité poursuivie). Ainsi, la question de savoir ce qu’il

convient d’entendre aujourd’hui par « entreprise » se pose-t-elle avec une acuité particulière.

Pas moins problématique se révèle la notion de « groupe de sociétés ». À son sujet,

Jean Pailluseau remarquait, d’ailleurs, avec beaucoup de finesse, qu’on « ne peut que souhaiter

beaucoup de courage aux juristes qui doivent régler les problèmes des groupes... »93.

20-2 Le groupe de sociétés n’est pas non plus une notion juridique. Généralement,

on le décrit comme une entité composée de « plusieurs entreprises ou sociétés juridiquement

indépendantes mais économiquement unies »94. En pratique, ces sociétés ou entreprises

juridiquement indépendantes sont soumises à une unité de décision économique. On qualifie de

« société mère » la holding qui centralise le pouvoir de décision et de « filiales » les sociétés

économiquement dépendantes. Les personnes morales faisant partie du groupe n’ont pas à être

créées sur le même modèle, ni avoir la même nationalité. D’ailleurs, la mobilité des groupes est

un facteur important voire déterminant. La plupart du temps, le fractionnement du patrimoine

entre plusieurs sociétés distinctes représente un intérêt fiscal pour le groupe, en lui permettant

de tirer un meilleur parti des structures existantes95. La multiplication des filiales rend souvent

l’activité du groupe illisible voire incontrôlable. Selon Gérard Farjat, les groupes « offrent une

des plus belles illustrations de la complexification et des contradictions du système juridique

contemporain. La logique du droit devrait apparemment conduire à leur personnalisation

juridique »96. Or ce n’est pas le cas en droit français où les groupes de sociétés ne sont pas des

personnes morales et n’ont pas la personnalité juridique. Pourtant, point n’est besoin de rappeler

leur importance dans « l’architecture économique »97, mais aussi sociale et politique de la

planète.

21. Dans le cadre de cette étude, dans un souci de tenir compte des réalités

économiques du contexte de la lutte contre le changement climatique, le terme générique

d’entreprise sera préféré à celui de « société » et le périmètre de l’entreprise sera élargi aux

groupes de sociétés. De plus, l’entreprise dont il sera question sera celle qui, de par sa puissance

sur les marchés mondialisés, pourrait recevoir la qualification de « pouvoir privé économique »

93 J. Paillusseau, « La notion de groupe de sociétés et d’entreprises en droit des activités économiques », op. cit. 94 A. Petitpierre-Sauvain, Droit des sociétés et groupes de sociétés, Genève, Georg, 1972, p. 1. 95 G. Ripert et R. Roblot, Traité de droit commercial, t. 1, vol. 2, L.G.D.J., 18ème éd., 2001, p. 669-672. 96 G. Farjat, Pour un droit économique, op. cit., p. 86-91, spéc. p. 87. 97 Ibid.

Introduction

19

au sens précité98. L’étude des rapports entre droit et changement climatique à travers le prisme

de l’entreprise ainsi définie, permet d’établir un triple constat.

21-1 Premièrement, l’entreprise est un acteur majeur de la lutte contre le

changement climatique. Effectivement, dans un monde globalisé où s’enchevêtrent des

multiples catastrophes, dont les catastrophes écologiques, l’entreprise est un acteur majeur du

changement des perspectives qui est nécessaire à l’appréhension de ces catastrophes mais que

le droit, semble-t-il, peine encore à opérer. L’entreprise a ainsi un rôle à jouer tant sur le plan

de leur prévention que de leur réparation, et ce, indépendamment des obstacles le plus souvent

évoqués des frontières étatiques, de la personnalité morale, du voile social impossible à

percer99. À ce sujet, Alain Supiot parle du besoin de « reconnecter pouvoir et

responsabilité »100. Dans le domaine du climat, il n’est donc guère surprenant que l’Accord de

Paris investisse l’entreprise d’une certaine « mission climatique »101. Mais la question qui se

pose alors est celle de savoir si notre concept de responsabilité est lui-même ouvert à cette

reconnexion avec la notion de pouvoir.

21-2 Deuxièmement, l’entreprise est un acteur nécessaire de la lutte contre le

changement climatique. En effet, les seules actions relevant du ressort des États, telles la

« marchandisation » la nature, le fait de donner un prix au carbone, de taxer les émetteurs de

gaz à effet de serre ou d’adopter des accords généraux au niveau international sur des limites

au réchauffement climatique, ne permettent pas à elles seules de sauver nos conditions de vie

sur la planète. Des actions positives de la part des entreprises sont indispensables. L’est

également le retour au droit, une fois ces actions mises en place, afin de les encadrer, d’en

contrôler la réalité, de sanctionner leur absence ou leur non-respect.

21-3 Enfin, troisièmement, l’entreprise est à l’épreuve du changement

climatique. Deux raisons principales, mais qui sont liées, permettent de l’affirmer. D’une part,

l’entreprise est exposée aux conséquences du changement climatique, elle est fragilisée par le

changement climatique, si bien qu’elle peut aussi en être victime102. D’autre part, le changement

98 Voy. supra n° 18. 99 Particulièrement dans le domaine des groupes de sociétés. 100 A. Supiot, « Face à l’insoutenable : les ressources du droit de la responsabilité », in Prendre la responsabilité

au sérieux, sous la dir. de A. Supiot et M. Delmas-Marty, PUF, 2015, p. 9-35, spéc. p. 13. 101 L’Accord de Paris sur le climat reconnaît officiellement une « mission climatique » aux « entités non parties »,

c’est-à-dire aux acteurs infra et non étatiques dont font partie les acteurs économiques. Voy. infra n° 86. 102 Sur l’impact du changement climatique sur l’entreprise, voy. infra nos 175 à 179.

Introduction

20

climatique constitue, pour l’entreprise, un enjeu à ne pas négliger, au même titre que les autres

enjeux extra-financiers, c’est-à-dire sociaux, sociétaux et environnementaux, dont on constate

aujourd’hui l’inexorable montée en puissance. Dans ce contexte, l’entreprise se voit attribuer

de nouveaux devoirs, elle est sujette à de nouvelles obligations, sa responsabilité, au sens

commun comme au sens juridique du terme, n’est plus la même. Mais le chemin est encore

long à parcourir du processus de responsabilisation de l’entreprise à la consécration d’une

véritable responsabilité de l’entreprise en matière de climat.

III. De la responsabilisation à la responsabilité

22. Quelles obligations et quelles responsabilités pour l’entreprise dans le contexte

de lutte contre le changement climatique ? Il convient de préciser d’emblée que le choix du

pluriel pour désigner les obligations et responsabilités de l’entreprise n’est pas anodin. La

matière est tellement riche et si complexe, que ce choix s’impose naturellement. Aujourd’hui,

un processus de responsabilisation de l’entreprise semble être mis en œuvre en matière de

climat. L’entreprise est débitrice de diverses obligations, dont la nature est différente et dont

les sources sont très variées (A). Il est vrai que, dans ce contexte, le droit semble être davantage

mobilisé au titre du préventif qu’au titre du curatif. Néanmoins, le retour au droit est toujours

indispensable pour appréhender, le cas échéant, les éventuels dommages en matière de climat.

Divers régimes de responsabilité paraissent dès lors mobilisables (B). Ils présentent tous des

potentialités et des limites, si bien qu’il serait intéressant d’étudier l’opportunité de la

consécration d’une responsabilité spécifique en matière de climat (C). Ainsi, du processus de

responsabilisation à l’affirmation de la responsabilité, c’est un fait, aujourd’hui, que l’entreprise

est à l’épreuve du changement climatique.

A. La diversité des obligations de l’entreprise en matière de climat

23. La notion d’obligation103 revêt plusieurs sens distincts. Dans le langage

courant, elle est souvent utilisée dans le sens de « devoir » et désigne, de manière générale,

« tout devoir auquel le citoyen est astreint en vertu des règles les plus diverses »104 : obligations

103 A. Bénabent, Droit des obligations, L.G.D.J., coll. « Précis Domat », 18ème éd., 2019 ; Ph. Malinvaud, M. Mekki

et J.-B. Seube, Droit des obligations, LexisNexis, 15ème éd., 2019 ; M. Fabre-Magnan, Droit des obligations, Tome

1, Contrat et engagement unilatéral, PUF, coll. « Thémis », 5ème éd., 2019 ; voy. également : G. Forest, Essai sur

la notion d’obligation en droit privé, Dalloz, coll. « Nouvelle Bibliothèque de Thèses », 2012. 104 A. Bénabent, Droit des obligations, L.G.D.J., coll. « Précis Domat », 15ème éd., 2016, p. 17.

Introduction

21

morales, obligations religieuses, obligations mondaines, obligations professionnelles, etc. Dans

le langage juridique, on utilise le terme d’« obligation » pour désigner le lien de droit qui unit

deux personnes, un débiteur et un créancier, en vertu duquel le premier est tenu à l’égard du

second de donner, de faire ou de ne pas faire quelque chose105. D’un point de vue économique,

l’obligation apparaît clairement comme un élément du passif du patrimoine du débiteur (une

dette), et corrélativement, comme un élément de l’actif du patrimoine du créancier (une

créance).

La particularité de l’obligation juridique par rapport aux autres obligations est qu’elle

est assortie d’une sanction juridique, impliquant l’intervention étatique et, au besoin, la force

publique pour en assurer le respect106. L’étymologie du mot insiste sur cette idée de contrainte.

Il vient, en effet, du préfixe ob, qui signifie « pour », et du verbe ligar, qui signifie « lier ». Pour

les romains, l’obligation était un iuris vinculum, c’est-à-dire un lien de droit, sachant que le mot

vinculum était employé pour désigner également les chaînes ou les fers permettant de retenir un

prisonnier. Seule l’obligation juridique produit un effet garanti par l’État et ses institutions.

Traditionnellement, en droit, on présente une classification en fonction des sources des

obligations. Pothier distinguait les cinq sources suivantes : le contrat, le quasi-contrat, le délit,

le quasi-délit et la loi107. Le code civil, dans sa rédaction antérieure à la réforme de 2016108,

reprenait ces cinq sources en consacrant à l’intérieur du livre III un titre III aux « contrats ou

obligations contractuelles en général »109 et le titre IV aux « engagements qui se forment sans

convention »110, étant précisé que cette catégorie comprend la loi111, les quasi-contrats112, les

délits et les quasi-délits113. Le regroupement des quatre dernières a permis d’amorcer une autre

distinction, largement développée par la doctrine, entre l’acte juridique et le fait juridique114.

Cette distinction a été reprise par les rédacteurs de l’avant-projet Catala de réforme du droit des

obligations, qui en ont fait la summa divisio des sources d’obligations. Dans sa rédaction

actuelle, l’article 1100 du code civil dispose que « les obligations naissent d’actes juridiques,

105 F. Terré, « Présentation », in Archives de philosophie du droit, t. 44, L’obligation, Dalloz, 2000, p. 9 et s. 106 A. Bénabent, Droit des obligations, op. cit., p. 17. 107 R.-J. Pothier, Traité des obligations, Dalloz, coll. « Bibliothèque Dalloz », 2011. 108 Ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la

preuve des obligations, JO, 11 février 2016. 109 C. civ., anc. art. 1101 et s. 110 C. civ., anc. art. 1370 et s. 111 C. civ., anc. art. 1370. 112 C. civ., anc. art. 1371 et s. 113 C. civ., anc. art. 1382 et s. 114 Voy. par exemple : J.-L. Aubert, J. Flour, E. Savaux, Droit civil : les obligations, Tome 1, L’acte juridique,

Sirey, coll. « Sirey université », 16ème éd., 2014 ; id., Droit civil : les obligations, Tome 2, Le fait juridique, Sirey,

coll. « Sirey université », 14ème éd., 2011.

Introduction

22

de faits juridiques ou de l’autorité seule de la loi ». L’acte juridique115 est une manifestation de

volonté destinée à produire des effets de droit. Il peut être conventionnel ou unilatéral. A

contrario, le fait juridique116 est un événement purement matériel qui produit des effets de droit

indépendants de la volonté des intéressés. Dès lors, n’est point juridique l’obligation qui ne

résulte ni d’un acte ou d’un fait juridique, ni de la loi. Il en est ainsi de l’obligation morale.

L’obligation morale relève de la conscience individuelle. Par conséquent, elle ne peut

faire l’objet d’une exécution forcée. On emploie alors le terme de « devoir » plutôt que celui

d’« obligation » pour marquer cette absence de sanction juridique117. Or il existe des devoirs

moraux qui sont en même temps des devoirs ou des obligations juridiques118. Ce risque de

confusion explique que le terme est utilisé par les juristes avec beaucoup de prudence, la plupart

du temps, afin d’introduire l’idée d’une exigence éthique119.

24. L’ambiguïté du terme d’obligation tient justement à ce qu’il soit employé dans

tant de sens différents. En matière de climat, et en particulier dans le domaine de l’entreprise,

il est possible d’identifier toute une panoplie d’obligations qui sont mobilisées ou mobilisables

pour faire face aux défis du changement climatique. Leurs sources et leur force peuvent être

très différentes.

25. Dans le contexte du changement climatique, l’entreprise est débitrice de

diverses obligations légales. Celles-ci ont un lien plus ou moins direct avec la lutte contre le

changement climatique. Il en est ainsi par exemple de l’obligation, pour certaines sociétés, de

publier, dans une déclaration de performance extra-financière120 insérée dans le rapport de

gestion121, les informations relatives aux conséquences sur le changement climatique de leur

activité. Plus précisément, les sociétés concernées par l’obligation de déclaration (ou de

reporting) doivent indiquer notamment les postes significatifs d’émissions de gaz à effet de

serre générés du fait de leur activité, notamment par l’usage des biens et des services qu’elles

produisent ; les mesures prises pour l’adaptation aux conséquences du changement climatique ;

115 C. civ., art. 1100-1. 116 C. civ., art. 1100-2. 117 Voy. toutefois : J.-P. Chazal, « Les nouveaux devoirs des contractants. Est-on allé trop loin ? », in La nouvelle

crise du contrat, sous la dir. de Ch. Jamin et D. Mazeaud, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2003, p. 99. 118 Par exemple, le devoir d’information précontractuelle du nouvel article 1112-1 du code civil ; le devoir de

vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre issu de la loi n° 2017-399 du 27 mars 2017, JO,

28 mars 2017. 119 Voy. sur la différence entre l’obligation et le devoir : N. Hage-Chahine, La distinction de l’obligation et du

devoir en droit privé, éd. Panthéon-Assas, 2017. 120 C. com., art. L. 225-102-1. 121 C. com., art. L. 225-100.

Introduction

23

les objectifs de réduction fixés volontairement à moyen et à long terme pour réduire les

émissions de gaz à effet de serre et les moyens mis en œuvre à cet effet122. Le champ des

informations est donc étendu aux postes significatifs d’émissions directes et indirectes, sur

l’ensemble de la chaîne de valeur de l’entreprise, c’est-à-dire comprenant l’amont et l’aval de

son activité. En l’absence de déclaration, la loi prévoit que toute personne intéressée peut

demander au président du tribunal statuant en référé d’enjoindre, le cas échéant sous astreinte,

au conseil d’administration ou au directoire, selon le cas, de communiquer ces informations.

En revanche, aucune mesure n’est prévue pour ce qui concerne le caractère éventuellement

erroné ou mensonger des informations contenues dans la déclaration123.

Toujours au titre des obligations légales de l’entreprise dans le contexte du

changement climatique, il faut souligner l’importance de la législation environnementale qui

est de plus en plus riche et souvent pensée dans la perspective de lutte contre le changement

climatique124. Diverses obligations tirées de cette législation ont un lien certain quoique indirect

avec la lutte contre le changement climatique, par exemple, l’obligation de tri des déchets à la

source125.

26. Par ailleurs, la force de la sanction juridique n’est pas nécessairement la

mesure du degré de contrainte de l’obligation. En effet, dans le cadre du reporting extra-

financier, les entreprises assujetties à l’obligation d’information ne craignent pas tellement la

sanction juridique prévue par les textes mais plutôt la sanction de marché, ce que l’on appelle

le « risque de réputation »126. Les entreprises soucieuses de leur image mettent toute une série

d’actions en matière de prévention et de gestion de ce risque. La conformité à des obligations

légales en fait naturellement partie. En revanche, la sincérité de la démarche est une autre

question. Comme disait Gérard Farjat, « tout pouvoir cherche à éluder ses responsabilités ».

L’auteur voyait « quelques problèmes juridiques » dans les « stratégies des décideurs » et dans

122 C. com., art. R. 225-105, II, A., 2° Informations environnementales, d). 123 Sur l’ensemble de ces questions, voy. infra n° 297. 124 Voy. infra : Première partie, Titre I, Chapitre I, Section 2. La lutte contre le changement climatique dans l’ordre

juridique interne. 125 Voy. décret n° 2016-288 du 10 mars 2016 portant diverses dispositions d’adaptation et de simplification dans

le domaine de la prévention et de la gestion des déchets, JO, 12 mars 2016. Effectivement, les déchets sont un

élément charnière du questionnement autour du changement climatique puisqu’ils résultent de choix de conception

et de production et que leur gestion actuelle recourt à des modes de traitement émetteurs de gaz à effet de serre. 126 O. Hassid, « Le risque de réputation : un risque de premier rang pour les entreprises », Sécurité et stratégie,

vol. 6, n° 2, 2011, p. 1-2 ; O. Thibout, « La Responsabilité Sociétale des Entreprises : un système normatif

hybride », Revue juridique de l’environnement, vol. 41, n° 2, 2016, p. 215-233.

Introduction

24

la « gestion des risques »127. C’est pourquoi il prônait une meilleure prise en compte de ces

questions par le droit, voire l’introduction de l’éthique dans le droit.

27. Des obligations éthiques peuvent, en effet, jouer un rôle en matière de lutte

contre le changement climatique. Les articles, ouvrages et revues relatifs à l’éthique sont si

nombreux qu’il est impossible de sous-estimer l’ampleur de cette question. L’éthique se

retrouve dans la finalité de certaines normes juridiques. C’est parfois ce vers quoi tend le droit.

Souvent, les concepts juridiques véhiculent des valeurs éthiques. Pour certains, le rôle du droit

serait justement de fournir un modèle à la fois éthiquement et techniquement128. Mais le droit

n’est pas toujours là pour remplir ce rôle. C’est alors que l’éthique reprend le relais.

Ainsi, dans le contexte de la mondialisation, la question de l’éthique resurgit-elle avec

force129. Un phénomène de formalisation de l’éthique apparaît au début du siècle dernier et

prend de l’ampleur dans les années soixante-dix. Le principal concerné est le monde de

l’entreprise. L’idée s’installe, dans l’esprit collectif, qu’il est nécessaire que l’entreprise se

sensibilise aux nouvelles valeurs éthiques qui apparaissent. Elle doit notamment les

appréhender et les intégrer dans ses opérations quotidiennes et dans ses décisions stratégiques.

Ce phénomène correspond, par ailleurs, au développement de la responsabilité sociétale de

l’entreprise130 et à l’apparition d’une certaine « éthique d’entreprise »131. Celle-ci se définit à

travers des principes et des règles opératoires énoncées dans des chartes éthiques ou dans des

codes de bonne conduite. Dans leur forme la plus pure, ces instruments relèvent du système

moral et non pas du système juridique. Ce sont des instruments de « droit mou ». En eux-

mêmes, ils ne peuvent pas avoir de force obligatoire, ce qui ne signifie pas pour autant qu’ils

soient toujours inefficaces.

Face à une perte de repères consécutive à l’apparition du phénomène de la

mondialisation, il est donc fait appel à l’éthique pour ordonner les actions et pour réguler le

pouvoir d’agir. Pour le Professeur Farjat, l’éthique « recouvre les constructions empiriques qui

correspondent aux besoins de valeurs qui accompagnent toutes les activités humaines. Ces

127 G. Farjat, Pour un droit économique, op. cit., p. 62. 128 C. Thibierge, « Le droit comme une technique et comme une éthique », communication personnelle, cité par L.

Neyret, Atteintes au vivant et responsabilité civile, préf. C. Thibierge, L.G.D.J., 2006. 129 Voy. sur la question du contexte en éthique : H. Faës, « Sens et valeur du contexte en éthique », Revue d’éthique

et de théologie morale, vol. 280, n° 3, 2014, p. 11-33. 130 Définie comme suit par la Commission européenne : « L’intégration volontaire, par les entreprises, de

préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec leurs parties

prenantes » (COM(2006) 136 final), ou, plus récemment : « La responsabilité des entreprises vis-à-vis des effets

qu’elles exercent sur la société » (COM(2011) 681 final). 131 F. Cardot, L’éthique d’entreprise, PUF, coll. « Que sais-je ? », 2006.

Introduction

25

constructions relèvent ou s’inspirent du système moral et ont pour objet de promouvoir et de

réguler ces activités »132. L’éthique serait donc un moyen de régulation, tout comme le droit. Et

le même auteur d’ajouter que « les obligations éthiques… qui le méritent doivent avoir une

carrière juridique. Elles peuvent constituer un droit en formation »133.

L’essor de ces obligations éthiques, ou engagements moraux, à l’échelle mondiale,

afin de réguler des questions globales, souligne, par ailleurs, l’importance du rôle des pouvoirs

privés économiques dans ce contexte. Un autre exemple à cet égard est celui du contrat.

28. Le contrat peut promouvoir la cause climatique. Dans la mesure où c’est un

instrument de circulation, il peut être à l’origine de la promotion de la lutte contre le changement

climatique134 sur toute la chaîne de valeur de l’entreprise. Des obligations contractuelles

peuvent résulter de clauses inscrites dans les contrats passés entre entreprises partenaires. Une

entreprise pourrait, par exemple, demander à son partenaire qu’il lui communique toute

information relative à la prise en compte du problème climatique, qu’il l’avertisse de toute

circonstance ayant un impact dans ce domaine, qu’il adhère à des instruments de droit souple

et qu’il s’engage dans une démarche de certification environnementale. Un nouveau cadre

contractuel international de promotion de la lutte contre le changement climatique pourrait ainsi

voir le jour135.

Outre la promotion de la cause climatique, le contrat peut permettre la gestion du

risque climatique. C’est là un point certainement plus intéressant pour les acteurs économiques.

Ces derniers possèdent, en effet, toutes les clés pour faire du contrat un instrument efficace

d’intégration du risque climatique136. Ils peuvent prévoir contractuellement l’adaptation au

changement climatique, en anticipant la réalisation des conséquences négatives que pourrait

produire le changement climatique137.

D’ailleurs, le rôle du contrat en tant qu’outil de gestion des risques environnementaux

et de protection de l’environnement a déjà été souligné par la doctrine138. Alors que la fonction

132 G. Farjat, Pour un droit économique, op. cit., p. 157. 133 Ibid., p. 162. 134 B. Fauvarque-Cosson, « L’entreprise, le droit des contrats et la lutte contre le changement climatique », D.,

2016, p. 324 ; M. Hautereau-Boutonnet, « Une illustration du droit global, la lex mercatoria climatique ? »,

Brazilian Journal of International Law, vol. 14, n° 3, 2017. 135 B. Fauvarque-Cosson, « L’entreprise, le droit des contrats et la lutte contre le changement climatique », op. cit. 136 M. Hautereau-Boutonnet, « Le risque climatique en droit des contrats », op. cit. 137 Ibid. 138 M. Hautereau-Boutonnet (dir.), et alii, Le contrat et l’environnement. Étude de droit comparé, Bruylant, coll.

« Droit(s) et développement durable », 2015 ; V. Monteillet, La contractualisation du droit de l’environnement,

Dalloz, préf. A. Pélissier, coll. « Nouvelle Bibliothèque de Thèses », 2017.

Introduction

26

sociale du contrat est largement ignorée, on remarque qu’en pratique, cet instrument juridique

traditionnel permet de répondre aux défis actuels.

29. En résumé, la diversité des obligations de l’entreprise en matière de climat se

traduit par la mise en œuvre d’un processus de responsabilisation de l’entreprise. S’agissant

précisément de la multiplication des démarches volontaires en réponse à des problématiques de

l’ampleur du changement climatique, elle témoigne d’une dérive bien connue de la

mondialisation : l’éclatement des sources du droit139. Aujourd’hui, les expressions de droit

« mou » ou de droit « souple »140 sont devenues d’usage courant. La question des normativités,

plus précisément, de la concurrence entre normativité publique et normativité privée141, se pose

dès lors en filigrane. Quelle place laisser à la normativité privée, dans la mesure où celle-ci

présente incontestablement des dangers ? Dans une certaine mesure, il paraît que le droit laisse

faire les acteurs économiques. Les instruments privés de régulation profilèrent. Il n’en demeure

pas moins que le retour au droit est toujours indispensable, lorsqu’il faut opérer le passage du

processus de responsabilisation à l’affirmation de la responsabilité. Quels sont les divers

régimes de responsabilité mobilisables en matière de changement climatique ?

B. De lege lata : les responsabilités de l’entreprise dans le contexte du changement climatique

30. Le sujet de la justice climatique se propage à grande vitesse. Les contentieux

en matière de climat, apparus d’abord aux États-Unis, se multiplient désormais dans le monde

entier142. En effet, c’est en 2007 que la Cour suprême des États-Unis a ouvert la voie au

contentieux climatique dans l’affaire Massachussetts v. EPA143. La Cour devait se prononcer

sur la pertinence de l’élaboration d’une réglementation limitant les émissions de gaz à effet de

serre au niveau fédéral, dans le cadre de la lutte contre le changement climatique, plus

précisément, sur le fait de savoir si l’EPA (agence de protection environnementale)144 est ou

non habilitée à réglementer les gaz à effet de serre par le pouvoir que lui confère la loi fédérale

139 C. Thibierge, « Sources du droit, sources de droit : une cartographie », in Mélanges en l’honneur de Ph. Jestaz,

Dalloz, 2006, p. 519. 140 C. Thibierge, « Le droit souple (réflexions sur les textures du droit) », RTD civ., 2003, p. 599. 141 J.-B. Racine et F. Siiriainen, « Retour sur l’analyse substantielle en droit économique », RIDE, 2007/3, t. XXI,

3, p. 259-291. 142 Voy. sur le contentieux en matière de climat : Ch. Huglo, Le contentieux climatique : une révolution judiciaire

mondiale, Bruylant, 2018 ; Ch. Cournil et L. Varison (dir.), Les procès climatiques. Entre le national et

l’international, Pedone, 2018 ; Ch. Cournil (dir.), Les grandes affaires climatiques, éd. DICE, Confluences des

droits, 2020. 143 Massachusetts v. EPA, 549 U.S. 497 (2007), 02/04/2007. 144 Environmental Protection Agency.

Introduction

27

de protection de l’air (Clean Air Act)145. Dans cette décision, la Cour suprême a imposé à l’EPA

de réglementer les émissions de gaz à effet de serre sur le fondement du Clean Air Act146. Par

ailleurs, l’arrêt se prononce sur l’épineuse question de l’intérêt à agir, en permettant que des

États fédérés et des associations agissent au nom de la protection de l’intérêt de tous et des

dommages causés à tous147. Par la suite, d’autres juridictions nationales ont mis en œuvre la

justice climatique à travers le monde. En 2015, le juge pakistanais a ordonné au gouvernement

la création d’un conseil climatique qui devra veiller à la mise en place de mesures effectives

d’atténuation et d’adaptation au changement climatique et au respect des engagements de l’État

en la matière148. Le demandeur, un agriculteur pakistanais, faisait valoir que le changement

climatique mettait en péril l’approvisionnement en eau et la sécurité alimentaire, si bien que la

passivité de l’État pakistanais enfreignait ses « droits fondamentaux ». Toujours en 2015, le

juge néerlandais a enjoint au gouvernement de réduire ses émissions de gaz à effet de serre d’au

moins 25 % d’ici à 2020149. Le jugement rendu en première instance a été confirmé, le 9 octobre

2018, par la cour d’appel de La Haye150, laquelle a affirmé que l’État néerlandais agissait

illégalement et en violation de son devoir de vigilance en matière climatique. Mettant fin à plus

de cinq ans de procédure, la Cour suprême des Pays-Bas a rejeté, le 20 décembre 2019, le

pourvoi en cassation introduit par l’État contre l’arrêt de la cour d’appel151. L’arrêt de la Cour

suprême accentue le lien entre changement climatique et protection des droits de l’homme en

retenant en particulier que les Pays-Bas ont agi illégalement, en violation des articles 2 (droit à

la vie) et 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention européenne des droits

de l’homme, qui consacrent un devoir de protection selon lequel l’État doit respecter un objectif

de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 25 % d’ici fin 2020. En France, deux types

145 Clean Air Act, 42 U.S.C. § 7401 et seq. (1970). Le titre II de ce texte autorise l’EPA à réguler les polluants de

l’air provenant des véhicules à moteur. Il fallait donc déterminer si les émissions de gaz à effet de serre sont des

« polluants de l’air ». 146 M. Torre-Schaub, « Le rôle des incertitudes dans la prise de décisions aux États-Unis. Le réchauffement

climatique au prétoire », Revue internationale de droit comparé, vol. 59, n° 3, 2007, p. 685-713. 147 Ibid., p. 687. 148 Asghar Leghari v. Federation of Pakistan, W.P. No. 25501/2015, Lahore High Court Green Bench, 04/09/2015

et 14/09/2015. 149 Urgenda Foundation v. The State of the Netherlands, The Hague District Court, C/09/456689/HA ZA 13-1396,

24/06/2015 ; A.-S. Tabau et Ch. Cournil, « Nouvelles perspectives pour la justice climatique. Cour du District de

La Haye, 24 juin 2015, Fondation Urgenda contre Pays-Bas », Revue juridique de l’environnement, vol. 40, n° 4,

2015, p. 672-693. 150 Urgenda Foundation v. The State of the Netherlands, The Hague Court of Appeal, 200.178.245/01, 9/10/2018. 151 Urgenda Foundation v. The State of the Netherlands, The Supreme Court of the Netherlands, 19/00135,

20/12/2019 ; Ch. Collin, « Suite et fin de l’affaire Urgenda : une victoire pour le climat », Dalloz actualité, 29

janvier 2020.

Introduction

28

de recours ont récemment été adressés contre l’État français152 : en excès de pouvoir153, pour

l’un, et en indemnisation154, pour l’autre. Dans les deux cas, les requêtes invoquent la carence

fautive de l’État français.

Depuis 2015, on assiste donc à une multiplication et à une diversification de ces actions

en justice contre des États. D’aucuns ont évoqué un « mouvement actuel de judiciarisation de

la protection du climat »155 qui serait provoqué par la « déception croissante née de

l’insuffisance des engagements publics et privés de réduction des émissions de gaz à effet de

serre »156. Le climat a définitivement fait son entrée dans les prétoires. Il est demandé aux États

d’agir, d’être plus réactifs, plus ambitieux. Mais le contentieux climatique ne se cantonne pas à

des actions en justice contre des États.

31. Aujourd’hui, les actions en justice sont étendues au secteur privé. Des

responsabilités sont réclamées aux entreprises émettrices de gaz à effet de serre à travers le

monde. Même si, à ce jour, aucune action de ce type n’a abouti, l’audace des requérants mérite

d’être saluée. Tout a commencé aux États-Unis, avec les affaires American Electric Power Co.

v. Connecticut157 et Kivalina v. ExxonMobil158. Dans les deux cas, les requérants appuyaient

leurs griefs sur la théorie de la nuisance publique (public nuisance) de la common law fédérale.

Dans la première affaire, des États fédérés ont reproché à des entreprises pétrolières d’être à

l’origine de nuisances collectives sur leur territoire et réclamé, par conséquent, la délivrance

d’une injonction plafonnant leurs émissions. Dans la deuxième affaire, des requérants du village

alaskien Kivalina ont demandé à des entreprises privées du secteur énergétique des dommages

et intérêts monétaires à hauteur de 400 millions de dollars. Ils leur reprochaient d’avoir

contribué, par leurs émissions de gaz à effet de serre, au changement climatique, dont les effets

graves et irréversibles menacent dangereusement la survie du village. Dans les deux cas,

cependant, les tribunaux ont rejeté les demandes des requérants, au motif que le Clean Air Act

fédéral supplantait les demandes fondées sur la common law fédérale. On ne peut que regretter

qu’ils ne se soient pas prononcés sur la question de fond qui était celle de savoir si les émissions

152 Y. Aguila, « Petite typologie des contentieux climatiques contre l’État », AJDA, 2019, p. 1853 ; Th. Coustet,

« Justice climatique : les recours judiciaires s’accumulent contre la France », Dalloz actualité, 14 janvier 2019. 153 Ch. Huglo, « Procès climatiques en France : la grande attente. Les procédures engagées par la commune de

Grande-Synthe et son maire », AJDA, 2019, p. 1861. 154 Ch. Cournil, A. Le Dylio et P. Mougeolle, « L’affaire du siècle : entre continuité et innovations juridiques »,

AJDA, 2019, p. 1864. 155 L. Neyret, « La reconnaissance de la responsabilité climatique », D., 2015, p. 2278. 156 Ibid. 157 American Electric Power Co., Inc. v. Connecticut, 564 U.S. 410 (2011), 20/06/2011. 158 Native Village of Kivalina v. ExxonMobil Corp., 696 F.3d 849 (9th Cir. 2012).

Introduction

29

d’une entité donnée peuvent être considérées comme la cause immédiate d’un préjudice à

travers les effets du changement climatique159.

À partir de 2017, après une période de calme relatif, et suite à l’annonce du retrait des

États-Unis de l’Accord de Paris, plusieurs grandes villes (Oakland, San Francisco, New York)

et comptés américains (San Mateo et Santa Cruz en Californie, Boulder en Colorado, et King

dans l’État de Washington) ont assigné en justice les entreprises du pétrole pour les obliger à

prendre en charge les coûts des mesures d’adaptation nécessaires pour protéger les villes et les

populations des effets du changement climatique160.

Au-delà des États-Unis, en 2015, un agriculteur péruvien résidant à Huaraz, au Pérou,

a présenté une demande de réparation devant un tribunal allemand contre RWE, le plus

important producteur d’électricité d’Allemagne161. L’agriculteur faisait valoir que RWE, qui

aurait contribué au changement climatique en émettant de volumes considérables de gaz à effet

de serre, était en partie responsable de la fonte des glaciers de montagne situés près de Huaraz,

laquelle a provoqué l’augmentation du volume d’eau du lac glaciaire de Palcacocha, situé au-

dessus de Huaraz. Il a demandé au tribunal d’ordonner à RWE de lui rembourser les frais qu’il

avait déjà engagés pour sécuriser son foyer, ainsi que des dommages et intérêts pour compenser

les coûts de sécurisation de la ville. Toutefois, le tribunal allemand a débouté l’agriculteur, au

motif qu’aucun « lien de causalité linéaire » ne liait le préjudice allégué aux émissions de gaz

à effet de serre de RWE. Un appel a été interjeté par l’agriculteur et déclaré recevable, en

2017162. Certes, le litige est en cours et son issue demeure inconnue, cependant, il faut noter que

le tribunal régional supérieur de Hamm chargé de l’appel a d’ores et déjà rejeté les déclarations

d’objection déposées par les avocats de RWE, en déclarant que des dommages climatiques

peuvent potentiellement engager la responsabilité d’un acteur privé. Cette hypothèse n’est pas

exclue.

En France, le premier contentieux climatique contre une entreprise a été initié le 28

janvier 2020 par un collectif de quatorze collectivités territoriales et cinq associations. L’action

est dirigée contre l’entreprise Total, en raison de son impact climatique considérable et de

l’insuffisance de ses mesures de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Les demandeurs

réclament du juge une injonction afin de contraindre l’entreprise à abandonner progressivement

159 Rapport de l’ONU Environnement, L’état du contentieux climatique, Revue mondiale, 17 novembre 2017. 160 Voy. infra n° 357. 161 Lliuya v. RWE AG, Case No. 2 O 285/15, District Court Essen, 15/12/2016. Voy. infra n° 356. 162 Lliuya v. RWE AG, Higher Regional Court Hamm, 2 O 285/1520, 30/11/2017.

Introduction

30

ses activités dans les hydrocarbures, en conformité avec la trajectoire fixée par le GIEC pour

une limitation du réchauffement à 1,5 °C163.

À l’avenir, il est donc probable que la responsabilité des entreprises privées pourra être

engagée en matière climatique. Mais alors, quelle responsabilité ?

32. En droit privé positif, divers régimes de responsabilité semblent

mobilisables en matière de changement climatique. Le dénominateur commun de tous ces

régimes se trouve dans l’obligation de répondre164 : répondre des dommages causés pour la

responsabilité civile165 et répondre des infractions commises pour la responsabilité pénale166.

La responsabilité civile de l’entreprise peut varier selon la nature des obligations violées167,

mais tend toujours, quelle qu’elle soit, vers la réparation168. En effet, en l’état du droit, la

responsabilité contractuelle et la responsabilité délictuelle sont toutes les deux tournées vers la

réparation des dommages causés, donc vers le passé. La portée du terme « responsabilité » est,

de ce fait, restreinte, alors que son étymologie169 et sa dimension philosophique170 en font une

notion plus large, également tournée vers l’avenir171. En ce sens, dans son essai sur le « concept

de responsabilité », Paul Ricœur décrit le changement de perspectives qui s’opère lorsqu’on

regarde l’action de manière prospective plutôt que rétrospective : non pas pour ce qu’elle a été,

163 Voy. infra n° 302. 164 C. Thibierge, « Avenir de la responsabilité, responsabilité de l’avenir », D., 2004, p. 577. 165 A. Bénabent, Droit des obligations, L.G.D.J., coll. « Précis Domat », 17ème éd., 2018, n° 507 : « D’un point de

vue général, la “responsabilité” est le fait de devoir répondre de ses actes devant une autorité, c’est-à-dire d’en

assumer les conséquences. […] Du point de vue civil, [on] ne “répond” de ses actes que s’ils sont anti-sociaux et

causent un dommage à autrui. […] C’est pourquoi la “responsabilité civile” se définit comme l’obligation de

réparer les dommages causés à autrui ». 166 G. Cornu (dir.), et alii, Vocabulaire juridique, PUF, coll. « Quadrige », 12ème éd., 2018 : la responsabilité pénale

est l’obligation « de répondre des infractions commises et de subir la peine prévue par le texte qui les réprime ». 167 Voy. supra n° 25 et s. 168 G. Viney, Introduction à la responsabilité, L.G.D.J., coll. « Traités », 3ème éd., 2008, n° 1 : « L’expression

“responsabilité civile” désigne, dans le langage juridique actuel, l’ensemble des règles qui obligent l’auteur d’un

dommage causé à autrui à le réparer en offrant à la victime une compensation ». 169 Le Dictionnaire historique de la langue française accole au terme responsabilité « l’obligation de répondre de

ses actes », in A. Rey (dir.), et alii, Dictionnaire historique de la langue française, Le Robert, t. 2, 4ème éd., 2016.

Dans cette définition, aucune distinction n’est opérée entre les actes passés et les actes à venir. En cela, la définition

juridique du terme « responsabilité » est plus restreinte. ; voy. sur l’étymologie du terme « responsabilité » : O.

Descamps, « Histoire du droit de la responsabilité dans le monde occidental », in Prendre la responsabilité au

sérieux, sous la dir. de A. Supiot et M. Delmas-Marty, PUF, 2015, p. 39-54, spéc. p. 39-41. 170 Voy. sur la portée philosophique de la notion de responsabilité : H. Batiffol, « Préface », in Archives de

philosophie du droit, t. 22, La responsabilité, Sirey, 1977, p. 1 et s. ; H. Jonas, Le principe responsabilité. Une

éthique pour la civilisation technologique, op. cit. ; P. Ricœur, « Le concept de responsabilité. Essai d’analyse

sémantique », in Le juste 1, Esprit, 1995, p. 41-70 ; A. Etchegoyen, Le temps des responsables, Pocket, coll.

« Pocket Agora », 1996 ; id., La vraie morale se moque de la morale. Être responsable, Seuil, coll. « Essais »,

1999. 171 C. Thibierge, « Libres propos sur l’évolution du droit de la responsabilité », RTD civ., 1999, p. 561 ; id.,

« Avenir de la responsabilité, responsabilité de l’avenir », op. cit.

Introduction

31

mais pour ce qu’elle peut provoquer172. Projetée ainsi vers le futur, la responsabilité se détache

de la punition pour s’attacher au risque et à la prévention. L’auteur évoque ainsi une « extension

illimitée de la portée de la responsabilité, la vulnérabilité future de l’homme et de son

environnement devenant le point focal du souci responsable. […] Énoncée en termes de portée,

la responsabilité s’étend aussi loin que nos pouvoirs le font dans l’espace et dans le temps »173.

Logiquement, à cette extension de la responsabilité dans le temps et dans l’espace devrait

correspondre une extension de l’obligation de répondre174. D’aucuns ont dès lors plaidé en

faveur d’une évolution du droit de la responsabilité175. Le but serait de mieux prendre en

considération la globalisation des acteurs économiques et de leurs pratiques, sachant qu’elle

accentue le caractère grave et irréversible des dommages potentiels.

Naturellement, le phénomène du changement climatique participe à cette interrogation

autour de l’évolution du droit de la responsabilité, laquelle traduit au fond le besoin grandissant

de « justice climatique »176.

33. Ainsi, dans le contexte de lutte contre le changement climatique, la

responsabilité de l’entreprise peut poursuivre différents objectifs. Il peut s’agir d’une

responsabilité pour avoir participé au problème, pour y remédier, pour le réparer, pour le

prévenir. Il peut être demandé aux opérateurs économiques, soit de répondre des dommages

causés, sur le fondement d’une obligation juridique de réparer, soit d’entreprendre des actions

en matière de prévention de la réalisation du risque climatique, sur le fondement d’un devoir

éthique et juridique d’anticiper. Cependant, à l’heure actuelle, les actions en justice engagées

sur ces fondements se heurtent à des difficultés liées essentiellement à la preuve du lien de

causalité177.

De la même manière, il est possible d’exiger des opérateurs économiques un

changement de comportement, soit une plus grande cohérence de leurs activités par rapport à

ce qu’ils affichent en termes de politique climatique. Certaines infractions du droit de la

172 D. Puccio-Den, « De la responsabilité », L’Homme, vol. 223-224, n° 3, 2017, p. 5-32. 173 P. Ricœur, « Le concept de responsabilité. Essai d’analyse sémantique », op. cit., spéc. p. 63. 174 M. Delmas-Marty, Vers une communauté de valeurs : Les forces imaginantes du droit, Tome 4, op. cit., p. 356-

363, spéc. p. 358-360. 175 C. Thibierge, « Libres propos sur l’évolution du droit de la responsabilité », op. cit. 176 Voy. sur cette notion : M. Torre-Schaub, « Justice et justiciabilité climatique : état des lieux et apports de

l’Accord de Paris », in Bilan et perspectives de l’Accord de Paris, sous la dir. de M. Torre-Schaub, IRJS, 2017, p.

107-127. 177 Voy. infra n° 37.

Introduction

32

consommation178 ou du droit des affaires179 pourraient ainsi trouver application en matière

climatique180, mais la pratique judiciaire n’a pas encore donné d’illustrations.

34. Le changement climatique met à l’épreuve les différents régimes de

responsabilité. Il les défie dans leurs fonctions et dans leur vocation. La responsabilité civile,

d’abord, est présentée habituellement comme porteuse d’une double fonction181 : une fonction

indemnitaire et une fonction normative. Au titre de sa fonction indemnitaire, la responsabilité

civile oblige à réparer le dommage causé à autrui, dont un intérêt légitime a été injustement lésé

par un acte contraire à l’ordre juridique. Pour la Cour de cassation, « le propre de la

responsabilité civile est de rétablir aussi exactement que possible l’équilibre détruit par le

dommage et de replacer la victime, aux dépens du responsable, dans la situation où elle se serait

trouvée si l’acte dommageable n’avait pas eu lieu »182. Au titre de sa fonction normative, la

responsabilité civile cherche à sanctionner les comportements fautifs ayant provoqué le

dommage et, ainsi, à contribuer à la prévention des comportements antisociaux. Il s’agit, certes,

d’une fonction accessoire de la responsabilité civile, mais elle n’en est pas moins importante.

Dans sa fonction normative, la responsabilité civile se rapproche de la responsabilité pénale.

Cette dernière vise à punir les troubles causés à l’ordre social et à rétablir cet ordre social. Il est

généralement admis que la responsabilité pénale reflète les valeurs essentielles d’une société

donnée, à un moment donné, par l’interdiction formelle de leur porter atteinte. Plus une valeur

à préserver est considérée comme précieuse, plus sa violation sera grave et la sanction sévère.

Or, le phénomène du changement climatique, qui entraîne une multiplication et une

diversification des atteintes, à la fois dans le temps, pour concerner les générations futures, et

dans l’espace, car les dommages climatiques ne connaissent pas les frontières étatiques,

réinterroge fondamentalement notre droit de la responsabilité. Le besoin de sécurité et de justice

en matière climatique se fait entendre de plus en plus fort. Comment le droit répond-il à ce

besoin ? Est-ce que la responsabilité civile permet d’appréhender les diverses atteintes en

178 Par exemple, sur le fondement de l’art. L. 121-2 et s. c. consom. relatif aux pratiques commerciales trompeuses. 179 Par exemple, sur le fondement de l’art. L. 465-3-2 c. mon. fin. relatif au délit de communication d’informations

boursières fausses ou trompeuses. 180 L. Neyret, « La reconnaissance de la responsabilité climatique », op. cit. 181 Voy. en ce sens : G. Viney, Traité de droit civil, Introduction à la responsabilité, sous la dir. de J. Ghestin,

L.G.D.J., 2ème éd., 1995, n° 34 à 43 ; C. Grare, Recherches sur la cohérence de la responsabilité civile délictuelle.

L’influence des fondements de la responsabilité sur la réparation, préf. Y. Lequette, Dalloz, 2005, spéc. n° 390 et

s. sur la fonction indemnitaire et n° 442 et s. sur la fonction normative ; voy. également B. Starck, Essai d’une

théorie générale de la responsabilité civile considérée en sa double fonction de garantie et de peine privée, préf.

M. Picard, éd. L. Rodstein, 1947. 182 Cass. 2ème civ., 28 oct. 1954, JCP, 1995, II, 8765, note R. Savatier ; RTD civ., 1955, 324, obs. H. Mazeaud et

L. Mazeaud.

Introduction

33

matière climatique ? Dans le contexte du changement climatique, est-ce qu’elle continue à

remplir ses fonctions ? Ne serait-elle pas amenée à s’étendre, à se transformer ? Dans le même

ordre d’idée, est-ce que notre droit répressif est adapté ? Ne serait-il pas bridé en raison de

certaines règles qui le caractérisent : principe de la légalité des délits et des peines183, principe

d’interprétation stricte de la loi pénale184, principe de la responsabilité du fait personnel185,

délais de prescription relativement courts, poursuites engagées essentiellement par le ministère

public ?

35. La mondialisation, qui a aboli toutes les frontières du dommage186, pose en creux

la question des valeurs universelles187, des interdits « fondateurs » et droits fondamentaux188.

Le droit est indispensable à la formation de ces valeurs et à leur mise en œuvre. L’absence,

toutefois, d’un véritable ordre juridique mondial, croît l’impunité des entreprises

multinationales. Elles sont moins encadrées par le régime juridique international du climat, ce

qui explique la difficulté de les inclure dans la « justiciabilité climatique »189. En l’absence d’un

tribunal international pouvant connaître des affaires climatiques à l’échelle mondiale, les

tribunaux nationaux prennent le relais. Le problème est qu’ils se heurtent à des difficultés

majeures, lorsqu’ils cherchent à réunir les conditions de la responsabilité. Dès lors, une question

surgit inévitablement dans notre esprit : est-ce opportun de consacrer une « responsabilité

climatique », détachée des régimes de responsabilité classiques, pour dépasser les obstacles à

la justiciabilité climatique ?

183 C. pén., art. 111-3 ; art. 6.3 a et 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des

libertés fondamentales ; art. 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Le principe de la légalité des

délits et des peines, traduction de l’adage « nullum crimen, nulla pœna sine lege », emporte deux exigences

distinctes. La première est formelle et implique que les infractions et les peines correspondantes soient prévues

dans un texte. La seconde est matérielle et implique que les incriminations soient définies en termes suffisamment

clairs et précis afin d’exclure tout arbitraire du juge et d’assurer la prévisibilité de la loi ; voy. Cass. crim., 1er

février 1990, n° 89-80.673, RSC, 1991, p. 555, note A. Vitu. 184 C. pén., art. 111-4. 185 C. pén., art. 121-1. 186 H. Jonas, Le principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique, op. cit. 187 M. Delmas-Marty, Trois défis pour un droit mondial, op. cit., p. 14 ; F. Ost, « Mondialisation, globalisation,

universalisation : s’arracher, encore et toujours, à l’état de la nature », in Le droit saisi par la mondialisation, op.

cit., p. 5-36, spéc. p. 6-7. 188 M. Delmas-Marty, Vers une communauté de valeurs : Les forces imaginantes du droit, Tome 4, op. cit., passim,

spéc. p. 20-24. 189 M. Torre-Schaub, « Justice et justiciabilité climatique : état des lieux et apports de l’Accord de Paris », op. cit.,

p. 113. La justiciabilité a été identifiée comme « la possibilité de soumettre le contrôle du respect des droits à un

organe juridictionnel, que ce soit dans le cadre d’un contentieux objectif ou subjectif » : C. Nivard, La justiciabilité

des droits sociaux. Étude de droit conventionnel européen, Bruylant, 2012, p. 21.

Introduction

34

C. De lege ferenda : pour une responsabilité climatique de l’entreprise ?

36. Le droit pourrait mieux prendre en compte les atteintes au climat grâce à

la reconnaissance juridique d’une responsabilité spécifique en matière de climat. La notion

de « responsabilité climatique »190 se cristallise dans la démonstration du lien causal entre les

activités humaines et l’aggravation des changements climatiques. Elle prend appui sur l’éthique

de la responsabilité telle qu’énoncée par Hans Jonas191 et étendue aux problèmes climatiques.

Pour ce philosophe allemand, l’extension des pouvoirs de l’homme dans le temps et dans

l’espace doit se prolonger par une extension de ses responsabilités. Dans la continuité de sa

pensée, notre concept juridique de responsabilité doit être reconnecté avec la notion de pouvoir,

doit en tenir compte. Mais la proposition de consacrer juridiquement une « responsabilité

climatique », qui servirait de fondement à l’engagement de la responsabilité d’une entreprise,

peut sembler peu réaliste et assez dérangeante. Il est possible, en effet, d’identifier une

multitude d’obstacles à la reconnaissance d’une pareille responsabilité.

37. Tout d’abord, les problèmes de causalité sont nombreux. Par lien de

causalité, on entend le lien entre le fait générateur de responsabilité et le dommage dont il est

demandé réparation192. Ce lien de causalité doit être certain et direct193. Or, la preuve d’un lien

de causalité certain et direct entre les émissions de gaz à effet de serre d’une entreprise et, par

exemple, la destruction d’immeubles suite à des inondations provoquées par le réchauffement

climatique est difficile à rapporter. Il n’est pas évident de distinguer clairement la causalité

humaine de la causalité naturelle, ni d’affirmer qu’une catastrophe naturelle est directement

provoquée par l’activité humaine. À cela s’ajoute un problème de causalité lié à la temporalité

des dommages. En effet, dans le domaine des dommages climatiques, les conséquences

dommageables d’un fait générateur sont souvent décalées dans le temps. Tandis que les

dommages traditionnels sont concomitants du fait générateur, les dommages climatiques sont

différés. La distance temporelle entre le fait générateur et la révélation du dommage peut être

190 L. Neyret, « La reconnaissance de la responsabilité climatique », op. cit. 191 H. Jonas, Le principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique, op. cit. 192 C. civ., art. 1240, 1241 et 1242. 193 Voy. sur la causalité : Ch. Quézel-Ambrunaz, Essai sur la causalité en droit de la responsabilité civile, préf. Ph.

Brun, Dalloz, 2010 ; Ph. Le Tourneau (dir.), Droit de la responsabilité et des contrats. Régimes d’indemnisation

2018-2019, Dalloz, coll. « Dalloz Action », 11ème éd., 2017 ; id., La responsabilité civile, PUF, coll. « Que sais-

je ? », 2003, p. 39-54.

Introduction

35

très importante. Les victimes potentielles peuvent être non pas les générations présentes mais

les générations futures194. L’incertitude quant à la causalité atténue les responsabilités.

38. Ensuite, l’identification des responsables est souvent difficile. Il n’est pas aisé

de déterminer quelle entreprise émettrice de gaz à effet de serre a le plus contribué à la

réalisation du dommage climatique. La plupart du temps, il s’agit d’une accumulation de

comportements fautifs qui est l’origine de l’atteinte. Cette accumulation peut s’effectuer sur

toute la chaîne de valeur d’une entreprise. Les enjeux de cette question ne sont pas négligeables.

Admettons qu’il soit matériellement possible d’identifier tous les intervenants d’une chaîne de

valeur qui ont contribué à la réalisation d’un dommage climatique. Si on les déclarait tous

responsables, on risquerait sans doute de paralyser l’économie. Mais la solution inverse, qui

consiste à se focaliser sur une entreprise en particulier, celle qui dispose des plus gros moyens

financiers, n’est ni plus juste, ni plus acceptable juridiquement. Ceci est d’autant plus vrai en

présence d’entreprises non pas partenaires mais concurrentes, dont les activités respectives ont

été les faits générateurs d’un même dommage climatique. La vérité est donc certainement

quelque part au milieu. Il est possible d’admettre une responsabilité proportionnée au niveau

d’émissions de gaz à effet de serre de chaque opérateur, ou proportionnée à sa part de marché.

39. Enfin, il existe des difficultés d’application de la loi dans l’espace et de

compétence juridictionnelle. Par définition, les dommages climatiques ignorent les frontières

érigées par les hommes. Ils revêtent une dimension planétaire. Ils sont globaux. Dès lors, le

droit d’accès au juge, les conditions de recevabilité de l’action, la détermination de la juridiction

compétente sont autant de questions fondamentales pour le procès climatique et peuvent, le cas

échéant, constituer de véritables obstacles à la justiciabilité climatique.

40. Pour autant, toutes ces difficultés ne sont pas insurmontables. La finalité de

l’étude sera de chercher les possibles fondements théoriques d’une responsabilité climatique de

l’entreprise ainsi que les conditions de sa mise en œuvre pratique. Comme le suggérait Paul

Ricœur, il est nécessaire de concilier « la vision courte d’une responsabilité limitée aux effets

prévisibles et la version longue d’une responsabilité illimitée »195, car mieux appréhender

194 É. Gaillard, Générations futures et droit privé. Vers un droit des générations futures, op. cit. ; F. Cerutti, « Le

réchauffement de la planète et les générations futures », op. cit. 195 P. Ricœur, « Le concept de responsabilité. Essai d’analyse sémantique », op. cit., spéc. p. 68-69.

Introduction

36

l’action humaine ne signifie pas la rendre impossible. D’où l’importance de bien tracer les

contours de cette éventuelle responsabilité climatique de l’entreprise.

***

41. Problématique. Le phénomène du changement climatique pose des défis inédits

à notre droit, à ses catégories, à ses acteurs et à ses concepts. Il est intéressant de noter qu’alors

même qu’elle en est en grande partie responsable, l’entreprise est aujourd’hui à l’épreuve du

changement climatique. Les actions des entreprises influent sur l’aggravation du changement

climatique, en retour, désormais, ce dernier arrive à la première place des risques auxquels elles

sont confrontées, comme si la nature devait reprendre ses droits. Le sentiment que le

changement climatique dû aux activités des entreprises doit être pris sérieusement en compte

s’installe dans la conscience commune. Ce sentiment s’accompagne d’un discours sur les

valeurs qui méritent d’être préservées. En filigrane de ce discours, un appel au droit. Dans sa

thèse de doctorat publiée en 1912, Emmanuel Gounot écrivait : « puisque le droit a pour mission

d’organiser, en vue de la justice et du bien commun, la vie sociale de l’humanité, il ne peut

certes remplir utilement cette mission que si, dans les théories qu’il édifie et dans les règles

qu’il édicte, il s’inspire toujours des réalités qu’il s’agit de régir, et s’il tâche sans cesse à

s’adapter à elles pour mieux les adapter au but qu’il poursuit […] Lorsque le monde réel se

transforme, nos systèmes techniques, qui ne valent que dans la mesure où ils sont capables de

s’ajuster à lui pour l’informer et l’orienter vers sa fin, ne peuvent rester perpétuellement fixes

et immuables, sinon un jour vient où le désaccord entre la réalité et l’abstraction devenue la

fiction est tel que l’édifice juridique entier menace d’être empoté »196. Face aux défis du

changement climatique, le droit est encore une fois amené à se transformer. Autrement il risque

de ne plus remplir sa vocation.

Se posent dès lors des questions déterminantes : comment le droit appréhende-t-il le

changement climatique ? Quel rôle assigne-t-il à l’entreprise dans le combat contre le

changement climatique ? Quelles responsabilités fait-il peser sur l’entreprise ? Sur quels

fondements ? Pour répondre à ces questions, il faut, avant tout, évoquer la place du droit dans

la lutte contre le changement climatique. Le contexte juridique de la lutte contre le changement

climatique est tout à fait original et mérite d’être étudié. Entre droit international et droit interne,

au carrefour du droit public et du droit privé, la question se posera même s’il ne faudrait pas

196 E. Gounot, Le principe de l’autonomie de la volonté en droit privé, Contribution à l’étude critique de

l’individualisme juridique, éd. A. Rousseau, 1912, p. 12-13.

Introduction

37

dépasser toutes ces branches du droit pour penser le droit d’une nouvelle façon, c’est-à-dire en

tant que « droit global »197. Le droit global, dont la principale caractéristique est sa

déterritorialisation, n’est pas un nouvel ordre normatif structuré et hiérarchisé, mais résulte

d’une utilisation nouvelle du droit. Il vise l’efficacité. En présence de défis globaux, comme le

défi climatique, et d’acteurs globaux, comme les très grandes puissances économiques et les

entreprises multinationales, comment penser le droit ? Ne faudrait-il pas le penser à l’échelle

globale ?

L’étude du contexte juridique de la lutte contre le changement climatique révélera

l’importance du rôle de l’entreprise dans ce combat. Par ailleurs, on verra que l’entreprise est

concernée par le changement climatique à double titre. D’une part, parce que ses activités

émettrices de gaz à effet de serre aggravent le phénomène. D’autre part, parce le changement

climatique peut, à son tour, affecter ses activités. Dans le contexte de la mondialisation,

l’entreprise visée est celle qui, de par son importance, peut recevoir la qualification de « pouvoir

privé économique ». Or les pouvoirs privés économiques, soucieux de la gestion efficace du

risque climatique, vont parfois porter eux-mêmes la lutte contre le changement climatique. En

témoignent l’utilisation du contrat pour promouvoir la cause climatique et la multiplication des

démarches volontaires entreprises en la matière : fixation interne du prix du carbone, démarche

volontaire de compensation des émissions, mise en place sur le marché de produits à faible

émission de gaz à effet de serre, respect de normes internationales en matière environnementale

et de responsabilité sociale. Dans ce contexte, la question se pose de savoir quelle est la place

qu’il faut laisser à cette normativité privée. La peur de l’impunité organisée des opérateurs

privés demande toujours un retour au droit pour encadrer leurs pratiques ou garantir que celles-

ci soient assorties de régimes de responsabilité correspondants.

Une question épineuse surgit : de lege lata, les régimes de responsabilité permettent-

ils d’appréhender pleinement et efficacement le phénomène du changement climatique ? Si la

mise en cause de la responsabilité pour violation d’une obligation contractuelle ou d’une

disposition légale ne pose, a priori, aucune difficulté particulière, le dommage subi par une ou

plusieurs victimes à la suite d’une atteinte au climat ou l’atteinte au climat à proprement parler,

se révèlent beaucoup plus problématiques.

Dès lors, de lege ferenda, il se pourrait que des régimes existants de responsabilité se

dégage une nouvelle responsabilité juridique pouvant mettre en cause une entreprise en cas de

197 Voy. sur le droit global : B. Frydman, Petit manuel pratique de droit global. L’économie de marché est-elle

juste ?, Académie Royale de Belgique, 2014 ; C. Bricteux et B. Frydman (dir.), Les défis du droit global, Bruylant,

coll. « Penser le droit », 2018.

Introduction

38

dommage climatique, donnant naissance à la « responsabilité climatique » de l’entreprise. Or,

une fois que l’identification de ses vertus aura permis de comprendre pourquoi il faudrait

reconnaître cette responsabilité climatique de l’entreprise, restera à savoir comment. Sa

consécration ne laisse pas d’être problématique, tant les obstacles paraissent insurmontables.

42. Annonce du plan. L’apparition de l’interrogation autour de la place du droit

dans la lutte contre le changement climatique conduit à évaluer sa capacité à appréhender ce

phénomène et donc, in fine, son aptitude à conduire sa mission d’organisation de la vie sociale,

au nom de la justice et du bien commun. Relever les défis climatiques demande de mobiliser

les outils du droit, quitte à les transformer pour les adapter, dans un souci d’efficacité. Parmi

ces outils, il y a les normes juridiques, les obligations, les régimes de responsabilité. Ces

derniers évoluent au gré des transformation du droit.

Dans un premier temps, nous allons voir qu’au niveau de l’entreprise, le changement

climatique se traduit par la mise en œuvre d’un processus de responsabilisation de celle-ci. Le

droit mène un combat contre le changement climatique et fait de l’entreprise un acteur de ce

combat. De nouvelles obligations, aux sources les plus diverses, apparaissent dans ce contexte.

Dans un second temps, nous allons étudier les régimes de responsabilité mobilisables

aujourd’hui en matière climatique. Devant le constat imminent de leur insuffisance, nous allons

poser les jalons prospectifs d’une responsabilité climatique de l’entreprise.

Le droit transformé par le changement climatique défie l’entreprise, la met à l’épreuve.

Dans le contexte juridique de lutte contre le changement climatique, l’entreprise est, tout

d’abord, responsabilisée (première partie), ensuite, responsable (deuxième partie).

39

Première partie : L’entreprise responsabilisée dans le

contexte du changement climatique

43. Un processus de responsabilisation de l’entreprise face au changement

climatique est actuellement mis en œuvre. L’idée, au fond, est d’agir en amont de tout

dommage, puisque l’on sait désormais que les dommages provoqués par le changement

climatique sont graves et souvent irréversibles. Quelle est la place du droit dans ce processus ?

Le droit, à travers ses outils et ses concepts, permet de mobiliser les entreprises afin

que celles-ci contribuent à la lutte contre le changement climatique. Les entreprises sont

débitrices de diverses obligations, dont la nature est différente et dont les sources sont très

variées. La lutte contre le changement climatique est désormais vécue comme une nécessité,

son caractère urgent est sans cesse rappelé. Mais quel est précisément le rôle des entreprises ?

Les entreprises ont, en effet, un rôle déterminant. Elles sont en grande partie à l’origine

de l’aggravation du phénomène, ce qui justifie moralement leur implication dans la lutte contre

le changement climatique. Le concours des entreprises est d’autant plus indispensable que le

problème climatique est un problème mondial ne pouvant être résolu par les seuls États. Il est

vrai que la puissance économique des entreprises qui opèrent à l’échelle mondiale leur confère

un pouvoir non seulement dans leur propre sphère, mais aussi dans la sphère politique. Il n’est

donc pas étonnant que le secteur privé participe à la construction du régime juridique du climat,

que la voix des entreprises soit entendue lors des négociations et que leurs intérêts soient pris

en compte.

L’entreprise est un acteur de la lutte contre le changement climatique (titre I), et pas

un acteur quelconque. Tantôt incitée à s’engager volontairement, tantôt contrainte par le droit,

elle est considérée comme pouvant porter le combat pour le climat (titre II).

41

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

44. L’entreprise est-elle un acteur de la lutte contre le changement climatique ?

À vrai dire, on aurait du mal aujourd’hui à répondre par la négative. Dans un monde globalisé,

quel que soit le projet de société considéré, les pouvoirs privés économiques vont avoir un rôle

déterminant. Ainsi, la transition vers une société décarbonée ne pourra se faire sans le concours

des entreprises, sans les impliquer dans la lutte contre le changement climatique. Dès lors, quels

sont les outils qui permettent de mobiliser les entreprises ? Quelle est la place du droit dans le

processus de responsabilisation des entreprises face au changement climatique ?

D’une manière sans doute encore un peu timide, essentiellement à travers l’incitation,

le régime juridique international du climat et les politiques publiques élaborées au niveau

national mobilisent les acteurs économiques dans la lutte contre le changement climatique.

L’étude du contexte juridique de cette lutte montre que le droit se saisit de la question du

changement climatique, que les décideurs politiques considèrent cet impératif et que l’ensemble

des acteurs sont désormais sollicités (chapitre I).

Cependant, s’agissant précisément de l’entreprise, de nombreuses questions se posent.

Comment saisir cet acteur dans le contexte de la mondialisation ? Dans quelle mesure

l’impliquer ? Faut-il lui imposer des obligations ? Faut-il restreindre ses libertés ? Sur quels

fondements ?

L’analyse juridique du rôle de l’entreprise dans la lutte contre le changement

climatique montrera à quel point il est délicat de trouver l’équilibre entre les différents enjeux.

Elle permettra de mieux comprendre le rôle du droit qui ici est de concilier les mesures de

protection du climat et l’exercice des libertés économiques. Cette conciliation est, en effet, la

condition de la réussite de la lutte contre le changement climatique (chapitre II).

43

Chapitre I. Contexte juridique de la lutte contre le changement climatique

45. La « question climatique », tout comme les autres « questions

environnementales »198, préoccupe la pensée juridique depuis plus longtemps qu’on ne le croit.

En effet, cette question qui paraît « moderne » de par son actualité, s’est hissée au sommet de

l’agenda mondial il y a quasiment trente ans, si bien que la Convention-cadre des Nations Unies

sur les changements climatiques de 1992 (ci-après « CCNUCC ») constitue le socle de

l’édification d’un régime juridique international sur le climat. Mais la suffisance et l’efficacité

de ce régime, même complété par le Protocole de Kyoto de 1997, ont été remises en question à

maintes reprises. Pour éviter l’effondrement de l’édifice, dans un contexte de prise de

conscience toujours plus généralisée des problèmes soulevés par le changement climatique, des

négociations ont été lancées en vue de l’adoption d’un nouvel accord international sur le climat.

L’Accord de Paris de 2015, adopté à l’issue de la vingt-et-unième Conférence des Parties, est

le fruit de ces négociations. Aujourd’hui plus que jamais, l’ordre juridique international est

mobilisé en faveur de la lutte contre le changement climatique (section 1). Mais il est vrai que

cette lutte est menée à l’échelle mondiale avec plus ou moins d’enthousiasme et de succès en

fonction du pays considéré199.

S’agissant de la France, la volonté politique de participer à la dynamique globale de

lutte contre le changement climatique est constamment réaffirmée. Elle se traduit, d’une part,

par l’élaboration de politiques publiques et, d’autre part, par l’utilisation de divers instruments

économiques qui mettent en œuvre ces politiques publiques200 (section 2). Il s’agit, en

particulier, des dispositifs mis en place en droit français en matière de lutte contre les gaz à effet

de serre.

198 M. Mekki (dir.), et alii, Les notions fondamentales de droit privé à l’épreuve des questions environnementales,

Bruylant, coll. « Droit(s) et développement durable », 2016. 199 Le 1er juin 2017, le président américain Donald Trump a annoncé le retrait des États-Unis, deuxième plus grand

émetteur de gaz à effet de serre, de l’Accord de Paris sur le climat. 200 S. Caudal et M. Poumarède, « Principe pollueur-payeur. Approches droit public/droit privé », in Droit public

et droit privé de l’environnement : unité dans la diversité ?, sous la dir. de M. Mekki et É. Naim-Gesbert, L.G.D.J.,

coll. « Grands colloques », 2016, p. 59 et s. En prenant l’exemple des mécanismes de financement ou d’incitation

financière, les auteurs démontrent que les instruments économiques sont « particulièrement précieux pour la mise

en œuvre des politiques publiques […] en matière environnementale : la contrainte ne peut en effet être

systématiquement employée ».

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

44

Section 1. La lutte contre le changement climatique dans l’ordre juridique international

46. Dans la mesure où les problèmes globaux exigent des réponses globales201,

l’ordre juridique international est souvent sollicité lorsqu’il est question de protéger les intérêts

de l’humanité202. Cependant, rien n’est moins évident que de construire cette protection à

l’échelle planétaire. Ceci est d’autant plus vrai s’agissant des problématiques

environnementales et le domaine de la lutte contre le changement climatique en est l’illustration

parfaite. Les premiers processus de négociation en matière de climat ont été entamés il y a plus

de vingt ans. Entre ombres et lumières, ils ont finalement porté leurs fruits et la question de la

protection du climat a été inscrite dans le droit international (§1). Cette protection a certes

considérablement évolué mais on se questionne toujours sur son efficacité (§2).

§1. La question climatique saisie par le droit international : une protection internationale

prometteuse du climat

47. L’accélération sans précédent des émissions de gaz à effet de serre (ci-

après « GES ») menace dangereusement les équilibres écologiques planétaires. Ce diagnostic

scientifique fait l’objet aujourd’hui d’un consensus quasi unanime et explique l’apparition du

dossier climatique sur la scène internationale. En effet, cette question a été jugée suffisamment

sérieuse et inquiétante, si bien que les États ont formulé le vœu de s’en préoccuper dans le cadre

d’une coopération au niveau international (A). C’est ainsi que, progressivement, un régime

juridique international en faveur de la lutte contre le changement climatique a vu le jour, sous

l’égide de l’Organisation des Nations Unies (B).

A. L’émergence de la question climatique sur la scène internationale

48. La lutte contre le changement climatique est présentée souvent comme le plus

grand défi environnemental de notre époque, et pour cause, puisque cette lutte permet de

conserver une composante globale de l’environnement de notre planète : le climat (1).

201 J.-J. Guillet, Rapport d’information n° 1669, sur « L’environnement, nouveau champ d’action de la diplomatie

française », AN, Commission des affaires étrangères, 13 mai 2009, p. 5. 202 Voy. sur l’humanité en tant que principe fondamental du droit international public : C. Le Bris, L’humanité

saisie par le droit international public, L.G.D.J., coll. « Bibliothèque de droit international et communautaire »,

2012. L’auteure considère l’humanité comme un concept juridique, susceptible de constituer un outil de

systématisation du droit.

Chapitre I. Contexte juridique de la lutte contre le changement climatique

45

Cependant, la question climatique n’est pas qu’une question environnementale. En effet, si les

changements climatiques ont encore parfois « tendance à être perçus comme un problème

essentiellement environnemental »203, il n’en demeure pas moins que lutter contre les

changements climatiques constitue également un « formidable défi économique »204 (2).

1. La question climatique en tant que question environnementale

49. Les questions environnementales sont devenues l’un des sujets les plus

marquants de l’agenda politique mondial. Leur caractère complexe et préoccupant pour

l’ensemble des habitants de la planète a justifié l’apparition, dès les années 1970, de ce que l’on

a pu appeler la gouvernance mondiale de l’environnement. En 1972, une conférence

internationale sur le thème de l’environnement205 s’est tenue sous l’égide des Nations Unies à

Stockholm, en Suède. Cette conférence constitue le point culminant de la montée en puissance

de la critique écologique portant sur les interactions entre population, environnement et

développement et sur la nécessaire préservation du capital naturel. Les participants à cette

conférence ont adopté une déclaration contenant vingt-six principes et un vaste plan d’action

pour lutter contre la pollution. De plus, les dirigeants mondiaux se sont engagés à se rencontrer

tous les dix ans pour faire le point sur l’état de notre planète. Pour cette raison, la Conférence

de Stockholm a reçu a posteriori la qualification de premier Sommet de la Terre. Depuis, les

questions environnementales ont été placées au rang de préoccupations internationales.

À cette époque déjà, les États ont encouragé le développement des connaissances dans

le domaine du climat. La possibilité d’un réchauffement climatique dû aux activités humaines

avait d’ailleurs commencé à être invoquée dans les milieux scientifiques206. Constatant que

l’humanité est devenue capable de se détruire elle-même, notamment par l’altération des

conditions de sa survie, des inquiétudes sont apparues quant à son destin « apocalyptique »207.

Le sentiment d’avoir franchi un seuil fut partagé par la plupart des États du monde. Les

participants à la Conférence de Stockholm ont recommandé à l’Organisation météorologique

mondiale (OMM) de mener des travaux pour « surveiller de façon suivie les tendances globales

203 M. Malloch Brown, « Une occasion à saisir », Notre planète – Le magazine du Programme des Nations Unies

pour l’environnement, vol. 17, n° 2, 2006, p. 7. 204 G. de Lassus Saint-Geniès, Droit international du climat et aspect économique du défi climatique, Pedone,

2017, passim, spéc. p. 3. 205 Il s’agit de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement, aussi connue sous le nom de Conférence de

Stockholm. Elle a eu lieu du 5 au 16 juin 1972. 206 Voy. supra n° 5. 207 Évoqué par Jean-Pierre Dupuy dans : Pour un catastrophisme éclairé. Quand l’impossible est certain, Seuil,

coll. « Essais », 2002.

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

46

à long terme des constituants et des caractéristiques de l’atmosphère qui peuvent entraîner des

changements dans les caractéristiques météorologiques, y compris des changements

climatiques »208. En 1979, cette instance a organisé la première conférence mondiale sur le

climat209, au cours de laquelle fut lancé un programme de recherche climatologique mondial.

La problématique climatique est devenue un sujet de discussions intergouvernementales et un

objet politique sur la scène internationale.

50. Puisqu’elle émerge dans un contexte très marqué par la discussion des

problèmes d’environnement globaux, dans l’esprit collectif, la question climatique est

avant tout une question environnementale. Nous allons voir que la plupart des instruments

juridiques destinés à protéger le climat sont qualifiés d’accords environnementaux

multilatéraux210. Cette étiquette informelle apposée à ces instruments pourrait trouver sa

justification dans la nature environnementale des intérêts en jeu. En effet, les exemples de

perturbations environnementales dues au réchauffement climatique sont très nombreux : hausse

du niveau des océans, amplification des phénomènes météorologiques extrêmes (tempêtes,

ouragans, cyclones, inondations, canicules, sécheresses), perte de biodiversité. Généralement,

ces exemples alarmants sont les outils de l’argumentation dans les discours à propos de la

nécessité de lutter contre le réchauffement climatique. Or, il faut le dire, en tant que question

environnementale, la question climatique n’arrive pas à intéresser l’ensemble des acteurs.

La reconnaissance de l’interdépendance des questions d’environnement et de

développement a pu changer la donne. À cet égard, le principe 13 de la Déclaration de la

Conférence des Nations Unies sur l’environnement énonce qu’« afin de rationaliser la gestion

des ressources et ainsi d’améliorer l’environnement, les États devraient adopter une conception

intégrée et coordonnée de leur planification du développement, de façon que leur

développement soit compatible avec la nécessité de protéger et d’améliorer l’environnement

dans l’intérêt de leur population »211. Plus encore, le principe 4 de la Déclaration de Rio énonce

que « pour parvenir à un développement durable, la protection de l’environnement doit faire

208 Plan d’action pour l’environnement, Conférence des Nations Unies sur l’environnement, 16 juin 1972, texte

reproduit dans : Rapport de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement, Stockholm, 5-16 juin 1972,

A/CONF.48/Rev.1, 1973, p. 24, recommandation n° 79 a). 209 Du 12 au 23 février 1979, à Genève (Suisse). 210 Voy. infra n° 56. 211 Déclaration de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement, Conférence des Nations Unies sur

l’environnement, 16 juin 1972, texte reproduit dans : Rapport de la Conférence des Nations Unies sur

l’environnement, Stockholm, 5-16 juin 1972, op. cit., p. 5.

Chapitre I. Contexte juridique de la lutte contre le changement climatique

47

partie intégrante du processus de développement et ne peut être considérée isolément »212.

L’approche retenue pour parvenir à une meilleure protection de l’environnement est une

approche intégrée, c’est-à-dire qui recherche la définition d’un équilibre entre le développement

économique et la préservation du milieu naturel. Dans la même logique, nous verrons que la

nécessité d’agir au cœur des activités économiques pour lutter efficacement contre le

changement climatique a été bien prise en considération par les États. C’est pourquoi il ne paraît

pas juste de résumer la question climatique à une simple question environnementale. Il s’agit

aussi – pour certains, surtout213 – d’un défi économique.

2. La question climatique en tant que question économique

51. Les enjeux économiques de la question climatique sont loin d’être

négligeables. Ils ont été à l’origine de son apparition sur la scène internationale, sans doute

davantage que les enjeux environnementaux à proprement parler. Mais en quoi la question

climatique est-elle une question économique ?

52. Premièrement, le fonctionnement actuel de l’appareil productif mondial repose,

encore aujourd’hui, essentiellement sur les énergies fossiles. Les progrès technologiques de la

première révolution industrielle ont conduit à généraliser l’usage de ces énergies fossiles

(charbon, gaz, pétrole), alors que l’organisation et le fonctionnement de l’activité économique

reposaient traditionnellement sur une exploitation des ressources végétales qui respectait « les

régulations de la biosphère »214. La croissance économique des États s’est basée sur

l’exploitation de ces énergies, à tel point que l’on a pu constater l’existence d’une corrélation

entre croissance économique des États et croissance de leur consommation d’énergies

fossiles215. Or, c’est justement la consommation de ces énergies qui modifie la composition

chimique de l’atmosphère et perturbe le système climatique, en libérant des gaz à effet de serre.

Il convient, dès lors, pour lutter contre le réchauffement climatique, de porter l’action

sur de nombreux domaines de l’activité humaine où les besoins en énergie ont pour contrepartie

212 Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement, Conférence des Nations Unies sur

l’environnement et le développement, 14 juin 1992, texte reproduit dans : Rapport de la Conférence des Nations

Unies sur l’environnement et le développement, Rio de Janeiro, 3-14 juin, A/CONF.151/26/Rev.1 (Vol. I), 1993,

p. 3. 213 Voy. sur les aspects économiques du défi climatique : G. de Lassus Saint-Geniès, Droit international du climat

et aspect économique du défi climatique, op. cit. 214 A. Vallée, Économie et environnement, Seuil, 2002, p. 20. 215 M. Abbas, Économie politique globale des changements climatiques, PUG, coll. « L’économie en plus », 2010,

p. 43.

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

48

de significatives émissions de gaz à effet de serre216. Le processus de développement

économique doit être réorienté et la dépendance des activités économiques aux énergies fossiles

réduite. La décarbonisation217 des modes de production est, en effet, un enjeu majeur pour lutter

contre le réchauffement climatique. Elle est étroitement liée aux politiques et stratégies de

transition énergétique218. Autrement dit, lutter contre le changement climatique implique la

refonte du paradigme de développement et la mise en place à l’échelle mondiale d’un autre

mode de développement économique. Cependant, ce programme correspond à la mise en œuvre

de stratégies de plus long terme où les avantages sont souvent imperceptibles dans l’immédiat.

53. Pour cette raison, la lutte contre le changement climatique suscite parfois des

craintes auprès de certains États. Elle suppose de modifier les fondements de leurs économies,

à travers l’intégration de la problématique climatique dans les politiques de développement

économique. À court terme, effectivement, la mise en place d’actions dans ce domaine peut

entraîner des effets néfastes sur les perspectives de développement économique. Cependant, il

est acquis aujourd’hui que l’inaction n’est pas non plus la solution. À terme, le choix de

l’inaction peut s’avérer plus coûteux que celui de l’action, en raison des manifestations

croissantes du changement climatique. C’est donc en cela aussi que la problématique climatique

est un défi économique. Mais la coordination entre la protection du climat et la protection des

intérêts économiques nationaux n’est pas évidente. Cela se fait parfaitement ressentir dans la

manière dont le régime juridique international du climat a été construit. Alors qu’il est censé

articuler les préoccupations économiques actuelles et les préoccupations environnementales de

plus long terme, il paraît, en pratique, qu’une attention prioritaire soit accordée à la préservation

des intérêts économiques nationaux. Or, comme le souligne un auteur, cette préservation des

intérêts économiques des États joue finalement au détriment de la protection du climat219. Pour

lutter efficacement contre le réchauffement climatique, il est crucial que ces préoccupations

n’empêchent pas l’élaboration de politiques climatiques ambitieuses.

216 L. Fonbaustier, « L’État face au changement climatique », D., 2015, p. 2269. 217 La décarbonisation vise à redéfinir le monde de l’énergie en déployant rapidement des énergies renouvelables

(notamment l’énergie solaire photovoltaïque, l’énergie éolienne, l’énergie hydraulique, la géothermie, la

biomasse), afin de ne plus utiliser de combustibles fossiles, tels que le charbon, le gaz et le pétrole. 218 La transition énergétique est un concept souvent utilisé pour désigner l’abandon progressif de certaines énergies

(notamment les énergies fossiles) conjointement au développement d’autres énergies (renouvelables), accompagné

notamment par des actions d’efficacité énergétique. Née dans les années 1980 en Allemagne, la notion de transition

énergétique s’inscrit dans un contexte de plus grande prise en compte des enjeux environnementaux et climatiques. 219 G. de Lassus Saint-Geniès, Droit international du climat et aspect économique du défi climatique, op. cit., p.

101 et s.

Chapitre I. Contexte juridique de la lutte contre le changement climatique

49

B. La construction du régime juridique international du climat

54. Le régime juridique220 du climat trouve son origine dans l’adoption, en 1992,

d’un traité international, la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements

climatiques221. Cette convention fut complétée, en 1997, par le Protocole de Kyoto222,

consolidant les assises du régime du climat. Ces deux traités marquent la naissance du régime

juridique international du climat (1). Depuis, l’environnement normatif ainsi créé n’a cessé

d’évoluer (2). Sa reconfiguration fut achevée avec l’adoption, en 2015, de l’Accord de Paris.

1. La naissance du régime juridique international du climat

55. Les premières sources du régime climatique onusien sont la Convention-cadre

des Nations Unies sur les changements climatiques (a) et le Protocole de Kyoto (b). Malgré

leurs imperfections, ces deux premiers instruments juridiques en matière de lutte contre le

réchauffement climatique ont incontestablement produit des effets.

a) La Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques

56. Traditionnellement, l’élaboration d’une convention internationale est

institutionnalisée dans l’enceinte d’une conférence internationale ou dans le cadre de l’organe

permanent d’une organisation internationale223. La matière environnementale n’échappe pas à

cette pratique, comme le démontre l’exemple de la Convention-cadre des Nations Unies sur les

changements climatiques (ci-après « CCNUCC »).

Cette convention a souvent reçu la qualification d’accord environnemental

multilatéral. Par accord environnemental multilatéral, il convient d’entendre « un instrument

conventionnel qui énonce les principes devant servir de fondement à la coopération entre les

États parties dans un domaine déterminé, tout en leur laissant le soin de définir, par des accords

séparés, les modalités et les détails de la coopération, en prévoyant, s’il y a lieu, une ou des

220 La notion de « régime juridique » correspond à un « système de règles, considéré comme un tout, soit en tant

qu’il regroupe l’ensemble des règles relatives à une matière […], soit en raison de la finalité à laquelle sont

ordonnées les règles », G. Cornu (dir.), et alii, Vocabulaire juridique, PUF, 8ème éd., 2007, p. 785. 221 La Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) a été adoptée le 8 mai

1992 et est entrée en vigueur le 21 mars 1994. Aujourd’hui, elle recense 197 membres. 222 Signé le 11 décembre 1997 lors de la 3ème Conférence des Parties (COP3) à Kyoto, au Japon, et entré en vigueur

le 16 février 2005. 223 P. Daillier, M. Forteau, A. Pellet, Droit international public, L.G.D.J., coll. « Traités », 8ème éd., 2009, p. 184.

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

50

institutions adéquates à cet effet »224. Ainsi, la fonction principale de la CCNUCC est-elle

d’énoncer les fondements de la coopération interétatique en matière de lutte contre les

changements climatiques. Son élaboration est le résultat de la prise de conscience des États de

leur intérêt commun à « dépasser les horizons du voisinage »225 pour coopérer à la résolution

de ce problème mondial d’ampleur inédite. Pour certains auteurs, elle s’apparente à une sorte

de « charte constitutionnelle du régime du climat »226.

57. La Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques227,

adoptée le 9 mai 1992, est entrée en vigueur le 21 mars 1994. La CCNUCC compte actuellement

197 Parties : 196 États et l’Union européenne qui l’a ratifiée en bloc. Le premier alinéa du

préambule de la CCNUCC souligne d’emblée que « les changements du climat de la planète et

leurs effets néfastes sont un sujet de préoccupation pour l’humanité tout entière ». D’après son

article 2, « son objectif ultime […] est de stabiliser […] les concentrations de gaz à effet de

serre dans l’atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du

système climatique. Il conviendra d’atteindre ce niveau dans un délai suffisant pour que les

écosystèmes puissent s’adapter naturellement aux changements climatiques, que la production

alimentaire ne soit pas menacée et que le développement économique puisse se poursuivre de

manière durable ». On remarque toutefois que cet objectif « ultime » a été formulé dans des

termes assez flous, sans contenir de date ou de repère chiffré. Quoi qu’il en soit, la CCNUCC

présente « un caractère pionnier, en ce sens qu’elle trouve application dans un domaine qui ne

connaissait aucune règle de droit international portant spécifiquement sur les changements

climatiques »228.

58. La Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques

accorde une place à certains principes du droit international de l’environnement. Ainsi,

224 A. Kiss, « Les traités-cadre : une technique juridique caractéristique du droit international de

l’environnement », Annuaire français de droit international, vol. 39, 1993, p. 793. 225 R.-J. Dupuy, « Le dédoublement du monde », Revue générale de droit international public, vol. 100, n° 2,

1996, p. 313. 226 G. de Lassus Saint-Geniès, Droit international du climat et aspect économique du défi climatique, op. cit., p.

11. 227 Voy. sur la CCNUCC : W. Lang et H. Schally, « La Convention-cadre sur les changements climatiques »,

Revue générale de droit international public, vol. 97, n° 2, 1993, p. 321-337 ; L. Boisson de Chazournes, « La

Convention-cadre des Nations Unies sur le climat », in Le droit international face à l’éthique et à la politique de

l’environnement, sous la dir. de I. Rens et J. Jakubec, Georg, Genève, 1996, p. 135-141. 228 L. Boisson de Chazournes, « Le droit international au chevet de la lutte contre le réchauffement planétaire :

éléments d’un régime », in Mélanges offerts à Hubert Thierry. L’évolution du droit international, Pedone, 1998,

p. 43-55, spéc. p. 46.

Chapitre I. Contexte juridique de la lutte contre le changement climatique

51

son article 3.1 impose aux États parties « de préserver le système climatique dans l’intérêt des

générations présentes et futures », en mettant en application le principe des responsabilités

communes mais différenciées229. Notons d’ailleurs que, formulé ainsi, cet article témoigne de

l’approche holistique retenue par les rédacteurs de la Convention230. Au sens de la Convention,

le « système climatique » doit être compris comme « un ensemble englobant l’atmosphère,

l’hydrosphère, la biosphère et la géosphère, ainsi que leurs interactions »231. La nécessité de

prendre en compte les intérêts des générations futures est également mise en exergue, malgré

le fait que la perception temporelle certaine du danger d’un changement climatique demeure

assez inconnue232. Le système de protection contre le changement climatique doit donc tenir

compte de la préservation des générations futures. Or, la reconnaissance d’une volonté de

protection des générations futures est l’un des caractères essentiels du principe de précaution233.

229 Depuis la fin des années 1980, la totalité des conventions universelles adoptées renferment le principe de

responsabilités communes mais différenciées. Mais comment ce principe s’est-il affirmé en tant que principe du

droit international de l’environnement ? Dès 1972, les pays en développement ont manifesté des réticences à

l’égard des préoccupations écologiques des pays industrialisés, en raison des coûts supplémentaires en résultant

pour leurs politiques de développement : P. Daillier, M. Forteau et A. Pellet, Droit international public, L.G.D.J.,

8ème éd., 2009, n° 741. Or, dans la mesure où les problèmes environnementaux sont issus à titre principal de

l’industrialisation intensive de certains pays, il serait injuste de soumettre les pays en développement aux mêmes

mesures de redressement et de réparation. En raison de leur « responsabilité historique » sur la dégradation de

l’environnement mondial, il est demandé aux pays développés de soutenir financièrement les pays en

développement et d’assurer à leur profit des transferts de technologies. Le principe des responsabilités communes

mais différenciées instaure ainsi un clivage entre les pays développés d’une part et les pays en développement de

l’autre dans les conventions de protection de l’environnement. Il permet de rééquilibrer les rapports Nord-Sud

dans la balance internationale des droits et devoirs. Voy. également sur ce principe : A. Michelot, « Principe de

responsabilité commune mais différenciée », Revue juridique de l’environnement, vol. 37, n° 4, 2012, p. 633. 230 Y. Petit, « Le droit international de l’environnement à la croisée des chemins : globalisation versus souveraineté

nationale », Revue juridique de l’environnement, vol. 36, n° 1, 2011, p. 31-55. 231 CCNUCC, art. 1.3. 232 M. Torre-Schaub, « Le principe de précaution dans la lutte contre le réchauffement climatique : entre croissance

économique et protection durable », Revue européenne du droit de l’environnement, n° 2, 2003, p. 151-170, spéc.

p. 158. 233 Voy. sur l’origine du principe de précaution : A. Van Lang, Droit de l’environnement, PUF, coll. « Thémis »,

4ème éd., 2011, n° 120 et s. ; G. Martin, « Apparition et définition du principe de précaution », LPA, 2000, n° 239,

p. 7-9 ; M. Boutonnet et A. Guégan, « Historique du principe de précaution », in Le principe de précaution,

Rapport au Premier ministre par Ph. Kourilsky et G. Viney, La Documentation française, 2000, p. 253 et s. ; Ch.

Leben et J. Vergoeven (dir.), Le principe de précaution : aspects de droit international et communautaire, Éditions

Panthéon-Assas, 2002 ; N. de Sadeleer, Les principes de pollueur-payeur, de prévention et de précaution. Essai

sur la genèse et la portée de quelques principes du droit de l’environnement, préf. F. Ost, Bruylant, 1999. La

première formulation du principe de précaution est à rechercher dans la Déclaration de Londres adoptée à l’issue

de la deuxième conférence sur la mer du Nord en 1987. Une seconde figure dans le Principe 15 de la Déclaration

de Rio : « Pour protéger l’environnement, des mesures de précaution doivent être largement appliquées par les

États selon leurs capacités. En cas de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue

ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la

dégradation de l’environnement ». Le principe de précaution est aujourd’hui inscrit dans les plus importantes

conventions internationales relatives à l’environnement : A. Kiss et J.-P. Beurier, Droit international de

l’environnement, Pedone, 3ème éd., 2004, n° 269. La principale critique émise à son encontre est que le risque zéro

n’existant pas, son invocation intempestive risque de nuire au développement des activités économiques et, pour

ses contempteurs, d’entraîner une décroissance. Le devoir de précaution a pu parfois être analysé comme une

exception, et non comme un principe : H. Barbier, La liberté de prendre des risques, préf. J. Mestre, PUAM, 2011,

p. 289 et s.

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

52

Comme le souligne un auteur, « la prise en compte du facteur temps renforce la présence de la

précaution en ce qu’elle implique que les risques peuvent se réaliser à long terme mais que les

mesures doivent être prises sans tarder »234.

Le principe de précaution figure à l’article 3.3 de la Convention. Il faut savoir que la

question de l’incertitude est, et demeurera toujours, au cœur des négociations en matière de

lutte contre le réchauffement climatique. Le principe de précaution est donc un élément

essentiel dans la prise de décision. Les négociateurs ont fini par l’affirmer, non sans quelques

hésitations. Dès l’origine, ce principe a été affirmé comme un principe d’action. En effet,

l’article 3.3 de la Convention précise que « quand il y a risque de perturbations graves ou

irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour

différer l’adoption de telles mesures ». Le fait de ne pas remettre à plus tard l’adoption des

mesures de précaution fait davantage allusion à l’action qu’à l’abstention235. Cependant,

toujours dès l’origine, les négociateurs ont modulé la portée du principe de précaution en le

définissant comme un principe présentant des limites. Selon l’article 3.3, « les politiques et

mesures qu’appellent les changements climatiques requièrent un bon rapport coût-efficacité, de

manière à garantir des avantages globaux au coût le plus bas possible ». Divers ratios doivent

donc être pris en compte dans la mise en œuvre du principe de précaution. Surtout, ce principe

doit être compatible avec les impératifs de croissance économique. Principe d’action mais à

portée limitée, le malaise des décideurs politiques devant le principe de précaution est évident.

59. Après avoir énuméré les principes devant guider les États parties dans

l’application de la Convention, la CCNUCC définit une série d’engagements à son article

4. Il faut savoir que d’importantes divergences d’intérêts se sont manifestées durant le processus

de négociation de la Convention. C’est pourquoi les engagements figurant à l’article 4 ne

s’appliquent pas tous uniformément à l’ensemble des signataires.

Parmi les différents engagements applicables à l’ensemble des pays signataires, on

retrouve l’obligation de préparer un inventaire national des émissions de gaz à effet de serre,

d’établir un programme national d’atténuation des changements climatiques, de mettre en

œuvre des mesures d’adaptation, d’offrir un soutien coopératif aux travaux de recherche et à la

diffusion des technologies, d’encourager l’éducation, la formation et la sensibilisation du public

aux changements climatiques. Par ailleurs, l’inventaire national et le programme national

234 M. Torre-Schaub, « Le principe de précaution dans la lutte contre le réchauffement climatique : entre croissance

économique et protection durable », op. cit. 235 Ibid., spéc. p. 162.

Chapitre I. Contexte juridique de la lutte contre le changement climatique

53

doivent être communiqués à la Conférence des Parties, cette obligation de communication étant

une obligation de moyens pour les pays en développement.

Mais il est des engagements qui ne concernent qu’un nombre restreint d’États. Ces

États sont identifiés dans une liste figurant à l’annexe I de la Convention. Cette annexe I

regroupe les pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques

(ci-après « OCDE ») en 1992, les États nouvellement admis depuis cette date au sein de l’Union

européenne, et les pays en transition vers une économie de marché236. Les États parties de

l’annexe I ont l’obligation supplémentaire de limiter leurs émissions de gaz à effet de serre, en

mettant en œuvre des politiques nationales d’atténuation des changements climatiques, et en

protégeant et en renforçant leurs puits et réservoirs de gaz à effet de serre. Toutefois, la

Convention ne fixe pas d’objectif chiffré, ni d’échéancier à respecter. De surcroît, elle impose

à certains pays développés, énumérés dans une annexe II237, des obligations en matière de

transfert de ressources et de technologies à destination des pays en développement.

Cette différenciation de traitement entre pays développés et pays non développés

s’explique par le fait que la Convention sur le climat prévoit que la préservation du système

climatique doit se faire sur la base de l’équité et en fonction des responsabilités communes mais

différenciées des États et de leurs capacités respectives. Les pays développés doivent ainsi être

à l’avant-garde de la lutte contre le changement climatique238. D’ailleurs, il est vrai que le

succès de la négociation climatique passe par cette solidarité du Nord envers le Sud portant sur

les moyens financiers et techniques. Mais si le principe des responsabilités communes mais

différenciées est « théoriquement juste », d’aucuns considèrent qu’il est « d’une utilisation

délicate et constitue la source d’impasses observées dans les négociations internationales pour

l’application de la Convention-cadre sur les changements climatiques »239. Il est légitime de se

demander si, véritablement, l’équité et la solidarité financière seront suffisantes pour limiter les

dégâts pour la planète causés par le réchauffement climatique.

60. Enfin, la Convention instaure une structure institutionnelle, la Conférence

des Parties (ci-après « COP »), qui est l’organe suprême chargé d’assurer son application

236 Au moment de l’adoption de la CCNUCC, la liste des pays de l’annexe I ne comprenait que 35 États. Six pays

(Croatie, Liechtenstein, Monaco, République tchèque, Slovaquie et Slovénie) ont été ajoutés à l’annexe I suite à

un amendement entré en vigueur le 13 août 1998, en application de la décision 4/CP.3 que la Conférence des

Parties avait adoptée à sa troisième session. 237 Catégorie qui comprend 23 États et l’Union européenne. 238 CCNUCC, art. 3.1. 239 M. Bedjaoui, L’humanité en quête de paix et de développement (II), Cours général de droit international

public (2004), RCADI, t. 325, 2006, p. 361.

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

54

effective240. La COP est une sorte d’assemblée parlementaire. Elle se réunit normalement sur

une base annuelle pour faire le point sur l’application de la Convention et en favoriser la mise

en œuvre. Ces réunions annuelles sont l’occasion pour les négociateurs de construire et de

façonner ce que l’on pourrait appeler le « véritable corpus législatif »241 du régime international

du climat. C’est au sein de la COP, lors de la troisième Conférence des Parties à la CCNUCC,

que fut négocié le Protocole de Kyoto adopté en 1997.

b) Le Protocole de Kyoto

61. En assignant des objectifs de réduction chiffrés, le Protocole de Kyoto

« précise » la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques et consolide

le régime juridique du climat. Il est juridiquement distinct de la CCNUCC, et ce, même si sa

ratification n’est ouverte qu’aux seuls membres de la Convention242. Les objectifs fixés par le

Protocole sont contraignants pour les pays l’ayant ratifié. Il prévoit à la charge des pays

industrialisés, historiquement responsables des fortes concentrations de gaz à effet de serre, une

réduction globale de 5,2 % des émissions par rapport aux niveaux de 1990 pendant la première

période d’engagement (2008-2012). C’est ainsi qu’au cours de cette première période, 38 pays

et l’Union européenne243 ont souscrit à des cibles individuelles de réduction de leurs

émissions244. Adopté le 10 décembre 1997, le Protocole de Kyoto n’est entré en vigueur qu’en

2005245.

240 CCNUCC, art. 7. 241 C. de Klemm, « Voyage à l’intérieur des conventions internationales de protection de la nature », in Les hommes

et l’environnement. Quels droits pour le vingt-et-unième siècle ? Études en hommage à Alexandre Kiss, sous la

dir. de M. Prieur et C. Lambrechts, Éditions Frison-Roche, 1998, p. 611-651, spéc. p. 616. 242 Voy. sur le Protocole de Kyoto : L. Boisson de Chazournes, « La gestion de l’intérêt commun à l’épreuve des

enjeux économiques : le Protocole de Kyoto sur les changements climatiques », Annuaire français de droit

international, vol. 43, 1997, p. 701-715 ; S. Maljean-Dubois, « La mise en route du Protocole de Kyoto à la

Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques », Annuaire français de droit international,

vol. 51, 2005, p. 433-463. 243 Listés à l’annexe B du Protocole. 244 Certains pays se sont engagés à des objectifs de stabilisation de leurs émissions par rapport à l’année 1990,

tandis que d’autres se sont engagés à des objectifs de limitation de la hausse de leurs émissions. Par ailleurs, la

mise en place de la « bulle communautaire » est une manière symbolique forte d’affirmer l’unité européenne sur

la question du réchauffement climatique. Notons également qu’en 2011, le Canada s’est retiré du Protocole. 245 Ce délai s’explique par le fait que l’article 25 du Protocole conditionne son entrée en vigueur à ce qu’au moins

55 États le ratifient (condition atteinte le 23 mai 2002 avec la ratification par l’Islande) et que tous les pays de

l’annexe I de la Convention l’ayant ratifié émettent au total au moins 55 % des émissions de CO2 de 1999

(condition atteinte le 18 novembre 2004 avec la ratification par la Russie). Rappelons que les États-Unis, pourtant

responsables d’un cinquième des émissions de gaz à effet de serre dans le monde, refusent toujours de ratifier le

Protocole de Kyoto, au motif que les pays en développement devraient, eux aussi, être associés à cette démarche

tendant à la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Chapitre I. Contexte juridique de la lutte contre le changement climatique

55

62. Au-delà des objectifs chiffrés de réduction, le Protocole de Kyoto met en

place un mécanisme de tarification des émissions de gaz à effet de serre. C’est d’ailleurs

toute l’originalité de cet instrument. L’introduction de ce mécanisme avait déjà été envisagée

lors des négociations de la Convention sur le climat. Plusieurs États européens s’étaient alors

prononcés en faveur d’un système de taxes harmonisées des émissions de dioxyde de carbone

(ci-après « CO2 ») au sein des pays industrialisés. Mais l’idée d’une taxation n’a pas été retenue.

Le mécanisme de tarification des émissions de gaz à effet de serre n’est pas de nature fiscale.

En effet, il s’agit d’un mécanisme fondé sur le jeu du marché, d’un outil économique de

protection de l’environnement246. On parle de système de permis échangeables ou négociables.

L’idée est la suivante : un régulateur détermine un volume maximal de pollution qu’un

ensemble d’entités peut émettre au cours d’une période donnée et alloue à chacune de ces entités

un certain nombre de quotas d’émission transférables dont le total correspond à l’objectif de

pollution défini. Les entités peuvent ensuite choisir entre trois options. Elles peuvent soit utiliser

l’intégralité de leurs quotas pour couvrir leurs émissions, soit réduire leurs émissions et vendre

leurs quotas non utilisés, soit augmenter leurs émissions et acheter des quotas auprès des autres

entités247. Plusieurs marchés de permis d’émission ont été mis en place à l’échelle d’entreprises,

de groupes d’entreprises ou d’États. Un système européen d’échange de quotas d’émission a

également vu le jour en 2005.

63. Plus généralement, l’adoption du Protocole de Kyoto illustre la pénétration

des instruments économiques dans le domaine de l’environnement248. Comme le souligne

un auteur, le Protocole de Kyoto a marqué le passage d’une régulation de l’environnement par

les normes à une régulation de l’environnement par les instruments économiques (taxes et

marchés des droits)249. L’utilisation d’instruments économiques, par définition flexibles, a pour

but d’introduire de la souplesse dans un domaine où le consensus n’est pas toujours facile à

trouver. Au fond, l’idée est de permettre aux Parties de remplir leurs obligations en matière de

réduction des émissions de gaz à effet de serre d’une manière qui assure le meilleur rapport

entre coût et efficacité, à la fois environnementale et économique, dans la logique du

246 Voy. sur ce point : J.-C. Rotouillé, L’utilisation de la technique de marché en droit de l’environnement.

L’exemple du système européen d’échange des quotas d’émission de gaz à effet de serre, préf. M. Lombard et D.

Simon, L.G.D.J., 2017. 247 Voy. pour une présentation détaillée de ce mécanisme de tarification des émissions de GES : G. de Lassus

Saint-Geniès, Droit international du climat et aspect économique du défi climatique, op. cit., p. 44-63. 248 Y. Petit, « Le droit international de l’environnement à la croisée des chemins : globalisation versus souveraineté

nationale », op. cit., spéc. p. 47-49. 249 M. Bacache-Beauvallet, « Marché et droit : la logique économique du droit de l’environnement », Pouvoirs, n°

127, 2008, p. 35-47.

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

56

développement durable250. Ces mécanismes flexibles augmentent la liberté des États dans le

choix de réalisation de leurs objectifs, tout en respectant leur souveraineté. Ils n’impliquent pas

de modifications harmonisées des politiques nationales et c’est sans doute leur avantage

principal aux yeux des négociateurs du régime du climat. Leur force réside dans leur caractère

incitatif, à la fois pour les États et pour les agents économiques. Nous verrons plus tard que la

coopération effective entre les secteurs public et privé est indispensable pour mener l’action

commune en faveur de la protection du climat.

64. Ainsi brièvement présenté, le Protocole de Kyoto apparaît comme un instrument

prometteur pour assurer la protection du climat. En effet, il s’agit d’un texte juridique novateur

sur le plan des outils avancés pour sa mise en œuvre. Cependant, est-ce qu’il s’est montré

véritablement efficace ? Selon Sandrine Maljean-Dubois, il concerne « un nombre trop limité

de pays pour faire face à l’enjeu global »251. En vérité, il était peut-être mal parti dès son

adoption en 1997. Les États-Unis, responsables à eux seuls de 20 % des émissions mondiales,

ont refusé d’y prendre part. En outre, nous avons vu que le Protocole se base sur un système de

distinction entre pays industrialisés devant réduire leurs émissions et pays en développement

exemptés de contraintes. Or, les pays émergents et en développement sont responsables d’une

part croissante des émissions, à tel point, d’ailleurs, que si leurs émissions continuent

d’augmenter, la responsabilité historique des pays développés pourrait devenir caduque dans

les prochaines années252. Enfin, il semblerait que le monde entier a été dépassé par l’expansion

monumentale de l’économie chinoise. En 2006, la Chine est devenue le premier émetteur de

gaz à effet de serre au monde. Pourtant, ne figurant pas à l’annexe B du Protocole de Kyoto, ce

pays est exempté d’obligations chiffrées de réduction des émissions. Tous ces éléments sont

venus grandement atténuer les mérites du Protocole. Finalement, l’impact sur les émissions

globales, qui en constituait l’objectif ultime, a été marginal.

65. Il s’avère que les premiers instruments du régime juridique international du

climat, à savoir la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques et le

Protocole de Kyoto, ont produit certains effets positifs, sans pour autant se rapprocher

suffisamment des objectifs qu’ils s’étaient posés. Mais la volonté politique s’est réaffirmée de

250 Voy. infra n° 82. 251 S. Maljean-Dubois, « Quel droit international face au changement climatique ? », D., 2015, p. 2263. 252 M. Demaze, « Le protocole de Kyoto, le clivage Nord-Sud et le défi du développement durable », L’Espace

géographique, vol. 38, n° 2, 2009, p. 139-156.

Chapitre I. Contexte juridique de la lutte contre le changement climatique

57

repenser ce nouvel ordre de gouvernementalité du régime climatique253. Après 2012, fin de la

première période d’engagement du Protocole de Kyoto, le régime juridique international du

climat a connu d’importants développements.

2. Le développement du régime juridique international du climat

66. Certes, la nécessité de promouvoir un mode de développement moins carboné a

été prise en compte par les États lors de la mise en place du système multilatéral de lutte contre

le réchauffement climatique. De manière limitée cependant, car les États ont toujours du mal à

articuler la poursuite de l’objectif environnemental avec la protection de leurs intérêts

économiques immédiats. Quelles ont été les suites de cette coopération internationale en

matière de lutte contre le réchauffement climatique ?

Lors de son adoption, le Protocole de Kyoto ne prévoyait qu’une seule période

d’engagement allant de 2008 à 2012. Cette situation impliquait qu’un nouveau cadre juridique

soit mis en place pour la période post-2012 (a). Ce nouveau cadre s’est fondé à la fois sur la

continuation du Protocole de Kyoto et sur de nouvelles règles développées sous l’égide de la

COP. Cependant, n’étant pas applicable au-delà de 2020, ce cadre ne constituait qu’une réponse

transitoire au problème climatique. Dès 2011, des négociations ont été entamées en vue de la

définition des règles applicables après 2020. Ces négociations ont finalement porté leurs fruits,

comme en témoigne l’adoption, en 2015, de l’Accord de Paris (b).

a) La mise en place du régime du climat post-2012

67. La question du régime climatique post-2012 a été véritablement posée lors

de la réunion de la COP 13 à Bali en 2007254, suite à l’adoption du Plan d’action de Bali.

Cette feuille de route pour les négociations à mener a été adoptée en réaction aux conclusions

du quatrième rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat255,

selon lesquelles le réchauffement climatique est incontestable et tout retard dans la réduction

des émissions réduit sensiblement les possibilités de parvenir à stabiliser les émissions à des

niveaux inférieurs. Ce quatrième rapport sur le climat a raisonné comme un avertissement : les

253 A. Dahan, « L’impasse de la gouvernance climatique globale depuis vingt ans. Pour un autre ordre de

gouvernementalité », Critique internationale, vol. 62, n° 1, 2014, p. 21-37. 254 Même s’il est vrai que cette question a été déjà inscrite dans l’agenda des discussions depuis 2005. 255 GIEC, Changements climatiques 2007, rapp. de synthèse 2008.

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

58

conséquences du réchauffement climatique risquent d’être soudaines et irréversibles. Devant ce

risque, il est de nouveau demandé aux décideurs politiques de faire preuve d’audace et de

pragmatisme. C’est ainsi qu’en 2007, les Parties à la Convention ont ouvert la voie des

négociations lors de la COP 13, réunie à Bali, en Indonésie. L’idée était de lancer « un vaste

processus pour permettre l’application intégrale, effective et continue de la Convention par une

action concertée à long terme, dès à présent, d’ici à 2012 et au-delà, en vue de parvenir d’un

commun accord à un résultat et d’adopter une décision à sa quinzième session »256.

Le Plan d’action de Bali prévoyait que ces négociations se dérouleraient au sein d’un

nouvel organe subsidiaire, le Groupe de travail spécial sur l’action concertée à long terme. La

création de cet organe s’imposait afin de pouvoir associer l’ensemble des pays au processus de

négociation. En effet, si l’avenir du climat se décidait uniquement sous l’égide du Protocole de

Kyoto, les États-Unis ne l’ayant pas ratifié seraient maintenus à l’extérieur des discussions.

Aussi, si le nouveau régime se construisait sur la seule continuation du Protocole de Kyoto, le

plus gros émetteur de gaz à effet de serre qu’est la Chine demeurerait exempté d’obligations

chiffrées de réduction. Tout ceci n’était plus concevable. Comme le remarquent certains

commentateurs, avec l’adoption du Plan d’action de Bali, le « centre de gravité du régime

international du climat » a commencé à s’éloigner du Protocole de Kyoto pour se déplacer vers

la Convention-cadre de 1992257. Cependant, puisque les négociations au titre du Protocole de

Kyoto avaient déjà débuté avant la réunion de Bali, finalement, deux processus de négociation

se menaient parallèlement. Ils avaient pour objectif commun de parvenir à un accord lors de la

quinzième Conférence des Parties.

Le Plan d’action de Bali a souvent été analysé comme un cadre assez flou et pas

suffisamment ambitieux. Aucune précision n’a été donné sur la forme juridique, pas plus qu’un

objectif de long terme susceptible de guider les négociations. Cela dit, cette décision a quand

même eu le mérite de relancer la dynamique des négociations multilatérales.

68. Les contours du régime du climat post-2012 ont commencé à se dessiner lors

de la COP 15 convoquée à Copenhague en 2009. Conformément à la feuille de route adoptée

en 2007, la COP 15 devait être l’occasion de renégocier un accord international sur le climat.

Elle a en effet abouti à l’adoption de l’Accord de Copenhague. Cet accord comporte des

256 Décision 1/CP.13, Plan d’action de Bali, FCCC/CP/2007/6/Add.1, 14 mars 2008. 257 S. Maljean-Dubois et M. Wemaëre, « La Conférence sur le climat de Varsovie : des résultats mitigés, des

perspectives inquiétantes », Environnement et Développement durable, n° 1, janvier 2014, étude 1, cité par G. de

Lassus Saint-Geniès, Droit international du climat et aspect économique du défi climatique, op. cit., p. 176.

Chapitre I. Contexte juridique de la lutte contre le changement climatique

59

dispositions relatives à la vision de long terme, à l’adaptation, à l’atténuation, à la mise au point

et au transfert de technologies ainsi qu’au financement. Il repose sur une vision commune, à

savoir : réduire les émissions de gaz à effet de serre « pour que la hausse de la température de

la planète reste inférieure à 2 °C »258. Présenté comme étant « immédiatement opérationnel »259,

cet accord n’est cependant pas juridiquement contraignant. Il a donné lieu à des « promesses »

de réduction de la part de tous les pays industrialisés et d’une quarantaine de pays en

développement. Mais, toutes agrégées, ces promesses ne représentent que 60 % de l’effort à

accomplir pour être sur la trajectoire des 2 °C260. En outre, ces promesses unilatérales font

l’objet d’un contrôle très allégé. En cas de non-respect, les États ne peuvent être sanctionnés.

Les résultats de la COP 15 sont modestes, l’Accord de Copenhague présentant trop de

lacunes pour être considéré comme un succès de la coopération multilatérale. De surcroît, de

nombreux États ont regretté que les États-Unis et quatre autres pays, que l’on a appelé les

BASIC (Brasil, Afrique du Sud, Inde et Chine), ont confisqué le processus de négociation et

fait prévaloir leurs points de vue en fin de conférence. L’Accord de Copenhague, qui a été

adopté rapidement dans les dernières heures de la réunion, présente ainsi un important « déficit

de légitimité »261. Pour ces raisons, la Conférence de Copenhague est perçue par beaucoup

comme un échec.

69. Finalement, la recherche d’un accord mondial sur les mesures à adopter pour la

période post-2012 n’a pas abouti à Copenhague. Les enjeux de ce sommet n’étaient pas les

mêmes pour tous les pays262. En effet, les pays en développement souhaitaient maintenir

l’architecture binaire du Protocole de Kyoto, tandis que plusieurs États développés ne

souhaitaient pas le prolonger. Les pays émergents n’envisageaient pas d’objectifs contraignants

pour eux-mêmes avant 2020. En revanche, ils demandaient des réductions de pollution

comprises entre 25 et 40 % pour les pays industrialisés en raison de leur responsabilité

historique dans l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre. De leur côté, les États-

Unis ne proposaient de réduire que de 4 % leurs émissions de gaz à effet de serre entre 1990 et

2020, et conditionnaient leur participation au fait que la Chine, pays émergent, accepte un

accord global contraignant. Autant dire qu’à Copenhague, les divergences n’ont pas pu être

258 Décision 2/CP.15, Accord de Copenhague, FCCC/CP/2009/11/Add.1, 30 mars 2010. 259 Ibid. 260 S. Maljean-Dubois, « Quel droit international face au changement climatique ? », op. cit. 261 G. de Lassus Saint-Geniès, Droit international du climat et aspect économique du défi climatique, op. cit., p.

189. 262 A. Ploux-Chillès, « L’après Copenhague », Idées économiques et sociales, vol. 160, n° 2, 2010, p. 6-15.

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

60

surmontées. Les négociations ont donc être poursuivies en vue de la COP 21, pour déboucher

sur l’Accord de Paris du 12 décembre 2015.

b) La mise en place du régime du climat post-2020

70. Les négociations sur le régime du climat post-2020 ont débuté en 2011 lors

de la COP 17 de Durban, en Afrique du Sud. Les États ont décidé « de lancer un processus

en vue d’élaborer au titre de la Convention un protocole, un autre instrument juridique ou un

texte convenu d’un commun accord ayant valeur juridique, applicable à toutes les Parties »263.

Encore une fois, la question de la forme juridique de l’instrument à adopter à l’issue des

négociations est restée sans réponse. Il était spécifié qu’il aurait une « valeur juridique ». Mais

laquelle ? La question qui se posait était celle de savoir si les États allaient tirer les leçons des

vingt années précédentes en adoptant, une fois pour toutes, un accord juridiquement

contraignant et ambitieux en termes de cibles d’atténuation envisagées. Finalement, pour définir

les fondements du cadre juridique post-2020, les États ont choisi la voie conventionnelle. En

2015, lors de la COP 21, après des décennies de négociations laborieuses264, ils sont enfin

parvenus à un accord sur le climat présentant les caractéristiques d’un traité international265.

71. L’Accord de Paris a été adopté le 12 décembre 2015 lors de la COP 21266. Il

a obtenu l’appui de l’ensemble des membres de la Convention, y compris de la Chine et des

États-Unis267, et est entré en vigueur le 4 novembre 2016. Indiscutablement, il s’agit d’un

événement historique en matière de climat, censé combler les lacunes du régime précédent268.

263 Décision 1/CP.17, Création d’un groupe de travail spécial de la plate-forme de Durban pour une action

renforcée, FCCC/CP/2011/9/Add/1, 15 mars 2012. 264 Voy. sur l’historique des négociations : S. Maljean-Dubois et M. Wemaëre, La diplomatie climatique de Rio

1992 à Paris 2015, Pedone, 2015. 265 Cette remarque n’est pas sans importance. Le traité international, que l’on définit comme l’expression de

volontés concordantes en vue de produire des effets juridiques, offre un cadre juridique pérenne et une meilleure

stabilité du droit. Voy. sur les traités en droit international : B. Mulamba Mbuyi, Droit des traités internationaux.

Notes de cours à l’usage des étudiants en droit, L’Harmattan, 2009 ; P.-M. Dupuy, L’unité de l’ordre juridique

international : cours général de droit international public (2000), M. Nijhoff, 2003, p. 123 et s. En droit du climat,

la communauté internationale n’avait pas conclu de nouveau traité depuis l’adoption du Protocole de Kyoto. De

fait, l’adoption de l’Accord de Paris a été vécue comme un événement historique. 266 Voy. pour un commentaire détaillé de l’Accord de Paris : S. Maljean-Dubois et L. Rajamani, « L’Accord de

Paris sur les changements climatiques du 12 décembre 2015 », Annuaire français de droit international, 2015, vol.

61, p. 615-648. 267 Malgré la décision ultérieure du Président américain Donald Trump de se retirer de l’Accord de Paris. Voy. sur

cette question : Y. Aguila, « Sortie des États-Unis de l’Accord de Paris : quelles conséquences ? », D., 2017, p.

1240. 268 S. Maljean-Dubois, « Quel droit international face au changement climatique ? », op. cit. ; voy. également : S.

Maljean-Dubois et M. Wemaëre, « L’accord à conclure à Paris en décembre 2015 : une opportunité pour “dé”

Chapitre I. Contexte juridique de la lutte contre le changement climatique

61

L’Accord de Paris a pour objectif de créer une nouvelle dynamique pour les politiques

climatiques, en incitant les États à s’engager. En effet, malgré sa qualification de traité

international, l’Accord de Paris est essentiellement incitatif269. Pour être plus précis, la forme

finale combine un traité classique, une décision de la Conférence des Parties et un registre qui

compile les contributions déterminées au niveau national. Ces « contributions nationales »

constituent la pierre angulaire du système d’atténuation collectif. Tout repose sur elles,

pourtant, le choix a été fait de les faire figurer sur un registre international, et non dans le corps

du traité, ni en annexe de celui-ci. Certes, cette souplesse permet la mise en œuvre de l’article

4.11 selon lequel « une Partie peut à tout moment modifier sa contribution déterminée au niveau

national afin d’en relever le niveau d’ambition ». Mais cela signifie aussi que les contributions

nationales n’ont que la valeur d’obligations de moyens. De plus, elles sont déterminées par les

États seuls, sans droit de regard des autres Parties ou d’une instance internationale270.

Autrement dit, l’Accord de Paris fait la part belle aux obligations de moyens, tout en déclinant,

il est vrai, un échéancier de révision périodique des contributions étatiques à l’avenir. Il

appartient ainsi aux États de rehausser le niveau d’ambition de leur contribution tous les cinq

ans271. L’Accord prévoit que le niveau d’ambition retenu doit toujours être « le plus élevé

possible »272.

En ce qui concerne plus particulièrement l’objectif d’atténuation du changement

climatique, l’Accord de Paris prévoit que l’élévation de la température moyenne de la planète

devra être contenue « nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels » et

que les efforts devront être poursuivis « pour limiter l’élévation des températures à 1,5 °C par

rapport à l’ère préindustrielle »273. Cet objectif de 1,5 °C paraît aujourd’hui difficilement

atteignable mais était vivement souhaité par les pays les plus vulnérables aux changements

climatiques. Selon les scénarios établis par le GIEC, pour avoir de bonnes chances de limiter

l’augmentation de la température moyenne mondiale à 2 °C, les États doivent réduire leurs

émissions mondiales de gaz à effet de serre de 40 à 70 % par rapport à 2010 d’ici 2050, et les

éliminer presque totalement d’ici 2100. Mais les négociateurs n’ont pas voulu retranscrire cet

objectif de réduction dans l’Accord de Paris, ce qui est regrettable.

fragmenter la gouvernance internationale du climat ? », Revue juridique de l’environnement, vol. 40, n° 4, 2015,

p. 649-671. 269 M. Hautereau-Boutonnet et S. Maljean-Dubois, « Introduction », Revue juridique de l’environnement,

2017/HS17 (n° spécial), p. 9-21. 270 Ibid. Les auteures rappellent que « le fait que l’engagement repose sur une contribution nationalement

déterminée est ainsi, par essence, respectueux des souverainetés nationales ». 271 Accord de Paris, art. 4.9. 272 Accord de Paris, art. 4.3. 273 Accord de Paris, art. 2.

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

62

72. La principale critique à l’égard de l’Accord de Paris tient à l’absence de

véritable sanction juridique en cas de non-respect par les Parties de leurs engagements. Il

prévoit la mise en place d’un mécanisme de promotion et de facilitation du contrôle du respect

de ses dispositions274, tout en spécifiant que ce mécanisme fonctionnera d’une manière « non

accusatoire et non punitive »275. Les moyens de coercition de l’Accord de Paris sont donc très

faibles, ce qui peut nuire à son efficacité276. À ce sujet, Bénédicte Fauvarque-Cosson rappelle

que, d’une façon générale, les juristes « sont habitués à mesurer le degré de force obligatoire

d’un instrument juridique à l’aune de sa nature, des sanctions qu’il pose et des juridictions qui

peuvent être saisies pour en assurer le respect »277. Et l’auteure d’ajouter qu’en raison de sa

faible normativité, l’Accord de Paris « soulève un certain scepticisme et suscite la réflexion sur

les moyens de renforcer l’efficacité du droit international pour assurer la transition vers des

sociétés et des économies résilientes et sobres en carbone »278. En ce sens, plutôt qu’un

aboutissement des décennies de négociations laborieuses, l’Accord de Paris représente une

référence, un tremplin pour les initiatives en matière de lutte contre le changement climatique.

73. Pour résumer, en dépit des évolutions certaines qu’a connu le régime juridique

du climat, la protection internationale du climat n’est toujours pas satisfaisante au regard des

enjeux de la problématique climatique. L’efficacité du système multilatéral de lutte contre le

changement climatique est mise en doute.

§2. La question climatique saisie par le droit international : une protection internationale

perfectible du climat

74. L’Accord de Paris avait pour but de mettre fin aux négociations chaotiques en

matière de protection du climat. Mais, tout comme les autres instruments du régime juridique

du climat, il a eu pour conséquence de révéler les limites du multilatéralisme (A). On comprend,

dès lors, l’importance de trouver son prolongement dans les droits internes, afin de pouvoir

toucher les acteurs de la vie économique. C’est sans doute à ce niveau que l’on trouvera les

moyens d’assurer une meilleure protection du climat (B).

274 Accord de Paris, art. 15. 275 Accord de Paris, art. 15.1. 276 P. Thieffry, « L’accord de Paris sur le changement climatique : quelles contraintes ? », D., 2016, p. 304. 277 B. Fauvarque-Cosson, « L’entreprise, le droit des contrats et la lutte contre le changement climatique », D.,

2016, p. 324. 278 Ibid.

Chapitre I. Contexte juridique de la lutte contre le changement climatique

63

A. Les limites du multilatéralisme dans la protection internationale du climat

75. Dès le départ, les processus de négociation multilatérale en matière de lutte

contre le changement climatique ont démontré le caractère pénible de la coordination des divers

intérêts nationaux. Comme le dit un auteur, les États sont « en proie à la tentation du repli

national »279 et ont tendance à systématiquement privilégier leurs intérêts économiques

immédiats au détriment de ceux de l’humanité. En présence d’engagements d’atténuation

limités (1) et en l’absence de valeurs unanimement partagées (2), il est difficile de croire en la

capacité du régime actuel international du climat de régler la problématique climatique.

1. Des engagements d’atténuation limités

76. Dans son analyse des aspects économiques du défi climatique, Géraud de Lassus

Saint-Geniès démontre que la marge de manœuvre laissée aux États pour définir leurs

engagements en matière de lutte contre le réchauffement climatique a pour conséquence

inévitable de relativiser la portée de l’ensemble de l’instrumentum juridique du régime du

climat280. Rappelons que le Protocole de Kyoto n’impose de contrainte quantitative en ce qui

concerne les émissions de gaz à effet de serre qu’aux seuls pays de l’annexe I. Quant à l’Accord

de Paris, il ne contient pas d’objectifs chiffrés par pays mais renvoie aux contributions

nationales déterminées unilatéralement par chaque État. Le motif de ces restrictions est la

préservation des intérêts économiques nationaux. Or, dans un système conventionnel à visée

environnementale, comment peut-on justifier que de pareilles restrictions de la portée de

l’ensemble des obligations issues du régime du climat soient apportées au nom des enjeux

économiques de la question ? En effet, si les préoccupations économiques des États ne doivent

être négligées, il n’en demeure pas moins qu’une prise en considération excessive de ces

préoccupations pourrait devenir un obstacle pour l’élaboration de politiques climatiques

ambitieuses. La mise en garde étant faite, revenons un instant sur les deux instruments

juridiques du régime du climat précités.

76-1 Premièrement, nous avons vu que le Protocole de Kyoto instaure une dualité

normative entre les pays visés ou non visés à l’annexe I. Cette « asymétrie de traitement

279 G. de Lassus Saint-Geniès, Droit international du climat et aspect économique du défi climatique, op. cit. 280 Ibid., p. 67 et s.

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

64

juridique »281 a constitué « le prix à payer »282 par les pays développés pour rallier les pays en

développement dans la construction du régime juridique de lutte contre le réchauffement

climatique. Dans la mesure où celle-ci a toujours été présentée comme un défi global, il n’était

pas envisageable ni souhaitable d’exclure certains pays du processus. La participation, fût-elle

inégalitaire, de l’ensemble de la communauté internationale s’imposait. Or, cette communauté

internationale est particulièrement diverse. Les priorités politiques et les capacités financières

et économiques des États la composant ne sont pas les mêmes. Il fallait, pourtant, réussir à se

placer dans une perspective universaliste283 pour appréhender le défi climatique.

C’est ainsi que nous pouvons donc expliquer l’exonération des pays en développement

de l’obligation de déterminer des engagements de réduction des émissions de gaz à effet de

serre par le Protocole de Kyoto. Cette exonération est essentiellement fondée sur la volonté de

préserver leurs intérêts économiques. Ceci est cependant contraire à l’idée traditionnellement

véhiculée par le droit international de stricte égalité entre les États souverains. Cette égalité

souveraine est une notion cardinale de l’ordre juridique international. Mais les inégalités de fait

qui existent entre les États semblent avoir prévalu lors de la construction du régime du climat,

sans doute dans le but de faciliter son expansion. Ils ont ainsi créé un « régime juridique à

plusieurs vitesses »284, selon l’expression de Mireille Delmas-Marty, et rompu

avec l’uniformité du droit international qui semblait « logiquement et nécessairement découler

de la souveraineté et de l’égalité de tous les États »285.

Est-ce pour autant que cette exclusion dont ont bénéficié les pays en développement

est justifiée au regard des objectifs du Protocole de Kyoto et, plus largement, du régime

juridique du climat ? Il est permis d’en douter, d’autant plus que « l’exonération des uns a servi

de prétexte au désengagement des autres »286 et retardé de plusieurs années l’entrée en vigueur

du Protocole. La recherche d’universalité s’est traduite, en l’occurrence, en une limitation de la

portée environnementale de cet instrument, que l’on peut regretter.

281 Ibid., p. 113. 282 M.-P. Lanfranchi, « Le statut des pays en développement dans le régime du climat : le principe de la dualité

des normes revisité ? », in Le droit international face aux enjeux environnementaux, Actes du 43ème colloque de

la Société française pour le droit international, 4-6 juin 2009, Aix-en-Provence, Pedone, 2010, p. 277-295, spéc.

p. 282. 283 L. Boisson de Chazournes, « Le droit et l’universalité de la lutte contre les changements climatiques », Cahiers

Droit, Sciences & Technologies, Droit et climat, n° 2, 2009, p. 29-36, spéc. p. 35. 284 M. Delmas-Marty, Le pluralisme ordonné : Les forces imaginantes du droit, Tome 2, Seuil, coll. « La Couleur

des idées », 2006, p. 240. 285 D. Carreau, Droit international public, Pedone, 7ème éd., 2001, p. 28. 286 G. de Lassus Saint-Geniès, Droit international du climat et aspect économique du défi climatique, op. cit., p.

115. L’auteur rappelle que « pour justifier leur refus de ratifier le Protocole, les États-Unis ont invoqué le fait que

cet instrument n’imposait aucune contrainte carbone à la Chine et à l’Inde, et que cette distorsion de compétitivité

représentait une grave menace pour leur économie ».

Chapitre I. Contexte juridique de la lutte contre le changement climatique

65

76-2 Deuxièmement, l’Accord de Paris a été, lui aussi, révélateur des limites du

multilatéralisme. Certes, au moment de son adoption, cet accord a reçu l’approbation de

l’ensemble des Parties. De ce fait, il a pu être qualifié de succès diplomatique. Le fait qu’il

inscrit l’action globale dans une perspective de progression continue sur le long terme constitue

un signal fort et permet un véritable changement des pratiques et des politiques en matière de

lutte contre le changement climatique. Toutefois, l’Accord de Paris ne prévoit pas de régime de

responsabilité en cas de résultats insuffisants, à défaut pour les États de vouloir assumer une

pareille responsabilité. En outre, le mécanisme de communication périodique des contributions

nationales est régi par le principe de progression, selon lequel « la contribution déterminée au

niveau national suivante de chaque Partie représentera une progression par rapport à la

contribution […] antérieure et correspondra à son niveau d’ambition le plus élevé possible »287.

L’idée est de ne plus pouvoir faire marche-arrière. Les environnementalistes connaissent

d’ailleurs ce principe sous un autre vocabulaire. En droit de l’environnement, le principe de

non-régression288 signifie que la norme environnementale ne peut que tendre vers une meilleure

protection de l’environnement, et « permet de fixer un cap à l’action publique en concourant à

l’excellence environnementale »289. Nous ne contestons pas le fait que la consécration du

principe de progression en matière de lutte contre le réchauffement climatique est un pas dans

la bonne direction ; au contraire, nous nous en réjouissons. Cependant, il ne faut pas oublier

que la définition initiale des contributions nationales et de la marge de progrès envisagée, est

décidée unilatéralement par chaque État, pour lui-même. L’Accord de Paris ne contient aucune

disposition contraignante quantitativement à cet égard. Sans doute, encore une fois, était-ce le

prix à payer pour enfin aboutir à un accord international universel sur le climat, tant attendu et

tant voulu.

77. À ces éléments révélateurs des limites du multilatéralisme s’ajoute l’inévitable

question des valeurs290.

287 Accord de Paris, art. 4.3. 288 Voy. sur ce principe : M. Prieur et G. Sozzo, Le principe de non-régression en droit de l’environnement,

Bruylant, 2012 ; M. Prieur, Droit de l’environnement, Dalloz, coll. « Précis », 7ème éd., 2016, p. 108-109 ; C.

Krolik, « Vers un principe de non-régression de la protection de l’environnement », AJDA, 2013, p. 2247. 289 Ibid. 290 Voy. sur cette question : M. Delmas-Marty, Vers une communauté de valeurs : Les forces imaginantes du droit,

Tome 4, Seuil, coll. « La Couleur des idées », 2011.

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

66

2. Une conciliation des valeurs presque impossible

78. La construction du régime juridique du climat a démontré la relative incapacité

des États de s’accorder sur la manière de résoudre une question pourtant jugée comme

fondamentale pour l’ensemble de la communauté humaine : la question climatique. Si des

accords ont pu parfois être obtenus, ce n’est qu’au prix de nombreux compromis relativisant,

par là même, la portée de ces accords. D’où vient la difficulté ?

À l’échelle internationale, la diversité de cultures et l’opposition d’intérêts sont deux

éléments qui rendent la conciliation des valeurs, a priori, impossible. Cette conciliation est

pourtant indispensable pour pouvoir bâtir des régimes juridiques efficaces. Elle en est le

préalable nécessaire, la condition sine qua non. Dans nos sociétés, nous opérons des choix en

termes de valeurs, puis nous faisons un appel au droit pour consolider ces choix, en permettant

de les formaliser, à travers sa fonction législative, et de les mettre en œuvre, à travers sa fonction

judiciaire et exécutive291. Mais s’agissant du droit international, il paraît qu’il ne peut accomplir

ce rôle car il se heurte à une difficulté bien connue : la souveraineté des États. Si ces derniers

sont prêts à coopérer en vue de la construction de ce droit et en faveur de son efficacité, en

revanche, ils n’acceptent pas, ou que très exceptionnellement, de renoncer à leur souveraineté.

Devant ce constat, un auteur se demande d’ailleurs s’il est possible de construire une

communauté de droit sans communauté de valeurs292. La question est tout à fait légitime et la

réponse est sans doute négative. En effet, « comment établir une solidarité entre intérêts

légitimement compétitifs, comment définir un intérêt général sans titulaire visible ? »293.

Autrement dit, comment concilier la prise en compte de la territorialité avec les intérêts de la

communauté mondiale ?

En matière environnementale, la communauté internationale a déjà cherché à trouver

des réponses à ces interrogations. Quelles sont-elles et sont-elles transposables en matière de

protection du climat ? Il s’agit, d’abord, du concept de patrimoine commun de l’humanité,

ensuite, de celui de biens publics globaux.

291 Ibid., p. 20. 292 M. Delmas-Marty, Le relatif et l’universel : Les forces imaginantes du droit, Tome 1, Seuil, coll. « La Couleur

des idées », 2004, p. 121. 293 S. Sur, « La fièvre monte à Copenhague », Questions internationales, n°38, juillet-août 2009, Le climat : risques

et débats, p. 7.

Chapitre I. Contexte juridique de la lutte contre le changement climatique

67

78-1 Le climat, un élément du patrimoine commun de l’humanité ? Le patrimoine

commun de l’humanité294 est une notion, voire un concept295, qui a acquis une certaine notoriété

dans le langage juridique malgré son caractère approximatif. Il traduit la matérialisation de

l’intérêt commun de l’humanité et permet, en effet, d’opérer un glissement de la souveraineté

à la solidarité. Du point de vue de ses objectifs, le patrimoine commun de l’humanité cherche

donc à soustraire certains éléments à la souveraineté des États afin d’organiser leur gestion

commune. L’adjectif « commun » traduit la solidarité transnationale, tandis que le terme

« patrimoine » traduit la solidarité intergénérationnelle. Selon François Ost, un mouvement

dialectique s’avère être le caractère dominant du concept de patrimoine commun de

l’humanité : « du local (“ma” propriété, “mon” héritage), il conduit au global (le patrimoine

commun du groupe, de la nation, de l’humanité) ; du simple (tel espace, tel individu, tel

événement physique), il conduit au complexe (l’écosystème, l’espèce, le cycle) ; d’un régime

juridique indexé sur des droits et obligations individuels (droits subjectifs d’appropriation et

obligations correspondantes), il conduit à un régime qui prend en compte les intérêts diffus

(intérêts de tous, y compris des générations futures) et les responsabilités collectives ; d’un

statut axé principalement sur une répartition-attribution statique de l’espace (régime

monofonctionnel de la propriété), il conduit à la reconnaissance de la multiplicité des usages

dont les espaces et les ressources sont susceptibles, ce qui relativise nécessairement les partages

d’appropriation »296.

L’environnement est perçu comme une valeur commune à l’humanité dont la

préservation est l’affaire de la communauté internationale dans son ensemble297. C’est « le

domaine dans lequel le traditionnel concept de souveraineté des États se heurte à une

incontournable réalité : la globalité des phénomènes naturels »298. C’est pourquoi il a été

envisagé de protéger l’environnement à travers le concept de patrimoine commun de

l’humanité. Comme le souligne un auteur, l’acceptation de ce concept « ne porte pas ipso facto

294 Voy. sur cette notion : A. Kiss, La notion de patrimoine commun de l’humanité, RCADI, t. 175, 1982, p. 99-

256. 295 Voy. sur la distinction entre la notion et le concept : F.-P. Benoît, « Notions et concepts, instruments de la

connaissance juridique », in Mélanges en l’honneur du Professeur Gustave Peiser, sous la dir. de J.-M. Galabert

et M.-R. Tercinet PUG, 1995, p. 24-38. Pour l’auteur, le concept est « l’expression de la réalité profonde de

l’institution considérée ». 296 F. Ost, La nature hors la loi. L’écologie à l’épreuve du droit, La Découverte, 2003, p. 309-310, cité par Y.

Petit, « Le droit international de l’environnement a la croisée des chemins : globalisation versus souveraineté

nationale », op. cit., spéc. p. 35. 297 P. Daillier, M. Forteau et A. Pellet, Droit international public, op. cit., p. 1421, n° 736. 298 J.-J. Guillet, Rapport d’information n° 1669, sur « L’environnement, nouveau champ d’action de la diplomatie

française », AN, Commission des affaires étrangères, 13 mai 2009, p. 5.

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

68

atteinte »299 à la souveraineté des États. Ceux-ci peuvent continuer à « réaffirmer leur

prééminence », seulement, ils devraient s’assurer « que l’exercice de la souveraineté se fera

dans des conditions d’équité »300.

Pour autant, malgré les mérites incontestables du concept de patrimoine commun de

l’humanité, il paraît que son succès sur le plan juridique a été mitigé. En effet, ce concept n’est

pas présent en tant que tel dans les Déclarations de Stockholm de 1972 et de Rio de 1992, même

s’il est vrai que le préambule de la Déclaration de Rio reconnaît que « la Terre, foyer de

l’humanité, constitue un tout marqué par l’interdépendance ». De même, en matière de climat,

le premier alinéa du préambule de la Convention-cadre des Nations Unies sur le climat souligne

que « les changements du climat et de la planète et leurs effets néfastes sont un sujet de

préoccupation pour l’humanité toute entière ». Il est effectivement possible d’analyser ces

dispositions comme étant un écho de la logique du concept de patrimoine commun de

l’humanité. Cependant, cela suffit-il pour affirmer sa force juridique ? Pas vraiment, au regard

du faible nombre de textes juridiques y faisant référence et du manque d’application concrète

permettant de tester sa solidité301.

Aujourd’hui, le concept de patrimoine commun de l’humanité est plus ou moins tombé

en désuétude au profit d’un nouveau discours portant sur les « biens publics globaux »302.

78-2 Le climat, un bien public global ? Le concept de biens publics globaux, ou

biens publics mondiaux, fait apparaître la perception des risques collectifs comme la principale

motivation de l’action collective303. Il traduit la volonté de concilier le développement commun

et durable avec la souveraineté des États, tout en prenant en considération l’ampleur des

problèmes planétaires. Tout comme le concept de patrimoine commun de l’humanité, celui de

biens publics globaux n’a pas de signification juridique propre, ni de définition précise.

L’économiste américain Paul Samuelson définit les biens publics globaux comme des biens

dont il est impossible d’exclure un utilisateur et dont les utilisateurs ne sont pas rivaux304. Il

299 Ph. Le Prestre, Protection de l’environnement et relations internationales. Les défis de l’écopolitique mondiale,

Armand-Colin, coll. « Science politique », 2005, p. 97-98. 300 Ibid. 301 M.-C. Smouts, « Du patrimoine commun de l’humanité au biens publics globaux », in Patrimoines naturels au

Sud. Territoires, identités et stratégies locales, sous la dir. de M.-C. Cormier-Salem, D. Juhé-Beaulaton, J. Boutrais

et B. Rousse, IRD Éditions, coll. « Colloques et séminaires », 2005, p. 53-70, spéc. p. 59. 302 Voy. sur les biens publics mondiaux : F. Constantin (dir.), Les biens publics mondiaux. Un mythe légitimateur

pour l’action collective ?, L’Harmattan, 2002. 303 Y. Petit, « Le droit international de l’environnement à la croisée des chemins : globalisation versus souveraineté

nationale », op. cit., spéc. p. 37. 304 P. Samuelson, « The Pure Theory of Public Expenditure », The Review of Economics and Statistics, vol. 36, n°

4, 1954, p. 387-389.

Chapitre I. Contexte juridique de la lutte contre le changement climatique

69

peut s’agir, par exemple, de la paix, de la santé, de l’air pur. Mais la difficulté est grande

d’orchestrer la préservation de ces biens publics mondiaux. Le dioxyde de carbone en constitue

l’exemple type. Alors que les efforts de réduction de certains États profitent, en fin de compte,

à tous, d’autres États, à l’image des États-Unis et de la Chine pendant la première période de

mise en œuvre du Protocole de Kyoto, s’aménagent ce que l’on appelle un « passage

clandestin » pour ne pas avoir à participer à la préservation de ce bien commun.

De fait, la coopération internationale est souvent victime de la mauvaise volonté des

États. En l’absence de valeurs partagées, il est permis de douter que ce nouveau discours

permettra de progresser vers les objectifs de la coopération internationale.

79. Les deux concepts précités expriment pourtant un idéal qui garde toute son

importance « en un temps où la montée des risques globaux renforce la perception d’un destin

commun et d’un devoir collectif envers la planète »305. Devant le constat des limites du

multilatéralisme surgit une question épineuse : de quelle manière doit-on aborder la question

de la protection du climat pour parvenir à des résultats ? Manifestement, la communauté

internationale chargée de cette protection n’arrive pas à l’assurer de manière satisfaisante. La

tendance au repli national et la volonté de privilégier leurs intérêts économiques immédiats

démontrent l’incapacité des États de construire un régime juridique efficace du climat. Dans ce

contexte, la conciliation des valeurs s’impose inéluctablement. Le droit international devrait

véhiculer des valeurs partagées, autrement, il se prive de toute efficacité. Autant dire que le

chemin à parcourir est encore long, mais des perspectives existent en vue d’une meilleure

protection internationale du climat.

B. Des perspectives en vue d’une meilleure protection internationale du climat

80. Il est vrai que les États ont compris la nécessité d’agir au cœur des activités

économiques pour lutter contre le réchauffement climatique. Toutefois, les outils mis en œuvre

pour instaurer un mode de développement économique moins émetteur de gaz à effet de serre

sont d’une portée limitée. De fait, le régime construit par les États en matière de lutte contre le

réchauffement climatique ne permet pas d’atteindre des résultats à la hauteur des enjeux de la

question. Dès lors, pour parvenir à une meilleure protection du climat, il convient de faire un

305 M.-C. Smouts, « Du patrimoine commun de l’humanité au biens publics globaux », op. cit., spéc. p. 67.

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

70

effort supplémentaire dans la prise en compte de la transversalité de la question climatique (1),

en s’appuyant notamment sur les acteurs non étatiques et, en particulier, sur le secteur privé (2).

1. Une prise en compte de la transversalité de la question climatique

81. Le régime du climat n’a pas été pensé à son origine comme un véritable

droit de la transformation des processus de production. Ceci aurait pourtant eu pour

conséquence d’inclure dans le cœur de ce régime l’idée de conciliation des objectifs

environnemental et économique. La transformation des processus de production permet, en

effet, de réduire la dépendance des activités économiques aux énergies fossiles et, ainsi, d’agir

à la source du problème du réchauffement climatique. Elle ne demande pas de privilégier un

objectif au détriment de l’autre. Au contraire, elle est synonyme d’équilibre et de conciliation.

On comprend déjà à ce niveau que l’étude du régime du climat ne saurait échapper aux

embarras d’ordre épistémologique. Le problème climatique a été approché comme un « banal

problème d’environnement » 306. Il s’est développé ainsi à partir d’une « erreur fondamentale

de perspective »307. Il fut appréhendé comme un problème de pollution, et non comme un

problème transversal dont la résolution passe à travers son intégration dans les systèmes

économiques. Pourtant, ses enjeux sont particulièrement multiples et englobent, entre autres, la

santé humaine, la population, le développement économique, les intégralités étatiques. Depuis

le début, on considère qu’il poursuit un objectif environnemental : « stabiliser […] les

concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère à un niveau qui empêche toute

perturbation anthropique dangereuse du système climatique »308. L’objectif de développement

économique ne lui est cependant pas étranger : « les mesures prises pour parer aux changements

climatiques doivent être étroitement coordonnées avec le développement social et économique

afin d’éviter toute incidence néfaste sur ce dernier, compte tenu des besoins prioritaires

légitimes des pays en développement »309. Cette porte ouverte aux limitations des engagements

d’atténuation justifiée par les « besoins prioritaires légitimes » de croissance économique de

certains pays, a eu pour conséquence de relativiser la portée de l’objectif environnemental, si

bien qu’en pratique, les préoccupations économiques ont pris le devant sur les préoccupations

environnementales. Autrement dit, les États ont choisi de faire de la définition de seuils

306 G. Prins, et alii, « Communication de Hartwell. Une nouvelle orientation pour la politique climatique après

l’échec de 2009 », London School of Economics, 2010, p. 18. 307 Ibid. 308 CCNUCC, art. 2. 309 CCNUCC, préambule.

Chapitre I. Contexte juridique de la lutte contre le changement climatique

71

d’émission de gaz à effet de serre la problématique centrale au sein du régime du climat. Dans

le même temps, ils se sont garantis une marge de manœuvre importante pour la définition de

ces seuils et ils ont aménagé des hypothèses dans lesquelles ils seraient exemptés de toute

contrainte en matière de réduction de leurs émissions. Le fait d’avoir défini le problème

climatique comme un problème environnemental ne leur a pas permis pour autant d’assurer une

meilleure protection du climat. Comme le soulignent des auteurs, « en ciblant les émissions de

CO2 au lieu de s’attaquer aux modes de développement économique, aux règles du commerce

international ou au fonctionnement du système énergétique mondial, le régime du climat a

établi des “murs coupe-feu” entre le climat et les autres régimes internationaux »310.

Au vu de ces éléments, il est préférable, à l’avenir, de traiter la problématique

climatique en prenant mieux en compte sa transversalité, dans la logique du concept de

développement durable.

82. Le régime du climat gagnerait en efficacité s’il mobilisait le concept de

développement durable de manière honnête, sans le vider de sa substance. Avant tout,

précisons ce que l’on entend par « développement durable ». La notion de développement

durable a émergé dès 1987 suite à la publication du rapport Notre avenir à tous de la

Commission mondiale sur l’environnement et le développement, plus connue comme la

Commission Brundtland311. La définition du développement durable qui nous vient de ce

rapport est puissante ; nous l’entendons toujours résonner. Il s’agit du « développement qui

répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de

répondre aux leurs »312. Au sein de cette définition, l’équité intergénérationnelle apparaît

comme essentielle. Le développement préconisé est celui qui tient compte des limites

écologiques de la planète, en utilisant au mieux ses ressources. Ainsi, le développement durable

se trouve à l’intersection des sphères économique, sociale et environnementale. Ces trois

sphères correspondent à ses trois piliers. Ce qui est recherché à travers ce concept, c’est le juste

équilibre entre croissance économique, responsabilité sociale et respect de l’environnement.

Dans ce sens, le développement durable apparaît comme un « concept porteur d’un but et d’un

310 S. Aykut et A. Dahan, Gouverner le climat ? 20 ans de négociations internationales, Presses de Sciences Po,

coll. « Références », 2015, p. 433-434. 311 Rapport de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement, Notre avenir à tous, Éditions

du Fleuve, Montréal, 1989. 312 Ibid., p. 40.

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

72

moyen, celui de l’équilibre entre les trois piliers »313. C’était également le leitmotiv de la

Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement, tenue en 1992 à Rio

de Janeiro. Depuis, le concept de développement durable est définitivement inscrit dans le droit

international.

Les textes des accords internationaux en matière de climat font souvent mention du

concept de développement durable. La protection du climat est d’ailleurs identifiée comme un

enjeu pour le développement durable, car les risques liés au réchauffement climatique

concernent les trois domaines social, économique et environnemental. La Convention-cadre des

Nations Unies sur le climat prône la recherche de conciliation. Elle indique que le niveau de

concentration de gaz à effet de serre dans l’atmosphère propre à garantir la stabilité du système

climatique doit être atteint « dans un délai suffisant pour que les écosystèmes puissent s’adapter

naturellement aux changements climatiques, que la production alimentaire ne soit pas menacée

et que le développement économique puisse se poursuivre de manière durable »314. On peut

déduire de cette disposition que le régime du climat mobilise le concept de développement

durable pour garantir la réalisation de son objectif environnemental de protection du climat.

C’est juste, du moins en théorie. En pratique, cependant, l’analyse de la mise en œuvre du

régime du climat démontre que les considérations d’ordre économique ont clairement la

préséance. L’objectif environnemental de protection de climat se plie devant ces considérations.

De fait, la mécanique juridique mise à l’œuvre au sein du régime du climat traduit une

préférence exprimée par les membres de ce régime à l’égard des valeurs économiques de court

terme. Il est vrai que la logique du développement durable qui insiste sur la conciliation entre

environnement et économie ne demande pas de rechercher un équilibre parfait entre ces

différentes préoccupations. Ou, pour reprendre la formule de George Vedel, la conciliation n’est

pas « un jugement de Salomon coupant exactement en deux moitiés parfaites l’objet du

litige »315. Des ajustements sont nécessaires et il est possible de donner une certaine priorité à

une préoccupation au détriment de l’autre, dans une mesure raisonnable toutefois. La priorité

donnée à un objectif, fût-il légitime, ne doit pas avoir pour effet de vider un autre objectif de sa

substance. La croissance économique devrait améliorer le niveau de vie, et non pas se faire au

détriment de l’environnement. Or, nous constatons, encore aujourd’hui, que le développement

313 B. Lormeteau, « La validation par le Conseil constitutionnel de la méthode de transition comme principe

directeur de l’action publique dans le champ de l’énergie », Constitutions, octobre-décembre 2015, n° 2015-4, p.

607-611. 314 CCNUCC, art. 2. 315 G. Vedel, « La place de la Déclaration de 1789 dans le “bloc de constitutionnalité” », in La Déclaration des

droits de l’homme et du citoyen et la jurisprudence, PUF, coll. « Recherches politiques », 1989, p. 59.

Chapitre I. Contexte juridique de la lutte contre le changement climatique

73

des pays se réalise en générant la dégradation de l’environnement. En matière de climat, le

Protocole de Kyoto prévoit des exceptions permettant aux membres du régime du climat de se

soustraire à des engagements d’atténuation ou de limiter leurs efforts pour s’y conformer.

L’Accord de Paris laisse à chaque État le soin de définir unilatéralement sa contribution. Certes

justifiables, ces logiques deviennent paradoxales dès lors que leur mise en place ne

s’accompagne pas de l’attribution de pouvoirs de contrôle à l’échelon supranational.

83. Il ressort de ce qui précède que la transversalité de la question climatique

n’est prise en compte qu’imparfaitement dans le régime du climat. La question climatique

est transversale à double titre.

D’une part, les décisions prises en marge du régime du climat en matière de commerce,

de transport, d’agriculture, d’investissement ne sont pas neutres du point de vue de la lutte

contre le changement climatique. Inversement, les décisions prises dans le cadre du régime du

climat ont des répercussions sur pratiquement l’ensemble des domaines juridiques. Dans une

perspective de développement durable, une meilleure prise en compte de ces aspects

transversaux pourrait sans doute permettre de relever plus facilement et plus efficacement le

défi climatique.

D’autre part, la question climatique implique de prendre en compte le facteur temps.

Le régime du climat, à l’instar des autres régimes internationaux316, évoque le concept de

générations futures lequel implique que les décisions prises aujourd’hui prennent en

considération les besoins de demain. Le pouvoir des générations présentes sur l’avenir implique

qu’elles assument une responsabilité à l’égard des générations futures, dont l’objet n’est rien

d’autre, en réalité, que la perpétuation de l’humanité. En ce sens, cette responsabilité se

rapproche davantage de l’idée d’équité que l’on retrouve, d’ailleurs, systématiquement dans les

textes internationaux en matière de climat317. Cela dit, nous avons vu que le développement

économique immédiat est souvent privilégié au détriment de la protection de l’environnement.

La protection des conditions de vie des générations futures est perçue comme une contrainte

supplémentaire voire disproportionnée. Pourtant, nous nous rappelons que lors de la

316 Voy. sur l’enracinement de ce concept dans l’ordre juridique international : É. Gaillard, Générations futures et

droit privé. Vers un droit des générations futures, préf. M. Delmas-Marty, L.G.D.J., 2011, p. 162-170. 317 Par exemple, selon l’article 4.1 de l’Accord de Paris : « En vue d’atteindre l’objectif de température à long

terme énoncé à l’article 2, les Parties cherchent à parvenir au plafonnement mondial des émissions de gaz à effet

de serre dans les meilleurs délais […] sur la base de l’équité, et dans le contexte du développement durable et de

la lutte contre la pauvreté ».

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

74

construction du régime juridique international du climat, les Parties à la CCNUCC se disaient

« résolues à préserver le système climatique pour les générations présentes et futures »318.

84. La prise en compte de la transversalité de la question climatique est

fondamentale pour relever le défi climatique. Naturellement, elle suppose l’implication de

l’ensemble des acteurs du climat, quelles que soient les échelles d’intervention. Nous allons

voir à présent qu’une coopération renforcée avec le secteur privé peut être un facteur

d’amélioration de la protection internationale du climat.

2. Une coopération renforcée avec le secteur privé

85. Avant d’être évoquée par le droit conventionnel, la question de l’implication

du secteur privé dans la lutte contre le changement climatique a fait l’objet de

développements par le biais du droit dérivé du climat319. Effectivement, la Convention-

cadre des Nations Unies sur le climat n’y fait pas référence. En revanche, les textes qui ont suivi

expriment clairement cette nécessité, dans trois domaines en particulier320. Tout d’abord, en

matière de mise au point et de transfert de technologies, la Conférence des Parties a reconnu

que le secteur privé constitue l’un des « principaux acteurs »321 et que dans ce domaine, les

États devaient « renforcer l’interaction entre les pouvoirs publics et le secteur privé »322. Dans

le même ordre d’idée, elle a encouragé les États « à intensifier les travaux privés et publics de

recherche, de développement et de démonstration de technologies d’atténuation et

d’adaptation »323. Ensuite, en matière de renforcement des capacités des pays en

développement, la Conférence des Parties a reconnu l’importance pour les pays en

318 CCNUCC, préambule. 319 Constitué des décisions adoptées par la COP. La fonction principale de ce droit dérivé consiste à préciser le

contenu des normes conventionnelles (Convention-cadre des Nations Unies sur le climat, Protocole de Kyoto,

Accord de Paris). Sa valeur juridique est incertaine. Selon Sandrine Maljean-Dubois et Matthieu Wemaëre, « la

mesure dans laquelle ces décisions pourraient créer de nouvelles obligations, être source de droit et pas seulement

annoncer de futures règles ou permettre d’infléchir l’interprétation des règles existantes, est peu claire et demeure

discutée entre les Parties ». Plus loin, les auteurs ajoutent qu’« une décision de la COP peut être politiquement

contraignante. Mais au-delà, c’est toujours un acte juridique (legal) qui peut être ou pas juridiquement obligatoire

(legally binding). Seule une analyse casuistique, conduite disposition par disposition, permet de le déterminer » :

« Après Durban, quelle structuration juridique pour un nouvel accord international sur le climat ? », Revue

juridique de l’environnement, vol. 37, n° 2, 2012, p. 269-282, spéc. p. 278. 320 G. de Lassus Saint-Geniès, Droit international du climat et aspect économique du défi climatique, op. cit., p.

42-43. 321 Décision 3/CP.13, Mise au point et transfert de technologies dans le cadre de l’Organe subsidiaire de conseil

scientifique et technologique, FCCC/CP/2007/6/Add.1, 14 mars 2008, p. 18. 322 Ibid. 323 Décision 1/CP.16, Les accords de Cancún : Résultats des travaux du Groupe de travail spécial de l’action

concertée à long terme au titre de la Convention, FCCC/CP/2010/7/Add.1, 15 mars 2011, p. 21.

Chapitre I. Contexte juridique de la lutte contre le changement climatique

75

développement de faire appel au secteur privé324 et encourage la participation du secteur privé

aux initiatives mises en œuvre dans ce domaine325. Enfin, en matière de financement, plusieurs

dispositions ont invité les États à stimuler les investissements en provenance du secteur privé326.

Effectivement, le financement du changement climatique est une étape cruciale dans la prise en

compte des contraintes écologiques327. Le secteur public joue « un rôle chef »328, mais la plupart

des financements en la matière sont pris en charge par le secteur privé, c’est-à-dire

essentiellement par les professionnels de l’assurance qui couvrent les risques liés au

changement climatique, et par les professionnels du secteur bancaire qui proposent des produits

d’investissement intégrant la contrainte climatique329.

Quant au droit conventionnel, l’Accord de Paris opère un basculement des

perspectives330 en encourageant les Parties « à œuvrer étroitement avec les entités non parties,

afin de favoriser le renforcement des activités d’atténuation et d’adaptation »331. Par « entités

non parties », il convient d’entendre les acteurs infra et non étatiques, et donc notamment les

entreprises du secteur privé.

86. C’est donc l’Accord de Paris qui reconnaît officiellement une « mission

climatique » aux acteurs du secteur privé. Concrètement, il les invite « à amplifier leurs

efforts et à appuyer des mesures destinées à réduire les émissions et/ou renforcer la résilience

et diminuer la vulnérabilité aux effets néfastes des changements climatiques »332. Si l’Accord

de Paris s’adresse avant tout aux États qui devront mettre en œuvre les mesures destinées à

réaliser les différents objectifs fixés par leurs contributions nationales, il reste qu’il exprime la

nécessité pour les États de s’appuyer sur les acteurs non étatiques. C’est incontestablement une

originalité par rapport aux traités précédents. Les États ont pris conscience de la nécessité

324 Décision 1/CP.7, La Déclaration ministérielle de Marrakech, FCCC/CP/2001/13/Add.1, 21 janvier 2002, p. 3. 325 Décision 2/CP.7, Renforcement des capacités dans les pays en développement (Parties non visées à l’annexe

I), FCCC/CP/2001/13/Add.1, 21 janvier 2002, p. 12. 326 Par exemple : Décision 2/CP.7, Renforcement des capacités dans les pays en développement (Parties non visées

à l’annexe I), op. cit., p. 13 : « Des ressources financières et techniques devraient être fournies par l’intermédiaire

[…] du secteur privé ». 327 Voy. sur cette question : M. Teller, « Quel financement pour le changement climatique ? », D., 2015, p. 2275. 328 Ibid. 329 Ibid. 330 M.-P. Blin Franchomme, « Quel rôle dans la lutte contre le changement climatique pour l’entreprise ? », in

« Quel droit pour sauver le climat ? » (Rapport de recherche), sous la dir. de Mathilde Hautereau-Boutonnet,

Université Jean Moulin Lyon 3, 2018, p. 9. 331 Projet de décision -/CP.21, Adoption de l’Accord de Paris. Proposition du Président, FCCC/CP/2015/L.9, 12

décembre 2015, p. 19. 332 Ibid., p. 21.

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

76

d’impliquer le secteur privé dans la lutte contre le changement climatique, pour deux raisons

principalement.

Premièrement, l’implication du secteur privé dans la lutte contre le changement

climatique se comprend aisément dans la mesure où les entreprises, plus que les gouvernements,

sont à l’origine des émissions de gaz à effet de serre. Il est donc logique de chercher à

responsabiliser les entreprises, ce qui, à l’échelle internationale, se fait par le moyen de

l’incitation plutôt que de la contrainte.

Deuxièmement, les États sont conscients que si les entreprises sont responsables d’une

grande partie des émissions de gaz à effet de serre, elles peuvent aussi, en partenariat avec les

gouvernements, faire partie de la solution. Dans le contexte de la mondialisation333, le secteur

privé a acquis une importance telle que ses moyens sont devenus plus conséquents que ceux

des États. Il est des entreprises, effectivement, dont la puissance économique est supérieure à

celle de certains États ou, comme disait Gérard Farjat, dont le pouvoir est « analogue sur le plan

matériel à celui de la puissance publique »334. Leurs moyens financiers et technologiques leur

permettent d’appuyer voire de mener les actions en matière de lutte contre le changement

climatique, et les membres du régime international du climat en sont tout à fait conscients. C’est

pourquoi le changement climatique est souvent présenté comme une opportunité pour le secteur

privé d’innover et de se placer en tête sur de nouveaux marchés. Les décisions précitées de la

COP rendues en matière de financement et de transfert de technologies illustrent parfaitement

cette prise de conscience des gouvernements de l’importance du secteur privé dans la lutte

contre le changement climatique.

87. En résumé, dans le cadre de cette section, nous avons survolé les différents

instruments juridiques en matière de lutte contre le changement climatique mis en place à

l’échelle internationale dans le cadre de la coopération multilatérale. Nous avons pu observer

les différentes difficultés que les États ont éprouvées pour construire le régime juridique

international du climat. Bien que prometteur, ce régime est encore perfectible. Depuis plus de

vingt ans, les États mènent des négociations laborieuses. Malgré tous les efforts déployés, les

résultats ne sont toujours pas à la hauteur des enjeux. La vitesse, ou plutôt la lenteur, à laquelle

se construisent les réponses juridiques paraissent difficilement compatibles avec le rythme qu’il

faudrait adopter pour sauver le climat. Pourtant, l’urgence se fait ressentir de plus en plus.

333 Voy. supra n° 16. 334 G. Farjat, « Les pouvoirs privés économiques », in Souveraineté étatique et marchés internationaux à la fin du

XXe siècle, Mélanges en l’honneur de Ph. Kahn, Litec, 2000, p. 613.

Chapitre I. Contexte juridique de la lutte contre le changement climatique

77

L’Accord de Paris, qui était une source d’espoir pour les promoteurs de la lutte contre le

réchauffement climatique, se résume à un outil de coopération qui pose un cadre relativement

ambitieux mais dont la capacité à changer de paradigme de développement demeure très

largement incertaine.

Plusieurs questions demeurent. Comment assurer l’équilibre entre préoccupations

environnementales de plus long terme et préoccupations économiques de court terme ? Si le

changement climatique implique un changement de paradigme de développement, comment

garantir la participation de l’ensemble des acteurs de la vie économique ? Comment articuler le

problème climatique avec le problème de la globalisation ? Si le droit international du climat

est lacunaire, où faut-il aller chercher les réponses ? L’étude du régime juridique international

du climat nous apprend que la tâche ne revient pas seulement aux États. Pour toucher l’ensemble

des acteurs de la vie économique, ce régime doit aussi trouver son prolongement dans les droits

internes. Qu’en est-il, dès lors, de la lutte contre le changement climatique dans l’ordre juridique

français ?

Section 2. La lutte contre le changement climatique dans l’ordre juridique français

88. Pour lutter contre le changement climatique, la gouvernance transnationale a

besoin de s’appuyer sur la gouvernance interne, les États devant jouer un rôle d’articulateur

dans le processus de gestion de la crise climatique. Depuis l’adoption de la Convention-cadre

des Nations Unies sur les changements climatiques, la question climatique, jadis peu discutée,

s’est hissée au sommet des préoccupations politiques de l’ensemble des pays industrialisés. Les

engagements nationaux qui en ont découlé ont mené à l’adoption de politiques climatiques plus

ou moins ambitieuses en fonction des États.

Pour sa part, l’État français a constamment réaffirmé sa volonté de lutter contre le

changement climatique. Les engagements pris à l’échelle internationale ont trouvé leur pendant

dans l’élaboration de politiques climatiques nationales (§1), si bien que la question de la lutte

contre le changement climatique a fini par être inscrite dans l’ordre juridique français. Cela dit,

l’outil privilégié pour la mise en œuvre des politiques publiques en matière de climat semble

être l’outil économique, et non pas l’outil réglementaire (§2). Or, les instruments économiques,

qui certes se développent à l’intérieur d’un cadre général réglementaire, se distinguent de la

réglementation par leur souplesse et leur flexibilité. Ils offrent aux acteurs du changement

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

78

climatique une latitude d’action335, tout en permettant, du moins en théorie, d’atteindre les

objectifs des politiques publiques.

§1. Les politiques publiques en matière de climat

89. Soulignons d’emblée que, d’une manière générale, la définition d’une politique

publique336 révèle des conflictualités et suppose des arbitrages. Ceci est d’autant plus vrai,

d’ailleurs, dans un contexte marqué par les incertitudes de la régulation juridique337, où les

questions de la territorialité et de la temporalité du droit se posent à nouveau, d’une façon

nouvelle. La problématique climatique est révélatrice de ces difficultés. Elle suppose des

changements de comportements, des renoncements et des engagements que la puissance

publique ne peut imposer sans discussion et sans l’implication de l’ensemble des acteurs

concernés. À l’instar des autres politiques publiques, les politiques climatiques sont la

résultante de l’intervention d’acteurs et d’instances multiples338.

Ces précisions sont importantes car elles permettent de comprendre les particularités

de l’élaboration (A) et de la mise en œuvre (B) des politiques publiques en matière de climat

et, partant, de ce nouveau « droit climatique »339 dont les contours se dessinent petit à petit.

A. Cadre général des politiques publiques en matière de climat

90. En France, la lutte contre le changement climatique est une préoccupation des

autorités publiques et une question de politique nationale. Cette politique nationale, qui s’inscrit

dans le cadre de la mise en œuvre des traités internationaux signés par l’État français en matière

de climat (1), a introduit la question climatique dans le droit français (2).

335 S. Caudal et M. Poumarède, « Principe pollueur-payeur. Approches droit public/droit privé », op. cit., spéc. p.

59. 336 Le concept de « politique publique » désigne les « interventions d’une autorité investie de puissance publique

et de légitimité gouvernementale sur un domaine spécifique de la société ou du territoire » : J.-C. Thoenig,

« Politique publique », in Dictionnaire des politiques publiques, sous la dir. de L. Boussaguet, S. Jacquot et P.

Ravinet, Presses de Sciences Po, coll. « Références », 3ème éd., 2010, p. 420-427. 337 Voy. sur cette question : J. Chevallier, « La régulation juridique en question », Droit et société, vol. 49, n° 3,

2001, p. 827-846. 338 J. Commaille, À quoi nous sert le droit ?, Éditions Gallimard, coll. « Folio essais », 1re éd., 2015, p. 332. 339 Voy. notamment : M. Hautereau-Boutonnet, « Quel “droit climatique” ? », in « Quel droit face au changement

climatique ? » (Dossier), D., 2015, p. 2260.

Chapitre I. Contexte juridique de la lutte contre le changement climatique

79

1. Les engagements juridiques internationaux de la France en matière de climat

91. La France s’est toujours montrée favorable à l’adoption de mesures de lutte

contre le changement climatique. Son rôle moteur dans la diplomatie climatique est

d’ailleurs indéniable. Nous nous rappelons du fameux discours du Président Jacques Chirac

prononcé en 2002 à l’occasion du Sommet mondial sur le développement durable à

Johannesburg, en Afrique du Sud. « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs »340, disait

le président français, pour attirer l’attention de la communauté internationale sur l’urgence

d’agir face à une « nature, mutilée, surexploitée, [qui] ne parvient plus à se reconstituer »341.

Ensuite, il évoquait les « cinq chantiers prioritaires »342 d’action pour les gouvernements, dont

le premier est le changement climatique : « Le changement climatique d’abord. Il est engagé

du fait de l’activité humaine. Il nous menace d’une tragédie planétaire. Il n’est plus temps de

jouer chacun pour soi. De Johannesburg, doit s’élever un appel solennel vers tous les pays du

monde, et d’abord vers les grands pays industrialisés, pour qu’ils ratifient et appliquent le

Protocole de Kyoto. Le réchauffement climatique est encore réversible. Lourde serait la

responsabilité de ceux qui refuseraient de le combattre »343. Ce discours résonne encore

aujourd’hui comme un cri d’alarme et un appel à ceux qui persistent à minimiser les enjeux de

ce fléau qu’est le changement climatique.

92. Au titre du Protocole de Kyoto, la France s’est engagée, dans un premier

temps, à stabiliser ses émissions entre 1990 et 2010. Pour rappel, en tant que pays

industrialisé faisant partie de l’annexe I de la Convention-cadre des Nations Unies sur le climat

(CCNUCC)344, elle avait l’obligation de limiter ses émissions de gaz à effet de serre, en mettant

notamment en œuvre une politique nationale d’atténuation des changements climatiques. Si la

CCNUCC ne donnait aucune indication chiffrée sur le niveau de concentration de gaz à effet

de serre à contenir, et restait en ce sens assez vague, en revanche, le Protocole de Kyoto, qui

constituait une étape majeure dans la mise en œuvre de cette convention, posait des

engagements chiffrés de réduction pour les pays les plus industrialisés et proposait des

340 Déclaration de M. Jacques Chirac, Président de la République, sur la situation critique de l’environnement

planétaire et les propositions de la France pour un développement durable, Johannesburg, le 2 septembre 2002. 341 Ibid. 342 Ibid. Il s’agit du changement climatique, de l’éradication de la pauvreté, de la diversité biologique et culturelle,

des modes de production et de consommation, et, enfin, de la gouvernance mondiale, pour humaniser et pour

maîtriser la mondialisation. 343 Ibid. 344 Voy. supra nos 59 et 61.

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

80

mécanismes devant permettre le respect de ces engagements. L’objectif initial du Protocole de

Kyoto était de parvenir durant la période d’engagement allant de 2008 à 2012 à la réduction des

émissions de gaz à effet de serre d’origine anthropique d’au moins 5 % par rapport aux niveaux

de 1990. Pour sa part, la France devait simplement stabiliser ses émissions. Cet objectif de 0 %

s’explique par le fait que l’empreinte carbone issue du mix énergétique345 final français était

relativement faible à cette époque. La cause en était la forte place de l’énergie nucléaire en

France, considérée comme neutre en carbone.

93. Notons par ailleurs que, dans l’attente d’un accord venant prendre le relais du

Protocole de Kyoto, les États membres de l’Union européenne se sont engagés conjointement

à diminuer leurs émissions de 20 % par rapport aux émissions de 1990346. C’est ainsi qu’a été

adopté, en 2008, sous présidence française de l’Union européenne, le Paquet climat-énergie, ou

paquet 2020347. Il faut savoir que les politiques climatiques européennes comportent trois

grands volets : le marché carbone européen, le « partage de l’effort » (transport348, agriculture,

déchets, bâtiments) et la politique UTCF349. Ainsi, pour ce qui concerne le secteur du « partage

de l’effort », l’objectif de réduction des émissions a été fixé au niveau de l’ensemble de l’Union

européenne à 10 % en 2020 par rapport à 2005350, en cohérence avec la réduction de 20 % tous

345 Le terme de « mix énergétique » ou « bouquet énergétique » désigne la répartition des différentes sources

d’énergies primaires utilisées pour les besoins énergétiques dans une zone géographique donnée. Il inclut les

énergies fossiles (pétrole, gaz naturel, charbon), le nucléaire, les déchets non renouvelables et les diverses énergies

renouvelables. 346 Pour information, au titre du protocole de Kyoto, l’Union européenne s’était engagée à réduire ses émissions

de gaz à effet de serre de 8 % au cours de la période 2008-2012. Mais l’ambition européenne était plus forte pour

la seconde période d’engagement. 347 Le Paquet climat-énergie consiste en un ensemble de textes de droit dérivé fixant des objectifs précis à l’horizon

2020. Il fixe trois grands objectifs : réduire les émissions de gaz à effet de serre de 20 %, porter à 20 % la part des

énergies renouvelables dans la consommation d’énergie de l’Union européenne, améliorer l’efficacité énergétique

de 20 %, d’où l’expression « 3x20 ». Le Paquet climat-énergie comprend notamment quatre textes datés du 23

avril 2009 : Directive 2009/28/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 relative à la promotion

de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables et modifiant puis abrogeant les directives

2001/77/CE et 2003/30/CE, JOUE L 140 du 5 juin 2009, p. 16-62 ; Directive 2009/29/CE du Parlement européen

et du Conseil du 23 avril 2009 modifiant la directive 2003/87/CE afin d’améliorer et d’étendre le système

communautaire d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre, JOUE L 140 du 5 juin 2009, p. 63-87 ;

Directive 2009/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 relative au stockage géologique du

dioxyde de carbone et modifiant la directive 85/337/CEE du Conseil, les directives 2000/60/CE, 2001/80/CE,

2004/35/CE, 2006/12/CE et 2008/1/CE et le règlement (CE) n° 1013/2006 du Parlement européen et du Conseil,

JOUE L 140 du 5 juin 2009, p. 114-135 ; Décision n° 406/2009/CE du Parlement européen et du Conseil du 23

avril 2009 relative à l’effort à fournir par les États membres pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre

afin de respecter les engagements de la Communauté en matière de réduction de ces émissions jusqu’en 2020,

JOUE L 140 du 5 juin 2009, p. 136-148. Pour rappel, la décision est un acte de droit dérivé de l’Union européenne.

Selon l’article 288 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, elle est obligatoire dans tous ses

éléments. Lorsqu’elle désigne des destinataires, elle n’est obligatoire que pour ceux-ci. 348 Étant précisé que l’aviation et le transport maritime international ne sont pas couverts. 349 Utilisation des terres, leurs changements et la forêt. 350 Alors qu’au niveau international, on se réfère à l’année 1990, dans le cadre européen, la référence à l’année

2005 a été préférée pour bénéficier d’une base statistique plus solide.

Chapitre I. Contexte juridique de la lutte contre le changement climatique

81

secteurs confondus par rapport à 1990. Dans ce cadre, la France s’est vu attribuer un objectif

de réduction de 14 % par rapport à 2005 pour les émissions des secteurs non couverts par le

marché carbone. Il s’agit donc principalement du secteur tertiaire, du secteur résidentiel, du

transport, de l’agriculture, des déchets. Cet engagement français a incontestablement permis

d’accélérer la dynamique européenne.

Pour l’horizon 2030351, les grands objectifs de l’Union européenne ont été arrêtés par

le Conseil européen en octobre 2014. Il s’agit en particulier de l’objectif de réduire les émissions

de gaz à effet de serre d’au moins 40 % en 2030 par rapport à 1990, en partageant équitablement

les efforts entre les États membres. Cet objectif de 40 % a marqué la volonté de l’Europe d’être

en pointe sur ce sujet et constitué le cœur de son engagement dans le cadre de l’Accord de Paris

de 2015352.

Dans le prolongement de l’Accord de Paris, la Commission européenne a présenté

deux nouvelles propositions de « paquets législatifs »353. Le 20 juillet 2016, elle a proposé un

premier paquet législatif destiné à accélérer les réductions d’émissions de gaz à effet de serre,

sur la période 2021-2030, dans les secteurs non couverts par le système d’échange de quotas

d’émission. Dans ce cadre, la France s’est vu assigner un objectif de réduction de 37 %. Le 30

novembre 2016, la Commission a proposé un second paquet législatif ayant pour objectif « une

énergie propre pour tous les Européens ». Toutefois, ce second paquet législatif prévoit que les

États membres ne seraient plus tenus à des objectifs individuels. Ils disposeraient ainsi d’une

plus grande flexibilité pour atteindre leurs objectifs. La seule obligation contraignante chiffrée

serait que leur mix énergétique ne contienne pas une part d’énergie de source renouvelable

inférieure à celle fixée par le droit antérieur pour l’horizon 2020, afin d’éviter les régressions354.

351 Voy. Communication de la Commission du 20 juillet 2016, « Accélérer la transition de l’Europe vers une

économie à faible intensité de carbone », COM(2016) 500 final ; Communication de la Commission du 30

novembre 2016, « Une énergie propre pour tous les Européens », COM(2016) 860 final ; Règlement (UE)

2018/841 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018 relatif à la prise en compte des émissions et des

absorptions de gaz à effet de serre résultant de l’utilisation des terres, du changement d’affectation des terres et de

la foresterie dans le cadre d’action en matière de climat et d’énergie à l’horizon 2030, et modifiant le règlement

(UE) n° 525/2013 et la décision (UE) n° 529/2013, JOUE L 156 du 19 juin 2018, p. 1-25 ; Règlement (UE)

2018/842 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018 relatif aux réductions annuelles contraignantes des

émissions de gaz à effet de serre par les États membres de 2021 à 2030 contribuant à l’action pour le climat afin

de respecter les engagements pris dans le cadre de l’accord de Paris et modifiant le règlement (UE) n° 525/2013,

JOUE L 156 du 19 juin 2018, p. 26-42. 352 Voy. toutefois : P. Thieffry, « Le grand chambardement climatique et la transition énergétique. De Rio à Paris,

chronique d’une déconstruction du droit européen de l’environnement », AJDA, 2017, p. 1598. Selon l’auteur, « la

politique d’exemplarité qui avait conduit les Européens à anticiper sur la mise en œuvre du protocole de Kyoto,

puis sur la conférence de Copenhague, a fait place à Paris à une discrétion teintée de circonspection. Désormais

aussi frileuse que les autres grands pays émetteurs de gaz à effet de serre, l’Union y céda le devant de la scène aux

États-Unis et à la Chine ». 353 Ibid. 354 Ibid.

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

82

Notons enfin qu’en 2011, la Commission européenne a publié une feuille de route sur

la transition de l’Union européenne vers une économie sobre en carbone à l’horizon 2050355.

Cette feuille de route recommande que, d’ici à 2050, l’Union européenne réduise ses émissions

de 80 % par rapport aux niveaux de 1990 grâce à des mesures internes exclusivement, ce qui

impliquerait des réductions intermédiaires de 40 % d’ici à 2030 et de 60 % d’ici à 2040.

Pour résumer, dès le départ, l’action européenne dans le domaine du changement

climatique avait pour but de surpasser ce qui a pu être fait à l’échelle internationale. L’Europe

se voulait pionnière en matière de lutte contre le changement climatique. Dans les faits, elle

était devenue « la seule puissance capable de faire basculer les négociations internationales

engagées dans le cadre des Nations Unies du côté du raisonnable »356. En effet, nous nous

rappelons des difficultés qu’éprouvaient les États pour construire un régime juridique

international du climat qui serait à la hauteur des enjeux de la problématique climatique. La

construction de ce régime s’est avérée être une entreprise ô combien délicate, en raison des

divergences d’intérêts entre les différents pays et de l’impossibilité de parvenir à une

conciliation des valeurs. L’avantage de l’Union européenne consiste, du moins en théorie, en

ce que cette organisation est formée par des pays qui partagent la même préoccupation

environnementale et disposent d’institutions communes ainsi que d’une culture de coopération

ancienne357. Il est vrai, cependant, qu’en pratique, les États membres ne progressent pas

forcément de manière homogène vers leurs objectifs, ce qui traduit un manque de cohésion dans

la stratégie européenne de lutte contre le changement climatique358. Quoi qu’il en soit, nous

comprenons l’importance de l’Union européenne pour la détermination de politiques

climatiques nationales ambitieuses, en accord également avec les engagements internationaux

des États membres. Encore aujourd’hui, l’Europe semble avoir une position de leadeur dans la

lutte contre le changement climatique. Et la France est l’un des pays membres qui œuvrent le

plus en faveur de cette dynamique de lutte contre le changement climatique.

94. Alors que la tâche s’annonçait ardue, la France s’est engagée, en 2012, dans

l’organisation de la COP 21. Cette Conférence des Parties a abouti à l’adoption de l’Accord

de Paris359. La France, qui avait fait de la lutte contre le changement climatique la priorité de

355 Communication de la Commission du 15 décembre 2011, « Feuille de route pour l’énergie à l’horizon 2050 »,

COM(2011) 885 final. 356 J. Le Cacheux et É. Laurent, « L’Union européenne dans la lutte contre le changement climatique », Regards

croisés sur l’économie, vol. 6, n° 2, 2009, p. 192-205, spéc. p. 192. 357 Ibid., spéc. p. 195. 358 Ibid., spéc. p. 197. 359 Voy. supra n° 71.

Chapitre I. Contexte juridique de la lutte contre le changement climatique

83

son agenda diplomatique, a été un acteur indispensable pour la ratification rapide de l’Accord

de Paris. L’entrée en vigueur de ce texte en un temps record a prouvé la détermination de la

communauté internationale face à l’emballement du thermomètre planétaire. Nous avons vu

précédemment que l’Accord de Paris ne fixe pas d’objectifs d’atténuation chiffrés par pays,

mais demande à chaque État de publier une contribution présentant ses efforts nationaux.

Certes, l’ambition de poursuivre la limite des 1,5 °C d’ici la fin du siècle est forte et mérite

d’être saluée. Pour autant, rien n’est encore joué car les États doivent se mobiliser sur des plans

d’actions rapides et solides.

La question de la mise en application de l’Accord de Paris a ainsi été au cœur des

négociations de la COP 22 qui s’est tenue à Marrakech du 7 au 18 novembre 2016. À cette

occasion, les engagements des États se sont renforcés. Pour sa part, la France s’est engagée à

atteindre la neutralité carbone en 2050.

95. En toute logique, les engagements de la France sur la scène internationale se

traduisent concrètement au niveau national. Certains de ses engagements sont retranscrits dans

l’ordre juridique interne, faisant ainsi rentrer la question climatique dans le droit français.

2. L’inscription de la question climatique dans l’ordre juridique français

96. La réalisation des engagements en matière de climat que la France a souscrits à

l’échelle internationale demande l’adoption de politiques publiques à l’échelle nationale. Or, il

faut souligner que c’est l’usage que les autorités publiques font du droit qui permet aux acteurs

des politiques publiques de les mettre en œuvre. Cet usage du droit dans le cadre de la mise en

œuvre des politiques publiques n’est cependant jamais uniforme. Concrètement, son emploi en

tant qu’instrument d’action varie selon les différents intérêts défendus et selon les stratégies

poursuivies. La question climatique en est l’illustration parfaite. Nous verrons que les

instruments mis au service de la lutte contre le changement climatique sont d’une remarquable

variété.

97. La politique climatique française a connu une première grande étape :

l’adoption, en 2004, du premier Plan Climat360. Afin d’assurer la mise en œuvre des

360 En application de l’article 2 alors en vigueur de la loi n° 2005-781 du 13 juillet 2005 de programme fixant les

orientations de la politique énergétique, dite loi POPE. Cet article, qui a été abrogé par la loi n° 2015-992 du 17

août 2015, disposait que : « La lutte contre le changement climatique est une priorité de la politique énergétique

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

84

engagements pris à Kyoto, ce Plan Climat 2004 décrit des actions nationales de prévention du

changement climatique à l’horizon 2012 et regroupe des mesures dans tous les secteurs de

l’économie et de la vie quotidienne des Français. Il a été actualisé, en 2006, afin de prendre en

compte l’évolution du prix de l’énergie, l’entrée en vigueur du Protocole de Kyoto en 2005 et

l’émergence d’un marché mondial de CO2. En outre, toujours en 2006, le gouvernement

français a adopté la Stratégie nationale d’adaptation au changement climatique qui exprime le

point de vue de l’État français sur la manière d’aborder la question de l’adaptation au

changement climatique. Cette stratégie a été élaborée dans le cadre d’une large concertation,

menée par l’Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique, impliquant les

différents secteurs d’activités ainsi que la société civile.

98. La deuxième grande étape de la politique climatique française, c’est le

Grenelle de l’environnement361. En 2007, à l’initiative des pouvoirs publics, les acteurs

impliqués dans la lutte contre le changement climatique ont été réunis pour essayer de trouver

les voies d’un consensus sur les mesures à mettre en place afin de parvenir à un développement

durable. Comme l’indique un auteur, « le caractère novateur de la démarche ne saurait être

contesté au niveau de l’organisation de la réflexion et de l’approche des questions

écologiques »362. Pour Michel Prieur, le Grenelle de l’environnement « n’est pas à proprement

parler un programme mais plutôt un processus de démocratie participative s’inspirant de

l’article 7 de la Charte de l’environnement »363. En effet, ce processus a réuni des représentants

de l’État, des collectivités locales, des associations pour la protection de l’environnement, des

entreprises et des salariés, afin de faire émerger en France des actions en faveur de l’écologie,

de l’environnement et de la biodiversité. L’un des six groupes de travail de ce Grenelle de

l’environnement était consacré au changement climatique et à l’énergie. Concrètement, ce

qui vise à diminuer de 3 % par an en moyenne les émissions de gaz à effet de serre de la France. En conséquence,

l’État élabore un “plan climat”, actualisé tous les deux ans, présentant l’ensemble des actions nationales mises en

œuvre pour lutter contre le changement climatique ». En outre, il prévoyait que « cette lutte devant être conduite

par l’ensemble des États, la France soutient la définition d’un objectif de division par deux des émissions mondiales

de gaz à effet de serre d’ici à 2050, ce qui nécessite, compte tenu des différences de consommation entre pays, une

division par quatre ou cinq de ces émissions pour les pays développés ». 361 J. Bétaille, « Le Grenelle de l’environnement, la France comble son retard ? », Revue européenne de droit de

l’environnement, n° 4, 2007, p. 437-454 ; D. Boy, M. Brugidou, Ch. Halpen et P. Lascoumes, Le Grenelle de

l’environnement. Acteurs, discours, effets, Armand Colin, 2012. 362 J. Bourrinet, « Le Grenelle de l’environnement : une nouvelle approche des politiques environnementales ? »,

LPA, 2008, n° 81, p. 81. 363 M. Prieur, Droit de l’environnement, Dalloz, coll. « Précis », 7ème éd., 2016, p. 49. L’article 7 de la Charte de

l’environnement auquel l’auteur fait référence consacre le droit pour toute personne d’accéder aux informations

relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions

publiques ayant une incidence sur l’environnement.

Chapitre I. Contexte juridique de la lutte contre le changement climatique

85

groupe travaillait sur les questions relatives aux transports, à l’aménagement, à la construction,

à l’habitat et à l’énergie. À l’issue du processus, le Président de la République Nicolas Sarkozy

rappelait, encore une fois, l’urgence d’agir face aux enjeux du changement climatique : « Il faut

avoir le courage de reconnaître que nous ne pouvons plus définir des politiques en ignorant le

défi climatique, en ignorant que nous détruisons les conditions de notre survie »364. Il exprimait

la nécessité que toutes les décisions publiques soient arbitrées « en intégrant leur coût pour le

climat, “leur coût en carbone” »365. Pour autant, cette vision est-elle réaliste ?

La transition vers une économie pauvre en carbone impose des contraintes fortes pour

la croissance, si bien que d’aucuns se sont interrogés sur le caractère potentiellement

disproportionné du risque économique induit par les politiques climatiques366. François-Guy

Trébulle rappelait ainsi que « depuis le lancement du processus à l’été 2007, la conjoncture

économique nationale et mondiale s’est fortement détériorée et, dans ce contexte, des

interrogations, sinon des doutes, [se sont exprimées] au sujet de l’impact économique des

mesures en faveur de l’environnement »367. Nous avons vu précédemment que ces

considérations ont joué au détriment de l’élaboration d’un régime juridique international du

climat plus ambitieux et efficace. La crainte était celle d’un risque de partage inéquitable de

l’effort générant des distorsions de concurrence368. Ceci est d’autant plus vrai pour la France

qui, certes doit encore améliorer ses performances en matière de lutte contre le changement

climatique, mais figure tout de même parmi les « meilleurs élèves » du point de vue de ses

standards environnementaux.

Quoi qu’il en soit, le Grenelle de l’environnement marque une étape importante, sinon

cruciale, pour la lutte contre le changement climatique. L’objectif de réduction des émissions

de gaz à effet de serre par quatre à l’horizon 2050, que l’on appelle le « facteur 4 »369, a été

confirmé dans le cadre du processus de concertation.

99. De surcroît, plusieurs textes législatifs organisent la mise en œuvre des

préoccupations du Grenelle de l’environnement. Dans un premier temps, le gouvernement a

364 Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, lors de la restitution des conclusions du

Grenelle de l’environnement, sur les engagements de la France pour le développement durable, Paris, le 25 octobre

2007. 365 Ibid. 366 F.-G. Trébulle, « L’influence de la crise sur le Grenelle de l’environnement », RDI, 2010, p. 15. 367 Ibid. 368 Ibid. 369 La notion de « facteur 4 » désigne l’objectif d’un pays de diviser par quatre ses émissions de gaz à effet de serre

entre le niveau de 1990 et celui de 2050. Cet objectif est considéré par le GIEC comme l’effort nécessaire à réaliser

par les pays industrialisés pour limiter la hausse de la température moyenne sur la planète à 2 °C d’ici à la fin du

XXIe siècle.

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

86

fait adopter par le parlement une loi du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en

œuvre du Grenelle de l’environnement, dite loi Grenelle 1370. Cette loi, qui ne contient que très

peu de dispositions normatives, a été facilement adoptée à la quasi-unanimité. Elle reprend

« sous forme bavarde »371 les conclusions du Grenelle de l’environnement et détermine les

objectifs de l’action de l’État, en application de l’article 34 de la Constitution révisé le 23 juillet

2008. Le premier titre de la loi est relatif à la lutte contre le changement climatique, laquelle est

« placée au premier rang des priorités »372 nationales. Dans cette perspective, l’engagement pris

par la France de diviser par quatre ses émissions de gaz à effet de serre entre 1990 et 2050 en

réduisant de 3 % par an, en moyenne, les rejets de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, est

confirmé et inscrit dans la loi. Effectivement, la loi fourmille d’objectifs qui sont exprimés en

termes généraux. De ce fait, la portée normative de ses dispositions est incertaine. Pour un

auteur, cependant, cette façon de procéder n’a rien de surprenant, dans la mesure où « le recours

par le droit à l’affichage d’objectifs qu’il poursuit est un phénomène très général,

symptomatique d’une nouvelle forme de normativité »373. La difficulté réside alors dans le

choix des instruments permettant d’approcher ces objectifs.

La deuxième loi consécutive au processus du Grenelle de l’environnement est la loi

du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, dite loi Grenelle 2374.

Cette loi a justement pour finalité de mettre en œuvre les objectifs du Grenelle de

l’environnement. Elle s’inscrit dans une réflexion d’ensemble et elle est le fruit d’un vaste débat

sociétal mobilisant un grand nombre d’acteurs du développement durable. Plutôt qu’une loi

« portant engagement national pour l’environnement », la loi Grenelle 2 est une véritable loi de

mise en œuvre. Cette « grosse loi »375, ce « monstre juridique »376, contient 257 articles et

constitue incontestablement une étape majeure dans l’expansion de la logique du

développement durable. En effet, malgré son intitulé, la loi Grenelle 2 s’inscrit davantage dans

la logique du développement durable que de l’environnement. D’ailleurs, son article 253, qui

370 Loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement,

JO, 5 août 2009. Voy. sur cette loi : Ph. Billet, « Premières impressions sur la loi de programmation relative à la

mise en œuvre du Grenelle de l’environnement », JCP A, n° 43, 2009, 2243 ; H. Vestur, « Grenelle I : une loi hors

norme… », Environnement, n° 2, févr. 2010, étude 4. 371 M. Prieur, Droit de l’environnement, op. cit., p. 53. 372 Loi n° 2009-967 du 3 août 2009, préc., art. 2. 373 A. Van Lang, « Les lois Grenelle : droit de l’environnement de crise ou droit de l’environnement en crise ? »,

Droit adm., n° 2, févr. 2011, étude 3. 374 Loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, JO, 13 juillet 2010.

Voy. sur cette loi : Ph. Billet, « De la loi Grenelle 1 à la loi Grenelle 2 », Revue juridique de l’environnement,

2010/5 (n° spécial), p. 19-26 ; Y. Jégouzo (dir.), Le Grenelle II commenté, Le Moniteur, 2011 ; id., « L’ambitieuse

loi portant engagement national pour l’environnement », AJDA, 2010, p. 1681. 375 Ibid. 376 M. Prieur, Droit de l’environnement, op. cit., p. 54.

Chapitre I. Contexte juridique de la lutte contre le changement climatique

87

modifie l’article L. 110-1 du code de l’environnement, précise que l’objectif de développement

durable répond à cinq finalités : la lutte contre le changement climatique, la préservation de la

biodiversité, des milieux et des ressources377, la cohésion sociale et la solidarité entre les

territoires et les générations, l’épanouissement de tous les êtres humains, une dynamique de

développement suivant des modes de production et de consommation responsables378. Encore

une fois, en tête de liste, on retrouve la lutte contre le changement climatique.

Dans le prolongement du Grenelle de l’environnement, le gouvernement a mis en

avant la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, dite loi

LTE379. Cette loi reformule la politique énergétique de la France de deux façons380. D’une part,

en mobilisant la croissance verte qui se définit comme « un mode de développement

économique respectueux de l’environnement, à la fois sobre et efficace en énergie et en

consommation de ressources et de carbone, socialement inclusif, soutenant le potentiel

d’innovation et garant de la compétitivité des entreprises »381. D’autre part, en introduisant

l’économie circulaire qui « vise à dépasser le modèle économique linéaire consistant à extraire,

fabriquer, consommer et jeter en appelant à une consommation sobre et responsable des

ressources naturelles et des matières premières »382. Cette loi sur la transition énergétique

prévoit ainsi que les politiques publiques doivent soutenir la croissance verte par le

développement et le déploiement de processus sobres en émissions de gaz à effet de serre, par

la maîtrise de la consommation d’énergie et de matières, par l’information sur l’impact

environnemental des biens ou des services, ainsi que par l’économie circulaire, dans l’ensemble

des secteurs de l’économie383. Elle a souvent pu être qualifiée d’une loi d’action et de

mobilisation puisqu’elle donne le pouvoir d’agir au pays tout entier : l’État, les collectivités

territoriales, les pouvoirs publics, les entreprises, les citoyens. En matière climatique, la loi LTE

réaffirme les objectifs de réduction des émissions fixés lors du Grenelle de l’environnement,

notamment le fameux « facteur 4 », et détaille une liste imposante d’actions dans plusieurs

domaines.

377 Aujourd’hui, « la préservation de la biodiversité, des milieux, des ressources ainsi que la sauvegarde des

services qu’ils fournissent et des usages qui s’y rattachent ». 378 Aujourd’hui, « la transition vers une économie circulaire ». 379 Loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, JO, 18 août 2015. 380 G. Clamour, « La commande publique au service de la transition énergétique », Contrats et Marchés publics,

n° 10, oct. 2015, comm. 226. 381 C. énergie, art. L. 100-1. 382 C. env., art. L. 110-1-1. 383 Loi ° 2015-992 du 17 août 2015, préc., art. 2.

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

88

Enfin, la loi relative à l’énergie et au climat du 8 novembre 2019384 est venue s’inscrire

dans le prolongement des engagements pris par la France dans le cadre de l’Accord de Paris.

Cette loi vise à répondre à l’urgence écologique et climatique et inscrit cette urgence dans

l’alinéa 2 de l’article L. 100-4 du code de l’énergie ainsi que l’objectif d’atteindre la neutralité

carbone à l’horizon 2050.

100. Pour résumer, la question climatique est définitivement entrée dans l’ordre

juridique français, à travers notamment des instruments de planification et, plus rarement, de

réglementation. Cependant, est-ce que ces réponses juridiques traditionnelles ont l’aptitude à

combattre le changement climatique ? Rien n’est moins sûr, malgré l’engagement et la bonne

volonté des pouvoirs publics. Dans le contexte du réchauffement climatique, les politiques

publiques apparaissent comme la résultante de l’intervention d’acteurs multiples. Une fois

mises en place, encore faut-il, pour leur réalisation, compter sur la mobilisation de l’ensemble

de ces acteurs.

101. Par ailleurs, récemment, la question s’est posée de savoir si le climat devait

être inscrit dans la Constitution. L’annonce par le Président de la République Emmanuel

Macron d’une nouvelle réforme constitutionnelle a réanimé les débats autour de la

constitutionnalisation de la lutte climatique385. Ce fut l’occasion pour certains députés et ONG

d’insister sur la nécessité d’insérer la lutte contre le changement climatique dans la norme

suprême au nom de l’urgence climatique. Effectivement, la Charte de l’environnement adossée

à la Constitution386 ne fait pas de référence explicite au climat, alors même que les changements

climatiques sont reconnus comme l’enjeu majeur du prochain siècle. Certes, il est possible de

384 Loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat, JO, 9 novembre 2019. 385 Ch. Cournil, « La Constitution face aux changements climatiques » (Dossier), Énergie – Environnement –

Infrastructures, n° 12, déc. 2018, dossier 40 ; id., « Enjeux et limites de la Charte de l’environnement face à

l’urgence climatique », Revue française de droit constitutionnel, vol. 122, n° 2, 2020, p. 345-368. 386 Voy. parmi une littérature abondante : M. Prieur, Droit de l’environnement, op. cit., p. 95 ; L. Janicot, « La

valeur constitutionnelle de la Charte de l’environnement », RFDA, 2008, p. 1158 ; E. Geffray et S.-J. Liéber,

« Valeur et portée juridique de la Charte de l’environnement », AJDA, 2008, p. 2166 ; B. Mathieu, « La portée de

la Charte pour le juge constitutionnel », AJDA, 2005, p. 1170 ; N. Chahid-Nouraï, « La portée de la Charte pour

le juge ordinaire », AJDA, 2005, p. 1175 ; J.-M. Staub, « L’invocabilité de la charte de l’environnement devant le

juge administratif », LPA, 2014, n° 44, p. 6 ; A. Roblot-Troizier, « Les clairs-obscurs de l’invocabilité de la Charte

de l’environnement », AJDA, 2015, p. 493 ; M. Prieur, « La charte de l’environnement : droit dur ou gadget

politique ? », Pouvoirs, n° 127, 2008, n° 127, p. 49-65 ; id., « Promesses et réalisations de la Charte de

l’environnement », Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 43, 2014, p. 5-24 ; Y. Jégouzo, « La

Charte de l’environnement : 10 ans après », AJDA, 2015, p. 478 ; F. Brunet, « Le champ d’application de la Charte

de l’environnement. Variations sur le thème du juriste linguiste », AJDA, 2016, p. 1327 ; M.-A. Cohendet et M.

Fleury, « Chronique de droit constitutionnel sur la Charte de l’environnement », Revue juridique de

l’environnement, vol. 43, n° 4, 2018, p. 749-768.

Chapitre I. Contexte juridique de la lutte contre le changement climatique

89

considérer le climat comme une question environnementale. Cependant, nous avons vu à quel

point cette vision environnementaliste pouvait être réductrice de la portée réelle de la

problématique climatique387. La question de l’insertion du climat dans la Constitution n’est

donc pas sans intérêt pour la définition du cadre général dans lequel sont élaborées les politiques

publiques en matière de climat. Effectivement, inscrire le climat dans Constitution peut être un

signal fort de la volonté de lutter contre le changement climatique ainsi qu’un facteur de

renforcement des actions en matière de climat. La constitutionnalisation de la protection du

climat, après celle de la protection de l’environnement, aurait incontestablement une forte

portée symbolique. Politiquement, cette initiative est intéressante car elle porte un message

relatif aux valeurs que l’État français souhaite véhiculer. Juridiquement, cependant, les choses

sont moins claires et il est permis d’émettre quelques réserves.

Suite à l’annonce de la nouvelle réforme constitutionnelle, un colloque emblématique

a été organisé le 8 mars 2018 à l’Assemblée nationale. Ce colloque a permis de réunir des

juristes, des députés et des membres de la société civile pour échanger sur la pertinence de

s’engager vers un nouveau « verdissement »388 de la Constitution française. Les avis étaient

partagés. Les juristes s’interrogeaient sur la manière dont pouvait s’effectuer cette inscription

de l’objectif de lutte contre le changement climatique dans la Constitution, sur le potentiel des

normes constitutionnelles dans la lutte contre le changement climatique, sur l’opportunité de

cette réforme et sur les autres voies possibles. Le 9 mai 2018, un projet de loi constitutionnelle

a été enregistré à l’Assemblée nationale389. Mais que ce soit dans les rangs parlementaires ou

en doctrine, les débats sont loin d’être clos. Pour Julien Bétaille, l’inscription du climat dans la

Constitution est « une fausse bonne idée »390, dans la mesure où elle ferait doublon par rapport

aux dispositions constitutionnelles existantes en matière de protection de l’environnement. La

Charte de l’environnement aurait un potentiel interprétatif évident qui est loin d’être épuisé et

qui peut tout à fait être mobilisé au service de la protection du climat. Avec beaucoup moins

d’hostilité, le Professeur Michel Prieur estime que cette démarche n’est pas indispensable, dans

la mesure où les juges pourraient très bien considérer qu’en tant que composante de

l’environnement, le climat fait déjà partie de la Constitution. En revanche, il propose de

387 Voy. supra nos 48 à 53. 388 Ch. Cournil, « Du prochain “verdissement” de la Constitution française à sa mise en perspective au regard de

l’émergence des procès climatiques », in « La Constitution face aux changements climatiques » (Dossier), op. cit.,

dossier 42. 389 Projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace, n° 911, 9 mai

2018. 390 J. Bétaille, « Inscrire le climat dans la Constitution : une fausse bonne idée pour de vrais problèmes », Droit de

l’environnement, n° 266, avr. 2018, p. 130-131.

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

90

constitutionnaliser le principe de non-régression. Pour lui, la non-régression, qui est une

« condition du développement durable »391, « n’est pas une exigence abstraite, mais un

engagement concret et continu de la société pour un progrès permanent dans la protection et

l’amélioration de l’environnement »392. Or, la prise en compte du futur lié au climat oblige à

empêcher que les lois sur l’environnement ne régressent, mettant alors en péril les besoins des

générations futures393. De fait, la constitutionnalisation du principe de non-régression

permettrait « d’éviter à l’avenir un risque d’impasse juridique »394. En effet, « dans l’hypothèse

où une loi reculerait dans la protection de l’environnement, un décret ne pourrait l’appliquer

car il tomberait sous le coup de l’interdiction de la régression »395. Toutefois, malgré son

caractère pertinent, il semble que cette proposition doctrinale ait peu de chances de prospérer.

Pour les députés, la constitutionnalisation du principe de non-régression n’est pas à l’ordre du

jour. Les amendements qui la proposaient ont d’ailleurs vite été rejetés396.

Dans un premier temps, l’article 2 du projet de loi constitutionnelle prévoyait

l’inscription dans le domaine de la loi de l’action contre les changements climatiques. L’idée

était de compléter l’article 34 de la Constitution en inscrivant la lutte contre le changement

climatique au nombre des matières dont la loi détermine les principes fondamentaux. Dans

l’exposé des motifs, on pouvait lire que cet article 2 « répond à l’un des enjeux les plus

importants de notre temps »397. Saisi pour avis, le Conseil d’État observait néanmoins que cette

disposition aurait sans doute très peu d’impact, tout en conseillant au gouvernement de

maintenir son inscription en raison du « caractère primordial de l’action contre les changements

climatique »398. Dès qu’il a été rendu public, cet article a rencontré de vives critiques, y compris

de la part des promoteurs de la réforme constitutionnelle. Et pour cause, puisque la référence à

391 M. Prieur, « La non-régression, condition du développement durable », Vraiment durable, 2013, n° 3, p. 179-

184. 392 M. Prieur, « La constitutionnalisation du principe de non régression face à l’enjeu climatique », in « La

Constitution face aux changements climatiques » (Dossier), op. cit., dossier 45. 393 Ibid. 394 Ibid. 395 Ibid. 396 Voy. Amendement n° 1331 (rejeté), présenté par M. Christophe Arend. M. Arend souhaitait insérer le principe

de non-régression dans la Charte de l’environnement en vue d’inscrire dans la Constitution l’idée d’une

« amélioration constante de la protection de l’environnement, compte tenu des connaissances scientifiques et

techniques du moment ». Voy. également : Amendement n° 2406 (rejeté), présenté par Mme Maina Sage. Mme

Sage proposait d’insérer le principe de non-régression à l’article 1er de la Constitution, en y ajoutant deux phrases

rédigées ainsi : « La République assure la préservation de l’environnement, sa diversité biologique, dans le respect

du principe de non-régression. Elle agit contre les changements climatiques ». 397 Ibid., p. 5 : « Lors du sommet de Paris en 2015, la France a pris la tête des nations entendant agir contre les

changements climatiques. Il est important que notre Loi fondamentale puisse traduire ce choix de la Nation en

confiant au législateur la responsabilité de définir les principes fondamentaux de l’action contre les changements

climatiques ». 398 Conseil d’État, Avis sur le projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable

et efficace, 3 mai 2018, p. 3.

Chapitre I. Contexte juridique de la lutte contre le changement climatique

91

l’action contre les changements climatiques à l’article 34 de la Constitution n’aurait pas eu pour

effet de contraindre le législateur à agir. Celui-ci serait resté libre d’intervenir ou non. Sur le

plan juridique, cette référence aurait eu pour seule portée de réserver au législateur la

compétence d’intervenir dans le domaine de la lutte contre le changement climatique.

Largement insuffisante, cette proposition est tombée à l’eau. Finalement, les députés ont décidé

d’inscrire le climat à l’article 1er de la Constitution. L’idée est donc d’inscrire à l’article 1er de

la Constitution le principe selon lequel la France « favorise la préservation de l’environnement

et de la diversité biologique et agit contre les changements climatiques ». Cette nouvelle

proposition vise à donner un caractère plus substantiel à la révision. Comme l’observe Yann

Aguila, « le choix d’insérer une nouvelle disposition à l’article 1er de notre Constitution offre

une magnifique occasion de consolider les garanties constitutionnelles en matière

environnementale »399. L’auteur rappelle que « même s’il n’y a pas de hiérarchie entre les

articles de la Constitution, il y a une force symbolique dans l’article 1er. Dans tout texte

juridique, et notamment dans les codes récents, l’article 1er joue un rôle spécifique : parce qu’il

ouvre le texte, il en constitue la clé de voûte et consacre souvent les principes fondateurs »400.

102. En matière de climat, un savoir-faire en matière de définition des enjeux et de

mise en œuvre des moyens choisis pour y répondre se développe progressivement. La volonté

politique de lutter contre le changement climatique est constamment réaffirmée. Nous avons

étudié le cadre général dans lequel sont élaborées les politiques climatiques. À présent, il

convient de voir de quelle manière ces politiques climatiques sont mises en œuvre.

B. Mise en œuvre des politiques publiques en matière de climat

103. Les politiques publiques en matière de climat, et notamment les politiques

d’atténuation et d’adaptation, se déclinent à travers une série d’objectifs, d’engagements et de

mesures décrits dans des documents stratégiques et de planification. Le Plan Climat est le texte

qui présente l’ensemble des actions nationales mises en œuvre pour lutter contre le changement

climatique. C’est pourquoi il peut être considéré comme l’outil ad hoc de mise en œuvre des

politiques publiques en matière de climat. Ce Plan Climat se décline en plusieurs instruments à

la fois au niveau national et régional (1).

399 En ligne : http://blog.leclubdesjuristes.com/inscrire-le-climat-a-larticle-1er-de-la-constitution-quelles-

consequences/ 400 Ibid.

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

92

Mais transversalité de la question climatique explique la présence également d’autres

leviers d’action, dont deux en particulier retiendront notre attention : les clauses

environnementales dans les marchés publics et les bilans d’émission de gaz à effet de serre (2).

1. L’outil ad hoc et ses déclinaisons

104. Le Plan Climat est un document élaboré au niveau national qui présente la vision

et l’ambition du gouvernement français en matière de lutte contre le changement climatique (a).

Cet instrument d’action publique connaît de nombreuses déclinaisons, que ce soit au niveau

national ou au niveau régional (b).

a) L’outil ad hoc : le Plan Climat national

105. Le premier Plan Climat en France a été élaboré en 2004401. Il s’agit à la fois d’un

document stratégique et d’un plan d’action visant à lutter contre le changement climatique.

Le 6 juillet 2017, le ministre de la transition écologique et solidaire Nicolas Hulot a

lancé un nouveau Plan Climat qui mobilise l’ensemble des ministères dans la mise en œuvre de

l’Accord de Paris402. L’idée est d’accélérer la transition énergétique et climatique de la France,

en dépassant les objectifs initiaux à travers les six axes suivants : rendre irréversible la mise en

œuvre de l’Accord de Paris ; améliorer le quotidien de tous les Français ; en finir avec les

énergies fossiles et s’engager dans la neutralité carbone ; faire de la France le n° 1 de l’économie

verte ; mobiliser le potentiel des écosystèmes et de l’agriculture pour lutter contre le

changement climatique ; intensifier la mobilisation internationale sur la diplomatie climatique,

notamment en soutenant les acteurs non gouvernementaux engagés pour le climat et en

accompagnant les pays en développement dans la lutte contre le dérèglement climatique. Ce

Plan Climat traduit les fortes ambitions du gouvernement en matière de climat. Il repose sur la

mobilisation de l’ensemble des acteurs concernés et compte sur leur intelligence collective et

401 Voy. supra n° 97. 402 « Les enjeux climatiques sont la pierre angulaire de la solidarité universelle. Il est de notre devoir de dépasser

nos objectifs, d’aller plus loin, plus vite. Je souhaite que la transition écologique et solidaire, cette formidable

opportunité tant économique, environnementale que sociétale, puisse améliorer le quotidien de tous Français. Et

cette solidarité, nous devons aussi la partager à l’international », a déclaré Nicolas Hulot : Communiqué de presse,

Lancement du Plan Climat, Paris, le 6 juillet 2017. Par ailleurs, le 28 août 2018, Nicolas Hulot annonça sa

démission du gouvernement. Pour justifier sa décision, le ministre démissionnaire a fustigé l’action des lobbys, la

mauvaise foi de l’opposition, l’apathie de la société civile, les contradictions idéologiques, « la pression du court

terme », autant de causes qui, selon lui, empêchent la transition écologique dont il était chargé. Il a qualifié les

progrès réalisés en matière de climat de « petits pas » et insuffisants à enrayer le réchauffement climatique.

Chapitre I. Contexte juridique de la lutte contre le changement climatique

93

sur leur bonne volonté pour construire des solutions adéquates et efficaces. L’approche retenue

est transversale, l’idée étant de mobiliser tous les secteurs : bâtiment, transports, énergies,

agriculture et forêts, industrie et déchets.

Dans la mesure où les politiques de lutte contre le changement climatique sont

reconnues comme sources de prospérité, de création d’emplois, d’innovation et de qualité de

vie, le Plan Climat se prolonge au travers de l’ensemble des politiques gouvernementales.

b) Les déclinaisons du Plan Climat national

106. La politique nationale de lutte contre le changement climatique repose sur deux

piliers : celui de l’adaptation et celui de l’atténuation.

Premièrement, l’adaptation vise à limiter les impacts du changement climatique et les

dommages associés. La définition de l’adaptation a été affinée au rythme des rapports du GIEC.

Il s’agit d’un processus d’ajustement au climat présent ou attendu ainsi qu’à ses effets. Dans

les systèmes humains, l’adaptation cherche à modérer ou éviter les nuisances, ou à exploiter les

opportunités bénéfiques403. La France est sans doute l’un des pays les plus avancés en matière

de planification de l’adaptation au changement climatique. En 2011, elle s’est dotée de son

premier Plan national d’adaptation au changement climatique (ci-après « PNACC »)404 pour

une période de cinq ans. Son objectif était d’intégrer l’adaptation dans l’ensemble des politiques

publiques. Suite à la COP 21, et en conformité avec les dispositions de l’axe 19 du Plan Climat

de 2017, le gouvernement français a lancé les travaux pour actualiser sa politique d’adaptation

en cohérence avec l’Accord de Paris. C’est ainsi que fut adopté, le 20 décembre 2018, le

nouveau Plan national d’adaptation au changement climatique pour la période 2018-2022, avec

pour objectif de mieux préparer la société française au changement climatique, en impliquant

les principaux secteurs de l’économie et les territoires. L’élaboration de ce deuxième PNACC

s’est appuyée sur une très large concertation. Les travaux ont été organisés selon six domaines

d’action, qui structurent les priorités de ce nouveau plan : gouvernance et pilotage ;

connaissance et information ; prévention et résilience ; adaptation et préservation des milieux ;

vulnérabilité des filières économiques ; renforcement de l’action internationale. Les évolutions

proposées à travers ce deuxième Plan national d’adaptation au changement climatique

concernent notamment un meilleur traitement du lien entre les différentes échelles territoriales,

403 GIEC, Changements climatiques 2014 : Incidences, adaptation et vulnérabilité, 5ème Rapport d’évaluation,

2014. 404 Le PNACC est issu de la loi n° 2009-967 du 3 août 2009, préc., art. 42.

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

94

le renforcement de l’articulation avec l’international et le transfrontalier ainsi que la promotion

des solutions fondées sur la nature. Ce plan insiste sur la nécessité, d’une part, d’assurer la

cohérence entre les différentes politiques publiques et, d’autre part, de renforcer les liens avec

les outils de planification locale, tels que les Plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET)405

ou les Schéma régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires

(SRADDET)406. La politique d’adaptation constitue le complément essentiel de la politique

d’atténuation qui vise, en France, à atteindre la neutralité carbone.

Deuxièmement, l’atténuation a pour objectif la réduction des émissions de gaz à effet

de serre et l’augmentation de leur séquestration par les puits de carbone. En matière

d’atténuation du changement climatique, le Plan Climat de 2017 pose l’objectif ambitieux de

la neutralité carbone à l’horizon 2050. À l’échelle nationale, c’est la Stratégie nationale bas-

carbone (ci-après « SNBC ») qui décline les mesures et les leviers pour réussir à atteindre cet

objectif. Elle donne les orientations stratégiques pour mettre en œuvre, dans tous les secteurs

d’activité, la transition vers une économie bas-carbone et durable, tout en formulant des

recommandations transversales relatives notamment à la valeur du carbone, à l’éducation et à

la recherche, aux investissements. Au plan local, cette stratégie est mise en œuvre par les outils

de planification intégrée précités. La SNBC s’adresse en priorité aux décideurs publics à

l’échelle nationale, régionale et intercommunale, pour lesquels elle est juridiquement

prescriptive, c’est-à-dire qu’elle doit être prise en compte dans leurs documents de planification

et de programmation qui ont des incidences significatives sur les émissions de gaz à effet de

serre407. D’ailleurs, en droit positif, l’obligation de prendre en compte impose de « ne pas

s’écarter des orientations fondamentales sauf, sous le contrôle du juge, pour un motif tiré de

l’intérêt de l’opération et dans la mesure où cet intérêt le justifie »408.

107. Voici donc les principaux instruments de mise en œuvre des politiques publiques

en matière de climat, qui trouvent logiquement leurs déclinaisons au niveau régional.

Effectivement, les collectivités territoriales ont un rôle moteur dans la lutte contre le

changement climatique et sont indispensables à la réalisation des objectifs en matière de climat.

405 C. env., art. L. 229-26. 406 CGCT, art. L. 4251-1. 407 À l’exception de la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), qui devra, elle, être compatible avec la

SNBC et avec les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre fixés dans le budget carbone. 408 CE, 9 juin 2004, n° 254174, Alsace-Nature, JurisData n° 2004-066954 ; CE, 28 juillet 2004, Assoc. défense

environnement et a., JurisData n° 2004-067290 ; BJCL, 2004, p. 613, concl. F. Domat et M. Guyomar.

Chapitre I. Contexte juridique de la lutte contre le changement climatique

95

Mais, au-delà des questions de planification et de programmation, y a-t-il d’autres leviers qui

peuvent permettre la mise en œuvre des politiques publiques en matière de climat ?

2. Les autres leviers d’action mobilisables

108. Les leviers d’action en matière de climat sont innombrables. Aux fins de l’étude,

nous avons choisi de s’attarder à deux leviers en particulier : les clauses environnementales

dans les marchés publics (a) et les bilans d’émission de gaz à effet de serre (b).

a) Les clauses environnementales dans les marchés publics

109. On assiste depuis quelques années à une extension progressive des

considérations environnementales dans les marchés publics et les autres contrats de la

commande publique409. Un auteur rappelle que cette prise en compte de l’environnement par

le droit de la commande publique s’inscrit avant tout dans une perspective internationale410. En

effet, le plan d’action Agenda 21 adopté par les Nations Unies lors de la Conférence de Rio en

1992 prévoit que les gouvernements devraient « réexaminer les politiques d’achat de

fournitures de leurs organismes et départements afin d’améliorer si possible l’élément

environnement de leurs procédures d’acquisition »411. Au niveau européen, l’idée a fait son

chemin plus tardivement, dès 2001412. Les deux textes qui forment aujourd’hui le cadre

européen de la commande publique413, à savoir les directives 2014/24/UE sur la passation des

marchés publics414 et 2014/23/UE sur l’attribution des contrats de concession415, accordent une

place importante à la protection de l’environnement.

409 Voy. à ce sujet : H. Delzangles, « Commande publique et environnement, jusqu’où peut-on aller ? », Revue

juridique de l’environnement, vol. 40, n° 1, 2015, p. 13-40 ; M. Prieur, Droit de l’environnement, op. cit., p. 63-

65 ; A. Fourmon, « Les clauses environnementales dans les marchés publics », Énergie – Environnement –

Infrastructures, n° 7, juill. 2017, prat. 2 ; voy. également sur les aspects économiques de la question : F. Marty,

« Les clauses environnementales dans les marchés publics : perspectives économiques », Document de travail,

CNRS – GREDEG (UMR 7321) WP n° 2012-01. 410 H. Delzangles, « Commande publique et environnement, jusqu’où peut-on aller ? », op. cit., p. 14. 411 Nations Unies, Programme Action 21, Ch. 4 Modification des modes de consommation, 4.23. 412 Communication interprétative de la Commission sur le droit communautaire applicable aux marchés publics et

les possibilités d’intégrer des considérations environnementales dans lesdits marchés, 28 novembre 2001,

COM(2001) 274 final ; voy. également : Acheter vert : un manuel sur les marchés publics écologiques,

Communautés européennes, 2005 ; Communication de la Commission du 16 juillet 2008, « Des marchés publics

pour un environnement meilleur », COM(2008) 400 final. 413 Voy. S. de la Rosa, Droit européen de la commande publique, Bruylant, 2017. 414 Directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur la passation des marchés

publics et abrogeant la directive 2004/18/CE, JOUE L 94 du 28 mars 2014, p. 65-242. 415 Directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur l’attribution des contrats de

succession, JOUE L 94 du 28 mars 2014, p. 1-64.

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

96

En droit français, les révisions successives du code des marchés publics ont confirmé

la généralisation d’une politique d’achat écoresponsable, si bien qu’aujourd’hui, les règles de

la commande publique font écho aux préoccupations sociales et environnementales. En 2006 a

été publié le décret n° 2006-975416 qui a généralisé la référence dans le code des marchés publics

à ces aspects sociaux et environnementaux. L’article 5 du code des marchés publics de 2006

disposait ainsi que « la nature et l’étendue des besoins à satisfaire sont déterminées […] en

prenant en compte des objectifs de développement durable ». En outre, selon son article 6, les

spécifications techniques « peuvent inclure des caractéristiques environnementales ». Enfin,

l’article 14 du code prévoyait que « les conditions d’exécution d’un marché ou d’un accord-

cadre peuvent comporter des éléments à caractère social ou environnemental qui prennent en

compte les objectifs de développement durable en conciliant développement économique,

protection et mise en valeur de l’environnement et progrès social ». Par la suite, la loi Grenelle

1 du 3 août 2009417 a insisté sur l’intégration effective des préoccupations environnementales

dans l’achat public. Son article 48, alinéa 2 dispose ainsi que l’État devra favoriser « le respect

de l’environnement dans l’achat public par un recours croissant, dans les marchés publics des

administrations et services placés sous son autorité, aux critères environnementaux et aux

variantes environnementales ». C’est en 2015 que les considérations environnementales ont

enfin été définitivement intégrées dans le droit de la commande publique.

En effet, l’année 2015 a été marquante pour le droit de la commande publique français.

Une nouvelle réforme de la commande publique a permis de réaffirmer et d’étendre la place du

développement durable dans le droit de la commande publique, afin notamment de mettre les

règles de passation des marchés publics au service de la protection de l’environnement.

Autrement dit, cette réforme va dans le sens d’une prise en considération plus accrue des

objectifs de développement durable dans l’achat public. Elle a été opérée par l’ordonnance du

23 juillet 2015 relative aux marchés publics418 qui est entrée en vigueur le 1er avril 2016, après

l’adoption de son décret d’application419. Cette ordonnance a été abrogée le 1er avril 2019 du

fait de l’entrée en vigueur du nouveau code de la commande publique420, mais ses dispositions

416 Décret n° 2006-975 du 1er août 2006 portant code des marchés publics, JO 4 août 2006. 417 Loi n° 2009-967 du 3 août 2009, préc. 418 Ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, JO, 24 juillet 2015. Destinée à

simplifier les règles applicables en la matière, l’ordonnance du 23 juillet 2015 opère une refonte des textes

applicables (code des marchés publics, ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par

certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics, ordonnance n° 2004-559 du

17 juin 2004 sur les contrats de partenariat), tout en intégrant les règles issues des directives européennes

2014/24/UE et 2014/25/UE du 26 février 2014. 419 Décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics, JO, 27 mars 2016. 420 L’article 38 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption

et à la modernisation de la vie économique, dite loi Sapin 2, a habilité le gouvernement à établir par ordonnance

Chapitre I. Contexte juridique de la lutte contre le changement climatique

97

ont été intégrées telles qu’elles dans le nouveau code. Conformément à l’article 30 de

l’ordonnance421, les objectifs de développement durable doivent être pris en considération lors

de la définition du besoin à satisfaire. Cet article correspond à l’article 5 du code des marchés

publics de 2006, l’ordonnance n’apportant aucune modification à cet égard. Toutefois, au-delà

de la définition du besoin, c’est lors de l’attribution du marché que l’acheteur public devra

prendre en considération les objectifs de développement durable. C’est toute l’originalité de

cette réforme. L’ordonnance ne le précise pas explicitement mais cela résulte d’une analyse

croisée de ses articles 52 et 38. L’article 52422 relatif à l’attribution du marché dispose que le

marché est attribué au soumissionnaire qui a présenté l’offre économiquement la plus

avantageuse sur la base d’un ou plusieurs critères objectifs, précis et liés à l’objet du marché ou

à ses conditions d’exécution, et il poursuit : le lien avec l’objet du marché ou ses conditions

d’exécution s’apprécie conformément à l’article 38. Or, selon l’article 38423, les conditions

d’exécution qui se rapportent aux travaux, fournitures ou services objet du marché, à quelque

égard que ce soit et à n’importe quel stade de leur cycle de vie, sont réputées liées à l’objet du

marché. Que tirer donc de ces deux articles ? Dorénavant, lorsque l’acheteur public déterminera

l’offre économiquement la plus avantageuse pour attribuer le marché, il sera amené à

s’interroger sur un point sur lequel il ne s’est jamais interrogé auparavant : le coût du cycle de

vie424. Le cycle de vie est l’ensemble des étapes successives et interdépendantes tout au long

de la vie d’un produit : l’extraction de matières premières nécessaires à la fabrication, la

production, le transport, la commercialisation, l’utilisation, le réemploi, le recyclage, la

valorisation, l’élimination. L’analyse du cycle de vie permet d’identifier et quantifier les

impacts, notamment environnementaux, générés par les produits durant toute leur vie425. Quant

un nouveau code de la commande publique. Ce nouveau code de la commande publique a été publié au Journal

officiel le 5 décembre 2018. Il se décompose en une partie législative annexée à l’ordonnance n° 2018-1074 du 26

novembre 2018 portant partie législative du code de la commande publique, et une partie réglementaire annexée

au décret n° 2018-1075 du 3 décembre 2018 portant partie réglementaire du code de la commande publique. Les

objectifs de simplification et d’accessibilité du droit sont au cœur de cette réforme de taille. Le code de la

commande publique regroupe et organise les règles relatives aux différents contrats de la commande publique qui

s’analysent, au sens du droit de l’Union européenne, comme des marchés publics et des contrats de concession.

Cette codification permet de regrouper l’intégralité des règles régissant les contrats de la commande publique au

sein d’un ensemble juridique unique. 421 Aujourd’hui, art. L. 2111-1 du code de la commande publique. 422 Aujourd’hui, art. L. 2152-7 du code de la commande publique. 423 Aujourd’hui, art. L. 2112-3 du code de la commande publique. 424 F. Linditch, « Les premiers pas du coût du cycle de vie dans la commande publique, À propos de la “Notice

introductive : prise en compte du coût du cycle de vie dans une consultation” », Contrats et Marchés publics, n°

7, juill. 2016, alerte 29 ; id., « Guide ADEME de l’Achat Public », Contrats et Marchés publics, n° 1, janv. 2017,

alerte 1. 425 Notons, par ailleurs, que l’analyse du cycle de vie fait l’objet d’une standardisation internationale par la norme

ISO 14040:2006 « Management environnemental – Analyse du cycle de vie – Principes et cadres », complétée par

la norme ISO 14044:2006 « Management environnemental – Analyse du cycle de vie – Exigences et lignes

directrices ».

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

98

au coût du cycle de vie, celui-ci prend en compte, d’une part, les coûts supportés directement

par l’acheteur, à savoir les coûts liés à l’acquisition, à l’utilisation, à la maintenance et à la fin

de vie, d’autre part, les coûts indirects ou « coûts externes » supportés par l’ensemble de la

société comme, par exemple, la pollution atmosphérique, la déforestation, la dégradation des

écosystèmes, l’impact sur la santé. De fait, l’ordonnance de 2015 a révolutionné la manière

dont les acheteurs publics déterminent l’offre économiquement la plus avantageuse, et donc,

finalement, la manière dont ils attribuent les marchés. Par ailleurs, ils sont incités, par la loi

relative à la transition énergétique du 17 août 2015426, à devenir acteurs de l’économie circulaire

dont le déploiement passera quelque part par l’implication de la fonction achats. Ainsi, la

commande publique durable est-elle désormais inscrite à l’article L. 110-1-1 du Code de

l’environnement427 en tant que l’un des éléments pouvant contribuer à cette nouvelle prospérité.

La volonté politique de favoriser les achats responsables et durables est très claire.

Toute la difficulté vient du fait que la majorité des acheteurs publics n’ait toujours pas fait

sienne cette volonté428. Quoi qu’il en soit, la commande publique constitue un levier majeur

pour orienter les marchés vers une meilleure prise en compte du développement durable. Or,

nous l’avons vu, le changement climatique est devenu aujourd’hui le principal enjeu du

développement durable.

110. De fait, l’achat public peut être une réponse aux défis climatiques. Les gaz

à effet de serre sont émis à toutes les étapes du cycle de vie des produits, biens et services mis

sur le marché. Or, les textes juridiques récents renforcent justement la prise en compte du cycle

de vie pour l’attribution des marchés. De par le poids qu’elle représente dans l’économie

nationale, la commande publique est synonyme d’impacts sur le changement climatique. Il est

cependant possible de réduire ces impacts, en optimisant les besoins et en favorisant l’achat de

produits, biens et services à faible émission de gaz à effet de serre429. Aujourd’hui, les acheteurs

426 Loi n° 2015-992 du 17 août 2015, préc. 427 C. env., art. L. 110-1-1 : « […] La promotion de l’écologie industrielle et territoriale et de la conception

écologique des produits, l’utilisation de matériaux issus de ressources naturelles renouvelables gérées durablement

et issus du recyclage, la commande publique durable, l’allongement de la durée du cycle de vie des produits, la

prévention des déchets, la prévention, la réduction ou le contrôle du rejet, du dégagement, de l’écoulement ou de

l’émission des polluants et des substances toxiques, le traitement des déchets en respectant la hiérarchie des modes

de traitement, la coopération entre acteurs économiques à l’échelle territoriale pertinente dans le respect du

principe de proximité et le développement des valeurs d’usage et de partage et de l’information sur leurs coûts

écologique, économique et social contribuent à cette nouvelle prospérité ». 428 Voy. en ce sens : Communication de la Commission du 3 octobre 2017, « Faire des marchés publics un outil

efficace au service de l’Europe », COM(2017) 572 final. 429 En 2016, la Direction des affaires juridiques des ministères économiques et financiers (DAJ) a publié un guide

intitulé « L’achat public : une réponse aux enjeux climatiques ». Ce guide présente les outils techniques et

Chapitre I. Contexte juridique de la lutte contre le changement climatique

99

publics disposent d’une assise juridique solide pour intégrer les préoccupations climatiques

dans leurs choix. Dès lors qu’ils respectent les principes fondamentaux de la commande

publique430, ils peuvent fixer eux-mêmes le niveau d’exigence « climatique » qu’ils souhaitent

voir réaliser au travers de leurs marchés. La commande publique se présente ainsi comme un

levier de la réalisation des politiques publiques en matière de climat.

111. S’agissant précisément de la réduction des émissions de gaz à effet de serre, il

faut savoir que son préalable nécessaire réside dans une connaissance approfondie de la quantité

et de l’origine des gaz à effet de serre émis. C’est pourquoi nous nous intéresserons à présent

aux bilans d’émissions de gaz à effet de serre entérinés par la loi Grenelle 2431.

b) Les bilans d’émission de gaz à effet de serre

112. La loi Grenelle 2 impose l’établissement d’un bilan quantifiant les émissions de

gaz à effet de serre en vue de déterminer les options d’amélioration de l’efficacité énergique ou

d’intégration des énergies renouvelables432. Ces bilans ont été réformés par une ordonnance du

24 décembre 2015433 et un décret du même jour434. Conformément à l’article L. 229-25 du code

de l’environnement, sont tenus d’établir un bilan de leurs émissions de gaz à effet de serre les

personnes morales de droit privé employant plus de cinq cents personnes (ou deux cent

cinquante en outre-mer), l’État, les régions, les départements, les communautés urbaines, les

communautés d’agglomération et les communes ou communautés de communes de plus de

50 000 habitants ainsi que les autres personnes morales de droit public employant plus de deux

cent cinquante personnes. Ce bilan doit décrire, d’une part, les émissions directes produites par

les sources nécessaires aux activités de la personne morale et, d’autre part, les émissions

indirectes associées à la consommation d’électricité, de chaleur ou de vapeur nécessaire aux

activités de la personne morale. Il doit, de surcroît, être accompagné d’une synthèse des mesures

envisagées pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Cette synthèse présente, pour

juridiques existants pour prendre en compte la protection et la sauvegarde du climat dans les achats publics : F.

Linditch, « Guide ADEME de l’Achat Public », op. cit. 430 Pour rappel, ces principes sont : la liberté d’accès à la commande publique, l’égalité de traitement des candidats,

la transparence des procédures. 431 Loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010, préc. 432 Loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010, préc., art. 75. 433 Ordonnance n° 2015-1737 du 24 décembre 2015 relative aux bilans d’émission de gaz à effet de serre et aux

audits énergétiques, JO, 26 décembre 2015. 434 Décret n° 2015-1738 du 24 décembre 2015 relatif aux bilans d’émission de gaz à effet de serre, JO, 26 décembre

2015.

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

100

chaque catégorie d’émissions, les actions que la personne morale envisage de mettre en œuvre

jusqu’à l’établissement de son bilan suivant et indique le volume global des réductions

d’émissions attendu, étant précisé que les bilans doivent être mis à jour tous les trois ans. Les

bilans sont rendus publics. Cette obligation de publicité est justifiée par le respect de la

Convention d’Aarhus du 25 juin 1998 sur l’accès à l’information, la participation du public au

processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement435. Cependant,

particulièrement dans le secteur privé, la transparence des activités industrielles peut parfois

constituer un obstacle à la protection des secrets de fabrication des entreprises. Il convient donc

d’y porter une attention toute particulière afin d’éviter les dérives concurrentielles. Nous

verrons plus tard que cette idée de développer la transparence en matière de droit des sociétés436

n’est pas nouvelle et participe à un processus général de responsabilisation des acteurs

économiques sur les questions environnementales et sociétales.

113. L’application des bilans d’émission de gaz à effet de serre à l’ensemble des

acteurs économiques significatifs constitue une évolution fondamentale dans la prise en

compte de la problématique du changement climatique. Leur généralisation est cohérente

au regard de la démarche générale de lutte contre le changement climatique. L’idée au fond est

que les acteurs de cette lutte prennent conscience des impacts de leurs activités et s’engagent à

les maîtriser. C’est pourquoi on peut dire que les bilans d’émission de gaz à effet de serre sont

un outil de mise en œuvre des politiques publiques en matière de climat. Toutefois, sont-ils un

outil efficace ? Le premier réflexe d’un juriste qui veut mesurer l’efficacité d’un dispositif est

sans doute de s’intéresser aux sanctions associées à son non-respect. Ainsi, le code de

l’environnement nous apprend que la non-réalisation ou la non-transmission du bilan

d’émission de gaz à effet de serre donne lieu à une procédure de sanction débutant par le constat

de la défaillance par un agent habilité à cet effet par le préfet, suivi d’un arrêté de mise en

demeure d’y remédier dans un délai déterminé. À l’issue de ce délai, si la mise en demeure est

restée infructueuse, le préfet « peut » ordonner le paiement d’une amende administrative

n’excédant pas 1 500 euros. De même, il « peut » décider de rendre cette sanction publique437.

435 Voy. sur la Convention d’Aarhus : M. Prieur, « La Convention d’Aarhus, instrument universel de la démocratie

environnementale », Revue juridique de l’environnement, 1999, Convention d’Aarhus (n° spécial), p. 9-29 ;

Conseil d’État, La démocratie environnementale. Un cycle de conférences du Conseil d’État, La Documentation

française, 2013. 436 C. Malecki, « La transparence environnementale à la charge des sociétés », in Développement durable et

entreprise, sous la dir. de L. Fonbaustier et V. Magnier, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2013, p. 107-

121. 437 C. env., art. R. 229-50-1.

Chapitre I. Contexte juridique de la lutte contre le changement climatique

101

Autant dire que la sanction prévue n’est pas la plus dissuasive que l’on puisse imaginer. Avec

une bonne dose d’optimisme, dans un contexte où les acteurs économiques craignent l’atteinte

à leur réputation davantage que les amendes pécuniaires qui peuvent leur être infligées, on peut

effectivement compter sur ce type de sanctions. Encore faut-il que la procédure de sanction aille

jusqu’au bout et que la sanction soit rendue publique. Rien n’est moins sûr.

114. Le droit a vocation de traduire et de prolonger la volonté politique. Cependant,

les moyens mis en œuvre par les politiques publiques en matière de climat, comme ailleurs, ne

se réduisent pas à la définition d’un cadre d’action à travers des normes réglementaires. Le

recours à des instruments économiques est de plus en plus répandu.

§2. Les instruments économiques au service des politiques publiques en matière de climat

115. En matière de lutte contre le changement climatique, le droit français combine

deux outils économiques en particulier : la fiscalité environnementale et le marché des quotas

d’émission (B). Par définition, les outils économiques sont moins contraignants et plus incitatifs

que les outils réglementaires. Leur utilité a souvent été démontrée (A).

A. L’utilité du recours aux instruments économiques

116. Qu’est-ce qu’un instrument économique (1) et quel est son rôle par rapport à

l’instrument réglementaire (2) ? Plus précisément, s’agit-il d’un outil concurrent ou d’un outil

complémentaire ?

1. Définition des instruments économiques

117. La notion d’instrument économique est souple et peut recouvrir différentes

approches. Concrètement, les instruments économiques modifient le contexte qui entoure la

prise de décision des agents économiques, en cherchant à concilier au mieux les intérêts propres

des agents et l’intérêt collectif. Selon l’OCDE, les instruments économiques sont ceux qui ont

un effet sur l’estimation des coûts et avantages des différentes possibilités d’action qui

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

102

s’ouvrent aux agents économiques438. Ils sont dits « économiques » parce qu’ils sont fondés sur

les mécanismes de marché. Ils reposent essentiellement sur l’incitation.

Les instruments économiques utilisent le système des prix et les forces du marché pour

atteindre un objectif précis, par exemple l’objectif de protection de l’environnement. Comme

l’écrit un auteur, « si la réglementation constitue un instrument classique, qui vise à contraindre

le comportement des pollueurs, les instruments économiques s’appuient sur une approche

incitative pour favoriser les comportements plus vertueux »439.

Ces instruments économiques sont peu ou prou rattachés au droit économique440, dans

la mesure où ils se retrouvent souvent aux confins de la réglementation et de la régulation. C’est

ainsi que le droit économique est souvent « instrumentalisé » pour prendre en compte les

besoins de la protection de l’environnement441. Le défi pour les juristes est alors de veiller à ce

que les considérations environnementales continuent à occuper la place nécessaire et ne cèdent

devant les autres considérations, notamment économiques, au détriment de la protection de

l’environnement.

118. En matière d’environnement, de nombreuses analyses ont démontré les

limites de l’efficacité des approches purement réglementaires des politiques publiques442.

C’est sans doute en partie une conséquence de l’émergence du concept de développement

durable. Il n’est d’ailleurs pas sans intérêt de rappeler qu’en droit français, le concept de

développement durable a été inscrit dans la Charte constitutionnelle de l’environnement, ce qui

a eu pour conséquence de modifier sensiblement la cible politique. L’article 6 de la Charte de

l’environnement dispose ainsi que : « Les politiques publiques doivent promouvoir un

développement durable. À cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de

l’environnement, le développement économique et le progrès social ». En effet, le

développement durable pose un objectif global qui est aussi bien économique et social

qu’environnemental. Alors que la seule conservation de l’environnement peut tout à fait

s’accommoder de techniques juridiques classiques comme la police spéciale, la réalisation de

l’objectif global du développement durable ne pourrait, elle, reposer uniquement sur de telles

438 OCDE, Évaluer les instruments économiques des politiques de l’environnement, Paris, OCDE, 1997. 439 C. Wendling, « Les instruments économiques au service des politiques environnementales », Économie &

prévision, vol. 182, n° 1, 2008, p. 147-154, spéc. p. 147. 440 Voy. supra n° 12. 441 P. Thieffry, « Le droit économique de l’environnement existe-t-il ? », in Pour un droit économique de

l’environnement. Mélanges en l’honneur de Gilles J. Martin, Éditions Frison-Roche, 2013, p. 525-554, spéc. p.

536. 442 Y. Jégouzo, « L’évolution des instruments du droit de l’environnement », Pouvoirs, vol. 127, n° 4, 2008, p. 23-

33.

Chapitre I. Contexte juridique de la lutte contre le changement climatique

103

techniques. L’insuffisance des outils du droit de l’environnement dans un contexte où la donnée

environnementale pénètre l’ensemble des autres matières, en vertu du principe d’intégration443,

explique la mobilisation de nouveaux outils, et notamment celle des outils économiques.

Dès lors, la question se pose de savoir quel est rôle de ces outils économiques par

rapport aux outils réglementaires.

2. Rôle complémentaire des instruments économiques

119. Incontestablement, l’utilisation des instruments économiques affecte le rôle

du droit. De fait, son champ d’application s’en trouve limité. En matière environnementale,

ces instruments sont très divers. Les contrats de branche et marques écologiques, par exemple,

sont des instruments « souples » de politique environnementale qui reflètent la tendance

générale du droit de l’environnement de s’éloigner de la régulation administrative de l’État444.

Cependant, l’innovation instrumentale « la plus radicale »445 est sans doute l’introduction du

système d’émission de gaz à effet de serre446.

Quel est précisément le rôle de ces instruments économiques mobilisés en matière

environnementale par rapport aux instruments réglementaires classiques ? Les instruments

économiques jouent un rôle prédominant en ce qui concerne les interventions publiques et

l’orientation des choix des acteurs économiques. L’idée à travers leur utilisation est que les

acteurs économiques adoptent des comportements plus respectueux de l’environnement parce

qu’ils y trouvent un intérêt, et non en raison d’une obligation juridique qui les y contraint. Cela

dit, nous ne sommes pas convaincus que le rapport entre les instruments économiques et les

instruments réglementaires est nécessairement un rapport de concurrence. Certes, les politiques

environnementales gagnent à ce que l’instrument réglementaire ne soit pas déconnecté de ses

implications économiques. Cependant, un recours trop accru à l’outil économique risque de

renforcer la prédominance des logiques économiques, ce qui peut avoir pour conséquence de

négliger l’objectif de protection de l’environnement. Dans ce sens, dans son étude consacrée au

recours à l’outil économique en droit de l’environnement, Sandrine Maljean-Dubois se

443 Voy. par exemple : A. Comolet et A. Deconinck, « Le principe d’intégration. Historique et interprétation »,

Revue européenne de droit de l’environnement, n° 2, 2001, p. 152-167. 444 E. Rehbinder, « Les instruments de droit de l’environnement basés sur le marché : de nouvelles orientations

pour le droit ? L’exemple de l’échange des quotas d’émission de gaz à effet de serre », in Pour un droit économique

de l’environnement. Mélanges en l’honneur de Gilles J. Martin, Éditions Frison-Roche, 2013, p. 479-497, spéc.

p. 479. 445 Ibid. 446 Voy. infra n° 122.

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

104

demande si le recours aux instruments économiques ne vise pas in fine à promouvoir des

instruments conformes au marché, uniquement dans le but de se soustraire à une réglementation

directe jugée trop contraignante447. Si c’était le cas, le recours à ces instruments perdrait toute

justification car l’efficacité des instruments économiques n’est démontrée que s’ils parviennent

à réaliser une meilleure protection de l’environnement à un coût global mois élevé pour la

société. C’est pourquoi il est préférable que des règles juridiques encadrent le maniement des

instruments économiques depuis leur définition jusqu’à leur mise en œuvre448. Comme l’écrit

un auteur, « paradoxalement, la force de l’encadrement juridique est la condition du bon

fonctionnement de ces outils »449.

120. Les instruments économiques sont complémentaires plutôt que concurrents

aux instruments réglementaires. Leur promotion n’aboutit pas à l’abolition du droit450. Ceci

est d’autant plus vrai en matière environnementale. En effet, quels que soient les outils utilisés,

l’objectif poursuivi par le droit de l’environnement demeure le même : assurer une meilleure

protection de l’environnement. De façon originale, les instruments économiques peuvent servir

de verrou à une réglementation environnementale ambitieuse, sachant qu’ils se développent à

l’intérieur de cette réglementation. Aucune atteinte à la fonction normative du droit ne peut

ainsi être caractérisée. Le droit continue à accomplir son rôle car, dans tous les cas, l’État

possède une marge de manœuvre politique importante pour décider des concepts stratégiques

de la régulation environnementale451. Les instruments de politique environnementale requièrent

tous un certain degré d’interventionnisme étatique. L’étude des dispositifs en droit français en

matière de lutte contre les gaz à effet de serre nous permettra de nous en convaincre.

B. Les dispositifs en droit français en matière de lutte contre les gaz à effet de serre

121. En matière de lutte contre le changement climatique, le droit français mobilise

parallèlement deux outils économiques : un outil financier (1) et un outil fiscal (2). Qu’il

447 Voy. sur ces questions : S. Maljean-Dubois, « Le recours à l’outil économique : un habit neuf pour les politiques

environnementales », in L’outil économique en droit international et européen de l’environnement, sous la dir. de

S. Maljean-Dubois, La Documentation française, 2002, p. 9-19. 448 A. Van Lang, « Les sources traditionnelles en droit de l’environnement », in Le droit et l’environnement,

Association Henri Capitant, Journées nationales Tome XI / Caen, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2010,

p. 11-32, spéc. p. 31. 449 Ibid. 450 Ibid. 451 E. Rehbinder, « Les instruments de droit de l’environnement basés sur le marché : de nouvelles orientations

pour le droit ? L’exemple de l’échange des quotas d’émission de gaz à effet de serre », op. cit., spéc. p. 483.

Chapitre I. Contexte juridique de la lutte contre le changement climatique

105

s’agisse donc du marché des quotas d’émission ou de la taxation du carbone, ces deux approches

sont inspirées du principe pollueur-payeur452.

1. L’outil financier : le marché des quotas d’émission

122. La question climatique a conduit à la création d’un nouvel instrument

financier : les quotas d’émission de gaz à effet de serre. Pour rappel, le Protocole de Kyoto

de 1997 comporte des objectifs chiffrés de réduction des gaz à effet de serre et autorise voire

incite les États à recourir à des mécanismes dits de flexibilité, comme les marchés des quotas

d’émission, pour atteindre ces objectifs453. Il marque ainsi le passage d’une régulation de

l’environnement par les normes à une régulation de l’environnement par les instruments

économiques. C’est donc le Protocole de Kyoto qui a ouvert la voie à la création de marchés

nationaux et internationaux de quotas d’émission de gaz à effet de serre. Par la suite, l’Union

européenne est devenue un acteur essentiel de la mise en œuvre de ces marchés. Après avoir

ratifié, en 2002, le Protocole de Kyoto, elle a mis en place, par sa directive 2003/87/CE454, son

propre système européen d’échange de quotas d’émission (ci-après « SEQE-UE »)455.

Aujourd’hui, le SEQE-UE est une pièce maîtresse de la politique de l’Union européenne en

matière de lutte contre le changement climatique et un outil essentiel pour réduire de manière

économiquement avantageuse les émissions de gaz à effet de serre. En effet, l’article 1er de la

directive 2003/87/CE indique avoir établi un système communautaire d’échange de quotas

d’émission « afin de favoriser la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans des

conditions économiquement efficaces et performantes ». La France a transposé cette directive

par une ordonnance n° 2004-330 du 15 avril 2004456. Le mécanisme communautaire a été

intégré aux articles L. 229-5 et suivants du code de l’environnement457.

452 Voy. infra n° 128. 453 Voy. supra nos 62 et 63. 454 Directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 2003 établissant un système

d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans la Communauté et modifiant la directive 96/61/CE du

Conseil, JOUE L 275 du 25 octobre 2003, p. 32-46. 455 Voy. pour une étude complète du SEQE-UE : J.-C. Rotouillé, L’utilisation de la technique de marché en droit

de l’environnement. L’exemple du système européen d’échange des quotas d’émission de gaz à effet de serre, op.

cit. 456 Ordonnance n° 2004-330 du 15 avril 2004 portant création d’un système d’échange de quotas d’émission de

gaz à effet de serre, JO, 17 avril 2004. 457 M. Moliner-Dubost, « Le système français d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre », AJDA,

2004, p. 1132.

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

106

123. Comment définit-on les quotas d’émission et quelle est précisément leur

nature juridique ? Selon l’article L. 229-7 du code de l’environnement, un quota d’émission

de gaz à effet de serre est « une unité de compte représentative de l’émission de l’équivalent

d’une tonne de dioxyde de carbone ». Cette même disposition, ainsi que les dispositions

suivantes, décrivent le processus d’allocation des quotas d’émission qui apparaît, en effet,

comme un mécanisme administratif dont le point de départ est une affectation aux exploitants

des installations classées et des compagnies aériennes des quotas d’émission pour une période

déterminée, à charge pour ces exploitants de les restituer à l’issue de cette période. C’est

pourquoi un auteur relève que le système d’échange des quotas d’émission « est encore

relativement proche de la régulation administrative […] Il réagit aux pressions exercées par un

problème environnemental précisément défini [et] vise à accomplir des objectifs de qualité de

l’environnement fixés par la régulation administrative. Autrement dit, ce n’est pas le marché

qui détermine la qualité de l’environnement en pesant les coûts et les bénéfices mais, plutôt, la

régulation administrative de l’État ; le marché ne jouant alors qu’un rôle instrumental »458.

Cela dit, l’article L. 229-15 du code de l’environnement prend une direction différente

en établissant un régime de droit privé. Ce texte qualifie les quotas d’émission de « biens

meubles » matérialisés par une inscription au compte de leur détenteur dans un registre national.

Ils sont déclarés négociables et transmissibles par virement de compte à compte et ils confèrent

des droits identiques à leurs détenteurs. Ce « dispositif ambivalent porteur d’ambiguïtés »459 a

fait couler beaucoup d’encre en doctrine460. À notre sens, il est une merveilleuse illustration de

458 E. Rehbinder, « Les instruments de droit de l’environnement basés sur le marché : de nouvelles orientations

pour le droit ? L’exemple de l’échange des quotas d’émission de gaz à effet de serre », op. cit., spéc. p. 479. 459 Th. Granier, « Le marché de quotas d’émission de gaz à effet de serre et les interactions entre le droit financier

et le droit de l’environnement », in Pour un droit économique de l’environnement. Mélanges en l’honneur de

Gilles J. Martin, Éditions Frison-Roche, 2013, p. 225-237, spéc. p. 231. 460 Voy. par exemple : T. Chaumeil et M. J. H. Smith, « Réflexions sur le statut juridique des quotas d’émission

de gaz à effet de serre », BDEI, n° 2, 2003, p. 9 ; M. Moliner, « Pollution atmosphérique : analyse du droit

d’émission négociable sous l’angle du droit privé », Gaz. Pal., 12-14 octobre 2003, p. 18 ; B. Le Bars, « La nature

juridique des quotas d’émission de gaz à effet de serre après l’ordonnance du 15 avril 2004 – réflexions sur

l’adaptabilité du droit des biens », JCP G, n° 28, 2004, 148 ; S. Giulj, « Les quotas d’émission de gaz à effet de

serre : la problématique de la nature juridique des quotas et ses implications en matière comptable et fiscale »,

Bull. Joly Bourse, 2004, p. 22 ; C. Mistral, « Le régime juridique des droits d’émission de gaz à effet de serre en

France », LPA, 2004, n° 146, p. 13 ; Y. Jégouzo, « Les autorisations administratives vont-elles devenir des biens

meubles ? », AJDA, 2004, p. 945 ; M. Teller, « Les marchés financiers, régulateurs de la politique

environnementale », Bull. Joly Bourse, 2005, n° 3, p. 21 ; Th. Revet, « Les quotas d’émission de gaz à effet de

serre (ou l’atmosphère à la corbeille ?) », D., 2005, p. 2632 ; P. Thieffry, « La “titrisation” des quotas d’émission

de gaz à effet de serre », BDEI, n° 10, 2007, n° 10, p. 17 ; S. Rousseaux, « Les quotas d’émission de gaz à effet de

serre : une nouvelle catégorie de ressources rares », Gaz. Pal., 19 janvier 2006, p. 38 ; M.-A. Hermitte, « La nature

juridique des quotas de gaz à effet de serre. Une histoire intellectuelle », in Annales de la Régulation, vol. 1, 2006,

LGDJ, 2006, p. 541-583 ; P. Herbel et P. Kromarek, « Un exemple d’instrument économique de protection de

l’environnement : la réduction des émissions de gaz à effet de serre », D., 2007, p. 963 ; F.-G. Trébulle,

« Environnement et droit des biens », in Le droit et l’environnement, Association Henri Capitant, Journées

Chapitre I. Contexte juridique de la lutte contre le changement climatique

107

la porosité des frontières déjà évoquée entre droit public et droit privé461. D’où vient la

difficulté ?

La puissance publique délivre des quotas d’émission aux entreprises polluantes. Par

conséquent, ces quotas peuvent s’analyser en des autorisations administratives unilatérales

d’émettre des gaz à effet de serre dans la limite des quotas attribués. Dans le même temps, ces

quotas peuvent être négociés sur le marché par les entreprises concernées qui peuvent soit

vendre les quotas non utilisés, soit acheter, en vue d’augmenter leur capacité de polluer, les

quotas dont des entreprises attributaires n’auraient pas fait usage. Ainsi, paradoxalement, alors

que les autorisations administratives sont par essence inaliénables et intransmissibles, dans le

système des quotas, elles sont librement cessibles sur le marché, d’où leur qualification de

« biens meubles ». Au regard des principes du droit administratif, il est difficile d’admettre

qu’une autorisation administrative soit un bien462. Et pourtant, c’est la qualification retenue par

le législateur français à l’article L. 229-15 du code de l’environnement. Selon le Professeur

François-Guy Trébulle, « la singularité des quotas réside probablement dans le fait que jamais,

jusqu’alors, le droit français n’avait envisagé, de manière aussi radicale, qu’une autorisation

administrative puisse être le negotium d’un titre dont l’instrumentum dématérialisé est constitué

d’une inscription en compte. Jamais encore, le législateur n’avait aussi explicitement consacré

la négociabilité d’un droit à produire et n’avait eu l’idée de fondre un mécanisme de protection

de l’environnement dans le cadre si connu du droit commercial »463.

Les quotas d’émission sont donc qualifiés de biens par le législateur français. Mais à

quelle catégorie de biens sont-ils rattachés ? Cette question, aujourd’hui résolue, a préoccupé

la doctrine pendant longtemps. En effet, il était important de savoir la nature précise des quotas

d’émission dans la mesure où seuls les instruments financiers énumérés à l’article L. 211-1 du

code monétaire et financier avaient, à l’origine, vocation à circuler sur les marchés financiers.

Il s’agit des titres financiers (titres de capital émis par les sociétés par actions, titres de créance,

parts ou actions d’organismes de placement collectif) et contrats financiers, également

dénommés « instruments financiers à terme ». Or, les quotas d’émission de gaz à effet de serre

ne figuraient pas, et ne figurent d’ailleurs toujours pas, sur cette liste. Pourtant, à y regarder de

près, la définition que le législateur leur a donnée à l’article L. 229-15 du code de

l’environnement rappelle celle des instruments financiers : ils sont négociables, transmissibles

nationales Tome XI / Caen, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2010, p. 85-115, spéc. p. 94-100 ; id., « Les

titres environnementaux », Revue juridique de l’environnement, vol. 36, n° 2, 2011, p. 203-226. 461 Voy. supra n° 12. 462 H. de Gaudemar, « Les quotas d’émission de gaz à effet de serre », RFDA, 2009, p. 25. 463 F.-G. Trébulle, « Environnement et droit des biens », op. cit., spéc. p. 96.

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

108

par virement de compte à compte et confèrent des droits identiques à leurs détenteurs. De ce

fait, Thierry Bonneau affirmait que la catégorie des titres financiers pouvait très bien accueillir

les quotas d’émission464. Arnaud Reygrobellet estimait, dans le même sens, que les quotas

d’émission pouvaient intégrer la catégorie des instruments financiers dans la mesure où cette

catégorie n’a jamais eu d’unité conceptuelle465. L’auteur en concluait, de manière générale,

qu’il est donc possible d’y intégrer assez facilement de nouveaux instruments, dès lors qu’ils

répondent à certains critères466. Cependant, comme l’indiquait Thierry Granier, le problème

serait alors de dégager les critères déterminants467.

Dans un premier temps, les autorités publiques ont choisi de peu réguler les opérations

d’échange468. Ces dernières sont intervenues soit de gré à gré, soit sur des marchés organisés

par différents acteurs. Cette régulation allégée a permis à certains acteurs d’avoir des

comportements frauduleux qui ont occasionné de graves dysfonctionnements dans le marché

de quotas. En 2006, le marché des quotas a connu une forte chute des prix et, en 2009, une

fraude massive à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) en Europe a été découverte. Dans ce

contexte, les autorités publiques ont décidé de placer le marché Bluenext, qui était devenu le

marché de référence dans ce domaine, sous le statut de marché réglementé. Ainsi, en 2010, la

loi n° 2010-1249 dite de régulation bancaire et financière469 a aménagé la définition des

marchés réglementés en élargissant la catégorie des actifs susceptibles d’être traités sur ces

marchés. Dans sa rédaction issue de cette loi, l’article L. 421-1, II du code monétaire et financier

prévoyait que la notion de marché réglementé concerne les transactions d’instruments

financiers tels que définis par l’article L. 211-1 ainsi que les transactions de quotas d’émission

de gaz à effet de serre. Par ailleurs, il est vrai qu’alors qu’il en avait l’occasion, le législateur

français n’a pas modifié l’énumération des instruments financiers de l’article L. 211-1 du code

monétaire et financier, simplement, ce nouveau dispositif a permis la circulation des quotas

d’émission sur les marchés réglementés considérés comme mieux sécurisés. En effet, le marché

464 Th. Bonneau, « Quotas de CO2, biens et titres financiers », Bull. Joly Bourse, 2001, n° 3, p. 207. 465 A. Reygrobellet, « Extension de la notion de marché réglementé aux quotas d’émission de CO2 et à certains

actifs », Revue trimestrielle de droit financier, n° 4, 2010, p. 103. 466 Ibid. 467 Th. Granier, « Le marché de quotas d’émission de gaz à effet de serre et les interactions entre le droit financier

et le droit de l’environnement », op. cit., spéc. p. 234. 468 Th. Granier, « Le retour en grâce du modèle que constitue le “marché réglementé” ? », Bull. Joly Bourse, 2012,

n° 12, p. 550. 469 Loi n° 2010-1249 du 22 octobre 2010 de régulation bancaire et financière, JO, 23 octobre 2010 ; Th. Bonneau,

« Commentaire de la loi n° 2010-1249 du 22 octobre 2010 de régulation bancaire et financière », JCP E, n° 44-

45, 2010, 1957 ; A. Reygrobellet, « Marchés réglementés et quotas d’émission : les apports du livre VII du

règlement général de l’AMF », Revue Lamy Droit des affaires, n° 60, 2011, p. 29.

Chapitre I. Contexte juridique de la lutte contre le changement climatique

109

réglementé apparaît comme un modèle de marché470 pour la sécurité et l’efficacité des

transactions.

Toujours dans un souci de renforcer le cadre de la réglementation des marchés

d’instruments financiers, une directive européenne est intervenue en 2014471. Ayant pour

objectif de rendre les marchés financiers plus efficients, résilients et transparents, cette directive

a innové sur de nombreux points472. Elle a notamment inclus dans la catégorie des instruments

financiers les quotas d’émission de gaz à effet de serre. Les dispositions de cette directive ont

été transposées en droit français par une ordonnance n° 2016-827 du 23 juin 2016473, qui est

entrée en vigueur le 3 janvier 2018. La définition des marchés réglementés n’a pas été

substantiellement modifiée, si ce n’est que son extension aux quotas d’émission de gaz à effet

de serre, réalisée, comme nous venons de le voir, en 2010, a été supprimée. Elle n’était plus

nécessaire puisque ces quotas ont été inclus dans la catégorie des instruments financiers

négociables sur les plates-formes de négociation, par une disposition commune applicable à

l’ensemble de ces plates-formes474. Aujourd’hui, l’article L. 420-1, II du code monétaire et

financier dispose que l’expression « instruments financiers » désigne les instruments financiers

au sens de l’article L. 211-1 du même code et les unités mentionnées à l’article L. 229-7 du

code de l’environnement, c’est-à-dire les quotas d’émission de gaz à effet de serre. Il est

évidemment légitime de se demander si cette disposition n’aurait pas dû être située à l’article

L. 211-1 du code monétaire et financier. Une fois de plus, le législateur français a quelque peu

curieusement refusé de toucher à cette disposition. Quoi qu’il en soit, la question de la nature

précise de ces biens meubles que sont les quotas d’émission de gaz à effet de serre semble être

enfin résolue.

124. L’originalité de ce nouvel instrument financier de politique environnementale

consiste en ce qu’il ne fonctionne pas en ordonnant aux acteurs économiques d’adopter un

certain comportement, mais en transférant au marché le rôle traditionnellement joué par l’État.

470 Th. Granier, « Le retour en grâce du modèle que constitue le “marché réglementé” ? », op. cit. 471 Directive 2014/65/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 concernant les marchés

d’instruments financiers et modifiant la directive 2002/92/CE et la directive 2011/61/UE, JOUE L 173 du 12 juin

2014, p. 349-496. 472 Voy. pour une présentation détaillée : Th. Bonneau, « La réforme des marchés d’instruments financiers », JCP

E, n° 30-34, 2016, 1449. 473 Ordonnance n° 2016-827 du 23 juin 2016 relative aux marchés d’instruments financiers, JO, 24 juin 2016. 474 Au sens de la directive, une plate-forme de négociation est un marché réglementé, un système multilatéral de

négociation ou un système organisé de négociation.

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

110

Par ailleurs, la mise en place du marché des quotas d’émission correspond à un phénomène plus

général de financiarisation du droit de l’environnement475, ou, selon l’expression de Laurence

Boy, de « marchandisation assumée de l’environnement »476. Dans sa contribution intitulée

« L’appel à la régulation en droit de l’environnement », l’auteure écrivait que « le système des

quotas pris en application du Protocole de Kyoto de 1997 est la première application d’une

dématérialisation des choses de la nature devenues non seulement biens juridiques mais biens

disponibles et échangeables »477. Devant « l’irrésistible marchandisation de la nature dans une

économie libérale »478, un appel est fait à la régulation et au droit afin de garantir que la logique

environnementaliste ne sera pas écrasée par les rouages marchands.

Parallèlement à la financiarisation du droit de l’environnement, l’encadrement

juridique progressif du marché des quotas d’émission de gaz à effet de serre a eu un impact sur

« les fondamentaux de la réglementation financière »479. La question climatique a notamment

eu une influence sur la notion d’instrument financier.

125. En matière de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, un autre outil

économique, de nature fiscale cette fois, est également mis en place en droit français.

2. L’outil fiscal : la taxation du carbone

126. La question de la taxation du carbone fait l’objet depuis les années 1990 de

discussions et de propositions, tant au niveau européen qu’au niveau interne. En Europe,

la taxation du carbone a fait du chemin, sans pour autant être adoptée. L’obtention nécessaire

de l’unanimité en a empêché l’instauration, malgré deux tentatives en 1992 et 1995. Pour

rappel, à cette même époque, lors des négociations du Protocole de Kyoto, plusieurs États

européens se sont prononcés en faveur d’un système de taxes harmonisées des émissions de

dioxyde de carbone au sein des pays industrialisés. Cependant, l’idée d’une taxation au niveau

international n’a pas été retenue, les États ne parvenant pas à trouver un consensus480. En effet,

475 Th. Granier, « Le marché de quotas d’émission de gaz à effet de serre et les interactions entre le droit financier

et le droit de l’environnement », op. cit. 476 L. Boy, « L’appel à la régulation en droit de l’environnement », in Pour un droit économique de

l’environnement. Mélanges en l’honneur de Gilles J. Martin, Éditions Frison-Roche, 2013, p. 71-74, spéc. p. 72. 477 Ibid. 478 Ibid., spéc. p. 74. 479 H. Boucheta, « Encadrement du marché CO2 : les fondamentaux de la réglementation financière en question »,

Bull. Joly Bourse, 2010, n° 5, p. 438, cité par Th. Granier, « Le marché de quotas d’émission de gaz à effet de

serre et les interactions entre le droit financier et le droit de l’environnement », op. cit., spéc. p. 231. 480 Voy. supra n° 62.

Chapitre I. Contexte juridique de la lutte contre le changement climatique

111

à l’ère de la mondialisation de l’économie, la question de la compétence fiscale des États est

considérée avec prudence et réserve. Les États ne sont pas très enclins à céder cette arme dont

ils disposent qu’est la fiscalité, ni même d’en partager l’usage. Preuve en est que les termes de

souveraineté, de compétence et de territorialité n’ont jamais été aussi utilisés qu’à la fin du

vingtième siècle et en ce début de vingt-et-unième siècle.

Pour ce qui concerne la France, la route vers l’instauration d’une taxe carbone a été

plus que laborieuse voire très chaotique. Elle a été marquée par les difficultés du législateur à

concevoir des dispositifs qui respectent le principe constitutionnel d’égalité devant les charges

publiques481, comme l’ont illustré les censures répétées du Conseil constitutionnel. En 2000,

d’abord, le Conseil constitutionnel a censuré le projet d’extension de la taxe générale sur les

activités polluantes (ci-après « TGAP ») à l’énergie482. Il a affirmé la constitutionnalité de

l’objectif du législateur de renforcer, par l’institution d’une fiscalité dissuasive, la lutte contre

les émissions de gaz à effet de serre, en rappelant que le principe d’égalité ne fait pas obstacle

à ce que soient établies des impositions spécifiques ayant pour objet d’inciter les redevables à

adopter des comportements conformes à des objectifs d’intérêt général. En revanche, le juge

constitutionnel a constaté, en l’occurrence, une inadéquation des modalités de mise en œuvre

avec l’objectif affiché par le législateur. Par conséquent, il a déclaré contraire à la Constitution

la disposition créant l’écotaxe après avoir établi que l’imposition produisait des effets « contre-

productifs » et qu’elle touchait une énergie non polluante, l’électricité. En 2009, le Conseil

constitutionnel a de nouveau censuré le dispositif que le législateur avait prévu483. Il s’agit de

la fameuse « contribution carbone ». Cette taxe avait pour objectif d’inciter les entreprises, les

ménages et l’administration à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Toutefois, le

législateur avait multiplié les régimes d’exemption totale en faveur des industriels, si bien que

93 % des émissions d’origine industrielle étaient totalement exonérées de la contribution et que

les activités assujetties représentaient moins de la moitié de la totalité des émissions484. Le

Conseil constitutionnel a jugé qu’en raison de son incohérence avec l’objectif poursuivi de

réduction des émissions de gaz à effet de serre, ce dispositif était contraire au principe d’égalité

devant les charges publiques. À cette occasion, le juge constitutionnel a énoncé un objectif de

lutte contre le réchauffement climatique dont la portée n’était pas bien claire.

481 Voy. sur cette question : O. Fouquet, « Le Conseil constitutionnel et le principe d’égalité devant l’impôt », Les

Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, vol. 33, n° 4, 2011, p. 7-13. 482 Cons. const., 28 déc. 2000, n° 2000-441 DC, Loi de finances rectificative pour 2000, D., 2001, p. 1842, note

D. Ribes. 483 Cons. const., 29 déc. 2009, n° 2009-599 DC, Loi de finances pour 2010, AJDA, 2010, p. 277, note W. Mastor. 484 Y. Aguila et G. Froger, « Bulle climatique. État des lieux de la fiscalité sur le carbone », JCP G, n° 29, 2014,

858.

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

112

À la suite de cette décision de censure, la loi de finances pour 2014485 a institué la

« contribution climat énergie » sous la forme d’un relèvement de la taxe intérieure de

consommation sur les produits énergétiques (ci-après : « TICPE »). La « contribution climat

énergie » est une écotaxe sur les émissions de dioxyde de carbone, principal gaz à effet de serre,

qu’elle vise à réduire. Cette taxe décourage les émissions polluantes en faisant payer les

pollueurs à proportion de leurs émissions. Elle est appliquée en amont, sur les énergies fossiles.

Sa répercussion sur les produits finaux augmente le prix de ceux-ci proportionnellement aux

émissions de dioxyde de carbone engendrées par leur production et leur utilisation. La

fabrication de produits moins émetteurs de gaz à effet de serre est ainsi encouragée.

L’augmentation progressive et programmée de la taxe permet de guider les investissements sur

le long terme, en laissant le temps nécessaire aux consommateurs et aux entreprises pour

s’adapter. C’est en tout cas l’objectif de ce dispositif. Cependant, nous devons le signaler, cette

taxe carbone souffre aujourd’hui de son caractère impopulaire.

127. Il est regrettable de constater qu’en raison de ses conséquences économiques, et

malgré ses incontestables atouts et potentialités pour lutter contre le réchauffement climatique,

la fiscalité écologique486 a du mal à progresser. Pire, il semblerait qu’elle n’est pas à l’abri de

remises en cause, comme en témoigne notamment le gel de la hausse des taxes sur les carburants

par la loi de finances pour 2019487.

128. Qu’il s’agisse de l’outil financier ou de l’outil fiscal, ces approches

économiques sont inspirées du principe pollueur-payeur488. Généralement présenté comme

485 Loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014, JO, 30 décembre 2013. 486 Voy. sur la fiscalité écologique : R. Hertzog, « La fiscalité environnementale, notion et état du droit positif en

France », in Année de l’environnement, Actes du colloque de Nice, 26-27 mai 1983, PUF, 1984, p. 49-101 ; M.

Potier, « La fiscalité au service des politiques de l’environnement », RFFP, n° 1, 1983, p. 155 ; A. Baudu, « La

charte de l’environnement au secours de la fiscalité écologique ? », Revue juridique de l’environnement, n° 2,

2008, p. 157-173 ; id., « La fiscalité environnementale française : une fiscalité de rendement ou d’incitation ? »,

Revue française d’administration publique, vol. 144, n° 4, 2012, p. 981-993 ; M. Chiroleu-Assouline, « La fiscalité

environnementale en France peut-elle devenir réellement écologique ? État des lieux et conditions

d’acceptabilité », Revue de l’OFCE, vol. 139, n° 3, 2015, p. 129-165. 487 J.-M. Pastor, « Les principales mesures de la loi de finances pour 2019 », AJDA, 2019, p. 4. 488 Voy. sur ce principe : OCDE, Le principe pollueur-payeur. Définition, analyse, mise en œuvre, Paris, OCDE,

1975 ; H. Smets, « À propos d’un éventuel principe pollueur-payeur en matière de pollution transfrontalière »,

Environmental Policy and Law, sept. 1982, p. 40 ; id., « Le principe pollueur-payeur, un principe économique

érigé en principe de droit de l’environnement », Revue générale de droit international public, n° 2, 1993, p. 339-

364 ; N. de Sadeleer, Les principes de pollueur-payeur, de prévention et de précaution, Essai sur la genèse et la

portée juridique de quelques principes du droit de l’environnement, préf. F. Ost, Bruylant, 1999, p. 50 ; M. Prieur,

Droit de l’environnement, op. cit., p. 197-207. Voy. également pour un examen critique : H. Smets, « Examen

critique du principe pollueur-payeur », in Les hommes et l’environnement. Quels droits pour le vingt-et-unième

siècle ? Études en hommage à Alexandre Kiss, sous la dir. de M. Prieur et C. Lambrechts, Éditions Frison-Roche,

1998, p. 77-95.

Chapitre I. Contexte juridique de la lutte contre le changement climatique

113

ayant une origine économique, le principe pollueur-payeur est un principe directeur des

politiques environnementales. Dans sa recommandation du 26 mai 1972, le Conseil de l’OCDE

indique que le principe pollueur-payeur « signifie que le pollueur devrait se voir imputer les

dépenses relatives aux mesures arrêtées par les pouvoirs publics pour que l’environnement soit

dans un état acceptable. En d’autres termes, le coût de ces mesures devrait être répercuté dans

le coût des biens et services qui sont à l’origine de la pollution du fait de leur production et/ou

de leur consommation »489. Une deuxième recommandation du 14 novembre 1974 précise la

mise en œuvre du principe pollueur-payeur490. Ce texte indique que l’application efficace du

principe repose sur une internalisation uniforme du coût des pollutions. Elle recommande, en

conséquence, que les aides publiques accordées en matière de lutte contre la pollution soient

sélectives et limitées à certaines zones ou certains secteurs économiques, qu’elles soient

transitoires et qu’elles n’induisent pas de distorsions de concurrence dans les échanges

internationaux. Sans rentrer dans les détails, on notera que le principe pollueur-payeur a été

consacré par une partie de la communauté internationale dans plusieurs textes juridiques

contraignants491. En outre, aux termes du principe 16 de la Déclaration de Rio de 1992, « les

autorités nationales devraient s’efforcer de promouvoir l’internalisation des coûts de protection

de l’environnement et l’utilisation d’instruments économiques, en vertu du principe selon

lequel c’est le pollueur qui doit, en principe, assumer le coût de la pollution, dans le souci de

l’intérêt public et sans fausser le jeu du commerce international et de l’investissement ». Bien

que ce texte ne soit pas contraignant et que la formulation du principe pollueur-payeur soit assez

prudente, sa portée est importante. La référence à l’utilisation d’instruments économiques est

tout à fait dans la logique de la nature économique du principe.

Le principe pollueur-payeur a été inscrit dans le droit français par la loi du 2 février

1995492, en même temps que la plupart des autres principes du droit de l’environnement.

L’article L. 110-1, II, 3° du code de l’environnement le définit comme le principe « selon lequel

les frais résultant des mesures de prévention, de réduction de la pollution et de lutte contre celle-

ci doivent être supportés par le pollueur ». Cette formulation paraît assez large et, en dehors du

champ européen, le principe pollueur-payeur n’a qu’une valeur législative. Certes, il inspire

489 OCDE, Recommandation du Conseil du 26 mai 1972, sur les principes directeurs relatifs aux aspects

économiques des politiques de l’environnement sur le plan international, C(72)128. 490 OCDE, Recommandation du Conseil du 14 novembre 1974, sur la mise en œuvre du principe pollueur-payeur,

C(74)223. 491 Par exemple, la Convention d’Helsinki sur les effets transfrontières des accidents industriels de 1992 ou la

Convention de Lugano sur la responsabilité civile des dommages résultant d’activités dangereuses pour

l’environnement du 21 juin 1993. 492 Loi n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement, JO, 3 février

1995.

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

114

certaines dispositions de la Charte constitutionnelle de l’environnement. Pour autant, il n’y est

pas formellement intégré. Le devoir de réparation proclamé à l’article 4 de la Charte décline le

principe pollueur-payeur sous sa dimension curative, en disposant que : « Toute personne doit

contribuer à la réparation des dommages qu’elle cause à l’environnement, dans les conditions

définies par la loi ». Cependant, la dimension préventive du principe ainsi que l’exigence de

réparation intégrale sont laissées de côté. Comme l’écrit Gilles Martin, « si les mots ont un sens,

le texte sonne le glas du principe pollueur-payeur »493.

Le marché des quotas d’émission et la taxation du carbone sont deux outils

économiques complémentaires d’application du principe pollueur-payeur. Dans les deux cas, il

s’agit de combler les coûts externes environnementaux, en les internalisant. L’internalisation

des coûts, c’est-à-dire l’obligation pour le pollueur de supporter ces coûts, présente l’avantage

de faire comprendre au pollueur l’ampleur des mesures antipollution qu’il doit prendre en

relation avec ses activités.

129. En résumé, dans le cadre de cette section, nous avons observé la manière dont

l’État français s’est préoccupé du problème du réchauffement climatique et les moyens qu’il a

mobilisés pour combattre ce phénomène. Effectivement, les politiques publiques en matière de

climat prolifèrent. Doucement mais sûrement, la question climatique pénètre dans le droit, si

bien que la lutte contre le changement climatique est aujourd’hui inscrite dans l’ordre juridique

français. Le droit se reconstruit autour du phénomène climatique, qui transcende les catégories

juridiques et structures établies. Par ailleurs, le caractère global de ce phénomène requiert la

mise en place d’actions diverses et variées ainsi que la mobilisation d’acteurs de toutes natures.

C’est là un problème majeur de la lutte contre le changement climatique. Comment mobiliser

l’ensemble des acteurs ? Par quels moyens les responsabiliser ? Quels acteurs en priorité ?

S’agissant des acteurs économiques, acteurs majeurs de la lutte contre le changement

climatique, nous avons pu observer que leur mobilisation se fait généralement à travers le

recours à des instruments économiques, qui sont, par définition, plus souples que les

instruments réglementaires et mieux compris par leurs destinataires. Cependant sont-ils

toujours adaptés ? Permettent-ils de parvenir aux résultats escomptés ? En effet, aussi paradoxal

que cela puisse paraître, le bon fonctionnement des instruments économiques dépend de la force

de leur encadrement juridique. Autrement dit, le retour au droit est toujours indispensable.

493 G. Martin, « Observations d’un “privatiste” sur la Charte de l’environnement », Revue de droit public, 2004, p.

1207.

115

Conclusion du Chapitre I

130. Conclusion du Chapitre I relatif au contexte juridique de la lutte contre le

changement climatique. Comprendre le contexte juridique de la lutte contre le changement

climatique est un préalable nécessaire à toute autre analyse juridique en la matière. Aujourd’hui,

la lutte contre le changement climatique est devenue un impératif planétaire. La globalité du

phénomène climatique aboutit cependant à une sorte de déconstruction du droit et provoque un

recul de la norme substantielle. Sur les décombres, un espoir renaît qui est celui de reconstruire

un nouveau droit, plus ambitieux et plus efficace.

En raison justement du caractère global du phénomène climatique, sa résolution se

décide d’abord à l’échelle internationale. La négociation multilatérale souffre cependant des

divergences entre États, lesquelles paraissent parfois tristement insurmontables. La grande

complexité et les multiples incertitudes qui caractérisent la problématique climatique,

combinées au souhait des États de préserver leurs intérêts économiques, sont un facteur de

ralentissement du processus intergouvernemental. Or, ce ralentissement est clairement

incompatible avec le caractère urgent du problème climatique. La planète ne peut plus attendre

et « il n’y a pas de planète B », comme disait, à l’ouverture de la COP 24 à Katowice (Pologne),

l’astronaute de l’ESA Alexander Gerst depuis son poste à la Station spatiale internationale.

L’action s’impose. La communauté internationale exprime le besoin pour les États d’élaborer

des politiques climatiques plus ambitieuses, en associant l’ensemble des acteurs, et notamment

les entreprises. En effet, dans le contexte de la mondialisation, la coopération entre États ne

peut donner des résultats que si elle s’accompagne d’une coopération avec le secteur privé.

Cette même dynamique se retrouve à l’échelle nationale. En France, les politiques

publiques traduisent les scénarios climatiques planétaires. Les engagements internationaux de

l’État français sont retranscrits dans l’ordre juridique interne. Pour mener la lutte contre le

changement climatique, les autorités publiques s’appuient essentiellement sur les acteurs

économiques qu’ils responsabilisent au travers d’outils de natures diverses. Pour la plupart, ces

outils reposent sur l’incitation. La difficulté est alors de garantir que le recours accru à ces outils

incitatifs n’aura pas pour conséquence de négliger l’objectif de protection du climat. Car il est

vrai que, quelque peu paradoxalement, les acteurs économiques arrivent parfois à détourner ces

outils de leur objectif initial pour en faire des instruments de croissance économique, sans

apporter les changements profonds nécessaires.

Le chemin à parcourir reste encore long. Mais le processus de responsabilisation des

acteurs économiques dans le contexte de lutte contre le changement climatique est en marche.

117

Chapitre II. Analyse juridique du rôle de l’entreprise dans la lutte contre le changement

climatique : la recherche de conciliation

131. Peut-on associer l’entreprise à la lutte contre le changement climatique ? N’y a-

t-il pas quelque chose de dérangeant dans l’idée même de conférer à l’entreprise un rôle dans

ce combat ? N’est-ce pas le rôle des États que de protéger le climat ? L’entreprise n’a-t-elle pas

déjà suffisamment de préoccupations? Elle doit se soucier de sa prospérité, des profits de ses

associés, du bien-être de ses salariés. À vrai dire, il n’y a rien d’évident dans l’affirmation du

rôle de l’entreprise dans la lutte contre le changement climatique. Il ne va pas de soi qu’elle y

participe, malgré le fait que les activités des entreprises sont en grande partie à l’origine de la

crise climatique. Dès lors, la question se pose de savoir dans quelle mesure et sur quels

fondements on peut, le cas échéant, si cela est jugé opportun, conférer un rôle à l’entreprise

dans la lutte contre le changement climatique.

Aujourd’hui, tout le monde est d’accord pour dire que les engagements des États

n’auront de valeur que si le secteur privé s’en empare et donne corps à la volonté d’inflexion.

Les textes internationaux évoquent ainsi le besoin de favoriser la coopération avec le secteur

privé, tandis que, de façon timide, à travers l’incitation, le droit interne mobilise les acteurs

économiques dans la lutte contre le changement climatique. La principale difficulté vient du

fait que les libertés économiques, au premier rang desquelles la liberté d’entreprendre, forment

l’armature des entreprises contemporaines. Dans un autre registre, et parallèlement, une place

grandissante est accordée aux problématiques environnementales.

Tout ceci conduit à la recherche systématique d’un équilibre entre l’exercice des

libertés économiques et les mesures de protection de l’environnement494. En matière de climat,

où les enjeux sont aussi bien économiques et sociaux qu’environnementaux, cet équilibre est

particulièrement délicat à trouver (section 1). Il est pourtant nécessaire, car la conciliation entre

protection du climat et liberté d’entreprendre est la condition de la réussite de la lutte contre le

changement climatique (section 2).

494 Voy. pour une étude complète : A. Tomadini, La liberté d’entreprendre et la protection de l’environnement,

Contribution à l’étude des mécanismes et de conciliation, préf. Ph. Billet, L.G.D.J., 2016.

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

118

Section 1. La conciliation difficile entre protection du climat et liberté d’entreprendre

132. La conciliation entre protection du climat et liberté d’entreprendre s’avère

problématique à double titre. D’abord, car la liberté d’entreprendre est devenue, semble-t-il,

une liberté fondamentale495. Or cette qualité lui confère une prétention à faire obstacle à l’action

de l’État ou à l’exercice d’autres droits et libertés496. Dès lors, une « ligne de tension

apparaît »497 et il convient de trancher lorsqu’il s’agit de déterminer la portée de cette liberté

(§1). Ensuite, car les rapports entre la liberté d’entreprendre et d’autres objectifs, intérêts et

droits ou libertés sont d’autant plus complexes qu’ils se déploient aujourd’hui dans différents

ordres juridiques, du fait de la mondialisation (§2).

§1. La consécration de la liberté d’entreprendre

133. Reconnue comme liberté constitutionnelle, la liberté d’entreprendre connaît une

définition large (A). Sa portée est cependant relative. Effectivement, l’accession du droit de

l’environnement au rang constitutionnel égal à celui de la liberté d’entreprendre questionne la

place de cette dernière dans l’ordonnancement juridique. Les relations qu’entretiennent la

liberté d’entreprendre et l’environnement sont particulièrement délicates. Leur conciliation

paraît souvent difficile. La protection de l’environnement et, plus spécifiquement, du climat

apparaissent avant tout comme une limite à l’exercice de la liberté d’entreprendre (B).

A. Le sens de la liberté d’entreprendre

134. Qu’est-ce qu’il convient d’entendre par « liberté d’entreprendre » (1) et quelle

est sa valeur juridique (2) ?

495 Voy. sur cette notion : Ph. Braud, La notion de liberté publique en droit français, L.G.D.J., coll. « Bibliothèque

de droit public », tome LXXVI, 1968, p. 10-14 ; M. Villey, Le droit et les droits de l’homme, PUF, coll.

« Questions », 2ème éd., 1983, p. 7-14 ; E. Picard, « Droit fondamentaux », in Dictionnaire de la culture juridique,

PUF, 2003, p. 544-549. 496 V. Champeil-Desplats, « La liberté d’entreprendre au pays des droits fondamentaux », Revue de droit du travail,

2007, n° 1, p. 19-25. 497 J.-B. Racine, « L’ordre concurrentiel et les droits de l’homme », in L’ordre concurrentiel. Mélanges en

l’honneur d’Antoine Pirovano, Éditions Frison-Roche, 2004, p. 419-449, spéc. p. 420.

Chapitre II. Analyse juridique du rôle de l’entreprise dans la lutte contre le changement climatique : la

recherche de conciliation

119

1. La notion de liberté d’entreprendre

135. Avant d’évoquer la notion de liberté d’entreprendre, arrêtons-nous un

instant sur celle, plus générale, de liberté. Qu’est-ce que la liberté ? La liberté est une notion

polysémique et il peut être assez décourageant d’en rechercher une définition. Pour le Doyen

Cornu, au « sens banal » du terme, la liberté correspond à « toute faculté », ce qui renvoie au

terme « permission ». En philosophie, la liberté se définit à la fois positivement et

négativement. Positivement d’abord, la liberté correspond à l’état de celui qui fait ce qu’il veut.

Négativement ensuite, la liberté correspond à l’absence de contrainte. Cette opposition entre la

liberté d’un côté et la contrainte de l’autre se retrouve de façon très nette dans les écrits de

Spinoza. En 1674, Spinoza écrivait : « Pour ma part, je dis que cette chose est libre qui existe

et agit par la seule nécessité de sa nature, et contrainte cette chose qui est déterminée par une

autre à exister et à agir selon une modalité précise et déterminée »498. Bien qu’il ne définisse

pas la notion de liberté, mais plutôt ce que serait une « chose libre », nous comprenons que,

pour le philosophe néerlandais, l’acte libre est celui qui exprime le mieux la nature de l’homme.

La liberté apparaît ainsi comme la conformité entre ce que l’homme est, c’est-à-dire sa nature,

et ce que l’homme fait, c’est-à-dire ses actes. Or, dans nos sociétés politiques, cette liberté est

nécessairement encadrée. Autrement, elle ne peut exister. C’est ce qu’exprimait Rousseau dans

ses Lettres écrites de la montagne : « Il n’y a donc point de liberté sans lois, ni où quelqu’un

est au-dessus des lois : dans l’état même de nature l’homme n’est libre qu’à la faveur de la loi

naturelle qui commande à tous »499. Pour lui, « la liberté consiste moins à faire sa volonté qu’à

n’être pas soumis à celle d’autrui »500. Dans un sens, Nietzsche aussi concevait la liberté comme

le contraire de la servitude501. Simplement, chez Nietzsche, la liberté ne supporte aucun interdit,

et d’abord de l’État qu’il définit comme « le plus froid de tous les monstres froids »502.

La question des relations entre État et liberté est d’ailleurs cruciale. Ces relations sont

pour le moins tendues. Certains perçoivent l’État comme l’adversaire de l’individu. Son autorité

briderait les libertés individuelles en leur imposant des lois. Dans cette acception, la liberté est

absolue, sans entrave, comme l’imaginait Nietzsche. La tentation est grande de définir la liberté

comme une absence de toute contrainte. Mais cette vision idéaliste de la liberté, fruit d’un

498 B. Spinoza, Lettre à Schuller, 1674, reproduit dans : Spinoza, Traité politique. Lettres, Flammarion, 1966, p.

303-305. 499 J.-J. Rousseau, Lettres écrites de la montagne, Huitième lettre, 1764. 500 Ibid. 501 J. P. Dollé, « La liberté souveraine », Lignes, vol. 7, n° 1, 2002, p. 162-169. 502 F. Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, Première partie, De la nouvelle idole, 1883, Flammarion, 2006, p. 87-

90, spéc. p. 87.

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

120

amour dogmatique pour celle-ci, connaît des limites. La liberté maximale n’existe pas et un

cadre assurant aux individus une certaine sécurité matérielle est nécessaire pour l’exercice de

la liberté. L’État n’est pas par définition liberticide, loin de là. Il est requis à la fois pour

reconnaître le bien-fondé de la liberté et pour protéger son exercice. Il n’est pas certain que sans

État la liberté des individus s’exercerait pleinement. En ce sens, dans son ouvrage Léviathan,

Hobbes élabore une théorie de l’État destinée à démontrer sa nécessité503. Il forme le concept

d’un état de nature caractérisé par l’absence d’institutions. Les individus sont définis par leur

désir et par leur droit de pouvoir faire ce qu’ils jugent nécessaire à la conservation de leur vie

et à l’accroissement de leur pouvoir. L’égalité y règne mais elle est source de crainte et de

violence. Hobbes distingue trois causes qui poussent les hommes à ne pas s’entendre : la

rivalité, la méfiance et la fierté. La rivalité, d’abord, fait que les hommes attaquent pour le gain,

c’est-à-dire pour s’emparer de ce que les autres convoient. La méfiance, ensuite, rend les

hommes violents car ils craignent la vengeance et parce qu’ils sont en quête de sécurité. La

fierté, enfin, engendre d’interminables querelles d’amour-propre. Assurément, cette guerre de

tous contre tous produit une situation invivable. Il faut donc l’abolir pour que la paix succède

aux conflits. C’est là que se dessine le rôle de l’État qui a pour mission d’instiller un climat de

sécurité en contrefort de l’instabilité inhérente à notre monde.

En dehors des doctrines philosophiques, la liberté est rarement envisagée comme une

unité homogène, mais plutôt sous ses multiples déclinaisons. La principale difficulté consiste

dès lors à mettre en musique les différentes libertés, et notamment celles qui bénéficient d’une

reconnaissance juridique de la part de l’État.

136. La liberté d’entreprendre, longtemps ignorée, a fait son apparition dans la

sphère juridique au XXème siècle. Auparavant, elle existait comme liberté de fait, sans

bénéficier de reconnaissance juridique. Comme l’écrit un auteur, « toute liberté reconnue est le

fruit d’une société donnée »504. Ainsi, la liberté d’entreprendre est-elle le fruit de ce que l’on

appelle la société de l’entreprise505. En effet, le XXème siècle a été marqué par les interrogations

autour de la notion d’entreprise506 ainsi que de sa place, de sa force et de ses limites dans l’ordre

social. La première référence explicite à la liberté d’entreprendre est apparue avec la loi du 27

503 T. Hobbes, Léviathan, Première partie : De l’homme, Chapitre XIII : De la condition naturelle des hommes en

ce qui concerne leur félicité et leur misère, 1651, Éditions Gallimard, coll. « Folio essais », 2000. 504 H. Barbier, La liberté de prendre des risques, préf. J. Mestre, PUAM, 2011, p. 20. 505 Ibid., p. 24. 506 Sur la notion d’entreprise, voy. supra n° 20.1.

Chapitre II. Analyse juridique du rôle de l’entreprise dans la lutte contre le changement climatique : la

recherche de conciliation

121

décembre 1973 d’orientation du commerce et de l’artisanat, dite loi Royer507. Son article

premier dispose que « la liberté et la volonté d’entreprendre sont les fondements des activités

commerciales et artisanales ». À la suite de la consécration législative de la liberté

d’entreprendre, des interrogations sont apparues quant à son contenu et quant aux rapports

qu’elle entretient avec la liberté du commerce et de l’industrie.

Il faut savoir que la liberté du commerce et de l’industrie508 trouve son fondement dans

la loi des 2 et 17 mars 1791509, encore en vigueur, plus connue sous le nom de « décret

d’Allarde ». Selon son article 7, « il sera libre à toute personne de faire tel négoce ou d’exercer

telle profession, art ou métier qu’elle trouvera bon ; mais elle sera tenue de se pourvoir

auparavant d’une patente, d’en acquitter le prix, et de se conformer aux règlements de police

qui sont ou pourront être faits ». Ainsi proclamée, la liberté du commerce et de l’industrie assure

aux entrepreneurs le libre exercice de leur activité. La loi Le Chapelier des 14 et 17 juin 1791,

aujourd’hui abrogée, a complété ce dispositif en supprimant les corporations. Après la Première

Guerre mondiale, du fait de l’interventionnisme économique croissant de la puissance publique,

la liberté du commerce et de l’industrie a été mise à mal, sans pour autant qu’elle puisse être

considérée comme ayant disparu du paysage juridique. En effet, les tribunaux, notamment

administratifs, n’ont jamais cessé de s’y référer510. En 1960, le Conseil d’État l’a qualifiée de

liberté publique511. Or, les libertés publiques512 supposent que l’État reconnaisse aux individus

le droit d’exercer, à l’abri des pressions extérieures, un certain nombre d’activités

déterminées513. Naturellement, ces libertés ne se conçoivent que dans le cadre d’un système

juridique. Il en est donc notamment ainsi de la liberté du commerce et de l’industrie. Cette

liberté « au destin étrange »514 découle de la liberté individuelle. Selon la formule du Doyen

507 Loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 d’orientation du commerce et de l’artisanat, JO, 30 décembre 1973. 508 Voy. sur la liberté du commerce et de l’industrie : F. Dreyfus, La liberté du commerce et de l’industrie, éd.

Berger-Levrault, coll. « L’Administration nouvelle », 1973. 509 Loi des 2 et 17 mars 1791 portant suspension de tous les droits d’aides, de toutes les maîtrises et jurandes et

établissement des droits de patente. 510 Voy. notamment : CE, ass., 20 déc. 1935, Établissements Vezia, n° 39234, Rec. Leb., p. 1212 : la liberté du

commerce et de l’industrie est qualifiée de « principe ». 511 CE, sect., 28 oct. 1960, Sieur de Laboulaye, n° 48293, Rec. Leb., p. 570 ; AJDA, 1960, p. 20, concl. C. Heumann. 512 Voy. sur les libertés publiques : D. Breillat, Libertés publiques et droits de la personne humaine, Gualino, coll.

« Mémentos LMD », 2003 ; J. Morange, Les libertés publiques, PUF, coll. « Que sais-je ? », 2007 ; A. Heymann-

Doat et G. Calvès, Libertés publiques et droits de l’homme, L.G.D.J., coll. « Systèmes », 2008 ; R. Letteron,

Libertés publiques, Dalloz, coll. « Précis », 9ème éd., 2012 ; J.-M. Pontier, Droits fondamentaux et libertés

publiques, Hachette Supérieur, coll. « Les Fondamentaux », 6ème éd., 2017 ; B. Stirn, Les libertés en question,

L.G.D.J., coll. « Clefs », 10ème éd., 2017. 513 J. Morange, Les libertés publiques, op. cit. 514 P. Weil, préface de F. Dreyfus, La liberté du commerce et de l’industrie, op. cit., p. 9.

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

122

Riper, elle apparaît comme la « sœur de la liberté politique »515. Une erreur peut survenir dans

la détermination du contenu de cette liberté si les termes « commerce » et « industrie » sont pris

au pied de la lettre. En vérité, la liberté du commerce et de l’industrie a un champ d’application

beaucoup plus vaste et concerne la quasi-totalité des activités économiques. C’est pourquoi elle

est assimilée à une liberté économique, et c’est sans doute de là que vient la confusion avec la

liberté d’entreprendre.

Pour un auteur, la liberté d’entreprendre s’apparente à « une sorte d’évidence naturelle

dans nos sociétés démocratiques libérales, […] un des fondements essentiels de la société et de

l’activité économique »516. En tant que liberté économique, elle constitue « la pierre angulaire

d’un régime reposant sur le libéralisme économique »517. Assez curieusement, la notion de

liberté d’entreprendre n’est nulle part définie. La loi Royer518 indique simplement que cette

liberté est le fondement des activités commerciales et artisanales. Mais en quoi alors est-elle

différente de la liberté du commerce et de l’industrie ? Cette absence de définition est à l’origine

d’un interminable débat qui a eu lieu en doctrine et qui ne semble pas avoir encore été

entièrement résolu. Il est des auteurs qui estiment que la liberté du commerce et de l’industrie,

plus ancienne, intègre la liberté d’entreprendre519. D’autres inversent le raisonnement : ce serait

la liberté d’entreprendre qui intégrerait celle du commerce et de l’industrie520. D’autres encore

concluent que, malgré certaines nuances, les deux notions peuvent être considérées comme

synonymes521.

Du côté des juridictions, il semble que l’approche dorénavant retenue est celle qui

consiste à appréhender la liberté du commerce et de l’industrie comme une composante de la

liberté d’entreprendre522. Dans une décision du 30 novembre 2012, le Conseil constitutionnel a

d’ailleurs considéré que « la liberté d’entreprendre comprend non seulement la liberté d’accéder

515 G. Ripert, Aspects juridiques du capitalisme moderne, L.G.D.J., 1946, p. 292. Dans le même sens, le Doyen

Videl a pu dire que « la liberté économique va de pair avec les politiques publiques » : G. Vedel, Manuel

élémentaire de droit constitutionnel, Dalloz, 1949, p. 29. 516 G. Drago et M. Lombard (dir.), Les libertés économiques, éd. Panthéon-Assas, 2003, p. 29. 517 R. Letteron, Libertés publiques, Dalloz, coll. « Précis », 9ème éd., 2012, n° 713. 518 Loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973, préc. 519 H.-G. Hubrecht, Droit public économique, Dalloz, coll. « Cours », 1997, p. 87 ; J.-J. Israël, Droit des libertés

fondamentales, L.G.D.J., coll. « Manuels », 1998, p. 534. 520 D. Chagnollaud et G. Drago (dir.), Dictionnaire des droits fondamentaux, Dalloz, 2ème éd., 2010, p. 442 ; P.

Delvolvé, Droit public de l’économie, Dalloz, coll. « Précis », 1998, p. 108-109. 521 G. Eckert, Droit public des affaires, Montchrestien, coll. « Focus droit », 2001, p. 113. Pour l’auteur, la liberté

du commerce et de l’industrie et la liberté d’entreprendre seraient, en réalité, « une seule et même liberté mais à

des niveaux juridiques distincts en raison de la fonction différente des juridictions en cause ». Voy. également : A.

de Laubadère et P. Delvolvé, Droit public économique, Dalloz, coll. « Précis », 5ème éd., 1986, n° 141 et s. 522 Voy. CE, juge des référés, 23 mai 2014, Le Cyclope, n° 380376, inédit ; AJDA, 2014, p. 1676, note Ph.

Grimaud ; CE, 8ème et 3ème sous-sections réunies, 22 mai 2013, ASL REMANA, n° 366750, inédit ; AJDA, 2013, p.

1976, note Ph. Chrestia ; Cons. const., 22 juin 2012, n° 2012-258 QPC, Établissements Bargibant S.A., RFDA,

2012, p. 977, note C.-E. Sénac.

Chapitre II. Analyse juridique du rôle de l’entreprise dans la lutte contre le changement climatique : la

recherche de conciliation

123

à une profession ou à une activité économique mais également la liberté dans l’exercice de cette

profession ou de cette activité »523. Or, ce libre exercice de l’activité économique suppose, entre

autres, que les opérateurs économiques puissent accéder librement à l’activité de leur choix,

organiser leurs affaires à leur guise, implanter leurs entreprises où ils le souhaitent524.

137. Dans ces conditions, on peut conclure que la liberté d’entreprendre est la

liberté économique par excellence. Certes, d’autres libertés économiques, comme la liberté

d’établissement, la liberté d’exploitation, la libre concurrence ou la liberté contractuelle,

bénéficient aussi d’une reconnaissance juridique. Mais à y regarder de près, ces différentes

libertés « garantissent l’effectivité de la liberté d’entreprendre, elles en sont le corollaire »525.

En ce sens, la liberté d’entreprendre est une « liberté générique »526. Elle est « à la fois la plus

large et la plus haute de toutes les libertés économiques »527. De fait, la liberté d’entreprendre

apparaît comme un « principe matriciel »528, c’est-à-dire qui engendre d’autres droits de portée

et de valeur différentes.

À l’heure où les libertés juridiques fleurissent, il convient de se demander quelle est

précisément la place de la liberté d’entreprendre dans l’ordonnancement juridique. Comment

est-elle réceptionnée par le droit ? Autrement dit, la question se pose de savoir quelle la valeur

juridique de la liberté d’entreprendre.

2. La valeur juridique de la liberté d’entreprendre

138. La liberté d’entreprendre est une liberté à valeur constitutionnelle. Voici

donc une raison de plus pour la considérer comme la liberté économique de premier ordre529.

Si on a pu effectivement constater certains tâtonnements dans la jurisprudence en matière de

523 Cons. const., 30 nov. 2012, n° 2012-285 QPC, M. Christian S., considérant n° 7, Dr. adm., 2013, n° 2, p. 21,

obs. F. Hoffmann. 524 A. Tomadini, La liberté d’entreprendre et la protection de l’environnement, Contribution à l’étude des

mécanismes et de conciliation, op. cit., p. 5. 525 Ibid. 526 Ibid. 527 P. Delvolvé, Droit public de l’économie, op. cit., p. 108-109. 528 B. Mathieu, « Pour une reconnaissance de “principes matriciels” en matière de protection constitutionnelle des

droits de l’homme », D., 1995, p. 211. 529 Le Conseil constitutionnel a toujours refusé de donner valeur constitutionnelle à la liberté du commerce et de

l’industrie. Voy. notamment : Cons. const., 31 oct. 1981, n° 81-129 DC, Loi portant dérogation au monopole

d’État de la radiodiffusion, D., 1982, p. 157, note L. Hamon ; Cons. const., 29 juillet 2014, n° 94-345 DC, Loi

relative à l’emploi de la langue française, considérant n° 3, AJDA, 1994, p. 731, note P. Wachsmann :

« Considérant que [selon les auteurs de la saisine les dispositions litigieuses] portent également atteinte à la liberté

d’entreprendre et à la liberté, selon eux de valeur constitutionnelle, du commerce et de l’industrie ».

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

124

liberté d’entreprendre, ceux-ci n’ont jamais porté sur le fondement de cette liberté, mais sur son

degré de protection. Pour le Conseil constitutionnel, la liberté d’entreprendre doit être rattachée

à la liberté en général, c’est-à-dire à l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du

citoyen de 1789530. C’est d’ailleurs par sa décision du 16 janvier 1982 relative à la loi de

nationalisation que le Conseil constitutionnel a consacré la valeur constitutionnelle de la liberté

d’entreprendre531. Pour le juge constitutionnel, « la liberté qui, aux termes de l’article 4 de la

Déclaration, consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui, ne saurait elle-même être

préservée si des restrictions arbitraires ou abusives étaient apportées à la liberté

d’entreprendre »532. Les critiques à l’égard de cette formulation n’ont pas tardé à apparaître. Il

fut reproché au Conseil constitutionnel de « se livrer à des interprétations audacieuses » afin de

doter « la France d’une constitution économique libérale »533. Mais cette analyse n’a pas fait

l’unanimité des auteurs. Ainsi, pour le Professeur Drago, la décision de 1982 « ne conduit pas

à créer une liberté nouvelle qui serait la liberté d’entreprendre, elle permet de mettre en lumière

ce que les auteurs de la Déclaration voulaient inscrire et proclamer : une société fondée sur la

liberté se traduisant, dans le domaine de l’activité économique, par la libre entreprise, dégagée

des corporations et des prescriptions de la puissance publique, plaçant ainsi en premier la liberté

et en second l’organisation et la réglementation de celle-ci »534. Le rattachement de la liberté

d’entreprendre à la liberté de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen

n’est donc en rien contraire à l’esprit de cette déclaration, au contraire. À la suite de cette

décision, la liberté d’entreprendre a pu être qualifiée de fondamentale, avec l’approbation de la

majeure partie de la doctrine qui considère que les droits et libertés constitutionnels sont

fondamentaux en raison de leur place dans la hiérarchie des normes535.

Or, il s’avère que le Conseil constitutionnel a eu tendance à minorer sensiblement la

protection de cette liberté, pourtant fondamentale, si bien qu’en pratique, au moins dans un

premier temps, elle était dépourvue de toute valeur opérationnelle. Alors qu’en principe il n’y

530 Lequel dispose que : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des

droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la

jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi ». 531 Cons. const., 16 janvier 1982, n° 81-132 DC, Loi de nationalisation, considérant n° 16, D., 1983, p. 169, note

L. Hamon ; AJDA, 1982, p. 209, note J. Rivero ; Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, Dalloz, coll.

« Grands arrêts », 17ème éd., 2013, p. 366. 532 Ibid. 533 R. Savy, « La constitution des juges », D., 1983, p. 105-106. Voy. a contrario : J.-L. Mestre, « Le Conseil

constitutionnel, la liberté d’entreprendre et la propriété », D., 1984, p. 1-8. 534 G. Drago et M. Lombard (dir.), Les libertés économiques, op. cit., p. 30. 535 Voy. toutefois : V. Champeil-Desplat, « La liberté d’entreprendre au pays des droits fondamentaux », op. cit.

L’auteure n’hésite pas à interroger cette « fondamentalité » des libertés économiques, laquelle, nous dit-elle, prête

à discussion.

Chapitre II. Analyse juridique du rôle de l’entreprise dans la lutte contre le changement climatique : la

recherche de conciliation

125

a pas de hiérarchie entre les libertés, la jurisprudence du Conseil constitutionnel a conduit à

faire de la liberté d’entreprendre une liberté de second rang. Dans une décision du 4 juillet 1989,

le Conseil constitutionnel a considéré qu’elle n’était « n’est ni générale, ni absolue » et qu’il

était donc « loisible au législateur d’y apporter des limitations exigées par l’intérêt général à la

condition que celles-ci n’aient pas pour conséquence d’en dénaturer la portée »536. Les

décisions qui ont suivi ont repris ce considérant537. Ce n’est qu’à compter des années 2000 que

le Conseil constitutionnel va inverser cette tendance consistant à minorer la portée de la liberté

d’entreprendre, pour lui redonner un nouveau souffle. Le juge constitutionnel précise

dorénavant que toute limitation doit être justifiée par une exigence constitutionnelle ou par un

motif d’intérêt général. Dans ses décisions, il n’est plus fait mention de ce que la liberté

d’entreprendre « n’est ni générale, ni absolue ». La censure n’est plus limitée au cas où la liberté

d’entreprendre serait « dénaturée » et un certain contrôle de proportionnalité devient

possible538. Ce changement de vocabulaire n’est pas neutre. Tandis que la dénaturation suppose

une très grosse violation de la norme de référence, l’atteinte disproportionnée est beaucoup plus

facile à démontrer. La protection de la liberté d’entreprendre en sort sensiblement renforcée.

Ce changement d’approche du Conseil constitutionnel traduit, par ailleurs, le passage

d’une logique de justification à une logique de proportion539, laquelle vise à sanctionner toute

restriction à l’exercice d’une liberté qui aurait des conséquences excessives pour son titulaire.

Si jadis la liberté d’entreprendre s’inclinait face à des objectifs concurrents, aujourd’hui, le

Conseil constitutionnel veille à ce qu’elle soit conciliée avec ces autres objectifs. D’ailleurs,

c’est à partir de l’engagement du Conseil constitutionnel dans une logique de proportion, et non

536 Cons. const., 4 juillet 1989, n° 89-254 DC, Loi modifiant la loi n° 86-912 du 6 août 1986 relative aux modalités

d’application des privatisations, considérant n° 5, D., 1990, p. 209, note F. Luchaire. 537 Voy. par exemple : Cons. const., 20 mars 1997, n° 97-388 DC, Loi créant les plans d’épargne retraite,

considérant n° 51 : « Considérant que la liberté d’entreprendre, qui n’est ni générale ni absolue, s’exerce dans le

cadre des règles instituées par la loi ; que les contraintes établies par le législateur en vue de préserver la sécurité

financière des salariés, en ce qui concerne la création, la gestion et le contrôle des fonds d’épargne retraite ne

portent pas à cette liberté des atteintes excessives propres à en dénaturer la portée ». 538 Voy. Cons. const., 27 juillet 2000, n° 2000-433 DC, Loi modifiant la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986

relative à la liberté de communication, considérant n° 40, RFDC, 2001, p. 86, note N. Jacquinot : « Considérant

que la liberté d’entreprendre découle de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ; qu’il est

cependant loisible au législateur de lui apporter des limitations justifiées par l’intérêt général ou liées à des

exigences constitutionnelles ; […] que, par suite, il incombe au législateur, en fixant les règles tendant à la

préservation du caractère pluraliste des courants d’expression socioculturels, de veiller à ce que leur application

ne limite pas la liberté d’entreprendre dans des proportions excessives au regard de l’objectif constitutionnel du

pluralisme ». 539 A. Lyon-Caen et I. Vacarie, « Droits fondamentaux et droit du travail », in Droit syndical et droits de l’homme

à l’aube du XXIème siècle. Mélanges en l’honneur de Jean-Maurice Verdier, Dalloz, 2001, p. 421-453, spéc. p.

421.

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

126

plus de justification, que furent prononcées les premières censures sur le fondement de la liberté

d’entreprendre540.

139. Dès lors, jusqu’où la liberté d’entreprendre peut-elle s’étendre ? Quelles sont les

limites à cette liberté ? L’analyse de la jurisprudence du Conseil constitutionnel fait voir que la

liberté d’entreprendre est l’objet de restrictions considérables, souvent plus importantes que

celles dont souffrent la plupart des autres libertés. Il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’une

liberté fondamentale, qui plus est une liberté « légicentriste », ce qui signifie que seul le

législateur peut lui apporter des restrictions. Par ailleurs, au niveau européen, la Charte des

droits fondamentaux du 7 décembre 2000 reconnaît, dans son article 16, la liberté d’entreprise

conformément au droit de l’Union et aux législations et pratiques nationales541. L’article 52.1

de la Charte précise que « toute limitation à l’exercice des droits et libertés reconnus par la

présente Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et

libertés. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être

apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt

général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui ». Cette

liberté d’entreprise est donc fondamentalement la même que la liberté d’entreprendre reconnue

en droit interne. Selon un auteur, la notion de liberté d’entreprise « se combine » avec celle de

liberté d’entreprendre ; elle permet de faire le lien entre les différentes terminologies employées

par les États membres lorsque sont visées les libertés économiques542.

Que ce soit au niveau interne ou européen, il s’avère que tout l’enjeu consiste en la

conciliation entre liberté d’entreprendre et autres objectifs que le droit protège de façon

identique ou similaire. Cette conciliation n’est pas chose aisée. Elle est d’ailleurs d’autant plus

délicate qu’elle vise, la plupart du temps, à mettre en balance les intérêts particuliers des

opérateurs privés et l’intérêt général. C’est le cas notamment lorsqu’il s’agit de concilier liberté

d’entreprendre et protection de l’environnement. Il est devenu presque banal d’opposer les

domaines économique et environnemental. En effet, l’organisation des politiques économiques

peut souvent contrarier les objectifs de protection de l’environnement, et ce, malgré la volonté

540 Voy. Cons. const., 7 déc. 2000, n° 2000-435 DC, Loi d’orientation pour l’outre-mer, D., 2001, p. 1765, note

A. Roux ; AJDA, 2001, p. 102, note J.-E. Schoettl ; RFDA, 2002, p. 361, note F. Lemaire ; Cons. const., 7 déc.

2000, n° 2000-436 DC, Loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, D., 2001, p. 1840, note L.

Favoreu ; AJDA, 2001, p. 18, note J.-E. Schoettl ; RFDC, 2001, p. 346, note F. Mélin-Soucramanien. 541 Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, version consolidée, JOUE C 326 du 26 octobre 2012,

p. 391-407. 542 G. Eckert, Droit public des affaires, L.G.D.J., coll. « Focus droit », 2ème éd., 2013, p. 106.

Chapitre II. Analyse juridique du rôle de l’entreprise dans la lutte contre le changement climatique : la

recherche de conciliation

127

aujourd’hui affirmée d’intégrer systématiquement la composante environnementale dans

l’ensemble des politiques publiques.

B. Les limites à la liberté d’entreprendre liées à la protection de l’environnement

140. Encore aujourd’hui, dans beaucoup d’esprits, la liberté d’entreprendre et la

protection de l’environnement sont deux choses profondément inconciliables. De façon

générale, le droit de l’environnement est perçu comme un obstacle aux libertés économiques.

En effet, du fait des nombreuses contraintes liées au besoin de protection de l’environnement,

il est très difficile de concevoir un monde où les opérateurs économiques jouissent pleinement

de leurs libertés individuelles (1). Le maître-mot est cependant le « besoin ». La protection de

l’environnement n’a pas été pensée et construite en opposition à l’exercice de la liberté

d’entreprendre. Tout simplement, en l’état de notre monde, elle est devenue une nécessité

incontestable, un impératif incontournable. C’est également le cas de la protection du climat.

L’urgence d’agir en matière de lutte contre le changement climatique implique des actions

positives et provoque des changements juridiques. Il en résulte naturellement des limitations

des libertés économiques des opérateurs privés (2).

1. La liberté d’entreprendre et la protection de l’environnement

141. La protection de l’environnement, qui a longtemps été considérée comme

un objectif d’intérêt général543, constitue désormais un objectif de valeur

constitutionnelle544. À ce titre, elle peut justifier des limitations à la liberté d’entreprendre.

En 1972, la Déclaration de Stockholm a posé les bases d’un droit à l’environnement,

en proclamant que « l’homme a un droit fondamental à la liberté, à l’égalité et à des conditions

de vie satisfaisantes, dans un environnement dont la qualité lui permette de vivre dans la dignité

et le bien-être. Il a le devoir solennel de protéger et d’améliorer l’environnement pour les

générations présentes et futures »545. Vingt ans plus tard, en 1992, la Déclaration de Rio

consacra à son tour ce droit à l’environnement en ces termes : « les êtres humains sont au centre

543 J.-F. Calmette, « Le droit de l’environnement : un exemple de conciliation de l’intérêt général et des intérêts

économiques particuliers », Revue juridique de l’environnement, n° 3, 2008, p. 265-280. 544 Voy. Cons. const., 31 janvier 2020, n° 2019-823 QPC, Union des industries de la protection des plantes

[Interdiction de la production, du stockage et de la circulation de certains produits phytopharmaceutiques], AJDA

2020, p. 264, note E. Benoit. 545 Déclaration de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement, Conférence des Nations Unies sur

l’environnement, 16 juin 1972, principe 1.

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

128

des préoccupations relatives au développement durable. Ils ont droit à une vie sainte et

productive en harmonie avec la nature »546. En droit interne, c’est la loi Barnier du 2 février

1995547 qui a consacré le droit à l’environnement en proclamant que « les lois et règlements

organisent le droit de chacun à un environnement sain »548. Ce droit a acquis une valeur

constitutionnelle depuis que la Charte de l’environnement a été adossée à la Constitution par la

loi du 1er mars 2005549. Désormais, le droit à l’environnement est un droit de l’homme.

D’ailleurs, comme l’écrivait le Professeur Prieur, « discuter de la question de savoir si

l’environnement peut faire l’objet d’un droit de l’homme, est un faux débat. Un

anthropocentrisme étriqué paraît aujourd’hui d’un autre âge. Il est scientifiquement admis par

tous que la vie des hommes sur terre est étroitement liée à celle des autres espèces vivantes.

Protéger la nature, à travers la faune, la flore et la biodiversité, est en même temps protéger

l’homme. Détruire la nature ou épuiser ses ressources, prive l’homme d’un développement

durable »550. Il n’est pas anodin de relever que la question de la constitutionnalisation d’un droit

de l’homme à l’environnement a été soulevée dès le premier numéro de la première revue

juridique entièrement dédiée à l’environnement551. En 1976 déjà, le Professeur Kiss décrivait

les avantages que pouvait procurer l’inscription d’une disposition dans la Constitution

garantissant le droit à un environnement humain : « Elle consacrerait la valeur qui doit être

reconnue à la protection de l’environnement ; elle créerait moins un droit de caractère social

qu’une obligation morale pour le législateur ; elle permettrait de reconnaître à la protection de

l’environnement sinon la priorité, du moins l’égalité par rapport à d’autres intérêts nationaux,

et notamment les intérêts économiques. Enfin, elle permettrait de combler les lacunes qui

peuvent exister dans la législation protégeant l’environnement et d’atténuer les effets des

retards pris par la législation ou par des mesures administratives par rapport aux besoins

réels »552.

546 Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement, Conférence des Nations Unies sur

l’environnement et le développement, 14 juin 1992, principe 1. 547 Loi n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement, JO, 3 février

1995. 548 C. env., art. L. 110-2. 549 Loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005 relative à la Charte de l’environnement, JO, 2 mars 2005. 550 M. Prieur, « Vers un droit de l’environnement renouvelé », Les Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 15, 2004,

p. 136. 551 A. Kiss, « Peut-on définir le droit de l’homme à l’environnement ? », Revue juridique de l’environnement, n°

1, 1976, p. 15-18. Voy. a contrario : J. Untermaier, « Droit de l’homme à l’environnement et libertés publiques :

Droit individuel ou droit collectif. Droit pour l’individu ou obligation pour l’État », Revue juridique de

l’environnement, n° 4, 1978, p. 329-367. L’auteur se demande si le droit de l’homme à l’environnement n’est pas

un « luxe inutile », à défaut d’être une « panacée ». 552 A. Kiss, « Peut-on définir le droit de l’homme à l’environnement ? », op. cit., spéc. p. 16.

Chapitre II. Analyse juridique du rôle de l’entreprise dans la lutte contre le changement climatique : la

recherche de conciliation

129

L’article 1er de la Charte de l’environnement prévoit que « chacun a le droit de vivre

dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ». Par cette disposition, la Charte

consacre ce qu’une partie de la doctrine a qualifié de droit de « troisième génération », ou droit

« de solidarité », au même titre que le droit à la paix ou le droit au développement apparus après

1945 et fondés sur la solidarité entre les peuples. Mais à vrai dire, cette qualification importe

peu. En réalité, la distinction entre les trois générations de droits de l’homme553, qui repose

d’ailleurs davantage sur une théorie, et non pas sur une base analytique solide, n’a aucune

pertinence juridique554. Il semble effectivement aujourd’hui que cette théorie est devenue

quelque peu obsolète. On peut s’interroger sur sa pertinence, dans la mesure où elle ne tient pas

compte de la porosité évidente entre les catégories de droits. Par ailleurs, elle conduit à diviser

les droits en droits-créances, ou « droits à »555, et droits-libertés, ou « droits de ». On dit que les

libertés sont « opposables à l’État », tandis que les créances sont « exigibles de lui »556. Le

droit-créance implique donc une intervention positive. Il doit être mis en œuvre. En l’absence

de cette concrétisation, il « demeure virtuel »557. Dès lors, à condition d’admettre préalablement

que cette opposition puisse avoir un certain intérêt, on peut se poser la question de savoir si le

droit à l’environnement est un droit-créance ou un droit-liberté. Tout d’abord, dans une

approche restrictive558, le droit à l’environnement est un droit-créance qui exige à ce titre une

action positive de l’État dans le sens d’une protection optimale de l’environnement naturel. Tel

est d’ailleurs le sens retenu par le rapporteur du projet de loi constitutionnelle pour qui le droit

à l’environnement représente un objectif à valeur constitutionnelle dont les particuliers peuvent

demander le respect par l’État559. À l’inverse, la portée du droit à l’environnement est

considérablement étendue s’il est qualifié de droit-liberté, ou droit subjectif560. Dans ce cas, il

produit des effets horizontaux, ce qui signifie que des particuliers peuvent en revendiquer le

respect par d’autres particuliers. Pour le Professeur Prieur, l’article 1er de la Charte correspond

553 La première génération regroupe les droits civils et politiques. La deuxième : les droits économiques, sociaux

et culturels. Enfin, la troisième génération regroupe les droits collectifs ou de solidarité. 554 M. Prieur, Droit de l’environnement, Dalloz, coll. « Précis », 7ème éd., 2016, p. 24. 555 Voy. sur cette notion : D. Cohen, « Le droit à … », in Mélanges en hommage à François Terré. L’avenir du

droit, Dalloz, 1999, p. 394 ; M. Pichard, Le droit à. Étude de législation française, préf. M. Gobert, L.G.D.J.,

2006. 556 J. Robert et J. Duffar, Droits de l’homme et libertés fondamentales, Montchrestien, 5ème éd., 1994, p. 64. 557 J. Rivero, Les libertés publiques. Tome 1 : Les droits de l’homme, PUF, coll. « Thémis », 1995, p. 100. 558 L. Neyret, « Environnement », Répertoire de droit civil, Dalloz, octobre 2013 (mise à jour : avril 2017). 559 Rapport n° 1595 fait au nom de Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration

générale de la République sur le projet de loi constitutionnelle (n° 992) relatif à la Charte de l’environnement, par

N. Kosciusko-Morizet, déposé le 12 mai 2004, p. 73. 560 L. Neyret, « Environnement », op. cit.

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

130

« en droit à la fois à un droit fondamental subjectif et à un droit-créance »561. C’est ce qu’a

retenu le juge administratif dans une décision du 29 avril 2005 : « en adossant à la Constitution

une charte de l’environnement qui proclame en son article 1er que chacun a le droit de vivre

dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, le législateur a nécessairement

entendu ériger le droit à l’environnement en liberté fondamentale de valeur

constitutionnelle »562. Dans cette affaire, le juge a admis l’intérêt à agir d’associations de

protection de l’environnement et de personnes morales de droit public en cas de menaces graves

d’atteintes à l’environnement. Il a fait référence à l’article 1er de la Charte pour admettre la

recevabilité de l’action de ces associations au regard de leur objet statutaire. Quelques mois

plus tard, le juge répressif a confirmé cette position, en reconnaissant à son tour la valeur

constitutionnelle de la Charte de l’environnement563. Dans ce contexte, le Conseil d’État a, dans

l’arrêt d’assemblée Commune d’Annecy du 3 octobre 2008564, reconnu la valeur

constitutionnelle de l’ensemble des droits et devoirs définis dans la Charte de l’environnement.

Cette décision s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence du Conseil constitutionnel du 19 juin

2008 relative à la loi sur les organismes génétiquement modifiés565.

S’agissant plus précisément de l’article 1er de la Charte de l’environnement, le Conseil

constitutionnel a indiqué, dans la fameuse affaire Michel Z.566, qu’il peut être valablement

invoqué à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité. Ce faisant, il l’a reconnu

comme un droit ou liberté que la Constitution garantit. Plus précisément, après avoir rappelé

les dispositions des articles 1er (droit à un environnement sain) et 2 (devoir de préservation) de

561 M. Prieur, « Les nouveaux droits », AJDA, 2005, p. 1159. Voy. a contrario : B. Mathieu, « La portée de la

Charte pour le juge constitutionnel », AJDA, 2005, p. 1170. Pour le Professeur Mathieu, il ne s’agit que d’un

objectif à valeur constitutionnelle. 562 TA Châlons-en-Champagne, ord., 29 avril 2005, Conservatoire du patrimoine naturel, Ligue de protection des

oiseaux, Fédération des conservatoires d’espaces naturels c/ Préfet de la Marne, réq. nos 0500828, 0500829 et

0500830, JCP A, 2005, p. 834, note Ph. Billet. 563 T. corr. Orléans, 9 déc. 2005, Sté Monsanto c/ Dufour et a., n° 2345/S3/2005 ; A. Gossement, « Le fauchage

des OGM est-il nécessaire ? Réflexions sur la relaxe des faucheurs volontaires par le tribunal correctionnel

d’Orléans », Environnement, 2006, p. 9-13. 564 CE, ass., 3 oct. 2008, Commune d’Annecy c/ État, n° 297931, RFDA, 2008, p. 1147, concl. Y. Aguila ; L.

Janicot, « La valeur constitutionnelle de la Charte de l’environnement, note sous l’arrêt d’Assemblée du Conseil

d’État du 3 octobre 2008, Commune d’Annecy », RFDA, 2008, p. 1158 ; V. Champeil-Desplats, « La Charte de

l’environnement prend son envol aux deux ailes du Palais-Royal », Revue juridique de l’environnement, n° 2,

2009, p. 230-244 ; A. Boyer, « Dialogue des juges et promotion de la Charte de l’environnement », Revue juridique

de l’environnement, n° 4, 2009, p. 435-442. 565 Cons. const., 19 juin 2008, n° 2008-564 DC, Loi relative aux organismes génétiquement modifiés, AJDA, 2008,

p. 1614, note O. Dord ; RFDA, 2008, p. 1237, note A. Roblot-Troizier ; RFDC, 2009, p. 189, note A. Capitani ;

Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, Dalloz, coll. « Grands arrêts », 17ème éd., 2013, p. 480. 566 Cons. const., 8 avril 2011, n° 2011-116 QPC, M. Michel Z et a., D., 2011, p. 1258, note V. Rebeyrol ; D., 2011,

p. 2298, note B. Mallet-Bricout et N. Reboul-Maupin ; AJDA, 2011, p. 762, obs. S. Brondel ; AJDA, 2011, p. 1158,

note K. Foucher ; RDI, 2011, p. 369, note F.-G. Trébulle ; P. Steichen, « La Charte de l’environnement et les

troubles anormaux de voisinage », Revue juridique de l’environnement, vol. 36, n° 3, 2011, p. 393-399.

Chapitre II. Analyse juridique du rôle de l’entreprise dans la lutte contre le changement climatique : la

recherche de conciliation

131

la Charte de l’environnement, le Conseil a précisé « que le respect des droits et devoirs énoncés

en termes généraux par ces articles s’impose non seulement aux pouvoirs publics et aux

autorités administratives dans leur domaine de compétence respectif mais également à

l’ensemble des personnes »567. Il en a déduit « que chacun est tenu à une obligation de vigilance

à l’égard des atteintes à l’environnement qui pourraient résulter de son activité »568. Dans cette

décision, le Conseil constitutionnel a jugé que le législateur est compétent pour définir les

conditions dans lesquelles une action en responsabilité peut être engagée contre l’auteur de

nuisances dues à une activité agricole, industrielle, artisanale, commerciale ou aéronautique sur

le fondement de cette obligation de vigilance. De même, dans une décision du 23 novembre

2012569, après avoir cité les articles 1er (droit à un environnement sain) et 3 (devoir de

prévention) de la Charte de l’environnement, le Conseil constitutionnel a rappelé « qu’il

incombe au législateur et, dans le cadre défini par la loi, aux autorités administratives de

déterminer […] les modalités de la mise en œuvre de ces dispositions »570. À cet égard, il a

précisé « qu’il ne lui appartient pas de substituer son appréciation à celle du législateur sur les

moyens par lesquels le législateur entend mettre en œuvre le droit de chacun de vivre dans un

environnement équilibré et respectueux de la santé »571. Il faut savoir que les commentateurs

de ces deux décisions ont estimé que, dans la mesure où le Conseil constitutionnel ne s’est pas

prononcé sur la portée du seul article 1er de la Charte de l’environnement, concrètement, il n’a

pas fait du droit à vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé un droit

subjectif invocable en tant que tel572. Certains auteurs ont cependant été troublés par une telle

interprétation susceptible de priver cet article de toute effectivité573. Dans une autre décision,

en date du 17 octobre 2014574, l’article 1er de la Charte a été invoqué seul par le requérant.

Même si le Conseil a jugé qu’il n’était pas violé en l’espèce575, nous pouvons tout de même

conclure, avec d’autres576, qu’il fut implicitement reconnu comme invocable seul.

567 Ibid., considérant n° 5. 568 Ibid. 569 Cons. const., 23 nov. 2012, n° 2012-282 QPC, Association France Nature Environnement et a., Revue juridique

de l’environnement, n° 2, 2013, p. 295-311, note B. Crottet. 570 Ibid., considérant n° 7. 571 Ibid., considérant n° 8. 572 Voy. les commentaires des décisions sur le site internet du Conseil constitutionnel. 573 Voy. notamment : F.-G. Trébulle, « Droit de l’environnement : septembre 2012 – octobre 2013 », D., 2014, p.

104 : « On peut évidemment s’interroger sur la densité du droit proclamé à l’article 1er de la Charte, mais sauf à le

priver de toute effectivité et à occulter la reconnaissance européenne et internationale du droit à un environnement

sain, la formule évoquée est probablement trop elliptique ». 574 Cons. const., 17 oct. 2014, n° 2014-422 QPC, Chambre syndicale des cochers chauffeurs CGT-taxis, AJDA,

2015, p. 226, note A. Haquet. 575 Ibid., considérant n° 13. 576 M. Prieur, Droit de l’environnement, op. cit., p. 35.

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

132

142. Il est sans doute possible de reconnaître un intérêt, essentiellement pédagogique,

à toutes ces interrogations relatives à l’existence, à la portée exacte et à la nature juridique

précise du droit à l’environnement. Cependant, s’engager dans un pareil exercice suppose

d’assumer qu’en fonction des qualifications qui seront opérées, le degré de protection de

l’environnement sera plus ou moins étendu. C’est un lourd fardeau à porter pour les juristes,

surtout compte tenu de l’ampleur des enjeux de la protection de l’environnement, que plus

personne n’ignore aujourd’hui. Un auteur écrivait ainsi, à propos du droit de l’environnement,

que celui-ci est « une histoire, l’image du parcours d’une pensée collective, d’une prise de

conscience de nouveaux enjeux »577. En vérité, il importe peu que le droit à l’environnement

soit un droit de la troisième génération, ou qu’il s’agisse d’un droit-créance ou d’un droit-

liberté. Comme le rappelle le Professeur Prieur, « pour savoir si un droit de l’homme contient

une norme de valeur constitutionnelle, le seul critère à considérer est la reconnaissance de ce

droit dans la Constitution (y compris dans son préambule) ou non »578. Et l’auteur d’ajouter que

« par définition, toutes les normes sont invocables devant les juges. Il n’appartient ni au juge ni

à la doctrine de prétendre que des droits humains ne seraient pas vraiment des droits mais

simplement de vagues objectifs »579. La place accordée aux considérations environnementales

dans l’ordonnancement juridique ne peut plus faire l’objet de discussion. La seule question qui

peut encore se poser est d’une toute autre nature : il s’agit de savoir de quelle manière la

protection de l’environnement doit-elle être conciliée avec les autres objectifs, droits et libertés,

et notamment avec la liberté d’entreprendre.

143. La liberté d’entreprendre et la protection de l’environnement, toutes deux

constitutionnellement garanties, sont bien souvent considérées comme antinomiques. La

liberté d’entreprendre, en tant que liberté individuelle, garantit un certain épanouissement

individuel, tandis que la protection de l’environnement est d’intérêt général580. Dans son rapport

sur l’intérêt général581, le Conseil d’État définissait ce dernier comme « la pierre angulaire de

l’action publique, dont il détermine la finalité et fonde la légitimité ». L’intérêt général est, nous

dit-il, « la clef de voûte du droit public français »582. Cependant, « le débat sur l’intérêt général

577 D. Bidou, « Préface : Un prisme redoutable », in P. Martin-Bidou, Droit de l’environnement, Vuibert, 2010, p.

3. 578 M. Prieur, Droit de l’environnement, op. cit., p. 24. 579 Ibid. 580 C’est ce qu’affirma le Parlement par la loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature, JO,

13 juillet 1976. Il donnait ainsi un fondement législatif au droit de l’environnement moderne. 581 Conseil d’État, Rapport public 1999, EDCE, n° 50, La Documentation française, 1999. 582 Ibid.

Chapitre II. Analyse juridique du rôle de l’entreprise dans la lutte contre le changement climatique : la

recherche de conciliation

133

n’est pas seulement l’affaire des pouvoirs publics. Il concerne en réalité chaque citoyen »583.

L’idée même d’intérêt général implique que les individus prennent de la distance avec leurs

propres intérêts. Il semble effectivement que le paradigme français privilégie un intérêt général

qui dépasse la simple somme des intérêts particuliers. Si ce n’était pas le cas, l’intérêt général

serait, sans doute, en pratique, l’expression des intérêts les plus puissants. Le souci de la liberté

l’emporterait, dès lors, sur celui de l’égalité.

La notion d’intérêt général peut parfois sembler un peu « vieillotte ». Mais, en réalité,

les contours de cette notion ne sont pas nettement définis et son contenu est éminemment

mouvant. Comme l’écrit un auteur, il faut « s’affranchir de toute conception figée de l’intérêt

général »584. « Cœur du droit, épicentre de l’équilibre fragile des politiques publiques, il est –

et pour un long temps sans doute encore – une science des temps historiques où se forge le

langage du juste raisonné, et où s’écrivent les mots des grands équilibres structurant les

nations »585. L’intérêt général évolue en fonction des nouveaux enjeux et besoins sociaux à

satisfaire. L’émergence de la question écologique ou, plus récemment, de la question climatique

en est une belle illustration. La protection de l’environnement est, en effet, considérée comme

un intérêt collectif majeur. Comme l’écrit un auteur, « c’est sans doute dans le domaine de

l’environnement qu’il est le plus souvent donné de vérifier que la finalité des intérêts

économiques risque d’aller à l’encontre de l’intérêt général en l’absence d’intervention

publique »586. Par ailleurs, le droit de l’environnement, qui est caractérisé par un critère finaliste

de protection, est influencé par la forte connotation « idéologique »587 de l’intérêt général. Cela

dit, nous verrons plus tard588 que, dans une conception renouvelée, le droit de l’environnement

est de plus en plus considéré comme un droit « à portée économique » qui cherche à concilier

au mieux les intérêts privés et l’intérêt général589.

583 Ibid. Voy. également en ce sens : J.-F. Calmette, « Le droit de l’environnement : un exemple de conciliation de

l’intérêt général et des intérêts économiques particuliers », op. cit., spéc. p. 268 : « La participation, relativement

récente, d’individus ou de groupes organisés à la définition de l’intérêt général est l’un des facteurs de l’évolution

de ce dernier et contribue grandement à sa reformulation ». Nous renvoyons aux exemples cités d’associations (p.

269) et d’entreprises (p. 270) qui se sont saisies de la définition de l’intérêt général. 584 F. Kauff-Gazin, La notion d’intérêt général en droit communautaire, thèse, Université Strasbourg III, 2001, p.

58. 585 É. Naim-Gesbert, « L’indicible intérêt environnemental », Revue juridique de l’environnement, vol. 40, n° 2,

2015, p. 205-207, spéc. p. 205. 586 J.-F. Calmette, « Le droit de l’environnement : un exemple de conciliation de l’intérêt général et des intérêts

économiques particuliers », op. cit., spéc. p. 266. 587 J. Chevallier, « Réflexions sur l’idéologie de l’intérêt général », in Variations autour de l’idéologie de l’intérêt

général, vol. 1, CURAPP, PUF, 1978, p. 11-45 ; voy. également : F. Rangeon, L’idéologie de l’intérêt général,

Economica, coll. « Politique comparée », 1986. 588 Voy. infra n° 189 et s. 589 J.-F. Calmette, « Le droit de l’environnement : un exemple de conciliation de l’intérêt général et des intérêts

économiques particuliers », op. cit., spéc. p. 265.

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

134

Néanmoins, cette conciliation entre intérêts privés et intérêt général est pour le moins

délicate. Lorsqu’il affecte l’environnement, l’exercice de la liberté d’entreprendre nuit à

l’intérêt général. Effectivement, les activités économiques sont loin d’être neutres au regard de

l’environnement. Au contraire, elles contribuent à sa détérioration. Or, que l’on soit pro-

environnement ou pas, il est sûr et certain qu’il ne peut être d’intérêt général de vivre dans un

environnement détérioré. Pour remédier à ces difficultés, le droit de l’environnement va

restreindre et encadrer l’exercice de la liberté d’entreprendre. C’est la raison pour laquelle la

plupart des régimes juridiques qui garantissent la protection de l’environnement sont considérés

comme liberticides par leurs détracteurs. Pourtant, tout le monde s’accorde aujourd’hui pour

dire qu’il est nécessaire, voire urgent, de réduire l’empreinte des activités humaines sur

l’environnement. L’environnement est une valeur dont la défense est un intérêt soutenu. En ce

sens, la Cour européenne des droits de l’homme a rappelé, dans une décision du 27 novembre

2007, que « des impératifs économiques de même que certains droits fondamentaux […] ne

devraient pas se voir accorder la primauté face à des considérations relatives à la protection de

l’environnement, en particulier lorsque l’État a légiféré en la matière »590. Curieusement, cette

décision a été assez peu commentée, pourtant, les mots de la Cour, « limpides et étonnants »591,

méritent que l’on s’y attarde davantage. La protection de l’environnement est non seulement

prise en compte mais encore présentée comme pouvant l’emporter sur des droits expressément

garantis592. Cette décision marque ainsi « un tournant indéniable dans l’histoire tortueuse des

relations entre le droit européen des droits de l’homme et le droit de l’environnement »593 en

590 CEDH, 27 nov. 2007, Hamer c/ Belgique, n° 21861/03, § 79, D., 2008, p. 884, note J.-P. Marguénaud. Pour un

rappel très original des faits, voy. J.-P. Marguénaud, « La petite maison dans la forêt », D., 2008, p. 884 : « Il était

une fois une famille néerlandaise et heureuse qui, pour passer des vacances de rêve, avait fait bâtir à la va-vite,

une petite maison dans la forêt limbourgeoise. Pendant plus de vingt ans, elle y coula en effet de paisibles jours

d’été, qui furent un enchantement pour la petite Judith Hamer. Naturellement, Judith a grandi, ses parents ont

vieilli et ils ont fini par s’éteindre. Devenue héritière en 1993, la jeune femme entreprit des travaux de rénovation

de la maison forestière et fit abattre tout autour quelques arbres pour élargir un peu son horizon estival. Ce fut une

erreur fatale qui fit basculer sa vie sylvestre et bucolique dans un noir cauchemar juridique. Il advint en effet qu’un

scrupuleux policier dressa un procès-verbal parce que l’abattage des arbres avait été réalité en violation d’un décret

sur les forêts. De fil en aiguille, la sagace police belge en arriva à constater que la maison de vacances avait été

érigée en 1967 sans permis de construire dans une région forestière. Alors s’engagea un douloureux procès qui

conduisit, en juillet 2004, à la démolition forcée de la petite maison qui n’aurait jamais dû être bâtie dans la forêt.

Ce désastre personnel est le fruit amer d’une rencontre brutale avec un personnage déconcertant qui court de plus

en plus bruyamment les plaines, les rivages et les forêts : le droit de l’environnement ». Voy. également : CEDH,

27 janvier 2009, Tatar c/ Roumanie, n° 67021/01, § 107, D., 2009, p. 2248, osb. F.-G. Trébulle ; CEDH, 30 mars

2010, Bacila c/ Roumanie, n° 19234/04, § 71, D., 2010, p. 2468, obs. F.-G. Trébulle. Dans ces décisions, la Cour

européenne des droits de l’homme a explicitement attribué aux États l’obligation de prendre des dispositions

permettant de protéger l’environnement. 591 É. Naim-Gesbert, « L’écosystème saisi par le droit », Revue juridique de l’environnement, vol. 40, n° 1, 2015,

p. 5-8, spéc. p. 7. 592 F.-G. Trébulle, « Droit de l’environnement : mai 2007 – mai 2008 », D., 2008, p. 2390. 593 J.-P. Marguénaud, « La petite maison dans la forêt », op. cit.

Chapitre II. Analyse juridique du rôle de l’entreprise dans la lutte contre le changement climatique : la

recherche de conciliation

135

élevant la protection de l’environnement au rang des fins d’intérêt général. Aujourd’hui,

l’extension de l’intérêt général à l’environnement est « un fait avéré »594. C’est d’autant plus

vrai depuis la décision du Conseil constitutionnel du 31 janvier 2020595 . Par cette décision

inédite, le Conseil constitutionnel reconnaît pour la première fois que « la protection de

l’environnement, patrimoine commun des êtres humains, constitue un objectif de valeur

constitutionnelle » qui peut justifier des « atteintes à la liberté d’entreprendre ». Voilà qui est

dit.

Multiples sont les exemples, en droit positif, d’encadrement de la liberté

d’entreprendre par des obligations liées à la protection de l’environnement. Nous en retiendrons

un en particulier : l’obligation de réaliser une évaluation des incidences sur l’environnement.

144. Droit positif. L’encadrement de la liberté d’entreprendre par l’obligation

de réaliser une évaluation environnementale. Qualifiée de « procédure administrative

révolutionnaire »596, l’étude d’impact environnemental constitue un moyen procédural

d’assurer le respect du principe de prévention introduit en France dès 1976597. Selon les

Professeurs Alexandre Kiss et Jean-Pierre Beurier, « l’exigence de la prévention est un fil

d’Ariane qui parcourt l’ensemble du droit de l’environnement et se trouve à la base de

pratiquement tout le droit conventionnel de l’environnement »598. En droit français, ce principe

figure à l’article L. 110-1 du code de l’environnement599, mais aussi à l’article 3 de la Charte

de l’environnement selon lequel « toute personne doit, dans les conditions définies par la loi,

prévenir les atteintes qu’elle est susceptible de porter à l’environnement ou, à défaut, en limiter

les conséquences ». Le principe de prévention consiste donc à empêcher la survenance

d’atteintes à l’environnement par des mesures appropriées dites préventives. Par opposition au

principe de précaution600, le principe de prévention intervient lorsque les risques résultant d’une

activité sont connus. Selon un auteur, il « traduit une réalité simple et évidente : la réparation

594 J. Malet-Vigneau, L’intégration du droit de l’environnement dans le droit de la concurrence, thèse, Université

de Nice, 2004, p. 380. 595 Cons. const., 31 janvier 2020, n° 2019-823 QPC, Union des industries de la protection des plantes [Interdiction

de la production, du stockage et de la circulation de certains produits phytopharmaceutiques], préc. 596 M. Prieur, Droit de l’environnement, op. cit., p. 111. 597 Par la loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature, préc. 598 A. Kiss et J.-P. Beurier, Droit international de l’environnement, Padone, 3ème éd., 2004, p. 132. 599 C. env., art. L. 110-1, II, 2° : « Le principe d’action préventive et de correction, par priorité à la source, des

atteintes à l’environnement, en utilisant les meilleures techniques disponibles à un coût économiquement

acceptable. Ce principe implique d’éviter les atteintes à la biodiversité et aux services qu’elle fournit ; à défaut,

d’en réduire la portée ; enfin, en dernier lieu, de compenser les atteintes qui n’ont pu être évitées ni réduites, en

tenant compte des espèces, des habitats naturels et des fonctions écologiques affectées ». 600 Voy. supra n° 58.

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

136

des dommages causés est généralement impossible, les dégâts sont parfois irréversibles et

combattre les effets de la pollution souvent vain. Il faut donc inciter les gouvernements à mettre

en place des mesures permettant des actions préventives »601. Par définition, l’action préventive

est une action anticipatrice602. Cette anticipation des atteintes à l’environnement suppose un

encadrement des activités pouvant être à l’origine de celles-ci. Divers instruments contribuent

ainsi à la mise en œuvre du principe de prévention, et notamment l’étude d’impact

environnemental.

L’étude d’impact est désormais « une condition de la jouissance du droit à un

environnement sain »603. Par ailleurs, dans l’affaire Tatar c/ Roumanie604, la Cour européenne

des droits de l’homme a établi un lien entre l’évaluation environnementale, l’accès du public à

cette évaluation et le droit à un environnement sain lui-même dégagé de l’article 8 de la

Convention européenne des droits de l’homme (droit au respect de la vie privée et familiale)605.

Elle a rappelé ainsi « le devoir primordial de mettre en place un cadre législatif et administratif

visant à une prévention efficace des dommages à l’environnement et à la santé humaine »606 et

précisé que « le processus décisionnel doit tout d’abord comporter la réalisation des enquêtes

et études appropriées, de manière à prévenir et évaluer à l’avance les effets des activités qui

peuvent porter atteinte à l’environnement et aux droits des individus »607.

Avec l’étude d’impact, il s’agit « d’étudier scientifiquement l’insertion du projet dans

l’ensemble de son environnement en examinant les effets directs et indirects, immédiats et

lointains, individuels et collectifs »608. L’étude d’impact a un champ d’application très vaste et

constitue la procédure la plus aboutie d’évaluation des incidences environnementales. Avant

2011, le système qui avait été mis en place en la matière manquait de cohérence. Sans rentrer

dans les détails, nous relèverons simplement qu’il aboutissait à un ensemble de procédures

assez compliquées et à des régimes qui prévoyaient des dérogations ou même des exonérations

fondées sur des critères parfois contestables. Selon les cas, il fallait une simple analyse

sommaire, une notice d’impact ou une véritable d’étude d’impact609. La notice d’impact

601 A. Manes, « Commentaire de l’article 174 », in Commentaire article par article des traités UE et CE, sous la

dir. de Ph. Léger, Dalloz, 1re éd., 2000, p. 1339. 602 M. Prieur, Droit de l’environnement, op. cit., p. 110. 603 J. Bétaille, « La procédure de l’étude d’impact après la loi portant engagement national pour l’environnement :

des insuffisances récurrentes », Revue juridique de l’environnement, 2010/5 (n° spécial), p. 241-251, spéc. p. 241. 604 CEDH, 27 janvier 2009, Tatar c/ Roumanie, préc. 605 Voy. sur cette question : Y. Winisdoerffer, « La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et

l’environnement », Revue juridique de l’environnement, n° 2, 2003, p. 213-228, spéc. p. 215-216. 606 CEDH, 27 janvier 2009, Tatar c/ Roumanie, préc., § 88. 607 Ibid. 608 M. Prieur, Droit de l’environnement, op. cit., p. 111. 609 Ibid., p. 113.

Chapitre II. Analyse juridique du rôle de l’entreprise dans la lutte contre le changement climatique : la

recherche de conciliation

137

consistait en la réalisation d’un « rapport succinct »610 indiquant de quelle manière le projet

respecte l’environnement. Les projets et installations soumis à cette procédure étaient

limitativement énumérés par l’ancien article R. 122-9 du code de l’environnement, mais le

contenu de la notice d’impact n’était pas précisé, si ce n’est qu’elle devait comporter deux

rubriques : les incidences éventuelles du projet sur l’environnement et les conditions dans

lesquelles l’opération projetée satisfait aux préoccupations d’environnement. Les autres projets

et installations, c’est-à-dire les projets et installations susceptibles d’avoir des incidences

notables sur l’environnement, étaient soumis à l’étude d’impact en vertu de l’article L. 122-1

du code de l’environnement. Mais ce dispositif général souffrait de nombreuses dérogations et,

surtout, n’était pas tout à fait conforme aux exigences du droit de l’Union européenne.

Dans ce contexte, les dispositions de la loi du 12 juillet 2010 portant engagement

national pour l’environnement, dite loi Grenelle 2611, et du décret du 29 décembre 2011612 ont

opéré des modifications sensibles en matière d’évaluation environnementale613. Les notices

d’impact ont été supprimées et une nouvelle procédure, dont l’objet est d’examiner au cas par

cas, pour certains projets, la nécessité d’une étude d’impact, a été introduite. Désormais, le

principe général posé par la loi est que tous les ouvrages importants doivent être soumis à la

réalisation d’une étude d’impact614. L’annexe à l’article R. 122-2 du code de l’environnement615

fixe la liste des projets soumis automatiquement à étude d’impact et la liste de ceux qui y sont

soumis au cas par cas après examen et en fonction de certains critères. Le contenu minimum de

l’étude d’impact est précisé à l’article L. 122-3, II, 2° du code de l’environnement. Ce contenu

doit être proportionné à la sensibilité environnementale du lieu ainsi qu’à l’importance et la

nature des travaux.

Pour résumer, la prévention suppose que les opérateurs économiques intègrent les

enjeux environnementaux dans l’ensemble des problématiques inhérentes à leurs activités. La

complétude des études d’impact régule, en quelque sorte, l’exercice des libertés économiques.

610 Ibid., p. 115. 611 Loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, JO, 13 juillet 2010. 612 Décret n° 2011-2019 du 29 décembre 2011 portant réforme des études d’impact des projets de travaux,

d’ouvrages ou d’aménagements, JO, 30 décembre 2011. 613 J. Bétaille, « La procédure de l’étude d’impact après la loi portant engagement national pour l’environnement :

des insuffisances récurrentes », op. cit. ; Ch. Huglo et C. Constantin, « Comment apprécier la portée de la réforme

du droit des études issue du décret du 29 déc. 2011 au regard du droit de l’Union européenne ? », Environnement

et Développement durable, n° 4, avril 2012, p. 9. 614 M.-B. Lahorgue, « La mise en œuvre de la réforme de l’étude d’impact », AJDA, 2012, p. 250-254. 615 Encore modifié récemment par le décret n° 2017-626 du 25 avril 2017 relatif aux procédures destinées à assurer

l’information et la participation du public à l’élaboration de certaines décisions susceptibles d’avoir une incidence

sur l’environnement et modifiant diverses dispositions relatives à l’évaluation environnementale de certains

projets, plans et programmes, JO, 27 avril 2017.

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

138

En ce sens, principe de prévention et liberté d’entreprendre sont « indissociables et ne peuvent

être appréhendés séparément »616. Comme l’écrivait le Professeur Prieur, « aucune action

privée ou publique n’est neutre pour l’environnement ; il est donc désormais obligatoire d’en

apprécier à l’avance les conséquences collectives. La liberté d’entreprendre n’est pas

supprimée, elle est contrôlée ; l’intérêt individuel doit céder devant l’intérêt écologique, forme

nouvelle de l’intérêt collectif »617. Par ailleurs, il n’est pas exclu qu’à l’avenir, cette obligation

de réaliser une étude d’impact s’accompagne d’une obligation d’assurer les risques

environnementaux.

145. Droit prospectif. L’encadrement de la liberté d’entreprendre par

l’obligation d’assurer les risques environnementaux. Malgré l’existence de nombreux

dispositifs juridiques de protection de l’environnement qui régulent la liberté d’entreprendre,

l’exercice des activités économiques, même autorisées, peut générer des atteintes à

l’environnement. Les opérateurs économiques doivent ainsi anticiper financièrement ces

situations, d’où le recours aux mécanismes assurantiels. Comme l’écrit un auteur, « l’assurance

est intimement liée au besoin de sécurité »618. C’est, d’ailleurs, « parce qu’elle apporte une

protection financière contre des risques par nature incertains et permet ainsi de se prémunir

contre les aléas du futur [que] l’assurance répond au besoin de sécurité »619. Ici, le besoin de

sécurité est synonyme du besoin de protection de l’environnement. Or, aujourd’hui, il n’existe

pas d’obligation générale d’assurance en matière de risque environnemental620. En principe, les

contrats de responsabilité civile générale ou l’assurance « multirisques entreprise » ne

garantissent pas le dommage environnemental en tant que tel. Ils couvrent les atteintes

traditionnelles aux personnes et aux choses, mais excluent le dommage écologique que l’on

définit comme le dommage causé aux éléments constitutifs de l’environnement et/ou à leurs

fonctions. La directive 2004/35/CE sur la responsabilité environnementale621 a laissé

volontairement à la discrétion des États le soin d’organiser ou non une obligation en matière

d’assurance du risque environnemental. Selon son article 14, « les États membres prennent des

616 A. Tomadini, La liberté d’entreprendre et la protection de l’environnement, Contribution à l’étude des

mécanismes et de conciliation, op. cit., p. 96. 617 M. Prieur, « Le respect de l’environnement et les études d’impact », Revue juridique de l’environnement, 1981,

n° 2, p. 103-128, spéc. p. 104. 618 A. Tomadini, La liberté d’entreprendre et la protection de l’environnement, Contribution à l’étude des

mécanismes et de conciliation, op. cit., p. 295. 619 M. Chagny et L. Perdrix, Droit des assurances, L.G.D.J., coll. « Manuel », 2ème éd., 2013, p. 17. 620 Sauf pour les entreprises nucléaires et le transport par mer d’hydrocarbures. 621 Directive 2004/35/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 sur la responsabilité

environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux, JOUE L

143 du 30 avril 2004, p. 56-75.

Chapitre II. Analyse juridique du rôle de l’entreprise dans la lutte contre le changement climatique : la

recherche de conciliation

139

mesures visant à encourager le développement, par les agents économiques et financiers

appropriés, d’instruments et de marchés de garantie financière, y compris des mécanismes

financiers couvrant les cas d’insolvabilité, afin de permettre aux exploitants d’utiliser des

instruments de garantie financière pour couvrir les responsabilités qui leur incombent en vertu

de la présente directive ». Cette directive a été transposée en droit français par la loi du 1er août

2008622. Le législateur français a fait le choix de ne pas contraindre les entreprises à souscrire

une assurance couvrant les dommages environnementaux et de laisser le libre jeu du marché.

Cependant, à l’avenir, devant la multiplication des dommages environnementaux et des actions

en justice en la matière, le recours à l’assurance obligatoire pourra s’avérer une solution adaptée

à la réparation des dommages de nature environnementale.

146. Les exemples de droit positif et de droit prospectif précités ont retenu notre

attention puisqu’ils contribuent, plus ou moins directement, à l’étude du processus de

responsabilisation des opérateurs économiques face aux exigences d’ordre écologique. Par

définition, de pareilles obligations portent atteinte aux libertés économiques des opérateurs

privés, ou du moins en limitent ou en conditionnent l’exercice. Nous verrons que le même

constat s’impose s’agissant plus spécifiquement de la protection du climat : pour garantir celle-

ci, les autorités publiques vont être amenées à restreindre le champ des libertés économiques.

2. La liberté d’entreprendre et la protection du climat

147. La protection du climat se heurte souvent aux droits et libertés

individuelles, et notamment économiques. En effet, la lutte pour le climat nécessite des

actions positives non pas de la part des seuls États, mais aussi de la part des entreprises. Nous

avons vu à quel point les textes juridiques internationaux mettaient l’accent sur la nécessité

pour les États de coopérer avec le secteur privé afin de lutter contre le changement climatique623.

Cependant, la seule coopération ne suffit pas, les enjeux climatiques étant trop importants pour

laisser planer le risque de l’inertie des opérateurs économiques en la matière. Or, devant l’idée

de contrainte, les crispations ne tardent pas à se manifester.

622 Loi n° 2008-757 du 1er août 2008 relative à la responsabilité environnementale et à diverses dispositions

d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de l’environnement, JO, 2 août 2008. 623 Voy. supra nos 85 et 86.

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

140

La loi du 30 décembre 2017 mettant fin à la recherche ainsi qu’à l’exploitation des

hydrocarbures624 est une parfaite illustration de ces tensions. Son but est de mettre en cohérence

la politique nationale de gestion des hydrocarbures avec l’Accord de Paris et avec l’objectif de

neutralité carbone à l’horizon 2050 affiché dans le Plan Climat de 2017625. Concrètement, cette

loi vise à mettre fin progressivement à la production d’énergies fossiles sur le territoire national

d’ici à 2040. Elle a été votée définitivement par l’Assemblée nationale le 19 décembre 2017,

mais son parcours n’a pas été facile et son adoption fut assez controversée. De fait, plusieurs

associations dénoncent ses insuffisances par rapport à l’objectif initial affiché par le

gouvernement d’un arrêt total de la production française en 2040. Dans sa première version, le

texte de loi prévoyait la fin des permis d’exploration et des concessions d’exploitation des

énergies fossiles. Cependant, une grande partie de cette version initiale a été retoquée par le

Conseil d’État en septembre 2017626, conduisant le gouvernement à modifier son texte pour

interdire simplement l’octroi de nouveaux permis d’exploration. En fin de compte, la portée de

la loi a été clairement amoindrie. En effet, dans son avis sur le projet de loi, le Conseil d’État

rappelle que « si l’État peut modifier sa stratégie minière en programmant la fin définitive des

activités relatives aux hydrocarbures, pour l’adapter à de nouveaux objectifs, il doit néanmoins

concilier l’exercice de ses prérogatives avec les exigences constitutionnelles, en ne portant pas

aux droits et libertés des opérateurs des atteintes qui seraient contraires à la Constitution »627.

Au titre des droits et libertés constitutionnellement garantis, il évoque notamment le droit de

propriété et la liberté d’entreprendre des opérateurs privés. Le Conseil d’État estime ainsi que

les détenteurs d’une concession en cours de validité ont « l’espérance légitime d’obtenir la

jouissance effective d’un droit de propriété »628. Par conséquent, ils ne doivent pas être privés

de la possibilité d’en obtenir la prolongation, à la condition qu’ils démontrent la persistance

d’un potentiel exploitable dans le gisement. Pour le Conseil d’État, « l’obtention d’une

prolongation pourrait […] être regardée, si ce n’est comme un droit, du moins comme un effet

légitimement attendu »629. L’intérêt général, nous dit-il, « ne serait en effet pas suffisant pour

624 Loi n° 2017-1839 du 30 décembre 2017 mettant fin à la recherche ainsi qu’à l’exploitation des hydrocarbures

et portant diverses dispositions relatives à l’énergie et à l’environnement, JO, 31 décembre 2017. 625 Voy. supra n° 105. 626 Conseil d’État, Assemblée générale, Section des travaux publics, Avis n° 393503 sur un projet de loi mettant

fin à la recherche ainsi qu’à l’exploitation des hydrocarbures et portant diverses dispositions relatives à l’énergie

et à l’environnement, 1er septembre 2017. 627 Ibid. 628 Ibid. 629 Ibid.

Chapitre II. Analyse juridique du rôle de l’entreprise dans la lutte contre le changement climatique : la

recherche de conciliation

141

justifier l’arrêt immédiat de toutes les exploitations en cours »630. Or, en l’occurrence, cet intérêt

général correspond à la lutte contre le changement climatique…

Finalement, dans le texte final de la loi, la limitation claire à 2040 de toutes les

concessions a été remplacée par une limitation variable. Ainsi, le titulaire d’un permis de

recherches peut obtenir une dérogation et dépasser l’échéance du 1er janvier 2040 lorsqu’il

démontre à l’autorité administrative qu’une telle limitation « ne permet pas de couvrir ses coûts

de recherche et d’exploitation, en vue d’atteindre l’équilibre économique, par l’exploitation du

gisement découvert à l’intérieur du périmètre de ce permis pendant la validité de celui-ci »631.

Par une décision intéressante du 18 décembre 2019, le Conseil d’État a cependant

examiné le régime minier des concessions d’hydrocarbures tel que modifié par la loi du 30

décembre 2017 et s’est prononcé sur la conformité d’un décret pris en application de cette loi

avec l’article 1er du protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits

l’homme632. En l’espèce, un contentieux est né entre une société et l’administration. La société

a obtenu en 1999 un permis exclusif de recherche d’hydrocarbures liquides ou gazeux. Ce

permis de recherche a été modifié et prolongé à plusieurs reprises. En 2014, la société a sollicité

l’octroi d’une concession de 25 ans pour exploiter un gisement qu’elle a découvert, estimant

que c’est la durée minimum nécessaire pour assurer la rentabilité de ses investissements. Une

décision implicite de rejet est née, conformément aux textes, 3 ans plus tard. Un contentieux

s’est alors engagé, qui a conduit à l’octroi d’une concession par décret du 2 février 2018,

prévoyant une durée de 22 ans, soit jusqu’au 1er janvier 2040, en application du nouvel article

L. 111-12 du code minier. La société a contesté cette décision en demandant au Conseil d’État

d’écarter l’application de la nouvelle loi, car elle l’estime contraire au droit de propriété tel que

protégé par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. Cependant, le

Conseil d’État n’a pas fait droit aux demandes de la société. Tout en admettant l’atteinte à une

« espérance légitime » des titulaires d’un permis minier ne pouvant plus prétendre à une

concession au-delà du 1er janvier 2040, le Conseil d’État a justifié cette atteinte par l’objectif

d’intérêt général de limitation du réchauffement climatique. Petite victoire pour le climat ?

Cet exemple illustre parfaitement les tensions entre liberté d’entreprendre, protection

du climat, intérêts particuliers et intérêt général. La conciliation n’est nullement un exercice

630 Ibid. 631 C. minier, art. L. 111-12. 632 CE, 6ème et 5ème chambres réunies, 18 décembre 2019, Sté IPC Petroleum France SA, n° 421004, Gaz. Pal., 4

février 2020, note M. Guyomar.

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

142

aisé. Il n’est d’ailleurs pas certain que l’inscription du climat dans la Constitution633 va rendre

cette conciliation plus facile.

148. Or, au temps de la globalisation à la fois des activités humaines et des risques

associés à ces activités, la conciliation entre liberté d’entreprendre et protection du climat est

encore plus délicate car elle interroge avant tout la capacité du droit à appréhender ces

phénomènes nouveaux. Qui pourra, dans un contexte global, au nom de la protection du climat,

apporter des restrictions à la liberté d’entreprendre ? Qui décidera de ce qui relève de l’intérêt

général global et qui déterminera les règles de la proportionnalité ? Est-ce que le droit pourra

finalement résorber la confrontation entre les activités économiques et le climat ? Si oui, quel

droit ? La globalisation pose un nombre considérable de questions, rendant par là même la

conciliation encore plus difficile.

§2. La liberté d’entreprendre dans un contexte global

149. La difficulté est grande pour le droit à saisir l’entreprise dans un contexte global

afin de la mobiliser dans la lutte contre le changement climatique (A). Mais la protection du

climat justifie l’apparition d’un ordre public mondial, refaçonné pour répondre à la

problématique climatique et réconciliateur (B). C’est sans doute une voie possible de

conciliation de la liberté d’entreprendre avec la protection du climat.

A. Espaces juridiques, protection du climat et liberté d’entreprendre

150. La question de la protection juridique du climat évoque celles de la territorialité

et de la temporalité du droit. On assiste, aujourd’hui, à une « évolution de l’espace dans lequel

le droit est efficace »634, ce qui n’est pas sans conséquence au regard de l’exercice par les

opérateurs privés de leurs libertés économiques (1). Or, la portée causale des activités humaines

connaît une extension considérable non seulement dans l’espace mais aussi dans le temps.

Ainsi, l’exercice des libertés économiques génère des risques importants pour les générations

futures, ce qui justifie parfois que des restrictions leur soient apportées (2).

633 Voy. supra n° 101. 634 M.-A. Frison-Roche et S. Bonfils, Les grandes questions du droit économique. Introduction et documents, PUF,

coll. « Quadrige », 1re éd., 2005, p. 78.

Chapitre II. Analyse juridique du rôle de l’entreprise dans la lutte contre le changement climatique : la

recherche de conciliation

143

1. Territorialité du droit, protection du climat et liberté d’entreprendre

151. Pendant longtemps, le principe d’indépendance et de souveraineté des États a

permis de considérer l’extraterritorialité comme une exception. Selon cette règle historique de

la territorialité, les frontières d’un État tracent les limites de validité spatiale de son ordre

juridique et dessinent le territoire sur lequel s’exerce sa compétence exclusive. Mais que reste-

t-il du territoire aujourd’hui ?

Aujourd’hui, la perméabilité des frontières aux échanges économiques et l’apparition

de risques globaux, notamment en matière de santé, d’environnement ou de climat, ont remis

en cause le postulat de la territorialité. La globalisation, qui traduit un « véritable

bouleversement des relations planétaires »635, implique le passage d’un ordre interétatique

classique à une société internationale ouverte. Plus qu’à une internalisation du droit, on assiste

désormais à une globalisation du droit. Assurément, celle-ci suscite un vif intérêt intellectuel et

scientifique, ainsi que, parfois, quelques réactions affectives et passionnelles. Il n’est pas facile,

dans un contexte global, de définir le rôle et les contours du droit. Mais il n’en demeure pas

moins que, quelle que soit l’échelle considérée, le droit a pour mission de mettre en musique

des intérêts divergents, souvent contradictoires, et de faire en sorte que ces intérêts divergents

puissent coexister. Par ailleurs, malgré ce que l’on peut penser, la coexistence d’intérêts

divergents n’est pas révélatrice de l’existence d’un « désordre ». En effet, ce n’est qu’en

référence au modèle hiérarchique pyramidal, classique mais dépassé, qu’il est possible

d’évoquer cette notion de désordre pour caractériser ces mutations du droit. Ainsi, dans un souci

de cohérence, le modèle du « réseau »636 est sans doute plus adapté et mieux armé pour assurer

la coexistence des fins divergentes. De surcroît, aujourd’hui, le pluralisme juridique637 est une

réalité bien établie. Comme l’écrit le Professeur Jean-Jacques Sueur, « le pluralisme n’est pas…

le contraire du monisme ; il est, de manière générale, contestation de toutes les “théories” […]

qui consistent à penser le droit en termes d’oppositions binaires : monisme/pluralisme donc,

mais aussi et encore : subjectif/objectif, droit/non-droit, interne/externe, et, par-dessus tout :

635 G. Farjat, Pour un droit économique, PUF, coll. « Les voies du droit », 2004, p. 148. 636 Voy. notamment : F. Ost et M. Van de Kerchove, De la pyramide au réseau ? Pour une théorie dialectique du

droit, Bruxelles, F.U.S.L., 2002, rééd. 2010 ; M. Delmas-Marty, Pour un droit commun, Seuil, coll. « La librairie

du XXe siècle », 1994, p. 12. 637 Voy. sur le pluralisme juridique : L. Boy, J.-B. Racine, J.-J. Sueur (dir.), Pluralisme juridique et effectivité du

droit économique, Larcier, 2011 ; M. Delmas-Marty, Le pluralisme ordonné : Les forces imaginantes du droit,

Tome 2, Seuil, coll. « La Couleur des idées », 2006.

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

144

ordre/désordre »638. Tous ces facteurs, par ailleurs révélateurs de la flexibilité639 et du flou640

du droit, bouleversent la représentation que l’on pouvait se faire jadis de lui : un droit associé à

l’État, un droit dont la production relève des seuls pouvoirs publics de cet État, un droit qui

opère par catégories juridiques formelles.

152. Dans ce contexte, la notion d’intérêt général641 a pu connaître, elle aussi, une

certaine extension. Selon un auteur, la notion d’intérêt général peut être rangée parmi les

notions fonctionnelles, c’est-à-dire « n’ayant aucune homogénéité conceptuelle et se

caractérisant uniquement par les fonctions qu’elles remplissent qui seules leur confèrent une

véritable unité »642. Or, quelle est la fonction remplie par la notion d’intérêt général ? Cette

notion « implique la recherche d’une solidarité sociale, d’un consensus, et le dépassement des

conflits, des oppositions et des particularismes »643. Nous savons que, traditionnellement,

l’instrument de réalisation de l’intérêt général est l’État644. En effet, l’État est « une instance de

totalisation qui est chargée d’opérer la synthèse des volontés individuelles, de rassembler les

points de vus disparates en un projet cohérent, de ramener les éléments atomisés et soumis à

l’attraction centrifuge dans les limites de l’ordre établi »645. Autrement dit, c’est grâce à l’État

que l’intérêt général prend des contours bien définis. Mais à quoi correspond l’intérêt général

dans un monde globalisé ? Comment est-il formulé, conceptualisé ? Hauriou soulignait déjà, en

1933, la difficulté de donner une définition de l’intérêt général qui serait « valable pour tous les

temps et pour tous les pays, puisqu’elle est pour une grande part sous la dépendance des mœurs

et des transformations sociales »646. Or, dans un contexte globalisé, le pluralisme dans la

formulation de l’intérêt général est devenu une réalité. De fait, l’intérêt général, qui est

638 J.-J. Sueur, « Avant-propos », in Pluralisme juridique et effectivité du droit économique, sous la dir. de L. Boy,

J.-B. Racine, J.-J. Sueur, Larcier, 2011, p. 5-9, spéc. p. 8. 639 J. Carbonnier, Flexible droit. Pour une sociologie du droit sans rigueur, 1969, rééd. L.G.D.J., coll. « Anthologie

du droit », 2013. 640 M. Delmas-Marty, Le flou du droit. Du code pénal aux droits de l’homme, 1986, rééd. PUF, coll. « Quadrige »,

2004. 641 Voy. supra n° 143. 642 F. Rangeon, L’idéologie de l’intérêt général, Economica, coll. « Politique comparée », 1986, p. 8. 643 Ibid., p. 9. 644 Même si la doctrine libérale, et notamment Adam Smith, affirme que l’intervention de l’État ne peut que

troubler la libre formation de l’intérêt général qui découle du jeu harmonieux des intérêts en présence. La théorie

d’Adam Smith est celle d’une « main invisible » qui oriente les intérêts particuliers vers la satisfaction de l’intérêt

général. Selon cette théorie, s’il est vrai que l’ensemble des actions individuelles des acteurs économiques sont

guidées uniquement par l’intérêt personnel de chacun, il n’en demeure pas moins qu’elles contribuent à la richesse

et au bien commun. 645 J. Chevallier, « Réflexions sur l’intérêt général », op. cit., spéc. p. 18. 646 M. Hauriou, Précis de droit administratif et de droit public, Sirey, 12ème éd., 1933, rééd. Dalloz, 2002, p. 59.

Chapitre II. Analyse juridique du rôle de l’entreprise dans la lutte contre le changement climatique : la

recherche de conciliation

145

aujourd’hui « diversifié, éclaté »647 et « divisé en une multitude d’intérêts éparpillés »648, est

également ouvert à la négociation et à la participation649. Dès lors, dans le contexte de la

globalisation, la question qui se pose n’est plus celle de savoir si l’intérêt général peut être

ouvert à des objectifs non économiques. Nous savons que c’est le cas. Très naturellement,

l’intérêt général s’est progressivement ouvert aux considérations environnementales650. En

revanche, moins sûre est la réponse à la question de savoir ce que feront de cette notion les

participants à sa définition à l’échelle globale.

153. La recherche d’un intérêt général universel s’avère être un exercice

particulièrement délicat. La raison tient au fait que l’intérêt général apparaît comme une

justification supérieure de nature à limiter les droits et libertés, et notamment les libertés

économiques des opérateurs privés. L’intérêt général universel, global, mondial ou mondialisé

n’est pas réduit à l’État-nation ou à un groupe d’États-nations. De dimension globale, il est

nourri par l’idée d’indépendance et de destinée commune651. Il prend donc logiquement en

compte les nouveaux risques pour la planète, et notamment les risques en matière

d’environnement et de climat. Il ressort cependant de l’analyse du contexte juridique de la lutte

contre le changement climatique que la communauté internationale a réellement du mal à

parvenir, au nom de la protection du climat, à une véritable conciliation des valeurs qui fonde

le régime juridique du climat652. Les préoccupations économiques priment souvent sur les

préoccupations environnementales. Les acteurs économiques sont invités à participer au débat

sur l’intérêt général et sur les valeurs à protéger, et c’est louable, mais aussi un peu dangereux.

La remise en cause de la territorialité du droit et l’affirmation du pluralisme dans la formulation

de l’intérêt général sont les conséquences inéluctables de la globalisation. Malgré leurs mérites,

elles rendent encore plus complexe la question déjà difficile de la conciliation entre protection

du climat et liberté d’entreprendre. En réalité, aussi paradoxal que cela puisse paraître,

l’effectivité du pluralisme juridique est conditionnée par la présence de remèdes à celui-ci. Or,

quels sont les remèdes à l’utilisation stratégique par les pouvoirs privés économiques de leur

647 G. Pelissier, Le contrôle des atteintes au principe d’égalité au nom de l’intérêt général par le juge de l’excès

de pouvoir, thèse, Paris I, 1995, p. 85. 648 P. Moor, « Intérêts publics et intérêts privés », in La pesée globale des intérêts. Droit de l’environnement et de

l’aménagement du territoire, sous la dir. de Ch.-A. Morand, Bâle, Helbing & Lichtenhahn, 1996, p. 24. 649 G. Clamour, Intérêt général et concurrence. Essai sur la pérennité du droit public en économie de marché,

préf. J.-L. Autin, Dalloz, coll. « Nouvelle Bibliothèque de Thèses », 2006, p. 212. 650 Voy. supra n° 143. 651 J.-B. Racine, « Vers un ordre public mondial ? », in Pluralisme juridique et effectivité du droit économique,

sous la dir. de L. Boy, J.-B. Racine, J.-J. Sueur, Larcier, 2011, p. 419-436, spéc. p. 420. 652 Voy. supra n° 78 et s.

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

146

influence sur les décisions prises à l’échelle globale ? Qui garantira, et comment, que les intérêts

privés, notamment économiques, ne seront pas la composante dominante d’un intérêt général

global ?

154. Comme l’écrit Mireille Delmas-Marty, « la vision traditionnelle d’un droit

identifié à l’État ne permet pas de saisir une recomposition marquée notamment par une

extension du champ juridique dans l’espace […] et par une extension dans le temps »653. Dans

un contexte global, la question de la temporalité du droit est également importante au regard de

la détermination des enjeux à protéger. La protection du climat, qui induit parfois la limitation

des libertés économiques, se fait aussi, en partie, au nom des générations futures. Cependant,

comment justifier nos obligations envers les générations futures ? Comment justifier les limites

apportées à nos droits et libertés au nom de la protection des générations futures ?

2. Temporalité du droit, protection du climat et liberté d’entreprendre

155. Le temps juridique, c’est la dimension temporelle juridique. Il correspond soit

au milieu temporel dans lequel se succèdent les situations juridiques, soit à l’espace temporel

qui compose ces situations juridiques654. Il s’agit d’un instrument qui est mis au service de la

cohérence des notions, règles, prérogatives ou situations juridiques655, étant précisé que le

recours à cet instrument a souvent un but politique. Selon un auteur, « toutes ces manifestations

du temps dans le droit sont révélatrices d’une utilisation, d’une manipulation du temps à des

fins de politique juridique »656. Le choix politique de privilégier le court terme ou le long terme

n’est, d’ailleurs, jamais anodin. Il reflète, en effet, les valeurs des sociétés considérées.

La question du temps est importante notamment dans le cadre de la construction des

régimes juridiques de protection et le droit de l’environnement est très révélateur à cet égard.

L’idée de préserver la planète pour les générations futures s’est progressivement développée en

droit de l’environnement, ce qui n’est pas vraiment étonnant puisque ce droit est, par essence

et par vocation, un droit ouvert à la temporalité des générations futures. Comme l’écrit un

auteur, « l’approche juridique de l’environnement révèle une omniprésence du temps,

dimension essentielle de l’objet saisi par le droit ou cadre de l’application de ce dernier, souvent

653 Préface de É. Gaillard, Générations futures et droit privé, L.G.D.J., 2011. 654 M. Cresp, Le temps juridique en droit privé, essai d’une théorie générale, préf. J. Hauser, PUAM, 2013. 655 Ibid., p. 24. 656 S. Amrani-Mekki, Le temps et le procès civil, Dalloz, coll. « Nouvelle Bibliothèque de Thèses », 2002, n° 2.

Chapitre II. Analyse juridique du rôle de l’entreprise dans la lutte contre le changement climatique : la

recherche de conciliation

147

dans l’urgence. Long terme, irréversibilité, processus et équilibres écologiques, patrimoine

commun, générations futures et développement durable sont autant d’aspects qui illustrent la

richesse de la conception du temps propre au droit de l’environnement. L’émergence de ces

temporalités spécifiques démontre que le droit de l’environnement n’est pensé qu’en termes de

résolution de la collision entre temps humain et temps naturel »657.

La fragilité de l’humanité implique un devoir de conservation et de protection à l’égard

des générations futures. Sous la pression des défis globaux, le droit s’est ouvert au concept de

générations futures658. Ce concept exprime ainsi une solidarité non seulement transnationale,

mais encore transtemporelle. Comme le dit le fameux proverbe : « nous n’avons pas hérité la

terre de nos ancêtres, nous l’avons emprunté à nos enfants »659. L’idée que les générations

futures disposent de droits que les générations présentes doivent préserver, a pénétré le droit

contemporain, marquant par là même la rupture du paradigme temporel selon lequel le rayon

d’action du droit ne peut pas régir l’avenir. Par ailleurs, selon l’anthropologue Lucien Sebag,

« seul celui qui a une volonté peut rendre sa condition pire »660. Ce postulat idéologique pourrait

tout à fait justifier la reconnaissance positive de droits aux générations futures.

156. La protection des droits des générations futures peut parfois justifier des

limitations des libertés économiques, et notamment de la liberté d’entreprendre. Pour

rappel, lors de la construction du régime juridique international du climat, les Parties à la

Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques se sont dites « résolues à

préserver le système climatique pour les générations présentes et futures »661. Ainsi, les

décisions prises à l’échelle internationale en matière de protection du climat et les mesures

adoptées à l’échelle nationale en matière de lutte contre le changement climatique expriment

souvent le besoin de mobiliser les acteurs économiques. Cependant, la plupart du temps, cette

mobilisation est perçue par ces derniers comme une contrainte non suffisamment justifiée car

faite au nom d’intérêts lointains, dans un contexte d’incertitude relative. Encore aujourd’hui,

agir contre le changement climatique engendré par les activités humaines ne semble pas une

obligation évidente pour tout le monde, surtout lorsqu’elle implique de renoncer à l’exercice

657 T. Soleilhac, Le temps et le droit de l’environnement, thèse, Université Jean-Moulin Lyon 3, 2006. 658 Voy. sur les générations futures en tant que concept juridique nouveau : É. Gaillard, Générations futures et

droit privé. Vers un droit des générations futures, préf. M. Delmas-Marty, L.G.D.J., 2011. 659 Cité par René-Jean Dupuy dans : L’humanité dans l’imaginaire des nations, Juillard, coll. « Conférences, essais

et leçons du Collège de France », 1991, p. 222. 660 L. Sebag, La condition juridique des personnes physiques et des personnes morales avant leur naissance, Sirey,

1938, p. 29. 661 CCNUCC, préambule.

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

148

d’une liberté, qu’il s’agisse d’une liberté économique ou encore de la liberté de prendre des

risques662.

157. Un choc des temporalités663 apparaît dès lors, provoquant des ruptures dans les

représentations de ce que le droit a pour mission de faire. Or, nous savons que l’obsession de

la rapidité et du court terme, et le fait de « privilégier les intérêts du présent »664 provoquent la

« généralisation de l’insécurité juridique »665. Comme l’écrit un auteur, « notre société est à la

fois mal à l’aise avec le temps et mal à l’aise avec le sens »666, si bien qu’il est permis

effectivement de se demander « quelle peut être désormais la mission du droit dans la mesure

où il a précisément pour vocation d’inscrire le sens dans des textes »667. De plus, le droit n’est-

il pas l’instrument par excellence d’instauration de l’ordre social668 ? Effectivement, le droit

entre en scène dès lors que l’ordre social se trouve menacé par la réalisation de risques qui,

d’une manière ou d’une autre, impliquent autrui. Les « autres » ou « tous » peuvent être les

générations futures ou l’humanité toute entière, présente et à venir. Mais il est vrai qu’il est

beaucoup moins évident de légitimer les limitations des libertés individuelles faites, le cas

échéant, au nom de l’intérêt des générations futures669. La clé se trouve, encore une fois, sans

doute, dans la notion d’intérêt général global ou universel précédemment évoquée670.

Dans un contexte global, en perte de repères, nous comprenons le besoin de

réinterroger la capacité du droit à appréhender les transformations du monde. Les contextes du

droit – l’espace et le temps – sont bouleversés. Un nouvel appel à l’ordre est fait.

662 H. Barbier, La liberté de prendre des risques, op. cit. 663 J. Commaille, À quoi nous sert le droit ?, Éditions Gallimard, coll. « Folio essais », 1re éd., 2015, p. 255. 664 G. Haarscher, « Le temps du droit et l’expérience totalitaire », in Temps et Droit. Le droit a-t-il pour vocation

de durer ?, sous la dir. de F. Ost et M. Van Hoecke, Bruylant, coll. « Bibliothèque de l’Académie européenne de

théorie du droit », 1998, p. 164. 665 Ibid. 666 J. Chesneaux, Habiter le temps, Bayard, 1996, p. 79. 667 J. Commaille, À quoi nous sert le droit ?, op. cit., p. 256. 668 Voy. par exemple : J. Carbonnier, Droit civil, Tome 1, Introduction, les personnes, la famille, l’enfant, le couple,

PUF, coll. « Quadrige », 1re éd., 2004, p. 12. 669 C. Gautier et J. Valluy, « Générations futures et intérêt général. Éléments de réflexion à partir du débat sur le

“développement durable” », in Politix, vol. 11, n° 42, 1998, Définir l’intérêt général, sous la dir. de B. Gaïti, A.

Jobert et J. Valluy, p. 7-36. 670 Voy. supra n° 153.

Chapitre II. Analyse juridique du rôle de l’entreprise dans la lutte contre le changement climatique : la

recherche de conciliation

149

B. Ordre public mondial, protection du climat et liberté d’entreprendre

158. Que signifie la notion d’ordre public mondial et quels en sont les contours (1) ?

Est-ce qu’il existe d’ores et déjà ou est-ce qu’il est à l’état latent ? Peut-il résorber, et de quelle

manière, la confrontation entre les activités économiques et le climat (2) ?

1. La notion d’ordre public mondial

159. La notion d’ordre public671 ne bénéficie pas de définition juridique précise.

Il est admis que « l’ordre public est une notion qu’on ressent, plus qu’on ne peut

l’expliquer »672. De nombreux auteurs ont souligné « les affres de la définition [et] l’obscurité

du concept »673. Cela dit, « l’ambiguïté d’un terme est rarement un obstacle à sa fortune »674,

comme l’affirmait Gérard Farjat dans sa thèse de doctorat. En effet, les difficultés de définition

de l’ordre public n’en font pas moins un concept fondamental du droit français.

On dit souvent que l’ordre public désigne l’ensemble des règles édictées dans l’intérêt

général afin de régir la vie en société. La fonction de l’ordre public est ainsi « d’assurer la

protection ou la constitution de l’ordre social et juridique auquel il se rattache, en jouant les

rôles d’exceptions, de réserves, de dérogations, qui permettent, dans cet ordre juridique, de

s’opposer à l’effet normal d’un principe, d’une norme, d’un droit, d’une liberté, pour la

sauvegarde ou pour la promotion même d’une valeur supérieure »675.

La notion d’ordre public ne se confond pas avec celle d’intérêt général, même s’il est

vrai que « l’ordre public est consubstantiel à la notion d’intérêt »676. En réalité, « l’ordre public

est une marque de prévalence de certains intérêts généraux sur d’autres ; il désigne toujours les

intérêts généraux considérés comme les plus importants pour la société »677. Selon un auteur,

671 Voy. sur l’ordre public : J. Hauser et J.-J. Lemouland, « L’ordre public et les bonnes mœurs », Répertoire de

droit civil, Dalloz, janvier 2015 (mise à jour : janvier 2019) ; C.-A. Dubreuil (dir.), L’ordre public, Cujas, coll.

« Actes & études », 2013 ; L’ordre public, Dalloz, coll. « Archives de philosophie du droit », 2015. 672 R. Drago, « Les atteintes à l’ordre public », in L’ordre public, sous la dir. de R. Polin, PUF, coll. « Politique

d’aujourd’hui », 1998, p. 47. 673 F. Terré, « Rapport introductif », in L’ordre public à la fin du XXe siècle, sous la dir. de Th. Revet, Dalloz, coll.

« Thèmes et commentaires », 1996, p. 3. 674 G. Farjat, L’ordre public économique, L.G.D.J., 1963, p. 34. 675 É. Picard, « L’influence du droit communautaire sur la notion d’ordre public », AJDA, 1996, p. 55. 676 M. Mekki, L’intérêt général et le contrat. Contribution à une étude de la hiérarchie des intérêts en droit privé,

préf. J. Ghestin, L.G.D.J., 2004, p. 201. 677 N. Belaïdi, La lutte contre les atteintes globales à l’environnement : vers un ordre public écologique, Bruylant,

2008, p. 58.

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

150

l’ordre public est « la réponse juridique apportée à […] un conflit de valeurs que la morale

sociale ait à trancher »678.

160. Omniprésent, l’ordre public est inévitablement divers679. Malgré la difficulté

de lui donner une définition juridique précise, les juristes sont parvenus à s’accorder assez

largement sur une division bipartite en rapport avec sa fonction. Ainsi, la distinction entre

l’ordre public de direction et l’ordre public de protection a connu un véritable succès. Le Doyen

Carbonnier a été l’un des premiers à suggérer cette distinction, tout en reconnaissant les

difficultés de sa mise en œuvre et la nécessité d’y introduire une certaine flexibilité680. Dans le

domaine économique, on a pu dire que l’ordre public de direction s’apparente à l’ordre public

politique et moral, en ce sens qu’il ne vise pas à protéger une catégorie de personnes, mais à

imposer une certaine conception de l’intérêt général681. Quant à l’ordre public de protection,

celui-ci vise à protéger, dans certains contrats, la partie économiquement la plus faible, ainsi le

salarié, le preneur à bail ou le consommateur. L’ordre public de direction serait donc plus

dépendant des politiques économiques et plus instable que l’ordre public de protection682.

D’autres auteurs ont, d’ailleurs, repris cette distinction, parfois avec un vocabulaire différent.

Le Professeur Mestre distingue ainsi « l’ordre public impératif » et « l’ordre privé

impératif »683. Il est vrai que, dans tous les cas, le caractère impératif est intrinsèque à la notion

d’ordre public.

161. « L’ordre public a connu son heure de gloire avec l’Ordre public

économique à l’époque de l’intervention économique dirigiste de l’État »684. L’ordre public

économique peut se définir comme « l’ensemble des règles obligatoires dans les rapports

contractuels, relatives à l’organisation économique, aux rapports sociaux et à l’économie

interne du contrat »685. Il est « l’expression juridique de l’ordre économique fondamental d’une

678 M.-C. Vincent-Legoux, L’ordre public. Étude de droit comparé interne, PUF, coll. « Les grandes thèses du

droit français », 2001, p. 526. 679 J.-B. Racine, « La diversité de l’ordre public », in La diversité du droit. Mélanges en l’honneur de Jerry Sainte-

Rose, sous la dir. de C. Puigelier, Bruylant, 2012, p. 1201. 680 J. Carbonnier, Droit civil, Tome 4, Les obligations, PUF, coll. « Thémis », 1990, nos 70 et 71. 681 J. Ghestin, Traité de droit civil. Les obligations : le contrat : formation, L.G.D.J., 2ème éd., 1988, n° 114. 682 J. Hauser et J.-J. Lemouland, « L’ordre public et les bonnes mœurs », op. cit., n° 40. 683 J. Mestre, « L’ordre public dans les relations économiques », in L’ordre public à la fin du XXe siècle, sous la

dir. de Th. Revet, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 1996, p. 33 et s. 684 G. Farjat, Pour un droit économique, PUF, coll. « Les voies du droit », 2004, p. 46 ; voy. également : G. Farjat,

L’ordre public économique, op. cit. 685 G. Farjat, L’ordre public économique, op. cit., p. 38.

Chapitre II. Analyse juridique du rôle de l’entreprise dans la lutte contre le changement climatique : la

recherche de conciliation

151

société donnée »686. Dans cette acception, l’ordre public est « l’antithèse à la liberté

contractuelle ou conventionnelle », « une barrière à l’autonomie de la volonté individuelle »687.

À titre d’illustration, en droit civil, l’article 1162 du code civil issu de l’ordonnance du 10

février 2016688 énonce que : « Le contrat ne peut déroger à l’ordre public ni par ses stipulations,

ni par son but, que ce dernier ait été connu ou non par toutes les parties ». À cet égard, le

Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance explique que : « la nécessaire

conformité du contrat à l’ordre public est réaffirmée et précisée. L’interdiction de déroger à

l’ordre public s’applique tant aux stipulations elles-mêmes – ce qui était anciennement

appréhendé sous l’angle de la licéité de l’objet – qu’au but – anciennement appréhendé sous

l’angle de la licéité de la cause subjective. Par ailleurs est reprise la solution jurisprudentielle

selon laquelle le contrat est nul lorsque l’une des parties poursuit un but illicite, même si l’autre

partie n’avait pas connaissance de ce but »689.

Nous comprenons que l’ordre public entretient parfois des relations conflictuelles avec

les libertés fondamentales. La problématique que soulève l’articulation du diptyque libertés-

ordre public se pose avec beaucoup d’acuité. Néanmoins, contrairement à ce que l’on pense,

l’ordre public n’est pas nécessairement antinomique à la liberté. Il ressort de la jurisprudence

du Conseil constitutionnel que la prévention des atteintes à l’ordre public est nécessaire à la

sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle690. En ce sens, l’ordre public

peut également servir de « bouclier » pour les libertés fondamentales. Effectivement, les règles

impératives tendent aussi à protéger les intérêts particuliers. Mais le poids des intérêts

particuliers introduit inévitablement des zones de doute691.

Au risque de compliquer encore davantage la question, nous relèverons enfin que

l’ordre public n’a pas uniquement pour fonction de défendre l’intérêt général ou les intérêts

particuliers. Parfois, il sert certains intérêts collectifs, comme par exemple l’intérêt collectif

environnemental.

686 Ibid., p. 32. 687 J. Hauser et J.-J. Lemouland, « L’ordre public et les bonnes mœurs », op. cit., n° 37. 688 Ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la

preuve des obligations, JO, 11 février 2016. 689 Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme

du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, JO, 11 février 2016. 690 Voy. par exemple : Cons. const., 2 mars 2018, n° 2017-693 QPC, Association de la presse judiciaire,

considérant n° 8 ; Cons. const., 15 févr. 2019, n° 2018-764 QPC, M. Paolo M., considérant n° 6. 691 J. Hauser et J.-J. Lemouland, « L’ordre public et les bonnes mœurs », op. cit., n° 8.

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

152

162. À côté de l’ordre public économique, on a vu apparaître, plus récemment,

un ordre public écologique692. « L’expression ordre public écologique peut surprendre, voire

amuser ou irriter certains lecteurs potentiels. En effet, tout ordre public est fondamentalement

un ordre social qui renvoie à l’organisation des hommes en société : la nature, ou

l’environnement, ou la biosphère, ne sauraient être les porteurs d’un ordre public aux différents

sens que le juriste peut donner à cette notion »693. Pourtant, toutes les conditions de l’émergence

d’un ordre public écologique paraissent réunies. La dimension écologique est de plus en plus

intégrée dans l’ensemble des politiques publiques et la protection de l’environnement fait

l’objet d’un encadrement croissant.

Le Professeur Prieur réserve depuis longtemps une subdivision de son ouvrage à la

question de l’ordre public écologique qu’il définit comme « un ordre public nouveau ayant pour

fin la protection de l’environnement »694. Pour l’auteur, « la mise en œuvre d’une politique de

l’environnement et la reconnaissance de l’intérêt général de cette politique » ont conduit à

l’émergence d’un véritable ordre public écologique constitué de règles nouvelles « ayant pour

objet de contraindre l’homme à respecter les lois biologiques et l’équilibre écologique

général »695. Sans employer le verbe « contraindre », et donc plus modestement, Nadia Belaïdi

définit l’ordre public écologique comme « un ensemble de règles accepté et reconnu par tous

dont le but est de protéger les processus écologiques supports de toute vie dans la perspective

d’assurer le développement durable et le bien-être de l’humanité »696. Pour le Professeur Kiss,

l’ordre public écologique correspond à « un ensemble de principes élaborés dans l’intérêt

général de l’humanité et fondés sur la justice environnementale qui permet de sauvegarder les

ressources naturelles et leurs équilibres entre elles et par rapport aux humains ainsi que

d’assurer l’accès équitable à ces ressources à toute personne et à toute espèce vivante »697.

Effectivement, le concept d’ordre public écologique est animé par un objectif de justice et mis

en œuvre au nom du bien commun.

Insistant sur la solidarité de l’humanité, l’ordre public écologique se traduit par

l’insertion dans les instruments juridiques de principes et d’idées à forte connotation

692 Voy. sur l’ordre public écologique : M. Boutelet et J.-C. Fritz (dir.), L’ordre public écologique, Bruylant, 2005 ;

N. Belaïdi, La lutte contre les atteintes globales à l’environnement : vers un ordre public écologique ?, Bruylant,

2008 ; id., « Identité et perspectives d’un ordre public écologique », Droit et cultures, n° 68, 2014, p. 15-49. 693 M. Boutelet et J.-C. Fritz, « Avant-propos », in L’ordre public écologique, sous la dir. de M. Boutelet et J.-C.

Fritz, Bruylant, 2005, p. 9. 694 M. Prieur, Droit de l’environnement, op. cit., p. 85. 695 Ibid. 696 N. Belaïdi, La lutte contre les atteintes globales à l’environnement : vers un ordre public écologique ?, op. cit.,

p. 461. 697 A. Kiss, « L’ordre public écologique », in L’ordre public écologique, sous la dir. de M. Boutelet et J.-C. Fritz,

Bruylant, 2005, p. 167.

Chapitre II. Analyse juridique du rôle de l’entreprise dans la lutte contre le changement climatique : la

recherche de conciliation

153

environnementale. Il vient ainsi « se greffer sur l’ensemble plus vaste d’un ordre public

“humaniste” fondé sur le principe de dignité »698. Et puisqu’on évoque la question de

l’humanité, nous allons rebondir sur celle de la possibilité d’un véritable ordre public mondial

promouvant un intérêt général global.

163. Peut-on imaginer un ordre public élargi à l’échelle mondiale ? Cet ordre

public mondial ne serait, à proprement parler, ni un ordre public économique, ni un ordre public

écologique, mais un ordre public « pluraliste », promouvant un intérêt général global, celui de

l’humanité, et chargé de réaliser un arbitrage entre des intérêts divers. Des propositions en ce

sens existent déjà699, mais il faut reconnaître la difficulté d’une telle entreprise. Jusqu’à présent,

nous avons toujours envisagé l’ordre public en nous référant à l’État. L’autorité publique est un

repère nécessaire pour les juristes. Or, quelle est l’autorité publique dans un contexte global ?

Il n’y en a pas, et c’est bien là que réside la principale difficulté. Est-ce pour autant qu’il faille

renoncer à l’idée ? La société mondiale n’a-t-elle pas besoin d’une forme d’ordre public apte à

dégager des valeurs fondamentales ?

L’ordre public mondial pourrait s’avérer un outil efficace pour corriger les dérives de

la mondialisation, pour humaniser la mondialisation700. Les États seraient régulés autant que

régulateurs et partageraient la tâche de l’élaboration de l’ordre public avec d’autres acteurs. Les

acteurs privés pourraient ainsi y contribuer, dans une logique d’autorégulation, sous réserve

toutefois de prévenir le risque qu’ils l’instrumentalisent à leur convenance.

Comme l’écrivait Gérard Farjat, « la construction d’un humanisme universel n’est pas

due en premier lieu aux mérites de l’humanisme. Elle est due d’abord à la mondialisation des

soucis et des désirs des peuples »701. Les atteintes à l’environnement sont un parfait exemple

de la mondialisation des soucis : « N’est-ce pas un certain humanisme qui se manifeste lorsque

survient quelque cataclysme dans n’importe quelle partie du monde ? La compassion pour les

698 J. Hauser et J.-J. Lemouland, « L’ordre public et les bonnes mœurs », op. cit., n° 51. 699 Voy. notamment : J.-B. Racine, « Vers un ordre public mondial ? », in Pluralisme juridique et effectivité du

droit économique, op. cit. 700 J.-B. Racine, « Droit économique et droits de l’homme : introduction générale », in Droit économique et droits

de l’homme, sous la dir. de L. Boy, J.-B. Racine et F. Siiriainen, Larcier, 2009, p. 7 et s. ; G. Farjat,

« L’universalisme humaniste et le système juridique », in Pluralisme juridique et effectivité du droit économique,

sous la dir. de L. Boy, J.-B. Racine, J.-J. Sueur, Larcier, 2011, p. 481 et s. ; M. Delmas-Marty, « Pluralisme

juridique et effectivité du droit économique : Comment humaniser la mondialisation ? », in Pluralisme juridique

et effectivité du droit économique, sous la dir. de L. Boy, J.-B. Racine, J.-J. Sueur, Larcier, 2011, p. 503 et s., spéc.

p. 512-515. 701 G. Farjat, « L’universalisme humaniste et le système juridique », in Pluralisme juridique et effectivité du droit

économique, op. cit., spéc. p. 488.

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

154

victimes s’étend à tous les pays »702. Or, la prolifération des atteintes à l’environnement et la

prise de conscience de leur gravité et de leur irréversibilité suscitent de nouveau le désir des

peuples de plus de sécurité. La notion de sécurité a toujours été comprise en termes de menaces

politiques et militaires pour la souveraineté nationale. Aujourd’hui, elle inclut l’incidence

croissante des atteintes à l’environnement sur l’ensemble des échelles : locale, nationale,

régionale ou mondiale.

Sans doute très difficile, la construction d’un humanisme universel est tout de même

envisageable. Elle est nécessaire pour relever les défis globaux de notre temps. L’idée serait de

renforcer l’action commune autour de valeurs partagées, du dialogue, de la coopération et de la

recherche de consensus, dans un souci de paix et de justice. Un ordre public construit à l’échelle

mondiale viendrait en renfort et donnerait corps à cette idée. L’ordre public mondial pourrait

ainsi permettre de résorber la confrontation entre valeurs antagonistes, et notamment entre le

développement des activités économiques et la protection du climat.

2. Un ordre public mondial réconciliateur

164. La protection du climat justifie l’apparition d’un nouvel ordre public

mondial, mais un ordre public qui serait réconciliateur de valeurs plutôt que limitatif de

libertés. En effet, dans le contexte de la mondialisation des échanges économiques et de la

globalisation des risques liés aux activités économiques, il est naturel de penser la conciliation

entre libertés économiques et protection du climat avant tout à l’échelle transnationale. Il n’est

pas possible d’imaginer que l’on puisse un jour arrêter la mondialisation et l’expansion des

activités économiques. Et ce ne serait pas non plus le but de l’ordre public mondial. Nous avons

vu que la fonction essentielle de l’ordre public est d’apporter une réponse juridique à un conflit

de valeurs. Ce faisant, il permet de désigner les valeurs sociales essentielles. Quelles sont les

valeurs essentielles de la société globale ? Y a-t-il une communauté de valeurs703 à l’échelle

planétaire ?

À en croire les dires des négociateurs du régime juridique international du climat, la

protection du climat est une préoccupation de l’ensemble de la communauté internationale. Elle

est un enjeu majeur pour l’avenir de l’humanité, une valeur à protéger. La valeur permet en

effet de « rassembler dans une unité (provisoire) de sens la diversité des données constitutives

702 Ibid., spéc. p. 492. 703 M. Delmas-Marty, Vers une communauté de valeurs : Les forces imaginantes du droit, Tome 4, Seuil, coll.

« La Couleur des idées », 2011.

Chapitre II. Analyse juridique du rôle de l’entreprise dans la lutte contre le changement climatique : la

recherche de conciliation

155

de l’action humaine »704. Orienter l’action humaine vers une meilleure prise en considération

du problème climatique est, aujourd’hui, le principal défi des États. Comment encadrer cette

action humaine, comment lui donner un sens différent, sans pour autant provoquer des

changements trop brusques ni trop profonds ? Car il faut l’admettre : l’idée même de pareils

changements fait peur et crispe l’action, elle la fait reculer. Un juste équilibre entre l’action et

l’inaction est donc à rechercher. Dans un contexte où l’action humaine se déploie à l’échelle

planétaire, ce sont les valeurs universelles, ou plutôt « universalisables »705, qui pourraient

« éclairer le chemin »706. L’ordre public mondial, qui représente « l’expression privilégiée

d’une forme de langage commun »707, pourrait cristalliser ces valeurs à l’échelle planétaire.

Cependant, encore une fois, la clé est dans la recherche systématique d’un équilibre. Dans une

économie mondialisée, l’ordre public mondial contribuerait ainsi à l’effectivité du droit

économique.

Assurément, si la construction des régimes du climat ne s’effectue pas en tenant

compte du besoin de conciliation entre libertés économiques et protection du climat, ces

régimes n’ont aucune chance de prospérer. Il n’est pas sensé de croire que les États parviendront

à mobiliser les entreprises dans la lutte contre le changement climatique, si celles-ci ont

l’impression de renoncer, sans contrepartie, à l’exercice de leurs libertés garanties. Par ailleurs,

la mondialisation a établi des rapports de force qui font dorénavant des entreprises les

principaux détenteurs du pouvoir économique. Elles ont un sentiment de toute-puissance, voire

d’impunité presque, car elles disposent des moyens nécessaires pour élaborer des montages

juridiques complexes les faisant souvent échapper à la régulation étatique. Que fait donc le droit

devant ce constat ?

L’ordre public mondial est une voie possible à imaginer pour surmonter toutes ces

difficultés. C’est une voie qui donne d’ailleurs aux juges, dans un second temps, un rôle

fondamental à jouer dans la conciliation des intérêts en présence.

165. En résumé, les mesures en matière de protection du climat sont, a priori,

difficilement conciliables avec la liberté d’entreprendre, qui est la liberté économique par

excellence. Néanmoins, les textes juridiques internationaux insistent sur le besoin de coopérer

avec le secteur privé et d’impliquer ce dernier dans les démarches de lutte contre le changement

704 P. Valadier, L’Anarchie des valeurs, Albin Michel, 1997, p. 157. 705 M. Delmas-Marty, Vers une communauté de valeurs : Les forces imaginantes du droit, Tome 4, op. cit., p. 377. 706 Ibid. 707 J.-B. Racine, « Vers un ordre public mondial ? », in Pluralisme juridique et effectivité du droit économique, op.

cit., p. 435.

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

156

climatique. Ils font de l’entreprise un acteur primordial dans cette lutte. C’est dès lors une

problématique juridique majeure que de vouloir concilier protection du climat et liberté

d’entreprendre. La difficulté est d’autant plus grande que les opérateurs économiques font

généralement tout pour échapper à la régulation étatique. Certes, les ordres publics nationaux

peuvent, au nom de l’intérêt général, poser des limites à l’exercice des libertés économiques.

Mais c’est déjà une entreprise délicate à l’échelle nationale, qui paraît presque impossible à

l’échelle globale, où il n’existe pas de véritable autorité pouvant déterminer les équilibres

nécessaires. Pour l’heure, l’intérêt général global et l’ordre public mondial n’existent qu’à l’état

latent et ne constituent pas des réponses juridiques mobilisables.

Certes difficile, la conciliation entre liberté d’entreprendre et protection du climat est

cependant indispensable pour que l’entreprise puisse jouer son rôle dans la lutte contre le

changement climatique.

Section 2. La conciliation nécessaire entre protection du climat et liberté d’entreprendre

166. La conciliation appelle un jeu de concessions réciproques. Elle « implique de

briser les formes de pensées rigides qui font de l’absolu une abstraction stérile »708 et se traduit

par la recherche d’un équilibre. Concilier, c’est « inventer un espace normatif intelligible et

accessible qui vit et s’adapte à ce qui évolue, y compris et surtout dans la réalité physique et

écologique »709. Dans le contexte du changement climatique, au regard des nouveaux défis et

enjeux écologiques et sociétaux, l’idée est donc de réorganiser les conditions de la régulation

des activités économiques par la conciliation d’une série d’exigences et de valeurs, a priori,

contradictoires. Pour y parvenir, il faut d’abord dépasser l’opposition entre « l’économisme

abusif qui n’hésite pas à détruire la nature au nom de profits économiques immédiats et […]

l’écologisme non moins outrancier qui érige la conservation de la nature en principe absolu »710.

La conciliation est devenue une nécessité impérieuse systématiquement réaffirmée

(§1). Mais quels sont les moyens pour y parvenir ? Et quels sont ceux qui seraient les plus

respectueux des libertés économiques des opérateurs privés ? (§2)

708 É. Naim-Gesbert, « L’écosystème saisi par le droit », op. cit., spéc. p. 8. 709 Ibid. 710 I. Sachs, Stratégies et développement, Les Éditions ouvrières, 1980, p. 32.

Chapitre II. Analyse juridique du rôle de l’entreprise dans la lutte contre le changement climatique : la

recherche de conciliation

157

§1. L’affirmation du besoin de conciliation

167. À l’échelle globale, la lutte contre le changement climatique est devenue une

préoccupation majeure de la communauté internationale. Dans le même temps, la concurrence

économique est de plus en plus féroce, conduisant à l’exploitation effrénée des ressources

d’énergie fossile et contribuant à l’aggravation du problème climatique. Certains parlent de

« schizophrénie apparente »711 pour caractériser cette situation qui reflète une « contradiction

structurelle »712 profonde. Que ce soit donc dans le domaine du droit (B) ou en dehors (A), le

besoin de concilier protection du climat et développement économique s’affirme.

A. Les fondements extra-juridiques de la conciliation

168. En dehors du domaine juridique, il semble beaucoup plus aisé d’appréhender le

lien entre les activités humaines et la détérioration de l’environnement. Il suffit d’observer les

faits pour en faire le constat. C’est un fait que le développement des activités humaines a

transformé l’environnement, malheureusement, en le détériorant. Mais inversement, il faut

savoir aussi que la détérioration continue de l’environnement est une menace pour ce même

développement, car la nature se déchaîne et reprend ses droits.

Ainsi, nous allons voir que l’entreprise est un acteur du changement climatique à

double titre. Ses activités ont un impact sur le changement climatique (1) et, parallèlement, le

changement climatique a un impact sur ses activités (2). Ces interactions et impacts réciproques

expriment, au fond, la nécessité de rechercher la conciliation car il ne s’agit pas, en prenant la

mesure de l’impact des activités humaines sur la planète, d’interdire tout développement

économique ; il s’agit de faire en sorte que ce développement économique se poursuive d’une

manière plus responsable à l’égard de l’avenir.

1. L’impact de l’entreprise sur le changement climatique

169. Le Groupement d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat

souligne que l’impact des activités humaines sur le climat est sans précédent, en rythme comme

711 M. Delmas-Marty, « Introduction », in Prendre la responsabilité au sérieux, Quatrième partie : Jalons pour une

reconnaissance du principe de responsabilité à l’échelle mondiale, sous la dir. de A. Supiot et M. Delmas-Marty,

PUF, 2015, p. 331-336, spéc. p. 335. 712 Ibid.

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

158

en amplitude713. Le cri d’alarme des scientifiques sur l’état de la planète n’est cependant pas

toujours entendu, même si les preuves ne manquent pas sur la réalité du danger auquel nous

nous sommes exposés. L’humanité ne s’est probablement jamais autant rapprochée de son

effondrement, si bien que nous avons acquis la certitude qu’elle était capable de s’anéantir elle-

même.

Devant ces constats malheureux, une réflexion sur l’impact de l’entreprise sur le

changement climatique s’impose naturellement. Les opérateurs économiques disposent

désormais d’un pouvoir de nuisance extrêmement important, qui s’étend à l’échelle globale et

que le droit peine encore à contrebalancer (a). Par conséquent, la société exprime de plus en

plus fort ses attentes élevées à l’égard des opérateurs économiques. Qui plus est, il faut le

souligner, ces attentes sont légitimes (b).

a) Le pouvoir de nuisance des opérateurs économiques

170. Nuire signifie faire du tort, porter atteinte ou préjudice, faire du mal. Il est

généralement admis que la nuisance correspond à « un ensemble de facteurs qui nuisent à la

qualité de la vie » ou à « toute action susceptible de nuire à l’environnement »714. Le pouvoir

correspond à l’autorité et à la puissance. A priori, du moins dans un monde où il existe encore

des valeurs humaines, avoir un « pouvoir de nuisance » n’est pas quelque chose dont quelqu’un

peut se vanter. C’est ce qui explique, d’ailleurs, que ceux qui ont le pouvoir de nuisance font

tout pour se donner une bonne image voire, parfois, bonne conscience. Le plus souvent, les

détenteurs du pouvoir économique et/ou politique sont aussi les détenteurs du pouvoir de

nuisance. Par leurs activités et par leurs décisions, ils exercent une influence considérable sur

l’environnement.

Qui détient le pouvoir à l’échelle globale ? Par prudence, il convient de dire qu’à

l’échelle globale, le pouvoir est partagé entre les États et les opérateurs privés économiques,

même si, en réalité, il appartient plutôt à ces derniers. En effet, la mondialisation de l’économie

a pu entraîner un bouleversement des rapports de force, si bien que les entreprises

transnationales et les puissants groupes de sociétés sont désormais ceux qui détiennent le

pouvoir et ceux qui décident. L’oublier ou, pire, le nier revient à fermer les yeux sur la réalité

713 Voy. notamment : GIEC, Changements climatiques 2014 : Incidences, adaptation et vulnérabilité, 5ème Rapport

d’évaluation, 2014. 714 D’ailleurs, selon un auteur, « envisagée en tant qu’agression contre l’environnement génératrice d’effets de

droit, la notion de nuisance constitue une catégorie juridique autonome justiciable d’un traitement particulier » :

F. Caballero, Essai sur la notion juridique de nuisance, L.G.D.J., 1981, p. 301.

Chapitre II. Analyse juridique du rôle de l’entreprise dans la lutte contre le changement climatique : la

recherche de conciliation

159

de notre monde. Par ailleurs, on constate qu’il existe une « asymétrie flagrante entre la

responsabilité des États et celle des entreprises transnationales [qui] n’est pas compensée par

un droit international permettant de rendre la responsabilité proportionnelle au pouvoir exercé

par les différents acteurs. La multiplication des acteurs de la mondialisation, qui devrait

impliquer une redistribution des responsabilités, aboutit plutôt à leur dilution »715. C’est toute

la question de l’irresponsabilité à l’échelle globale qui choque et qui demande de dépasser

certains déterminismes au cœur de nos représentations du droit.

171. Pendant très longtemps, personne ne se préoccupait des problèmes

environnementaux et des conséquences sur l’environnement des activités humaines. On pensait

qu’on pouvait prélever les ressources naturelles, fabriquer, transporter, cultiver et élever,

produire et consommer de l’énergie, sans autre considération que la satisfaction de nos intérêts

présents. Ainsi, comme l’écrivait Hans Jonas dans son ouvrage emblématique, « la vulnérabilité

critique de la nature […] n’avait jamais été pressentie avant qu’elle ne se soit manifestée à

travers les dommages déjà causés. Cette découverte, dont le choc conduisait au concept et aux

débuts d’une science de l’environnement (écologie), modifiait toute la représentation de nous-

mêmes en tant que facteur causal dans le système plus vaste des choses »716. Et l’auteur

d’ajouter qu’ « un objet d’un type entièrement nouveau, rien de moins que la biosphère entière

de la planète, s’est [dès lors] ajouté à ce pour quoi nous devons être responsables parce que

nous avons un pouvoir sur lui »717. Cette pensée de Jonas illustre parfaitement le moment de

prise de conscience non seulement de la vulnérabilité de la nature mais aussi, et surtout, du lien

de causalité entre les activités humaines et les problèmes environnementaux. Aujourd’hui, il

est acquis que les actions des entreprises ont été les premières causes de la dégradation de

l’environnement et du changement climatique. En effet, le changement climatique est le résultat

de la logique économique linéaire, du type extraire-fabriquer-jeter, qui a longtemps prévalu et

que l’on essaie désormais de remplacer par le modèle d’économie circulaire718.

715 K. Martin-Chenut et C. Devaux, « Quels remèdes à l’irresponsabilité des États et des entreprises transnationales

(ETN) en matière environnementale, sociale et financière ? Présentation des propositions », in Prendre la

responsabilité au sérieux, sous la dir. de A. Supiot et M. Delmas-Marty, PUF, 2015, p. 361-371, spéc. p. 361. 716 H. Jonas, Le principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique, 1979, 3ème éd., Les

Éditions du Cerf, 1995, p. 31. 717 Ibid. 718 Voy. supra n° 99.

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

160

172. Dans ce contexte, l’idée d’une nécessaire reconnexion entre pouvoir et

responsabilité719 émerge dans la conscience collective. Avant d’être saisie par le droit, cette

idée se manifeste à travers les nouvelles attentes sociales exprimées à l’égard des entreprises.

b) Les attentes sociales légitimes à l’égard des opérateurs économiques

173. Les attentes sociales sont les idées que nous avons de la façon dont une personne

de notre environnement social doit se comporter dans le futur ou dans une situation donnée. Par

essence même, elles sont mouvantes, c’est-à-dire qu’elles évoluent au gré des transformations

de notre environnement social et, plus généralement, de notre monde. Elles vont être plus ou

moins élevées en fonction des intérêts en jeu. Ainsi, dans un contexte de multiplication des

catastrophes écologiques, nous avons souvent l’impression que les opérateurs économiques se

désintéressent totalement du sort des êtres humains et à plus forte raison de ce qui peut advenir

à la planète. Or, les « catastrophes » sont rarement des événements surgissant du néant. Nous

prévenons les catastrophes, ce qui signifie que nous croyons en leur possibilité avant qu’elles

ne se produisent720. Cela explique que nous n’hésitons pas à exiger des opérateurs économiques

qu’ils soient plus vigilants, plus transparents et qu’ils ne prennent pas des risques inconsidérés.

173-1 La vigilance. Avant toute chose, il est attendu des opérateurs économiques

qu’ils fassent preuve de vigilance quant aux conséquences dommageables de leurs activités. La

société globale prend acte, aujourd’hui, de la fragmentation des chaînes de valeur et de

production de par le monde, qui est à l’origine de l’irresponsabilité des opérateurs économiques.

De ce constat naît une certaine colère sociale à la fois contre les gouvernements et leadeurs

politiques qui ont « laissé faire », et contre les entreprises transnationales qui, semble-t-il, n’ont

d’autre préoccupation que de croître leur richesse au détriment de la richesse de l’humanité,

c’est-à-dire au détriment de l’environnement.

173-2 L’information et la transparence. La transparence, comprise à la fois en

termes de divulgation de l’information et d’accès au processus décisionnel, est primordiale dans

une société démocratique. On considère l’information comme « l’oxygène de la démocratie ».

En effet, un goût du secret trop prononcé empêche la société de constater les abus de pouvoir.

719 Voy. à ce sujet : A. Supiot et M. Delmas-Marty (dir.), Prendre la responsabilité au sérieux, PUF, 2015. 720 J.-P. Dupuy, Pour un catastrophisme éclairé. Quand l’impossible est certain, Seuil, coll. « Essais », 2002, p.

13.

Chapitre II. Analyse juridique du rôle de l’entreprise dans la lutte contre le changement climatique : la

recherche de conciliation

161

Par conséquent, il suscite la méfiance. Certes, il est des règles qui protègent l’opacité estimée

légitime, telles notamment les règles relatives au secret professionnel721 ou encore au secret des

affaires722. Mais il y a aussi un certain nombre de règles qui répondent aux préoccupations que

posent les risques de la société contemporaine723, à savoir les risques sanitaires, sociaux,

environnementaux, économiques et financiers. Ces risques requièrent la mise en œuvre au sein

de chaque entreprise d’un processus de responsabilisation au regard des conséquences

éventuellement dommageables de ses actions. Il s’agit, dans ce cadre, de faire preuve

d’anticipation. Vigies de ce processus, nous demandons aux opérateurs économiques de

communiquer sur ce sujet et observons de près les résultats de cette communication. Ainsi, tout

écart constaté entre l’information divulguée et la réalité peut devenir l’objet de pressions

massives de la part de la société. En effet, il ne faut pas sous-estimer la pression que peut exercer

l’opinion publique, surtout depuis qu’elle dispose de l’arme de la communication instantanée

qu’est l’internet. L’information n’a jamais circulée aussi rapidement, atteignant en quelques

secondes le globe entier. Cela dit, nos sociétés ne sont pas opposées à toute prise de risques. Au

contraire, une prise de risques considérés est non seulement tolérée mais aussi, parfois,

sérieusement encouragée.

173-3 La prise de risques considérés. S’il existe une liberté de prendre des risques724

qui fait l’objet d’un consensus social et qui fait progressivement son apparition dans les terres

du droit, la prise de risques est néanmoins encadrée lorsqu’ils s’avèrent excessifs au regard des

intérêts en jeu. Les vertus de la liberté de prendre des risques ont d’ailleurs été brillamment

démontrées725. Cependant, l’impératif de sécurité exige d’en faire « bon usage »726, c’est-à-dire

de ne prendre que des risques utiles et proportionnés, et d’en assumer les conséquences.

Dans le contexte de la mondialisation, les libertés économiques triomphent et les

activités industrielles se développent à grande vitesse. Cependant, les risques à caractère global

721 Voy. sur le secret professionnel : R. Floriot et R. Combaldieu, Le secret professionnel, Flammarion, 1973 ; A.

Damien, Le secret nécessaire, Desclée de Brower, 1989 ; Y.-H. Bonello, Le secret, PUF, coll. « Que sais-je ? »,

1998 ; M.-A. Frison-Roche (dir.), Secrets professionnels, Éditions Autrement, coll. « Essais », 1999 ; M. Delmas-

Marty, « À propos du secret professionnel », D., 1982, p. 267. 722 Voy. B. Py, « Secret professionnel », Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, Dalloz, février 2003

(mis à jour : février 2017), n° 45 et s. Entrent dans la définition du secret des affaires les faits qui par nature et

dans l’intérêt de l’entreprise doivent rester confidentiels et pour ce motif ne seront ni publics ni publiés : D. Kling,

« Le monde des affaires et le secret », in Secrets professionnels, sous la dir. de M.-A. Frison-Roche, Éditions

Autrement, coll. « Essais », 1999, p. 167. 723 Voy. U. Beck, La société du risque. Sur la voie d’une autre modernité, 1986, Flammarion, 2008, passim, spéc.

p. 55-58. 724 H. Barbier, La liberté de prendre des risques, op. cit. 725 Ibid. 726 Ibid.

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

162

liés à ces activités augmentent corrélativement, ce que la société mondiale n’ignore point

aujourd’hui. Ce n’est pas pour autant, toutefois, qu’elle aspire à l’interdiction pure et simple de

toute prise de risques. Malgré leurs externalités négatives connues et les conséquences souvent

désastreuses des activités industrielles sur l’état de l’environnement, la société mondiale

demeure très largement demanderesse : toujours plus de produits sur le marché, toujours moins

cher, toujours plus rapidement. Ses yeux ne sont pas braqués sur le « scénario du pire »727. Bien

au contraire, elle encourage le développement économique à travers les choix qu’elle fait. En

revanche, ce qu’elle souhaite de plus en plus souvent, c’est que ses choix soient « éclairés »728,

notamment quant à l’empreinte écologique globale et quant aux impacts en matière sociétale

des activités économiques des opérateurs privés. Cela implique que ces derniers justifient de la

nécessité et de la proportionnalité de leurs prises de risques. Seuls les risques considérés sont

socialement admis.

174. Nombreuses sont les attentes sociales vis-à-vis des opérateurs économiques.

Compte tenu du pouvoir dont ces derniers disposent sur la nature, qui est, sans conteste, un

pouvoir de nuisance, ces attentes nous paraissent tout à fait légitimes. En matière de climat, il

n’y a aucun doute que l’impact des entreprises sur le changement climatique est considérable.

C’est pourquoi il est nécessaire de concilier l’exercice des libertés économiques avec le besoin

de protection du climat. Cette conciliation passe, en partie, par l’admission d’une certaine

liberté de prendre des risques dès lors que ces risques sont utiles et proportionnés.

2. L’impact du changement climatique sur l’entreprise

175. L’entreprise est un acteur du changement climatique non seulement parce qu’elle

est à l’origine du phénomène, mais aussi parce qu’elle est directement exposée à ses

conséquences. Multiples sont les enjeux des risques climatiques pour l’entreprise (a). Leur prise

en compte constitue pour elle un véritable défi, tant cette prise en compte dépasse son horizon

de gestion traditionnel (b).

727 J-P. Dupuy, Pour un catastrophisme éclairé. Quand l’impossible est certain, op. cit., p. 81 et s. 728 Ibid.

Chapitre II. Analyse juridique du rôle de l’entreprise dans la lutte contre le changement climatique : la

recherche de conciliation

163

a) Les enjeux des risques climatiques pour l’entreprise

176. L’entreprise est au premier rang pour supporter les risques et trouver les réponses

aux multiples défis de l’adaptation au changement climatique. Les enjeux des risques

climatiques pour l’entreprise sont loin d’être négligeables et peuvent être divisés en trois

catégories.

176-1 Premièrement, des « risques physiques » sont associés aux perturbations

d’ordre physique induites par le changement climatique. Il peut s’agir de l’altération des

ressources hydriques, de la transformation de l’environnement sanitaire, de la montée du niveau

des mers ou encore de l’accroissement de la fréquence et de l’intensité des événements

météorologiques. Ces risques menacent dangereusement les colonnes vertébrales de nos

économies que sont les infrastructures, c’est-à-dire les réseaux d’approvisionnement en eau ou

en énergie, d’assainissement, de transport, la télécommunication, ainsi que les différents sites

de production ou de stockage. La multiplication des catastrophes naturelles peut avoir un impact

physique direct sur les actifs de l’entreprise, comme par exemple la destruction des locaux ou

des outils de production. Nous nous rappelons d’ailleurs des conséquences absolument

désastreuses de l’ouragan Katrina qui, en 2005, a plongé La Nouvelle Orléans dans la

désolation. Encore aujourd’hui, elle panse ses plaies.

Ces risques physiques sont de mieux en mieux identifiés à la fois par les assureurs, qui

se sont très tôt préoccupés par les effets physiques du changement climatique sur l’assurabilité

de certains risques729, et par les entreprises. Pour ces dernières, la gestion de ces risques est

primordiale. Elle passe notamment par l’ingénierie contractuelle, à travers l’insertion dans les

contrats de clauses spécifiques visant à gérer les risques météorologiques (clauses de force

majeure730, clauses d’adaptation731), mais aussi, logiquement, par la couverture assurantielle.

En effet, en dépit des obstacles posés par le principe de la mutualisation des risques732 et des

contraintes techniques liées à l’assurabilité des risques733, l’assurance permet aujourd’hui la

729 É. Abrassart, « Un nouveau climat pour l’assurance », Risques – Les cahiers de l’assurance, n° 50, 2002, p.

80-86. 730 Voy. infra n° 372. 731 Voy. infra n° 370. 732 Y. Lambert-Faivre et L. Leveneur, Droit des assurances, Dalloz, coll. « Précis », 14ème éd., 2017, p. 42, n° 44. 733 Pour que les risques soient assurables, ils doivent être fréquents, homogènes et dispersés. Voy. sur les conditions

de l’assurabilité : Y. Lambert-Faivre et L. Leveneur, Droit des assurances, op. cit., p. 43 et s., n° 45 et s.; H.

Groutel, F. Leduc, Ph. Pierre et M. Asselain, Traité du contrat d’assurance terrestre, LexisNexis, coll. « Traités »,

2008, p. 88, n° 143 ; V. Nicolas, Droit des contrats d’assurance, Economica, 2012, p. 21 et s., n° 35 et s. ; L.

Mayaux, « Aspects juridiques de l’assurabilité », Risques – Les cahiers de l’assurance, n° 54, 2003, p. 67.

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

164

couverture de nombreux risques météorologiques734. La plupart de ces risques se retrouvent

finalement couverts par le régime d’indemnisation des victimes de catastrophes naturelles735 et

par les contrats d’assurance de bien matériels qui doivent obligatoirement inclure une garantie

« tempête »736. À cela s’ajoute l’apparition de mécanismes plus innovants et originaux, telles

que les « obligations catastrophe », ou cat bonds737, qui se présentent comme des remèdes à

« l’essoufflement des capacités de l’assurance face à l’accroissement de la sinistralité en

matière de catastrophes d’origine météorologique »738, en particulier dans le contexte du

changement climatique. Ces obligations permettent, en effet, de répondre à l’augmentation des

coûts assurantiels induits par le changement climatique739. De quoi s’agit-il plus précisément ?

Les cat bonds, apparus dans les années 1990, sont des obligations généralement émises

par une compagnie d’assurance ou de réassurance pour transférer sur le marché une partie des

risques liés à des événements naturels exceptionnels (ouragan, tremblement de terre, etc.).

Concrètement, un assureur (ou un réassureur) émet une obligation par le biais d’une banque

d’investissement, obligation qui est vendue à des investisseurs. L’instance émettrice verse des

intérêts aux acheteurs, en contrepartie de l’argent qu’ils lui prêtent. À l’échéance contractuelle

prévue, si aucun sinistre ne s’est produit, les investisseurs empochent les intérêts et retrouvent

le principal. En revanche, si une catastrophe survient, les investisseurs perdent leur argent,

lequel servira à rembourser les sinistrés ou à reconstruire des infrastructures. Le mécanisme est

tout à fait original. Comme l’observe un auteur, « l’émergence des obligations catastrophe

s’inscrit dans un processus plus général de “financiarisation de la nature”, c’est-à-dire

d’apparition, au cours des deux dernières décennies du XXe siècle, de produits financiers

“branchés” sur le changement climatique »740. Il s’agit, dans tous les cas, d’outils permettant de

734 A. Stevignon, Le temps qu’il fait et le droit des obligations, thèse, Paris II, 2019, n° 289 et s., spéc. n° 301 et s. 735 Loi n° 82-600 du 13 juillet 1982 relative à l’indemnisation des victimes de catastrophes naturelles ; C. assur.,

art. L. 125-1. 736 Loi n° 90-509 du 25 juin 1990 modifiant le code des assurances et portant extension aux départements d’outre-

mer du régime d’indemnisation des catastrophes naturelles ; C. assur., art. L. 122-7. 737 Voy. parmi une littérature abondante : G. Martin, « Les techniques financières de transfert des risques :

l’exemple des Cat Bonds », Environnement, n° 10, 2006, étude 15 ; J. D. Cummins, « Cycles de la réassurance et

titrisation des risques catastrophes », Risques – Les cahiers de l’assurance, n° 41, 2000, p. 77-82 ; M. Bianchi, A.

Landier et M. Zajac, « Obligations catastrophes : comment les marchés financiers évaluent-ils les facteurs de

risques naturels ? », Revue d’économie financière, vol. 126, n° 2, 2017, p. 213-230 ; A. Abadie, « Réassurance :

les cat’ bonds deviennent incontournables », L’Argus de l’assurance, 6 septembre 2018. 738 A. Stevignon, Le temps qu’il fait et le droit des obligations, op. cit., p. 339. 739 Selon une étude de 2018 consacrée à l’influence du changement climatique sur le régime d’indemnisation des

catastrophes naturelles, la sinistralité devrait augmenter de 50 % d’ici 2050. Cette hausse conduira certainement

les assureurs à augmenter substantiellement les primes. Voy. CCR et Météo France, Conséquences du changement

climatique sur le coût des catastrophes naturelles en France à l’horizon 2050, septembre 2018. 740 R. Keucheyan, « Financiariser les catastrophes naturelles : assurance, finance et changement climatique »,

Actuel Marx, vol. 61, n° 1, 2017, p. 79-94.

Chapitre II. Analyse juridique du rôle de l’entreprise dans la lutte contre le changement climatique : la

recherche de conciliation

165

gérer cette première catégorie de risques engendrés par le changement climatique que sont les

risques physiques.

176-2 Deuxièmement, les risques climatiques induisent ce que l’on appelle un

« risque de transition ». Ce risque est engendré par les processus d’ajustement visant à limiter

les émissions de gaz à effet de serre, dans le respect des engagements pris par la communauté

internationale à l’échelle mondiale. Le risque de transition résulte donc des changements de

l’environnement réglementaire et des politiques publiques qui assurent la mise en œuvre de la

transition bas-carbone. Dans ce contexte, l’entreprise est souvent contrainte de changer son

modèle économique voire, dans certains cas, d’envisager l’extinction de son cœur de métier.

Son modèle d’affaires est affecté. Sa pérennité même est mise en cause. L’industrie automobile

en est un très bon exemple. Le Président de Toyota Akio Toyoda a récemment déclaré : « Une

bataille cruciale a commencé – pas celle de gagner ou de perdre, mais celle de survivre ou de

mourir. L’industrie automobile est entrée dans une ère de transformation profonde, de celles

que l’on ne voit qu’une fois tous les 100 ans. Sur les 100 prochaines années, il n’y a aucune

garantie que les constructeurs automobiles continuent de jouer les premiers rôles dans la

mobilité ». Sous peine de sombrer, ces derniers doivent relever les nouveaux défis de notre

temps, comme par exemple l’électrification des gammes et la conduite autonome.

176-3 Enfin, troisièmement, un risque de nature judiciaire menace d’impacter la

responsabilité juridique de l’entreprise. Effectivement, les actions en justice en matière

climatique se multiplient un peu partout dans le monde741. Peu à peu, un nouveau besoin de

« justice climatique »742 fait son chemin dans les prétoires. Ce besoin de justice climatique

concorde, par ailleurs, avec la place grandissante des droits fondamentaux qui suppose

d’imposer des responsabilités accrues non seulement aux États mais aussi aux entreprises, dans

le cadre d’un processus de responsabilisation, c’est-à-dire avant la réalisation de tout dommage

et pour l’éviter. Aujourd’hui, on constate que le prétoire devient un lieu où les victimes du

changement climatique réclament l’engagement de la responsabilité des États ou des entreprises

émettrices de gaz à effet de serre, ou du moins un changement de comportement de leur part.

741 Voy. supra nos 30 et 31. 742 M. Torre-Schaub, « Justice et justiciabilité climatique : état des lieux et apports de l’Accord de Paris », in Bilan

et perspectives de l’Accord de Paris, sous la dir. de M. Torre-Schaub, IRJS, 2017, p. 107-127 ; id., « L’affirmation

d’une justice climatique au prétoire », Revue québécoise de droit international, vol. 29-1, 2016, p. 161-183.

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

166

C’est donc en cela aussi que la prise en compte des risques climatiques est un défi majeur pour

l’entreprise, un enjeu à considérer avec le plus grand sérieux.

177. Comment l’entreprise fait-elle face à ces enjeux ? Pour l’essentiel, en adoptant

une démarche interne de gestion des risques climatiques.

b) La gestion des risques climatiques par l’entreprise

178. Le changement climatique constitue « l’archétype d’un nouveau type de

risque à gérer pour l’entreprise »743. Il convient d’ailleurs de souligner que la gestion des

risques – entre droit et sciences de gestion744 – revêt toujours une dimension stratégique pour

l’entreprise. En effet, la valeur de l’entreprise est étroitement liée à la durabilité de ses actifs et

de ses performances, tant financières qu’extra-financières. La gestion des risques est donc un

outil indispensable pour toute entreprise, dans la mesure où elle ne vise pas uniquement à

prévenir et à protéger l’entreprise d’événements pouvant remettre en cause ses objectifs de

développement et de croissance, mais constitue également un modèle de prospérité. Il en va

ainsi, aujourd’hui, de la gestion des risques climatiques qui, nous l’avons vu, pourront avoir des

conséquences sur les actifs de l’entreprise, sur son modèle d’affaires, sur ses perspectives de

développement, mais aussi sur sa responsabilité. Dans le contexte de lutte contre le changement

climatique, la gestion des risques climatiques a une importance singulière pour l’entreprise car

elle lui permet de prévenir ces risques qui pourraient, s’ils venaient à se réaliser, mettre en péril

son existence745. Cependant, « les entreprises peuvent-elles gérer les risques climatiques »746 ?

Le changement climatique est un problème global et à long terme qui implique deux

choses en particulier : l’adaptation et l’atténuation. Les risques climatiques peuvent ainsi être

significativement réduits par des actions d’adaptation et d’atténuation du changement

climatique, salon une approche de gestion des risques. De plus en plus interpellées par le

phénomène du changement climatique, les entreprises doivent se doter de moyens financiers et

technologiques pour prévenir les risques liés au climat et pour en atténuer les effets747.

743 F. Aggeri et M. Cartel, « Le changement climatique et les entreprises : enjeux, espaces d’action, régulations

internationales », Entreprises et histoire, vol. 86, n° 1, 2017, p. 6-20, spéc. p. 8. 744 G. Deharo, S. Point et A. Madanamoothoo, « Les risques en entreprise : dialogues entre la gestion et le droit »,

Management & Avenir, vol. 74, n° 8, 2014, p. 135-143. 745 H. Barbier, « Qu’est-ce que le risque ? », in « Le risque juridique dans l’entreprise : diagnostics et remèdes »

(Dossier), Journal des Sociétés, n° 105, 2013, p. 9-13. 746 R. Moreau, « Les entreprises peuvent-elles gérer les risques climatiques ? », Gestion, vol. 39, n° 4, 2014, p.

142-150. 747 Ibid.

Chapitre II. Analyse juridique du rôle de l’entreprise dans la lutte contre le changement climatique : la

recherche de conciliation

167

En matière d’adaptation, d’abord, les entreprises doivent adopter des stratégies plus

globales d’adaptation au changement climatique. Elles doivent se préparer à évoluer et à agir

dans un monde en mutation, car l’adaptation au climat de demain commence dès aujourd’hui.

Certes, le changement climatique est une préoccupation relativement récente pour la plupart

des entreprises. Néanmoins, cette préoccupation peut s’insérer tout à fait naturellement dans

leurs pratiques usuelles de prospective, d’innovation et de démarcation de la concurrence.

L’adaptation permet donc à la fois d’anticiper les contraintes futures et de saisir les opportunités

de demain.

En matière d’atténuation, ensuite, les entreprises doivent impérativement diminuer

leur empreinte carbone, en réduisant leurs émissions de gaz à effet de serre. En effet,

l’atténuation consiste à freiner l’évolution du réchauffement climatique en agissant à la source,

à savoir l’augmentation de la concentration de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Pour

l’entreprise, l’atténuation est un nouveau risque à gérer, de nature juridique. L’étude du

contentieux climatique permet effectivement de constater que l’objectif des requérants est

pratiquement toujours de pointer des déficiences des États ou de certains industriels en matière

d’atténuation de l’augmentation des gaz à effet de serre. Or ces déficiences mettent en danger

les citoyens, ce à quoi ces derniers sont particulièrement sensibles.

179. En somme, les activités de l’entreprise dans une économie mondiale ont des

conséquences néfastes sur le climat global, aggravant le phénomène du changement climatique

et accélérant ses manifestations. En même temps, le changement climatique défie l’entreprise,

notamment en ce qu’elle doit pouvoir s’y adapter. La nécessité de concilier développement

économique et protection du climat relève de l’ordre de l’évidence. L’opinion publique se

montre désormais intransigeante sur ce sujet. Les entreprises soucieuses de leur prospérité

doivent prendre conscience de leurs responsabilités et assumer pleinement le rôle qu’elles ont

à jouer dans la lutte contre le changement climatique. Dans ce scénario, prospérité économique

et préservation de la planète vont de pair. Nous allons voir que ce mariage est également une

préoccupation majeure du droit.

B. Les fondements juridiques de la conciliation

180. Juridiquement, la logique de conciliation entre liberté d’entreprendre et

protection du climat s’exprime dans « le fabuleux destin du thème du développement

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

168

durable »748. C’est là que l’on trouve effectivement les fondements juridiques de la

conciliation. Pour emprunter la formule employée par François-Guy Trébulle en conclusion du

colloque Développement durable et entreprise, il faut que les deux protagonistes que sont la

liberté d’entreprendre et la protection du climat « se “reçoivent” mutuellement »749. Au regard

de leurs impacts mutuels, elles ne peuvent plus se penser séparément.

Ainsi, que ce soit dans l’ordre juridique externe (1) ou interne (2), la conciliation entre

liberté d’entreprendre et protection du climat est mise en œuvre juridiquement par le biais du

concept de développement durable.

1. Le besoin de conciliation dans l’ordre juridique externe

181. Intégration et développement durable. « Si l’on veut sauver la nature sauvage

– ou du moins ce qu’il en reste – on ne le fera qu’en intégrant celle-ci dans le théâtre des activités

humaines », écrivait l’ornithologue français Jean Dorst dans son ouvrage La nature dé-

naturée750. Cinquante années plus tard, il paraît que cette intégration n’est ni faite, ni à faire,

elle est toujours incomplète. Notons néanmoins, pour apporter une touche d’optimisme, que

l’envie ne manque pas au sein de la communauté internationale.

L’intégration est un « facteur de développement durable »751 et, sans doute, le souci

majeur de ce nouvel « enjeu global »752. Que ce soit en droit international ou de l’Union

européenne, l’intégration est envisagée comme « un instrument de réalisation du droit à un

environnement sain, et constitue le vecteur du développement durable »753.

Ainsi, le « principe d’intégration »754 a bénéficié d’une reconnaissance juridique à

travers le principe 13 de la Déclaration de Stockholm de 1972 selon lequel : « Afin de

rationaliser la gestion des ressources et ainsi d’améliorer l’environnement, les États devraient

adopter une conception intégrée et coordonnée de leur planification du développement, de façon

748 G. Clamour, Intérêt général et concurrence. Essai sur la pérennité du droit public en économie de marché,

préf. J.-L. Autin, Dalloz, 2006, p. 715. 749 F.-G. Trébulle, « Rapport de synthèse », in Développement durable et entreprise, sous la dir. de L. Fonbaustier

et V. Magnier, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2013, p. 157-169, spéc. p. 157. 750 J. Dorst, La nature dé-naturée, Seuil, 1970, p. 166. 751 S. Raynal et L. Ferguson, « Intégration : facteur de développement durable », La Revue des Sciences de Gestion,

vol. 239-240, n° 5, 2009, p. 107-113. 752 F.-G. Trébulle, « Le développement durable, un enjeu global », Cahiers de droit de l’entreprise, n° 3, 2010, p.

21. 753 C.-M. Alves, « La protection intégrée de l’environnement en droit communautaire », Revue européenne de

droit de l’environnement, n° 2, 2003, p. 129-141. 754 Voy. sur le principe d’intégration : C. London, « L’émergence du principe d’intégration », Droit de

l’environnement, n° 90, juillet-août 2001, p. 139-143 ; A. Comolet et A. Deconinck, « Le principe d’intégration.

Historique et interprétation », Revue européenne de droit de l’environnement, n° 2, 2001, p. 152-167.

Chapitre II. Analyse juridique du rôle de l’entreprise dans la lutte contre le changement climatique : la

recherche de conciliation

169

que leur développement soit compatible avec la nécessité de protéger et d’améliorer

l’environnement dans l’intérêt de leur population ».

Au niveau de l’Union européenne, l’article 11 du Traité sur le fonctionnement de

l’Union européenne (ci-après « TFUE ») précise que « les exigences de la protection de

l’environnement doivent être intégrées dans la définition et la mise en œuvre des politiques et

actions de l’Union, en particulier afin de promouvoir le développement durable ». Cette formule

a été considérée comme étant « probablement la plus importante de toutes les dispositions

communautaires relatives à l’environnement »755, ou encore comme « le degré le plus abouti de

l’effectivité du droit de l’environnement »756. L’article 11 du TFUE véhicule l’idée selon

laquelle l’ensemble des politiques de l’Union doivent considérer les exigences en matière

d’environnement, dans un souci de développement durable. Autrement dit, « la nécessité

d’atteindre un développement durable et de préserver, protéger et améliorer la qualité de

l’environnement doit également orienter les autres politiques de l’Union »757. Toutes les actions

de l’Union européenne doivent être « au service d’une politique conçue globalement au service

du développement durable »758. Cela dit, il serait manifestement exagéré de dire que l’article

11 du TFUE établit la priorité des actions en matière d’environnement. En effet, cet article doit

nécessairement être mis en musique avec l’article 7 du TFUE selon lequel : « L’Union veille à

la cohérence entre ses différentes politiques et actions, en tenant compte de l’ensemble de ses

objectifs et en se conformant au principe d’attribution des compétences ». Cela signifie que

« les politiques [de l’Union] ne peuvent être menées dans l’ignorance les unes des autres »759.

D’ailleurs, la cohérence est un impératif qui inspire toute la philosophie de l’Union et qui

façonne l’architecture des traités760. En somme, il résulte de ce qui précède que l’intégration

implique la conciliation.

182. Conciliation par le biais du développement durable. « S’il est un sujet qui

symbolise et incarne le projet politique du développement durable, c’est bien celui du

changement climatique. C’est l’archétype du problème global d’environnement qui met en jeu

le devenir des générations futures et qui soulève des problèmes d’équité inter et

755 L. Krämer, « Observations sur le droit communautaire de l’environnement », AJDA, 1994, p. 618. 756 Ch. Cans, « Le principe de conciliation : vers un contrôle de la “durabilité” », in Terres du Droit. Mélanges en

l’honneur d’Yves Jégouzo, Dalloz, 2009, p. 547 et s., spéc. p. 558-559. 757 L. Krämer, Droit de l’environnement de l’Union européenne, éd. Helbing Lichtenhahn, 2011, p. 52. 758 M. Prieur, « Urbanisme et environnement », AJDA, 1993, p. 85. 759 J. Raux, « La constitutionnalisation du système communautaire dans un traité fondamental de l’Union

européenne », Europe, n° 8-9, août-septembre 1995, p. 1-6. 760 N. Hervé-Fournereau, L’entreprise et le droit communautaire de l’environnement, Éditions Apogée, 1999, p.

30.

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

170

intragénérationnels aigus selon le degré d’exposition des territoires et des populations aux

changements climatiques »761. Dès 1992, les États ont reconnu que le développement durable

implique une modification des modes de production et de consommation non viables762. Les

premières initiatives internationales en matière d’environnement lient d’ailleurs environnement

et développement, annonçant déjà l’idée de conciliation, et non d’opposition. Cette idée se

retrouve également aux fondements du régime juridique international du climat, les États

prenant en compte les aspects économiques du défi climatique763. La volonté systématiquement

réaffirmée à l’échelle internationale est de parvenir à concilier l’économie mondiale avec les

intérêts exogènes aux marchés sur lesquels elle a un impact négatif. Par ailleurs, cette question

pose en filigrane la difficulté de faire dialoguer les intérêts par définition contradictoires relatifs

aux valeurs marchandes764 et non marchandes765.

Concilier la protection du climat avec l’exercice des libertés économiques, et donc

avec le développement économique, véhicule l’idée qu’il est possible de protéger le climat sans

sacrifier la compétitivité des entreprises, dans un jeu « gagnant-gagnant ». Simplement, dans

une économie mondialisée, « il faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts

concurrents de l’individu et de la société dans son ensemble » 766. C’est ce que jugeait, en 2006,

la Cour européenne des droits de l’homme. Il faut parvenir à un équilibre. De façon générale,

il est d’ailleurs acquis que « tout dans la vie sociale est affaire d’équilibre entre éléments

contradictoires »767.

Selon le Professeur Naim-Gesbert, « concilier signifie harmoniser, arrondir les angles,

faire des compromis »768. Et l’auteur d’ajouter que « concilier suppose une ligne directrice

claire »769. Celle-ci peut se trouver dans la poursuite de l’objectif de développement durable.

L’idée de parvenir à concilier l’exercice des libertés économiques et la protection du climat

prolonge donc la notion de développement durable. Depuis le début, la recherche de synergies

préoccupe les négociateurs du régime juridique international du climat. En effet, ces derniers

761 F. Aggeri et M. Cartel, « Le changement climatique et les entreprises : enjeux, espaces d’action, régulations

internationales », op. cit., spéc. p. 7. 762 À l’occasion du troisième Sommet de la Terre à Rio de Janeiro. 763 G. de Lassus Saint-Geniès, Droit international du climat et aspect économique du défi climatique, Pedone,

2017. 764 Voy. M.-A. Frison-Roche, « Valeurs marchandes et ordre concurrentiel », in L’ordre concurrentiel. Mélanges

en l’honneur d’Antoine Pirovano, Éditions Frison-Roche, 2004, p. 223-233. 765 Voy. B. Edelman, « Valeurs non marchandes et ordre concurrentiel », in L’ordre concurrentiel. Mélanges en

l’honneur d’Antoine Pirovano, Éditions Frison-Roche, 2004, p. 353-360. 766 Formulée employée par le juge européen des droits de l’homme : CEDH, 2 novembre 2006, Giacomelli c/

Italie, n° 59909/00. 767 M. Hauriou, Cours de science sociale, Larose, 1896, p. 385. 768 É. Naim-Gesbert, Droit général de l’environnement, LexisNexis, coll. « Objectif droit », 2011, p. 130. 769 Ibid.

Chapitre II. Analyse juridique du rôle de l’entreprise dans la lutte contre le changement climatique : la

recherche de conciliation

171

prennent en considération la nécessité d’agir au cœur des activités économiques pour lutter

efficacement contre le changement climatique. Mais les États veillent parallèlement à ne pas

freiner excessivement la croissance économique. En pratique, malgré ce qui est affiché, ils

prennent toujours en compte les intérêts économiques immédiats, parfois en les privilégiant.

Nous avons vu à quel point cela pouvait empêcher l’élaboration de politiques climatiques

ambitieuses770.

183. Les équilibres sont délicats à trouver. Rien n’est plus vrai. La communauté

internationale éprouve de réelles difficultés, mais le besoin de conciliation est tout de même

affirmé. Il faut reconnaître qu’à l’échelle internationale, mais aussi à l’échelle européenne, la

recherche de conciliation est d’autant plus compliquée que les acteurs sont multiples et les

pouvoirs dilués. La coopération est une nécessité pour la détermination des valeurs pertinentes.

Comme l’écrivait le Professeur Trébulle, « la plus marquante des évolutions est peut-être là,

dans le constat que passée l’ère de la confrontation […], s’ouvre l’ère d’une prise en compte

que l’on voudrait nommer coopération, dans laquelle l’industrie s’attache à préserver ce qui est

aussi sa principale matière première [l’environnement]… Ce n’est pas un virage mais l’un des

visages du développement durable »771.

Au niveau du droit interne également, la conciliation est un besoin affirmé.

2. Le besoin de conciliation dans l’ordre juridique interne

184. En droit français, la conciliation est devenue un objectif de valeur

constitutionnelle, et elle est reconnue – telle quelle – par le Conseil constitutionnel772.

Comme l’écrit un auteur, « l’élévation au sommet de la pyramide des normes témoigne d’un

discours dominant des temps modernes, prenant à rebours la célèbre formule de Voltaire :

“laisser aller le monde comme il va”, car “si tout n’est pas bien, tout est passable” »773.

Selon l’article 6 de la Charte constitutionnelle de l’environnement, « les politiques

publiques doivent promouvoir un développement durable. À cet effet, elles concilient la

protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès

770 Voy. supra n° 53. 771 F.-G. Trébulle, « À propos de l’environnement industriel et son évolution », Droit de l’environnement, n° 200,

2012, p. 116, cité par A. Tomadini, La liberté d’entreprendre et la protection de l’environnement, Contribution à

l’étude des mécanismes et de conciliation, op. cit., p. 16-17. 772 Cons. const., 19 juin 2008, n° 2008-564 DC, Loi relative aux organismes génétiquement modifiés, préc. 773 É. Naim-Gesbert, « L’écosystème saisi par le droit », op. cit., spéc. p. 7.

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

172

social »774. Le choix des rédacteurs de la Charte s’est porté sur un principe de conciliation plutôt

que d’intégration. Substantiellement, ces principes sont cependant les mêmes. D’ailleurs, en

mars 2002, Jacques Chirac, alors candidat à la présidence de la République pour un second

mandat, précisait que : « La Charte rappellera les droits et les devoirs de chacun à l’égard de

l’environnement, et vis-à-vis des générations futures. Elle affirmera cinq principes

fondamentaux : principe d’intégration, principe de précaution, principe de responsabilité

écologique, principe de prévention, principe d’information et de participation »775. Dans la

continuité, lors des travaux préparatoires à la révision constitutionnelle776, l’article 6 avait été

présenté comme étant une définition du principe d’intégration.

En droit français, la conciliation est donc l’instrument du développement durable. La

recherche d’un équilibre et la conjonction harmonieuse de l’intérêt général et des intérêts privés

sont les chemins à emprunter pour parvenir à un développement durable. Ainsi, aucune

différence n’est introduite entre les composantes de celui-ci. Il convient de les envisager sur un

pied d’égalité. Or, on sait combien la définition des politiques publiques est problématique car

elle révèle des conflictualités et suppose des arbitrages. Malgré ces difficultés, les politiques

publiques en France doivent chercher à concilier la protection de l’environnement et le

développement économique. Ces deux questions doivent être conçues de manière globale et

traitées non pas séparément mais ensemble, en tant que questions transversales aux enjeux les

plus divers. Plus particulièrement, dans le contexte de lutte contre le changement climatique,

les politiques publiques doivent donc participer à la protection du climat à travers l’adoption

d’une conception intégrée et coordonnée du développement.

185. Dès lors, en droit français, plus qu’un simple besoin affirmé, la conciliation est

une obligation pour les autorités publiques qui découle d’une exigence constitutionnelle. Certes,

on peut regretter qu’en ce qui concerne l’invocabilité de l’article 6, le Conseil constitutionnel

distingue selon qu’il s’agit d’un contrôle a priori ou a posteriori. En effet, dans le contentieux

a priori, les sept alinéas placés en tête de la Charte et tous ses articles ont été reconnus comme

étant invocables, y compris l’article 6777, tandis que dans le contentieux a posteriori, en QPC,

774 Nous soulignons. 775 Discours de Jacques Chirac, candidat à la présidence de la République, le 18 mars 2002 à Avranches : Revue

juridique de l’environnement, 2003, La charte constitutionnelle en débat (n° spécial), p. 89-97, spéc. p. 92. 776 Loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005 relative à la Charte de l’environnement, JO, 2 mars 2005. 777 Voy. par exemple : Cons. const., 28 avril 2005, n° 2005-514 DC, Loi relative à la création du registre

international français, où le Conseil constate notamment que l’article 6 est bien un principe et non pas seulement

un objectif de valeur constitutionnelle ; Cons. const., 11 avril 2013, n° 2013-666 DC, Loi visant à préparer la

transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l’eau et sur les

éoliennes, où le Conseil juge que le développement des éoliennes n’est pas contraire à l’article 6 de la Charte.

Chapitre II. Analyse juridique du rôle de l’entreprise dans la lutte contre le changement climatique : la

recherche de conciliation

173

le Conseil constitutionnel a toujours refusé de reconnaître l’invocabilité de l’article 6778 et des

considérants de la Charte779. Malgré ces solutions fragmentaires, des auteurs soulignent

qu’ « on peut cependant considérer que chaque fois que la Constitution impose une obligation

à l’État, elle fait naître un droit pour les justiciables à ce que l’État respecte cette obligation »780.

De plus, « l’absence d’invocabilité du principe du développement durable n’apparaît que

provisoire, le juge précisant que “sa méconnaissance ne peut, en elle-même, être invoquée” à

l’appui d’une QPC »781.

Quoi qu’il en soit, la Charte de l’environnement est un instrument mobilisable et

relativement efficace, dont l’apport au droit de l’environnement a d’ailleurs été déterminant.

Au temps du débat sur la lutte contre le changement climatique, devant l’urgence d’agir face à

ses enjeux, une « interprétation plus audacieuse et pour le moins un peu moins neutralisante des

normes constitutionnelles contenues dans la Charte » s’impose782.

186. Il est impératif de concilier la protection du climat et la liberté d’entreprendre,

dans un souci de garantir un développement durable. Mais comment le droit assure-t-il cette

conciliation ? Quels sont les moyens de la conciliation ? Surtout, y en a-t-il parmi eux qui

seraient plus respectueux des libertés économiques des opérateurs privés ?

§2. Les moyens juridiques de la conciliation

187. L’analyse de l’avènement de la question climatique sur la scène juridique nous

amène à constater que le droit évolue au gré des transformations du monde que le climat génère.

778 Voy. Cons. const., 23 nov. 2012, n° 2012-283 QPC, M. Antoine de M., considérant n° 22 : « Considérant […]

que cette disposition [l’article 6] n’institue pas un droit ou une liberté que la Constitution garantit ; que sa

méconnaissance ne peut, en elle-même, être invoquée à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité sur

le fondement de l’article 61-1 de la Constitution ». Pour rappel, dans le contentieux a posteriori, l’invocabilité de

la Charte dépend de la qualification des dispositions qu’elle contient de « droits et libertés que la Constitution

garantit » au sens de l’article 61-1 de la Constitution. Or, « si les études doctrinales ont pu démontrer, à la lumière

de la jurisprudence constitutionnelle, l’hétérogénéité de cette catégorie [la catégorie des droits et libertés que la

Constitution garantit], l’invocabilité de la Charte de l’environnement a souffert de cette qualification » : M.-A.

Cohendet et M. Fleury, « Chronique de droit constitutionnel sur la Charte de l’environnement », Revue juridique

de l’environnement, vol. 43, n° 4, 2018, p. 749-768, spéc. p. 754. 779 Voy. Cons. const., 7 mai 2014, n° 2014-394 QPC, Société Casuca, considérant n° 5 : « Considérant que, si ces

alinéas ont valeur constitutionnelle, aucun d’eux n’institue un droit ou une liberté que la Constitution garantit ;

qu’ils ne peuvent être invoqués à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de

l’article 61-1 de la Constitution ». D’ailleurs, cette position n’a pas manqué d’être contestée : V. Champeil-

Desplats, « Charte de l’environnement : La QPC bute sur l’incipit. À propos de la décision n° 2014-394 QPC du

7 mai 2014 », La Revue des Droits de l’Homme, Actualités Droits-Libertés, mai 2014. 780 M.-A. Cohendet et M. Fleury, « Chronique de droit constitutionnel sur la Charte de l’environnement », op. cit.,

spéc. p. 755. 781 Ibid. 782 Ibid., p. 766.

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

174

Au-delà du climat, ceci reste vrai pour l’ensemble des phénomènes globaux, car le système

juridique s’ajuste en permanence au monde réel, tantôt en décalage, tantôt à l’unisson, pour

l’appréhender au mieux et pour l’orienter vers sa fin. La conjugaison des deux phénomènes

parallèles et interconnectés que sont le changement climatique et la mondialisation des activités

économiques, conduit ainsi à réinterroger la capacité du droit de répondre de façon satisfaisante

à ces problèmes globaux. C’est précisément ce caractère global qui est source de difficulté,

parce qu’il implique notamment que les problèmes soient abordés selon une approche

transversale, non pas séparément, mais ensemble. Et si la tâche paraît déjà assez difficile, il

convient de souligner, de surcroît, qu’il y a désormais urgence d’agir.

188. En vérité, le problème climatique pose « un problème d’action collective lié à

l’absence d’État supranational »783. Des auteurs soulignent ainsi que « la fourniture du bien

collectif global dans un système décentralisé d’États-nations avec des intérêts et des préférences

différentes s’expose à des difficultés et à des risques »784. Il s’agit donc, pour l’essentiel, d’un

problème de régulation, ou plutôt d’absence de régulation. En effet, les mécanismes de

protection du climat visant la stabilisation des émissions de gaz à effet de serre tendent à établir

un compromis entre des objectifs et des valeurs économiques et non économiques. Or c’est tout

l’objet de la régulation. Un auteur rappelle que la régulation des activités intervient comme « un

facteur d’équilibre entre des intérêts distincts »785. Ainsi, les Professeurs Colson et Idoux

estiment à propos de la protection de l’environnement qu’elle est l’une des « composantes de

l’intérêt général qu’il revient à l’État de faire respecter, soit par le marché, soit en dehors de

celui-ci, par une régulation appropriée utilisant une palette variée d’instruments »786. Et les

auteurs d’ajouter que « le rôle de la régulation n’est plus alors seulement d’assurer le respect

de la concurrence »787 mais de créer, « globalement, les conditions d’une conciliation de

l’intérêt général avec d’autres finalités animant le marché »788. La régulation est donc une

première voie de conciliation de la protection du climat avec les libertés économiques. Par

ailleurs, la régulation « renvoie à un droit qui demeure politique par la prise de position qu’il

exprime : la désignation des intérêts légitimes, l’articulation des pouvoirs »789. Il est vrai qu’il

783 P. Berthaud, D. Cavard et P. Criqui, « Le régime international pour le climat : vers la consolidation ou

l’effondrement ?, Revue française d’économie, vol. 19, n° 2, 2004, p. 163-188, spéc. p. 164. 784 Ibid. 785 D. Briand, « Régulation environnementale et droit de la concurrence », in La régulation environnementale,

sous la dir. de G. Martin et B. Parance, L.G.D.J., coll. « Droit et Économie », 2012, p. 107. 786 J.-P. Colson et P. Idoux, Droit public économique, L.G.D.J., coll. « Manuel », 6ème éd., 2012, n° 10. 787 Ibid. 788 Ibid. 789 M.-A. Frison-Roche, « Définition du droit de la régulation économique », D., 2004, p. 126.

Chapitre II. Analyse juridique du rôle de l’entreprise dans la lutte contre le changement climatique : la

recherche de conciliation

175

n’y a « pas de contradiction pour une économie libérale d’être l’objet de régulations »790,

puisque « l’économie de marché n’a jamais signifié l’absence de droit, même dans la

conception la plus minimaliste de l’encadrement juridique »791. Quel(s) droit(s), cependant, et

quelle(s) régulation(s) face aux défis globaux que constituent la mondialisation et le

réchauffement climatique ?

Une chose est certaine : le cadre juridique ne peut pas rester immuable. Le changement

climatique induit des transformations juridiques qui se manifestent par de nouvelles

orientations du droit lui-même. Les illustrations de ces transformations sont très nombreuses.

Elles ne concernent pas que les instruments, outils et catégories du droit, mais aussi sa substance

même (A). De surcroît, le régime juridique ouvre la porte à d’autres acteurs, si bien que l’idée

apparaît – chère à notre époque – d’un droit négocié (B). À travers ces mutations, avec plus ou

moins de succès, le droit parvient à concilier l’exercice, dans une économie mondialisée, de la

liberté d’entreprendre avec les mesures de protection de l’environnement et du climat.

A. Un droit transformé : une approche de droit économique de l’environnement

189. L’apparition d’un véritable droit économique de l’environnement792 est

l’illustration parfaite des capacités transformatrices du droit (1). Ce droit, qui est né du

déploiement de l’environnement dans l’ensemble du système juridique, peut-il être aujourd’hui

l’outil de la conciliation de la liberté d’entreprendre avec la protection du climat ? Peut-on y

trouver les réponses, notamment par la lecture qu’il propose des phénomènes juridiques ? par

la façon dont il traite les questions transversales ? (2)

1. L’apparition d’un droit économique de l’environnement

190. Le droit économique de l’environnement naît du « déploiement du droit de

l’environnement dans tout l’espace du système juridique »793. En effet, le champ de

l’environnement, « autrefois limité à la confrontation entre l’administration et le destinataire de

790 Ibid. 791 Ibid. 792 Voy. Pour un droit économique de l’environnement. Mélanges en l’honneur de Gilles J. Martin, Éditions

Frison-Roche, 2013. 793 G. Martin, « Le droit et l’environnement. Rapport introductif », in Le droit et l’environnement, Association

Henri Capitant, Journées nationales Tome XI / Caen, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2010, p. 1-12,

spéc. p. 12.

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

176

la norme de police, occupe aujourd’hui l’ensemble du paysage juridique »794. « Tentaculaire,

désormais incontournable, souvent complexe si ce n’est volontiers hermétique »795, le droit de

l’environnement transcende désormais les frontières entre les disciplines et entre les ordres

juridiques. Son empreinte est croissante notamment sur l’ensemble des disciplines du droit des

affaires publiques ou privées, si bien qu’il est devenu impossible aujourd’hui, en droit

économique comme ailleurs, de faire l’impasse sur les questions environnementales.

De nombreux phénomènes participent ainsi à l’apparition d’un droit économique de

l’environnement. Le Professeur Martin souligne que depuis la fin des années 1980 et le début

des années 1990 apparaissent progressivement, d’abord de nouveaux rapports juridiques,

ensuite de nouveaux outils et de nouveaux acteurs796. L’émergence et la reconnaissance de

« droits à », tels le droit à l’environnement797, à l’information, à la participation et à l’accès à

la justice en matière environnementale798, participe ainsi à une « évidente subjectivisation qui

tranche fortement avec l’approche objective qui jusque-là prédominait »799. À cela s’ajoute le

développement de l’usage de l’outil contractuel800. En effet, le contrat se révèle être un outil

essentiel de gestion des risques environnementaux et de protection de l’environnement. Par

conséquent, on assiste à la multiplication de contrats innomés ayant pour objet l’environnement.

Comme l’écrit le Professeur Hautereau-Boutonnet, « l’environnement est vu comme une

“donnée”, tantôt négative dont il convient de se méfier, tantôt positive qu’il convient de

saluer »801. Négativement, d’abord, l’environnement peut être une « donnée » dont il convient

de tenir compte à l’occasion de relations contractuelles, car il représente un risque qu’il convient

d’anticiper, de gérer ou de réduire. Il en est ainsi, par exemple, de la cession d’une entreprise

comprenant un passif environnemental important802. Positivement, ensuite, l’environnement

794 G. Martin, « Les prémices de la régulation en matière environnementale : de la police administrative au Livre

vert de la Commission européenne en date du 28 mars 2007 », in La régulation environnementale, sous la dir. de

G. Martin et B. Parance, L.G.D.J., coll. « Droit et Économie », 2012, p. 9. 795 J.-P. Desideri, Droit de l’environnement, Foucher, 2010, p. 5. 796 G. Martin, « Le droit et l’environnement. Rapport introductif », op. cit., spéc. p. 7. 797 Voy. supra n° 141. 798 Consacrés, dans l’ordre interne, par la loi n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection

de l’environnement, JO, 3 février 1995, dite loi Barnier, et, dans l’ordre international, par la Convention d’Aarhus

signée le 25 juin 1998. 799 G. Martin, « Le droit et l’environnement. Rapport introductif », op. cit., spéc. p. 8. 800 Voy. sur cette question : M. Hautereau-Boutonnet (dir.), et alii, Le contrat et l’environnement. Étude de droit

comparé, Bruylant, coll. « Droit(s) et développement durable », 2015 ; V. Monteillet, La contractualisation du

droit de l’environnement, préf. A. Pélissier, Dalloz, coll. « Nouvelle Bibliothèque de Thèses », 2017. 801 M. Hautereau-Boutonnet, « Avant-propos. Des relations contrat-environnement au contrat environnemental »,

in Le contrat et l’environnement. Étude de droit comparé, sous la dir. de M. Hautereau-Boutonnet, Bruylant, coll.

« Droit(s) et développement durable », 2015, p. X. 802 P. Steichen, « Le principe de responsabilité – le cas des sites contaminés. Aspects de droit privé », in Droit

public et droit privé de l’environnement : unité dans la diversité ?, sous la dir. de M. Mekki et É. Naim-Gesbert,

L.G.D.J., coll. « Grands colloques », 2016, p. 101-115.

Chapitre II. Analyse juridique du rôle de l’entreprise dans la lutte contre le changement climatique : la

recherche de conciliation

177

peut être une « donnée » que le contrat entend protéger en raison de ses vertus. Les relations

entre contrat et environnement sont aussi riches que complexes. Leur mise en lumière

bouleverse les grilles de lecture traditionnelles. Le contrat possède des atouts qui expliquent

qu’il entre en concurrence avec les instruments moins flexibles de police administrative.

Parallèlement, il occupe une place croissante dans la protection de l’environnement. Plus

généralement, le Professeur Hautereau-Boutonnet souligne que le contrat « signe sa

métamorphose vers un droit plus flexible, plus négocié, faisant appel au consentement des

destinataires de la norme. Rendre visible le phénomène contractuel en droit de l’environnement,

c’est aussi reconnaître l’évolution substantielle de la discipline »803. Alors que le droit des

contrats est traditionnellement conçu comme un droit individualiste, cette rencontre avec

l’environnement révèle la place dans le contrat de l’intérêt général, marquant ainsi, si ce n’est

un passage, du moins l’apparition d’une nouvelle dimension solidariste du droit des contrats804.

Outre le droit des contrats, le droit de la responsabilité connaît aussi un renouveau face à la

donnée environnementale. Sans nous attarder davantage pour l’instant, signalons tout de même

l’évolution jurisprudentielle qui permet la prise en compte du préjudice écologique dit « pur »,

ou encore la question des relations entre sociétés mères et sociétés filiales opérationnelles qui

s’est posée à propos de questions environnementales. Nous verrons plus loin que la

responsabilité civile est devenue aujourd’hui un outil de protection de l’environnement.

191. Tous ces phénomènes contribuent à l’apparition d’un droit économique de

l’environnement qui a pour objet « l’étude du droit de l’organisation de l’économie lorsqu’il a

pour finalité directe ou indirecte la protection de l’environnement ou la gestion des questions

environnementales »805. Ce droit économique de l’environnement n’est pas une discipline

nouvelle, une nouvelle branche du droit, mais un « champ d’investigations »806 qui illustre

parfaitement la flexibilité du droit et de ses techniques. Les juristes de droit économique

admettent d’ailleurs volontiers que le droit de l’environnement est « un terrain privilégié des

803 M. Hautereau-Boutonnet, « Avant-propos. Des relations contrat-environnement au contrat environnemental »,

op. cit., p. XI. 804 Voy. L. Grynbaum et M. Nicod (dir.), Le solidarisme contractuel, Economica, 2004 ; Ch. Jamin, « Plaidoyer

pour le solidarisme contractuel », in Études offertes à Jacques Ghestin, Le contrat au début du XXIe siècle,

L.G.D.J., coll. « Anthologie du Droit », 2014, p. 441 ; C. Thibierge, « Libre propos sur la transformation du droit

des contrats », RTD civ., 2008, p. 1 ; J. Attard, « Contrats et environnement : quand l’obligation d’information

devient un instrument de développement durable », LPA, 2006, n° 19, p. 7. 805 G. Martin, « Le droit économique de l’environnement, une nouvelle frontière pour la doctrine et l’enseignement

du droit de l’environnement ? », Revue juridique de l’environnement, 2016/HS16 (n° spécial), p. 72-81, spéc. p.

73. 806 Ibid., spéc. p. 74.

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

178

analyses de droit économique »807. En ce sens, il illustre parfaitement le dépassement de la

frontière entre droit public et droit privé808, qui est l’un des postulats du droit économique.

Effectivement, dans sa conception renouvelée, le droit de l’environnement ne peut plus être

considéré comme une branche du droit public. L’une de ses évolutions majeures consiste en sa

« privatisation » progressive à travers le recours aux instruments de droit privé, tels que le

contrat, la responsabilité civile voire le droit de propriété. Pour décrire toutes ces

transformations du droit de l’environnement, le Professeur Martin utilise avec beaucoup

d’aisance et de finesse une métaphore marine que nous reproduisons ici : « […] l’histoire du

droit de l’environnement en France est celle d’un navire qui, quittant le port dans les années 60,

a rencontré des vents soutenus dans les années 70, pour ne changer de cap qu’à l’aube des

années 90. L’océan sur lequel il a, dans sa première période, navigué est longtemps demeuré

“l’Océan de la modernité” […]. Cet océan était encore largement celui du “grand partage” : les

vents qui poussaient le navire restaient pour l’essentiel ceux du droit public. […] À partir de la

fin des années 80, le navire reçoit dans ses voiles des vents différents. Pour s’en tenir à

l’essentiel, relevons le vent de l’incertitude, auquel se combine le souffle de la délibération qui

déborde de plus en plus le Parlement des hommes, le recours à des instruments économiques et

financiers, l’émergence des “droits à” et l’essor de la responsabilité sociale des entreprises. Ces

nouveaux alizés se sont peu à peu renforcés, tandis que s’imposait l’idée selon laquelle l’intérêt

général n’était plus seulement entre les mains de l’État »809.

C’est donc à partir des années 1990 qu’apparaissent les prémisses d’un droit

économique de l’environnement, en plus des règles de police qui n’ont pas perdu leur utilité.

Les préoccupations environnementales s’intègrent dans l’ensemble du système juridique810, y

compris dans l’ordre concurrentiel811. Finalement, par des mécanismes proprement juridiques,

le droit économique est « apte à rechercher une combinaison (idéalement harmonieuse) de

807 Centre de recherche en droit économique, « Introduction au droit économique de l’environnement », in Pour

un droit économique de l’environnement. Mélanges en l’honneur de Gilles J. Martin, Éditions Frison-Roche, 2013,

p. 15-37, spéc. p. 18. 808 Voy. supra n° 12. 809 G. Martin, « Rapport de synthèse », in Droit public et droit privé de l’environnement : unité dans la diversité ?,

sous la dir. de M. Mekki et É. Naim-Gesbert, L.G.D.J., coll. « Grands colloques », 2016, p. 225-235, spéc. p. 225-

226. 810 G. Martin et J. Malet-Vigneau, « L’intégration substantielle de l’environnement », in Pluralisme juridique et

effectivité du droit économique, sous la dir. de L. Boy, J.-B. Racine, J.-J. Sueur, Larcier, 2011, p. 245 et s. ; J.

Malet-Vigneau, L’intégration du droit de l’environnement dans le droit de la concurrence, op. cit. 811 G. Martin, « L’ordre concurrentiel et le droit de l’environnement », in L’ordre concurrentiel. Mélanges en

l’honneur d’Antoine Pirovano, Éditions Frison-Roche, 2004, p. 471-481.

Chapitre II. Analyse juridique du rôle de l’entreprise dans la lutte contre le changement climatique : la

recherche de conciliation

179

l’environnement et de l’économie »812. Dès lors, il peut s’avérer un outil efficace de conciliation

de la protection du climat avec l’exercice des libertés économiques.

2. Le droit économique de l’environnement : un outil de conciliation

192. Il est certain que la recherche de la préservation de l’environnement et du climat

doit se faire au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la nation et, plus

généralement, de l’humanité. Mais comment concilier la protection de l’environnement et du

climat avec le développement économique et social ? Comment assurer et promouvoir un

développement durable ?

Alors pourtant que ces questions font l’objet d’études depuis plusieurs décennies, les

réponses qu’on leur donne demeurent encore partielles. Les cris d’alarme se transforment

souvent en échos lointains, tandis que les esprits se calment, du moins jusqu’au prochain

avertissement scientifique sur le destin assurément fatal de notre planète. Alors toutes les

branches du droit sont de nouveau mobilisées et des juristes de tous horizons croisent leurs

regards respectifs sur les solutions à donner. C’est ainsi qu’est né le droit économique de

l’environnement, en tant que droit de rupture, proposant de nouvelles méthodes et grilles de

lecture. Ce droit est donc le fruit de la rencontre inattendue, qui était aussi une rencontre

« mouvementée, tumultueuse »813, entre le droit économique et le droit de l’environnement.

C’est par définition lui qui va permettre de dégager des solutions équilibrées à ces

problématiques de conciliation. Comme le soulignent des auteurs, « l’exercice d’équilibriste

s’impose en effet à tous ceux qui veulent s’intéresser au droit économique de

l’environnement »814. Et pour cause, car le dialogue entre les deux matières se produit à double

sens. Elles s’alimentent l’une l’autre avant de fusionner. L’utilisation accrue d’instruments

économiques dans la mise en œuvre des politiques de protection de l’environnement815 fait que

le droit de l’environnement « s’économise »816. Sa « physionomie » change peu à peu817. En

retour, toutefois, la protection de l’environnement pénètre dans l’ensemble du système juridique

812 Centre de recherche en droit économique, « Introduction au droit économique de l’environnement », op. cit.,

spéc. p. 17. 813 Ibid., p. 15. 814 Ibid. 815 G. Martin, « Le recours aux instruments économiques dans la mise en œuvre des politiques de protection de

l’environnement », in Les politiques communautaires de protection des consommateurs et de l’environnement :

convergences et divergences, Story Scientia, coll. « Droit et consommation », 1995, p. 169 et s. 816 Centre de recherche en droit économique, « Introduction au droit économique de l’environnement », op. cit.,

spéc. p. 17. 817 G. Martin, « Le droit économique de l’environnement, une nouvelle frontière pour la doctrine et l’enseignement

du droit de l’environnement ? », op. cit., spéc. p. 76.

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

180

et dans le droit du marché en particulier. Le droit économique « s’écologise »818, révélant ainsi

« le paradoxe de notre économie [où] les signaux du marché s’appuient aussi sur des valeurs

nouvelles non immédiatement marchandes, telles que l’environnement »819.

193. La matière climatique est un terrain d’exploration parfait et une

merveilleuse illustration d’une problématique relevant du droit économique de

l’environnement. Le régime juridique de protection du climat est « à cheval » entre les

branches du droit public et privé, transcende la question des ordres juridiques et exige, pour sa

mise en œuvre, la mobilisation de tous les acteurs dans toute leur diversité. Une variété d’outils

juridiques et économiques est mobilisée pour garantir la protection du climat, tout en proposant

des solutions en adéquation avec la réalité économique de notre monde. Le contrat fait ainsi

son apparition dans un domaine de prédilection de l’action de l’État et de la communauté

internationale, venant bouleverser aussi bien le droit de l’environnement que le droit des

contrats. De nouveaux marchés apparaissent, tel que le marché des quotas d’émission de gaz à

effet de serre820, ce qui pose en filigrane la question – chère au droit économique – de la

régulation de ces marchés. Globalement, la problématique climatique illustre également la

mutation des sources du droit que révèlent les analyses de droit économique. Le système

juridique évolue vers un retrait de l’État national et vers de nouvelles normativités. Dans le

contexte de la mondialisation, les rapports de force sont modifiés, ce dont les négociateurs du

régime climatique sont parfaitement conscients. La recherche d’équilibre entre libertés

économiques et mesures de lutte contre le changement climatique devient donc un défi constant

que l’on cherche à relever en admettant l’utilisation d’une palette d’instruments extrêmement

divers. Finalement, l’analyse de ces différents phénomènes dans une approche de droit

économique de l’environnement, c’est-à-dire détachée de toute représentation rigide et

formelle, nous permet de constater que, petit à petit, le droit se transforme, le changement

climatique devenant alors un « opérateur d’un changement du droit »821.

De surcroît, les transformations juridiques induites par le changement climatique se

manifestent par de nouvelles participations à la gouvernance climatique. Les opérateurs

économiques font partie des nouveaux acteurs associés à l’élaboration et à la mise en œuvre du

818 Centre de recherche en droit économique, « Introduction au droit économique de l’environnement », op. cit.,

spéc. p. 17. 819 G. Martin et J. Malet-Vigneau, « L’intégration substantielle de l’environnement », op. cit. 820 Voy. supra n° 122 et s. 821 A. Michelot, « Propos conclusifs », in Quel(s) droits pour le changement climatique ?, sous la dir. de M. Torre-

Schaub, Ch. Cournil, S. Lavorel et M. Moliner-Dubost, Mare & Martin, 2018, p. 361-366, spéc. p. 361.

Chapitre II. Analyse juridique du rôle de l’entreprise dans la lutte contre le changement climatique : la

recherche de conciliation

181

régime climatique. C’est logique, dans la mesure où ils sont les principaux intéressés par les

éventuelles restrictions apportées à l’exercice de leurs libertés économiques par le régime du

climat. Mais c’est aussi dangereux du fait de leur poids dans les négociations.

B. Un droit négocié : l’association de l’entreprise à l’élaboration de la norme

194. L’idée d’un « droit négocié » n’est pas nouvelle. Elle trouve son expression dans

les multiples consultations qui sont opérées avant l’adoption de certains textes et réapparaît

avec force dans le cadre de la construction du régime juridique du climat. Nous avons insisté à

de nombreuses reprises sur le fait qu’en matière de protection du climat, le droit se crée par une

multitude d’acteurs venant de structures et d’horizons divers. Comme le souligne Agnès

Michelot, « l’impact du réchauffement planétaire sur le vivant en général et plus

particulièrement sur les activités humaines, implique de reconsidérer la “fabrique” du droit »822.

Et l’auteure d’ajouter que « pour faire face à des objectifs ambitieux de lutte contre le

changement climatique, la fabrique du droit doit révolutionner ses procédures en intégrant une

diversité d’acteurs à l’échelle interne et internationale qui devront être en capacité d’insuffler

d’autres modalités de concertation quels que soient les lieux d’application et dans des délais

adaptés aux enjeux »823. Les entreprises font partie de ces acteurs et leur voix n’est pas des plus

petites. Loin de là, elles jouent un rôle important voire primordial824.

Par définition, le droit négocié suppose que la règle soit le résultat mutuellement

accepté d’un accord négocié entre les parties intéressées. Or les entreprises ont clairement un

intérêt à faire valoir lors de la construction du régime juridique de protection du climat, puisque

la mise en œuvre de ce régime se traduit inévitablement par des restrictions à leurs libertés

économiques. En effet, il n’y a pas de quoi s’étonner que les entreprises qui sont parvenues à

se positionner en force sur les marchés mondiaux soient soucieuses de la préservation de leurs

intérêts économiques. Simplement, si on constate et salue le déplacement progressif des foyers

juridiques (1), encore faut-il garantir par la même occasion la transparence des divers

groupements d’intérêt (2). C’est toute la difficulté d’un droit négocié.

822 A. Michelot, « Propos conclusifs », op. cit., spéc. p. 361. 823 Ibid., spéc. p. 362. 824 F.-G. Trébulle, « Le rôle des acteurs privés », in Bilans et perspectives de l’Accord de Paris (COP 21). Regards

croisés, sous la dir. de M. Torre-Schaub, IRJS, 2017, p. 127-139.

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

182

1. Le déplacement des foyers juridiques

195. De la discussion à l’élaboration et à la mise en œuvre, l’entreprise participe

aujourd’hui au régime climatique. Cette idée de participation va être celle qui va d’abord

retenir notre attention. Participer, c’est « prendre part ou coopérer à quelque chose avec

d’autres »825. En matière d’environnement, le Professeur Prieur définissait la participation

comme « une forme d’association et d’intervention des citoyens à la préparation et à la prise de

décision administrative »826. Progressivement, la participation est devenue un principe phare du

droit de l’environnement, proclamé avec une autorité accrue par la Convention d’Aarhus du 25

juin 1998827. En droit interne, le principe de participation figure parmi les principes généraux

du droit de l’environnement depuis la loi Barnier du 2 février 1995828. Il a été élevé au rang

constitutionnel par l’article 7 de la Charte de l’environnement adossée à la Constitution829, sous

la forme d’un « droit de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence

sur l’environnement ». Assurément, cette « novation du cadre juridique, sous l’effet de la

constitutionnalisation des droits et devoirs environnementaux en 2005 », a constitué un

« puissant facteur de promotion du principe de participation »830. La participation est proclamée

comme indispensable dans divers documents à force juridique, à juste titre, car la

reconnaissance du droit à un environnement sain et équilibré doit se traduire non seulement par

une information objective, mais aussi par l’association des citoyens aux décisions qui engagent

leur avenir et l’avenir de la planète831. Mais que signifie la participation ?

En vérité, la participation implique différentes choses. La consultation est sans doute

la forme la plus répandue de la participation. Elle se fait sous forme d’enquêtes publiques, de

référendums consultatifs ou de participation à des commissions permanentes. Cependant, dans

ce cadre, la participation du public se trouve réduite à la simple formulation d’observations. La

concertation est une autre forme de la participation, plus souple, peu ou pas institutionnalisée,

qui se fait sous forme de discussions. Enfin, il faut également mentionner la contestation qui,

elle, prend la forme de manifestations, de défilés et de pétitions. Qualifiée de « participation

825 M. Prieur, « Le droit à l’environnement et les citoyens : la participation », Revue juridique de l’environnement,

n° 4, 1988, p. 397-417, spéc. p. 398. 826 Ibid. Voy. également : Y. Jégouzo, « Principe et idéologie de la participation », in Pour un droit commun de

l’environnement. Mélanges en l’honneur de Michel Prieur, Dalloz, 2007, p. 577-587. 827 Voy. M. Prieur, « La Convention d’Aarhus, instrument universel de la démocratie environnementale », Revue

juridique de l’environnement, 1999, La Convention d’Aarhus (n° spécial), p. 9-29. 828 Loi n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement, préc. 829 Loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005 relative à la Charte de l’environnement, préc. 830 A. Van Lang, « Le principe de participation : un succès inattendu », Les Nouveaux Cahiers du Conseil

constitutionnel, vol. 43, n° 2, 2014, p. 25-41, spéc. p. 28. 831 M. Prieur, « Le droit à l’environnement et les citoyens : la participation », op. cit., spéc. p. 398-399.

Chapitre II. Analyse juridique du rôle de l’entreprise dans la lutte contre le changement climatique : la

recherche de conciliation

183

sauvage »832, elle exprime le « besoin des populations de participer en refusant une

décision »833. Dans l’idéal, la participation permet d’aboutir à la « meilleure décision ». Et, dans

tous les cas, faire participer le public à la prise de décision permet, en quelque sorte, de légitimer

cette décision. Le Professeur Prieur rappelle cependant que l’information et la participation du

public « devraient être organisées non pas tant pour légitimer ou rendre acceptable une décision

publique mais précisément pour améliorer le contenu de la décision publique afin qu’elle

réponde aux exigences cumulées (qui seront parfois contradictoires) de la rationalité écologique

et du développement durable »834.

En effet, depuis l’essor du concept de développement durable, qui implique la

conciliation de préoccupations a priori antagonistes, à savoir la protection de l’environnement,

la croissance économique et le progrès social, il devient « nécessaire de privilégier un mode

d’élaboration des décisions concerté, afin que les différents intérêts en présence puissent

s’exprimer et s’accorder »835.

196. De la participation à la négociation. La participation ainsi définie ne se

confond pas avec la négociation, même si les deux notions sont parfois employées

indistinctement. Comme l’écrit Jean-Jacques Urvoas, avec la négociation, nous sommes « dans

l’univers de l’échange, mais un échange intéressé puisque chaque protagoniste espère en tirer

profit »836. Contrairement aux idées reçues, la négociation n’est synonyme ni du compromis, ni

de la concession. Plutôt que de chercher à trouver le juste milieu en donnant à chaque participant

la moitié, ou à céder, il s’agit donc de déboucher sur une solution partagée. La négociation

réussie est celle où les participants « gagnent ensemble »837.

L’idée de négocier le droit est désormais acceptée, alors même que la négociation

s’oppose, a priori, aux principes généraux du droit public français. Effectivement, dans nos

traditions juridiques, la loi émane du Parlement qui est une institution qui transcende les intérêts

particuliers et œuvre au nom de l’intérêt général. Cependant, cette vision traditionnelle semble

de plus en plus dépassée compte tenu, d’une part, de la complexité des questions, d’autre part,

de la multiplicité des acteurs. Des acteurs non étatiques sont désormais encouragés à participer

832 Ibid., spéc. p. 404. 833 Ibid. 834 M. Prieur, « La Convention d’Aarhus, instrument universel de la démocratie environnementale », op. cit., spéc.

p. 11. 835 A. Van Lang, « Le principe de participation : un succès inattendu », op. cit., spéc. p. 26. 836 J.-J. Urvoas, « La négociation de la loi par les acteurs privés », in « La négociation peut-elle tout ? » (Dossier),

Gaz. Pal., 18 mai 2018, p. 9. 837 Ibid.

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique

184

à la construction même des politiques publiques, dès leur conception jusqu’à leur mise en

œuvre. Tel est notamment le cas en matière climatique où les acteurs privés jouent un rôle

important pendant tout le processus de négociation du régime juridique international du

climat838.

En vérité, la négociation n’est qu’un « outil de la puissance »839, puisque « la capacité

à négocier n’est reconnue qu’à ceux qui disposent préalablement de la force et qui sont capables

de s’en servir »840. C’est en cela qu’elle est très différente de la participation. Or qui détient, à

l’échelle globale, la capacité à négocier le droit ? Les États, quelques ONG, certes, mais surtout

les entreprises qualifiées de pouvoirs privés économiques. Ce sont également elles qui jouent

le rôle principal dans la mise en œuvre des régimes juridiques et qui disposent, de facto, de

l’arsenal nécessaire pour agir face à l’urgence climatique. C’est pourquoi leur voix est

importante voire indispensable. Cependant, cette nouvelle façon de construire le droit ou plutôt

de le co-construire pose des problèmes de transparence et, finalement, de démocratie.

2. Les enjeux de transparence et de démocratie

197. Il s’agit ici d’une problématique sans doute commune à toutes les matières où le

droit se négocie car, nous l’avons vu, les négociateurs sont non seulement ceux qui ont un

intérêt à défendre, mais aussi ceux qui détiennent un certain pouvoir leur conférant un poids

réel dans la négociation. Il est tout à fait louable de permettre aux entreprises de participer à la

construction et à la mise en œuvre du régime juridique de protection du climat. Il est difficile,

par ailleurs, d’imaginer que l’on puisse bâtir un tel régime sans, au minimum, les consulter.

Dès lors, tout l’enjeu consiste à gérer le risque qu’en s’emparant des négociations, elles fassent

prévaloir leurs intérêts purement économiques, ce qui serait handicapant pour le régime du

climat et regrettable.

La méfiance à l’égard des grandes entreprises est permise en raison de certains faits

historiques qui ont marqué les débuts du régime climatique841. Nous nous rappelons qu’après

la création du GIEC en 1998, plusieurs grandes entreprises ont décidé d’organiser une riposte

collective en créant la Global Climate Coalition. Cette coalition servait à financer des études

scientifiques alternatives visant à souligner le manque de preuves scientifiques du

838 Voy. F.-G. Trébulle, « Le rôle des acteurs privés », op. cit. 839 J.-J. Urvoas, « La négociation de la loi par les acteurs privés », op. cit.. 840 Ibid. 841 F. Aggeri et M. Cartel, « Le changement climatique et les entreprises : enjeux, espaces d’action, régulations

internationales », op. cit.

Chapitre II. Analyse juridique du rôle de l’entreprise dans la lutte contre le changement climatique : la

recherche de conciliation

185

réchauffement climatique ainsi que l’importance des coûts économiques pour les entreprises

qu’engendrerait la sortie des énergies fossiles. Jusqu’au milieu des années 1990, les grandes

entreprises, notamment nord-américaines, qui étaient clairement hostiles à des actions

publiques contraignantes, ont mené un lobbying intense pour essayer d’empêcher l’adoption du

Protocole de Kyoto, tandis que les entreprises européennes sont restées en retrait de la table des

négociations. L’adoption du Protocole de Kyoto en 1997 a été le début de la fin de la Global

Climate Coalition, qui a été finalement dissoute en 2001. Les entreprises semblent avoir

compris le caractère irréversible de l’action internationale en matière de protection du climat et

préféré l’anticiper plutôt que de s’y opposer. C’est ainsi qu’elles sont devenues, petit à petit, le

principal protagoniste du régime climatique.

Au fond, s’il y a une chose à craindre, c’est le manque, parfois, de transparence. Or,

comme le rappelle le Professeur Prieur, « la démocratie se caractérise par la transparence et la

responsabilité de ceux qui décident au nom du peuple »842. Manquer de transparence signifie

nuire au processus démocratique, ce qui n’est pas acceptable dès lors que l’on touche à des

questions d’intérêt général ou à des questions relatives à l’intérêt de l’humanité.

198. En résumé, dans le cadre de cette section, nous avons insisté sur la nécessité de

parvenir à concilier les mesures de protection du climat avec l’exercice des libertés

économiques, et notamment de la liberté d’entreprendre. Cette conciliation, qui est pour le

moins délicate, est désormais un besoin affirmé et un défi pour le droit. Il est évident – et la

logique de développement durable l’impose – que le régime juridique du climat doit établir les

équilibres entre les différents intérêts en présence. Son efficacité en dépend. En l’occurrence,

cela implique d’ouvrir l’imaginaire juridique pour modifier certaines représentations du droit.

Concrètement, il s’agit de tenir compte de la réalité du contexte dans lequel se construit le

régime climatique. Ce contexte est celui de la mondialisation des activités économiques qui a

entraîné le recul des États et modifié les rapports de force au profit des grandes entreprises. Les

États ne peuvent plus se contenter de prendre note de leurs observations mais doivent chercher

à les associer étroitement à l’ensemble du processus, de la création à la mise en œuvre du régime

climatique. Leur voix doit être entendue et leurs intérêts de croissance et de développement

préservés, sans toutefois que l’on s’éloigne de l’objectif ultime : sauver le climat et sauver notre

planète.

842 M. Prieur, « La Convention d’Aarhus, instrument universel de la démocratie environnementale », op. cit., spéc.

p. 10.

187

Conclusion du Chapitre II

199. Conclusion du Chapitre II portant analyse juridique du rôle de l’entreprise

dans la lutte contre le changement climatique. Il paraît évident que l’entreprise est un acteur

de la lutte contre le changement climatique, notamment en raison de son impact sur ce

phénomène et sur son aggravation. Or, en considérant son impact, on souligne la gravité de ses

responsabilités. Il n’est plus contesté que les activités économiques sont bel et bien responsables

du dérèglement climatique. Les acteurs économiques doivent donc y répondre. Néanmoins, n’y

aurait-il pas quelque obstacle juridique à l’affirmation de ce devoir de réponse, que l’entreprise

pourrait opposer pour se décharger de ce « fardeau » ?

Dans le cadre de ce chapitre, nous nous sommes intéressés à une problématique

juridique majeure qui est celle des rapports entre la liberté d’entreprendre, liberté économique

par excellence, et la protection du climat. Malgré les apparences d’une inconciliabilité, ces

rapports ne sont pas nécessairement conflictuels.

Ainsi, dans un premier temps, nous avons observé les difficultés de concilier la liberté

d’entreprendre et la protection du climat. En France, la liberté d’entreprendre est consacrée par

différents textes et garantie constitutionnellement. À l’échelle internationale, elle ne bénéficie

pas de garantie de valeur équivalente, sans que cela ne constitue un obstacle à son invocation

ni à son exercice. Au fond, si le besoin de garantie juridique se fait moins pressant à l’échelle

internationale, c’est parce que la mondialisation a inversé les rapports de force. Ce sont donc

les entreprises qui disposent désormais des moyens nécessaires pour se garantir – non pas

théoriquement, mais en pratique – l’exercice de leurs libertés économiques. Or, dans le contexte

de la mondialisation, le droit peine à appréhender l’entreprise, si bien que la conciliation des

enjeux climatiques et économiques s’avère souvent une tâche périlleuse. Relever ce défi est

pourtant la condition indispensable à l’efficacité du régime juridique climatique.

Dès lors, dans un second temps, nous avons insisté sur cette nécessité de mettre en

balance les intérêts particuliers des opérateurs privés et l’intérêt général. Le besoin de

conciliation est affirmé dans tous les ordres juridiques – interne, européen et international – et

s’exprime dans le concept de développement durable. Comme l’écrit un auteur, « liberté et

protection sont désormais intrinsèquement liées sous couvert de l’objectif de développement

durable »843. Elles ne sont plus envisagées sous l’angle de la confrontation, au contraire, leur

rencontre est favorisée dans l’espoir d’aboutir à des solutions équilibrées.

843 A. Tomadini, La liberté d’entreprendre et la protection de l’environnement, Contribution à l’étude des

mécanismes et de conciliation, op. cit., p. 597.

188

Finalement, peut-on associer l’entreprise à la lutte contre le changement climatique ?

N’y a-t-il pas quelque chose de dérangeant dans l’idée même de conférer à l’entreprise un rôle

dans ce combat ? N’a-t-elle pas déjà suffisamment de préoccupations ? Il ressort de nos analyses

qu’il existe autant d’obstacles juridiques à cette association de l’entreprise à la lutte contre le

changement climatique que de fondements. C’est la raison pour laquelle la conciliation entre

les libertés économiques et la protection du climat paraît si délicate. Le droit, à travers ses

méthodes, ses outils et ses concepts, a cependant la capacité de résorber ces difficultés. Son défi

est « de soumettre à des règles juridiques à vocation écologique [le développement] en tant que

tel et non pas telle ou telle activité participant à ce développement »844. L’approche à adopter

est donc une approche globale, impliquant l’ensemble des acteurs et caractérisée par la

recherche de proportionnalité.

L’entreprise est donc un acteur de la lutte contre le changement climatique, et pas un

acteur quelconque. En très grande partie, le succès de la lutte contre le changement climatique

repose sur elle. C’est pourquoi il est important de l’impliquer et de la responsabiliser.

844 G. Pieratti et J.-L. Prat, « Droit, économie, écologie et développement durable : des relations nécessairement

complémentaires mais inévitablement ambiguës », Revue juridique de l’environnement, n° 3, 2000, p. 421-444,

spéc. p. 423.

189

Conclusion du Titre I

200. Conclusion du Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement

climatique. Le phénomène du changement climatique conduit à réinterroger la capacité de nos

systèmes juridiques de répondre d’une manière satisfaisante à des problèmes d’ampleur globale

qui touchent l’ensemble de l’humanité. Il est révélateur de désordres, de conflits de valeurs, de

toutes les faiblesses de la négociation internationale… Que peut le droit face au phénomène du

changement climatique ? Comment appréhende-t-il le lien entre l’aggravation de ce phénomène

et l’expansion des activités humaines ?

Nous avons vu que le droit du climat était un droit à construire. Il est politique par la

prise de position qu’il exprime, notamment lorsqu’il se préoccupe de l’articulation des pouvoirs

à l’échelle mondiale et de la désignation des intérêts légitimes. Si l’ensemble des acteurs est

impliqué dans la lutte contre le changement climatique, les acteurs privés demeurent les

principaux concernés. Le régime juridique du climat connaît ainsi un défi majeur qui est de

concilier les mesures de protection du climat avec l’exercice des libertés économiques des

acteurs privés, étant précisé que ces derniers ne sont pas directement encadrés par ce régime.

Or la conciliation de la protection du climat et des libertés économiques n’est guère une tâche

facile, notamment en raison du caractère global du réchauffement climatique et de l’absence de

réelle régulation des activités économiques à l’échelle mondiale. Les outils de cette conciliation

sont multiples et se cristallisent dans le concept de développement durable.

En définitive, le problème du changement climatique est transversal. Il intéresse toute

politique, toute action, tout acteur. Comme il a été souligné par la doctrine, « cette ouverture

vers l’ensemble des acteurs du droit sous-tend une diversité des normes, de leurs formes, de

leurs substances et de leurs forces »845. Le domaine de l’entreprise illustre particulièrement bien

cette diversité. C’est ce que nous verrons dans le cadre des prochains développements.

845 M. Hautereau-Boutonnet et S. Maljean-Dubois, « Introduction », Revue juridique de l’environnement,

2017/HS17 (n° spécial), p. 9-21, spéc. p. 12.

191

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

201. L’entreprise est porteuse de la lutte contre le changement climatique. Elle

n’en est pas un acteur secondaire, bien au contraire. Son rôle est d’ailleurs particulièrement

important sur le terrain de la prévention.

L’entreprise a désormais une « mission climatique », qui est, en réalité, le pendant de

son « pouvoir ». Or ce dernier a deux facettes. Il s’agit, d’une part, d’un pouvoir de nuisance,

puisque ses activités contribuent à l’aggravation du phénomène du réchauffement climatique,

et, d’autre part, d’un pouvoir d’action, puisqu’elle dispose des outils nécessaires lui permettant

d’agir à son échelle.

Les actions des États ne suffisent pas. Des actions positives de la part des entreprises

sont donc indispensables, en ce qu’elles produisent un important effet de régulation dans le

contexte de la mondialisation. On compte beaucoup aujourd’hui sur l’engagement volontaire

des acteurs privés, même si on connaît bien les limites de cet engagement. On sait qu’il est

parfois « intéressé » ou guidé par des considérations purement économiques. Mais est-ce bien

grave ? Sans doute pas, dès lors que le retour au droit est permis, une fois ces actions mises en

place, afin de les encadrer et de garantir leur effectivité (chapitre I).

Au-delà de ces démarches volontaires, on constate, depuis quelques années, le

développement d’obligations juridiques nouvelles. Sans forcément avoir pour objet la lutte

contre le changement climatique, celles-ci constituent désormais des outils de cette lutte. Il

s’agit notamment de l’obligation d’information, du devoir de vigilance et de l’obligation de

prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux. Ici encore, pour mesurer le

degré de normativité, il faut avant tout observer les effets de régulation que cette législation

pourrait assurément produire (chapitre II).

193

Chapitre I. Les démarches volontaires des entreprises en matière de lutte contre le

changement climatique

202. « L’entreprise doit faire des profits, sinon elle mourra. Mais si l’on tente de faire

fonctionner une entreprise uniquement sur le profit, alors elle mourra aussi car elle n’aura plus

de raison d’être », écrivait Henry Ford en 1920. Force est de constater qu’un siècle plus tard,

ces propos de l’industriel américain résonnent avec toujours autant de vigueur. De fait, encore

aujourd’hui, nous nous interrogeons sur la raison d’être de l’entreprise, sur sa mission, sur sa

finalité.

En réalité, la raison d’être de chaque entreprise est intimement liée à ses valeurs. Il est

ainsi des entreprises, certes de moins en moins nombreuses, qui clament ouvertement exister

pour servir exclusivement les intérêts de leurs actionnaires. Leur seul objectif est donc la

maximisation du profit. À l’inverse, d’autres entreprises espèrent satisfaire l’ensemble de leurs

parties prenantes, c’est-à-dire l’ensemble des individus ou groupes qui sont impactés par leurs

activités et par leurs décisions, et qui, de ce fait, expriment des attentes à leur égard. Enfin, il

est des entreprises qui vont encore plus loin et qui s’assignent la noble mission de contribuer

au bien-être et au bonheur de la société toute entière. En parallèle de leur objectif économique,

ces entreprises poursuivent des objectifs sociétaux comme la réduction des inégalités, la

protection de l’environnement, l’épanouissement des salariés, le respect des droits de l’homme.

Nous parlons d’« entreprises socialement responsables » puisqu’elles se disent soucieuses de

l’équilibre entre les objectifs économiques, sociaux et environnementaux, et qu’elles

s’engagent à préserver cet équilibre. Cet « engagement » se manifeste à travers la mise en œuvre

de démarches volontaires dites de responsabilité sociale (ou sociétale), qui, au demeurant,

comme nous allons le voir, se révèlent particulièrement propices au développement de pratiques

concurrentielles.

203. La responsabilité sociale de l’entreprise (ci-après « RSE ») est une notion

lointaine pour les juristes qui néanmoins les préoccupe bien plus que d’autres846. La doctrine la

846 Voy. parmi une littérature abondante : Ph. Auvergnon, « Sur fond de mondialisation, la responsabilité sociale

de l’entreprise entre ombres et lumières », in Quelle responsabilité sociale pour l’entreprise : approches juridiques

nationales et comparatives, Actes du séminaire international de droit comparé du travail, des relations

professionnelles et de la sécurité sociale, COMPTRASEC, 2005, p. 7-25 ; A. Acquier et J.-P. Gond, « Aux sources

de la responsabilité sociale de l’entreprise : à la (re)découverte d’un ouvrage fondateur, Social Responsibilities of

the Businessman d’Howard Bowen », Revue Finance Contrôle Stratégie, vol. 10, n° 2, 2007, p. 5-35 ; I. Daugareilh

(dir.), La responsabilité sociale de l’entreprise transnationale et globalisation de l’économie, Bruylant, 2011 ; id.,

La responsabilité sociale de l’entreprise, vecteur d’un droit de la mondialisation ?, Bruylant, 2017 ; M.-P. Blin-

Franchomme, I. Desbarats, G. Jazottes et V. Vidalens, Entreprise et développement durable. Approche juridique

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

194

qualifie parfois de « droit post-moderne »847. Au temps de la postmodernité, sous la poussée de

la mondialisation de l’économie, l’État a perdu son rôle de monopole dans la production

normative. Les concepteurs des politiques publiques ont donc dû « renoncer à la généralité de

la loi au profit de modes d’action plus souples, mieux adaptés à une réalité sociale mouvante.

De même, ils ont dû renoncer à la simplicité de la norme pour permettre au droit de mieux coller

à une réalité sociale complexe. […] Enfin, ils ont dû délaisser la contrainte au profit d’une

normativité souple et décentralisée, connue sous le nom de régulation »848. Ainsi, les différentes

approches, engagements et démarches volontaires, qui reposent essentiellement sur la

responsabilité morale des opérateurs économiques, constituent une alternative au processus

juridique classique. Cette alternative est intéressante pour les opérateurs économiques car elle

relève de leur liberté d’entreprendre ; ils en sont les maîtres et les propulseurs.

204. Dans le cadre de ce chapitre, nous allons observer l’élargissement progressif du

domaine de la RSE à la problématique climatique. Dans la mesure où elle offre des perspectives

intéressantes en matière de conciliation entre libertés économiques et protection du climat849,

la RSE se révèle être un outil plutôt efficace d’intégration des considérations climatiques par

les opérateurs économiques (section 1). Cependant, de nombreuses questions persistent. Quelle

place laisser à ces démarches volontaires ? Quelle est leur portée juridique ? Comment garantir

leur effectivité ? Comment mesurer leur efficacité ? Autrement dit, la RSE est-elle un outil

satisfaisant pour la lutte contre le changement climatique ? Peut-elle tout ? (section 2)

pour l’acteur économique du XXIe siècle, Lamy, 2011 ; F.-G. Trébulle et O. Uzan (dir.), Responsabilité sociale

des entreprises. Regards croisés Droit et Gestion, Economica, coll. « Études juridiques », 2011 ; L. Fonbaustier

et V. Magnier, Développement durable et entreprise, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2013 ; C. Malecki,

Responsabilité sociale des entreprises. Perspectives de la gouvernance d’entreprise durable, L.G.D.J., coll.

« Droit des affaires », 2014 ; M. Capron et F. Quairel-Lanoizelée, La responsabilité sociale d’entreprise, La

Découverte, coll. « Repères », 3ème éd., 2016 ; K. Martin-Chenut et R. De Quenaudon (dir.), Développement

durable : mutations ou métamorphoses de la responsabilité ?, Pedone, 2016 ; id., La RSE saisie par le droit.

Perspectives interne et internationale, Pedone, 2016 ; J.-P. Chanteau, K. Martin-Chenut et M. Capron (dir.),

Entreprise et responsabilité sociale en questions, Classiques Garnier, coll. « Recontres », 2017. 847 N. De Sadeleer, « Les approches volontaires en droit de l’environnement, expression d’un droit post-

moderne ? », in Les approches volontaires et le droit de l’environnement, sous la dir. de N. Hervé-Fournereau,

Presses Universitaires de Rennes, 2008, p. 45-52, spéc. p. 45. 848 Ibid. Voy. également : Ch.-A. Morand, Le droit post-moderne des politiques publiques, L.G.D.J., coll. « Droit

et société », 1999 ; J. Chevallier, « Vers un droit post-moderne ? Les transformations de la régulation juridique »,

Revue du droit public et de la science politique, n° 3, 1998, p. 659-714 ; id., « La régulation juridique en question »,

Droit et société, vol. 49, n° 3, 2001, p. 827-846 ; id., L’État post-moderne, L.G.D.J., coll. « Droit et société », 5ème

éd., 2017. 849 Voy. supra : Première partie, Titre I, Chapitre II. Analyse juridique du rôle de l’entreprise dans la lutte contre

le changement climatique : la recherche de conciliation.

Chapitre I. Les démarches volontaires des entreprises en matière de lutte contre le changement climatique

195

Section 1. Le développement des démarches de RSE en matière de climat

205. Assurément, l’urgence climatique opère un changement profond dans la vie des

entreprises. Les actions et initiatives en matière de lutte contre le changement climatique se

multiplient. Elles prennent tout naturellement appui sur les démarches déjà existantes en

matière de RSE (§2). Mais avant de les évoquer, et afin de mieux comprendre ces phénomènes

émergents, il paraît judicieux de revenir un instant sur les origines du concept de RSE (§1).

§1. Les origines du concept de RSE

206. La responsabilité sociale de l’entreprise n’est pas nouvelle, loin de là850. Elle

« n’est pas un concept tombé du ciel »851. Dès lors, quelles en sont les causes d’apparition (A)

et quel en est le sens aujourd’hui (B) ?

A. Les causes de la RSE

207. Apparu au début du siècle dernier, le phénomène de formalisation de l’éthique

prend de l’ampleur dans les années 1970. Le monde de l’entreprise s’adapte aux nouvelles

préoccupations sociétales au fur et à mesure que celles-ci apparaissent et se développent. En

effet, l’idée s’installe, dans l’esprit collectif, qu’il est nécessaire que l’entreprise, moteur de la

croissance, se sensibilise aux nouvelles valeurs éthiques qui apparaissent. Elle doit notamment

les appréhender et les intégrer dans ses opérations quotidiennes et dans ses décisions

stratégiques. Progressivement, un changement de vocabulaire s’opère. Alors qu’auparavant, on

parlait d’entreprise-profit, c’est-à-dire une entreprise dont l’objectif principal est la réalisation

et le partage de bénéfices, aujourd’hui, on parle de plus en plus d’entreprise durable,

responsable, irréprochable. Désormais, l’intérêt immédiat de l’associé ne saurait plus « à lui

seul légitimer et guider l’ensemble des choix sociétaires »852, puisque, comme l’observe un

auteur, « les entreprises ne poursuivent pas leur quête de profit dans le néant. [Elles] utilisent

des matières premières, ont besoin de l’eau des rivières, éliminent des déchets dans

850 F.-G. Trébulle et O. Uzan (dir.), Responsabilité sociale des entreprises. Regards croisés Droit et Gestion,

Economica, coll. « Études juridiques », 2011. 851 M. Doucin, « La responsabilité sociale des entreprises n’est pas un concept tombé du ciel », in Responsabilité

sociale des entreprises. Regards croisés Droit et Gestion, sous la dir. de F.-G. Trébulle et O. Uzan, Economica,

coll. « Études juridiques », 2011, p. 31-39. 852 L. Nurit-Pontier, « L’inscription statutaire, vecteur juridique de RSE ? », Revue des sociétés, 2013, p. 323.

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

196

l’environnement, emploient des personnes pour mener leurs activités, et ont besoin de

personnes pour acheter leurs produits et financer leurs activités »853.

Une première cause d’apparition du concept de responsabilité sociale serait donc cette

redéfinition de la vocation de l’entreprise. Les nouvelles préoccupations sociétales, et

notamment celles liées au concept de développement durable, sont donc à l’origine de

l’apparition de la RSE (1). Mais il existe également une seconde cause d’apparition de la RSE,

qui est d’un tout autre ordre : le déficit de la régulation mondiale. En effet, les entreprises

opèrent sur un marché qui est mondialisé. Deviennent également mondialisées les valeurs

éthiques que l’on a évoquées. Comment s’assurer donc, en l’absence de régulation, du respect

de ces valeurs et de leur prise en considération par les entreprises opérant sur le marché

mondial ? Une seule réponse paraît a priori adaptée : laisser les entreprises s’autoréguler et voir

ce que cela va donner. La RSE est, en effet, une démarche d’autorégulation sur une base

volontaire en réponse à ce déficit de régulation mondiale (2).

1. L’apparition de nouvelles préoccupations sociétales

208. Aujourd’hui, la RSE apparaît comme un phénomène quasi naturel puisqu’elle

est la mieux à même de répondre aux débats contemporains relatifs à la croissance économique

sur un modèle durable et soutenable. Une telle croissance suppose notamment que les

entreprises soient soucieuses des besoins humains en termes d’équité sociale et de la

préservation de l’environnement et de ses ressources. Historiquement, toutefois, avant de

commencer à se soucier des préoccupations liées au développement durable, les entreprises se

sont vues investies d’une première mission particulière à l’égard de la société. En effet, l’idée

s’est installée qu’il était nécessaire qu’elles portent un regard vers l’extérieur et mettent leur

intérêt propre, qui est essentiellement un intérêt économique de création de richesse, au même

niveau que celui de leurs différentes parties prenantes (a). Ainsi est née la première forme de

responsabilité sociale. Cette première forme de responsabilité sociale démontre la possibilité,

pourtant longuement niée, de concilier les finalités économiques et sociales.

Assez rapidement, on s’est rendu compte que, dans une vision à long terme, la

composante environnementale était également primordiale. De ce fait, il était nécessaire de

l’intégrer dans la démarche de responsabilisation qui avait été entamée. L’entreprise devait

dorénavant concilier la croissance économique non plus uniquement avec la prise en compte

853 S. Routh, « Les bases juridiques de la responsabilité sociale des entreprises en Inde », in Prendre la

responsabilité au sérieux, sous la dir. de A. Supiot et M. Delmas-Marty, PUF, 2015, p. 253-273, spéc. p. 254.

Chapitre I. Les démarches volontaires des entreprises en matière de lutte contre le changement climatique

197

des exigences sociales, mais également avec la protection de l’environnement et de ses

ressources. C’est d’ailleurs ces trois derniers éléments de conciliation qui constituent les trois

piliers du développement durable. La montée en puissance du développement durable peut dès

lors être perçue comme une cause d’apparition de la responsabilité sociale des entreprises telle

qu’on la connaît aujourd’hui, c’est-à-dire intégrant les dimensions économique, sociale et

environnementale (b).

a) De l’entreprise-profit à l’entreprise citoyenne

209. Le terme « entreprise citoyenne » est issu du courant « Business and Society »

développé au XXème siècle par des économistes américains854. Ce courant défend l’idée selon

laquelle il est nécessaire de mettre en place, dans les sociétés commerciales, des normes dites

« éthiques », c’est-à-dire fondées sur des valeurs et permettant de déjouer les décisions

arbitraires des actionnaires et d’aboutir à une gouvernance harmonieuse qui se préoccupe des

relations avec les parties prenantes.

210. La théorie de l’entreprise citoyenne prend le contre-pied des idées de Milton

Friedman855 qui défend le laisser-faire et la thèse de l’entreprise-profit. Pour ce dernier, la

vocation de l’entreprise est exclusivement de dégager du profit. L’entreprise ne devrait donc

pas consacrer des ressources à des actions qui auraient potentiellement pour conséquence de la

distraire de sa tâche principale. Mais cette théorie n’a pas fait l’unanimité. Ainsi, sous

l’influence de l’économiste Howard Bowen, la théorie de l’entreprise citoyenne a-t-elle trouvé

ses premières applications en matière de management « éthique »856.

Qu’est-ce que le management éthique ? Afin de mieux définir le management éthique,

il convient d’évoquer ses deux finalités. Le management éthique a, tout d’abord, une finalité

interne : savoir comment « mieux voir ». Concrètement, les entreprises doivent anticiper les

besoins des individus qui les composent (besoin de garantie, de stabilité, de reconnaissance,

d’épanouissement…), pour pouvoir satisfaire aux leurs (besoin de prospérité économique et

besoin de pérennité). L’idée est de refonder et de consolider le pacte de confiance et

854 Voy. sur cette notion : F.-G. Trébulle, « L’entreprise citoyenne ? », in Figures de la citoyenneté, sous la dir. de

E. Desmons, L’Harmattan, 2006, p. 195-239 ; V. De Bonnafos, La valorisation de l’entreprise citoyenne, préf. H.

Barbier, PUAM, 2020. 855 M. Friedman, « The social responsibility of business is to increase its profits », New York Times, 13 septembre

1970. 856 H. Bowen, The Social Responsibilities of Businessman, Harper & Brothers, 1953.

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

198

d’association, voire de complicité, qui existe entre l’entreprise et ses salariés. Le management

éthique permet ainsi de concilier bien-être et performance. Le management éthique a, ensuite,

une finalité externe : savoir comment « mieux être vu ». En effet, comme l’écrivait le

philosophe Hans Jonas, face à une perte de repères dans un monde dont les possibilités nous

dépassent, « l’éthique est là pour ordonner les actions et pour réguler le pouvoir d’agir. Elle

doit exister d’autant plus que les pouvoirs de l’agir qu’elle doit réguler sont plus grands »857.

Les entreprises sont conscientes que leur comportement est désormais analysé minutieusement

par leurs clients et que, pour ceux-ci, il importe tout autant que la qualité des produits qui leur

sont proposés. Si elles revendiquent publiquement l’éthique, c’est aussi en grande partie parce

qu’elles la considèrent comme un élément de compétitivité. Comme l’affirme André Comte-

Sponville, « c’est précisément parce qu’il n’y a pas de morale dans l’entreprise qu’il doit y avoir

de la morale dans l’entreprise […], c’est parce que l’entreprise n’en a pas que les individus qui

y travaillent ou la dirigent se doivent d’en avoir une »858.

Les entreprises ont indéniablement une importance centrale dans le fonctionnement de

nos sociétés. Dès lors, il est tout à fait naturel de s’interroger sur leurs principes, leurs valeurs

et sur les règles qui déterminent le bien-fondé de leurs activités. Le management éthique répond

à ces interrogations. Toutefois, il est vrai qu’il existe parfois « un certain cynisme »859 sous le

couvert de l’éthique. C’est d’ailleurs la problématique centrale des démarches volontaires : leur

sincérité.

Le management éthique est donc la première application de la théorie de l’entreprise

citoyenne. Apparu au milieu du XXème siècle, il est aujourd’hui devenu un facteur clé de succès.

Cette même théorie sera également utilisée par R. Edward Freeman pour développer la thèse

des stakeholders860 que l’on traduit en français par la « théorie des parties prenantes ».

211. La notion de partie prenante est née de cette nouvelle exigence éthique qui

demande que les entreprises rendent spontanément compte des conséquences de tout ordre de

leurs activités. Est partie prenante l’individu ou le groupe qui a un intérêt dans les décisions ou

activités de l’entreprise. Cet individu ou ce groupe est également appelé « partie intéressée »,

puisqu’il est impacté par les décisions ou activités de l’entreprise, qu’il impacte l’entreprise

857 H. Jonas, Le principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique, 1979, 3ème éd., Les

Éditions du Cerf, 1995, p. 61. 858 A. Comte-Sponville, Le capitalisme est-il moral ?, Albin Michel, 2004, rééd. 2009 ; voy. également : O. Basso

et H. Zimnovitch, « Grand angle avec André Comte-Sponville », Entreprise & Société, n° 2, 2017 - 2, p. 23-37,

spéc. p. 32. 859 J. Delga, « De l’éthique d’entreprise et de son cynisme », D., 2004 p. 3126. 860 R. E. Freeman, Strategic Management: A Stakeholder Approach, Boston, Pitman, 1984.

Chapitre I. Les démarches volontaires des entreprises en matière de lutte contre le changement climatique

199

dans ses décisions ou activités ou qu’il a des attentes particulières vis-à-vis de l’entreprise. La

définition est donc assez large.

Selon la théorie des parties prenantes, la cause première de l’entreprise n’est pas le

profit. Le profit n’est qu’une conséquence de l’activité de l’entreprise. L’entreprise a, en effet,

un autre but, et c’est de répondre aux besoins et aux attentes de ses parties prenantes861. Elle

doit, par ailleurs, chercher à concilier les intérêts et revendications, parfois contradictoires, de

ces différentes parties prenantes. Mais cette conciliation n’est pas une tâche aisée. En pratique,

l’entreprise va procéder à une certaine hiérarchisation en fonction de l’importance stratégique

que représente pour elle la partie prenante considérée. Alors que certaines parties prenantes ne

seront que très peu influentes, d’autres seront indispensables pour la réussite de ses projets voire

pour sa survie. Elle va donc davantage se préoccuper des attentes exprimées par celles des

parties prenantes qui représentent un degré d’importance plus élevé. Une preuve, d’ailleurs, que

la RSE est avant tout une « démarche », car elle se concrétise notamment par la mise en place

de tout un processus d’évaluation et de hiérarchisation stratégique.

Quoi qu’il en soit, la théorie des parties prenantes est révolutionnaire, puisqu’elle

donne naissance à une nouvelle vision de l’entreprise qui est fondée sur une gouvernance

négociée. Cette nouvelle vision marque un tournant allant dans le sens d’une appréhension plus

démocratique de l’entreprise. Dans ce modèle de gouvernance négociée, les intérêts de tous ces

différents acteurs, appelés parties prenantes, sont considérés comme primordiaux pour

l’entreprise. L’entreprise est consciente que ce sont eux qui assurent sa prospérité et que sans

eux, elle ne peut exister. De surcroît, elle devient débitrice d’une nouvelle obligation :

l’obligation d’assumer ses décisions et activités ainsi que leurs impacts, et d’en rendre compte.

Mais bien que la RSE se soit fondée sur ce dialogue avec les parties prenantes,

aujourd’hui, celui-ci n’est plus suffisant pour assurer la RSE. En effet, le dialogue avec les

parties prenantes doit être nécessairement complété ou précédé par une approche plus globale

basée sur les enjeux du développement durable.

861 Voy. par exemple : Ch. Neau-Leduc, « Les accords sur la “responsabilité sociale de l’entreprise” », Droit social,

2008, p. 75. Pour l’auteure, la notion de parties prenantes d’une entreprise englobe les salariés, actionnaires,

fournisseurs, sous-traitants, consommateurs... mais aussi, les collectivités publiques ou les organisations non

gouvernementales.

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

200

b) De l’entreprise citoyenne à l’entreprise durable

212. Dès le début des années 1970, des voix se sont élevées pour dénoncer le modèle

de développement mis en place, notamment ses effets néfastes sur l’environnement et la

planète. Nous avons vu précédemment862 que le concept développement durable a émergé en

1987 suite à la publication du rapport Notre avenir à tous de la Commission mondiale sur

l’environnement et le développement. Le développement durable se trouve à l’intersection des

sphères économique, sociale et environnementale, qui constituent ses trois piliers. Ce qui est

recherché à travers la notion de développement durable, c’est le juste équilibre entre croissance

économique, progrès social et préservation de l’environnement et de ses ressources. Dans ce

sens, le développement durable apparaît comme un « concept porteur d’un but et d’un moyen,

celui de l’équilibre entre les trois piliers »863.

Aujourd’hui, la notion de développement durable est omniprésente. Elle dépasse le

seul cadre du discours politique pour devenir une réalité socio-économique et juridique, dont

tous les acteurs doivent tenir compte. Au début des années 2000, l’Europe définit la contribution

des entreprises au développement durable comme la responsabilité sociale des entreprises864.

En effet, la RSE est l’outil dont elles disposent pour intégrer au mieux les préoccupations de

développement durable dans leurs stratégies d’entreprise. Comme les performances globales

d’une entreprise sont dorénavant mesurées en fonction de sa contribution combinée à la

prospérité économique, à la qualité de l’environnement et au capital social, c’est-à-dire humain,

les entreprises se voient contraintes de faire preuve d’acculturation au développement durable

et d’appropriation des enjeux de celui-ci.

213. La RSE est un concept multidimensionnel qui a suivi un enrichissement

théorique permanent. En effet, elle a été façonnée et refaçonnée, au gré des différentes

évolutions conceptuelles relatives au rôle de l’entreprise et à sa vocation. Soucieuses de ces

évolutions, les entreprises ont elles-mêmes pris part au façonnage de la RSE moderne. Les

premières démarches en matière de RSE ont pris la forme d’engagements volontaires et

spontanés de la part des entreprises qui, opérant sur un marché dorénavant mondialisé, s’étaient

heurtées à une difficulté : l’insuffisance voire le manque de régulation mondiale.

862 Voy. supra n° 82. 863 B. Lormeteau, « La validation par le Conseil constitutionnel de la méthode de transition comme principe

directeur de l’action publique dans le champ de l’énergie », Constitutions, 2015, p. 607. 864 Communication de la Commission du 2 juillet 2002, « Responsabilité sociale des entreprises : une contribution

des entreprises au développement durable », COM(2002) 347 final.

Chapitre I. Les démarches volontaires des entreprises en matière de lutte contre le changement climatique

201

2. Le constat du déficit de la régulation mondiale

214. Il est à noter que la responsabilité sociale des entreprises s’inscrit dans le

contexte de l’économie de marché et de la mondialisation, dont celles-ci sont l’acteur principal.

Il est indéniable que le phénomène de la mondialisation a eu un impact sur la capacité des États

à élaborer des normes juridiques contraignantes applicables aux opérateurs économiques qui

relèvent souvent de plusieurs ordres juridiques différents. Ainsi, les réglementations nationales

semblent-elles inadaptées pour réguler ces situations géographiquement éparses. Autrement dit,

on constate un problème d’ajustement entre l’économie de marché et la régulation qui vient de

la « non-coïncidence entre les territoires de la normativité juridique (frontière, nation, État) et

les marchés économiques dont on voudrait réguler le fonctionnement »865. Pour remédier à cette

difficulté et combler ce « vide régulatoire »866, les opérateurs économiques s’efforcent de

pratiquer l’autorégulation, dont nous verrons plus loin les forces et les limites867.

215. Effectivement, la régulation globale est tiraillée par des problèmes d’échelle et

de frontière. Elle « se fait au-delà de l’État »868. D’aucuns fondent dès lors leurs espoirs dans

« l’enrôlement des acteurs privés »869 dans cette régulation globale. Ce sont effectivement les

entreprises transnationales qui viennent « prendre le relais des déficiences étatiques »870. La

RSE en est l’illustration parfaite. Reste à savoir quel est précisément le sens de cette démarche.

B. Le sens de la RSE

216. La responsabilité sociale de l’entreprise est une notion floue, ce qui n’empêche

pas son succès. Elle fait l’objet d’une constante théorisation. Sa définition (1) et ses contours

(2) se précisent avec le temps.

865 M.-A. Frison-Roche, « Définition du droit de la régulation économique », D., 2004, p. 126. 866 G. Besse, « À qui profite la RSE ? », Droit social, 2005, p. 991. 867 Voy. infra n° 261 et s. 868 L. Hennebel, « Les droits de l’Homme dans les théories du droit global », in La science du droit dans la

globalisation, sous la dir. de J.-Y. Chérot et B. Frydman, Bruylant, coll. « Penser le droit », 2012, p. 160. 869 A.-S. Epstein, L’information environnementale communiquée par l’entreprise. Contribution à l’analyse

juridique d’une régulation, thèse, Université de Nice, 2014, p. 643. 870 P. Deumier, « La responsabilité sociétale de l’entreprise et les droits fondamentaux », D., 2013, p. 1564.

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

202

1. La définition de la RSE

217. La responsabilité sociale de l’entreprise est un phénomène complexe à saisir871

et un concept qui connaît un engouement très fort872. Elle bénéficie de multiples définitions qui

convergent pour affirmer que la RSE constitue la contribution des entreprises au développement

durable. Plus précisément, il s’agit de l’intégration volontaire et effective des enjeux du

développement durable dans les activités et dans le fonctionnement des entreprises.

218. Dès le début des années 2000, la Commission européenne a entamé la

promotion de ce concept en affirmant que « le succès économique des entreprises ne dépend

plus uniquement de stratégies de maximalisation des profits à court terme, mais d’une prise en

compte d’objectifs sociaux et environnementaux, y compris dans l’intérêt des

consommateurs »873. En 2001, elle a présenté un livre vert intitulé Promouvoir un cadre

européen pour la responsabilité sociale des entreprises874 où elle souligne le rôle qu’ont à jouer

les opérateurs économiques privés dans l’essor du développement durable. Elle précise alors

qu’« être socialement responsable signifie non seulement satisfaire pleinement aux obligations

juridiques applicables, mais aussi aller au-delà et investir “davantage” dans le capital humain,

l’environnement et les relations avec les parties prenantes »875. En 2011, dans sa troisième

communication sur la RSE, la Commission européenne propose de redéfinir la RSE de manière

plus large, comme étant « la responsabilité des entreprises vis-à-vis des effets qu’elles exercent

sur la société »876, tout en précisant qu’elle « s’applique à toutes les entreprises »877. Quels que

soient donc leur taille, leur forme juridique et leur secteur d’activité, toutes les entreprises

doivent s’acquitter de leur responsabilité sociale. Or, pour s’acquitter pleinement de leur

responsabilité sociale, les entreprises doivent engager, « en collaboration étroite avec leurs

parties prenantes, un processus destiné à intégrer les préoccupations en matière sociale,

871 E. Mazuyer, « Identification et régulation d’un phénomène complexe », in Regards croisés sur le phénomène

de la RSE, sous la dir. de E. Mazuyer, La Documentation française, 2010, p. 15-39. 872 P. Mathieu, « La RSE : Fondements théoriques et problématiques gestionnaires », Entreprise Éthique,

Association Francophone de Comptabilité, 2008, p. 13-21. 873 Communication de la Commission du 2 juillet 2002, « Responsabilité sociale des entreprises : une contribution

des entreprises au développement durable », COM(2002) 347 final. 874 Livre vert : Promouvoir un cadre européen pour la responsabilité sociale des entreprises, 18 juillet 2001,

COM(2001) 366 final. 875 Ibid., p. 7. 876 Communication de la Commission du 25 octobre 2011, « Responsabilité sociale des entreprises: une nouvelle

stratégie de l’UE pour la période 2011-2014 », COM(2011) 681 final, remplacé par COM(2011) 681 final/2 du 7

novembre 2012, p. 7. 877 Ibid., p. 9.

Chapitre I. Les démarches volontaires des entreprises en matière de lutte contre le changement climatique

203

environnementale, éthique, de droits de l’homme et de consommateurs dans leurs activités

commerciales et leur stratégie de base »878. Voilà donc ce qu’il en est pour la définition de la

RSE par la Commission européenne. Il convient de noter que, dans la dernière version, la

référence à l’« intégration volontaire » disparaît, sans que cela ne signifie pour autant que la

RSE soit devenue une démarche obligatoire. Tout simplement, cela signifie que la notion de

RSE ne se résume pas à une création spontanée du monde des affaires. Au contraire, son

développement est accompagné de politiques publiques visant à l’encourager et, parfois, à

l’encadrer879. Comme l’écrit un auteur, ces politiques publiques jouent, en effet, « un rôle

décisif stimulant »880. Dans le même ordre d’idée, les nouvelles définitions de la RSE ne font

plus référence à sa dimension éthique qui est pourtant historiquement la première881. Il n’en

reste pas moins qu’elle demeure toujours une composante fondamentale de cette démarche882.

Comme l’observe le Professeur Trébulle, « l’entreprise l’exprime à travers l’énoncé de

“valeurs” dans ses documents RSE »883.

219. De surcroît, la Commission européenne insiste sur la nécessité d’avoir une

« approche holistique » de la responsabilité sociale des entreprises, c’est-à-dire une approche

qui englobe l’intégralité des questions relatives à celle-ci et qui tient compte des différentes

interactions et interdépendances.

2. Le champ d’application de la RSE

220. Fondamentalement, la notion de RSE repose sur l’idée que le champ de

responsabilité de l’entreprise va au-delà de la stricte responsabilité juridique et

réglementaire. Il s’agit d’une responsabilité d’un autre ordre, d’une responsabilité qui, comme

nous l’avons évoqué plus haut, est liée à la notion de « pouvoir »884. Effectivement, l’entreprise

n’opère pas dans le vide. Elle s’insère dans un tissu social complexe. Elle est composée de

personnes et son fonctionnement affecte la communauté à laquelle elle appartient. C’est pour

cette raison qu’elle est tenue d’intégrer dans sa stratégie de développement sa performance

878 Ibid., p. 7. 879 M. Doucin, « La responsabilité sociale des entreprises n’est pas un concept tombé du ciel », op. cit., spéc. p.

31. 880 Ibid., spéc. p. 32. 881 F.-G. Trébulle, « Responsabilité sociale des entreprises : entreprise et éthique environnementale », Répertoire

des sociétés, Dalloz, mars 2003 (mise à jour : juillet 2018). 882 Ibid. 883 Ibid. 884 Voy. à ce sujet : A. Supiot et M. Delmas-Marty (dir.), Prendre la responsabilité au sérieux, PUF, 2015.

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

204

sociale à la fois interne et externe. Autrement dit, elle doit se soucier de ses salariés et

actionnaires, mais aussi de la communauté entière. Elle doit améliorer ses relations avec ses

diverses parties prenantes et contribuer au respect de l’environnement.

Par ailleurs, l’idée d’une collaboration étroite avec les parties prenantes est

particulièrement importante et la Commission européenne invite les entreprises à la considérer

dans le cadre de leurs démarches de RSE. Les entreprises doivent, en effet, communiquer sur

leurs démarches et sur les résultats de celles-ci, mais cette communication n’est pas suffisante.

Il ne faut pas simplement informer les parties prenantes mais les associer à la démarche. Ceci

implique de se poser systématiquement la question de savoir quelles sont leurs attentes dans le

domaine considéré. Pour les consommateurs, d’abord, ce serait des produits d’une qualité testée

et prouvée, assurant une sécurité maximale, garantissant la santé de chacun, fabriqués selon des

procédés respectueux de l’homme et de l’environnement. Pour les salariés, ensuite, ce serait

des conditions de travail décentes, une diminution des accidents du travail et des maladies

professionnelles, un environnement favorisant leur épanouissement professionnel et personnel,

de la stabilité. Pour les communautés, enfin, ce serait le respect des droits de l’homme, la lutte

contre la corruption, la concurrence loyale, la création d’emplois. La Commission européenne

rappelle aux entreprises que la satisfaction des parties prenantes est un facteur influant sur leur

réussite. C’est, par voie de conséquence, un vecteur de confiance. Or « des niveaux de confiance

élevés favorisent […] l’émergence d’un environnement au sein duquel les entreprises peuvent

innover et se développer »885.

En outre, la Commission estime que « la mise en place d’une approche stratégique de

la RSE devient de plus en plus importante pour la compétitivité des entreprises »886 puisqu’elle

peut leur être profitable sur le plan de la gestion des risques, de la réduction des coûts ou de

l’accès au capital, autant d’éléments cruciaux pour les entreprises. Pour l’autorité européenne,

la RSE a le mérite d’être l’outil par excellence de la gestion des divers risques auxquels sont

exposées les entreprises et c’est, en outre, un élément important de la stratégie d’entreprise.

D’aucuns regrettent, d’ailleurs, cette facette « stratégique » de la RSE et se méfient des velléités

d’action des entreprises. Trop de stratégie tuerait ce qui devrait être au fondement de l’action,

à savoir une réponse éthique des dirigeants de l’entreprise par rapport à une alerte mondiale.

Un auteur évoque ainsi une certaine « instrumentalisation de la morale » de la part des

entreprises qui est à craindre et à regretter : « On comprend bien la manœuvre de promotion

d’une improbable “éthique des affaires” par les acteurs économiques : prétendre se placer dans

885 COM(2011) 681 final, préc., p. 4. 886 Ibid.

Chapitre I. Les démarches volontaires des entreprises en matière de lutte contre le changement climatique

205

l’ordre moral permet de se soustraire au droit. […] Kant expliquait déjà que l’honnêteté du

commerçant ne vise qu’à garder ses clients. Il agit conformément à la morale mais pas

moralement, il instrumentalise la morale. Ainsi, lorsqu’une entreprise prétend soutenir une

cause charitable, elle l’utilise »887. À l’inverse, plus positifs, les partisans de la RSE affirment

que « l’économique a droit à une “sagesse pratique” »888. L’utilisation stratégique de la RSE

n’est donc pas nécessairement un élément de rupture entre la RSE et l’éthique des affaires, et

n’empêche pas forcément la continuité sur le fond. Plus globalement, l’idée de responsabilité

sociale implique « celle de société responsable où chaque individu participe, selon son pouvoir,

à l’avenir de l’humanité avec tous les autres afin de “métamorphoser” le “Titanic planétaire”

actuel en Arche de Noé planétaire »889. Dans le même ordre d’idée, pour le Professeur Trébulle,

« la volonté d’intégrer une démarche de développement durable dans l’activité de la société

correspond incontestablement à une préoccupation d’ordre éthique ou morale, même si des

arrière-pensées d’ordre plus économique doivent d’autant moins être dissimulées qu’elles n’ont

rien d’illégitime émanant de sociétés commerciales »890. N’est-ce d’ailleurs tout l’enjeu du

développement durable que d’arriver à concilier les préoccupations économiques avec les

considérations sociales et environnementales ?

221. La responsabilité sociale de l’entreprise se présente donc à la fois comme un

outil stratégique et un outil de développement durable. Elle est porteuse de valeurs et de sens,

tout en étant porteuse de compétitivité, d’innovation et de performance économique. Beaucoup

doutent, néanmoins, de la sincérité de l’engagement. Finalement, la question se pose de

savoir « à qui profite la RSE »891. Comme l’observe un auteur, « les interprétations de la RSE

oscillent ainsi entre son insertion dans un projet politique, et sa réduction à un argument de

vente. La foule qui défile sous la bannière généreuse du développement durable semble donc si

bigarrée et si dispersée que l’on doute que l’itinéraire de la procession puisse jamais être

définitivement fixé »892. Mais tout ceci importe peu, car ce qui compte finalement, c’est le

résultat. La RSE peut tout à fait s’inscrire au cœur de la stratégie, et la stratégie s’enraciner dans

887 A. Bernard, « La confusion des ordres », D., 1997, p. 274. 888 R. de Quenaudon, « Responsabilité sociale des entreprises », Répertoire de droit du travail, Dalloz, octobre

2017, n° 16. 889 F. Vallaeys, « Définir la responsabilité sociale », in Dictionnaire critique de la RSE, sous la dir. de N. Postel et

R. Sobel, Septentrion, coll. « Capitalismes, éthique, institutions », 2013, p. 99 et s. 890 F.-G. Trébulle, « Responsabilité sociale des entreprises : entreprise et éthique environnementale », op. cit. 891 G. Besse, « À qui profite la RSE ? La responsabilité sociétale des entreprises peut-elle réguler les effets sociaux

de la mondialisation ? », Droit social, 2005, p. 991. 892 A.-S. Epstein, L’information environnementale communiquée par l’entreprise. Contribution à l’analyse

juridique d’une régulation, op. cit., p. 13.

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

206

les principes de la RSE, sans que cela ne signifie que les résultats ne seront pas là. C’est en tout

cas ce que nous pouvons espérer dans la mesure où il est désormais acquis que « les problèmes

environnementaux et sociaux ne peuvent être résolus qu’en mobilisant les entreprises privées,

les gouvernements ne pouvant agir seuls »893. L’effectivité du développement durable à

l’échelle globale ne peut être atteinte sans le concours des entreprises. Et il en va de même pour

la lutte contre le changement climatique. La RSE peut-elle être un outil dans cette lutte ?

§2. L’élargissement du domaine de la RSE à la problématique climatique

222. Les entreprises sont au cœur du phénomène du changement climatique894. Celui-

ci est de nature à modifier le rapport aux entreprises et à faire évoluer les attentes et exigences

vis-à-vis de leurs activités895. Il est certain que l’intégration des considérations climatiques dans

les politiques économiques contribue indirectement à l’essor de la RSE. Dans ce contexte, la

RSE est refaçonnée pour appréhender le phénomène du changement climatique, dans une

logique d’anticipation d’une réglementation contraignante. Ainsi, à l’heure où les instruments

juridiques en matière de climat prolifèrent, les opérateurs économiques s’emparent du problème

et l’intègrent dans les démarches qu’ils ont déjà mises en place en matière de RSE. Complément

efficace au régime juridique de protection du climat, la responsabilité sociale devient un levier

pour la lutte contre le changement climatique (A). Mais les entreprises ont compris qu’il y a là

aussi un tournant qui peut leur être profitable896 (B).

A. La RSE, un levier pour la lutte contre le changement climatique

223. Avec le changement climatique, on assiste à un tournant historique dans la

conduite des affaires. La problématique climatique est sans doute le thème le plus transversal

de tous les thèmes de la RSE. Il est erroné et réducteur de l’appréhender comme une simple

question environnementale, une question de pollution atmosphérique, ou d’émissions de gaz à

effet de serre. Car, au fond, la problématique climatique est aussi une problématique sociale et

économique, qui va bientôt poser en termes nouveaux certaines questions traditionnelles

893 Y. Enrègle et A. Souyet (dir.), La responsabilité sociale de l’entreprise (RSE)… Sous le prisme du

développement durable, éd. Arnaud Franel, 2009, p. 33. 894 F.-G. Trébulle, « Quelle entreprise face au changement climatique ? », in « Quel droit face au changement

climatique ? » (Dossier), D., 2015, p. 2272. 895 Voy. supra n° 173 et s. 896 F.-G. Trébulle, « Quelle entreprise face au changement climatique ? », op. cit.

Chapitre I. Les démarches volontaires des entreprises en matière de lutte contre le changement climatique

207

relatives aux droits de l’homme, aux mutations économiques et à leurs conséquences sociales.

Faut-il insister sur le fait que les entreprises, surtout les grandes multinationales, ne sont pas

déconnectées du monde qui les entoure et n’opèrent pas dans le néant ? Faut-il rappeler qu’elles

ont une responsabilité vis-à-vis des effets qu’elles exercent sur la société, c’est-à-dire pour leurs

impacts sur la société ? Si tout ceci nous paraît déjà acquis, une grande question demeure : dans

le contexte du changement climatique, comment les entreprises parviennent-elles à assumer

cette responsabilité ?

Dans les développements qui suivent, nous verrons que la RSE est un outil plutôt

efficace permettant d’assumer cette responsabilité. Elle s’avère être à la fois un moyen

d’intégration de la problématique climatique (1) et un support d’obligation pour les opérateurs

économiques (2).

1. La RSE, un moyen d’intégration de la problématique climatique

224. Dans le contexte du changement climatique, une nouvelle sensibilité éthique

pour les conséquences systémiques des activités humaines commence à voir le jour. Nous

prenons conscience de certaines choses que nous ne voyons pas forcément avec les yeux : les

décès et maladies dus aux catastrophes naturelles que le changement climatique entraîne,

l’extinction d’espèces rares nécessaires à la préservation des équilibres biologiques, le trou dans

la couche d’ozone, la fonte des glaces… tout ce mal derrière le produit de consommation, toutes

les « “avalanches sociales ” induites par nos routines quotidiennes »897. Cette prise de

conscience modifie notre perception des frontières de la responsabilité morale, notamment des

entreprises. En effet, nous considérons qu’il revient d’abord et avant tout aux entreprises d’agir

pour remédier au changement climatique, dans la mesure où les activités économiques sont à

l’origine du phénomène et que les entreprises disposent des capacités et des moyens requis. En

réponse, les entreprises choisissent d’embrasser cette nouvelle responsabilité qui trouve dès lors

sa traduction à travers le concept de RSE.

Qu’est-ce que la démarche de RSE implique concrètement et de quelle manière

contribue-t-elle à la lutte contre le changement climatique ?

225. Les entreprises socialement responsables sont à l’origine de nombreuses

initiatives en matière de lutte contre le changement climatique. Au lieu de subir les

897 F. Vallaeys, Les fondements éthiques de la Responsabilité Sociale, thèse, Université Paris-Est, 2011, p. 66.

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

208

politiques climatiques, et dans un souci d’anticipation des évolutions réglementaires, elles

manifestent leur volonté d’œuvrer pour la protection du climat. Citons à titre d’exemple deux

initiatives notables en la matière : la fixation interne du prix du carbone et la compensation

carbone volontaire.

225-1 La fixation interne du prix du carbone est une pratique qui se développe de

plus en plus en entreprise. Pour rappel, à l’occasion de la vingt-et-unième Conférence des

Parties, qui s’est soldée par l’adoption le 12 décembre 2015 de l’Accord de Paris898, la

communauté internationale s’est donné l’objectif ambitieux d’atteindre zéro émission nette

avant la fin du siècle, afin de respecter le plafond d’un réchauffement moyen global de deux

degrés Celsius. Cet objectif est considérable et inédit. Cependant, en pratique, la transition vers

un monde décarboné suppose de repenser globalement nos modes de vie et de réinventer

rapidement notre mode de développement. L’ensemble des acteurs sont concernés et doivent

se mobiliser. La plupart reconnaissent que donner un prix aux émissions de gaz à effet de serre

influe sur leurs décisions et constitue un moyen efficace d’inciter les décideurs économiques à

investir dans des énergies propres, des technologies plus sobres en carbone, voire des produits

et services différents899. Or, on distingue plusieurs mécanismes pour donner un prix au

carbone : la mise en place d’une taxe sur les émissions900 ou l’organisation d’un marché sur

lequel s’achètent et se revendent des permis d’émettre901. L’outil financier est naturellement

celui qui bénéficie de l’approbation des opérateurs privés, tandis que l’outil fiscal est souvent

considéré comme une entrave superflue à l’exercice de leurs libertés économiques. Ces outils

réglementaires émanent des pouvoirs publics, mais il faut savoir qu’en parallèle à leur mise en

place, des initiatives volontaires de tarification du carbone se développent au sein même des

entreprises, avec la mise en place de prix internes du carbone. Le prix interne du carbone est

une valeur que l’entreprise se fixe volontairement pour internaliser le coût économique de ses

émissions de gaz à effet de serre. Ce prix est intégré aux calculs du retour sur investissement.

Les entreprises sont attentives aux dynamiques qui se mettent en place. Nombreuses sont celles

qui se sont déjà lancées ou qui ont exprimé leur volonté de se lancer902 dans cette démarche de

898 Voy. supra n° 71. 899 Voy. EpE, i4CE – Institut de l’économie pour le climat, Prix interne du carbone. Une pratique montante en

entreprise, septembre 2016, en ligne : http://www.epe-asso.org/prix-interne-du-carbone-septembre-2016/. 900 Sur l’utilisation de l’outil fiscal qu’est la taxation du carbone, voy. supra n° 126. 901 Sur l’utilisation de l’outil financer qu’est le marché des quotas d’émission, voy. supra nos 122 à 124. 902 Selon une étude réalisée en 2017 par CDP, qui est une association internationale d’investisseurs qui évalue les

performances environnementales des grandes entreprises, 1400 entreprises dans le monde utilisent déjà ou pensent

intégrer prochainement cet indicateur. L’étude est disponible sur le site internet de l’association.

Chapitre I. Les démarches volontaires des entreprises en matière de lutte contre le changement climatique

209

tarification interne dans la triple optique de réduire leurs émissions, de montrer leur engagement

pour la transition bas-carbone et de se prémunir contre les risques de cette transition. En effet,

le prix interne du carbone est à la fois un outil de soutien aux stratégies de décarbonation des

entreprises et un instrument de gestion des risques. Par ailleurs, se doter d’un prix interne du

carbone permet aussi aux entreprises de répondre à la diversité des réglementations et des

tarifications du carbone mises en place ou à venir dans les pays où elles opèrent.

225-2 Dans le même esprit, les initiatives et actions de compensation volontaire se

multiplient aujourd’hui903. La compensation volontaire consiste à financer un projet de

réduction ou de séquestration d’émissions de gaz à effet de serre dont on n’est pas directement

responsable. Ce mécanisme vise plus spécifiquement les acteurs qui ne sont pas soumis à des

contraintes en matière d’émissions de gaz à effet de serre, tels que les particuliers, les

collectivités locales et les petites et moyennes entreprises, ou les acteurs contraints mais qui

souhaitent aller au-delà de leurs obligations réglementaires. Dans la mesure où elle repose sur

la volonté de l’acteur et qu’elle permet d’aller « au-delà de la loi »904, la compensation

volontaire s’inscrit parfaitement dans la démarche de RSE de l’entreprise et peut être valorisée

dans le cadre de celle-ci.

La compensation volontaire s’inspire des deux mécanismes de conformité prévus par

le Protocole de Kyoto905 – le mécanisme pour un développement propre (MDP)906 et la mise en

œuvre conjointe (MOC)907 –, qui permettent tous deux à un pays d’obtenir des crédits

d’émissions en investissant dans des projets de réduction ou d’évitement des émissions de gaz

à effet de serre dans un pays hôte. Les projets MDP sont réalisés dans des pays en voie de

903 B. Leguet et V. Bellassen, « La participation à des programmes de compensation volontaire », in L’implication

des entreprises dans les politiques climatiques. Entre corégulation et autorégulation, sous la dir. de S. Maljean-

Dubois et A. Roger, La Documentation française, 2011, p. 51-63. 904 I. Cadet, Responsabilité sociale de l’entreprise (RSE), responsabilités éthiques et utopiques. Les fondements

normatifs de la RSE. Étude de la place du droit dans les organisations, thèse, CNAM, 2014, passim, spéc. p. 154

et s. 905 Voy. supra nos 61 à 64. 906 Protocole de Kyoto, art. 12. Le « mécanisme pour un développement propre » permet aux Parties visées à

l’annexe I d’exécuter des projets destinés à diminuer les émissions de gaz à effet de serre sur le territoire des

Parties ne figurant pas à l’annexe I, en plus d’aider ces dernières à parvenir à un développement durable et de

contribuer à l’objectif fondamental de la CCNUCC. Les Parties visées à l’annexe I peuvent utiliser les « réductions

d’émissions certifiées » obtenues grâce à ces activités sur le territoire des Parties ne figurant pas à l’annexe I pour

remplir une partie de leurs engagements chiffrés de limitation des émissions. Le mécanisme est supervisé par un

conseil exécutif, et une part des fonds provenant d’activités certifiées sert à aider les pays en développement Parties

particulièrement vulnérables à financer le coût de l’adaptation. 907 Protocole de Kyoto, art. 6. La « mise en œuvre conjointe » permet aux Parties visées à l’annexe I de mettre en

œuvre des projets dont l’objectif est de réduire les émissions de gaz à effet de serre par les sources ou à renforcer

les absorptions par les puits, sur le territoire d’autres Parties visées à l’annexe I, afin d’acquérir des « unités de

réduction des émissions » qui leur seront créditées en vue de l’acquittement de leurs engagements.

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

210

développement, tandis que les projets MOC sont mis en œuvre dans des États de l’annexe I908

ayant ratifié le Protocole de Kyoto. Il s’agit donc de mécanismes de marché qui ont été créés

pour aider les États à atteindre leurs objectifs de réduction des émissions909. La compensation

volontaire s’est développée en parallèle. Concrètement, dans le cas de figure le plus commun,

l’acheteur de compensation s’adresse à un opérateur spécialisé auprès duquel il acquiert un

nombre d’unités « carbone » correspondant au volume des émissions de gaz à effet de serre

qu’il souhaite compenser. La somme versée à cette fin contribue, directement ou indirectement,

au financement d’un projet spécifique de réduction des émissions ou de séquestration de

carbone910. À titre d’exemple, il peut s’agir d’un projet de reforestation de zones menacées,

d’un projet d’installation d’une usine hydroélectrique, d’un projet de construction de bâtiments

solaires passifs, voire d’un projet permettant aux particuliers de financer leurs propres travaux

de rénovation énergétique.

226. Outre ces démarches assurément vertueuses et intéressantes, il convient de noter

que de plus en plus d’entreprises élaborent des stratégies à long terme visant à conserver

l’énergie et à utiliser des sources d’énergie plus propres. Dans le même ordre d’idée, la mise

sur le marché de produits à faible émission de gaz à effet de serre se développe à grande vitesse.

Incontestablement, toutes ces actions qui s’inscrivent dans des démarches volontaires de RSE

permettent aux entreprises de participer activement à la lutte contre le changement climatique.

227. De surcroît, il faut savoir qu’une entreprise socialement responsable va associer

ses partenaires à sa démarche. C’est de l’essence même de la RSE que de s’intéresser à sa chaîne

de valeur. Ainsi, l’entreprise socialement responsable voudra-t-elle s’assurer de la performance

de ses partenaires en matière de RSE. L’outil qui sera privilégié à cet effet est l’outil contractuel.

Or, en mobilisant le contrat, la RSE se laisse voir sous une autre lumière, comme un support

d’obligation pour les opérateurs économiques. Dans les développements qui suivent, nous

allons donc esquisser les liens délicats qui existent entre RSE, climat et contrat. En effet, le

contrat peut s’avérer être un outil efficace que les entreprises mobilisent pour lutter contre le

changement climatique.

908 Voy. supra n° 59. 909 Avec le système international d’échange de quotas d’émission. 910 Voy. ADEME, La compensation volontaire. Démarche et limites, juin 2012.

Chapitre I. Les démarches volontaires des entreprises en matière de lutte contre le changement climatique

211

2. La RSE, un support d’obligation pour les opérateurs économiques : les clauses climatiques

dans les contrats

228. Du droit dans le non-droit : voici résumée en quelques mots l’apparition de

l’instrument contractuel sur la scène de la RSE. Le contrat permet, en effet, de concrétiser les

engagements volontaires de RSE en leur donnant un habillage juridique et en les revêtant de la

force obligatoire. Ainsi, pour faire face à l’urgence climatique, les entreprises soucieuses de la

protection du climat peuvent l’intégrer dans leurs contrats. Le recours à l’instrument contractuel

est, dans ce cas, très intéressant car il témoigne d’une volonté de solliciter la lumière du droit,

non pour bénéficier d’un droit, mais pour se soumettre à des obligations dont les entreprises

déterminent elles-mêmes la teneur et la portée911. Le contrat mérite donc toute l’attention, car,

pour reprendre l’expression de Mathilde Boutonnet, les entreprises « possèdent déjà toutes les

clés pour en faire un instrument efficace » de la lutte contre le changement climatique912.

229. Deux cas de figure peuvent se présenter. Dans un premier cas, des entreprises

sensibles aux problématiques liées au réchauffement climatique vont décider d’un commun

accord de formaliser leur engagement en la matière dans un contrat. Dans un second cas, des

entreprises vont « imposer la RSE » à leurs partenaires actuels ou futurs en en faisant une

condition indispensable à la poursuite ou à l’établissement de ce partenariat.

229-1 Des entreprises socialement responsables peuvent porter ensemble la cause

climatique en mobilisant l’outil contractuel. Les entreprises sont aujourd’hui assez largement

conscientes que la lutte contre le changement climatique implique la mise en œuvre d’une

dynamique qui ne saurait être envisagée ni vécue isolément. Par ailleurs, à aucun moment dans

l’histoire, il n’y a eu d’entreprise pouvant démontrer sa capacité de se suffire à elle-même. Or

qu’est-ce qui détermine une entreprise à s’associer avec tel ou tel partenaire ? Sans doute

l’appartenance au même système de valeurs et l’idée que les entreprises partenaires adhèrent à

un ensemble structuré de croyances qui influence leur comportement et qui sert de levier à leur

performance. Ainsi, les démarches de responsabilité sociale s’inscrivent-elles dans un partage

de valeurs – notamment au plan éthique – et de dispositifs de dialogue entre partenaires. Ces

démarches tendent donc vers l’externe tout autant que vers l’interne. Elles sont généralement

911 M. Salah, « Le pouvoir économique et le droit. Variation sur un thème très niçois », RIDE, 2013/4, t. XXVII,

p. 475-490, spéc. p. 486. 912 M. Hautereau-Boutonnet, « Le risque climatique en droit des contrats », RDC, n° 2, 2016, p. 312.

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

212

formalisées dans des contrats, ce qui permet de traduire de façon tangible et substantielle ces

valeurs communes et partagées.

Le contrat peut donc promouvoir la cause climatique. Dans la mesure où c’est un

instrument de circulation, il peut être à l’origine de la promotion de la lutte contre le changement

climatique913. Des obligations contractuelles peuvent résulter de clauses inscrites dans les

contrats passés entre entreprises partenaires. Une entreprise pourrait, par exemple, demander à

son partenaire qu’il lui communique toute information relative à la prise en compte du problème

climatique, qu’il l’avertisse de toute circonstance ayant un impact dans ce domaine, qu’il adhère

à des instruments de droit souple et qu’il s’engage dans une démarche de certification

environnementale. Un nouveau cadre contractuel transnational de promotion de la lutte contre

le changement climatique pourrait ainsi voir le jour914, sans que le droit national et/ou le droit

international n’interviennent.

L’hypothèse ainsi décrite correspond à la vision originelle du contrat qui a inspiré les

rédacteurs du code civil : « le vieux contrat traditionnel, où deux personnes d’identique situation

juridique et de puissance économique égale exposent et discutent en un libre débat leurs

prétentions opposées, font des concessions réciproques et finissent par conclure un accord dont

elles ont pesé tous les termes et qui est bien véritablement l’expression de leur commune

volonté »915. En l’occurrence, il s’agit donc de deux opérateurs économiques de puissance

économique égale qui expriment dans un contrat leur volonté commune de contribuer à la lutte

contre le changement climatique. Quel que soit l’objectif ultime qui détermine cette volonté,

ces opérateurs économiques sont ainsi placés en position de « législateurs privés »916. Leur

pratique contractuelle participe à l’élaboration d’un cadre juridique transnational en faveur de

la lutte pour le climat. Les démarches de responsabilité sociale en matière de climat font naître

de véritables obligations juridiques, attestant par là même l’entrée effective de la normativité

d’origine privée au sein du système juridique. Autrement dit, le droit des contrats se présente

comme une porte d’entrée pour la normativité privée, en associant « liberté contractuelle et

contrainte liée à l’engagement des parties »917.

913 B. Fauvarque-Cosson, « L’entreprise, le droit des contrats et la lutte contre le changement climatique », D.,

2016, p. 324. 914 Ibid. 915 E. Gounot, Le principe de l’autonomie de la volonté en droit privé. Contribution à l’étude de l’individualisme

juridique, thèse, Université de Dijon, 1912, p. 13. 916 V. Lasserre-Kiesow, « L’ordre des sources ou le renouvellement des sources du droit », D., 2006, p. 2279. 917 Y. Queinnec et W. Bourdon, « Entreprises transnationales et droits de l’homme : À la recherche des

combinaisons normatives adaptées », Journal européen des droits de l’homme, n° 2, avril 2013, p. 175.

Chapitre I. Les démarches volontaires des entreprises en matière de lutte contre le changement climatique

213

L’insertion de clauses climatiques dans les contrats passés entre opérateurs privés

économiques joue un rôle primordial au regard de l’effet pédagogique important de ces clauses.

Par ailleurs, il ne s’agit pas de simples instruments de « reprise de la loi »918 ou d’« application

des normes nationales locales et internationales »919. Au contraire, il s’agit d’« instrument[s]

idéal[s] de dépassement des obligations légales » 920. Ainsi, « grâce au renfort de la sanction

contractuelle »921, et dès lors qu’elles se répercutent sur toute la chaîne contractuelle, les clauses

climatiques permettent aux entreprises de mener – ou de tenter de mener – la lutte contre le

changement climatique.

229-2 Une entreprise en position de force peut se servir de l’outil contractuel pour

imposer à ses partenaires sa politique volontaire en matière de climat. Si l’hypothèse paraît

a priori compliquée, elle ne l’est point en réalité. C’est d’ailleurs l’hypothèse qui se présente le

plus souvent. Elle fait apparaître « le pouvoir économique à l’ombre du contrat »922, alors même

que le contrat présuppose la liberté et l’égalité. Quid de la volonté du cocontractant de s’engager

dans cette démarche volontaire ? On sait que l’objectif de la responsabilité sociale de

l’entreprise « n’est pas de forcer les choses, [ni] d’imposer de façon autoritaire des

exigences »923. Que reste-t-il de cette définition si des entreprises venaient à imposer à d’autres

entreprises qu’elles s’engagent dans des démarches de RSE ?

Il convient de rappeler qu’en raison de l’évolution du « milieu économique et social

dans lequel la théorie du contrat et de la liberté de convention a pris naissance »924, la conception

même du contrat a connu un réajustement. On est passé de la volonté au consentement925 : seul

compte le consentement des parties, ce qui explique, par ailleurs, que le contrat d’adhésion est

considéré comme un contrat à part entière926. Comme l’écrit un auteur, le contrat « signe sa

métamorphose vers un droit plus flexible […] faisant appel au consentement des destinataires

918 L. Ravillon, « La RSE dans les contrats du commerce international », RLDA, n° 84, 2013/84, n° 4692. 919 P. Deumier, « Les sources de l’éthique des affaires », in Mélanges en l’honneur de Philippe le Tourneau. Libre

droit, Dalloz, coll. « Études, mélanges, travaux », 2008, p. 350 et s. 920 L. Ravillon, « La RSE dans les contrats du commerce international », op. cit. 921 Ibid. 922 M. Salah, « Le pouvoir économique et le droit. Variation sur un thème très niçois », op. cit., spéc. p. 480-483. 923 V. Mercier, « Responsabilité sociétale des entreprises et droit des sociétés : entre contrainte et démarche

volontaire », Droit des sociétés, n° 4, 2011, étude 6. 924 E. Gounot, Le principe de l’autonomie de la volonté en droit privé. Contribution à l’étude de l’individualisme

juridique, op. cit. 925 M.-A. Frison-Roche, « Remarques sur la distinction de la volonté et du consentement en droit des contrats »,

RTD civ., 1995, p. 537. 926 J. Ghestin et I. M. Marchesseaux, « Les contrats d’adhésion et les clauses abusives en droit français et en droit

européen », in La protection de la partie faible dans les rapports contractuels. Comparaisons franco-belges, sous

la dir. de J. Ghestin et M. Fontaine, L.G.D.J., 1996, p. 1-72, spéc. p. 7.

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

214

de la norme »927. Désormais, la volonté « se retire en quelque sorte du champ contractuel n’y

introduisant ou n’y laissant que la manifestation d’un consentement »928.

Dans cette vision remodelée du contrat, la possibilité d’imposer sa volonté à autrui et

la domination d’une personne par une autre ne sont pas exclues. Un auteur observe que « ce

recentrage du contrat sur un consentement […] a permis de conserver, dans le giron du droit

des contrats, toutes les formules d’intégration économique mises en place par une entreprise

pour dominer et contrôler ses partenaires en situation d’infériorité économique »929. De plus,

avec l’apparition des « contrats de dépendance »930, définis comme les contrats dans lesquels

« la survie économique de l’une des parties peut dépendre de la poursuite des relations engagées

avec son partenaire »931, on officialise, en quelque sorte, l’absence d’antinomie entre contrat et

dépendance932. L’existence de quelques mécanismes correcteurs issus du droit civil (la bonne

foi, le vice de violence, l’abus de droit) ou du droit de la concurrence (l’abus de dépendance

économique, l’abus de position dominante), ne remet pas en cause l’existence du pouvoir

économique « à l’ombre du contrat ».

Dans ce contexte, on comprend bien que le contrat puisse être l’outil mobilisé par une

entreprise en position de force – une société mère ou une entreprise donneuse d’ordre – afin de

lutter contre le changement climatique. Concrètement, dans le cadre de leurs relations

contractuelles, une entreprise société mère pourrait imposer à ses filiales ou ses sous-traitants

des clauses en vertu desquelles ces derniers s’engagent à adopter un comportement favorable à

la réduction des émissions de gaz à effet de serre ou à recourir à des technologiques économes

en énergie. Naturellement, ces clauses ne seront efficaces que si elles détiennent une force

susceptible d’agir véritablement sur le comportement du partenaire commercial933. La manière

dont elles sont rédigées est donc un élément primordial. Comme le note un auteur, « outre que

la rédaction des clauses devra manifester au minimum du prescriptif et au minimum de

l’incitatif, les entreprises pourront prévoir dans le contrat d’approvisionnement des clauses de

contrôle et de prérequis »934. Il faut noter que ce phénomène s’observe de plus en plus souvent

927 M. Hautereau-Boutonnet, « Avant-propos. Des relations contrat-environnement au contrat environnemental »,

op. cit., p. XI. 928 F. Terré, « Le contrat à la fin du XXème siècle », Revue des sciences morales et politiques, 1995, p. 299 et s.,

spéc. p. 311. 929 M. Salah, « Le pouvoir économique et le droit. Variation sur un thème très niçois », op. cit., spéc. p. 482. 930 G. J. Virassamy, Les contrats de dépendance. Essai sur les activités professionnelles exercées dans une

dépendance économique, L.G.D.J., 1986. 931 Ibid. 932 M. Salah, « Le pouvoir économique et le droit. Variation sur un thème très niçois », op. cit. 933 M. Hautereau-Boutonnet, « Une illustration du droit global, la lex mercatoria climatique ? », Brazilian Journal

of International Law, vol. 14, n° 3, 2017, p. 37. 934 Ibid.

Chapitre I. Les démarches volontaires des entreprises en matière de lutte contre le changement climatique

215

dans les chaînes d’approvisionnement transnationales. Par la voie de clauses contractuelles, des

entreprises de pays développés incitent leurs fournisseurs, producteurs et sous-traitants situés

dans des pays en voie de développement, de modifier leur comportement en matière de droits

de l’homme, de santé et sécurité des personnes, d’environnement et de climat935. De même,

certains codes de conduite à destination des fournisseurs peuvent être regardés comme une série

de conditions générales applicables au contrat. Rien n’est moins sûr, mais admettons que les

codes de conduite ainsi contractualisés contiennent des engagements précis. Il est alors possible

d’en déduire de véritables obligations contractuelles. À titre d’illustration, pour ce qui concerne

le climat, le code de conduite « Fournisseurs » de Sanofi prévoit que : « Les fournisseurs

mesurent et déclarent leur empreinte carbone et leurs émissions de gaz à effet de serre et

s’engagent à les réduire volontairement ». De même, on peut lire, dans le code de conduite

« Fournisseurs » d’Orange, que : « Le Fournisseur doit minimiser ou éviter tous les rejets

dangereux dans l’air, la consommation d’énergie et les émissions de CO2. En particulier, le

Fournisseur doit développer des produits et des services à faible consommation d’énergie et

qui engendrent une réduction des émissions de CO2 tout au long du cycle de vie ». En théorie,

dans ces hypothèses, un manquement à l’obligation de mesure et de réduction des émissions de

gaz à effet de serre pourrait entraîner la mise en cause de la responsabilité contractuelle936.

230. Dans tous les cas, cette contractualisation de la RSE est bienvenue en

matière climatique en ce qu’elle permet une certaine « uniformisation planétaire »937 des

comportements.

En fin de compte, RSE, climat et contrat forment un fantastique « ménage à trois ».

Cette mise en lumière du phénomène contractuel dans le cadre de la RSE nous permet de

conclure sans hésiter que les entreprises contribuent à l’enrichissement des techniques de

protection du climat. La RSE est un levier pour la lutte contre le changement climatique. Mais

en retour, le changement climatique est une aubaine pour la RSE.

935 Voy. sur l’importance des clauses de développement durable dans les contrats d’approvisionnement

transnationaux : K. Peterkova Mitkidis, Sustainability Clauses in International Business Contracts, Eleven

International Publishing, 2015. 936 Voy. infra nos 374 et 375. 937 I. Desbarats, « Codes de conduite et chartes éthiques des entreprises privées. Regard sur une pratique en

expansion », JCP G, 2003, I, 112.

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

216

B. Le changement climatique, une aubaine pour la RSE

231. La densification normative en matière de climat produit des effets sur la

responsabilité sociale des entreprises (1). Mais cette évolution n’est pas négative pour les

entreprises. Au contraire, elle répond à une « dynamique de rupture qui est aussi un facteur de

renouveau et de compétitivité »938 (2).

1. Les effets de la densification normative en matière de climat sur la RSE

232. Le domaine du climat n’échappe pas au processus de densification normative939,

qui peut être défini comme un processus de croissance de la normativité. À travers ce processus,

les normes prennent forme et force, acquièrent juridicité, gagnent en extension. Mais ce qui le

caractérise surtout, c’est qu’il donne à voir la continuité derrière la diversité et la complexité

des différents phénomènes juridiques tels que l’instrumentalisation du droit et l’explosion de

ses sources. Ainsi, malgré le sentiment que le régime juridique du climat se construit de manière

lente et parfois chaotique, il existe, au fond, une certaine continuité ordonnée autour de

l’objectif de lutte contre le changement climatique. Lentement, certes, mais sûrement, des

normes juridiques de protection du climat pénètrent les différents ordres étatiques. Par cet effet

de consécration normative, ces normes permettent de concrétiser la lutte contre le changement

climatique. Par ailleurs, d’aucuns verraient sans doute, derrière cette idée de continuité, l’ombre

du principe de non-régression940, dans la mesure où, en théorie, les normes à venir ne devraient

pas reculer sur le combat climatique.

Nous savons que les acteurs économiques aiment être à l’avant-garde des différents

changements qui affectent l’environnement global dans lequel ils opèrent. Ainsi, parallèlement

à la montée en puissance des préoccupations liées au réchauffement climatique, les acteurs

économiques adoptent massivement des démarches d’anticipation des futures réglementations.

La multiplication des engagements volontaires ainsi engendrée941 est donc le résultat de

l’évolution pressentie du droit du climat. Rares sont les entreprises aujourd’hui qui tentent

938 F.-G. Trébulle, « Quelle entreprise face au changement climatique ? », op. cit. 939 Voy. sur la densification normative : C. Thibierge (dir.), et alii, La densification normative. Découverte d’un

processus, Mare & Martin, 2013. 940 Voy. M. Prieur et G. Sozzo, Le principe de non-régression en droit de l’environnement, Bruylant, 2012 ; M.

Prieur, « La constitutionnalisation du principe de non régression face à l’enjeu climatique », in « La Constitution

face aux changements climatiques » (Dossier), Énergie – Environnement – Infrastructures, n° 12, déc. 2018,

dossier 45. 941 Voy. supra nos 225 à 227.

Chapitre I. Les démarches volontaires des entreprises en matière de lutte contre le changement climatique

217

d’éluder la discussion sur le changement climatique. La majorité d’entre elles réinterrogent la

soutenabilité de leur modèle économique et affichent leur souci de diminuer leur impact sur le

changement climatique.

Bien qu’il soit vrai que les efforts se fassent par petites touches plutôt qu’à grands pas,

et malgré le peu de résultats, cette dynamique nouvelle qui se met en place est un bon indicateur

de progrès. Le terme « progrès » a sûrement de quoi en faire sourire plus d’un. Mais il convient

de rappeler que nous partons de très loin. Nous partons de l’idée que les entreprises sont

détenues par leurs actionnaires dont la seule préoccupation est la maximisation de la valeur de

leur portefeuille d’action, c’est-à-dire la maximisation du profit. Il a déjà été prouvé que cette

hypothèse ultralibérale ne tient pas puisqu’elle n’offre aucune garantie concernant le bien-être

du reste de la société. Or, encore une fois, les entreprises n’opèrent pas dans le néant, si bien

que les calculs sont mauvais dès lors qu’ils ne tiennent pas compte des externalités négatives

générées par les activités économiques. L’application du principe pollueur-payeur942 et les

règles de responsabilité que l’on étudiera plus loin, obligent les entreprises à internaliser ces

externalités dans leurs décisions. Hélas, ces mécanismes ne suffisent pas, ce qui explique la

pertinence de la question de l’engagement volontaire.

233. Dans le contexte décrit ci-dessus, la RSE est une réponse face à l’exigence

grandissante d’engagement des entreprises sur les grands enjeux de notre temps, et notamment

sur la question climatique. Il y a donc incontestablement un mouvement convergent entre la

RSE et l’évolution du régime juridique du climat. Et si nous pressentons déjà l’existence

d’importants enjeux concurrentiels des démarches de RSE en matière de climat, encore faut-il

identifier ces enjeux.

2. Les enjeux concurrentiels des démarches de RSE en matière de climat

234. La RSE est devenue aujourd’hui un objet de concurrence à part entière,

identifié comme tel par l’ensemble des acteurs. En effet, il semble désormais acquis que les

stratégies de RSE peuvent procurer un avantage compétitif non négligeable aux opérateurs

économiques. Or l’avantage compétitif ou concurrentiel est ce qui permet à une entreprise

d’accroître sa part de marché, en surpassant ses concurrents. La quête de cet avantage compétitif

942 Voy. supra n° 128 et infra nos 505 et 506.

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

218

se trouve, d’ailleurs, à l’origine des initiatives en matière de RSE. Les considérations éthiques

– lorsqu’elles sont là – ne viennent en réalité qu’au second plan.

Dans sa communication sur la RSE, la Commission européenne met en lumière

l’existence sur le marché d’une demande de normes sociales que les entreprises ont tout intérêt

à ne pas ignorer : « Les considérations liées à l’image et à la réputation jouent un rôle croissant

dans l’environnement concurrentiel des entreprises, alors que les consommateurs comme les

ONG attendent plus d’informations sur les conditions de production des biens et services, ainsi

que sur leurs retombées sur le développement durable, et tendent à récompenser, dans leur

comportement, les entreprises adoptant une attitude sociale et environnementale

responsable »943. Cette approche incitative de la Commission européenne est désormais bien

connue. En effet, la Commission cherche à pousser les entreprises, quelle que soit leur taille, à

adopter une démarche de responsabilité sociale, tout en soulignant les avantages de celle-ci. Par

ailleurs, elle attire l’attention sur le besoin d’approfondir les « connaissances sur le lien entre la

RSE et les performances économiques »944. S’il est vrai que ce lien fait encore débat,

notamment auprès des petites et moyennes entreprises, il reste que les « arguments

économiques en faveur de la RSE »945 ne manquent certainement pas.

235. En premier lieu, l’image de marque d’une entreprise peut tout à fait

profiter d’une démarche de responsabilité sociale, afin d’être préservée ou bien restaurée.

Outil par excellence de la gestion du « risque réputationnel »946, la RSE peut ainsi devenir un

levier de performance auprès des consommateurs, procurant à l’entreprise un avantage

compétitif sur le plan de la notoriété et de la réputation947. Il faut savoir, en effet, que la gestion

du risque de réputation, qualifié parfois de « risque de second plan »948, est devenue désormais

943 Communication de la Commission du 2 juillet 2002, « Responsabilité sociale des entreprises : une contribution

des entreprises au développement durable », COM(2002) 347 final, p. 6. 944 Ibid., p. 8. 945 Ibid., p. 13. 946 O. Hassid, « Le risque de réputation : un risque de premier rang pour les entreprises », Sécurité et stratégie,

vol. 6, n° 2, 2011, p. 1-2 ; M. Power, « Un nom, c’est quoi ? Le risque image et la transformation de la notion de

responsabilité sociale », Sécurité et stratégie, vol. 6, n° 2, 2011, p. 5-8. 947 Voy. sur cette question : Prophil, HEC Paris, Viavoice, Les entreprises à mission. Entreprises de demain ?,

Rapport d’étude, 2018. 948 M. Power, « Un nom, c’est quoi ? Le risque image et la transformation de la notion de responsabilité sociale »,

op. cit. Pour démontrer l’existence de ce « risque de second plan », l’auteur donne l’exemple suivant : « Imaginez

que les dirigeants d’une grande entreprise publique soient régulièrement verbalisés avec leur voiture de service

pour des infractions au stationnement et que ces derniers ne paient pas ces contraventions sur leurs deniers

personnels. Le risque de premier rang pour l’entreprise est ici celui de la perte financière qui sera sans doute très

mince vu le chiffre d’affaires de la société. Le contrôle interne financier estimera sans doute en conséquence que

ces pertes sont tellement insignifiantes, immatérielles presque, qu’il n’est pas utile de les faire apparaître dans le

rapport annuel : on les noiera donc dans les charges globales. Cependant, que penserait le public du comportement

de ces dirigeants s’il venait à l’apprendre ? Comment les médias rapporteraient-ils les faits ? On peut certes se

Chapitre I. Les démarches volontaires des entreprises en matière de lutte contre le changement climatique

219

« une dimension incontournable et sensible de la gestion des risques juridiques »949. Le risque

de réputation s’apprécie au regard de l’écart entre l’image que se donne une entreprise et

l’image qu’en perçoivent ses parties prenantes. En toute logique, « tout écart constaté entre le

discours de l’entreprise et les pratiques observées »950 peut faire l’objet d’une dénonciation. Or

la défense de l’image est un sujet de préoccupation réelle pour les dirigeants d’entreprise, du

fait de l’augmentation du pouvoir des groupes de pression et des médias constatée ces dernières

années. Comme l’écrit un auteur, « la survenue du risque à l’image représente au fond une

transition du pouvoir qui part des grandes organisations comme les multinationales pour aller

vers les consommateurs, réputés imprévisibles, de plus en plus capables d’inverser la charge de

la preuve sur la qualité et la sécurité des produits en amplifiant leurs exigences par tous les

moyens de communication moderne »951. Il ne faut en aucun cas sous-estimer la pression que

peut exercer l’opinion publique, surtout depuis qu’elle dispose de l’arme de la communication

instantanée qu’est l’internet. Aujourd’hui, en quelques secondes seulement, l’information peut

atteindre le globe entier. Elle peut ainsi provoquer des dégâts importants, parfois irréversibles,

compromettant la légitimité même d’une entreprise. C’est donc la prise de conscience de cette

fragilité qui pousse les entreprises à organiser la gestion du risque réputationnel, et non

l’existence d’une nouvelle éthique qui serait faite de dialogue et de communication avec les

parties prenantes. Celles-ci sont perçues par l’entreprise comme un risque supplémentaire qu’il

est nécessaire de maîtriser.

De manière générale, les entreprises reconnaissent l’intérêt rationnel de la gestion des

risques. C’est pourquoi la RSE est intégrée à leur stratégie économique. C’est pourquoi aussi,

et à plus forte raison, la promotion de l’image devient de plus en plus un facteur concurrentiel.

Pour garantir sa survie économique, une entreprise doit « en permanence affirmer sa différence

et ses valeurs dans un marché de plus en plus concurrentiel »952.

Avec la montée en puissance des préoccupations liées au réchauffement climatique,

les entreprises se font de plus en plus souvent pointer du doigt, au même titre que les États.

L’opinion publique gronde. Elle estime assez majoritairement que les entreprises font (trop)

peu pour lutter contre le changement climatique, alors même qu’elles en sont en grande partie

demander quels types de signaux cela enverrait au public quant à la confiance accordée aux dirigeants de

l’entreprise ... C’est là que réside le risque « second », ou risque réputationnel (acceptons le néologisme) pour

l’entreprise. La réputation ou l’image a en fait inversé la matérialité des choses : des événements quasi immatériels

peuvent aujourd’hui avoir des conséquences énormes pour une société ». 949 Ibid., spéc. p. 8. 950 S. Allaire et H. Phaure, « Le risque de réputation », JCP E, n° 41, 2012, 604. 951 M. Power, « Un nom, c’est quoi ? Le risque image et la transformation de la notion de responsabilité sociale »,

op. cit. 952 S. Allaire et H. Phaure, « Le risque de réputation », op. cit.

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

220

responsables et qu’elles disposent des moyens nécessaires pour mener cette lutte. Au lieu de

renvoyer la balle à cette même opinion publique qui a, elle aussi, son rôle à jouer, ou aux États,

les entreprises préfèrent assumer publiquement leur part de responsabilité et se disent

concernées par l’ensemble de cette question. Nous nous rappelons qu’après l’annonce du retrait

américain de l’Accord de Paris en juin 2017, de nombreuses entreprises américaines ont tenu à

réaffirmer leurs engagements en matière d’environnement. La plupart des grands groupes –

IBM, Microsoft, General Electric, Ford, Apple, Nike, Coca-Cola…, voire même les pétroliers

Chevron ou ExxonMobil – ont fait part de leur consternation. Ils ont exprimé, par conséquent,

leur volonté d’honorer les ambitions décrétées dans la capitale française, indépendamment de

la position du président américain. Or cet engagement volontaire, bien évidemment salué par

le public, ne peut qu’être profitable aux entreprises, lesquelles savent, par ailleurs, que le

changement climatique a un impact direct sur leur modèle économique et sur leurs bénéfices à

moyen et long terme.

236. En deuxième lieu, la RSE peut procurer à une entreprise un avantage

concurrentiel certain en ce qu’elle peut contribuer à lui faciliter l’accès à des marchés953.

Les nouveaux textes sur les marchés publics954 prévoient désormais que, pour attribuer le

marché au soumissionnaire qui a présenté l’offre économiquement la plus avantageuse955,

l’acheteur se fonde soit sur un critère unique qui peut être le prix956 ou le coût957, soit sur une

pluralité de critères non-discriminatoires et liés à l’objet du marché ou à ses conditions

d’exécution, parmi lesquels figure le critère du prix ou du coût et un ou plusieurs autres critères

comprenant des aspects qualitatifs, environnementaux ou sociaux.

Progressivement, le développement durable a trouvé sa place dans le droit de la

commande publique auquel il est désormais intégré. Les réformes successives de la commande

publique ont, en effet, confirmé la généralisation d’une politique d’achat durable. Aux termes

du deuxième Plan national d’action pour les achats publics durables (ci-après « PNAAPD »),

établi par le Ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie pour la période

2015-2020, un achat public durable est un « achat public intégrant des dispositions en faveur

de la protection ou de la mise en valeur de l’environnement, du progrès social, et favorisant le

953 Voy. supra n° 109 et s. 954 Voy. art. R. 2152-7 du code de la commande publique. 955 Voy. F.-X. Bréchot, « À la recherche de l’offre économiquement la plus avantageuse », AJDA, 2019, p. 1503. 956 À condition que le marché ait pour seul objet l’achat de services ou de fournitures standardisés dont la qualité

est insusceptible de variation d’un opérateur économique à l’autre. 957 Déterminé selon une approche globale qui peut être fondée sur le coût du cycle de vie. Sur la notion de « coût

du cycle de vie », voy. supra n° 109.

Chapitre I. Les démarches volontaires des entreprises en matière de lutte contre le changement climatique

221

développement économique »958. On retrouve, dans cette définition, les trois piliers –

économique, social et environnemental – du développement durable.

Aujourd’hui, les règles de la commande publique font écho aux préoccupations

sociales et environnementales. Pour autant, la RSE ne peut pas, en tant que telle, constituer un

critère d’attribution d’un marché public. Les juges rappellent d’ailleurs systématiquement que

les critères comprenant des aspects sociaux et environnementaux doivent être liés à l’objet du

marché ou à ses conditions d’exécution959. Ils veillent particulièrement à l’usage que font les

pouvoirs adjudicateurs de leur liberté de déterminer l’offre économiquement la plus

avantageuse960. Ainsi, dans un arrêt du 25 mai 2018, le Conseil d’État a jugé qu’un critère

d’attribution d’un marché relatif à la politique sociale de l’entreprise est irrégulier961. En

l’espèce, Nantes Métropole avait engagé une procédure de passation d’un accord-cadre portant

sur la réalisation de travaux d’impression. Pour sélectionner les offres, elle avait retenu un

critère relatif à la performance en matière de RSE, pondéré à 15 % et décomposé en cinq sous-

critères relatifs à la « protection de l’environnement », aux « aspects sociaux », aux « aspects

958 PNAAPD 2015-2020, p. 5. Voy. F. Linditch, « Deuxième plan national d’action pour les achats publics

durables », Contrats et Marchés publics, n° 6, juin 2014, alerte 26 ; G. Cantillon, « L’achat public durable, un outil

au service de l’État régulateur », Revue française d’administration publique, vol. 134, n° 2, 2010, p. 335-350. 959 Notons, par ailleurs, qu’avant d’être consacrés législativement, ces critères sociaux et environnementaux ont

été validés par la jurisprudence. En matière sociale, la Cour de justice a tout d’abord consacré la légalité d’une

condition d’exécution, puis d’un critère d’attribution. À titre de précision, la condition d’exécution est une

prescription que l’offre proposée par le soumissionnaire doit respecter, tandis que le critère d’attribution permet à

l’acheteur public de juger de l’offre. Ainsi, en premier lieu, la Cour de justice a admis la légalité d’une condition

d’exécution à caractère social dans l’arrêt Beentjes (CJCE, 20 septembre 1988, Gebroeders Beentjes BV c/ État

des Pays-Bas, aff. 31/87), en posant le principe selon lequel « les pouvoirs adjudicateurs sont autorisés à introduire,

au titre des conditions d’exécution de leurs marchés publics, des considérations d’ordre social, à condition que les

exigences qui en découlent à l’égard des soumissionnaires n’aient pas d’effet discriminatoire entre les entreprises

susceptibles de soumissionner et sous réserve que, comme pour l’ensemble des marchés publics, ces conditions

soient introduites dans le marché conformément aux règles relatives à la passation des marchés publics ». La Cour

a précisé plus loin que « parmi les critères de sélection des entreprises peut être prévue la capacité d’utiliser un

certain quota de demandeurs d’emploi de longue durée en vue de la réalisation du marché, sous réserve qu’elle

n’ait pas d’incidence discriminatoire à l’égard des soumissionnaires provenant d’autres États ». En second lieu,

dans l’arrêt Commission c/ France (CJCE, 26 septembre 2000, Commission c/ France, aff. C-225/98), la Cour de

justice a étendu cette légalité à un critère d’attribution à caractère social. Par la suite, la jurisprudence a transposé

au domaine environnemental les solutions adoptées en matière sociale. L’arrêt Concordia (CJCE, 17 septembre

2002, Concordia Bus Finland, aff. C-513/99) pose ainsi de manière expresse la légalité de l’utilisation de critères

d’attribution à dimension environnementale. De manière assez originale, la Cour fonde l’admission de ces critères

sur le principe d’intégration : « eu égard également au libellé de l’article 130 R, paragraphe 2, premier alinéa,

troisième phrase, du traité CE, qui a été transféré par le traité d’Amsterdam, dans une forme légèrement modifiée,

à l’article 6 CE, et qui prévoit que les exigences de la protection de l’environnement doivent être intégrées dans la

définition et la mise en œuvre des politiques et des actions de la Communauté, il convient de conclure que l’article

36, paragraphe 1, sous a), de la directive 92/50 n’exclut pas la possibilité pour le pouvoir adjudicateur d’utiliser

des critères relatifs à la préservation de l’environnement dans le cadre de l’appréciation de l’offre économiquement

la plus avantageuse ». 960 Voy. P. Villeneuve, « Du bon usage des critères environnementaux dans un marché public », note sous

l’ordonnance rendue par le Tribunal administratif de Rennes le 9 février 2018, AJCT, 2018, p. 392. 961 CE, 25 mai 2018, Nantes Métropole c/ Sté Imprimerie Chiffoleau, n° 417580, Rec. Leb. ; AJDA, 2018, p. 1063,

note E. Maupin ; S. Woog, E. Bilici et M.-H. Pineau, « Limites à la liberté de l’acheteur public dans la fixation

des critères de sélection des offres », Gaz. Pal., 11 septembre 2018, p. 75.

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

222

sociétaux », à la « performance économique durable » ainsi qu’aux « aspects gouvernance »

des entreprises candidates. Une société évincée du marché a contesté la validité de ce critère

devant le juge des référés du tribunal administratif de Nantes. Par une ordonnance, le juge a

annulé l’appel d’offres au motif qu’en sélectionnant les offres au regard d’un critère relatif à la

politique générale de l’entreprise, le pouvoir adjudicateur a méconnu les dispositions de l’article

38 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 et ses obligations de mise en concurrence. Par la suite, le

Conseil d’État a confirmé l’annulation de la procédure de passation de cet accord-cadre, en

jugeant que le critère de sélection relatif à la performance en matière de responsabilité sociale,

pondéré à hauteur de 15 %, porte « sur l’ensemble de[s] activité[s] [des entreprises candidates]

et a pour objectif d’évaluer leur politique générale en matière sociale ». Dès lors, ce critère est

étranger à l’objet du marché et à ses conditions d’exécution. De plus, les juges du Conseil d’État

relèvent que l’acheteur imposait ce critère indistinctement à l’ensemble de ses marchés, et

donc « indépendamment de l’objet ou des conditions d’exécution propres au marché en cause ».

Pour résumer, si l’acheteur peut, pour sélectionner l’offre économiquement la plus avantageuse,

mettre en œuvre des critères comprenant des aspects sociaux et environnementaux, ce n’est

qu’à la condition qu’ils soient non-discriminatoires et liés à l’objet du marché ou à ses

conditions d’exécution.

Cette précision étant faite, il faut tout de même signaler que l’accroissement de la prise

en compte du développement durable dans les achats publics oblige de plus en plus les

entreprises soumissionnaires à proposer des offres qui intègrent des critères sociaux et

environnementaux. Un auteur observe, à juste titre, que « les marchés ne récompensent peut-

être pas systématiquement les comportements responsables, mais ils tolèrent de moins en moins

des comportements irresponsables »962. Ceci est vrai aussi en matière de marchés publics,

puisqu’on assiste, depuis plusieurs années déjà, à une généralisation du recours à des critères

sociaux et environnementaux.

S’agissant plus particulièrement de la matière climatique, aujourd’hui, les acheteurs

publics disposent d’une assise juridique solide pour intégrer les préoccupations climatiques

dans leurs choix. Dès lors qu’ils respectent les principes fondamentaux de la commande

publique963, ils peuvent fixer eux-mêmes le niveau d’exigence « climatique » qu’ils souhaitent

voir réaliser au travers de leurs marchés. Compte tenu de l’importance que représente la

commande publique dans l’économie nationale, les pouvoirs publics incitent les acheteurs à

962 J.-P. Mingasson, « La responsabilité sociale des entreprises. Concept et place dans l’agenda politique

européen », LPA, 2004, n° 41, p. 7. 963 Liberté d’accès à la commande publique ; égalité de traitement des candidats ; transparence des procédures.

Chapitre I. Les démarches volontaires des entreprises en matière de lutte contre le changement climatique

223

contribuer activement à l’émergence d’une nouvelle économie décarbonée. En 2016, l’Agence

de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ci-après « ADEME ») a publié un guide à

destination des acheteurs publics afin d’« apporter un ensemble d’informations technico-

juridiques et des propositions opérationnelles pour la mise en œuvre et le déploiement d’une

démarche d’achat intégrant des considérations relatives au changement climatique »964.

Assurément, les entreprises sont concernées par l’ensemble de ces mutations qui

offrent aux marchés un nouveau visage. Il en ressort, en effet, que l’entreprise performante en

matière de RSE peut à terme se retrouver avantagée puisqu’elle a des chances renforcées de

remporter des marchés.

237. Enfin, en troisième lieu, la prise en considération de la RSE joue un rôle

grandissant dans les choix des investisseurs. En 2002, la Commission européenne attirait déjà

l’attention sur le fait que « les intervenants financiers, afin d’être en mesure d’identifier les

facteurs intrinsèques de risque et de succès d’une entreprise, ainsi que sa capacité de réponse à

l’opinion publique, demandent que leur soient fournies des informations allant au-delà des

traditionnels rapports financiers »965. Il faut savoir que les interférences de la responsabilité

sociale des entreprises et du droit financier ou droit boursier sont multiples. Un auteur écrit que

« lorsque l’on tente de réfléchir à ces relations entre responsabilité sociale de l’entreprise et

droit de la bourse, l’on peut de tout premier abord constater que la responsabilité sociale de

l’entreprise est l’objet direct de l’information financière, matière substantielle du droit

financier. Mais l’on constate également que le champ financier peut devenir l’un des terrains

d’action de la responsabilité sociale de l’entreprise, à travers l’investissement socialement

responsable, l’investissement éthique »966.

237-1 Investissement socialement responsable (ISR). L’investissement socialement

responsable, qualifié de « finance alternative », vise à ajouter le respect des critères

environnementaux, sociaux et de gouvernance (critères ESG) aux critères purement financiers.

Rompant avec les habitudes d’investissement traditionnelles, l’investisseur alternatif « se

soucie de l’éthique des affaires, de l’intérêt général, de l’économie réelle, de l’entreprise elle-

964 Voy. ADEME, Guide de l’Achat Public. L’achat public : une réponse aux enjeux climatiques, octobre 2016. 965 Communication de la Commission du 2 juillet 2002, « Responsabilité sociale des entreprises : une contribution

des entreprises au développement durable », COM(2002) 347 final, p. 6. 966 É. Dezeuze, « Responsabilité sociale de l’entreprise et le droit de l’information financière », in Responsabilité

sociale des entreprises. Regards croisés Droit et Gestion, Economica, coll. « Études juridiques », 2011, p. 283-

292, spéc. p. 283.

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

224

même et de son avenir »967. Le profit spéculatif à court terme n’est plus son objectif prioritaire.

Il « n’a pas pour finalité exclusive d’obtenir un retour sur investissement, mais aussi de

défendre des valeurs non marchandes »968.

Dans le contexte du changement climatique, l’ISR connaît un essor important. Pour

les acteurs du financement, qu’ils soient publics ou privés, le changement climatique crée des

risques, mais aussi des opportunités969. Aujourd’hui, le risque climatique est placé au cœur des

arbitrages des investisseurs. Ces derniers sont particulièrement vigilants sur l’exposition de

leurs investissements aux risques climatiques ainsi que sur leur engagement auprès des

entreprises. Si la prise en charge du changement climatique nécessite que l’investissement soit

« responsable », parfois, elle appelle aussi au désinvestissement970.

En effet, pour que la transition énergétique réussisse, il faut « rediriger les trillions de

dollars » (« shift the trillions ») 971 d’investissements et de financements vers les secteurs de la

transition énergétique et écologique. Cette question est plus que jamais d’actualité. Les flux de

financements vers des projets très émetteurs de gaz à effet de serre sont encore massifs, mais

un nombre croissant d’investisseurs (banques et assureurs dans le cadre de leur activité de

gestionnaires d’actifs972) prennent aujourd’hui des engagements de désinvestissement des

énergies fossiles. Cela étant dit, pour l’heure, les annonces de désengagement ne permettent

toujours pas d’atteindre les objectifs fixés par l’Accord de Paris. À titre d’exemple, Axa, qui

est pourtant pionnier en matière de désinvestissement, a évalué la température de ses

portefeuilles d’investissement à 3,1 °C en novembre 2019. Le chemin à parcourir est encore

967 I. Parachkévova, « Le financement alternatif par l’utilisation des fonds », in Droit de la finance alternative,

sous la dir. de J.-M. Moulin, Bruylant, 2017, p. 107. 968 Ibid., p. 121. 969 M. Teller, « Quel financement pour le changement climatique ? », in « Quel droit face au changement

climatique ? » (Dossier), D., 2015, p. 2275. 970 C. García Paret et S. Lorenzo, « Adapter les marchés financiers aux changements climatiques », Revue

d’économie financière, vol. 117, n° 1, 2015, p. 107-126 : « Les institutions de financement climatique cohabitaient

jusqu’ici avec les investissements dans des secteurs à forte intensité de carbone. Étant donné que les changements

environnementaux et climatiques sont au cœur des préoccupations, la dynamique de désinvestissement vise à

ouvrir le débat autour de stratégies d’investissement permettant une action plus cohérente des banques

multilatérales et nationales de développement […] Au-delà de l’agenda positif sur l’investissement vert, le GIEC

calcule qu’il est nécessaire de désinvestir des combustibles fossiles à hauteur d’environ 560 Md$ par an entre 2010

et 2029 (scénario 2 °C). Le “désinvestissement des combustibles fossiles” est un concept qui peut refléter diverses

considérations sociétales. Enjeux environnementaux, positions morales et éthiques, préoccupations économiques

relatives au délaissement des actifs et diversification du portefeuille peuvent justifier le désinvestissement.

Récemment, l’AIE a alerté les investisseurs : “Près de 300 milliards d’actifs liés aux combustibles fossiles

pourraient devenir des actifs délaissés avec le renforcement des politiques climatiques d’ici à 2035” (WWF France,

2014) ». Voy. également : F. Lajarthe et E. Zaccai, « Le mouvement de désinvestissement des énergies fossiles :

une nouvelle phase de mobilisation pour le climat ? », Débats et Perspectives, 13 mars 2017, en ligne :

http://journals.openedition.org/vertigo/18265. 971 Du nom de la Conférence Climate Finance Day: How to shift the trillions?, Paris, 22 mai 2015. 972 Voy. ACPR, Les assureurs français face au risque de changement climatique, Analyses et synthèses n°102,

2019.

Chapitre I. Les démarches volontaires des entreprises en matière de lutte contre le changement climatique

225

long mais les nouvelles réglementations à l’échelle européenne et nationale ne manqueront pas

d’accélérer ce mouvement.

237-2 Article 173, IV de la loi sur la transition énergétique. En France, ces

dynamiques sont renforcées depuis l’adoption de l’article 173, IV de la loi sur la transition

énergétique de 2015973. Il est désormais demandé aux investisseurs institutionnels (mutuelles,

sociétés de gestion, institutions de prévoyance, compagnies d’assurance) de mesurer les

émissions de gaz à effet de serre induites par leurs financements et de préciser de quelle manière

ils prennent en compte le dérèglement climatique. Sous l’impulsion du régulateur français, les

acteurs du financement deviennent ainsi des acteurs de la lutte contre le changement climatique.

Par effet domino, ce sont les entreprises qui sont incitées à prendre des mesures concrètes pour

réduire leur empreinte carbone, en mettant en œuvre des stratégies adaptées dans toutes les

composantes de leur activité.

Il est vrai qu’en pratique, l’intégration du triptyque climat-finance-croissance974 dans

nos modèles économiques n’est pas encore résolue. Les raisons peuvent être recherchées un

peu partout : dans le manque, malgré tout, de méthodes fiables et harmonisées d’évaluation du

risque climatique, dans l’imperfection de l’intégration du risque climatique par les entreprises,

dans l’incompréhension des enjeux de long terme du risque climatique… Le secteur financier,

qui détient les clés de la responsabilisation des entreprises face au changement climatique, doit

encore progresser dans la perspective d’une meilleure mobilisation de ces dernières dans la lutte

pour le climat. Le rôle des organismes d’investissement et de financement dans l’incitation des

entreprises pour parer au risque climatique est, en effet, primordial. Ils se doivent d’utiliser leur

puissance financière pour orienter le débat sur le financement de l’action climatique975. Cela

dit, le risque climatique est désormais corrélé aux risques financiers et définitivement inclus

dans les rouages de l’industrie financière. En témoigne l’apparition de nouveaux produits

d’investissement, telles que les obligations vertes ou green bonds, qui connaissent un essor

important. Les dynamiques sont en place. Les entreprises doivent s’adapter, faute de quoi elles

perdraient des opportunités d’investissement et de croissance.

973 Loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, JO, 18 août 2015. 974 Voy. sur cette question : É. Espagne, « Climat, finance et croissance : l’introuvable tango à trois des modèles

économie-climat ? », Revue d’économie financière, vol. 127, n° 3, 2017, p. 237-252. 975 J. Sarra, « Assumer notre responsabilité financière en matière de changement climatique », in Prendre la

responsabilité au sérieux, sous la dir. de A. Supiot et M. Delmas-Marty, PUF, 2015, p. 223-248, spéc. p. 243.

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

226

237-3 Green bonds. Les green bonds976, littéralement « obligations vertes », sont des

emprunts obligataires (non bancaires) émis sur les marchés financiers, par une entreprise ou

une entité publique (collectivité, agence internationale) pour financer des projets contribuant à

la transition énergétique et écologique. La différence par rapport aux obligations classiques

tient dans les engagements pris par l’émetteur, d’une part, sur l’usage précis des fonds récoltés,

qui doit porter sur des projets ayant un impact favorable sur l’environnement, et, d’autre part,

sur la publication annuelle d’un rapport rendant compte aux investisseurs de la vie de ces

projets. Aujourd’hui, le marché des green bonds ne bénéficie pas d’un encadrement normatif.

Le système mis en place est un système d’autorégulation.

L’émetteur d’une obligation verte fournit une description détaillée du projet. Afin de

justifier le caractère « vert » de son projet, il peut se référer à l’ensemble des grands principes

établis en 2014 par l’ICMA (International Capital Market Association). Il s’agit des Green

Bond Principles (GBP). Ces principes, régulièrement mis à jour, ne constituent ni un label ni

une taxonomie. Ils distinguent quatre types d’obligations vertes et prennent la forme de

recommandations portant sur l’utilisation des fonds, l’évaluation et la sélection des projets, la

gestion du produit et le reporting. Le cas échéant, l’émetteur peut faire une demande de

validation du caractère « vert » de son émission auprès d’un organisme tiers parmi différents

acteurs : organisations internationales, comme la Climate Bonds Initiative (CBI), autorités

publiques, agences de notation. Le Climate Bonds Standard and Certification Scheme de la CBI

contient une taxonomie qui se fonde sur une grille évolutive et sectorielle identifiant les actifs

et projets éligibles. La taxonomie de la CBI est, d’ailleurs, une référence mondiale pour la

plupart des émetteurs d’obligations vertes et investisseurs. En France, le label « Transition

énergétique et écologique pour le climat » (TEEC), créé par le décret n° 2015-1615 du 10

décembre 2015977, labellise des fonds qui investissent dans la transition énergétique et

écologique.

Dans le cadre des green bonds, l’émetteur s’engage donc à ce que les capitaux levés

soient employés pour un projet précis, identifié, ayant un caractère écologique, en l’occurrence

poursuivant un objectif d’adaptation au changement climatique ou de lutte contre le

976 Voy. sur les green bonds : Ph. Thomas, « Nature juridique des green bonds », Revue de droit bancaire et

financier, novembre-décembre 2015, étude 22 ; E. Le Galloc’h, « La finance se met au vert : les green bonds

séduisent et se précisent », LPA, 2016, n° 150, p. 7 ; V. Mercier, « La crédibilité des green bonds nécessite un

encadrement normatif du marché », Bull. Joly Bourse, 2017, n° 1, p. 39. 977 Décret n° 2015-1615 du 10 décembre 2015 relatif au label « Transition énergétique et écologique pour le

climat », JO, 11 décembre 2015.

Chapitre I. Les démarches volontaires des entreprises en matière de lutte contre le changement climatique

227

changement climatique. Se pose, dès lors, la question de savoir quels sont les risques juridiques

encourus par les émetteurs.

Le contrat d’émission d’obligations est un contrat synallagmatique. Il s’agit, pour le

souscripteur, de verser les sommes exigibles et constitutives des obligations et, pour l’émetteur,

d’émettre les obligations et de procéder au remboursement du principal et au versement d’un

intérêt. Le contrat en prévoit les conditions. La validité de ce contrat est soumise à la réunion

des conditions posées par l’article 1128 du code civil impliquant le consentement des parties,

leur capacité à contracter ainsi qu’un contenu licite et certain. En principe, si le contrat

d’émission précise expressément l’affectation des fonds et que celle-ci n’est pas respectée,

l’investisseur pourra remettre en cause la validité du contrat pour erreur sur les qualités

substantielles voire pour dol, dans la mesure où sans ce caractère « vert », il n’aurait pas investi.

Reste qu’en pratique, les promesses faites aux investisseurs figurent rarement dans le contrat

d’émission. On pourrait alors éventuellement envisager la qualification d’engagement

unilatéral de volonté ou celle de quasi-contrat978. En matière pénale, l’émetteur d’obligations

qui ferait du greenwashing pourrait engager sa responsabilité sur le fondement des pratiques

commerciales trompeuses979, voire de l’abus de confiance980 ou de l’escroquerie981. Cependant,

dans le cadre de ces infractions, il est nécessaire de prouver la mauvaise foi dans la réalisation

de l’opération (intention, manœuvres frauduleuses), preuve qui serait particulièrement délicate

à rapporter par les investisseurs.

Face à ces insuffisances, certains auteurs plaident en faveur de l’instauration d’un

cadre normatif qui permettrait « d’assurer la fiabilité, la crédibilité et la confiance nécessaires

au développement du marché émergent de ces instruments financiers innovants »982. Mais à

l’inverse, d’autres auteurs se montrent sceptiques à l’égard d’une « réglementation trop stricte

[qui] pourrait nuire à l’émission d’obligations vertes »983.

En juin 2020, la Commission européenne a lancé la consultation sur la norme qui

donne les lignes à suivre en matière d’obligations vertes. La proposition de la Commission

s’appuie sur les travaux du groupe d’experts techniques sur la finance durable (TEG) de la

Commission publiés en mars 2020. L’objectif de la norme est de déterminer quelles activités

978 Sur ces fondements, voy. infra n° 257. 979 C. consom., art. 121-2. 980 C. pén., art. 314-1. 981 C. pén., art. 313-1. 982 V. Mercier, « La crédibilité des green bonds nécessite un encadrement normatif du marché », op. cit. 983 E. Le Galloc’h, « La finance se met au vert : les green bonds séduisent et se précisent », op. cit. : « À notre

sens, il nous semble plus judicieux de laisser une certaine souplesse sur ces questions et de procéder à la nomination

d’experts, qui seront plus à même de prendre en compte les différents facteurs des projets et de la “labélisation”

verte de l’émission et du projet ».

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

228

respectueuses du climat et de l’environnement devraient pouvoir bénéficier de financements au

travers d’obligations vertes, en lien avec l’élaboration de la taxonomie verte.

237-4 « Taxonomie verte ». À l’échelle européenne, il convient de signaler l’adoption

de la proposition de règlement sur l’établissement d’un cadre pour favoriser les investissements

durables984. Cette proposition de « taxonomie verte » définit des critères uniformes pour

déterminer si une activité économique est durable sur le plan environnemental. Pour être

considérées comme durables, les activités économiques doivent répondre à deux conditions :

démontrer qu’elles apportent un bénéfice substantiel à au moins un des six objectifs

environnementaux985, tout en évitant des effets négatifs sur les cinq autres. Il s’agit d’une

initiative innovante qui illustre le rôle pionnier de l’Union européenne en matière de finance

durable. L’idée est de donner une définition commune des activités économiques durables dans

le but d’accroître la transparence sur les marchés financiers et ainsi de lutter contre le

greenwashing. Une fois les critères techniques de classification des activités établis, la

taxonomie verte servira de base à l’évaluation du degré de durabilité d’un actif financier. La

négociatrice en chef de la commission de l’environnement, Sirpa Pietikäine, a déclaré : « La

taxonomie de l’investissement durable est probablement l’évolution la plus importante pour la

finance depuis la comptabilité. Cela changera la donne dans la lutte contre le changement

climatique ». La taxonomie des activités vertes a été adoptée par Parlement européen le 18 juin

2020986. La Commission devra actualiser régulièrement les critères techniques de sélection pour

les activités transitoires et favorisantes. D’ici le 31 décembre 2021, elle devrait les revoir et

définir des critères permettant d’identifier les activités ayant un impact négatif important.

238. Les multiples enjeux concurrentiels des démarches de RSE en matière de climat

cristallisent les relations délicates entre le droit de la concurrence et le droit du climat. La

rencontre entre ces deux matières aux finalités si différentes est particulièrement intéressante.

La question qui se pose en filigrane, et qui sera traitée dans un second temps, est celle de

l’appréhension juridique de cette rencontre.

984 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur l’établissement d’un cadre pour favoriser les

investissements durables, 24 mai 2018, COM(2018) 353 final. 985 Atténuation du changement climatique, adaptation au changement climatique, utilisation durable et protection

des ressources hydrologiques et marines, transition vers une économie circulaire, prévention et contrôle de la

pollution, protection et restauration de la biodiversité et des écosystèmes. 986 https://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20200615IPR81229/finance-verte-le-pe-adopte-des-

criteres-pour-les-investissements-durables.

Chapitre I. Les démarches volontaires des entreprises en matière de lutte contre le changement climatique

229

239. En résumé, nous assistons actuellement au développement des démarches de

RSE en matière de climat. En pratique, la responsabilité sociale de l’entreprise se révèle être un

outil efficace d’intégration des considérations climatiques par les opérateurs économiques. Par

ailleurs, traduisant un engagement par définition volontaire, la RSE est respectueuse des libertés

économiques des entreprises. Elle leur permet de gérer de manière optimale les risques liés au

réchauffement climatique, tout en leur offrant de nouvelles perspectives en termes d’accès à

des marchés et investissements. Les enjeux concurrentiels des démarches de RSE sont sans

doute au fondement des engagements volontaires. Un auteur observe ainsi que, le plus souvent,

la RSE est « le résultat d’un calcul traditionnel de maximisation des profits. Dans un tel

contexte, l’utilisation d’un critère RSE ne constitue qu’un habillage d’honnête homme d’une

stratégie centrée sur l’intérêt privé »987. Ceci est sûrement vrai. Cependant, ne serait-il pas plus

prudent de s’abstenir de porter un tel jugement de valeur ? Le problème de la sincérité des

démarches de RSE n’est pas nouveau. Ce problème s’est toujours posé dans pratiquement les

mêmes termes. Néanmoins, le fait est que, dans le contexte de la mondialisation, l’économique

aura toujours sa place. D’où une question fondamentale : alors que la nécessité de l’engagement

volontaire en matière climatique est évidente et incontestée, comment peut-on garantir à la fois

l’effectivité et l’efficacité de cet engagement ? Pour répondre à cette interrogation, il convient

de s’intéresser à un autre aspect de la RSE : sa portée juridique.

Section 2. La portée juridique des démarches de RSE en matière de climat

240. L’ordre juridique n’est pas indifférent à l’apparition et au développement en

marge du droit étatique de la responsabilité sociale de l’entreprise. Très tôt, le droit s’est saisi

de cet objet d’étude provenant des sciences de gestion. La question s’est alors posée de savoir

à quelles conditions l’ordre juridique étatique rattrape celui de la RSE988. La RSE emprunte la

voie du droit souple989 pour se développer, si bien que sa valeur juridique est controversée (§1).

Il n’en demeure pas moins, cependant, qu’elle produit des effets de régulation (§2) qu’il

convient aujourd’hui d’analyser à la lumière de la problématique climatique.

987 Ch. Gollier, Le climat après la fin du mois, PUF, 2019, p. 342. 988 K. Martin-Chenut et R. De Quenaudon (dir.), La RSE saisie par le droit. Perspectives interne et internationale,

Pedone, 2016. 989 Voy. infra n° 243.

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

230

§1. La valeur juridique controversée des engagements de RSE

241. Le problème des implications de la RSE au plan juridique se pose avec acuité

dans le contexte du changement climatique. La RSE est considérée comme un outil entre les

mains des opérateurs économiques pour lutter contre le changement climatique. Dans un monde

globalisé, le recours à cet outil paraît presque inévitable en raison de l’absence de véritable

cadre juridique international. Les engagements de RSE sont donc bienvenus et les juristes

reconnaissent massivement l’intérêt de cette démarche. Pour emprunter la formule employée

par le Doyen Fromageau en ouverture du colloque Développement durable et entreprise, le

droit a déjà prouvé qu’il « s’accommode assez mal des dispositifs “brutaux” et a au contraire

besoin d’un consensus ou, à tout le moins, d’une adhésion, fût-elle minimale, pour produire ses

plus grands effets » 990. Pour cette raison, l’utilité et la place des approches volontaires ne sont

pas contestées. Ainsi, lorsque les juristes s’intéressent à la RSE, ils n’y voient pas un objet

déconnecté du droit : « pour être souple, la RSE n’en est pas moins une notion juridique »991.

Or, quelle est la valeur juridique de la RSE ? Pour apprécier celle-ci, une analyse s’impose du

support utilisé pour matérialiser l’engagement (A) et du contenu précis de cet engagement (B).

A. La question du support des engagements de RSE

242. Par définition, les engagements de RSE sont des engagements volontaires

contenus dans des instruments de droit souple (1). Or, il faut savoir que l’accroissement du

recours à des instruments de droit souple suscite parfois des réactions défavorables. D’aucuns

y voient un contournement des processus démocratiques et craignent la généralisation de

l’insécurité juridique. Ainsi, dans le contexte de la lutte contre le réchauffement climatique, les

interrogations subsistent quant à la place des instruments de droit souple (2)992.

990 J. Fromageau, « Ouverture », in Développement durable et entreprise, sous la dir. de L. Fonbaustier et V.

Magnier, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2013, p. 9-10, spéc. p. 10. 991 F.-G. Trébulle, « Propos introductifs. Quel droit pour la RSE ? », in Responsabilité sociale des entreprises.

Regards croisés Droit et Gestion, sous la dir. de F.-G. Trébulle et O. Uzan, Economica, coll. « Études juridiques »,

2011, p. 3-29, spéc. p. 10. 992 L’Accord de Paris sur le climat a été la preuve que ce débat est toujours actuel. Voy. M. Lemoine-Schonne,

« La flexibilité de l’Accord de Paris sur les changements climatiques », Revue juridique de l’environnement, vol.

41, n° 1, 2016, p. 37-55.

Chapitre I. Les démarches volontaires des entreprises en matière de lutte contre le changement climatique

231

1. L’utilisation d’instruments de droit souple

243. Qu’est-ce que le droit souple ?993 L’expression « droit souple », ou soft law,

est employée pour couvrir toute une panoplie d’instruments pour le moins divers : avis, guides,

chartes, codes de conduite, engagements d’honneur, lettres d’intention, communications,

déclarations, recommandations… Particulièrement hétérogène, le droit souple jaillit de toutes

parts. Élaboré par l’administration, les organisations internationales ou européennes, les

autorités administratives indépendantes, ou encore par différents acteurs privés, le droit souple

est sans aucun doute révélateur de profonds changements sociétaux. Cependant, il faut noter

que ce phénomène auquel nous nous intéressons encore aujourd’hui n’est point nouveau. En

1998, Gérard Farjat écrivait déjà : « On peut parler d’une véritable explosion des codes de

conduite en France depuis... une vingtaine d’années »994. En vérité, le phénomène du droit

souple accompagne depuis longtemps la fabrique d’une normalisation douce et évolutive.

Si l’on devait rechercher un indicateur commun aux divers instruments de droit souple,

ce serait sans doute leur origine délibérée et spontanée995 ou l’absence de contrainte juridique.

Par principe, un instrument de droit souple ne s’impose pas et n’est revêtu d’aucune valeur

contraignante.

Dans sa contribution à l’étude annuelle du Conseil d’État consacrée au droit souple,

Pascale Deumier qualifie ce dernier de « processus informel et protéiforme [qui] se laisse

difficilement enfermer dans une définition dure »996. Quant au Conseil d’État, plutôt que d’en

993 Voy. parmi une littérature abondante : C. Thibierge, « Le droit souple. Réflexion sur les textures du droit »,

RTD civ., 2003, p. 599 ; C. Thibierge (dir.), et alii, La force normative. Naissance d’un concept, L.G.D.J., 2009 ;

Le droit souple, Association Henri Capitant, Journées nationales Tome XIII / Boulogne-sur-Mer, Dalloz, coll.

« Thèmes et commentaires », 2009 ; J.-M. Jacquet, « L’émergence du droit souple (ou le droit “réel” dépassé par

son double) », in Études à la mémoire du Professeur Bruno Oppetit, Litec, 2009, p. 331-348 ; Conseil d’État, Le

droit souple, Étude annuelle 2013, n° 64, La Documentation française, 2013 ; P. Deumier, « Saisir le droit souple

par sa définition ou par ses effets », in Le droit souple, Conseil d’État, Étude annuelle 2013, n° 64, La

Documentation française, 2013, p. 247-255 ; P. Deumier et J.-M. Sorel (dir.), Regards croisés sur la soft law en

droit interne européen et international, L.G.D.J., coll. « Contextes », 2018 ; S. Cassella, V. Lasserre et B. Lecourt

(dir.), Le droit souple démasqué. Articulation des normes privées, publiques et internationales, Pedone, coll.

« Colloque », 2018. 994 G. Farjat, « Nouvelles réflexions sur les codes de conduite privée », in Les transformations de la régulation

juridique, sous la dir. de J. Clam et G. Martin, L.G.D.J., coll. « Droit et société », 1998, p. 151-164, spéc. p. 151 ;

voy. également : G. Farjat, « Réflexions sur les codes de conduite privée », in Le droit des relations économiques

internationales. Études offertes à Berthold Goldman, sous la dir. de P. Fouchard, Ph. Kahn et A. Lyon-Caen, Litec,

1982, p. 47-66. 995 P. Deumier, Le droit spontané, Economica, coll. « Recherches juridiques », 2002, n° 273 et s., spéc. n° 276. 996 P. Deumier, « Saisir le droit souple par sa définition ou par ses effets », op. cit., spéc. p. 249. D’ailleurs, pour

certains auteurs, l’effort de définition n’est nullement nécessaire s’agissant du droit souple : F. Tulkens, S. Van

Drooghenbroeck et F. Krenc, « Le soft law et la Cour européenne des droits de l’homme – Questions de légitimité

et de méthode », in Les sources du droit revisitées, Volume 1, Normes internationales et constitutionnelles, sous

la dir. de Y. Cartuyvels, H. Dumont, Ph. Gérard, I. Hachez, F. Ost et M. van de Kerchove, Anthemis, 2013, p. 381

et s., spéc. p. 385 : « Fort logiquement en effet, il est de l’essence d’un phénomène qui prétend se situer à la marge

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

232

proposer une définition, il s’efforce de « saisir » le droit souple à travers les effets que

produisent ses instruments. Positivement, les instruments de droit souple permettent de

« modifier ou d’orienter les comportements de leurs destinataires en suscitant, dans la mesure

du possible, leur adhésion »997. Négativement, ils « ne créent pas par eux-mêmes de droits ou

d’obligations pour leurs destinataires »998. Enfin, il faut également noter qu’« ils présentent, par

leur contenu et leur mode d’élaboration, un degré de formalisation et de structuration qui les

apparente aux règles de droit »999.

Par ailleurs, l’effet souvent attribué au droit souple est « l’effet réel, l’effectivité d’un

comportement ayant été atteinte sans passer par la menace de la contrainte, par des phénomènes

d’imitation, de suivisme, de recherche d’un intérêt économique, de confiance dans une

proposition savante, de crainte pour la réputation, d’insertion dans un groupe, d’image de

marque, de respect d’une autorité morale ou d’une expertise, de vigilance à l’égard d’une

surveillance assurée par les autres membres du groupe, les cabinets d’audit, les actionnaires,

les ONG, etc. »1000. Le droit souple permet donc de « passer d’un droit vécu comme un “frein”

à un droit qui devrait devenir “moteur”, accélérateur, propulseur, en trois mots fluidificateur

économique et social »1001. C’est en tout cas ce qui est espéré et attendu de ce droit d’une autre

nature qui vient en marge du droit dur.

244. Le droit souple irrigue tous les aspects de la vie des entreprises. Sa rencontre

avec la RSE est inévitable. Comme le note le Professeur Trébulle, « les [deux] notions ont la

même origine internationale et conduisent, l’une comme l’autre, à une interrogation sur les

limites du droit »1002. Dans sa version pure1003, la RSE utilise des instruments de droit

de limites préétablies, en occupant un espace-tiers réfractaire aux logiques binaires, de ne pas s’astreindre, quant

à lui, à aucune forme de frontières posées a priori ». Voy. également en ce sens : G. Abi-Saab, « Éloge du “droit

assourdi”. Quelques réflexions sur le rôle de la soft law en droit international contemporain », in Nouveaux

itinéraires en droit. Hommage à François Rigaux, Bruylant, 1993, p. 59-68, spéc. p. 62 : « Vouloir à tout prix

imposer des seuils et des frontières à des notions et des phénomènes juridiques continus comporte nécessairement

une bonne part d’artifice et d’arbitraire ». 997 Conseil d’État, Le droit souple, op. cit., p. 9. 998 Ibid. 999 Ibid. 1000 P. Deumier, « Saisir le droit souple par sa définition ou par ses effets », op. cit., spéc. p. 252. 1001 N. Emeric, « Droit souple + droit fluide = droit liquide. Réflexion sur les mutations de la normativité juridique

à l’ère des flux », Revue interdisciplinaire d’études juridiques, vol. 79, n° 2, 2017, p. 5-38, spéc. p. 37. 1002 F.-G. Trébulle, « Propos introductifs. Quel droit pour la RSE ? », op. cit., spéc. p. 23. 1003 Nous verrons plus loin que la RSE a « inspiré » le développement d’obligations juridiques nouvelles, voy.

infra : Première partie, Titre II, Chapitre II. Le développement d’obligations nouvelles dans le contexte de lutte

contre le changement climatique. À ce sujet, on parle souvent de « durcissement de la RSE ».

Chapitre I. Les démarches volontaires des entreprises en matière de lutte contre le changement climatique

233

souple1004, tels que les codes de bonne conduite, les déclarations d’intention, les chartes

éthiques. Relevant du domaine déclaratoire, non sanctionnés juridiquement, tous ces

instruments sont à première vue dépourvus de valeur juridique.

Dans une économie globalisée et concurrentielle, la prolifération des instruments de

droit souple n’a rien d’étonnant compte tenu de leur capacité d’offrir une meilleure image aux

entreprises1005. De ce point de vue, l’adhésion à un code de conduite dans le cadre d’une

démarche de responsabilité sociale constitue, pour l’entreprise, un atout de concurrence1006. Le

Professeur Farjat soulignait que « l’objectif le plus immédiat des codes est sans doute de

normaliser l’activité professionnelle à l’égard de la clientèle, mais il s’agit sans doute plus de

la clientèle virtuelle ou potentielle que de la clientèle déjà acquise. En fait, c’est surtout le public

dans son ensemble, qui est visé. Mais il arrive qu’une activité professionnelle dépende de

l’accueil que lui réservent des tiers, les pouvoirs publics… l’opinion publique. Le code de

conduite apparaît essentiellement comme un instrument de promotion économique »1007.

Le recours à des instruments de droit souple est également privilégié par les entreprises

en raison de leur souplesse et de l’absence de sanctions juridiques. Cependant, comme le

souligne Catherine Thibierge, « non sanctionné juridiquement ne signifie pas nécessairement

non sanctionné du tout. Et la contrainte économique, sociale, internationale, parfois lourde de

menaces d’exclusion, peut se révéler largement aussi efficace que celle du droit »1008. Dans ce

cas, l’élaboration d’un instrument de droit souple se fait davantage dans une optique défensive,

ou une optique de gestion des risques.

Les motivations des entreprises qui s’engagent dans des démarches de RSE sont

multiples, si bien que les interrogations demeurent quant à la place des instruments de droit

souple.

1004 E. Mazuyer, « La force normative des instruments adoptés dans le cadre de la responsabilité sociale de

l’entreprise », in La force normative. Naissance d’un concept, sous la dir. de C. Thibierge, L.G.D.J., 2009, p. 577-

589. 1005 J.-B. Racine, « La valeur juridique des codes de conduite privés dans le domaine de l’environnement », Revue

juridique de l’environnement, n° 4, 1996, p. 409-424, spéc. p. 413 : « [L]’adoption de tels documents répond avant

tout à un objectif concurrentiel. Les codes de conduite tendent à améliorer l’image des entreprises signataires

auprès du public et fournissent aux entreprises des principes de gestion destinés à obtenir des gains de

productivité ». 1006 M. Boizard, « Les codes de conduite privés : un instrument volontaire juridiquement efficace ? », in Les

approches volontaires et le droit de l’environnement, sous la dir. de N. Hervé-Fournereau, Presses Universitaires

de Rennes, 2008, p. 147-156, spéc. p. 148. 1007 G. Farjat, « Réflexions sur les codes de conduite privée », op. cit., spéc. p. 51-52. 1008 C. Thibierge, « Le droit souple. Réflexion sur les textures du droit », op. cit.

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

234

2. Des interrogations relatives à la place des instruments de droit souple

245. Le droit souple, est-il du droit ? Pendant longtemps, l’idée d’un autre droit que

le droit « dur » était inenvisageable pour beaucoup. Dans la conception classique du droit, le

droit est un ensemble de règles obligatoires et la contrainte constitue le critère même du droit.

Selon la pensée de Hans Kelsen, « le droit est une organisation de la force »1009. La force, ou la

contrainte, permet donc de distinguer la règle de droit des normes morales et religieuses. C’est

ce que l’on enseigne encore parfois aux étudiants en première année de droit. Or, cette « vérité

juridique » a été largement réfutée par la doctrine. Jean Carbonnier écrivait que « le droit est

plus grand que la règle de droit »1010. Dans le même sens, François Terré a pu écrire, à propos

de cette « vision réductrice » du droit qui consiste à l’appréhender comme un ensemble de

règles accompagné de sanctions, que : « le droit n’est pas seulement cela, et il s’en faut de

beaucoup […] le droit est aussi coutume, pratique, jurisprudence, recommandations, etc. »1011.

En effet, de nouvelles normes apparaissent, dont la source n’est pas étatique, mais qui

permettent, néanmoins, de dicter un comportement1012, sinon de responsabiliser. C’est le cas

notamment des engagements volontaires des entreprises privées1013. Dans le contexte de la

mondialisation, ces engagements volontaires pallient, en quelque sorte, l’impossibilité d’un

droit dur. Par ailleurs, l’étude de ce phénomène par les juristes a permis de théoriser le

pluralisme juridique1014. Parallèlement, des auteurs se sont intéressés à la

« déjuridicisation »1015. Certains ont évoqué la dégradation des sources du droit1016, tandis que

d’autres ont étudié la « gradation de la normativité »1017. Ainsi, pour le Professeur Mekki, « le

1009 H. Kelsen, Théorie générale du droit de l’État, 1945, rééd. L.G.D.J., 1997, p. 71. 1010 J. Carbonnier, Flexible droit. Pour une sociologie du droit sans rigueur, 1969, rééd. L.G.D.J., 2001, p. 20. 1011 F. Terré, « Pitié pour les juristes ! », RTD civ., 2002, p. 247. 1012 F. Terré, « Forces et faiblesses de la norme », in La force normative. Naissance d’un concept, sous la dir. de

C. Thibierge, L.G.D.J., 2009, p. 19. 1013 I. Desbarats, « Codes de conduite et chartes éthiques des entreprises privées, regard sur une pratique en

expansion », JCP G, 2003, I, 112. 1014 Voy. supra nos 151 et 152. Voy. également : L. Fontaine (dir.), Droit et pluralisme, Bruylant, coll. « Droit &

Justice », 2008. 1015 G. Farjat, Droit économique, PUF, coll. « Thémis », 2ème éd., 1982, p. 761-762. 1016 F. Osman, « Avis, directives, codes de bonne conduite, recommandations, déontologie, éthique, etc. : réflexion

sur la dégradation des sources privées du droit », RTD civ., 1995, p. 509. 1017 M. Mekki, « Propos introductifs sur le droit souple », in Le droit souple, Association Henri Capitant, Journées

nationales Tome XIII / Boulogne-sur-Mer, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2009, p. 1-23, spéc. p. 7-

11 ; voy. également en ce sens : C. Thibierge, « Le droit souple. Réflexion sur les textures du droit », op. cit. :

« [L]a reconnaissance du droit souple engendre aussi un questionnement fondamental sur le sens de la

“normativité” : si le droit peut non seulement être “dur”, mais aussi parfois souple et se manifester autrement que

par des ordres, commandements ou prescriptions, cela conduit à envisager que la normativité ne se réduise pas à

l’obligatoire, ni à un état ; en d’autres termes qu’elle puisse être une qualité susceptible de graduation ; par

conséquent, une règle de droit pourrait donc être plus ou moins normative. Ce qui amènerait alors à envisager un

droit fait de différentes textures, des plus dures aux plus souples ».

Chapitre I. Les démarches volontaires des entreprises en matière de lutte contre le changement climatique

235

droit est une question de degré. Il est plus ou moins dur et plus ou moins souple. En ce sens,

l’ampleur croissante du droit souple n’est pas le signe d’une dégradation du droit, mais la

preuve d’une gradation dans le droit »1018. Et l’auteur de préciser que « la normativité ne se

réduit pas à prescrire, à interdire ou à autoriser. La norma renvoie, au premier abord, à l’idée

de modèle. La règle de droit constitue un étalon de mesure. Elle peut rappeler, constater et

recommander. La fonction directive du droit devient moins autoritaire et plus souple, de l’ordre

du souhaitable, dépendant davantage de l’assentiment des intéressés. Un droit plus incitatif

accompagne le droit impératif »1019.

Pluralisme juridique, gradation du droit, dégradation de ses sources… toutes ces

mutations se manifestent notamment à travers le concept de droit souple. Elles nous conduisent

à penser le droit en dehors de l’héritage juridique moderne1020 et montrent la « nécessité de

dépasser un rapport au droit entendu comme nécessairement étatique et contraignant »1021.

Dès lors, pour répondre à notre question : le droit souple, c’est du droit.

246. Droit souple et droit dur. Il est vrai que, le plus souvent, le droit souple est

envisagé par le prisme de sa frontière, à savoir le droit dur. Il n’est pas le droit dur, car même

s’il a pour objet de modifier les comportements, il n’entraîne pas d’obligation au sens juridique

du terme. De surcroît, les instruments juridiques qui forment le droit dur trouvent les conditions

de leur validité dans leur mode d’édiction, tandis les instruments de droit souple trouvent les

conditions de leur validité dans leur réception par leurs destinataires1022. Dans le même temps,

le droit souple est aussi « borné de l’autre côté : il n’est pas le non-droit »1023. Contrairement au

non-droit, le droit souple présente un certain degré de structuration. En bref, le droit souple

bouscule « la sécurisante et binaire distinction entre droit et non-droit, et la conviction […] qu’il

n’y a de droit qu’obligatoire et contraignant »1024.

Par ailleurs, il est nécessaire de reconnaître la porosité de la frontière entre le droit

souple et le droit dur. Dans son étude sur le droit souple, le Conseil d’État observe, à juste titre,

que « le fait même de parler de “codes de bonne conduite” montre qu’un des enjeux du droit

1018 M. Mekki, « Propos introductifs sur le droit souple », op. cit., spéc. p. 4. 1019 Ibid., spéc. p. 7. 1020 J. Chevallier, « Vers un droit post-moderne ? Les transformations de la régulation juridique », Revue du droit

public et de la science politique, n° 3, 1998, p. 659-714 . 1021 F.-G. Trébulle, « Propos introductifs. Quel droit pour la RSE ? », op. cit., spéc. p. 23. 1022 C. Pérès, « La réception du droit souple par les destinataires », in Le droit souple, Association Henri Capitant,

Journées nationales Tome XIII / Boulogne-sur-Mer, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2009, p. 93-112,

spéc. p. 110. 1023 P. Deumier, « Saisir le droit souple par sa définition ou par ses effets », op. cit., spéc. p. 249. 1024 C. Thibierge, « Rapport de synthèse », in Le droit souple, Association Henri Capitant, Journées nationales

Tome XIII / Boulogne-sur-Mer, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2009, p. 141-161, spéc. p. 141.

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

236

souple est de jeter un pont entre l’univers de l’éthique (la bonne conduite) et celui du droit (le

code) »1025. Le droit souple est donc « imbriqué avec le droit dur bien plus qu’il ne lui est

opposé »1026. Pour preuve, il arrive que le droit dur prévoie l’existence du droit souple ou qu’il

soit avec lui « dans un rapport de délégation »1027. En matière de droit des sociétés, par exemple,

les articles L. 225-37 et L. 225-68 du code de commerce organisent le schéma du comply or

explain1028. Très brièvement, certaines entreprises doivent établir un rapport sur le

gouvernement d’entreprise et joindre celui-ci au rapport de gestion traditionnel. Certes, les

dispositions législatives du code de commerce ne fixent aucune norme de fond. Cependant,

elles imposent aux entreprises une obligation procédurale de se conformer à un « code de

gouvernement d’entreprise élaboré par les organisations représentatives des entreprises » ou, à

défaut, d’expliquer les raisons qui les conduisent à ne pas le faire1029. Dans ce cas précis, la

règle de droit reconnaît l’instrument de droit souple comme ayant une valeur de référence. En

quelque sorte, le droit souple agit ici par délégation du droit dur. De même, dans certains cas,

le droit souple peut se transformer en droit dur. C’est ce qui ressort, d’ailleurs, de la définition

du droit souple donné par la Commission de terminologie et de néologie en matière juridique.

Selon celle-ci, le droit souple est une « notion doctrinale relative à des textes ou à des

dispositions juridiques1030 n’ayant pas par eux-mêmes d’effets contraignants mais susceptibles

de contribuer, dans certaines conditions, à la formation de nouvelles règles juridiquement

contraignantes »1031. Autrement dit, il arrive que le droit souple « inspire » le droit dur. La RSE

constitue un parfait exemple à cet égard. Le Professeur Trébulle souligne qu’aujourd’hui, « les

1025 Conseil d’État, Le droit souple, op. cit., p. 63 ; voy. également pour une analyse sémantique : Ch. Jubault,

« Les “codes de conduite privés” », in Le droit souple, Association Henri Capitant, Journées nationales Tome XIII

/ Boulogne-sur-Mer, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2009, p. 27-38, spéc. p. 27-28. 1026 Conseil d’État, Le droit souple, op. cit., p. 72 et s. 1027 Ibid. 1028 Voy. sur le principe du comply or explain : J.-B. Poulle, « L’apparition du principe “se conformer ou expliquer”

en droit français », Revue trimestrielle de droit financier, n° 1, 2008, p. 41-47 ; B. Fasterling et J.-C. Duhamel,

« Le Comply or explain : la transparence conformiste en droit des sociétés », RIDE, 2009/2, t. XXIII, p. 129-157 ;

P. Deumier, « Le principe “appliquer ou expliquer”, appliquer la norme autrement ? », RTD civ., 2013, p. 79 ; P.

Durand-Barthez, « Le principe “appliquer ou expliquer”. Réflexions sur ses fondements et sa mise en œuvre dans

le domaine du gouvernement d’entreprise », Cahiers de droit de l’entreprise, n° 2, mars-avril 2016. Pour un point

de vue critique, voy. S. Magnier, « Le principe “se conformer ou s’expliquer”, une consécration en trompe

l’œil ? », JCP E, n° 23, 2008, p. 3-5. 1029 C. com., art. L. 225-37, al. 7 : « Lorsqu’une société se réfère volontairement à un code de gouvernement

d’entreprise élaboré par les organisations représentatives des entreprises, le rapport prévu au présent article précise

également les dispositions qui ont été écartées et les raisons pour lesquelles elles l’ont été. Se trouve de surcroît

précisé le lieu où ce code peut être consulté. Si une société ne se réfère pas à un tel code de gouvernement

d’entreprise, ce rapport indique les règles retenues en complément des exigences requises par la loi et explique les

raisons pour lesquelles la société a décidé de n’appliquer aucune disposition de ce code de gouvernement

d’entreprise ». 1030 Nous soulignons. 1031 Voy. Rapport quadriennal 2003-2007. La définition est désormais inscrite dans le Vocabulaire des affaires

étrangères, JO, n° 0245, 19 octobre 2008.

Chapitre I. Les démarches volontaires des entreprises en matière de lutte contre le changement climatique

237

objets sur lesquels porte la RSE sont tous, sans exception, susceptibles de faire l’objet

d’obligations édictées par la réglementation étatique »1032. Le champ de la RSE est recouvert

en partie par des dispositions juridiques. La dynamique de divulgation d’information, propre à

la RSE, est désormais intégrée dans l’ordonnancement juridique1033.

247. Les instruments de droit souple, des « autorités de fait » ? Cette expression

nous vient des travaux de Gérard Farjat qui écrivait notamment que « les codes de conduite

privés peuvent être considérés comme des autorités de fait »1034. Certes, tout dépend de leur

contenu, mais en principe, ces instruments de droit souple ne sont pas de simples faire-valoir.

Au contraire, certains engagements traduisent une « volonté réelle de dépasser la seule pétition

de principe »1035. Un auteur écrit à ce sujet : « peut-être ces “codes” montrent-ils un chemin

plus qu’ils n’y conduisent dans le sens de “diriger avec autorité” »1036. Bien que le résultat ne

soit pas toujours garanti, les codes de conduite « s’inscrivent dans un mouvement de

responsabilisation des destinataires de la règle, en les associant à son élaboration »1037. Ils

peuvent de surcroît se transformer en usages, et accéder ainsi à la vie juridique. Le processus

est alors inversé. Les codes de conduite écrivent a priori ce que seront les usages. Or,

traditionnellement, l’habitude qui fonde l’usage est préalable à son expression écrite. De même,

il n’est pas exclu que, par l’écoulement du temps, les usages nés des codes de conduite

deviennent progressivement des règles coutumières1038.

Dans tous les cas, bien que dépourvues d’autorité inhérente, les codifications privées

exercent une influence sur le système juridique. Elles ont une puissance de fait incontestable,

d’où la question de leur légitimité.

1032 F.-G. Trébulle, « Propos introductifs. Quel droit pour la RSE ? », op. cit., spéc. p. 20. 1033 Voy. infra : Première partie, Titre II, Chapitre II. Le développement d’obligations nouvelles dans le contexte

de lutte contre le changement climatique. 1034 G. Farjat, « Réflexions sur les codes de conduite privée », op. cit., spéc. p. 61. 1035 J. Malet-Vigneau, L’intégration du droit de l’environnement dans le droit de la concurrence, thèse, Université

de Nice, 2004, p. 544. 1036 Ch. Jubault, « Les “codes de conduite privés” », op. cit., spéc. p. 28. 1037 Ibid., spéc. p. 29. 1038 J.-B. Racine, « La valeur juridique des codes de conduite privés dans le domaine de l’environnement », op.

cit., spéc. p. 418 ; voy. également en ce sens : V. Lasserre-Kiesow, « Les livres verts et les Livres blancs de la

Commission européenne », in Le droit souple, Association Henri Capitant, Journées nationales Tome XIII /

Boulogne-sur-Mer, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2009, p. 75-89, spéc. p. 85 : « En droit international

public, la soft law est souvent le prélude d’un traité ou d’une coutume. Elle est capable de fournir un repère pour

l’interprétation d’une norme, de favoriser l’apparition et le développement de certains principes (principe de

précaution, du développement durable), par un processus de stratification, et même de posséder une certaine valeur

juridique, en générant par exemple un devoir de prise en compte issu du devoir général de coopération ».

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

238

248. Les instruments de droit souple, quelle légitimité ? Il n’est pas surprenant que

la légitimité des instruments de droit souple ne fasse pas consensus, surtout lorsqu’ils émanent

d’acteurs privés. À l’inverse des lois, les codifications privées n’ont pas à respecter une

quelconque procédure d’adoption formelle et préétablie. Elles manquent, par conséquent,

d’assise démocratique. Les auteurs des codes privés cherchent alors à remédier à ce défaut de

légitimité en associant les parties prenantes aux processus d’élaboration.

Souvent, on va considérer que les instruments de droit souple tirent leur légitimité « de

leur succès pratique, de leur réception effective par les sujets de droit »1039. Mais à vrai dire, il

est davantage question du contenu des engagements que de leur support, puisque c’est le

contenu qui donne l’effet, et non pas tant la forme. Le contenu de l’engagement est un enjeu

déterminant à la fois pour l’auteur et les destinataires de l’acte, qu’il s’agisse de sa mise en

œuvre ou de sa portée.

B. La question du contenu des engagements de RSE

249. Par définition, la RSE consiste à « aller au-delà » des obligations légales, à faire

plus que ce qui est légalement exigé. Un code de conduite n’aurait strictement aucun intérêt s’il

ne faisait que rappeler la législation applicable. Sa vocation n’est pas de s’y substituer, mais de

la compléter. Cependant, de quelle législation s’agit-il ? Toute la difficulté dans le contexte de

la mondialisation, c’est précisément de savoir quel est le corpus de règles applicables. Les

législations diffèrent d’un pays à l’autre et le niveau de protection accordé aux différents

intérêts protégés (droits de l’homme, salariés, environnement, climat…) n’est pas le même.

Nous sommes donc en présence d’un « self-service normatif »1040 qui permet aux entreprises

de « puiser sur un étalage de règles celles qui [leur] conviennent et d’ignorer les autres »1041. Se

pose, dès lors, la question du contenu des engagements de RSE. La réponse à cette question est

déterminante afin de pouvoir mesurer la capacité de la normativité privée de contribuer à la

lutte contre le changement climatique.

En principe libre, le contenu des engagements de RSE est de plus en plus structuré (1).

Il arrive parfois qu’il soit même sanctionné (2).

1039 C. Pérès, « La réception du droit souple par les destinataires », op. cit., spéc. p. 93. 1040 A. Supiot, « Du nouveau self-service normatif : la responsabilité sociale des entreprises », in Analyse juridique

et valeurs en droit social. Mélanges en l’honneur de Jean Pélissier, Dalloz, 2004, p. 541-558. 1041 Ibid., spéc. p. 543.

Chapitre I. Les démarches volontaires des entreprises en matière de lutte contre le changement climatique

239

1. Le choix du contenu des engagements de RSE

250. Un contenu normatif à degré variable. Les instruments de mise en œuvre de

la responsabilité sociale peuvent être multiples. Mais ce sont surtout les contenus qui peuvent

varier d’une entreprise à l’autre. Or c’est en fonction du contenu des engagements de RSE que

l’on mesure la probabilité que ces derniers produisent de réels effets.

Lorsque les entreprises formulent des engagements en matière de responsabilité

sociale, elles sont particulièrement attentives aux verbes employés. En effet, un contenu

normatif se décèle facilement du verbe « s’engager », ce qui n’est pas le cas du verbe

« souhaiter » ou « aimerait ». L’engagement de RSE doit être concret, suggérer une

prescription, et non exprimer un souhait ou faire une simple constatation. Ainsi, un certain degré

de précision doit-il être atteint. Les engagements trop flous, imprécis et indéterminés risquent

de tomber dans le panier de ce que l’on appelle le greenwashing1042 ou socialwashing1043. Ces

termes résument la critique des initiatives unilatérales d’entreprises mettant en place des codes

de conduite ou chartes éthiques pour réagir à des scandales, ou alors qui ne sont inspirées que

par des préoccupations d’image. En effet, il est des « engagements » qui ne sont que de la

poudre aux yeux. Ceux-ci alimentent la critique de la RSE selon laquelle la responsabilisation

des entreprises portée par la RSE est illusoire.

Enfin, par définition, une démarche de RSE rajoute une couche aux législations

contraignantes et ne se contente pas de les reprendre dans une formulation plus pratique. La

doctrine observe que ses effets réels résultent d’une combinaison avec certaines dispositions

étatiques1044. Par ailleurs, « plusieurs raisons peuvent pousser les entreprises à dépasser le

niveau d’exigence fixé par la réglementation ; il peut s’agir de raisons stratégiques (création

d’un avantage concurrentiel […] ; réponse à des pressions sociales externes et préservation de

la réputation de l’entreprise ; volonté de développer une culture de la conformité fondée sur des

valeurs partagées au sein de l’entreprise ; gestion du risque d’interprétation de la norme

juridique) […] »1045. Dans le même ordre d’idée, le Professeur Trébulle relève le point commun

1042 Greenwashing (en français, écoblanchiment) est un anglicisme qui sert à désigner les pratiques d’entreprises

consistant à utiliser abusivement un positionnement ou des pratiques écologiques à des fins de marketing. La

plupart du temps, l’argent investi par l’entreprise l’est davantage en publicité que pour de réelles actions en faveur

de l’environnement. Voy. infra n° 388. 1043 Terme que l’on utilise pour désigner le pendant social du greenwashing. 1044 F. Rigaux, « Les insuffisances des codes de conduite », Le Monde diplomatique, févr. 1984, p. 17, cité par F.

Osman, « Avis, directives, codes de bonne conduite, recommandations, déontologie, éthique, etc. : réflexion sur

la dégradation des sources privées du droit », op. cit. 1045 Ch. Roquilly et Ch. Collard, « De la conformité réglementaire à la performance : pour une approche

multidimensionnelle du risque juridique », Cahiers de droit de l’entreprise, n° 6, novembre 2009.

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

240

à toutes les initiatives de RSE : « elles véhiculent l’idée que la RSE conduirait à se placer dans

une perspective certes de respect de la loi mais au-delà de la loi »1046. Et l’auteur d’ajouter que :

« l’idée sous-jacente est qu’il s’agit d’apporter une réponse éthique (ce qui ne veut pas dire

nécessairement désintéressée) à des situations données sans que le cadre ainsi posé se traduise

par la production de règles juridiques »1047.

Tous ces éléments (choix des mots employés, précision de l’engagement, volonté

d’aller au-delà des prescriptions légales) constituent un faisceau d’indices permettant de

mesurer le degré de normativité de la démarche de RSE, et donc son aptitude à produire des

effets. Il en résulte que c’est le contenu qui donne l’effet au droit souple. Au demeurant, il y a

lieu de noter que le souci de renforcer l’effectivité des démarches de RSE a conduit à une

certaine standardisation des engagements.

251. Depuis plusieurs années, il est possible de constater un net mouvement de

sophistication des instruments de RSE1048. Les engagements généraux se font de plus en plus

rares. Les démarches sont de plus en plus structurées, s’appuyant sur les méthodes et le langage

de la normalisation1049. La normalisation1050 consiste à élaborer des documents de référence de

manière consensuelle avec tous les acteurs d’un secteur. Ces documents portent sur des règles

et des recommandations, des caractéristiques techniques et des exemples de bonnes pratiques.

Les normes de type ISO1051 sont probablement les plus connues du grand public et le recours à

ces normes est de plus en plus fréquent.

252. Ainsi, en matière de responsabilité sociale, les entreprises peuvent faire le

choix d’appliquer la norme ISO 260001052. Dans un contexte de mondialisation, ce choix

1046 F.-G. Trébulle, « Propos introductifs. Quel droit pour la RSE ? », op. cit., spéc. p. 9. 1047 Ibid. 1048 Conseil d’État, Le droit souple, op. cit., p. 46. 1049 Ibid. 1050 Voy. sur la normalisation : L. Boy, « La valeur juridique de la normalisation », in Les transformations de la

régulation juridique, sous la dir. de J. Clam et G. Martin, L.G.D.J., coll. « Droit et société », 1998, p. 183-196 ;

id., « Normes techniques et normes juridiques », Les Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 21, 2007 ; E. Brosset

et È. Truilhé-Marengo, Les enjeux de la normalisation technique internationale. Entre environnement, santé et

commerce international, La Documentation française, 2006 ; M. Teller, « Interrogations sur les nouvelles formes

de normalisation : le cas de la RSE », in Les futurs du droit de l’environnement, sous la dir. de I. Doussan, Bruylant,

coll. « Droit(s) et développement durable », 2016, p. 111 et s. 1051 International Organization for Standardization. En français, Organisation internationale de normalisation. 1052 Norme ISO 26000, Lignes directrices relatives à la responsabilité sociétale, AFNOR, novembre 2010 ; voy.

également : C. Doganis, « Vers une gouvernance intégrée. ISO 26000 et perspectives de la RSE », Revue française

de gouvernance d’entreprise, n° 8, 2010, p. 191.

Chapitre I. Les démarches volontaires des entreprises en matière de lutte contre le changement climatique

241

présente incontestablement un intérêt, les normes ISO étant, en effet, le fruit de l’entente et de

la coopération avec les différentes parties prenantes.

La norme ISO 26000, publiée le 1er novembre 2010, est probablement le référentiel le

plus complet en matière de responsabilité sociale puisqu’elle propose une approche englobant

l’intégralité des questions relatives à celle-ci. En effet, cette norme s’organise autour de sept

questions centrales : la gouvernance de l’organisation1053, les droits de l’homme, les relations

et les conditions de travail, l’environnement, les bonnes pratiques dans les affaires, les questions

relatives aux consommateurs et l’engagement sociétal. Elle invite les organisations à prendre

conscience et à tenir compte des impacts de leurs décisions et activités sur leur environnement

économique, social et naturel.

Comme toute norme ISO, la norme ISO 26000 est d’application volontaire. Son mérite

est d’instaurer un cadre commun permettant une première harmonisation des pratiques en

matière de responsabilité sociale. Contrairement aux autres référentiels internationaux en la

matière1054, la norme ISO 26000 propose un lexique commun de la RSE et consiste en un

véritable système de management intégré que les organisations peuvent aisément déployer.

Toutefois, c’est un système de management très particulier, puisqu’à la différence des

autres1055, la norme ISO 26000 ne peut pas faire l’objet d’une certification1056. À cet égard, au

moment de son élaboration, le Conseil de l’ISO indiquait expressément que l’objectif des

travaux était de produire un document d’orientation rédigé dans un langage simple,

compréhensible et utilisable par des non-spécialistes, que les différentes organisations peuvent

choisir d’appliquer dans le cadre d’une démarche volontaire.

La norme ISO 26000 propose ainsi des recommandations qui invitent à définir, dans

un contexte donné, les meilleures pratiques à mettre en œuvre dans les domaines de la

responsabilité sociale, en accord avec les attentes des différentes parties prenantes. Elle fournit

des lignes directrices sur la responsabilité sociale, sur les modalités d’identification de celle-ci,

sur le dialogue avec les parties prenantes, sur les domaines d’action relatifs à la responsabilité

sociale ainsi que sur les moyens d’intégrer un comportement responsable dans l’organisation.

1053 Le terme « organisation » est préféré au terme « entreprise », afin d’élargir le champ d’application de la norme. 1054 Par exemple, les Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des multinationales ou encore le Pacte mondial

des Nations Unies (Global Compact). Voy. infra n° 253. 1055 Par exemple, la norme ISO 9001:2015 Management de la Qualité ou la norme ISO 14001:2015 Management

environnemental. 1056 Selon la définition donnée par AFNOR (Association française de normalisation), la certification est la

procédure par laquelle un organisme reconnu, indépendant des parties en cause, donne une assurance écrite qu’une

organisation, un processus, un service, un produit ou des compétences professionnelles sont conformes à des

exigences spécifiées dans un référentiel. En outre, la certification s’appuie sur un référentiel de certification, c’est-

à-dire un document définissant les caractéristiques que doit présenter un produit industriel ou un service et les

modalités du contrôle de la conformité à ces caractéristiques.

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

242

Selon Didier Gauthier, Président de la commission de normalisation ISO 26000, « c’est un outil

de progrès dans une logique de responsabilité sociétale et de progrès permanent et participatif,

respectueux de l’environnement, respectueux des agents, et des hommes et des femmes à

l’extérieur, tout en assurant la pérennité économique ».. En effet, l’objectif de la norme ISO

26000 est d’assister les organisations, et notamment les entreprises, dans l’appréhension de leur

responsabilité sociale, tout en respectant leurs caractéristiques propres. En d’autres termes, les

lignes directrices de l’ISO 26000 montrent la voie, il appartient ensuite à chaque entreprise de

trouver la sienne vers une responsabilité toujours plus assumée.

Tout l’enjeu pour les entreprises est de susciter la confiance et la reconnaissance du

public. Il ne s’agit donc pas de faire de l’auto-déclaration ou du greenwashing, pratiques qui

sont complétement insuffisantes au regard des enjeux et qui ne sont plus tolérées par les parties

prenantes, mais d’avoir une initiative effective et un comportement actif. Certes, la norme ISO

26000 n’est pas certifiable ; elle peut néanmoins donner à des évaluations externes1057 ou à une

labellisation1058, ce qui permet à l’entreprise de crédibiliser sa démarche.

253. Un autre référentiel en matière de responsabilité sociale est le Pacte mondial

des Nations Unies, ou Global Compact. Lors du Forum économique mondial qui s’est tenu

en janvier 1999 à Davos (Suisse), Kofi Annan, alors secrétaire général de l’ONU, a annoncé la

mise en place de l’initiative du Global Compact. Celui-ci fut officiellement lancé au siège de

l’ONU en juillet 2000. L’entreprise qui s’engage en vertu du Global Compact doit promouvoir

les dix principes du Pacte1059 et communiquer sur ses « actions de progrès ». La

1057 L’évaluation externe, effectuée par des organismes tiers et indépendants (par exemple, AFNOR Certification,

Vigeo Eiris, Bureau Veritas), offre la possibilité aux entreprises de mesurer la maturité de leur démarche de RSE

selon la norme ISO 26000, quel que soit le degré de son avancement : du simple état des lieux à la valorisation

d’actions déjà bien engagées. Cette évaluation permet à l’entreprise de crédibiliser sa démarche de responsabilité

sociale, en l’inscrivant dans une logique de progrès dans la durée, d’afficher en toute transparence son engagement

responsable (grâce au logo et à l’attestation délivrés à l’entreprise à l’issue de l’évaluation), de renforcer les liens

avec les différents acteurs de ses projets et de favoriser le développement de ses produits et de ses services. On

considère souvent que ces évaluations ouvrent l’accès à de nouveaux marchés. 1058 En France, le label LUCIE est le label RSE de référence aligné sur la norme ISO 26000 et développé en

partenariat avec AFNOR Certification et Vigeo Eiris. 1059 En effet, le Global Compact propose un cadre d’engagement universel et volontaire, qui s’articule autour de

dix principes relatifs au respect des droit humains, aux normes internationales du travail, à l’environnement et à la

lutte contre la corruption. Concrètement, les entreprises sont invitées à (1) promouvoir et respecter la protection

des droits de l’homme et à (2) veiller à ne pas se rendre complices de violations des droits de l’homme. Elles sont

invitées à (3) respecter la liberté d’association et à reconnaître le droit de négociation collective. Elles doivent

contribuer à (4) l’élimination de toute discrimination en matière d’emploi, à (5) l’abolition effective du travail des

enfants et à (6) l’élimination de toutes les formes de travail forcé et obligatoire. En outre, les entreprises sont

invitées à (7) appliquer l’approche de précaution face aux problèmes touchant à l’environnement, à (8) prendre

des initiatives tendant à promouvoir une plus grande responsabilité en matière d’environnement et à (9) favoriser

la mise au point et la diffusion de technologies respectueuses de l’environnement. Enfin, les entreprises doivent

(10) agir contre la corruption sous toutes ses formes, y compris l’extorsion de fonds et les pots-de-vin.

Chapitre I. Les démarches volontaires des entreprises en matière de lutte contre le changement climatique

243

« communication sur le progrès » comporte toute une série de documents obligatoires et

requiert une description détaillée des actions mises en œuvre sur les thèmes du Global Compact.

Elle doit être remise dans un délai d’un an après la date d’adhésion, puis chaque année. Elle est

mise en ligne sur le site Global Compact de l’Organisation des Nations Unies qui encourage

aussi son intégration dans le rapport annuel ou un rapport équivalent de l’entreprise.

L’adhésion au Global Compact se fait par les entreprises, dans une démarche purement

volontaire. L’initiative de cette adhésion leur étant propre, l’acceptation de la responsabilité qui

en découle s’en retrouve facilitée. Elle est d’ailleurs d’autant plus facilitée qu’aucun organe de

contrôle ni de sanction n’ont été prévus. Lorsqu’une entreprise ne communique pas sur son

progrès, elle est classée dans la catégorie des inactifs. Au pire, elle est radiée.

254. De nos jours, la lutte contre le changement climatique est inscrite au cœur

des démarches de responsabilité sociale de la plupart des entreprises. Qu’elles appuient

leurs démarches sur un référentiel international ou non, les entreprises prennent en compte le

changement climatique qui constitue une externalité négative1060, c’est-à-dire une conséquence

dommageable de leur activité. L’urgence du changement climatique appelle à une mobilisation

massive des entreprises, qu’elles soient ou non directement responsables, et quels que soient

leur taille et leur domaine d’activité. Un auteur parle à cet égard d’« une sorte d’obligation erga

omnes »1061.

Ainsi, en 2014, le Global Compact France a lancé son « Club PME Climat », afin de

faire émerger une action collective de PME1062 et d’ETI1063 sur le volet climatique. De par leur

nombre tout à fait important (plus de trois millions en France), ces entreprises ont un rôle non

négligeable dans le secteur économique, et donc en matière climatique. Pourtant, à leur échelle,

les préoccupations relatives au climat sont souvent freinées par un manque de ressources et de

temps. Elles sont perçues comme une contrainte supplémentaire, un élément perturbateur. Or,

en pratique, il arrive souvent que les PME abordent la question climatique par effet de cascade,

en tant que fournisseurs ou sous-traitants de grandes entreprises déjà avancées sur le sujet et

qui imposent à leurs partenaires un cahier des charges respectueux de critères de RSE1064. Dès

lors, l’enjeu principal du Club PME Climat est de sensibiliser les PME et ETI à la problématique

1060 M. Teller, « Quel financement pour le changement climatique ? », op. cit. 1061 S. Michalak, « De la prise en compte à la prise en charge de l’intérêt général par l’entreprise. Quelques

réflexions en marge de la loi PACTE », Revue du droit public, n° 3, 2019, p. 551. 1062 Petites et moyennes entreprises. 1063 Entreprises de taille intermédiaire. 1064 Voy. supra n° 229-2.

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

244

climatique et de valoriser les actions mises en œuvre dans le domaine du climat. En effet, la

problématique climatique devrait être abordée comme élément permettant de créer de la valeur.

Elle offre de nouvelles opportunités de coopération avec d’autres acteurs d’un même territoire

et constitue un levier de rentabilité et de compétitivité, en permettant d’une part de réduire les

coûts, d’autre part de mieux répondre aux exigences de ses clients.

Dans le même ordre d’idée, en juin 2019, une coalition portée par le Global Compact,

l’initiative Science Based Targets (SBTi) et We Mean Business, et composée d’entreprises et

de représentants de la société civile et des Nations Unies, a lancé un appel à l’action pour que

les entreprises privées apportent leur part à la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Les dirigeants d’entreprise sont appelés à définir des objectifs de réduction de leurs émissions

de gaz à effet de serre encore plus ambitieux, en lien avec le rapport 1,5 °C du GIEC. Pour Luis

Alfonso de Alba, envoyé spécial de l’ONU pour le Sommet Action Climat 2019 : « Nous avons

besoin de plans concrets et réalistes d’ici 2020 pour réduire les émissions de gaz à effet de serre

de 45 % au cours de la prochaine décennie et atteindre la valeur nette de zéro émissions d’ici

2050. […] Les changements climatiques requièrent un effort sans précédent de tous les secteurs

de la société. Le leadership des entreprises, démontré en fixant des objectifs scientifiques à une

température de 1,5 °C, enverra des signaux puissants sur le marché alors que nous cherchons à

identifier les solutions évolutives et reproductibles nécessaires pour garantir un monde où

personne ne se trouve laissé de côté ». L’appel à l’action souligne que « les avantages

commerciaux d’une action climatique fondée sur la science sont évidents. Des entreprises de

premier plan prouvent déjà qu’un modèle commercial conforme à une température de 1,5 °C

est possible, et il est évident que ces entreprises seront les mieux placées pour prospérer, alors

que l’économie mondiale connaît une transition juste vers un avenir sans perte d’ici 2050 ».

255. Les initiatives de RSE, en particulier dans le domaine du climat, se multiplient

aujourd’hui. Les entreprises s’appuient sur des instruments de droit souple afin de matérialiser

leur engagement pour le climat. Reste à savoir s’il existe des moyens juridiques permettant de

garantir l’effectivité de ces engagements.

Chapitre I. Les démarches volontaires des entreprises en matière de lutte contre le changement climatique

245

2. L’éventuelle sanction des engagements de RSE

256. Contrairement aux idées reçues, le phénomène de droit souple « n’est

aucunement synonyme d’absence de sanction »1065. Le fait que « les codes de conduite et

chartes sont dépourvus de toute contrainte autre que celle volontairement acceptée »1066 ne

signifie pas pour autant qu’ils n’impliquent aucune contrainte1067. La doctrine la plus autorisée

le réaffirme systématiquement : « parce que l’engagement ici volontairement pris s’exprime

dans des structures de pouvoir particulières (organisations professionnelles, secteur régulé,

entreprise, réseau) […], il va produire des effets redoutables et très éloignés de l’image

d’absence de contrainte généralement associée à ces outils »1068. Il paraît difficile de concevoir

que les pouvoirs privés économiques que sont les entreprises puissent s’exprimer sans être

engagés, ou s’engager sans être liés. Or ce lien est nécessairement susceptible de trouver une

traduction juridique.

Dans le même ordre d’idée, Catherine Thibierge souligne à propos du droit souple que

« si ses apparences juridiques peuvent le desservir, son approfondissement montre qu’on aurait

tort pour autant de le mésestimer. […] le droit souple jouit d’une normativité particulière, non

pas inhérente et consubstantielle, mais évolutive, en raison de sa forte codétermination par le

juge et par ses destinataires »1069. Il est vrai que le rôle du juge est tout à fait important. Il lui

est demandé de « répondre au besoin de canaliser un pouvoir hors de contrôle »1070, afin

notamment de rééquilibrer les rapports de force que la mondialisation a modifiés. Ainsi, on peut

lire, sous la plume d’un avocat général à la Cour de cassation, qu’un code de conduite s’analyse

comme « un acte juridique de droit privé »1071, ce dont il résulte que « le juge judiciaire est

compétent pour en apprécier la validité »1072. Ceci n’a plus rien d’étonnant. Dès lors qu’ils

s’insèrent dans un ordre juridique, les engagements de RSE peuvent donner prise au

déploiement des différents outils du droit dur. L’idée selon laquelle les codes de conduite et

1065 F. Osman, « Avis, directives, codes de bonne conduite, recommandations, déontologie, éthique, etc. : réflexion

sur la dégradation des sources privées du droit », op. cit. 1066 P. Deumier, « Les sources de l’éthique des affaires », in Mélanges en l’honneur de Philippe le Tourneau. Libre

droit, Dalloz, coll. « Études, mélanges, travaux », 2008, p. 350 et s. 1067 F.-G. Trébulle, « Propos introductifs. Quel droit pour la RSE ? », op. cit., spéc. p. 28. 1068 P. Deumier, « Les sources de l’éthique des affaires », op. cit. 1069 C. Thibierge, « Le droit souple. Réflexion sur les textures du droit », op. cit. 1070 P. Deumier, « Quand le droit souple rencontre le juge dur », RTD civ., 2016, p. 571. 1071 B. Aldigé, « Seconde partie : La licéité du dispositif d’alerte contenu dans un code de conduite des affaires »,

Semaine Sociale Lamy, n° 1439, 29 mars 2010. Voy. également : id., « Charte d’éthique, liberté d’expression et

alerte professionnelle. À propos de l’affaire Dassault Systèmes. Première partie : Les conditions de validité d’une

charte éthique », Semaine Sociale Lamy, n° 1439, 29 mars 2010. 1072 Ibid.

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

246

chartes éthiques échappent à tout contrôle car leur teneur normative est quasi-nulle, est donc à

relativiser. En effet, leur contenu « révèle une mosaïque plus complexe, qui assemble éthique

et juridique, déclaratoire et normatif »1073, si bien qu’ils sont désormais « sous surveillance

judiciaire… renforcée »1074. L’analyse de la jurisprudence conforte indubitablement cette

assertion.

257. Ainsi, il arrive que le juge s’appuie sur le droit souple comme moyen

d’interprétation auxiliaire de la règle de droit. Les exemples de jurisprudence en la matière

sont de plus en plus nombreux, au point d’ailleurs où on constate l’existence d’un risque

juridique lié de façon permanente aux engagements que les entreprises prennent dans le cadre

de leurs démarches de RSE.

Les codes de conduite et chartes éthiques peuvent ainsi être appréhendés, en cas de

non-respect par l’entreprise de ses engagements, sous l’angle de la pratique commerciale

trompeuse. Le cas le plus célèbre de responsabilité est à ce jour fourni par la jurisprudence

américaine, à travers l’affaire Kasky v. Nike de la Cour suprême de Californie1075. En l’espèce,

à la fin des années 1990, des associations ont mis en cause la société Nike en critiquant ses

pratiques dans les pays du Sud-Est asiatique. Elles lui reprochaient notamment de recourir à

des sous-traitants qui ne respectaient ni le droit du travail, ni les plus élémentaires exigences de

respect de la dignité humaine (travail d’enfants, conditions de travail dégradantes, salaires

dérisoires, etc.). Craignant l’atteinte à son image de marque que ces attaques pouvaient

engendrer, la société a réagi en développant une politique très active de communication. Elle

voulait, disait-elle, « rétablir la vérité ». Sauf qu’un militant associatif californien, M. Kasky,

décida de mettre en cause la responsabilité de la société en prétendant que celle-ci avait menti

dans le cadre de sa campagne de communication. L’accusation fut celle de publicité

mensongère et concurrence déloyale. Face à cette action, Nike a évoqué le premier amendement

de la Constitution américaine qui protège la liberté d’expression. Mais la Cour suprême de

Californie a jugé qu’un code de bonne conduite ne relevait pas de la protection de cet

amendement et que, par conséquent, une entreprise formulant des considérations factuelles sur

1073 P. Deumier, « Chartes et codes de conduite des entreprises : Les degrés de normativité des engagements

éthiques », RTD civ., 2009, p. 77. 1074 I. Desbarats, « Alertes, codes et chartes éthiques à l’épreuve du droit français », D., 2010, p. 548. 1075 Kasky v. Nike, Inc., 45 P.3d 243 (Cal. 2003).

Chapitre I. Les démarches volontaires des entreprises en matière de lutte contre le changement climatique

247

ses propres produits ou sur son activité est astreinte à une obligation de vérité1076. Cette décision

est restée dans l’histoire comme la plus emblématique de la RSE1077.

Pour les juristes français, le fondement juridique sans doute le plus évident est

l’engagement unilatéral de volonté. En effet, les codes de conduite et les chartes éthiques sont

élaborés unilatéralement par la direction de l’entreprise. Ainsi, dans le cadre des relations de

travail, les salariés désireux de revendiquer l’exécution d’un engagement figurant dans un code

de conduite peuvent tout à fait fonder leur prétention sur le régime juridique des engagements

unilatéraux1078. Encore faut-il néanmoins qu’il en résulte une volonté explicite de la direction,

c’est-à-dire de l’employeur, de consentir un avantage à l’ensemble de ses salariés ou à une

partie d’entre eux1079. En dehors des relations de travail, le fondement de l’engagement

unilatéral de volonté pourrait être appliqué à chaque fois que le discours de l’entreprise a été

suffisamment précis et ferme pour que l’on puisse y déceler une véritable intention de

s’engager. Ainsi, au-delà des salariés, ce sont par exemple les consommateurs qui peuvent se

sentir directement visés par les promesses de l’entreprise1080.

Autre fondement possible, ce serait l’article 1371 du Code civil relatif aux quasi-

contrats qui les définit comme « les faits purement volontaires de l’homme, dont il résulte un

engagement quelconque envers un tiers ». Par ailleurs, cette définition des quasi-contrats n’est

pas sans rappeler la dimension volontariste de la RSE. L’application que la jurisprudence a fait

de ce texte a intégré l’hypothèse où une entreprise développe délibérément à l’égard des tiers

une politique faussement séductrice1081.

Relevons enfin une décision de la Cour de cassation, particulièrement intéressante,

rendue dans un cas où un engagement avait été souscrit dans le cadre d’un protocole

transactionnel et où les parties avaient pris soin de préciser que cet engagement était

exclusivement moral. La Cour de cassation a considéré que, peu importe cette qualification et

malgré l’apparence d’absence de valeur contraignante de l’engagement, les termes précis et

fermes de celui-ci devaient conduire les juges à lui reconnaître une force juridique

1076 F.-G. Trébulle, « Responsabilité sociale des entreprises et liberté d’expression. Considérations à partir de

l’arrêt Nike v/ Kasky », Revue des sociétés, 2004, p. 261. 1077 Par ailleurs, dans leurs opinions dissidentes, certains juges ont exprimé la crainte que cette décision ait un

« effet de glaciation » sur la communication sociale et environnementale des entreprises. Ils ont relevé que la

possible mise en cause des sociétés sur ce fondement pourrait conduire certaines d’entre elles à censurer leurs

propos, en faisant preuve d’une prudence excessive. 1078 Cass. soc., 5 juin 2001, n° 98-46.422, D., 2001, p. 3014, note M.-C. Amauger-Lattes. 1079 Cass. soc., 19 mars 2008, n° 06-44.509, Revue de droit du travail, 2008, p. 400, note H. Tissandier. 1080 Cass. 1ère civ., 28 mars 1995, RTD civ., 1995, p. 886, obs. J. Mestre. 1081 Ch. mixte, 6 septembre 2002, n° 98-22.981, RTD civ., 2003, p. 94, obs. J. Mestre et B. Fages. La Cour de

cassation, réunie en chambre mixte, a jugé que « l’organisateur d’une loterie qui annonce un gain à une personne

dénommée sans mettre en évidence l’existence d’un aléa s’oblige, par ce fait purement volontaire, à le délivrer ».

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

248

contraignante1082. Même si cette décision n’a pas été rendue en matière de non-respect d’un

engagement de RSE, elle attire notre attention car elle démontre jusqu’où peuvent aller les juges

dans l’exercice de leur pouvoir souverain d’appréciation. Les Professeurs Jacques Mestre et

Bertrand Fages ont, avec beaucoup de finesse, développé l’observation suivante : « s’il fallait

déceler une nouvelle manifestation de la volonté de nos juges de fixer eux-mêmes les frontières

du droit et du non droit, et donc de ne pas abandonner celles-ci aux parties contractantes, on

pourrait se tourner vers l’arrêt rendu par la chambre commerciale le 23 janvier 2007 »1083.

258. Ces différents exemples démontrent qu’il existe une multitude de pistes à

explorer à la recherche d’un fondement juridique qui permet de mettre en cause la responsabilité

des auteurs d’engagements de droit souple. Comme l’écrit le Professeur Trébulle, « la frontière

du Droit et du non-Droit manifestera sa perméabilité lorsque d’un texte non juridique on va

faire un engagement ; lorsque la communication sur cet engagement va créer une attente »1084.

La violation des engagements de droit souple peut être sanctionnée juridiquement. Sans doute

faut-il dès lors admettre que leur « facultativité affecte […] leur utilisation plutôt que leur

contenu »1085. Par ailleurs, « même d’usage facultatif, les modèles portés par de tels instruments

relèvent d’un juridique dont on ne voit pas au nom de quoi l’on pourrait nier l’évolutivité »1086.

Plus le contenu des normes de droit souple se précise, plus leur effectivité est garantie.

Leur juridicité originelle importe peu. Ce qui importe, en réalité, ce sont les effets de régulation

qu’elles produisent. Le droit souple ne dispose pas du privilège de la transcendance1087. Il ne

dispose pas non plus des attributs autoritaires octroyés à la règle de droit. C’est un droit

« modeste »1088 qui délaisse le commandement au profit de la régulation « par persuasion d’un

modèle »1089. Tel que résumé par le Conseil d’État, « plus que l’obligation et la sanction, ce qui

définirait la norme juridique serait sa fonction de modèle ou de référence »1090.

1082 Cass. com., 23 janvier 2007, n° 05-13.189, RTD civ., 2007, p. 340, obs. J. Mestre et B. Fages. 1083 J. Mestre et B. Fages, « L’article 1134 du code civil et la pesée juridique des mots », RTD civ., 2007, p. 340. 1084 F.-G. Trébulle, « Propos introductifs. Quel droit pour la RSE ? », op. cit., spéc. p. 25. 1085 A. Jeammaud, « La règle de droit comme modèle », D., 1990, p. 199. 1086 Ibid. 1087 J. Chevallier, « La dimension symbolique du principe de légalité », Revue du droit public et de la science

politique en France et à l’étranger, n° 6, 1990, p. 1651-1678, spéc. p. 1654. 1088 F. Ost, « La régulation : des horloges et des nuages », in Élaborer la loi aujourd’hui : mission impossible ?,

sous la dir. de B. Jadot et F. Ost, Presses de l’Université Saint-Louis, 1999, p. 11-34, spéc., p. 17. 1089 J. Carbonnier, Sociologie juridique, PUF, coll. « Quadrige », 2ème éd., 2004, p. 306. 1090 Conseil d’État, Le droit souple, op. cit., p. 53.

Chapitre I. Les démarches volontaires des entreprises en matière de lutte contre le changement climatique

249

§2. Les effets de régulation produits par les engagements de RSE

259. Le Professeur Frydman observe que, « pour le chercheur pragmatique, l’intérêt

d’un objet, d’une norme, d’un dispositif se mesure souvent moins à la qualité de son “pedigree”

qu’à l’importance des effets de régulation qu’il produit »1091. Dans le même ordre d’idée, dans

son ouvrage À quoi nous sert le droit ?, Jacques Commaille relève que « les effets de régulation

d’une norme importent plus que sa place dans la hiérarchie des “sources” du droit. Il est

désormais admis que la nouvelle économie normative est davantage marquée par l’horizontalité

que par la verticalité et qu’il est permis de parler du passage de la pyramide au réseau »1092. La

« régulation »1093 exprime une nouvelle conception de l’élaboration du droit. Elle correspond à

la « volonté d’ouvrir le processus normatif à l’intervention formalisée des opérateurs et à la

société civile »1094. Dans le cadre de la régulation, le commandement unilatéral et centralisé fait

place à un ordonnancement assoupli et décentralisé. En d’autres termes, la régulation est un

régime où « à la coercition, à l’imposition et à la menace de sanctions se substituent le conseil,

l’incitation, la persuasion, la recherche de réciprocité »1095.

La notion d’équilibre est intrinsèquement liée à celle de régulation. Par définition, la

régulation cherche à rééquilibrer les rapports de force à travers des mécanismes destinés à

maintenir ou à restaurer l’équilibre d’un système menacé par des perturbations1096. Ainsi, pour

François Ost, la régulation est « une manière de gestion souple et évolutive d’un ensemble

indéfini de données en quête d’un équilibre au moins provisoire »1097 ; elle « permet de penser

les délicates opérations d’équilibration qui prennent place entre sources de pouvoir à la fois

complémentaires et concurrentes »1098.

1091 B. Frydman, « Comment penser le droit global ? », in La science du droit dans la globalisation, sous la dir. de

J.-Y. Chérot et B. Frydman, Bruylant, 2012, p. 17 et s., spéc. p. 26. 1092 J. Commaille, À quoi nous sert le droit ?, Éditions Gallimard, coll. « Folio essais », 1re éd., 2015, p. 174-175.

Voy. également : F. Ost et M. Van de Kerchove, De la pyramide au réseau ? Pour une théorie dialectique du

droit, Bruxelles, F.U.S.L., 2002, rééd. 2010. 1093 Voy. parmi une littérature abondante : J. Chevallier, « De quelques usages du concept de régulation », in La

régulation entre droit et politique, sous la dir. de M. Miaille, L’Harmattan, coll. « Logiques juridiques », 1995, p.

71-93 ; id., « La régulation juridique en question », Droit et société, vol. 49, n° 3, 2001, p. 827-846 ; J. Clam et G.

Martin (dir.), Les transformations de la régulation juridique, L.G.D.J., coll. « Droit et société », 1998 ; M.-A.

Frison-Roche, « Le droit de la régulation », D., 2001, p. 610 ; L. Boy, « Réflexions sur “le droit de la régulation”

(à propos du texte de M.-A. Frison-Roche) », D., 2001, p. 3031 ; G. Timsit, « La loi et ses doubles. Thématiques

du raisonnement juridique », Droits, vol. 36, n° 2, 2002, p. 135-160, spéc. p. 157-159 ; C. Champaud, « Régulation

et droit économique », RIDE, 2002/1, t. XVI, p. 23-66. 1094 L. Cohen-Tanugi, « L’émergence de la notion de régulation », LPA, 1998, n° 82, p. 4. 1095 J. Commaille, À quoi nous sert le droit ?, op. cit., p. 180. 1096 J. Chevallier, « De quelques usages du concept de régulation », op. cit. 1097 F. Ost, « La régulation : des horloges et des nuages », op. cit. 1098 Ibid.

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

250

L’essor de la régulation n’est pas sans rapport avec celui de la mondialisation.

Ensemble, ces deux phénomènes marquent un recul de la réglementation dans différents

domaines. Dans certains domaines, la réglementation n’est pas voulue ou est impossible. Elle

est alors remplacée par des modes de régulation tels que l’autorégulation ou la corégulation. Le

changement climatique est l’illustration parfaite d’un domaine où la réglementation est pour le

moins difficile et où se développent, par conséquent, l’autorégulation (A) et la corégulation (B).

Mais qu’apportent ces approches par rapport à la réglementation classique ? Offrent-elles des

instruments efficaces en matière de lutte contre le changement climatique ?

A. L’autorégulation en matière de lutte contre le changement climatique

260. L’« autorégulation » désigne la situation dans laquelle ce sont les acteurs privés

qui procèdent à la régulation, notamment à travers l’élaboration de codes de conduite et de

chartes de comportement (1). Ce mode de régulation, qui repose entièrement sur des

mécanismes de droit souple, présente sans doute certains avantages en matière de lutte contre

le changement climatique. Néanmoins, comme nous allons le voir, la seule approche volontaire

montre rapidement ses limites (2).

1. La définition de l’autorégulation

261. L’autorégulation, définie par une « coïncidence substantielle entre auteurs

et destinataires de la régulation »1099, est la réponse apportée par et pour les acteurs privés

afin d’organiser leurs pratiques respectives1100.

Historiquement, la modification des comportements est toujours passée par ce que l’on

appelle la « réglementation classique ». Durant longtemps, on n’imaginait pas qu’il pourrait y

avoir d’autres moyens permettant d’engager une action ou de changer une situation de fait,

autrement dit, de réguler. Ceux-ci devaient nécessairement se traduire par l’adoption de règles

de droit dur, c’est-à-dire dotées de la légitimité politique et bénéficiant du renfort de l’appareil

étatique. Or, cette réglementation classique connaît au moins deux problèmes. Premièrement,

1099 F. Cafaggi, « Le rôle des acteurs privés dans le processus de régulation : participation, autorégulation et

régulation privée », Revue française d’administration publique, n° 109, 2004, p. 23 et s., spéc. p. 23. 1100 Ph. Kahn, « L’autorégulation », in L’émergence de la société civile internationale. Vers la privatisation du

droit international, sous la dir. de H. Ghérari et S. Szurek, Pedone, coll. « Cahiers internationaux », 2003, p. 197

et s., spéc. p. 200.

Chapitre I. Les démarches volontaires des entreprises en matière de lutte contre le changement climatique

251

elle se caractérise par une certaine extériorité par rapport à ses destinataires1101. Du fait de cette

extériorité, ces derniers n’y adhèrent pas volontairement et entièrement, et ce n’est pas étonnant,

l’idée de contrainte ne plaît pas1102. Deuxièmement, elle est pratiquement impossible à mettre

en œuvre dans le contexte d’une économie de marché mondialisée. Or, les mutations qui sont

en cours du fait de la mondialisation – révolution technologique, intensification des échanges

internationaux, délocalisations – doivent être régulées. C’est là que l’autorégulation « prend le

contre-pied de la logique traditionnelle de réglementation »1103, en réponse donc au déficit de

régulation mondiale1104.

262. L’autorégulation repose sur des mécanismes de droit souple produit par des

acteurs privés. Elle consiste en la « possibilité pour les opérateurs économiques, les partenaires

sociaux, les organisations non gouvernementales ou les associations d’adopter entre eux et pour

eux-mêmes des lignes directrices communes ». Cette définition de l’autorégulation est issue de

l’Accord interinstitutionnel « Mieux légiférer » adopté le 16 décembre 20031105. Lorsque les

institutions européennes définissent l’autorégulation, elles ne délimitent pas les outils et

supports utilisés pour sa mise en œuvre. En effet, les règles qui en sont issues prennent vie sur

une multitude de supports1106 et se caractérisent par leur « absence de force apparente »1107 car,

a priori, elles ne peuvent pas être sanctionnées par l’ordre étatique. Il s’agit de tous les différents

codes de bonne conduite et chartes éthiques1108.

Les premières initiatives d’autorégulation ont vu le jour après les divers scandales

économiques et tragédies écologiques, auxquelles nous devons, d’ailleurs, la mise en évidence

des dérives du capitalisme. La dimension mondiale de l’activité des plus grandes entreprises a

fait craindre qu’elles ne soient soumises à aucun contrôle politique. Devenues la cible de

mobilisations populaires, elles ont été les premières à se doter de documents éthiques visant à

1101 E. Bouretz, « Les défaillances de la régulation financière », Revue de droit bancaire et financier, septembre

2009, dossier 26. 1102 Comme l’observe le Conseil d’État, « les partisans de l’autorégulation mettent souvent en avant la vertu de

règles définies par les acteurs concernés eux-mêmes, qui feraient appel à leur esprit de responsabilité, alors que

les règles imposées par les pouvoirs publics susciteraient chez leurs destinataires une volonté de contournement » :

Conseil d’État, Le droit souple, op. cit., p. 102. 1103 C. Granier, « L’attrait du droit souple dans l’encadrement de la rémunération des dirigeants sociaux », Revue

des sociétés, 2016, p. 207. 1104 Sur cette question, voy. supra nos 214 et 215. 1105 Parlement européen, Conseil, Commission, Accord interinstitutionnel « Mieux légiférer », 2003/C 321/01,

JOUE C 321 du 31 décembre 2003, p. 1-5. 1106 F. Osman, « Avis, directives, codes de bonne conduite, recommandations, déontologie, éthique, etc. : réflexion

sur la dégradation des sources privées du droit », op. cit. 1107 J.-M. Jacquet, « L’émergence du droit souple (ou le droit “réel” dépassé par son double) », in Études à la

mémoire du Professeur Bruno Oppetit, Litec, 2009, p. 331-348, spéc. n° 16. 1108 Voy. supra nos 243 et 244.

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

252

intégrer les principes d’une responsabilité sociale1109. Il est vrai qu’en pratique, l’édiction de

codes de conduite ou de chartes éthiques est souvent concomitante avec des mobilisations qui

remettent en cause l’activité des entreprises. Elle fait suite à des pressions qui sont exercées sur

elles par des syndicats, ONG, consommateurs, citoyens. Ainsi, si aujourd’hui la compagnie

pétrolière anglo-néerlandaise Shell se vante de ses « principes de conduite », « code de

conduite » et « charte éthique », c’est en grande partie en réponse aux différentes campagnes

populaires dont elle a fait l’objet les cinq dernières décennies. Par exemple, la campagne

populaire menée à son encontre dans les années 1970 visant à lutter contre l’apartheid en

Afrique du Sud1110 : manifestations devant les stations-service Shell, distribution de millions de

tracts, publications dans des journaux, dans le but de dénoncer la collaboration de Shell avec le

régime d’apartheid. Ou encore, le boycott organisé par Greenpeace à l’occasion de l’affaire

Brent Spar1111. De façon générale, nous remarquons que le contexte dans lequel sont élaborés

les codes de conduite ou chartes éthiques a une influence certaine sur leur contenu. Très

souvent, ils font écho aux difficultés que rencontrent leurs émetteurs. Ainsi, à la suite du

naufrage de l’Erika au mois de décembre 1999, Total Elf Fina intègre dans son code de

conduite, mis en place en 2000, des engagements relatifs au transport du pétrole.

Mais l’histoire a parfois servi de leçon et les initiatives d’autorégulation en amont,

c’est-à-dire dans une approche de gestion des risques, se sont sensiblement multipliés

aujourd’hui. Les opérateurs économiques n’attendent plus d’être publiquement dénoncés et se

prémunissent contre le risque d’atteinte à leur image. Comme nous l’avons vu précédemment,

les démarches d’autorégulation sont de plus en plus structurées. Petit à petit se mettent en place

des référentiels internationaux1112 qui résument ce que l’on appelle les « bonnes pratiques » des

entreprises et qui fixent un certain nombre de principes que toute entreprise se doit de respecter,

indépendamment de sa taille, de sa nationalité et de son secteur d’activité. L’adhésion à ces

référentiels vise à donner de la légitimité aux discours des entreprises, lesquelles acceptent de

1109 Voy. C. Dirdy, « La RSE comme phénomène social, retour sur les années 1990 », in Regards croisés sur le

phénomène de la responsabilité sociale de l’entreprise, sous la dir. de E. Mazuyer, La Documentation française,

2010, p. 41-60. 1110 Régime de discrimination systématique selon des critères raciaux ou ethniques établi jusqu’en 1994 en Afrique

du Sud. Ce régime fait de la ségrégation raciale la clé de voûte de la vie politique, sociale et économique. 1111 Brent Spar était, pour l’essentiel, un réservoir cylindrique de 140 mètres de long. En 1991, l’évolution

technologique ayant rendu inutiles de tels réservoirs, Shell décide de s’en séparer. En 1995, après avoir effectué

les études d’impact nécessaires et obtenu l’accord du gouvernement britannique, Shell décide de nettoyer la

plateforme et de la couler par le fond. Greenpeace conteste violemment cette décision et organise une campagne

de boycott international, qui a été particulièrement efficace (en Allemagne, Shell perdit la moitié de sa clientèle).

Finalement, plutôt que de la sombrer en mer, Shell décide de démanteler Brent Spar à terre. Par ailleurs, il s’est

avéré, par la suite, que le transport et la démolition de ce réservoir dans un fjord de Norvège, en 1999, ont eu des

effets plus nocifs pour l’environnement que ne l’aurait eu son coulage en mer, mais c’est une autre histoire… 1112 Voy. supra nos 251 à 254.

Chapitre I. Les démarches volontaires des entreprises en matière de lutte contre le changement climatique

253

se conformer à des normes de comportement considérées par tous comme souhaitables. Cette

acceptation est ici facilitée du fait de l’absence de contrainte juridique.

D’autres fois, la démarche d’autorégulation procède d’une volonté de retarder ou

d’empêcher l’élaboration d’une réglementation contraignante. Dans cette perspective, les

entreprises « “s’auto-normeraient” pour éviter la création d’une norme légale qu’elles auraient

alors à respecter »1113. Ainsi, puisqu’elles préfèrent largement la norme volontaire à la norme

légale1114, elles agissent de concert pour assurer la régulation dans un domaine considéré. Il se

peut aussi cependant que l’autorégulation des acteurs privés se développe en réaction à

l’inaction des États. Comme l’observe un auteur, « le développement de cette autorégulation,

lié à l’absence de réglementation publique ou au désintérêt du législateur, s’explique par la

nécessité pour l’action d’un cadre juridique »1115. On assiste, dès lors, à une accumulation de

codes privés exprimant les mêmes idées. Un nouvel ordre normatif se crée. Selon Philippe

Kahn, « si un code en tant que message d’une entreprise reste une déclaration d’intention, la

multiplication des codes allant dans le même sens et issus d’opérateurs ou d’institutions

représentatifs du milieu ouvre de nouvelles perspectives. En effet, pris dans leur globalité, ils

manifestent l’existence d’un ordre public internationalement accepté, sinon entièrement conçu

par des éléments appartenant à la société civile, et ceci dans des domaines où la société

interétatique, malgré les pressions soit de certains États (pays en développement) soit de

certaines organisations privées (les ONG) n’a pas réussi à établir les normes internationales

appropriées »1116.

En bref, « l’autorégulation est bifide. Elle est tant la tête de pont d’une réglementation

contraignante en devenir que l’expression d’un manque de volonté politique d’adopter une telle

réglementation »1117.

263. Or, le changement climatique fait partie de ces domaines où l’absence de

réglementation, « faute de volonté politique ou de moyen juridique disponible, laisse place à

l’autorégulation et à la soft law en général. Il semble que ce soient les seuls moyens

actuellement disponibles pour permettre une certaine responsabilisation des acteurs privés là

1113 Ch. Neau-Leduc, « Les accords sur la “responsabilité sociale de l’entreprise” », Droit social, 2008, p. 75. 1114 Ibid. 1115 Y. Heyraud, Le droit non-étatique dans les rapports internationaux privés : contribution à l’étude des fonctions

du droit international privé, thèse, Paris I, 2017, p. 59. 1116 Ph. Kahn, « L’autorégulation », op. cit., spéc. p. 201. 1117 É. Dubois et J. Chacornac, « Les limites de l’autorégulation en droit des sociétés », Bull. Joly Sociétés, 2013,

n° 11.

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

254

où les États ne parviennent pas à – ou ne veulent pas – imposer des normes »1118. Mais est-ce

qu’un enjeu aussi important peut être régulé par les seuls acteurs privés ? Cette question mérite

d’être approfondie.

2. Les insuffisances constatées de l’autorégulation en matière de climat

264. Les initiatives d’autorégulation en matière de climat sont multiples.

Cependant, sont-elles efficaces ? Le régime climatique élaboré tant bien que mal à l’échelle

internationale appelle de manière récurrente à la participation des entreprises. Les multiples

échecs de ce régime ont, d’ailleurs, souligné l’importance de penser le droit autrement, c’est-à-

dire de l’ouvrir à l’internormativité et au pluralisme juridique1119. Le droit dur en matière de

lutte contre le changement climatique est, on le sait, en recul. Parallèlement, le nombre

d’entreprises qui, dans le cadre de leurs démarches de responsabilité sociale, adoptent des

instruments volontaires dans le domaine du climat, ne cesse de croître. Cette tendance

croissante des entreprises à vouloir s’engager dans la lutte contre le changement climatique

s’est d’ailleurs confirmée à l’occasion de la deuxième édition du One Planet Summit le 26

septembre 2018 à New York.

Les entreprises désireuses de contribuer à la lutte contre le changement climatique

doivent, avant tout, dresser un bilan de leurs rejets de gaz à effet de serre. La réalisation de ce

bilan carbone constitue le point de départ de toute action1120. Ce n’est que dans un second temps

qu’elles peuvent mettre en place des actions concrètes de réduction de leurs émissions. Ainsi,

les économies d’énergie, l’amélioration de l’efficacité énergétique des unités de production,

l’éco-conception des produits, l’optimisation du transport des marchandises, la réduction des

émissions de dioxyde de carbone liées aux déplacements professionnels, la récupération du

méthane produit par les déchets… sont autant d’actions qui permettent aux entreprises de

réduire leur empreinte carbone1121. Ces actions, qui peuvent tout à fait être valorisées dans le

cadre des démarches de RSE, sont donc librement choisies par les entreprises. Néanmoins, elles

1118 E. Mazuyer et I. Michallet, « La responsabilité sociale des entreprises et la lutte contre les changements

climatiques », in L’implication des entreprises dans les politiques climatiques. Entre corégulation et

autorégulation, sous la dir. de S. Maljean-Dubois et A. Roger, La Documentation française, 2011, p. 27-50, spéc.

p. 49-50. 1119 Voy. sur cette question : E. Bernheim, « Le “pluralisme normatif” : un nouveau paradigme pour appréhender

les mutations sociales et juridiques ? », Revue interdisciplinaire d’études juridiques, vol. 67, n° 2, 2011, p. 1-41. 1120 Sur l’obligation, pour certaines entreprises, de réaliser un bilan carbone, voy. infra : Première partie, Titre II,

Chapitre II, Section 1, §1. L’obligation d’information en matière climatique. 1121 Voy. EpE, Actions Climat des Entreprises, novembre 2012, en ligne : http://www.epe-asso.org/actions-climat-

des-entreprises-pratiques-de-reduction-des-emissions-de-gaz-a-effet-de-serre-des-entreprises-membres-depe-

novembre-2012/.

Chapitre I. Les démarches volontaires des entreprises en matière de lutte contre le changement climatique

255

connaissent des limites. Leur réalisation peut, parfois, s’avérer difficile ou très coûteuse. D’où

l’idée de compenser ses émissions en finançant une réduction d’émissions équivalente chez un

autre acteur1122.

La compensation volontaire1123 a pu être qualifiée d’« outil discret mais efficace »1124.

Pour rappel, elle recouvre les initiatives volontaires d’acteurs publics ou privés (particuliers,

ONG, collectivités territoriales, entreprises) qui s’engagent à compenser les gaz à effet de serre

qu’ils émettent dans le cadre de leurs activités en achetant des crédits d’émissions générés par

des projets de réduction ou de séquestration des émissions de gaz à effet de serre. Même si sa

contribution à la lutte contre le changement climatique n’est pas très importante, la

compensation volontaire s’inscrit dans une démarche de responsabilité sociale émanant

d’acteurs qui ne sont pas soumis à une obligation légale de réduire leurs émissions. Certes, la

crédibilité de certaines actions, même certifiées par des standards reconnus1125, est parfois

remise en question. Il reste néanmoins qu’elle a un rôle pédagogique important et constitue un

exemple à suivre.

La fixation interne du prix du carbone1126 est un autre exemple emblématique de

démarche volontaire en matière de lutte contre le changement climatique. Comme vu

précédemment, en établissant en interne un prix au carbone, les entreprises intègrent dans leurs

stratégies d’investissement la prise en compte des externalités négatives qui impactent le climat.

Pour l’heure, malgré un engagement croissant de la part des entreprises, très peu d’entre elles

s’engagent sur cette voie avec un premier objectif d’améliorer leurs performances. Confrontées

à des contextes hétérogènes et fluctuants, elles cherchent plutôt à se prémunir contre le risque

de voir un jour apparaître une réglementation en la matière ou une augmentation conséquente

du prix externe du carbone.

265. Notons que, de façon générale, la création de « marchés volontaires » permet, a

priori, de sensibiliser les acteurs pour les rendre plus responsables et solidaires. Encore faut-il

que cette hypothèse soit vérifiée, tant les exemples de défaillance des marchés en matière de

régulation sont nombreux. À s’en tenir au domaine du climat, le système d’échange de quotas

1122 B. Leguet et V. Bellassen, « La participation à des programmes de compensation volontaire », in L’implication

des entreprises dans les politiques climatiques. Entre corégulation et autorégulation, sous la dir. de S. Maljean-

Dubois et A. Roger, La Documentation française, 2011, p. 51-63. 1123 Voy. supra n° 225-2. 1124 B. Leguet et V. Bellassen, « La participation à des programmes de compensation volontaire », op. cit. 1125 Par exemple, la certification CarbonNeutral. 1126 Voy. supra n° 225-1.

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

256

d’émission de gaz à effet de serre1127 n’a pas démontré une pleine efficacité1128, loin de là. En

2006, dans son rapport sur l’économie du changement climatique, Nicholas Stern soulevait

ainsi un paradoxe flagrant à propos du climat : « l’accroissement de la concentration

atmosphérique de gaz à effet de serre est la plus spectaculaire défaillance du marché jamais

enregistrée »1129. Dès lors, la question se pose de savoir comment peut-on se fier au marché

pour y remédier1130.

266. L’autorégulation ne suffit pas pour combattre le changement climatique.

D’aucuns regrettent qu’elle ne soit qu’un « instrument “commode” de légitimation d’un

discours »1131. Il est vrai que les engagements volontaires pour le climat sont souvent dictés par

une volonté de s’autoréguler afin d’échapper à une réglementation contraignante. L’exemple

sans doute le plus parlant, c’est la taxe carbone1132.

Or, en matière de lutte contre le changement climatique, les efforts doivent être

partagés. Il faut agir collectivement, à tous les niveaux et par tous les moyens. Il est certain que

le modèle classique de l’action publique qui vise à contraindre les acteurs économiques à agir

en matière climatique ne peut pas fonctionner. L’autorégulation ne peut être entièrement exclue.

RSE, normalisation, certification, compensation volontaire… tous ces outils permettent aux

entreprises de concrétiser leur implication dans la lutte contre le changement climatique. Sans

doute, leur multiplication complexifie davantage nos systèmes juridiques déjà assez complexes.

Mais, pour reprendre les mots de Gilles Martin, cette « “juris diversité” est une qualité à

développer et à préserver dans la société contemporaine, comme la bio-diversité doit l’être dans

la nature »1133.

Pour conclure sur ce point, l’autorégulation des acteurs privés peut être un moyen

d’agir pour le climat. Simplement, elle doit conserver son caractère complémentaire par rapport

aux autres approches de régulation, car en l’absence de véritable autorité de régulation à

l’échelle mondiale, les risques d’instrumentalisation sont élevés.

1127 Voy. supra n° 122 à 124. 1128 M. Torre-Schaub, « Droit économique et droit de l’environnement : pour un regard croisé », Énergie –

Environnement – Infrastructures, n° 5, mai 2018, dossier 2. 1129 Stern Review of the Economics of Climate Change, octobre 2006, cité par A. Van Lang, « Protection du climat

et de la biodiversité au prisme du droit économique : l’apport de la loi Biodiversité », Énergie – Environnement –

Infrastructures, n° 5, mai 2018, dossier 4. 1130 A. Van Lang, « Protection du climat et de la biodiversité au prisme du droit économique : l’apport de la loi

Biodiversité », op. cit. 1131 É. Dubois et J. Chacornac, « Les limites de l’autorégulation en droit des sociétés », op. cit. 1132 Voy. supra n° 126. 1133 G. Martin, « Conclusion générale », in Les approches volontaires et le droit de l’environnement, sous la dir.

de N. Hervé-Fournereau, Presses Universitaires de Rennes, 2008, p. 315-319, spéc. p. 319.

Chapitre I. Les démarches volontaires des entreprises en matière de lutte contre le changement climatique

257

267. La mondialisation a affaibli le rôle des États, sans pour autant conduire à leur

disparition1134. Effectivement, « la souveraineté limitée n’est pas équivalente à une soi-disant

désétatisation »1135. Les États ont perdu leur monopole dans la production normative mais cette

perte n’est pas subie ; au contraire, elle est consciente1136. Comme l’affirmait Gérard Farjat, « la

mondialisation est très largement le fruit d’un ordre construit »1137. Les États et les pouvoirs

privés économiques coexistent à l’échelle transnationale. Cette coexistence « s’affiche

immanquablement sous le signe de la complémentarité de leurs pouvoirs normatifs »1138. Ainsi,

« ce qui prévaut en vérité dans ces cas où la régulation non étatique occupe une place

significative, c’est plutôt un schéma de “corégulation”, dans lequel la régulation privée et la

régulation étatique – ou celle qu’assurent des organisations internationales publiques – se

complètent, se relaient »1139.

B. La corégulation en matière de lutte contre le changement climatique

268. La « corégulation » désigne la situation dans laquelle les acteurs privés et les

pouvoirs publics participent de concert à la régulation (1). Ce mode de régulation, qui est certes

plus prometteur que l’autorégulation, présente néanmoins également des limites (2).

1. La définition de la corégulation

269. La corégulation relève davantage du droit négocié1140. Il s’agit d’une

« intervention normative conjointe des autorités publiques et des destinataires privés dans

1134 H. Ruiz-Fabri, « Genèse et disparition de l’État à l’époque contemporaine », Annuaire français de droit

international, n° 38, 1992, p. 153-178. 1135 H. Ullrich, « La mondialisation du droit économique : Vers un nouvel ordre public économique. Rapport

introductif », RIDE, 2003/3, t. XVII, p. 291-311, spéc. p. 302. 1136 G. Rabu, « La mondialisation et le droit : éléments macrojuridiques de convergence des régimes juridiques »,

RIDE, 2008/3, t. XXII, p. 335-356, spéc. p. 348 : « La perte de monopole des sujets de droit international public

est souvent présentée comme un phénomène subi. Les États seraient ainsi impuissants face aux évolutions

économiques, et à l’émergence de puissances financières qu’ils ne maîtrisent pas. La réalité nous semble beaucoup

plus nuancée. S’il est vrai que cette perte de monopole découle directement de la mise en œuvre du pouvoir

réglementaire des acteurs juridiques transnationaux, celle-ci est aussi rendue possible par son acceptation tacite.

Autrement dit, la perte de monopole des États est consciente ». 1137 G. Farjat, « Propos critiques et utopiques sur l’évolution du droit économique et la mondialisation », RIDE,

2003/3, t. XVII, p. 511-531, spéc. p. 513. 1138 G. Rabu, « La mondialisation et le droit : éléments macrojuridiques de convergence des régimes juridiques »,

op. cit., spéc. p. 349-350. 1139 J.-B. Auby, La globalisation. Le droit et l’État, Montchrestien, 2003, p. 69. 1140 Sur le droit négocié, voy. supra n° 194 et s.

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

258

laquelle chacune des parties conserve un véto sur la norme finale »1141. Comme

l’autorégulation, la corégulation est une alternative à la réglementation.

Par ailleurs, notons que la définition de la corégulation est légèrement différente au

niveau européen. L’Accord interinstitutionnel « Mieux légiférer » de 20031142 la définit comme

« le mécanisme par lequel un acte législatif communautaire confère la réalisation des objectifs

définis par l’autorité législative aux parties concernées reconnues dans le domaine (notamment

les opérateurs économiques, les partenaires sociaux, les organisations non gouvernementales

ou les associations) »1143. Autrement dit, le législateur adopte un texte-cadre fixant les aspects

essentiels de l’objectif à atteindre, les partenaires économiques réglant, dans leur accord, la

manière détaillée de l’atteindre1144. Les autorités européennes reconnaissent, d’ailleurs, depuis

longtemps, la nécessité de dépasser le cadre strictement législatif pour mettre en place une autre

approche stratégique, notamment en matière environnementale.

La corégulation présente l’intérêt de « concilier une association très poussée des

acteurs privés à la production de la norme, de nature à susciter leur adhésion à son égard, tout

en maintenant un pouvoir de décision de la puissance publique »1145. La corégulation est ainsi

une méthode de régulation fondamentalement hybride, où la production normative est partagée

entre pouvoirs publics et pouvoirs privés.

270. Le recours à la corégulation est envisageable lorsqu’il est nécessaire d’agir

en collaboration étroite avec les entreprises, comme dans le cas de la politique

environnementale ou climatique. En la matière, la corégulation se manifeste « par des accords

contraignants et formels, visant à mettre en œuvre une mesure […] dont le législateur prend

normalement l’initiative »1146. De nos jours, ces accords environnementaux dits « volontaires »,

aussi multiples que variés, sont devenus des outils classiques de la politique environnementale.

Ce sont des dispositifs dans lesquels une entreprise, ou un groupe d’entreprises, s’engage

volontairement devant une autorité publique à atteindre un objectif environnemental allant au-

1141 A. Roger, « Corégulation et politique climatique de l’Union européenne. Le rôle des accords

environnementaux », in L’implication des entreprises dans les politiques climatiques. Entre corégulation et

autorégulation, sous la dir. de S. Maljean-Dubois et A. Roger, La Documentation française, 2011, p. 67-96, spéc.

p. 67. 1142 Parlement européen, Conseil, Commission, Accord interinstitutionnel « Mieux légiférer », préc. 1143 Ibid., p. 3. 1144 A. Brunet, « La régulation juridique des questions environnementales et le principe de subsidiarité », Gaz.

Pal., 12 juin 2004, p. 6. 1145 Conseil d’État, Le droit souple, op. cit., p. 183. 1146 P. Thieffry, « Les approches volontaires et le droit de la concurrence », in Les approches volontaires et le droit

de l’environnement, sous la dir. de N. Hervé-Fournereau, Presses Universitaires de Rennes, 2008, p. 111-124,

spéc. p. 112.

Chapitre I. Les démarches volontaires des entreprises en matière de lutte contre le changement climatique

259

delà des exigences réglementaires1147. Souvent, ces accords sont obtenus « sous la menace

d’une action législative ou réglementaire »1148. Leur capacité à donner des résultats est jugée à

l’aune du degré de participation et du pouvoir de sanction des autorités publiques.

L’intervention publique est « suspendue », ce qui signifie que les autorités publiques pourront

toujours intervenir ex post dans les domaines couverts par l’accord, si les résultats fixés ne sont

pas atteints1149.

La nature des problèmes environnementaux que les accords volontaires se proposent

de traiter est très diverse, mais la question de la pollution atmosphérique revient souvent. Ainsi,

à partir de 1998, la Commission européenne a passé des accords avec les associations des

constructeurs d’automobiles européens (ACEA), japonais (JAMA) et coréens (KAMA) pour

réduire les émissions de CO2 en provenance des voitures particulières. À cette époque, on

considérait ces accords comme étant porteurs d’une formule « gagnant-gagnant ». Aujourd’hui,

les choses sont plus nuancées, comme en témoigne la désapprobation massive de l’industrie

automobile de l’accord conclu entre les États membres de l’Union européenne et le Parlement

européen le 17 décembre 2018. Aux termes de cet accord, les voitures neuves issues des usines

des constructeurs installés dans l’Union européenne devront avoir réduit leurs émissions de

CO2 de 15 % d’ici à 2025 et de 37,5 % d’ici à 2030, par rapport à leur niveau de 2021. Les

industriels ont qualifié ces objectifs de trop ambitieux, voire irréalistes.

271. Les accords volontaires présentent de multiples intérêts : leur élaboration est

relativement rapide, ils se substituent à des réglementations dont la forme serait trop complexe,

ils permettent d’accélérer la mise en œuvre des objectifs annoncés. Comme l’observe un auteur,

« le fait d’impliquer les firmes dans l’élaboration de la politique environnementale à l’aide

d’approches volontaires ouvre la voie à des mesures mieux adaptées à l’industrie, et donc plus

1147 P. Fleckinger et M. Glachant, « La responsabilité sociale de l’entreprise et les accords volontaires sont-ils

complémentaires ? », Économie & prévision, vol. 190-191, n° 4, 2009, p. 95-105. 1148 Ibid., spéc. p. 97. 1149 G. Martin, « La régulation juridique des accords volontaires et le droit de la concurrence », in L’implication

des entreprises dans les politiques climatiques. Entre corégulation et autorégulation, sous la dir. de S. Maljean-

Dubois et A. Roger, La Documentation française, 2011, p. 115-120, spéc. p. 116 : « S’agissant de la “corégulation”

[…] la régulation ne peut être qu’externe aux secteurs concernés et elle ne peut intervenir qu’ex post. C’est a

posteriori et lorsqu’il constate que les accords volontaires n’ont pas permis d’atteindre les objectifs qui avaient été

fixés que le législateur doit intervenir pour imposer par voie de décision unilatérale les mesures réglementaires

adéquates. La seule interrogation que l’on peut avoir porte alors sur l’efficacité de cette régulation externe et ex

post. Bien souvent, on constatera qu’un temps précieux a été perdu et qu’après tout, les secteurs concernés ne

seront pas pénalisés d’avoir “tenté le coup” et d’avoir retardé par leur mauvaise volonté la mise en œuvre d’une

mesure qui pourtant, en droit strict, s’imposait à eux. De là, on pourrait se demander si les démarches de

“corégulation” ne devraient pas être assorties de mesures visant à sanctionner les acteurs qui n’en ont pas joué le

jeu ».

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

260

acceptables »1150. Et pourtant, en dépit de ses vertus certaines, la corégulation ne semble pas

être un instrument qui garantit efficacement la lutte contre le changement climatique.

2. Les insuffisances persistantes de la corégulation en matière de climat

272. La corégulation présente des risques non négligeables de « capture » de la

régulation publique par les intérêts privés. Ici, le problème se pose dans pratiquement les

mêmes termes que pour l’autorégulation. La transparence et la démocratie sont des enjeux

primordiaux. Il est donc important que les pouvoirs publics « conservent la maîtrise de la

décision dans les situations de corégulation »1151. Il est vrai, d’ailleurs, que même en matière

de réglementation, le lobbying des personnes privées est parfois déterminant. Mais le risque de

détournement est encore plus grand en matière de corégulation où la norme est, par définition,

négociée. Dans le domaine du climat, Marta Torre-Schaub préconise une collaboration entre

pouvoirs publics et personnes privées, afin de « trouver un mode d’action qui envisage à la fois

la gestion de l’élément économique et la protection des objets envisagés »1152. En effet, il ne

faut pas chercher à imposer aux acteurs économiques les termes d’un accord qu’ils jugeraient

liberticide et trop contraignant, car il ne serait pas appliqué.

273. La corégulation risque d’apporter un surcroît de légitimité à une norme

privée sans assurer de manière efficace la protection des intérêts publics. En effet, la prise

en compte effective des intérêts publics par les personnes privées est un autre enjeu majeur1153.

Rien n’est moins sûr, mais la voie est ouverte. Le Professeur Gilles Martin rappelle très

justement que « les démarches volontaires ou mixtes ne s’imposeront que si elles acquièrent

une légitimité et elles ne l’acquerront qu’à la condition d’être crédibles tant aux yeux des

pouvoirs publics qu’à ceux du public lui-même »1154.

274. En résumé, dans le cadre de cette section, nous nous sommes intéressés à la

portée juridique des démarches de responsabilité sociale des entreprises. Cette question revêt

1150 M. David, « Les approches volontaires comme instrument de régulation environnementale », Revue française

d’économie, vol. 19, n° 1, 2004, p. 227-273, spéc. p. 230. 1151 Conseil d’État, Le droit souple, op. cit., p. 183. 1152 M. Torre-Schaub, « Droit économique et droit de l’environnement : pour un regard croisé », Énergie –

Environnement – Infrastructures, op. cit. 1153 Voy. S. Michalak, « De la prise en compte à la prise en charge de l’intérêt général par l’entreprise. Quelques

réflexions en marge de la loi PACTE », op. cit. 1154 G. Martin, « La régulation juridique des accords volontaires et le droit de la concurrence », op. cit., spéc. p.

117.

Chapitre I. Les démarches volontaires des entreprises en matière de lutte contre le changement climatique

261

une importance capitale pour mesurer l’aptitude des entreprises à porter, avec les États, la lutte

contre le changement climatique.

Il arrive encore que la portée juridique de la RSE soit jugée bien trop faible au regard

des enjeux importants du changement climatique, pour deux raisons principalement. D’abord,

la valeur juridique des engagements volontaires est controversée. Elle dépend largement du

contenu des engagements, dont le choix demeure libre, nonobstant une certaine précision, voire

une structuration. D’autre part, même si le recours à la normalisation privée traduit un

phénomène de responsabilisation des acteurs du marché, ni l’autorégulation, ni la corégulation

ne permettent de garantir la réalisation des objectifs climatiques.

Or nous considérons que malgré ces déboires, il faut rester optimiste. En effet, « la

RSE n’est plus seulement un outil d’autorégulation, mais un ensemble de pratiques encadrées

par des standards qui continuent, certes, de se dire d’application “volontaire”, mais qui

comprennent des aspects contraignants et dont l’effet cumulatif produit un effet régulateur

global »1155.

De par ses effets de régulation, et malgré sa valeur juridique controversée, la RSE –

saisie par le droit – peut servir d’outil pour lutter contre le changement climatique.

1155 M. Doucin, « La dimension internationale de la responsabilité sociale de l’entreprise », in Développement

durable et entreprise, sous la dir. de L. Fonbaustier et V. Magnier, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires »,

2013, p. 15-22, spéc. p. 16.

263

Conclusion du Chapitre I

275. Conclusion du Chapitre I relatif aux démarches volontaires des entreprises

en matière de lutte contre le changement climatique. La recherche de la « juste place des

entreprises »1156 dans la lutte contre le changement climatique est un exercice périlleux. La

question n’est plus vraiment si elles ont un rôle à jouer, mais plutôt quel est leur niveau

d’implication et quelles en sont les modalités. Il est désormais acquis que la mobilisation des

entreprises privées est primordiale et déterminante pour la résolution du problème climatique.

L’effectivité du régime climatique à l’échelle globale ne peut être atteinte sans le concours des

entreprises.

Dans le cadre de ce chapitre, nous nous sommes intéressés à l’essor des démarches

volontaires des entreprises en matière de lutte le changement climatique.

Ainsi, dans un premier temps, nous avons observé l’élargissement progressif du

domaine de la responsabilité sociale des entreprises à la problématique climatique. Au lieu de

subir les politiques climatiques, et dans un souci d’anticipation des évolutions réglementaires,

les entreprises – très visionnaires – manifestent leur volonté d’œuvrer pour la protection du

climat. Les réflexions qu’elles mènent en matière d’opportunités de développement ou

d’amélioration de la compétitivité les conduisent aujourd’hui à prendre en considération la

préoccupation climatique. Elles sont ainsi à l’origine de nombreuses initiatives en matière de

lutte contre le changement climatique et contribuent, indiscutablement, à l’enrichissement des

techniques de protection du climat. Porteur de multiples enjeux concurrentiels, le changement

climatique est perçu comme une aubaine pour les entreprises. Cependant, la question des

motivations des entreprises qui s’engagent pour le climat n’est pas neutre. Il y a longtemps déjà,

un auteur exprimait l’idée selon laquelle « le danger de l’économique, promu au rang de finalité

en soi, c’est de mettre au service de l’efficacité simple le droit […], sans souci des valeurs

auxquelles il est voué »1157. Le risque d’instrumentalisation des techniques juridiques par les

acteurs économiques est présent dès lors que l’on peine, dans un contexte mondialisé et en

l’absence de véritable autorité de régulation, à les saisir juridiquement.

Dès lors, dans un second temps, nous nous sommes intéressés à la portée juridique des

démarches de responsabilité sociale en matière de climat. Nous avons pu constater que la RSE

1156 O. Godard, « Conclusions générales. L’enjeu climatique : à la recherche de la juste place des entreprises », in

L’implication des entreprises dans les politiques climatiques. Entre corégulation et autorégulation, sous la dir. de

S. Maljean-Dubois et A. Roger, La Documentation française, 2011, p. 185-198. 1157 R. Savatier, Le droit comptable au service de l’homme, 1969, rééd. Dalloz, 2005, p. 121.

264

est juridiquement complexe. Démarche essentiellement volontaire, la RSE est considérée

comme relevant du droit souple. Les instruments de mise en œuvre de la RSE – codes de bonne

conduite, chartes éthiques – n’ont, a priori, aucune valeur juridique. Mais le recours à ces

instruments volontaires se généralise, les engagements se précisent, ils sont parfois

contractualisés, ils servent de modèles…, si bien qu’un nouvel ordre normatif se crée, dont les

effets régulateurs, même insuffisants au regard de l’ampleur de la problématique climatique,

sont incontestables.

Aujourd’hui, l’appartenance de la RSE au droit souple est remise en question du fait

de l’apparition de législations qui imposent aux entreprises des obligations en la matière. Un

cadre normatif de la RSE se dessine progressivement. On parle de « durcissement de la RSE ».

265

Chapitre II. Le développement d’obligations nouvelles dans le contexte de lutte contre le

changement climatique

276. La consécration d’obligations juridiques nouvelles cristallise le processus de

responsabilisation de l’entreprise dans le contexte de lutte contre le changement climatique. Il

s’agit, en effet, de la dernière étape de ce processus intéressant qui vise à « reconnecter pouvoir

et responsabilité »1158, permettant ainsi à l’entreprise – acteur du changement climatique – de

s’acquitter du rôle qui lui est attribué dans le combat pour le climat. En réalité, l’objectif de

cette législation est moins de parvenir à une mise en cause systématique de la responsabilité

juridique de l’entreprise que d’encourager le « sentiment de responsabilité » chez elle. En effet,

tel qu’il est mobilisé dans la philosophie contemporaine, le concept de responsabilité en appelle

au sentiment qui suscite la conviction que ses propres actions ont une influence sur le monde

environnant et sur son évolution1159. Le droit de la responsabilité est ici projeté vers l’avenir et

envisagé comme un instrument de régulation.

Mais quelles sont, précisément, ces nouvelles obligations ? Quelle est leur portée

juridique ? Quelles sont les entreprises concernées ?

Depuis l’adoption de la loi PACTE1160, toute entreprise doit prendre en considération

les enjeux sociaux et environnementaux de ses activités (section 2), en revanche, seules les

entreprises d’une taille importante sont concernées par l’obligation – plus concrète –

d’information en matière climatique et par le devoir de vigilance en matière de protection des

droits humains et de l’environnement (section 1).

Section 1. Des obligations pour les entreprises d’une certaine taille : l’information et la

vigilance

277. L’information et la vigilance : voilà deux ingrédients (presque) parfaits pour

assurer la responsabilisation des grands acteurs économiques au regard des impacts

dommageables de leurs activités sur le climat. Nous avons déjà beaucoup insisté sur la

difficulté, dans un contexte global, à saisir juridiquement l’entreprise pour lui imposer des

obligations positives en matière de lutte contre le changement climatique. Pour autant, cette

1158 A. Supiot, « Face à l’insoutenable : les ressources du droit de la responsabilité », in Prendre la responsabilité

au sérieux, sous la dir. de A. Supiot et M. Delmas-Marty, PUF, 2015, p. 9-35, spéc. p. 13. 1159 V. Rebeyrol, L’affirmation d’un « droit à l’environnement » et la réparation des dommages

environnementaux, Défrenois, Lextenso, 2010, p. 1. 1160 Loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, JO, 23 mai 2019.

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

266

difficulté n’est pas toujours perçue comme un obstacle insurmontable. Depuis quelques années,

les entreprises multinationales sont devenues débitrices d’une obligation d’information extra-

financière dont le domaine a été élargi progressivement à la question du changement climatique

(§1). De plus, depuis 20171161, la loi oblige les sociétés mères et les entreprises donneuses

d’ordre établies en France à élaborer un plan de vigilance afin d’évaluer, de prévenir et de

réduire leurs impacts sociaux et environnementaux sur l’ensemble de leur chaîne de valeur, y

compris leurs sous-traitants ou fournisseurs à l’étranger. Or, du fait de la transversalité de la

question climatique1162, il est difficile de contester la nécessité pour les entreprises de l’intégrer

dans leurs plans de vigilance (§2).

§1. L’obligation d’information en matière climatique

278. Au gré des réformes législatives, l’objet de l’obligation de transparence des

entreprises en matière extra-financière s’est considérablement élargi, si bien que l’impact sur

le changement climatique fait désormais partie des éléments qu’elles doivent prendre en

considération. Ainsi, il existe aujourd’hui une obligation légale d’information spécialement

imposée aux entreprises dans le domaine du climat, qui vise globalement à les voir rendre

compte des incidences de leurs activités sur le changement climatique (A). Certes, la sanction

prévue en cas de non-respect de cette obligation n’est pas la plus dissuasive que l’on puisse

imaginer. Néanmoins, elle va dans le sens d’une implication croissante des grandes entreprises

françaises dans la prise en compte des enjeux climatiques sous l’angle des risques comme des

opportunités. En cela, elle produit un effet régulateur certain, confirmant par ailleurs le rôle

important de l’information dans la régulation1163 (B).

A. La naissance de l’obligation d’information en matière climatique

279. Le domaine extra-financier a progressivement intégré le monde de l’entreprise.

Les conséquences des activités économiques ont été longtemps tenues pour une contrepartie

inévitable du progrès. La question de ces conséquences ne se posait donc quasiment pas

jusqu’aux années 1970 lorsque, sous la pression conjointe de l’opinion publique, du législateur,

1161 Loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises

donneuses d’ordre, JO, 28 mars 2017. 1162 Voy. supra nos 81 à 84. 1163 Voy. A.-S. Epstein, L’information environnementale communiquée par l’entreprise. Contribution à l’analyse

juridique d’une régulation, thèse, Université de Nice, 2014.

Chapitre II. Le développement d’obligations nouvelles dans le contexte de lutte contre le changement climatique

267

des associations écologistes et du grand public, le monde industriel s’est enfin ouvert aux

préoccupations environnementales1164. L’obligation d’information en matière

environnementale (1) est née ainsi dans un contexte troublé par des crises économiques,

sociales et écologiques. Aujourd’hui, le champ d’application de cette obligation a été étendu au

domaine climatique (2).

1. L’obligation d’information en matière environnementale

280. En pratique, la communication environnementale de l’entreprise sur une base

volontaire (a), c’est-à-dire en dehors de toute obligation, spontanée, a largement précédé la

consécration d’obligations légales d’information en matière extra-financière (b).

a) Les débuts de la communication environnementale de l’entreprise

281. La communication environnementale a d’abord été conçue comme une

réponse à des pressions politiques. Dès les années 1970, les dirigeants des grandes entreprises

américaines et multinationales sont appelés à assumer des responsabilités envers la société et

l’environnement, à la mesure de leur pouvoir. Au fond, ces appels sont motivés par le souci de

moraliser le comportement des acteurs économiques. En effet, « dans la recherche du profit,

tous les coups ne sont pas permis […] il faut respecter, au-delà ou indépendamment des

prescriptions légales et réglementaires, une sorte de code d’honneur ou de déontologie dans la

conduite des affaires »1165. Un nouveau dogme est apparu, celui de la transparence. Comme vu

précédemment, en réponse à ces pressions, les entreprises multinationales ont été les premières

à mettre en place des démarches volontaires de responsabilité sociale ou RSE1166, lesquelles ont

par la suite proliféré. Or la RSE « réalise l’articulation entre développement durable et Société

de l’information, dans le même temps qu’elle la projette dans l’horizon de la régulation d’un

capitalisme mondialisé »1167. Avec le recul dont nous disposons aujourd’hui, nous pouvons sans

peine relever que la RSE est non seulement un outil de gestion, mais aussi – probablement

1164 A. Mikol, « La communication environnementale de l’entreprise », Revue française de gestion, vol. 147, n° 6,

2003, p. 151-159. 1165 B. Frydman, « Stratégies de responsabilisation des entreprises à l’ère de la mondialisation », in Responsabilités

des entreprises et corégulation, sous la dir. de T. Berns, P.-F. Docquir, B. Frydman, L. Hennebel et G. Lewkowicz,

Bruylant, coll. « Penser le droit », 2007, p. 1-50, spéc. p. 1. 1166 Voy. supra n° 207 et s. 1167 A.-S. Epstein, L’information environnementale communiquée par l’entreprise. Contribution à l’analyse

juridique d’une régulation, op. cit., p. 11.

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

268

surtout – un outil de communication. Par ailleurs, qu’est-ce que la communication ? Selon Le

Petit Robert de la langue française, communiquer implique de « rendre commun ». En partant

de cette définition, des auteurs ont pu affirmer la nécessité de distinguer l’information et la

communication. La communication supposerait la signification et l’interaction1168, et ne

pourrait donc pas être insensible au sens du message ni à son destinataire. À l’inverse,

l’information consisterait en la transmission pure et simple d’un message1169, et serait parfois

assimilée au résultat de cette action qui vise globalement « à porter à la connaissance d’un

public certains faits ou opinions »1170.

Mais en matière de RSE, l’information est communiquée à ses destinataires, elle n’est

pas uniquement transmise. De fait, elle n’est pas neutre1171 car elle intervient dans le cadre

d’une sorte de reddition de comptes envers les tiers intéressés1172. Ainsi, les entreprises émettent

des informations sur la manière dont elles prennent en considération les impacts sociaux et

environnementaux de leurs activités, dans le cadre d’une communication volontaire et ciblée.

Lorsque la démarche de responsabilité sociale est honnête, le but de la communication de

l’entreprise est d’atteindre les tiers intéressés, autrement dit, de répondre à leurs attentes et

exigences. Certains estiment qu’il y a aussi, dans cette communication, une certaine dose de

narcissisme1173. Elle servirait, en fait, à asseoir l’identité de l’entreprise pour mieux fédérer ses

1168 D. Wolton, Informer n’est pas communiquer, CNRS Éd., coll. « Débats », 2009, p. 18. 1169 Voy. l’ouvrage fondateur de la théorie de l’information : C. E. Shannon et W. Weaver, The Mathematical

Theory of Communication, Illinois University Press, 1949 ; voy. également : P. Catala, « Ébauche d’une théorie

juridique de l’information », D., 1984, p. 97 ; J.-C. Galloux, « Ébauche d’une définition juridique de

l’information», D., 1994, p. 229. 1170 J.-M. Auby et R. Ducos-Ader, Droit de l’information, Dalloz, 2ème éd., 1982, p. 1. 1171 Voy. J. Igalens, « La communication en matière d’informations environnementales et sociales et le rôle des

parties prenantes », in Image(s) & Environnement, sous la dir. de M.-P. Blin-Franchomme, Presses de l’Université

Toulouse 1 Capitole, 2012, p. 233-250 : « […] il s’agit, pour l’entreprise soumise, de prendre en compte que ses

activités et ses résultats affectent des groupes de personnes que les recherches en gestion sont convenues depuis

plus d’un quart de siècle de qualifier de “parties prenantes”. Mais l’information n’est jamais neutre et c’est bien

ce qui pose problème car l’attente d’informations de la part d’une partie prenante cache souvent d’autres attentes

qui concernent des actions ou des résultats de la part de l’entreprise ». 1172 J. Igalens, « La reddition de comptes en matière de RSE », Journal des sociétés, octobre 2009, n° 69, p. 34-

40. 1173 Voy. notamment : A.-S. Epstein, L’information environnementale communiquée par l’entreprise.

Contribution à l’analyse juridique d’une régulation, op. cit., p. 300 : « La figure de la vitre, convoquée par l’idée

de transparence, cède ici le pas à l’image du miroir. Sur ce miroir, c’est l’identité de l’entreprise qui se dessine.

L’image des parties prenantes dites “internes” (salariés et dirigeants) appelées à la contempler vient s’y superposer,

pour in fine l’épouser. Le rapport à l’extérieur serait donc moins recherché que ne le serait la bonne image de soi.

La bonne image de soi se nourrit bien sûr d’avis extérieurs. Conçus par et pour des entrepreneurs de la RSE

(cabinets de conseil et d’audit, analystes spécialisés, responsables développement durable des entreprises, etc.),

les nombreux dispositifs de hiérarchisation des efforts des entreprises dans ce domaine seraient autant de “concours

de beauté”, suffisant à entretenir le mirage d’un extérieur à l’aune duquel apprécier les qualités des candidats ».

Chapitre II. Le développement d’obligations nouvelles dans le contexte de lutte contre le changement climatique

269

parties prenantes1174. Cette critique est moins tranchée que celle du greenwashing, mais va, en

partie, dans le même sens.

282. Depuis les premiers rapports d’entreprises rendant compte des impacts en

matière environnementale, édictés dans les années 1970, la pratique s’est largement étendue.

Le contenu des rapports a été approfondi pour comporter, outre des informations

environnementales, des données à caractère social et relatives à la gouvernance, en parfaite

symbiose avec le concept de développement durable. Ainsi les « rapports RSE » ou « rapports

développement durable » se sont-ils généralisés dans les années 19901175. Progressivement, leur

nombre et leur volume se sont accrus, en passant facilement de quelques dizaines à des

centaines de pages d’informations et d’allégations diverses. Par le jeu du mimétisme, le contenu

des rapports s’est plus ou moins harmonisé et leur rythme annuel s’est institutionnalisé.

Toutefois, ce phénomène non contrôlé de généralisation des rapports volontairement

édictés par les entreprises, notamment multinationales, a souvent laissé le sentiment d’être en

présence d’une prolifération désordonnée d’informations dont il est permis de douter de la

véracité. Ce sentiment, souvent justifié, a inspiré le législateur français qui a été le premier à

instaurer une véritable obligation juridique d’information en matière sociale et

environnementale.

b) L’essor de l’obligation légale d’information extra-financière

283. En France, c’est la loi NRE de 20011176 qui a posé les fondations de l’édifice

de l’obligation légale d’information extra-financière1177. L’objectif principal poursuivi par

le législateur français était d’accroître la transparence et de responsabiliser les grandes sociétés.

Cette nouvelle obligation d’information en matière sociale et environnementale s’est ajoutée à

l’obligation de faire un rapport financier que les entreprises connaissaient de longue date. La

vision comptable et financière a dès lors été complétée par des indicateurs qui relèvent du

développement durable. Ainsi, la loi a-t-elle permis d’intégrer la dynamique de la responsabilité

1174 J.-M. André, J. Husser, G. Barbat et V. Lespinet-Najib, « Le rapport de développement durable des entreprises

françaises : quelles perspectives pour les parties prenantes ? », Management & Avenir, vol. 48, n° 8, 2011, p. 37-

56. 1175 J. Igalens, « La reddition de comptes en matière de RSE », op. cit. 1176 Loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques, JO, 16 mai 2001. 1177 Voy. à ce sujet : A. Lienhard, « Sociétés cotées : information sociale et environnementale », D., 2002, p. 874 ;

C. Malecki, « Informations sociales et environnementales : de nouvelles responsabilités pour les sociétés

cotées ? », D., 2003, p. 818.

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

270

sociale de l’entreprise dans l’ordonnancement juridique, ouvrant le débat, désormais classique,

sur la valeur normative de la RSE, le « durcissement » de la RSE, le passage du droit souple au

droit dur1178...

Concrètement, l’article 116 de la loi sur les nouvelles régulations économiques, dite

loi NRE, devenu l’article L. 225-102-1 du code de commerce, a imposé aux sociétés françaises

cotées sur un marché réglementé l’obligation de rendre compte de leur impact social et

environnemental dans leur rapport annuel de gestion1179. Pris en application de cette loi, le

décret du 20 février 20021180 a fixé la liste des informations sur la manière exacte dont les

sociétés cotées prennent en considération les « conséquences sociales et environnementales »

de leur activité1181.

Assurément, la communication de ce nouveau type d’informations répond à un

impératif de transparence porté par la loi NRE et « guidé par un courant moralisateur »1182. Le

Professeur Guyon y voyait « une application de la théorie teintée d’utopisme de l’entreprise

1178 Voy. par exemple : R. Family, « La responsabilité sociétale de l’entreprise : du concept à la norme », D., 2013,

p. 1558 ; I. Desbarats, « La RSE en droit français : un champ d’évolutions normatives », Droit social, 2015, p.

572. 1179 C. com., art. L. 232-1. 1180 Décret n° 2002-221 du 20 février 2002 pris pour l’application de l’article L. 225-102-1 du code de commerce

et modifiant le décret n° 67-236 du 23 mars 1967 sur les sociétés commerciales, JO, 21 février 2002. 1181 En matière environnementale, le décret (art. 148-3) prévoit que doivent figurer, dans le rapport du conseil

d’administration ou du directoire, les informations suivantes relatives aux conséquences de l’activité de la société

sur l’environnement, données en fonction de la nature de cette activité et de ses effets : « 1° La consommation de

ressources en eau, matières premières et énergie avec, le cas échéant, les mesures prises pour améliorer l’efficacité

énergétique et le recours aux énergies renouvelables, les conditions d’utilisation des sols, les rejets dans l’air, l’eau

et le sol affectant gravement l’environnement et dont la liste sera déterminée par arrêté des ministres chargés de

l’environnement et de l’industrie, les nuisances sonores ou olfactives et les déchets ; 2° Les mesures prises pour

limiter les atteintes à l’équilibre biologique, aux milieux naturels, aux espèces animales et végétales protégées ; 3°

Les démarches d’évaluation ou de certification entreprises en matière d’environnement ; 4° Les mesures prises, le

cas échéant, pour assurer la conformité de l’activité de la société aux dispositions législatives et réglementaires

applicables en cette matière ; 5° Les dépenses engagées pour prévenir les conséquences de l’activité de la société

sur l’environnement ; 6° L’existence au sein de la société de services internes de gestion de l’environnement, la

formation et l’information des salariés sur celui-ci, les moyens consacrés à la réduction des risques pour

l’environnement ainsi que l’organisation mise en place pour faire face aux accidents de pollution ayant des

conséquences au-delà des établissements de la société ; 7° Le montant des provisions et garanties pour risques en

matière d’environnement, sauf si cette information est de nature à causer un préjudice sérieux à la société dans un

litige en cours ; 8° Le montant des indemnités versées au cours de l’exercice en exécution d’une décision judiciaire

en matière d’environnement et les actions menées en réparation de dommages causés à celui-ci ; 9° Tous les

éléments sur les objectifs que la société assigne à ses filiales à l’étranger sur les points 1° à 6° ci-dessus ». De cet

inventaire proposé par le décret, il ressort la nécessité de restituer deux grands types d’informations. D’une part,

des informations quantitatives sur les impacts environnementaux des activités (exprimées en indicateurs

physiques) ainsi que sur leurs incidences financières (exprimées en indicateurs monétaires). D’autre part, des

informations narratives sur l’organisation mise en place et sur les actions adoptées pour prévenir, limiter ou réparer

les atteintes à l’environnement. 1182 C. Malecki, « Informations sociales et environnementales : de nouvelles responsabilités pour les sociétés

cotées ? », op. cit.. L’auteure relève la difficulté, toutefois, de concilier l’objectif de transparence fixé par la loi

NRE et le secret des affaires : « C’est un truisme que d’affirmer qu’il est difficile de concilier la notion de

transparence avec l’impératif de secret des affaires. Il faut bien reconnaître que l’importance du contenu des

informations sociales et environnementales opère une véritable mise à nu des sociétés cotées qui éradique la notion

même de secret des affaires pourtant nécessaire à la compétitivité ».

Chapitre II. Le développement d’obligations nouvelles dans le contexte de lutte contre le changement climatique

271

citoyenne »1183. Avec la loi NRE, le législateur a défini, en quelque sorte, le comportement

moral des sociétés cotées. Mais quid des autres sociétés ? Cette question a été régulièrement

posée. Sur ce point, la loi NRE a fait l’objet de beaucoup de critiques, dans la mesure où

l’obligation d’information qui en est issue a contribué à accentuer la distinction entre sociétés

cotées et sociétés non cotées. L’information et la transparence sont devenues la règle chez les

premières, tandis que la liberté et l’opacité pouvaient encore régner chez les secondes. Or

l’argument consistant à dire que les sociétés cotées ont plus d’impact en matière sociale et

environnementale que les sociétés non cotées ne tient pas. Il est de très grosses sociétés qui ne

sont pas cotées et dont les activités ont pourtant des conséquences importantes en matière

sociale et environnementale.

Prenant acte de ces critiques, et après neuf années d’expérience qui ont, d’ailleurs,

révélé d’autres difficultés et imperfections1184, la loi Grenelle 2 du 12 juillet 20101185 est venue

préciser et élargir le champ d’application de l’obligation d’information extra-financière.

284. La loi Grenelle 2 a étendu le champ d’application des dispositions issues de

l’article 116 de la loi NRE au-delà des seules sociétés cotées. Elle a également précisé qu’à

côté des informations « sur la manière dont la société prend en compte les conséquences

sociales et environnementales de son activité », devaient être communiquées des informations

sur « ses engagements sociétaux en faveur du développement durable »1186.

Concrètement, la loi Grenelle 2 a étendu l’obligation de reporting extra-financier1187

aux sociétés anonymes (SA) et sociétés en commandite par actions (SCA) non cotées1188 dont

le total de bilan ou le chiffre d’affaires et le nombre de salariés – ce fameux triptyque – excèdent

1183 Y. Guyon, Droit des affaires. Tome 1 : Droit commercial général et Sociétés, Economica, 2001, n° 412, p.

435. 1184 En juillet 2003, le gouvernement missionnait les associations Orée, ORSE et EpE pour établir un bilan de

l’application de l’article 116 de la loi NRE et du décret associé. En avril 2004, un rapport critique de 69 pages a

été remis au gouvernement. L’application de l’article 116 de la loi NRE a été étudiée sous toutes les coutures et

un constat unanime a été établi : l’ensemble des 700 entreprises soumises à l’obligation ne l’applique pas et rares

sont les entreprises qui fournissent toutes les informations attendues. 1185 Loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, JO, 13 juillet 2010. 1186 Voy. les commentaires : G. Martin, « Commentaire des articles 225, 226 et 227 de la loi n° 2010-788 du 12

juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement (dite “Grenelle II”) », Revue des sociétés, 2011, p.

75 ; P. Le Cannu et B. Dondero, « Le développement des informations sociales et environnementales du rapport

de gestion », RTD com., 2010, p. 740 ; C. Malecki, « Le Grenelle II : l’invitation à repenser la gouvernance

d’entreprise », Journal des sociétés, septembre 2010, n° 79, p. 59. 1187 Le reporting extra-financier « consiste à mesurer la performance d’une organisation en matière de

développement durable, à en communiquer les résultats puis à en rendre compte aux parties prenantes internes et

externes » : J.-P. Gond et J. Igalens, La responsabilité sociale de l’entreprise, PUF, coll. « Que sais-je ? », 2ème

éd., 2010, p. 96. 1188 L’obligation ne s’applique pas aux sociétés par actions simplifiées (SAS), ni aux sociétés en nom collectif

(SNC).

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

272

des seuils fixés par décret en Conseil d’État1189. Avec la loi Grenelle 2, étaient donc visées par

l’obligation de transparence toutes les sociétés cotées, ainsi que certaines sociétés non cotées

de plus de 500 salariés, avec un total de bilan ou de chiffre d’affaires dépassant 100 millions

d’euros.

Comme par le passé, le pouvoir réglementaire s’est vu aussi confier le soin de

déterminer le détail des informations à communiquer. Vingt-et-un mois après la promulgation

de la loi de 2010, son décret d’application a enfin été publié au Journal officiel1190. Pour une

fois, les pouvoirs publics ont été félicités pour avoir pris le temps nécessaire à l’élaboration de

ce cadre nouveau, étant donné la complexité de ce domaine et le fait qu’il met en jeu des intérêts

contradictoires : « En une période marquée par l’accélération, voire une certaine précipitation

dans l’élaboration des textes, pareille maturation mérite d’être saluée ! »1191.

Plus précisément, en matière environnementale, le décret a identifié cinq catégories

d’informations : politique générale en matière environnementale, pollution et gestion des

déchets, utilisation durable des ressources, changement climatique et protection de la

biodiversité. Les thèmes très larges ont été multipliés, laissant aux entreprises une marge de

manœuvre importante dans l’expression des informations communiquées, davantage narratives

et prospectives que techniques et quantitatives. Sans doute, l’idée était-elle d’apporter de la

flexibilité au dispositif afin que chaque entreprise concernée puisse y adhérer. Cependant, une

précision est à faire, qui est pour le moins intéressante. En réalité, le décret de 2012 distinguait

entre sociétés cotées et sociétés non cotées quant au contenu de l’information à publier. Ainsi,

il fixait deux listes : l’une applicable à toutes les sociétés entrant dans le champ du dispositif1192,

l’autre réservée aux seules sociétés cotées1193. Il a pu être relevé à propos de cette démarche

qu’elle a été motivée par la recherche d’un allégement des charges pesant sur les entreprises

non cotées. Les parties prenantes du Grenelle de l’environnement étaient pourtant très opposées

à cette distinction, à l’exception bien évidente des organisations patronales. L’argument

qu’elles avançaient consistait à dire que, dans la mesure où nombre de grandes entreprises ne

sont pas cotées en bourse, cette division n’est pas pertinente et provoque une distorsion de

concurrence entre sociétés cotées et sociétés non cotées d’un même secteur.

1189 Loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010, préc., art. 225. 1190 Décret n° 2012-557 du 24 avril 2012 relatif aux obligations de transparence des entreprises en matière sociale

et environnementale, JO, 26 avril 2012. Voy. les commentaires : D. Barlow, « Les nouvelles obligations de

transparence des entreprises en matière sociale et environnementale », D., 2012, p. 1502 ; B. François, « Reporting

RSE : commentaire du décret n° 2012-557 du 24 avril 2012 », Revue des sociétés, 2012, p. 607. 1191 D. Barlow, « Les nouvelles obligations de transparence des entreprises en matière sociale et

environnementale », op. cit. 1192 C. com., anc. art. R. 225-105-1, I. 1193 C. com., anc. art. R. 225-105-1, II.

Chapitre II. Le développement d’obligations nouvelles dans le contexte de lutte contre le changement climatique

273

Sous cette réserve, il est tout de même vrai que, sur beaucoup de points1194, la loi

Grenelle 2 et son décret d’application représentaient une avancée considérable allant dans le

sens d’une meilleure intégration du développement durable dans les entreprises. Loin d’être

isolées, ces initiatives françaises se sont inscrites dans un contexte européen propice à une

juridicisation de la responsabilité sociale des entreprises, tout en précédant l’œuvre du

législateur européen1195.

285. Au niveau européen, la directive du 22 octobre 20141196 a assujetti les

groupes de sociétés à l’obligation de transparence en matière sociale et

environnementale1197. Ce texte a été longtemps attendu et vivement souhaité. À l’instar de la

France, d’autres pays avaient aussi commencé à imposer à des entreprises diverses et sur des

fondements épars la divulgation d’informations sur les conséquences sociales et

environnementales de leurs activités. Mais les approches retenues étaient bien trop différentes,

conduisant à une fragmentation des cadres législatifs de l’Union européenne et donc à des

situations de « law shopping » ou « forum shopping »1198. Dans ce contexte, l’idée du

législateur européen était de faire en sorte que l’ingénierie juridique des multinationales ne

parvienne pas à contourner l’obligation de publier des informations non financières. L’Union

européenne a souhaité défendre la comparabilité des entreprises afin que les investisseurs et les

autres parties prenantes puissent réaliser leurs arbitrages d’une manière éclairée et

1194 Notamment l’obligation de soumettre les informations au contrôle d’un « organisme tiers indépendant ». Voy.

C. com., anc. art. L. 225-102-1, al. 7 : « Les informations sociales et environnementales figurant ou devant figurer

au regard des obligations légales et réglementaires font l’objet d’une vérification par un organisme tiers

indépendant, selon des modalités fixées par décret en Conseil d’État. Cette vérification donne lieu à un avis qui

est transmis à l’assemblée des actionnaires ou des associés en même temps que le rapport du conseil

d’administration ou du directoire ». 1195 B. Lecourt, « Publication d’informations non financières par les sociétés : faut-il un texte européen ? », Revue

des sociétés, 2011, p. 652. 1196 Directive 2014/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2014 modifiant la directive

2013/34/UE en ce qui concerne la publication d’informations non financières et d’informations relatives à la

diversité par certaines grandes entreprises et certains groupes, JOUE L 330 du 15 novembre 2014, p. 1-9. Voy. les

commentaires : B. Lecourt, « Directive n° 2014/95/UE du 22 octobre 2014 sur la publication d'informations non

financières par les sociétés », Revue des sociétés, 2015, p. 134 ; N. Cuzacq, « La directive du 22 octobre 2014,

nouvel horizon de la transparence extra-financière au sein de l’UE », Revue des sociétés, 2015, p. 707. 1197 En matière d’information environnementale, la directive (consid. n° 7) souligne que : « Lorsque les entreprises

sont tenues d’établir une déclaration non financière, cette déclaration devrait comporter, s’agissant des questions

environnementales, des renseignements sur les incidences actuelles et prévisibles des activités de l’entreprise sur

l’environnement et, le cas échéant [...], sur l’utilisation d’énergie renouvelable et/ou non renouvelable, sur les

émissions de gaz à effet de serre, sur l’utilisation de l’eau et sur la pollution de l’air... ». 1198 Voy. sur ces notions : Y. Dréano, « Possibilités et limites d’un law & forum shopping », Revue Lamy Droit

des affaires, n° 15, avril 2007 ; F. Ferrari, « Forum shopping : pour une définition ample dénuée de jugements de

valeurs », Revue critique de droit international privé, vol. 105, n° 1, 2016, p. 85-105.

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

274

rationnelle1199. Or la comparabilité implique, logiquement, un cadre commun dépassant les

frontières d’un État1200.

Dès lors, rappelant que « la communication d’informations non financières est en effet

essentielle pour mener à bien la transition vers une économie mondiale durable, en associant la

rentabilité à long terme à la justice sociale et à la protection de l’environnement »1201, la

directive a laissé aux États le soin de transposer ses dispositions jusqu’au 6 décembre 2016.

Il faut noter qu’actuellement, la Commission européenne envisage la révision de la

directive 2014/95/UE1202. Dans sa communication sur le pacte vert pour l’Europe (European

Green Deal), publiée le 11 décembre 20191203, la Commission européenne avait souligné que

la durabilité devrait être intégrée dans le cadre de gouvernance des entreprises et que les

entreprises et les institutions financières devront publier davantage de données concernant leur

impact sur le climat et l’environnement afin que les investisseurs soient pleinement informés

de la durabilité de leurs investissements1204. Dans cette optique, l’exécutif européen avait

indiqué qu’elle proposerait de réviser la directive 2014/95/UE. Cette révision est engagée

depuis janvier 20201205. Ses objectifs sont multiples. D’une part, il s’agit de permettre aux

investisseurs d’accéder à suffisamment d’informations non financières des entreprises pour

pouvoir tenir compte des risques, opportunités et impacts liés à la durabilité dans leurs décision

d’investissement. D’autre part, il s’agit de permettre aux ONG, aux fédérations professionnelles

et à d’autres membres de la société civile d’accéder à suffisamment d’informations non

financières des entreprises pour pouvoir leur demander des comptes concernant leurs impacts

sur la société et l’environnement. Enfin, il s’agit de réduire la charge administrative qui pèse

sur les entreprises en matière de communication des informations non financières.

1199 N. Cuzacq, « La directive du 22 octobre 2014, nouvel horizon de la transparence extra-financière au sein de

l’UE », op. cit. 1200 Ibid. 1201 Directive 2014/95/UE, préc., considérant n° 3. 1202 B. Lecourt, « Directive du 22 octobre 2014 sur la publication d’informations extra-financières : consultation

publique en vue d’une révision », Revue des sociétés, 2020, p. 322 ; id., « Pour une révision de la directive du 22

octobre 2014 sur la publication d’informations extra-financières », Revue des sociétés, 2020, p. 123. 1203 Communication de la Commission du 11 décembre 2019, « Le pacte vert pour l’Europe », COM(2019) 640

final. 1204 Dans son étude d’impact initial, la Commission souligne que le public n’a pas accès à suffisamment

d’informations sur le traitement des questions non financières par les entreprises et sur l’impact des activités des

entreprises sur la société et l’environnement. En particulier, la Commission souligne que les informations non

financières communiquées par les entreprises : ne sont ni suffisamment comparables ni suffisamment fiables ; sont

jugées peu pertinentes par les consommateurs, et ne correspondent pas aux informations qu’ils jugeraient

nécessaires ; ne sont pas communiquées par toutes les entreprises malgré la demande des utilisateurs et

investisseurs ; sont parfois difficiles à obtenir même lorsqu’elles sont communiquées. 1205 Une consultation publique s’est déroulée du 20 février 2020 au 11 juin 2020, voy. le texte de la consultation :

https://ec.europa.eu/info/sites/info/files/business_economy_euro/company_reporting_and_auditing/documents/2

020-non-financial-reporting-directive-consultation-document_en.pdf.

Chapitre II. Le développement d’obligations nouvelles dans le contexte de lutte contre le changement climatique

275

286. Du reporting RSE à la « déclaration de performance extra-financière »1206.

Alors même qu’elle a été le premier pays européen à avoir imposé aux entreprises cotées la

publication d’un rapport sur leur manière d’assumer leurs responsabilités sociale et

environnementale, la France a transposé avec retard la directive du 22 octobre 2014. Cette

transposition est intervenue par le biais de l’ordonnance du 19 juillet 2017 relative à la

publication d’informations non financières par certaines entreprises et certains groupes

d’entreprises1207, et de son décret d’application du 9 août 20171208. L’article L. 225-102-1 du

code de commerce a été de nouveau modifié. Par ailleurs, l’ordonnance prévoit que les

nouvelles mesures s’appliquent aux rapports afférents aux exercices ouverts depuis le 1er août

20171209.

Afin de se conformer aux exigences de l’Union européenne, l’ordonnance et le décret

font donc évoluer le dispositif français de reporting extra-financier. Les entreprises doivent

désormais formaliser une « déclaration de performance extra-financière »1210 qui remplace les

rapports RSE et qui se veut « un outil de pilotage stratégique […], à la fois concis et accessible,

concentré sur les informations significatives intéressant les parties prenantes »1211. Dorénavant,

il est question de « performance », ce qui donne une dynamique nouvelle à l’obligation de

transparence. Comme le relève Catherine Malecki, ce changement d’approche et de vocabulaire

est un « signal fort que l’impact extra-financier doit contribuer à une meilleure gouvernance

d’entreprise, être gage de confiance et de croissance »1212. La nouvelle approche du reporting

extra-financier trouve désormais un sens et une utilité à la fois pour les entreprises et pour leurs

parties prenantes. Mais quelles sont précisément les entreprises assujetties à la nouvelle

obligation de transparence et quelles sont les informations qu’elles doivent communiquer ?

1206 Voy. I. Parachkévova, « D’un reporting l’autre : où va l’entreprise ? », Bull. Joly Sociétés, n° 10, 2017, p. 585. 1207 Ordonnance n° 2017-1180 du 19 juillet 2017 relative à la publication d’informations non financières par

certaines grandes entreprises et certains groupes d’entreprises, JO, 21 juillet 2017. 1208 Décret n° 2017-1265 du 9 août 2017 pris pour l’application de l’ordonnance n° 2017-1180 du 19 juillet 2017

relative à la publication d’informations non financières par certaines grandes entreprises et certains groupes

d’entreprises, JO, 11 août 2017. 1209 Ordonnance n° 2017-1180 du 19 juillet 2017, préc., art. 15. Un auteur observait ainsi que, « [d]ans la pratique,

pour les nombreuses sociétés dont l’exercice est calé sur l’année civile, les nouvelles dispositions concerneront

l’exercice 2018 et elles se répercuteront dans le rapport de gestion qui sera présenté par les dirigeants en 2019 » :

N. Cuzacq, « Le nouveau visage du reporting extra-financier français », Revue des sociétés, 2018, p. 347. 1210 C. Malecki, « Transposition de la directive RSE : un nouveau cadre de publications extra-financières pour les

grandes entreprises », Bull. Joly Sociétés, n° 10, 2017, p. 632 ; B. François, « Déclaration de performance extra-

financière », Revue des sociétés, 2017, p. 603 ; N. Cuzacq, « Le nouveau visage du reporting extra-financier

français », op. cit. 1211 Publication d’informations non financières par certaines grandes entreprises et certains groupes d’entreprises,

Compte rendu du Conseil des ministres du 19 juillet 2017. 1212 C. Malecki, « Transposition de la directive RSE : un nouveau cadre de publications extra-financières pour les

grandes entreprises », op. cit.

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

276

286-1 Sociétés concernées. De prime abord, le nouveau dispositif n’opère pas de très

grands changements. Pourtant, des changements notables sont à relever, notamment s’agissant

des entreprises concernées. Alors que la loi Grenelle 2 avait procédé à un élargissement

substantiel de la catégorie des sociétés visées par l’obligation de transparence extra-financière,

l’ordonnance de 2017 réduit le spectre des entreprises concernées1213. Du côté des sociétés

cotées, seules sont désormais concernées celles qui ont plus de 500 salariés et un total de

bilan dépassant 20 millions d’euros ou un chiffre d’affaires supérieur à 40 millions d’euros1214.

Par conséquent, les PME cotées ne sont plus soumises à l’obligation de transparence extra-

financière, ce qui constitue pour elles une importante mesure de simplification. Du côté des

sociétés non cotées, sont visées celles ayant plus de 500 salariés avec un total de bilan ou de

chiffre d’affaires supérieur à 100 millions d’euros1215.

Par ailleurs, il est précisé que les sociétés soumises à l’obligation qui établissent des

comptes consolidés conformément à l’article L. 233-16 du code de commerce sont tenues de

publier une déclaration consolidée de performance extra-financière lorsque le total du bilan ou

du chiffre d’affaires et le nombre de salariés de l’ensemble des entreprises comprises dans le

périmètre de consolidation excèdent les seuils précités1216. Cette déclaration consolidée devra

fournir le détail des informations sur chacune des sociétés. Dans le même temps, l’article L.

225-102-1, IV dispense les sociétés contrôlées, qui dépassent les seuils précités, de publier une

déclaration de performance extra-financière si elles sont incluses dans la déclaration consolidée

d’une société dont le siège social est en France ou dans un État membre de l’Union européenne.

L’idée – compréhensible – est d’éviter les doublons de publication au sein des groupes de

sociétés. Pour autant, cette dispense pour les filiales risque d’accroître l’opacité au sein des

groupes de sociétés, car la déclaration réalisée par la société mère ne reflète pas nécessairement

les particularités de chacune de ses entités. Elle permet de refléter une performance globale,

non instructive pour les parties prenantes.

En outre, l’obligation de produire une déclaration de performance extra-financière a

été étendue aux sociétés en nom collectif (SNC) lorsque l’ensemble des parts de ces sociétés

sont détenues par des personnes ayant l’une des formes suivantes ou une forme juridique

comparable de droit étranger : société anonyme (SA), société en commandite par actions (SCA),

1213 V. Mercier, « De la transparence à la vigilance ou le renforcement des obligations en matière de RSE », in RSE

& Médiation. Regard croisé France-Canada, sous la dir. de V. Mercier, PUAM, 2018, p. 21-51, spéc. p. 27. 1214 C. com., art. R. 225-104, 1°. 1215 C. com., art. R. 225-104, 2°. 1216 C. com., art. L. 225-102-1, II.

Chapitre II. Le développement d’obligations nouvelles dans le contexte de lutte contre le changement climatique

277

société à responsabilité limitée (SARL) ou société par actions simplifiée (SAS)1217. Elle

s’impose aussi à certaines institutions désignées comme d’intérêt public par la directive :

établissements de crédit, entreprises d’assurance, mutuelles, sociétés coopératives agricoles1218.

Enfin, un débat porte sur l’application du nouveau dispositif aux SAS. En l’état actuel,

elles sont hors champ de la déclaration de performance extra-financière, puisque l’article L.

227-1 du code de commerce exclut explicitement l’application de l’article L. 225-102-1 dudit

code qui est le fondement de l’obligation de transparence extra-financière1219. Cette exclusion

est pour le moins discutable. La doctrine a souligné qu’elle pourrait vider en grande partie la

substance et les objectifs de la loi1220. En pratique, une grande entreprise pourrait tout à fait

opter pour la forme de la SAS. De même, les grands groupes pourraient choisir la SAS pour la

constitution de filiales, échappant ainsi à l’obligation de transparence. Or si l’on fonde la

transparence extra-financière sur les impacts de l’activité des entreprises à l’égard de leur

environnement, cette exclusion des SAS n’est pas fondée. En fin de compte, ce qui semble avoir

prévalu, c’est la primauté accordée à la souplesse de la SAS qui rend cette forme sociale

attractive. Pourtant, la majorité du groupe de travail ayant répondu à la consultation ouverte par

la plateforme RSE pour la transposition de la directive s’était prononcée en faveur de

l’extension du reporting extra-financier aux SAS1221. Telle était également la proposition de

l’Inspection générale des finances, l’Inspection générale des affaires sociales et le Conseil

général de l’environnement et du développement durable1222.

Il peut être assez facile de se perdre dans ce « labyrinthe de seuils »1223, inclusions et

exclusions. Ce qu’il convient de retenir est que le spectre des entreprises concernées par

l’obligation de transparence se resserre avec la taille de l’entreprise. Comme son nom l’indique,

1217 C. com., art. L. 221-7, al. 4. 1218 Ordonnance n° 2017-1180 du 19 juillet 2017, préc., art. 5 à 13. 1219 L’article L. 227-1, al. 3 du code de commerce est rédigé ainsi : « Dans la mesure où elles sont compatibles

avec les dispositions particulières prévues par le présent chapitre, les règles concernant les sociétés anonymes, à

l’exception des articles L. 224-2, L. 225-17 à L. 225-102-2, L. 225-103 à L. 225-126, L. 225-243 et du I de l’article

L. 233-8, sont applicables à la société par actions simplifiée ». 1220 V. Mercier, « De la transparence à la vigilance ou le renforcement des obligations en matière de RSE », op.

cit., spéc. p. 28 ; voy. également : C. Malecki, « Transposition de la directive RSE : un nouveau cadre de

publications extra-financières pour les grandes entreprises », op. cit. : « De façon générale, il semblerait peu

vertueux que les SAS dépassant, par exemple, des seuils conséquents en termes de salariés et chiffre d’affaires

puissent ne pas prendre en compte les conséquences sociales, environnementales et sociétales de leurs activités ;

il serait, sur ce point, contre-productif que les filiales de groupes de sociétés prennent la forme juridique de SAS

uniquement à cette fin. Ce serait un signal négatif pour l’ensemble des parties prenantes d’un groupe de sociétés ». 1221 Plateforme RSE, Avis sur le projet de transposition de la directive 2014/95/UE relative à la publication

d’informations extra-financières par les entreprises, février 2017. 1222 Rapport de l’Inspection générale des finances, l’Inspection générale des affaires sociales et le Conseil général

de l’environnement et du développement durable, Le reporting sur la responsabilité sociale et environnementale

(RSE) des entreprises, mai 2016. 1223 N. Cuzacq, « Le nouveau visage du reporting extra-financier français », op. cit.

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

278

le nouveau dispositif est orienté vers les « grandes entreprises » et les « grands groupes

d’entreprises ». Néanmoins, les textes précisent qu’il reste loisible aux filiales, aux PME cotées

et à toutes autres entreprises non astreintes à l’obligation de transparence extra-financière, de

publier ces informations de manière volontaire.

286-2 Contenu de la « déclaration de performance extra-financière ». L’ancien

dispositif évoquait deux listes d’informations à fournir selon que la société était cotée ou

non1224. L’esprit du nouveau texte est quelque peu différent, mais le législateur a tout de même

maintenu l’existence d’une double liste. Ainsi, le nouveau dispositif instaure une liste

d’informations devant être diffusées par toutes les sociétés concernées par l’obligation1225

et une liste d’informations supplémentaires qui doivent être diffusées exclusivement par les

sociétés cotées1226. En plus des informations sociales, environnementales et sociétales de

l’article R. 225-105, II, A, les sociétés cotées doivent donc fournir des informations relatives à

la lutte contre la corruption et aux actions en faveur des droits de l’homme. Il convient de noter

que ce système de double liste est largement critiqué par la doctrine, dans la mesure où les

informations supplémentaires devraient être liées aux activités des entreprises et à leur caractère

transnational, et non à leur mode de financement1227.

Par ailleurs, sans préjudice de la publicité inhérente au rapport de gestion, l’ensemble

des informations fournies devront faire l’objet d’une publication librement accessible sur le site

internet de la société1228. Cette publicité télématique doit intervenir dans un délai de huit mois

à compter de la clôture de l’exercice et durer pendant cinq années1229. Il s’agit là d’une

nouveauté appréciable par rapport à l’ancienne version du dispositif, qui répond aux exigences

de la directive et qui facilite l’accessibilité de l’information au profit des parties prenantes.

Concernant la vérification des informations extra-financières par un organisme tiers

indépendant, introduite par la loi Grenelle 2, le nouveau dispositif introduit un allégement. Cette

vérification n’est obligatoire que pour les sociétés de plus de 500 salariés et dépassant plus de

1224 Voy. supra n° 284. 1225 C. com., art. R. 225-105, II, A. 1226 C. com., art. R. 225-105, II, B. 1227 Voy. notamment : V. Mercier, « Le fabuleux destin de l’obligation de reporting extra-financier », in Jalons

pour une économie verte, sous la dir. de V. Mercier et J. Mestre, PUAM, 2012, p. 257-274 ; voy. également : N.

Cuzacq, « Le nouveau visage du reporting extra-financier français », op. cit. : « On aboutit à des extravagances

car la société Carrefour doit publier dans sa déclaration de performance extra-financière des informations relatives

à la corruption et aux droits de l’homme contrairement à Auchan alors que ces deux entreprises ont de nombreuses

similarités ». 1228 C. com., art. L. 225-102-1, III, al. 4. 1229 C. com., art. R. 225-105-1, III.

Chapitre II. Le développement d’obligations nouvelles dans le contexte de lutte contre le changement climatique

279

100 millions d’euros de montant net du chiffre d’affaires ou de total de bilan1230, alors que le

régime précédent visait toutes les sociétés tenues de produire un rapport RSE. La vérification

donne lieu à un avis. Contrairement à la déclaration de performance, cet avis n’a pas à être

publié sur le site internet. Il en constitue pourtant le guide de lecture.

Quant aux entreprises soumises aux dispositions du code de commerce relatives au

devoir de vigilance1231, elles pourront renvoyer, dans leur déclaration, aux informations qui sont

présentées dans le rapport de vigilance.

287. Comme nous avons pu le constater, le régime juridique de l’information extra-

financière communiquée par l’entreprise se construit par tâtonnements. Il est désormais

demandé aux entreprises de donner une vision juste et véridique de leurs performances à la fois

financières et non financières. Le besoin de transparence en ce qui concerne le domaine extra-

financier augmente avec le développement de la connaissance sur les impacts réels des activités

des entreprises. Ainsi, avec la montée en puissance des préoccupations liées au changement

climatique, l’obligation d’information extra-financière s’est étendue au domaine du climat.

2. L’obligation d’information étendue au domaine du climat

288. Dans le cadre de l’obligation de reporting, que ce soit au niveau français ou

européen, les informations relatives au climat sont considérées comme relevant de la catégorie

des questions environnementales1232. Aujourd’hui, l’obligation d’information

environnementale est donc étendue au domaine du climat. Quel est précisément son contenu

(a) et quels en sont les enjeux (b) ?

a) Le contenu de l’obligation d’information en matière climatique

289. Le « reporting climat » est né en 2015, lorsque l’article 173, IV de la loi sur la

transition énergétique de 20151233 a imposé aux investisseurs institutionnels (mutuelles,

sociétés de gestion, institutions de prévoyance, compagnies d’assurance) de mesurer les

émissions de gaz à effet de serre induites par leurs financements et de préciser de quelle manière

1230 C. com., art. R. 225-105-2, II. 1231 Voy. infra n° 308. 1232 Même s’il est vrai qu’en pratique, la question climatique a un caractère transversal et dépasse le domaine

strictement environnemental. Sur ces questions, voy. supra nos 48 à 53 et n° 83. 1233 Loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, JO, 18 août 2015.

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

280

ils prennent en compte le dérèglement climatique1234. L’objectif du législateur était double.

D’une part, faire prendre conscience aux investisseurs des émissions que leurs investissements

génèrent et des risques liés à ces investissements. D’autre part, accroître la transparence et

rendre les incidences en matière climatique visibles pour les parties prenantes intéressées.

En parallèle, la loi sur la transition énergétique a modifié l’article L. 225-102-1 du

code de commerce1235 pour inclure, au titre des informations figurant dans le rapport extra-

financier, les conséquences sur le changement climatique1236. Par la suite, un décret du 19 août

20161237 a modifié l’article R. 225-105-1 dressant la liste des informations à préciser dans le

rapport extra-financier selon que la société est cotée ou non. Ainsi, le décret a prévu que toutes

les sociétés concernées par l’obligation de reporting doivent fournir des informations sur les

postes significatifs d’émissions de gaz à effet de serre générés du fait de leur activité,

notamment par l’usage des biens et services qu’elles produisent. Les sociétés cotées doivent,

de surcroît, fournir des informations sur l’adaptation aux conséquences du changement

climatique.

La notion de « postes significatifs d’émissions » a ainsi été retenue pour conduire les

entreprises à faire état des impacts de leur activité sur le changement climatique, qu’il s’agisse

de leurs émissions directes et indirectes, notamment celles relevant de l’usage des biens et

services qu’elles produisent. Cette nouvelle obligation va donc au-delà de la réglementation de

l’article L. 229-25 du code de l’environnement sur les bilans d’émission de gaz à effet de

serre1238. Pour rappel, ces bilans doivent préciser les émissions directes générées par l’activité

de l’entreprise ainsi que les émissions indirectes associées à la consommation d’électricité, de

chaleur ou de vapeur. L’entreprise n’est toutefois pas obligée de préciser, dans le bilan

d’émission de gaz à effet de serre, les émissions du scope 3, c’est-à-dire les émissions indirectes

associées à l’achat et à l’utilisation des produits, à leur fin de vie, aux déplacements, aux

déchets, etc.

290. Par la suite, l’ordonnance du 19 juillet 20171239 et son décret d’application

du 9 août 20171240 ont fait évoluer le « reporting climat ». Deux autres items sur le

1234 Voy. supra n° 237-2. 1235 Loi n° 2015-992 du 17 août 2015, préc., art. 70. 1236 C. com., anc. art. L. 225-102-1, al. 5. 1237 Décret n° 2016-1138 du 19 août 2016 pris pour l’application de l’article L. 225-102-1 du code de commerce

et relatif aux informations environnementales figurant dans le rapport de gestion des entreprises, JO, 21 août 2016. 1238 Sur les bilans d’émissions de gaz à effet de serre de l’article L. 229-25 du code de l’environnement, voy. supra

nos 112 et 113. 1239 Ordonnance n° 2017-1180 du 19 juillet 2017, préc. 1240 Décret n° 2017-1265 du 9 août 2017, préc.

Chapitre II. Le développement d’obligations nouvelles dans le contexte de lutte contre le changement climatique

281

changement climatique ont été rajoutés au dispositif. Dorénavant, outre les postes significatifs

d’émissions de gaz à effet de serre, les entreprises concernées par l’obligation de produire une

déclaration de performance extra-financière doivent indiquer les mesures prises pour

l’adaptation aux conséquences du changement climatique ainsi que les objectifs de réduction

des émissions de gaz à effet de serre fixés volontairement à moyen et long terme et les moyens

mis en œuvre à cet effet1241. De plus, en vertu de l’article L. 225-100-1, I, 4° du code de

commerce, les sociétés cotées doivent donner, dans leur rapport de gestion, « des indications

sur les risques financiers liés aux effets du changement climatique et la présentation des

mesures que prend l’entreprise pour les réduire en mettant en œuvre une stratégie bas-carbone

dans toutes les composantes de son activité ». Avec ces nouvelles réformes, la question

climatique est définitivement entrée dans la législation sur la transparence extra-financière, et

donc, par conséquent, dans le monde de l’entreprise. Il est demandé aux grandes entreprises

françaises de prolonger la volonté de l’État français d’aller vers la neutralité carbone, en se

fixant volontairement des objectifs ambitieux de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Il ne s’agit plus uniquement de communiquer sur ses impacts, au contraire, les entreprises sont

appelées à avoir un rôle actif dans la lutte contre le changement climatique, à agir pour préserver

le climat.

291. Par ailleurs, dans sa communication du 20 juin 20191242, la Commission

européenne fournit des lignes directrices en ce qui concerne les informations en rapport

avec le climat. Ces lignes directrices proposent des recommandations de publication indiquant

les types d’informations liées au climat à fournir pour chacun des cinq domaines énumérés dans

la directive du 22 octobre 2014 : le modèle commercial, les politiques menées et la diligence

raisonnable mise en œuvre, les résultats des politiques, les risques principaux et la gestion de

ceux-ci, les indicateurs clés de performance.

Pour chacun de ces domaines, les lignes directrices indiquent un nombre limité

d’informations dont elles recommandent la publication. Les entreprises sont invitées à suivre

ces recommandations dans la mesure où les informations visées sont nécessaires pour

comprendre l’évolution de leurs affaires, de leurs performances, de leur situation et des

incidences de leurs activité.

1241 C. com., art. R. 225-105, II, A, 2°, b). 1242 Communication de la Commission du 20 juin 2019, « Lignes directrices sur l’information non financière :

Supplément relatif aux informations en rapport avec le climat », JOUE C 209 du 20 juin 2019, p. 1-30.

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

282

Ainsi, par exemple, les lignes directrices recommandent aux entreprises de décrire

l’impact des risques et opportunités liés au climat sur leur modèle commercial, leur stratégie et

leur planification financière. À cet égard, elles précisent qu’afin de rendre dûment compte des

questions liées au climat, les entreprises devront adopter une perspective à plus long terme

qu’elles ne le font normalement pour la publication d’informations financières (p. 8). Les lignes

directrices recommandent également aux entreprises d’indiquer le degré de résilience de leur

modèle commercial, en envisageant différents scénarios climatiques correspondant à différents

horizons temporels et comprenant au moins un scénario de hausse inférieure ou égale à 2 °C et

un scénario à plus de 2 °C (p. 9). En outre, les lignes directrices insistent sur l’implication du

conseil d’administration et de la direction, en particulier sur leurs responsabilités respectives en

matière de changement climatique. Les entreprises sont ainsi invitées à décrire la surveillance

exercée par le conseil d’administration en matière climatique ainsi que le rôle de la direction

dans l’évaluation et la gestion des risques et opportunités liés au climat (p. 10). Le cas échéant,

il leur est recommandé de décrire leurs interactions avec leur chaîne de valeur sur les questions

liées au climat, en expliquant notamment comment elles collaborent avec leurs partenaires, en

amont et en aval, pour promouvoir l’atténuation du changement climatique et l’adaptation à

celui-ci (p. 10). De surcroît, les lignes directrices rappellent le besoin de publier, en toute

transparence, des informations sur les résultats des politiques en matière de changement

climatique (p. 11). Enfin, conformément à la directive du 22 octobre 2014, les entreprises

doivent publier des indicateurs clés de performance (ci-après « ICP ») concernant leurs

activités. Ces indicateurs doivent être intégrés aux déclarations de performance extra-financière

des entreprises afin d’en étayer et d’en expliquer le contenu descriptif. Les lignes directrices

conseillent aux entreprises de publier des ICP dans plusieurs sections : émissions de gaz à effet

de serre1243, énergie1244, risques physiques1245, produits et services1246, finance verte1247.

1243 ICP en matière d’émissions de gaz à effet de serre : émissions directes de GES issues de sources détenues ou

contrôlées par l’entreprise (scope 1) ; émissions indirectes de GES associées à la production d’électricité, de vapeur

et d’énergie de chauffage/refroidissement acquises et consommées (scope 2) ; toutes les émissions indirectes de

GES (ne relevant pas du scope 2) produites dans la chaîne de valeur de l’entreprise déclarante, y compris les

émissions produites en amont et en aval (scope 3) ; objectif d’émissions absolues de GES. 1244 ICP en matière d’énergie : consommation et/ou production totale d’énergie à partir de sources renouvelables

et non renouvelables ; objectif en matière d’efficacité énergétique ; consommation d’énergie renouvelable et/ou

objectif de production. 1245 ICP en matière de risques physiques : actifs engagés dans des régions susceptibles d’être davantage exposées

à des risques climatiques physiques aigus ou chroniques. 1246 ICP en matière de produits et services : la part du chiffre d’affaires de l’année de référence tirée de produits

ou de services associés à des activités répondant aux critères d’une contribution substantielle à l’atténuation du

changement climatique ou à l’adaptation à celui-ci, tels que définis dans le règlement sur l’établissement d’un

cadre pour favoriser les investissements durables (à venir, voy. Proposition de règlement du Parlement européen

et du Conseil sur l’établissement d’un cadre pour favoriser les investissements durables, COM(2018) 353 final). 1247 ICP en matière de finance verte : ratio d’obligations vertes liées au climat ; ratio de la dette verte liée au climat.

Chapitre II. Le développement d’obligations nouvelles dans le contexte de lutte contre le changement climatique

283

Naturellement, ces lignes directrices ne sont pas contraignantes et ne créent pas de

nouvelles obligations légales. Leur objectif n’est autre que d’aider les entreprises concernées à

communiquer des informations en matière climatique de manière pertinente, utile, cohérente et

plus comparable. Par ailleurs, la Commission européenne insiste longuement sur les enjeux liés

à la transparence en matière climatique. Reste à savoir quels sont ces enjeux.

b) Les enjeux de l’obligation d’information en matière climatique

292. Comme nous avons pu le constater, en matière climatique, l’obligation

d’information va au-delà de la simple communication sur ses engagements et sur ses intentions.

Pour satisfaire à cette obligation, les entreprises concernées doivent faire état des impacts de

leur activité sur le changement climatique, matérialiser des objectifs, identifier des facteurs

d’amélioration. Autrement dit, elles doivent avoir un rôle proactif et s’inscrire dans une logique

de progrès continu.

En réalité, une meilleure divulgation des informations relatives au climat présente au

moins trois avantages importants pour l’entreprise déclarante elle-même. Premièrement, elle

permet à l’entreprise d’avoir une meilleure compréhension des risques et opportunités liés au

climat. Dès lors, elle éclaire sa prise de décision et sa planification stratégique. Deuxièmement,

elle favorise le dialogue avec les parties prenantes, en particulier avec les investisseurs et les

actionnaires. Enfin, troisièmement, elle améliore la réputation de l’entreprise et permet, le cas

échéant, de fidéliser le public.

En outre, la transparence en matière climatique permet de donner une image plus fidèle

des performances de l’entreprise. En cela, elle répond à une exigence accrue des parties

prenantes de plus de visibilité sur les impacts des activités des entreprises ainsi que sur leur

engagement concret en faveur du climat. Par ailleurs, il est désormais acquis que l’empreinte

climatique des entreprises peut avoir un impact à la fois sur leur valeur et sur leur pérennité. La

diffusion d’informations relatives à celle-ci est donc considérée comme primordiale,

notamment par les actionnaires et les investisseurs. Il est pourtant vrai que l’idée peut sembler

assez troublante. Sans faire de « déclaration de culpabilité », l’entreprise est invitée à une forme

d’« introspection climatique » qui l’oblige à identifier et à quantifier, dans une certaine mesure,

sa propre contribution au changement climatique1248. Ainsi, la reddition de comptes en la

1248 F.-G. Trébulle, « Responsabilité et changement climatique : quelle responsabilité pour le secteur privé ? », in

« Changement climatique et responsabilité. Quelles normativités ? » (Dossier), Énergie – Environnement –

Infrastructures, n° 8-9, août-sept. 2018, article 24, p. 20-27, spéc. p. 27.

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

284

matière peut-elle potentiellement conduire à des critiques sur la manière dont la société gère

l’enjeu climatique, voire à un certain désinvestissement.

293. Au fond, l’obligation d’information en matière climatique traduit un

élargissement plus important encore de la finalité de la gouvernance. Sans se détourner de

l’objectif de création de valeur actionnariale, celle-ci semble de plus en plus s’ouvrir à des

considérations d’intérêt général1249. L’extension de l’obligation d’information et de

transparence au domaine climatique en constitue une preuve irréfutable. La protection du climat

est, en effet, considérée comme le nouvel enjeu de notre monde, un enjeu d’intérêt général à

dimension globale dont les entreprises sont appelées à se saisir.

294. L’obligation d’information en matière climatique est un objet d’étude fertile

pour le droit en général et pour le droit des sociétés en particulier. Elle fait entrer dans la

gouvernance des grandes entreprises les préoccupations liées au climat. Sur le plan juridique,

elle marque un durcissement de l’encadrement normatif des démarches volontaires de

responsabilité sociale. Pour autant, elle ne consacre pas une véritable obligation de faire, mais

plutôt une « obligation de dire ».

B. La portée juridique de l’obligation d’information en matière climatique

295. La principale difficulté de l’obligation d’information en matière extra-

financière, et notamment en matière climatique, consiste en la faiblesse de la sanction juridique

dont elle est assortie (1). Néanmoins, il ne faut pas sous-estimer ses effets juridiques, car même

si les conséquences strictement juridiques d’un reporting défaillant, en termes notamment de

responsabilité, sont assez théoriques, l’obligation de transparence permet la mise en œuvre

d’une régulation informationnelle1250 du climat dont les effets normatifs sont loin d’être anodins

(2).

1249 I. Parachkévova, « D’un reporting l’autre : où va l’entreprise ? », op. cit. ; voy. également : S. Michalak, « De

la prise en compte à la prise en charge de l’intérêt général par l’entreprise. Quelques réflexions en marge de la loi

PACTE », Revue du droit public, n° 3, 2019, p. 551. 1250 Terme emprunté à Aude-Solveig Epstein qui consacre la seconde partie de sa thèse à « l’expérimentation d’une

régulation informationnelle de l’environnement » : A.-S. Epstein, L’information environnementale communiquée

par l’entreprise. Contribution à l’analyse juridique d’une régulation, thèse, Université de Nice, 2014.

Chapitre II. Le développement d’obligations nouvelles dans le contexte de lutte contre le changement climatique

285

1. La faiblesse de la sanction juridique de l’obligation d’information en matière climatique

296. Une obligation de dire et non de faire ? Conformément au droit européen, le

décret de 9 août 2017 accorde une exception à l’obligation de transparence à travers la règle de

« se conformer ou s’expliquer », traduction française de « comply or explain ». Ainsi, l’article

R. 225-105, I, in fine prévoit que lorsque la société n’applique pas de politique en ce qui

concerne un ou plusieurs risques liés à son activité, la déclaration de performance extra-

financière comprend une explication claire et motivée des raisons le justifiant. Autrement dit,

les entreprises peuvent choisir d’omettre des informations sur certains sujets mais doivent alors

justifier le choix de cette omission. En soi, cette dérogation dénote une certaine souplesse des

exigences réglementaires. Dans le même temps, elle relativise la portée pratique de l’obligation.

La déclaration de performance extra-financière semble, en effet, privilégier la souplesse sur la

logique de reddition. On peut facilement imaginer que les entreprises, qui investissent depuis

longtemps dans leurs capacités narratives et moyens de communication, sauront « s’expliquer »

sans trop de difficultés. En examinant de près le nouveau dispositif, on parvient à déceler une

obligation de dire plutôt qu’une obligation de faire1251. Or quelle est la sanction de cette

obligation de dire ?

297. L’absence de communication est sanctionnée par… une injonction de

communiquer. La nouvelle réforme de l’obligation de transparence n’a pas été l’occasion de

durcir la sanction, qui demeure une simple injonction de communiquer. L’obligation de

transparence a ainsi été rangée dans la « soft hard law »1252, en raison de la faiblesse de sa

sanction juridique. Concrètement, l’article L. 225-102-1, VI, al. 2 du code de commerce dispose

que lorsque le rapport de gestion ne comporte pas la déclaration de performance extra-

financière, toute personne intéressée peut demander au président du tribunal statuant en référé

d’enjoindre, le cas échéant sous astreinte, au conseil d’administration ou au directoire, de

communiquer les informations qui doivent y figurer. Lorsqu’il est fait droit à la demande,

l’astreinte et les frais de procédure sont à la charge, individuellement ou solidairement selon le

cas, des administrateurs ou des membres du directoire.

Or, il faut reconnaître que l’hypothèse d’absence totale de déclaration de performance

extra-financière est assez marginale. Ce qui risque plutôt de se produire, c’est la publication

d’une déclaration incomplète ou inexacte. Rien n’est dit à ce sujet dans le nouveau dispositif,

1251 I. Parachkévova, « D’un reporting l’autre : où va l’entreprise ? », op. cit. 1252 N. Cuzacq, « Le nouveau visage du reporting extra-financier français », op. cit.

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

286

comme d’ailleurs dans l’ancien. Certes, il prévoit des garde-fous, notamment la vérification par

un organisme tiers indépendant1253. Cependant, comme il a été vu précédemment, cette

vérification n’est pas systématique, ne concerne pas toutes les entreprises et ne bénéficie pas

d’une publicité qui la rend facilement accessible. En ce sens, un auteur écrit que les garde-fous

prévus par le nouveau dispositif « ne constituent pas une digue suffisamment solide sur laquelle

le storytelling fabriqué par les services communication de certaines grandes entreprises viendra

automatiquement se fracasser »1254.

Ainsi, en matière climatique, le risque est grand que des entreprises minimisent leur

impact sur le changement climatique, voire qu’elles « expliquent » qu’elles n’y sont pour rien.

Il n’est pas impossible qu’elles fournissent des données inexactes en ce qui concerne leurs

émissions de gaz à effet de serre ou leur consommation d’énergie, ou qu’elles minimisent

l’impact environnemental de leurs produits. Ce sont pourtant des données dont elles peuvent se

servir afin d’embellir leur image d’entreprise responsable et engagée. Le problème est dès lors

celui de la fidélité de l’image qu’elles renvoient par rapport à la réalité. Bien évidemment, en

cas de déclaration trompeuse, il est possible que la sanction trouve sa source ailleurs dans le

système juridique1255. Certains auteurs anticipent ainsi que l’inscription du reporting extra-

financier au sein du rapport de gestion pourrait entrer dans le périmètre des manquements et

délits boursiers sanctionnés par l’AMF, si bien qu’une entreprise minimisant son impact

environnemental réel pourrait notamment faire l’objet de poursuites du chef du délit de fausse

information prévu à l’article L. 465-3-2 du code monétaire et financier1256. Mais il aurait été

préférable, et sans doute plus pragmatique, que l’ordonnance de 2017 reprenne à son compte

l’idée mentionnée dans la directive européenne d’une responsabilité collective des membres

des organes d’administration, de direction et de surveillance de la société1257. Un auteur

souligne que cette mention « aurait eu un indéniable effet psychologique à l’égard de la

technostructure des entreprises et aussi à l’égard du juge »1258. Il est vrai que son absence peut

laisser chez les entreprises un sentiment d’impunité.

298. L’obligation de transparence vient nourrir de façon nouvelle les rapports entre

le droit souple et le droit dur. Elle est une « belle illustration de l’influence de la soft law sur la

1253 Voy. supra n° 286-2. 1254 N. Cuzacq, « Le nouveau visage du reporting extra-financier français », op. cit. 1255 Voy. infra n° 397 et s. 1256 S. Mabile et F. de Cambiaire, « L’affirmation d’un devoir de vigilance des entreprises en matière de

changement climatique », Énergie – Environnement – Infrastructures, n° 5, mai 2019, dossier 21. 1257 Directive 2014/95/UE, préc., art. 29 bis. 1258 N. Cuzacq, « Le nouveau visage du reporting extra-financier français », op. cit.

Chapitre II. Le développement d’obligations nouvelles dans le contexte de lutte contre le changement climatique

287

conception de la hard law »1259. Certes, d’un point de vue technique, ses effets juridiques sont

relativement faibles. Nous verrons cependant que la normativité de l’obligation de transparence

est plus originale. À l’instar des démarches volontaires en matière de responsabilité sociale1260,

pour mesurer le degré de normativité de l’obligation de transparence, il convient d’observer les

effets de régulation qu’elle produit.

2. La mise en œuvre d’une régulation informationnelle du climat

299. L’information « est ce par quoi la régulation s’alimente et s’exerce »1261.

Classiquement, l’obligation d’information est considérée comme l’un des outils à la disposition

des autorités publiques, comme un instrument de régulation destiné à transformer les pratiques

des entités régulées. L’originalité de ce nouveau paradigme de la régulation consiste en ce qu’il

repose non pas sur la prescription de comportements, mais sur des dispositifs fondés sur la

transmission d’informations. Il met à la charge des entités régulées une obligation de dire et

non de faire, ce qui ne signifie pas pour autant qu’il n’a pas d’effet sur les comportements.

Ainsi, l’idée de l’obligation d’information en matière climatique est double. Il s’agit,

d’une part, de permettre une prise de conscience, par les entreprises, des enjeux du changement

climatique, et, d’autre part, de pousser à l’action et de provoquer la modification volontaire des

comportements. Pour rappel, les entreprises concernées par l’obligation d’information doivent

indiquer les postes significatifs d’émissions de gaz à effet de serre générés du fait de l’activité

de la société, les mesures prises pour l’adaptation aux conséquences du changement climatique

et les objectifs de réduction des émissions fixés volontairement à moyen et long terme. Certes,

le droit n’oblige pas les entreprises à agir, mais uniquement à informer de leur impact et de leur

action. Il reste qu’à travers cette obligation d’information, il pose un cadre qui encourage et

favorise l’action. Une fois qu’elles ont compris tous les intérêts, de nombreuses entreprises

seraient sans doute tentées de prendre des mesures concrètes et des engagements ambitieux,

qu’elles pourraient ensuite valoriser dans le cadre d’une communication réglementée et

publique. Cette communication leur permettrait de reconquérir une légitimité perdue auprès de

l’opinion publique.

1259 Ibid. 1260 Voy. supra n° 259 et s. 1261 M.-A. Frison-Roche, « Le besoin conjoint d’une régulation analogue des relations sociales et des marchés

globalisés », RIDE, 2002/1, t. XVI, p. 67-82, spéc. p. 76.

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

288

Information et action sont donc parfaitement entrelacées. Les discours des entreprises

ne sont pas des « faits bruts », dans la mesure où le droit oblige à les produire. Il en va de même

pour les actions qu’elles mènent, qui ne sont pas le résultat ici d’une obligation de faire que le

droit impose, mais d’un besoin ressenti de se conformer à un modèle comportemental auquel

le droit aspire. C’est donc ainsi que se produit l’effet de régulation de l’obligation

d’information. Bien entendu, il s’agit d’un certain effet de régulation. Il n’est pas prétendu que

cette régulation informationnelle du climat sera à la hauteur des enjeux du changement

climatique. Elle est d’ailleurs assez théorique, puisqu’il faut encore pouvoir garantir la fiabilité

de l’information communiquée et l’effectivité des actions menées. Or, aucune autorité de

régulation n’est chargée de cette mission. La régulation informationnelle du climat repose donc,

pour l’essentiel, sur la volonté des acteurs régulés de « jouer le jeu », un peu à l’image des États

à qui l’on demande de construire un régime juridique du climat solide et ambitieux.

300. En résumé, depuis quelques années, le reporting extra-financier a intégré la

gouvernance des plus grandes entreprises. À l’information financière classiquement due aux

associés et aux investisseurs, les dirigeants doivent désormais ajouter des explications de plus

en plus nombreuses sur les performances extra-financières de l’entreprise. Le régime juridique

de l’obligation de reporting extra-financier s’est construit par tâtonnements. Ce reporting a

conduit à l’intégration effective du développement durable dans la valeur des entreprises.

L’extension de l’obligation d’information au domaine climatique a permis, quant à elle, de

sensibiliser le monde de l’entreprise aux enjeux du réchauffement climatique. Certes, la

sanction prévue par les textes n’est pas la plus dissuasive que l’on puisse imaginer. Cependant,

comme l’écrit un auteur, « les effets normatifs les plus redoutables du reporting sont […]

préventifs et puisent dans la simple crainte d’une action en justice, aux conséquences

réputationnelles désastreuses (name and shame) »1262.

Obligeant les entreprises à procéder à une analyse profonde des enjeux extra-financiers

auxquels elles sont confrontées, le reporting devient un véritable outil de pilotage à la fois

opérationnel et stratégique. Malgré la faiblesse de la sanction juridique dont elle est assortie,

l’obligation de reporting a le mérite de responsabiliser les grandes entreprises et de les inciter

à passer à l’action. Certes, il ne faut pas tout miser sur cet effet incitatif, assurément insuffisant

au regard des enjeux. Néanmoins, il ne faut pas non plus le sous-estimer.

1262 I. Parachkévova, « D’un reporting l’autre : où va l’entreprise ? », op. cit.

Chapitre II. Le développement d’obligations nouvelles dans le contexte de lutte contre le changement climatique

289

301. Au-delà de cette nécessité pour les entreprises d’informer le public sur la

manière dont elles prennent en considération les conséquences sociales et environnementales

de leur activité, le législateur français a récemment fait peser sur les grandes entreprises,

notamment transnationales, un devoir de vigilance à l’égard des activités de leurs filiales et

fournisseurs. Un pas supplémentaire a ainsi été franchi vers une responsabilisation toujours plus

grande des acteurs économiques.

§2. Le devoir de vigilance en matière de climat

302. Avant toute chose, il convient de rappeler les circonstances toutes particulières

de l’adoption de la loi du 27 mars 20171263. En effet, la proposition de loi a vu le jour après le

drame du 24 avril 2013, lorsqu’un immeuble, le Rana Plaza, abritant plusieurs usines textiles

s’est effondré au Bangladesh, causant la mort de plus de mille personnes. Des milliers d’autres

se sont retrouvées handicapées à vie et incapables de travailler à nouveau. Dans les décombres

ont été retrouvées des étiquettes de grandes marques de vêtements européennes et françaises

pour lesquelles travaillaient ces sous-traitants bangladais. Les donneurs d’ordre, qui ne

contrôlaient pas nécessairement leurs chaînes de production, ont souvent nié leurs relations

avec ces sous-traitants. Or une telle situation est socialement difficilement acceptable, d’autant

plus que l’opinion publique avait déjà été choquée par les tragédies de Bhopal en Inde, du Probo

Koala en Côte d’Ivoire, de Chevron-Texaco en Équateur, de Shell au Nigéria, ou encore par le

naufrage de l’Erika en 1999.

L’effondrement du Rana Plaza a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. À la

suite de ce drame, la question d’un devoir de vigilance des entreprises multinationales s’est

imposée sur la scène française. Il a paru nécessaire au législateur français de tenter de mettre

fin à l’impunité organisée des entreprises multinationales, en leur imposant une obligation de

vigilance en matière notamment de risques d’atteintes aux droits fondamentaux, de dommages

corporels ou environnementaux, de risques sanitaires. Naturellement, les obligations du devoir

de vigilance, et notamment l’obligation de mettre en place un « plan de vigilance », concernent

également le risque climatique. Il semble désormais superflu d’insister sur la transversalité de

la question climatique1264, qui fait que tous les acteurs économiques doivent se saisir de la

1263 Loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises

donneuses d’ordre, JO, 28 mars 2017. 1264 Voy. supra nos 81 à 84.

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

290

problématique du changement climatique. Ceci est d’autant plus vrai pour les grandes

entreprises championnes du monde des émissions de gaz à effet de serre.

Ainsi, en octobre 2018, un collectif d’associations et d’élus interpellait Total sur

l’absence de mention du changement climatique dans son plan de vigilance de mars 2018. Le

pétrolier prétendait que ce risque ne fait pas partie de ses obligations. Sous la pression

néanmoins, il a accepté de l’intégrer dans son plan de vigilance de mars 20191265. Malgré les

corrections effectuées dans son deuxième plan de vigilance, le 19 juin 2019, Total a été

formellement mis en demeure par quatorze collectivités et quatre associations afin de

l’enjoindre de respecter, au titre de son devoir de vigilance, l’objectif de limiter le

réchauffement climatique à 1,5 °C et de prendre des actions adaptées en ce sens1266. Le 28

janvier 2020, Total a été assigné en justice devant le tribunal judiciaire de Nanterre. Les

associations et collectivités demandent qu’il lui soit ordonné de prendre les mesures nécessaires

pour réduire drastiquement ses émissions de gaz à effet de serre. Il s’agit du premier contentieux

climatique en France visant à rehausser les ambitions climatiques d’une multinationale du

pétrole1267.

Aujourd’hui, il n’est plus sérieusement contesté que le changement climatique porte

et portera atteinte tant aux droits humains qu’à l’environnement. Par conséquent, si les activités

de certaines entreprises génèrent directement ou indirectement une quantité importante de gaz

à effet de serre, une stratégie de réduction appropriée doit être élaborée, en adéquation avec les

objectifs de prévention de la loi.

Dans le cadre de la présente section, nous allons nous intéresser successivement à la

naissance de ce devoir de vigilance en matière de climat (A) et à valeur normative de la nouvelle

obligation (B).

A. La naissance du devoir de vigilance en matière de climat

303. Depuis son adoption, la loi du 27 mars 2017 n’a cessé de faire couler de l’encre.

Les juristes s’interrogent sur sa portée normative, sur sa mise en œuvre, dénoncent ses

1265 Voy. Rapport de Notre Affaire à Tous, 350.org et Les Amis de la Terre France, Total : la stratégie du chaos

climatique, mai 2019. 1266 M. Hautereau-Boutonnet, « Le risque de procès climatique contre Total : la mise à l’épreuve contractuelle du

plan de vigilance », RDC, n° 3, 2019, p. 95. 1267 M. Hautereau-Boutonnet, « Première assignation d’une entreprise pour non-respect de son devoir de vigilance

en matière climatique : quel rôle préventif pour le juge ? », D., 2020, p. 609 ; P. Mougeolle, « Notre affaire à tous

et autres c. Total (2020) », in Les grandes affaires climatiques, sous la dir. de Ch. Cournil, éd. DICE, Confluences

des droits, 2020, p. 547-560.

Chapitre II. Le développement d’obligations nouvelles dans le contexte de lutte contre le changement climatique

291

paradoxes, affirment son originalité, recherchent les possibilités d’interprétation qu’elle

offre1268. Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, nous nous proposons de faire un bref détour

afin de mettre en lumière l’existence d’une obligation de vigilance environnementale en droit

constitutionnel de l’environnement. Il semblerait que l’on ne parle pas assez de cette obligation

alors pourtant qu’elle mériterait d’être mise en parallèle avec la récente loi sur le devoir de

vigilance. En effet, l’idée d’un devoir de vigilance n’est pas aussi nouvelle que l’on le croit.

Avant de surgir en droit des sociétés (2), cette idée s’était déjà exprimée ailleurs. Ainsi, pour

les juristes environnementalistes, la notion de vigilance en matière environnementale renvoie à

la jurisprudence Michel Z.1269 du Conseil constitutionnel. À l’occasion de cette affaire, le

Conseil constitutionnel a dégagé des articles 1er et 2 de la Charte de l’environnement une

obligation générale de vigilance environnementale qui s’impose à l’ensemble des personnes, y

compris aux entreprises (1).

1. L’obligation de vigilance en droit constitutionnel de l’environnement

304. L’affaire Michel Z. du 8 avril 2011, relative aux conflits de voisinage, concerne

les implications de la Charte de l’environnement en matière civile1270. Le Conseil

constitutionnel a été saisi, le 27 janvier 20111271, par la Cour de cassation d’une question

prioritaire de constitutionnalité (QPC), portant sur la conformité de l’article L. 112-16 du code

de la construction et de l’habitation (ci-après « CCH ») aux droits et libertés garantis par les

articles 1er à 4 de la Charte de l’environnement. Cet article interdit aux occupants d’un bâtiment

de demander réparation du dommage que leur causent les activités agricoles, industrielles,

artisanales, commerciales ou aéronautiques, dès lors que ces activités existaient avant leur

installation et qu’elles s’exercent en conformité avec les dispositions législatives ou

réglementaires en vigueur. Autrement dit, il exclut l’application de la théorie des troubles

1268 Voy. par exemple : D. Roman, « “Droits humains et libertés fondamentales”, des notions “intelligibles” mais

“imprécises” ? À propos du devoir de vigilance des sociétés multinationales », Revue de droit du travail, 2017, p.

391 ; M.-A. Moreau, « L’originalité de la loi française du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance dans les

chaînes d’approvisionnement mondiales », Dr. soc., 2017, p. 792 ; K. Martin-Chenut, « Devoir de vigilance :

internormativités et durcissement de la RSE », Dr. soc., 2017, p. 798 ; C. Malecki, « Le devoir de vigilance des

sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre : était-ce bien raisonnable ? », Bull. Joly Sociétés, n° 5, 2017, p.

298 ; id., « Devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre : la France peut-elle faire

cavalier seul ? », Bull. Joly Sociétés, 2015, n° 4, p. 171. 1269 Cons. const., 8 avril 2011, n° 2011-116 QPC, M. Michel Z et a., D., 2011, p. 1258, note V. Rebeyrol ; D.,

2011, p. 2298, note B. Mallet-Bricout et N. Reboul-Maupin ; AJDA, 2011, p. 762, obs. S. Brondel ; AJDA, 2011,

p. 1158, note K. Foucher ; RDI, 2011, p. 369, note F.-G. Trébulle ; P. Steichen, « La Charte de l’environnement et

les troubles anormaux de voisinage », Revue juridique de l’environnement, vol. 36, n° 3, 2011, p. 393-399. 1270 P. Steichen, « La Charte de l’environnement et les troubles anormaux de voisinage », op. cit. 1271 Cass. 3ème civ., 27 janvier 2011, n° 10-40.056.

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

292

anormaux du voisinage, qui est un mécanisme de responsabilité sans faute, en raison de

l’antériorité d’occupation de l’installation à l’origine des nuisances. Selon les requérants, la

disposition litigieuse méconnaît ainsi les articles 1er à 4 de la Charte, notamment en ce qu’elle

instaure une limite au droit de vivre dans un environnement sain et équilibré consacré par

l’article 1er et diminue la portée des devoirs exprimés dans les articles 2 à 4, à savoir le devoir

de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement, le devoir pour chaque

personne de prévenir les atteintes qu’elle est susceptible de porter à l’environnement, le devoir

de réparation des dommages causés à l’environnement.

La réponse donnée par le Conseil à la question qui lui était soumise a pu surprendre

bon nombre d’auteurs qui ont dénoncé son raisonnement complexe et indirect1272. En effet, le

Conseil apprécie la conformité de l’article L. 112-16 du CCH non pas directement au regard de

la signification qu’il conviendrait de donner aux dispositions de la Charte, mais au regard du

principe de responsabilité et de la compétence dévolue au législateur en vertu de l’article 34 de

la Constitution. Si bien que la Haute juridiction juge la disposition litigieuse conforme à la

Constitution, dans la mesure où il revient au législateur de « définir les conditions dans

lesquelles une action en responsabilité peut être engagée »1273, sauf à en dénaturer la portée. Or,

en l’occurrence, le législateur a aménagé, à travers l’article L. 112-16 du CCH, les règles

relatives à la mise en œuvre de la responsabilité des personnes privées d’une manière

respectueuse des droits et devoirs garantis et consacrés par la Charte. Cette disposition, qui

exclut certes l’action en responsabilité fondée sur l’existence de troubles anormaux du

voisinage, ne fait pas pour autant obstacle à une action en responsabilité fondée sur la faute1274.

Elle n’est donc contraire à aucun droit ou liberté que la Constitution garantit1275.

Selon un auteur, le raisonnement indirect suivi par le Conseil indiquerait une tension

entre, d’un côté, sa volonté de préserver la compétence du législateur en matière

environnementale et, de l’autre côté, l’effectivité qu’il entend garantir aux droits et devoirs de

la Charte1276. Cette tension est précisément cristallisée par l’obligation de vigilance

environnementale déduite par le Conseil constitutionnel des articles 1er et 2 de la Charte qu’il

décide d’interpréter de manière conjointe. C’est ainsi que, dans un cinquième considérant, le

1272 V. Rebeyrol, « L’environnement devant le Conseil constitutionnel : l’occasion manquée », D., 2011, p. 1258 ;

K. Foucher, « La première application de la Charte de l’environnement par le Conseil constitutionnel dans le cadre

de la QPC : de l’inédit, de l’inutile et du flou », AJDA, 2011, p. 1158 ; B. Crottet, « Le Conseil constitutionnel et

l’obligation de vigilance environnementale », RFDC, vol. 90, n° 2, 2012, p. 239-267. 1273 Cons. const., 8 avril 2011, n° 2011-116 QPC, M. Michel Z et a., préc., considérant n° 5. 1274 Ibid., considérant n° 7. 1275 Ibid., considérant n° 8. 1276 B. Crottet, « Le Conseil constitutionnel et l’obligation de vigilance environnementale », op. cit., spéc. p. 243.

Chapitre II. Le développement d’obligations nouvelles dans le contexte de lutte contre le changement climatique

293

Conseil énonce que le respect des droits et devoirs énoncés en termes généraux par ces articles

s’impose non seulement aux pouvoirs publics et aux autorités administratives dans leur

domaine de compétence respectif mais également à l’ensemble des personnes. Il en résulte que

« chacun est tenu à une obligation de vigilance à l’égard des atteintes à l’environnement qui

pourraient résulter de son activité »1277. Un pas supplémentaire est franchi par le Conseil qui,

pour rappel, avait, dans sa décision OGM du 19 juin 20081278, affirmé la pleine valeur

constitutionnelle de la Charte en énonçant « que ces dispositions, comme l’ensemble des droits

et devoirs définis dans la Charte de l’environnement, ont valeur constitutionnelle ; qu’elles

s’imposent aux pouvoirs publics et aux autorités administratives dans leur domaine de

compétence respectif »1279. Le doute, s’il existait, est désormais levé : les entreprises figurent

au rang des personnes qui sont constitutionnellement tenues d’une obligation de vigilance à

l’égard de l’environnement1280.

Il faut reconnaître la portée de la décision Michel Z. Cette première QPC appliquant la

Charte de l’environnement sur saisine de la Cour de cassation reconnaît son effet horizontal,

c’est-à-dire son invocabilité dans les rapports de droit privé. De fait, la Charte de

l’environnement crée une dynamique jurisprudentielle réformatrice. Elle pourrait être, dans la

même logique, un facteur de dynamisme sur le plan législatif, quel que soit le domaine législatif

considéré, dans la mesure où les problématiques environnementales sont par définition

transversales. Ainsi, un argument qui, à notre connaissance, n’a jamais été mis en avant dans

les travaux préparatoires au texte de loi relatif au devoir de vigilance des sociétés mères, mais

qui aurait pu être entendu, est celui de l’existence, de toute façon, d’une obligation

constitutionnelle de vigilance en matière environnementale. Ces rapprochements entre textes

de branches du droit différentes ne sont pas interdits, au contraire, ils peuvent nourrir les

réflexions juridiques, alimenter les arguments, leur donner de la légitimité.

305. L’obligation de vigilance environnementale se retrouve dans la récente loi sur le

devoir de vigilance des sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre dont elle constitue un

des volets. Aujourd’hui, le terme de vigilance environnementale est présent et employé tant en

droit public qu’en droit privé. Si toutes les entreprises, comme l’ensemble des personnes, sont

1277 Cons. const., 8 avril 2011, n° 2011-116 QPC, M. Michel Z et a., préc., considérant n° 5. 1278 Cons. const., 19 juin 2008, n° 2008-564 DC, Loi relative aux organismes génétiquement modifiés, AJDA, 2008,

p. 1614, note O. Dord ; RFDA, 2008, p. 1237, note A. Roblot-Troizier ; RFDC, 2009, p. 189, note A. Capitani ;

Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, Dalloz, coll. « Grands arrêts », 17ème éd., 2013, p. 480. 1279 Ibid., considérant n° 18. 1280 P. Steichen, « La Charte de l’environnement et les troubles anormaux de voisinage », op. cit.

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

294

tenues d’une obligation constitutionnelle de vigilance en matière d’environnement, certaines

entreprises sont débitrices également d’une obligation de vigilance plus spécifique, contenue

dans un texte de loi, aux implications concrètes sur leur fonctionnement interne et sur leur

responsabilité.

2. L’adoption de la loi sur le devoir de vigilance

306. Résistances à l’adoption de la loi. Il faut savoir que les résistances à l’adoption

de la loi sur le devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre ont

été particulièrement rudes. Déposée à l’Assemblée nationale le 11 février 2015 par M. Bruno

Le Roux et plusieurs de ses collègues, la proposition de loi avait été adoptée en première lecture,

avec modifications, par l’Assemblée nationale le 30 mars 2015 et rejetée par le Sénat le 18

novembre 2015. Elle avait été adoptée en deuxième lecture par l’Assemblée nationale le 23

mars 2016 et modifiée, en deuxième lecture, par le Sénat le 13 octobre 2016. Une Commission

mixte paritaire avait ensuite été convoquée et chargée de proposer un texte sur les dispositions

restant en discussion de la proposition de loi. Celle-ci avait été adoptée en nouvelle lecture,

avec modifications, par l’Assemblée nationale le 30 novembre 2016 et de nouveau rejetée par

le Sénat le 1er février 2017. Le texte définitif de la proposition de loi avait été adopté en lecture

définitive par l’Assemblée nationale le 21 février 2017. Saisi le 23 février 2017 d’un recours

déposé par au moins soixante sénateurs et au moins soixante députés, le Conseil constitutionnel

avait, dans sa décision rendue le 23 mars 20171281, censuré les dispositions instituant une

amende civile et jugé conformes les autres dispositions.

307. Ainsi, fruit de nombreux compromis politiques, la loi sur le devoir de vigilance

fut finalement promulguée le 27 mars 2017 et publiée au Journal officiel le 28 mars 2017. Elle

impose aux grandes sociétés françaises d’élaborer, de rendre public et de mettre en œuvre un

plan de vigilance qui comporte les mesures propres à identifier et à prévenir la réalisation de

risques d’atteintes aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales, de dommages corporels

ou environnementaux graves ou de risques sanitaires résultant de leurs activités ainsi que des

activités des sociétés qu’elles contrôlent et des sous-traitants ou fournisseurs sur lesquels elles

1281 Cons. const., 23 mars 2017, n° 2017-750 DC, Loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des

entreprises donneuses d’ordre. Voy. les commentaires : P. Dufourq, « Devoir de vigilance des multinationales :

retour sur la décision du Conseil constitutionnel », Dalloz actualité, 29 mars 2017 ; B. Mathieu, « Jusqu’où peut-

on faire porter sur les entreprises un devoir de vigilance en matière de protection des droits de l’homme et de

l’environnement ? », Constitutions, 2017, p. 291.

Chapitre II. Le développement d’obligations nouvelles dans le contexte de lutte contre le changement climatique

295

exercent une influence déterminante. Reste à savoir quelles sont précisément les entreprises

concernées par ce dispositif et quel est le contenu du plan de vigilance.

308. Sociétés soumises à l’obligation de vigilance. Ratione personae, la loi du 27

mars 2017 concerne certaines sociétés, à l’exclusion de toute autre personne ou groupement,

qui dépassent certains seuils en termes de salariés employés. Concrètement, l’article L. 225-

102-4, I du code de commerce dispose que « toute société qui emploie, à la clôture de deux

exercices consécutifs, au moins cinq mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou

indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français, ou au moins dix mille salariés

en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire

français ou à l’étranger, établit et met en œuvre de manière effective un plan de vigilance ». Les

filiales ou sociétés contrôlées qui dépassent les seuils mentionnés sont cependant réputées

satisfaire à l’obligation de vigilance dès lors que la société qui les contrôle établit et met en

œuvre un plan de vigilance relatif à l’activité de la société et de l’ensemble des filiales ou

sociétés qu’elle contrôle1282. Sont ainsi visées les sociétés anonymes, les sociétés en

commandite par actions ainsi que les sociétés européennes cotées ou non qui dépassent l’un des

seuils susvisés. Un doute existe quant à l’application de ces dispositions aux sociétés par actions

simplifiées (SAS)1283. En effet, même si les articles L. 225-102-4 et L. 225-102-5 du code de

commerce (qui instaurent cette obligation et qui encadrent les sanctions en cas de non-respect

de ces dispositions) s’appliquent aux SAS en vertu de l’article L. 227-1 du code de commerce,

l’article L. 225-102 du même code (qui prévoit l’établissement du rapport de gestion devant

inclure le plan de vigilance et son compte rendu de mise en œuvre) ne s’applique pas aux SAS

(en vertu du même article L. 227-1 du code de commerce). À noter d’ailleurs que les travaux

parlementaires indiquent à plusieurs reprises que le dispositif n’a pas vocation à s’appliquer

aux SAS.

309. Contenu du plan de vigilance. Le plan de vigilance présente les mesures de

vigilance « raisonnable » propres à identifier les risques et à prévenir les atteintes graves envers

les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes, ainsi que

l’environnement résultant directement ou indirectement de ses activités ou de celles de ses

filiales, mais également des activités en lien avec les sous-traitants, ou fournisseurs avec

1282 C. com., art. L. 225-102-4, I, al. 2. 1283 Tout comme, d’ailleurs, pour la déclaration de performance extra-financière, voy. supra n° 286-1.

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

296

lesquels elle entretient une relation commerciale établie1284. Le plan peut donc notamment

porter sur les risques résultant des émissions de gaz à effet de serre sur le climat. Comme l’écrit

un auteur, « toutes les atteintes à l’environnement quelles qu’elles soient, et donc notamment

celles qui résultent du réchauffement climatique, ont vocation à faire l’objet de mesures

d’identification des risques et de prévention des dommages »1285.

Plus précisément, l’article L. 225-102-4, I, al. 4 du code de commerce dispose que le

plan de vigilance doit comprendre cinq mesures visant l’identification des risques ainsi que leur

traitement : 1. Une cartographie des risques destinée à leur identification, leur analyse et leur

hiérarchisation ; 2. Des procédures d’évaluation régulière de la situation des filiales, des sous-

traitants ou fournisseurs avec lesquels est entretenue une relation commerciale établie, au regard

de la cartographie des risques ; 3. Des actions adaptées d’atténuation des risques ou de

prévention des atteintes graves ; 4. Un mécanisme d’alerte et de recueil des signalements relatifs

à l’existence ou à la réalisation des risques, établi en concertation avec les organisations

syndicales représentatives dans ladite société ; 5. Un dispositif de suivi des mesures mises en

œuvre et d’évaluation de leur efficacité.

310. Comme le relève un auteur, « la méthode employée par le législateur est

constitutive d’une volonté de responsabilisation des entreprises. Plutôt que d’imposer des

normes de comportement, elle accorde aux entreprises une liberté dans la mise en œuvre de

l’obligation »1286, cette obligation étant, d’ailleurs, une obligation de moyens1287. Les

« stratégies de vigilance »1288 sont laissées à la discrétion des entreprises. De même, le caractère

« raisonnable » de l’obligation de vigilance laisse une marge de manœuvre à l’entreprise. Celle-

ci peut déterminer son périmètre de vigilance, en identifiant les facteurs de risques et en

déterminant la stratégie de prévention1289. Cependant, comme en témoigne l’actualité récente

1284 C. com., art. L. 225-102-4, I, al. 3. 1285 N. Rias, « Quel rôle pour le devoir de vigilance dans la responsabilité climatique », in Le changement

climatique, quel rôle pour le droit privé ?, sous la dir. de M. Hautereau-Boutonnet et S. Porchy-Simon, Dalloz,

coll. « Thèmes et commentaires », 2019, p. 165-177, spéc. p. 169. 1286 V. Mercier, « De la transparence à la vigilance ou le renforcement des obligations en matière de RSE », in RSE

& Médiation. Regard croisé France-Canada, sous la dir. de V. Mercier, PUAM, 2018, p. 21-51, spéc. p. 43. 1287 M.-P. Blin-Franchomme et Y. Queinnec, « Reporting extra-financier et gouvernance des sociétés : regard sur

un outil au service d’un devoir de vigilance effectif », Revue Lamy Droit des affaires, n° 117, 2016. 1288 G. Branellec et I. Cadet, « Le devoir de vigilance des entreprises françaises : la création d’un système juridique

en boucle qui dépasse l’opposition hard law et soft law », 12ème Congrès du RIODD : « Quelles responsabilités

pour les entreprises? », RIODD, oct. 2017, Paris, France, p. 1. 1289 M.-P. Blin-Franchomme et A. Constantin, « Devoir de vigilance – Les organes de gouvernance des entreprises

en première ligne », Revue Lamy Droit des affaires, n° 104, 2015.

Chapitre II. Le développement d’obligations nouvelles dans le contexte de lutte contre le changement climatique

297

en matière climatique1290, il n’est pas question pour une entreprise d’écarter un facteur de

risque, sous prétexte qu’elle n’est pas concernée. La souplesse laissée aux entreprises devient

relative face à la fonction régulatrice de l’État. Des sanctions sont, en effet, prévues en cas de

non-respect des obligations issues de la loi sur le devoir de vigilance.

B. La portée juridique du devoir de vigilance en matière de climat

311. Pour déterminer la portée juridique du devoir de vigilance, et donc sa capacité à

responsabiliser les entreprises à l’égard du réchauffement climatique, il nous faut, avant tout,

analyser les sanctions dont il est assorti (1). Mais ce n’est pas assez, car l’originalité de la loi

du 27 mars 2017 consiste en ce qu’elle instaure une responsabilité d’un autre type, préventive.

Nous verrons qu’à l’instar de la RSE1291, en produisant des effets de régulation intéressants, le

devoir de vigilance peut jouer le rôle d’un outil de lutte contre le changement climatique (2).

1. Les sanctions juridiques du manquement au devoir de vigilance

312. Afin d’assurer l’effectivité du devoir de vigilance, le législateur a prévu la

possibilité de mettre en demeure la société défaillante d’établir un plan de vigilance et

l’intervention du juge qui pourra prononcer l’injonction (1). De plus, la loi précise que, sur le

fondement du droit commun de la responsabilité civile, l’auteur du dommage doit réparer le

préjudice que l’exécution de ces obligations aurait permis d’éviter (2).

a) La mise en demeure et l’injonction de respecter les obligations de vigilance

313. En cas de manquement à l’obligation de vigilance, l’article L. 225-102-4, II du

code de commerce prévoit, dans un premier temps, la possibilité de mettre en demeure la société

défaillante d’établir un plan de vigilance, puis dans un second temps l’intervention du juge qui

pourra prononcer l’injonction. Par ailleurs, l’ambition initiale était plus forte puisque le texte

1290 En octobre 2018, estimant que le plan de vigilance de Total publié en 2018 n’intégrait pas suffisamment le

risque climatique au regard de ces prescriptions législatives, plusieurs collectivités territoriales et associations ont

demandé au groupe Total de se mettre en conformité avec la nouvelle loi. Comme le montre le courrier des avocats

mis en ligne sur le site de l’association Notre affaire à tous et relayé dans la presse, les intéressés pointent du doigt

le fait que le risque climatique n’apparaît ni dans la liste des risques devant être cartographiés, ni dans celle devant

relater des actions visant à prévenir les atteintes graves, en particulier à l’environnement. 1291 Voy. supra : Première partie, Titre II, Chapitre I, Section 2, §2. Les effets de régulation produits par les

engagements de RSE.

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

298

prévoyait également la possibilité pour le juge d’infliger à la société défaillante une amende

civile d’un montant maximal de dix millions d’euros. Cette disposition a toutefois été censurée

par le Conseil constitutionnel compte tenu de l’imprécision des termes employés par le

législateur (« mesures de vigilance raisonnable », « actions adaptées d’atténuation des risques »,

atteintes aux « droits humains » et aux « libertés fondamentales ») pour définir les obligations

qu’il créait, ainsi que du « caractère large et indéterminé » des entreprises et activités entrant

dans le champ du plan de vigilance1292. Ainsi, tout en reconnaissait que les notions employées

par le législateur ne sont pas inintelligibles, le Conseil juge qu’elles sont « insuffisamment

précises pour permettre de définir un manquement de nature à justifier une sanction ayant le

caractère d’une punition »1293. Or, l’amende civile présente justement un caractère punitif

incontesté, ce qui implique l’application du principe de la légalité des délits et des peines1294.

L’entreprise mise en demeure de respecter les obligations de vigilance imposées par

la loi doit y satisfaire dans un délai de trois mois. Par ailleurs, l’action est largement ouverte

puisque « toute personne justifiant d’un intérêt à agir » peut demander à la juridiction

compétente, à l’issue du délai de trois mois, d’enjoindre à la société défaillante, le cas échéant

sous astreinte, de respecter les obligations de vigilance1295. Le texte vise l’hypothèse où le plan

de vigilance est inexistant, mais également incomplet, inadapté, non actualisé, sans compte

rendu effectif, ou mis en œuvre de façon non effective1296.

Voici donc un levier en matière de climat : la possibilité de s’assurer que les entreprises

mettent en place un plan de vigilance prévoyant des mesures suffisantes en matière de

prévention des dommages climatiques. En pratique, si les activités d’une entreprise sont

particulièrement émettrices de gaz à effet de serre, celle-ci est censée identifier dans sa

cartographie le risque d’aggravation du changement climatique qui résulte de ses émissions.

L’entreprise doit, ensuite, prévoir des « actions adaptées d’atténuation » de ce risque, ce qui

1292 Cons. const., 23 mars 2017, n° 2017-750 DC, Loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des

entreprises donneuses d’ordre, préc., § 13. 1293 Ibid., § 22. 1294 Voy. sur ces questions : F. Graziani, « La généralisation de l’amende civile : entre progrès et confusions », D.,

2018, p. 428 : « S’il est formellement avancé qu’avec l’amende civile l’idée est de renforcer la fonction préventive

de la responsabilité civile, il apparaît que la nature répressive de celle-ci ne peut être remise en question. N’ayant

peut-être de civil que le nom, elle semble pouvoir être rattachée à la matière pénale au sens de l’article 6 de la

Convention européenne des droits de l’homme avec les conséquences que cela implique ». Voy. également : E.

Dreyer, « L’amende civile concurrente de l’amende pénale ? », JCP E, 2017, 1344 ; M. Béhar-Touchais,

« L’amende civile est-elle un substitut satisfaisant à l’absence de dommages-intérêts punitifs ? », LPA, 2002, n°

232, p. 36. Pour l’auteure, il y a quelque chose de paradoxal avec l’amende civile en ce sens que l’on « veut le

droit pénal sans le droit pénal ». 1295 C. com., art. L. 225-102-4, II. 1296 Pour un bilan des premières mises en demeure sur le fondement de la loi sur le devoir de vigilance, voy. : « Loi

sur le devoir de vigilance des sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre : premières mises en demeure et

actions en justice », Cahiers de droit de l’entreprise, n° 2, mars 2020, entretien 2.

Chapitre II. Le développement d’obligations nouvelles dans le contexte de lutte contre le changement climatique

299

implique notamment qu’elle prenne des engagements concrets pour diminuer ses émissions.

Certes, les engagements peuvent être formulés de manière plus ou moins précise, aucune

indication n’étant donnée à ce sujet. Il reste néanmoins qu’en prévoyant la mise en place d’un

« dispositif de suivi des mesures mises en œuvre et d’évaluation de leur efficacité »1297, la loi

encourage la précision. Or, nous verrons plus loin que plus les engagements sont précis, plus la

démonstration de la faute devient aisée1298.

314. La mise en demeure et l’injonction de respecter les obligations de vigilance

peuvent a priori sembler comme des sanctions relativement faibles. Mais il ne faudrait sans

doute pas sous-estimer leur importance. Une chose est certaine : rendues publiques, reproduites

sur des sites internet et relayées dans la presse, elles touchent à une chose très précieuse pour

les entreprises, qui est leur réputation1299. C’est ainsi qu’invitée à revoir son plan de vigilance,

une entreprise aurait tout intérêt à dialoguer et à chercher à se conformer à ses obligations, afin

d’éviter que son image soit ternie.

b) La mise en cause de la responsabilité civile délictuelle

315. En outre, la loi du 27 mars 2017 prévoit expressément que le manquement aux

obligations de vigilance définies à l’article L. 225-102-4 du code de commerce engage la

responsabilité civile de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice dans les conditions prévues

aux articles 1240 et 1241 du code civil, c’est-à-dire si un lien de causalité direct est établi entre

ces manquements et le dommage1300. La loi renvoie donc au droit commun de la responsabilité

civile délictuelle pour faute personnelle1301. D’ailleurs, la responsabilité du fait d’autrui, qui

avait été envisagée lors des travaux préparatoires, avait été rejetée catégoriquement par les

représentants des intérêts économiques qui la jugent trop sévère et menaçante pour la

1297 C. com., art. L. 225-102-4, I, al. 4, 5°. 1298 Voy. infra n° 316-1. 1299 Voy. en ce sens : N. Cuzacq, « Le mécanisme du Name and Shame ou la sanction médiatique comme mode de

régulation des entreprises », RTD com., 2017, p. 473. 1300 C. com., art. L. 225-102-5. 1301 Voy. sur les aspects de responsabilité civile de la loi : A. Danis-Fatôme et G. Viney, « La responsabilité civile

dans la loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre », D., 2017, p.

1610 ; B. Parance, « La consécration législative du devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises

donneuses d’ordre », Gaz. Pal., 18 avril 2017, p. 16 ; D. Mazeaud, « Réflexions sur la loi du 27 mars 2017 sur le

devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordres », in Mélanges offerts à Geneviève

Pignarre. Un droit en perpétuel mouvement, L.G.D.J., 2018, p. 573 et s.

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

300

compétitivité des entreprises françaises1302. Juridiquement, un tel régime impliquerait un

régime de présomption de responsabilité sans faute et de plein droit1303, dont la conciliation

avec le principe d’autonomie des personnes morales apparaît délicate. Il convient cependant de

noter que, sans instaurer un véritable régime de responsabilisé du fait d’autrui, la loi sur le

devoir de vigilance permet d’imposer aux sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre

d’internaliser les conséquences de leurs actions y compris si celles-ci se développent en dehors

du territoire national. Certes, la filiale ou le sous-traitant qui est au bout de la chaîne de valeurs

a une responsabilité personnelle. C’est ce que veut la logique du principe d’autonomie des

personnes morales que l’on n’est certainement pas encore prêt à dépasser. Il n’en demeure pas

moins que le régime crée par la loi du 27 mars 2017 a vocation à se rapprocher de la réalité

économique des grandes entreprises, en faisant remonter la chaîne des filiales, sous-traitants et

fournisseurs pour « responsabiliser » les sociétés mères. Ainsi, si la société mère a failli à la

surveillance des entreprises « dominées », c’est-à-dire si elle n’a pas mis en œuvre les mesures

pertinentes pour éviter ou atténuer le dommage, sa responsabilité pourra être engagée. Des

auteurs relèvent ainsi que la loi du 27 mars 2017 constitue « une nouvelle preuve de la volonté

des pouvoirs publics de développer juridiquement la RSE au moyen de politiques adéquates et

aux fins d’en faire un instrument efficace pour définir les contours de l’entreprise, que le droit

n’a jamais réussi véritablement à appréhender de manière satisfaisante »1304.

Reste à savoir quelles sont précisément les conditions de la responsabilité civile pour

manquement au devoir de vigilance.

316. S’agissant des conditions de la responsabilité, comme dit précédemment, la

référence aux articles 1240 et 1241 du code civil implique l’exigence d’une faute, d’un

dommage et d’un lien de causalité entre les deux.

316-1 Premièrement, la faute résulte de tout manquement aux obligations édictées

au sein de l’article L. 225-102-4 du code de commerce. C’est une « faute nommée »1305, ce

qui signifie que n’importe quel manquement à la vigilance de la société mère ou de l’entreprise

1302 Certains auteurs ont pu le regretter, voy. notamment : D. Mazeaud, « Réflexions sur la loi du 27 mars 2017 sur

le devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordres », op. cit., spéc. p. 581-582, n° 26. 1303 N. Cuzacq, « Le devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre : Acte II, scène

1 », D., 2015, p. 1049 ; J. Heinich, « Devoir de vigilance des sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre : une

loi finalement adoptée, mais amputée », Droit des sociétés, n° 5, mai 2017, comm. 78. 1304 G. Branellec et I. Cadet, « Le devoir de vigilance des entreprises françaises : la création d’un système juridique

en boucle qui dépasse l’opposition hard law et soft law », op. cit., p. 5. 1305 A. Danis-Fatôme et G. Viney, « La responsabilité civile dans la loi relative au devoir de vigilance des sociétés

mères et des entreprises donneuses d’ordre », op. cit.

Chapitre II. Le développement d’obligations nouvelles dans le contexte de lutte contre le changement climatique

301

donneuse d’ordre ne suffit pas à établir la faute susceptible de mettre en jeu sa responsabilité

en application de la loi du 27 mars 2017. Le devoir de vigilance créé par cette loi n’a pas un

objet général comme l’est, par exemple, celui de l’obligation constitutionnelle de vigilance

évoquée précédemment1306. Il s’agit uniquement ici du devoir d’élaborer et de mettre en œuvre

un plan de vigilance dont le législateur a défini strictement la portée. Le domaine de la

responsabilité est donc limité. Elle n’est engagée que pour certaines « fautes nommées ». La

plus évidente est celle qui consisterait en l’absence d’élaboration d’un plan de vigilance. Mais

la faute est également constituée en cas de défaut de communication, de présentation dans le

rapport de gestion, ou de mise en œuvre du plan de vigilance. Enfin, la faute peut résulter

de l’inobservation d’une mesure de vigilance énumérée par la loi. En effet, le plan de vigilance

doit inclure un certain nombre de mentions dont l’omission ou le caractère inexact ou incomplet

établissent la faute. Il s’agit de la « cartographie des risques destinée à leur identification, leur

analyse et leur hiérarchisation », des « procédures d’évaluation régulière de la situation des

filiales, des sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels est entretenue une relation commerciale

établie », des « actions adaptées d’atténuation des risques et de prévention des atteintes

graves », d’un « mécanisme d’alerte et de recueil des signalements relatifs à l’existence ou à la

réalisation des risques » et d’un « dispositif de suivi des mesures mises en œuvre et d’évaluation

de leur efficacité »1307.

316-2 Deuxièmement, en ce qui concerne le dommage, le texte vise les « atteintes

graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des

personnes ainsi que l’environnement ». Selon une partie de la doctrine, seuls les dommages

graves et seules certaines atteintes graves sont visés, ce qui constituerait « une spécificité

notable par rapport au droit commun qui admet en principe la réparation de toute forme de

dommage sans exiger qu’il soit grave »1308. En revanche, le texte ne distingue pas selon le type

de préjudice. Dès lors, toutes les conséquences préjudiciables de ces atteintes, qu’elles soient

d’ordre patrimonial ou extrapatrimonial, doivent être prises en compte. Le préjudice moral subi

par une association pourrait ainsi être réparé. Notons également que le texte semble permettre

1306 Voy. supra n° 304. 1307 C. com., art. L. 225-102-4, I, al. 4. 1308 A. Danis-Fatôme et G. Viney, « La responsabilité civile dans la loi relative au devoir de vigilance des sociétés

mères et des entreprises donneuses d’ordre », op. cit.

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

302

la prise en compte des risques avérés de dommages futurs1309, ce qui est particulièrement

intéressant en matière climatique.

316-3 Troisièmement, enfin, un lien de causalité doit être établi entre le

manquement au devoir de vigilance et le dommage allégué. Le Conseil constitutionnel a

rappelé que ce lien de causalité doit être direct1310, ce qui n’est pas sans poser quelques

difficultés pratiques. Comment établir ce lien de causalité direct entre la réalisation d’un

dommage et l’inadéquation des mesures de vigilance raisonnable prises pour éviter un tel

dommage ? Il faudra compter sur une interprétation in favorem des juges, lesquels devront

d’ailleurs aussi préciser ce que l’on doit entendre par mesures « raisonnables » propres à

identifier et à prévenir les risques d’atteintes graves. À cet égard, le texte ne fournit pas

d’éléments d’éclaircissement. On peut imaginer qu’il sera très difficile, pour ne pas dire

impossible, de démontrer qu’il existe un lien de causalité direct entre le manquement relevé

concernant la lutte contre le changement climatique et un quelconque préjudice matériel ou

corporel1311.

317. S’agissant de l’action en responsabilité, celle-ci peut être introduite devant la

juridiction compétente par « toute personne justifiant d’un intérêt à agir à cette fin »1312, et donc

par les victimes directes et les victimes par ricochet des dommages causés par le non-respect

des obligations de vigilance prévues par le texte. Les associations et syndicats peuvent ainsi

être titulaires de l’action en responsabilité.

La question de la juridiction compétente n’est pas anodine. Dans une décision du 30

janvier 2020, le tribunal judiciaire de Nanterre s’est déclaré incompétent dans une affaire

impliquant le pétrolier Total1313. Il a renvoyé l’affaire au tribunal de commerce, se fondant sur

la compétence de ce dernier en cas de « contestations relatives aux sociétés commerciales ».

1309 En vertu de l’article L. 225-102-4, I du code de commerce, les mesures du plan de vigilance dont l’absence ou

le manque de mise en œuvre effective sont susceptibles d’engager la responsabilité de l’entreprise doivent être

« propres à identifier les risques et à prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés

fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement ». 1310 Cons. const., 23 mars 2017, n° 2017-750 DC, Loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des

entreprises donneuses d’ordre, préc., § 27. 1311 S. Mabile et F. de Cambiaire, « L’affirmation d’un devoir de vigilance des entreprises en matière de

changement climatique », Énergie – Environnement – Infrastructures, n° 5, mai 2019, dossier 21 ; N. Rias, « Quel

rôle pour le devoir de vigilance dans la responsabilité climatique », op. cit., spéc. p. 172-173. 1312 C. com., art. L. 225-102-5, al. 2. 1313 T. jud. Nanterre, ord. réf., 30 janvier 2020, n° 19/02833.

Chapitre II. Le développement d’obligations nouvelles dans le contexte de lutte contre le changement climatique

303

Cette décision est problématique et n’a pas reçu un très bon accueil de la part de la doctrine1314.

Pourtant, elle a été confirmée par la cour d’appel de Versailles1315. Nous considérons néanmoins

que le débat autour de la juridiction compétente n’est pas fermé, d’autant plus que le texte

initial1316 précisait bien que les juridictions compétentes en cas de litige sont les tribunaux civils

et commerciaux1317.

L’éventuelle présence d’un élément d’extranéité (dommages à l’étranger et victimes

étrangères) peut aussi se révéler problématique. Cependant, de l’avis des spécialistes de droit

international privé, le juge français pourrait tout à la fois se montrer compétent et appliquer la

loi du for1318.

Enfin, la juridiction peut ordonner la publication, la diffusion ou l’affichage de sa

décision ou d’un extrait de celle-ci, selon les modalités qu’elle précise, les frais étant supportés

par la personne condamnée1319. Comme le relève la doctrine, « en portant à la connaissance

d’un large public la condamnation prononcée par le juge et en mettant à la charge de l’entreprise

condamnée le coût de la publication, cette mesure sanctionne donc doublement le contrevenant

au devoir de vigilance. Cette sanction est ainsi potentiellement celle qui est la plus redoutée par

les entreprises »1320. Les auteurs regrettent cependant que la publication de la décision soit

laissée à l’appréciation du juge au lieu de prévoir une publication systématique1321.

318. On comprend donc que l’idée majeure qui se dégage de la loi du 27 mars 2017

est d’imposer aux grandes entreprises françaises une responsabilité préventive contraignante.

Ces entreprises doivent être particulièrement vigilantes dans l’exercice de leur pouvoir

décisionnel afin d’anticiper, limiter ou empêcher la réalisation des incidences graves au regard

1314 Voy. « Loi sur le devoir de vigilance des sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre : premières mises en

demeure et actions en justice », Cahiers de droit de l’entreprise, n° 2, mars 2020, entretien S. Cossart : « Pourtant,

un manquement, par une société, à son devoir de vigilance ne peut s’entendre comme ayant un “lien direct avec la

gestion d’une société commerciale” sans pervertir l’esprit, la logique et les objectifs de la loi sur le devoir de

vigilance. Dès lors qu’il crée un standard général de comportement pour la société, qui engage sa responsabilité

vis-à-vis des tiers et notamment des parties prenantes extérieures, le devoir de vigilance ne peut simplement être

compris comme une formalité de gestion de la société ». 1315 CA Versailles, 10 décembre 2020, n° 20/01692. 1316 Proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, n°

2578, 11 février 2015. 1317 Voy. notre commentaire : « Entreprises vigilantes face au risque contentieux en matière climatique », in

« Droit privé et droit économique de l’environnement », Revue juridique de l’environnement, vol. 45, n° 2, 2020,

p. 359-379, spéc. p. 375-377. 1318 Sur ces questions, voy. O. Boscovik, « Brèves remarques sur le devoir de vigilance et le droit international

privé », D., 2016, p. 385 ; É. Pataut, « Le devoir de vigilance – Aspects de droit international privé », Dr. soc.,

2017, p. 833. 1319 C. com., art. L. 225-102-5, al. 3. 1320 A. Danis-Fatôme et G. Viney, « La responsabilité civile dans la loi relative au devoir de vigilance des sociétés

mères et des entreprises donneuses d’ordre », op. cit. 1321 Ibid.

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

304

des impératifs protégés. Certes, un régime de responsabilité civile délictuelle est prévu, mais

l’objectif est surtout d’agir ex ante pour éviter la réalisation de dommages graves.

Qu’en est-il de son application ? En réalité, les associations et autres acteurs de la

société civile dénoncent régulièrement la mauvaise application de la loi par les entreprises

concernées. Dans l’édition 2020 du « radar du devoir de vigilance »1322, publié le 29 juin 2020,

le CCFD-Terre Solidaire et Sherpa ont identifié 265 entreprises soumises à la loi sur le devoir

de vigilance. Il s’avère que 72 d’entre elles, soit 27 % de l’effectif, n’ont pas publié de plan de

vigilance au cours des trois dernières années. Parmi elles, McDonald’s France, Yves Rocher,

Castorama, Boulanger, Euro Disney, Nestlé France, KPMG, Picard… Ce que l’on constate, non

sans regret, c’est que les entreprises qui s’y « conforment » procèdent à une application

minimaliste de la loi. Les informations qu’elles fournissent sont souvent très générales et ne

portent aucun engagement sérieux. Elles portent davantage sur des descriptions d’activité. Cela

explique sans doute la multiplication des mises en demeure sur ce fondement. À l’heure où ces

lignes sont écrites, sept mises en demeure ont été adressées à des entreprises de secteurs

différents1323. L’une d’entre elles concerne le climat1324.

Même s’il est permis de l’espérer, la loi sur le devoir de vigilance ne va sans doute pas

faire des miracles en matière de responsabilité climatique des entreprises. Elle pourra

néanmoins contribuer à moraliser les comportements des acteurs économiques qui exercent une

influence considérable sur l’aggravation du changement climatique.

2. Un renforcement certain des obligations en matière de RSE

319. La loi du 27 mars 2017 permet incontestablement de renforcer l’effectivité du

droit souple issu de la RSE (1). Avec cette loi, l’accent est de nouveau mis sur la

1322 En ligne : https://ccfd-terresolidaire.org/IMG/pdf/radar-ddv-edition-2020.pdf. 1323 Ces mises en demeure concernent : le groupe pétrolier Total pour ses activités en Ouganda (les demandeurs

reprochent à Total l’absence d’identification et de prévention des risques en matière de droits humains –

expropriation, menaces – et d’environnement – biodiversité, ressources en eau – liés à deux projets pétroliers en

Ouganda) et pour inaction en matière climatique (voy. supra n° 302) ; le leader mondial des call center

Teleperformance pour des risques d’atteintes graves aux droits des travailleurs employés dans ses filiales en

Colombie, au Mexique ou aux Philippines ; le groupe EDF et sa filiale EDF Renouvelables pour leurs activités au

Mexique (ils sont accusés de ne pas avoir consulté et obtenu le consentement éclairé des communautés autochtones

impactées par la construction d’un parc éolien) ; le géant du transport routier XPO Logistics, dont le siège européen

se situe à Lyon, pour recours abusif à la sous-traitance et autres manquements aux exigences de la loi ; SUEZ pour

la crise sanitaire provoquée par sa filiale au Chili (SUEZ a été mis en demeure de modifier son plan de vigilance

afin de prendre les mesures nécessaires pour faire face aux défaillances et illégalités alléguées du service

d’approvisionnement d’eau assuré par sa filiale ESSAL) ; le groupe Casino pour son approvisionnement en bœuf

en Colombie et au Brésil (les ONG demandent à l’entreprise de prendre les mesures nécessaires pour exclure le

bœuf issu de la déforestation et de l’accaparement de territoires autochtones de sa chaîne d’approvisionnement). 1324 Le contentieux contre le groupe pétrolier Total est en cours, voy. supra n° 302.

Chapitre II. Le développement d’obligations nouvelles dans le contexte de lutte contre le changement climatique

305

responsabilisation des entreprises, mais dans un cadre désormais contraignant. Cette logique

de responsabilisation se manifeste dans le fait que les dispositions de la loi sur le devoir de

vigilance visent avant tout la prévention des atteintes, en confiant aux entreprises un rôle de

régulation (2).

a) Le renforcement de l’effectivité du droit souple

320. La loi sur le devoir de vigilance a un impact fort sur l’évolution de la

responsabilité sociale de l’entreprise. Cette loi, qui est « emblématique […] des porosités entre

soft law et hard law »1325, s’inscrit dans un processus de « durcissement de la RSE »1326. Le

devoir de vigilance est ainsi un « vecteur d’un droit de la RSE »1327, dans un contexte où la

régulation des activités économiques des entreprises multinationales est principalement assurée

par le droit souple. Il est vrai qu’à la lecture de la loi, il apparaît que la nature de l’obligation

de vigilance relève essentiellement du droit souple. Ce qui renforce cette impression, c’est

l’utilisation de standards et de notions parfois floues, telles que les « mesures de vigilance

raisonnable », les « actions adaptées », les « atteintes graves », la « relation commerciale

établie ». En effet, « plutôt que d’imposer exclusivement, par l’édiction d’une règle générale et

impersonnelle, les nouvelles normes de comportement, comme cela est habituellement le cas,

la loi [définit] un cadre et des objectifs en laissant les acteurs libres de définir les moyens et les

règles pour s’y conformer et y satisfaire »1328. La doctrine a pu relever qu’« un tel transfert de

pouvoir, comparable à celui qui peut exister en matière de décentralisation, est à la fois une

marque de confiance envers les acteurs privés et une source de responsabilité »1329.

La loi sur le devoir de vigilance est le résultat d’une prise de conscience de

l’insuffisance des mécanismes volontaires de responsabilité sociale des entreprises. Quoique le

maillage normatif de la responsabilité sociale des entreprises soit de plus en plus dense1330, les

atteintes aux droits humains et à l’environnement demeurent fréquentes. L’enjeu de la loi sur

le devoir de vigilance est donc considérable. Dans un contexte où les entreprises multinationales

se jouent des frontières juridiques pour échapper à leurs responsabilités, cette loi pourrait

1325 K. Martin-Chenut, « Devoir de vigilance et durcissement de la RSE », op. cit. 1326 Ibid. 1327 G. Branellec et I. Cadet, « Le devoir de vigilance des entreprises françaises : la création d’un système juridique

en boucle qui dépasse l’opposition hard law et soft law », op. cit., p. 4-5. 1328 X. Boucobza et Y.-M. Serinet, « Loi “Sapin 2” et devoir de vigilance : l’entreprise face aux nouveaux défis de

la compliance », D., 2017, p. 1619. 1329 Ibid. 1330 K. Martin-Chenut et R. De Quenaudon (dir.), La RSE saisie par le droit. Perspectives interne et internationale,

Pedone, 2016.

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

306

constituer une réponse en termes de prévention et de réparation, en empêchant la survenance

de drames, en France et à l’étranger, et en permettant d’obtenir des réparations pour les

victimes. Nonobstant ses insuffisances, elle est porteuse d’une promesse : « celle de parvenir à

construire un droit qui discipline le pouvoir des grandes entreprises, en particulier des

entreprises transnationales. Il s’agit, en définitive, de parvenir à rendre opposable aux

entreprises l’ordre normatif dont elles se dotent »1331.

b) Un nouveau rôle de régulation confié aux entreprises

321. L’objectif de la loi sur le devoir de vigilance est de faire en sorte que les grandes

entreprises – les « pouvoirs privés économiques »1332 – internalisent les conséquences de leurs

activités y compris si celles-ci se développent en dehors du territoire national. Cette loi a une

portée extraterritoriale incontestable, ce qui en fait l’originalité. Comme vu précédemment, les

entreprises débitrices de l’obligation de vigilance doivent identifier les risques liés à leurs

propres activités, mais pas seulement. En effet, l’obligation de vigilance s’étend également aux

filiales sur lesquelles la société mère exerce un contrôle exclusif, soit par la détention directe

ou indirecte de la majorité des droits de vote, soit par la désignation, pendant deux exercices

successifs, de la majorité des membres des organes d’administration, de direction ou de

surveillance, soit par l’exercice d’une influence dominante en vertu d’un contrat ou de

clauses statutaires. Cela permet d’inclure dans la sphère de la vigilance l’activité des

concessionnaires, franchisés ou autres entreprises sur lesquelles la société dominante s’est

réservé par contrat un pouvoir de contrôle exclusif. De plus, doivent être prises en compte

les activités des sous-traitants et des fournisseurs avec lesquels est entretenue « une relation

commerciale établie ». La jurisprudence a d’ailleurs défini cette relation comme « la

relation dont chaque partenaire peut raisonnablement anticiper la poursuite pour

l’avenir »1333.

Ainsi, en matière de changement climatique, ce devoir de vigilance est

particulièrement intéressant puisque les entreprises concernées devront veiller à l’insertion

de mesures aptes à prévenir les dommages climatiques, non seulement sur le sol où elles ont

1331 T. Sachs, « La loi sur le devoir de vigilance des sociétés-mères et sociétés donneuses d’ordre : les ingrédients

d’une corégulation », Revue de droit du travail, 2017, p. 380. 1332 L. Mavoungou, « Les pouvoirs privés économiques à l’épreuve de la loi française sur le devoir de vigilance »,

RIDE, 2019/1, t. XXXIII, p. 49-62. Sur la notion de pouvoirs privés économiques, voy. supra nos 18 à 20. 1333 Cass. com., 15 septembre 2009, n° 08-19.200.

Chapitre II. Le développement d’obligations nouvelles dans le contexte de lutte contre le changement climatique

307

leur siège social mais aussi dans les pays sur lesquels sont établis leurs filiales et partenaires

commerciaux.

322. La mise en place d’un plan de vigilance implique des grandes sociétés françaises

qu’elles imposent à leurs filiales et entreprises partenaires des normes plus exigeantes en

matière de droits humains et d’environnement. En quelque sorte, ces sociétés se voient dotées

d’un « pouvoir de police des principes RSE auprès de leurs filiales et partenaires

économiques »1334. La voie contractuelle est privilégiée à cet effet1335. Progressivement, un

nouvel ordre normatif se crée, où l’instrument contractuel devient un instrument de pouvoir1336

produisant des effets normatifs1337 et des effets de régulation1338 à l’échelle globale. Comme

l’écrit le Professeur Mekki, « le rapprochement avec le devoir de vigilance conforte l’idée d’un

contrat qui dépasse le modèle du code civil de 1804 pour devenir un contrat-organisation, un

contrat relationnel, un contrat alliance, ou un contrat-coopération »1339.

323. Il ressort de ce qui précède que la loi sur le devoir de vigilance du 27 mars 2017,

au cœur de laquelle est inscrite l’idée de prévention, a pour objectif de reconnecter le pouvoir

économique et la responsabilité. Cette reconnexion se fait ici de manière assez originale, en

passant par la prise en compte de l’ensemble de la chaîne de valeur des grandes entreprises

françaises, notamment celles qui opèrent à l’échelle globale.

Nous avons vu que cette loi a un champ d’application relativement large. Les domaines

couverts – bien connus – sont ceux de la responsabilité sociale des entreprises, ce qui fait dire

que le devoir de vigilance est vecteur d’un droit contraignant en matière de RSE. Toutefois, une

précision s’impose : dans le cadre des démarches de RSE – volontaires – les entreprises sont

libres de déterminer si tel ou tel domaine est « pertinent » au regard de leurs activités. Ainsi,

une entreprise peut-elle décider d’ignorer purement et simplement la question du changement

climatique, sans avoir à se justifier. Ceci n’est pas possible dans le cadre de la loi sur le devoir

de vigilance. En effet, compte tenu des dangers considérables que le changement climatique

1334 V. Mercier, « De la transparence à la vigilance ou le renforcement des obligations en matière de RSE », op.

cit., spéc. p. 45. 1335 M. Mekki, « Contrat et devoir de vigilance », in « Le Big Bang des devoirs de vigilance ESG : les nouveaux

enjeux de RSE et de droits de l’homme » (Dossier), Revue Lamy Droit des affaires, n° 104, 2015, p. 86-92. 1336 A. Supiot, « La relativité du contrat en question. Conclusion générale », in La relativité du contrat, Association

Henri Capitant, Journées nationales Tome IV / Nantes, L.G.D.J., 2000, p. 183 et s., spéc. p. 198. 1337 M. Mekki, « Les incidences du mouvement de contractualisation sur les fonctions du contrat », in La

contractualisation de la production normative, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2008, p. 323 et s. 1338 Ch. Jamin, « Théorie générale du contrat et droit des secteurs régulés », in Les engagements dans les systèmes

de régulation, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2006, p. 183 et s., spéc. p. 194. 1339 M. Mekki, « Contrat et devoir de vigilance », op. cit., spéc. p. 86.

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

308

fait peser sur les êtres humains et sur les écosystèmes, il peut être raisonnablement déduit de

cette loi une obligation pour les entreprises d’identifier et de réduire leur impact en matière

climatique1340, et ce, quel que soit leur domaine d’activité1341.

L’ensemble de ces dynamiques sont aujourd’hui renforcées. En effet, le 29 avril 2020,

le commissaire européen à la justice, Didier Reynders, a annoncé, lors d’une conférence en

ligne organisée par le groupe de travail du Parlement européen sur la responsabilité des

entreprises, que la Commission européenne présenterait, d’ici 2021, une initiative législative

sur le devoir de vigilance des entreprises donneuses d’ordre vis-à-vis de leurs sous-traitants, en

matière de droits humains et d’environnement. En 2018, le Parlement européen avait déjà invité

la Commission à élaborer une proposition de texte visant à instituer « un cadre général et

obligatoire de diligence raisonnable comprenant un devoir de vigilance à mettre en place

progressivement dans les limites d’une période de transition et en tenant compte du principe de

proportionnalité »1342. Des auteurs1343 ont souligné que l’introduction d’une telle obligation de

vigilance pallierait l’incohérence du droit actuel, harmoniserait les normes relatives au devoir

de vigilance des entreprises, dissuaderait les entreprises de pratiquer un forum shopping et

offrirait un meilleur moyen de défense aux victimes. La Commission européenne s’appuiera

sur une étude parue en janvier 20201344 qui a analysé les pratiques actuelles du marché et évalué

différentes options réglementaires afin d’accroître la responsabilité des entreprises vis-à-vis des

hommes et de la planète. Par ailleurs, mobilisant le droit d’initiative dont il jouit en vertu de

l’article 225 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), le Parlement

européen a pris l’initiative d’élaborer lui-même une proposition de « directive sur le devoir de

diligence ». Sur la forme, il faut dire que c’est assez inédit… On le sait très bien, en vertu de

l’article 17 du traité sur l’Union européenne (TUE), la Commission européenne a le monopole

de l’initiative législative et les parlementaires européens ne peuvent que l’inviter à élaborer des

1340 N. Rias, « Quel rôle pour le devoir de vigilance dans la responsabilité climatique », in Le changement

climatique, quel rôle pour le droit privé ?, op. cit. ; S. Mabile et F. de Cambiaire, « L’affirmation d’un devoir de

vigilance des entreprises en matière de changement climatique », op. cit. 1341 Une étude produite par l’association Notre affaire à tous et publiée le 2 mars 2020 , relève cependant qu’aucune

entreprise ne se conforme véritablement aux obligations climatiques découlant de la loi sur le devoir de vigilance.

L’étude constate que 10 entreprises sur 25 n’intègrent toujours pas le climat à leurs plans de vigilance et qu’à ce

jour, aucune entreprise n’a mis en place une stratégie de diminution de son impact climatique en lien avec la

trajectoire de 1,5 °C. Voy. Rapport de Notre affaire à tous, Benchmark de la vigilance climatique des

multinationales, 2 mars 2020, en ligne : https://notreaffaireatous.org/wp-content/uploads/2020/03/Rapport-

General-Multinationales-NAAT-2020.02.01-1.pdf. 1342 Résolution du Parlement européen du 29 mai 2018 sur la finance durable, 2018/2007(INI), pt. 6. 1343 Ph. Métais, É. Valette et G. Martin, « L’effet catalyseur du covid-19 sur la responsabilité sociétale des

entreprises », Dalloz actualité, 26 juin 2020. 1344 Study on due diligence requirements through the supply chain, Final Report, Commission européenne, janv.

2020 ; voy. B. Lecourt, « Pour un texte européen sur le devoir de vigilance des sociétés », Revue des sociétés,

2020, p. 315.

Chapitre II. Le développement d’obligations nouvelles dans le contexte de lutte contre le changement climatique

309

textes. Sur le fond, la proposition de directive du Parlement européen reprend la problématique

de la loi française sur le devoir de vigilance, tout en la renforçant sensiblement. Dans sa version

de janvier 2021, le texte vise à élargir la vigilance à toute entreprise, quelle que soit sa taille et

quel que soit son statut juridique. Il prévoit toutefois des obligations d’intensité variable selon

la taille de l’entreprise. En outre, au-delà de la publication d’un plan de vigilance, les entreprises

européennes devraient publier une « stratégie de vigilance », laquelle serait revue annuellement

par les parties prenantes de l’entreprise. Le rôle de ces dernières serait d’ailleurs renforcé

puisqu’elles disposeraient d’un pouvoir d’initiative des actions en justice. Pour renforcer la

fonction préventive et dissuasive du dispositif, les États seraient obligés de prévoir des

sanctions pénales. Surtout, ce nouveau « devoir de diligence » vise expressément la question

du réchauffement climatique…

La Commission européenne et le Parlement européen avancent donc vers la

consécration d’un devoir de vigilance à l’échelle européenne. On ne peut que s’en réjouir. En

effet, un texte européen sur le devoir de vigilance des sociétés serait opportun car la

réglementation européenne ne contient à l’heure actuelle que des initiatives limitées.

324. En résumé, nous assistons depuis quelques années à un durcissement de

l’encadrement normatif des démarches dites éthiques. Ayant pris conscience des limites de

l’engagement volontaire, et dans un contexte où les attentes de la société civile sont de plus en

plus exigeantes, les pouvoirs publics ont pris des mesures législatives afin d’inscrire la RSE

dans un cadre juridique contraignant. Dès 2001, le législateur français a imposé une obligation

d’information sociale et environnementale aux grandes sociétés. Progressivement, le champ de

cette obligation d’information a été étendu au domaine du climat. Un pas supplémentaire a été

franchi en 2017, avec la loi sur le devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises

donneuses d’ordre. Cette loi a marqué le passage d’une obligation de déclarer un comportement,

ou obligation de dire, à une obligation de respecter un comportement assortie de sanctions, ou

obligation de faire1345.

Aujourd’hui, l’obligation d’information et le devoir de vigilance qui s’imposent aux

plus grandes sociétés françaises, sont des instruments juridiques mobilisés dans la lutte contre

le réchauffement climatique. La prévention des atteintes est au cœur de ces législations. Qu’en

est-il cependant en pratique ?

1345 V. Mercier, « De la transparence à la vigilance ou le renforcement des obligations en matière de RSE », op.

cit., spéc. p. 24.

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

310

Encore aujourd’hui, beaucoup d’entreprises refusent d’admettre que leurs activités

contribuent au réchauffement climatique. La reconnaissance de leur part de responsabilité dans

le réchauffement climatique est quasi absente. Leur impact climatique, qui est pourtant très

lourd, est sous-estimé et n’est pas suffisamment bien retracé. L’évaluation et la publication des

émissions indirectes dites du « scope 3 » sont souvent négligées. Pour rappel, le scope 3

regroupe toutes les émissions de gaz à effet de serre qui ne sont pas liées directement à la

fabrication du produit, mais à d’autres étapes de son cycle de vie, à savoir l’approvisionnement,

le transport, l’utilisation, la fin de vie. Pour ce qui est de l’application de la loi sur le devoir de

vigilance, il apparaît que les sociétés mères ne mettent pas encore toutes les mesures en œuvre

afin de faire baisser les émissions directes et indirectes des filiales et des sous-traitants. Il s’agit

pourtant du cœur de la loi du 27 mars 2017.

Plus récemment encore, à travers une loi du 22 mai 2019, le législateur a consacré une

obligation qui s’impose à toute société, civile ou commerciale, quelle que soit sa taille : il s’agit

de l’obligation de prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux de ses

activités.

Section 2. Une obligation pour toute entreprise : la prise en considération des enjeux sociaux

et environnementaux

325. La loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi

PACTE, a été adoptée le 22 mai 20191346. Elle comporte une série de dispositions réformant le

droit des sociétés français1347, qui s’inspirent du rapport Notat-Senard publié en mars 20181348.

Cette réforme au contentieux ambitieux (§1) s’inscrit dans le sillage des réformes précédentes

visant à responsabiliser davantage les entreprises au regard des impacts de leurs activités

(obligation d’information extra-financière, devoir de vigilance). Dans le même temps, elle

rompt avec l’approche, jusqu’ici privilégiée, qui consiste à n’appliquer de telles mesures qu’à

la seule société anonyme, symbole de la puissance économique. Ainsi, la loi PACTE modifie

les dispositions relatives au contrat de société contenues dans le code civil, et notamment

l’article 1833, qui prévoit désormais à son alinéa 2 que toute société doit être « gérée dans son

intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son

1346 Loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, JO, 23 mai 2019. 1347 H. Le Nabasque (dir.), « Loi PACTE et droit des sociétés » (Dossier), Bull. Joly Sociétés, n° 6, 2019, p. 33. 1348 Rapport aux Ministres de la Transition écologique et solidaire, de la Justice, de l’Économie et des Finances,

du Travail, L’entreprise, objet d’intérêt collectif, N. Notat et J.-D. Senard, mars 2018.

Chapitre II. Le développement d’obligations nouvelles dans le contexte de lutte contre le changement climatique

311

activité ». Malgré ses imperfections, cette loi marque une étape importante dans le processus

de renouvellement du rôle de l’entreprise face au défi climatique (§2).

§1. La loi PACTE, une réforme au contenu ambitieux

326. La réforme des articles 1833 et 1835 du code civil introduite par la loi PACTE

est marquée par la recherche d’un équilibre entre performance financière et performance extra-

financière des sociétés (B). Elle intervient dans un contexte où la place de l’entreprise dans la

société ainsi que ses finalités sont constamment réinterrogées (A).

A. Les prémisses de la réforme de la loi PACTE

327. La question au centre de la réforme de la loi PACTE est celle de la prise en

compte de l’effet de deux siècles d’évolution économique et sociale sur les normes qui

définissent et guident les sociétés1349. En effet, les articles 1832 et 1833 du code civil, qui sont

au fondement du droit des sociétés français, ont été adoptés en 1804. Depuis, le monde de

l’entreprise a profondément changé, l’économie s’est financiarisée, les multinationales ont

fleuri. Parallèlement, sous la pression de la société civile, les dirigeants de sociétés ont

commencé à intégrer les préoccupations extra-financières à leurs activités. Depuis 20011350, et

avec une accélération très nette depuis la crise financière de 2008, le législateur français a

empilé les textes visant à obliger les grandes sociétés à s’engager dans des démarches de RSE.

De nouvelles normes sont ainsi apparues, des mélanges hybrides de droit souple et de droit dur,

avec des degrés de contrainte plus ou moins importants et à portée juridique plus ou moins

forte. Et alors que tous ces changements ont eu lieu, les fondements du droit des sociétés, eux,

n’ont guère évolué1351.

Nombreux ont été ceux qui ont conclu à la nécessité de réformer ces normes afin de

tenir compte des évolutions récentes. Pour n’en citer que quelques-uns, en 2013, le rapport sur

l’économie positive1352, établi sous la responsabilité de Jacques Attali, proposait de modifier

l’article 1833 du code civil comme suit : « Toute société doit avoir un objet licite, être constituée

1349 Ch. Clerc, « Sur la réforme de l’entreprise : l’objet social, objet de réforme sociale », Revue de droit du travail,

2018, p. 107. 1350 Loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques, JO, 16 mai 2001, qui a posé

les fondations de l’édifice de l’obligation légale d’information extra-financière. 1351 L’article 1832 du code civil n’a été modifié qu’à deux reprises, en 1978 et 1985. 1352 J. Attali (dir.), et alii, Pour une économie positive, Rapport, La Documentation française, Fayard, 2013.

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

312

et gérée dans l’intérêt pluriel des parties prenantes et concourir à l’intérêt général, notamment

économique, environnemental et social ». En novembre 2016, l’article 83 de l’avant-projet de

loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, proposé par Emmanuel

Macron, alors ministre de l’économie, avait lui aussi envisagé de modifier l’article 1833 du

code civil comme suit : « [La société] doit être gérée au mieux de son intérêt supérieur, dans le

respect de l’intérêt général économique, social et environnemental ». Toujours en novembre

2016, diverses personnalités, parmi lesquelles Christine Lagarde, Martin Hirsch et Pascal

Lamy, ont publié une tribune dans Le Monde1353, proposant de modifier les articles 1832 et

1833 du code civil comme suit, respectivement : « La société est instituée par deux ou plusieurs

personnes qui conviennent d’affecter des actifs, sous la forme d’apports en numéraire, en nature

ou en industrie, à une entreprise commune en vue de développer un projet d’entreprise et de

partager le bénéfice ou de profiter de l’économie susceptible d’en résulter » et « Toute société

doit avoir un projet d’entreprise licite et être gérée dans l’intérêt commun des associés et des

tiers prenant part, en qualité de salariés, de collaborateurs, de donneurs de crédit, de

fournisseurs, de clients ou autrement, au développement de l’entreprise qui doit être réalisé

dans des conditions compatibles avec l’accroissement ou la préservation des biens communs ».

De l’ensemble de ces propositions semble se dégager un consensus : la financiarisation

du capitalisme étant une erreur, l’économie doit désormais réorienter le capitalisme vers la prise

en considération des enjeux de long terme.

328. Le rapport Notat-Senard sur l’entreprise et l’intérêt général. En janvier

2018, les ministres de la transition écologique et solidaire, de la justice, de l’économie et des

finances, ainsi que du travail ont chargé Nicole Notat, ancienne secrétaire générale de la

Confédération française démocratique du travail et présidente de Vigeo Eiris, et Jean-

Dominique Senard, président du groupe Michelin, d’une mission sur l’entreprise et l’intérêt

général. Les résultats de leurs travaux ont été consolidés dans un rapport publié le 9 mars

20181354. Partant du constat que le court-termisme et la financiarisation de l’économie pèsent

sur la vie de l’entreprise, les auteurs du rapport ont exprimé le besoin de préserver les intérêts

à long terme des sociétés, de rétablir une relation équilibrée entre les actionnaires et les

1353 Collectif d’auteurs, « Plaidoyer en faveur d’une “économie de marché responsable” », Le Monde, 16 novembre

2016. 1354 Rapport aux Ministres de la Transition écologique et solidaire, de la Justice, de l’Économie et des Finances,

du Travail, L’entreprise, objet d’intérêt collectif, préc.

Chapitre II. Le développement d’obligations nouvelles dans le contexte de lutte contre le changement climatique

313

dirigeants, de promouvoir un capitalisme plus responsable sur le plan social et environnemental.

Plusieurs recommandations ont été formulées.

La première recommandation du rapport a été de modifier l’article 1833 du code civil,

en y ajoutant un second alinéa rédigé comme suit : « [...] La société doit être gérée dans son

intérêt propre, en considérant les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ». Nous

pouvons, d’ailleurs, constater que cette formulation est très proche de celle finalement retenue

par la loi PACTE. Pour les auteurs du rapport, « aucune société, même une société civile

immobilière, ne peut faire complètement abstraction des enjeux sociaux et environnementaux

de son activité »1355. Les auteurs précisent aussi que la référence à l’« intérêt propre » clarifie

les interprétations de l’intérêt social lequel « ne peut se réduire aux intérêts particuliers des

associés »1356. Nous verrons, cependant, que le texte final de la loi PACTE a retenu la notion

d’« intérêt social »1357.

Dans une onzième recommandation, les auteurs ont suggéré de confirmer à l’article

1835 du code civil la possibilité de faire figurer une « raison d’être » dans les statuts de la

société, quelle que soit sa forme juridique, notamment pour permettre les entreprises à

mission1358. Cette proposition a aussi été retenue par les auteurs du projet de loi PACTE.

329. Le projet de loi PACTE1359. C’est donc sur ces bases qu’a été rédigé le projet

de loi PACTE, accompagné d’une étude d’impact de plus de 700 pages. Dans un avis rendu le

14 juin 2018, le Conseil d’État affirme que « la préservation de certaines exigences sociales et

environnementales constitue un but d’intérêt général » et « qu’il est donc loisible au législateur,

dans le respect des principes constitutionnels, de prescrire aux sociétés de prendre en

considération ces objectifs »1360. Le Conseil d’État relève cependant le caractère lacunaire de

l’étude d’impact et demande au pouvoir exécutif de l’améliorer, « en premier lieu pour mieux

expliquer les raisons qui [le] conduisent à modifier le code civil, en deuxième lieu pour apporter

des précisions sur le contenu et la portée de la notion de “raison d’être”, en troisième lieu pour

permettre de mesurer les conséquences juridiques des modifications du code civil et du code de

1355 Ibid., p. 6. 1356 Ibid. 1357 Voy. sur ces différentes notions : J. Heinich, « Intérêt propre, intérêt supérieur, intérêt social », in « La

réécriture des articles 1833 et 1835 du Code civil : révolution ou constat ? » (Dossier), Revue des sociétés, 2018,

p. 568. 1358 Rapport aux Ministres de la Transition écologique et solidaire, de la Justice, de l’Économie et des Finances,

du Travail, L’entreprise, objet d’intérêt collectif, préc., p. 8. 1359 Projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises, n° 1088, 19 juin 2018. 1360 Conseil d’État, Avis sur un projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises, 14 juin

2018, pt. 101.

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

314

commerce notamment du point de vue de la responsabilité des sociétés et des dirigeants, enfin

pour apprécier les incidences économiques des propositions faites ainsi que leur impact sur la

gouvernance et la compétitivité des entreprises françaises »1361. Sous ces réserves, le Conseil

d’État estime qu’eu égard à son objet, à ses finalités et à sa portée, l’obligation de prise en

considération des enjeux sociaux et environnementaux ne méconnaît pas l’objectif de valeur

constitutionnelle d’intelligibilité de la loi ni aucun principe ni aucune règle de valeur

constitutionnelle1362. Il en va de même pour la faculté pour les sociétés qui le souhaitent

d’inscrire dans leurs statuts une « raison d’être »1363. En conséquence, le Conseil d’État valide

le dispositif1364.

Une fois rendu public, ce projet de loi a fait l’objet d’une multitude de commentaires

pour le moins contrastés. On a pu, parfois, exprimer la crainte que la réforme de la loi PACTE

n’alourdisse la responsabilité des dirigeants, le législateur ayant ouvert une « boîte de Pandore

du contentieux »1365. En ce sens, le député républicain Daniel Fasquel a dénoncé « un nid à

contentieux », présentant des « risques considérables pour les entreprises »1366. Chez les

juristes, on s’est beaucoup interrogé sur les impacts de la réforme et sur son effectivité sur le

plan juridique1367. Alors que certains se sont montrés enthousiastes1368, d’autres ont été plus

critiques, jugeant la réforme « inopportune »1369, « naïve et dangereuse »1370.

1361 Ibid., pt. 95. 1362 Ibid., pt. 104. 1363 Ibid., pt. 106. 1364 Voy. pour une analyse critique : P. Delvolvé, « La loi PACTE et l’entreprise », RFDA, 2019, p. 589 : « […] la

loi du 22 mai 2019 n’est ni claire, ni intelligible, ni accessible. Ce ne sont pas seulement quelques cavaliers

législatifs qui auraient dû être déclarés contraires à la Constitution, c’est toute la loi ! Cette affirmation peut

évidemment être considérée comme exagérée. Elle est un cri contre la dégradation de la technique législative. […]

la loi PACTE aurait pu, telle qu’elle a été présentée, être un texte fondateur d’une nouvelle conception de

l’entreprise. Telle qu’elle est rédigée, elle n’est qu’une addition (un saupoudrage ?) de dispositions multiples et

variées sans unité ». 1365 A. Milleret, « La nouvelle définition de l’entreprise pose problème », Option Finance, n° 1485, 12 novembre

2018, p. 12. 1366 Cité par B. Héraud, « Loi PACTE : cinq mesures censées doper la transformation durable des entreprises »,

Novetic.fr, 11 avril 2019. 1367 M. Morales, « La loi PACTE et la prise en compte des considérations sociales et environnementales en droit

des sociétés : une réforme en trompe l’œil ? », Revue juridique de l’environnement, vol. 44, n° 2, 2019, p. 339-

351. 1368 J. Paillusseau, « Entreprise et société. Quels rapports ? Quelle réforme ? », D., 2018, p. 1395. 1369 F.-X. Lucas, « L’inopportune réforme du Code civil par la loi PACTE », Bull. Joly Sociétés, n° 9, 2018, p.

477. 1370 P.-H. Conac, « La société et l’intérêt collectif : la France seule au monde ? », in « La réécriture des articles

1833 et 1835 du Code civil : révolution ou constat ? » (Dossier), Revue des sociétés, 2018, p. 558.

Chapitre II. Le développement d’obligations nouvelles dans le contexte de lutte contre le changement climatique

315

330. Incontestablement, modifier le code civil, cela revient à s’attaquer à un chantier

considéré forcément comme révolutionnaire, en raison de sa portée symbolique1371. Et c’est

bien dans le code civil, plus précisément dans les dispositions qui constituent l’ADN des

entreprises, que le législateur a décidé de montrer sa volonté de renouveler le rôle de l’entreprise

face aux préoccupations sociétales de notre époque.

B. Le renouvellement du rôle de l’entreprise par la loi PACTE

331. Dans la lignée du rapport Notat-Senard, la loi PACTE réforme les articles 1833

et 1835 du code civil. L’article 1833 instaure un nouveau devoir à la charge des dirigeants, celui

de gérer la société dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et

environnementaux de ses activités (1), tandis que l’article 1835 permet à la société de se doter

d’une « raison d’être » (2).

1. L’article 1833 du code civil : l’intérêt social et la prise en considération des enjeux sociaux

et environnementaux

332. L’alinéa 2 de l’article 1833 du code civil consacre la notion jurisprudentielle

d’intérêt social (a) et associe à cette reconnaissance de la notion d’intérêt social le principe

d’une « prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux » de l’activité d’une

société lors de sa gestion (b).

a) La société est gérée dans son intérêt social

333. La loi PACTE ne modifie ni l’article 1832 du code civil, ni le premier alinéa de

l’article 1833. En conséquence, la société est toujours « constituée dans l’intérêt commun des

associés » (article 1833, al. 1er), qui est de partager les bénéfices ou de profiter des économies

(article 1832). En effet, la communauté d’intérêts est la caractéristique première du contrat de

société. Elle lui permet d’exister1372. Toutefois, la société est « gérée dans son intérêt social »

(article 1833, al. 2). La coexistence de ces deux alinéas maintient la distinction entre formation

1371 Voy. pour une analyse critique : A. Couret, « La réforme de l’entreprise passe-t-elle nécessairement par une

réécriture du code civil ? », in « La réécriture des articles 1833 et 1835 du Code civil : révolution ou constat ? »

(Dossier), Revue des sociétés, 2018, p. 639. 1372 D. Schmidt, Les conflits d’intérêts dans la société anonyme, Joly éditions, 2ème éd., 2004, p. 3.

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

316

et exécution du contrat de société. Il en résulte que si lors de la formation, l’intérêt des associés

l’emporte, lors de l’exécution, il doit en revanche composer avec d’autres1373.

L’intégration de la notion d’intérêt social au sein de l’article 1833 du code civil ne

constitue pas un changement mais la consécration législative d’une évolution jurisprudentielle.

À cet égard, le Professeur François-Xavier Lucas écrit que « l’affirmation de la nécessité que

la société soit gérée dans son intérêt social est d’autant plus vouée à décevoir qu’elle ne modifie

en rien le droit existant, ce que l’étude d’impact juridique (p. 545) reconnaît avec une touchante

naïveté lorsqu’elle pronostique que l’effet de cette proclamation tautologique “devrait être nul,

puisqu’il ne s’agit que de reprendre explicitement une notion actuellement appliquée par la

jurisprudence” »1374. Force est de constater, en effet, que les tribunaux jugent depuis longtemps

que la société doit être gérée dans son intérêt social et sanctionnent les actes et décisions non

conformes à cet intérêt (abus de majorité, appréhension judiciaire de la dissolution anticipée,

unanimité ne suffisant pas à valider une sûreté contraire à l’intérêt social…). L’ambition des

juges a toujours été d’en faire une « boussole »1375 dans la mise en œuvre de certains dispositifs

sociétaires. Aussi, la jurisprudence a entériné le fait que toute société possède, en tant que

personne morale, un intérêt autonome qui ne saurait se réduire aux intérêts de ses associés, ni

d’ailleurs aux intérêts de ses parties prenantes. Cette notion avait donc déjà sa place dans le

paysage juridique, ce qui a fait dire à une partie de la doctrine que la réforme de l’article 1833

du code civil « n’apporte rien »1376, qu’en tout cas, elle n’a « pas de visée révolutionnaire »1377.

Le Professeur Jacques Mestre se demande même si « devenant de la sorte mécanique,

systématique, elle ne risque de pécher parfois par dogmatisme et manque de nuances… Dans

certains cas, en effet, n’est-il pas préférable, même économiquement, et même au final

socialement, de privilégier l’intérêt commun des associés, ou celui, exceptionnellement, des

créanciers ? »1378.

En outre, certains auteurs ont regretté que la loi PACTE n’ait pas innové en adoptant

une définition claire de ce qu’il faut entendre par « intérêt social »1379. Consacrée par le

1373 J. Mestre, « Propos conclusifs », in « La réécriture des articles 1833 et 1835 du Code civil : révolution ou

constat ? » (Dossier), Revue des sociétés, 2018, p. 647. 1374 F.-X. Lucas, « L’inopportune réforme du Code civil par la loi PACTE », op. cit. 1375 A. Pirovano, « La boussole de la société. Intérêt commun, intérêt social, intérêt de l’entreprise ? », D., 1997,

p. 189. 1376 D. Schmidt, « La loi Pacte et l’intérêt social », D., 2019, p. 633. 1377 J. Heinich, « Intérêt propre, intérêt supérieur, intérêt social », op. cit. 1378 J. Mestre, « Propos conclusifs », op. cit. 1379 Voy. F.-X. Lucas, « L’inopportune réforme du Code civil par la loi PACTE », op. cit. : « N’apportant aucune

précision sur ce qu’il y a lieu d’entendre par cette notion d’intérêt social qu’elle se contente de faire accéder au

nirvana de la codification, la réforme laisse à chaque juge le soin de la définir. Là réside d’ailleurs tout le danger

du bavardage auquel se ramène ce projet de loi peu convaincant, qui, en permettant au juge de remettre en cause

Chapitre II. Le développement d’obligations nouvelles dans le contexte de lutte contre le changement climatique

317

législateur, la notion d’intérêt social continue de ne bénéficier d’aucune définition juridique. Le

Professeur Alain Couret relève ainsi qu’« il est possible de donner des contenus très variables

à cet intérêt social jusqu’à le tirer vers l’intérêt général. D’un point de vue méthodologique,

introduire le mot dans le code civil sans le définir davantage aboutit de fait à s’en remettre

totalement au juge »1380. Mais en réalité, il semble qu’en posant la règle selon laquelle la société

est « gérée dans son intérêt social », le législateur tranche entre les différentes conceptions et

fait sienne celle selon laquelle l’intérêt social est l’intérêt de la société, en tant que personne

morale. D’ailleurs, l’exposé des motifs du projet de loi indiquait bien que cette conception

entérinerait au niveau législatif un aspect fondamental de la gestion des sociétés : « le fait que

celles-ci ne sont pas gérées dans l’intérêt de personnes particulières, mais dans leur intérêt

autonome et dans la poursuite des fins qui leur sont propres »1381. Comme le note un auteur,

« si la société est constituée dans l’intérêt commun de ses membres, elle n’est pas

exclusivement leur chose dès lors qu’ayant une activité économique et sociale, ses décisions

rayonnent bien au-delà du cercle des associés »1382.

Pour conclure, au vu de ces nombreuses critiques, une question légitime se pose : était-

ce véritablement utile et nécessaire d’inscrire dans la loi le respect obligatoire de l’intérêt

social ? Alors qu’une partie de la doctrine s’y est fortement opposée, d’autres auteurs se sont

montrés plus neutres. Ainsi, jugeant que la loi PACTE ne mérite « ni excès d’honneur, ni excès

d’indignité », le Professeur Jean-Jacques Daigre a écrit que « dans un système de droit écrit,

qui a de solides vertus et qui nous est consubstantiel, il ne faut jamais regretter que la loi intègre

des concepts forgés par des décennies de jurisprudence »1383.

334. La réforme de la loi PACTE propose une vision « modernisée » 1384 de l’intérêt

social, puisque élargie à la prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux de l’activité

économique.

les choix des dirigeants et des associés au nom de sa conception de l’intérêt social, le transforme en censeur de la

gestion des sociétés ». 1380 A. Couret, « La réforme de l’entreprise passe-t-elle nécessairement par une réécriture du code civil ? », op. cit. 1381 Exposé des motifs, p. 58. 1382 J.-J. Daigre, « La loi PACTE : ni excès d’honneur, ni excès d’indignité », Bull. Joly Sociétés, n° 10, 2018, p.

541. 1383 Ibid. 1384 I. Desbarats, « De l’entrée de la RSE dans le code civil. Une évolution majeure ou symbolique ? (article 61 du

projet de loi PACTE) », Droit social, 2019, p. 47.

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

318

b) La société est gérée en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux

335. La réforme de la loi PACTE complète l’article 1833 du code civil et consacre

l’obligation pour toute entreprise de prendre en considération les enjeux sociaux et

environnementaux de ses activités. Désormais, la société doit être gérée dans son intérêt social,

en prenant en considération ces enjeux. Le législateur a ainsi formulé une « norme générale,

applicable à toutes les entreprises, quels que soient leur taille et leur secteur d’activité, qui les

oblige, de façon souple et proportionnée à leurs moyens, à ne pas négliger les effets négatifs

que leur comportement peut avoir sur leur environnement »1385.

Que faut-il comprendre lorsque le texte impose à la société de prendre en considération

les enjeux sociaux et environnementaux de ses activités ? Que signifie cette prise en

« considération » ?

Comme nous venons de voir, les décisions sociétaires n’ont pas à satisfaire un intérêt

autre que celui de la société. En revanche, le fait de devoir prendre en considération l’impact

de ces décisions sur les enjeux sociaux et environnementaux oblige au moins les organes

sociétaires à intégrer ces impacts dans le processus de décision. C’est aussi ce qui ressort de

l’exposé des motifs du projet de loi : « si l’intérêt social correspond ainsi à l’horizon de gestion

d’un dirigeant, la considération de ces enjeux apparaît comme des moyens lui permettant

d’estimer les conséquences sociales et environnementales de ses décisions »1386. Autrement dit,

pour ne pas être contraire à l’intérêt social, une décision de gestion doit s’être donné les moyens

de considérer en amont les enjeux sociaux et environnementaux de l’activité sociale. L’analyse

d’impact est une étape impérative de la réflexion menée. Il s’agit toutefois d’une obligation de

moyens qui ne présage aucunement de l’orientation ou du contenu de la décision de gestion. Il

n’est pas exigé de la société qu’elle agisse « dans l’intérêt de… », ni « dans le respect

de… »1387. Aucune obligation de ne pas porter atteinte aux intérêts sociaux et

environnementaux n’est faite à la société.

En bref, prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux revient à

examiner leur impact lors du processus de décision et non à subordonner les décisions à ces

enjeux1388. On sait bien que la préservation de ces enjeux est une préoccupation d’intérêt

1385 Ch. Clerc, « Contribution à la réforme sur l’objet social de l’entreprise », Semaine Sociale Lamy, n° 1805, 5

mars 2018. 1386 Exposé des motifs, p. 58. 1387 Ch. Clerc, « Contribution à la réforme sur l’objet social de l’entreprise », op. cit. 1388 D. Schmidt, « La loi Pacte et l’intérêt social », op. cit. L’auteur en conclut que « l’incitation de l’article 61

n’est autre que le reflet de l’interprétation de la Charte de l’environnement retenue par le Conseil constitutionnel

le 8 avril 2011 : le Conseil considère que “chacun est tenu à une obligation de vigilance à l’égard des atteintes à

Chapitre II. Le développement d’obligations nouvelles dans le contexte de lutte contre le changement climatique

319

général. La Loi PACTE consacre néanmoins une obligation d’analyse d’impact de ces enjeux,

où la prise en compte de l’intérêt général reste subordonnée à sa compatibilité avec l’intérêt

social – valeur a priori supérieure1389. Dans le même sens, le Conseil d’État observe que les

enjeux sociaux et environnementaux ne constituent pas une nouvelle composante de l’intérêt

social1390 ; leur considération « a pour objet d’inciter les sociétés à examiner, dans

l’accomplissement de l’objet statutaire, l’impact social et environnemental de leur activité et de

permettre le cas échéant de mettre en balance celui-ci avec les autres intérêts dont elles ont la

charge »1391. Il est d’ailleurs intéressant de noter que le Conseil d’État utilise le terme

« inciter », alors que la valeur contraignante de la nouvelle obligation n’est pas contestée…

L’alinéa 2 de l’article 1833 du code civil impose à toute société de réfléchir aux

conséquences sociales et environnementales de ses activités, ce qui implique nécessairement

que la société soit en mesure de justifier de cette réflexion. À ce sujet, un auteur relève que cette

obligation est « génératrice d’un formalisme dans le processus de décision, qui peut être

d’autant plus lourd que le champ des décisions concernées est étendu »1392. D’aucuns ont

regretté que le législateur ait choisi de rendre cette démarche, serait-elle interprétée a minima,

obligatoire, dans la mesure où elle représente des coûts que les sociétés les plus modestes

risquent de ne pas pouvoir supporter1393.

336. En complément de la modification de l’article 1833, la loi PACTE réforme

l’article 1835 du code civil, comme l’avait recommandé le rapport Notat-Senard1394, dans le but

d’instaurer la faculté de faire figurer une « raison d’être » dans les statuts d’une société, quelle

que soit sa forme juridique.

l’environnement qui pourraient résulter de son activité”. Pourquoi insérer dans le droit des sociétés, en des termes

flous, une prescription préexistante nette qui concerne toute personne ? ». 1389 D. Poracchia, « De l’intérêt social à la raison d’être des sociétés », Bull. Joly Sociétés, n° 6, 2019, p. 40. 1390 Conseil d’État, Avis sur un projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises, 14 juin

2018, pt. 99. 1391 Ibid., pt. 102. 1392 P. Berlioz, « Droit souple ou droit dur, un (non) choix lourd de conséquences », in « La réécriture des articles

1833 et 1835 du Code civil : révolution ou constat ? » (Dossier), Revue des sociétés, 2018, p. 644. 1393 I. Parachkévova, « Les nouveaux enjeux sociaux et environnementaux de la loi PACTE », in « Droit privé et

droit économique de l’environnement », Revue juridique de l’environnement, vol. 45, n° 2, 2020, p. 359-379, spéc.

p. 364-366. 1394 Recommandation n° 11.

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

320

2. L’article 1835 du code civil : la raison d’être

337. La loi PACTE réforme l’article 1835 du code civil qui dispose désormais que :

« Les statuts doivent être établis par écrit. Ils déterminent, outre les apports de chaque associé,

la forme, l’objet, l’appellation, le siège social, le capital social, la durée de la société et les

modalités de son fonctionnement. Les statuts peuvent préciser une raison d’être, constituée des

principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens

dans la réalisation de son activité ». L’approche choisie ici par le législateur est différente. Elle

permet à toute société d’inscrire dans ses statuts des objectifs d’intérêt général, sans pour autant

l’y obliger. Il s’agit d’une simple faculté pour la société1395.

Mais que signifie concrètement cette notion mystérieuse1396 et inédite1397 de « raison

d’être » ? Renvoyant la balle à qui veut bien l’attraper, le Conseil d’État a conclu, dans son avis

sur le projet de loi, que la notion de raison d’être « a vocation à être précisée au fur et à mesure

par la pratique et par la jurisprudence »1398. En attendant, la doctrine a essayé d’en dégager une

définition. La raison d’être correspondrait ainsi à « l’affirmation des valeurs que porte la société

et que celle-ci s’engage à mettre en œuvre dans la réalisation de son activité sur le long

terme »1399. Simplement, il ne suffit pas d’affirmer ces valeurs, puisque le texte se réfère aussi

à l’affectation de moyens pour assurer leur respect. Selon un auteur, « la raison d’être est une

sorte de méta objet social, c’est-à-dire les principes directeurs de l’activité sociale. Mais elle

pourrait également être perçue comme un infra objet social, à savoir un guide stratégique de

l’activité sociale, spécialement si l’objet social statutaire est quasi-universel »1400. En tout état

de cause, même si les frontières peuvent sembler poreuses, la raison d’être doit être distinguée

de l’objet social. L’objet social correspond à l’ensemble des activités déterminées par les statuts

qu’une société peut exercer. La raison d’être, elle, oriente la manière dont la société réalise les

activités énoncées dans l’objet social. C’est « l’expression de ce qui est indispensable pour

remplir l’objet social »1401. De même, la raison d’être doit être distinguée de l’intérêt social.

1395 Introduire une raison d’être ne devient une obligation que lorsque la société veut devenir une « société à

mission », définie à l’article L. 210-10 du code de commerce. Voy. infra n° 338. 1396 I. Desbarats, « De l’entrée de la RSE dans le code civil. Une évolution majeure ou symbolique ? (article 61 du

projet de loi PACTE) », op. cit. 1397 Conseil d’État, Avis sur un projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises, 14 juin

2018, pt. 106. 1398 Ibid., pt. 106. 1399 I. Urbain-Parleani, « L’article 1835 et la raison d’être », Revue des sociétés, 2019, p. 575. 1400 Th. Massart, « Réforme des articles 1833 et 1835 du Code civil : l’équilibre entre performance financière et

extra-financière des sociétés », Gaz. Pal., 18 décembre 2018, p. 51. 1401 Rapport aux Ministres de la Transition écologique et solidaire, de la Justice, de l’Économie et des Finances,

du Travail, L’entreprise, objet d’intérêt collectif, préc., p. 6.

Chapitre II. Le développement d’obligations nouvelles dans le contexte de lutte contre le changement climatique

321

L’intérêt social, qui ne figure pas dans les statuts, est inhérent à la société et lui est propre en

ce sens qu’il existe en dehors de la sphère de la volonté individuelle des associés. À l’inverse,

la raison d’être résulte de la volonté des associés réunis en assemblée générale qui décident ou

non de l’adopter, définissent son contenu et sa portée, et peuvent la modifier ou même y

renoncer dans les conditions qu’ils privilégient.

Quelles sont les conséquences de l’adoption d’une raison d’être ? La raison d’être est

constituée des principes dont la société se dote en vertu de ses statuts. Ces principes deviennent

une norme comportementale pour la société. En conséquence, ils s’imposent à tous les organes

sociaux, et en particulier aux dirigeants. Théoriquement, il sera donc concevable de reprocher

à ces derniers de ne pas les avoir respectés et de ne pas y avoir affecté les moyens nécessaires.

Certes, ce risque est théorique ; il dépend largement de la manière dont seront formulés ces

principes. Il n’en demeure pas moins présent, notamment si on considère que la raison d’être

véhicule un engagement1402.

338. Par ailleurs, la réforme de la loi PACTE consacre la possibilité pour les sociétés

commerciales (et seulement elles)1403 d’aller encore plus loin et d’adopter le label1404 de

« société à mission ». Elles doivent alors préciser dans leurs statuts une raison d’être au sens de

l’article 1835 du code civil, mais également un ou plusieurs objectifs sociaux et

environnementaux que la société se donne pour mission de poursuivre dans le cadre de son

activité. La société à mission se doit de résoudre un problème social ou environnemental

clairement identifié. Pour garantir le sérieux de la démarche, les objectifs fixés doivent être

précis. En outre, les statuts doivent préciser les modalités de suivi de l’exécution de la mission.

À cet égard, un double contrôle est imposé par la loi. En interne d’abord, par un « comité de

mission » qui est distinct des organes sociaux et qui comprend au moins un salarié. En externe

ensuite, par un organisme tiers indépendant.

1402 À titre d’exemple, Atos, entreprise de services du numérique, a modifié ses statuts afin d’inscrire une raison

d’être qui est de « contribuer à façonner l’espace informationnel ». Les actionnaires ont approuvé cette résolution

presqu’à l’unanimité (99,93 % des voix) : A. Dumas, « En Assemblée générale, les actionnaires d’Atos approuvent

la raison d’être pour des technologies plus responsables », Novethic.fr, 3 mai 2019. En juin 2019, le géant de la

distribution Carrefour a également modifié ses statuts pour adopter une raison d’être rédigée ainsi : « Notre mission

est de proposer à nos clients des services, des produits et une alimentation de qualité et accessibles à tous à travers

l’ensemble des canaux de distribution. Grâce à la compétence de nos collaborateurs, à une démarche responsable

et pluriculturelle, à notre ancrage dans les territoires et à notre capacité d’adaptation aux modes de production et

de consommation, nous avons pour ambition d’être leader de la transition alimentaire pour tous ». Les actionnaires

ont voté à 97,72 % l’inscription de cette raison d’être. 1403 C. com., art. L. 210-10 et s. Ces dispositions sont applicables aux seules sociétés commerciales. 1404 L’adoption de ce label n’opère, en effet, aucune transformation de la forme de la société.

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

322

339. Pour résumer, la réforme de la loi PACTE interpelle parfois (souvent ?) pas ses

maladresses. On constate l’existence de multiples zones d’ombre, notamment concernant

l’interprétation des notions nouvellement introduites dans le code civil et la responsabilité qui

en découle. Malgré un contenu ambitieux affiché, force est de constater que la réforme n’est

pas révolutionnaire. En atteste surtout l’absence de reformulation de l’article 1832 du code civil.

En revanche, le message politique est fort. Cherchant à rendre les entreprises « plus justes », la

loi PACTE ouvre la possibilité à toute société de développer une stratégie subordonnée au

respect d’un intérêt social à la portée élargie, voire de se doter, plus ambitieusement, d’une

« raison d’être ». Le mécanisme sans doute le plus abouti est celui réservé aux seules sociétés

commerciales qui peuvent devenir, si elles le souhaitent, des « sociétés à mission ». Reste à

savoir, au regard de notre sujet, quelles sont les conséquences de la réforme de la loi PACTE

en matière climatique.

§2. La loi PACTE et la prise en considération de l’enjeu climatique

340. Sans faire rentrer l’enjeu « climatique » dans le code civil, la loi PACTE

« impose » aux sociétés de l’appréhender à travers l’obligation de prise en considération des

enjeux environnementaux (A). Ceci est d’autant plus vrai pour certaines sociétés fortement

impactées par le réchauffement climatique ou dont l’impact en la matière est considérable. Ces

sociétés devront être en mesure de démontrer qu’une analyse d’impact a précédé leur prise de

décision. À défaut, des sanctions juridiques pourraient a priori s’appliquer (B).

A. Les apports de la PACTE à la lutte contre le changement climatique

341. La responsabilisation des dirigeants sociaux. La réforme de la loi PACTE

traduit la volonté du législateur français d’encourager à grande échelle les comportements

vertueux. Elle constitue une étape importante dans le processus de renouvellement du rôle de

l’entreprise face au défi climatique. En effet, cette réforme n’est pas tombée du ciel. Elle

s’inscrit dans la dynamique de durcissement de la RSE, bien connue car lancée depuis plusieurs

années maintenant, et qui vise à responsabiliser les acteurs économiques à travers l’instauration

de nouvelles obligations en matière extra-financière. À cela il convient d’ajouter la nécessité

d’impliquer le secteur privé dans la lutte contre le changement climatique rappelée par

Chapitre II. Le développement d’obligations nouvelles dans le contexte de lutte contre le changement climatique

323

quasiment tous les textes constitutifs du régime juridique international du climat1405. Ainsi, par

exemple, l’Accord de Paris invite les acteurs économiques « à amplifier leurs efforts et à

appuyer des mesures destinées à réduire les émissions et/ou renforcer la résilience et diminuer

la vulnérabilité aux effets néfastes des changements climatiques »1406. Au fond, l’idée véhiculée

est celle d’un changement – devenu désormais urgent – dans la manière dont les entreprises

sont gérées. C’est aussi ce qui ressort de l’alinéa 2 de l’article 1833 du code civil : « la société

est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et

environnementaux de son activité ». La loi PACTE, qui responsabilise les dirigeants sociaux,

devrait donc logiquement avoir des conséquences en termes de gestion et d’organisation des

entreprises1407.

La prise en considération de l’enjeu climatique implique pour un dirigeant social de

procéder à une analyse d’impact1408 en matière de changement climatique. Certainement, cette

analyse n’est pas chose aisée. D’une part, elle peut avoir un certain coût que toutes les

entreprises ne pourront pas forcément supporter. D’autre part, elle demande une certaine

expertise que les dirigeants sociaux n’ont pas. Ainsi, dans certaines sociétés, les dirigeants

pourraient être amenés à recourir à de coûteux cabinets de conseil ou même à créer, lorsqu’ils

le peuvent, des comités spécifiques pour bénéficier d’une analyse pointue.

En outre, l’analyse devra être documentée, pour limiter les causes de responsabilité1409.

Il faudra établir de manière tangible que le dirigeant s’est interrogé sur l’enjeu climatique, qu’il

l’a considéré avec attention, dans l’intérêt de la société, à l’occasion de ses décisions de gestion.

Cependant, dans la mesure où les enjeux sociaux et environnementaux ne constituent pas une

nouvelle composante de l’intérêt social1410, leur prise en considération implique uniquement

1405 Voy. supra nos 85 et 86. 1406 Projet de décision -/CP.21, Adoption de l’Accord de Paris. Proposition du Président, FCCC/CP/2015/L.9, 12

décembre 2015, p. 19, p. 21. 1407 Voy. a contrario : C. Coupet, « Une révolution sociale », Droit des sociétés, n° 3, 2018, repère 3 : « L’idée est

intellectuellement plaisante. Mais aura-t-on la naïveté de croire qu’une telle précision réaliserait une

“transformation en profondeur de l’entreprise, en modifiant sa norme fondamentale de gestion” ». 1408 Voy. en ce sens : Th. Massart, « Réforme des articles 1833 et 1835 du Code civil : l’équilibre entre performance

financière et extra-financière des sociétés », op. cit. : « Même si la substance de cette prise en considération n’est

pas précisée, ni dans la nature des actes à accomplir, ni dans leurs modalités, on imagine que les dirigeants, y

compris les conseils d’administration, seront tenus de procéder à une sorte de “due diligence”, un bilan préalable

des avantages et des inconvénients de leurs décisions. Concrètement, un genre d’étude d’impact devra être joint

aux projets de résolutions ». 1409 Voy. B. Basuyaux, « Administrateurs et Loi Pacte : quelques réflexions générales », Journal des Sociétés,

4/2019, n° 173, p. 23 : « Beaucoup de temps, d’honoraires et de primes d’assurances vont ainsi être dépensés pour,

au mieux, se ménager une preuve formelle de cette “prise en considération” indépendamment du résultat et, au

pire, “gérer” une nouvelle cause de responsabilité des administrateurs en les poussant ainsi peut-être à adopter une

attitude excessivement conservatrice qui risque d’être peu compatible avec “l’esprit d’entreprise” que la loi

cherche par ailleurs à promouvoir ». 1410 Conseil d’État, Avis sur un projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises, 14 juin

2018, pt. 99.

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

324

que le dirigeant examine leur impact lors du processus de décision. Il ne s’agit aucunement ici

de subordonner les décisions à ces enjeux1411. Cela n’aurait d’ailleurs aucun sens pour certaines

entreprises dont la raison d’être économique réside justement dans les émissions de gaz à effet

de serre… En effet, les émissions produites par les entreprises du secteur pétrolier sont

essentiellement dues à la vente des énergies fossiles, tandis que les entreprises du secteur de

l’énergie sont encore très actives dans ces énergies polluantes, malgré certains engagements

affichés de ne plus financer de nouvelles centrales au charbon. Toutes ces entreprises sont

« piégées par leur propre activité et ne peuvent ainsi réduire leurs émissions qu’à la marge sans

rupture réelle avec les modèles de production et de consommation actuels »1412.

342. Malgré tout, les apports de la loi PACTE en matière de climat ne doivent pas

être totalement négligés. En instaurant une obligation d’analyse d’impact précédant la prise de

décision, la loi pourrait simplifier la caractérisation d’une faute des sociétés négligentes au

regard de l’impératif de lutte contre le changement climatique. Il nous faut vérifier cela.

B. La sanction éventuelle de l’absence de prise en considération de l’enjeu climatique

343. La nullité étant expressément exclue par le législateur1413, les conséquences

juridiques de la réforme de la loi PACTE consistent en l’existence d’un risque de

responsabilité. Il convient de préciser d’emblée que l’engagement de la responsabilité est

« infiniment plus probable dans de très grandes sociétés que dans des PME »1414. Quel est

précisément ce risque de responsabilité ?

L’étude d’impact de la loi PACTE précise bien que « les nouvelles dispositions ne

créent pas de nouveau régime de responsabilité délictuelle. Toute responsabilité, de la société

comme des dirigeants, qui serait recherchée sur le fondement de l’absence de prise en

considération des enjeux sociaux et environnementaux devrait s’inscrire dans l’une des

hypothèses reconnues par le droit commun des sociétés (existence d’une faute, d’un préjudice

et d’un lien de causalité) »1415.

1411 D. Schmidt, « La loi Pacte et l’intérêt social », op. cit. 1412 Rapport du Réseau Action Climat, La responsabilité climatique des entreprises, l’élargir aux émissions

indirectes !, mars 2016, p. 12, en ligne : https://reseauactionclimat.org/wp-content/uploads/2017/04/La-

responsabilite%CC%81-climatique-des-entreprises-L%E2%80%99e%CC%81largir-aux-e%CC%81missions-

indirectes.pdf. 1413 C. civ., art. 1844-10. En vertu de cet article, la violation de l’alinéa 2 de l’article 1833 n’est sanctionnée ni par

la nullité de la société, ni par la nullité des actes et délibérations des organes sociaux. 1414 A. Couret, « La réforme de l’entreprise passe-t-elle nécessairement par une réécriture du code civil ? », op. cit. 1415 Étude d’impact du projet de loi PACTE, p. 546-547.

Chapitre II. Le développement d’obligations nouvelles dans le contexte de lutte contre le changement climatique

325

343-1 La mise en cause de la société. D’une manière générale, on sait que les sociétés

sont responsables des agissements dommageables commis en leur nom1416. Des auteurs ont déjà

souligné que cette action exercée contre la société trouve un terrain d’élection dans le domaine

de la responsabilité sociale des entreprises et dans le cadre du développement durable1417. Il est

vrai que rien dans le droit des sociétés ne permet à des tiers de remettre en cause le sens d’une

décision prise par les organes sociaux. La loi PACTE n’y fait pas exception. Néanmoins, « il

n’est pas exclu qu’un tiers puisse invoquer un manquement au processus régulier de décision

sociétaire »1418, et ce, même si la règle se présente comme une règle de gestion. Selon un auteur,

« on voit là l’embryon d’une faute nouvelle, susceptible d’engager la responsabilité de la

société »1419. L’auteur précise toutefois que, « comme pour le devoir de vigilance de la loi du

27 mars 2017, traduire ce nouveau manquement en condamnation ne sera pas chose aisée,

notamment pour l’établissement de la causalité entre la faute et le dommage »1420.

343-2 La mise en cause des dirigeants. S’agissant de la mise en cause des dirigeants,

la voie de la responsabilité pénale semble fermée1421. Comme l’écrit le Conseil d’État au sujet

de l’infraction d’abus de biens sociaux, « la répression pénale de la violation de “l’intérêt de la

société” au sens des dispositions de l’article L. 242-6 du code de commerce ne pourrait résulter,

sauf à méconnaître l’obligation constitutionnelle de clarté et de précision des dispositions

répressives, d’un simple manquement à l’obligation très générale de considération des “enjeux

sociaux et environnementaux” »1422. Il reste donc la responsabilité civile.

Dans les rapports externes, la mise en cause de la responsabilité des dirigeants est

délicate. Traditionnellement, elle suppose l’établissement par les tiers d’une faute détachable

1416 Cass. 2ème civ., 27 avril 1977, Bull. civ. II, n° 108 : « une personne morale répond des fautes dont elle s’est

rendue coupable par ses organes et en doit réparation à la victime sans que celle-ci soit obligée de mettre en cause

[…] lesdits organes pris comme préposés ». 1417 P. Le Cannu et B. Dondero, Droit des sociétés, L.G.D.J., coll. « Précis Domat », 8ème éd., 2019, n° 438. 1418 P.-L. Périn, « Intérêt social élargi : un nouveau Pacte pour l’entreprise », RJSP, n° 16, 2019, p. 11-16, spéc. p.

15. Nous soulignons. 1419 Ibid. Voy. a contrario : M. Roussille, « Projet de loi PACTE : quel impact ? – Réflexion sur la consécration

de l’intérêt social et de la raison d’être de la société », Droit des sociétés, n° 8-9, 2018, étude 10 : « La règle se

présente aux dirigeants comme une règle de gestion (“doit être gérée”), de sorte que l’on peut douter du fait qu’elle

offre aux tiers (partenaires, clients, États, associations d’utilité publique) une quelconque possibilité d’en tirer des

moyens d’action contre la société elle-même ». 1420 P.-L. Périn, « Intérêt social élargi : un nouveau Pacte pour l’entreprise », op. cit., spéc. p. 15. 1421 Voy. toutefois : E. Le Moulec, « Les implications de la réécriture des articles 1833 et 1835 du code civil par

la loi PACTE sur l’abus de biens sociaux », RTD com., 2020, p. 1. L’auteur relève que l’inscription de la notion

d’intérêt social dans le code civil consolide implicitement certaines solutions adoptées par la chambre criminelle

de la Cour de cassation. Selon lui, les références nouvelles faites aux enjeux sociaux et environnementaux et à la

raison d’être de la société sont susceptibles de conduire à des évolutions de l’incrimination. 1422 Conseil d’État, Avis sur un projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises, 14 juin

2018, pt. 99.

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

326

des fonctions du dirigeant, qui leur soit imputable personnellement. Cette faute détachable

supposant la réunion d’une faute intentionnelle, d’une particulière gravité, incompatible avec

l’exercice normal des fonctions sociales1423, il revient dès lors aux tiers d’établir que la violation

de la prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux (ou de l’enjeu climatique)

constitue une telle faute. Un auteur observe qu’en pratique, « il suffira aux dirigeants de

démontrer que la décision a été prise en considération du seul intérêt de la société pour que le

caractère détachable soit écarté : l’égoïsme corporate sera une excuse suffisante »1424.

Dans les rapports internes, la responsabilité du dirigeant pourrait être engagée par les

associés pour violation de la loi. En effet, la violation d’une disposition législative ou

réglementaire du droit des sociétés est un fait générateur de la responsabilité civile du dirigeant,

indépendamment des sanctions spécifiques qu’elle peut comporter. La question se pose de

savoir si elle pourrait être engagée pour faute de gestion. La faute de gestion n’est pas

clairement définie dans les textes de loi. Son périmètre est très large. Ainsi, pourront être

considérés comme des fautes de gestion, tous les actes, omissions ou négligences du dirigeant,

contraires à l’intérêt de la société et ayant des conséquences préjudiciables. En conséquence, il

est possible d’envisager qu’une telle faute puisse être reprochée par des associés dans le cas où

le défaut de prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux (ou de l’enjeu

climatique) se solderait par une atteinte à l’image de l’entreprise et par une éventuelle perte de

valeur des titres de celle-ci1425. Il s’agirait, dans ce cas, d’une action en responsabilité exercée

par les associés au nom de la société (action ut singuli1426) destinée à réparer le préjudice causé

à la société1427. En effet, les juges écartent tout droit à réparation du préjudice individuel dès

lors qu’il est considéré comme le « corollaire » du préjudice social1428.

343-3 Quid si une société qui avait inséré dans ses statuts une « raison d’être », en

vient à l’oublier ? Dans son avis sur le projet de loi, le Conseil d’État considère que la

1423 Cass. com., 20 mai 2003, n° 99-17.092, Bull. civ. IV, n° 84 ; D., 2003, p. 2623, note B. Dondero ; ibid., p.

1502, obs. A. Lienhard ; Revue des sociétés, 2003, p. 479, note J.-F. Barbièri ; RTD civ., 2003, p. 509, obs. P.

Jourdain ; RTD com., 2003, p. 523, obs. J.-P. Chazal et Y. Reinhard. 1424 P.-L. Périn, « Intérêt social élargi : un nouveau Pacte pour l’entreprise », op. cit., spéc. p. 15. 1425 I. Desbarats, « De l’entrée de la RSE dans le code civil. Une évolution majeure ou symbolique ? (article 61 du

projet de loi PACTE) », op. cit. 1426 C. civ., art. 1843-5. 1427 Cette action a généralement peu de succès car « l’associé agissant supporte les frais de procédure sans en retirer

le moindre bénéfice direct puisque les dommages et intérêts obtenus seront versés à la seule société » : R. Vatinet,

« La réparation du préjudice causé par la faute des dirigeants sociaux, devant les juridictions civiles », Revue des

sociétés, 2003, p. 247. 1428 R. Vatinet, « La réparation du préjudice causé par la faute des dirigeants sociaux, devant les juridictions

civiles », Revue des sociétés, 2003, p. 247.

Chapitre II. Le développement d’obligations nouvelles dans le contexte de lutte contre le changement climatique

327

disposition relative à la raison d’être n’est pas dépourvue de portée normative « dans la mesure

où, pour les entreprises qui auront fait ce choix, l’inscription dans les statuts obligera à s’y

conformer »1429.

En ce qui concerne les effets du non-respect de la raison d’être dans les relations entre

dirigeants et associés, l’étude d’impact souligne qu’« étant inscrite dans les statuts, la raison

d’être émane de la volonté de ceux-ci », ce dont il ressort qu’ils devraient pouvoir « décider de

sanctionner le dirigeant qui, ne respectant pas la raison d’être de la société, ne respecterait pas

ses statuts, [la] sanction des violations les plus graves [pouvant] consister en sa révocation »1430.

Les choses sont moins évidentes, en revanche, en ce qui concerne la possibilité pour

les tiers d’invoquer une violation statutaire pour contester un acte du dirigeant non conforme à

la raison d’être de la société. On pourrait penser qu’en raison de l’effet relatif des conventions,

des tiers ne sauraient se prévaloir des statuts d’une société et notamment de leur violation. Telle

n’est cependant pas la position de la Cour de cassation qui a jugé, dans un arrêt du 14 juin

20181431, qu’un tiers peut invoquer la violation des statuts d’une société pour critiquer le

dépassement de pouvoir commis par le dirigeant et obtenir l’annulation de l’acte pris par celui-

ci. C’est dire que si les limitations statutaires sont inopposables aux tiers1432, à l’inverse, les

tiers peuvent s’en prévaloir. Dès lors, si l’on admet que l’introduction, dans les statuts, d’une

raison d’être peut s’analyser comme une limitation statutaire, « il devrait en résulter, qu’en cas

de violation de celle-ci, les tiers/parties prenantes puissent requérir l’annulation de l’acte

1429 Conseil d’État, Avis sur un projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises, 14 juin

2018, pt. 105. 1430 Étude d’impact du projet de loi PACTE, p. 548. 1431 Cass. 3ème civ., 14 juin 2018, n° 16-28.672, RTD com., 2018, p. 701, obs. A. Lecourt : En l’espèce, les statuts

d’un groupement foncier agricole (société civile), propriétaire de biens agricoles donnés en location, prévoyaient

que le congé donné à un locataire implique l’autorisation préalable de l’assemblée générale. La cogérante n’ayant

pas respecté la clause, un locataire demandait l’annulation du congé qui lui avait été délivré et la restitution des

locaux loués. Le jugement du tribunal et l’arrêt d’appel ayant annulé le congé délivré pour défaut d’autorisation

par l’assemblée générale, la société et la cogérante ont formé un pourvoi en cassation, en critiquant, notamment,

la possibilité pour le locataire de se prévaloir de la violation d’une clause statutaire limitative de pouvoirs. La Cour

de cassation, rejetant le pourvoi, a considéré que les tiers à un groupement foncier agricole pouvaient se prévaloir

des statuts du groupement pour invoquer le dépassement de pouvoir commis par la cogérante. Voy. également :

Cass. com., 14 févr. 2018, n° 16-21.077, RTD com., 2018, p. 701, obs. A. Lecourt : La Cour de cassation a admis

qu’un tiers puisse opposer au dirigeant son défaut de pouvoir d’exercer une action en justice au nom de la société,

faute d’avoir obtenu l’autorisation préalable de l’assemblée générale, comme le prévoyaient les statuts de la

société. En pratique, au regard de cette jurisprudence, il est conseillé aux sociétés de « paralyser l’invocabilité ».

À cet effet, il suffira de préciser dans les statuts que la clause limitative de pouvoirs du dirigeant ne peut être

invoquée par les tiers : Cass. com., 13 novembre 2013, n° 12-25.675, D., 2014, p. 183, note B. Dondero ; RTD

civ., 2014, p. 652, obs. H. Barbier ; RTD com., 2013, p. 765, obs. P. Le Cannu. 1432 C. civ., art. 1849, al. 3 ; C. com., art. L. 223-18, al. 6.

Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique

328

litigieux, voire engager la responsabilité du dirigeant, sous réserve d’établir le caractère

détachable de sa faute »1433.

La mise en cause de la responsabilité civile de la société elle-même n’est pas non plus

exclue. Mais, comme l’indique l’étude d’impact du projet de loi, les conséquences sur la

responsabilité de la société sont, « comme pour la prise en considération des enjeux sociaux et

environnementaux, difficiles à anticiper »1434. En principe, les tiers pourront engager la

responsabilité civile de la société en cas de manquement à la raison d’être dès lors que

l’engagement formulé dans les statuts est suffisamment précis1435. Le risque contentieux

viendra alors de l’action d’associations. Ce risque ne doit sans doute pas être négligé1436.

Enfin, la doctrine a pu mettre en lumière l’existence de sanctions potentielles liées au

caractère informatif de la raison d’être1437 : la raison d’être mentionnée dans un prospectus ou

dans un rapport annuel pourrait constituer une pratique commerciale trompeuse1438 ou être

considérée comme une fausse information donnée au marché1439.

Les pistes sont nombreuses. Des contentieux pourraient tout à fait émerger, même s’il

n’est pas certain qu’ils aboutissent. Tout va dépendre de l’appréciation qui sera faite par les

juges de l’existence de la faute et du lien de causalité entre celle-ci et le préjudice allégué.

344. En résumé, sans aucun doute, la réforme opérée par la loi relative à la croissance

et la transformation des entreprises du 22 mai 2019 est ambitieuse. Le pari de la loi PACTE a

été d’apporter des éléments de réponse aux problématiques complexes posées par le lien entre

les sociétés et leur environnement social et environnemental. Malgré les multiples maladresses

de la loi, ce pari a été plus ou moins tenu. L’ajout à l’article 1833 du code civil des termes « en

prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité » oblige les

organes de la société à étudier de manière diligente les conséquences de leurs décisions sur ces

enjeux, tout en agissant dans l’intérêt de la société. Certes, la loi ne formule qu’une obligation

de moyens qui confine à une « simple obligation processuelle » en cela qu’il est nécessaire que

toute décision de gestion ait été « précédée d’une réflexion, aussi sommaire soit-elle, portant

1433 I. Desbarats, « De l’entrée de la RSE dans le code civil. Une évolution majeure ou symbolique ? (article 61 du

projet de loi PACTE) », op. cit. 1434 Étude d’impact du projet de loi PACTE, p. 548. 1435 A. Viandier, « La raison d’être d’une société (C. civ., art. 1835) », BRDA, 10/19. 1436 F. Cazenave, « Les associations, nouvelles bêtes noires des entreprises », Le Monde, 16 février 2018. 1437 I. Urbain-Parleani, « L’article 1835 et la raison d’être », op. cit. 1438 C. consom., art. L. 121-2. 1439 C. mon. fin., art. L. 465-3-2.

Chapitre II. Le développement d’obligations nouvelles dans le contexte de lutte contre le changement climatique

329

sur les enjeux sociaux et environnementaux de l’activité sociale »1440. Mais cela n’est pas sans

portée potentielle. L’inscription dans le code civil de l’obligation pour toute société de prendre

en considération les enjeux sociaux et environnementaux n’est pas que symbolique, loin de là.

Elle insuffle un vent nouveau dans le processus de responsabilisation des entreprises et de leurs

dirigeants, et peut être source de responsabilité à l’avenir.

Pour conclure, la loi PACTE peut-elle être un outil dans la lutte contre le changement

climatique ? Ce n’est pas exclu…, même si les conséquences de la réforme seront sans doute

plus importantes en matière de gestion et d’organisation des sociétés qu’en matière juridique.

1440 M. Morales, « La loi PACTE et la prise en compte des considérations sociales et environnementales en droit

des sociétés : une réforme en trompe l’œil ? », op. cit., spéc. p. 350.

331

Conclusion du Chapitre II

345. Conclusion du Chapitre II relatif au développement d’obligations nouvelles

dans le contexte de lutte contre le changement climatique. Dans le cadre de ce chapitre, nous

nous sommes intéressés à l’essor de différentes obligations juridiques dont l’objectif est de

responsabiliser les acteurs économiques à l’égard des préoccupations majeures de notre temps.

Le droit s’est présenté ici à la fois comme un outil et comme un symbole. Un outil, d’abord, car

toutes ces nouvelles obligations juridiques ont vocation à se saisir de l’impératif de protection

de l’environnement. Un symbole, ensuite, car ces obligations expriment une volonté politique

assumée de reconnecter pouvoir économique et responsabilité, mais aussi de renouveler le rôle

de l’entreprise, de l’ouvrir à des considérations non financières, de la doter de valeurs d’intérêt

général…

L’ensemble de ces obligations – que ce soit l’obligation d’information, le devoir de

vigilance ou l’obligation de prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux –

participe au phénomène de durcissement de la RSE, marquant le passage du droit souple au

droit dur. Mais à y regarder de plus près, il apparaît qu’elles constituent un mélange des deux

et, plus précisément, qu’elles dépassent l’opposition entre droit souple et droit dur pour se

concentrer sur les effets de régulation que cette législation pourrait assurément produire. Ainsi,

plutôt que d’imposer des comportements, celle-ci fixe des cadres pour l’action des entreprises.

Certes contraignants, ces cadres leur laissent une marge de manœuvre non négligeable. Il

semble que c’est le compromis qui a été trouvé entre la liberté d’entreprendre et la protection

des impératifs sociaux et environnementaux.

Il est certain que les équilibres sont délicats à trouver, en particulier dans le domaine

du changement climatique. Mais la voie est ouverte et on peut espérer qu’on y parviendra. Peut-

être serait-il préférable de terminer ce chapitre sur cette note optimiste.

333

Conclusion du Titre II

346. Conclusion du Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le

changement climatique. Il est certain que la lutte contre le changement climatique ne peut pas

être portée exclusivement par les acteurs privés. Les États peuvent et doivent donner

l’impulsion, inciter ces acteurs à s’engager, participer à leur responsabilisation. Car il ne faut

pas oublier que la majeure partie des émissions de gaz à effet de serre responsables du

réchauffement climatique, provient en réalité des acteurs privés, notamment des entreprises qui

fabriquent de l’énergie ou l’utilisent pour produire, transporter, construire…

La multiplication des démarches volontaires, aussi intéressantes soient-elles, ne doit

pas masquer la nécessite de revisiter notre droit. Certes, une place doit être laissée à ces

initiatives volontaires, le secteur privé doit être encouragé à adhérer à des outils de

normalisation, le recours au contrat doit être salué. Pour autant, le législateur ne doit pas tout

abandonner. Il lui incombe, en effet, de mettre en place et de développer des outils, spéciaux

ou généraux, destinés à lutter contre le changement climatique. Que l’on songe à l’obligation

pour certaines entreprises d’établir un bilan carbone ou aux obligations d’information imposées

aux grosses entreprises à l’égard des actionnaires et des consommateurs. Mais on pense aussi

aux outils plus généraux, tels que le devoir de vigilance issu de la loi du 27 mars 2017 et

l’obligation de prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux des activités de

l’entreprise issue de la loi PACTE du 22 mai 2019. D’autres dispositifs sont à imaginer à

l’avenir.

En définitive, les dispositifs de lutte contre le changement climatique sont divers et

variés. Ils donnent à voir un entremêlement des normes souples et des normes impératives,

illustrant par là même la porosité des frontières entre droit souple et droit dur, mais aussi, plus

généralement, entre droit privé et droit public. Désormais, des outils de droit privé, à l’instar du

contrat, ou des obligations, à l’instar de l’obligation d’information incombant aux entreprises

ou du devoir de vigilance, participent à l’intérêt général. Dans le même temps, des dispositifs

de droit public (les différents schémas, plans, programmes) impliquent l’action des personnes

privées, tantôt directement, tantôt incidemment.

Le rôle porteur des entreprises dans la lutte contre le changement climatique n’est plus

sérieusement discuté. Au droit de trouver comment mieux coller à cette réalité sociale

complexe, afin de relever de façon efficace le défi posé par le changement climatique.

335

Conclusion de la Première partie

347. Conclusion de la Première partie. L’entreprise responsabilisée dans le

contexte du changement climatique. Confrontée à sa finitude possible, l’humanité doit

aujourd’hui relever le défi de la lutte contre le changement climatique. À cet égard, l’ensemble

des ordres juridiques est sollicité et tous les auteurs sont mobilisés. La problématique climatique

pénètre les différents ordres juridiques, bouscule les fondements spatiaux et temporels sur

lesquels repose notre droit et pousse nos systèmes juridiques à évoluer. D’aucuns ont pu dire

que le changement climatique devient un « laboratoire des évolutions du droit de demain »1441.

L’étude du contexte juridique de la lutte contre le changement climatique fait état de

ces évolutions. Le changement climatique est désormais définitivement entré dans nos systèmes

juridiques.

Dans le cadre de la coopération multilatérale, différents instruments juridiques ont été

mis en place en matière de lutte contre le changement climatique. Des immenses progrès ont

été faits, notamment avec l’adoption de l’Accord de Paris. Pourtant, ces réponses juridiques

demeurent encore insuffisantes au regard des enjeux du changement climatique et de l’urgence

d’agir, laquelle, au demeurant, ne fait plus débat. Force est de constater que la gouvernance

transnationale a encore du mal à concilier les préoccupations environnementales de plus long

terme et les préoccupations économiques de court terme. Le droit international du climat est

lacunaire. La gouvernance transnationale a besoin de s’appuyer sur la gouvernance interne.

Ainsi, en droit français, les politiques publiques en matière de climat prolifèrent. Le recours

aux instruments économiques est souvent privilégié lorsqu’il s’agit de mobiliser les acteurs

économiques. La difficulté est alors de garantir que le recours accru à ces outils, le plus souvent

incitatifs, n’aura pas pour conséquence de négliger l’objectif de protection du climat.

On insiste sans cesse sur le besoin de coopérer avec le secteur privé et de l’impliquer

dans les démarches de lutte contre le changement climatique. C’est dès lors une problématique

juridique majeure que de vouloir concilier la protection du climat et la liberté d’entreprendre,

qui est la liberté économique par excellence. À l’échelle nationale, les pouvoirs publics peuvent

apporter des restrictions à cette liberté au nom de l’intérêt général. Le Conseil constitutionnel

l’a d’ailleurs récemment rappelé, tout en affirmant que la protection de l’environnement

1441 M. Hautereau-Boutonnet et S. Maljean-Dubois, « Introduction », Revue juridique de l’environnement,

2017/HS17 (n° spécial), p. 9-21, spéc. p. 11.

336

constitue désormais un objectif à valeur constitutionnelle1442. Cependant, à l’échelle globale,

où il n’existe pas de véritable autorité pouvant déterminer les équilibres nécessaires, cette

conciliation est beaucoup plus délicate. Pour l’heure, l’intérêt général global et l’ordre public

mondial n’existent qu’à l’état latent et ne constituent pas des réponses juridiques mobilisables.

Délicate certes, mais pas impossible, puisque la liberté et la protection sont désormais

intrinsèquement liées sous couvert de l’objectif du développement durable.

Dans ce contexte, on comprend mieux le développement des démarches volontaires

des entreprises en matière de climat. Incitées à s’engager, les entreprises préfèrent mettre en

place des démarches de responsabilité sociale pour donner corps à cet engagement. En effet,

traduisant un engagement par définition volontaire, la RSE est respectueuse des libertés

économiques. Que l’on songe aux engagements – souvent assez vagues – définis dans des

chartes et codes de conduite, à l’utilisation du contrat dans la sphère d’influence ou aux

démarches plus concrètes de fixation interne du prix du carbone, de compensation volontaire

des émissions ou de mise en place sur le marché de produits à faible émission de gaz à effet de

serre. D’une manière générale, on sait que le recours à ce type de démarches volontaires et

normes privées traduit un phénomène de responsabilisation des acteurs du marché. Cependant,

ni l’autorégulation, ni la corégulation ne permettent de garantir la réalisation des objectifs

climatiques.

Depuis quelques années, on assiste à un durcissement de l’encadrement normatif de

ces démarches volontaires. L’obligation d’information en matière climatique et le devoir de

vigilance qui s’imposent aux plus grandes sociétés françaises, sont désormais des outils

juridiques qui peuvent être mobilisés dans la lutte contre le réchauffement climatique. Plus

récemment, à travers la loi PACTE du 22 mai 2019, le législateur français a consacré une

obligation qui s’impose à toute société, civile ou commerciale, quelle que soit sa taille : il s’agit

de l’obligation de prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux de ses

activités. Ces outils sont-ils efficaces en matière de lutte contre le changement climatique ? À

la réflexion, il paraît qu’ils sont affectés par trop d’insuffisances. Certainement, l’intention du

législateur était bonne. Ces obligations produisent un certain effet de régulation et contribuent

à la responsabilisation des acteurs économiques. Il reste que leurs sanctions sont peu

dissuasives. C’est regrettable mais il est probable qu’elles échouent dans le renforcement de la

prévention des dommages climatiques.

1442 Cons. const., 31 janvier 2020, n° 2019-823 QPC, Union des industries de la protection des plantes [Interdiction

de la production, du stockage et de la circulation de certains produits phytopharmaceutiques], AJDA 2020, p.

264, note E. Benoit.

337

Aujourd’hui, face à la souplesse des engagements de réduction des émissions de gaz à

effet de serre des acteurs économiques, voire parfois à l’absence de tels engagements, on assiste

à une judiciarisation des conflits liés au changement climatique. Qu’en est-il dès lors de la

responsabilité juridique de l’entreprise dans le contexte du changement climatique ?

339

Deuxième partie : L’entreprise responsable dans le

contexte du changement climatique

348. Qu’en est-il de la responsabilité juridique de l’entreprise dans le contexte

du changement climatique ? Il s’est agi jusqu’à présent d’examiner le processus de

responsabilisation de l’entreprise face au changement climatique. Toutefois, que se passe-t-il

lorsque le changement climatique cause des dommages dont le fait générateur réside dans les

émissions de gaz à effet de serre de l’entreprise ? En réalité, le chemin est encore long à

parcourir du processus de responsabilisation de l’entreprise à la consécration d’une véritable

responsabilité de l’entreprise en matière de climat…

De lege lata, différents régimes semblent mobilisables en matière climatique. Sont-ils

cependant adaptés au phénomène du changement climatique ? Sur le plan civil, il existe des

difficultés majeures. Premièrement, il semble difficile de qualifier de « faits générateurs » d’une

responsabilité délictuelle des activités économiques exercées légalement. Deuxièmement, il est

difficile d’imputer à un émetteur particulier les conséquences d’un phénomène par définition

planétaire. Néanmoins, la responsabilité civile d’une entreprise pourrait être recherchée en cas

de violation d’une obligation contractuelle en lien avec le changement climatique ou en cas de

manquement à une législation. Ainsi, si l’action d’une entreprise contrevient explicitement aux

prévisions d’une règle de droit, sa faute pourrait être établie. Sur le plan pénal, le « fait

climatique » n’est pas réprimé en tant que tel. En revanche, certaines infractions issues du droit

de la consommation ou du droit des affaires pourraient trouver application en matière

climatique. Ces pistes sont certes intéressantes, mais le constat demeure le même : le droit de

la responsabilité n’appréhende pas suffisamment le changement climatique (titre I).

De lege ferenda, la question se pose donc de l’opportunité de la consécration juridique

d’une responsabilité spécifique en matière de climat. À défaut d’être l’œuvre du législateur,

pour l’instant, cette responsabilité se construit au prétoire. En effet, le changement climatique

donne lieu à des contentieux qui mettent désormais en cause la responsabilité des acteurs privés.

Ces contentieux mettent en lumière les obstacles à la reconnaissance juridique de la

responsabilité climatique de l’entreprise. Il est possible néanmoins de suggérer quelques pistes

en vue de cette reconnaissance, d’un point de vue à la fois théorique et technique (titre II).

341

Titre I. La responsabilité de l’entreprise en droit privé positif saisie par le

changement climatique

349. On connaît, en droit de la responsabilité, différents régimes qui peuvent a priori

être mobilisés dans le cadre d’un contentieux climatique dirigé contre une entreprise. En effet,

la responsabilité de l’entreprise peut reposer sur différents fondements et prendre différentes

formes. Les premiers contentieux climatiques – pour l’heure sans succès – témoignent tout de

même de cette diversité. Les stratégies contentieuses des requérants sont variées (chapitre I).

On se rend compte aujourd’hui que le changement climatique met à l’épreuve ces

différents régimes. Plusieurs questions se posent. La responsabilité civile peut-elle appréhender

le phénomène du changement climatique ? Peut-elle garantir sa prévention et l’indemnisation

de ses conséquences dommageables ? Continue-t-elle à remplir ses fonctions ? De même, la

responsabilité pénale permet-elle de réprimer les comportements nuisibles pour le climat ? Que

peut-elle face aux atteintes au climat ? En l’état, ces différents régimes semblent inaptes à saisir

les dommages climatiques. Des évolutions sont absolument nécessaires (chapitre II).

343

Chapitre I. Diversité des régimes de responsabilité de l’entreprise mobilisables en matière

climatique

350. De nos jours, les actions en justice en matière climatique se multiplient dans le

monde entier. De part et d’autre de l’Atlantique, le prétoire est devenu « un lieu de cristallisation

d’un malaise évident de la société face aux politiques climatiques des États et face aux activités

considérées “climatocides” des entreprises et de certains secteurs de l’industrie »1443. En effet,

le contentieux climatique ne se cantonne pas à des actions en justice contre les États. Il est

étendu au domaine économique et financier, au monde de l’entreprise. Des citoyens,

associations, groupements de villes… demandent ainsi aux entreprises une plus grande

cohérence de leurs activités avec ce qu’elles affichent en termes de politique climatique ou

d’obligations sociales et environnementales.

Les premières actions en justice dirigées contre des entreprises sont apparues dans les

années 2000 aux États-Unis1444. Ces actions, qui cherchaient à obtenir une injonction de

réduction des émissions de gaz à effet de serre des plus grandes compagnies américaines

d’électricité1445 ou la réparation des dommages dérivant du déplacement d’un village rendu

nécessaire par la fonte du permafrost et la montée des eaux1446, ont été déclarées « non

recevables ». Il avait alors semblé que la page du contentieux dirigé contre les entreprises se

fermait à jamais.

Toutefois, la publication du cinquième Rapport d’évaluation du GIEC1447 en 2014 et

la signature de l’Accord de Paris en 2015 ont marqué un tournant décisif. En effet, le rapport

du GIEC a qualifié comme « extrêmement probable » que « plus de la moitié de l’augmentation

observée de la température moyenne à la surface du globe entre 1951 et 2010 soit due à

l’augmentation anthropique des concentrations de gaz à effet de serre et à d’autres forçages

anthropiques conjugués »1448. Ainsi, les sciences du climat ont-elles mis l’accent sur l’extension

considérable de la portée causale des activités humaines et sur l’urgence d’agir, en conséquence,

pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre d’origine anthropique. Dans ce contexte, la

signature de l’Accord de Paris en 2015 a témoigné du fait que les décideurs politiques n’ont pas

1443 M. Torre-Schaub (dir.), Les dynamiques du contentieux climatique. Usages et mobilisations du droit pour la

cause climatique, Note de synthèse, décembre 2019, p. 6, en ligne : http://www.gip-recherche-justice.fr/wp-

content/uploads/2020/01/17.05-Note-de-synth%C3%A8se.pdf. 1444 Voy. supra n° 31. 1445 American Electric Power Co., Inc. v. Connecticut, 564 U.S. 410 (2011), 20/06/2011. 1446 Native Village of Kivalina v. ExxonMobil Corp., 696 F.3d 849 (9th Cir. 2012). 1447 GIEC, Changements climatiques 2014 : Incidences, adaptation et vulnérabilité, 5ème Rapport d’évaluation,

2014. 1448 Ibid., p. 15-18.

Titre I. La responsabilité de l’entreprise en droit privé positif saisie par le changement climatique

344

été sourds à cet appel à l’action lancé par les scientifiques. Cet accord historique, qui certes

s’adresse avant tout aux États, a néanmoins exprimé la nécessité pour ces derniers de s’appuyer

sur les acteurs non étatiques, et notamment sur les entreprises qu’il a investies, en quelque sorte,

d’une « mission climatique »1449. Dans le même temps, l’Accord de Paris a consacré dans son

préambule un principe inédit de « justice climatique »1450. C’est donc la conjugaison de tous

ces facteurs de nature à la fois scientifique, politique et juridique qui a donné l’impulsion à de

nouveaux contentieux climatiques dirigés contre des entreprises dès 2015.

Le présent chapitre sera centré sur l’analyse des fondements juridiques que le droit

français permet de mobiliser dans le cadre d’actions en justice dirigées contre les entreprises.

Classiquement, c’est la responsabilité civile de l’entreprise qui peut être mise en cause en cas

de préjudices liés au changement climatique (section 1). Mais la responsabilité pénale n’est pas

non plus exclue, notamment à travers l’application en matière climatique de certaines

infractions issues du droit de la consommation ou du droit pénal des affaires (section 2).

Section 1. La mise en cause de la responsabilité civile de l’entreprise dans le cadre de procès

climatiques

351. Dans le langage juridique actuel, l’expression « responsabilité civile » désigne

« l’ensemble des règles qui obligent l’auteur d’un dommage causé à autrui à le réparer en offrant

à la victime une compensation »1451. Autrement dit, la responsabilité civile, qu’elle soit

délictuelle ou contractuelle, est tournée vers la réparation des dommages causés1452, donc vers

le passé. Ceci explique pourquoi la doctrine s’intéresse essentiellement à la finalité indemnitaire

de la responsabilité civile. Or, le changement climatique met aussi en lumière une autre finalité

de la responsabilité civile, à savoir sa finalité préventive. En effet, les actions en justice en

matière de climat visent à obtenir soit l’indemnisation des dommages matériels résultant des

effets climatiques dommageables des activités de certains acteurs (États, entreprises), soit la

prévention des dommages matériels futurs par le biais de la prescription de mesures susceptibles

1449 Les acteurs du secteur privé sont invités « à amplifier leurs efforts et à appuyer des mesures destinées à réduire

les émissions et/ou renforcer la résilience et diminuer la vulnérabilité aux effets néfastes des changements

climatiques ». Voy. Projet de décision -/CP.21, Adoption de l’Accord de Paris. Proposition du Président,

FCCC/CP/2015/L.9, 12 décembre 2015, p. 19. 1450 Voy. sur ce principe : M. Torre-Schaub, « Justice et justiciabilité climatique : état des lieux et apports de

l’Accord de Paris », », in Bilan et perspectives de l’Accord de Paris, sous la dir. de M. Torre-Schaub, IRJS, 2017,

p. 107-127 ; voy. également : P.-Y. Néron, « Penser la justice climatique », Éthique publique, vol. 14, n° 1, 2012,

en ligne : http://journals.openedition.org/ethiquepublique/937. 1451 G. Viney, Introduction à la responsabilité, L.G.D.J., coll. « Traités », 3ème éd., 2008, n° 1. 1452 G. Viney, P. Jourdain et S. Carval, Traité de droit civil, Les effets de la responsabilité, L.G.D.J., 4ème éd., 2017,

n° 16.

Chapitre I. Diversité des régimes de responsabilité de l’entreprise mobilisables en matière climatique

345

de mettre fin aux effets dommageables. Toutefois, de nombreuses questions persistent. Est-ce

qu’il est possible de caractériser juridiquement la responsabilité civile des entreprises dans le

changement climatique et dans les dégâts que ce phénomène engendre ? Dans quelle mesure ?

À quelles conditions ? Dans le cadre de cette section, nous tâcherons d’offrir quelques éléments

de réponse en étudiant successivement les deux visages de la responsabilité civile1453 : la

responsabilité extracontractuelle (§1) et la responsabilité contractuelle (§2).

§1. La responsabilité civile extracontractuelle, source de responsabilité en matière

climatique

352. L’action en responsabilité civile délictuelle prévue à l’article 1240 du code civil

représente sans aucun doute la voie la plus « classique » de mise en cause de la responsabilité

de l’entreprise dans le domaine du changement climatique (A). Mais ce n’est pas la seule voie

qui peut être envisagée. De manière plus originale, il n’est pas exclu que des requérants

demandent aux entreprises la réparation du préjudice écologique qui résulte du surplus

d’émissions de gaz à effet de serre, en invoquant l’article 1246 du code civil (B).

A. L’action en responsabilité civile délictuelle (article 1240 du code civil)

353. La mise en cause de la responsabilité délictuelle d’une entreprise dans le cadre

d’un procès climatique est a priori envisageable. Encore faut-il que les conditions de cette

responsabilité soient remplies (1). Pour illustrer les difficultés, nous allons analyser le

contentieux européen et américain en la matière (2).

1453 Voy. parmi une littérature abondante : R. Rodière, « Étude sur la dualité des régimes de responsabilité », JCP,

1950, I, 861 et 868 ; J. Huet, Responsabilité contractuelle et responsabilité délictuelle. Essai de délimitation entre

les deux ordres de responsabilité, thèse, Paris II, 1979, Éditions Panthéon-Assas, coll. « Introuvables », 1re éd.,

2020 ; G. Durry, La distinction de la responsabilité contractuelle et de la responsabilité délictuelle, Centre de

recherche en droit privé et comparé du Québec, Université McGill, 1986 ; Ph. Delebecque, « Responsabilité

contractuelle et responsabilité délictuelle : brèves remarques », RDC, n° 2, 2007, p. 556 ; J. Huet, « Observations

sur la distinction entre les responsabilités contractuelle et délictuelle dans l’avant-projet de réforme du droit des

obligations », RDC, 2007, p. 31 ; D. Mazeaud, « À petit d’un petit cas tragique outre-Rhin : retour sur le désordre

de la distinction des ordres de responsabilité », in Études offertes à Geneviève Viney. Liber amicorum, L.G.D.J.,

2008, p. 711 et s. ; E. Juen, La remise en cause de la distinction entre la responsabilité contractuelle et la

responsabilité délictuelle, préf. É. Loquin, L.G.D.J., 2016 ; J.-S. Borghetti, « L’articulation des responsabilités

contractuelle et délictuelle », JCP G, supplément au n° 30-35, 2016, 15.

Titre I. La responsabilité de l’entreprise en droit privé positif saisie par le changement climatique

346

1. La responsabilité délictuelle de l’entreprise dans le cadre de procès climatiques

354. En droit français, l’article 1240 du code civil dispose que « tout fait quelconque

de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le

réparer ». En application de cet article, la responsabilité délictuelle des entreprises peut être

engagée dans le cadre de procès climatiques si un lien de causalité existe entre le fait générateur

et le dommage.

354-1 Le fait générateur. Le fait générateur est l’événement à l’origine du dommage.

Se poser la question ici du fait générateur revient à s’interroger sur la faute de l’entreprise qui

contribue par son activité au changement climatique. Cette question est loin d’être anodine.

Comme le souligne François-Guy Trébulle, « si la question de la causalité apparaît évidemment

avec beaucoup de force dans toute réflexion relative à la responsabilité dans le cadre du

changement climatique, plus importante encore – quoique moins souvent soulignée – est

probablement la question du fait générateur »1454. Comment peut-on caractériser la « faute

climatique » d’une entreprise émettrice de gaz à effet de serre dès lors que le comportement de

celle-ci est conforme à la réglementation et ne contrevient a priori à aucune règle de droit

positif ? On sait bien que les activités de certaines entreprises, notamment des entreprises du

secteur fossile, sont autorisées, voire parfois encouragées par le législateur, alors même qu’elles

ne sont pas dépourvues de conséquences…

Néanmoins, la responsabilité d’une entreprise pourrait toujours être recherchée sur le

plan civil en cas de manquement à une législation. Ainsi, si l’action d’une entreprise contrevient

explicitement aux prévisions d’une règle de droit, sa faute pourrait être établie. Par exemple,

nous avons vu précédemment1455 que la loi sur le devoir de vigilance des sociétés mères du 27

mars 2017 prévoit expressément que le manquement aux obligations de vigilance définies à

l’article L. 225-102-4 du code de commerce engage la responsabilité civile de son auteur et

l’oblige à réparer le préjudice dans les conditions prévues aux articles 1240 et 1241 du code

civil1456. Dans ce cadre, la faute de l’entreprise est « nommée »1457 et résulte de tout

manquement aux obligations édictées au sein de l’article L. 225-102-4 du code de commerce

1454 F.-G. Trébulle, « Responsabilité et changement climatique : quelle responsabilité pour le secteur privé ? », in

« Changement climatique et responsabilité. Quelles normativités ? » (Dossier), Énergie – Environnement –

Infrastructures, n° 8-9, août-sept. 2018, article 24. 1455 Voy. supra n° 316-1. 1456 C. com., art. L. 225-102-5. 1457 A. Danis-Fatôme et G. Viney, « La responsabilité civile dans la loi relative au devoir de vigilance des sociétés

mères et des entreprises donneuses d’ordre », D., 2017, p. 1610.

Chapitre I. Diversité des régimes de responsabilité de l’entreprise mobilisables en matière climatique

347

(absence d’élaboration d’un plan de vigilance ; défaut de communication, de présentation dans

le rapport de gestion, ou de mise en œuvre du plan de vigilance ; inobservation d’une mesure

de vigilance énumérée par la loi).

354-2 Le dommage. Le dommage correspond à l’atteinte portée à autrui. Cette atteinte

se traduit juridiquement par divers préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux. Cependant,

dans le cadre des procès climatiques, la définition du dommage et sa qualification posent

problème, dans la mesure où les dommages invoqués, qu’ils soient causés à un individu, à un

groupe ou à la nature, affectent le « bien public », l’atmosphère1458. De surcroît, à cette

dimension globale s’ajoute la dimension temporelle du dommage. Celle-ci n’est pas moins

problématique. Effectivement, les dommages climatiques sont à la fois ceux du passé et ceux

du futur. Des demandeurs peuvent ainsi réclamer la réparation des dommages qui sont déjà

survenus à cause du changement climatique. On peut penser à l’atteinte aux biens pouvant aller

jusqu’à leur disparation, ou encore aux mesures structurelles d’adaptation adoptées pour

protéger les biens et les personnes des inondations dues au changement climatique. En outre,

les demandeurs peuvent réclamer la réparation des mesures qui sont aujourd’hui nécessaires

afin de maîtriser, si ce n’est de neutraliser, les dommages climatiques futurs. Nous verrons plus

loin que dans le litige opposant un agriculteur péruvien à l’entreprise allemande RWE, la cour

d’appel de Hamm a accepté le principe d’une prise en considération des coûts induits par les

mesures de protection rendues nécessaires par le changement climatique1459. L’affaire est en

cours mais il n’est pas impossible que le géant allemand de l’électricité soit contraint de prendre

en charge une partie des coûts de construction d’un barrage et de réduction du volume du lac

qui risque de déborder en raison de la fonte des glaciers des Andes.

354-3 La causalité. Un lien de causalité doit toujours exister entre le fait générateur et

le dommage. La victime doit prouver ce lien pour obtenir réparation. Cependant, la preuve d’un

lien de causalité est particulièrement difficile à établir entre la concentration des émissions de

gaz à effet de serre et les dégâts qui peuvent en résulter. Plus précisément, la caractérisation de

la causalité dans les contentieux climatiques contre les entreprises suppose la preuve de la

causalité générale d’une part, et de la causalité individuelle d’autre part.

1458 M. Torre-Schaub, « Le rôle des incertitudes dans la prise de décisions aux États-Unis. Le réchauffement

climatique au prétoire », Revue internationale de droit comparé, vol. 59, n° 3, 2007, p. 685-713, spéc. p. 698. 1459 Voy. infra n° 356.

Titre I. La responsabilité de l’entreprise en droit privé positif saisie par le changement climatique

348

La causalité générale vise « les liens réels entre le facteur causant un dommage et ce

dommage en termes généraux »1460. La preuve de cette causalité générale consiste dès lors en

l’identification d’une loi scientifique universelle « qui puisse permettre d’expliquer in abstracto

l’étiologie des dommages dont le demandeur réclame la réparation »1461. Dans le cadre des

contentieux climatiques, une réponse globale se trouve dans les importantes analyses du Groupe

d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), qui mettent en lumière le lien

entre les émissions industrielles et le phénomène du changement climatique. La science

climatique contenue dans les rapports du GIEC est devenue désormais une référence normative

certaine. Les différentes affaires en matière de climat montrent que les juges reconnaissent

assez largement l’autorité de ces rapports. Ainsi, dans l’affaire Urgenda1462, les requérants se

sont totalement fondés sur les résultats des rapports du GIEC relatifs aux besoins de mesures

d’adaptation et d’atténuation du changement climatique. In fine, l’État néerlandais a été

condamné pour avoir violé son devoir de protection selon lequel il doit mettre en œuvre les

mesures nécessaires pour atteindre l’objectif de réduction des émissions de GES de 25 % d’ici

fin 20201463. Toutefois, si l’invocation de ces travaux scientifiques semble envisageable dans

les recours contre les États, il n’est pas certain qu’elle le soit aussi dans les recours contre un

ou plusieurs opérateurs privés. D’une manière générale, les rapports du GIEC s’adressent aux

chefs d’État. Les scientifiques demandent aux décideurs publics de s’entendre pour contenir le

réchauffement climatique, en menant des politiques climatiques ambitieuses et en se fixant des

objectifs élevés de réduction des émissions. Dans tous les cas, la preuve de la causalité générale,

c’est-à-dire du lien entre les émissions de gaz à effet de serre produites par les activités

humaines et le changement climatique, n’est pas suffisante pour caractériser la causalité

juridique dans les affaires climatiques. À cette fin, les demandeurs doivent encore « démontrer

que la loi scientifique préalablement identifiée trouve application in concreto, autrement dit que

le dommage litigieux ne se serait pas produit si le comportement fautif du défendant n’était pas

survenu »1464. C’est ce que l’on appelle la causalité individuelle.

1460 M. Torre-Schaub, « Le rôle des incertitudes dans la prise de décisions aux États-Unis. Le réchauffement

climatique au prétoire », op. cit., spéc. p. 707. 1461 L. d’Ambrosio, « La “responsabilité climatique” des entreprises : une première analyse à partir du contentieux

américain et européen », in « Changement climatique et responsabilité. Quelles normativités ? » (Dossier),

Énergie – Environnement – Infrastructures, n° 8-9, août-sept. 2018, article 27. 1462 Voy. supra n° 30. 1463 Urgenda Foundation v. The State of the Netherlands, The Supreme Court of the Netherlands, 19/00135,

20/12/2019 ; Ch. Collin, « Suite et fin de l’affaire Urgenda : une victoire pour le climat », Dalloz actualité, 29

janvier 2020. 1464 L. d’Ambrosio, « La “responsabilité climatique” des entreprises : une première analyse à partir du contentieux

américain et européen », op. cit.

Chapitre I. Diversité des régimes de responsabilité de l’entreprise mobilisables en matière climatique

349

La causalité individuelle traite des facteurs et des dommages précis dont les parties

saisissent le juge1465. Elle permet d’« imputer » le dommage au défendeur. Par définition, elle

est beaucoup plus difficile à prouver. Le Professeur Trébulle relève à juste titre que « même en

admettant que des émissions mesurées aient pu contribuer au réchauffement global, cela ne

semble pas permettre, à ce stade, de considérer comme établi le lien entre ces émissions et les

conséquences – nécessairement elles-mêmes indirectes – du réchauffement »1466. En effet,

comment établir que les émissions produites par telle entité individuelle, telle entreprise par

exemple, constituent un antécédent causal dans une situation précise dans laquelle le

changement climatique occasionne un préjudice ? Cela n’est guère évident. Le changement

climatique résulte d’émissions diffuses et cumulatives qui s’étalent à l’échelle planétaire et qui

s’intègrent dans une dynamique temporelle étendue. Les auteurs d’un dommage en lien avec le

changement climatique sont souvent multiples et difficiles à identifier, si bien qu’en pratique,

il est quasiment impossible, « sans expertise adéquate et approfondie, de parvenir au résultat

d’une condamnation financière ou à une injonction concrète »1467.

355. Multiples sont les obstacles à la mise en cause de la responsabilité délictuelle

des entreprises dans les procès climatiques. Nous allons à présent illustrer ces difficultés à

travers quelques exemples de droit comparé.

2. Droit comparé : des exemples d’actions en responsabilité délictuelle contre les entreprises

356. L’affaire allemande Lliuya v. RWE. En novembre 2015, un agriculteur

péruvien qui vit dans la ville de Huaraz au Pérou, a assigné en justice l’entreprise allemande

d’électricité RWE devant le tribunal d’Essen1468. Le requérant alléguait que RWE, qui figure

parmi les plus importants producteurs européens de gaz à effet de serre, avait sciemment

contribué au réchauffement climatique ; de ce fait, il demandait que l’entreprise allemande soit

condamnée à prendre en charge une partie des travaux nécessaires à la mise en sécurité de sa

maison, exposée à un risque imminent d’inondation par la fonte des glaciers de montagne près

de Huaraz. Selon les experts, les mesures préventives s’élèveraient à 3,5 millions d’euros. Le

1465 M. Torre-Schaub, « Le rôle des incertitudes dans la prise de décisions aux États-Unis. Le réchauffement

climatique au prétoire », op. cit., spéc. p. 707. 1466 F.-G. Trébulle, « Responsabilité et changement climatique : quelle responsabilité pour le secteur privé ? », op.

cit. 1467 Ch. Huglo, Le contentieux climatique : une révolution judiciaire mondiale, Bruylant, 2018, p. 265. 1468 Lliuya v. RWE AG, Case No. 2 O 285/15, District Court Essen, 15/12/2016.

Titre I. La responsabilité de l’entreprise en droit privé positif saisie par le changement climatique

350

requérant demandait alors à RWE de prendre en charge 0,47 % de ce montant, eu égard à sa

contribution personnelle au changement climatique1469. En droit, ses prétentions étaient fondées

sur l’article 1004, paragraphe 1, du code civil allemand qui prévoit qu’en cas de trouble à la

jouissance du droit de propriété, le propriétaire peut demander à la personne qui est à l’origine

du trouble de le cesser ; si le trouble persiste, le propriétaire peut demander au juge de prononcer

une injonction1470.

En décembre 2016, les demandes du requérant ont été rejetées. Le tribunal d’Essen a

estimé, en effet, qu’aucune « chaîne de causalité linéaire » (linear causal chain) entre les

émissions de l’entreprise RWE et les dommages spécifiques invoqués ne pouvait être

établie1471. Ce jugement illustre parfaitement les difficultés liées à la nécessité de prouver la

causalité individuelle1472. Peut-on affirmer que les dommages litigieux ne se seraient pas

produits si le comportement fautif de l’entreprise défenderesse n’était pas survenu ?

Certainement pas, selon les juges du tribunal d’Essen. La contribution de RWE au

réchauffement climatique est trop infime (0,47 % des émissions), et ne permet donc pas

d’affirmer que la fonte du glacier des Andes ne serait pas survenue si les émissions de RWE

n’avaient pas été produites.

Cette approche de la causalité a cependant été contestée par le demandeur, qui a

interjeté appel contre cette décision. En novembre 2017, la cour d’appel de Hamm a déclaré la

demande recevable1473. Elle a notamment relevé que le fait qu’il y ait une pluralité d’auteurs

envisageables n’exclut pas que celui contre lequel l’action est engagée ait pu éliminer les

risques liés à sa propre activité. L’affaire étant en cours, il convient de demeurer prudent car

l’examen à proprement parler de la cause n’a pas encore eu lieu1474.

1469 Le calcul est réalisé en croisant les données quantitatives du rapport Heede avec d’autres données

communiquées par l’entreprise elle-même. Le rapport Heede a permis de quantifier les émissions historiques de

CO2 et de méthane produites par les 90 plus grandes entreprises au monde du fossile et du ciment. Voy. R. Heede,

Carbon Majors: Accounting for carbon and methane emissions 1854-2010. Methods and Results Report,

Snowmass, Climate Mitigation Services, 2013 ; id., « Tracing anthropogenic carbon dioxide and methane

emissions to fossil fuel and cement producers 1854–2010 », Climatic Change, vol. 122(1), 2014, p. 229-241. 1470 Mécanisme qui se rapproche de la théorie française du trouble anormal de voisinage. 1471 Lliuya v. RWE AG, Case No. 2 O 285/15, District Court Essen, 15/12/2016. 1472 Voy. supra n° 354-3. 1473 Lliuya v. RWE AG, Higher Regional Court Hamm, 2 O 285/1520, 30/11/2017. 1474 À l’heure où ces lignes sont écrites, la cour d’appel de Hamm a nommé des experts qui doivent fournir un avis

sur la question de savoir si les biens du demandeur sont effectivement exposés à un risque sérieux de trouble du

fait du changement climatique. En cas de réponse affirmative, des éléments de preuve seront recueillis pour établir

la part de responsabilité de l’entreprise défenderesse dans la production du préjudice souffert par le demandeur.

Actuellement, suivant la recommandation des experts, la cour d’appel de Hamm a demandé à l’État péruvien

l’autorisation d’inspecter les lieux litigieux. Voy. : https://germanwatch.org/en/huaraz.

Chapitre I. Diversité des régimes de responsabilité de l’entreprise mobilisables en matière climatique

351

357. Les affaires américaines contre les Carbon Majors. Après l’échec des affaires

American Electric Power Co. v. Connecticut et Kivalina v. ExxonMobil1475, la responsabilité

délictuelle des entreprises a de nouveau été mobilisée dans un nombre considérable d’actions

introduites dès 2017 contre les géants du fossile (les Carbon Majors) par des villes et des comtés

américains particulièrement exposés aux effets du changement climatique1476. Les demandeurs

agissent sur la base des législations nationales en matière de public nuisance (nuisance

publique), de private nuisance et de trespass (nuisance privée et atteinte à la propriété), ou de

negligence (négligence). L’attitude des compagnies pétrolières est pointée du doigt. Il leur est

reproché de commercialiser des produits fossiles alors même qu’elles connaissent parfaitement

les risques pour le climat qui en découlent. Selon les demandeurs, cette connaissance des

risques aurait dû conduire les compagnies pétrolières à prendre des précautions, ce qu’elles

n’ont pas fait ; loin de là, elles ont œuvré pour les dissimuler en fabricant le doute. Les activités

de ces compagnies seraient ainsi à l’origine d’une chaîne causale qui conduit à une interférence

non raisonnable (unreasonable interference) sur les droits publics, notamment le droit à la santé

et le droit à la protection et à la sécurité, et sur les droits privés, notamment le droit de propriété.

Pour l’instant, les juges américains ne se sont pas montrés très favorables à l’idée de

suivre les demandeurs. Les affaires sont cependant à suivre.

358. Comme le montrent ces exemples de droit comparé, le contentieux direct contre

les entreprises se heurte principalement à des questions de preuve, en particulier du lien de

causalité. En effet, il paraît difficile de démontrer que l’activité considérée comme nuisible est

la cause unique et directe d’un dommage. Les causes sont multiples, tout comme les acteurs

potentiellement responsables. On sait qu’il est impossible de « focaliser sur un acteur donné le

poids de la responsabilité d’un phénomène par essence global et collectif »1477. L’idée serait

alors de réfléchir à la responsabilité d’un acteur du fait de sa contribution au changement

climatique1478. Toutefois, comment mesurer cette contribution ? Comment en apporter la

preuve avec le degré de certitude exigé par le droit ? Finalement, la voie « classique » de la

responsabilité civile délictuelle n’est peut-être pas très prometteuse. Il nous a paru donc légitime

1475 Voy. supra n° 31. 1476 Voy. par exemple : County of San Mateo v. Chevron Corp., et al., 18-15499, (2017) ; City of Oakland v. BP

p.l.c., 18-16663, (2017) ; City of New York v. BP p.l.c., 18-2188, (2018) ; Board of County Commissioners of

Boulder County v. Suncor Energy (U.S.A.), Inc., 19-1330, (2018). 1477 F.-G. Trébulle, « Responsabilité et changement climatique : quelle responsabilité pour le secteur privé ? », op.

cit. 1478 Voy. infra n° 553.

Titre I. La responsabilité de l’entreprise en droit privé positif saisie par le changement climatique

352

de se demander si l’action en responsabilité tendant à la réparation du préjudice écologique

n’aurait pas un peu plus de chance de prospérer.

B. L’action en réparation du préjudice écologique (article 1246 et s. du code civil)

359. Le préjudice écologique est communément défini comme toute « atteinte portée

à l’intégrité et/ou à la qualité de l’environnement naturel »1479. La loi du 8 août 2016 pour la

reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages1480 a consacré son inscription dans le

code civil. Désormais, le livre III du code civil, dans ses dispositions relatives à la responsabilité

extracontractuelle, compte un chapitre III dédié à « la réparation du préjudice écologique » (1).

La question reste à savoir s’il est possible de demander réparation sur ce fondement dans le

cadre de procès climatiques (2).

1. La consécration de la responsabilité pour préjudice écologique

360. La reconnaissance prétorienne du préjudice écologique. Bien avant la loi du

8 août 2016, le préjudice écologique avait pris forme au sein de la jurisprudence. La notion fut

consacrée à l’occasion de la tristement célèbre affaire de l’Erika. Le 12 décembre 1999, le

navire Erika sombrait au large de la Bretagne, laissant s’échapper 20 000 tonnes de fioul lourd.

Quelque 400 kilomètres de côtes, du Finistère à la Charente-Maritime, ont été souillées par le

pétrole du navire. Le naufrage de l’Erika a suscité une émotion considérable. Cette marée noire

aurait tué 150 000 à 300 000 oiseaux. Les opérations de nettoyage du littoral et l’indemnisation

du FIPOL1481 ont été, on le sait, largement insuffisantes. Les experts ont estimé que l’ensemble

des préjudices s’élevait à un milliard d’euros.

Cette catastrophe écologique a donné lieu à un contentieux « hors norme »1482. Dans

un premier temps, le tribunal correctionnel de Paris1483 a déclaré coupables du délit de pollution

des eaux le propriétaire du navire, son gestionnaire, la société de classification ayant renouvelé

le certificat de navigation dans la précipitation, et Total SA, propriétaire de la cargaison. C’était

1479 L. Neyret et G. Martin, Nomenclature des préjudices environnementaux, L.G.D.J., 2012, p. 15. 1480 Loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, JO, 9 août

2016. Voy. sur cette loi : A. Van Lang, « La loi Biodiversité du 8 août 2016 : une ambivalence assumée », AJDA,

2016, p. 2381. 1481 Fonds internationaux d’indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures. 1482 P. Jourdain, « Consécration par la Cour de cassation du préjudice écologique », RTD civ., 2013, p. 119. 1483 TGI Paris, 16 janvier 2008, n° 9934895010, AJDA, 2008, p. 934, note A. Van Lang ; D., 2008, p. 2681, chron.

L. Neyret ; RSC, 2008, p. 344, obs. J.-H. Robert ; JCP, 2008, I, 126, note K. Le Couviour ; JCP, 2008, II, 10053,

note B. Parance.

Chapitre I. Diversité des régimes de responsabilité de l’entreprise mobilisables en matière climatique

353

déjà un grand pas que de reconnaître la responsabilité de l’ensemble des acteurs impliqués, dans

un domaine où l’opacité a toujours régné et où les responsabilités sont volontairement diluées.

Mais le tribunal correctionnel de Paris est allé encore plus loin. En effet, il a accepté de réparer

le « préjudice résultant de l’atteinte à l’environnement », autrement dit, le préjudice écologique

« pur »1484, comme l’y invitaient les parties civiles. Par la suite, la cour d’appel de Paris1485 a

confirmé la responsabilité pénale de l’ensemble des acteurs. Sur le plan civil cependant, la cour

a considéré que seuls les trois premiers prévenus pouvaient se voir réclamer des dommages et

intérêts par les parties civiles, la société Total étant protégée, en sa qualité d’affréteur, par les

dispositions de la convention internationale Civil Liability Convention, dite « CLC »1486.

On le voit, les juges du fond n’ont pas hésité à faire œuvre créatrice et à dépasser

l’obstacle de l’exigence de préjudice causé à « autrui » de l’ancien article 1382 du code civil,

pour admettre le principe de la réparation du préjudice écologique, indépendamment de toute

répercussion sur les intérêts humains1487. Il est d’ailleurs notable que l’ensemble des parties

civiles (collectivités territoriales et associations) se sont vues reconnaître le droit de demander

réparation de ce préjudice conçu comme « autonome » et « objectif »1488.

C’est ainsi qu’après les juges du fond, la Cour de cassation a consacré, dans un arrêt

du 25 septembre 2012, le caractère réparable de « l’atteinte directe ou indirecte portée à

l’environnement » 1489. Or il faut savoir que ce n’était pas gagné d’avance car l’avocat général

contestait dans son avis à la fois l’application de la loi française, puisque le naufrage a eu lieu

1484 A. Van Lang, « Affaire de l’Erika : la consécration du préjudice écologique par le juge judiciaire », AJDA,

2008, p. 934. 1485 CA Paris, 30 mars 2010, n° 08/02278, D., 2010, p. 967, obs. S. Lavric ; ibid., p. 1008, entretien L. Neyret ;

ibid., p. 1804, chron. V. Rebeyrol ; ibid., p. 2238, chron. L. Neyret ; ibid., p. 2468, obs. F.-G. Trébulle ; Revue des

sociétés, 2010, p. 524, note J.-H. Robert ; RSC, 2010, p. 873, obs. J.-H. Robert ; RTD com., 2010, p. 622, obs. P.

Delebecque ; ibid., p. 623, obs. P. Delebecque ; JCP, 2010, n° 432, note K. Le Couviour. 1486 Voy. sur ce point : L. Neyret, « L’affaire Erika : moteur d’évolution des responsabilités civile et pénale », D.,

2010, p. 2238 : « La qualification de Total comme “affréteur” est critiquable puisqu’elle renvoie, non pas à sa

situation juridique effective, mais à une fiction découlant du pouvoir de fait exercé par la compagnie sur la marche

du navire. Total est alors perçu comme un affréteur de fait, alors que juridiquement il est le propriétaire de la

cargaison comme l’ont constaté les premiers juges. Il appartient désormais à la Cour de cassation de décider si le

rattachement de Total à la qualité d’affréteur est ou non abusive. L’enjeu est de taille qui implique soit l’immunité

civile de Total sur le fondement de la convention CLC, soit sa responsabilité sur le terrain du droit commun ». 1487 Il est vrai que ces décisions n’ont pas été les premières à reconnaître l’existence d’un préjudice écologique pur

(voy. par exemple : TGI Narbonne, 4 octobre 2007, n° 935-07, AJDA, 2007, p. 2011 ; D., 2007, p. 2731 ; Cass.

crim., 3 novembre 2010, Resp. civ. et assur., 2011, comm. 50). Cependant, comme il a été souligné par la doctrine,

elles l’ont fait « avec une force particulière au moyen de motifs très développés dans une affaire emblématique où

les dommages étaient d’une ampleur exceptionnelle » : P. Jourdain, « Consécration par la Cour de cassation du

préjudice écologique », op. cit. 1488 L. Neyret, « La réparation des atteintes à l’environnement par le juge judiciaire », D., 2008, p. 170. 1489 Cass. crim., 25 septembre 2012, n° 10-82.938, D., 2012, p. 2711, note P. Delebecque ; ibid., p. 2557, obs. F.-

G. Trébulle ; ibid., p. 2673, obs. L. Neyret ; ibid., p. 2675, chron. V. Ravit et O. Sutterlin ; ibid., p. 2917, obs. G.

Roujou de Boubée, T. Garé, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et T. Potaszkin ; AJ pénal, 2012, p. 574, note A. Montas et

G. Roussel ; AJCT, 2012, p. 620, obs. M. Moliner-Dubost ; Revue des sociétés, 2013, p. 110, note J.-H. Robert ;

Gaz. Pal., 24-25 oct. 2012, note B. Parance ; JCP, 2012, n° 1243, note K. Le Couviour.

Titre I. La responsabilité de l’entreprise en droit privé positif saisie par le changement climatique

354

en dehors des eaux territoriales, et la notion même de préjudice écologique, estimant que celui-

ci se confondait avec le préjudice moral des associations. Fort heureusement, la Haute cour n’a

pas suivi cet avis. Elle a tout d’abord confirmé la compétence des juridictions françaises1490,

ensuite retenu la responsabilité civile de la société Total pour « faute de témérité »1491, enfin

consacré la notion de préjudice écologique et considéré justifiées les indemnités allouées en

réparation de ce préjudice.

Cet arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation dans l’affaire Erika

a permis de renforcer substantiellement la protection de l’environnement « par une analyse

extensive mais juste des textes »1492. La solution a depuis été réitérée, notamment par un arrêt

du 22 mars 2016 rendu dans une affaire de pollution de l’estuaire de la Loire par une fuite

d’hydrocarbures1493. Cet arrêt reprend la définition large du préjudice écologique retenue dans

l’affaire Erika en se référant à l’« atteinte directe ou indirecte portée à l’environnement et

découlant de l’infraction ». La Cour de cassation précise ensuite que la remise en état n’exclut

pas une indemnisation de droit commun que peuvent solliciter, notamment, les associations

habilitées. Enfin, elle reproche à la cour d’appel d’avoir justifié sa décision de débouter

l’association par des motifs pris de l’insuffisance ou de l’inadaptation du mode d’évaluation

proposé par celle-ci1494, alors qu’il lui incombait, au contraire, « de chiffrer, en recourant, si

nécessaire, à une expertise, le préjudice écologique dont elle avait reconnu l’existence ». La

1490 La chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté l’argument d’incompétence par une application

combinée d’articles issus de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982 (CNUDM), qui renvoie

à la Convention internationale pour la prévention de la pollution marine par les navires de 1973 (MARPOL 73/78) :

« lorsque des poursuites ont été engagées par l’État côtier en vue de réprimer une infraction aux lois et règlements

applicables ou aux règles et normes internationales visant à prévenir, réduire et maîtriser la pollution par les

navires, commise au-delà de sa mer territoriale par un navire étranger, la compétence de cet État est acquise

lorsqu’elle porte sur un cas de dommage grave ». 1491 La « faute de témérité » retenue par la Cour de cassation est issue des textes internationaux régissant la

réparation en matière de pollution maritime, notamment la Convention CLC précitée. Cette dernière la définit

comme « [le] fait ou [l’] omission personnels, [...] commis témérairement et avec conscience qu’un tel dommage

en résulterait probablement ». Cette faute peut donc être de commission ou d’omission, et consister en une

imprudence ou une négligence. Toutefois, à la différence de la faute simple d’imprudence connue du droit civil

comme du droit pénal, cette faute implique ici la conscience de la probabilité de son résultat. La faute de témérité

est ainsi plus grave que la faute simple en raison de cet élément de conscience qu’elle implique et qui doit porter

sur la probabilité de dommage. 1492 A. Montas et G. Roussel, « Les principaux apports de la décision de la Cour de cassation dans l’affaire Erika »,

AJ pénal, 2012, p. 574. 1493 Cass. crim., 22 mars 2016, n° 13-87.650, AJDA, 2016, p. 638 ; D., 2016, p. 1236, note A.-S. Epstein ; ibid., p.

1597, chron. G. Guého ; AJ pénal, 2016, p. 320, note J.-B. Perrier ; RSC, 2016, p. 287, obs. J.-H. Robert ; JCP,

2016, n° 647, note M. Bacache ; ibid., n° 648, note B. Parance. 1494 L’association chiffrait le préjudice écologique, d’abord sur la base de données correspondant à la destruction

des oiseaux et à leur coût de remplacement, ensuite sur la base de son budget annuel de gestion de la baie polluée,

pour demander le remboursement de deux années de son « action écologique ».

Chapitre I. Diversité des régimes de responsabilité de l’entreprise mobilisables en matière climatique

355

portée de cet arrêt est double. D’une part, il confirme la reconnaissance du préjudice écologique.

D’autre part, il consacre un devoir pour juge : celui d’évaluer le préjudice écologique1495.

Il ne fait aucun doute que ces avancées jurisprudentielles sont très importantes.

L’audace des juges a d’ailleurs souvent été saluée1496. Toutefois, aussi importantes soient-elles,

elles étaient encore insuffisantes et appelaient une nouvelle intervention législative.

361. La reconnaissance législative du préjudice écologique. Traduisant la

« volonté du législateur d’établir une véritable justice environnementale »1497, la loi du 8 août

2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages1498 a consacré la notion

de préjudice écologique dans le code civil. Comme l’a relevé un auteur, « il aura fallu quarante

ans pour passer de la consécration du caractère d’intérêt général de la protection de

l’environnement et du devoir de sauvegarder le patrimoine naturel (art. 1er de la loi de 1976) à

celle de la réparation du préjudice écologique »1499. Dans une tribune publiée dans la Revue

juridique de l’environnement, le journaliste au Monde Benoît Hopquin a exprimé son désarroi

à l’égard de la « lenteur » du législateur « pour faire rentrer dans le corpus juridique ce qui

semble pourtant une évidence »1500. Voilà des décennies « qu’on avance, qu’on recule, qu’on

tourne autour »1501 : la loi de 2016 est enfin venue mettre en cohérence le dispositif législatif

avec les avancées de la jurisprudence1502. Nous n’allons pas revenir longuement sur les

insuffisances du droit de la responsabilité civile avant cette loi. Très brièvement, la loi de 1976

relative à la protection de la nature1503 a ancré l’idée qu’un dommage à l’environnement puisse

exister et qu’il doive être réparé. Depuis, cette idée a fleuri, allant jusqu’à la reconnaissance de

la responsabilité environnementale, avec la directive européenne de 20041504 et sa transposition

1495 J.-B. Perrier, « L’indemnisation et la nécessaire évaluation du préjudice écologique », AJ pénal, 2016, p. 320. 1496 Voy. par exemple : M.-P. Camproux-Duffrène et D. Guihal, « Préjudice écologique », Revue juridique de

l’environnement, vol. 38, n° 3, 2013, p. 457-480. 1497 L. Neyret, « Dieu nous garde de l’écologie des Parlements », D., 2010, p. 1008. 1498 Loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, préc. 1499 J. Malet-Vigneaux, « De la loi de 1976 à la loi de 2016. Le préjudice écologique : après les hésitations, la

consécration », Revue juridique de l’environnement, vol. 41, n° 4, 2016, p. 617-628, spéc. p. 618. 1500 B. Hopquin, « Préjudice écologique », Revue juridique de l’environnement, vol. 40, n° 4, 2015, p. 600-602,

spéc. p. 600. 1501 Ibid. 1502 Ibid., spéc. p. 602 : « La justice avance donc. Avec sa pesanteur coutumière. Mais elle avance. On ne saurait

en dire autant de nos gouvernements, ces chevau-légers des promesses. Force est de constater qu’ils sont toujours

restés en retard dans ce dossier. Bien sûr, à chaque catastrophe, les responsables politiques sont venus sur place

et, les deux pieds dans la gangue de pollution, ont juré “plus jamais ça”. Devant les images d’oiseaux englués, de

plages maculées, face à la colère des riverains, des associations de défense de l’environnement et des opinions

publiques, ils ont annoncé des lois. Et puis, sitôt l’émotion retombée, les côtes nettoyées, ils ont oublié ». 1503 Loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature, JO, 13 juillet 1976. 1504 Directive 2004/35/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 sur la responsabilité

environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux, JOUE L

143 du 30 avril 2004, p. 56-75. Voy. sur cette directive : C. Hermon, « La réparation du dommage écologique. Les

Titre I. La responsabilité de l’entreprise en droit privé positif saisie par le changement climatique

356

en droit français par la loi du 1er août 20081505. Certes, ce régime de responsabilité

environnementale pose les prémisses de la réparation du préjudice écologique « pur », c’est-à-

dire indépendant de toute répercussion sur l’homme. Mais en réalité, la loi de 2008 n’apporte

pas une véritable révolution juridique à l’égard de la problématique liée à la réparation des

dommages environnementaux. En effet, son domaine est assez limité1506, et les règles édictées

sont « éclatées » entre police administrative et responsabilité civile. Plus précisément, le régime

institué est un régime de police administrative qui repose sur la relation qu’entretiennent

l’exploitant et l’autorité compétente, titulaire du pouvoir de police. Les tiers intéressés,

principalement les personnes concernées par le dommage et les associations

environnementales, ne peuvent, pour leur part, intervenir qu’à la marge, et uniquement auprès

de l’autorité compétente. En définitive, comme l’écrit Christian Huglo, « la loi du 1er août 2008

n’a pas servi à repenser l’ensemble du système de la responsabilité environnementale ; elle n’a

pas ajouté considérablement et n’en a pas retranché non plus. Disons qu’elle a fortement orienté

le sujet, mais sans plus... »1507.

Dans ce contexte d’inefficacité législative, et sous l’influence significative de la

doctrine1508, la jurisprudence a progressivement intégré le dommage écologique dans la sphère

des préjudices réparables1509. Une intervention du législateur se faisait cependant attendre.

perspectives ouvertes par la directive du 21 avril 2004 », AJDA, 2004, p. 1792 ; M. Prieur, « La responsabilité

environnementale en droit communautaire », Revue européenne de droit de l’environnement, n° 2, 2004, p. 129-

141 ; G. Viney et B. Dubuisson (dir.), Les responsabilités environnementales dans l’espace européen, Bruylant,

2006. 1505 Loi n° 2008-757 du 1er août 2008 relative à la responsabilité environnementale et à diverses dispositions

d’adaptation au droit communautaire dans le domaine environnemental, JO, 2 août 2008. Voy. sur cette loi : E.

Vergès, « Loi n° 2008-757 du 1er août 2008 relative à la responsabilité environnementale », RSC, 2008, p. 949 ; S.

Carval, « Un intéressant hybride : la “responsabilité environnementale” de la loi n° 2008-757 du 1er août 2008 »,

D., 2008, p. 1652 ; O. Fuchs, « Le régime de prévention et de réparation des atteintes environnementales issu de

la loi du 1er août 2008 », AJDA, 2008, p. 2109 ; Ch. Huglo, « Observations critiques sur la loi du 1er août 2008 »,

AJDA, 2008, p. 2116. 1506 Rationae temporis, la loi au 1er août 2008 ne s’applique qu’aux dommages survenus après le 30 avril 2007,

date butoir de transposition de la directive. En outre, toute une liste d’activités est exclue de son champ

d’application, notamment les activités menées dans l’intérêt de la défense ou de la sécurité nationale, ainsi que

celles dont l’objet est d’assurer la lutte contre les catastrophes naturelles. Il en va de même pour les dommages qui

entrent dans le champ d’application de conventions internationales (pollution par hydrocarbures, responsabilité

des transporteurs, responsabilité en matière d’activités employant la technologie nucléaire). 1507 Ch. Huglo, « Observations critiques sur la loi du 1er août 2008 », op. cit. 1508 Voy. notamment : Société française pour le droit de l’environnement, Le dommage écologique en droit interne,

communautaire et comparé, Economica, 1992 ; M.-J. Littmann-Martin et C. Lambrechts, « La spécificité du

dommage écologique », in Le dommage écologique en droit interne, communautaire et comparé, Economica,

1992, p. 45 ; G. Martin, « Réflexions sur la définition du dommage à l’environnement : le dommage écologique

pur », in Droit et environnement, PUAM, 1995, p. 115 ; F. Ost, « La responsabilité civile, fil d’Ariane du droit à

l’environnement », Droit et société, 1995, p. 281 ; L. Neyret, Atteintes au vivant et responsabilité civile, préf. C.

Thibierge, L.G.D.J., 2006 ; P. Jourdain, « Le dommage écologique et sa réparation », in Les responsabilités

environnementales dans l’espace européen, sous la dir. de G. Viney et B. Dubuisson, Bruylant, 2006, p. 143 ; Ch.

Cans (dir.), La responsabilité environnementale : prévention, imputation, réparation, Dalloz, coll. « Thèmes et

commentaires », 2009. 1509 L. Neyret, « La réparation des atteintes à l’environnement par le juge judiciaire », op. cit.

Chapitre I. Diversité des régimes de responsabilité de l’entreprise mobilisables en matière climatique

357

Malgré un parcours difficile voire chaotique1510, la loi sur la biodiversité a été adoptée

le 8 août 2016. L’obligation de réparation du préjudice écologique se trouve désormais aux

articles 1246 à 1252 du code civil1511.

L’article 1246 du code civil énonce que « toute personne responsable d’un préjudice

écologique est tenue de le réparer ». L’article 1247 du code civil définit le préjudice écologique

comme « une atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux

bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement ». Sont ainsi visés aussi bien les

éléments classiques de l’environnement tels que l’air, l’eau, le sol et la biodiversité, mais

également leurs fonctions écologiques. Le préjudice écologique réparable est toutefois restreint

au préjudice « non négligeable ». L’article 1251 du code civil prévoit en outre que le préjudice

réparable est étendu aux « dépenses exposées pour prévenir la réalisation imminente d’un

dommage, pour éviter son aggravation ou pour en réduire les conséquences ».

Quant aux modalités de la réparation du préjudice écologique, l’article 1249 du code

civil prévoit qu’elle s’effectue « par priorité en nature ». Cette réparation en nature consiste soit

en une remise en état, soit, lorsque ce n’est pas possible, en une opération de compensation en

nature. À ce sujet, un auteur a relevé qu’« il s’agit d’un apport majeur du texte, au regard de la

pratique classique des tribunaux en matière de responsabilité civile, où la priorité est le plus

souvent donnée à la réparation par équivalent. La réparation en nature est pourtant la

conséquence logique du caractère même du préjudice écologique, qui est un préjudice objectif,

non causé à une personne déterminée »1512. En cas d’impossibilité de procéder à une réparation

en nature, le responsable verse des dommages-intérêts, qui sont affectés à la réparation de

l’environnement.

L’article 1248 du code civil retient que l’action en réparation du préjudice écologique

est ouverte à « toute personne ayant qualité et intérêt à agir ». Le texte énumère ensuite une

liste de personnes concernées par cette possibilité d’action en réparation1513. Aux termes de

l’article 2226-1 du code civil, l’action se prescrit par dix ans. Quant à l’application du dispositif

dans le temps, le texte prévoit l’application du régime de réparation du préjudice écologique

1510 La loi a connu quatre années de renvois entre le gouvernement, les députés et les sénateurs. 1511 Anciennement, articles 1386-19 à 1386-25. Dans le projet de réforme du droit de la responsabilité civile du 13

mars 2017 (voy. infra n° 416), articles 1279-1 à 1279-6. Ces articles sont situés dans une sous-section 3 intitulée

« Règles particulières à la réparation des préjudices résultant d’un dommage environnemental ». 1512 J. Malet-Vigneaux, « De la loi de 1976 à la loi de 2016. Le préjudice écologique : après les hésitations, la

consécration », op. cit., préc. p. 625. 1513 À savoir l’État, l’Agence française pour la biodiversité, les collectivités territoriales et leurs groupements dont

le territoire est concerné, ainsi que les établissements publics et les associations agréées ou créées depuis au moins

cinq ans à la date d’introduction de l’instance qui ont pour objet la protection de la nature et la défense de

l’environnement.

Titre I. La responsabilité de l’entreprise en droit privé positif saisie par le changement climatique

358

aux dommages nés de faits générateurs antérieurs à l’entrée en vigueur de la loi, sans toutefois

s’appliquer aux actions judiciaires déjà engagées à sa date de promulgation.

362. La loi du 8 août 2016 contribue de manière indéniable à renforcer l’efficacité de

la réparation civile en reconnaissant la réparation du préjudice écologique par le droit de la

responsabilité. De nombreuses questions persistent – juridiques et techniques –, notamment

celle de l’articulation de ce régime avec le régime de responsabilité environnementale, et de

l’évaluation du préjudice écologique1514. On sait à quel point celle-ci peut être problématique…

Des auteurs soulignent que si l’actualité des dernières années relative au préjudice écologique

est fournie, elle n’a malheureusement pas permis de surmonter les difficultés d’appréhension

par le droit des atteintes subies par l’environnement1515. Décidément, toutes les questions autour

du préjudice écologique ne sont pas résolues. En témoigne également la récente QPC renvoyée

au Conseil constitutionnel par la Cour de cassation, qui porte sur le point de savoir si l’article

1247 du code civil, qui pose la définition du préjudice écologique, est ou non contraire aux

articles 3 et 4 de la Charte de l’environnement1516. Selon les requérants, auteurs de la QPC, cette

disposition exige que, pour être réparable, le préjudice dépasse un certain seuil, alors qu’une

telle exigence ne figure pas dans la Charte de l’environnement.

Mais pour revenir à notre sujet, nous nous proposons à présent de vérifier si cette action

en responsabilité tendant à la réparation du préjudice écologique peut être utilement exercée

contre des entreprises dans le cadre d’affaires climatiques. Peut-elle être un levier en matière

de lutte contre le changement climatique ? Dans quelle mesure ? À quelles conditions ?

2. La réparation du préjudice écologique dans le cadre de procès climatiques

363. Le surplus d’émissions de gaz à effet de serre, un préjudice écologique.

L’article 1247 du code civil a adopté une définition du préjudice écologique plus succincte que

celle retenue par le juge judiciaire, à savoir « une atteinte non négligeable aux éléments ou aux

fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement ».

Cette définition couvre donc à la fois le dommage objectif subi par l’environnement (atteintes

1514 Voy. L. Neyret (dir.), La réparation du préjudice écologique en pratique, Rapp., APCEF, mars 2016, en ligne :

https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-28042-rapport-apcef.pdf. 1515 Voy. G. Leray, J. Bardy, G. Martin et S. Vanuxem, « Réflexions sur une application jurisprudentielle du

préjudice écologique », D., 2020, p. 1553. 1516 Cass. crim., 10 novembre 2020, n° 20-82.245 ; G. Martin, « L’article 1247 du Code civil est-il contraire à la

Constitution ? : Libres propos », La semaine juridique - édition générale, LexisNexis, 2020, p. 2194-2196.

Chapitre I. Diversité des régimes de responsabilité de l’entreprise mobilisables en matière climatique

359

aux sols, aux eaux, à l’air et à l’atmosphère, et aux espèces) et les préjudices subjectifs collectifs

(atteintes aux services de régulation, d’approvisionnement et aux services culturels).

L’atteinte à la fonction écologique de l’atmosphère, c’est-à-dire au rôle joué par

l’atmosphère au sein des écosystèmes, constitue un préjudice écologique, au sens de l’article

1247 du code civil. La nomenclature des préjudices environnementaux établie par les

Professeurs Laurent Neyret et Gilles Martin précise ainsi que « les fonctions écologiques de

l’air ou de l’atmosphère s’entendent du rôle qu’ils jouent au sein des écosystèmes, tel que […]

participer à la régulation du climat »1517. Le surplus d’émissions de gaz à effet de serre est donc

constitutif d’une atteinte aux éléments et aux fonctions de l’atmosphère. Par conséquent, une

action en responsabilité sur le fondement des articles 1246 et suivants du code civil est tout à

fait envisageable en matière climatique.

D’ailleurs, ce fondement a été mobilisé dans le cadre de « l’affaire du siècle »1518. Le

17 décembre 2018, quatre associations (Notre Affaire à Tous, la Fondation pour la Nature et

l’Homme, Greenpeace France et Oxfam France) ont envoyé une demande préalable

indemnitaire auprès d’une douzaine de ministres pour signifier la carence fautive de l’État

français en matière de lutte contre les changements climatiques1519. Elles demandaient, d’une

part, la réparation des préjudices subis en raison des fautes et carences de l’État en matière de

lutte contre le changement climatique et, d’autre part, à ce qu’il soit enjoint à l’État de mettre

un terme à l’ensemble de ses manquements en matière de lutte contre le changement climatique.

La demande préalable, qui a été « pensée et écrite comme un outil stratégique juridico-politique

pour attirer la lumière sur la nécessité d’agir face à l’attentisme (voire l’impuissance) de l’État

français »1520, a été accompagnée d’une communication hors du commun. L’engouement

citoyen a été immédiat avec plus de 2 millions de signatures en moins d’un mois sur la pétition

en ligne. Toutefois, le 15 février 2019, le gouvernement a rejeté cette demande. À la suite de

ce rejet, le 14 mars 2019, les associations ont déposé un recours « en plein contentieux » devant

le tribunal administratif de Paris. Elles demandent ainsi la réparation du préjudice moral causé

à leurs membres et du préjudice écologique subi par l’environnement. Sur ce dernier préjudice,

selon les associations, « les fautes commises par l’État ont porté et portent encore une atteinte

grave aux éléments et aux fonctions des écosystèmes, ainsi qu’aux bénéfices collectifs tirés par

1517 L. Neyret et G. Martin, Nomenclature des préjudices environnementaux, op. cit., p. 14. 1518 Voy. sur cette affaire : Ch. Cournil, « “L’affaire du siècle” devant le juge administratif », AJDA, 2019, p. 437 ;

A. Van Lang, « L’hypothèse d’une action en responsabilité contre l’État », AJDA, 2019, p. 652 ; Ch. Cournil, A.

Le Dylio et P. Mougeolle, « “L’affaire du siècle” : entre continuité et innovations juridiques », AJDA, 2019, p.

1864. 1519 En ligne : https://cdn.greenpeace.fr/site/uploads/2018/12/2018-12-17-Demande-pr%C3%A9alable.pdf. 1520 Ch. Cournil, « “L’affaire du siècle” devant le juge administratif », op. cit.

Titre I. La responsabilité de l’entreprise en droit privé positif saisie par le changement climatique

360

l’homme de l’environnement et d’un système climatique stable » (p. 40 de la demande). Le

préjudice écologique correspond ici au surplus d’émissions de gaz à effet de serre imputable

aux fautes de l’État. Les associations sollicitent également le prononcé d’une injonction tendant

à mettre en œuvre toutes mesures utiles tant en matière de réduction des émissions de gaz à

effet de serre qu’en matière d’adaptation au changement climatique. Elles estiment que « les

fautes de l’État n’ont pas seulement causé un préjudice écologique actuel ; elles causent

également un préjudice futur »1521. Certes, pour l’instant, le juge administratif refuse d’admettre

l’indemnisation du préjudice écologique1522. Force est de constater, cependant, que depuis

l’entrée en vigueur de la loi du 8 août 2016 précitée, il n’existe juridiquement aucun obstacle à

la reconnaissance, par les juridictions administratives, d’un tel préjudice. L’article 1246 du code

civil ne contient, en effet, aucune restriction quant à la qualité de la personne – publique ou

privée – susceptible de devoir réparer le préjudice écologique dont elle est responsable. Reste

à savoir comment le juge va apprécier les conditions de recevabilité et comment sera analysée

l’insuffisance des mesures prises par l’État.

En ce qui concerne la responsabilité des entreprises, a priori, rien ne s’oppose à ce que

le fondement du préjudice écologique soit mobilisé dans le cadre d’actions engagées,

notamment par des associations, contre les entreprises émettrices de gaz à effet de serre. Il

faudrait alors caractériser le caractère « non négligeable » des surplus d’émissions produites

par les entreprises. Mais la principale difficulté n’est sans doute pas là. Elle réside plutôt dans

le fait que l’origine du dommage dans le domaine climatique reste très difficilement identifiable

à l’égard d’une personne déterminée, sauf peut-être à imaginer une demande de condamnation

solidaire1523.

364. Il ressort de ce qui précède que la mise en cause de la responsabilité civile

extracontractuelle de l’entreprise est envisageable en matière climatique. Qu’il s’agisse

1521 Comme on peut le lire dans le résumé du mémoire complémentaire transmis au juge le 20 mai 2019. En ligne :

https://laffairedusiecle.net/wp-content/uploads/2019/05/Le-m%C3%A9moire-compl%C3%A9mentaire-

r%C3%A9sum%C3%A9-en-3-points.pdf, p. 6. Voy. également l’argumentaire complet disponible en ligne :

https://laffairedusiecle.net/wp-content/uploads/2019/05/Argumentaire-du-M%C3%A9moire-

compl%C3%A9mentaire.pdf. 1522 CE, 12 juillet 1969, Ville de Saint-Quentin, n° 72068 72079 72080 72084, Rec. Leb., p. 383. Récemment, le

Conseil d’État s’est cependant fondé sur le risque de survenance d’un tel préjudice pour caractériser l’urgence

dans le cadre d’un référé-suspension : CE, 7ème chambre, 31 mars 2017, Société Commercialisation décharge et

travaux publics, n° 403297, inédit. Voy. également sur cette question : Ch. Huglo, « L’inéluctable prise en compte

du dommage écologique par le juge administratif. Les suites de l’arrêt Erika de la Cour de cassation », AJDA,

2013, p. 667 ; M. Lucas, « Préjudice écologique et responsabilité. Pour l’introduction légale du préjudice

écologique dans le droit de la responsabilité administrative », Environnement, avril 2014, étude 6. 1523 Ch. Huglo, Le contentieux climatique : une révolution judiciaire mondiale, op. cit., p. 265.

Chapitre I. Diversité des régimes de responsabilité de l’entreprise mobilisables en matière climatique

361

cependant de l’action « classique » fondée sur l’article 1240 du code civil ou de l’action en

réparation du préjudice écologique fondée sur l’article 1246 dudit code, des difficultés

apparaissent, et non des moindres. Ces difficultés relèvent essentiellement du domaine de la

preuve : preuve de la faute de l’entreprise mise en cause, preuve de son implication, preuve du

lien de causalité entre sa faute et le dommage.

Dans tous les cas, le contentieux climatique a plus de chances de prospérer dans le

domaine de la prévention des risques climatiques et lorsque la faute de l’entreprise résulte de

la violation d’une obligation précise, telles que les obligations précitées résultant de la loi sur

le devoir de vigilance ou de la loi PACTE1524. Comme l’a montré Christian Huglo dans son

ouvrage sur le contentieux climatique, « la situation de la preuve ne peut être la même selon

que l’on veut prévenir un risque ou obtenir la réparation d’un dommage […] le contentieux

climatique devrait donc se développer plus aisément dans le domaine de la prévention plutôt

que dans celui d’une recherche d’une certaine forme de réparation civile »1525.

365. Quid de l’autre visage de la responsabilité civile qu’est la responsabilité

contractuelle ? Peut-elle être source de responsabilité en matière climatique ? Quels sont les

risques de responsabilité dans ce domaine ? Alors que rien ne destine a priori la responsabilité

contractuelle à jouer un rôle dans la lutte contre le changement climatique, on verra que l’outil

contractuel est de plus en plus mobilisé pour servir l’objectif de prévention de l’aggravation du

changement climatique, ce qui n’est pas sans conséquence sur la responsabilité de l’entreprise.

§2. La responsabilité civile contractuelle, source de responsabilité en matière climatique

366. À n’en pas douter, la lutte contre le changement climatique est d’intérêt général.

Or l’intérêt général n’est pas étranger au contrat de droit privé, bien au contraire. D’une part, il

s’impose au contrat par le biais du respect de l’ordre public1526. C’est d’ailleurs ce qu’exprime

l’article 1102 du code civil en disposant que « chacun est libre de contracter ou de ne pas

contracter, de choisir son cocontractant et de déterminer le contenu et la forme du contrat dans

les limites fixées par la loi ». Ce même article précise, dans son alinéa 2, que « la liberté

contractuelle ne permet pas de déroger aux règles qui intéressent l’ordre public ». D’autre part,

1524 Voy. supra : Première partie, Titre II, Chapitre II. Le développement d’obligations nouvelles dans le contexte

de lutte contre le changement climatique, spéc. nos 315 à 317 (loi sur le devoir de vigilance) et n° 343 (loi PACTE). 1525 Ch. Huglo, Le contentieux climatique : une révolution judiciaire mondiale, op. cit., p. 227. Voy. également :

L. Neyret, « La reconnaissance de la responsabilité climatique », D., 2015, p. 2278. 1526 Voy. supra n° 161.

Titre I. La responsabilité de l’entreprise en droit privé positif saisie par le changement climatique

362

le contrat peut contribuer à l’intérêt général1527. Ainsi, « une dialectique incessante s’opère entre

le contrat et l’intérêt général, qui se façonnent réciproquement. Dans cette optique, le contrat

doit être en conformité avec l’intérêt général. De même, il peut contribuer à l’intérêt général.

Objet intégré dans l’intérêt général, il est aussi moteur de l’intérêt général »1528.

Dans le cadre des prochains développements, nous nous proposons d’étudier

davantage cette seconde hypothèse, à savoir l’hypothèse où le contrat se présente comme un

moyen de mettre en œuvre les valeurs protégées par l’ordre public. On constate, en effet, que

le contrat intègre de plus en plus l’objectif de lutte contre le changement climatique en dehors

de toute réglementation impérative (A). Or, lorsque l’objectif de lutte contre le changement

climatique est contractualisé, c’est la responsabilité civile contractuelle qui pourra être

actionnée (B).

A. Le contrat de droit privé mis au service de la lutte contre le changement climatique

367. De nos jours, on assiste à une contractualisation croissante de l’objectif de

lutte contre le changement climatique. Ce n’est pas très étonnant, en effet, on sait que le

contrat s’est progressivement imposé en tant que technique de régulation sociale1529. Selon

certains auteurs, l’ouverture du contrat à l’objectif de lutte contre le changement climatique

manifeste l’apparition d’un nouveau solidarisme contractuel1530.

Dans la première partie de l’étude ont été étudiés les rapports entre changement

climatique, RSE et droit des contrats1531. Nous avons vu que le contrat permet de concrétiser

les engagements climatiques volontaires des entreprises en leur donnant un habillage juridique

et en les revêtant de la force obligatoire. De plus, il arrive bien souvent que, dans une démarche

« responsable », les entreprises décident de répercuter leurs engagements volontaires sur ceux

qui sont dans leur « sphère d’influence »1532. Ce faisant, elles promeuvent la cause climatique

1527 M. Mekki, L’intérêt général et le contrat. Contribution à une étude de la hiérarchie des intérêts en droit privé,

préf. J. Ghestin, L.G.D.J., 2004, p. 71, n° 82. 1528 Ibid., p. 623, n° 1049 et s. 1529 Ibid., p. 657, n° 1088 : « […] le contrat de la société contractuelle est plus qu’un simple contrat de droit privé.

Signe d’un ordre libéral et mercantile, le contrat de droit privé est certes encouragé, mais c’est en tant que technique

de régulation sociale qu’il s’impose au sein de la société contractuelle ». 1530 O. Gout, « Le changement climatique et le contrat, perspective de droit interne », in Le changement climatique,

quel rôle pour le droit privé ?, sous la dir. de M. Hautereau-Boutonnet et S. Porchy-Simon, Dalloz, coll. « Thèmes

et commentaires », 2019, p. 109 et s., spéc. p. 122. ; voy. également : B. Fauvarque-Cosson, « L’entreprise, le droit

des contrats et la lutte contre le changement climatique », D., 2016, p. 324. L’auteure parle de la « formation d’un

nouveau cadre contractuel international ». 1531 Voy. supra nos 228 et 229. 1532 M.-P. Blin-Franchomme, I. Desbarats, G. Jazottes et V. Vidalens, Entreprise et développement durable.

Approche juridique pour l’acteur économique du XXIe siècle, Lamy, 2011, n° 212. La norme ISO 26000 définit la

Chapitre I. Diversité des régimes de responsabilité de l’entreprise mobilisables en matière climatique

363

sur l’ensemble de leur chaîne de valeur. Le droit souple est ici mis au service du droit dur.

Comme l’a noté un auteur, « l’insertion de clauses climatiques dans l’espace contractuel trouve

aujourd’hui une impulsion du côté du droit souple et pourrait demain avoir les faveurs du droit

dur »1533. Sur ces points, nous renvoyons le lecteur aux développements du Chapitre I du Titre

II de la Première partie de la thèse.

Dans un registre bien différent, il convient de noter que plusieurs contrats ont été créés

par le législateur dans le but spécifique de lutter contre le changement climatique ou plus

largement de protéger l’environnement. Il en est ainsi notamment du « contrat de performance

énergétique » créé à l’initiative du législateur européen1534. Institué en France par l’article 5 de

la loi du 3 août 2009, dite loi Grenelle 11535, le contrat de performance énergétique a été

envisagé comme une incitation à réduire les émissions de gaz à effet de serre engendrées par la

consommation d’énergie dans les bâtiments. Il s’agit d’un contrat passé entre un maître

d’ouvrage, qui peut être notamment propriétaire, bailleur, occupant ou preneur, et une « société

de services énergétiques »1536, qui est l’entrepreneur, dans le but d’améliorer les performances

énergétiques d’un bâtiment ou d’un parc de bâtiments. Par ce contrat, l’entrepreneur s’engage

à réduire la consommation énergétique des bâtiments rénovés, en s’assignant des objectifs

chiffrés. Il est tenu à une « obligation de résultat performantiel », « qualitatif et quantitatif »1537.

Le maître d’ouvrage est, quant à lui, tenu au paiement des services fournis par l’entrepreneur.

L’opération contractuelle est conçue de telle sorte que l’entrepreneur est incité à réaliser les

investissements les plus opportuns pour atteindre la meilleure efficacité énergétique possible

puisque si la « performance » s’avère plus grande que celle promise au contrat, l’économie

supplémentaire réalisée est répartie entre les parties. Le contrat de performance énergétique est

indiscutablement un outil de lutte contre le changement climatique, mais un outil circonscrit

qui a un domaine limité.

« sphère d’influence » comme « un domaine, des relations politiques, contractuelles ou économiques à travers

lesquelles une entreprise peut influencer les décisions ou les activités d’autres entreprises ou de personnes

individuelles ». 1533 M. Hautereau-Boutonnet, « Le risque climatique en droit des contrats », RDC, n° 2, 2016, p. 312. 1534 Voy. Directive 2006/32/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2006 relative à l’efficacité

énergétique dans les utilisations finales et aux services énergétiques et abrogeant la directive 93/76/CEE du

Conseil, JOUE L 114 du 27 avril 2004, p. 64-85. 1535 Loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement,

JO, 5 août 2009. 1536 Cette société est « une personne physique ou morale qui fournit des services énergétiques et/ou d’autres

mesures visant à améliorer l’efficacité énergétique dans des installations ou locaux d’utilisateurs, et qui accepte

un certain degré de risque financier en jouant ce rôle. Le paiement des services fournis est fondé (en tout ou en

partie) sur la réalisation des améliorations de l’efficacité énergétique et sur le respect des autres critères de

performance qui ont été convenus » (Directive 2006/32/CE, préc., art. 3, i). 1537 K. Ilchev, L’efficacité énergétique et le droit, thèse, Université de Nice, p. 436 et s.

Titre I. La responsabilité de l’entreprise en droit privé positif saisie par le changement climatique

364

Les contrats qui vont donc attirer particulièrement notre attention sont ceux mis en

place dans les chaînes d’approvisionnement internationales. En effet, c’est surtout dans ces

contrats que le phénomène de contractualisation de l’objectif de lutte contre le changement

climatique commence à se développer. Aujourd’hui, les entreprises sont invitées à « dépasser

la vision classique de l’intégration contractuelle du risque climatique, négative et tournée vers

la protection des intérêts des parties, pour privilégier une vision renouvelée, plus positive et

tournée aussi vers la protection de l’intérêt général »1538. Le Professeur Hautereau-Boutonnet

parle à cet égard d’une « intégration plus politique consistant à atténuer le risque climatique » :

« au lieu d’assumer les conséquences du changement climatique pour les parties, il s’agit de les

éviter et, du même coup, de participer à une cause commune dépassant également leurs intérêts

particuliers »1539. Dans le contexte de la mondialisation, le contrat d’approvisionnement peut

ainsi devenir un levier pour lutter contre le changement climatique. En faisant jouer la liberté

contractuelle, les sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre, débitrices d’ailleurs d’un

devoir de vigilance en vertu de la loi française, peuvent exiger de leurs fournisseurs et autres

partenaires commerciaux un comportement favorable à la réduction des émissions de gaz à effet

de serre, la mise en œuvre d’un procédé spécifique de fabrication, l’utilisation des « meilleures

techniques disponibles »1540, ou, plus généralement, l’engagement dans une politique de lutte

contre le changement climatique1541. Reste à savoir quelle sera la sanction en cas de non-respect

de ces nouvelles obligations contractuelles.

B. La sanction de l’inexécution d’une obligation contractuelle climatique

368. Par définition, à moins que les parties n’aient prévu des remèdes à l’inexécution

du contrat1542 (1), l’inexécution d’une obligation contractuelle engage la responsabilité du

débiteur de cette obligation (2). C’est ainsi que la responsabilité civile contractuelle peut être

actionnée en cas d’inexécution d’une obligation climatique contractuellement prévue.

1538 M. Hautereau-Boutonnet, « Le risque climatique en droit des contrats », op. cit. 1539 Ibid. 1540 Voy. Directive 2010/75/UE du Parlement européen et du Conseil du 24 novembre 2010 relative aux émissions

industrielles (prévention et réduction intégrées de la pollution) (refonte), JOUE L 334 du 17 décembre 2010, p.

17-119. La directive définit les « meilleures techniques disponibles » comme suit : « le stade de développement le

plus efficace et avancé des activités et de leurs modes d’exploitation, démontrant l’aptitude pratique de techniques

particulières à constituer la base des valeurs limites d’émission et d’autres conditions d’autorisation visant à éviter

et, lorsque cela s’avère impossible, à réduire les émissions et l’impact sur l’environnement dans son ensemble ». 1541 Pour des exemples, voy. supra n° 229-2 in fine. 1542 Le remède « suppose la mise en œuvre de mécanismes permettant de préserver le lien contractuel en corrigeant

ses défauts » : M. Mekki, « Le juge et les remèdes à l’inexécution du contrat », RDC, n° 2, 2016, p. 400.

Chapitre I. Diversité des régimes de responsabilité de l’entreprise mobilisables en matière climatique

365

1. Les éventuels remèdes à l’inexécution du contrat

369. Dans une démarche d’adaptation contractuelle au risque climatique, les

parties auront peut-être prévu quelques remèdes à l’inexécution du contrat. En effet,

l’adaptation au changement climatique est un enjeu crucial pour toute entreprise1543. Beaucoup

d’entreprises sont affectées dans leurs activités à un titre ou un autre, directement, par la

vulnérabilité de leurs fournisseurs, ou indirectement, à travers celle de leurs clients. Le

changement climatique peut perturber les relations commerciales, notamment lorsque l’une des

parties – fournisseur, sous-traitant, distributeur, producteur – est située dans un État vulnérable.

Il ne s’agit pas d’une hypothèse d’école, loin de là. Le changement climatique entraîne des

catastrophes naturelles, tempêtes ou inondations, fragilisant les cultures indispensables à la

fabrication de certains produits. Parfois, ce sont les modes de production qui seront bouleversés,

augmentant les coûts de production ou entraînant une impossibilité de fournir une matière

première. Parfois encore, l’évolution de la législation climatique dans un pays pourrait avoir

des répercussions sur la relation contractuelle. Or pour anticiper la réalisation des conséquences

négatives que pourrait produire le changement climatique, les entreprises peuvent décider de

prévoir contractuellement l’adaptation au changement climatique. À cet effet, elles peuvent

insérer des clauses destinées à gérer l’aléa climatique, telles que les clauses d’adaptation (a) ou

les clauses de force majeure (b). Ce faisant, elles anticipent les risques liés à l’inexécution du

contrat, et notamment le risque de mise en cause de la responsabilité contractuelle.

a) Les clauses d’adaptation ou clauses de hardship

370. Clauses d’adaptation. Les clauses d’adaptation rendent possible la maîtrise du

contrat sur l’avenir. Ce sont des techniques d’intégration des risques liés aux évolutions des

données sous l’empire desquelles les parties se sont accordées. L’ingénierie contractuelle est

ici mobilisée par les parties afin de préserver l’utilité économique1544 de leur contrat. Par

ailleurs, les clauses d’adaptation ne doivent pas être confondues avec l’imprévision consacrée

1543 Voy. EpE, ONERC – Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique, Les entreprises et

l’adaptation au changement climatique, avril 2014, en ligne : http://temis.documentation.developpement-

durable.gouv.fr/docs/Temis/0081/Temis-0081409/21628.pdf. 1544 Voy. sur l’économie du contrat en tant que garante de son utilité : A. Arsac-Ribeyrolle, Essai sur la notion

d’économie du contrat, thèse, Université Clermont-Ferrand 1, 2005.

Titre I. La responsabilité de l’entreprise en droit privé positif saisie par le changement climatique

366

par le nouvel article 1195 du code civil1545. Aux termes de ce dernier, « si un changement de

circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement

onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander

une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant

la renégociation. En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir

de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un

commun accord au juge de procéder à son adaptation. À défaut d’accord dans un délai

raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date

et aux conditions qu’il fixe ». L’article 1195 du code civil met en place un dispositif

supplétif1546, ce qui signifie deux choses. D’une part, les clauses qui écartent le jeu de l’article

1195 en excluant l’intervention du juge en cas de changement de circonstances sont valables.

D’autre part, les nombreuses clauses, très fréquentes avant la réforme, par lesquelles les parties

prévoient elles-mêmes l’adaptation de leur contrat en cas de changement de circonstances selon

des modalités autres que celles de l’article 1195, demeurent intéressantes1547. Il en va ainsi des

clauses d’adaptation. D’ailleurs, comme le souligne un auteur, « l’esprit du dispositif légal est

de laisser d’abord aux parties une opportunité d’organiser par elles-mêmes le traitement de

l’imprévision. Le caractère subsidiaire de l’interférence du juge le montre. Or, que font les

parties au travers d’une clause d’adaptation sinon cela ? »1548.

Bien avant la réforme du droit des obligations, la pratique avait développé les clauses

d’adaptation dans le but d’anticiper les changements de circonstances1549 pouvant affecter

l’exécution des contrats de longue durée. Sommairement, deux types de clauses s’étaient

développées1550 : les clauses d’adaptation automatique et les clauses d’adaptation non

1545 Cet article est issu de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du

régime général et de la preuve des obligations, JO, 11 février 2016. Voy. P. Ancel, « Imprévision », Répertoire de

droit civil, Dalloz, mai 2017 (mise à jour : mai 2018), nos 55 à 119. 1546 Voy. sur le caractère supplétif de l’article 1195 du code civil : Ph. Stoffel-Munck, « L’imprévision et la réforme

des effets du contrat », RDC, hors-série, 2016, p. 30 ; M. Mekki, « Le juge et les remèdes à l’inexécution du

contrat », op. cit. : « À l’analyse de l’ordonnance, la situation est plus complexe. La première impression est celle

d’un recul du juge qui se heurte à une forte montée de l’unilatéralisme dans le contrat et à une prolifération des

clauses contractuelles encouragée par l’ordonnance. […] Le rapport remis au président de la République est en ce

sens lorsqu’il précise que tout ce qui n’est pas formellement qualifié d’impératif est supplétif. Les parties sont

ainsi, comme le rappelle le principe de liberté contractuelle posé à l’article 1102 au sein des dispositions liminaires,

invitées à déroger, évincer, aménager les dispositions du Code civil afin d’en faire un contrat sur mesure. L’enflure

contractuelle qui en découle est inévitable ». 1547 Ceci est d’autant plus vrai en matière climatique, où la théorie de l’imprévision a peu de chances de prospérer.

En effet, la difficulté est grande de démontrer que le changement de circonstances était imprévisible au moment

du contrat. Les données scientifiques sur le changement climatique sont de plus en plus disponibles et accessibles,

et les risques encourus sont de plus en plus connus. 1548 Ph. Stoffel-Munck, « L’imprévision et la réforme des effets du contrat », op. cit. 1549 B. Fauvarque-Cosson, « Le changement de circonstances », RDC, n° 1, 2004, p. 67. 1550 R. Fabre, « Les clauses d’adaptation dans les contrats », RTD civ., 1983, p. 1-30.

Chapitre I. Diversité des régimes de responsabilité de l’entreprise mobilisables en matière climatique

367

automatique. Aujourd’hui plus que jamais, ces clauses ont un rôle à jouer dans l’intégration des

risques liés au changement climatique.

Les clauses d’adaptation automatique peuvent s’avérer très utiles aux contractants

pour se prémunir contre les aléas météorologiques induits par le changement climatique. Certes,

l’élaboration de ces clauses n’est pas chose aisée. Les parties doivent, d’une part, prévoir les

risques encourus par le contrat, d’autre part, imaginer des mécanismes qui puissent

automatiquement les compenser1551. Ainsi, si les parties identifient un risque météorologique

susceptible d’affecter un élément du contrat, elles peuvent inclure une clause destinée à

l’appréhender. Cette clause peut notamment prévoir une adaptation automatique du prix1552, du

délai d’exécution ou de la date d’exécution de la prestation.

Au titre des clauses d’adaptation non automatique, que l’on a pu qualifier de clauses

rebus sic stantibus expresses1553, on peut citer les clauses de renégociation du contrat. Celles-

ci sont très fréquentes dans les contrats du commerce international, où elles portent le nom de

clauses de hardship1554. Toutes les clauses de hardship prévoient, au minimum, l’obligation

pour les parties confrontées à un changement de circonstances de renégocier le contrat pour

permettre son adaptation aux nouvelles circonstances. La clause de renégociation permet ainsi

à une partie de demander un réaménagement du contrat « si un changement intervenu dans les

données initiales au regard desquelles [les parties] s’étaient engagées vient à modifier

l’équilibre de ce contrat, au point de faire subir à l’une d’elles une rigueur injuste »1555. Les

parties doivent prévoir les délais pour renégocier, les formes à respecter, ainsi que les sanctions

en cas de refus de renégocier ou de mauvaise foi dans la conduite des discussions. Certes, la

volonté des parties doit être respectée. Cependant, « si la clause se borne à prévoir une

renégociation sans rien dire des solutions en cas d’échec (ce qui devrait être relativement rare),

il nous semble qu’elle ne devrait pas exclure en elle-même, passé la phase de négociations

1551 Ibid., spéc. p. 7. 1552 Il a pu être observé que de telles clauses sont très souvent stipulées dans les contrats d’approvisionnement en

matières premières : G. Rabu, « La clause d’adaptation », in Les principales clauses des contrats d’affaires, sous

la dir. de F. Buy, M. Lamoureux, J. Mestre et J.-Ch. Roda, L.G.D.J., 1re éd., 2011, p. 52. Voy. également : M.

Hautereau-Boutonnet, « Le potentiel climatique du contrat d’approvisionnement transnational », Énergie –

Environnement – Infrastructures, n° 6, 2016, étude 14 : « Les entreprises transnationales […] pourraient voir leurs

sources d’approvisionnement en matières premières et produits finis se fragiliser ». L’auteure envisage qu’elles se

prémunissent de ce risque en insérant des clauses « d’indexation ou d’actualisation du prix selon un indice choisi ».

À noter que si le contrat est soumis à la loi française, il convient de tenir compte des articles L. 112-1 à L. 112-4

du code monétaire et financier qui posent un principe d’interdiction de l’indexation sur des indices généraux ou

sur les prix des biens, produits ou services n’ayant pas de relation directe avec l’objet du contrat ou avec l’activité

de l’une des parties. 1553 J. Carbonnier, Droit civil, Tome 2, Les biens, les obligations, PUF, 2004, n° 37. 1554 B. Oppetit, « L’adaptation des contrats internationaux aux changements de circonstances : la clause de

“hardship” », JDI, 1974, p. 794. 1555 Ibid.

Titre I. La responsabilité de l’entreprise en droit privé positif saisie par le changement climatique

368

infructueuses, une saisine judiciaire fondée sur l’article 1195, aux conditions et selon les

modalités que ce texte fixe »1556. Encore faut-il que le changement de circonstances puisse être

qualifié d’« imprévisible au moment de la conclusion du contrat », comme l’exige l’article

1195, ce qui est loin d’être évident en matière climatique. D’où d’ailleurs tout l’intérêt pour les

parties d’anticiper plus rigoureusement le risque du changement climatique en amont.

Notons enfin que les clauses de résolution sont aussi envisageables, même si la

résolution est une « sanction à manier avec précaution »1557. Il est donc possible que la clause

prévoit, en cas d’échec des négociations, la résolution du contrat. Tel est le cas par exemple de

la clause de hardship proposée par la CCI en 2003, qui, après avoir posé l’obligation pour les

parties de « négocier de nouvelles conditions contractuelles prenant raisonnablement en compte

les conséquences de l’événement », prévoit que si « des stipulations contractuelles alternatives

prenant raisonnablement en compte les effets de l’événement invoqué n’ont pas été acceptées

[…] la partie ayant invoqué la présente clause est en droit de prononcer la résolution du

contrat ». Cependant, comme l’observe un auteur, « lorsqu’une clause résolutoire visant le

manquement aux obligations environnementales est insérée dans le contrat, il importe de veiller

à ce qu’au moindre manquement à une exigence sociale ou environnementale, l’entreprise n’en

profite pas pour mettre fin au contrat de manière abusive. Le mieux (environnemental)

deviendrait l’ennemi du bien, surtout dans un contexte de forte concurrence locale où les

contrats ne sont pas négociés. Un contrôle de la validité des clauses résolutoires et des

conditions de leur mise en œuvre pouvant être nécessaire, les questions du choix des juridictions

compétentes et du droit applicable, réglées dans des clauses attributives de compétence et de

choix de la loi applicable, ont toute leur importance. Il appartiendra aux juges saisis (ou aux

arbitres), par application du droit applicable, de vérifier que la clause résolutoire était licite,

valable, et d’en contrôler la mise en œuvre »1558. Dès lors, si une telle clause exclut clairement

la possibilité d’une révision du contrat par le juge, celui-ci pourra toujours être saisi afin de

vérifier que les conditions posées pour déclencher le jeu de la clause ont bien été respectées et

que la clause en soi n’est pas abusive1559.

1556 P. Ancel, « Imprévision », op. cit., n° 103. 1557 B. Fauvarque-Cosson, « L’entreprise, le droit des contrats et la lutte contre le changement climatique », op.

cit. 1558 Ibid. 1559 La question de l’abus peut se poser dans les contrats d’adhésion. Il est alors possible d’agir sur le fondement

de l’article 1171 du code civil, modifié par l’article 7, 2° de la loi n° 2018-287 du 20 avril 2018 portant ratification

de l’ordonnance du 10 février 2016, qui prévoit que, « dans un contrat d’adhésion, toute clause non négociable,

déterminée à l’avance par l’une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des

parties au contrat est réputée non écrite ».

Chapitre I. Diversité des régimes de responsabilité de l’entreprise mobilisables en matière climatique

369

b) Les clauses de force majeure

371. Force majeure1560. Parfois, les risques liés au changement climatique pourront

perturber l’exécution du contrat en la rendant impossible. En principe, l’événement de force

majeure pourrait mener à l’anéantissement du contrat1561. Cependant, est-ce que les risques liés

au changement climatique pourraient se voir appliquer la qualification de force majeure ?

Au regard du droit français, l’événement de force majeure doit être à la fois

« imprévisible » et « irrésistible ». Le nouvel article 1218, alinéa 1er du code civil issu de

l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 dispose qu’en matière contractuelle, il y a force

majeure : « lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être

raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités

par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur ».

L’imprévisibilité, tout d’abord, doit s’apprécier au jour de la conclusion du contrat. Ainsi, si

l’événement était prévisible au moment de la formation du contrat, le débiteur a entendu

supporter le risque de ne pas pouvoir exécuter son obligation1562. Le Rapport au Président de la

République1563 explique que l’événement doit également être irrésistible1564, tant dans sa

survenance (inévitable) que dans ses effets (insurmontables)1565.

S’agissant des risques liés au changement climatique, les chances sont plus grandes

qu’ils se voient refuser la qualification de force majeure. Le risque climatique était-il

1560 Voy. sur la force majeure : F. Gréau, « Force majeure », Répertoire de droit civil, Dalloz, juin 2017 (mise à

jour : avril 2018) ; V. Rebeyrol, « L’appréciation de la force majeure par la Cour de cassation », D., 2018, p. 598 ;

M. Mekki, « L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général

et de la preuve des obligations, Le volet droit des contrats : l’art de refaire sans défaire », D., 2016, p. 494 ; H.

Barbier, « Le débiteur d’une obligation contractuelle de somme d’argent inexécutée ne peut s’exonérer de cette

obligation en invoquant un cas de force majeure », RTD civ., 2014, p. 890 ; id., « De l’effet des prévisions

météorologiques sur les prévisions contractuelles », RTD civ., 2015, p. 134. 1561 Voy. notamment : M. Fabre-Magnan, Droit des obligations, Tome 1, Contrat et engagement unilatéral, PUF,

coll. « Thémis », 3ème éd., 2012, p. 635. 1562 Th. Genicon, « Caractères de la force majeure : l’imprévisibilité est bien requise. Note sous Cour de cassation,

première Chambre civile, 30 octobre 2008 », RDC, n° 1, 2009, p. 62 : « L’appréciation de l’imprévisibilité renvoie

d’abord à un calcul de probabilité lors de la conclusion du contrat pour s’assurer que le débiteur pouvait

raisonnablement envisager l’évènement […] plus l’évènement est probable dans tel contexte (risque d’ouragan

dans les Antilles en septembre pour le transport maritime) ou tel milieu (risque d’attaque à main armée pour le

transport de fonds), plus il est légitime d’exiger du créancier qu’il l’ait pris en compte. [...] il faudrait donc

considérer que l’appréciation des juges, s’agissant de l’imprévisibilité, doit d’abord être une appréciation

rétrospective de la probabilité de survenance de l’évènement considéré. Si l’évènement était probable et que les

parties ont gardé le silence, il est légitime de considérer qu’elles ont entendu que le débiteur en reste tenu :

l’absence de réserve de ce dernier vaut acceptation du risque ». 1563 Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme

du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, JO, 11 février 2016. 1564 Même si le texte n’emploie pas le terme « irrésistible ». Voy. F. Gréau, « Force majeure », op. cit., n° 67. 1565 Voy. sur ces deux facettes de l’irrésistibilité : H. Capitant, F. Terré, Y. Lequette et F. Chénedé, Les grands

arrêts de la jurisprudence civile, t. 2, Dalloz, coll. « Grands arrêts », 13ème éd., 2015, p. 272, n° 5.

Titre I. La responsabilité de l’entreprise en droit privé positif saisie par le changement climatique

370

imprévisible lors de la conclusion du contrat ? L’information en matière climatique étant de

plus en plus riche et disponible, les risques liés au changement climatique sont de moins en

moins imprévisibles. Or, il n’y a pas lieu de protéger les contractants contre un phénomène

imprévu mais qui était prévisible1566. Le débiteur pouvait-il éviter les effets de l’événement par

des mesures appropriées ? Il est fort probable que l’amélioration des techniques, qui permet

aujourd’hui de mieux résister aux phénomènes météorologiques, conduise les juges à apprécier

plus sévèrement le critère de l’irrésistibilité. Ils vérifieront aussi, sans doute systématiquement,

qu’il n’y avait aucune autre manière d’exécuter l’obligation contractuelle. Dès lors, la question

se pose de savoir si les parties peuvent aménager contractuellement la force majeure.

372. Aménagements contractuels de la force majeure. Comme l’affirmait Louis

Thibierge dans sa thèse, « le traitement de l’imprévu en amont de la force majeure s’avère à la

fois possible et nécessaire. Possible, car il n’attente pas à pacta sunt servanda : il est vain de

convoquer la force obligatoire lorsque l’imprévu frappe à côté des prévisions, créant une

situation extracontractuelle. Nécessaire, car il paraît contreproductif d’attendre que l’imprévu

dégénère en impossibilité d’exécution. Au nom du respect des prévisions contractuelles et du

souci croissant de pérennité contractuelle, il paraît donc essentiel de repenser en profondeur le

traitement de l’imprévu contractuel »1567.

Les clauses de force majeure, fréquentes en pratique, sont admises en droit français.

En effet, il est admis de longue date que la définition ou les effets de la force majeure puissent

faire l’objet d’aménagements contractuels1568. Ainsi, une clause de force majeure peut avoir

pour objet d’étendre les obligations du débiteur lorsque celui-ci accepte de prendre en charge

la force majeure. Une telle clause peut aussi tenter d’élargir la force majeure en lui donnant une

définition plus large que celle issue de la jurisprudence ou retenue par le législateur, ou en

énumérant les événements qui doivent être contractuellement considérés comme une force

majeure. Des événements qui ne seraient presque jamais considérés comme imprévisibles ou

irrésistibles pourraient ainsi être désignés1569.

1566 L. Thibierge, Le contrat face à l’imprévu, préf. L. Aynès, Economica, coll. « Recherches juridiques », 2011,

p. 4 : « Le droit positif perçoit dans l’acte contractuel un pari sur l’avenir et répugne à prodiguer une réponse à

l’imprévu. L’imprévu étant révélateur d’une insuffisance de prévision, il n’y aurait pas lieu de pallier l’incurie des

parties. Tout au plus admet-on, dans d’exceptionnelles circonstances, une exonération du débiteur pour cause de

force majeure [et, aujourd’hui, la révision pour imprévision] ». Cette thèse est parue avant la réforme du droit des

contrats qui a introduit en droit français la révision pour imprévision. 1567 Ibid. 1568 F. Gréau, « Force majeure », op. cit., nos 105 à 109. 1569 À titre d’exemple, un auteur a relevé que le contrat de distribution d’électricité proposé par EDF contient une

clause aux termes de laquelle la force majeure est étendue à des événements atmosphériques nommés « aléas »

(foudre, vent, neige et givre), qui peuvent provoquer des coupures de courant entraînant une inexécution

Chapitre I. Diversité des régimes de responsabilité de l’entreprise mobilisables en matière climatique

371

Pour conclure sur ce point, lorsqu’elles sont bien rédigées, les clauses de force majeure

présentent beaucoup d’intérêt pour les parties car elles permettent d’anticiper les effets

perturbateurs sur le contrat de certains phénomènes météorologiques redoutés.

373. En définitive, les parties peuvent prévoir l’issue du contrat lorsque son exécution

devient impossible ou particulièrement difficile. À défaut d’une telle prévision, l’inexécution

du contrat entraîne la mise en cause de la responsabilité contractuelle du débiteur défaillant.

2. La mise en cause de la responsabilité contractuelle

374. Le contrat ayant force obligatoire1570, son inexécution appelle une sanction.

C’est là qu’entre en jeu la responsabilité contractuelle qui sanctionne le dommage subi par une

partie lors de l’inexécution d’un contrat. Entendue largement comme la sanction de

l’engagement, la responsabilité contractuelle signifie ni plus ni moins que le débiteur répond

des obligations qu’il a contractées1571. L’engagement de la responsabilité contractuelle

nécessite la réunion de plusieurs conditions, à savoir une inexécution1572, un dommage et un

lien de causalité. C’est d’ailleurs ce que résume le projet de réforme de la responsabilité civile

du 13 mars 20171573 en affirmant que « toute inexécution du contrat ayant causé un dommage

au créancier oblige le débiteur à en répondre » (article 1250 du code civil). L’existence du droit

à réparation dépend donc de la réunion de ces trois conditions1574.

contractuelle temporelle : G. Helleringer, Les clauses du contrat. Essai de typologie, préf. L. Aynès, postf. F.

Terré, L.G.D.J., 2012, p. 42. 1570 Voy. P. Ancel, « Force obligatoire et contenu obligationnel du contrat », RTD civ., 1999, p. 771. 1571 H. Boucard, « Responsabilité contractuelle », Répertoire de droit civil, Dalloz, juillet 2018 (mise à jour :

février 2020), n° 2. 1572 On peut parler également de « faute contractuelle ». Voy. en ce sens : J.-L. Aubert, J. Flour, É. Savaux, Droit

civil : les obligations. Tome 3. Le rapport d’obligation, Sirey, 7ème éd., 2011, n° 191 : le fait de l’inexécution est

constitutif d’une faute, dès lors que l’essence de l’obligation doit être exécutée et que l’inexécution considérée ne

retrouve pas son origine dans une cause étrangère. Voy. a contrario : D. Tallon, « Pourquoi parler de faute

contractuelle ? », in Droit civil, procédure, linguistique juridique : Écrits en hommage à Gérard Cornu, PUF,

1994, p. 429-439, qui estime que les termes de « manquement » ou de « défaillance contractuelle » seraient mieux

adaptés au cadre contractuel. 1573 Voy. sur ce projet de réforme : J.-S. Borghetti, « Un pas de plus vers la réforme de la responsabilité civile :

présentation du projet de réforme rendu public le 13 mars 2017 », D., 2017, p. 770 ; M. Mekki, « Le projet de

réforme du droit de la responsabilité civile du 13 mars 2017 : des retouches sans refonte », Gaz. Pal., 2 mai 2017,

p. 12 ; A.-S. Choné-Grimaldi, « Le projet de réforme de la responsabilité civile : observations article par article »,

Gaz. Pal., 20 juin 2017, p. 16. 1574 Notons toutefois que certains auteurs estiment à l’inverse que la mise en jeu du régime de la défaillance

contractuelle ne devrait pas nécessiter de prouver l’existence d’un lien de causalité, pas plus que celle d’ailleurs

d’un préjudice. Voy. notamment : Ph. Le Tourneau, « Responsabilité : généralités », Répertoire de droit civil,

Dalloz, mai 2009 (mise à jour : février 2020), n° 96: « Il est généralement affirmé que l’application du régime de

la défaillance contractuelle suppose l’existence d’un lien de causalité direct entre le préjudice et le fait

dommageable […] Cette opinion est fausse ; elle découle de l’invention de la “responsabilité contractuelle”, dont

Titre I. La responsabilité de l’entreprise en droit privé positif saisie par le changement climatique

372

En outre, le créancier doit respecter des exigences de mise en œuvre. Avant toute

chose, il doit mettre en demeure le débiteur de s’exécuter1575. À cet égard, le nouvel article 1231

du code civil dispose qu’« à moins que l’inexécution soit définitive, les dommages et intérêts

ne sont dus que si le débiteur a préalablement été mis en demeure de s’exécuter dans un délai

raisonnable ». En d’autres termes, la mise en demeure n’est plus nécessaire lorsque l’exécution

n’est plus possible matériellement ou qu’elle est devenue inutile pour le créancier1576. Si la mise

en demeure est infructueuse, le créancier peut, sous certaines conditions, contraindre le débiteur

à l’exécution forcée1577. Si toutefois celle-ci n’est pas possible, il peut obtenir satisfaction par

équivalent, c’est-à-dire l’allocation de dommages et intérêts réparant le préjudice que lui cause

l’inexécution contractuelle.

375. Alors, peut-on voir engagée la responsabilité contractuelle d’une entreprise

qui ne satisferait pas à une « obligation contractuelle climatique » ? A priori, une réponse

affirmative s’impose dès lors que les conditions de la responsabilité contractuelle sont réunies.

Ce qui paraît, aujourd’hui, illusoire peut, demain, devenir réalité, tant il est possible de constater

un mouvement général qui conduit les grands groupes à contractualiser les risques de toute

nature qui pèsent sur leurs activités. On imagine mal, en effet, des contrats dont l’objet serait

l’atténuation du changement climatique. En revanche, des obligations plus précises, exigeant

par exemple un comportement précis de la part d’un fournisseur, peuvent être contenues dans

les contrats et constituer autant de sources de responsabilité. Il est vrai, comme l’a relevé le

Professeur Fauvarque-Cosson, que l’« on trouve, dans certaines conditions générales, des

paragraphes entiers qui imposent de lourdes obligations aux fournisseurs, y compris, pour

qu’elles ne restent pas ineffectives, celles de répondre à des questionnaires RSE, de recevoir

des auditeurs internes ou externes mandatés pour vérifier l’application de la charte sur tout ou

le régime fut ensuite calqué sur celui de la responsabilité délictuelle. Ce n’est que par habitude que l’exigence de

causalité est retenue comme une constance de la défaillance contractuelle, alors que le régime de celle-ci,

sainement conçu, ignore la causalité » ; ibid., n° 98 : « Il n’y a pas lieu, en principe, d’examiner le comportement

du débiteur pour apprécier l’exécution du contrat : ce qui importe est de mesurer l’écart entre ce qui a été promis

et ce qui a été fourni. C’est l’inexécution qui est considérée plus que l’erreur de conduite. Alors que la faute

délictuelle est la violation des devoirs généraux qu’impose la vie en société, la défaillance contractuelle est un

manquement à une obligation au sens technique du mot ». Voy. également : Ph. Rémy, « La “responsabilité

contractuelle” : histoire d’un faux concept », RTD civ., 1997, p. 323 : « La fausse question des degrés de la faute

est ainsi remplacée par la vraie question : celle de l’étendue des obligations contractuelles, qui suppose toujours

l’analyse du contenu du contrat – car la question que soulève la “responsabilité contractuelle” est toujours (et

seulement) de savoir si le débiteur a exécuté le contrat ». 1575 Aux termes de l’article 1344 du code civil, « le débiteur est mis en demeure de payer soit par une sommation

ou un acte portant interpellation suffisante, soit, si le contrat le prévoit, par la seule exigibilité de l’obligation ». 1576 G. Chantepie et M. Latina, La réforme du droit des obligations, Dalloz, 2016, n° 676. 1577 C. civ., art. 1221.

Chapitre I. Diversité des régimes de responsabilité de l’entreprise mobilisables en matière climatique

373

partie de la chaîne d’approvisionnement, de dresser un bilan de leurs actions, de s’associer à

une démarche commune, sous peine de sanctions »1578. Il faudra alors classiquement prouver

que le manquement à l’obligation a causé un préjudice au cocontractant. Là encore, il ne s’agit

pas d’une hypothèse purement théorique. Malgré certaines controverses doctrinales1579, il est

souvent admis que la responsabilité contractuelle a deux fonctions : d’une part, fournir au

créancier un équivalent monétaire de l’avantage qu’aurait dû lui procurer la bonne exécution

du contrat, d’autre part, réparer les atteintes aux autres intérêts du créancier qui résultent de

l’inexécution ou de la mauvaise exécution du contrat. Souvent, en pratique, cette seconde

fonction va l’emporter sur la première. Par ailleurs, les juges du fond sont doublement

souverains en la matière puisqu’ils maîtrisent aussi bien la détermination du préjudice

contractuel que la fixation du quantum des dommages et intérêts. Ainsi peuvent-ils caractériser

l’existence de chefs de préjudice distincts et, sans excéder la réparation intégrale du

préjudice1580, évaluer souverainement son montant1581.

376. En conclusion, la responsabilité civile contractuelle est de plus en plus appelée

à jouer un rôle dans la lutte contre le changement climatique. Même si cela peut paraître

déroutant de prime abord, il arrive tout à fait que le contrat de droit privé soit mobilisé en tant

qu’outil au service de l’atténuation du changement climatique. Dans un souci plus général de

prévention des risques, de nouvelles « obligations contractuelles climatiques » fleurissent dans

les contrats, notamment dans les contrats d’approvisionnement. Comme l’a souligné Mathilde

Hautereau-Boutonnet, le contrat de droit privé « met en œuvre des dispositifs internationaux

[…], contractualise des obligations [...] volontaires énergétiques, fait circuler les quotas de gaz

à effet de serre et les différentes obligations vertes ou insère des clauses en faveur de la

réduction des émissions de gaz à effet de serre applicables aux partenaires commerciaux »1582.

Or, les risques juridiques liés à ces obligations contractuelles climatiques ne doivent pas être

1578 B. Fauvarque-Cosson, « L’entreprise, le droit des contrats et la lutte contre le changement climatique », op.

cit. 1579 Voy. pour une étude complète : H. Boucard, « Responsabilité contractuelle », op. cit., nos 433 à 441. 1580 Le droit positif français en matière de réparation du préjudice est soumis au principe de la réparation intégrale

en vertu duquel le responsable est tenu de réparer, de compenser l’intégralité du préjudice causé à la victime : Ph.

Casson, « Dommages et intérêts », Répertoire de droit civil, Dalloz, février 2017 (mise à jour : décembre 2019),

nos 15 à 26. Selon la Cour de cassation, « les dommages et intérêts alloués à une victime doivent réparer le préjudice

subi sans qu’il en résulte pour elle ni perte ni profit » (Cass. 2ème civ., 23 janvier 2003, n° 01-00.200 , Bull. civ. II,

n° 20). Voy. également sur la question : Ch. Coutant-Lapalus, Le principe de la réparation intégrale en droit privé,

préf. F. Pollaud-Dulian, PUAM, 2002. 1581 Voy. par exemple : Cass. 3ème civ., 21 janvier 2004, n° 00-17.882, Bull. civ. III, n° 10. 1582 M. Hautereau-Boutonnet, « Quel “droit climatique” ? », in « Quel droit face au changement climatique ? »

(Dossier), D., 2015, p. 2260.

Titre I. La responsabilité de l’entreprise en droit privé positif saisie par le changement climatique

374

négligés. Faut-il rappeler que « les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui

les ont faits »1583 ?

377. En résumé, dans le cadre de cette section, nous avons étudié les deux visages

de la responsabilité civile : la responsabilité extracontractuelle et la responsabilité contractuelle.

L’une comme l’autre peut a priori être actionnée dans le cadre de contentieux climatiques

directs dirigés contre les entreprises.

La responsabilité délictuelle, d’abord, se présente comme la voie classique de mise en

cause de la responsabilité des entreprises. Quelques exemples de droit comparé montrent que

cette voie est privilégiée par les demandeurs dans les contentieux climatiques. Cependant, force

est de constater qu’à l’heure actuelle, aucune action de ce type n’a abouti. En effet, la mise en

cause de la responsabilité délictuelle des entreprises émettrices de gaz à effet de serre se heurte

à d’importantes difficultés, dont la difficulté de focaliser sur une entreprise donnée le poids de

la responsabilité d’un phénomène qui est par essence global et collectif.

Quoique non moins problématique, l’action en réparation du préjudice écologique est

également envisageable. Il s’agit alors d’appréhender le surplus d’émissions de gaz à effet de

serre comme un préjudice écologique, et d’en demander réparation auprès de l’entreprise ou

des entreprises responsables.

Enfin, c’est la responsabilité contractuelle qui peut être engagée dans le cadre de

procès climatiques impliquant les entreprises. Certes plus rare, cette hypothèse n’en demeure

pas moins intéressante à relever, notamment face à une expansion des « clauses climatiques »

contenues dans les contrats d’approvisionnement internationaux.

Mais au-delà de ces contentieux climatiques « directs », il est des contentieux dits

« indirects »1584 qui démontrent que le contentieux climatique peut contenir des aspects non

négligeables de droit pénal. C’est ce que nous allons voir dans une seconde section.

Section 2. La mise en cause de la responsabilité pénale de l’entreprise dans le cadre de procès

climatiques

378. Il ne fait aucun doute que le domaine pénal ne doit pas être exclu du débat sur la

responsabilité des entreprises dans le contexte du changement climatique. Certes, en droit pénal,

le principe de légalité des délits et des peines dispose qu’on ne peut être condamné pénalement

1583 C. civ., art. 1103. 1584 Ch. Huglo, Le contentieux climatique : une révolution judiciaire mondiale, op. cit., p. 124.

Chapitre I. Diversité des régimes de responsabilité de l’entreprise mobilisables en matière climatique

375

qu’en vertu d’un texte pénal clair et précis1585. Ce principe fondamental du droit pénal moderne

n’est autre que l’application de l’adage nullum crimen, nulla pœna sine lege. Or, pour l’heure,

il n’existe pas de texte spécifique applicable à une infraction en liaison avec le changement

climatique. De ce fait, il n’y a pas de contentieux climatique direct, même embryonnaire, qui

mobiliserait la responsabilité pénale des entreprises. Pour autant, il est possible d’identifier un

certain nombre d’infractions du droit de la consommation (§1) ou du droit des affaires (§2) qui

pourraient trouver application dans le cadre de procès climatiques. Le droit de la consommation

et le droit des affaires ne seront pas mobilisés ici dans le but d’engager la responsabilité des

entreprises à réparer les dommages climatiques, mais afin de condamner leur comportement

négligeant, déloyal, frauduleux. On parle alors de « contentieux climatiques indirects ».

§1. L’application des infractions du droit de la consommation en matière climatique

379. Le droit français sanctionne pénalement les pratiques commerciales trompeuses

des entreprises (A). Cette infraction, qui peut trouver application en matière climatique (B), est

issue de la directive 2005/29/CE du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales

déloyales1586, transposée en droit français par la loi du 3 janvier 2008 pour le développement

de la concurrence au service des consommateurs, dite loi Chatel1587. Depuis, cette loi a été

remaniée à de nombreuses reprises. Désormais, le code de la consommation1588 comporte un

livre I consacré à l’information des consommateurs et aux pratiques commerciales. Le chapitre

I du titre II de ce livre est relatif aux pratiques commerciales interdites, dont font partie les

1585 C. pén., art. 111-2 et 111-3. 1586 Directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2005 relative aux pratiques

commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur et modifiant la

directive 84/450/CEE du Conseil et les directives 97/7/CE, 98/27/CE et 2002/65/CE du Parlement européen et du

Conseil et le règlement (CE) n° 2006/2004 du Parlement européen et du Conseil (« directive sur les pratiques

commerciales déloyales »), JOUE L 149 du 11 juin 2005, p. 22-39. 1587 Loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs, JO,

4 janvier 2008. La transposition de la directive 2005/29/CE en droit français a conduit à substituer le délit de

pratiques commerciales trompeuses au délit de publicité fausse ou de nature à induire en erreur. Voy. J. Lasserre

Capdeville, « La substitution du délit de pratiques commerciales trompeuses au délit de publicité fausse ou de

nature à induire en erreur », LPA, 2008, n° 234, p. 8. 1588 Le code de la consommation a été intégralement recodifié par l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016

relative à la partie législative du code de la consommation et le décret n° 2016-884 du 29 juin 2016 relatif à la

partie réglementaire du code de la consommation. Voy. S. Bernheim-Desvaux et G. Raymond, « Regards croisés

sur la refonte du Code de la consommation », Contrats Concurrence Consommation, 2016, étude 7 ; S. Piédelièvre,

« Le nouveau code de la consommation est arrivé », Gaz. Pal., 29 mars 2016, p. 11 ; N. Sauphanor-Brouillaud et

H. Aubry, « Recodification du droit de la consommation – À propos de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars

2016 », JCP G, 2016, 392. L’ordonnance du 14 mars 2016 a été ratifiée par la loi n° 2017-203 du 21 février 2017.

Voy. sur cette loi : S. Bernheim-Desvaux, « Quand ratification rime avec modifications ! obs. sur la loi no 2017-

203 du 21 février 2017 de ratification de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 », Contrats Concurrence

Consommation, 2017, comm. 63.

Titre I. La responsabilité de l’entreprise en droit privé positif saisie par le changement climatique

376

pratiques commerciales trompeuses. Celles-ci sont régies par les articles L. 121-2 à L. 121-4

dudit code, et leur sanction est envisagée par les articles L. 132-2 à L. 132-8.

A. La sanction des pratiques commerciales trompeuses

380. Une fois caractérisée (1), la pratique commerciale trompeuse d’une entreprise

peut donner lieu à des sanctions (2).

1. La caractérisation de la pratique commerciale trompeuse

381. Notion de « pratique commerciale ». La notion de « pratique commerciale »

ne figure pas dans le code de la consommation. Elle a été définie par la directive 2005/29/CE

comme suit : « toute action, omission, conduite, démarche ou communication commerciale, y

compris la publicité et le marketing, de la part d’un professionnel, en relation directe avec la

promotion, la vente ou la fourniture d’un produit aux consommateurs »1589. La notion de

« pratique commerciale » est donc extrêmement large puisqu’elle englobe la publicité mais

également tous les procédés liés au commerce, c’est-à-dire toute forme d’acte en relation directe

avec la promotion, la vente ou la fourniture d’un bien ou d’un service au consommateur1590. Par

ailleurs, la pratique commerciale peut être appréhendée sur tout type de support, pour autant

qu’il « permette au client potentiel de se former une opinion sur les résultats qui peuvent être

attendus du bien ou du service proposé »1591.

382. Notion de « pratique commerciale trompeuse ». Conformément à l’actuel

article L. 121-2 du code de la consommation, une pratique commerciale est « trompeuse » dans

trois circonstances : premièrement, lorsqu’elle crée une confusion avec un autre bien ou service,

une marque, un nom commercial ou un autre signe distinctif d’un concurrent ; deuxièmement,

lorsqu’elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire

en erreur et portant sur les éléments énumérés par le texte1592 ; enfin, troisièmement, lorsque la

personne pour le compte de laquelle la pratique commerciale est mise en œuvre n’est pas

1589 Directive 2005/29/CE, préc., art. 2, d). 1590 CJUE, 16 avril 2015, aff. C-388/13. 1591 Cass. crim., 15 mai 2012, n° 11-83.301, Contrats Concurrence Consommation, 2012, comm. 247, note G.

Raymond. 1592 Prix, nature, caractéristiques, aptitudes du produit, service après-vente, traitement des réclamations.

Chapitre I. Diversité des régimes de responsabilité de l’entreprise mobilisables en matière climatique

377

clairement identifiable1593. Par ailleurs, l’article L. 121-4 énumère une longue liste de pratiques

commerciales qui sont réputées trompeuses. Sont ainsi réputées trompeuses les pratiques

commerciales qui ont pour objet, pour un professionnel, de se prétendre signataire d’un code

de conduite alors qu’il ne l’est pas ou d’afficher un certificat, un label de qualité ou un

équivalent sans avoir obtenu l’autorisation nécessaire.

L’ensemble de ces pratiques commerciales trompeuses sont sanctionnées qu’elles

touchent les consommateurs ou les professionnels1594.

En outre, l’article L. 121-3, al. 1er du code de la consommation énonce qu’« une

pratique commerciale est également trompeuse si, compte tenu des limites propres au moyen

de communication utilisé et des circonstances qui l’entourent, elle omet, dissimule ou fournit

de façon inintelligible, ambiguë ou à contretemps une information substantielle ou lorsqu’elle

n’indique pas sa véritable intention commerciale dès lors que celle-ci ne ressort pas déjà du

contexte ». C’est ce que l’on appelle une pratique commerciale par omission.

383. Dans tous les cas, le résultat de l’infraction est indifférent. En effet, l’article L.

121-1 du code de la consommation précise qu’une pratique commerciale est déloyale dès lors

qu’elle « altère ou est susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement

économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé ».

L’article L. 121-2 indique, quant à lui, que la pratique commerciale trompeuse doit contenir des

allégations, indications ou présentations « fausses ou de nature à induire en erreur ». Il ressort

de ces deux articles que le délit de pratique commerciale trompeuse est une infraction formelle.

Cela signifie que, pour que l’infraction soit constituée, il suffit que la pratique soit susceptible

d’induire en erreur le consommateur, le professionnel ou le non-professionnel et d’altérer de

façon substantielle son comportement économique.

384. Or, si le résultat de l’infraction est indifférent, il n’en demeure pas moins que la

pratique commerciale trompeuse doit être caractérisée. La Cour de cassation veille ainsi à ce

que les juges du fond ne se contentent pas de simplement relever des faits prohibés par l’article

L. 121-1, 2° du code de la consommation : ils doivent encore vérifier si les éléments qu’ils ont

retenu altéraient ou étaient de nature à altérer de manière substantielle le comportement

1593 C’est souvent le cas en matière de vente à distance. 1594 En effet, l’article L. 121-5 du code de la consommation prévoit désormais que « les dispositions des articles

L. 121-2 à L. 121-4 sont également applicables aux pratiques qui visent les professionnels et les non-

professionnels », et non plus uniquement aux pratiques qui visent les consommateurs.

Titre I. La responsabilité de l’entreprise en droit privé positif saisie par le changement climatique

378

économique du consommateur1595. À noter cependant que lorsque la pratique litigieuse est

considérée comme déloyale en toutes circonstances (elle figure dans l’article L. 121-4 du code

de la consommation), il n’est pas nécessaire pour le juge répressif de caractériser une altération

du comportement économique d’un consommateur normalement informé et raisonnablement

attentif et avisé1596. En dehors de cette hypothèse, cette caractérisation est indispensable pour

pouvoir sanctionner la pratique.

2. Les sanctions applicables au délit de pratiques commerciales trompeuses

385. Depuis l’ordonnance de recodification du 14 mars 2016, les pratiques

commerciales trompeuses font l’objet de sanctions spécifiques prévues aux articles L. 132-2 à

L. 132-8 du code de la consommation. Elles sont punies d’un emprisonnement de deux ans et

d’une amende de 300 000 euros, montant porté au quintuple pour les personnes morales. Le

montant de l’amende peut être porté, de manière proportionnée aux avantages tirés du délit, à

10 % du chiffre d’affaires moyen annuel, calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires annuels

connus à la date des faits, ou à 50 % des dépenses engagées pour la réalisation de la publicité

ou de la pratique constituant ce délit. Les personnes physiques déclarées coupables encourent

également certaines sanctions à titre de peines complémentaires, en particulier l’interdiction

d’exercer l’activité professionnelle ou sociale dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de

laquelle l’infraction a été commise. La publication du jugement est ordonnée par le juge qui

peut, en outre, condamner l’auteur de l’infraction à diffuser, à ses frais, des annonces

rectificatives, dont il fixe les termes, les modalités et les délais. Pour prononcer ces sanctions,

le tribunal peut demander tant aux parties qu’à l’annonceur la communication de tous

documents utiles, au besoin sous une astreinte de 4 500 euros. En cas de refus, il peut en

ordonner la saisie. Par ailleurs, le défaut de publication des annonces rectificatives, le refus de

communication des éléments propres à justifier la pratique incriminée ou l’inobservation d’une

décision ordonnant la cessation de la pratique entraîne les mêmes sanctions que l’infraction

elle-même. Notons, enfin, que d’autres sanctions sont envisageables notamment sur le terrain

de la fraude1597 ou de la concurrence déloyale1598.

1595 Cass. com., 1er mars 2017, n° 15-15.448, Dalloz actualité, 22 mars 2017, obs. X. Delpech. 1596 Cass. crim., 28 janvier 2020, n° 19-80.496, Gaz. Pal., 31 mars 2020, obs. S. Piédelièvre. 1597 C. consom., art. L. 454-1. 1598 C. civ., art. 1240. Dans une décision du 6 décembre 2016, la Cour de cassation a considéré qu’un acte de

concurrence déloyale pourra ainsi résulter d’une pratique commerciale trompeuse dans la mesure où le non-respect

d’une règle peut constituer un avantage dans la concurrence par rapport à ceux qui la respectent : Cass. com., 6

décembre 2016, n° 15-20.206.

Chapitre I. Diversité des régimes de responsabilité de l’entreprise mobilisables en matière climatique

379

386. Qu’en est-il de l’application du délit de pratiques commerciales trompeuses en

matière climatique ?

B. L’éventuelle application en matière climatique

387. La question de l’éventuelle application du délit de pratiques commerciales

trompeuses se pose avec beaucoup d’acuité dans un contexte où les géants du pétrole, de

l’internet ou de l’agroalimentaire multiplient les « promesses » de réduire leur empreinte

environnementale et climatique, et de s’adapter à une économie bas-carbone. Par son cri « Halte

au greenwashing », Philippe Laget alerte sur les abus des campagnes marketing dont sont

responsables certaines entreprises1599. Que ce soit dans leurs rapports annuels, dans leurs

annonces publicitaires ou sur leurs sites internet, les entreprises cherchent aujourd’hui à se

donner une image responsable à travers l’idée du « tout est désormais vert, tout est durable, tout

est responsable »1600. Les préoccupations climatiques sont sur toutes les lèvres. On peut

néanmoins émettre un fort doute quant à la réalité des mesures mises en œuvre en vue de

diminuer l’impact climatique des activités de l’entreprise et l’empreinte carbone des produits

qu’elle fabrique et commercialise. Le greenwashing climatique, qui peut tomber sous le coup

de l’interdiction des pratiques commerciales trompeuses, peut ainsi donner lieu à un contentieux

important (1). L’affaire Volkswagen en constitue un exemple emblématique (2).

1. Le greenwashing climatique

388. Le greenwashing, ou écoblanchiment, peut être défini comme « l’attribution

abusive de qualités écologiques à un produit, à un service ou à une organisation »1601. Face à

une montée en puissance des préoccupations liées au réchauffement climatique, de plus en plus

d’entreprises mobilisent leurs outils de communication afin de partager avec le public leur

« engagement » en la matière. Elles cherchent ainsi à se donner une image responsable.

Cependant, la plupart du temps, les informations adressées au public se rapportent aux

incidences écologiques des activités des entreprises, et non d’un ou plusieurs produits qu’elles

commercialisent. Cette communication, qualifiée d’« institutionnelle », distincte de la

1599 Ph. Laget, Développement durable et responsabilité d’entreprises. Mes quatre vérités, L’Harmattan, 2011, p.

29. 1600 Ibid. 1601 Avis du 8 septembre 2013, Vocabulaire de l’environnement (liste de termes, expressions et définitions

adoptés), (NOR : CTNX1321050K) (JO, 8 septembre 2013).

Titre I. La responsabilité de l’entreprise en droit privé positif saisie par le changement climatique

380

communication promotionnelle véhiculée par la publicité1602, vise en effet à « modeler l’image

de l’entreprise en tant qu’entité aux yeux du public » sans pour autant avoir « un effet direct sur

un produit »1603. Elle est souvent accompagnée d’une communication « d’opinion »1604, qui est

garantie par la liberté d’expression1605. Généralement, cette communication se présente comme

une forme de contribution de l’entreprise à un débat de société.

En principe, la communication institutionnelle et d’opinion permet d’éviter d’encourir

la censure de la pratique commerciale trompeuse. A priori, en l’absence de promotion de

produits, cette communication ne devrait pas être assimilée à une pratique commerciale.

Toutefois, cette approche est assez réductrice et éloignée de la réalité. Aujourd’hui, les supports

utilisés par les entreprises pour divulguer des informations sont aussi multiples que variés. De

nouvelles formes de communication apparaissent pour nourrir la relation avec les clients par-

delà la transaction commerciale. Concrètement, il devient difficile de tracer la ligne entre la

politique climatique de l’entreprise, la promotion de ses produits, la valorisation de son image

et l’information sur les incidences écologiques de ses activités et de ses produits. L’étiquetage

carbone en est un exemple parfait. Il vise à informer le consommateur de la quantité de gaz à

effet de serre émise durant les cinq étapes clés du cycle de vie du produit1606. S’il ne peut être

qualifié de publicité, il pourra néanmoins être appréhendé comme une communication

commerciale, compte tenu de sa propension de promouvoir à la fois le produit et l’image de

l’entreprise. On voit bien que les frontières sont brouillées. Les entreprises auront tendance à

en jouer dans le but d’échapper à toute responsabilité sur le fondement de la déloyauté. Elles

formuleront des « promesses », tout en cherchant à se prémunir contre les risques qui pourraient

en découler sur le plan juridique. Parallèlement, elles pratiqueront un lobbying intense auprès

des gouvernements pour limiter la réglementation1607. La diffusion du greenwashing sera ainsi

favorisée par ce contexte de « responsabilité » volontaire et non régulée… Tout ceci est

évidemment fort regrettable au regard des enjeux du changement climatique. Comme a insisté

1602 A.-S. Epstein, L’information environnementale communiquée par l’entreprise. Contribution à l’analyse

juridique d’une régulation, thèse, Université de Nice, 2014, p. 170 et s. 1603 G. Cordier, « L’image de marque et le préjudice de contrefaçon », Cahiers de droit de l’entreprise, 2007, n°

4, p. 45. 1604 Voy. par exemple : C. Rondey, « Communication d’opinion sur la distribution des médicaments : Leclerc

gagne en appel », D., 2008, p. 1401. 1605 L. Marino, « Plaidoyer pour la liberté d’expression, droit fondamental de l’entreprise », RTD com., 2011, p. 1. 1606 L’extraction des matières premières, le transport, la fabrication du produit, l’emballage et la distribution. 1607 Voy. l’article très poignant paru le 5 décembre 2015 dans Libération, dans lequel les auteurs décryptent le

greenwashing de quatre multinationales (Chevron, EDF, Coca-Cola, Suez Environnement) : Ch. Losson, I. Hanne,

C. Schaub et G. Siméon, « La COP 21, paradis du greenwashing et des conflits d’intérêts », Libération, 5 décembre

2015, en ligne : https://www.liberation.fr/planete/2015/12/05/la-cop-21-paradis-du-greenwashing-et-des-conflits-

d-interets_1418460.

Chapitre I. Diversité des régimes de responsabilité de l’entreprise mobilisables en matière climatique

381

la patronne de Greenpeace Jennifer Morgan lors du forum de Davos du 21 janvier 2020, « le

greenwashing, c’est de la désinformation, un brouillage de la réalité et, compte tenu de

l’urgence climatique, nous n’avons plus de temps pour le baratin ou l’hypocrisie ».

389. Aujourd’hui, plusieurs contentieux liés au greenwashing climatique ont été

répertoriés1608. L’affaire sans doute la plus emblématique est celle mettant en cause le

constructeur automobile allemand Volkswagen ayant manipulé les tests anti-pollution de ses

véhicules diesel.

2. L’affaire Volkswagen

390. En septembre 2015, un gigantesque scandale des moteurs diesels aux logiciels

sciemment truqués est révélé par l’Agence de protection de l’environnement des États-Unis (ci-

après « EPA »). L’EPA a constaté que le groupe Volkswagen avait utilisé un logiciel capable

de tromper les contrôles sur les émissions polluantes de certains de ses moteurs diesel. Les

niveaux d’émissions réels étaient parfois 40 fois supérieurs aux niveaux autorisés. Le groupe

Volkswagen a admis avoir équipé du logiciel fraudeur plus de 11 millions de véhicules de ses

marques Volkswagen, Audi, Seat, Škoda et Porsche dans le monde entier. À la suite de ces

constatations, le Département de la Justice des États-Unis a ouvert une enquête à l’encontre du

constructeur allemand. Pour la violation du Clean Air Act, Volkswagen a encouru une amende

de 37 500 dollars par voiture, soit une amende totale de 18 milliards de dollars. En même temps,

la Federal Trade Commission (ci-après « FTC ») et plusieurs associations de protection des

consommateurs ont poursuivi Volkswagen au nom des consommateurs américains pour

publicité mensongère1609. La FTC estimait que les consommateurs américains ont subi des

« milliards de dollars de préjudice » en raison de ces publicités dans lesquelles Volkswagen

présentait ses modèles diesel comme peu polluants alors qu’il manipulait les tests d’émissions.

En annonçait un « clean diesel » (diesel propre) consommant moins que les modèles à essence,

Volkswagen épousait parfaitement la tendance écologique de l’époque mais trompait

1608 Par exemple, une étude australienne met en lumière six affaires où des entreprises ont été condamnées pour

avoir induit en erreur les consommateurs en leur faisant croire que leurs produits contribuent à l’atténuation ou à

l’adaptation aux changements climatiques : M. Wilensky, Climate Change in the Courts: An Assessment of Non-

U.S. Climate Litigation, 26 Duke Environmental Law & Policy Forum 131-179 (2015). Plus récemment, aux États-

Unis, l’État de Minnesota a intenté une action en justice contre les entreprises de l’industrie fossile auxquelles il

reproche d’avoir prétendument causé des dommages en lien avec le changement climatique et trompé le public en

minimisant la menace du changement climatique et le rôle de leurs produits dans le changement climatique : State

v. American Petroleum Institute, 62-CV-20-3837, Minn. Dist. Ct., 24 juin 2020. 1609 Federal Trade Commission v. Volkswagen, 3:16-cv-01534, N.D. Cal., 29 mars 2016.

Titre I. La responsabilité de l’entreprise en droit privé positif saisie par le changement climatique

382

l’ensemble des consommateurs. Les nombreuses actions collectives (class actions) aux États-

Unis, portant notamment sur la diminution des prix de revente pour les clients, la diminution

de la performance du moteur à la suite de la remise en état du système de contrôle et

l’augmentation de la consommation de carburant liée au débranchement du programme de

blocage, ont coûté cher au constructeur allemand, non seulement financièrement mais aussi en

termes d’image de marque.

Peu après la révélation de l’affaire, la France, l’Allemagne, l’Italie, la Norvège et

l’Espagne ont annoncé des enquêtes et des tests approfondis. De nos jours, le « Dieselgate » a

pris une dimension internationale qui dépasse la seule affaire Volkswagen1610. Un peu partout

dans le monde, des voix se sont élevés pour dénoncer les entreprises du secteur automobile

impliquées, à titre divers, dans la fraude. En France, des enquêtes judiciaires sont actuellement

en cours concernant le constructeur automobile Renault.

391. Gare au greenwashing face à la crise climatique1611. Les consommateurs sont

de plus en plus sensibles aux problématiques sociales et environnementales en général, et à la

problématique climatique en particulier. Au minimum, il est attendu des entreprises qu’elles

fassent preuve de loyauté. Ce genre de pratiques ne sont donc plus tolérées. De plus, les

entreprises ne doivent certainement pas négliger les risques juridiques qu’elles encourent en se

livrant à de telles pratiques. La qualification de pratique commerciale trompeuse n’est pas

exclue ; elle est, au contraire, parfaitement envisageable.

392. Par ailleurs, en droit français, la volonté de protéger le comportement du

consommateur au regard du phénomène de greenwashing a conduit le législateur à élargir

l’habilitation des associations de protection de l’environnement « à exercer les droits reconnus

à la partie civile en ce qui concerne les faits portant préjudice direct ou indirect aux intérêts

collectifs qu’elles défendent » et constituant une infraction aux dispositions environnementales,

à celles ayant pour objet la lutte « contre les pratiques commerciales et les publicités trompeuses

ou de nature à induire en erreur quand ces pratiques et publicités comportent des indications

environnementales »1612. Cette innovation textuelle est issue de l’article 229 de la loi Grenelle

21613. Sa portée doit être mesurée à l’aune de la jurisprudence qui jusqu’alors n’admettait pas

1610 A. Schumacher, « Le “Dieselgate” une histoire sans fin ? Éléments de réflexion sur l’Affaire Volkswagen »,

Allemagne d’aujourd’hui, vol. 227, n° 1, 2019, p. 81-95. 1611 Paris (AFP), « À Davos, gare au greenwashing face à la crise climatique », 23 janvier 2020. 1612 C. env., art. L. 142-2. 1613 Loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, JO, 13 juillet 2010.

Chapitre I. Diversité des régimes de responsabilité de l’entreprise mobilisables en matière climatique

383

l’incursion judiciaire de telles associations dans ce domaine. Le WWF avait ainsi succombé,

sur le terrain de la publicité mensongère, dans son action à l’encontre de Véolia. Son pourvoi

n’avait pas été accueilli par la Cour de cassation estimant que « la cour d’appel, après avoir

exactement énoncé qu’une association n’agit en défense d’intérêts collectifs qu’autant que

ceux-ci entrent dans son objet, puis relevé que celui de l’association était la protection de

l’environnement et la préservation des ressources naturelles, a retenu que sa demande, fondée

sur le droit de la consommation, visait à l’interdiction de la présentation publicitaire faite d’une

société commerciale, prétendue trompeuse ou de nature à induire en erreur ; que la critique de

l’irrecevabilité prononcée de l’action est dépourvue de tout fondement »1614. Comme l’a noté

un auteur, en permettant désormais aux associations de protection de l’environnement de

demander réparation, « et donc de mettre en évidence des comportements commerciaux

appréhendés par le code de la consommation, la loi opère ici une intéressante connexion entre

ces parties prenantes externes de l’entreprise (associations de protection des consommateurs

d’une part et de protection de l’environnement d’autre part) et donc entre les préoccupations

consumériste et écologique »1615.

393. Au-delà du droit de la consommation, c’est le droit pénal des affaires, et plus

précisément le droit boursier, qui pourrait être mobilisé dans le cadre d’actions en justice en

lien avec le changement climatique. On s’intéressa en particulier à la possibilité de réprimer la

diffusion sur les marchés financiers d’informations fausses ou trompeuses en lien avec le

changement climatique.

§2. L’application des infractions du droit pénal des affaires en matière climatique

394. Le droit boursier sanctionne pénalement la diffusion d’informations fausses ou

trompeuses sur les marchés financiers1616 (A). Cette infraction pourrait a priori trouver

application en matière climatique. Une entreprise qui communiquerait dans ses documents

comptables de fausses informations quant à ses émissions de gaz à effet de serre se rendrait

ainsi coupable du délit de diffusion d’informations fausses ou trompeuses (B).

1614 Cass. 1ère civ., 21 novembre 2006, n° 04-18.392. 1615 M.-P. Blin-Franchomme, « Le droit économique au soutien de la protection de l’environnement : les apports

de la loi Grenelle 2 à la gouvernance des entreprises et des consommateurs », Revue juridique de l’environnement,

vol. spécial, n° 5, 2010, p. 129-176, spéc. p. 148. 1616 Les marchés financiers permettent la circulation, le plus souvent organisée, des instruments financiers. Ils

offrent à ceux qui veulent vendre la possibilité de trouver des acheteurs et réciproquement.

Titre I. La responsabilité de l’entreprise en droit privé positif saisie par le changement climatique

384

A. La sanction de la communication d’informations fausses ou trompeuses

395. L’information financière est destinée à permettre à un investisseur potentiel de

se faire une opinion sur les caractéristiques des titres qui lui sont proposés. Elle joue un rôle

essentiel, voire vital, dans le fonctionnement des marchés financiers (1). Le fait de diffuser des

informations fausses ou trompeuses sur les marchés financiers est sanctionné pénalement (2).

1. Le rôle essentiel de l’information dans le fonctionnement des marchés financiers

396. L’information – fondement essentiel de la confiance1617 – joue un rôle

essentiel dans le fonctionnement des marchés. « Faisant figure de véritable “matière

première” pour un marché boursier »1618, elle est au cœur des préoccupations des acteurs et des

régulateurs des marchés d’instruments financiers1619. Les scandales de ces dernières années aux

États-Unis et en Europe concernant le gouvernement d’entreprise et la « créativité comptable »

de certaines entreprises ont provoqué une défiance des investisseurs, tout en mettant l’accent

sur le besoin de transparence et de fiabilité de l’information diffusée sur les marchés1620.

En 1993 déjà, Jean-Denis Bredin écrivait à propos de la transparence, avec beaucoup

de finesse, que c’est « un beau mot porteur de lumière », un mot qui paraît « assembler toutes

les vertus : la vérité, la clarté, la limpidité, la pureté même »1621. Dans le même temps, pour être

compatible avec les exigences de la vie sociale, la transparence doit être limitée à ce qui est

strictement nécessaire. En effet, la transparence totale n’est ni réaliste, ni souhaitable, ni même

légitime1622. Cette recherche d’équilibre est du ressort des autorités de régulation1623. Celles-ci

interviennent pour assurer une transparence réelle, tout en préservant la confidentialité et le

secret des affaires.

Comme le disait le Doyen Carbonnier, « le bien vient de la communication. Le mal

vient d’un défaut de communication, c’est-à-dire finalement d’un défaut de transparence »1624.

Sur les marchés financiers, la transparence se conjugue avec la confiance. Il est vrai que les

1617 P. Fleuriot, « L’information financière, instrument de confiance », Bulletin COB, n° 300, mars 1996, p. 7. 1618 F. Martin Laprade, « Contentieux boursier : abus de marché et autres manquements », Répertoire des sociétés,

Dalloz, septembre 2017 (mise à jour : décembre 2019), n° 24. 1619 É. Dezeuze et F. Bouaziz, « L’information financière du public et ses sanctions juridiques », LEGICOM, vol.

19, n° 3, 1999, p. 11-26. 1620 N. Rontchevsky, « Liberté d’expression et délits boursiers », Bull. Joly Bourse, 2001, p. 211. 1621 J.-D. Bredin, « Remarques sur la transparence », in « La transparence », RJ com., 1993 (n° spécial), p. 174. 1622 D. Schmidt, « Transparence et marchés financiers et boursiers », in « La transparence », RJ com., 1993 (n°

spécial), p. 168. 1623 L’Autorité des marchés financiers (AMF) en France. 1624 J. Carbonnier, « Propos introductifs », in « La transparence », RJ com., 1993 (n° spécial), p. 9.

Chapitre I. Diversité des régimes de responsabilité de l’entreprise mobilisables en matière climatique

385

investisseurs ne peuvent pas « essayer » les instruments financiers avant de les acquérir ; ils ne

peuvent pas les restituer, ni faire jouer utilement la garantie des vices cachés1625. Peuvent-ils

faire autrement que de faire confiance aux marchés financiers ? Ont-ils véritablement le choix ?

L’idée que ces marchés soient régulés se veut en partie rassurante. Malgré ses imperfections, la

régulation financière1626 permet de construire, de surveiller et de maintenir la transparence de

l’information diffusée sur les marchés financiers, afin d’en permettre un fonctionnement

efficace. Par ailleurs, la transparence assure l’égalité entre les investisseurs en contribuant à

limiter les asymétries d’information.

Ainsi le fait de répandre dans le public des informations fausses ou trompeuses

concernant un émetteur d’instruments financiers constitue-t-il un comportement de nature à

fausser le fonctionnement du marché, que le droit pénal permet de réprimer.

2. Le délit de diffusion d’informations fausses ou trompeuses sur les marchés financiers

397. Le droit français réprime la diffusion d’informations fausses ou trompeuses

sur les marchés financiers. La fausse information est d’ailleurs l’un des trois délits d’abus de

marché, avec l’opération d’initié1627 et la manipulation de cours1628. Le cadre répressif des abus

de marché a été réformé par la loi n° 2016-891 du 21 juin 20161629. Deux facteurs principaux

sont à l’origine de cette réforme. D’une part, dans une décision du 18 mars 2015, le Conseil

constitutionnel a condamné le cumul de poursuites et de sanctions pénales et administratives

pour les mêmes faits et imposé une refonte des dispositions du code monétaire et financier en

la matière avant le 1er septembre 20161630. D’autre part, à l’instar des autres États membres de

1625 N. Rontchevsky, « Principaux aspects de la transposition de la directive Transparence en droit français »,

Revue de droit bancaire et financier, janvier-février 2007, p. 47. 1626 A. Couret, « Régulation financière, sociétés cotées et sociétés non cotées », LPA, 2002, n° 110, p. 29. 1627 Désignée habituellement par le terme pénal de « délit d’initié », cette opération consiste pour une personne (un

« initié ») à réaliser des transactions sur le marché boursier grâce à des informations confidentielles dont elle

dispose avant que ces dernières n’aient été rendues publiques (« informations privilégiées »). 1628 Comme son nom l’indique, cette infraction consiste à manipuler le cours, c’est-à-dire à faire en sorte que celui-

ci s’établisse à un niveau « anormal » qui ne reflète pas véritablement l’état de l’offre et de la demande sur le

marché boursier. 1629 Loi n° 2016-819 du 21 juin 2016 réformant le système de répression des abus de marché, JO, 22 juin 2016.

Voy. sur cette loi : P.-H. Conac, « La loi du 21 juin 2016 réformant le système de répression des abus de marché »,

Bull. Joly Bourse, 2016, p. 323 ; É. Dezeuze et N. Rontchevsky, « La loi n° 2016-819 du 21 juin 2016 réformant

le système de répression des abus de marché », Revue trimestrielle de droit financier, no 3, 2016, p. 144. 1630 Cons. const., 18 mars 2015, n° 2014-453/454 QPC et 2015-462 QPC, M. John L. et a. [Cumul des poursuites

pour délit d’initié et des poursuites pour manquement d’initié], Dalloz actualité, 20 mars 2015, obs. J. Lasserre

Capdeville ; AJDA, 2015, p. 1191, étude P. Idoux, S. Nicinski et E. Glaser ; D., 2015, p. 894, note A.-V. Le Fur et

D. Schmidt ; ibid., p. 1506, obs. C. Mascala ; ibid., p. 1738, obs. J. Pradel ; ibid., p. 2465, obs. G. Roujou de

Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi et S. Mirabail ; AJ pénal, 2015, p. 172, étude C. Mauro ; ibid., p. 179,

étude J. Bossan ; ibid., p. 182, étude J. Lasserre Capdeville ; Rev. sociétés, 2015, p. 380, note H. Matsopoulou ;

RSC, 2015, p. 374, obs. F. Stasiak ; ibid., p. 705, obs. B. de Lamy ; RTD com., 2015, p. 317, obs. N. Rontchevsky.

Titre I. La responsabilité de l’entreprise en droit privé positif saisie par le changement climatique

386

l’Union européenne, la France avait jusqu’au 3 juillet 2016 pour transposer la directive

2014/57/UE du 16 avril 2014 relative aux abus de marché1631. Après accord en commission

mixte paritaire, le texte définitif de la proposition de loi a été adopté le 1er juin 2016 par

l’Assemblée nationale, puis le 8 juin 2016 par le Sénat. La loi du 21 juin 2016 modifie les

dispositions du code monétaire et financier (articles L. 465-1 et s. et L. 621-14 et s.) relatifs à

la répression des abus de marché. Elle consacre le principe non bis in idem dans le cadre de la

répression des abus de marché et met en place un mécanisme de coordination entre les autorités

pénales et l’AMF pour éviter un cumul de leurs actions répressives. Le montant des amendes

pénales encourues par les personnes reconnues coupables de telles infractions est augmenté afin

de l’aligner sur le montant maximum des sanctions pécuniaires pouvant être infligées par

l’AMF.

S’agissant de la répression du délit de diffusion de fausse information en matière

financière, sa définition est désormais prévue par le nouvel article L. 465-3-2 du code monétaire

et financier qui est ainsi rédigé : « I.- Est puni des peines prévues au A du I de l’article L. 465-

1 le fait, par toute personne, de diffuser, par tout moyen, des informations qui donnent des

indications fausses ou trompeuses sur la situation ou les perspectives d’un émetteur ou sur

l’offre, la demande ou le cours d’un instrument financier ou qui fixent ou sont susceptibles de

fixer le cours d’un instrument financier à un niveau anormal ou artificiel. II.- La tentative de

l’infraction prévue au I du présent article est punie des mêmes peines », à savoir cinq ans

d’emprisonnement et 100 millions d’euros d’amende, ce montant pouvant être porté jusqu’au

décuple du montant de l’avantage retiré du délit.

À la lecture de cet article, on s’aperçoit qu’il vise « toute personne », si bien que cette

infraction n’est pas cantonnée aux sociétés cotées et à leurs dirigeants. Il peut s’agir aussi d’un

concurrent1632. Son élément matériel1633 se commet par le fait de répandre dans le public une

information fausse (totalement contraire à la vérité1634) ou trompeuse (de nature à induire en

erreur1635) portant notamment sur les perspectives ou la situation d’un émetteur ou de ses titres.

Cette information doit être de nature à agir sur les cours. Quant au vecteur de diffusion employé,

ce dernier importe peu. Ainsi, l’AMF a pu s’intéresser à des interviews donnés par le dirigeant

1631 Directive 2014/57/UE du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 relative aux sanctions pénales

applicables aux abus de marché (directive relative aux abus de marché), JOUE L 173 du 12 juin 2014, p. 179-189. 1632 T. corr. Paris, 9 janvier 2004, Dr. sociétés, 2004, n° 69, note R. Salomon ; Bull. Joly Bourse, mai 2004, n° 59,

p. 255, note C. Ducouloux-Favard ; RTD com., 2004, p. 782, obs. N. Rontchevsky. 1633 L’incrimination en question est intentionnelle. Voy. Cass. crim., 23 mars 2011, n° 10-81.517, Droit des

sociétés, 2011, comm. 121, obs. R. Salomon. 1634 Voy. notamment : Cass. crim., 29 novembre 2000, n° 99-80.324, RTD com., 2001, p. 493, obs. N. Rontchevsky. 1635 Voy. notamment : Cass. crim., 4 novembre 2004, n° 03-82.777, Bull. Joly Bourse, mai-juin 2005, n° 79, p.

257, note N. Rontchevsky.

Chapitre I. Diversité des régimes de responsabilité de l’entreprise mobilisables en matière climatique

387

d’une société cotée à des journalistes présents sur internet1636. Il est toutefois souvent difficile

de démontrer que l’auteur de l’information savait ou aurait dû savoir que les informations

étaient inexactes, voire mensongères, à la date de leur diffusion.

398. Le délit de diffusion d’informations fausses ou trompeuses a été créé pour

protéger les décisions d’investissement des épargnants contre les « intoxications

informationnelles »1637. Dans quelle mesure peut-il trouver application en matière climatique ?

B. L’éventuelle application en matière climatique

399. Avant toute chose, il convient de rappeler que l’obligation de divulgation

d’informations environnementales, et spécialement climatiques, ne cesse de se densifier1638. Or

l’information en matière climatique s’adresse notamment aux investisseurs, de plus en plus

sensibles à ces questions. Cette information est capitale car elle participe de la protection de

leur investissement. Elle doit être fiable et refléter fidèlement la situation de l’entreprise

exposée aux risques liés au changement climatique. L’entreprise qui diffuse des informations

fausses ou trompeuses en matière climatique pourrait engager sa responsabilité (1). Deux

affaires intéressantes mettant en cause le géant pétrolier américain ExxonMobil sont à signaler

dans ce domaine (2).

1. La sanction de l’information fausse ou trompeuse en lien avec le changement climatique

400. Point n’est besoin d’insister sur la nécessité de communiquer aux investisseurs

actuels ou futurs des informations sur la manière dont l’entreprise appréhende le changement

climatique, et plus précisément sur la manière dont elle gère les risques financiers dérivant du

changement climatique. Il est désormais acquis que l’empreinte climatique des entreprises peut

avoir un impact à la fois sur leur valeur et sur leur pérennité. La diffusion d’informations

relatives à celle-ci est donc considérée comme primordiale, notamment par les actionnaires et

les investisseurs. Mais quelles sont précisément ces informations ? Il peut s’agir d’informations

1636 AMF sanct., 19 mai 2014, Société Risc Group et MM. B. Calvignac et G. Guillot. Voy. sur cette affaire : F.

Martin Laprade, « Affaire Risc Group : des dangers d’une communication approximative en période de crise »,

Bull. Joly Bourse, 2014, n° 9, p. 396. 1637 M.-P. Lucas de Leyssac et A. Mihman, Droit pénal des affaires, Economica, 2009, n° 731. 1638 Voy. supra : Première partie, Titre II, Chapitre II, Section 1, §1. L’obligation d’information en matière

climatique, spéc. n° 288 et s.

Titre I. La responsabilité de l’entreprise en droit privé positif saisie par le changement climatique

388

relatives aux émissions de gaz à effet de serre de l’entreprise, aux conséquences de ses activités

sur le climat, aux risques climatiques auxquels elle est exposée… Le droit français impose,

d’ailleurs, à certaines grandes entreprises d’indiquer, dans leur déclaration de performance

extra-financière1639, les postes significatifs d’émissions de gaz à effet de serre (scope 1, 2 et 3),

les mesures prises pour l’adaptation aux conséquences du changement climatique ainsi que les

objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre fixés volontairement à moyen et

long terme et les moyens mis en œuvre à cet effet. Lorsque la société est cotée, la déclaration

doit, de surcroît, contenir des indications sur les risques financiers liés aux effets du changement

climatique et la présentation des mesures que prend l’entreprise pour les réduire en mettant en

œuvre une stratégie bas-carbone dans toutes les composantes de son activité. Ce dispositif doit,

en principe, permettre de donner une image fidèle des performances de l’entreprise dans le

contexte du changement climatique. Rendue publique, la déclaration de performance extra-

financière peut conduire à des critiques sur la manière dont la société gère l’enjeu climatique,

voire, parfois, à un certain désinvestissement. Comme vu précédemment1640, cette obligation

d’information en matière climatique ressemble davantage à une obligation de dire plutôt qu’à

une obligation de faire. Ceci d’autant plus que la loi permet à l’entreprise de ne pas appliquer

de politique en ce qui concerne un ou plusieurs risques liés à son activité, du moment où la

déclaration de performance extra-financière comprend une explication claire et motivée des

raisons le justifiant.

401. Application de l’article L. 465-3-2 du code monétaire et financier en matière

climatique. La question se pose de savoir s’il est possible d’envisager une mise en cause de la

responsabilité pénale de l’entreprise, sur le fondement de l’article L. 465-3-2 du code monétaire

et financier, si celle-ci diffuse des informations fausses ou trompeuses en matière climatique.

La réponse à cette question doit être affirmative, quel que soit le support utilisé. En effet,

l’article L. 465-3-2 trouve application dès lors que l’entreprise répand dans le public une

information fausse ou trompeuse portant notamment sur ses perspectives de développement,

sur sa situation ou sur la situation de ses titres, et que cette information est de nature à agir sur

les cours. Or ces éléments peuvent être fortement impactés par les divers risques liés au climat.

En toute hypothèse, l’entreprise connaît ces risques et doit désormais assurer leur gestion. Elle

ne peut, par exemple, ignorer qu’une partie de son activité est menacée par le changement

1639 Voy. supra n° 290. 1640 Voy. surpa n° 296 et s.

Chapitre I. Diversité des régimes de responsabilité de l’entreprise mobilisables en matière climatique

389

climatique, pas plus d’ailleurs que les impacts des nouvelles réglementations en matière de lutte

contre le changement climatique.

402. Droit comparé. Signalons qu’en Australie, une action en justice avait été

engagée par deux actionnaires de la banque Commonwealth Bank of Australia (CBA) qui

reprochaient à cet établissement les insuffisances des informations communiquées en matière

climatique1641. Selon les actionnaires, le rapport financier annuel de la CBA ne donnerait pas

assez d’informations sur les risques pesant sur l’activité économique du fait du changement

climatique. Pourtant, ces risques pourraient sérieusement perturber la performance de

l’établissement bancaire. La CBA aurait donc dû informer les investisseurs des stratégies mises

en œuvre pour gérer ces risques afin qu’ils puissent prendre une décision éclairée concernant

leur investissement. En réaction à l’assignation en justice, la banque australienne a publié sur

son site un document intitulé « Climate Policy Position Statement » dans lequel elle reconnaît

la matérialité du changement climatique ainsi que les risques significatifs qu’il fait peser sur

son activité. Depuis, les actionnaires ont retiré leur plainte.

L’industrie fossile a également été concernée par ce type d’actions. Accusée d’avoir

menti à ses investisseurs et clients sur le réchauffement climatique, la compagnie pétrolière

américaine ExxonMobil a fait face récemment à deux procès.

2. Les procès contre ExxonMobil

403. Le « double discours » de la compagnie pétrolière. Selon le Climate

Accountability Institute, aux États-Unis, la compagnie pétrolière américaine ExxonMobil fait

partie du top trois des entreprises les plus polluantes au monde en termes d’émissions de

dioxyde de carbone. Elle a ainsi joué un rôle crucial dans la crise climatique, et ce, tout en étant

consciente des conséquences pour la planète. En effet, une enquête journalistique publiée en

2015 par le site Inside Climate News1642 a révélé que dès la fin des années 1970, les dirigeants

du géant pétrolier Exxon avaient connaissance non seulement de l’origine anthropique du

réchauffement climatique, mais aussi du fait que, « au rythme actuel de leur combustion, les

ressources fossiles provoqueront des effets environnementaux dramatiques avant 2050 ». Ce

texte, qui date de 1979, n’est pas l’œuvre d’une organisation écologiste ou

intergouvernementale, ou d’un gouvernement. Il a été produit par les scientifiques du pétrolier

1641 Federal Court of Australia, Abrahams v. Commonwealth Bank of Australia, 08/08/2017, VID879/2017. 1642 Voy. : https://insideclimatenews.org/content/Exxon-The-Road-Not-Taken.

Titre I. La responsabilité de l’entreprise en droit privé positif saisie par le changement climatique

390

Exxon1643 et fait partie d’une dizaine de documents internes, non destinés au public, dont la

révélation a permis de lever le voile sur le double discours que la compagnie pétrolière a tenu

jusqu’à la fin des années 1990. Alors qu’en interne, elle reconnaissait que le changement

climatique est un phénomène réel et causé par l’homme, dans les documents destinés au grand

public, elle exprimait systématiquement des doutes sur la réalité, la gravité et les origines

anthropiques d’un tel phénomène1644. À l’instar d’autres entreprises de l’industrie fossile,

ExxonMobil a ainsi participé à la construction du contre-savoir sur le changement climatique.

404. Les procès contre la compagnie pétrolière. ExxonMobil a récemment fait face

à deux procès, dont un est actuellement en cours.

Dans un premier procès new-yorkais, désormais clos, la question se posait de savoir si

ExxonMobil avait trompé ses investisseurs et délibérément sous-estimé les risques financiers

liés au changement climatique1645. La plainte avait été déposée en octobre 2018 par le procureur

général de l’État de New York, au nom de millions d’investisseurs américains lésés par la fraude

présumée de la compagnie, cotée au New York Stock Exchange. L’originalité de ce procès était

qu’il ne portait pas directement sur la contribution de l’entreprise pétrolière au réchauffement

climatique ou sur son niveau de connaissances. En revanche, le procureur général l’accusait

d’avoir trompé ses investisseurs sur la rentabilité de la société, à un moment où de plus en plus

de gouvernements imposent une réglementation stricte pour lutter contre le réchauffement

climatique. L’accusation relevait qu’ExxonMobil assurait dans ses documents officiels avoir

pris en compte une taxe carbone pour ces produits et ses activités. Mais dans les faits, les

scénarios utilisés en interne pour investir dans de nouveaux projets ne prenaient pas réellement

en compte les surcoûts dus à la réglementation climatique. Selon le procureur, cela a entraîné

des milliards de dollars de coûts supplémentaires et a abaissé significativement les retours sur

investissement d’activités très émettrices de gaz à effet de serre comme les sables bitumineux

en Alberta au Canada. Les dommages pour les investisseurs seraient compris entre 476 millions

et 1,16 milliard de dollars. Le procès s’était ouvert le 22 octobre 2019 devant la Cour suprême

de l’État de New York. Le 10 décembre 2019, la décision est tombée : l’affaire a été rejetée, le

1643 Exxon et Mobil ont fusionné en 1998. 1644 Dans une étude publiée le 23 août 2017 par la revue Environmental Research Letters, Geoffrey Supran et

Naomi Oreskes, deux historiens des sciences de l’Université Harvard, ont comparé ces documents confidentiels

rédigés par des chercheurs d’Exxon à ceux que le pétrolier destinait au grand public sur le réchauffement

climatique. Ils ont ainsi étudié plus de 150 documents scientifiques produits entre 1977 et 2014 et les

publirédactionnels publiés par le pétrolier dans le New York Times au cours de la même période. Voy. G. Supran

et N. Oreskes, « Assessing ExxonMobil’s climate change communications (1977–2014) », Environmental

Research Letters, vol. 12, n° 8, 2017, en ligne : https://iopscience.iop.org/article/10.1088/1748-9326/aa815f. 1645 People of the State of New York v. Exxon Mobil Corporation, 452044/2018, N.Y. Sup. Ct.

Chapitre I. Diversité des régimes de responsabilité de l’entreprise mobilisables en matière climatique

391

juge à la Cour suprême de l’État de New York, Barry Ostrager, a déclaré ExxonMobil non

coupable. Dans sa décision de 55 pages, le juge note que « le bureau du procureur a échoué à

prouver qu’ExxonMobil avait fait des déclarations inexactes ou des omissions sur ses pratiques

et ses procédures, qui auraient induit en erreur un investisseur raisonnable ». L’État de New

York n’a pas fait appel de la décision.

En outre, depuis le 24 octobre 2019, ExxonMobil fait face à une autre action en justice,

plus large, à l’initiative de l’État de Massachusetts1646. Dans une plainte faisant plus de 200

pages, la procureuse de cet État accuse le géant pétrolier d’avoir trompé non seulement les

investisseurs en sous-estimant l’impact du changement climatique sur ses activités, mais aussi

les consommateurs. Concrètement, ExxonMobil est accusé d’avoir prétendu, depuis 2007, que

ses projections à long terme intégraient les risques de durcissement des législations sur les

émissions polluantes, alors que ce n’était pas le cas. Il aurait intentionnellement menti à ses

investisseurs sur les risques financiers liés au climat. De plus, ExxonMobil se serait livré à des

pratiques de greenwashing, incitant les consommateurs à acheter ses produits pétroliers. L’État

de Massachusetts accuse l’entreprise de se livrer à des pratiques commerciales déloyales et de

faire de la publicité mensongère lorsqu’elle affirme que certains types d’huile et d’essence

vendus dans ses stations-service « réduisent les émissions », ou encore lorsqu’elle assure être à

la pointe des recherches sur les énergies propres.

405. Il est certain que, quelle qu’en soit l’issue, ce type de procès a pour effet de

mettre une pression accrue sur la manière dont l’industrie fossile communique au sujet de

l’environnement en général et du changement climatique en particulier, comme ce fut le cas

jadis pour l’industrie du tabac au sujet de la santé. Les actions en justice contre ExxonMobil

pourraient ouvrir la voie à des dizaines d’autres procès.

406. En résumé, dans le cadre de cette section, nous avons évoqué la responsabilité

pénale l’entreprise dans le contexte du changement climatique. En l’absence d’un texte

spécifique applicable à une infraction en liaison avec le changement climatique, il est difficile

d’imaginer que la responsabilité pénale puisse venir sanctionner les comportements les plus

graves en lien avec le changement climatique. Pour autant, la responsabilité pénale des

entreprises n’est pas totalement exclue. Certes, elle ne porte pas directement sur la contribution

des entreprises au réchauffement climatique. Ce que l’on pourrait leur reprocher est, en effet,

1646 Commonwealth v. Exxon Mobil Corporation, 19-3333, Mass. Super. Ct.

Titre I. La responsabilité de l’entreprise en droit privé positif saisie par le changement climatique

392

plus subtil. Elles peuvent être accusées d’avoir menti à leurs clients et investisseurs, se rendant

ainsi coupables du délit de pratiques commerciales trompeuses ou de diffusion d’informations

fausses ou trompeuses.

393

Conclusion du Chapitre I

407. Conclusion du Chapitre I relatif aux fondements juridiques de l’action en

responsabilité contre l’entreprise. Il y a peu de temps encore, la question d’une responsabilité

des entreprises en lien avec le changement climatique aurait paru incongrue. Les entreprises

étant moins encadrées par le régime international du climat, il était, en effet, difficile d’imaginer

qu’elles puissent être inclues dans une justiciabilité climatique. Pourtant, après les actions

dirigées contre les États, on voit désormais se développer des actions qui visent les acteurs

privés. Ces actions ont été l’objet de ce chapitre.

Sur le terrain civil, c’est tout d’abord la responsabilité extracontractuelle qui peut être

mobilisée dans le cadre de procès climatiques dirigés contre les entreprises. Cependant, qu’il

s’agisse de l’action « classique » fondée sur l’article 1240 du code civil ou de l’action en

réparation du préjudice écologique fondée sur l’article 1246 dudit code, on voit apparaître

d’importantes difficultés qui relèvent, pour l’essentiel, du domaine de la preuve. Il est, en effet,

très difficile de prouver la faute de l’entreprise qui est mise en cause, son implication dans un

phénomène par essence global, et le lien de causalité entre la faute de l’entreprise et le dommage

climatique. Ensuite, toujours sur le terrain civil, c’est la responsabilité contractuelle qui est de

plus en plus appelée à jouer un rôle dans la lutte contre le changement climatique. À travers

l’intégration dans les contrats de diverses clauses climatiques, les entreprises participent à

l’enrichissement des techniques de protection du climat. Il est pourtant vrai qu’à l’origine, l’idée

de ces clauses est moins d’atténuer le changement climatique pour le bien commun de tous que

de permettre à l’entreprise de gérer les risques climatiques auxquels elle est exposée (risques

financiers, risques liés à la perte de marchés, risques liés aux changements de réglementation,

risques de réputation…). Le non-respect de ces clauses, dès lors qu’elles existent, est sanctionné

par la mise en cause de la responsabilité contractuelle de l’entreprise défaillante. Cette

hypothèse n’est pas d’école dans un contexte où les clauses climatiques se multiplient,

notamment dans les contrats d’approvisionnement internationaux.

En matière pénale, une analyse de certaines infractions issues du droit de la

consommation ou du droit des affaires nous a montré que le contentieux climatique dirigé

contre les entreprises peut contenir des aspects importants de droit pénal. Cependant, il s’agit

alors de contentieux climatique « indirect ». En effet, les entreprises ne sont pas pointées du

doigt du fait de leur impact direct sur le changement climatique via leurs émissions de gaz à

effet de serre ; elles sont accusées d’avoir dissimulé l’impact réel de leurs produits sur le

394

changement climatique ou diffusé des informations fausses ou trompeuses sur leurs émissions

ou sur les risques liés au changement climatique.

Il est vrai qu’à l’heure où ces lignes sont écrites, aucune action en justice mettant

directement en cause une entreprise déterminée aux fins de la voir déclarer responsable pour sa

participation au réchauffement climatique n’a pu aboutir, que ce soit en matière civile ou en

matière pénale. Pour autant, cette situation ne doit pas décourager les acteurs de la justice

climatique. En effet, indépendamment de leur issue, ces actions en justice ont une portée

symbolique très grande. Or, comme l’a souligné le Professeur Trébulle, « il ne faut pas

minimiser cette force symbolique qui contribue de manière très déterminante à faire apparaître

la nécessité de changer de modèle : les doutes qui peuvent faire que la voie des recours soit sans

issue aujourd’hui préparent peut-être le succès des actions de demain »1647. Ceci d’autant plus

que les stratégies contentieuses des requérants ne cessent de se diversifier.

Mais au-delà de cette question, une chose est sûre : le changement climatique défie les

différents régimes de responsabilité, les met à l’épreuve. On peut même se demander si, dans

le contexte du changement climatique, ils continuent à remplir pleinement leur rôle.

1647 F.-G. Trébulle, « Responsabilité et changement climatique : quelle responsabilité pour le secteur privé ? », in

« Changement climatique et responsabilité. Quelles normativités ? » (Dossier), Énergie – Environnement –

Infrastructures, n° 8-9, août-sept. 2018, article 24.

395

Chapitre II. Défis posés par le changement climatique aux régimes de responsabilité de

l’entreprise

408. Comme toute crise, la crise climatique est révélatrice de toutes sortes de

faiblesses et fragilités. Elle est notamment révélatrice des faiblesses des voies classiques de

mise en cause de la responsabilité de l’entreprise. Il est vrai qu’avec le temps, les stratégies

contentieuses en matière climatique se diversifient. Les requérants puisent dans différents

domaines du droit des obligations à la charge des entreprises. Les fondements juridiques de

l’action en responsabilité contre l’entreprise sont multiples, néanmoins, les condamnations

sont, pour l’heure, pratiquement inexistantes. Par conséquent, devant la multiplication et la

diversification des dommages liés au changement climatique, il est légitime de se demander si

le droit de la responsabilité continue à remplir ses fonctions. Assurément, cette interrogation se

situe dans le prolongement de celle relative à la réforme du droit de la responsabilité civile,

actuellement envisagée en France1648.

Ainsi, sur le terrain civil, la question se pose de savoir si le droit de la responsabilité

civile, tel qu’on le connaît aujourd’hui, permet d’appréhender le phénomène du changement

climatique et de sanctionner les comportements dommageables pour le climat. Plus exactement,

il nous est paru légitime d’analyser le droit positif des atteintes au climat à l’aune des fonctions

indemnitaire et normative de la responsabilité civile1649, c’est-à-dire du point de vue des

victimes et de celui des auteurs de dommages en lien avec le changement climatique.

Aujourd’hui, le droit de la responsabilité civile est clairement en décalage avec le phénomène

de densification des obligations à la charge des entreprises en matière climatique. De nombreux

comportements dommageables pour le climat ne sont pas sanctionnés par la responsabilité

civile, si bien qu’elle ne remplit plus pleinement ses fonctions (section 1).

Quant à la responsabilité pénale des entreprises, son rôle dans le domaine climatique

demeure assez restreint1650. Plus largement, du fait de ses spécificités, le droit pénal paraît

inadapté au phénomène du changement climatique. En quelque sorte, il est bridé en raison de

certaines règles qui le caractérisent. Que l’on songe au principe de la légalité des délits et des

1648 Voy. J.-S. Borghetti, « Un pas de plus vers la réforme de la responsabilité civile : présentation du projet de

réforme rendu public le 13 mars 2017 », D., 2017, p. 770 ; M. Mekki, « Le projet de réforme du droit de la

responsabilité civile du 13 mars 2017 : des retouches sans refonte », Gaz. Pal., 2 mai 2017, p. 12 ; A.-S. Choné-

Grimaldi, « Le projet de réforme de la responsabilité civile : observations article par article », Gaz. Pal., 20 juin

2017, p. 16. 1649 Voy. pour une analyse similaire en matière d’« atteintes au vivant » : L. Neyret, Atteintes au vivant et

responsabilité civile, préf. C. Thibierge, L.G.D.J., 2006, p. 197-253. 1650 Voy. supra n° 378 et s.

Titre I. La responsabilité de l’entreprise en droit privé positif saisie par le changement climatique

396

peines, au principe d’interprétation stricte de la loi pénale, au principe de la responsabilité du

fait personnel, aux délais de prescription relativement courts et au fait que les poursuites sont

engagées essentiellement par le ministère public… En effet, nombreuses sont les insuffisances

du droit répressif à l’égard des atteintes au climat (section 2).

Section 1. Les fonctions de la responsabilité civile à l’épreuve du changement climatique

409. On attribue classiquement deux raisons d’être à la responsabilité civile : d’une

part, réparer les dommages, d’autre part, sanctionner les comportements illicites générateurs de

dommages. La première renvoie à la fonction indemnitaire1651 de la responsabilité civile et se

déploie au bénéfice de la victime du dommage, tandis que la seconde renvoie à la fonction

normative1652 de la responsabilité civile, qui est tournée vers le comportement de l’auteur du

dommage. Or comme l’écrivait Philippe Brun à propos de la constitutionnalisation de la

responsabilité pour faute, « il semble bien que la sanction de la faute et le droit à réparation de

la victime soient […] consubstantiels l’un à l’autre, et en tous cas irrémédiablement liés »1653.

Aujourd’hui, ces deux fonctions, qui constituent la « carte génétique »1654 de la

responsabilité civile, sont mises à l’épreuve par la multiplication et la diversification des

dommages liés au changement climatique. En matière climatique, la réparation des dommages

demeure, pour l’heure, assez hypothétique et ne concerne qu’une partie seulement de ces

dommages. Or la difficulté d’aboutir à des condamnations signifie par contrecoup l’absence de

sanction des comportements dommageables pour le climat. Il apparaît donc que le changement

climatique met à l’épreuve à la fois la fonction indemnitaire (§1) et la fonction normative (§2)

de la responsabilité civile.

1651 Voy. sur la fonction indemnitaire de la responsabilité civile : G. Viney, P. Jourdain et S. Carval, Traité de droit

civil, Les effets de la responsabilité, L.G.D.J., 4ème éd., 2017, n° 16. 1652 Voy. sur la fonction normative de la responsabilité civile : G. Viney, Traité de droit civil, Introduction à la

responsabilité, sous la dir. de J. Ghestin, L.G.D.J., 2ème éd., 1995, nos 39 à 45 ; Ph. Le Tourneau et L. Cadiet, Droit

de la responsabilité et des contrats, Dalloz, coll. « Dalloz Action », 2002, n° 22 ; S. Carval, La responsabilité

civile dans sa fonction de peine privée, préf. G. Viney, L.G.D.J., 1995 ; M. Mekki, « Les fonctions de la

responsabilité civile à l’épreuve des fonds d’indemnisation des dommages corporels », LPA, 2005, n° 8, p. 3. 1653 Ph. Brun, « La constitutionnalisation de la responsabilité pour faute », Resp. civ. et assur., juin 2003, p. 37. 1654 M. Mekki, « Le projet de réforme du droit de la responsabilité civile : maintenir, renforcer et enrichir les

fonctions de la responsabilité civile », Gaz. Pal., 14 juin 2016, p. 17.

Chapitre II. Défis posés par le changement climatique aux régimes de responsabilité de l’entreprise

397

§1. La fonction indemnitaire de la responsabilité civile à l’épreuve du changement

climatique

410. La fonction indemnitaire de la responsabilité civile a longtemps été présentée

comme sa fonction essentielle (A). En effet, l’objectif essentiel1655 poursuivi par la

responsabilité civile est la réparation des dommages. Pour autant, dans le domaine du climat,

l’absence de réparation des dommages liés au changement climatique participe d’une limitation

certaine du rôle d’indemnisation de la responsabilité civile (B).

A. La fonction indemnitaire, fonction essentielle de la responsabilité civile

411. Depuis la fin du XIXème siècle, la responsabilité civile a évolué pour faire face à

la multiplication des accidents liée à l’apparition de la « société du risque »1656. Avec le temps,

suivant un mouvement victimologiste1657, la fonction indemnitaire ou réparatrice1658 de la

responsabilité civile s’est imposée comme étant sa fonction principale. Cette fonction se

rapporte à l’idée que tout dommage doit être réparé selon le principe de la réparation intégrale

(1). À cet égard, on a d’ailleurs pu parler d’« idéologie de la réparation »1659. Aujourd’hui, la

fonction indemnitaire de la responsabilité civile fait l’objet d’une importante rationalisation (2).

1. La réparation du préjudice, l’« objet de la responsabilité »1660

412. La responsabilité civile vise, avant tout, à réparer le dommage causé à autrui,

dont un intérêt légitime a été lésé par un acte contraire au système juridique. En effet, selon la

formule d’un auteur, « c’est au système juridique de décider si un effet donné (du fait

générateur) est un mal ou un bien »1661. Le Doyen Carbonnier écrivait ainsi qu’« il faut réparer

le mal, faire qu’il semble n’avoir été qu’un rêve »1662.

1655 G. Viney, Traité de droit civil, Introduction à la responsabilité, op. cit., n° 36. 1656 U. Beck, La société du risque. Sur la voie d’une autre modernité, 1986, Flammarion, 2008. Voy. supra n° 8. 1657 L. Cadiet, « Sur les faits et les méfaits de l’idéologie de la réparation », in Le juge entre deux millénaires.

Mélanges offerts à Pierre Drai, Dalloz, 2000, p. 495-510. 1658 Ph. Le Tourneau, « Responsabilité : généralités », Répertoire de droit civil, Dalloz, mai 2009 (mise à jour :

février 2020), nos 8 à 14. 1659 L. Cadiet, « Sur les faits et les méfaits de l’idéologie de la réparation », op. cit., spéc. p. 502. 1660 Ibid., spéc. p. 496. 1661 T. Weir, « La notion de dommage en responsabilité civile », in Common law d’un siècle l’autre, sous la dir.

de P. Legrand, Montréal, Blais, 1992, p. 13 et s., spéc. p. 35. 1662 J. Carbonnier, Droit civil, Tome 4, Les obligations, PUF, coll. « Thémis », 22ème éd., 2004, p. 2253.

Titre I. La responsabilité de l’entreprise en droit privé positif saisie par le changement climatique

398

Progressivement, « le souci d’améliorer l’indemnisation des préjudices »1663 a

transformé le préjudice en « pierre angulaire »1664, en « Alpha et Omega »1665 du droit de la

responsabilité. Il est sans doute vrai que « jamais le concept de responsabilité n’a eu autant de

succès dans notre société (notre temps est paraît-il celui des responsables), et jamais la “soif de

réparation” n’a été aussi grande »1666.

La responsabilité civile engendre donc l’obligation, pour le responsable, de réparer le

dommage qu’il a indûment causé à autrui1667. C’est son « effet caractéristique »1668. Ainsi,

lorsque l’on dit que l’auteur d’un acte dommageable doit en répondre, on doit comprendre qu’il

doit indemniser la victime afin de rétablir l’équilibre1669 qui avait été rompu. Or la réparation

du dommage s’effectue selon le principe de la réparation intégrale1670. Que signifie ce principe ?

413. Principe de la réparation intégrale. Comme le rappelle régulièrement la Cour

de cassation, « le propre de la responsabilité civile est de rétablir aussi exactement que possible

l’équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime, aux dépens du responsable, dans la

situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable n’avait pas eu lieu »1671. Cette formule

est d’origine doctrinale1672. On dit classiquement que le principe de la réparation intégrale

commande de réparer « tout le préjudice, mais rien que le préjudice ». En conséquence, celui

qui est fondé à demander la réparation d’un dommage ne peut prétendre s’enrichir aux dépens

de celui qui en est l’auteur ou qui, substitué à lui, a vocation à supporter la réparation (on pense

aux mécanismes assurantiels). En ce sens, un auteur expliquait qu’en matière civile, « l’éthique

de la responsabilité impose la recherche d’une totale équité par laquelle la victime est

totalement indemnisée des dommages causés par le responsable, sans pour autant effectuer un

enrichissement de ce fait : l’accident ne saurait être le dé d’une loterie à qui perd, gagne. Le

1663 L. Cadiet, « Sur les faits et les méfaits de l’idéologie de la réparation », op. cit., spéc. p. 499. 1664 X. Pradel, Le préjudice dans le droit civil de la responsabilité, préf. P. Jourdain, LGDJ, 2004, n° 1. 1665 L. Cadiet, « Les métamorphoses du préjudice », in Les métamorphoses de la responsabilité, 6ème journée R.

Savatier, PUF, Paris, 1997, p. 37. 1666 Ph. Brun, « Rapport introductif », in La responsabilité civile à l’aube du XXIe siècle. Bilan prospectif, Colloque

7-8 décembre 2000, Chambéry, Resp. civ. et assur., hors-série, n° 6 bis, juin 2001, p. 4. 1667 Ph. Conte, P. Maistre du Chambon et S. Fournier (dir.), La responsabilité civile délictuelle, Presses

universitaires de Grenoble, 2015, p. 9. 1668 Ibid. 1669 Ph. Le Tourneau, La responsabilité civile, PUF, coll. « Que sais-je ? », 2003, p. 5. 1670 Voy. sur ce principe : Ch. Coutant-Lapalus, Le principe de la réparation intégrale en droit privé, préf. F.

Pollaud-Dulian, PUAM, 2002. 1671 Cass. 2ème civ., 28 oct. 1954, JCP, 1995, II, 8765, note R. Savatier ; RTD civ., 1955, 324, obs. H. Mazeaud et

L. Mazeaud. 1672 R. Savatier, Traité de la responsabilité civile en droit français, t. 2, L.G.D.J., 2ème éd., 1951, n° 601.

Chapitre II. Défis posés par le changement climatique aux régimes de responsabilité de l’entreprise

399

principe indemnitaire exige donc que l’indemnisation ne soit pas supérieure aux préjudices

subis »1673.

La Cour de cassation veille strictement à ce que les juges du fond respectent ce principe

sous ses trois aspects. Premièrement, le préjudice doit être totalement réparé1674. Ainsi, il

appartient aux juridictions du fond de réparer, dans les limites des conclusions des parties, le

préjudice dont elles reconnaissent le principe, et d’en rechercher l’étendue, dans l’exercice de

leur pouvoir souverain d’appréciation1675. Deuxièmement, si la victime ne doit pas subir de

perte en raison du fait dommageable, elle ne doit pas non plus en tirer profit. En d’autres termes,

« les dommages et intérêts alloués à une victime doivent réparer le préjudice subi sans qu’il en

résulte pour elle ni perte ni profit »1676. Enfin, troisièmement, le préjudice doit être évalué in

concreto1677, ce qui implique deux choses distinctes. D’une part, seules les conséquences

réellement subies par la victime à la suite du fait dommageable sont prises en considération.

D’autre part, le juge ne peut pas se borner à se référer à un barème ou à des règles préétablies1678.

Au demeurant, cela pourrait être contraire à l’interdiction faite aux juridictions de procéder par

voie générale ou réglementaire.

Dans tous les cas, la gravité du comportement de l’auteur du dommage n’est pas prise

en considération par le juge civil1679. D’ailleurs, elle ne l’est pas davantage par le juge pénal

saisi de l’action civile1680. La jurisprudence attribue donc à la responsabilité civile une simple

fonction réparatrice, qualifiée parfois de « compensatoire ». Comme le résume parfaitement un

auteur, avec la responsabilité civile, « il s’agit sinon de rétablir le statu quo ante, réparation au

sens strict, du moins de compenser ce qui ne peut être effacé ; le tout dans le respect du principe

de réparation intégrale »1681.

1673 Y. Lambert-Faivre, « L’éthique de la responsabilité », RTD civ., 1998, p. 1. 1674 Les formulations employées par la Cour de cassation sont très variées. Cass. crim., 20 août 1996, n° 95-84.139,

Bull. crim., n° 306 : « la réparation du préjudice subi par la victime d’une infraction doit être intégrale » ; Cass.

crim., 17 octobre 2000, n° 99-86.157, Bull. crim., n° 297 : « les juges doivent réparer intégralement le préjudice

résultant de l’infraction » ; Cass. 1ère civ., 1er juin 1999, n° 98-82.616, Bull. civ. I, n° 114 : « l’auteur d’un délit est

tenu d’en réparer entièrement les conséquences dommageables pour la victime ou ses ayants droit ». 1675 Cass. crim., 22 mars 2016, n° 13-87.650, Bull. crim., n° 87 ; AJ pénal, 2016, p. 320, note J.-B. Perrier ; RTD

civ., 2016, p. 634, obs. P. Jourdain. 1676 Voy. par exemple : Cass. 2ème civ., 5 juillet 2001, n° 99-18.712, Bull. civ. II, n° 135 ; Cass. 2ème civ., 23 janvier

2003, n° 01-00.200, Bull. civ. II, n° 20. 1677 Voy. N. Dejean de La Bâtie, Appréciation in abstracto et appréciation in concreto en droit civil français,

L.G.D.J., 1965, n° 337 et s. 1678 Voy. en ce sens : Crim. 4 février 1970, D., 1970, p. 333 : les juges « ne sauraient se référer, dans une espèce

déterminée, à des règles établies à l’avance pour justifier leur décision ». 1679 Cass. 2ème civ., 8 mai 1964, Bull. civ. II, n° 358 ; Cass. 1ère civ., 14 mai 1992, Bull. civ. I, n° 138. 1680 Cass. crim., 19 mai 2009, n° 08-82.666, Bull. crim., n° 96. 1681 M. Mekki, « Les fonctions de la responsabilité civile à l’épreuve du numérique : L’exemple des logiciels

prédictifs », 2019, en ligne : https://mustaphamekki.openum.ca/files/sites/37/2019/10/Les-fonctions-de-la-

responsabilite-civile-a-l.pdf, p. 1.

Titre I. La responsabilité de l’entreprise en droit privé positif saisie par le changement climatique

400

414. Préjudices réparables. C’est donc du dommage et du préjudice qui en résulte

pour la victime1682 que naît l’obligation de réparation pesant sur le débiteur responsable au titre

de l’un quelconque des régimes de responsabilité civile. Encore faut-il s’interroger sur l’étendue

de cette réparation. En réalité, les préjudices réparables peuvent être particulièrement

multiples1683. La réparation n’est intégrale que si l’ensemble des préjudices subis par la victime

qui présentent les caractères requis pour être juridiquement réparables ont bien été pris en

compte. De plus, le droit français n’instaure aucune hiérarchie entre les différentes sortes de

préjudices1684. Comme l’a soulevé le Professeur Mekki, l’idéologie de la réparation souhaite,

en effet, que la responsabilité civile soit le remède à tous les maux et qu’elle se montre

accueillante à l’égard de toutes les formes de préjudices1685. Pour l’auteur, il convient

néanmoins d’éviter l’écueil d’une réparation excessive des préjudices, dangereuse en raison de

ses éventuels effets pervers1686.

415. Certaines évolutions sont actuellement envisagées par le projet de réforme du

droit de la responsabilité civile afin notamment de rationnaliser1687 la fonction indemnitaire de

la responsabilité civile.

2. La fonction indemnitaire dans le projet de réforme du droit de la responsabilité civile

416. Projet de réforme du droit de la responsabilité civile. Le projet de réforme du

droit de la responsabilité civile présenté le 13 mars 2017 invite aujourd’hui à repenser ce

dernier. Multiples sont les raisons qui ont inspiré cette réforme. Elles sont tant exogènes, c’est-

à-dire relatives à la nécessité pour le droit de la responsabilité civile de s’adapter à son

environnement et aux évolutions de la société, qu’endogènes, c’est-à-dire propres à la matière.

Le droit de la responsabilité civile « constitue, pour l’observateur attentif, une sorte de

creuset dans lequel se fondent toutes les évolutions des sources du droit français et le renouveau

1682 Sur la différence entre dommage et préjudice, voy. infra n° 417. 1683 Voy. P. Jourdain, « Le préjudice et la jurisprudence », in La responsabilité civile à l’aube du XXIe siècle. Bilan

prospectif, Colloque 7-8 décembre 2000, Chambéry, Resp. civ. et assur., hors-série, n° 6 bis, juin 2001, p. 45 et s. 1684 Quoi qu’il est vrai que le projet de réforme du droit de la responsabilité civile du 13 mars 2017 semble attribuer

aux préjudices résultant d’un dommage corporel un régime plus favorable aux victimes. 1685 M. Mekki, « La place du préjudice en droit de la responsabilité civile. Rapport de synthèse », in La notion de

préjudice. Journées franco-japonaise à Tokyo, juillet 2009, coll. « Travaux de l’Association Henri Capitant »,

Bruylant, p. 151-200, spéc. p. 193. 1686 Sur ces questions, voy. M. Mekki, « La place du préjudice en droit de la responsabilité civile. Rapport de

synthèse », op. cit., spéc. p. 192-194. 1687 M. Mekki, « Le projet de réforme du droit de la responsabilité civile : maintenir, renforcer et enrichir les

fonctions de la responsabilité civile », op. cit.

Chapitre II. Défis posés par le changement climatique aux régimes de responsabilité de l’entreprise

401

de ses sources peut apparaître comme une illustration “en miniature” de celui des sources du

droit en général »1688. Ce droit se caractérise, en effet, par une forte propension au pluralisme

juridique1689, bien que la place centrale revienne sans doute à la jurisprudence. Se livrant à une

interprétation évolutive, les juges ont su revivifier ce droit, l’enrichir, le revitaliser. Mais dans

cette œuvre de construction jurisprudentielle, le droit de la responsabilité civile a parfois perdu

de sa cohérence1690. On a même été jusqu’à dire que ce droit est un « droit en miettes »1691 avec

la multiplication des régimes spéciaux dont certains sont hors du code civil. Ainsi, « pour que

le code civil redevienne le vecteur du droit commun, pour que la réforme du droit des

obligations ne soit pas une demi-mesure, pour que le droit soit en conformité avec son

environnement, la réforme du droit de la responsabilité civile s’imposait »1692.

Sans rentrer dans les détails du projet de réforme, nous relèverons quelques éléments

qui nous ont paru intéressants au regard de notre sujet, dans la perspective des développements

qui vont suivre. Notamment, nous verrons que ce projet de réforme opère une clarification des

principes qui gouvernent le droit de la réparation et instaure une amende civile visant à

sanctionner la faute lucrative.

417. Consécration de la distinction entre le dommage et le préjudice. Source de

multiples débats1693, la distinction entre le dommage et le préjudice est consacrée par le projet

1688 M. Lehot, Le renouvellement des sources internes du droit et le renouveau du droit de la responsabilité civile,

thèse, Université du Maine, 2001, n° 3, p. 15. 1689 Voy. sur le pluralisme juridique : L. Boy, J.-B. Racine, J.-J. Sueur (dir.), Pluralisme juridique et effectivité du

droit économique, Larcier, 2011 ; M. Delmas-Marty, Le pluralisme ordonné : Les forces imaginantes du droit,

Tome 2, Seuil, coll. « La Couleur des idées », 2006. Dans le domaine du droit de la responsabilité civile en

particulier, voy. M. Mekki, « Retour aux sources du droit de la responsabilité civile », Revue de droit d’Assas, n°

5, février 2012, p. 48 et s. 1690 C. Grare, Recherches sur la cohérence de la responsabilité délictuelle. L’influence des fondements de la

responsabilité sur la réparation, préf. Y. Lequette, Dalloz, coll. « Nouvelle Bibliothèque de Thèses », 2005. 1691 A. Tunc, « Le droit en miettes », in Archives de philosophie du droit, t. 22, La responsabilité, Sirey, 1977, p.

31 et s. 1692 M. Mekki, « Le projet de réforme du droit de la responsabilité civile : maintenir, renforcer et enrichir les

fonctions de la responsabilité civile », op. cit. 1693 Certains auteurs considèrent, en effet, que les deux termes peuvent être utilisés indifféremment. Voy. par

exemple : Y. Chartier, La réparation du préjudice, Dalloz, 1982, p. 1040, l’auteur renvoie à préjudice pour définir

le dommage ; voy. également : G. Cornu (dir.), et alii, Vocabulaire juridique, op. cit., voy. « Dommage » et

« Préjudice » : l’auteur explique que le dommage est encore appelé préjudice. À l’inverse, d’autres auteurs

privilégient une distinction selon laquelle « le dommage n’est pas l’équivalent mais la cause du préjudice » : M.

Le Roy, « La réparation des dommages en cas de lésions corporelles : préjudice d’agrément et préjudice

économique », D., 1979, p. 49. Voy. dans le même sens : Ph. Le Tourneau et L. Cadiet, Droit de la responsabilité

et des contrats, op. cit., n° 101 : « Une chose est la lésion, l’atteinte celle des corps (dommage corporel), des choses

(dommages matériels), des sentiments (dommage moral) ; autre chose sont les répercussions de la lésion, de

l’atteinte, répercussions sur le patrimoine, répercussions sur la personne de la victime, sur ses avoirs (préjudice

patrimonial) et sur son être (préjudice extrapatrimonial) ». In fine, il semble que la distinction ait trouvé un accueil

favorable dans la doctrine, malgré certaines réserves qui ont pu être exprimées. Selon un auteur, différencier les

deux notions « c’est, qu’on le veuille ou non, introduire un facteur de complexité dans l’appréhension des

conditions de la responsabilité, puisque cela revient à faire passer le nombre de celles-ci de trois (fait générateur,

Titre I. La responsabilité de l’entreprise en droit privé positif saisie par le changement climatique

402

de réforme du droit de la responsabilité civile. Ainsi, l’article 1235 du code civil définit le

préjudice comme la conséquence du dommage : « Est réparable tout préjudice certain résultant

d’un dommage et consistant en la lésion d’un intérêt licite, patrimonial ou extrapatrimonial ».

Par sa formulation générale (« tout préjudice »), le projet d’article 1235 s’inscrit dans la lignée

classique du droit français de la responsabilité civile qui admet la réparation de n’importe quel

préjudice à partir du moment où celui-ci revêt les caractères requis. En outre, en faisant

référence à la lésion d’un « intérêt légitime », le texte reprend l’exigence d’un intérêt « sinon

juridiquement protégé, du moins non contraire au droit »1694. Enfin, il consacre la summa divisio

constituée par la distinction des préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux, sans pour autant

en préciser le contenu respectif.

Contrairement à l’avant-projet de réforme, la règle générale ne fait plus mention au

caractère « individuel ou collectif » du préjudice. La suppression de la référence au préjudice

collectif1695 est probablement guidée par le souci de maintenir l’attractivité du droit français. Il

est sans doute plus prudent de ne pas ouvrir trop largement la voie à une consécration judiciaire

de préjudices collectifs, au-delà des cas prévus par le législateur. Comme il a été souligné par

la doctrine, une consécration générale des préjudices collectifs pourrait alimenter la confusion

entre l’intérêt collectif et l’intérêt général1696.

418. Consécration d’une amende civile. L’une des principales innovations de

l’avant-projet se trouve à l’article 1266-1 qui prévoit, en matière extracontractuelle, la

possibilité pour le juge de condamner l’auteur du dommage à payer une amende civile, si celui-

ci a délibérément commis une faute en vue d’obtenir un gain ou une économie1697. Cette

nouvelle disposition affirme une préférence pour l’amende civile, plutôt que pour des

dommages et intérêts punitifs, qualifiés parfois de « peine privée »1698. Son champ a été quelque

peu resserré au regard de la faute. En effet, l’article ne s’applique qu’à la faute lucrative

dommage, lien de causalité) à cinq (fait générateur, dommage, préjudice, plus deux relations causales : l’une entre

le fait générateur et le dommage, l’autre entre le dommage et le préjudice) » : F. Leduc, « Faut-il distinguer le

dommage et le préjudice ? : point de vue privatiste », Resp. civ. et assur., mars 2010, dossier 3. 1694 Ph. Brun, Responsabilité civile extracontractuelle, LexisNexis, 4ème éd., 2016, n° 176, p. 120. 1695 Voy. sur le préjudice collectif : C. Dreveau, « Réflexions sur le préjudice collectif », RTD civ., 2011, p. 249. 1696 Voy. notamment : M. Mekki, « La place du préjudice en droit de la responsabilité civile. Rapport de synthèse »,

op. cit., spéc. p. 176-179. 1697 N. Fournier De Crouy, « Consécration de la faute lucrative en droit commun : pourquoi ne dit-elle pas son

nom ? Regard porté sur la constitutionnalité et l’efficacité de l’article 1266-1 du projet de réforme de la

responsabilité civile », LPA, 2017, n° 223, p. 5. 1698 Voy. S. Carval, La responsabilité civile dans sa fonction de peine privée, préf. G. Viney, L.G.D.J., 1995 ; id.,

« Vers l’introduction des dommages et intérêts punitifs en droit français », RDC, 2006, p. 822 ; A. Jault, La notion

de peine privée, préf. F. Chabas, L.G.D.J., 2005.

Chapitre II. Défis posés par le changement climatique aux régimes de responsabilité de l’entreprise

403

commise en matière délictuelle, là où l’avant-projet de réforme du droit de la responsabilité

civile du 29 avril 2016 visait toute faute lourde, notamment lucrative.

Pourquoi cette préférence pour l’amende civile ? Les dommages et intérêts punitifs,

qui existent notamment dans les systèmes juridiques anglo-saxons1699, permettent de verser à

la victime, outre des dommages et intérêts venant compenser le préjudice subi, une somme

supplémentaire visant à punir le responsable compte tenu de la gravité de sa faute ou du profit

réalisé. Cette somme représente souvent un montant considérable, le but étant de dissuader les

auteurs de comportements fautifs. Associés à des mesures de publicité des condamnations, les

dommages et intérêts punitifs ont effectivement « une fonction d’exemplarité et de prévention

collective »1700. De lege lata, les dommages et intérêts punitifs sont cependant absents du droit

français. Comme l’exprime un auteur, « sous la forme qu’ils revêtent en Common law […], non

seulement les dommages-intérêts punitifs n’existent pas, mais ils sont formellement prohibés

par le droit français »1701. Les raisons à cela tiennent essentiellement à l’interdiction formelle

pour la victime de s’enrichir à l’occasion de son action en justice. Autrement dit, c’est le

principe de la réparation intégrale (tout le préjudice, mais rien que le préjudice) qui fait obstacle

à l’idée de dommages et intérêts punitifs. Pourtant, l’avant-projet de réforme du droit des

obligations du 22 septembre 2005, réalisé sous l’égide de Pierre Catala, suggérait de consacrer

la notion de dommages et intérêts punitifs. L’article 1371 de cet avant-projet était rédigé ainsi :

« L’auteur d’une faute manifestement délibérée, et notamment d’une faute lucrative, peut être

condamné, outre les dommages-intérêts compensatoires, à des dommages-intérêts punitifs dont

le juge a la faculté de faire bénéficier pour une part le Trésor public. La décision du juge

d’octroyer de tels dommages-intérêts doit être spécialement motivée et leur montant distingué

de celui des autres dommages-intérêts accordés à la victime ».

Le projet de réforme du 13 mars 2017 cherche à son tour à dissuader les justiciables

d’adopter des comportements antisociaux, mais sans consacrer les dommages et intérêts

punitifs, qui conduisent à un enrichissement de la victime. La solution trouvée – plus nuancée

– consiste donc à faire payer à l’auteur d’une faute lucrative une somme supplémentaire qui

1699 C. Jauffret-Spinosi,, « Les dommages et intérêts punitifs dans les systèmes de droit étrangers », LPA, 2002, n°

232, p. 8. 1700 P. Jourdain, « Rapport introductif », in Faut-il moraliser le droit français de la réparation du dommage ? À

propos des dommages et intérêts punitifs et de l’obligation de minimiser son propre dommage, Colloque 21 mars

2002, Faculté de droit de Paris 5, LPA, 2002, n° 232, p. 3 et s., spéc. p. 5. 1701 G. Viney, « Rapport de synthèse », in Faut-il moraliser le droit français de la réparation du dommage ? À

propos des dommages et intérêts punitifs et de l’obligation de minimiser son propre dommage, Colloque 21 mars

2002, Faculté de droit de Paris 5, p. 66 et s., spéc. p. 67.

Titre I. La responsabilité de l’entreprise en droit privé positif saisie par le changement climatique

404

bénéficie toutefois à la collectivité, et non à la victime. Autrement dit, l’amende civile obéit à

des modalités d’affectation spécifiques permettant une indemnisation indirecte.

Le projet d’article 1266-1 est composé de 5 alinéas qui détaillent le régime juridique

de l’amende civile. Cette amende est proportionnée à la gravité de la faute commise, aux

facultés contributives de l’auteur et aux profits qu’il en aura retirés. Elle ne peut être supérieure

au décuple du montant du profit réalisé. Si le responsable est une personne morale, notamment

une entreprise, l’amende peut être portée à 5 % du montant du chiffre d’affaires hors taxes le

plus élevé réalisé en France. Cette amende, qui n’est d’ailleurs pas assurable, est affectée au

financement d’un fonds d’indemnisation en lien avec la nature du dommage subi ou, à défaut,

au Trésor public. Elle se classe ainsi parmi les peines civiles publiques et ne présente donc pas

à ce titre les inconvénients de la peine privée1702.

Toutefois, l’amende civile connaît quelques limites qui sont inhérentes au mécanisme

même et qui peuvent affecter son efficacité. L’amende civile peut être prononcée à la demande

de la victime ou du ministère public. Le projet de réforme ne prévoit pas la possibilité pour le

juge de la prononcer d’office. Or le risque est que les victimes, notamment de préjudices de

faible ampleur, s’abstiennent d’agir en justice ou ne sollicitent pas le prononcé d’une amende

civile, faute de bénéficier de l’incitation que constituerait pour elles l’octroi de dommages et

intérêts dépassant le montant de leur préjudice1703.

419. On le voit bien, le projet de réforme du droit de la responsabilité civile vise à de

nombreux égards à rationnaliser la fonction indemnitaire de la responsabilité civile. Dans les

prochains développements, nous nous proposons d’étudier son étendue en cas de dommages

climatiques.

B. Les dommages climatiques et la fonction indemnitaire de la responsabilité civile

420. Qu’entendre par « dommages climatiques » ? Comme vu précédemment1704,

les dommages climatiques sont à la fois ceux du passé et ceux du futur. Des demandeurs

1702 À cet égard, un auteur a pu écrire que « l’introduction d’un tel instrument peut […] surprendre dans un texte

relatif à la responsabilité civile dans la mesure où il ne profite pas à la victime du préjudice. D’ailleurs, il aurait pu

être mis en œuvre en dehors de la responsabilité civile, le droit français connaissant déjà de nombreuses amendes

civiles ne relevant pas de cette institution […] » : J. Prorok, « L’amende civile dans la réforme de la responsabilité

civile. Regard critique sur la consécration d’une fonction punitive générale », RTD civ., 2018, p. 327. 1703 Voy. sur cette question : J.-S. Borghetti, « L’avant-projet de réforme de la responsabilité civile. Commentaire

des principales dispositions », D., 2016, p. 1442. 1704 Voy. supra n° 354-2.

Chapitre II. Défis posés par le changement climatique aux régimes de responsabilité de l’entreprise

405

peuvent ainsi réclamer la réparation des dommages qui sont déjà survenus à cause du

changement climatique. Que l’on songe ici à l’atteinte aux biens pouvant aller jusqu’à leur

disparation, ou encore aux mesures structurelles d’adaptation adoptées pour protéger les biens

et les personnes des inondations dues au changement climatique. Les demandeurs peuvent

également réclamer la réparation des mesures qui sont aujourd’hui nécessaires afin de

neutraliser, ou à tout le moins de maîtriser, les dommages climatiques futurs. De même, ils

peuvent réclamer la réparation des dommages économiques qui résultent de l’impossibilité

d’exercer leurs activités, voire des dommages moraux qui résultent de la nécessité de quitter

des lieux d’habitation. Les hypothèses sont infinies. Mais au-delà de ces dommages subis par

une ou plusieurs victimes à la suite d’une « atteinte au climat », il y a aussi la question de la

réparation de l’atteinte au climat à proprement parler.

421. Qu’entendre par « atteinte au climat » ? L’atteinte au climat, c’est l’atteinte à

la fonction écologique de l’atmosphère, c’est-à-dire au rôle joué par l’atmosphère au sein des

écosystèmes. Les atteintes au climat peuvent avoir des origines multiples. Néanmoins, dans le

cadre d’une étude sur la responsabilité juridique, seules les atteintes d’origine anthropique

seront concernées. Elles résultent, dès lors, du surplus d’émissions de gaz à effet de serre liées

aux différentes activités humaines.

422. Reste à savoir dans quelle mesure les préjudices résultant de dommages

climatiques sont-ils réparables et réparés. La fonction indemnitaire de la responsabilité civile

joue-t-elle pleinement son rôle face aux atteintes au climat (avec ou sans répercussions sur les

personnes ou sur les biens) lorsque ces atteintes sont causées par les entreprises ? (1) Par ailleurs

– et la question mérite d’être posée dans le prolongement des discussions sur le projet de

réforme du droit de la responsabilité civile –, est-il opportun de consacrer les dommages et

intérêts punitifs en matière climatique ? (2)

1. La réparation des préjudices résultant de dommages climatiques

423. La réparation des dommages climatiques. La question de savoir si le

dommage climatique est un dommage réparable en justice est un véritable casse-tête pour les

juristes, notamment lorsqu’il s’agit de l’atteinte au climat à proprement parler. Faute de pouvoir

individualiser les personnes affectées, on peut considérer que ce dommage « global » n’est fait

à « personne », comme on peut considérer qu’il est causé à « tous ». Une première difficulté

Titre I. La responsabilité de l’entreprise en droit privé positif saisie par le changement climatique

406

concerne donc le caractère personnel du dommage. Peut-on rendre une entreprise responsable

du fait du préjudice écologique qui résulte de ses émissions de gaz à effet de serre ? Rien ne s’y

oppose en théorie1705. L’action en réparation du préjudice écologique est envisageable en

matière climatique. Elle est ouverte notamment aux associations agréées ou créées depuis au

moins cinq ans. Toutefois, comme on l’a vu dans le chapitre précédent, la preuve de la faute de

l’entreprise et du lien de causalité est particulièrement délicate. De nombreuses questions se

posent. Sur quels fondements les recours peuvent-ils s’appuyer ? Le juge accepterait-il

d’extraire des normes invoquées des obligations positives à la charge de telle ou telle

entreprise ? Comment distinguer la part de responsabilité d’une entreprise en particulier ? Pour

l’heure, ces questions n’ont pas trouvé de réponse décisive. Elles sont pourtant déterminantes.

Les difficultés sont également présentes concernant l’action en réparation des

dommages climatiques avec répercussions sur les personnes ou sur les biens1706.

L’établissement de la causalité individuelle, qui permet d’imputer le dommage au défendeur,

est le problème central dans toutes les affaires climatiques mettant en cause des entreprises du

fait de leur contribution au phénomène du réchauffement climatique. Aucune action en justice

n’a encore abouti dans ce domaine.

Admettons que ces difficultés soient levées, que le préjudice soit prouvé et que le lien

de causalité soit établi. Réparer le préjudice nécessite d’évaluer correctement le dommage subi.

Or comment évaluer les dommages climatiques ?

424. L’évaluation des dommages climatiques. Les économistes soulignent

l’absence de consensus sur une norme de mesure des dommages climatiques : « En particulier,

il est impossible de mettre en rapport de manière non controversée des impacts1707 dans

différentes régions du monde, ou des impacts touchant des générations différentes, ou même

des impacts de natures différentes touchant les mêmes personnes […] Cette impossible

comparaison des dommages, est une limitation tout à fait indépassable des évaluations »1708.

De plus, certains dommages sont souvent très difficiles à évaluer en argent, puisque « la nature

n’a pas de prix ». Se pose dès lors la question de la possibilité et de l’opportunité de l’évaluation

économique.

1705 Voy. supra n° 363. 1706 Par exemple, dans l’affaire allemande Lliuya v. RWE, le requérant demandait la prise en charge par l’entreprise

d’une partie des travaux nécessaires à la mise en sécurité de sa maison, exposée à un risque imminent d’inondation.

Voy. supra n° 356. 1707 Comprendre : « dommages ». 1708 S. Hallegatte, « L’évaluation économique des dommages climatiques », La Météorologie, n° 52, février 2006,

p. 38-47, spéc. p. 44.

Chapitre II. Défis posés par le changement climatique aux régimes de responsabilité de l’entreprise

407

Juridiquement, pour ce qui touche aux préjudices affectant des personnes dans leurs

droits, les dommages climatiques peuvent être considérés comme n’importe quel dommage1709.

Il s’agit alors pour la responsabilité civile de rétablir cette personne dans une situation identique

à celle dans laquelle elle se trouvait avant la survenance du dommage. La réparation peut être

effectuée en nature ou par une compensation financière.

En revanche, les choses sont plus délicates s’agissant du préjudice écologique résultant

du surplus d’émissions de gaz à effet de serre1710. Les juges ne sont pas forcément armés pour

l’évaluer et les expertises peuvent être l’objet de controverses. Faute de dommages facilement

quantifiables, les indemnisations risquent d’être symboliques, comme c’est souvent le cas en

matière d’environnement. En cette matière, l’étude de la jurisprudence montre que les montants

alloués aux parties civiles sont à géométrie variable, mais ne sont jamais très élevés1711. Il arrive

même qu’un responsable soit condamné à payer au requérant un euro symbolique à titre de

dommages et intérêts1712. Or, comme le souligne le Professeur Neyret, « prononcer des

condamnations symboliques pour atteintes à l’environnement revient à refuser purement et

simplement d’évaluer le préjudice »1713. Et il en va de même en matière de climat. Certes,

donner un prix au climat n’est pas chose facile. Faut-il pour autant renoncer à la réparation ou

se contenter d’une réparation symbolique ? N’est-ce justement pas contraire au principe de la

réparation intégrale du préjudice ? Pour aller plus loin, au lieu de prononcer des réparations

symboliques, lesquelles sont – on le sait – fort peu dissuasives, ne faudrait-il pas, au contraire,

prononcer des sanctions fortes telles que l’amende civile voire les dommages et intérêts

punitifs ?

2. L’opportunité de la consécration des dommages et intérêts punitifs en matière climatique

425. Du fait de son domaine d’application circonscrit, on peut redouter une faible

efficacité en matière climatique de l’amende civile, telle qu’elle est envisagée par le projet de

réforme du droit de la responsabilité civile (a). La question se pose alors de savoir s’il ne serait

pas préférable l’introduire, en matière climatique, des dommages et intérêts punitifs (b).

1709 F. Ost, « La responsabilité civile, fil d’Ariane du droit à l’environnement », Droit et société, 1995, p. 281 et

s., spéc. p. 302. 1710 Voy. sur les difficultés d’évaluation du préjudice écologique pur : V. Ravit et O. Sutterlin, « Réflexions sur le

destin du préjudice écologique “pur” », D., 2012, p. 2681 ; voy. également : D. Gueye, Le Préjudice écologique

pur, Connaissances et Savoirs, 2016, p. 356, n° 460 : « […] en l’absence de valeur marchande des éléments

naturels et à défaut de références économiques sérieuses, l’évaluation monétaire est particulièrement délicate ». 1711 L. Neyret, « La réparation des atteintes à l’environnement par le juge judiciaire », D., 2008, p. 170. 1712 CA Pau, 17 mars 2005, n° 00/400632 ; CA Aix-en-Provence, 21 mars 2005, n° 534/M/2005. 1713 L. Neyret, « La réparation des atteintes à l’environnement par le juge judiciaire », op. cit.

Titre I. La responsabilité de l’entreprise en droit privé positif saisie par le changement climatique

408

a) L’efficacité redoutée de l’amende civile en matière climatique

426. Pour rappel, pour déclencher le mécanisme de l’amende civile tel que prévu par

le projet de réforme du 13 mars 2017, il faut démontrer l’existence d’une faute lucrative1714.

Dans sa thèse de doctorat dédiée à la question, Nathalie Fournier de Crouy propose de

considérer la faute lucrative comme « toute faute commise délibérément en vue d’un

enrichissement illicite et au préjudice d’autrui »1715. Quant au projet de réforme du droit de la

responsabilité civile, il propose de définir la faute lucrative à l’alinéa 1er de l’article 1266-1

comme celle « délibérément commise [...] en vue d’obtenir un gain ou une économie » (sans

faire référence au préjudice). En réalité, cette notion n’est pas nouvelle. On la retrouve déjà

dans un commentaire du premier avocat général de la Cour de cassation en 1971 : « Il est des

directeurs de publications spécialisées dans la révélation des secrets d’alcôve qui, avant de

publier une indiscrétion ou une photographie dont ils savent qu’elle leur vaudra un procès ou

une condamnation, consultent leur avocat sur le montant probable de cette dernière, et qui, après

avoir comparé cette évaluation à leur chiffre d’affaires, prennent allègrement la responsabilité

d’encourir les foudres quelque peu mouillées de la justice »1716. La faute lucrative est donc celle

dont les bénéfices tirés dépassent le préjudice causé. C’est une faute qui laisse à son auteur une

marge bénéficiaire suffisante pour ne pas le dissuader de la commettre1717. Elle est

nécessairement délibérée1718.

Compte tenu de l’insuffisance du principe de la réparation intégrale à appréhender

correctement les fautes lucratives1719, le mécanisme prévu par le projet de réforme doit être

approuvé. L’objectif poursuivi est tout à fait légitime : il s’agit de dissuader les comportements

des potentiels responsables qui se livrent à des calculs malveillants. Quelle serait cependant son

efficacité en matière climatique ? Force est de constater qu’elle ne peut être que relative. Le

domaine de l’amende civile étant limité à la faute lucrative, nombre de fautes graves ne pourront

1714 Voy. sur la faute lucrative : D. Fasquelle, « L’existence des fautes lucratives en droit français », LPA, 2002,

n° 232, p. 27 ; A. Garraud « La faute lucrative et sa sanction, ou l’ombre pénaliste sur les effets de la responsabilité

civile », LPA, 2017, n° 11, p. 5 ; J. Méadel, « Faut-il introduire la faute lucrative en droit français ? », LPA, 2017,

n° 77, p. 6 ; P.-D. Vignolle, « La consécration des fautes lucratives : une solution au problème d’une responsabilité

civile punitive ? », Gaz. Pal.,14 janvier 2010, p. 7. Voy. également les thèses dédiées à la question : R. Mésa, Les

fautes lucratives en droit privé, thèse, Université du Littoral-Côte d’Opale, 2006 ; N. Fournier de Crouy, La faute

lucrative, Economica, 2018. 1715 N. Fournier de Crouy, La faute lucrative, op. cit., p. 195. 1716 Note sous CA Paris, 13 février 1971, JCP G, 1971, I, 16774. 1717 B. Starck, H. Roland et L. Boyer, Droit civil. Les obligations. Responsabilité délictuelle, Litec, 5ème éd., 1996,

n° 1335. 1718 G. Viney, « Quelques propositions de réforme du droit de la responsabilité civile », D., 2009, p. 2944. 1719 R. Mesa, « L’opportune consécration d’un principe de restitution intégrale des profits illicites comme sanction

des fautes lucratives », D., 2012, p. 2754.

Chapitre II. Défis posés par le changement climatique aux régimes de responsabilité de l’entreprise

409

pas être prises en compte en l’absence d’intention de l’opérateur d’obtenir un gain ou une

économie. L’article 1266-1 se place sur le terrain de l’intention et non du résultat. En outre,

l’amende civile ne joue qu’en matière extracontractuelle, ce qui exclut une partie des litiges

potentiellement non négligeable. Enfin, nous avons vu que l’amende civile ne bénéficierait pas

à la victime du dommage climatique. On ne peut qu’espérer que ce facteur ne sera pas dissuasif

pour les requérants, notamment particuliers. À vrai dire, c’est plutôt une bonne chose que les

sommes soient reversées à des fonds d’indemnisation destinés à la lutte contre le changement

climatique.

427. L’amende civile a souvent été présentée comme une solution préférable à la

peine privée. Pourtant, il n’est pas certain qu’elle soit un substitut satisfaisant à l’absence de

dommages et intérêts punitifs1720. Dans un but de lutter contre le changement climatique, ne

doit-on pas essayer davantage de renforcer la logique préventive et punitive de la responsabilité

civile ? Les dommages et intérêts punitifs pourraient-ils mieux permettre de pallier les lacunes

de la réparation en matière climatique ?

b) Les vices et vertus de l’introduction des dommages et intérêts punitifs en matière climatique

428. Les vices. Il est vrai que le droit français s’oppose, a priori, à l’introduction des

dommages et intérêts punitifs, même si, officieusement, l’idée de peine privée n’y est pas

totalement absente1721. Le principe de la réparation intégrale interdit l’enrichissement de la

victime. Or dans le cadre des dommages et intérêts punitifs, les sommes obtenues lui sont

reversées. Les victimes sont ainsi incitées à agir en justice, mais cette incitation devrait être

modérée. En effet, « le système ainsi conçu s’exposerait au spectre de la société contentieuse et

à la recherche de profit des victimes ou de leurs avocats. Souvent, les entreprises se contentent

de répercuter la peine sur les prix. Ce sont alors les consommateurs qui supportent le poids de

la dette »1722. Un premier risque lié à l’introduction des dommages et intérêts punitifs consiste

donc en la répercussion sur les consommateurs des coûts de la condamnation de l’entreprise.

En outre, l’instrumentalisation de cet outil du droit de la responsabilité civile pourrait parfois

1720 M. Béhar-Touchais, « L’amende civile est-elle un substitut satisfaisant à l’absence de dommages et intérêts

punitifs ? », LPA, 2002, n° 232, p. 36. 1721 S. Carval, La responsabilité civile dans sa fonction de peine privée, op. cit. L’auteure cite notamment la

réparation du préjudice moral (n° 21) et l’action en concurrence déloyale sans preuve du préjudice (nos 127 et 128). 1722 M. Mekki, « La place du préjudice en droit de la responsabilité civile. Rapport de synthèse », op. cit., spéc.

p. 186-187.

Titre I. La responsabilité de l’entreprise en droit privé positif saisie par le changement climatique

410

menacer l’activité économique et l’emploi. Il vaudrait mieux rester prudent face au risque de

disparition de certaines entreprises auxquelles des sanctions trop lourdes seraient infligées.

« Trop de réparation tue la réparation » 1723, comme le résume parfaitement un auteur.

429. Les vertus. Plusieurs auteurs se prononcent en faveur de l’introduction en droit

français des dommages et intérêts punitifs1724. Cette sanction serait tout particulièrement utile

dans le domaine des dommages climatiques. On sait bien que les entreprises multinationales,

dont le chiffre d’affaires dépasse le PIB de certains États, ne craignent pas réellement les

sanctions juridiques que l’on peut prononcer à leur encontre. Les dommages et intérêts punitifs

présentent cet intérêt d’assurer la sanction de la personne responsable en complétant une

indemnisation souvent symbolique faute de dommage facilement quantifiable. L’idée est donc

de trouver une solution satisfactoire1725, propre à « expier » la faute commise. Par définition,

les dommages et intérêts punitifs représentent une somme considérable. En cela, ils sont un

moyen de dissuasion efficace. Or face à l’inaction massive des entreprises en matière de lutte

contre le changement climatique, nous avons peut-être besoin de ce type de mécanismes

dissuasifs.

430. Assurément, la vérité se situe quelque part au milieu. Les vices et vertus sont

multiples. Une chose est certaine : si les dommages et intérêts punitifs devaient être introduits

en matière climatique, une intervention législative serait absolument nécessaire, ainsi que

l’exigence minimale d’une faute grave.

431. En somme, en matière climatique, la responsabilité civile est loin de remplir sa

fonction indemnitaire, qui est pourtant présentée comme sa fonction essentielle. D’aucuns ont

pu ainsi écrire que la finalité indemnitaire de la responsabilité civile « montre des signes de

défaite dans le combat à mener »1726. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle on considère que

le contentieux climatique devrait pouvoir se développer plus aisément dans le domaine de la

1723 Ibid., spéc. p. 151. 1724 Voy. notamment : G. Viney, « Rapport de synthèse », op. cit. En matière d’environnement, voy. F.-G. Trébulle,

« Les fonctions de la responsabilité environnementale : réparer, prévenir, punir », in La responsabilité

environnementale. Prévention, imputation, réparation, sous la dir. de Ch. Cans, Dalloz, coll. « Thèmes et

commentaires », 2009, p. 17-44, spéc. p. 41. 1725 M. Mekki, « La réparation du préjudice écologique pur : pied de nez ou faux-nez ?, Gaz. Pal., 4 octobre 2016,

p. 26. 1726 M. Hautereau-Boutonnet, « Introduction », in Le changement climatique, quel rôle pour le droit privé ?, sous

la dir. de M. Hautereau-Boutonnet et S. Porchy-Simon, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2019, p. 1-22,

spéc. p. 14.

Chapitre II. Défis posés par le changement climatique aux régimes de responsabilité de l’entreprise

411

prévention que dans celui de la réparation civile1727. Dans ce même ordre d’idée, Yann Aguila

a écrit, à propos de la réparation des dommages environnementaux, qu’« en matière de

dommage environnemental, se poser la question de la réparation est déjà l’aveu d’un échec.

Parce que le dommage causé à la nature est souvent difficilement réparable, voire irréversible,

l’effort doit porter en priorité sur la prévention »1728. C’est dire que le moment est peut-être

venu de « réactiver » la fonction normative de la responsabilité civile que l’on avait sacrifiée

« sur l’autel de la réparation »1729.

§2. La fonction normative de la responsabilité civile à l’épreuve du changement

climatique

432. La fonction normative de la responsabilité civile, qui complète la fonction

indemnitaire, recouvre « une fonction morale de rétribution et une fonction sociale de

régulation »1730 (A). Elle vise ainsi, d’une part, à sanctionner les auteurs de comportements

fautifs, d’autre part, à définir de normes de conduite. La responsabilité civile est ici tournée vers

l’auteur du dommage. À travers la sanction des « comportements antisociaux »1731, elle

contribue à « moraliser les conduites individuelles »1732.

Mais cette fonction normative de la responsabilité civile est mise à l’épreuve

aujourd’hui par le défaut de réparation des dommages climatiques (B). Des comportements

dommageables pour le climat sont dépourvus de sanction, tandis que les obligations en matière

climatique ne cessent d’augmenter. Cette incohérence, qui est très marquée dans le domaine

climatique, illustre le besoin de restaurer la fonction normative de la responsabilité civile.

A. L’étendue de la fonction normative de la responsabilité civile

433. Moralement, la responsabilité civile assure le châtiment du responsable1733.

C’est ce que l’on appelle la « fonction morale de rétribution » de la responsabilité civile (1). La

1727 Ch. Huglo, Le contentieux climatique : une révolution judiciaire mondiale, Bruylant, 2018, p. 227 ; L. Neyret,

« La reconnaissance de la responsabilité climatique », D., 2015, p. 2278. 1728 Y. Aguila, « Dix propositions pour mieux réparer le dommage environnemental », Environnement et

Développement durable, n° 7, juillet 2012, dossier 2. 1729 S. Carval, La responsabilité civile dans sa fonction de peine privée, op. cit., p. 5. 1730 M. Mekki, « Les fonctions de la responsabilité civile à l’épreuve des fonds d’indemnisation des dommages

corporels », op. cit. 1731 A. Tunc, « Responsabilité civile et dissuasion des comportements antisociaux », in Aspects nouveaux de la

pensée juridique. Recueil d’études en hommage à Marc Ancel, Pedone, 1975, p. 407 et s. 1732 G. Ripert, La règle morale dans les obligations civiles, L.G.D.J., 4ème éd., 1949, n° 112 et s. 1733 Ibid.

Titre I. La responsabilité de l’entreprise en droit privé positif saisie par le changement climatique

412

fonction morale de rétribution justifie le rôle central de la faute. Or en sanctionnant la faute, le

droit de la responsabilité régule également les comportements. Elle revêt ainsi un aspect

positif1734 consistant à définir des normes de conduite garantes de la cohésion sociale (2).

1. La fonction morale de rétribution : la sanction des auteurs de comportements fautifs

434. Avant tout, la responsabilité civile est une sanction. Cette sanction – « ce trait

de temps où la règle pénètre dans la vie réelle »1735 – permet de s’assurer de l’effectivité de la

règle de droit. Comme l’écrivait Georges Ripert, « si la loi peut être impunément violée elle est

inutile, et permet seulement le mauvais exemple d’une désobéissance impunie »1736. Dans sa

fonction morale de rétribution, la responsabilité civile assure la sanction des auteurs de

comportements fautifs parce que ces comportements confinent à une faute intentionnelle (avec

une intention de nuire)1737 ou parce qu’ils sont dangereux (des erreurs humaines assimilables à

la négligence ou l’imprudence)1738.

435. Or, à travers la sanction, la responsabilité civile exerce un effet dissuasif sur les

potentiels auteurs de dommages, et contient les comportements considérés comme socialement

néfastes. À cet égard, Jean Carbonnier écrivait que, « même si le développement de l’assurance

lui enlève aujourd’hui une bonne part de son mordant, la crainte d’avoir à payer des dommages-

intérêts peut contribuer à rendre les conduites plus prudentes, plus diligentes, plus morales peut-

être »1739. Dans le même sens, Judith Rochfeld souligne qu’« en punissant efficacement l’auteur

d’un dommage ou en prévoyant une sanction efficace, on prévient d’autres actes du même type

car on le dissuade, ainsi que les tiers, de les perpétrer à l’avenir »1740. La responsabilité civile

permet ainsi, en quelque sorte, de réguler les comportements.

1734 L. Neyret, Atteintes au vivant et responsabilité civile, op. cit., p. 236. 1735 M. Mekki, « La place du préjudice en droit de la responsabilité civile. Rapport de synthèse», op. cit., spéc. p.

156. 1736 G. Ripert, Les forces créatrices du droit, L.G.D.J., 2ème éd., 1955, n° 128. 1737 A. Tunc, « Responsabilité civile et dissuasion des comportements antisociaux », op. cit., p. 409. 1738 Ibid., p. 412. 1739 J. Carbonnier, Droit civil, Tome 2, Les biens, les obligations, PUF, coll. « Quadrige », 2004, p. 2253, n° 1114. 1740 J. Rochfeld, Les grandes notions du droit privé, PUF, coll. « Thémis », 2ème éd., 2013, p. 489, n° 6.

Chapitre II. Défis posés par le changement climatique aux régimes de responsabilité de l’entreprise

413

2. La fonction sociale de régulation des comportements : la définition de normes de conduite

436. Socialement, la responsabilité civile exerce un rôle de régulation des

comportements. Sa fonction normative se décline ici en une fonction de dissuasion et une

fonction de prévention. La mise en œuvre de mesures punitives (amende civile, dommages et

intérêts punitifs) est, d’ailleurs, en ce sens. Dans le même esprit, la cessation de l’illicite1741,

consacrée par le projet de réforme du droit de la responsabilité civile du 13 mars 2017 à l’article

1266, est un moyen pour le juge d’agir sur la cause du dommage et de prévenir les préjudices

futurs. Le projet d’article 1266 dispose qu’« en matière extracontractuelle, indépendamment de

la réparation du préjudice éventuellement subi, le juge peut prescrire les mesures raisonnables

propres à prévenir le dommage ou faire cesser le trouble illicite auquel est exposé le

demandeur ». L’article 1279-6 prévoit expressément que ces dispositions sont applicables au

trouble illicite auquel est exposé l’environnement. On ne peut, évidemment, qu’approuver cette

référence formelle faite à l’utilisation de la cessation de l’illicite en matière environnementale.

La cessation de l’illicite agit sur le fait illicite, en supprimant la cause du dommage, et non le

dommage lui-même. Autrement dit, elle prend le mal à la racine et agit en amont sur le fait

illicite lui-même. Elle ne repose pas sur la condition d’un préjudice mais sur celle plus large de

trouble1742. Dans sa thèse consacrée à la cessation de l’illicite, Cyril Bloch écrit que « faire

cesser le fait générateur, c’est empêcher à plus forte raison qu’il ne fasse naître, pour l’avenir,

de nouveaux dommages. Il n’en reste pas moins qu’il ne s’agit plus simplement de réparer le

dommage mais de faire cesser le fait dans lequel il prend sa source »1743. Or, comme le souligne

le Professeur Mekki, « cette précision est fondamentale en droit de l’environnement puisqu’elle

se détache de toute exigence d’un préjudice et est uniquement motivée par la régulation des

comportements futurs et de leurs effets »1744. La cessation de l’illicite est d’une grande utilité

dans les contentieux environnementaux puisque le risque y est souvent certain alors même que

le préjudice n’est pas encore né.

1741 Voy. sur la cessation de l’illicite : C. Bloch, La cessation de l’illicite. Recherche sur une fonction méconnue

de la responsabilité civile extracontractuelle, préf. R. Bout, avant-propos Ph. le Tourneau, Dalloz, coll. « Nouvelle

Bibliothèque de Thèses », 2008. 1742 Le trouble peut être défini comme « la perturbation que le fait illicite est de nature à apporter aux intérêts

individuels ou collectifs de celui qui réclame la cessation » : C. Bloch, La cessation de l’illicite. Recherche sur

une fonction méconnue de la responsabilité civile extracontractuelle, op. cit., n° 384. 1743 Ibid., n° 127. 1744 M. Mekki, « La place du préjudice en droit de la responsabilité civile. Rapport de synthèse », op. cit., spéc. p.

188.

Titre I. La responsabilité de l’entreprise en droit privé positif saisie par le changement climatique

414

437. Par sa fonction de régulation sociale, la responsabilité civile cherche à convertir

les comportements au respect de la règle de droit et à la prudence, afin d’éviter qu’un dommage

ne se réalise. Servant de « guide » pour le « bon père de famille », pour la « personne

raisonnable »1745, elle maintient l’équilibre entre libertés et devoirs, et participe à la définition

de normes de conduite qui garantissent la cohésion sociale1746. Ces normes de conduite sont

donc le résultat d’un jeu d’équilibre entre, d’une part, les libertés garanties à chaque personne,

et, d’autre part, les devoirs qui pèsent sur chacun. Traditionnellement, on présente la

responsabilité civile comme indissociable du concept de liberté : « tout membre de l’humanité

entend agir librement […] mais accepte de répondre des conséquences de ses actes »1747.

Aujourd’hui, tout membre de l’humanité accepte aussi d’assumer les devoirs que la vie en

société lui impose. À première vue, la notion de devoir entre en contradiction avec celle de

liberté, dans la mesure où le devoir vient généralement s’opposer à la première impulsion.

Toutefois, être libre ne consiste pas tant à faire ce que l’on veut qu’à s’en donner les moyens,

ce qui passe nécessairement par l’intégration du devoir au processus de décision. Ainsi,

lorsqu’une personne agit librement, en connaissance de ses devoirs, elle adopte un

comportement qui pourra, le cas échéant, entraîner la mise en cause de sa responsabilité sur le

plan juridique. Encore faut-il que le comportement adopté soit illicite ou jugé anormal au vu

d’une « norme fondamentale de comportement »1748. En sanctionnant seulement certains

comportements, la responsabilité civile détermine des seuils de normalité, traduisant par ailleurs

les valeurs sociales dominantes1749.

438. Dans son Traité de droit civil, Geneviève Viney écrivait : « Que la responsabilité

civile soit un instrument de dissuasion des comportements antisociaux nuisibles à la société, la

plupart des auteurs l’admettent sur un plan très général, mais ils s’interrogent sur l’efficacité

réelle de cette fonction »1750. Et pour cause, car cette efficacité n’est pas tout à fait la même en

fonction du domaine considéré. Ainsi, dans le domaine climatique, on constate pour l’heure

une certaine immunité civile des différents auteurs d’atteintes au climat, et en particulier des

entreprises. Alors qu’elle aurait sans doute un rôle primordial à jouer, la responsabilité civile

n’est pas véritablement mise au service de la lutte contre le changement climatique.

1745 M. Mekki, « Les fonctions de la responsabilité civile à l’épreuve du numérique : L’exemple des logiciels

prédictifs », op. cit., p. 2. 1746 S. Carval, La responsabilité civile dans sa fonction de peine privée, op. cit., n° 196. 1747 Ph. Le Tourneau et L. Cadiet, Droit de la responsabilité et des contrats, op. cit., n° 21. 1748 M. Puech, L’illicéité dans la responsabilité civile extracontractuelle, L.G.D.J., 1974, n° 31 et s. 1749 Sur cette question, voy. infra n° 498. 1750 G. Viney, Traité de droit civil, Introduction à la responsabilité, op. cit., n° 40.

Chapitre II. Défis posés par le changement climatique aux régimes de responsabilité de l’entreprise

415

B. Les dommages climatiques et la fonction normative de la responsabilité civile

439. En matière climatique, la fonction normative de la responsabilité civile ne

semble pas jouer pleinement son rôle. Des conduites dommageables pour le climat sont

dépourvues de sanction (1). Pourtant, le besoin est grand de « moraliser » les comportements

des entreprises (2).

1. L’absence de sanction de comportements dommageables pour le climat

440. À l’heure où ces lignes sont écrites, aucune entreprise n’a vu sa

responsabilité engagée du fait de ses émissions de gaz à effet de serre. En théorie, divers

fondements peuvent être mobilisés à cet effet. En pratique, cependant, les requérants se heurtent

à de nombreuses difficultés, notamment sur le terrain probatoire. Il semble impossible,

aujourd’hui, de caractériser juridiquement la « faute climatique » d’une entreprise émettrice de

gaz à effet de serre. Ceci d’autant plus que de nombreuses activités particulièrement nuisibles

pour le climat demeurent parfaitement autorisées, pour ne pas dire encouragées par les pouvoirs

publics1751. Le cas échéant, ce qui pourrait lui être reproché, c’est de ne pas se conformer à une

obligation en lien plus ou moins direct avec le changement climatique. Que l’on songe ici à

l’obligation d’information en matière climatique1752, au devoir de vigilance1753 ou à l’obligation

de prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux1754. On demande alors aux

entreprises de se conformer à la législation en informant, de manière transparente, sur leurs

émissions de gaz à effet de serre, en établissant un plan de vigilance qui tient compte de la

problématique climatique, ou encore en obligeant les organes sociétaires à intégrer l’impact

climatique des activités de l’entreprise dans le processus de décision. Toutes ces obligations

n’ont pas pour effet, ni d’ailleurs pour objet, de faire diminuer les émissions d’une entreprise.

Pourtant, la cause principale du réchauffement climatique réside dans les émissions de gaz à

effet de serre. Sans aller jusqu’à dire qu’il existe un « droit de nuire »1755 en matière climatique,

1751 Voy. toutefois la loi n° 2017-1839 du 30 décembre 2017 mettant fin à la recherche ainsi qu’à l’exploitation

des hydrocarbures et portant diverses dispositions relatives à l’énergie et à l’environnement, JO, 31 décembre

2017. Pour une analyse des dispositions de cette loi, voy. supra n° 147. 1752 Voy. supra n° 278 et s., spéc. nos 289 et 290. 1753 Voy. supra n° 302 et s., spéc. nos 313 et 315. 1754 Voy. supra n° 340 et s. 1755 Voy. sur le droit de nuire : B. Starck, Essai d’une théorie générale de la responsabilité civile, considérée en

sa double fonction de garantie et de peine privée, préf. M. Picard, éd. L. Rodstein, 1947, p. 157-161 ; J. Karila de

Van, « Le droit de nuire », RTD civ., 1995, p. 533 : « le droit de nuire n’apparaît pas comme une simple liberté

pour laquelle ne se poserait que le problème matériel de son existence, il apparaît comme une prérogative dont les

contours sont bien définis et qui dispose d’une sécurité juridique grâce au pouvoir judiciaire ».

Titre I. La responsabilité de l’entreprise en droit privé positif saisie par le changement climatique

416

on constate que des comportements nuisibles pour le climat sont dépourvus de toute sanction.

Cela en dit beaucoup sur la capacité – ou l’incapacité – de la responsabilité civile à appréhender

ce phénomène.

Les exemples de droit comparé que nous avons étudiés1756 ne sont pas forcément plus

prometteurs. Les fondements mobilisés sont encore plus divers : troubles de voisinage, nuisance

publique, nuisance privée, atteinte à la propriété, négligence… Les stratégies contentieuses se

diversifient à mesure des échecs des actions en justice. Si « l’effectivité d’une sanction participe

à son effet de dissuasion »1757, l’absence de sanction des entreprises émettrices de gaz à effet

de serre accroît le sentiment d’impunité.

441. Pourquoi ces échecs ? Sans doute parce que le droit de la responsabilité civile,

en France comme en étranger, n’est pas adapté à la réparation de tels dommages. Comme l’a

résumé Stéphanie Porchy-Simon, « le droit de la responsabilité civile est connu pour sa très

grande adaptabilité aux évolutions sociales mais la réparation des conséquences des

changements climatiques par ce biais se heurte à une série d’obstacles qui pourraient certes être

palliés individuellement mais dont l’accumulation risque de constituer un obstacle

définitif »1758.

442. Par ailleurs, face aux limites de la responsabilité civile pour assurer la réparation

des dommages engendrés par le changement climatique, certains spécialistes en droit des biens

plaident pour l’adoption d’autres voies1759. Un auteur propose ainsi de « se saisir du problème

par l’autre bout, [à savoir] la propriété qui se trouve au terme du procès industriel et qui prend

pour objet ses fruits non voulus, les gaz à effet de serre »1760. L’auteur propose de consacrer

une « action en réattribution », qui serait le pendant de l’action en revendication, pour permettre

à quiconque d’exiger du propriétaire qu’il reprenne la maîtrise des gaz qu’il a indûment rejetés

dans l’atmosphère1761. La proposition est intéressante. En raisonnant en termes de propriété

plutôt que de responsabilité, on échappe aux deux écueils majeurs que sont le préjudice et la

1756 Voy. surpa nos 356 à 358. 1757 N. Fournier De Crouy, « Consécration de la faute lucrative en droit commun : pourquoi ne dit-elle pas son

nom ? Regard porté sur la constitutionnalité et l’efficacité de l’article 1266-1 du projet de réforme de la

responsabilité civile », op. cit. 1758 S. Porchy-Simon, « Droit de la responsabilité civile et changements climatiques », in « Quel droit pour sauver

le climat ? » (Rapport de recherche), sous la dir. de Mathilde Hautereau-Boutonnet, Université Jean Moulin Lyon

3, 2018, p. 20. 1759 W. Dross, « La propriété peut-elle sauver le climat ? », in « Quel droit pour sauver le climat ? » (Rapport de

recherche), sous la dir. de Mathilde Hautereau-Boutonnet, Université Jean Moulin Lyon 3, 2018, p. 11. 1760 W. Dross, « De la revendication à la réattribution : la propriété peut-elle sauver le climat ? », D., 2017, p. 2553. 1761 Ibid.

Chapitre II. Défis posés par le changement climatique aux régimes de responsabilité de l’entreprise

417

causalité : « On sait, en effet, que la garantie du droit de propriété est indifférente au dommage

que peut subir le propriétaire conséquemment à l’usurpation dont il est victime […] Dès lors,

symétriquement, il n’y a aucune raison non plus pour que l’absence de préjudice subi par le

demandeur puisse être un obstacle à son action tendant à ce que le propriétaire du gaz à effet

de serre en réintègre la maîtrise. L’absence de préjudice (ou de causalité) ne constitue donc ni

un obstacle procédural ni un obstacle de fond à l’action en réattribution »1762. Enfin, cette action

en réattribution aurait d’autres atouts par rapport à la responsabilité civile : « D’abord, parce

que la propriété est un droit imprescriptible, la réattribution doit l’être tout autant que la

revendication. Ensuite, et contrairement à la responsabilité civile […], elle n’a pas vocation à

se résoudre en dommages-intérêts. Le demandeur pourra exiger du défendeur qu’il reprenne

possession de ce qu’il a abandonné. Les moyens techniques de cette repossession sont connus,

qu’il s’agisse de stockages souterrains ou de pièges à carbone verts »1763.

443. Face aux dommages présents ou à venir dus aux activités rejetant des gaz à effet

de serre et participant au réchauffement climatique, que reste-t-il de la fonction morale de

rétribution de la responsabilité civile ? En vérité, pas grand-chose. Pourtant, la question de la

sanction des auteurs de ces activités est cruciale. Nous avons déjà souligné le besoin d’opérer

un retour au droit à chaque fois que les autres modes de régulation s’avèrent défaillants ou

insuffisants. C’est précisément le cas en matière climatique. La responsabilité civile a tout son

rôle à jouer, par le biais de sa fonction normative, dans le processus de moralisation des

comportements des émetteurs de gaz à effet de serre.

2. La nécessité de moraliser les comportements des entreprises émettrices de gaz à effet de

serre

444. Positivement, la responsabilité civile définit des normes de conduite. En théorie,

le simple risque de mise en cause de la responsabilité participe déjà à ce processus de

moralisation des comportements. Aujourd’hui, les entreprises sont de plus en plus interpellées

par la société civile sur la question de la prise en considération du réchauffement climatique

dans le cadre de leurs activités. Que l’on songe par exemple au groupe Total qui a été assigné

en justice en janvier 2020 pour « inaction climatique »1764. Aux quatre coins du monde, les

1762 Ibid. 1763 Ibid. 1764 M. Hautereau-Boutonnet, « Première assignation d’une entreprise pour non-respect de son devoir de vigilance

en matière climatique : quel rôle préventif pour le juge ? », D., 2020, p. 609. Voy. supra n° 302.

Titre I. La responsabilité de l’entreprise en droit privé positif saisie par le changement climatique

418

actions en justice dirigées contre les entreprises se multiplient. De manière générale, on constate

néanmoins que le droit de la responsabilité civile est plutôt mobilisé au titre du préventif que

du curatif. Il s’agit surtout de rappeler à l’ordre les entreprises qui n’agissent pas en matière

d’atténuation du changement climatique, indépendamment de toute indemnisation. Certes, cette

fonction de prévention de la responsabilité civile est particulièrement utile dans le domaine du

changement climatique. Il est même souhaitable qu’elle soit développée à l’avenir1765, par

exemple en permettant aux juges d’imposer aux entreprises d’adopter des mesures préventives.

Pour l’heure, cependant, elle ne semble pas exercer les effets souhaités sur les comportements

des entreprises. D’autres facteurs sont beaucoup plus déterminants : les médias, l’image dans

l’opinion publique, l’image auprès des investisseurs. La responsabilité civile est passée au

second plan, elle est devenue un risque à gérer de second degré. Cela s’explique en partie par

le fait qu’il n’existe aucune obligation véritable à la charge des entreprises de ne pas émettre

d’émissions, ni même de moins émettre. Cette obligation, il faut la déduire des obligations de

rendre des comptes, de prendre des mesures appropriées, de prendre en considération, de faire

preuve de vigilance… Partant, la responsabilité civile n’exerce pas véritablement sa fonction

normative face aux dommages climatiques.

445. En résumé, le changement climatique pose de multiples défis au droit de la

responsabilité civile. Premièrement, il convient de rationnaliser la fonction indemnitaire de la

responsabilité civile afin d’assurer la réparation des préjudices résultant de dommages

climatiques. Deuxièmement, il convient d’intensifier sa fonction normative afin de permettre à

la responsabilité civile de jouer son rôle dans la régulation des comportements dommageables

pour le climat. Enfin, troisièmement, il est nécessaire de renforcer le rôle préventif de la

responsabilité civile, en particulier dans le domaine climatique. En effet, il est désormais

primordial d’anticiper sur la réalisation des dommages climatiques par des mesures de

prévention. Ces mesures s’imposent d’autant plus que le risque d’irréversibilité s’accroît.

Comme l’affirme le Professeur Trébulle, « la responsabilité peut – et doit – conduire à

appréhender non pas un dommage qui n’existe pas encore, mais le dommage dans sa dimension

dynamique et, à chaque fois que cela est possible, elle doit permettre d’obtenir que le dommage

soit empêché et que les conséquences de l’existence du risque soient prises en compte »1766.

1765 M. Hautereau-Boutonnet et L. Canali, « Jalons pour une responsabilité civile climatique préventive », 2018,

en ligne : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01875905/document. 1766 F.-G. Trébulle, « Les fonctions de la responsabilité environnementale : réparer, prévenir, punir », in La

responsabilité environnementale. Prévention, imputation, réparation, sous la dir. de Ch. Cans, Dalloz, coll.

« Thèmes et commentaires », 2009, p. 17-44, spéc. p. 37.

Chapitre II. Défis posés par le changement climatique aux régimes de responsabilité de l’entreprise

419

446. Au-delà du droit de la responsabilité civile, le changement climatique défie

également le droit répressif. Celui-ci semble inadapté au phénomène du changement climatique,

bridé en fonction de certaines règles qui le caractérisent, inefficace. Il est pourtant tentant de

rechercher dans la responsabilité pénale des outils permettant de responsabiliser les acteurs face

au changement climatique.

Section 2. Les insuffisances du droit répressif à l’égard des atteintes au climat

447. En droit français, la répression des comportements antisociaux est

essentiellement assurée par le droit pénal. Ce dernier vise à punir les troubles causés à l’ordre

social et à rétablir cet ordre social. On pourrait penser qu’en matière climatique, comme

d’ailleurs plus généralement en matière environnementale, la responsabilité pénale est plus

adaptée étant donné la difficulté d’évaluation des dommages. Mais la matière environnementale

témoigne justement des difficultés qu’éprouve le droit pénal à appréhender les dommages sans

répercussions sur les personnes (§1). Ces difficultés sont encore exacerbées lorsqu’il s’agit de

réprimer des comportements nuisibles pour le climat1767. En droit positif, aucun texte spécifique

n’est applicable à une infraction en liaison avec le changement climatique. Le droit pénal paraît

totalement inadapté en raison de ses spécificités (§2).

§1. La difficile appréhension des atteintes à l’environnement par le droit pénal

448. Malgré l’existence d’une multitude d’infractions spécifiques en matière

environnementale, on peut douter de la capacité du droit pénal à prévenir et réprimer toutes les

pratiques susceptibles de porter atteinte à l’environnement. Pour l’heure, il n’existe pas

d’incrimination générale en la matière (A). Le crime d’écocide n’est pas non plus reconnu,

malgré les nombreuses propositions en ce sens (B).

1767 Sur la mobilisation de la responsabilité pénale dans le cadre de contentieux climatiques « indirects », voy.

supra n° 378 et s. Nous avons pu identifier un certain nombre d’infractions du droit de la consommation et du

droit des affaires qui pourraient trouver application dans le cadre de procès climatiques dirigés contre les

entreprises. Cependant, ces procès ne visent pas à engager la responsabilité des entreprises à réparer les dommages

climatiques ; ils visent à condamner leur comportement négligeant, déloyal, frauduleux.

Titre I. La responsabilité de l’entreprise en droit privé positif saisie par le changement climatique

420

A. L’absence d’incrimination générale en matière d’atteintes à l’environnement

449. Face à la dégradation de l’environnement, un droit pénal de l’environnement1768

s’est construit progressivement. Ce droit peut se définir comme « l’ensemble des dispositifs

répressifs mis en place pour protéger les différents éléments qui composent l’environnement en

sanctionnant les activités humaines qui les menacent et/ou les dégradent »1769. Il se caractérise

par « une grande dispersion des textes, une multiplicité d’incriminations spéciales [et] une

inadaptation de certaines sanctions prononcées par le juge répressif »1770.

Cette abondance de textes spéciaux est perçue comme une source de lacunes et de

confusions1771, et critiquée à ce titre par la doctrine. Ainsi, Michel Prieur regrette que les

pouvoirs publics répondent « au coup par coup aux atteintes nouvelles à l’environnement sans

envisager une incrimination globale qui aurait trouvé sa place dans le code pénal »1772. D’autres

auteurs proposent également d’étendre le domaine du droit pénal au-delà des seuls intérêts des

sujets de droit, en créant une incrimination générale en matière d’atteintes à l’environnement.

Cette idée n’est pas nouvelle. En 1994, Mireille Delmas-Marty préconisait déjà de reconnaître

que « commet le délit de pollution quiconque, sans justification d’intérêt social, commet par

incurie, ou dans un but lucratif, une action ayant pour effet, soit de modifier de façon grave et

irréversible l’équilibre écologique, soit de porter atteinte à la santé de l’homme ou aux

possibilités de vie animale en provoquant une altération essentielle du sol, de l’eau ou de

l’air »1773. Cependant, telle n’a pas été pas la voie choisie par le droit pénal français qui s’est

orienté davantage vers la multiplication des incriminations spéciales1774.

Plus récemment, la question s’est posée de savoir s’il ne fallait pas consacrer dans le

code pénal le crime d’écocide.

1768 J.-H. Robert et M. Rémond-Gouilloud, Droit pénal de l’environnement, Masson, 1983 ; J.-H. Robert, « Droit

pénal et environnement », AJDA, 1994, p. 583 ; D. Guihal, J.-H. Robert et Th. Fossier, Droit répressif de

l’environnement, Economica, 4ème éd., 2016 ; voy. également : C. Courtaigne-Deslandes, L’adéquation du droit

pénal à la protection de l’environnement, A.N.R.T., 2010. 1769 M.-J. Littmann-Martin, « Le droit pénal français de l’environnement et la prise en compte de la notion

d’irréversibilité », in « L’irréversibilité », Revue juridique de l’environnement, n° spécial, 1998, p. 143-158, spéc.

p. 143. 1770 M. Prieur, Droit de l’environnement, Dalloz, coll. « Précis », 7ème éd., 2016, p. 1089. 1771 S. Carval, La responsabilité civile dans sa fonction de peine privée, préf. G. Viney, L.G.D.J., 1995, n° 262. 1772 M. Prieur, Droit de l’environnement, op. cit., p. 1089. 1773 M. Delmas-Marty, Pour un droit commun, Seuil, 1994, p. 281. 1774 Notons que la plupart des peines encourues du fait des atteintes à l’environnement sont des contraventions. Un

seul crime a été institué : le crime de « terrorisme écologique ». Défini à l’article 421-2 du code pénal, il punit de

vingt ans de réclusion criminelle et de 350 000 euros d’amende le fait d’introduire dans l’atmosphère, sur le sol,

dans le sous-sol, dans les aliments ou dans les eaux une substance de nature à mettre en péril la santé de l’homme

ou des animaux ou le milieu naturel, dans le but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la

terreur.

Chapitre II. Défis posés par le changement climatique aux régimes de responsabilité de l’entreprise

421

B. La proposition de consécration du crime d’écocide

450. Proposition de loi portant reconnaissance du crime d’écocide. Le crime

d’écocide1775 viserait à punir spécifiquement les atteintes les plus graves à l’environnement qui

détruisent de manière irréversible1776 la planète et qui sont commises de manière délibérée1777.

L’irréversibilité qualifie des actes « dont les effets sur l’environnement ne peuvent être réparés

par la nature ou par des mesures techniques », et qui entraînent « des dégâts auxquels il est

impossible de remédier ou qui ne sont réparables qu’à très long terme »1778. Le caractère

irréversible de certaines atteintes à l’environnement justifie, pour certains, la consécration en

droit pénal français du crime d’écocide.

Une proposition de loi portant reconnaissance du crime d’écocide a ainsi été déposée

le 19 mars 2019. Elle visait à inscrire le crime d’écocide dans le code pénal, dans un nouvel

article 230-1. La définition proposée du crime d’écocide s’inspirait de celle qui figure à l’article

211-1 du code pénal relatif au génocide. L’écocide était défini comme « le fait, en exécution

d’une action concertée tendant à la destruction ou la dégradation totale ou partielle d’un

écosystème, en temps de paix comme en temps de guerre, de porter atteinte de façon grave et

durable à l’environnement et aux conditions d’existence d’une population ». S’il était consacré,

l’écocide aurait été passible de vingt ans de prison et imprescriptible, toujours par analogie avec

le génocide. Toutefois, le 2 mai 2019, cette proposition de loi a été rejetée par le Sénat1779. La

commission des lois a qualifié le texte de « juridiquement fragile »1780. Elle a regretté le flou de

certaines notions contenues dans la définition de l’écocide, notamment celle d’« écosystème »,

d’« atteinte grave et durable » et de « conditions d’existence d’une population ». De plus, il a

été rétorqué que cette nouvelle incrimination « donne l’impression qu’une entreprise dont

1775 Voy. sur le crime d’écocide : L. Neyret, « Libres propos sur le crime d’écocide : un crime contre la sûreté de

la planète », in Pour un droit économique de l’environnement. Mélanges en l’honneur de Gilles J. Martin, Éditions

Frison-Roche, 2013, p. 411 ; A. Gogorza, « Existe-t-il un crime international écologique ? », in La protection

pénale de l’environnement, Travaux de l’Institut de sciences criminelles et de la justice de Bordeaux, sous la dir.

de A. Gogorza et R. Ollard, Cujas, 2014, p. 381 ; E. Calvo, « Quel régime pour le crime international

écologique ? », in La protection pénale de l’environnement, op. cit., p. 395 ; L. Neyret, « Pour la reconnaissance

du crime d’écocide », Revue juridique de l’environnement, vol. 39, n° HS01, 2014, p. 177-193 ; L. Neyret (dir.),

Des écocrimes à l’écocide. Le droit pénal au secours de l’environnement, Bruylant, 2015. 1776 Sur l’irréversibilité en droit de l’environnement, voy. le numéro thématique : « L’irréversibilité », Revue

juridique de l’environnement, n° spécial, 1998. 1777 L. Neyret, « Pour la reconnaissance du crime d’écocide », op. cit., spéc. p. 182. 1778 M. Prieur, « L’irréversibilité et la gestion des déchets radioactifs dans la loi du 30 décembre 1991 », in

« L’irréversibilité », Revue juridique de l’environnement, n° spécial, 1998, p. 125-130, spéc. p. 125. 1779 P. Januel, « Pas de reconnaissance du crime d’écocide », Dalloz actualité, 6 mai 2019 ; M. Léna, « Oui à l’état

d’urgence... écologique ! », AJ pénal, 2019, p. 233. 1780 Rapport n° 446 (2018-2019) fait au nom de la commission des lois, par Mme Marie Mercier, déposé le 10 avril

2019.

Titre I. La responsabilité de l’entreprise en droit privé positif saisie par le changement climatique

422

l’activité dégraderait l’environnement pourrait être poursuivie quand bien même elle se

conformerait scrupuleusement à toutes les prescriptions réglementaires en vigueur »1781.

D’autres pistes ont donc été suggérées, notamment celle de renforcer la formation des

magistrats, d’alourdir les peines de certains délits environnementaux, d’avancer la notion

d’écocide au niveau mondial. Le 12 décembre 2019, l’Assemblée nationale a refusé à son tour

d’adopter la proposition de loi.

451. La Convention citoyenne pour le climat1782 a relancé les débats sur la

création d’un crime d’écocide1783. Pour la convention, constituerait un crime d’écocide « toute

action ayant causé un dommage écologique grave en participant au dépassement manifeste et

non négligeable des limites planétaires, commise en connaissance des conséquences qui allaient

en résulter et qui ne pouvaient être ignorées ». Les citoyens proposent de soumettre à

référendum la question de la création du crime d’écocide, ce qui serait parfaitement inédit en

matière pénale. Même si cette définition se veut plus claire, plusieurs termes de l’incrimination

restent flous. En particulier, que faut-il entendre par « limites planétaires » ?

Le concept des « limites planétaires » désigne les limites que l’humanité ne doit pas

dépasser pour ne pas compromettre les conditions favorables dans lesquelles elle a pu se

développer et pour pouvoir vivre durablement dans un écosystème sûr, c’est-à-dire évitant les

modifications brutales et difficilement prévisibles de l’environnement planétaire. Ces « limites

planétaires » représentent des seuils fixés dans neuf domaines (notamment changement

climatique, biodiversité, eau douce, pollution, couche d’ozone…). Ensemble, ces neufs

processus naturels régulent la stabilité de la planète. Une équipe internationale de vingt-six

chercheurs au sein du Stockholm Resilience Centre propose depuis 2009 une grille d’évaluation

pour chacune de ces limites. Ce cadre est reconnu comme pertinent depuis 2011 par les Nations

Unies et par la Commission européenne pour suivre les objectifs d’un développement durable

que la communauté internationale dit vouloir atteindre d’ici 2030.

Dans son rapport sur l’état de l’environnement en France publié en 2019, le ministère

de la transition énergétique se penche pour la première fois sur le concept des « limites

planétaires ». Comme on peut le lire dans le rapport, « connaître l’impact de la France vis-à-vis

1781 Synthèse du rapport de la commission des lois. 1782 La Convention citoyenne pour le climat, anciennement dénommée Convention citoyenne pour la transition

écologique, est une convention française, constituée en octobre 2019, qui regroupe 150 citoyens tirés au sort et

constitués en assemblée de citoyens, appelés à formuler des propositions pour lutter contre le réchauffement

climatique, https://www.conventioncitoyennepourleclimat.fr/. 1783 P. Januel, « La Convention citoyenne mise sur le droit pour sauver le climat », Dalloz actualité, 23 juin 2020.

Chapitre II. Défis posés par le changement climatique aux régimes de responsabilité de l’entreprise

423

de ces différentes limites est indispensable pour conduire une transition compatible avec le

fonctionnement durable de la planète »1784. Appliqué à la seule France, le constat est sans

appel : six des neuf limites planétaires sont déjà dépassées, dont le changement climatique.

Néanmoins, la référence dans la définition de l’écocide à cette notion n’ayant pas

d’existence juridique, risque de poser problème au regard du principe de la légalité des délits et

des peines1785. Les limites planétaires pourraient sans doute être un outil précieux pour estimer

la gravité des faits. Encore faut-il qu’elles deviennent des normes juridiques, ce qui suppose au

préalable que la communauté scientifique arrive à un consensus sur la valeur des points de

basculement. Cela ne semble pas encore être totalement le cas.

452. De lege lata, le droit pénal français rencontre de sérieuses difficultés dans

l’appréhension des atteintes à l’environnement. Quant aux atteintes au climat, il est inévitable

qu’il soit bridé en raison de ses spécificités.

§2. La difficile appréhension des atteintes au climat par le droit pénal

453. Le droit pénal peut-il assurer la répression des comportements qui contribuent

chaque jour à l’aggravation du réchauffement climatique ? Rien n’est moins sûr. Qu’il s’agisse

des principes régissant la responsabilité pénale (A) ou des règles relatives à l’action publique

(B), ceux-ci paraissent tous inadaptés au phénomène global du réchauffement climatique.

A. Atteintes au climat et principes régissant la responsabilité pénale

454. Différents principes gouvernent la responsabilité pénale, dont deux absolument

fondamentaux. Il s’agit du principe de la légalité des délits et des peines (1) et du principe de

la responsabilité du fait personnel (2). De fait, le droit pénal est beaucoup moins souple que le

droit de la responsabilité civile. Or cette rigidité représente un handicap certain dans le domaine

du changement climatique.

1784 Ministère de la transition écologique et solidaire, L’environnement en France 2019, Rapport de synthèse, La

Documentation française, 2019, p. 7. 1785 Voy. cependant : V. Cabanes, « Pour une Constitution vraiment écologique », Reporterre, 9 juillet 2018.

L’auteure plaide en faveur de l’inscription du concept de « limites planétaires » au rang des principes

constitutionnels : « […] le cadre des limites planétaires dans leur ensemble doit constituer un nouveau cadre

contraignant et protecteur de nos droits et a toute sa place au sein de notre Constitution de sorte que nous puissions

nous prémunir de l’insouciance industrielle ».

Titre I. La responsabilité de l’entreprise en droit privé positif saisie par le changement climatique

424

1. Le principe de la légalité criminelle face aux atteintes au climat

455. Principe de la légalité des délits et des peines. Le principe de la légalité des

délits et des peines, traduction de l’adage « nullum crimen, nulla pœna sine lege », est né en

réaction aux défauts de la justice de l’Ancien Régime et en particulier à son caractère arbitraire,

trop souvent dénoncé. Dans L’Esprit des lois (1748), Montesquieu affirme : « Les juges de la

Nation ne sont que la bouche qui prononce les paroles de la loi ». Puis c’est le philosophe italien

Beccaria qui, dans son traité intitulé Des délits et des peines (1764), confirme : « Les lois seules

peuvent déterminer les peines des délits ».

Aujourd’hui, le principe de la légalité des délits et des peines est consacré tant en droit

international1786 qu’en droit pénal français1787. Il constitue un principe général régissant les

sources du droit pénal, qui a une valeur constitutionnelle1788. Ce principe emporte deux

exigences distinctes. La première est formelle et implique que les infractions et les peines

correspondantes soient prévues dans un texte. La seconde est matérielle et implique que les

incriminations soient définies en termes suffisamment clairs et précis afin d’exclure tout

arbitraire du juge et d’assurer la prévisibilité de la loi.

456. Absence d’incrimination du fait climatique. Comme l’exprime un auteur, « le

législateur ne peut empêcher que des faits auxquels il n’avait pas songé se produisent et

demeurent impunis »1789. Or, pour l’heure, il n’existe pas de texte, et donc d’infraction (crime,

délit ou contravention), en lien avec le changement climatique. Le code de l’environnement

n’incrimine pas le fait du changement climatique. Certes, les faits de pollution de l’air qui vont

avoir pour effet un changement climatique, font l’objet d’une incrimination. Aux termes de

l’article L. 220-2 du code de l’environnement, « constitue une pollution atmosphérique au sens

du présent titre l’introduction par l’homme, directement ou indirectement ou la présence, dans

l’atmosphère et les espaces clos, d’agents chimiques, biologiques ou physiques ayant des

conséquences préjudiciables de nature à mettre en danger la santé humaine, à nuire aux

ressources biologiques et aux écosystèmes, à influer sur les changements climatiques, à

détériorer les biens matériels, à provoquer des nuisances olfactives excessives ». La pollution

1786 C. pén., art. 111-3 : « Nul ne peut être puni pour un crime ou pour un délit dont les éléments ne sont pas définis

par la loi, ou pour une contravention dont les éléments ne sont pas définis par le règlement. Nul ne peut être puni

d’une peine qui n’est pas prévue par la loi, si l’infraction est un crime ou un délit, ou par le règlement, si l’infraction

est une contravention ». 1787 Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, art. 6.3 a et 7. 1788 Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, art. 8. 1789 S. Carval, La responsabilité civile dans sa fonction de peine privée, op. cit., n° 263.

Chapitre II. Défis posés par le changement climatique aux régimes de responsabilité de l’entreprise

425

de l’air peut donc être envisagée soit comme toute modification de la composition idéale de

l’air, soit comme toute émission entraînant le dépassement d’un certain seuil de qualité de

l’air1790. Cependant, sous réserve d’un délit sanctionnant le non-respect d’une mise en demeure

préfectorale de satisfaire à des obligations dans un délai déterminé1791, la transgression du droit

de l’air relève d’un droit pénal contraventionnel faiblement sanctionné et aucunement dissuasif.

En effet, pour les entreprises, les peines contraventionnelles ne sont jamais à la mesure des

avantages économiques tirés du mépris de la réglementation.

Plus généralement, un auteur spécialiste relève que « de toutes les formes de

dégradations de l’environnement, la pollution atmosphérique est la plus délicate à pénaliser en

raison du caractère diffus de ses sources, à la fois fixes (usine) et mobiles (véhicules), et de ses

effets, à la fois locaux et distants. Dès lors, un texte d’incrimination ne saurait englober toutes

les pollutions sans encourir le grief d’illégalité au regard du principe de précision de la loi

pénale »1792. De fait, des comportements dommageables pour le climat ne sont pas

véritablement punis par le droit pénal. Faute de texte spécifique en matière climatique, la

responsabilité pénale d’un fait climatique est inapplicable. De plus, le principe d’interprétation

stricte de la loi pénale, qui est le corollaire et le prolongement du principe de la légalité

criminelle, s’oppose à ce que les juges fassent preuve d’imagination et raisonnent par analogie

afin de réprimer les atteintes au climat.

457. Principe d’interprétation stricte de la loi pénale. Conformément à l’article

111-4 du code pénal, « la loi pénale est d’interprétation stricte ». Ce principe signifie que les

juges répressifs ne peuvent pas ajouter aux dispositions pénales et frapper des actes que le

législateur n’a pas expressément prévus et punis. Pour s’en référer encore à Beccaria, « le

pouvoir d’interpréter les lois pénales ne peut être confié […] aux juges des affaires criminelles,

pour la bonne raison qu’ils ne sont pas législateurs ».

Le principe d’interprétation stricte de la loi pénale interdit aux juges d’étendre le

champ d’application de la loi à des situations non visées par le législateur. Il est impossible en

droit pénal de raisonner par analogie, déduction ou encore extension. En cela, le juge répressif

1790 M. Prieur, Droit de l’environnement, op. cit., p. 663. 1791 C. env., art. L. 226-9 : « Lorsqu’une entreprise industrielle, commerciale, agricole ou de services émet des

substances polluantes constitutives d’une pollution atmosphérique, telle que définie à l’article L. 220-2, en

violation d’une mise en demeure prononcée en application des articles L. 171-7 ou L. 171-8, l’exploitant est puni

de deux ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende ». 1792 J.-C. Saint-Pau, « La responsabilité pénale d’un fait climatique », in Le changement climatique, quel rôle pour

le droit privé ?, sous la dir. de M. Hautereau-Boutonnet et S. Porchy-Simon, Dalloz, coll. « Thèmes et

commentaires », 2019, p. 179-192, spéc. p. 186.

Titre I. La responsabilité de l’entreprise en droit privé positif saisie par le changement climatique

426

dispose d’une marge de manœuvre inférieure à celle du juge civil. Une intervention législative

est donc indispensable pour surmonter les résistances politiques et techniques du droit pénal, et

permettre la répression des comportements provoquant un changement climatique. D’aucuns

ont souligné le caractère « nécessaire » de cette répression « car elle poursuit un but légitime

de protection d’une valeur jugée prééminente – l’environnement »1793.

458. La deuxième difficulté en matière pénale concerne l’imputation de l’infraction.

En effet, la responsabilité pénale suppose de déterminer ceux qui doivent, le cas échéant,

répondre de l’infraction.

2. Le principe de la responsabilité du fait personnel face aux atteintes au climat

459. Un fait personnel. L’article 121-1 du code pénal énonce que : « Nul n’est

responsable pénalement que de son propre fait ». Le principe de la responsabilité du fait

personnel revêt une importance capitale en droit pénal et interdit toute responsabilité du fait

d’autrui. À cet égard, la responsabilité pénale des personnes morales a pu poser quelques

difficultés, en ce que leur responsabilité repose nécessairement sur l’action concrète des

personnes physiques agissant pour leur compte. Cette responsabilité pénale des personnes

morales a été consacrée à l’article 121-2 du code pénal : « Les personnes morales, à l’exclusion

de l’État, sont responsables pénalement, selon les distinctions des articles 121-4 à 121-7, des

infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants ». Le fait qu’une

infraction soit commise pour le compte de la personne morale signifie qu’elle doit lui avoir

procuré un avantage ; elle ne doit pas manifester la poursuite de fins purement personnelles.

En l’état actuel du droit, le droit pénal comporte des restrictions à la reconnaissance

d’une responsabilité pénale environnementale des personnes morales. Certes, la loi du 9 mars

2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité1794 a supprimé l’exigence

d’un texte pour qu’une personne morale puisse être reconnue responsable pénalement1795. Elle

a ainsi permis de déclarer responsables les personnes morales en cas de commission de

1793 Ibid., spéc. p. 179. 1794 Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, JO, 10 mars

2004. 1795 Avant cette loi, les personnes morales n’étaient responsables que dans les cas prévus par la loi ou le règlement

(C. pén., anc. art. 121-2). En raison de ce caractère spécial et non général de la responsabilité, pour chaque

prescription commandée au titre d’une réglementation environnementale, il fallait rechercher si la responsabilité

pouvait être engagée. Un nombre important d’atteintes à l’environnement demeurait en dehors du champ

d’application de la répression.

Chapitre II. Défis posés par le changement climatique aux régimes de responsabilité de l’entreprise

427

n’importe quelle infraction, y compris environnementale, si les conditions visées à l’article 121-

2 du code pénal sont remplies. En principe, le droit pénal permettrait d’attribuer une infraction

climatique à certaines entreprises désignées comme responsables à l’égard du changement

climatique (entreprises du secteur de l’énergie, du transport, du bâtiment…). Il reste que la

responsabilité des personnes morales est conçue comme une responsabilité par représentation

des personnes physiques agissant ès-qualités d’organes ou de représentants. Cela implique de

qualifier préalablement l’action illicite d’un organe ou d’un représentant1796 pour ensuite

imputer l’infraction à la personne morale. Selon un auteur, la règle selon laquelle la personne

morale ne répond pas directement d’une atteinte à l’environnement pourrait être repensée1797,

afin de prioriser la responsabilité des entreprises sur celle des personnes physiques. L’auteur

estime que les personnes morales devraient pouvoir être désignées directement responsables de

leur activité dommageable, sans égard aux actes de leurs dirigeants1798.

Une autre difficulté, que l’on observe tout particulièrement dans le domaine

climatique, est relative à l’existence d’une pluralité d’intervenants. Comme a pu le souligner le

Professeur Neyret, « les activités humaines à l’origine des émissions de gaz à effet de serre sont

connues, comme l’industrie pétrolière, l’industrie chimique, le bâtiment ou les transports. Mais

qui poursuivre parmi tous les intervenants de la chaîne de production-distribution ? »1799. La

pluralité d’intervenants constitue un obstacle majeur à la détermination du responsable.

Certaines entreprises émettrices de gaz à effet de serre pourraient prétendre ne devoir répondre

que partiellement du dommage climatique. Cependant, en droit pénal, une causalité partielle

n’implique pas une responsabilité pénale partielle. Dès lors qu’une personne a commis les faits

incriminés, sa responsabilité pénale peut être engagée. La personne répond totalement de

l’infraction, sans qu’il ne soit nécessaire de lui imputer toutes les conséquences de ces faits.

Encore faut-il pouvoir l’identifier, car il est vrai qu’en matière climatique, le dommage résulte

d’une multitude de comportements qui peuvent, parfois, être anonymes.

1796 La chambre criminelle de la Cour de cassation a ainsi rappelé que « la cour d’appel […], après avoir constaté

la matérialité de l’infraction, était tenue, quel que soit le mode de poursuite et, au besoin, en ordonnant un

supplément d’information, de rechercher si les manquements relevés résultaient de l’abstention de l’un des organes

ou représentants de la société prévenue et s’ils avaient été commis pour le compte de celle-ci » : Cass. crim., 22

mars 2016, n° 15-81.484. De même, les juges d’appel ne peuvent pas se contenter d’affirmer que l’infraction a

« nécessairement » été commise par un organe dirigeant de la société poursuivie, agissant au nom et pour le compte

de celle-ci, « sans rechercher si les manquements relevés résultaient de l’abstention de l’un des organes ou

représentants de la société prévenue, et s’ils avaient été commis pour le compte de cette société » : Cass. crim., 19

avril 2017, n° 16-81.095. 1797 J.-C. Saint-Pau, « Faut-il repenser la responsabilité pénale des personnes morales ? », in Faut-il rethéoriser le

droit pénal, sous la dir. de J. Leroy, LexisNexis, 2017, p. 101 et s. 1798 J.-C. Saint-Pau, « La responsabilité pénale d’un fait climatique », op. cit., spéc. p. 192. 1799 L. Neyret, « La reconnaissance de la responsabilité climatique », D., 2015, p. 2278.

Titre I. La responsabilité de l’entreprise en droit privé positif saisie par le changement climatique

428

460. Un fait injuste. L’imputation d’une infraction suppose ensuite qu’un fait injuste

puisse être reproché à une personne. Ainsi, selon l’article 122-4 du code pénal, « n’est pas

pénalement responsable la personne qui accomplit un acte prescrit ou autorisé par des

dispositions législatives ou réglementaires ». Or, comme nous l’avons relevé

précédemment1800, les activités de certaines entreprises sont parfaitement autorisées par la loi,

alors même qu’elles participent à l’aggravation du réchauffement climatique.

461. Au-delà de ces obstacles liés aux principes qui gouvernent la responsabilité

pénale, on peut observer une certaine inadaptabilité des règles relatives à l’action publique aux

dommages climatiques.

B. Atteintes au climat et règles relatives à l’action publique

462. Les règles de prescription de l’action publique risquent d’être inadaptées en cas

d’atteintes au climat (1). Des lacunes peuvent aussi être relevées quant à la mise en mouvement

de l’action publique essentiellement réservée au ministère public (2).

1. La prescription de l’action publique

463. La prescription de l’action publique concerne la période de temps durant laquelle

l’action peut s’engager. Au-delà du délai de prescription, l’infraction ne peut plus être

poursuivie. Malgré la réforme de la prescription en matière pénale1801, les délais de prescription

sont relativement courts. Désormais, selon les articles 7 à 9 du code de procédure pénale, les

délais de prescription applicables notamment en matière d’infractions environnementales, sont

de : vingt ans pour les crimes (au lieu de dix), étant précisé que le seul crime en matière

environnementale est l’acte de « terrorisme écologique » prévu à l’article 421-2 du code pénal ;

six ans pour les délits (au lieu de trois) ; et un an pour les contraventions.

Ainsi, les infractions environnementales concernées par cette réforme sont les délits

en matière d’installations classées1802, les délits de pollution des eaux douces et marines1803, les

délits en matière de rejets polluants des navires1804 ou encore les délits relatifs aux parcs

1800 Voy. supra n° 354-1. 1801 Loi n° 2017-242 du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale, JO, 28 février 2017. 1802 C. env., art. L. 173-1 à L. 173-12. 1803 C. env., art. L. 216-6, L. 218-73 et L. 432-2. 1804 C. env., art. L. 218-11 et s.

Chapitre II. Défis posés par le changement climatique aux régimes de responsabilité de l’entreprise

429

nationaux et aux sites inscrits et classés1805. Comme nous l’avons vu précédemment, il n’existe

pas de délit autonome qui serait pour l’air l’équivalent de ce que l’on connaît en matière de

pollution des eaux1806. Les raisons sont sans doute à rechercher dans les spécificités de la

pollution atmosphérique : elle est par définition protéiforme dans ses origines et ses effets.

Concrètement, des poursuites pénales ne pourront être engagées que pendant une

période de six ans à compter de la commission de ces délits, soit pendant trois années

supplémentaires. Au-delà de ce délai de six ans, l’action publique sera prescrite. Quant aux

contraventions, le délai d’un an est resté inchangé.

Ces délais sont particulièrement courts et laissent souvent impunis des faits d’atteintes

à l’environnement. Ils pourront aussi constituer un obstacle important à la répression des

comportements dommageables pour le climat. En revanche, si le crime d’écocide venait à être

consacré, il serait imprescriptible, à l’instar du crime contre l’humanité.

Une dernière difficulté en matière de répression des comportements dommageables

pour le climat est relative à la mise en mouvement de l’action publique.

2. La mise en mouvement de l’action publique

464. La mise en mouvement de l’action publique est la poursuite de la commission

d’une infraction en la faisant entrer dans la phase juridictionnelle du procès pénal. Même si elle

peut être mise en mouvement par la partie civile, l’action publique est pratiquement toujours

exercée par les magistrats ou par les fonctionnaires auxquels elle est confiée par la loi, c’est-à-

dire le ministère public1807.

Le procureur de la République possède la maîtrise de l’action publique. En effet,

aucune juridiction ne peut se saisir elle-même, et le déclenchement des poursuites par le

ministère public est un préalable indispensable à toute condamnation. Pour assurer cette

mission, le procureur est tenu au courant de la commission des infractions. Il reçoit les plaintes

et dénonciations et apprécie les suites à leur donner1808. Une fois informé, il a le choix de ne

pas poursuivre (on parle de « classement sans suite »), de poursuivre ou de recourir à une

alternative aux poursuites (médiation pénale, composition pénale, transaction sur l’action

1805 C. env., art. L. 331-26 et s. et L. 341-19. 1806 L’incrimination qui figure à l’article L. 226-9 du code de l’environnement fait dépendre la mise en œuvre de

l’infraction de la violation d’une mise en demeure, voy. supra n° 456. 1807 C. pr. pén., art. 1er. 1808 C. pr. pén., art. 40.

Titre I. La responsabilité de l’entreprise en droit privé positif saisie par le changement climatique

430

publique)1809. Ce pouvoir d’appréciation relève de ce que l’on appelle le principe d’opportunité

des poursuites.

465. En matière d’atteintes à l’environnement, on a souvent observé que trop

d’affaires sont classées sans suite ou aboutissent à des relaxes, peut-être en raison de la

disproportion entre l’investissement intellectuel nécessaire à la maîtrise d’une réglementation

complexe et la médiocrité de la sanction (la plupart du temps, il s’agit de contraventions)1810.

Notons toutefois que le projet de loi relatif au Parquet européen et à la justice pénale

spécialisée1811 présenté le 29 janvier 2020 vise à remédier à cette situation. Ce projet de loi

comporte deux parties : une première partie relative au Parquet européen et une seconde qui

traite de la justice pénale spécialisée, en particulier en matière environnementale. L’idée est de

rendre la justice pénale en matière de lutte contre les atteintes à l’environnement plus efficace,

notamment en créant des pôles régionaux spécialisés en matière d’atteintes à l’environnement.

Ces pôles régionaux, composés de magistrats spécialisés, ont leur siège dans chacune des 36

cours d’appel et sont compétents en matière d’atteintes graves ou de mise en péril de

l’environnement. Ils ont ainsi vocation à traiter, par exemple, les pollutions des eaux ou des

sols par des activités industrielles, les infractions au régime des installations classées qui

dégradent l’environnement, les atteintes aux espèces ou espaces protégés, ou encore les

infractions à la réglementation sur les déchets industriels.

Le projet de loi crée également une convention judiciaire écologique. Concrètement,

l’article 8 du projet de loi envisage l’insertion d’un nouvel article 41-1-2 dans le code de

procédure pénale indiquant que la convention judiciaire écologique peut être conclue entre le

procureur de la République et une personne morale mise en cause au titre des délits prévus au

code de l’environnement ainsi que des infractions connexes, tant que l’action publique n’a pas

été mise en mouvement. La convention judiciaire peut contenir jusqu’à trois obligations

différentes. D’abord, elle peut obliger la personne morale à verser une amende d’intérêt public

au Trésor public, dont le montant est fixé au regard des avantages tirés des manquements, dans

la limite de 30 % du chiffre d’affaires. Ensuite, elle peut l’obliger à régulariser sa situation. La

mise en conformité s’effectue alors sous le contrôle des services compétents du ministère

chargé de l’environnement. Enfin, elle peut obliger la personne morale à assurer la réparation

1809 C. pr. pén., art. 40-1. 1810 D. Guihal, Droit répressif de l’environnement, Economica, 2ème éd., 2000, p. 603, cité par L. Neyret, Atteintes

au vivant et responsabilité civile, préf. C. Thibierge, L.G.D.J., 2006, p. 250. 1811 « Parquet européen et justice pénale spécialisée : présentation d’un projet de loi », D., 2020, p. 217.

Chapitre II. Défis posés par le changement climatique aux régimes de responsabilité de l’entreprise

431

d’un éventuel préjudice écologique dans un délai maximum de trois ans. La convention

judiciaire écologique devrait permettre de donner une réponse rapide au traitement des affaires

dirigées contre des personnes morales à enjeu financier important. Dans le domaine climatique,

elle peut être très intéressante, dans la mesure où elle ouvre une nouvelle manière de traiter le

risque contentieux climatique par la négociation. Le 3 mars 2020, le Sénat a adopté en première

lecture le projet de loi par 318 voix pour et 3 voix contre. La loi a toutes ses chances d’être

définitivement adoptée.

466. En résumé, en l’état actuel du droit, le droit pénal n’assure pas la répression des

faits provoquant un changement climatique. Il est bridé en raison des principes et règles qui le

caractérisent. Le changement climatique apparaît comme un objet résiduel d’incrimination1812,

et n’est pas réellement appréhendé par le droit pénal.

D’une manière générale, l’ampleur qui caractérise la criminalité environnementale1813

rend compte de l’inadaptation des mesures législatives et juridictionnelles adoptées en vue de

la répression des atteintes à l’environnement. Ceci est d’autant plus vrai en matière climatique,

puisque les faits dommageables pour le climat ne font pas l’objet d’une incrimination. Certes,

le dommage climatique manifesté par une pollution des éléments environnementaux,

notamment de l’air, peut être appréhendé par le droit pénal. Cependant, sous réserve d’un délit

(C. env., art. L. 226-9), le droit de l’air relève d’un droit pénal contraventionnel faiblement

sanctionné. Il en résulte un phénomène d’impunité à l’égard de nombreux actes qui pourtant

contribuent à l’aggravation du changement climatique. Par conséquent, à l’avenir, la répression

des atteintes au climat supposerait de nouvelles qualifications pénales.

1812 J.-C. Saint-Pau, « La responsabilité pénale d’un fait climatique », op. cit., spéc. p. 192. 1813 Voy. sur la criminalité environnementale : N. South et R. White, « L’émergence et l’avenir de la criminologie

environnementale », Criminologie, vol. 49, n° 2, 2016, p. 15-44.

433

Conclusion du Chapitre II

467. Conclusion du Chapitre II relatif aux défis posés par le changement

climatique aux régimes de responsabilité de l’entreprise. L’invocation des mécanismes de

responsabilité pour lutter contre le changement climatique suscite plus de questions qu’elle

n’apporte de réponses. En l’état, ces mécanismes semblent inaptes à saisir les dommages

climatiques.

Dans un premier temps, nous avons observé les défis posés par le changement

climatique au droit de la responsabilité civile. Alors qu’elle est censée assurer à la fois une

fonction indemnitaire et une fonction normative, la responsabilité civile est mal adaptée aux

besoins d’indemnisation des victimes de dommages climatiques et ne joue pas véritablement

son rôle de régulation des comportements. Les conditions actuelles de la responsabilité civile

constituent un obstacle déterminant à toute indemnisation. Certes, il convient avant tout de

prévenir les dommages en matière climatique, souvent irréversibles et aux conséquences

désastreuses. Il n’en reste pas moins que l’indemnisation des victimes est une nécessité. À cet

égard, le renforcement des sanctions s’impose. Il pourrait notamment emprunter la voie de

l’amende civile, dont l’introduction en droit de la responsabilité civile est actuellement

envisagée, ou encore des dommages et intérêts punitifs, plus controversés. Le but est de

dissuader les acteurs à se lancer dans une démarche de calcul mettant en balance le coût de

l’activité polluante avec celui de la condamnation à en indemniser les conséquences. A priori,

le renforcement des sanctions devrait permettre de mieux prévenir l’apparition des dommages.

Dans un second temps, nous avons constaté les insuffisances du droit répressif à

l’égard des atteintes au climat. Alors qu’il est indéniable que le droit pénal a un rôle à jouer

dans la répression des comportements dommageables pour le climat, pour l’heure, il ne joue

qu’un rôle résiduel. Le principe de la légalité des délits et des peines dispose qu’on ne peut être

condamné pénalement qu’en vertu d’un texte pénal clair et précis. Or, pour l’heure, il n’existe

pas de texte spécifique applicable à une infraction en liaison avec le changement climatique.

L’imputation de l’« infraction climatique » n’est pas moins problématique. En effet, la pluralité

d’intervenants dans le processus de réchauffement climatique constitue un obstacle pratique à

la détermination du responsable, au regard du principe de la responsabilité du fait personnel. À

cela s’ajoutent enfin des difficultés concernant les délais de prescription et la mise en

mouvement de l’action publique. Des nouvelles qualifications pénales sont nécessaires. La

spécialisation des magistrats est aussi souhaitée. Par ailleurs, d’aucuns considèrent que, devant

434

les insuffisances de notre système juridique, « le droit pénal de l’environnement reste en attente

d’une incrimination de l’écocide compatible avec le principe de prévisibilité »1814.

1814 J.-C. Saint-Pau, « La responsabilité pénale d’un fait climatique », op. cit., spéc. p. 192.

435

Conclusion du Titre I

468. Conclusion du Titre I. La responsabilité de l’entreprise en droit privé positif

saisie par le changement climatique. Depuis quelques années, les procès climatiques dirigés

contre les entreprises se multiplient à travers le monde. Le prétoire devient le lieu où les

victimes du changement climatique réclament l’engagement de la responsabilité des entreprises

émettrices de gaz à effet de serre.

Les fondements juridiques mobilisés dans ce contentieux sont variés. On distingue les

contentieux climatiques « directs », qui visent l’engagement de la responsabilité civile, et

« indirects », qui mobilisent des branches du droit tels que le droit de la consommation ou le

droit des affaires dans le but de condamner un comportement négligeant, déloyal, frauduleux

de la part des entreprises. Cependant, en dehors des hypothèses où la responsabilité est établie

sur le fondement de la violation d’une obligation précise, les actions en justice en matière de

climat ont peu de chances de prospérer. Que l’on songe aux actions qui visent l’indemnisation

des dommages résultant du manque de prudence reproché à certains acteurs en raison des effets

climatiques dommageables de leurs activités, aux actions qui ont pour finalité d’obtenir la

prévention des dommages futurs ou encore aux actions qui visent la réparation de l’atteinte aux

éléments et aux fonctions de l’atmosphère (préjudice écologique). Le changement climatique

met à l’épreuve les fonctions indemnitaire et normative de la responsabilité civile et défie le

droit répressif, qui semble totalement inadapté.

D’une manière générale, on constate une certaine incohérence entre le développement

des obligations des entreprises en matière climatique et le droit positif de la responsabilité.

Comme l’écrivait Carole Hermon à propos des atteintes à l’environnement, « aux interdictions

de porter une atteinte excessive à l’environnement posées par l’ensemble normatif, ne

correspond aucune réponse, ou une réponse tout à fait parcellaire sur le plan de la

responsabilité »1815. Il en va de même en matière de climat. Le changement climatique participe

donc à l’interrogation autour de l’évolution du droit de la responsabilité, laquelle traduit au fond

le besoin grandissant de justice climatique. Les entreprises sont de plus en plus incluses dans la

justiciabilité climatique. Mais le droit de la responsabilité climatique de l’entreprise est un droit

à construire.

1815 C. Hermon, Le juge administratif et l’environnement. Recherche sur le traitement juridictionnel des atteintes

à l’environnement, thèse, Université de Nantes, 1995, p. 274.

437

Titre II. Jalons prospectifs d’une responsabilité climatique de l’entreprise

469. En 1998, Alexandre Kiss écrivait : « Plusieurs problèmes à dimensions

planétaires, découverts ou compris récemment, tels que la protection de la couche d’ozone

stratosphérique, le changement de climat […] ont revêtu la réflexion sur l’irréversibilité d’un

caractère d’urgence »1816. Tout a été dit il y a plus de vingt ans. Et pourtant, cette urgence

évoquée par l’auteur est toujours là, on ne cesse de l’entendre. On parle aujourd’hui d’urgence

climatique, et les experts avertissent que certains impacts dévastateurs du réchauffement

climatique sont déjà irréversibles. L’irréversibilité, présentée comme la « condition essentielle

de l’application du principe de précaution », est l’« un des concepts les plus menaçants pour la

vie sur notre planète, des situations où “il n’y a plus rien à faire” »1817. Agit-on pour autant ?

Assurément pas aussi vite que la situation le commande… On comprend dès lors la

multiplication à travers le monde des actions en justice dans le domaine climatique. Elle

témoigne de la « déception croissante née de l’insuffisance des engagements publics et privés

de réduction des émissions de gaz à effet de serre »1818. Progressivement, on voit apparaître une

nouvelle forme de responsabilité que d’aucuns ont pu qualifier de « responsabilité

climatique »1819. Celle-ci ne concerne pas que les États, tant s’en faut. La question de la

reconnaissance d’une éventuelle responsabilité climatique des entreprises est non seulement au

centre des réflexions doctrinales1820, elle est désormais entrée dans les prétoires1821.

Toutefois, de lege lata, la responsabilité climatique de l’entreprise ne constitue pas une

branche autonome au sein de la responsabilité juridique. Elle se dégage petit à petit des régimes

existants de responsabilité, mais ses contours sont encore flous. L’identification de quelques

éléments de théorie générale permettrait sans doute de donner de la cohérence intellectuelle à

cette responsabilité climatique en construction (chapitre I). Malgré l’existence d’une multitude

d’obstacles, de lege ferenda, sa consécration juridique paraît envisageable (chapitre II).

1816 A. Kiss, « Avant-propos », in « L’irréversibilité », Revue juridique de l’environnement, n° spécial, 1998, p. 5. 1817 Ibid. 1818 L. Neyret, « La reconnaissance de la responsabilité climatique », D., 2015, p. 2278. 1819 Ibid. ; voy. également : M. Torre-Schaub, « La construction d’une responsabilité climatique au prétoire : vers

un changement de paradigme de la responsabilité climatique ? », in « Changement climatique et responsabilité.

Quelles normativités ? » (Dossier), Énergie – Environnement – Infrastructures, n° 8-9, août-sept. 2018, article 25. 1820 F.-G. Trébulle, « Responsabilité et changement climatique : quelle responsabilité pour le secteur privé ? », in

« Changement climatique et responsabilité. Quelles normativités ? » (Dossier), op. cit., article 24. 1821 Voy. notamment : L. d’Ambrosio, « La “responsabilité climatique” des entreprises : une première analyse à

partir du contentieux américain et européen », », in « Changement climatique et responsabilité. Quelles

normativités ? » (Dossier), op. cit., article 27.

439

Chapitre I. Esquisses théoriques sur la responsabilité climatique de l’entreprise

470. La plus grande humilité s’impose dans le présent chapitre où seront recherchés

les possibles fondements théoriques d’une responsabilité climatique de l’entreprise. Celle-ci est

de plus en plus souvent évoquée par les juristes, en même temps que le besoin de traduire en

termes juridiques la démonstration scientifique du lien qui existe entre les activités humaines

et l’aggravation du changement climatique. Les juristes se montrent soucieux de l’objectif de

lutte contre le changement climatique et n’hésitent pas à réinterroger, voire à réinventer, les

outils juridiques qu’ils ont à disposition.

Ainsi, la question de l’éventuelle responsabilité climatique de l’entreprise « n’est plus

aujourd’hui du domaine de la fiction »1822. Elle relève désormais de l’actualité doctrinale et

même judiciaire, comme en témoigne la multiplication des actions en justice dirigées contre les

entreprises. Mais au plan juridique, la responsabilité climatique de l’entreprise est un nouveau

concept qu’il convient de construire. Pour y parvenir, il semble nécessaire, avant tout, de

procéder à une clarification théorique du concept de responsabilité climatique de l’entreprise

(section 1). Que recouvre cette expression ? Quelle est son étendue ? Plus largement, peut-on

concevoir une telle responsabilité ? Puis, une fois le concept de responsabilité climatique de

l’entreprise défini, la question se pose de savoir si on doit concevoir une telle responsabilité

(section 2). Est-ce qu’il existe des fondements à celle-ci ?

Section 1. Qu’entendre par « responsabilité climatique de l’entreprise » ?

471. Par tradition, les juristes sont coutumiers de définitions claires, sans équivoque.

Certes, les concepts « fourre-tout » existent en droit, mais ils sont souvent dénoncés du fait de

leur imprécision et, a fortiori, du fait de l’insécurité juridique qu’ils engendrent. En effet, « le

droit procède par définitions, catégories et qualifications, ne mettant en œuvre les régimes

juridiques qu’une fois cet appareillage mis en place »1823. Dès lors, en affirmant que les

entreprises « ont », « auront » ou « devraient avoir » une responsabilité en matière climatique,

on accepte de se livrer à cet exercice périlleux qui consiste à définir le concept de responsabilité

climatique de l’entreprise (§1) ainsi que son étendue (§2).

1822 S. Porchy-Simon, « Rapport de synthèse », in Le changement climatique, quel rôle pour le droit privé ?, sous

la dir. de M. Hautereau-Boutonnet et S. Porchy-Simon, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2019, p. 207-

221, spéc. p. 207. 1823 M.-A. Frison-Roche et S. Bonfils, Les grandes questions du droit économique. Introduction et documents,

PUF, coll. « Quadrige », 1re éd., 2005, p. 83.

Titre II. Jalons prospectifs d’une responsabilité climatique de l’entreprise

440

§1. Le concept de responsabilité climatique de l’entreprise

472. La responsabilité climatique de l’entreprise est un concept récent, en voie de

construction. Elle est aujourd’hui impulsée par le constat du développement des procès dits

climatiques dirigés contre les entreprises (A). On s’y réfère de plus en plus, en droit comme

dans d’autres disciplines scientifiques (philosophie, économie…), sans pour autant la définir.

Il serait peut-être opportun d’au moins essayer de dresser ses contours (B).

A. La naissance du concept de responsabilité climatique de l’entreprise

473. De nos jours, la notion de responsabilité est affaiblie par les stratégies

d’évitement1824 des différents acteurs. Le schéma est bien connu au niveau des entreprises.

Celles-ci se jouent à la fois des frontières étatiques et du principe d’autonomie de la personnalité

morale afin d’échapper à toute responsabilité. Elles se dotent d’un ordre normatif conçu à

l’échelle transnationale1825, voulant régler les difficultés posées par la mondialisation, sans pour

autant leur être véritablement opposable. À cet égard, il devient presque banal d’évoquer

« l’impunité organisée » des entreprises multinationales. Or la peur de cette impunité1826 génère

aujourd’hui un retour au droit pour encadrer les pratiques des entreprises et garantir que celles-

ci soient assorties de régimes de responsabilité correspondants. Qu’en est-il en matière

climatique ?

En matière climatique, il n’existe pas de régime de responsabilité autonome, doté de

règles spécifiques, qui puisse permettre d’engager la responsabilité juridique d’un acteur du fait

de sa contribution au phénomène du réchauffement climatique. La responsabilité en matière

climatique ne se conçoit qu’à travers l’activation des trois ordres de responsabilité que sont la

responsabilité civile, la responsabilité pénale et la responsabilité administrative (pour ce qui

concerne l’État). Cependant, en l’absence d’adaptation des règles qui gouvernent ces régimes,

de nombreuses actions en justice sont vouées à l’échec, notamment lorsqu’elles visent les

acteurs privés. Sans vouloir totalement bouleverser le droit de la responsabilité, peut-on

1824 M. Delmas-Marty, « Dommages climatiques. Quelles responsabilités ? Quelles réparations ? », Journal

international de bioéthique et d’éthique des sciences, vol. 30, n° 2, 2019, p. 11-16, spéc. p. 14. 1825 G. de Lassus Saint-Geniès, « À la recherche d’un droit transnational des changements climatiques », Revue

juridique de l’environnement, vol. 41, n° 1, 2016, p. 80-98. 1826 À propos du terme d’« impunité », Mireille Delmas-Marty écrivait : « “Impunité” n’est pas un terme juridique.

[…] par son ambiguïté même, ce terme d’“impunité” exprime la difficulté, à la fois symbolique et juridique, à

passer d’une conception nationale de la responsabilité […] à une conception qui aurait une signification

mondiale » : M. Delmas-Marty, Vers une communauté de valeurs : Les forces imaginantes du droit, Tome 4, Seuil,

coll. « La Couleur des idées », 2011, p. 115.

Chapitre I. Esquisses théoriques sur la responsabilité climatique de l’entreprise

441

envisager d’adapter certaines de ses règles afin de permettre d’appréhender les dommages

climatiques, notamment lorsque les entreprises sont à l’origine de ces dommages ?

474. La clarification1827 de la responsabilité juridique des entreprises – acteur

majeur du changement climatique1828 – est plus qu’importante. Que les entreprises aient

« une sorte de responsabilité » à l’égard des impacts de leurs activités sur le climat ne fait pas

de doute. De la même manière, nous sommes d’ailleurs tous responsables de notre contribution

au réchauffement climatique, fût-elle minime, et nous devons tous adopter les gestes qui nous

permettent, à notre échelle, de lutter contre ce phénomène dangereux. Mais cette responsabilité

relève davantage du domaine de la philosophie et de la morale que du domaine juridique. Elle

est un vœu. On voudrait que les entreprises se montrent davantage soucieuses de leur impact

en matière climatique, qu’elles assument les conséquences de leurs activités, qu’elles agissent

pour prévenir la réalisation des risques climatiques. On essaye d’encourager le « sentiment de

responsabilité » chez elles, à savoir ce sentiment qui suscite la conviction que ses propres

actions ont une influence sur le monde environnant et sur son évolution1829. On cherche, enfin,

à « reconnecter pouvoir et responsabilité »1830.

Fort heureusement, de nombreuses entreprises se montrent réceptives à cet appel et

acceptent de « porter » la lutte contre le changement climatique1831. Il reste que ce qui est visé

ici, c’est le processus de responsabilisation des entreprises sur les questions climatiques, et non

l’éventualité d’une mise en cause de leur responsabilité juridique.

En effet, le chemin est encore long à parcourir du processus de responsabilisation de

l’entreprise à la consécration d’une véritable responsabilité de l’entreprise en matière de climat.

À défaut d’être l’œuvre du législateur, cette responsabilité se construit « au prétoire »1832. Le

changement climatique donne lieu à des contentieux qui mettent désormais en cause la

responsabilité des acteurs privés. Les requérants mobilisent des fondements divers, issus de

différentes branches du droit, recherchés dans l’ensemble de l’arsenal juridique, non pensés

1827 S. Maljean-Dubois, « La responsabilité de l’État en droit international public, stratégies d’évitement et pistes

prospectives », Journal international de bioéthique et d'éthique des sciences, vol. 30, n° 2, 2019, p. 95-118, spéc.

p. 97. 1828 Voy. supra n° 21-1. 1829 V. Rebeyrol, L’affirmation d’un « droit à l’environnement » et la réparation des dommages

environnementaux, Défrenois, Lextenso, 2010, p. 1. 1830 A. Supiot, « Face à l’insoutenable : les ressources du droit de la responsabilité », in Prendre la responsabilité

au sérieux, sous la dir. de A. Supiot et M. Delmas-Marty, PUF, 2015, p. 9-35, spéc. p. 13. Voy. supra n° 169 et s. 1831 Voy. supra : Première partie, Titre II. L’entreprise porteuse de la lutte contre le changement climatique. 1832 M. Torre-Schaub, « La construction d’une responsabilité climatique au prétoire : vers un changement de

paradigme de la responsabilité climatique ? », in « Changement climatique et responsabilité. Quelles

normativités ? » (Dossier), Énergie – Environnement – Infrastructures, n° 8-9, août-sept. 2018, article 25.

Titre II. Jalons prospectifs d’une responsabilité climatique de l’entreprise

442

spécifiquement en tant qu’outils de protection du climat. Que l’on songe au devoir de diligence,

au devoir de vigilance, à la nuisance publique, à la nuisance privée, aux troubles de voisinage,

voire au fondement des droits de l’homme1833. La responsabilité climatique se présente donc de

manière protéiforme. Son régime – si on peut parler de « régime » – n’est pas uniforme. Une

clarification est nécessaire. Cette clarification passe par la recherche d’une définition.

B. La recherche d’une définition de la responsabilité climatique de l’entreprise

475. Malgré les difficultés de définition de la responsabilité climatique de l’entreprise

(1), quelques propositions peuvent être formulées (2).

1. Difficultés de définition de la responsabilité climatique de l’entreprise

476. La responsabilité climatique est « une notion émergente et peu stabilisée, fruit

d’une jurisprudence balbutiante mais évolutive et grandissante »1834. D’aspect changeant en

fonction du contexte dans lequel elle est mobilisée, la responsabilité climatique ne bénéficie

pas d’une définition précise.

On en retrouve la version probablement la plus aboutie dans l’affaire Urgenda1835, où

l’État néerlandais a été condamné pour manque de diligence climatique1836 et sur la base de

l’existence d’une « obligation climatique »1837. Dans cette affaire, la responsabilité climatique

de l’État néerlandais a été affirmée en tant que telle. Toutefois, l’analyse des différents

contentieux climatiques démontre que, la plupart du temps, la responsabilité climatique est

soulevée comme un argument sous-jacent, afin de renforcer l’obligation de tenir compte des

conséquences des activités humaines sur le système climatique. Des auteurs soulignent alors la

« subtile variation » et la « gradation » dans l’affirmation des obligations climatiques. Ainsi,

1833 Voy. infra n° 508 et s., spéc. nos 517 et 518. 1834 M. Torre-Schaub (dir.), Les dynamiques du contentieux climatique. Usages et mobilisations du droit pour la

cause climatique, Rapport de recherche, décembre 2019, p. 75, en ligne : http://www.gip-recherche-justice.fr/wp-

content/uploads/2020/01/17.05-RF-contentieux-climatiques.pdf. 1835 Urgenda Foundation v. The State of the Netherlands, The Supreme Court of the Netherlands, 19/00135,

20/12/2019. Voy. supra n° 354-3. 1836 M. Torre-Schaub, « Les procès climatiques à l’étranger », RFDA, 2019, p. 660 ; Ch. Collin, « Suite et fin de

l’affaire Urgenda : une victoire pour le climat », Dalloz actualité, 29 janvier 2020. 1837 Voy. sur la notion d’obligation climatique : M. Torre-Schaub (dir.), Les dynamiques du contentieux climatique.

Usages et mobilisations du droit pour la cause climatique, op. cit., passim, spéc. p. 74 et s.

Chapitre I. Esquisses théoriques sur la responsabilité climatique de l’entreprise

443

« certaines débouchent sur des responsabilités au sens classique, tandis que d’autres restent

simplement au stade d’argument de poids permettant de protéger l’environnement »1838.

Or, de cette nature protéiforme de la responsabilité climatique résultent des difficultés

de définition. Nous pouvons, néanmoins, formuler quelques propositions.

2. Propositions de définition de la responsabilité climatique de l’entreprise

477. Il est possible de définir la responsabilité climatique de différentes manières.

Tout d’abord, elle peut être définie par référence aux procès dans lesquels elle est mobilisée. Il

s’agit des procès engagés devant les tribunaux nationaux qui soulèvent directement et

expressément une question de fait ou de droit relative aux causes et aux effets du changement

climatique1839. Sous cet angle, la responsabilité climatique « peut s’entendre comme le

phénomène de “judiciarisation du changement climatique” »1840. Cette « nouvelle forme de

responsabilité » qui émerge à l’occasion des procès climatiques, peut être qualifiée de

responsabilité climatique, « eu égard à l’objet qu’elle concerne, à savoir la protection du

climat »1841.

Mais il est possible également de définir la responsabilité climatique non pas comme

le résultat d’un phénomène de judiciarisation, mais en tant que concept autonome. Selon un

auteur, la responsabilité climatique serait « celle qui a vocation à être engagée à l’égard de

ceux qui, de par leur activité ou leur inactivité, contribuent au réchauffement de la planète et

causent ainsi des dommages qui lui sont liés et qui sont susceptibles d’affecter aussi bien les

personnes que le milieu dans lequel vivent ces dernières »1842. Suivant cette définition, la

responsabilité climatique d’une entreprise pourrait être engagée dès lors qu’en émettant des gaz

à effet de serre, elle contribue au réchauffement de la planète et cause des dommages à

1838 M. Torre-Schaub (dir.), Les dynamiques du contentieux climatique. Usages et mobilisations du droit pour la

cause climatique, op. cit., p. 75. 1839 M. Hautereau-Boutonnet, « Les procès climatiques par la “doctrine du procès climatique” », in Quel(s) droits

pour le changement climatique ?, sous la dir. de M. Torre-Schaub, Ch. Cournil, S. Lavorel et M. Moliner-Dubost,

Mare & Martin, 2018, p. 31 et s. ; voy. également : D. Markell et J.-B. Ruhl, « An empirical assessment of climate

change in the courts: a new jurisprudence or business as usual? », Florida Law Review, vol. 64, n° 1, 2012, p. 14

et s., spec. p. 27. Les auteurs américains définissent les procès climatiques comme « any piece of federal, state,

tribal, or local administrative or judicial litigation in which the party filings or tribunal decisions directly and

expressly raise an issue of fact or law regarding the substance or policy of climate change causes and impacts ». 1840 Ch. Cournil et L. Varison, « Introduction », in Les procès climatiques. Entre le national et l’international, sous

la dir. de Ch. Cournil et L. Varison, Pédone, 2018, p. 19. 1841 L. Neyret, « La reconnaissance de la responsabilité climatique », D., 2015, p. 2278. 1842 N. Rias, « Quel rôle pour le devoir de vigilance dans la responsabilité climatique », in Le changement

climatique, quel rôle pour le droit privé ?, sous la dir. de M. Hautereau-Boutonnet et S. Porchy-Simon, Dalloz,

coll. « Thèmes et commentaires », 2019, p. 165-177, spéc. p. 165.

Titre II. Jalons prospectifs d’une responsabilité climatique de l’entreprise

444

l’environnement (entendu au sens large) et aux personnes. L’avantage (ou le danger ?) de cette

définition est qu’elle vise à la fois l’activité et l’inactivité des acteurs. Autrement dit, il serait

possible de reprocher à une entreprise l’absence de mise en œuvre de mesures suffisantes en

matière de prévention des dommages climatiques voire même, encore plus loin, l’absence de

mesures concrètes pour réduire son empreinte carbone. Sa « faute climatique » pourrait ainsi

consister en une abstention.

En outre, si la responsabilité civile est l’obligation de réparer le dommage causé à

autrui, la responsabilité climatique serait l’obligation de réparer les dommages en lien avec le

changement climatique, avec ou sans répercussions sur les personnes et les biens, causés

directement ou indirectement par les activités émettrices de gaz à effet de serre.

Enfin, la responsabilité climatique pourrait être entendue comme la violation d’une

obligation climatique. Mais il convient alors, dans ce cas, de définir précisément la notion

d’obligation climatique, étant rappelé que les procès climatiques reposent sur différents types

d’obligations : « il y a ceux qui poursuivent une compensation pour un dommage causé par le

changement climatique, ceux qui cherchent par des moyens divers à prévenir ou à réduire

davantage le phénomène climatique, puis ceux qui sont plus stratégiques et cherchent à ce que

les tribunaux affirment comme une question de principe en elle-même une responsabilité

climatique de la part de l’État ou des entreprises »1843.

478. Par ailleurs, il a été souligné, à juste titre, que la notion de responsabilité

climatique possède « des contours encore suffisamment souples pour que l’on puisse affirmer

qu’elle a la capacité de provoquer des mutations dans l’institution de la responsabilité entendue

au sens classique du terme, et que nous pourrions nous acheminer vers l’articulation d’une

responsabilité juridique et d’une responsabilité éthique et morale (au sens du devoir) »1844. Dès

lors, la question se pose de savoir quelle devrait être l’étendue de la responsabilité climatique.

Jusqu’où devrait-elle pouvoir s’étendre ?

§2. L’étendue de la responsabilité climatique de l’entreprise

479. Les dangers d’une responsabilité trop étendue ont maintes fois été soulignés par

la doctrine (A). Nous rappellerons que l’extension du domaine de la responsabilité est certes

1843 M. Torre-Schaub (dir.), Les dynamiques du contentieux climatique. Usages et mobilisations du droit pour la

cause climatique, op. cit., p. 75. 1844 Ibid.

Chapitre I. Esquisses théoriques sur la responsabilité climatique de l’entreprise

445

nécessaire mais aussi dangereuse, et qu’il convient donc de rechercher l’équilibre entre

l’irresponsabilité et la responsabilité illimitée. Ainsi, avant d’envisager la mise en œuvre d’une

éventuelle responsabilité climatique des entreprises, il est important de bien dresser ses contours

(B).

A. Les dangers d’une responsabilité trop étendue

480. Dans son essai sur le « concept de responsabilité », le philosophe Paul Ricœur

insiste sur le fait qu’il est nécessaire de concilier « la vision courte d’une responsabilité limitée

aux effets prévisibles et la version longue d’une responsabilité illimitée »1845. Et l’auteur

d’ajouter que : « La négligence entière des effets latéraux de l’action rendrait celle-ci

malhonnête, mais la responsabilité illimitée rendrait l’action impossible »1846. Effectivement,

mieux appréhender l’action humaine ne signifie pas la rendre impossible. Dans le même ordre

d’idées, le Professeur Delmas-Marty écrit : « Évitons, en diabolisant Prométhée, de transformer

le principe de précaution en principe d’anxiété et les sociétés du risque en sociétés de la

peur »1847. Il faudrait donc résister au « décrochage vers l’irrationalité d’une éthique de la peur »

dénoncée par plusieurs auteurs1848. La gravité de la situation – qui, au demeurant, n’est plus

sérieusement contestée – ne justifie pas l’adoption d’une approche radicale qui consisterait à

stigmatiser les acteurs. Comment alors remédier à l’irresponsabilité des entreprises

transnationales en matière climatique ?

Reconnaissons que cette irresponsabilité sur le plan juridique est aujourd’hui un fait.

Les entreprises transnationales sont moins encadrées par le régime juridique international du

climat. La « mission climatique » dont elles sont investies depuis l’Accord de Paris repose

essentiellement sur un droit non contraignant. De fait, il existe « une asymétrie flagrante entre

la responsabilité des États et celle des entreprises transnationales [qui] n’est pas compensée par

un droit international permettant de rendre la responsabilité proportionnelle au pouvoir exercé

par les différents acteurs. La multiplication des acteurs de la mondialisation, qui devrait

1845 P. Ricœur, « Le concept de responsabilité. Essai d’analyse sémantique », in Le juste 1, Esprit, 1995, p. 41-70,

spéc. p. 68-69. 1846 Ibid. 1847 M. Delmas-Marty, Vers une communauté de valeurs : Les forces imaginantes du droit, Tome 4, op. cit., p. 357. 1848 C. Larrère, « Le contexte philosophique du principe de précaution », in Le principe de précaution : aspects de

droit international et communautaire, sous la dir. de Ch. Leben et J. Verhoeven, Éditions Panthéon-Assas, 2002,

p. 15-28, spéc. p. 23 ; voy. également H. Barbier, La liberté de prendre des risques, préf. J. Mestre, PUAM, 2011,

p. 289 et s. Au moyen d’un argumentaire très convaincant, l’auteur « renverse » le principe de précaution en

exception de précaution, et analyse le devoir de précaution comme une exception à ce qu’il appelle la « liberté de

prendre des risques ».

Titre II. Jalons prospectifs d’une responsabilité climatique de l’entreprise

446

impliquer une redistribution des responsabilités, aboutit plutôt à leur dilution »1849. Afin de

remédier à ces difficultés, on pourrait envisager la reconnaissance à l’échelle internationale de

la responsabilité collective de l’ensemble des acteurs du changement climatique. En ce sens, le

Professeur Neyret estime qu’« il serait pertinent d’engager un processus d’adoption d’une

Convention sur la responsabilité civile pour les dommages dus aux changements climatiques, à

l’image de ce qui existe déjà dans le domaine des pollutions par hydrocarbures ou de l’énergie

nucléaire »1850. Cette idée présente de nombreux attraits. Il est évident, au regard du caractère

global des changements climatiques, que la reconnaissance de la responsabilité climatique au

seul niveau national aurait un intérêt plus limité. Néanmoins, on connaît bien les problèmes

politiques et techniques que soulève l’élaboration d’instruments internationaux. Pour l’instant,

cette convention n’est pas à l’ordre du jour des agendas politiques. En revanche, les droits

nationaux peuvent impulser le mouvement, en être le moteur. Rappelons-nous de l’audace du

législateur français lorsqu’il a adopté la loi du 27 mars 2017 sur le devoir de vigilance des

sociétés mères. À l’époque, la France avait été qualifiée de « cavalier seul »1851, puisque c’était

le seul pays à avoir consacré législativement un tel devoir. Aujourd’hui, l’Union européenne

envisage l’adoption d’un texte européen en la matière1852.

Réfléchir à une adaptation des règles de la responsabilité à l’échelle nationale (ou,

pourquoi pas, européenne ?) est déjà un bon début. En France, les dynamiques sont peut-être

favorables à cela. La doctrine plaide depuis longtemps pour une évolution du droit de la

responsabilité1853 et le législateur avance progressivement en ce sens1854. Certes, les équilibres

sont délicats à trouver. Nous en avons suffisamment d’illustrations déjà pour en être totalement

convaincus. Dans la première partie de la thèse, un chapitre entier a été consacré à la recherche

de conciliation entre la protection du climat et la liberté d’entreprendre des entreprises1855. Cette

conciliation n’est pas impossible. Toutefois, dans la mesure où elle demande aux entreprises de

1849 K. Martin-Chenut et C. Devaux, « Quels remèdes à l’irresponsabilité des États et des entreprises

transnationales (ETN) en matière environnementale, sociale et financière ? Présentation des propositions », in

Prendre la responsabilité au sérieux, sous la dir. de A. Supiot et M. Delmas-Marty, PUF, 2015, p. 361-371, spéc.

p. 361. 1850 L. Neyret, « La reconnaissance de la responsabilité climatique », op. cit. 1851 C. Malecki, « Devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre : la France peut-elle

faire cavalier seul ? », Bull. Joly Sociétés, 2015, n° 4, p. 171. 1852 Voy. supra n° 323. 1853 Voy. notamment : C. Thibierge, « Libres propos sur l’évolution du droit de la responsabilité », RTD civ., 1999,

p. 561 ; id., « Avenir de la responsabilité, responsabilité de l’avenir », D., 2004, p. 577 ; Y. Lequette et N.

Molfessis, Quel avenir pour la responsabilité civile ?, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2015. 1854 Projet de réforme du droit la responsabilité civile du 13 mars 2017, voy. supra n° 416. 1855 Voy. supra : Première partie, Titre I, Chapitre II. Analyse juridique du rôle de l’entreprise dans la lutte contre

le changement climatique : la recherche de conciliation, passim, voy. spéc. n° 147 et s.

Chapitre I. Esquisses théoriques sur la responsabilité climatique de l’entreprise

447

renoncer, en partie, à leurs libertés fondamentales, le droit doit impérativement garantir que

leur responsabilité juridique ne sera pas arbitrairement et systématiquement engagée.

Cette responsabilité devrait être proportionnelle au pouvoir exercé. Cela semble

logique. Dans le même temps, il faudrait prendre en compte le fait que de nombreuses activités

très polluantes sont autorisées et s’exercent conformément aux réglementations en vigueur. Les

décideurs publics doivent donc donner l’impulsion du changement nécessaire – on y revient –,

faute de quoi ils ne pourront pas vraiment reprocher aux entreprises de ne pas jouer le jeu.

L’émission de gaz à effet de serre constitue l’essence même de l’activité de nombreuses

entreprises responsables de l’aggravation du changement climatique. On pense évidemment

aux entreprises de l’industrie fossile. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les juridictions

américaines se sont souvent reconnues incompétentes pour trancher les litiges sur le fondement

de la nuisance publique, estimant que les demandes avaient avant tout un caractère politique1856.

Faute de réelle volonté politique, les changements nécessaires ne pourront pas été opérés. Le

droit de responsabilité doit refléter l’état de la société. Si nos économies n’évoluent pas, il ne

serait pas juste éthiquement de demander aux entreprises d’assumer une trop grosse

responsabilité à l’égard du réchauffement climatique. Ce serait contre-démocratie et contre-

productif. Les évolutions doivent être accompagnées de garanties nécessaires pour les libertés

économiques.

481. En bref, pour remédier à l’irresponsabilité des entreprises en matière climatique,

il conviendrait, avant tout, de procéder à un changement profond de nos économies basées

encore sur les énergies fossiles, ce qui demande une forte volonté politique. C’est ensuite le

droit de la responsabilité qui devrait évoluer dans le sens d’une meilleure prise en compte de la

problématique climatique, qui est une problématique globale mettant en cause les acteurs de la

mondialisation. L’idéal serait, évidemment, de parvenir à un accord à l’échelle internationale

sur les conditions de la responsabilité et l’indemnisation des dommages climatiques. Mais en

attendant, il revient aux législateurs et tribunaux nationaux de faire preuve d’audace sur les

questions de la responsabilité climatique1857. Ceci d’autant plus que la dimension planétaire du

changement climatique n’occulte pas l’ancrage territorial de la manifestation physique des

1856 Voy. par exemple : Northern District of California, People of the state of California v. General Motors et al.,

Order granting defendant’s motion to dismiss, n°C-06-05755 MJJ, sept. 2007. 1857 Un auteur relève qu’« à défaut d’un droit mondial, les juristes se contentent d’une sorte de bricolage qui

consiste à faire du neuf avec de l’ancien, c’est-à-dire à “internationaliser” le droit national et “contextualiser” le

droit international » : M. Delmas-Marty, « Dommages climatiques. Quelles responsabilités ? Quelles réparations

? », op. cit., spéc. p. 14.

Titre II. Jalons prospectifs d’une responsabilité climatique de l’entreprise

448

impacts de ce phénomène. Il ne s’agit pas de mettre en cause systématiquement la responsabilité

des entreprises1858. Cette responsabilité devrait tenir compte du pouvoir exercé par les acteurs

du changement climatique et se baser sur une réelle expertise. Enfin, pour garantir la sécurité

juridique, les personnes potentiellement responsables doivent connaître l’étendue de leur

responsabilité. Les contours de celle-ci doivent donc être précisés.

B. Les contours de la responsabilité climatique de l’entreprise

482. La responsabilité climatique de l’entreprise est une responsabilité à la fois du

passé et de l’avenir. Cette nouvelle forme de responsabilité s’étend dans le temps pour

appréhender aussi bien les dommages passés (1) que les dommages et les risques de dommages

futurs (2).

1. La responsabilité climatique curative

483. La responsabilité climatique est, d’abord, curative. Elle vise l’indemnisation des

dommages climatiques passés. Nous l’avons vu, en l’état du droit, la responsabilité civile ne

permet pas de garantir cette indemnisation1859. Pourtant, face à la multiplication des dommages

climatiques dus aux activités émettrices de gaz à effet de serre, la question de l’indemnisation

via le droit national est cruciale.

La responsabilité climatique doit donc réactiver cette fonction essentielle

d’indemnisation. Cependant, elle pose de nombreuses questions. Premièrement, elle pose la

question de savoir qui répond des dommages causés et à quelle hauteur. Deuxièmement, elle

pose la question des limites voire de l’impossibilité financière de prise en charge des dommages

au niveau individuel. Enfin, troisièmement, elle pose la question de l’éventuelle création d’un

mécanisme de socialisation des risques en matière climatique1860.

484. Tournée vers le passé, la responsabilité climatique s’entend de l’obligation de

répondre des dommages en lien avec le changement climatique. Elle vise alors à donner

1858 Cette mise en garde a récemment été faite à propos de la création du crime d’écocide, voy. supra n° 450.

Concrètement, la commission des lois a rétorqué que cette nouvelle incrimination « donne l’impression qu’une

entreprise dont l’activité dégraderait l’environnement pourrait être poursuivie quand bien même elle se

conformerait scrupuleusement à toutes les prescriptions réglementaires en vigueur ». 1859 Voy. supra n° 420 et s., spéc. nos 423 et 431. 1860 Voy. infra nos 563 à 565.

Chapitre I. Esquisses théoriques sur la responsabilité climatique de l’entreprise

449

satisfaction aux victimes du changement climatique. Toutefois, cet aspect curatif n’est pas celui

qui domine en la matière. La responsabilité climatique est surtout préventive. Projetée ainsi

vers le futur, elle se détache de la punition pour s’attacher au risque et à la prévention.

2. La responsabilité climatique préventive

485. Dans le domaine climatique, il est particulièrement intéressant de regarder

l’action de manière prospective plutôt que rétrospective. L’approche qui consiste à s’attacher à

la seule responsabilité historique a, d’ailleurs, déjà montré ses limites dans le cadre du régime

juridique international du climat. On pense notamment aux États émergents, notamment la

Chine, qui, du fait de ce statut, ont été exemptés d’obligations chiffrées de réduction des

émissions de gaz à effet de serre1861. Il convient donc de se projeter dans le futur et

d’appréhender l’action non pas pour ce qu’elle a été, mais pour ce qu’elle peut provoquer1862.

La prévention des dommages climatiques est l’un des principaux enjeux de notre temps. Quel

rôle le droit de la responsabilité peut-il avoir dans ce domaine ?

486. La responsabilité climatique préventive1863 repose sur le postulat que l’extension

de l’action humaine dans le temps justifie une extension de l’obligation de répondre1864. Ainsi,

lorsque la survenance du préjudice est future et certaine, la responsabilité climatique des

entreprises devrait pouvoir être retenue et, en cas de manquement constaté, les juges devraient

pouvoir imposer aux entreprises d’adopter des mesures préventives. Le rôle des juges est, en

effet, primordial. Comme il a été souligné par la doctrine, condamnant les entreprises à adopter

des mesures préventives, les juges pourraient « renforcer la justice climatique mondiale, opérer

une redistribution des responsabilités parmi l’ensemble des auteurs contribuant aux

changements climatiques et établir un meilleur équilibre entre le pouvoir économique et les

devoirs sociaux et environnementaux des entreprises, pour une “mondialité apaisée” »1865.

1861 Voy. supra n° 64. 1862 D. Puccio-Den, « De la responsabilité », L’Homme, vol. 223-224, n° 3, 2017, p. 5-32. 1863 Voy. M. Hautereau-Boutonnet et L. Canali, « Jalons pour une responsabilité civile climatique préventive »,

2018, en ligne : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01875905/document. 1864 M. Delmas-Marty, Vers une communauté de valeurs : Les forces imaginantes du droit, Tome 4, op. cit., p.

356-363, spéc. p. 358-360. 1865 M. Hautereau-Boutonnet et L. Canali, « Jalons pour une responsabilité civile climatique préventive », op. cit.

Titre II. Jalons prospectifs d’une responsabilité climatique de l’entreprise

450

487. Le contentieux climatique nous donne déjà quelques illustrations de mobilisation

de la responsabilité climatique préventive.

487-1 Demandes de financement des mesures préventives. Dans certaines affaires

américaines, les requérants ont demandé aux compagnies pétrolières le financement des

mesures préventives réalisées et à venir1866. Ils ont réclamé une compensation pour la

construction de digues et d’autres protections contre l’élévation du niveau des eaux, ainsi que

le financement des travaux à venir. Dans l’affaire County of San Mateo v. Chevron Corp.1867,

la collectivité a insisté sur le fait qu’elle avait déjà dépensé des millions de dollars dans l’étude

et l’atténuation des effets du changement climatique. Cependant, de nombreuses dépenses sont

encore à prévoir, dans la mesure où les réseaux d’assainissement, les plages, les espaces verts,

les routes et, plus généralement, l’ensemble des infrastructures publiques seront lourdement

impactés par le changement climatique.

En Allemagne, les juges ont eu à connaître de ce même type de demande. Dans

l’affaire Lliuya v. RWE précitée1868, le requérant demande au juge de condamner l’entreprise à

supporter les dépenses liées aux mesures préventives qu’il va devoir prendre pour protéger sa

propriété du risque d’inondation.

487-2 Demandes d’adoption de mesures préventives. Outre le financement des

mesures préventives réalisées ou à venir, des demandeurs peuvent faire appel au juge afin qu’il

prescrive aux entreprises des mesures de prévention par le biais de l’injonction. Tel a été le cas

dans l’affaire American Electric Power Co. v. Connecticut précitée1869. Pour rappel, dans cette

affaire, les États fédérés ont reproché à des entreprises pétrolières d’être à l’origine de nuisances

collectives (public nuisance) sur leur territoire et réclamé, par conséquent, la délivrance d’une

injonction plafonnant leurs émissions. Plus précisément, ils souhaitaient que le juge impose aux

entreprises l’élaboration de plans de réduction des émissions de CO2 sur les dix années à venir.

Toutefois, cette affaire n’a pas abouti. Les juges ne se sont pas prononcés sur le fond en raison

de la non-recevabilité des questions soumises.

Plus récemment, dans l’affaire City of New York v. BP p.l.c.1870, la ville de New-York

a cherché à obtenir des dommages et intérêts pour les dommages actuels et futurs ainsi qu’une

1866 Voy. par exemple : King County v. BP p.l.c., 2:18-cv-00758, (2018). 1867 Voy. par exemple : County of San Mateo v. Chevron Corp., et al., 18-15499, (2017). 1868 Voy. supra n° 356. 1869 Voy. supra n° 31. 1870 City of New York v. BP p.l.c., 18-2188, (2018).

Chapitre I. Esquisses théoriques sur la responsabilité climatique de l’entreprise

451

injonction du juge afin de faire cesser la nuisance causée par les émissions des défendeurs.

Même si, pour l’heure, aucune entreprise privée ne s’est vu enjoindre de réduire ses émissions

de gaz à effet de serre, les dynamiques sont en place et cette situation peut évoluer.

En France, une piste est ouverte par le projet de réforme du droit de la responsabilité

civile du 13 mars 2017 qui prévoit d’introduire à l’article 1266 une règle générale consacrant

la cessation de l’illicite, étant rappelé que celle-ci est actuellement gouvernée par des textes

épars et n’est envisagée que ponctuellement pour certains faits illicites1871. Le projet d’article

1266 dispose ainsi qu’« en matière extracontractuelle, indépendamment de la réparation du

préjudice éventuellement subi, le juge peut prescrire les mesures raisonnables propres à

prévenir le dommage ou faire cesser le trouble illicite auquel est exposé le demandeur ». Il est

précisé à article 1279-6 que ces dispositions sont applicables au trouble illicite auquel est

exposé l’environnement1872.

488. Pour finir sur ce point, la responsabilité climatique de l’entreprise se dégage des

régimes existants de responsabilité pour permettre d’appréhender les dommages climatiques

présents ou à venir. Quoique étendue dans le temps, cette responsabilité n’est pas illimitée. Le

caractère certain des préjudices futurs doit être démontré. En réalité, cela ne devrait pas poser

trop de difficultés. L’expertise en matière climatique est de plus en plus développée et permet,

d’une part, d’évaluer les conséquences possibles du changement climatique sur les activités et

les territoires, d’autre part, de « monétariser » ses impacts. Or cette expertise est primordiale,

surtout lorsqu’on se situe sur le terrain de la prévention. Le Professeur Delmas-Marty soulignait

ainsi que « la responsabilité-prévention doit inciter à développer les recherches afin de mieux

tenir compte de la complexité de phénomènes dont les causes et les effets se combinent et

s’enchevêtrent. Car les risques technologiques, en interaction avec les risques dits “naturels”,

deviennent globaux dès lors qu’ils se situent au niveau de la planète et développent leurs effets

dans la longue durée »1873.

489. En résumé, née au prétoire, la responsabilité climatique de l’entreprise s’affirme

de manière lente mais progressive. Les demandes en justice qui se multiplient aux quatre coins

1871 Par exemple, en cas d’atteinte à la vie privée (Cass. 1ère civ., 2 juillet 2014, n° 13-21.929, Dalloz actualité, 30

juillet 2014, obs. Th. Douville) ou en matière de pratiques restrictives de concurrence (C. com., art. L. 442-4). 1872 Sur ces questions, voy. supra n° 436. 1873 M. Delmas-Marty, Vers une communauté de valeurs : Les forces imaginantes du droit, Tome 4, op. cit., p. 361.

Titre II. Jalons prospectifs d’une responsabilité climatique de l’entreprise

452

du monde oscillent entre l’objectif d’adaptation et l’objectif d’atténuation du changement

climatique. Elles visent à la fois les dommages passés et les dommages futurs.

Cette nouvelle forme de responsabilité, aux contours encore flous mais qui se

précisent, présente un atout majeur : qu’elle soit mobilisée dans des procès visant à réparer les

dommages causés aux personnes ou les dommages causés à l’environnement, le résultat de

l’action en justice est, en quelque sorte, profitable à tous. En empruntant la formule employée

par Mireille Delmas-Marty, nous pouvons dire que l’une des particularités de la responsabilité

climatique est qu’elle fait entrer dans la sphère juridique « l’idée d’une obligation non pas de

répondre à l’autre homme (autrui), directement lésé par notre faute, civile ou pénale, mais de

répondre afin de préserver un état nécessaire à la vie collective »1874, en l’occurrence, l’état de

notre planète. Cela explique, en partie, pourquoi il faut reconnaître la responsabilité climatique

des entreprises. Dans les prochains développements, nous allons donc esquisser quelques

fondements métajuridiques et juridiques à cette responsabilité.

Section 2. Pourquoi une « responsabilité climatique de l’entreprise » ?

490. Faut-il reconnaître la responsabilité climatique des entreprises ? Nous pensons

que oui, pour deux raisons principalement. D’abord, car les entreprises sont entrées sur la scène

internationale, modifiant l’organisation des pouvoirs1875, et disposent désormais d’un « pouvoir

de nuisance »1876 équivalent – s’il n’est pas plus important – que celui des États. Or à ce pouvoir

ne correspond aucune réponse suffisante sur le terrain de la responsabilité juridique. Ensuite,

car l’ensemble des outils juridiques a un rôle à jouer dans le combat contre le réchauffement

climatique, et notamment la responsabilité. Celle-ci a toujours su s’adapter aux évolutions du

monde. Pourquoi ne s’adapterait-elle pas de nouveau ?

Dès lors, sur quels fondements construire cette nouvelle forme de responsabilité ? Les

fondements de la responsabilité climatique des entreprises sont au carrefour de la philosophie

et du droit. En effet, on ne saurait nier la dimension éthique de la question (§1). Dans le même

temps, il existe différents fondements juridiques permettant de réceptionner en droit l’idée

d’une responsabilité climatique des entreprises (§2).

1874 Ibid., p. 358. 1875 M. Delmas-Marty, La refondation des pouvoirs : Les forces imaginantes du droit, Tome 3, Seuil, coll. « La

Couleur des idées », 2007. 1876 Voy. supra nos 170 à 172.

Chapitre I. Esquisses théoriques sur la responsabilité climatique de l’entreprise

453

§1. La recherche de fondements métajuridiques de la responsabilité climatique des

entreprises

491. Les fondements métajuridiques sont ceux qui, relevant de l’éthique, pourraient

servir de socle théorique à la responsabilité climatique des entreprises. En philosophie, le

concept éthique de responsabilité a ouvert la perspective d’une responsabilité envers la nature

mais aussi envers les générations futures au tournant des années 1980 (A). Aujourd’hui, cette

éthique de responsabilité est étendue à la problématique climatique (B).

A. L’éthique de responsabilité en philosophie

492. Comme l’écrivait le philosophe Hans Jonas (1903-1993), face à une perte de

repères dans un monde dont les possibilités nous dépassent, « l’éthique est là pour ordonner les

actions et pour réguler le pouvoir d’agir. Elle doit exister d’autant plus que les pouvoirs de

l’agir qu’elle doit réguler sont plus grands »1877. L’éthique dans la philosophie de Jonas est

formulée autour de l’idée de responsabilité. Jonas insiste sur le fait que « dorénavant on a une

relation de responsabilité à l’égard de la nature, précisément parce qu’elle se trouve maintenant

en notre pouvoir. C’est là quelque chose de nouveau, non seulement du point de vue de

l’histoire, histoire réelle de l’humanité, mais également du point de vue de la théorie

éthique »1878.

Effectivement, la modernité et la puissance technologique qui la caractérise posent des

problèmes éthiques d’un type nouveau. Pendant longtemps, les interventions techniques ne

perturbaient les équilibres naturels que momentanément, leur laissant le temps et la possibilité

de se rétablir d’eux-mêmes. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les activités humaines ont des

effets néfastes dont l’accumulation perturbe gravement les équilibres naturels, parfois

définitivement et de manière irréversible. Or l’acquisition d’un pouvoir inédit sur les conditions

essentielles de vie sur Terre, et a fortiori sur l’homme de demain, justifie l’élargissement des

champs classiques de l’éthique. Autrement dit, la puissance démesurée acquise par l’homme à

travers la technologie demande à définir une nouvelle éthique, qui tienne compte des

responsabilités de l’homme à l’égard de ses semblables, mais aussi de son environnement et

1877 H. Jonas, Le principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique, 1979, 3ème éd., Les

Éditions du Cerf, 1995, p. 61. 1878 H. Jonas, « De la gnose au Principe responsabilité. Un entretien avec Hans Jonas », in Esprit, mai 1991, p. 5-

21, spéc. p. 11-12.

Titre II. Jalons prospectifs d’une responsabilité climatique de l’entreprise

454

des générations futures. Ainsi, alors qu’elle était traditionnellement cantonnée au prochain avec

qui l’on partage un espace spatio-temporel de proximité1879, dans sa version nouvelle, l’éthique

prend en considération la condition totale de la vie humaine ainsi que l’avenir. Elle implique

alors de changer de paradigme de responsabilité : « Le nouvel ordre où se situe l’action humaine

exige une éthique qui lui soit proportionnée en matière de prévision et de responsabilité »1880.

493. Les effets néfastes des activités humaines sont désormais globaux, dans l’espace

et dans le temps, comme le montrent les problèmes liés à l’émission de gaz à effet de serre. En

effet, l’émission de gaz à effet de serre à un point quelconque du globe a des répercussions sur

l’ensemble du climat. De plus, la dynamique du réchauffement climatique est aujourd’hui

déterminée avec un fort degré de probabilité pour la période allant jusqu’à la fin du siècle, et

même au-delà. Ses conséquences sur les générations futures sont de plus en plus certaines,

appelant à une responsabilité envers celles-ci1881. D’ailleurs, telle qu’elle se dessine

actuellement à partir des décisions de justice, la responsabilité climatique prend en compte cette

responsabilité intergénérationnelle. Progressivement, l’éthique de responsabilité s’étend à la

problématique climatique.

B. L’extension de l’éthique de responsabilité à la problématique climatique

494. Le processus de construction d’une éthique de responsabilité envers le

changement climatique est en cours. Or l’éthique de responsabilité « donne un sens au droit

applicable à l’égard du responsable qui a commis l’acte dommageable et de la victime qui en

supporte les conséquences »1882. Nous verrons que, fondée sur des valeurs universelles (2), la

responsabilité climatique est au carrefour de la responsabilité juridique et éthique (1).

1879 En ce sens, Hans Jonas rappelle qu’« auparavant, l’éthique parlait du rapport de l’homme à l’autre homme, en

d’autres termes elle se souciant de justice, de loyauté, des commandements : “Tu ne tueras pas ; tu ne commettras

pas l’adultère ; tu ne voleras pas”, ainsi que “tu rendras justice à autrui”, “tu ne feras pas de parjure” » : H. Jonas,

« De la gnose au Principe responsabilité. Un entretien avec Hans Jonas », op. cit., spéc. p. 11. 1880 H. Jonas, « Technologie et responsabilité. Pour une nouvelle éthique », in Esprit, septembre 1974, p. 163-184,

spéc. p. 177. 1881 F. Cerutti, « Le réchauffement de la planète et les générations futures », Pouvoirs, vol. 127, n° 4, 2008, p. 107-

122. 1882 Y. Lambert-Faivre, « L’éthique de la responsabilité », RTD civ., 1998, p. 1 et s., spéc. p. 3.

Chapitre I. Esquisses théoriques sur la responsabilité climatique de l’entreprise

455

1. La responsabilité climatique entre responsabilité juridique et responsabilité éthique

495. L’originalité de la responsabilité en matière climatique consiste en ce qu’elle

n’est pas neutre sur le terrain éthique et moral. D’ailleurs, affirmer la nécessité de consacrer

juridiquement une telle responsabilité, c’est prendre position sur une question relevant en

grande partie du domaine de l’éthique. Est-ce que les acteurs à l’origine de l’aggravation des

changements climatiques doivent assumer une responsabilité en matière climatique ? Est-ce de

leur devoir que de protéger le climat et les populations contre les risques environnementaux et

climatiques ? Le cas échéant, quelle responsabilité découlerait de ce devoir à la fois éthique,

moral et juridique ?

Force est de constater que le paysage normatif encadrant les activités des acteurs du

changement climatique évolue, de même que les attentes de la société civile à l’égard de ces

derniers. Dans ce contexte, les nouvelles normes juridiques possèdent un arrière-plan éthique,

parfaitement assumé et faisant l’objet d’un relatif consensus social. À y regarder de plus près,

le contenu de ces normes est, en effet, bien plus substantiel qu’il n’y paraît. Il ne s’agit pas que

de normes techniques, mais de normes qui visent à sensibiliser les acteurs, à les responsabiliser,

à changer profondément leur comportement, les obligeant à prendre en compte les impacts de

leurs activités à l’occasion des décisions de gestion ou à faire preuve de vigilance dans des

domaines qui ne relèvent traditionnellement pas de leur champ d’action… On assiste ainsi à

une articulation entre ces deux niveaux de normativités : morale et juridique.

496. Les litiges en matière climatique apparaissent comme le résultat d’attentes

de conformité du droit positif à un principe ouvertement revendiqué, à savoir le principe

de responsabilité en matière climatique. Ce principe serait la contrepartie du pouvoir qu’ont

progressivement acquis les acteurs à l’origine du réchauffement climatique, qui est,

négativement, un pouvoir de nuisance et, positivement, un pouvoir d’action.

De plus en plus mobilisée par les victimes du changement climatique, la responsabilité

climatique se présente actuellement comme un outil qui pourrait permettre de relever ses

différents défis (environnementaux, sociaux et intergénérationnels…). Or cet outil aurait la

capacité de provoquer des mutations dans l’institution de la responsabilité, non seulement d’un

point de vue théorique mais aussi technique. Comme le relèvent certains auteurs, « il s’opère

ainsi un passage d’une conception classique de la responsabilité, dans laquelle le lien de

causalité serait nécessaire et indispensable, à une conception plus “humanitaire”,

“transgénérationnelle” et “universalisable” dans laquelle la causalité se trouve dans l’existence

Titre II. Jalons prospectifs d’une responsabilité climatique de l’entreprise

456

d’une obligation de protection des populations contre des risques environnementaux et

climatiques et dans la protection du droit à la vie et à la santé »1883.

497. Les contours de la responsabilité climatique sont encore relativement flous. Une

chose est cependant certaine : ce nouveau type de responsabilité juridique, qui permettra de

réparer les dommages climatiques, a une dimension éthique non négligeable.

De surcroît, la réparation ou l’exclusion des dommages climatiques n’est pas neutre

mais répond à certaines valeurs déterminantes. La responsabilité climatique est, en effet, fondée

sur des valeurs universelles.

2. La responsabilité climatique fondée sur des valeurs universelles

498. Dans son ouvrage Vers une communauté de valeurs ?, quatrième tome de la série

Les forces imaginantes du droit, le Professeur Mireille Delmas-Marty rappelle la place du droit

dans l’émergence d’une communauté humaine de valeurs : « Même s’il est insuffisant à lui

seul, le droit n’en est pas moins nécessaire pour consolider le choix de valeurs en permettant de

les formaliser (fonction législative) et de les mettre en œuvre (fonction judiciaire et

exécutive) »1884. L’auteure parle, d’ailleurs, de « préférences éthiques, auxquelles les valeurs

peuvent être provisoirement assimilées »1885.

Ainsi, les juges saisis d’affaires climatiques pourraient, à l’occasion de la décision de

justice, choisir de promouvoir les valeurs qu’ils considèrent comme étant nécessaires, voire

indispensables, dans le contexte troublant du réchauffement climatique. Ces valeurs ont un

caractère universel. Effectivement, un consensus existe, à l’échelle planétaire, sur la nécessité

de préserver les biens publics mondiaux et de défendre les droits de l’homme et droits

fondamentaux. Les dispositifs en matière de droits de l’homme, notamment la Déclaration

universelle des droits de l’homme (DUDH), l’équité et la solidarité pourraient – comme l’écrit

le Professeur Delmas-Marty – « esquisser des valeurs suffisamment universalisables pour

donner des repères et inspirer, par anticipation sur l’avenir, une communauté mondiale de

1883 M. Torre-Schaub (dir.), Les dynamiques du contentieux climatique. Usages et mobilisations du droit pour la

cause climatique, Rapport de recherche, décembre 2019, p. 78, en ligne : http://www.gip-recherche-justice.fr/wp-

content/uploads/2020/01/17.05-RF-contentieux-climatiques.pdf. 1884 M. Delmas-Marty, Vers une communauté de valeurs : Les forces imaginantes du droit, Tome 4, Seuil, coll. «

La Couleur des idées », 2011, p. 20. 1885 Ibid.

Chapitre I. Esquisses théoriques sur la responsabilité climatique de l’entreprise

457

destin »1886. Par ailleurs, la diversité des cultures, qui certes est un fait, ne s’oppose pas à

l’universalisme des valeurs.

C’est donc sur la base de ces valeurs universelles que se construit actuellement la

responsabilité climatique.

D’une manière générale, il est acquis depuis longtemps que la responsabilité reflète

l’état d’une société et ses valeurs déterminantes. Martine Rémond-Gouilloud écrivait ainsi que

« le droit de la responsabilité chargé de la réparation du préjudice, reflète l’état d’une société ;

celle-ci, par l’intermédiaire de ses lois et de ses juges, reconnaît ses valeurs »1887. Dans le

domaine pénal, un auteur relevait aussi que « plus forte est la peine sanctionnant une atteinte à

une valeur, plus cette valeur occupe une place importante dans la hiérarchie des intérêts sociaux

pénalement protégés »1888. Si l’atteinte au climat n’est pour l’heure pas sanctionnée par le droit

pénal, les propositions de consécration du crime d’écocide1889 ont ouvert le débat sur la valeur

que la société contemporaine accorde à l’environnement. Assurément, des évolutions sont en

cours.

499. Pour résumer, au-delà de toutes les questions techniques, le changement

climatique pose la question des valeurs essentielles de notre époque. À travers la protection du

climat, il s’agit de protéger des valeurs concernant l’humanité présente, l’humanité à venir et le

monde non vivant. La responsabilité climatique, qui est une responsabilité juridique avec une

dimension éthique assumée, est donc fondée sur ces valeurs que l’on peut qualifier

d’universelles. Mais outre les fondements métajuridiques, c’est-à-dire relevant de l’ordre moral

et éthique, il est possible d’identifier de nombreux fondements relevant de la sphère juridique,

qui pourraient justifier la consécration en droit de la responsabilité climatique.

§2. La recherche de fondements juridiques de la responsabilité climatique des entreprises

500. Différents fondements juridiques permettent de réceptionner en droit l’idée

d’une responsabilité climatique des entreprises. Cette responsabilité semble, tout d’abord, se

dégager des principes de prévention, de précaution, du pollueur-payeur (A). Mais en observant

1886 M. Delmas-Marty, « Dommages climatiques. Quelles responsabilités ? Quelles réparations ? », Journal

international de bioéthique et d’éthique des sciences, vol. 30, n° 2, 2019, p. 11-16, spéc. p. 14. 1887 M. Rémond-Gouilloud, « Le prix de la nature : l’évaluation du patrimoine naturel », Revue française de

l’administration publique, n° 53, 1990, p. 61. 1888 M.-J. Littmann-Martin, « Le nouveau régime répressif des installations classées », Revue juridique de

l’environnement, 1987, p. 25. 1889 Voy. supra nos 450 et 451.

Titre II. Jalons prospectifs d’une responsabilité climatique de l’entreprise

458

le développement du contentieux climatique à travers le monde, on remarque que la

responsabilité climatique connaît aujourd’hui des évolutions qui élargissent davantage son

champ d’application aux domaines touchant les droits fondamentaux et les droits de l’homme.

(B).

A. Le devoir de protection du climat et les principes du droit de l’environnement

501. Comme il a été relevé par la doctrine1890, la responsabilité climatique des

entreprises repose sur l’existence d’un devoir de protection du climat, et plus généralement de

la sécurité de l’humanité et de l’environnement, qui se situe au carrefour des principes de

prévention, de précaution (1) et du pollueur-payeur (2).

1. La responsabilité climatique découlant des principes de prévention et de précaution

502. Principe de prévention. Le principe de prévention est un principe juridique1891

qui vise à empêcher la survenance d’atteintes à l’environnement par des mesures appropriées

dites préventives. Il doit être mis en œuvre à chaque fois que les risques résultant d’une activité

sont connus, et que la nature et l’ampleur des dommages, ainsi que leurs probabilités de

survenance, peuvent être déterminées avec une relative précision.

Or la prévention des nuisances est un enjeu majeur dans le contexte du changement

climatique. Concrètement, le principe de prévention commande que l’ensemble des acteurs

définissent et mettent en œuvre des actions visant à atténuer le changement climatique et à s’y

adapter. Ainsi, il convient notamment de renforcer la résilience face au changement climatique

(adaptation) et de développer des produits à faible émission de gaz à effet de serre (atténuation).

Les acteurs doivent également anticiper, éviter ou minimiser les dommages en lien avec le

changement climatique, où qu’ils se produisent.

503. Principe de précaution. Par opposition au principe de prévention, le principe

de précaution1892 intervient lorsque les risques de dommages liés à l’activité ne sont pas

1890 L. Neyret, « La reconnaissance de la responsabilité climatique », D., 2015, p. 2278. 1891 C. env., art. L. 110-1, II, 2° ; art. 3 de la Charte de l’environnement : « Toute personne doit, dans les conditions

définies par la loi, prévenir les atteintes qu’elle est susceptible de porter à l’environnement ou, à défaut, en limiter

les conséquences ». Voy. supra n° 144. 1892 C. env., art. L. 110-1, II, 1° ; art. 5 de la Charte de l’environnement : « Lorsque la réalisation d’un dommage,

bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible

l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines

Chapitre I. Esquisses théoriques sur la responsabilité climatique de l’entreprise

459

forcément connus et doivent encore faire l’objet d’études scientifiques sérieuses. En vertu de

ce principe, l’incertitude sur la réalité de dommages graves et irréversibles causés à

l’environnement ne justifie pas l’inaction. Cette incertitude doit, au contraire, entraîner des

mesures de précaution et de prévention des risques à un coût économiquement acceptable1893.

Avec la précaution, on vise à concilier anticipation et imprévisibilité1894. La précaution

est perçue comme « un comportement de prudence face à des situations de forte incertitude

scientifique sur les relations de causalité impliquées dans la réalisation du risque ou sur

l’étendue ou la gravité des dommages que cette dernière entraînerait »1895. Elle ne vise pas toute

situation de risque mais uniquement « celles qui sont marquées par l’incertitude et l’éventualité

des dommages irréversibles »1896.

Comme le note un auteur, « l’intérêt du principe de précaution serait de conférer à la

responsabilité civile une “fonction préventive principale” qui justifierait une responsabilité dite

conservatoire laquelle […] pourrait même prendre son autonomie »1897. Selon Gilles Martin,

l’action préventive aurait un double objet : « d’une part, éviter dans l’immédiat de “laisser

faire” en situation d’incertitude légitime, d’autre part et surtout, produire de la connaissance sur

le risque en cause, soit afin de donner naissance à une action préventive – si l’hypothèse de

risque est vérifiée –, soit dans le but de “libérer” l’activité en levant l’hypothèse de risque »1898.

La question de l’application concrète du principe de précaution par les acteurs non

étatiques1899, notamment les entreprises, attise les passions. D’aucuns ne cessent de brocarder

à son sujet, puisqu’ils y voient un principe d’inaction qui a pour conséquence de bloquer

l’innovation des entreprises et de les priver de la possibilité de prendre certains risques, qui sont

pourtant parfois nécessaires au développement des activités. Cependant, dans le régime du

d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et

proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ». Voy. supra n° 58. 1893 Autrement dit, le principe de précaution doit être compatible avec les impératifs de croissance économique. 1894 M. Delmas-Marty, « Dommages climatiques. Quelles responsabilités ? Quelles réparations ? », op. cit., spéc.

p. 15. 1895 M. Torre-Schaub, « Le principe de précaution dans la lutte contre le réchauffement climatique : entre

croissance économique et protection durable », Revue européenne du droit de l’environnement, n° 2, 2003, p. 151-

170, spéc. p. 152. 1896 F. Ewald, « Le retour du malin génie. Esquisse d’une philosophie de la précaution », in Le principe de

précaution dans la conduite des affaires humaines, sous la dir. de O. Godard, Éditions de la Maison des sciences

de l’homme, Institut national de la recherche agronomique, 1997, p. 99-126, spéc. p. 110. 1897 S. Amrani-Mekki, « Le procès – Vers un droit processuel de l’environnement ? – Actions préventives et

principe de précaution », in Les notions fondamentales de droit privé à l’épreuve des questions environnementales,

sous la dir. de M. Mekki, Bruylant, coll. « Droit(s) et développement durable », 2016, p. 187-211, spéc. p. 188-

189. 1898 G. Martin, « Principe de précaution, prévention des risques et responsabilité : quelle novation, quel

avenir ? », AJDA, 2005, p. 2222. 1899 Voy. J. Poirot, « Quelle gouvernance pour la mise en œuvre du principe de précaution ? », Mondes en

développement, vol. 136, n° 4, 2006, p. 49-65.

Titre II. Jalons prospectifs d’une responsabilité climatique de l’entreprise

460

climat, le principe de précaution est affirmé, dès l’origine, comme un principe d’action1900. En

effet, l’article 3.3 de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques

précise que « quand il y a risque de perturbations graves ou irréversibles, l’absence de certitude

scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour différer l’adoption de telles mesures ».

Or, comme l’a relevé Marta Torre-Schaub, le fait de ne pas remettre à plus tard l’adoption des

mesures de précaution fait davantage allusion à l’action qu’à l’abstention1901.

Désormais, il est scientifiquement établi par les travaux du GIEC que les émissions

humaines de gaz à effet de serre tendent à perturber le climat et à accroître le risque de

phénomènes climatiques extrêmes. Il convient donc d’agir en prenant les mesures nécessaires

afin de limiter les émissions ainsi que les risques qui en découlent. Par ailleurs, un rapport

d’information édité par le Sénat en 1999 insistait déjà à cette époque sur le fait que « le principe

de précaution commande de freiner le changement climatique dès aujourd’hui »1902. L’auteur

du rapport évoque les opinions des détracteurs du principe de précaution, avant de souligner

que certains des dommages prévisibles, comme la réduction de la biodiversité et la destruction

d’écosystèmes côtiers, seront irréversibles : « Certains auteurs […] ont argué des incertitudes

quant aux conséquences précises du changement climatique pour préconiser de ne rien faire

avant d’en savoir plus, d’autant plus que “l’échelle de temps” du phénomène est très longue

[…] Certaines simulations économiques suggèrent par ailleurs qu’il serait économiquement

rationnel de repousser dans l’avenir la maîtrise des émissions afin de l’effectuer à moindre coût.

Ces simulations reposent toutefois sur un pari quant aux évolutions technologiques futures. Ce

pari est contraire au principe de précaution […] »1903. Autrement dit, l’impossibilité d’établir

des prévisions climatiques précises à l’horizon d’un siècle ne doit pas justifier l’inaction, et

c’est en ce sens que doit être interprété le principe de précaution.

504. Une volonté d’agir est affirmée malgré la présence d’incertitudes dans le

domaine climatique. Les principes de prévention et de précaution apparaissent, dans ce

contexte, comme des moteurs d’action puissants. En réalité, il s’agit tout simplement « de porter

la fonction préventive de la responsabilité civile à son degré le plus ultime, celui de

1900 Voy. supra n° 58. 1901 M. Torre-Schaub, « Le principe de précaution dans la lutte contre le réchauffement climatique : entre

croissance économique et protection durable », op. cit., spéc. p. 162. 1902 S. Lepeltier, Rapport d’information 346 (98-99), sur « Les instruments économiques et fiscaux visant à limiter

les émissions de gaz à effet de serre », Délégation du Sénat pour la planification, 11 mai 1999. 1903 Ibid. Nous soulignons.

Chapitre I. Esquisses théoriques sur la responsabilité climatique de l’entreprise

461

l’anticipation »1904. Ces principes peuvent servir de fondements juridiques à la responsabilité

climatique des entreprises. La seule difficulté est que l’action qui doit être envisagée en vertu

de ces principes n’est pas réellement définie.

2. La responsabilité climatique découlant du principe pollueur-payeur

505. Principe pollueur-payeur. Selon le principe pollueur-payeur1905, les frais

résultant des mesures de prévention, de réduction et de lutte contre la pollution doivent être pris

en charge par le pollueur. Il est parfois admis que ce principe a à la fois une dimension

préventive et une dimension curative. Seule cette dernière ressort des dispositions de la Charte

constitutionnelle de l’environnement, notamment de l’article 4 qui dispose que : « Toute

personne doit contribuer à la réparation des dommages qu’elle cause à l’environnement, dans

les conditions définies par la loi ». Comme vu précédemment1906, le principe pollueur-payeur

n’est pas formellement intégré à la Charte ; il n’a qu’une valeur législative.

En pratique, l’application du principe pollueur-payeur oblige les entreprises à

internaliser les coûts externes environnementaux. Pour autant, il ne convient sans doute pas de

limiter sa lecture à la seule imputation des coûts environnementaux au pollueur. Comme l’écrit

un auteur, « les normes de police environnementales, la fiscalité, la mise aux enchères de droits

à polluer, la responsabilité civile des pollueurs sont autant d’instruments de politiques publiques

[…] conformes [à ce] principe »1907. Notons toutefois qu’interprété de la sorte, « le principe

pollueur-payeur [reviendrait] à affirmer un principe général de responsabilité inconditionnelle

et, finalement, absolue des pollueurs »1908, ce qui n’est probablement pas justifié juridiquement.

506. L’application du principe pollueur-payeur en matière climatique est intéressante.

Certes, il n’est pas question ici de reconnaître l’existence d’un régime de responsabilité spéciale

en matière climatique qui reposerait entièrement sur le principe pollueur-payeur confondu avec

le principe d’internalisation des coûts. À vrai dire, étant donné que les règles classiques de

responsabilité présentent des limites considérables face aux pollutions d’origine diffuse, une

1904 C. Bloch, La cessation de l’illicite. Recherche sur une fonction méconnue de la responsabilité civile

extracontractuelle, préf. R. Bout, avant-propos Ph. le Tourneau, Dalloz, coll. « Nouvelle Bibliothèque de Thèses »,

2008, p. 17-18. 1905 C. env., L. 110-1, II, 3°. 1906 Voy. supra n° 128. 1907 E. de Sabran-Pontevès, « Chapitre III. La question de la pertinence juridique du principe pollueur-payeur dans

son acception large », in Les transcriptions juridiques du principe pollueur-payeur, PUAM, 2007, p. 243-300,

spéc. n° 4, en ligne : https://books.openedition.org/puam/1272?lang=en. 1908 Ibid. Nous soulignons.

Titre II. Jalons prospectifs d’une responsabilité climatique de l’entreprise

462

telle reconnaissance pourrait être tentante. Elle est néanmoins peu réaliste puisqu’elle repose

sur une confusion entre les notions de pollueur et de responsable1909. Or l’imputabilité définie

dans le cadre du principe pollueur-payeur ne peut pas remplacer la démonstration de l’existence

du lien de causalité nécessaire pour engager la responsabilité civile de l’auteur d’une pollution.

Comme l’expose parfaitement Christian Larroumet : « C’est une chose de faire peser une

charge sur un pollueur potentiel, c’en est une autre de désigner un responsable de la pollution,

tenu, à ce titre, à la réparation des dommages causés. Certes, il n’est pas exclu que la

responsabilité puisse éventuellement conduire à un résultat qui corresponde à l’idée de faire

peser sur le pollueur la charge économique de la remise en état de l’environnement. Mais il

n’en résultera pas pour autant que c’est le principe pollueur-payeur qui justifie la

responsabilité. Aucun rapport de cause à effet ne doit être déduit d’une simple concordance

entre le principe et la responsabilité1910. Au-delà de cette concordance, la responsabilité

suppose que soient remplies les conditions de toute responsabilité civile : un fait générateur, un

dommage et un lien de causalité. Le principe pollueur-payeur est impuissant à légitimer les

conditions de la responsabilité pour fait de pollution, puisqu’il n’a d’autre signification que

l’imputation d’un coût »1911.

Il reste cependant que le principe pollueur-payeur – principe d’origine économique qui

a intégré la sphère juridique – pourrait tout à fait servir de fondement théorique à la

reconnaissance en droit de la responsabilité climatique des entreprises émettrices de gaz à effet

de serre. Le besoin de rassembler les conditions de la responsabilité serait alors toujours présent,

mais l’imputation serait, en quelque sorte, facilitée1912.

507. Il ressort de ce qui précède que la responsabilité climatique des entreprises

pourrait trouver des fondements juridiques dans l’existence de plusieurs principes du droit de

l’environnement. Le devoir de protection du climat se situe au carrefour de ces principes. Il ne

1909 Ibid., n° 48 : « […] le pollueur, dans le cadre du principe pollueur-payeur, est la personne sur laquelle est

imposée une charge financière en vue de l’internalisation des coûts d’une atteinte à l’environnement ; la

détermination de la personne résulte d’une pure préoccupation d’ordre préventif, sans lien avec la notion juridique

de responsabilité » ; et n° 55 : « Quand bien même une personne peut être tout à la fois pollueur et responsable,

ces deux notions, bien distinctes, doivent le demeurer. Il serait dangereux de substituer la reconnaissance de l’état

de pollueur, au sens des principes d’internalisation des coûts et pollueur-payeur, à l’exigence de démonstration

d’un lien de causalité dans le cadre de la responsabilité civile générale. Cette solution serait d’autant plus inutile

que le recours à la notion de pollueur n’est destiné qu’à combler subsidiairement les lacunes des régimes de

responsabilité civile et non pas les remplacer purement et simplement ». 1910 Nous soulignons. 1911 Ch. Larroumet, « La responsabilité civile en matière d’environnement », D., 1994, p. 101. 1912 Sur l’imputation de la responsabilité en matière climatique, voy. infra nos 541 et 542.

Chapitre I. Esquisses théoriques sur la responsabilité climatique de l’entreprise

463

s’agit cependant pas des seuls fondements juridiques. Les droits de l’homme, qui sont devenus

un nouvel enjeu du changement climatique, sont aussi un terrain à explorer.

B. Le devoir de protection du climat et la protection des droits de l’homme

508. La prise en compte des droits de l’homme constitue un facteur important de la

mobilisation internationale pour lutter contre le changement climatique. Mais l’inverse est

également vrai : le climat est un enjeu pour les droits de l’homme, « il s’impose aux États dans

le cadre des obligations positives en matière d’environnement et donc aux entreprises qui

doivent voir leurs activités encadrées sous cet angle »1913.

Le lien entre entreprises, droits de l’homme et changement climatique est évident (1).

Dès lors, il n’est guère surprenant que le fondement des droits de l’homme soit de plus en plus

invoqué dans les procès climatiques dirigés contre les entreprises (2).

1. La mise en évidence des interactions entre entreprises, droits de l’homme et changement

climatique

509. Il est aujourd’hui acquis que les entreprises ont une responsabilité en matière de

droits de l’homme (a). Dans le même temps, le lien entre les impacts du changement climatique

et la jouissance des droits de l’homme est désormais établi (b), si bien que la responsabilité des

entreprises en matière de droits de l’homme implique qu’elles assument aussi une responsabilité

en matière climatique.

a) La reconnaissance de standards de protection des droits de l’homme à la charge des

entreprises

510. La responsabilité des entreprises en matière de droits de l’homme1914 est

apparue en premier lieu au sein des instruments portant sur la responsabilité sociale des

1913 F.-G. Trébulle, « Responsabilité et changement climatique : quelle responsabilité pour le secteur privé ? », in

« Changement climatique et responsabilité. Quelles normativités ? » (Dossier), Énergie – Environnement –

Infrastructures, n° 8-9, août-sept. 2018, article 24. 1914 Voy. à ce sujet : L. Boy, J.-B. Racine et F. Siiriainen (dir.), Droit économique et droits de l’homme, Larcier,

2009 ; O. Morel, La responsabilité des entreprises en matière de droits de l’homme, Vol. 1, Nouveaux enjeux,

nouveaux rôles, Étude de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme, La Documentation

française, 2009 ; id., La responsabilité des entreprises en matière de droits de l’homme, Vol. 2, État des lieux et

perspectives d’action publique, Étude de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme, La

Titre II. Jalons prospectifs d’une responsabilité climatique de l’entreprise

464

entreprises (RSE). À l’instar de la RSE, il s’agit d’un concept juridique créé afin de combler

un vide juridique international. Le premier texte international qui a trait à la RSE et qui intègre

les droits de l’homme est le Pacte mondial des Nations Unies, ou Global Compact, lancé à

l’initiative de Kofi Annan en 2000. Comme vu précédemment1915, ce pacte ne dispose d’aucune

valeur contraignante. Il correspond simplement à des engagements volontaires de la part des

entreprises adhérentes. Ainsi, « les entreprises sont invitées à promouvoir et à respecter la

protection du droit international relatif aux droits de l’homme »1916 et « à veiller à ne pas se

rendre complices de violations des droits de l’homme »1917. En 2010, la norme ISO 260001918

a placé les droits de l’homme au cœur de ses lignes directrices relatives à la responsabilité

sociétale des organisations. En 2011, l’OCDE a révisé ses Principes directeurs à l’intention des

entreprises multinationales, y ajoutant un chapitre IV intitulé « Droits de l’homme ». L’OCDE

rappelle que le respect des droits de l’homme est la norme mondiale de conduite attendue des

entreprises, indépendamment de la capacité et/ou de la volonté des États de satisfaire à leurs

obligations en la matière1919. Ainsi, le fait qu’un État n’applique pas sa législation nationale

pertinente ou ne respecte pas ses obligations internationales en matière de droits de l’homme,

est sans effet sur la responsabilité des entreprises de respecter les droits de l’homme1920. Enfin,

à l’échelle européenne, la stratégie sur la RSE pour la période 2011-2014 de la Commission

européenne reconnaît « la nécessité d’accorder une plus grande attention aux droits de

l’homme »1921.

511. Mais la responsabilité des entreprises en matière de droits de l’homme s’est

progressivement émancipée de la RSE. Elle est devenue une notion à part entière en 2011,

lorsque le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a approuvé les Principes directeurs

Documentation française, 2009 ; E. Decaux (dir.), La responsabilité des entreprises multinationales en matière de

droits de l’homme, Nemesis, Bruyant, 2010 ; F. Marrella, Protection internationale des droits de l’homme et

activités des sociétés transnationales, RCADI, t. 385, 2017 ; Société française pour le droit international,

L’entreprise multinationale et le droit international, Colloque de Paris 8 Vincennes – Saint-Denis, Paris, Pedone,

2017 ; T. Soudain, La responsabilité des entreprises en matière de droits de l’Homme, thèse, Université de

Strasbourg, 2018. 1915 Voy. supra n° 253. 1916 Global Compact, Principe 1. 1917 Global Compact, Principe 2. 1918 Voy. supra n° 252. 1919 Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales, p. 38, n° 37, en ligne :

https://www.oecd.org/fr/daf/inv/mne/2011102-fr.pdf. 1920 Ibid., p. 38, n° 38. 1921 Communication de la Commission du 25 octobre 2011, « Responsabilité sociale des entreprises: une

nouvelle stratégie de l’UE pour la période 2011-2014 », COM(2011) 681 final, remplacé par COM(2011) 681

final/2 du 7 novembre 2012, p. 7.

Chapitre I. Esquisses théoriques sur la responsabilité climatique de l’entreprise

465

relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme1922, mettant en œuvre le cadre de référence

« Protéger, respecter et réparer » des Nations Unies. Ces principes portent exclusivement sur

les entreprises et les droits de l’homme. Leur objectif est d’améliorer les normes et les pratiques

concernant les entreprises et les droits de l’homme afin d’obtenir des résultats tangibles pour

les individus et les collectivités concernées. Dans son rapport sur la mise en œuvre

opérationnelle du cadre de référence « Protéger, respecter et réparer », le Représentant spécial

du Secrétaire général chargé de la question des droits de l’homme et des sociétés transnationales

conclut que : « Tout l’intérêt que les gouvernements penseraient avoir à appliquer aux

entreprises des normes moins élevées en matière de droits de l’homme ne serait qu’illusoire, et

aucun redressement durable ne peut reposer sur des bases aussi peu solides »1923. Les droits de

l’homme ne sont pas « un chapitre de la RSE, pas plus qu’ils ne sont une composante du

développement durable »1924. En quelque sorte, ils en sont une traduction juridique ; ils

l’enracinent dans un « socle de valeurs fondamentales »1925.

Il est vrai que, même imparfait, le droit international des droits de l’homme offre un

cadre juridiquement stable, approuvé par l’ONU et les États qui la composent. Il confère à ces

derniers toute légitimité pour agir afin de prévenir les atteintes aux droits de l’homme, de

sanctionner leurs auteurs et de garantir la réparation des victimes. Comme l’écrit un auteur,

« aborder la responsabilité des entreprises en matière de droits de l’homme permet de s’inscrire

dans un canevas idéologique universel et fixe un horizon politique sans ambiguïté »1926. Alors

que la responsabilité sociale des entreprises se présente comme un concept managérial qui

s’inscrit dans un cadre à géométrie variable, la responsabilité des entreprises en matière de

droits de l’homme « propose une construction plus politique que managériale »1927.

512. Les entreprises ont donc une responsabilité en matière de droits de l’homme.

Cependant, n’ayant pas la qualité de sujet de droit international1928, elles ne peuvent pas se voir

1922 En ligne : https://www.ohchr.org/documents/publications/guidingprinciplesbusinesshr_fr.pdf. 1923 Rapport du Représentant spécial du Secrétaire général chargé de la question des droits de l’homme et des

sociétés transnationales et autres entreprises, John Ruggie, Les entreprises et les droits de l’homme : Vers une

traduction opérationnelle du cadre « Protéger, respecter et réparer », 21 avril 2009, p. 29. 1924 O. Maurel, « Droits de l’homme », in Dictionnaire critique de la RSE, sous la dir. de N. Postel et R. Sobel,

Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2013, p. 125-130, spéc. p. 128. 1925 Ibid. 1926 Ibid. 1927 Ibid. 1928 Seuls les États demeurent unanimement considérés comme des sujets de droit international, même si une partie

de la doctrine développe des arguments en faveur de la reconnaissance de la personnalité juridique internationale

aux entreprises transnationales. Sur ces questions, voy. notamment : Th. Margueritte et R. Prouvèze, « Le droit

international et la doctrine saisis par le fait : la diversification des sujets du droit international sous l’effet de la

pratique », Revue québécoise de droit international, hors-série, mars 2016, p. 159-189. Par ailleurs, des auteurs

Titre II. Jalons prospectifs d’une responsabilité climatique de l’entreprise

466

appliquer directement ce droit. En ce sens, un auteur relève qu’« au regard du droit international

public classique, les sociétés transnationales n’existent pas comme sujets juridiques

puisqu’elles ne sont pas directement soumises à ses règles et elles ne peuvent pas ester en

justice »1929. Par conséquent, seuls les États peuvent se voir imposer des obligations de veiller

à ce que les droits de l’homme soient respectés par les entreprises soumises à leurs juridictions

respectives1930. L’État n’est alors pas considéré comme auteur de violations, mais comme

protecteur des individus contre les atteintes que les entreprises privées peuvent porter à leurs

droits. Au demeurant, cela n’exclut pas l’hypothèse où un État décide d’imposer des obligations

aux entreprises en matière de droits de l’homme en vertu du droit national. Que l’on songe ici

au législateur français qui a imposé aux sociétés mères et aux entreprises donneuses d’ordre un

devoir de vigilance en matière de protection des droits de l’homme et de l’environnement1931.

Dès lors, un auteur propose de distinguer, dans le cadre précis de la responsabilité en

matière de droits de l’homme, l’obligation de la responsabilité : « S’il est régulièrement établi

que le débiteur d’une obligation en est également responsable, cette fusion n’est pas irréfutable,

et l’obligation peut se détacher de la responsabilité. La personne obligée ne sera donc pas celle

tenue responsable de son application »1932. Ainsi, malgré le fait que le droit international

n’oblige pas directement les entreprises, les violations commises par une entreprise sur un

territoire donné sont susceptibles d’être jugées et réparées par des instances nationales, sans

difficulté liée à la personnalité juridique de l’auteur des violations.

Pour finir sur ce point, à l’avenir, il serait peut-être judicieux de dépasser cette

conception du droit international centrée sur l’État au profit d’obligations directement élaborées

pour les entreprises1933. Cette idée peut sembler relever de l’utopie. Il est pourtant vrai que

l’élaboration d’une responsabilité juridique internationale directe permettrait de régler de

relèvent que « reconnaître aux entreprises transnationales la qualité de sujets du droit international, sujets mineurs

et dérivés au demeurant, ne se heurte à aucun obstacle théorique ou pratique dirimant » : P. Daillier, M. Forteau,

N. Quoc Dinh et A. Pellet, Droit international public, L.G.D.J., 8ème éd., 2009, p. 506 et p. 714. 1929 A. Mahiou, Le droit international ou la dialectique de la rigueur et de la flexibilité. Cours général de droit

international, RCADI, t. 337, 2009, p. 265. 1930 Pour une approche critique, voy. F. Marrella, Protection internationale des droits de l’homme et activités des

sociétés transnationales, op. cit., p. 191 : « Autrement dit – et c’est une tautologie évidente ! – en droit international

“public”, les entreprises multinationales ne sont pas des sujets de ce droit car elles ne sont ni des États ni des

organisations internationales au sens du droit international ! N’ayant pas de personnalité juridique, [elles

bénéficient], de jure et de facto, d’une immunité spéciale qui les protège contre toute mise en cause au niveau

international ». 1931 Loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises

donneuses d’ordre, JO, 28 mars 2017, voy. supra n° 302 et s. 1932 T. Soudain, La responsabilité des entreprises en matière de droits de l’Homme, op. cit., p. 44. 1933 Ibid., p. 54.

Chapitre I. Esquisses théoriques sur la responsabilité climatique de l’entreprise

467

nombreux problèmes posés par la mondialisation et faciliterait la réparation des préjudices subis

par les victimes.

513. En bref, lorsque l’extraterritorialité est en jeu, le droit international des droits de

l’homme peine à donner les réponses adéquates aux violations des droits de l’homme causées

par les activités des entreprises. Ceci est d’autant plus vrai lorsque ces violations sont en lien

avec la dégradation de l’environnement. Mais plus délicate encore est la question des violations

des droits de l’homme en lien avec les émissions de gaz à effet de serre. Nous verrons que le

lien entre les impacts du changement climatique et la jouissance des droits de l’homme est

désormais parfaitement établi. Il restera à savoir comment ce lien se traduit sur le plan juridique,

notamment sur le terrain de la responsabilité.

b) Le lien entre les impacts du changement climatique et la jouissance des droits de l’homme

514. Illustrations. Le changement climatique entraîne une augmentation du nombre

de catastrophes naturelles. Ces dernières mettent en péril la vie des individus, particulièrement

dans les pays en développement. Les vagues de chaleur, conséquence directe du réchauffement

climatique, entraînent une augmentation du nombre de décès et de blessures. Le droit à la vie

et à l’intégrité du corps de ces personnes est menacé par le changement climatique. S’agissant

des tensions entre le droit à l’alimentation et les mesures de riposte1934 liées aux changements

climatiques, l’exemple des biocarburants est emblématique. En 2008, le rapporteur spécial des

Nations Unies pour le droit à l’alimentation, Jean Ziegler, a déclaré que la production massive

de biocarburants « est aujourd’hui un crime contre l’humanité » du fait de son impact sur

l’envolée des prix alimentaires mondiaux. Pour rappel, en 2007-2008, le détournement de

centaines de millions de tonnes de maïs vers la production de biocarburants a causé une flambée

des prix et des « émeutes de la faim ». Les conséquences ont été catastrophiques puisque 37

pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine ont alors été touchés par la crise alimentaire.

Plus globalement, le changement climatique transforme la façon dont nous concevons

la sécurité, non pas tant la sécurité nationale que notre sécurité collective dans un monde fragile

et interdépendant. L’élévation du niveau des eaux, les inondations et la famine provoquent des

migrations à une échelle sans précédent. Les migrants climatiques, de plus en plus nombreux,

1934 Il s’agit des mesures d’atténuation et d’adaptation au changement climatique.

Titre II. Jalons prospectifs d’une responsabilité climatique de l’entreprise

468

sont perçus comme « le visage humain du changement climatique »1935. Dans le même temps,

la sécheresse et les mauvaises récoltes engendrent une compétition intensifiée pour la

nourriture, l’eau et l’énergie dans des régions où les ressources sont déjà extrêmement limitées.

Le changement climatique constitue, à ce titre, une véritable menace pour la paix, comme l’a

déclaré en 2011 le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-Moon devant le Conseil de sécurité.

515. « L’humanisation » du changement climatique. Le 15 janvier 2009, le Haut-

Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme a élaboré un rapport sur la relation

entre droits de l’homme et changements climatiques1936. Le Haut-Commissariat a noté que les

conséquences du changement climatique peuvent engendrer des violations des droits de

l’homme, notamment le droit à la vie, le droit à une nourriture suffisante, le droit à l’eau, le

droit à la santé, le droit à un logement convenable et le droit des peuples à disposer d’eux-

mêmes (ou droit à l’autodétermination). Ce premier rapport a posé le cadre à partir duquel s’est

développée l’appréhension des changements climatiques par le système onusien. Mais les

interactions entre droits de l’homme et changement climatique ont surtout été mises en lumière

dans les rapports du GIEC, notamment dans le rapport de mars 2014 Changements climatiques

2014 : Impacts, adaptation et vulnérabilité.

Il est désormais acquis que les impacts du changement climatique, mais aussi les

mesures d’atténuation et d’adaptation aux effets du changement climatique, auront des

répercussions sur les conditions de vie des personnes et sur leurs droits. Pour cette raison, les

politiques d’atténuation et d’adaptation élaborées par les États doivent être cohérentes au regard

de l’exercice des droits humains. La doctrine juridique souligne que cette approche fondée sur

les droits de l’homme en matière climatique renforce l’idée d’une « humanisation des

changements climatiques »1937. Progressivement, le lexique des droits de l’homme est entré

dans le régime du climat.

Ainsi, la décision de la Conférence des Parties Appel de Lima pour l’action climatique

dispose que « toutes les actions visant à lutter contre les changements climatiques et tous les

1935 Selon une étude de la Banque mondiale, l’aggravation des effets du changement climatique dans trois régions

du monde densément peuplées (l’Afrique subsaharienne, l’Asie du Sud et l’Amérique latine) pourrait pousser plus

de 140 millions de personnes à migrer à l’intérieur de leur propre pays d’ici 2050. Voy. Groundswell : Se préparer

aux migrations climatiques internes, 2018. Quant à l’échelle transnationale, l’estimation de 200 millions de

migrants climatiques d’ici à 2050 fait désormais figure de référence. Voy. O. Brown, Migrations et changements

climatiques, Organisation internationale pour les migrations (OIM), Série Migration Research, 2008, p. 11. 1936 Report of the Office of the United Nations High Commissioner for Human Rights on the relationship between

climate change and human rights (A/HRC/10/61), 15 janvier 2009. 1937 Ch. Cournil et C. Perruso, « Réflexions sur “l’humanisation” des changements climatiques et la “climatisation”

des droits de l’Homme. Émergence et pertinence », La Revue des Droits de l’Homme, Actualités Droits-Libertés,

juin 2018, en ligne : https://journals.openedition.org/revdh/3930.

Chapitre I. Esquisses théoriques sur la responsabilité climatique de l’entreprise

469

processus établis au titre du présent accord devraient garantir une approche tenant compte du

principe de l’égalité des sexes, prendre en compte l’intégrité environnementale/la protection de

l’intégrité de la Terre mère, et respecter les droits de l’homme, le droit au développement et les

droits des peuples autochtones »1938. Par la suite, les droits de l’homme ont été mentionnés à

plusieurs reprises1939 dans le projet de texte de l’Accord de Paris. La rédaction de certains

articles a, d’ailleurs, beaucoup évolué1940. Cependant, du fait des tensions entre certains États,

les dispositions expresses prévoyant la prise en compte des droits de l’homme n’ont finalement

pas été retenues. L’adoption de telles dispositions dans un traité aurait pourtant permis « d’offrir

une plus grande autorité et force juridique »1941 qu’une simple mention dans une décision de la

Conférence des Parties, qui – on le rappelle – relève du droit souple1942. Comme l’ont résumé

Christel Cournil et Camila Perruso, « certains États ont bien compris le “saut qualitatif” que

cela représentait en termes d’obligations et ont fait leur possible pour réduire cette “coloration”

droits de l’homme dans l’Accord de Paris ». Ainsi, dans sa version définitive, l’Accord de Paris

ne contient qu’une seule référence aux droits de l’homme. Celle-ci se trouve dans le préambule

de l’Accord : « les Parties devraient respecter, promouvoir et prendre en considération leurs

obligations respectives concernant les droits de l’homme, le droit à la santé, les droits des

peuples autochtones, des communautés locales, des migrants, des enfants, des personnes

handicapées et des personnes en situation vulnérable et le droit au développement, ainsi que

l’égalité des sexes, l’autonomisation des femmes et l’équité entre les générations ». La portée

de cette disposition est réduite. Comme le note un auteur, « le texte se contente de stipuler que

les États “devraient” (should), et non pas “doivent” (shall), respecter ces devoirs moraux, ce

qui les rend non-contraignants »1943.

Malgré cette consécration textuelle limitée, la prise en compte des droits de l’homme

dans le régime du climat est en progression. Le 22 juin 2017, le Conseil des droits de l’homme

des Nations Unies a adopté la résolution « Droits de l’homme et changements climatiques »1944.

1938 Décision -/CP.20, Lima Call for Climate Action, FCCC/CP/2014/10/Add.1, 2 février 2015, p. 7. 1939 Voy. Groupe de travail spécial de la plate-forme de Durban pour une action renforcée, Texte de négociation,

FCCC/ADP/2015/1, 25 février 2015. 1940 Dans une ancienne version du texte, l’article 2.2 de l’Accord était rédigé ainsi : « Le présent Accord sera

appliqué conformément à l’équité et au principe des responsabilités communes mais différenciées et des capacités

respectives, eu égard aux différentes situations nationales, et sur la base du respect des droits de l’homme ». 1941 Ch. Cournil et C. Perruso, « Réflexions sur “l’humanisation” des changements climatiques et la “climatisation”

des droits de l’Homme. Émergence et pertinence », op. cit. 1942 Même s’il est vrai que l’Accord de Paris est lui-même un mélange hybride de droit souple et de droit dur. Voy.

sur cette question : M. Lemoine-Schonne, « La flexibilité de l’Accord de Paris sur les changements climatiques »,

Revue juridique de l’environnement, vol. 41, n° 1, 2016, p. 37-55. 1943 M. Bourban, « Justice climatique et négociations internationales », Négociations, vol. 27, n° 1, 2017, p. 7-22,

spéc. p. 13. 1944 Résolution 25/20 « Droits de l’homme et changements climatiques », 22 juin 2017, A/HRC/RES/35/20.

Titre II. Jalons prospectifs d’une responsabilité climatique de l’entreprise

470

Le Conseil note que « les effets néfastes des changements climatiques ont une série

d’incidences, susceptibles d’augmenter si le réchauffement de la planète s’accentue, tant

directes qu’indirectes, sur l’exercice effectif des droits de l’homme, notamment le droit à la vie,

le droit à une nourriture suffisante, le droit de jouir du meilleur état de santé physique et mentale

susceptible d’être atteint, le droit à un logement convenable, le droit à l’autodétermination, le

droit à l’eau potable et à l’assainissement et le droit au développement »1945. Il constate avec

préoccupation que « si ces incidences affectent les individus et les communautés du monde

entier, les effets néfastes des changements climatiques touchent le plus durement les groupes

humains déjà en situation de vulnérabilité »1946. C’est d’ailleurs l’une des tragédies du

réchauffement climatique : les plus vulnérables et les moins armés pour y faire face sont ses

premières victimes…

516. Le changement climatique a des incidences manifestes sur l’exercice même des

droits de l’homme. Par conséquent, le respect des droits de l’homme, qui s’impose aux

différents acteurs (États comme entreprises), implique une meilleure prise en considération de

la part de ces derniers des effets de leurs actions sur le changement climatique. Les acteurs de

la protection des droits de l’homme sont aussi ceux de la lutte contre le changement climatique.

Certes, la force normative des droits de l’homme dans le régime du climat laisse à désirer. De

même, il est difficile de qualifier les impacts du changement climatique en violation des droits

de l’homme, en raison de la difficulté d’établir le lien de causalité entre ces impacts et les actes

ou omissions des différents acteurs. Il n’en demeure pas moins que cette approche des droits de

l’homme s’immisce désormais dans certains contentieux climatiques qui se développent devant

les juges nationaux et qui concernent, pour partie, les entreprises.

2. L’entrée des droits de l’homme dans les contentieux climatiques contre les entreprises

517. La stratégie précontentieuse fondée sur les droits de l’homme dans l’affaire

philippine Greenpeace Southeast Asia et al. v. Carbon Majors. En septembre 2015, plusieurs

organisations non gouvernementales, dont Greenpeace Asie du Sud-Est, et individus ont déposé

1945 Ibid. 1946 Ibid.

Chapitre I. Esquisses théoriques sur la responsabilité climatique de l’entreprise

471

une pétition1947 devant la Commission des droits de l’homme des Philippines1948 (Commission

on Human Rights). Ils ont demandé à la commission d’ouvrir une enquête sur la responsabilité

de quarante-sept entreprises pétrolières ayant des exploitations ou une présence aux Philippines,

pour violation des droits de l’homme ou menaces de violations résultant des impacts du

changement climatique. Au demeurant, notons que les Philippines sont considérées par le

Global Climate Risk Index1949 comme l’un des cinq pays les plus touchés au monde par les

impacts du changement climatique. Les entreprises visées font partie des Carbon Majors

identifiés dans le rapport Heede1950. Les plaignants ont souligné que ces derniers sont en grande

partie responsables des bouleversements climatiques qui ont privé des millions de philippins de

leurs droits fondamentaux, dont celui à la vie, à l’eau potable et à un logement convenable.

En décembre 2017, la commission a confirmé qu’elle enquêterait sur les violations

alléguées des droits de l’homme découlant des contributions des Carbon Majors au changement

climatique. Au cours de l’année 2018, des investigations ont eu lieu, aux Philippines comme à

l’étranger (notamment à Londres et à New York).

Les conclusions de l’enquête ont été annoncées le 9 décembre 2019, lors de la COP 25

à Madrid, par le président de la Commission, Roberto Eugenio T. Cadiz. Ce dernier a affirmé

que les Carbon Majors ont joué un rôle évident dans le changement climatique anthropique et

pourraient être tenues pour responsables de ses impacts. Le commissaire Cadiz a souligné que,

si la responsabilité juridique des dommages climatiques n’est pas couverte par le droit

international actuel des droits de l’homme, les entreprises de combustibles fossiles ont « une

responsabilité morale claire » et une responsabilité de respecter les droits humains telle que

définie dans les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de

l’homme. Il a ajouté qu’il est également possible de tenir les entreprises pénalement

responsables lorsqu’il est clairement prouvé qu’elles se sont livrées à des actes d’« obstruction

1947 Greenpeace Southeast Asia and Philippine Rural Reconstruction Movement, Petition to the Commission on

Human Rights of the Philippines, Requesting for Investigation of the Responsibility of the Carbon Majors for

Human Rights Violations or Threats of Violations Resulting from the Impacts of Climate Change, 22 sept. 2015. 1948 Celle-ci est une autorité administrative à laquelle l’ordre juridique philippin reconnaît des pouvoirs d’enquête

très larges. Elle peut conduire des enquêtes portant sur « toute forme » de violation des droits de l’homme dont le

peuple philippin aurait été victime, qu’elle soit imputable à des acteurs publics ou à des acteurs privés. La

commission a compétence pour commander que les demandes soient portées à la connaissance d’une juridiction,

mais ne pourra pas accorder des dommages et intérêts ou exercer des pouvoirs d’injonction. 1949 Publié annuellement, le Global Climate Risk Index (Indice mondial des risques climatiques) analyse dans

quelle mesure les pays ont été touchés par les effets des différents événements météorologiques (tempêtes,

inondations, vagues de chaleur, etc.). Voy. la version de 2020 :

https://germanwatch.org/sites/germanwatch.org/files/20-2-

01e%20Global%20Climate%20Risk%20Index%202020_14.pdf. 1950 R. Heede, Carbon Majors: Accounting for carbon and methane emissions 1854-2010. Methods and Results

Report, Snowmass, Climate Mitigation Services, 2013.

Titre II. Jalons prospectifs d’une responsabilité climatique de l’entreprise

472

volontaire ». La Commission des droits de l’homme estime, d’ailleurs, que le droit civil en

vigueur aux Philippines permettrait probablement d’intenter une action en justice contre les

entreprises. Au-delà des répercussions médiatiques de cette affaire et du risque réputationnel

qui en résulte pour les entreprises mises en cause, cette procédure précontentieuse fondée sur

les droits de l’homme permettrait aux victimes d’étoffer un éventuel recours contentieux devant

le juge national. À suivre…

518. Assurément, les droits de l’homme sont perçus aujourd’hui comme un

levier pour engager la responsabilité des entreprises en lien avec le changement

climatique. Les émissions de gaz à effet de serre des grandes entreprises polluantes peuvent,

en effet, être contestées devant les tribunaux nationaux à cause de la potentialité d’atteinte aux

droits de l’homme. Ainsi, après avoir été mobilisé dans les contentieux contre les États1951, ce

fondement risque d’être de plus en plus invoqué dans des procès dirigés contre les entreprises

privées. Ceci n’est vraiment pas étonnant… Comme le note le Professeur Trébulle, « il n’est

pas possible d’aborder la question des conflits en matière climatique – mais au-delà en matière

environnementale – sans les replacer dans une dimension assumée de droits de l’homme »1952.

Le lien entre changement climatique et droits de l’homme est incontestable, même si, sur le

plan juridique, la démonstration d’une violation des obligations des droits de l’homme due à la

participation anthropique au changement climatique ne laisse pas d’être problématique. Il reste

que, dans le cadre d’une stratégie contentieuse renouvelée, ce fondement sera sans doute de

plus en plus invoqué par les victimes climatiques. Tant et si bien qu’il fera naître par ricochet

une responsabilité climatique à la charge des acteurs contribuant au réchauffement climatique.

519. En résumé, dans le cadre de cette section, nous nous sommes interrogés sur les

fondements possibles à une responsabilité climatique de l’entreprise. Ces fondements relèvent

tantôt de la sphère juridique, tantôt de la sphère éthique. Cette dernière dimension éthique est

parfaitement assumée. Elle est indispensable dans le cadre de la mondialisation économique,

en présence d’un phénomène ayant une dimension globale et en l’absence d’une véritable

1951 Voy. Ch. Cournil, « Les droits fondamentaux au service de l’émergence d’un contentieux climatique contre

l’État. Des stratégies contentieuses des requérants à l’activisme des juges », in Quel(s) droit(s) pour les

changements climatiques, sous la dir. de M. Torre-Schaub, Ch. Cournil, S. Lavorel et M. Moliner-Dubost, Mare

& Martin, 2018, p. 185-215. 1952 F.-G. Trébulle, « Responsabilité et changement climatique : quelle responsabilité pour le secteur privé ? », op.

cit.

Chapitre I. Esquisses théoriques sur la responsabilité climatique de l’entreprise

473

régulation à l’échelle internationale. Comme l’écrivait le Professeur Farjat, « le droit de la

responsabilité, dans une économie libérale, est le grand régulateur »1953.

Le droit de la responsabilité climatique est donc un subtil mélange de fondements

juridiques mais aussi métajuridiques. En soi, ce n’est pas nouveau : on a toujours dit que le

droit de la responsabilité reflète l’état de la société et ses valeurs dominantes ou, pour s’en

référer encore à Gérard Farjat, que « les solutions juridiques sont largement fonction de choix

sociopolitiques »1954. La reconnaissance de la responsabilité climatique pose donc en creux la

question de la valeur que l’on accorde à cet élément du patrimoine commun de l’humanité1955,

à ce bien public global1956 qu’est le climat. Cette question est d’autant plus pertinente que la

protection du climat se révèle désormais indispensable à la jouissance des droits de l’homme et

des droits fondamentaux.

1953 G. Farjat, Pour un droit économique, PUF, coll. « Les voies du droit », 2004, p. 58. 1954 Ibid., p. 59. 1955 Sur la notion de patrimoine commun de l’humanité, voy. supra n° 78-1. 1956 Sur la notion de bien public global, voy. supra n° 78-2.

475

Conclusion du Chapitre I

520. Conclusion du Chapitre I relatif aux esquisses théoriques sur la

responsabilité climatique de l’entreprise. Selon le philosophe Dominique Bourg, « les

dérèglements climatiques en cours ne sont pas seulement le signe de l’échec d’un siècle et demi

d’économie de marché […], mais plus encore le symptôme de l’aveuglement suicidaire d’une

civilisation, puisant ses racines bien en-deçà du siècle et demi en question. Une civilisation qui

via les techniques et le marché a imposé pour partie ses modes de vie et de pensée économiques

à la planète entière, ou peu s’en faut. Or, cet aveuglement nous a conduits dans une situation

d’ores et déjà marquée au sceau de l’irréversibilité, et désormais dangereuse »1957. Face à cette

situation « toute aussi unique que dramatique »1958, la question se pose de savoir quelles sont

nos responsabilités.

Les entreprises émettrices de gaz à effet de serre sont un acteur majeur du changement

climatique. Se poser la question de leur responsabilité juridique est donc tout à fait normal et le

développement du contentieux à leur encontre n’a plus rien d’étonnant. Progressivement, la

responsabilité climatique des entreprises se dessine. Dès lors, avant d’aborder les questions plus

techniques, il nous a paru légitime de donner quelques esquisses théoriques sur cette nouvelle

forme de responsabilité.

Ainsi, dans un premier temps, nous avons cherché à déterminer les contours de la

responsabilité climatique des entreprises, d’en donner une définition. La responsabilité

climatique pourrait être définie comme l’obligation de réparer les dommages en lien avec le

changement climatique, avec ou sans répercussions sur les personnes et les biens, causés

directement ou indirectement par les activités émettrices de gaz à effet de serre. Puis, dans un

second temps, nous avons tenté d’en rechercher les possibles fondements, à la fois dans la

sphère éthique et dans le domaine juridique. Entre responsabilité juridique et responsabilité

éthique, curative et préventive, fondée sur des valeurs universelles…, la responsabilité

climatique des entreprises repose sur l’existence d’un devoir de protection du climat qui est au

carrefour des principes de prévention, de précaution et du pollueur-payeur et qui est en lien

étroit avec le devoir de protection des droits de l’homme.

1957 D. Bourg, « Climat, obstacles à l’action et responsabilités », Journal international de bioéthique et d’éthique

des sciences, vol. 30, n° 2, 2019, p. 41-52, spéc. p. 41. 1958 Ibid., spéc. p. 42.

476

Pour finir, nous pensons, avec d’autres1959, qu’il convient de « prendre la

responsabilité climatique au sérieux »1960 en repérant les obstacles, mais aussi les leviers qui

favoriseraient une telle responsabilité.

Le droit de la responsabilité s’adapte aux évolutions sociales. Face au changement

climatique, il doit de nouveau s’adapter pour refléter les nouvelles préoccupations de la société.

« Miroir de la société civile »1961, il doit être repensé.

1959 M. Hautereau-Boutonnet et L. Canali, « Jalons pour une responsabilité civile climatique préventive », 2018,

en ligne : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01875905/document. 1960 En prolongement de l’intitulé de l’ouvrage dirigé par A. Supiot et M. Delmas-Marty, Prendre la responsabilité

au sérieux, PUF, 2015. 1961 M. Mekki, « Le projet de réforme du droit de la responsabilité civile du 13 mars 2017 : des retouches sans

refonte », Gaz. Pal., 2 mai 2017, p. 12.

477

Chapitre II. Reconnaissance juridique de la responsabilité climatique de l’entreprise

521. Aujourd’hui, la question de la reconnaissance juridique de la responsabilité

climatique des acteurs privés, notamment des entreprises, se pose avec force. Les actions en

justice à l’encontre des entreprises se multiplient à travers le monde. La possibilité d’engager

leur responsabilité ne relève plus du domaine de la fiction. La doctrine juridique met alors en

évidence l’hétérogénéité des demandes formulées par les particuliers : « Ces actions en

responsabilité visent en effet, selon les cas, à obtenir la réparation des dommages réalisés liés

aux changements climatiques ou le financement des mesures de prévention ; elles poursuivent

parfois une volonté de sanction des comportements fautifs, mêlée de préoccupations politiques,

dont principalement celle de mettre en exergue, sur la scène médiatique, par l’existence même

du procès, les comportements fautifs des acteurs de ce changement »1962. L’outil mobilisé est

donc le droit de la responsabilité. Mais cet outil est-il adapté ?

Partant du constat que, dans l’état actuel du droit, les mécanismes du droit de la

responsabilité demeurent le plus souvent impuissants à lutter efficacement contre le

changement climatique, nous avons d’abord posé les esquisses théoriques de la responsabilité

climatique de l’entreprise1963, avant d’envisager son éventuelle consécration dans l’ordre

juridique. Ce sera donc l’objet de ce dernier chapitre.

Dans un premier temps, nous allons repérer les obstacles à la reconnaissance juridique

de la responsabilité climatique de l’entreprise. De lege lata, l’ensemble des conditions de la

responsabilité semblent inadaptées. La principale difficulté est toutefois inhérente au lien de

causalité. Bien souvent, les victimes ne pourront pas apporter la preuve d’un lien de causalité

direct et certain. Les facteurs de difficultés sont multiples : il n’est pas évident de distinguer

clairement la causalité humaine de la causalité naturelle, les dommages observés résultent

fréquemment de l’accumulation de comportements fautifs et les conséquences dommageables

d’un fait générateur sont souvent décalées dans le temps (section 1).

Pour autant, toutes ces difficultés ne sont pas insurmontables. Nous verrons ainsi, dans

un second temps, que de nombreuses pistes peuvent se révéler fécondes, permettant de dépasser

les obstacles liés à la fois aux conditions de la responsabilité et à l’exercice de l’action en justice

(section 2).

1962 S. Porchy-Simon, « Rapport de synthèse », in Le changement climatique, quel rôle pour le droit privé ?, sous

la dir. de M. Hautereau-Boutonnet et S. Porchy-Simon, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2019, p. 207-

221, spéc. p. 208. 1963 Voy. supra : Deuxième partie, Titre II, Chapitre I. Esquisses théoriques sur la responsabilité climatique de

l’entreprise.

Titre II. Jalons prospectifs d’une responsabilité climatique de l’entreprise

478

Section 1. Obstacles à la reconnaissance juridique de la responsabilité climatique de

l’entreprise

522. La reconnaissance juridique de la responsabilité climatique de l’entreprise se

heurte principalement à deux types de problèmes, qui sont d’ailleurs intrinsèquement liés. Ces

problèmes sont relatifs à l’établissement du lien de causalité (§1) et à l’imputation de la

responsabilité (§2). Il est, en effet, très difficile d’établir que tel dommage précis subi par le

demandeur est exactement imputable au fait climatique du défendeur.

§1. Les problèmes de causalité en matière climatique

523. De l’avis général, les difficultés liées à l’établissement du lien de causalité1964

entre le fait climatique et les dommages liés à celui-ci constituent l’obstacle majeur1965 à

l’engagement de la responsabilité civile des émetteurs de gaz à effet de serre. En effet,

l’affirmation d’un lien de cause à effet scientifique entre les émissions humaines et le

réchauffement climatique n’entraîne pas nécessairement celle d’un lien de causalité juridique

entre le fait climatique d’un émetteur de gaz à effet de serre et tel dommage climatique

précis1966. Ainsi, le fait que ce phénomène soit le résultat de causes à la fois humaines et

naturelles, et d’une accumulation de comportements dommageables, constitue un obstacle

majeur à l’établissement du lien de causalité (A). À cela il faut ajouter le décalage dans le temps

et l’espace entre les faits envisagés et les dommages subis, qui rend la preuve du lien de

causalité pour le moins complexe (B).

1964 Voy. supra n° 37. Sur les notions de causalité générale et de causalité individuelle, voy. supra n° 354-3. 1965 Voy. M. Torre-Schaub, « La gouvernance du climat : vieilles notions pour nouveaux enjeux », Cahiers Droit,

Sciences & Technologies, n° 2 : Droit et Climat, 2009, p. 143-165. 1966 Voy. plus largement sur les difficultés d’établir juridiquement le lien de causalité : Ch. Radé, « Causalité

juridique et causalité scientifique : de la distinction à la dialectique », D., 2012, p. 116. L’auteur note que : « Dans

tous [les] contentieux marqués par un très fort niveau d’incertitudes scientifiques, le demandeur marche sur un fil

et le juge se trouve pris dans une contradiction dont il peine à sortir d’une manière intellectuellement satisfaisante

puisque, si la causalité juridique ne peut bien entendu pas se confondre avec la causalité scientifique, elle ne peut

pas non plus s’en affranchir totalement ». Voy. également : P. Thieffry, « La causalité, enjeu ultime de la

responsabilité environnementale et sanitaire ? », Environnement et Développement durable, juillet 2013, étude

18 ; F.-G. Trébulle, « Expertise et causalité, entre santé et environnement », Environnement et Développement

durable, juillet 2013, étude 19.

Chapitre II. Reconnaissance juridique de la responsabilité climatique de l’entreprise

479

A. Les difficultés d’établissement du lien de causalité

524. Comme on a pu le souligner, la causalité en matière climatique est « fractionnée

et plurielle »1967. Ainsi, un auteur écrit qu’en cette matière, « on constate que l’enchaînement

des causalités est triple. Le premier lien est celui qui unit les activités qui émettent des gaz à

effet de serre et le réchauffement climatique. Pendant longtemps d’origine naturelle, ces gaz

trouvent également, aujourd’hui, une origine anthropique qui a connu une augmentation

importante. Le deuxième lien est celui qui unit le réchauffement climatique aux changements

climatiques ou évènements climatiques déterminés tels que sécheresses, ouragans, canicules,

cyclones, inondations, tsunamis… Enfin le troisième lien est celui qui unit cet événement

particulier aux dommages allégués par les demandeurs »1968. Sur le terrain juridique, la

caractérisation du lien de causalité est difficile en raison notamment de cette pluralité des causes

humaines et naturelles (1) et de l’accumulation de comportements fautifs à l’origine des

dommages (2).

1. Les difficultés liées à la pluralité des causes humaines et naturelles

525. Les rapports successifs du GIEC ont largement contribué à la diffusion du savoir

scientifique sur le lien qui existe entre les émissions humaines de gaz à effet de serre et

l’aggravation du phénomène du réchauffement climatique. Ce facteur semble désormais faire

l’objet de quasi-certitudes. Le GIEC souligne systématiquement que l’impact des activités

humaines sur le climat est sans précédent, en rythme comme en amplitude1969. Certes, l’action

de l’homme sur l’environnement ne date pas d’aujourd’hui, ni d’hier. Toutefois, elle est

désormais déterminante, car l’hypothèse d’un grand effondrement de la planète ne peut plus

être écartée ; l’urgence climatique est une réalité.

Progressivement, les connaissances évoluent, permettant de mieux décrire deux types

de liens : d’une part, les liens entre les activités industrielles et les changements climatiques,

d’autre part, les liens entre les changements climatiques et la multiplication des phénomènes

1967 M. Bacache, « Changement climatique, responsabilité civile et incertitude », in « Changement climatique et

responsabilité. Quelles normativités ? » (Dossier), Énergie – Environnement – Infrastructures, n° 8-9, août-sept.

2018, article 30 : « […] le contentieux climatique suppose l’existence de dommages en cascade. Le lien entre un

dommage particulier à un fait imputable à un défendeur suppose donc l’établissement d’une pluralité de causalité

en cascade, combinées ou successives. La causalité est de la sorte fractionnée et plurielle ». 1968 Ibid. 1969 Voy. surtout : GIEC, Changements climatiques 2014 : Incidences, adaptation et vulnérabilité, 5ème Rapport

d’évaluation, 2014.

Titre II. Jalons prospectifs d’une responsabilité climatique de l’entreprise

480

météorologiques extrêmes (catastrophes naturelles). Aujourd’hui, on sait que les catastrophes

d’origine naturelle (ouragans, cyclones, sécheresses, incendies, vagues de chaleur,

inondations…) sont décuplées à cause de l’augmentation de la température sur la terre et dans

les mers. Or les catastrophes naturelles liées au phénomène du réchauffement climatique, lui-

même aggravé par les activités humaines, causent de nombreux dommages1970 que nos systèmes

juridiques peinent à appréhender. En effet, l’interaction des causes humaines et naturelles dans

les dommages climatiques pose des difficultés sur le terrain juridique. À cet égard, le Professeur

Neyret parle de « dilution de causalité »1971. Il souligne ainsi que « l’origine humaine des

événements dommageables considérés n’est pas exclusive et rencontre des causes naturelles,

sans que l’on sache très bien dénouer l’écheveau de leur influence respective dans la réalisation

des dommages. Dans ces conditions, les causes naturelles des dommages climatiques vont venir

faire écran à la reconnaissance de la responsabilité des personnes publiques ou privées dont le

comportement a pourtant participé à la réalisation ou à l’aggravation des dommages »1972.

Le fait que le lien entre le fait dommageable et le préjudice ne soit pas direct constitue

un obstacle considérable à l’établissement du lien de causalité juridique. Comme l’observe le

Professeur Trébulle, « même en admettant que des émissions mesurées [d’origine humaine]

aient pu contribuer au réchauffement global cela ne semble pas permettre, à ce stade, de

considérer comme établi le lien entre ces émissions et les conséquences – nécessairement elles-

mêmes indirectes – du réchauffement »1973.

526. De surcroît, le fait que le phénomène du changement climatique ne résulte pas

d’une cause unique mais d’une accumulation de comportements fautifs, constitue un autre

obstacle important à l’établissement du lien de causalité juridique.

1970 Dans un rapport publié le 27 décembre 2019, l’ONG britannique Christian Aid, association venant au secours

des victimes de catastrophes naturelles et promouvant le développement durable, a établi la liste des quinze

catastrophes liées au changement climatique qui ont causé des destructions d’un coût de plus d’un milliard de

dollars en 2019. En ligne : https://www.christianaid.org.uk/sites/default/files/2019-12/Counting-the-cost-2019-

report-embargoed-27Dec19.pdf. 1971 L. Neyret, « La reconnaissance de la responsabilité climatique », D., 2015, p. 2278. 1972 Ibid. 1973 F.-G. Trébulle, « Responsabilité et changement climatique : quelle responsabilité pour le secteur privé ? », in

« Changement climatique et responsabilité. Quelles normativités ? » (Dossier), Énergie – Environnement –

Infrastructures, n° 8-9, août-sept. 2018, article 24, p. 20-27, spéc. p. 22.

Chapitre II. Reconnaissance juridique de la responsabilité climatique de l’entreprise

481

2. Les difficultés liées à l’accumulation de comportements fautifs à l’origine des dommages

527. Les dommages climatiques sont le résultat d’une accumulation de

comportements que l’on peut qualifier de « fautifs », si on considère que le surplus d’émissions

de gaz à effet de serre, causant une pollution atmosphérique et aggravant le réchauffement

climatique, est contraire à une « norme fondamentale de comportement »1974 qui doit s’imposer

en matière climatique. Autrement dit, les dommages climatiques n’ont pas de cause unique. En

quelque sorte, tous les acteurs qui contribuent au réchauffement climatique, contribuent à la

réalisation des dommages climatiques. Dès lors, la difficulté est grande, sur le terrain juridique,

d’établir que le dommage litigieux ne se serait pas produit si le comportement fautif de l’acteur

considéré n’était pas survenu1975. Cela pose le problème de la preuve de la causalité individuelle

évoqué précédemment1976. Comme le note un auteur, « lorsque des dommages sont le produit

de causalités multiples, alternatives ou cumulatives, la caractérisation de la causalité

individuelle peut en effet se révéler difficile, voire impossible »1977. Et l’auteur d’ajouter que :

« Dans le domaine du climat ces difficultés atteignent leur paroxysme : le dérèglement

climatique est en effet la conséquence d’émissions diffuses et cumulatives qui s’étalent à

l’échelle planétaire »1978.

Il faut également noter que cette accumulation de comportements fautifs est une

accumulation aussi dans le temps. En effet, il ne s’agit pas de prendre en compte les émissions

des acteurs du réchauffement à un instant donné, mais leurs émissions accumulées au cours des

dernières décennies. Certains émetteurs sont considérés comme historiques parce qu’ils sont à

l’origine même du réchauffement climatique. Ce sont d’ailleurs eux qui sont visés dans les

premiers contentieux climatiques1979.

Enfin, il est des acteurs qui contribuent au réchauffement climatique sans pour autant

être réellement identifiés. Il est acquis que les entreprises pétrolières contribuent au phénomène.

Les actions en justice à leur encontre se multiplient. Toutefois, elles ne sont pas les seules.

L’industrie automobile, plastique, agro-alimentaire…, le bâtiment et le transport sont aussi des

secteurs qui jouent un rôle important dans l’aggravation du réchauffement climatique. Se posent

1974 M. Puech, L’illicéité dans la responsabilité civile extracontractuelle, L.G.D.J., 1974, n° 31 et s. 1975 Or ce n’est qu’à cette condition que le dommage peut être imputé au défendeur ; voy. infra nos 541 et 542. 1976 Voy. supra n° 354-3. 1977 L. d’Ambrosio, « La “responsabilité climatique” des entreprises : une première analyse à partir du contentieux

américain et européen », in « Changement climatique et responsabilité. Quelles normativités ? » (Dossier),

Énergie – Environnement – Infrastructures, n° 8-9, août-sept. 2018, article 27, p. 39-44, spéc. p. 42. 1978 Ibid. 1979 Voy. supra nos 356 et 357.

Titre II. Jalons prospectifs d’une responsabilité climatique de l’entreprise

482

dès lors des questions déterminantes. Quelle est la part respective de l’action de ces acteurs ?

Faut-il prendre en compte leur contribution au changement climatique ? Si oui, comment la

mesurer ?

Pour l’heure, ces questions ne trouvent pas de réponse juridique. Le droit de la

responsabilité ne semble pas permettre de donner satisfaction aux victimes climatiques. La

pluralité d’acteurs et l’accumulation de comportements fautifs compliquent grandement

l’action des victimes.

528. En résumé, la question du lien de causalité, qui demeure au centre des

discussions en matière climatique, peut paraître dirimante en raison de la pluralité des acteurs

et de la difficulté d’établir un lien direct et certain1980. Les requérants se heurtent à des

problèmes de preuve très importants, non pas tant de la causalité générale1981 que de la causalité

individuelle. L’établissement du lien de causalité constitue sans doute l’obstacle majeur à

l’engagement de la responsabilité civile des entreprises dans le cas de dommages liés à

l’émission de gaz à effet de serre. Mais outre ces problèmes de causalité, il convient de signaler

les difficultés d’ordre spatio-temporel qui constituent autant d’obstacles aux actions en justice.

B. Les difficultés d’ordre spatio-temporel

529. Le phénomène du changement climatique entraîne une multiplication et une

diversification des atteintes, à la fois dans l’espace, car les dommages climatiques ne

connaissent pas les frontières étatiques (1), et dans le temps, pour concerner les générations

futures (2). Or le décalage dans l’espace et le temps entre le fait générateur et les préjudices

apparaît comme un obstacle décisif à l’engagement de la responsabilité civile des émetteurs de

gaz à effet de serre.

1. Les difficultés d’ordre géographique

530. Caractère global du problème climatique. Par définition, le problème

climatique est un problème global, qui atteint l’humanité toute entière, ce qui n’exclut

évidemment pas la possibilité d’établir des préjudices individuels. Ce serait même, selon

1980 F.-G. Trébulle, « Responsabilité et changement climatique : quelle responsabilité pour le secteur privé ? », op.

cit., spéc. p. 22. 1981 Quoi qu’il existe parfois encore des incertitudes quant à la pertinence de la science climatique.

Chapitre II. Reconnaissance juridique de la responsabilité climatique de l’entreprise

483

certains, « l’archétype de la menace globale »1982. De ce fait, il exige une prise de conscience

et une action à l’échelle planétaire. Or, en l’absence d’un régime international du climat

apportant des réponses satisfaisantes, c’est la société transnationale qui, au moyen de l’action

en justice, cherche à contraindre les acteurs du changement climatique (États comme

entreprises) à répondre des dommages climatiques présents et futurs. D’ailleurs, ce caractère

global du problème climatique a été reconnu par les juges néerlandais dans l’affaire

Urgenda1983. La Cour suprême a estimé que les intérêts défendus par Urgenda ne se limitent

pas aux seuls intérêts néerlandais. Les émissions de gaz à effet de serre des Pays-Bas dépassent

les frontières nationales et ont des conséquences pour les personnes habitant à l’extérieur.

L’action contre l’État néerlandais a donc été acceptée au nom du non-accomplissement de son

obligation d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre, dans la mesure où les

conséquences du phénomène du changement climatique traversent les frontières et sont

globales.

531. Difficultés liées à la distance entre le lieu du dommage et le lieu de l’activité.

Les émissions de gaz à effet de serre montent dans l’atmosphère et produisent des conséquences

en des points très éloignés du globe. Il n’y a, en réalité, aucune règle en la matière. Des auteurs

soulignent ainsi les injustices qui peuvent souvent se produire : « Les pays du Nord sont les

émetteurs historiques, tandis que les pays du Sud sont les plus vulnérables et les moins en

capacité de s’adapter »1984. Dans l’affaire Lliuya v. RWE1985, l’entreprise allemande d’électricité

RWE a été assignée en justice devant un tribunal allemand par un agriculteur péruvien qui vit

dans la ville de Huaraz au Pérou. Entre autres1986, cette affaire illustre les difficultés liées à la

distance qui sépare le lieu d’émission des gaz à effet de serre du lieu de survenance du

dommage. Comme on a pu le souligner, « le lien de causalité s’en trouve dès lors distendu, ce

qui rend d’autant plus difficile l’imputation du dommage à un responsable »1987.

1982 M. Hautereau-Boutonnet et S. Maljean-Dubois, « Introduction », Revue juridique de l’environnement,

2017/HS17 (n° spécial), p. 9-21, spéc. p. 10. 1983 Urgenda Foundation v. The State of the Netherlands, The Supreme Court of the Netherlands, 19/00135,

20/12/2019 ; Ch. Collin, « Suite et fin de l’affaire Urgenda : une victoire pour le climat », Dalloz actualité, 29

janvier 2020. 1984 Ibid. 1985 Lliuya v. RWE AG, Case No. 2 O 285/15, District Court Essen, 15/12/2016 ; Lliuya v. RWE AG, Higher

Regional Court Hamm, 2 O 285/1520, 30/11/2017. 1986 Voy. supra n° 356. 1987 L. Neyret, « La reconnaissance de la responsabilité climatique », op. cit.

Titre II. Jalons prospectifs d’une responsabilité climatique de l’entreprise

484

532. Difficultés d’application de la loi dans l’espace et de compétence

juridictionnelle. Des difficultés existent également en ce qui concerne l’application de la loi

dans l’espace et la compétence juridictionnelle. On sait bien qu’en présence d’un élément

d’extranéité (dommages à l’étranger et victimes étrangères), les questions de la loi applicable

et de la juridiction compétente ne sont pas anodines. Les nouveaux contentieux en matière

climatique mettent à l’épreuve le droit international privé1988. Effectivement, pour l’heure, il

n’existe pas de règles spécifiques à la matière climatique, si bien que les questions de droit

international privé soulevées par les actions en justice doivent être résolues par application des

règles générales de droit international privé1989.

Ainsi, en ce qui concerne la compétence juridictionnelle, de l’avis d’un auteur

spécialiste de droit international privé1990, la compétence d’une juridiction européenne pourra

être retenue, en application des règles du règlement Bruxelles I bis1991, dès lors que l’entreprise

défenderesse a son siège dans l’Union européenne, ainsi que l’illustre l’affaire allemande Lliuya

v. RWE précitée. En revanche, la situation paraît plus complexe lorsque le défendeur n’a pas

son siège dans l’Union européenne. Comme le note le Professeur Neyret, « il semble difficile

d’imaginer qu’un juge français puisse engager la responsabilité civile des entreprises

américaines ou chinoises les plus productrices de gaz à effet de serre, pour les dommages subis

en France à la suite d’une tempête dont les effets auraient été aggravés par leur activité

industrielle »1992. Dans cette hypothèse, la compétence d’un juge français semble a priori

exclue. Toutefois, en principe, lorsque le règlement Bruxelles I bis n’est pas applicable, chaque

État retrouve ses propres règles de compétence internationale. Ainsi, selon Olivera Boskovic,

si le dommage s’est produit en France, l’article 46 du code de procédure civile1993 transposé à

l’ordre international permet de fonder la compétence du juge français1994. Celle-ci est cependant

exclue dans le cas où le dommage n’aurait pas eu lieu en France.

1988 F. Giansetto, « Le droit international privé à l’épreuve des nouveaux contentieux en matière de responsabilité

climatique », JDI, n° 2, 2018, doctr. 6. 1989 Sur le rappel de ces règles, voy. O. Boskovic, « Le contexte transnational en matière de responsabilité

climatique », in Le changement climatique, quel rôle pour le droit privé ?, sous la dir. de M. Hautereau-Boutonnet

et S. Porchy-Simon, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2019, p. 193-205. 1990 O. Boskovic, « Le contexte transnational en matière de responsabilité climatique », op. cit. 1991 Règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la

compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, JOUE L

351 du 20 décembre 2012, p. 1-32. 1992 L. Neyret, « La reconnaissance de la responsabilité climatique », op. cit. 1993 Cet article offre au demandeur à une action délictuelle une option de compétence qui lui permet de saisir, à

son choix, trois juridictions : la juridiction du lieu où demeure le défendeur, celle du lieu du fait dommageable, ou

celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi. 1994 O. Boskovic, « Le contexte transnational en matière de responsabilité climatique », op. cit., spéc. p. 198.

Chapitre II. Reconnaissance juridique de la responsabilité climatique de l’entreprise

485

Admettons que la question relative à la compétence soit tranchée1995, d’autres

questions, tout aussi importantes, persistent.

Premièrement, quelle est la loi applicable à une action en responsabilité pour dommage

climatique1996 ? Cette question mérite d’être posée car la loi applicable régit tous les éléments

importants de l’action, à savoir les conditions et l’étendue de la responsabilité, les éventuelles

causes d’exonération, l’existence, la nature et l’évaluation des dommages, etc. Au niveau

européen, l’article 7 du règlement Rome II1997 laisse au demandeur une option entre la loi du

lieu du dommage et celle du fait générateur de responsabilité, sous réserve de l’application

impérative des lois de police du for. Cette option est favorable à la responsabilité climatique.

Cependant, il convient de noter qu’en matière climatique, la détermination du fait générateur

n’est pas toujours évidente. On peut considérer qu’il s’agit des émissions de gaz à effet de serre,

ce qui nous mène alors à s’interroger sur la localisation précise des activités concernées. Mais

on peut également considérer qu’il s’agit du lieu de prise de décision qui correspond, la plupart

du temps, au lieu du siège social. Cela permettrait a priori d’engager la responsabilité des

sociétés mères, même si tout le monde n’est pas favorable à cette interprétation1998.

Deuxièmement, à quelles conditions une décision étrangère qui condamne une

entreprise privée à réparer un dommage climatique est reconnue et exécutée ? Pour que cette

décision soit reconnue, elle doit remplir plusieurs conditions : la compétence du juge étranger,

la conformité de la décision à l’ordre public international, l’absence de fraude et l’absence de

décision inconciliable1999. Or il est fort probable que la compétence du juge étranger soit

contestée. Ainsi, dans l’hypothèse d’une décision rendue par le juge français condamnant une

entreprise américaine à réparer les dommages climatiques subis en France, il n’est du tout

certain qu’aux yeux du juge américain, le juge français soit compétent. La conformité à l’ordre

public international peut également poser problème, et il en va de même pour l’absence de

décision inconciliable. À cet égard, il a été rappelé que « dans le contentieux voisin de la

réparation des dommages causés par des violations des droits de l’homme on a vu des exemples

“d’enchevêtrement” des procédures avec des procédures judiciaires ou arbitrales ayant

1995 Pour une analyse plus approfondie de l’exigence de compétence juridictionnelle, voy. Ch. Huglo, Le

contentieux climatique : une révolution judiciaire mondiale, Bruylant, 2018, p. 193-197. 1996 Qui est, à l’évidence, une action de nature extracontractuelle. 1997 Règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux

obligations non contractuelles (« Rome II »), JOUE L 199 du 31 juillet 2007, p. 40-49. 1998 Notamment la doctrine anglaise. Voy. U. Grusic, « International environmental litigation in the EU Courts: a

regulatory perspective », Yearboook of European Law, vol. 35, 2016, p. 180-228, cite par O. Boskovic, « Le

contexte transnational en matière de responsabilité climatique », op. cit., spéc. p. 201. 1999 O. Boskovic, « Le contexte transnational en matière de responsabilité climatique », op. cit., spéc. p. 203-204.

Titre II. Jalons prospectifs d’une responsabilité climatique de l’entreprise

486

précisément pour objet d’empêcher la reconnaissance d’une décision rendue dans un État

étranger »2000.

533. De prime abord, la question de la responsabilité climatique des entreprises dans

un contexte transnational ne semble pas soulever des difficultés spécifiques. Force est

cependant de constater qu’en pratique, les choses ne sont pas si résolues et de nombreuses

questions persistent. Il convient de noter au demeurant qu’en ce qui concerne la responsabilité

climatique préventive2001, le rattachement du litige à un ordre juridique offrant les meilleures

garanties pour la mise en œuvre de la prévention est déterminant.

534. Le décalage dans l’espace apparaît comme un obstacle important à l’engagement

de la responsabilité des entreprises privées à l’origine des dommages climatiques. Or le

changement climatique bouleverse également les fondements temporels de notre droit de la

responsabilité, puisque les conséquences dommageables d’un fait générateur sont souvent

décalées dans le temps.

2. Les difficultés d’ordre temporel

535. Les difficultés d’ordre temporel évoquent la question de la justice

intergénérationnelle2002 et de la protection des générations futures2003. Les frontières

temporelles du droit doivent-elles être dépassées afin de protéger les droits des générations

futures, victimes potentielles des changements climatiques ? En réalité, cette question

préoccupe beaucoup l’univers juridique contemporain. Les idées de justice intergénérationnelle

et de réciprocité2004 font partie de l’ADN du régime juridique international du climat. Ce régime

2000 Ibid., spéc. p. 204. L’auteure prend l’exemple de l’affaire Chevron (Chevron Corp. v. Yaiguaje, 2015 SCC

42) ; voy. sur cette affaire : H. Muir Watt, « Chevron, l’enchevêtrement des fors. Un combat sans issue ? », Revue

critique de droit international privé, 2011, p. 339 ; F. Jault-Seseke, « Du nouveau sur la responsabilité sociale des

multinationales ? », Revue de droit du travail, 2016, p. 57. 2001 Voy. supra nos 485 à 487 ; M. Hautereau-Boutonnet et L. Canali, « Jalons pour une responsabilité civile

climatique préventive », 2018, en ligne : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01875905/document. 2002 Voy. A. Gosseries, « La justice entre les générations. Faut-il renoncer au maximin intergénérationnel ? »,

Revue de métaphysique et de morale, vol. 33, n° 1, 2002, p. 61-81 ; id., « Les théories de la justice

intergénérationnelle. Synopsis à l’usage des durabilistes pressés », Raison Publique, n° 8, 2008, p. 7-29 ; voy.

également : É. Gaillard, « L’équité transgénérationnelle : perspectives de justice pour les générations futures ? »,

in Équité et environnement. Quel(s) modèle(s) de justice environnementale ?, sous la dir. de A. Michelot, Larcier,

2012, p. 51-68. 2003 Voy. M. Torre-Schaub, « La protection du climat et des générations futures au travers des “droits de la nature” :

l’émergence d’un droit constitutionnel au “buen vivir” », Droit de l’environnement, n° 267, 2018, p. 171-178. 2004 Selon cette idée, d’une part, nous sommes tenus de transférer à la génération suivante au moins autant que ce

que nous avons reçu de la génération précédente, d’autre part, nous devons quelque chose à la génération suivante

Chapitre II. Reconnaissance juridique de la responsabilité climatique de l’entreprise

487

cherche, en effet, à « arbitrer entre des intérêts à court et moyen terme et des dommages qui se

produiraient sur le moyen, long ou très long terme, des dommages pour certains irréversibles

sur une échelle de temps humaine et largement irréparables, susceptibles par-là d’affecter les

“générations futures” plus encore que les générations présentes »2005.

Aujourd’hui, les pétitions et les actions en justice ayant pour objet la protection des

générations futures contre les dangers liés au changement climatique progressent un peu partout

dans le monde2006. Ces actions en justice sont métamorphosées précisément parce qu’elles sont

intentées au nom et pour le compte des générations futures2007. La doctrine souligne que

certaines de ces actions visent à faire émerger « le droit des générations futures à vivre dans un

système climatique stable »2008.

536. Admettons que la question de la recevabilité des demandes soit réglée, encore

faut-il pouvoir identifier les responsables. Or il est vrai qu’« un temps très long peut s’écouler

entre le moment où une activité humaine génère des émissions de gaz à effet de serre et celui

où le dommage survient »2009. Tandis que les dommages traditionnels sont concomitants du fait

générateur, les dommages climatiques sont différés. Ceci conduit inéluctablement à une dilution

des responsabilités. La non-immédiateté du changement climatique rend complexe la

détermination de la causalité matérielle par les scientifiques, et a fortiori la détermination de la

causalité juridique par les magistrats. Effectivement, « le temps de latence entre la cause et la

lésion peut être énorme, ce qui réduit les chances de relier l’une à l’autre »2010.

537. Les premiers obstacles à la reconnaissance juridique de la responsabilité

climatique de l’entreprise sont donc liés à l’établissement du lien de causalité. L’affaire

parce que nous avons reçu quelque chose de la génération précédente : A. Gosseries, « La justice entre les

générations. Faut-il renoncer au maximin intergénérationnel ? », op. cit., spéc. p. 64. 2005 M. Hautereau-Boutonnet et S. Maljean-Dubois, « Introduction », Revue juridique de l’environnement,

2017/HS17 (n° spécial), p. 9-21, spéc. p. 11. 2006 Voy. en particulier l’affaire Juliana v. United States, 18-36082, (2015). Voy. à propos de cette affaire : E.

Gebre, « L’affaire Juliana et al. c. États-Unis et al. coordonnée par l’association Our Children’s Trust : enjeux et

perspectives », in Les procès climatiques. Entre le national et l’international, sous la dir. de Ch. Cournil et L.

Varison, Pedone, 2018, p. 129 et s. 2007 Afin de rendre compte de ces dynamiques, un colloque thématique intitulé « Agir en justice au nom des

générations futures : une réalité grandissante vecteur de paix » s’est tenu les 17 et 18 novembre 2017 à l’Université

de Caen, sous la direction scientifique d’Émilie Gaillard. 2008 Ch. Cournil et L. Varison, « Introduction », in Les procès climatiques. Entre le national et l’international, sous

la dir. de Ch. Cournil et L. Varison, Pedone, 2018, p. 26. 2009 L. Neyret, « La reconnaissance de la responsabilité climatique », op. cit. 2010 M. Torre-Schaub, « Le rôle des incertitudes dans la prise de décisions aux États-Unis. Le réchauffement

climatique au prétoire », Revue internationale de droit comparé, vol. 59, n° 3, 2007, p. 685-713, spéc. p. 708.

Titre II. Jalons prospectifs d’une responsabilité climatique de l’entreprise

488

Kivalina v. ExxonMobil précitée2011 illustre parfaitement ces difficultés. En l’espèce, les juges

ont refusé les demandes puisqu’ils ont considéré que la nature indifférenciée des émissions de

gaz à effet de serre et leur accumulation mondiale sur de longues périodes empêchent d’établir

un lien entre le réchauffement climatique et les émissions d’une quelconque personne ou groupe

de personnes.

De fait, comme on a pu le souligner, « alors même que l’on admettrait la causalité

entre le changement climatique et les émissions industrielles de gaz à effet de serre, cela ne

règle pas la question de la responsabilité d’un industriel donné par rapport à une situation

précise dans laquelle le changement [climatique] occasionne un préjudice »2012.

Ainsi, l’imputation de la responsabilité se présente comme un autre obstacle majeur à

la reconnaissance de la responsabilité climatique de l’entreprise.

§2. Les problèmes d’imputation de la responsabilité en matière climatique

538. Avant d’évoquer les difficultés d’imputation de la responsabilité en matière

climatique (B), il paraît opportun de rappeler la notion même d’imputabilité en droit de la

responsabilité (A).

A. La notion d’imputabilité en droit de la responsabilité

539. « Les crimes collectifs n’engagent personne ». Ce mot attribué à Napoléon2013

exprime avant tout la difficulté de savoir à qui imputer la responsabilité. Comme le souligne

Paul Ricœur, « imputer une action à quelqu’un, revient à la lui attribuer comme à son véritable

auteur, la mettre pour ainsi dire sur son compte et l’en rendre responsable »2014.

Le terme d’imputabilité n’est pas défini par le législateur. Il vient du latin imputare2015

signifiant « porter en compte », « mettre en ligne de compte » ou encore « attribuer »2016.

2011 Native Village of Kivalina v. ExxonMobil Corp., 696 F.3d 849 (9th Cir. 2012) ; voy. supra n° 31. 2012 F.-G. Trébulle, « Responsabilité et changement climatique : quelle responsabilité pour le secteur privé ? », op.

cit., spéc. p. 22. 2013 H. de Balzac, Illusions perdues, 1843 : « Napoléon a donné la raison de ce phénomène moral ou immoral,

comme il vous plaira, dans un mot sublime que lui ont dicté ses études sur la Convention : Les crimes collectifs

n’engagent personne. Le journal peut se permettre la conduite la plus atroce, personne ne s’en croit sali

personnellement ». 2014 P. Ricœur, Parcours de la reconnaissance, Éditions Gallimard, coll. « Folio essais », 2005, p. 173. 2015 Lui-même issu de putare, « compter ». 2016 Voy. A. Rey (dir.), et alii, Dictionnaire historique de la langue française, Le Robert, t. 2, 4ème éd., 2016 ; J.

Henriot, « Note sur la date et le sens de l’apparition du mot “responsabilité” », in Archives de philosophie du droit,

Chapitre II. Reconnaissance juridique de la responsabilité climatique de l’entreprise

489

Au départ, la notion d’imputabilité était entendue dans un sens comptable, comme

l’opération financière par laquelle quelque chose est portée au compte de quelqu’un2017. Par la

suite, sous l’influence de la théologie, la notion prendra une coloration plus morale et sera

employée pour désigner le fait de faire supporter les conséquences d’un dommage par une

personne en raison de sa capacité à discerner les conséquences de ses actes, le bien du mal2018.

La notion d’imputabilité se rapproche de celle, plus objective, d’imputation. Ces deux

notions dérivent du verbe « imputer », en renvoyant l’une comme l’autre au fait d’attribuer un

fait ou une chose à une personne afin d’en rendre compte. Cependant, elles ne sont pas toujours

unanimement entendues par la doctrine. Selon la doctrine majoritaire, la notion d’imputabilité

ne saurait se réduire à une simple relation de cause à effet entre l’acte répréhensible et une

personne considérée. Elle exigerait un certain discernement, là où l’imputation s’entend, elle,

d’une « opération objective d’attribution d’un fait illicite à une personne »2019. C’est cette

acception plus étroite qui sera retenue ici.

Par ailleurs, il est parfois considéré que cette notion s’entend de la relation qui existe

entre la personne responsable et le dommage2020. Mais il serait probablement plus opportun de

distinguer l’imputation du préjudice qui relie le dommage au responsable et l’imputabilité

juridique qui relie le fait générateur au responsable qui doit réparer le préjudice2021. La plupart

des auteurs estiment, d’ailleurs, que l’imputabilité doit s’entendre du lien causal qui permet la

désignation du responsable à partir du fait générateur du dommage2022.

540. Pour résumer, l’imputabilité juridique est un mécanisme qui désigne la relation

rattachant le fait générateur au responsable. Ce mécanisme a la particularité de s’adapter aux

nécessités soulevées au gré des évolutions du droit de la responsabilité.

t. 22, La responsabilité, Sirey, 1977, p. 59 et s. ; M. Villey, « Esquisse historique sur le mot responsable », in

Archives de philosophie du droit, t. 22, La responsabilité, Sirey, 1977, p. 45 et s. 2017 G. Cornu (dir.), et alii, Vocabulaire juridique, PUF, coll. « Quadrige », 12ème éd., 2018, voy. « Imputation »,

« Imputable », « Imputabilité ». 2018 S. Goyard-Fabre, « Responsabilité morale et responsabilité juridique selon Kant », in Archives de philosophie

du droit, t. 22, La responsabilité, Sirey, 1977, p. 116 et s. 2019 F. Rousseau, L’imputation de la responsabilité pénale, Dalloz, coll. « Nouvelle Bibliothèque de Thèses »,

2009, p. 9. 2020 Voy. J. Fischer, « Causalité, imputation, imputabilité : les liens de la responsabilité civile », in Mélanges en

l’honneur de Philippe Le Tourneau. Libre droit, Dalloz, coll. « Études, mélanges, travaux », 2008, p. 283 et s. 2021 Ibid., spéc. p. 385. 2022 Voy. notamment : P. Jourdain, Recherche sur l’imputabilité en matière de responsabilité civile et pénale, thèse,

Paris I, 1982 ; B. Laperou, Responsabilité civile et imputabilité, thèse, Nancy II, 1999.

Titre II. Jalons prospectifs d’une responsabilité climatique de l’entreprise

490

Aujourd’hui, le droit de la responsabilité évolue afin de permettre la prévention et la

réparation des dommages climatiques. Encore faut-il pouvoir imputer à quelqu’un les faits

générateurs de ces dommages…

B. L’imputation de la responsabilité en matière climatique

541. L’imputation de la responsabilité dans un contexte d’incertitude

scientifique2023. L’incertitude scientifique et l’incertitude des risques rendent délicat

l’établissement clair et précis des responsabilités. Avec le développement industriel et

technologique, et surtout avec la mondialisation des activités économiques, l’enchaînement des

responsabilités individuelles devient de plus en plus complexe. La responsabilité émerge au

niveau global et tend à se dissoudre au niveau individuel. Un auteur soulève ainsi le paradoxe

entre, d’une part, cette dilution des responsabilités et, d’autre part, le fait que les sociétés

contemporaines se caractérisent par une baisse du seuil d’acceptabilité des risques2024. Ainsi

que le résume cet auteur : « De nos jours, les risques scientifiques et technologiques ne

connaissent plus de limites qu’elles soient géographiques, temporelles ou sociales, leur nature

exacte et leur probabilité de survenance sont inconnues. Se pose alors la question de savoir si

les règles de droit positif permettent encore de les imputer à quiconque »2025.

L’existence de nombreux facteurs d’incertitudes rend difficile la preuve de la causalité.

Un premier facteur important est l’éloignement géographique entre l’origine de l’atteinte et le

lieu de sa réalisation. Que l’on songe notamment à l’ensemble des faits de pollution2026. Dans

ce domaine, l’éloignement rend d’autant plus complexe la détermination du cheminement du

polluant que l’atteinte est en principe inaccessible aux sens et difficile à tracer2027. Un deuxième

facteur est l’éloignement temporel. Très souvent, les effets du polluant ne se manifestent pas

immédiatement ou ne se déclenchent qu’à partir d’un certain seuil de concentration. C’est le

cas en matière de pollutions diffuses. Enfin, d’autres difficultés sont liées à la détermination de

l’auteur de la pollution. Nombreuses sont les situations de pollutions anonymes.

2023 Voy. à ce sujet : L. Mazeau, « L’imputation de la responsabilité civile en contexte d’incertitude scientifique et

technologique », Cahiers Droit, Sciences & Technologies, n° 4, 2014, p. 145-158. 2024 Ibid. 2025 Ibid. 2026 G. Martin, De la responsabilité civile pour faits de pollution au droit à l’environnement, thèse, Université de

Nice, 1976, passim, spéc. p. 159. 2027 M. Rèmond-Gouilloud, Du droit de détruire. Essai sur le droit de l’environnement, PUF, coll. « Les voies du

droit », 1989, p. 245.

Chapitre II. Reconnaissance juridique de la responsabilité climatique de l’entreprise

491

Toutes ces incertitudes compliquent la tâche du juge lorsqu’il doit se prononcer sur

l’existence de la responsabilité. Pour autant, il ne peut « invoquer l’incertitude scientifique pour

refuser de statuer »2028 sous peine de déni de justice. Le doute a sa place obligée dans le droit,

il est consubstantiel au droit2029, si bien que le juge n’a pas d’autre choix que de s’accommoder

« de l’incertitude, de l’imprécision et même d’un certain désordre »2030.

La matière climatique est l’illustration parfaite d’un domaine où l’incertitude

scientifique rend particulièrement difficile l’établissement du lien de causalité et l’imputation

de la responsabilité juridique.

542. L’imputation de la responsabilité dans le contexte précis du changement

climatique. Qui est responsable des dégâts causés par le changement climatique ? Comme l’a

exposé parfaitement le Professeur Neyret : « Certes, les activités humaines à l’origine des

émissions de gaz à effet de serre sont connues, comme l’industrie pétrolière, l’industrie

chimique, le bâtiment ou les transports. Mais qui poursuivre parmi tous les intervenants de la

chaîne de production-distribution ? En matière de transports, par exemple, qui de l’État, des

constructeurs automobiles, des compagnies pétrolières, des compagnies d’autoroute ou bien

encore des propriétaires de véhicules, devrait voir sa responsabilité engagée du fait de

l’aggravation des changements climatiques ? »2031.

Imputer la responsabilité des dommages climatiques à tel ou tel acteur du changement

climatique n’est nullement un exercice évident. Certes, les sciences du climat ont beaucoup

avancé dans l’identification de l’origine anthropique du changement climatique et dans la

quantification des émissions des plus gros émetteurs de gaz à effet de serre (les Carbon Majors).

Néanmoins, la transposition de ces données sur le terrain juridique n’est pas encore acquise.

Comme on a pu le souligner, « la quantification des émissions historiques de chaque entreprise

ne suffit pas à caractériser juridiquement la contribution causale de chaque acteur à un

phénomène diffus, dans l’espace et dans le temps, tel que le changement climatique »2032. Dès

lors que l’on passe du global au local et du collectif à l’individuel, le degré de certitude chute

drastiquement. Certes, le doute a tout de même une certaine place dans le droit ; il faut donc

2028 L. Grynbaum, « La certitude du lien de causalité en matière de responsabilité est-elle un leurre dans le contexte

d’incertitude de la médecine ? Le lien de causalité en matière de santé : un élément de la vérité judiciaire », D.,

2008, p. 1928. 2029 F. Terré (dir.), Le doute et le droit, Dalloz, coll. « Philosophie et théorie générale du droit », 1994. 2030 M. Delmas-Marty, « Réinventer le droit commun », D., 1995, p. 1. 2031 L. Neyret, « La reconnaissance de la responsabilité climatique », op. cit. 2032 M. Torre-Schaub (dir.), Les dynamiques du contentieux climatique. Usages et mobilisations du droit pour la

cause climatique, Rapport de recherche, décembre 2019, p. 111, en ligne : http://www.gip-recherche-justice.fr/wp-

content/uploads/2020/01/17.05-RF-contentieux-climatiques.pdf.

Titre II. Jalons prospectifs d’une responsabilité climatique de l’entreprise

492

savoir composer avec lui, ce qui demande de réfléchir à une nouvelle manière d’imputer la

responsabilité en matière climatique.

En l’état du droit, l’incertitude qui affecte tant les contributions individuelles des

entreprises au changement climatique que l’attribution à ce dernier de certains événements

extrêmes pourrait faire obstacle à toute tentative d’imputation de la responsabilité juridique en

la matière. En théorie, la responsabilité des entreprises pourra être engagée sur le fondement de

la violation d’une législation ou d’une obligation juridique précise2033, dès lors que les

conditions nécessaires sont réunies. Cependant, à l’heure actuelle, il semble difficile de

concevoir une responsabilité du fait des émissions de gaz à effet de serre, que cette

responsabilité soit curative (indemnisation des victimes) ou préventive (adoption de mesures

préventives ou financement de telles mesures). Ceci est regrettable, dans la mesure où les

fonctions classiques de la responsabilité civile délictuelle – réparer, prévenir, punir2034 –

devraient faire d’elle un vecteur privilégié de protection du climat, permettant autant d’effacer

les atteintes réalisées que d’empêcher la survenance de nouvelles.

543. En résumé, dans le cadre de cette section, nous avons souligné les obstacles à

la reconnaissance juridique de la responsabilité climatique de l’entreprise. Ces obstacles sont

essentiellement relatifs à la causalité générale (le lien entre les émissions de gaz à effet de serre

produites par les activités humaines et le changement climatique) et à la causalité individuelle

(permettant d’« imputer » le dommage au défendeur).

Néanmoins, nous pensons que ces obstacles ne sont pas tous insurmontables et que le

droit pourrait mieux prendre en compte les dommages liés au changement climatique grâce à

la reconnaissance juridique d’une responsabilité spécifique en matière de climat.

Section 2. Perspectives en vue de la reconnaissance juridique de la responsabilité climatique

de l’entreprise

544. S’il est désormais certain qu’en l’état du droit, la responsabilité civile ne permet

pas d’appréhender les diverses atteintes en matière climatique, est-ce que l’on peut concevoir

2033 Devoir de vigilance (absence de prise en compte du changement climatique dans le plan de vigilance de

l’entreprise), devoir de loyauté (sanctions en matière pénale, par exemple en cas de publicité trompeuse ou de

diffusion d’informations fausses ou trompeuses sur les marchés financiers), obligation de reddition (divulgation

d’informations en matière climatique), etc. 2034 F.-G. Trébulle, « Les fonctions de la responsabilité environnementale : réparer, prévenir, punir », in La

responsabilité environnementale. Prévention, imputation, réparation, sous la dir. de Ch. Cans, Dalloz, coll.

« Thèmes et commentaires », 2009, p. 17-44.

Chapitre II. Reconnaissance juridique de la responsabilité climatique de l’entreprise

493

une responsabilité spécifique en matière de climat ? Sur le plan technique, peut-on dépasser les

obstacles à la consécration d’une telle responsabilité, et donc in fine les obstacles à la

justiciabilité climatique ?

Avec toute la modestie qui s’impose dès lors que l’on est sur le terrain du droit

prospectif, nous allons proposer quelques pistes permettant de dépasser les obstacles à la fois

aux conditions de la responsabilité climatique de l’entreprise (§1) et à l’exercice de l’action en

justice (§2). Face à la diversification et la multiplication des dommages liés au changement

climatique, une telle évolution semble aujourd’hui inéluctable.

§1. Le dépassement des obstacles liés aux conditions de la responsabilité climatique de

l’entreprise

545. Nous l’avons vu, les principaux obstacles à la reconnaissance juridique de la

responsabilité climatique de l’entreprise concernent l’établissement du lien de causalité et

l’imputation de la responsabilité.

Premièrement, le caractère multiple du lien de causalité constitue une entrave sérieuse

à toute action en responsabilité dirigée contre les entreprises. La preuve d’un lien de causalité

direct et certain entre les nombreuses activités humaines productrices de gaz à effet de serre et

tel ou tel dommage déterminé est, en effet, difficile à rapporter. Il convient cependant de garder

à l’esprit que les tribunaux ont su parfois appréhender de manière souple le lien de causalité.

Ainsi, les futures décisions rendues par les juridictions nationales se prononceront peut-être en

faveur d’un assouplissement de la causalité en matière climatique (A).

Deuxièmement, les émissions de gaz à effet de serre – faits générateurs de dommages

climatiques – résultent de l’action de multiples acteurs, d’hier et d’aujourd’hui, d’ici et

d’ailleurs. Si la responsabilité civile de ces acteurs venait à être reconnue, la question se poserait

de savoir comment elle serait répartie (B).

A. L’adaptation de la causalité en matière climatique

546. L’admission de la preuve par présomption du lien de causalité pourrait sans

doute permettre de surmonter certains obstacles à l’action en responsabilité en matière

climatique liés à l’absence de certitude scientifique (1).

En ce qui concerne l’imputation de la responsabilité, on peut s’interroger sur la théorie

de la causalité la plus apte à s’appliquer. Pour l’heure, les juges ne se sont pas clairement

Titre II. Jalons prospectifs d’une responsabilité climatique de l’entreprise

494

prononcés sur cette question qui est pourtant un préalable indispensable à la détermination de

l’existence d’une obligation de réparation des dommages climatiques de la part des entreprises

émettrices de gaz à effet de serre (2).

1. L’admission de la preuve par présomption du lien de causalité en matière climatique

547. Avant toute chose, rappelons que l’incertitude scientifique résulte de l’absence

de consensus scientifique sur la relation objective entre un produit, un événement ou une

activité envisagés in abstracto et un dommage2035. En droit, la question se pose de savoir si

cette incertitude est de nature à faire obstacle à l’action en responsabilité.

En principe, le recours aux présomptions permet de dépasser l’incertitude causale. En

matière de responsabilité du fait des produits de santé, la jurisprudence a admis de façon très

nette la preuve par présomption du lien de causalité, c’est-à-dire par un faisceau d’indices

graves, précis et concordants2036. Cette solution a été notamment admise par la Cour de

cassation dans le contentieux portant sur le lien entre le vaccin contre l’hépatite B et la survenue

d’une sclérose en plaque2037, alors qu’en l’état des connaissances scientifiques, aucun lien

probable n’est posé entre les deux. Ce système de preuve a reçu l’aval de la Cour de justice de

l’Union européenne. Dans une décision du 21 juin 20172038, la CJUE a ainsi relevé que, malgré

l’absence de consensus scientifique, le défaut du vaccin et le lien de causalité entre celui-ci et

la maladie peuvent être prouvés par des présomptions du fait de l’homme, pourvu qu’elles

soient « graves, précises et concordantes ». Nous pouvons renvoyer sur ce point aux

observations de Mireille Bacache qui met en évidence l’« intérêt symbolique important » de

l’arrêt de la CJUE « en ce qu’il se prononce en faveur de l’autonomie de la causalité juridique

par rapport à la causalité scientifique »2039. Pour cette auteure, la solution peut être approuvée,

dans la mesure où « la science et le droit ne se situent pas sur le même plan, la science cherchant

à expliquer le réel alors que le droit est normatif »2040. Ainsi, « si la causalité scientifique se

propose d’établir des enchaînements logiques et à portée universelle, la causalité juridique est

2035 M. Bacache, « Changement climatique, responsabilité civile et incertitude », in « Changement climatique et

responsabilité. Quelles normativités ? » (Dossier), Énergie – Environnement – Infrastructures, n° 8-9, août-sept.

2018, article 30, p. 56-60, spéc. p. 57. 2036 Voy. P. Thieffry, « La causalité, enjeu ultime de la responsabilité environnementale et sanitaire ? »,

Environnement et Développement durable, juillet 2013, étude 18. 2037 Cass. 1ère civ., 22 mai 2008 (5 espèces), JCP, 2008, II, 10131, note L. Grynbaum ; JCP, 2008, I, 186, obs. Ph.

Stoffel-Munck ; RTD civ., 2008, p. 492, obs. P. Jourdain. 2038 CJUE, 21 juin 2017, aff. C-621/15, D., 2017, p. 1807, note J.-S. Borghetti. 2039 M. Bacache, « Changement climatique, responsabilité civile et incertitude », op. cit., spéc. p. 57. 2040 Ibid.

Chapitre II. Reconnaissance juridique de la responsabilité climatique de l’entreprise

495

un instrument au service de la solution la plus juste, dans un cas particulier »2041. Dès lors, la

causalité juridique peut tout à fait s’accommoder d’une certitude relative puisqu’elle procède

d’un jugement de valeur et non d’une vérité absolue.

L’interprétation de ces indices graves, précis et concordants reste, bien entendu, sous

le contrôle des juges du fond, qui n’ont pas toujours adopté une position favorable aux

victimes2042. Pour emporter la conviction des juges, ces indices doivent en effet être

suffisamment précis et concordants2043.

548. Recours à des présomptions de fait graves, précises et concordantes pour

établir la causalité juridique en matière climatique. On pourrait imaginer que tels indices

pourront être établis par les victimes climatiques2044. Encore faudra-t-il que celles-ci se fondent

sur des éléments statistiques2045, sur des critères spatio-temporels et sur les données

scientifiques de plus en plus concluantes relatives aux causes du réchauffement climatique.

L’établissement d’une présomption de causalité en matière climatique permettrait de prendre

en compte l’état le plus avancé des connaissances scientifiques ainsi que la persistance

d’incertitudes.

Notons enfin que, dans tous les cas, il ne s’agit pas de faire appel à des présomptions de

droit, lesquelles emportent dispense de preuve pour la victime et renversement de la charge de

la preuve. Le recours éventuel au principe de précaution2046 « ne devrait pas se traduire par une

dispense de preuve du lien de causalité au profit des victimes mais par une simple autorisation

de rapporter cette preuve en dépit du doute scientifique, aux moyens de présomptions graves,

précises et concordantes »2047.

2041 Ibid. 2042 Voy. notamment : Cass. 3ème civ., 18 mai 2011, n° 10-17.645. Dans cet arrêt rendu à propos de l’impact de

l’exposition à des rayonnements électromagnétiques de lignes à très haute tension sur la santé d’animaux exposés,

la Cour de cassation a retenu que « des éléments sérieux divergents et contraires s’opposaient aux indices existant

quant à l’incidence possible des courants électromagnétiques sur l’état des élevages de sorte qu’il subsistait des

incertitudes notables sur cette incidence ». 2043 Voy. notamment : CEDH, 27 janvier 2009, Tatar c/ Roumanie, n° 67021/01, § 107, D., 2009, p. 2248, osb. F.-

G. Trébulle. La Cour européenne des droits de l’homme a jugé qu’« en l’espèce l’incertitude scientifique n’est pas

accompagnée d’éléments statistiques suffisants et convaincants ». 2044 Voy. en ce sens : S. Porchy-Simon, « L’indemnisation des dommages climatiques par le droit commun de la

responsabilité civile », in Le changement climatique, quel rôle pour le droit privé ?, sous la dir. de M. Hautereau-

Boutonnet et S. Porchy-Simon, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2019, p. 151-164, spéc. p. 157. 2045 À propos de ces éléments statistiques, Mireille Bacache note très justement que : « Les sciences telles que la

météorologie, l’hydrologie ou l’écologie reposent, sur les statistiques et des modélisations. Néanmoins, la méthode

présente ses limites dans la mesure où face à des risques nouveaux la répétition des événements passés fait défaut,

de sorte qu’il est difficile d’observer une fréquence statistique avant un certain laps de temps » : M. Bacache,

« Changement climatique, responsabilité civile et incertitude », op. cit., spéc. p. 58. 2046 Voy. supra n° 503. 2047 M. Bacache, « Changement climatique, responsabilité civile et incertitude », op. cit., spéc. p. 57-58.

Titre II. Jalons prospectifs d’une responsabilité climatique de l’entreprise

496

549. Or, si la question du lien de causalité entre le fait générateur et le dommage est

résolue, il reste encore celle de l’imputabilité. Le dommage subi par une victime d’un

événement climatique est le fait d’une pluralité d’acteurs. Nous avons vu que cela complique

considérablement l’action de la victime2048. Dans d’autres contentieux, face à des difficultés

plus ou moins similaires, les juges ont consacré la théorie dite la causalité alternative2049. Si

celle-ci ne semble pas pouvoir être appliquée en matière climatique, en revanche, d’autres

théories de la causalité pourraient-elles trouver application ? Que l’on songe ici aux

théories « classiques » de la causalité, à savoir la théorie de l’équivalence des conditions et de

la causalité adéquate. Ou doit-on, peut-être, imaginer une toute autre approche de la causalité ?

2. L’applicabilité des différentes théories de la causalité en matière climatique

550. Théorie de la causalité alternative. La théorie de la causalité alternative peut

paraître séduisante. Toutefois, elle est mal adaptée à la matière climatique. La causalité est

qualifiée d’alternative lorsque « parmi une pluralité d’activités similaires, chacune est

suffisante pour produire le dommage considéré, cependant une seule (ou quelques-unes, mais

non la totalité) est effectivement à l’origine du dommage »2050. Or ce n’est clairement pas le cas

en matière climatique. Les émissions d’une seule entreprise ne sont pas suffisantes pour causer

les dommages climatiques subis par les demandeurs. Ces dommages ne sont pas le fait d’un

seul fait générateur (les émissions de tel acteur en particulier), mais le résultat de l’accumulation

de nombreux faits générateurs (les émissions de l’ensemble des acteurs). Quid des théories

« classiques » de la causalité2051 ?

551. Théorie de l’équivalence des conditions. Selon la théorie de l’équivalence des

conditions, toutes les causes matérielles ayant contribué au dommage sont des causes juridiques

de nature à engager la responsabilité de leur auteur. Tous les éléments qui ont conditionné le

dommage sont ainsi équivalents. Chacun d’entre eux, en l’absence duquel le dommage ne serait

pas survenu, est la cause du dommage2052. La difficulté est que ces éléments sont fourmillants,

2048 Voy. supra n° 542. 2049 Ch. Quézel-Ambrunaz, « La fiction de la causalité alternative : Fondement et perspectives de la jurisprudence

“Distilbène” », D., 2010, p. 1162. 2050 Ibid. 2051 Ph. Le Tourneau, La responsabilité civile, PUF, coll. « Que sais-je ? », 2003, p. 39-54. 2052 Voy. par exemple : Cass. 2ème civ., 27 janvier 2000, n° 97-20.889, D., 2001, p. 2073, note. L. Chakirian ; JCP,

2000, II, 10363, note Ph. Conte ; RTD civ., 2000, p. 335, obs. P. Jourdain : En l’espèce, un accident de la circulation

a causé des blessures à la colonne vertébrale de la victime, qui ont nécessité une intervention chirurgicale à la suite

de laquelle elle a perdu la vue d’un œil. L’intervention qui a entraîné le trouble oculaire a été rendue nécessaire

Chapitre II. Reconnaissance juridique de la responsabilité climatique de l’entreprise

497

de sorte que tout dommage risquerait d’avoir un trop grand nombre de causes. Or, comme il a

été souligné par la doctrine, « plus la chaîne s’étend, plus la causalité devient aléatoire, et sa

détermination divinatoire »2053. Le « danger majeur de cette théorie » est qu’« elle ne permet

pas de fixer commodément une limite à l’étendue de la responsabilité »2054.

Force est de constater que la caractérisation de la contribution causale des entreprises

au changement climatique pourra difficilement être résolue au moyen de la théorie de

l’équivalence des conditions. Nous avons déjà souligné les dangers d’une responsabilité trop

étendue en matière climatique2055. Avec la théorie de l’équivalence des conditions, on risque de

« tomber dans l’alternative aporétique entre “tous sont responsables” ou “nul n’est responsable

du changement climatique” »2056. Il reste alors la théorie de la causalité adéquate.

552. Théorie de la causalité adéquate. Il y a causalité adéquate lorsqu’une condition

est de nature, dans le cours habituel des choses et selon l’expérience de la vie, à produire l’effet

qui s’est réalisé2057. On dit qu’elle est « favorisante ». La théorie de la causalité adéquate retient

que tous les faits intervenus dans le processus du dommage n’ont pas tous eu la même

incidence. Il ne faut donc retenir que le facteur qui, parmi tous ceux que l’on a relevés, était de

nature de produire le dommage, au regard de ce qui est normalement prévisible. En pratique,

une hiérarchie est élaborée entre tous les facteurs, « d’après l’augmentation de la probabilité de

résultat qu’ils généraient »2058. Dans chaque espèce, il convient alors de rechercher si la

causalité a été adéquate. Cet examen s’opère a posteriori : « il s’agit de remonter dans le temps

pour se demander rétrospectivement s’il était objectivement possible de penser que tel fait

provoquerait normalement cet effet dommageable »2059.

Cette théorie de la causalité adéquate a été retenue par les juges allemands dans la

première décision au fond rendue dans le cadre de l’affaire Lliuya v. RWE précitée2060, pour

écarter le lien de causalité. Le tribunal d’Essen a estimé, en effet, que la contribution de RWE

au réchauffement climatique est trop infime, ne permettant pas d’affirmer que la fonte du glacier

par l’accident, de telle sorte qu’il ne se serait pas produit en son absence. L’accident est ainsi la cause directe et

certaine de la cécité. 2053 Ph. Le Tourneau, La responsabilité civile, op. cit., p. 42. 2054 Ibid., p. 43. 2055 Voy. supra n° 480. 2056 M. Torre-Schaub (dir.), Les dynamiques du contentieux climatique. Usages et mobilisations du droit pour la

cause climatique, Rapport de recherche, décembre 2019, p. 114, en ligne : http://www.gip-recherche-justice.fr/wp-

content/uploads/2020/01/17.05-RF-contentieux-climatiques.pdf. 2057 Ph. Le Tourneau, La responsabilité civile, op. cit., p. 44. 2058 F. G’Sell, Recherches sur la notion de causalité, thèse, Paris I, 2005, n° 95. 2059 Ph. Le Tourneau, La responsabilité civile, op. cit., p. 44. 2060 Voy. supra n° 356.

Titre II. Jalons prospectifs d’une responsabilité climatique de l’entreprise

498

des Andes ne serait pas survenue si les émissions de RWE n’avaient pas été produites2061. Cette

approche de la causalité a été cependant contestée par le demandeur, qui a interjeté appel contre

cette décision. La demande a été déclarée recevable2062 et, à l’heure où ces lignes sont écrites,

l’affaire est en cours. Il n’est pas exclu que dans les futures décisions rendues en matière

climatique, les juges retiennent une autre approche de la causalité.

553. Pour une nouvelle approche de la causalité ? Dans l’affaire Lliuya v. RWE,

les avocats de M. Lliuya relèvent qu’en cas de pluralité de causes, le droit de la responsabilité

n’a pas vocation à opérer de distinction ou de hiérarchisation des différentes contributions

causales d’un même dommage. Il serait sans doute envisageable de retenir la responsabilité

d’un acteur pour sa contribution. Effectivement, le fait qu’il y ait une pluralité d’acteurs

n’exclut pas que celui contre lequel l’action est engagée ait pu éliminer les risques liés à sa

propre activité2063.

Cette démarche est intellectuellement très différente de ce que l’on connaît. Il s’agit

en quelque sorte d’embrasser la complexité de la causalité en matière climatique et de composer

avec cette complexité. La causalité juridique pourrait être assouplie en admettant que l’on

puisse être responsable pour avoir contribué au changement climatique. Bien entendu, cela

poserait la délicate question de la manière de prouver et de mesurer cette contribution. Faut-il

prévoir des seuils ? À partir de quand considère-t-on qu’un acteur a contribué au phénomène ?

Le critère de la « contribution significative » (meaningful contribution) utilisé par les juges

américains pour caractériser les contributions causales des dommages environnementaux

diffus, est sans doute une piste intéressante à explorer. Mais ce n’est pas sans rappeler que, pour

l’heure, les sciences du climat n’ont pas encore clarifié le seuil à partir duquel une quantité

d’émissions de gaz à effet de serre pourrait effectivement avoir un rôle causal en matière

d’impacts climatiques2064.

554. Pour résumer, l’établissement de la causalité est un préalable indispensable à la

détermination de l’existence d’une obligation de réparation des dommages climatiques de la

2061 Lliuya v. RWE AG, Case No. 2 O 285/15, District Court Essen, 15/12/2016. 2062 Lliuya v. RWE AG, Higher Regional Court Hamm, 2 O 285/1520, 30/11/2017. 2063 F.-G. Trébulle, « Responsabilité et changement climatique : quelle responsabilité pour le secteur privé ? », in

« Changement climatique et responsabilité. Quelles normativités ? » (Dossier), Énergie – Environnement –

Infrastructures, n° 8-9, août-sept. 2018, article 24, p. 20-27, spéc. p. 23. 2064 L. d’Ambrosio, « La “responsabilité climatique” des entreprises : une première analyse à partir du contentieux

américain et européen », in « Changement climatique et responsabilité. Quelles normativités ? » (Dossier),

Énergie – Environnement – Infrastructures, n° 8-9, août-sept. 2018, article 27, p. 39-44, spéc. p. 43.

Chapitre II. Reconnaissance juridique de la responsabilité climatique de l’entreprise

499

part des entreprises émettrices de gaz à effet de serre. Si l’on admet que cette responsabilité est

nécessairement commune, comment déterminer la contribution à la dette de réparation ?

Autrement dit, comment répartir la responsabilité en matière climatique ?

B. La répartition de la responsabilité en matière climatique

555. Compte tenu de la variété des activités qui contribuent au changement

climatique, et par souci de justice, il semble opportun d’envisager une responsabilité

proportionnée au risque climatique créé2065. Ainsi, la responsabilité climatique, qu’elle soit

curative ou préventive, pourrait être répartie en fonction du niveau d’émissions de gaz à effet

de serre des entreprises. Une telle approche n’est évidemment pas sans rappeler la théorie

américaine de la « market share liability » (1).

De surcroît, envisagée d’un point de vue de l’indemnisation des dommages,

l’évolution du droit de la responsabilité pourrait passer par la création d’un mécanisme de

socialisation des risques (2).

1. La répartition de la responsabilité en fonction du niveau d’émissions de gaz à effet de serre

556. La répartition de la responsabilité en matière climatique est particulièrement

délicate. Aux États-Unis, la théorie de la responsabilité pour part de marché (market share

liability) permet de répartir la charge de la responsabilité en fonction du critère des parts de

marché. Autrement dit, il s’agit de mesurer la responsabilité à l’aune des parts de marché (a).

Inspirés de cette théorie, certains ont suggéré de l’étendre au domaine climatique en

consacrant une responsabilité proportionnée au niveau d’émissions de gaz à effet de serre de

chaque opérateur. Il reste à savoir si, ainsi étendue, cette théorie peut être appliquée dans le

cadre de contentieux climatiques dirigés contre les entreprises (b).

a) La théorie américaine de la « market share liability »

557. La théorie américaine de la market share liability consiste à répartir le

dommage selon les parts de marché détenues par le défendeur2066. Elle a été introduite dans

2065 L. Neyret, « La reconnaissance de la responsabilité climatique », D., 2015, p. 2278. 2066 S. Ferey et F. G’Sell, « Pour une prise en compte des parts de marché dans la détermination de la contribution

à la dette de réparation », D., 2013, p. 2709.

Titre II. Jalons prospectifs d’une responsabilité climatique de l’entreprise

500

le domaine de la responsabilité civile par une décision rendue en 1980 par la Cour suprême de

Californie dans l’affaire célèbre Sindell v. Abbott Laboratories2067 portant sur l’administration

du DES (Diethylstilbestrol) à des femmes enceintes. Dans cette affaire, la market share liability

a été appliquée au stade de l’obligation à la dette. Les magistrats français ont aussi consacré

cette théorie dans le cadre du contentieux sur le DES en France2068.

Dès sa consécration, la market share liability a fait l’objet de diverses critiques. On a

pu notamment souligner que les laboratoires pharmaceutiques qui ont mis sur le marché la

molécule à l’origine du dommage ne sont pas des coauteurs, dans la mesure où ils n’ont pas

accompli conjointement un acte illicite2069. Dès lors, admettre une responsabilité in solidum

dans ce cas où l’auteur exact du dommage n’est pas connu, revient en quelque sorte à nier toute

idée de causalité. Un auteur souligne qu’en retenant cette responsabilité in solidum, on accepte

de reconnaître, en droit, une relation de cause à effet, là où, en fait, elle n’existe pas comme

telle2070. Il s’agit donc d’une fiction.

Finalement, la charge de la dette de réparation n’est pas répartie en fonction de la

gravité des fautes respectives, mais en fonction de la part de marché. En ce sens, Nicolas

Molfessis écrit qu’« il n’existe aucun lien entre la présence sur un marché, critère économique,

et la gravité d’une faute commise, critère comportemental qui renvoie aux catégories du droit

de la responsabilité. La gravité d’une faute ne dépend pas de données extérieures au

responsable, comme ce serait le cas avec la prise en compte des parts de marché : elle s’apprécie

par référence à un standard de comportement ou encore en fonction de l’intention de son

auteur »2071.

Par conséquent, comment justifier ici l’application de la théorie de la market share

liability ? Cette application est sans doute justifiée par le souci d’indemnisation des victimes.

Ce dernier prévaut sur le respect strict des conditions imposées par la responsabilité civile.

Ainsi que l’on a pu le résumer, « l’appréciation de l’influence causale de chaque auteur est

2067 Sindell v. Abbott Laboratories, 607 P.2d 924 (1980). 2068 TGI de Nanterre, 10 avril 2014, n° 12/13064 et 12/12349, D., 2014, p. 1434, obs. J.-S. Borghetti ; JCP, 2014,

p. 575, obs. C. Quézel-Ambrunaz ; ibid., p. 678, note J. Dubarry ; confirmé en appel : CA Versailles, 14 avril

2016, n° 16/00296, Revue des contrats, 2017, p. 36 et s., obs. J.-S. Borghetti. 2069 G. Cornu (dir.), et alii, Vocabulaire juridique, PUF, coll. « Quadrige », 12ème éd., 2018, voy. « Coauteur ». 2070 Ch. Quézel-Ambrunaz, « La fiction de la causalité alternative : Fondement et perspectives de la jurisprudence

“Distilbène” », op. cit. 2071 N. Molfessis, « Du critère des parts de marché comme prétendu remède à l’incertitude sur l’origine d’un

dommage (À propos des recours entre les laboratoires ayant commercialisé le DES) », LPA, 2015, n° 206, p. 7 et

s., n° 10.

Chapitre II. Reconnaissance juridique de la responsabilité climatique de l’entreprise

501

clairement écartée pour prendre en considération, par une approche subjective, l’intérêt de la

victime »2072.

558. L’idée d’un recours à la théorie de la market share liability dans le domaine

climatique est séduisante. Certes, il est opportun d’envisager une responsabilité commune et

proportionnée au risque créé. En revanche, la théorie de la market share liability ne semble pas

pouvoir être transférée telle quelle dans le domaine climatique.

b) L’extension de la théorie américaine de la « market share liability » au domaine climatique :

consécration de la théorie de la « emission share liability »

559. Peut-on envisager d’appliquer la théorie de la market share liability en

matière climatique ? Selon la majorité des auteurs, la réponse à cette question est négative,

pour deux raisons principalement. D’abord, car l’atmosphère n’est pas un « marché ». Ensuite,

car les produits commercialisés par les entreprises pétrolières, à savoir les énergies fossiles, ne

sont pas des produits « fongibles » ou « interchangeables »2073. Ils ont tous un effet différent

sur le changement climatique, notamment du fait de leur composition et de leur « durée de

séjour » dans l’atmosphère. Ni le critère de la fongibilité, ni celui de la temporalité2074 ne sont

remplis. Or, pour qu’il y ait market share liability, « il faut être sûr de l’existence du marché,

de ses limites et de la place respective des “joueurs” »2075.

Malgré ces difficultés, certains ont envisagé d’appliquer cette méthode aux différents

acteurs en fonction de la part de marché qu’ils détiennent dans les secteurs les plus émetteurs

de gaz à effet de serre (secteur pétrolier, secteur de l’automobile…)2076. Toutefois, cette solution

semble difficile à justifier, car elle revient à automatiquement stigmatiser des activités qui sont

pourtant parfaitement autorisées. En théorie, une entreprise peut détenir des parts importantes

sur le marché de l’automobile tout en développant des technologies non polluantes. La part de

marché n’équivaut pas nécessairement au niveau d’émissions de gaz à effet de serre. Ce dernier

semble, en effet, plus pertinent comme critère de répartition de la responsabilité.

2072 É. Quintane Villa, « Contribution à une analyse rénovée de la causalité alternative », Les Annales de droit, n°

11, 2017, p. 205-232, n° 44, en ligne : https://journals.openedition.org/add/553#quotation. 2073 Dans l’arrêt originel en matière de market share liability, les médicaments en cause étaient « rigoureusement

identiques » et donc « fongibles ». 2074 Toujours dans l’affaire Sindell v. Abbott Laboratories, les médicaments en cause avaient été pris au cours de

périodes relativement limitées et identifiables dans le temps. 2075 F.-G. Trébulle, « Responsabilité et changement climatique : quelle responsabilité pour le secteur privé ? », op.

cit., spéc. p. 23. 2076 D. J. Grimm, « Global Warming and Market Share Liability: A Proposed Model for Allocating Tort Damages

Among CO2 Producers », Columbia Journal of Environmental Law, n° 32, 2007, p. 209 et s.

Titre II. Jalons prospectifs d’une responsabilité climatique de l’entreprise

502

560. Pour une consécration de la théorie de la « emission share liability »2077 ?

Depuis que les études scientifiques ont permis de quantifier les émissions historiques des

entreprises du secteur fossile, la question se pose de savoir si ces données peuvent être utilisées

dans le cadre de contentieux climatiques et permettre d’engager la responsabilité des entreprises

à hauteur de leur contribution au phénomène du changement climatique. Plutôt que de parler

de responsabilité en fonction de la part de marché, on parle de responsabilité en fonction du

niveau d’émissions.

Dans l’affaire Lliuya v. RWE, le demandeur attribue à la compagnie allemande 0,47 %

des émissions historiques de CO2, sur la base des données issues du rapport Heede2078. Par

conséquent, il demande que RWE participe, proportionnellement au niveau de nuisance généré

par ses émissions, aux coûts nécessaires à la mise en place des mesures de prévention. Le coût

financier de ces mesures s’élèverait à 3,5 millions d’euros et RWE devrait prendre en charge

0,47 % de ce montant, eu égard à sa contribution personnelle au changement climatique.

L’affaire est à suivre.

L’application de la théorie de la emission share liability présente de multiples intérêts.

Outre le fait qu’elle permet de fournir à la victime un minimum d’indemnisation et de

sanctionner les entreprises dont le comportement contribue au réchauffement climatique, cette

théorie peut inciter les grandes entreprises à revoir à la baisse leurs émissions de gaz à effet de

serre. Elles seraient encouragées à mieux prendre en considération l’intégralité des externalités

négatives de leur activité. Plus généralement, cela permettrait de raviver la fonction préventive

de la responsabilité civile2079.

Pour finir sur ce point, il convient néanmoins de signaler une difficulté liée au fait que,

pour l’heure, le caractère indiscutable des chiffres évoqués dans les études scientifiques

quantifiant les émissions des entreprises n’est pas nécessairement établi. Il n’existe pas de

référence universelle en la matière, même si le rapport Heede est souvent considéré comme un

élément scientifique très important à la disposition des parties. Ce rapport désigne assez

catégoriquement le « club » des quatre-vingt-dix entreprises responsables du réchauffement de

la planète. Mais malgré le caractère impressionnant du travail de compilation, ces données

semblent encore difficiles à considérer comme des certitudes absolues.

2077 Ou bien « pollution share liability », voy. E. Friedland, « Pollution Share Liability: A New Remedy for

Plaintiffs Injured by Air Pollutants », Columbia Journal of Environmental Law, n° 9, 1984, p. 297 et s. 2078 R. Heede, Carbon Majors: Accounting for carbon and methane emissions 1854-2010. Methods and Results

Report, Snowmass, Climate Mitigation Services, 2013. 2079 M. Hautereau-Boutonnet et L. Canali, « Jalons pour une responsabilité civile climatique préventive », 2018,

en ligne : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01875905/document.

Chapitre II. Reconnaissance juridique de la responsabilité climatique de l’entreprise

503

561. Le souci de faciliter l’indemnisation des victimes justifie l’adaptation des règles

en matière de causalité ainsi que la recherche de nouvelles façons de répartir la responsabilité.

Mais au-delà de cela, les conditions de la causalité pourraient être amoindries à travers le

développement d’un mécanisme de socialisation des risques en matière climatique.

2. La socialisation des risques en matière climatique

562. La création d’un fonds d’indemnisation des dommages climatiques pourrait être

intéressante en ce qu’elle faciliterait l’indemnisation des victimes (a). Mais il faudrait sans

doute prévoir la mise en place de quelques garde-fous car elle risque de conduire à la

déresponsabilisation des acteurs (b).

a) La création d’un fonds d’indemnisation des dommages climatiques

563. La création d’un fonds d’indemnisation des dommages climatiques financé

par les pollueurs au prorata de leurs émissions de gaz à effet de serre est une idée pour le

moins intéressante. Plusieurs auteurs y sont favorables2080. Cela permettrait de s’orienter vers

un autre système d’indemnisation des dommages climatiques où les émetteurs de gaz à effet de

serre sont débiteurs de la réparation sans qu’il y ait besoin d’engager juridiquement leur

responsabilité. Cette idée – au demeurant parfaitement cohérente avec le principe pollueur-

payeur2081 – mérite quelques développements.

Tout d’abord, force est de constater que « le droit français se caractérise par un nombre

relativement important de fonds d’indemnisation2082 qui ont acquis au cours des dernières

années le rang d’une institution autonome au sein des techniques de l’indemnisation des

dommages »2083. Dans un contexte où les mécanismes de droit commun de la responsabilité

semblent ne pas pouvoir assurer la réparation des dommages, il paraît opportun d’étendre ce

mécanisme de socialisation des risques à la prise en charge des dommages climatiques.

2080 Voy. notamment : L. Neyret, « La reconnaissance de la responsabilité climatique », op. cit. ; M. Bacache,

« Changement climatique, responsabilité civile et incertitude », op. cit., spéc. p. 60 ; S. Porchy-Simon,

« L’indemnisation des dommages climatiques par le droit commun de la responsabilité civile », op. cit., spéc. p.

159-163. 2081 Voy. supra nos 505 et 506. 2082 Le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA), l’Office national d’indemnisation des accidents

médicaux (ONIAM), le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI), etc. 2083 J. Knestch, « Panorama général et typologie des fonds d’indemnisation. Rapport de droit français », in La

socialisation de la réparation : fonds d’indemnisation et assurances, Recueil des travaux du Groupe de Recherche

Européen sur la Responsabilité civile et l’Assurance (GRERCA), Bruylant, 2015, p. 111 et s.

Titre II. Jalons prospectifs d’une responsabilité climatique de l’entreprise

504

Idéalement, la création d’un tel fonds d’indemnisation financé par les acteurs du

réchauffement climatique devrait s’envisager au niveau international2084. Cette démarche certes

ambitieuse, serait l’expression de la solidarité mondiale dans la lutte contre le changement

climatique. Elle aurait un intérêt beaucoup plus limité si elle était entreprise au seul niveau

national. Ce fonds d’indemnisation pourrait être fondé sur un régime de responsabilité objective

établie par une convention internationale2085, comme c’est le cas notamment dans le domaine

des pollutions par hydrocarbures2086.

Cependant, la création d’un fonds d’indemnisation des dommages climatiques au

niveau international suppose une volonté politique très forte. Elle doit être acceptée à la fois

par les États et par les entreprises qui en seront les financeurs. Les entreprises pourraient y voir

un moyen intéressant de prévention du risque, puisqu’elles pourraient en connaître par avance

le coût. Ainsi pourraient-elles l’intégrer dans la gestion préventive des externalités négatives.

Un autre avantage est que la prise en charge collective des dommages climatiques à travers un

fonds pourrait permettre de rendre supportable le coût du risque climatique.

564. D’un point de vue technique, les modalités d’intervention d’un tel fonds

restent à imaginer2087. Le but est logiquement de parvenir à surmonter les obstacles qui

empêchent, en pratique, la mobilisation effective des règles de la responsabilité civile. Ainsi, il

serait préférable que le fonds d’indemnisation intervienne à titre principal, autrement dit, que

l’indemnisation ne soit pas conditionnée à l’échec d’une recherche préalable de responsabilité.

Or à quelles conditions les victimes de dommages climatiques pourraient demander

l’intervention du fonds ? En principe, la simple preuve qu’un dommage a été subi en lien avec

le changement climatique devrait suffire. Mais il paraît tout de même judicieux de fixer un seuil

minimum de gravité du dommage qui justifie l’intervention du fonds. Dans le même temps, un

plafonnement de la réparation pourrait être imaginé.

565. La création d’un fonds d’indemnisation des dommages climatiques constitue une

piste permettant de garantir l’indemnisation des victimes. Un auteur note toutefois, à très juste

2084 À l’image des fonds internationaux mis en place en matière de pollution maritime par hydrocarbures (FIPOL). 2085 L. Neyret, « La reconnaissance de la responsabilité climatique », op. cit. 2086 Voy. K. Le Couviour, La responsabilité civile à l’épreuve des pollutions majeures résultant du transport

maritime, préf. A. Vialard, PUAM, 2007, n° 561 et s. 2087 Voy. S. Porchy-Simon, « L’indemnisation des dommages climatiques par le droit commun de la responsabilité

civile », op. cit., spéc. p. 160-162. Sur la place de l’assurance dans ce système d’indemnisation, voy. A. Astegiano-

La Rizza, « Quel rôle pour l’assurance ? », in Le changement climatique, quel rôle pour le droit privé ?, sous la

dir. de M. Hautereau-Boutonnet et S. Porchy-Simon, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2019, p. 69-83,

spéc. p. 82-83.

Chapitre II. Reconnaissance juridique de la responsabilité climatique de l’entreprise

505

titre, qu’il convient « de l’assortir de mécanismes correctifs visant à compenser les principaux

effets négatifs qu’une telle création pourrait engendrer »2088. Quels sont ces effets négatifs ?

b) Les mises en garde à l’égard des mécanismes de socialisation des risques

566. La création d’un fonds d’indemnisation des dommages climatiques est de nature

à sécuriser la fonction indemnitaire de la responsabilité. Ceci est indéniable. Cependant,

n’aurait-elle pas pour effet de laisser de côté les autres fonctions de la responsabilité, à savoir

sa fonction normative et sa fonction préventive, pourtant essentielles dans le domaine du

changement climatique ?

En réalité, ce débat n’est pas nouveau et il n’est pas spécifique à la matière climatique.

D’une manière générale, on peut craindre qu’en instaurant un mécanisme de socialisation des

risques, on déresponsabilise les acteurs. La contribution de chacun au fonds pourrait être conçue

comme une sorte de « permis de polluer »2089. Comment y remédier ?

Les entreprises seraient incitées à faire des efforts en matière de réduction des

émissions de gaz à effet de serre, donc des efforts préventifs, si leur contribution financière au

fonds d’indemnisation est modulée au prorata de leurs émissions et régulièrement revue à la

baisse ou à la hausse. Cela les pousserait logiquement à améliorer les mesures de prévention.

Plus compliquée, mais pas nécessairement inconcevable, paraît la possibilité pour le fonds qui

a indemnisé la victime de se retourner ensuite contre le pollueur, notamment en cas de violation

d’une obligation environnementale.

Plus généralement, l’existence d’un fonds d’indemnisation n’empêche pas le

renforcement de l’arsenal pénal2090 et le développement, en droit de la responsabilité civile, de

différents mécanismes dissuasifs, tels que l’amende civile ou les dommages et intérêts

punitifs2091. Ces évolutions doivent être parallèles.

567. Il ressort de ce qui précède que les obstacles liés aux conditions de la

responsabilité climatique de l’entreprise ne sont pas aussi insurmontables qu’ils le paraissent.

Premièrement, il est possible d’adapter les conditions de la causalité aux spécificités

de la matière climatique. La preuve du lien de causalité pourrait être assouplie en permettant

2088 S. Porchy-Simon, « L’indemnisation des dommages climatiques par le droit commun de la responsabilité

civile », op. cit., spéc. p. 162. 2089 Ibid. 2090 Sur ce besoin, voy. supra n° 466. 2091 Voy. supra nos 425 à 431.

Titre II. Jalons prospectifs d’une responsabilité climatique de l’entreprise

506

aux victimes de se fonder sur des présomptions de fait graves, précises et concordantes.

S’agissant dans tous les cas d’une responsabilité commune, la responsabilité d’une entreprise

pourrait être retenue pour sa contribution au changement climatique.

Deuxièmement, des mécanismes pourraient être imaginés afin de faciliter la répartition

de la responsabilité en matière climatique. Qu’il s’agisse de déterminer la contribution de

l’entreprise à la dette de réparation dans le cadre d’une action en justice ou au financement d’un

éventuel fonds d’indemnisation, le critère à retenir, qui semble être le plus pertinent, est le

niveau d’émissions de gaz à effet de serre.

Dans les prochains développements, nous verrons qu’il est également possible de

dépasser les obstacles liés, cette fois-ci, à l’action en responsabilité climatique de l’entreprise,

nous acheminant vers la consécration juridique de cette nouvelle forme de responsabilité.

§2. Le dépassement des obstacles liés à l’action en responsabilité climatique de l’entreprise

568. Des obstacles existent à l’action en responsabilité climatique de l’entreprise,

qu’il est possible néanmoins de surmonter.

Il convient d’abord d’assouplir les conditions subjectives – c’est-à-dire qui dépendent

du sujet de celui qui agit2092 – de recevabilité de l’action. Pour être recevable, toute action en

justice suppose obligatoirement que le demandeur à l’action ait un droit d’agir. Or ce droit

d’agir suppose notamment que le demandeur à l’action ait un intérêt et une qualité à agir (A).

Ensuite, une fois que l’action a été déclarée recevable, il convient d’insister sur le rôle

fondamental du juge dans le déroulement du procès. Dans ce nouveau type de contentieux, il

est plus que jamais fait appel à la créativité du juge (B).

A. L’assouplissement des conditions de recevabilité de l’action

569. La recevabilité de l’action en responsabilité climatique de l’entreprise suppose

que le demandeur ait un intérêt (1) et une qualité à agir (2). Au passage, il convient de noter la

singularité de cette action en responsabilité qui vise des acteurs privés. Dans les premiers

contentieux dirigés contre les entreprises, ces dernières ont souvent fait valoir le caractère

politique du recours, l’argument d’absence de caractère civil et la compétence publique sur le

2092 Par opposition aux conditions objectives qui dépendent de l’objet de l’action. Voy. S. Amrani-Mekki et Y.

Strickler, Procédure civile, PUF, coll. « Thémis », 2014, p. 127 et s.

Chapitre II. Reconnaissance juridique de la responsabilité climatique de l’entreprise

507

sujet2093. Il a été difficile pour les demandeurs personnes privées de démontrer qu’un dommage

d’une ampleur globale les concerne personnellement.

1. L’intérêt à agir en matière de responsabilité climatique de l’entreprise

570. L’intérêt à agir est un critère essentiel à tout contentieux. Il l’est encore plus

en ce qui concerne le contentieux climatique2094. En droit, il existe une formule selon laquelle

« pas d’intérêt, pas d’action ». En procédure civile, l’intérêt à agir est défini classiquement

comme « la constatation d’un mal et la possibilité d’un remède »2095 ou comme « l’avantage

pécuniaire et moral que l’on peut retirer d’une action »2096. Selon le Lexique des termes

juridiques des Professeurs Thierry Debard et Serge Guinchard, l’intérêt à agir peut être défini

comme une « condition de recevabilité de l’action consistant dans l’avantage que procurerait

au demandeur la reconnaissance par le juge du bien-fondé de sa prétention. L’intérêt doit être

personnel, direct, né et actuel. Le défaut d’intérêt d’une partie constitue une fin de non-recevoir

que le juge peut soulever d’office »2097.

570-1 Intérêt légitime. Aux termes de l’article 31 du code de procédure civile,

« l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une

prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes

qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt

déterminé ».

La question de la légitimité de l’action se pose à l’évidence s’agissant du contentieux

climatique dirigé contre les entreprises. Les demandeurs, notamment personnes privées, ont-ils

un intérêt légitime pour agir en responsabilité contre les entreprises émettrices de gaz à effet de

serre ?

Dans les contentieux climatiques où les requérants sont des personnes publiques, la

question de l’intérêt légitime ne pose pas de grosses difficultés. À titre d’exemple, dans l’affaire

2093 F.-G. Trébulle, « Responsabilité et changement climatique : quelle responsabilité pour le secteur privé ? », op.

cit., spéc. p. 21. 2094 Ch. Huglo, Le contentieux climatique : une révolution judiciaire mondiale, Bruylant, 2018, p. 204 et s. 2095 G. Cornu et J. Foyer, Procédure civile, PUF, coll. « Thémis », 3ème éd., 1996, n° 78. 2096 S. Amrani-Mekki, « Le procès – Vers un droit processuel de l’environnement ? – Actions préventives et

principe de précaution », in Les notions fondamentales de droit privé à l’épreuve des questions environnementales,

sous la dir. de M. Mekki, Bruylant, coll. « Droit(s) et développement durable », 2016, p. 187-211, spéc. p. 191. 2097 Th. Debard et S. Guinchard (dir.), Lexique des termes juridiques. 2020-2021, Dalloz, 28ème éd., 2020, voy.

« Intérêt à agir ».

Titre II. Jalons prospectifs d’une responsabilité climatique de l’entreprise

508

American Electric Power Co. v. Connecticut2098, les juges américains ont admis la légitimité de

l’intérêt à agir de l’État de Connecticut, qui reprochait à des entreprises pétrolières d’être à

l’origine de nuisances collectives sur son territoire. Même si l’affaire n’a pas abouti à une

condamnation, les juges ont reconnu que la fonte des neiges, les inondations, l’appauvrissement

des ressources en eau, la perte de biodiversité et la baisse des rendements agricoles sont bien

des éléments constitutifs d’un dommage réel et imminent que la collectivité a intérêt légitime à

protéger, puisqu’elle a la charge de la protection de la santé, de la biodiversité ou encore du

bien-être des citoyens.

La condition d’intérêt légitime ne devrait pas non plus poser des difficultés s’agissant

de l’action engagée par des personnes morales de droit privé, c’est-à-dire par des associations.

Cependant, dans les contentieux climatiques où les requérants sont des personnes physiques

(comme dans l’affaire Lliuya v. RWE), on pourrait penser que la légitimité de l’intérêt à agir

n’est pas aussi facile à démontrer. La responsabilité climatique de l’entreprise est, comme nous

l’avons vu2099, un subtil mélange de responsabilité juridique et de responsabilité éthique. En

raison de cette dimension éthique, des entreprises pourraient peut-être essayer de contester la

légitimité de l’intérêt à agir des requérants personnes physiques, en soulevant l’argument de la

compétence publique sur les questions éthiques, dans la mesure où ces questions sont davantage

politiques que juridiques. Mais ce raisonnement est faux. Comme l’écrit le Professeur Amrani-

Mekki, « il faut cesser d’user de la procédure pour inventer des barrières à l’accès au juge qui

n’existent pas »2100. Et l’auteure de préciser que l’intérêt à agir doit plutôt « s’entendre d’un

intérêt légal, ce qui renvoie aux conditions d’intérêt direct et personnel, intimement lié à la

condition de qualité pour agir, et surtout d’intérêt né et actuel qui est évidemment au cœur de

la discussion »2101.

570-2 Intérêt à agir né et actuel. La condition de l’intérêt né et actuel permet d’éviter

« l’encombrement des tribunaux afin que tous ne viennent pas demander des consultations

juridiques au juge, soulever des litiges éventuels ou encore, s’occuper d’affaires qui ne les

regardent pas »2102. Il faut donc en principe attendre que l’intérêt soit né et actuel pour agir. En

attendant, l’action est temporairement irrecevable. Or ce principe supporte de nombreuses

2098 American Electric Power Co., Inc. v. Connecticut, 564 U.S. 410 (2011), 20/06/2011 ; voy. supra n° 31. 2099 Voy. supra nos 494 à 499. 2100 S. Amrani-Mekki, « Le procès – Vers un droit processuel de l’environnement ? – Actions préventives et

principe de précaution », op. cit., spéc. p. 193. 2101 Ibid., p. 194. 2102 S. Amrani-Mekki, Le temps et le procès civil, Dalloz, coll. « Nouvelle Bibliothèque de Thèses », 2002, n° 62.

Chapitre II. Reconnaissance juridique de la responsabilité climatique de l’entreprise

509

exceptions justifiées par le besoin de « sécuriser une situation pour éviter les litiges futurs »2103.

Ainsi, il peut y avoir un « intérêt de sécurité juridique »2104 quant à lui bel et bien né et actuel

même si le litige ne l’est pas. De même, il peut y avoir parfois un « intérêt de nature

probatoire »2105. Ainsi, un demandeur peut solliciter une mesure d’instruction in futurum, dans

la perspective d’un éventuel litige, dès lors que cette mesure est de nature à améliorer sa

situation probatoire2106.

Il faut savoir que l’intérêt à agir ne s’assimile pas au dommage2107. À cet égard, la

jurisprudence précise que « l’existence du préjudice invoqué par le demandeur n’est pas une

condition de recevabilité de l’action mais de son succès »2108. L’intérêt à agir serait alors « non

le dommage effectif mais le dommage invoqué »2109. Or ce dommage invoqué peut être actuel,

passé ou futur, pourvu qu’il soit certain, ou du moins très vraisemblable.

Ainsi, en matière climatique, les dommages invoqués par les demandeurs peuvent être

des dommages actuels, passés ou futurs2110. Quel que soit le cas de figure, l’intérêt né et actuel

pourra être caractérisé. Les affaires récentes tentent d’affirmer, d’une part, que le changement

climatique cause d’ores et déjà des dommages, et, d’autre part, que la probabilité des dommages

futurs et de plus en plus certaine.

S’agissant, d’abord, du dommage actuel, dans l’affaire VZW Klimaatzaak v. Belgium,

les requérants ont affirmé que « le changement climatique cause déjà des dommages, prenant

la forme d’une atteinte à la santé et d’un dommage moral »2111. L’atteinte à la santé s’illustre

par « une augmentation de la mortalité de respectivement 1230 et 1263 décès additionnels par

rapport à un été normal »2112. Pour ce qui est du dommage moral, il est formé par le fait que les

requérants « vivent en effet dans l’incertitude quant au fait de savoir s’ils seront

(matériellement, financièrement, physiquement) frappés par des catastrophes et des calamités

naturelles »2113. Dans le même sens, dans l’affaire Juliana, pour caractériser le dommage actuel,

2103 S. Amrani-Mekki, « Le procès – Vers un droit processuel de l’environnement ? – Actions préventives et

principe de précaution », op. cit., spéc. p. 194. 2104 Ch. Gignoux, Les actions préventives. Étude de droit positif français, L.G.D.J., 1935, p. 110-111. 2105 M. Jeantin, « Les mesures d’instruction in futurum », D., 1980, p. 210. 2106 CA Paris, 16 juin 2004, n° 04/02783, D., 2004, p. 2973. 2107 Voy. a contrario : L. Raschel, Droit processuel de la responsabilité civile, préf. L. Cadiet, IRJS, 2010, p. 23 :

« l’intérêt est constitué par le mal subi par le demandeur, c’est-à-dire par son préjudice ». 2108 Cass. 2ème civ., 6 mars 2004, n° 02-16.314, Bull. civ. II, n° 205. 2109 S. Amrani-Mekki, « Le procès – Vers un droit processuel de l’environnement ? – Actions préventives et

principe de précaution », op. cit., p. 191. 2110 Voy. supra n° 420. 2111 VZW Klimaatzaak v. Kingdom of Belgium, et al., (2015), p. 29, n° 97. Voy.: https://www.klimaatzaak.eu/en. 2112 Ibid., p. 29, n° 98. 2113 Ibid., p. 30, n° 102.

Titre II. Jalons prospectifs d’une responsabilité climatique de l’entreprise

510

les requérants américains ont affirmé que « le changement climatique cause des dommages à

l’être humain et à la nature, entraînant la perte de vies et l’extinction d’espèces »2114.

Quant au dommage futur, les juridictions acceptent généralement de le réparer dès lors

que sa réalisation future est certaine ou très probable. Ainsi, il peut tout à fait y avoir un intérêt

né et actuel en présence d’un dommage futur, l’intérêt actuel pouvant consister à se prémunir

contre un péril éventuel2115. Pour les demandeurs dans l’affaire belge, « le dommage futur entre

en ligne de compte pour une réparation si sa réalisation future résulte avec certitude d’un état

actuel »2116. Ce dommage futur est évalué en tenant compte de l’exposition des requérants à un

« risque de plus en plus élevé concernant leur bien-être physique (pénurie d’eau, stress

thermique, maladies tropicales, diminution de la qualité de l’eau et de l’air). Une même menace

pèse sur les avoirs et la capacité financière des requérants »2117. De surcroît, ils soulignent que

même « s’il devait résulter de la présente procédure que le dommage ne serait pas certain, […]

le risque et la probabilité d’un dommage sont très sérieux et impossibles à négliger »2118.

La preuve de l’intérêt né et actuel semble donc pouvoir se démontrer. En revanche,

celle de l’intérêt direct et personnel paraît plus délicate à établir dans le cas des dommages liés

au changement climatique.

570-3 Intérêt direct et personnel. L’impératif du caractère « direct et personnel » de

l’intérêt à agir est au cœur du régime de responsabilité civile2119. Seules les personnes ayant

démontré qu’elles ont un intérêt direct et personnel à l’action voient leur action recevable. À

cet effet, elles doivent donc démontrer que l’action exercée est susceptible de leur procurer un

avantage personnel, un profit ou la modification de leur situation consistant dans un gain

patrimonial ou extrapatrimonial2120. La condition d’intérêt direct et personnel est intimement

liée à cette de qualité à agir : c’est l’intérêt direct et personnel qui donne la qualité à agir. C’est

pourquoi les deux seront développées parallèlement dans les prochains développements.

2114 Kelsey Cascadia Rose Juliana, et al., v. United States of America, First amended complaint for declaratory

and injunctive relief, Case No. 6:15-cv-01517-TC, District of Oregon, 09/10/2015, p. 68, n° 213 : « Climate

change already damaging human and natural systems, causing loss of life and pressing species to extinction ». 2115 S. Amrani-Mekki, « Le procès – Vers un droit processuel de l’environnement ? – Actions préventives et

principe de précaution », op. cit., p. 195. 2116 VZW Klimaatzaak v. Kingdom of Belgium, et al., préc., p. 31, n° 104. 2117 Ibid., p. 31, n° 107. 2118 Ibid., p. 31, n° 108. 2119 M. Bary, « Droit à un environnement équilibré et respectueux de la santé et responsabilité », in Changements

environnementaux globaux et Droits de l’Homme, sous la dir. de Ch. Cournil et C. Colard-Fabregoule, Bruylant,

2012, p. 267-280, spéc. p. 275. 2120 S. Guinchard, C. Chainais et F. Ferrand, Procédure civile. Droit interne et droit de l’Union européenne, Dalloz,

coll. « Précis », 33ème éd., 2016, n° 191.

Chapitre II. Reconnaissance juridique de la responsabilité climatique de l’entreprise

511

2. La qualité à agir en matière de responsabilité climatique de l’entreprise

571. La qualité à agir procure le titre de l’action. Elle résulte de la preuve de

l’intérêt direct et personnel : « l’intérêt donne au demandeur la qualité à agir »2121. Par ailleurs,

cette même exigence se retrouve en matière pénale. L’article 2, alinéa 1 du code de procédure

pénale dispose en effet : « L’action civile en réparation du dommage causé par un crime, un

délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage

directement causé par l’infraction ».

Il convient donc de vérifier qui peut avoir qualité à agir en matière de responsabilité

climatique de l’entreprise.

572. Qualité à agir des personnes physiques. Le demandeur personne physique peut

invoquer la protection de son intérêt individuel, ce qui implique pour lui de démontrer la

particularité de son dommage. Le fait que le changement climatique soit un phénomène global

causant des dommages à l’échelle planétaire, ne signifie pas qu’il est impossible d’identifier un

préjudice individuel. Le « préjudice de masse », constitué par des « atteintes aux personnes,

aux biens et au milieu naturel, qui touchent un grand nombre de victimes, à l’occasion d’un fait

dommageable unique »2122, peut en effet causer de nombreux préjudices individuels. Refuser

de l’admettre reviendrait à dire que personne ne peut avoir d’intérêt à agir dès lors que le

nombre de victimes est très important. Dans l’affaire Lliuya v. RWE précitée, la cour d’appel

de Hamm a, d’ailleurs, accepté le principe d’une prise en compte des préjudices individuels

invoqués par l’agriculteur péruvien, correspondant aux coûts induits par les mesures de

protection rendues nécessaires par le changement climatique, ainsi qu’aux coûts de construction

d’un barrage ou de réduction du volume du lac créé par la fonte du glacier.

Plus rarement, des demandeurs personnes physiques invoquent la protection de

l’intérêt collectif2123. Tel a été le cas notamment en Inde2124 et au Pakistan2125, où les requérants

2121 Ibid., n° 180. 2122 A. Guégan-Lécuyer, Dommages de masse et responsabilité civile, préf. P. Jourdain, L.G.D.J., 2006, n° 428. 2123 Voy. sur l’intérêt collectif : L. Boy, L’intérêt collectif en droit français : réflexions sur la collectivisation du

droit, thèse, Université de Nice, 1979 ; L. Boré, La défense des intérêts collectifs par les associations devant les

juridictions administratives et judiciaires, préf. G. Viney, L.G.D.J., 1997 ; M. Cappelletti, « La protection

d’intérêts collectifs et de groupe dans le procès civil (métamorphose de la procédure civile) », Revue internationale

de droit comparé, vol. 27, n° 3, 1975, p. 571-597 ; G. Viney, « L’action d’intérêt collectif et le droit de

l’environnement », in Les responsabilités civiles environnementales dans l’espace européen, sous la dir. de G.

Viney et B. Dubuisson, Bruylant, 2006, p. 217 et s. 2124 Abhiyan v. Union of India, W.P. No. 857 of 2015. 2125 Leghari v. Federation of Pakistan, W.P. No. 25501/201.

Titre II. Jalons prospectifs d’une responsabilité climatique de l’entreprise

512

ont agi sur un fondement constitutionnel2126. L’intérêt collectif ne se confond ni avec la somme

des intérêts individuels, ni avec l’intérêt général2127. Selon un auteur, « la défense des intérêts

collectifs correspond à la défense d’une grande cause ou cause altruiste touchant un grand

nombre d’individus »2128. Il y a donc des pays qui accordent une qualité à agir à certaines

personnes alors même que celles-ci ne possèdent aucun intérêt personnel à agir. L’actio

popularis, qui est une action permettant à tout citoyen de défendre les intérêts collectifs, est

reconnue dans certains États2129. Inversement, d’autres pays – à l’instar de la France –

délimitent les personnes qui peuvent agir en justice en invoquant un intérêt collectif.

Effectivement, en France, il existe une diversité d’« actions attitrées »2130 créées par le

législateur afin de permettre à certaines personnes morales d’agir en réparation des atteintes

aux intérêts « lésant l’ensemble de la collectivité, un groupe de personnes plus identifiées ou

l’environnement lui-même »2131.

573. Qualité à agir des personnes morales (associations). Une personne morale,

telle une association, peut fonder sa qualité à agir en invoquant la protection de la somme des

2126 En droit indien, le requérant qui invoque l’intérêt collectif doit d’abord s’assurer que sa demande relève de

l’une des dix catégories déterminées par la Cour suprême, dont notamment la pollution environnementale et la

perturbation des équilibres écologiques. Ensuite, il doit démontrer : qu’il existe un préjudice affectant

personnellement une partie de la population ayant difficilement accès à la justice ; qu’il a lui-même un intérêt

suffisant pour présenter l’action (qui ne se confond pas avec la notion d’intérêt individuel) ; que le préjudice résulte

de la violation de la loi, de la Constitution ou d’un « devoir public » (public duty). Le droit pakistanais impose

sensiblement les mêmes conditions. 2127 Voy. en ce sens : G.-A. Likillimba, « Le préjudice individuel et/ou collectif en droit des groupements », RTD

com., 2009, p. 1 : « L’intérêt collectif n’est donc pas réductible à l’intérêt d’un petit groupe de personnes, ni à

l’intérêt général réservé au seul intérêt de la communauté nationale, communautaire ou internationale. Car en la

matière, ce sont moins le nombre d’individus et la taille des groupements concernés qui importent que la qualité

de l’intérêt en cause ». Voy. également : J. Calais-Auloy, « Les délits à grande échelle en droit civil français »,

Revue internationale de droit comparé, vol. 46, n° 2, 1994, p. 379-387, spéc. p. 385 : « La pollution de l’air ou de

l’eau […], pour ne citer que ces exemples, lèsent un intérêt collectif distinct des intérêts individuels et de l’intérêt

général bien qu’il les rejoint et causent un préjudice collectif qui n’est pas réparé par les dommages et intérêts

octroyés aux victimes directes ». 2128 M.-P. Camproux Duffrène, « La représentation de l’intérêt collectif environnemental devant le juge civil :

après l’affaire Erika et avant l’introduction dans le Code civil du dommage causé à l’environnement », VertigO,

hors-série, 22 septembre 2015, en ligne : http://journals.openedition.org/vertigo/16320. 2129 Voy. notamment la Constitution de l’Équateur, article 71, alinéa 2 : « Toute personne, communauté, peuple et

nation peut en appeler aux autorités publiques pour mettre en œuvre les droits de la nature ». 2130 De manière exceptionnelle, selon l’article 31 du code de procédure civile (voy. supra n° 570-1), le législateur

peut accorder le droit d’agir à des personnes ne détenant aucun intérêt à agir personnel afin qu’elles défendent des

intérêts déterminés par la loi. Il s’agit d’une qualité à agir « résultant d’une extension du droit d’agir » : S.

Guinchard, C. Chainais et F. Ferrand, Procédure civile. Droit interne et droit de l’Union européenne, op. cit., n°

196. On parle alors d’« actions attitrées ». Elles sont nombreuses dans le domaine environnemental, voy. M.

Mekki, « Responsabilité civile et environnement. Vers un droit spécial de la responsabilité environnementale ? »,

Resp. civ. et assur., n° 5, mai 2017, dossier 4. 2131 M. Hautereau-Boutonnet, « Responsabilité civile environnementale – Conditions processuelles de la

responsabilité civile environnementale », Répertoire de droit civil, Dalloz, novembre 2019 (mise à jour : juillet

2020), n° 33.

Chapitre II. Reconnaissance juridique de la responsabilité climatique de l’entreprise

513

intérêts individuels qu’elle représente, ou un intérêt collectif. Le cumul des qualités à agir n’est

pas exclu. L’association peut, en effet, tout à la fois démontrer un intérêt personnel pour obtenir

réparation de ses propres intérêts individuels, qui seraient lésés par exemple à l’occasion de

dépenses matérielles, et bénéficier d’un droit d’agir pour obtenir réparation de l’atteinte aux

intérêts collectifs qu’elle a pour objet de défendre ou encore du dommage environnemental lui-

même2132. La démonstration d’un intérêt à agir se fait alors essentiellement au regard des statuts

de l’association. Ainsi, la fondation Urgenda, à l’origine de l’affaire ayant débouché sur une

condamnation de l’État néerlandais2133, indique dans son règlement intérieur que l’association

vise « à atteindre un développement durable et à prévenir les conséquences des changements

climatiques sur les sociétés humaines, particulièrement aux Pays-Bas mais pas seulement »2134.

On notera que l’intérêt collectif défendu par Urgenda dépasse les frontières nationales. Ainsi,

l’association peut fonder ses allégations sur le fait que les émissions des Pays-Bas ont aussi des

conséquences pour les personnes en dehors des frontières néerlandaises. Mais l’intérêt collectif

défendu par Urgenda présente aussi une « dimension multitemporelle »2135. En effet, Urgenda

justifie son action au nom de l’intérêt intergénérationnel, estimant que les actions ou omissions

actuelles de l’État néerlandais en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre

impacteront significativement les générations futures.

574. L’enjeu lié à la question de la qualité à agir est de taille. Comme il a été

souligné à propos du droit de l’environnement, « plus les conditions d’accès au juge sont

souples, plus le droit de l’environnement a des chances de s’appliquer »2136. Il en est ainsi en

matière climatique, où la qualité à agir pose des difficultés évidentes. C’est bien cette dimension

qui a été rédhibitoire dans l’affaire Kivalina v. ExxonMobil précitée2137, où des habitants du

village Kivalina en Alaska avaient porté leur action devant le tribunal fédéral de Californie en

demandant à des entreprises du secteur pétrolier réparation du préjudice qu’ils subissaient du

fait du changement climatique.

2132 Ibid., n° 39. 2133 Ch. Collin, « Suite et fin de l’affaire Urgenda : une victoire pour le climat », Dalloz actualité, 29 janvier 2020 ;

voy. supra n° 30. 2134 Cité par A.-S. Tabau et Ch. Cournil, « Nouvelles perspectives pour la justice climatique. Cour du District de

La Haye, 24 juin 2015, Fondation Urgenda contre Pays-Bas », Revue juridique de l’environnement, vol. 40, n° 4,

2015, p. 672-693, spéc. p. 678. 2135 Ibid., spéc. p. 678. 2136 M. Hautereau-Boutonnet et È. Truilhé-Marengo, « Des procès pour renforcer l’effectivité du droit de

l’environnement », Les Cahiers de la Justice, vol. 3, n° 3, 2019, p. 431-440, spéc. p. 434. 2137 Native Village of Kivalina v. ExxonMobil Corp., 696 F.3d 849 (9th Cir. 2012) ; voy. supra n° 31.

Titre II. Jalons prospectifs d’une responsabilité climatique de l’entreprise

514

Lorsque l’on observe les droits étrangers, on s’aperçoit qu’il existe des solutions

techniques pour favoriser l’accès au juge. Que l’on songe à la reconnaissance de l’actio

popularis voire à la possibilité d’accorder la qualité de sujet de droit à des entités non humaines

comme la nature2138. Certains auteurs ont ainsi formulé des recommandations à l’intention des

acteurs du procès et du législateur2139. Il ont suggéré d’« encourager la poursuite d’une réflexion

sur l’opportunité de la création des droits de la nature et d’une actio popularis encadrée devant

les juges internes »2140 ainsi que « la création d’actions attitrées dans les ordres nationaux sous

l’influence notamment d’une convention internationale favorisant l’ouverture de l’accès au juge

dans le domaine environnemental, tel le Pacte mondial pour l’environnement »2141. S’agissant

parfois de propositions relativement osées, il reste à savoir ce qui est « juridiquement

réalisable » et « politiquement souhaitable »2142…

575. Pour finir sur ce point, pour dépasser les obstacles liés à l’action en

responsabilité climatique de l’entreprise, il convient, dans un premier temps, d’assouplir les

conditions de recevabilité de l’action. Les impératifs d’indemnisation des victimes climatiques,

de responsabilisation des acteurs et de protection du climat pour les générations présentes et

futures, commandent aujourd’hui de repenser certaines règles de procédure ou du moins de ne

pas « inventer des barrières à l’accès au juge qui n’existent pas »2143.

Mais une fois l’action déclarée recevable, il convient d’insister sur le rôle du juge en

matière climatique. Ce dernier est primordial. Il est même possible d’affirmer que c’est en

grande partie le juge qui a la clé du succès de la lutte contre le changement climatique.

2138 Certains pays accordent la personnalité juridique à la nature dans son ensemble, tandis que d’autres limitent

cette reconnaissance à un ou plusieurs éléments de la nature. Le droit français y reste opposé. Voy. plus largement

à ce sujet : M. Hautereau-Boutonnet, « Responsabilité civile environnementale – Conditions processuelles de la

responsabilité civile environnementale », op. cit., nos 34 à 37. 2139 È. Truilhé-Marengo et M. Hautereau-Boutonnet (dir.), Le procès environnemental. Du procès sur

l’environnement au procès pour l’environnement, Rapport de recherche, mai 2019, en ligne : http://www.gip-

recherche-justice.fr/wp-content/uploads/2019/12/Rapport-GIP-D%C3%A9cembre-2019-LE-PROC%C3%88S-

ENVIRONNEMENTAL-pour-mise-en-ligne-29112019.pdf. 2140 Recommandation n° 2. 2141 Recommandation n° 3. 2142 Voy. à ce sujet : M. Hautereau-Boutonnet et È. Truilhé-Marengo, « Des procès pour renforcer l’effectivité du

droit de l’environnement », op. cit. 2143 S. Amrani-Mekki, « Le procès – Vers un droit processuel de l’environnement ? – Actions préventives et

principe de précaution », op. cit., spéc. p. 193.

Chapitre II. Reconnaissance juridique de la responsabilité climatique de l’entreprise

515

B. Le renouvellement du rôle du juge

576. Il est impossible, en matière climatique, d’envisager le rôle du juge sans faire la

part belle au rôle de l’expert (1). Comme le note Ève Truilhé-Marengo, « la lutte contre le

changement climatique entretient une relation intime avec le monde des sciences et techniques

et, à travers lui, avec les experts qui en portent les conclusions »2144. L’expertise a, en effet, un

rôle primordial dans le domaine climatique, c’est une « véritable pièce centrale des procès

climatiques »2145. Mais la réussite des contentieux climatiques dépend, en réalité, de la marge

de manœuvre « créative » du juge (2).

1. La relation expert-juge dans les contentieux climatiques

577. Répartition des rôles entre le juge et l’expert. Le juge a le pouvoir de dire le

droit, encore faut-il qu’il soit suffisamment éclairé sur les faits2146. C’est là qu’intervient

l’expert2147. Ce dernier a un rôle fondamental dans les litiges qui soulèvent des questions de

haute technicité, tels que les litiges environnementaux.

En principe, l’expert se limite à l’exposé de la « vérité scientifique » ou de ses

observations des faits. Il offre un soutien au juge lorsque celui-ci a besoin de mieux comprendre

certains faits2148. L’expert n’a pas qualification pour porter une appréciation juridique. Dès lors,

en théorie, le droit repose sur une claire répartition des rôles entre le juge et l’expert : le premier

dit le droit, tandis que le second expose les faits2149. Cependant, en pratique, la réalité est tout

autre. Très souvent, le fait est « construit juridiquement par le droit »2150. Certaines expertises

prennent une part significative dans la qualification juridique des faits2151. Elles aiguillent le

2144 È. Truilhé-Marengo, « Quelle expertise pour le changement climatique ? », in « Quel droit face au changement

climatique ? » (Dossier), D., 2015, p. 2266. 2145 M. Torre-Schaub (dir.), Les dynamiques du contentieux climatique. Usages et mobilisations du droit pour la

cause climatique, op. cit., p. 52. 2146 F.-X. Testu, « Présentation générale », in L’expertise, sous la dir. de M.-A. Frison-Roche et D. Mazeaud,

Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 1995, p. 5 et s. 2147 L. Dumoulin, L’expert dans la Justice. De la genèse d’une figure à ses usages, Economica, coll. « Études

politiques », 2007. 2148 P. Steichen,« Expertises et évaluation des incidences sur l’environnement », in La relation juge-expert dans

les contentieux sanitaires et environnementaux, sous la dir. de È. Truilhé-Marengo, La Documentation française,

2011, p. 327 et s. 2149 È. Truilhé-Marengo, « Variables et tendances dans les contentieux sanitaires et environnementaux », in La

relation juge-expert dans les contentieux sanitaires et environnementaux, op. cit., p. 23 et s. 2150 J. Salmon, « La construction juridique du fait en droit international », in Archives de philosophie du droit, t.

22, Le droit international, Sirey, 1987, p. 135 et s. 2151 O. Leclerc, Le juge et l’expert. Contribution à l’étude des rapports entre le droit et la science, préf. A. Lyon-

Caen, L.D.G.J., 2005, p. 54.

Titre II. Jalons prospectifs d’une responsabilité climatique de l’entreprise

516

juge dans sa décision finale. Des auteurs ont ainsi mis en évidence que les conclusions de

l’expert revêtent « une certaine fonction normative »2152. Elles participent à la formation de la

décision de justice et, par conséquent, à l’évolution du droit.

L’expertise scientifique a, en effet, permis l’évolution du droit de l’environnement.

Elle a aussi permis de « construire » le droit du climat. Il est évident que le régime juridique

international du climat n’existerait pas en l’absence des rapports du GIEC. En droit interne

également, les expertises scientifiques se renforcent et prennent une place déterminante dans

les politiques territoriales et dans la gestion des conséquences des événements climatiques2153.

De surcroît, l’expertise scientifique est au cœur des litiges en matière climatique. Or

on sait que, d’une manière générale, les dynamiques contentieuses transforment le droit. Dès

lors, si l’objet principal de l’expertise dans le cadre des procès climatiques est de faciliter la

preuve de la causalité, l’expertise pourrait bientôt faire évoluer le droit de la responsabilité

climatique de l’entreprise.

578. Rôle central de l’expertise dans les procès climatiques. Que l’on soit dans un

système de tradition romano-germanique, où c’est le juge qui a la capacité de recourir à

l’expertise, ou dans un système de common law, où ce sont les parties qui, pour prouver leur

cause, ont recours à des experts, par ailleurs choisis et rémunérés par elles, les résultats de

l’expertise sont la clé du succès de l’action en justice. À cet égard, Christian Huglo écrit : « La

réalité est qu’il est quasi impossible, sans expertise adéquate et approfondie, de parvenir au

résultat d’une condamnation financière ou à une injonction concrète »2154. L’expertise a donc

une place déterminante dans la mise en jeu de la responsabilité.

Il convient évidemment de rester très prudent face à la place grandissante de l’expertise

dans les procès. La légitimité du jugement ne saurait être garantie que si le recours juridique à

l’expert est encadré. Des auteurs relèvent à cet égard que « plus l’expertise sera fiable, régulée,

encadrée, plus elle permettra au juge d’avoir une vision éclairée sur une question aussi

complexe que le changement climatique »2155. Or l’encadrement de l’expertise par des règles

claires et précises dans le respect de l’indépendance des experts et des règles du contradictoire,

2152 È. Truilhé-Marengo (dir.), « Introduction », in La relation juge-expert dans les contentieux sanitaires et

environnementaux, op. cit., p. 1 et s., spéc. p. 8. 2153 B. Lormeteau, « Conceptualisation de l’aléa climatique au prisme de la force majeure : une relecture du

contentieux Xynthia », in « Changement climatique et responsabilité. Quelles normativités ? » (Dossier), Énergie

– Environnement – Infrastructures, n° 8-9, août-sept. 2018, article 26, p. 34-28, spéc. p. 38. 2154 Ch. Huglo, Le contentieux climatique : une révolution judiciaire mondiale, op. cit., p. 265. 2155 M. Torre-Schaub (dir.), Les dynamiques du contentieux climatique. Usages et mobilisations du droit pour la

cause climatique, op. cit., p. 60.

Chapitre II. Reconnaissance juridique de la responsabilité climatique de l’entreprise

517

permettra aux juges d’avoir plus de légitimité lorsqu’ils prennent une décision sur la base des

données issues de l’expertise.

Reste à savoir quels sont précisément les pouvoirs du juge face au changement

climatique. Quel est son rôle dans la construction de la responsabilité climatique ?

2. Les pouvoirs du juge face au changement climatique

579. Quel juge pour le changement climatique ? En effet, il nous semble pertinent

de s’interroger sur la figure du juge qui intervient dans les contentieux climatiques, avant

d’aborder la question de ses pouvoirs. Ce juge doit d’abord affronter les nombreuses difficultés

techniques que posent les litiges climatiques. Mais est-ce qu’il est véritablement armé à cet

effet ? Comme nous avons pu le constater, les actions contentieuses en matière climatique

peuvent être de nature très variée, mobiliser des fondements juridiques divers et poursuivre

différents buts. Au-delà des questions relatives à la science du climat, qui rendent le recours à

l’expertise obligatoire, il y a aussi des questions purement juridiques qui peuvent parfois mettre

le juge au défi. Effectivement, la matière climatique est complexe et interdisciplinaire, ce qui

suppose de bonnes connaissances dans tout un ensemble de matières (droit civil, droit pénal,

procédure, mais aussi droit des affaires, droits de l’homme, droit européen et international…).

Dans un litige climatique, tout n’est pas climatique, tant s’en faut. Dès lors, le juge qui intervient

dans les contentieux climatiques doit, avant tout, être un bon généraliste. Ce n’est qu’alors qu’il

convient d’encourager sa spécialisation sur les questions environnementales et climatiques2156.

580. Que peut le juge en matière climatique ? Tous les projecteurs sont désormais

tournés vers les futures décisions en matière climatique. Comme le relève le Professeur Neyret,

la protection du climat n’est plus seulement l’apanage de l’État, elle relève également du

juge2157. Ainsi, le juge peut et doit participer à la garantie normative de l’Accord de Paris, en

mettant en œuvre les finalités d’atténuation et d’adaptation au changement climatique. Un peu

d’audace est nécessaire pour que le contentieux climatique permette de corriger les lacunes du

régime juridique international du climat. Un auteur écrit à cet égard que « le contentieux

climatique contribue à dépasser les blocages dus au multilatéralisme top down des négociations

2156 Voy. Projet de loi relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée, supra n° 465. 2157 L. Neyret, « La reconnaissance de la responsabilité climatique », op. cit.

Titre II. Jalons prospectifs d’une responsabilité climatique de l’entreprise

518

climatiques »2158. Toutefois, ceci n’est pas sans rappeler les difficultés soulevées par la question

de la séparation des pouvoirs. À l’occasion de certains procès climatiques à l’étranger, on a pu

s’interroger sur l’étendue réelle du pouvoir normatif du juge et sur l’opportunité de laisser à ce

dernier le soin de résoudre la crise climatique.

Certes, le juge ne peut pas tout. Pour autant, il ne faut pas négliger son pouvoir

créateur. Au contraire, il convient de le solliciter, puisqu’en interprétant le droit existant, il peut

déjà aller sans doute plus loin dans la protection du climat que le pouvoir législatif. Le juge

peut faire évoluer certaines catégories juridiques traditionnelles ou réinterpréter des notions et

des textes existants à la lumière de la problématique du changement climatique2159. Il peut ainsi,

plus globalement, « renforcer la justice mondiale, opérer une redistribution des responsabilités

[…] et établir un meilleur équilibre entre le pouvoir économique et les devoirs sociaux et

environnementaux »2160.

En bref, le juge peut à la fois dresser les fondations du droit de la responsabilité

climatique et permettre de rendre ce droit nouveau plus effectif.

581. En résumé, dans le cadre de cette section, nous avons évoqué les perspectives

en vue de la reconnaissance juridique de la responsabilité climatique de l’entreprise. Des voies

existent qui pourraient permettre de dépasser les obstacles à cette reconnaissance. Ainsi, les

conditions de la responsabilité peuvent être assouplies, et des solutions peuvent être trouvées

afin de faciliter l’établissement du lien de causalité et la répartition de la responsabilité entre

les différents acteurs à l’origine des dommages climatiques. De même, les conditions de

recevabilité de l’action peuvent être adaptées, dans la perspective de faciliter l’accès au juge.

Quant à ce dernier, il accomplit indiscutablement un travail créatif et peut ouvrir la voie à la

reconnaissance juridique de la responsabilité climatique de l’entreprise.

2158 M. Torre-Schaub, « Les dynamiques du contentieux climatique : anatomie d’un phénomène émergent », in

Quel(s) droits pour le changement climatique ?, sous la dir. de M. Torre-Schaub, Ch. Cournil, S. Lavorel et M.

Moliner-Dubost, Mare & Martin, 2018, p. 111-137, spéc. p. 117. 2159 M. Torre-Schaub, « La gouvernance du climat : vieilles notions pour nouveaux enjeux », Cahiers Droit,

Sciences & Technologies, Droit et climat, n° 2, 2009, p. 140-163. 2160 M. Hautereau-Boutonnet et L. Canali, « Jalons pour une responsabilité civile climatique préventive », op. cit.

519

Conclusion du Chapitre II

582. Conclusion du Chapitre II relatif à la reconnaissance juridique de la

responsabilité climatique de l’entreprise. Le chemin vers la reconnaissance juridique de la

responsabilité climatique de l’entreprise est long mais désormais entrepris. De nombreuses

analyses prédisent qu’en ce qui concerne les acteurs privés, les litiges liés au changement

climatique se concentreront sur les réclamations fondées sur le non-respect d’une obligation,

d’un devoir (loyauté, vigilance), d’une réglementation précise. En droit français, beaucoup

d’espoir est fondé dans la loi sur le devoir de vigilance2161 car il est considéré que son

application pourrait permettre de contourner certains obstacles liés à la responsabilité civile

classique. Ces différents fondements présentent un intérêt en ce qu’ils peuvent faire évoluer les

branches du droit vers une meilleure prise en compte de la problématique climatique. De fait,

l’approche fondée sur des normes dont la violation pourrait permettre de retenir une

responsabilité des entreprises concernées est prometteuse. Elle est néanmoins insuffisante. Une

prise en compte plus structurante se manifeste avec évidence, d’où la question de l’évolution

du droit de la responsabilité et de la reconnaissance d’une responsabilité climatique de

l’entreprise.

Dans un premier temps, nous avons rappelé les obstacles liés à cette reconnaissance.

Ils sont nombreux et paraissent souvent insurmontables. De lege lata, l’établissement du lien

de causalité paraît particulièrement difficile. Le contentieux climatique est caractérisé par des

dommages en cascade, présents et futurs, proches et lointains. La causalité est fractionnée. Les

incertitudes sont multiples. La part des défendeurs dans le dommage allégué est difficile à

identifier. La légitimité à agir au nom des générations présentes et futures est souvent contestée.

Toutefois, malgré ces difficultés, le contentieux suit une évolution qui pourrait être

favorable à la reconnaissance de la responsabilité climatique des entreprises émettrices de gaz

à effet de serre. Le droit de la responsabilité civile est connu pour sa flexibilité et sa faculté

d’adaptation aux risques nouveaux. Les outils anciens peuvent être adaptés et de nouveaux

instruments peuvent être inventés. Le droit se plaît à la créativité. On peut donc trouver les

2161 Voy. toutefois les analyses de Nicolas Rias pour qui le devoir de vigilance a échoué dans le renforcement des

fonctions punitive et préventive de la responsabilité. L’auteur conclut qu’« alors qu’il pouvait de prime abord

paraître comme un outil efficace de la lutte contre le réchauffement climatique, le devoir de vigilance se révèle, à

la réflexion, affecté par trop d’insuffisances. L’intention du législateur était bonne mais l’instrument juridique

qu’il a mis en place ne permet pas d’enrichir suffisamment les potentialités de la responsabilité climatique. La

planète mériterait mieux ! » : N. Rias, « Quel rôle pour le devoir de vigilance dans la responsabilité climatique »,

in Le changement climatique, quel rôle pour le droit privé ?, sous la dir. de M. Hautereau-Boutonnet et S. Porchy-

Simon, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2019, p. 165-177, spéc. p. 177.

520

moyens d’intégrer les nouvelles dynamiques qui se mettent en place. De lege ferenda, il nous

semble possible de reconnaître l’existence d’une responsabilité climatique de l’entreprise. Pour

ce faire, il convient d’assouplir les conditions de la responsabilité, notamment celles relatives

au lien de causalité, d’admettre une responsabilité des entreprises pour leur contribution au

phénomène global, d’ouvrir davantage l’action en justice, de renforcer la place de l’expertise

tout en l’encadrant, et d’insister sur le rôle créateur des juges.

Tout est permis à l’espérance, rien n’est impossible…

521

Conclusion du Titre II

583. Conclusion du Titre II. Jalons prospectifs d’une responsabilité climatique

de l’entreprise. Face à l’urgence climatique, il existe un besoin pressant de traduire en termes

juridiques la démonstration scientifique du lien entre les activités humaines et l’aggravation du

changement climatique. Les outils juridiques classiques, dont la responsabilité, doivent être

réinventés.

La responsabilité climatique de l’entreprise est un nouveau concept qu’il convient de

construire. L’idée d’une telle responsabilité ne relève plus du domaine de la fiction, mais de

l’actualité doctrinale et judiciaire. Pour l’heure, ses contours demeurent flous. Il est possible

néanmoins d’en identifier différents fondements, qui relèvent du domaine éthique et juridique.

La responsabilité climatique repose sur l’existence d’un devoir de protection du climat.

Curative et préventive, elle est aussi fondée sur des valeurs universelles. Ainsi, il peut s’agir

d’une responsabilité pour avoir participé au problème climatique, pour y remédier, pour le

prévenir. Autrement dit, il peut être demandé aux entreprises de répondre des dommages

causés, sur le fondement d’une obligation juridique de réparer, ou d’entreprendre des actions

en matière de prévention de la réalisation du risque climatique, sur le fondement d’un devoir

éthique et juridique d’anticiper.

Certes, les obstacles à la reconnaissance effective de la responsabilité climatique de

l’entreprise sont multiples. Ils concernent le fait générateur, le lien de causalité, l’imputation de

la responsabilité… Parfois, ils paraissent insurmontables. Pourtant, ils ne le sont pas.

Faut-il encore rappeler que le droit de la responsabilité est un droit flexible et un miroir

de l’état de la société. Il doit suivre les évolutions de celle-ci, en créant de nouveaux outils ou

en réinventant les anciens.

523

Conclusion de la Deuxième partie

584. Conclusion de la Deuxième partie. L’entreprise responsable dans le

contexte du changement climatique. Le problème climatique est un problème global qui se

heurte à de fortes résistances législatives au niveau international et national. Le contentieux

climatique est alors regardé comme un moyen permettant de réaliser une adaptation progressive

du droit à ces nouvelles problématiques.

On assiste aujourd’hui au développement d’attentes nouvelles en matière de justice

climatique. Des citoyens, associations, collectivités ou groupements de villes – victimes du

changement climatique – réclament l’engagement de la responsabilité des États mais aussi,

désormais, des entreprises émettrices de gaz à effet de serre. Après une série d’échecs au début

des années 2000, le contentieux climatique dirigé contre les entreprises a été réactivé, à la suite

de la publication du cinquième rapport du GIEC et de l’adoption de l’Accord de Paris. À ce

jour, aucune action n’a abouti, mais les dynamiques sont en place et doivent être signalées.

La responsabilité revêt plusieurs formes, elle peut varier selon la nature des obligations

violées et poursuive différents objectifs. Dans un premier temps, nous avons examiné les

différents régimes de responsabilité pour savoir s’il est possible qu’ils soient mobilisés dans le

cadre d’actions en justice visant les entreprises privées.

Tout d’abord, c’est la responsabilité civile de l’entreprise qui peut être mise en cause

en cas de préjudices liés au changement climatique. Ainsi, la mise en cause de la responsabilité

délictuelle d’une entreprise dans le cadre d’un procès climatique est a priori envisageable.

Encore faut-il que les conditions de cette responsabilité soient remplies, ce qui n’est guère

évident. Les problèmes de causalité sont au centre des difficultés. Il est particulièrement

difficile, en effet, de focaliser sur un acteur donné le poids de la responsabilité d’un phénomène

par essence global et collectif. L’action en responsabilité délictuelle a peu de chances de

prospérer, à moins qu’elle ne soit fondée sur la violation d’une obligation précise, à l’instar du

devoir de vigilance. L’action en réparation du préjudice écologique est également envisageable,

quoique non moins problématique. Il s’agit alors d’appréhender le surplus d’émissions de gaz

à effet de serre comme un préjudice écologique. Enfin, la question du rôle de la responsabilité

contractuelle se pose aussi avec acuité, dans la mesure où on assiste aujourd’hui à une expansion

des « clauses climatiques » dans les contrats d’approvisionnement internationaux.

524

Force est de constater que le changement climatique pose de multiples défis au droit

de la responsabilité civile. Aujourd’hui, il est plus que nécessaire de rationaliser les fonctions

indemnitaire et normative de la responsabilité civile, et de renforcer son rôle préventif.

Quant à la responsabilité pénale, actuellement, le droit pénal n’assure pas la répression

des faits provoquant un changement climatique. Qu’il s’agisse des principes régissant la

responsabilité pénale (principe de la légalité criminelle ou de la responsabilité du fait personnel)

ou des règles relatives à l’action publique, ceux-ci paraissent tous inadaptés au phénomène

global du réchauffement climatique. La responsabilité pénale n’est ainsi mobilisée que dans le

cadre de contentieux climatiques dits « indirects », dans lesquels les entreprises sont accusées

d’avoir menti à leurs clients et investisseurs, se rendant coupables du délit de pratiques

commerciales trompeuses ou du délit de diffusion d’informations fausses ou trompeuses. Ceci

est largement insuffisant… De nouvelles incriminations sont nécessaires.

Faut-il renoncer pour autant ? Faut-il abandonner devant le constat de l’inadaptation

des régimes existants de responsabilité au phénomène du réchauffement climatique ? La planète

mériterait certainement mieux…, et notamment une ouverture de l’imaginaire juridique pour

modifier certaines représentations du droit, qui empêchent d’appréhender les dommages

climatiques. Il faut trouver les moyens permettant d’intégrer les nouvelles dynamiques qui se

mettent en place. Le droit pourrait mieux prendre en compte les dommages climatiques grâce à

la reconnaissance juridique d’une responsabilité spécifique en matière de climat. Les obstacles

sont nombreux, mais ne sont pas insurmontables. Certains leviers méritent l’attention.

Avant toute chose, il convient de rechercher les fondements à cette responsabilité. On

peut, d’abord, identifier des fondements métajuridiques, c’est-à-dire des vertus pour l’ordre

social. Des fondements juridiques, ensuite, permettent de réceptionner en droit l’idée d’une

responsabilité climatique des entreprises. Cette responsabilité se dégage des principes de

prévention, de précaution et du pollueur-payeur ; elle est nécessaire pour garantir la jouissance

des droits de l’homme et des droits fondamentaux impactés par le réchauffement climatique.

Outre la reconnaissance de fondements, l’affirmation de la responsabilité climatique

passe par l’assignation de frontières. Curative et préventive, tournée vers le passé mais aussi

vers le futur, cette responsabilité ne doit pas pour autant être illimitée. L’impératif de

conciliation entre liberté et protection commande que son étendue soit délimitée.

Sur le plan technique, la reconnaissance de la responsabilité climatique de l’entreprise

est possible grâce à un assouplissement des conditions de la responsabilité et de recevabilité de

l’action. À l’écoute des forces sociales, les juges pourraient faire preuve de davantage de

souplesse et de créativité en ce qui concerne l’établissement du lien de causalité. On sait bien

525

qu’ils disposent d’une grande capacité d’interprétation. Le recours à des présomptions de fait

graves, précises et concordantes pourrait être envisagé. La causalité juridique pourrait être

assouplie en admettant que des entreprises puissent être responsables pour avoir contribué au

changement climatique, et non parce qu’elles sont à l’origine du phénomène. Dans ce cas, la

responsabilité pourrait être répartie en fonction du niveau d’émissions de gaz à effet de serre

des entreprises, critère plus pertinent que la part de marché. Ce n’est évidemment pas sans

rappeler le rôle important de l’expertise en matière climatique. Enfin, la création d’un fonds

d’indemnisation des dommages climatiques pourrait être intéressante en ce qu’elle faciliterait

l’indemnisation des victimes. Les entreprises contribueraient au financement de ce fonds au

prorata de leurs émissions. Idéalement, ce fonds d’indemnisation serait fondé sur un régime de

responsabilité objective établie par une convention internationale.

527

Conclusion générale

585. Le phénomène du changement climatique ne relève plus de l’inconnu. On sait

que le réchauffement climatique s’accélère, engendrant des conséquences catastrophiques,

probablement irréversibles, sur tous les habitants de la planète et sur la biodiversité. L’humanité

est confrontée « à sa finitude possible, à ses capacités d’auto-anéantissement »2162. La situation

est grave et appelle à des changements profonds. De surcroît, l’irréversibilité revêt la réflexion

d’un caractère d’urgence.

Comme l’écrivait le sénateur Patrice Gélard dans les propos introductifs du Rapport

relatif à la charte de l’environnement 2003-2004 : « Aucun des phénomènes préoccupants

observés aujourd’hui – réchauffement climatique, réduction de la biodiversité, pollution de l’air

ou de l’eau… – n’est le résultat de la fatalité. Ils apparaissent pour une part comme la

conséquence des dérives et des excès de certains modes de production ou d’exploitation des

ressources naturelles. Si l’Homme a sa part de responsabilité dans ces évolutions, il a aussi la

capacité de les prévenir et de les corriger avant qu’elles ne deviennent irréversibles »2163. Ces

propos sont particulièrement éclairants.

La transition vers une économie décarbonée demande, avant tout, beaucoup de volonté

collective. Elle nécessite la mobilisation de tous les acteurs, et notamment des entreprises. C’est

dans cette dynamique qu’a été signé, en 2015, l’Accord de Paris, dont plusieurs dispositions

formalisent l’ouverture juridique de la gouvernance climatique aux « entités non parties ».

586. Cette étude avait pour objet d’analyser les rapports entre droit et changement

climatique à travers le prisme de l’entreprise.

Le droit occupe une place primordiale dans la lutte contre le changement climatique.

Il peut « tout à la fois accueillir l’enjeu du changement climatique et délivrer des armes pour

l’affronter »2164. Certes, le droit ne peut pas tout. Aucune discipline ne peut d’ailleurs y

prétendre. Néanmoins, à travers ses outils, ses notions et ses concepts ainsi qu’à travers les

2162 M. Hautereau-Boutonnet et S. Maljean-Dubois, « Introduction », Revue juridique de l’environnement,

2017/HS17 (n° spécial), p. 9-21, spéc. p. 9. 2163 Rapport n° 352 (2003-2004) fait au nom de la commission des lois, par M. Patrice Gérald, déposé le 16 juin

2004. Nous soulignons. 2164 M. Hautereau-Boutonnet, « Introduction. Un droit privé pour le climat ! », in Le changement climatique, quel

rôle pour le droit privé ?, sous la dir. de M. Hautereau-Boutonnet et S. Porchy-Simon, Dalloz, coll. « Thèmes et

commentaires », 2019, p. 1-22, spéc. p. 1.

528

valeurs qu’il véhicule, il peut apporter certaines réponses aux questionnements que soulève le

phénomène du changement climatique. Il peut ainsi aider à définir ou esquisser le rôle de

l’entreprise dans la lutte contre le changement climatique.

Aujourd’hui, poser la question du rôle de l’entreprise – principal acteur du changement

climatique –, de l’étendue de ses obligations et de ses responsabilités, est non seulement

pertinent mais aussi nécessaire.

D’un point de vue des obligations de l’entreprise, il convient de noter la remarquable

diversité de celles-ci. Tout d’abord, les engagements volontaires prolifèrent. Progressivement,

les démarches de responsabilité sociale s’étendent à la problématique climatique. Pour donner

de la légitimité à leurs discours, les entreprises adhèrent à des référentiels internationaux et

acceptent de se conformer à des normes de comportement. En outre, des obligations d’origine

volontaire, résultant d’un acte juridique tel un engagement unilatéral ou un contrat, apparaissent

en matière climatique. En effet, les « clauses climatiques » se multiplient dans les contrats.

Alors que rien ne destine a priori le contrat à prévenir le risque d’aggravation du changement

climatique, il est appelé à jouer un rôle non négligeable dans cet objectif. Enfin, on constate le

développement de nouvelles obligations juridiques ayant un lien plus ou moins direct avec la

lutte contre le changement climatique et pouvant servir d’outils dans cette lutte. Ce sont

essentiellement les plus grosses entreprises et le secteur financier qui sont responsabilisés à

travers l’instauration d’une obligation d’information en matière climatique et la consécration

d’un devoir de vigilance.

Cette diversité des obligations de l’entreprise dans le contexte du changement

climatique cristallise le processus de responsabilisation des pouvoirs privés économiques face

au changement climatique et en même temps témoigne d’une dérive bien connue de la

mondialisation : l’éclatement des sources du droit2165. D’ailleurs, plus globalement, le droit du

climat se caractérise par cette multiplicité des sources et par l’extraordinaire perméabilité de

celles-ci, ainsi que par l’hétérogénéité des instruments mobilisés. Instruments réglementaires,

économiques ou de marché, ainsi que différentes formes d’interventions contractuelles irriguent

la matière climatique. Leur objectif, dans tous les cas, est le même : responsabiliser les acteurs

du changement climatique.

D’un point de vue des responsabilités de l’entreprise, il convient, ici encore, de noter

la diversité des régimes et des fondements juridiques qui peuvent a priori être mobilisés dans

le cadre d’actions en justice dirigées contre les entreprises : responsabilité civile, délictuelle ou

2165 C. Thibierge, « Sources du droit, sources de droit : une cartographie », in Mélanges en l’honneur de Ph. Jestaz,

Dalloz, 2006, p. 519.

529

contractuelle, responsabilité pénale, responsabilité en matière de droits de l’homme… Il est vrai

que l’on appréhende de plus en plus le changement climatique et ses effets dommageables sous

l’angle de la responsabilité. Cette question se pose car les dommages climatiques ne cessent de

se multiplier, engendrant des mouvements de révolte dans la société civile. Mais la mobilisation

de la responsabilité juridique dans le domaine du climat implique une adaptation et une

évolution de cette matière, et notamment de ses conditions.

Face aux insuffisances des régimes existants de responsabilité, la question se pose de

savoir s’il est opportun de consacrer une « responsabilité climatique », détachée des régimes de

responsabilité classiques, pour dépasser les obstacles à la justiciabilité climatique.

Pour l’instant, la « responsabilité climatique » n’existe qu’à état latent. Elle ne

constitue pas une branche autonome au sein de la responsabilité juridique. Elle émerge au

prétoire, où ses contours se dessinent petit à petit. Plusieurs questions se posent.

Quelle définition donner à la responsabilité climatique ? La responsabilité climatique

est le résultat du phénomène de judiciarisation du changement climatique. Ainsi, peut-on parler

de « responsabilité climatique » dès lors que l’objet de la responsabilité est la protection du

climat. Mais la responsabilité climatique peut aussi être définie en tant que concept autonome.

Ce peut être l’obligation de réparer les dommages en lien avec le changement climatique, avec

ou sans répercussions sur les personnes et les biens, causés directement ou indirectement par

les activités émettrices de gaz à effet de serre, ou bien la violation d’une obligation climatique.

Quel est le périmètre de la responsabilité climatique ? Il est important de déterminer

l’étendue de la responsabilité climatique. Cette responsabilité est à la fois curative et préventive,

tournée vers le passé et vers le futur. Elle est porteuse de nombreuses fonctions. D’abord, elle

a une fonction indemnitaire. Celle-ci pourrait être enrichie grâce à la création d’un mécanisme

de socialisation des risques en matière climatique. Ensuite, elle a une fonction normative. Celle-

ci pourrait être renforcée grâce à la mise en œuvre de mesures punitives, telles que l’amende

civile ou les dommages et intérêts punitifs. Enfin, elle a une fonction préventive. Celle-ci est

sans doute sa fonction essentielle. Face à des risques de dommages irréversibles, de dommages

qui concernent les générations futures, la responsabilité climatique se tourne nécessairement

vers l’avenir. Le but est d’anticiper les conséquences dommageables du changement climatique

à travers la mise en œuvre de mesures préventives. Mais jusqu’où peut-on et doit-on aller dans

la prévention ? C’est là une question importante à laquelle il convient de réfléchir dans le cadre

d’un nouveau projet de société, une société soucieuse de l’avenir de la planète… La doctrine

relève que « l’émergence d’une responsabilité climatique suppose l’affirmation de nouveaux

530

“droits” pour les citoyens mais également de nouveaux “devoirs” pour les acteurs impliqués :

une plus grande “responsabilisation climatique” »2166.

Dès lors, quelle responsabilité climatique pour les entreprises ? Les entreprises doivent

assumer une responsabilité climatique. Sur le plan éthique, cette responsabilité se présente

comme le contrepoids de leur pouvoir. Il est important aujourd’hui, dans le contexte de la

mondialisation, qui a totalement renversé les rapports de force, et face à des problèmes

d’ampleur globale et inédite, tel que le changement climatique, de procéder à cette reconnexion

entre pouvoir et responsabilité. Sur le plan technique, cette responsabilité se mesure à hauteur

de la contribution des entreprises à l’aggravation du réchauffement climatique. Certes, cela

demande beaucoup d’expertise... Mais on sait que la vérité scientifique peut venir à l’appui de

la vérité juridique. Avec un encadrement adéquat, la science peut soutenir la responsabilité

juridique.

Enfin, la reconnaissance juridique d’une responsabilité climatique de l’entreprise a une

force symbolique indéniable. Le développement des actions en responsabilité climatique est un

levier important pour la responsabilisation des entreprises, indépendamment de leur issue2167.

En effet, la seule possibilité du contentieux peut encourager les acteurs à élaborer des moyens

efficaces pour limiter leur impact sur le changement climatique.

587. Le sens de l’ensemble de l’étude est finalement de démontrer comment le

changement climatique met à l’épreuve l’entreprise. Dans le contexte du changement

climatique, l’entreprise est sujette à de nouvelles obligations, elle se voit attribuer de nouveaux

devoirs, sa responsabilité n’est plus la même. Il faut certes un peu d’audace pour procéder à ces

changements profonds que requiert la lutte contre le changement climatique. Mais comme dit

le proverbe : « Dans les situations critiques, tout dépend de l’audace ».

Sommes-nous suffisamment audacieux ?

2166 M. Torre-Schaub, L. d’Ambrosio et B. Lormeteau (dir.), « Changement climatique et responsabilité. Quelles

normativités ? » (Dossier), Énergie – Environnement – Infrastructures, n° 8-9, août-sept. 2018, p. 10. 2167 F.-G. Trébulle, « Responsabilité et changement climatique : quelle responsabilité pour le secteur privé ? », in

« Changement climatique et responsabilité. Quelles normativités ? » (Dossier), Énergie – Environnement –

Infrastructures, n° 8-9, août-sept. 2018, article 24, p. 20-27, spéc. p. 20.

531

Index alphabétique

(Les chiffres renvoient aux numéros des paragraphes)

A

Accords environnementaux volontaires :

270, 271

Accord de Paris : 6, 70 s., 86, 94, 105,

341, 350, 515, 580

Actio popularis : 574

Activité économique : 16, 20-1, 52, 80,

81, 136, 143, 164, 173-3, 237-4, 279, 320,

333

Amende civile : 313, 418, 426

Associations : 30, 98, 141, 302, 317, 360,

363, 390, 392, 573

Assurance : 145, 176-1

Autorégulation : 260 s.

B

Biens publics globaux : 78-2, 498

Bilans d’émission de gaz à effet de

serre : 112, 113

C

Carbon Majors : 357, 517, 542

Cat bonds : 176-1

Causalité :

- Causalité adéquate (théorie) : 552

- Causalité alternative (théorie) : 550

- Causalité générale : 354-3

- Causalité individuelle : 354-3, 356,

423, 527

- Équivalence des conditions (théorie) :

551

- Preuve : 37, 525, 527, 547, 548

Cessation de l’illicite : 436, 487-2

Centres d’intérêt : 18

Chaîne de valeur : 25, 28, 38, 227, 291,

315, 323, 367

Changement climatique :

- Adaptation : 9, 25, 31, 59, 97, 106, 176

s., 178, 489, v. aussi Clause

d’adaptation

- Atténuation : 9, 25, 59, 92, 106, 178,

309, 313, 375, 376, 444, 489, 515

o Objectifs d’atténuation : 71, 76, 81,

94

Charte de l’environnement : 101, 118,

141, 185, 195, 304

Chartes : 27, 244, 250, 256, 257, 262

Choses communes : v. Res communis

Clauses contractuelles :

- Clause d’adaptation : 370 - Clause de hardship : 370 - Clause de force majeure : 371, 372 - Clause de résolution : 370

Code de conduite : v. Chartes

Commande publique : 109, 110, 236

Communication : 18, 173-2, 220, 235,

253, 257, 258, 281 s., 292, 297, 299, 381,

382, 285, 396, 400, v. aussi Greenwashing

Compensation volontaire : 225-2, 264

Conciliation : 78, 81, 82, 132, 139, 143,

147, 153, 164, 166 s., 180 s., 204, 480

532

Concurrence : 29, 188, 234, 238, 257, 385

Contrat :

- Clauses climatiques : 28, 228 s., 367,

376

- Clauses contractuelles : v. ce mot

- Contrat de performance énergétique :

367

- Liberté contractuelle : v. ce mot

- Responsabilité contractuelle : v. ce mot

Contractualisation : 367, 375

Convention citoyenne pour le climat :

451

Convention judiciaire écologique : 465

Corégulation : 268 s.

D

Déclaration de performance extra-

financière : 25, 286 s., 296, 297, 400, 440

Densification normative : 232

Dépendance économique : 229-2

Désinvestissement : 237-1, 400

Développement durable : 50, 63, 82, 98,

99, 109, 118, 141, 180 s., 192, 195, 208,

212, 217, 218, 221, 236, 282 s.

Devoir de vigilance : 302 s., 354-1, 364,

440, 474, 480, 512, 582

- Application : 318

- Cadre européen : 323

- Mise en demeure : 302, 313

- Plan de vigilance : 309

- Responsabilité : 315 s.

- Sociétés concernées : 308

Dommage(s) climatique(s) : 31, 34, 37,

39, 354-2, 420, 423, 424, 445, 477,

483,485, 525, 527, 529 s., 562 s.

Dommages de masse : 572

Dommages et intérêts punitifs : 418, 428,

429

Droit climatique : 11, 12

Droit de l’environnement : 12, 76-2, 118

s., 142 s., 155, 190 s., 501 s.

Droit des biens : 442

Droit dur : 246, 283, 298, 320, 345, 367

Droit économique : 12, 117

- Droit économique de l’environnement :

190 s.

Droit global : 41, 151, 153, 163

Droit négocié : 194, 196, 197, 269

Droit souple : 242 s., 262, 298, 320, 345,

367

- Sanction : 256 s.

Droits de l’homme : 498, 508 s.

- Contentieux climatique : 517, 518

- Impacts du changement climatique :

514

- Dans le régime climatique : 515

Droits fondamentaux : 30, 35, 176-3,

498, 517

E

Écocide : 450, 451

Écologie : 98, 171

- Catastrophes écologiques : 15, 21-1,

173, 360

- Limites planétaires : v. ce mot

- Ordre public écologique : v. ce mot

- Préjudice écologique : v. ce mot

Économie circulaire : 99, 109, 171

Économie de marché : 12, 188, 214, 261,

v. aussi Mondialisation

Écosystèmes : 57, 363, 421, 450, 451, 456

533

Effet de serre : 5, v. aussi Gaz à effet de

serre (GES)

Engagement :

- De réduction des émissions de GES

(entreprises) : 232, 266, 290

- De réduction des émissions de GES

(États) : 72, 76 s., 91 s.

- Politique d’engagement : 229-2, 235,

284, 291, 296, 388

- Unilatéral de volonté : 257

Enjeux sociaux et environnementaux (loi

PACTE) : 335, 341, 343 s., 440

Entreprise :

- Citoyenne : 209 s., 283

- Image : 26, 234, 235, 243, 257, 314,

390

- Notion : 2

- Qualification juridique : 20-1

Environnement :

- Droit à (l’) : 141, 142, 190,

- Droit de (l’) : v. ce mot

- Politique (de l’) : 119, 120, 124, 128,

162, 270

- Protection (de l’) : 50, 62, 101, 109,

117, 120, 140 s., 162, 181, 184, 188,

190 s., 345, 360

Éthique : 8, 27, 36, 207, 246

- Chartes éthiques : v. Chartes

- Éthique de responsabilité : 491 s.

- Éthique des affaires : 220, 237-1

- Management éthique : v. ce mot

Expertise : 354-3, 424, 488, 577, 578

F

Faute :

- Climatique : 440, 477

- Délictuelle : 354-1, 360, 363, 364, 407,

433

- De témérité : 360

- Loi PACTE : 343 s.

- Loi sur le devoir de vigilance : 315,

316-1

- Lucrative : 418, 426

Fiscalité : v. Taxe carbone

Fixation interne du prix du carbone :

225-1, 264

Force majeure :

- Notion : 371

- Clause de force majeure : v. ce mot

Force normative : 29, 245, 256, 298, 495,

v. aussi Densification normative

Fournisseurs : 254, 307, 309, 315, 321,

375

G

Gaz à effet de serre (GES) :

- Bilans d’émission de gaz à effet de

serre : v. ce mot

- Émissions historiques : 61, 69, 485,

527, 531, 542, 560

- Postes significatifs d’émissions : 25,

289, 290, 299, 400

- Quotas : v. Quotas d’émission de gaz à

effet de serre

- Taxe carbone : v. ce mot

Gestion des risques : 26, 178, 190, 220,

235, 291

GIEC : 5, 6, 197, 350, 354-3, 503, 515,

525, 577

Globalisation : 8, 32, 148, 151, v. aussi

Droit global

Global Climate Coalition : 197

Global Compact : 253, 254, 510

Green bonds : 237-3

Green Deal : 285

Greenwashing : 237-3, 237-4, 250, 252,

387 s., 404

Grenelle de l’environnement : 98, 99,

284

534

Groupe de sociétés (notion) : 20-2

H

Heede (rapport) : 356, 517, 560

I

Imputation : 539, 541, 542

- Infraction pénale : 460

Indemnisation : 351, 354-2, 354-3, 412,

420, 467, 483, 557

- Fonds d’indemnisation : 562 s.

- Principe de la réparation intégrale : v.

ce mot

Information : 173-2, 281, 299

- Bilans d’émission de gaz à effet de

serre : v. ce mot

- Extra-financière : 237, 283 s., v. aussi

Déclaration de performance extra-

financière

- Fausse ou trompeuse : 397, 398, 401 s.

Instruments économiques : 63, 119, 120,

128, 192

- Notion : 117

Intérêt à agir : 30, 141, 313, 317, 361,

570 s.

Intérêt collectif : 572, 573

Intérêt général :

- Intérêt général global : 19, 153, 163

- Notion : 143, 152

- Prise en compte (de l’) : 138, 139, 141,

162, 188, 293, 327, 328, 329, 366

Intérêt social : 328, 333, 335, 337

Investissement socialement

responsable (ISR) : 237-1

ISO 26000 : 252

J

Justice climatique : 30, 32, 176-3, 350,

486

Juge :

- Compétence juridictionnelle : 317, 532

- Pouvoir créateur : 580

L

Liberté contractuelle : 229-1, 366, 367

Liberté d’entreprendre :

- Conciliation : 180 s.

- Limites : 139, 143 s., 147, 156

- Notion : 136

- Valeur juridique : 138

Liberté d’expression (des entreprises) :

257, 388

Lien de causalité : v. Causalité

Limites planétaires : 451

Lliuya v. RWE (affaire) : 31, 356, 487-1,

532, 552, 553, 572

Loi PACTE : 325 s.

- Enjeux sociaux et environnementaux :

v. ce mot

- Raison d’être : 328, 337, 343-3

- Responsabilité : 343 s.

- Société à mission : 338

M

Management éthique : 210

Marchandisation : 21-2, 124

Market share liability : 557

- Emission share liability : 559, 560

Mondialisation : 16, 17, 27, 35, 86, 163,

164, 170, 187, 214, 259, 261, 267, 473,

541

535

N

Neutralité carbone : 94, 99, 105, 106,

147, 290

Normes : 27, 214, 232, 245, 263, 320, 327,

495

Normalisation : 251

Normativité privée : 29, 229-1, 229-2,

250, v. aussi Force normative

Notre affaire à tous : 302, 323, 363

O

Obligation :

- Notion : 23

- Obligations contractuelles climatiques :

v. Clauses climatiques

- Obligations éthiques : 27

- Obligations juridiques : 25, 276 s.

- Obligations vertes : v. Green bonds

Ordre public :

- Notion : 159, 160

- Ordre public écologique : 162

- Ordre public économique : 161

- Ordre public mondial : 163, 164

P

Pacte vert pour l’Europe : v. Green deal

Parties prenantes : 202, 211, 220, 235,

252, 292

Pluralisme juridique : 151, 153, 245, 264,

416

Pouvoir : 8, 21-1, 36, 83, 170, 210, 220,

229-3, 256, 276, 480, 490, 492, 496

- Pouvoirs privés économiques : 18, 194,

321

Pratique commerciale (notion) : 381

Pratiques commerciales trompeuses :

- Notion : 382 s.

- Sanctions : 385, 390

Préjudice : 414, 423, 424

- Distinction entre dommage et

préjudice : 417

Préjudice écologique : 359 s.

- (et) changement climatique : 363

Prévention :

- Mesures de prévention : 356, 444, 486,

487-1, 487-2, 505, 560

- Principe de prévention : v. ce mot

Principe d’intégration : 181

Principe de la réparation intégrale : 413,

414

Principe de non-régression : 101

Principe de précaution : 58, 503

Principe de prévention : 144, 502

Principe pollueur-payeur : 128, 505, 506

Protocole de Kyoto : 61 s., 76, 76-1, 92,

122, 197, 225-2

Q

Qualité à agir : 571 s.

Quotas d’émission de gaz à effet de

serre : 122, 123

R

Régulation :

- Autorégulation : v. ce mot

- Autorité de régulation : 266, 299, 396

- Corégulation : v. ce mot

- Effets de régulation : 259, 299, 321,

322

- Mondiale (déficit) : 207, 214, 215

- Notion : 188

Reporting climat : 289 s.

536

Reporting extra-financier : v. Déclaration

de performance extra-financière

Res communis : 20-1

Responsabilité :

- Principe (de) : 8, 492

o En matière climatique : 496

- Responsabilité civile contractuelle : 32,

351, 368 s., 374

o Contentieux climatique : 375, v.

aussi Clauses climatiques

- Responsabilité climatique : 36, 469 s.

o Définition : 476, 477

o Fonction d’indemnisation : 483

o Fonction de prévention : 485 s.

- Responsabilité civile délictuelle : 32,

315, 343, 351, 352 s.

o Contentieux climatique : 354 s.

- Responsabilité environnementale : 361

- Responsabilité pénale : 32, 378 s.

Responsabilité sociale de l’entreprise

(RSE) : 203, 206 s., 223 s., 232 s.

- Définition : 218

Risques climatiques : 9, 28, 178, 369,

371, 555

- Risques contentieux : 176-3

- Risques de transition : 176-2

- Risques financiers : 237 s., 290, 400,

404

- Risques physiques : 176-1

S

Société civile : 173 s., 327, 444

Société du risque : 8, 411

Soft law : v. Droit souple

T

Taxe carbone : 126

Transition énergétique et écologique

pour le climat (label) : 237-3

Trouble anormal du voisinage : 304, 356

U

Urgenda (affaire) : 30, 354-3, 476, 530,

573

V

Valeurs : 27, 35, 78, 153, 163, 164, 207,

498

Vigilance :

o Devoir de vigilance : v. ce mot

o Obligation de vigilance : 304

537

Bibliographie

I) Ouvrages généraux ............................................................................................................. 538

II) Ouvrages spéciaux ............................................................................................................ 542

III) Mélanges .......................................................................................................................... 550

IV) Thèses ............................................................................................................................... 552

V) Articles, études, chroniques, encyclopédies juridiques ..................................................... 557

VI) Contributions à des ouvrages collectifs et mélanges ....................................................... 591

VII) Notes, observations et conclusions de jurisprudence ..................................................... 606

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2013

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Éditions Frison-Roche, 2013, 718 p.

2009

- Terres du droit. Mélanges en l’honneur d’Yves Jégouzo, Dalloz, coll. « Études, mélanges,

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2008

- Mélanges en l’honneur de Philippe le Tourneau. Libre droit, Dalloz, coll. « Études,

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2007

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Dalloz, coll. « Études, mélanges, travaux », 2007, 1740 p.

2006

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coll. « Études, mélanges, travaux », 2006, 644 p.

2003

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2000

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l’honneur de Philippe Kahn, Litec, 2000, 728 p.

1999

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551

1998

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619

Table des matières

Table des principales abréviations ...................................................................................... I

Sommaire ........................................................................................................................ V

Introduction ..................................................................................................................... 1

I. La question climatique saisie par le droit ............................................................................. 2 A. L’apparition du questionnement sur le changement climatique ............................................................. 2 B. Le changement climatique au centre du questionnement juridique ....................................................... 7

II. Le rapport triangulaire entre droit, changement climatique et entreprise ........................ 11 A. Le contexte du changement climatique est aussi celui de la mondialisation ........................................ 11 B. Dans ce contexte, l’entreprise est un acteur important de la lutte contre le changement climatique . 13

III. De la responsabilisation à la responsabilité ..................................................................... 20 A. La diversité des obligations de l’entreprise en matière de climat .......................................................... 20 B. De lege lata : les responsabilités de l’entreprise dans le contexte du changement climatique ............ 26 C. De lege ferenda : pour une responsabilité climatique de l’entreprise ? ................................................ 34

Première partie : L’entreprise responsabilisée dans le contexte du changement climatique

....................................................................................................................................... 39

Titre I. L’entreprise acteur de la lutte contre le changement climatique ............................... 41 Chapitre I. Contexte juridique de la lutte contre le changement climatique ........................................ 43

Section 1. La lutte contre le changement climatique dans l’ordre juridique international ............ 44 §1. La question climatique saisie par le droit international : une protection internationale

prometteuse du climat ....................................................................................................................... 44 A. L’émergence de la question climatique sur la scène internationale .................................... 44

1. La question climatique en tant que question environnementale ............................................ 45 2. La question climatique en tant que question économique ..................................................... 47

B. La construction du régime juridique international du climat ............................................. 49 1. La naissance du régime juridique international du climat ..................................................... 49

a) La Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques ...................... 49 b) Le Protocole de Kyoto ...................................................................................................... 54

2. Le développement du régime juridique international du climat ............................................ 57 a) La mise en place du régime du climat post-2012 ............................................................. 57 b) La mise en place du régime du climat post-2020 ............................................................. 60

§2. La question climatique saisie par le droit international : une protection internationale

perfectible du climat .......................................................................................................................... 62 A. Les limites du multilatéralisme dans la protection internationale du climat.......................... 63

1. Des engagements d’atténuation limités ................................................................................. 63 2. Une conciliation des valeurs presque impossible .................................................................. 66

B. Des perspectives en vue d’une meilleure protection internationale du climat ........................ 69 1. Une prise en compte de la transversalité de la question climatique ...................................... 70 2. Une coopération renforcée avec le secteur privé ................................................................... 74

Section 2. La lutte contre le changement climatique dans l’ordre juridique français ..................... 77 §1. Les politiques publiques en matière de climat .......................................................................... 78

A. Cadre général des politiques publiques en matière de climat ............................................. 78 1. Les engagements juridiques internationaux de la France en matière de climat..................... 79 2. L’inscription de la question climatique dans l’ordre juridique français ................................ 83

B. Mise en œuvre des politiques publiques en matière de climat ............................................. 91 1. L’outil ad hoc et ses déclinaisons .......................................................................................... 92

a) L’outil ad hoc : le Plan Climat national ............................................................................ 92