le trans saharan gas pipeline: mirage ou réelle opportunité?

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  • 8/7/2019 Le Trans Saharan Gas Pipeline: Mirage ou relle opportunit?

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    Le Trans Saharan Gas PipelineMirage ou relle opportunit ?

    Benjamin Aug

    Mars 2010

    Note de lIfriNote de lIfri

    ProgrammeAfrique subsaharienne

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    Sommaire

    INTRODUCTION ..................................................................................... 2

    LE GAZODUC TRANSSAHARIEN : UN PROJET MINE ........................... 4

    LEPINEUSE QUESTION DES RESERVES DISPONIBLES ............................. 7

    LES DANGERS GEOPOLITIQUES DU TRACE ........................................... 12LA STRATEGIE AFRICAINE DU KREMLIN :LETOUFFEMENT DE L UE ? ................................................................ 15

    DES COMPAGNIES INTERNATIONALES AUX DISCOURS TACTIQUES ........ 20

    CONCLUSION ...................................................................................... 23

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    Introduction

    Le continent africain possde 8 % des rserves gazires du monde.Sa relative faiblesse conomique et labsence presque totale derseaux gaziers entranent une consommation intrieure trs rduite(quasi nulle en dehors de lAlgrie et de lgype1) qui permet uneimportante capacit exportatrice de son gaz. Relier lAfriquesubsaharienne lUnion europenne (UE) par un gazoduc est doncun projet conomique assez logique. Les deux blocs intresss endiscutent avec de plus en plus dintensit depuis le dbut desannes 2000. La stratgie parat priori vidente. La zoneeuropenne compte trois importants producteurs de gaz : Norvge(non-membre de lUE mais associe troitement sa politiquenergtique), Grande-Bretagne et Pays-Bas, avec respec-tivement une production de 99,2, 69,5 et 67,5 milliards de mtrescubes en 20082. Toutefois, la production de la Norvge et des Pays-Bas va commencer dcrotre dans quelques annes ; celle de laGrande-Bretagne diminue dj de faon significative depuis 2000 etles Britanniques importent actuellement un tiers de leur gaz pourleur consommation domestique (93,9 milliards de mtres cubes en2008). Les importations de lUE vont donc mathmatiquementcrotre progressivement. Or, la crainte dune dpendance au gazrusse3 (aujourdhui de 25 % en moyenne parmi les 27) dans un futurproche conduit lUnion vouloir diversifier ses sources dap-provisionnement. Si aucune diversification nest mise en place, laRussie pourrait approvisionner quelque 70 % du march europen(27 pays) dici 2050.

    La solution de multiplier les usines de regazifications pourimporter du gaz naturel liqufi (Liquefied Natural Gas , LNG) estactuellement clairement privilgie par plusieurs pays de lUnion :France, Italie, Espagne, Royaume-Uni, Pays-Bas, Pologne. Les paysdu golfe Persique, lgypte, lAlgrie et les tats-Unis appro-

    visionneront ces nouvelles usines. Le Trans Saharan Gas Pipeline(TSGP) qui relierait le Nigeria au Niger et lAlgrie, elle-mme

    Benjamin Aug est doctorant lInstitut franais de gopolitique, universit Paris 8 .1 En 2008, lAlgrie et lgypte ont consomm respectivement 25,4 et 40,9 milliardsde mtres cubes par an. Ces deux pays reprsentent deux tiers de la consommationtotale du continent. Chiffres :BP Statistical Review of world Energy 2009 .2 BP Statiscal Review of world Energy 2009 .3 Cette crainte est accentue par les rcentes coupures dapprovisionnement pourlEurope causes par les litiges sur les prix du gaz entre la Russie et lUkraine(actuellement principal passage du gazoduc entre les deux zones).

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    connecte lEspagne et lItalie par des gazoducs existants ou enconstruction, pourrait savrer un choix supplmentaire dap-provisionnement de long terme. Cependant, si ce gazoduc de4 128 km considr par le NEPAD4 comme prioritaire nest pas unrve, ni mme un dfi du point de vue technique, plusieurs lmentsfinanciers, scuritaires et gopolitiques vont devoir trouver unesolution avant une hypothtique prise de dcision formelle dedveloppement dans les prochaines annes.

    4 NEPAD : New Partnership for Africas Development. Cette initiative lance en 2001par cinq chefs d'tat (Afrique du Sud, Algrie, gypte, Nigeria, Sngal) dans lecadre de l'Organisation de l'unit africaine (OUA), ex-Union Africaine (UA), visait acclrer le dveloppement conomique de l'Afrique. Aprs quasiment dix ansdexistence, peu de rsultats tangibles sont mettre son crdit.

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    Le Gazoduc transsaharien :un projet min

    Dun cot estim aujourdhui 21 milliards de dollars5, le projet duTrans Saharan Gas Pipeline (TGSP) ouNigal (Nigeria/Algrie) a tformellement lanc en septembre 2001, par la signature dunMemorandum of Understanding (MOU) entre le Nigeria et lAlgrie. Silide de ce gazoduc a eu au dpart du mal merger, cest que ce

    MOU sest inscrit dans une priode o le cours du baril tait trsbas6, moins de 20 $. partir de 2003, une nouvelle squenceconomique7 voit crotre les cours du ptrole et du gaz, jusquatteindre 147 dollars par baril en juillet 2008. Le projet transsaharienattire alors une plus grande attention grce aux revenus engrangspar les tats producteurs et les compagnies ptrolires et suite

    5 En 2001, lors du lancement du projet, le Nigeria et lAlgrie estimaient laconstruction du TSGP 7 milliards de dollars. Depuis, tous les cots des socits deservice ont augment, accroissant la charge financire. Malgr une tendance labaisse du prix des prestations de ce secteur depuis 2009, il est trs improbable queles cots des projets reviennent rapidement leur niveau du dbut des annes 2000.6

    Jusqu lt 2009, les prix du gaz suivaient ceux du ptrole avec un lger dlai. Ladcorrlation actuelle entre les deux matires premires est due en partie lexplosion des projets de gaz naturel liqufi (en particulier au Qatar) qui fluidifient lemarch. cela sajoute une baisse conjoncturelle de la demande en gaz dans lespays OCDE, due la crise conomique de 2008-2009.7 Plusieurs phnomnes conjoints expliquent cette nouvelle phase. La Chine voit saconsommation ptrolire crotre rgulirement depuis 1993, anne partir delaquelle ses productions charbonnire et ptrolire domestiques ne suffisent plus couvrir ses besoins. En 2003, sa croissance augmente brutalement. Laconsommation ptrolire de la Chine passe ainsi de 5,8 millions de bpj 6,7 de 2003 2004 (en 2008 lconomie chinoise a consomm 8 millions de barils par jour (bpj)et en 2009, elle est devenue le deuxime importateur mondial devant le Japon, justederrire les tats-Unis). Quant lInde, entre 1998 et 2008, sa consommation estpasse de 1,8 2,8 millions bpj pour une production locale en 2008 de seulement883 000 bpj. En plus de ces deux nouveaux et importants demandeurs dnergie surle march mondial, toutes les zones traditionnelles de consommation, dont les paysde lOCDE, croissent entre 2003 et 2008. Les tats-Unis, premier consommateurmondial, ont brl jusqu 21 millions de bpj en 2005 alors que leur productioninterne ne cesse de diminuer : 6,7 millions bpj en 2008. Dans le mme temps,plusieurs gros producteurs comme lIran, le Mexique, le Venezuela et les pays dugolfe Persique voient leur consommation interne crotre continuellement, rduisantleur capacit exportatrice. Ces phnomnes runis, sajoutant aux multiplesproblmes gopolitiques Venezuela (grve la PDVSA), Russie (diffrends aveclUkraine), Irak (guerre), Arabie Saoudite (attaques terroristes), Nigeria (inscuritdans la rgion du Delta) , encouragent la spculation. Les prix en 2008 culminentalors des sommets jamais atteints (147 dollars), mme lors du deuxime chocptrolier en 1980 (80 dollars, en valeur constante).

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    laccroissement de la consommation de gaz dans la zoneeuropenne. En 2009, cependant, la consommation europenne achut du fait de la crise conomique, et sa croissance nergtiquepourrait rester atone pendant plusieurs annes.

    Le TSGP a dabord t un projet bilatral, avec des runionsentre les deux acteurs principaux, Nigeria et Algrie. En janvier 2002,une commission mixte, leSteering Committee , est cre Abuja lorsdun voyage officiel du prsident algrien Abdelaziz Bouteflika auNigeria. LeSteering Comittee est le lieu o les ministres du Ptrole etde lnergie prennent officiellement les dcisions importantes(quivalent de la Confrence pour lOrganisation des paysproducteurs de ptrole - OPEP). Le Comit des sponsors regroupantles socits ptrolires nationales, et le Comit des expertspermettant aux spcialistes nationaux de trancher les problmestechniques, prparent et dminent le cas chant tous lesdiffrends. Le Steering Comittee ne fait ainsi quavaliser desdcisions dj ngocies lavance. En mai 2002, une socit estcre Londres entre la Sonatrach algrienne et la Nigerian NationalPetroleum Corportation (NNPC) pour porter financirement le projet.Elle na pour le moment pas dmontr son utilit.

    Les runions au plus haut niveau sont peu frquentes : il fautattendre mars 2003 pour la deuxime rencontre duSteering Comittee et fvrier 2008 pour la troisime. Cest lors de cette troisime runion, Abuja en 2008, que la Rpublique du Niger est officiellementintgre au projet. La plus grande part du travail davancement estralise par le Comit des experts, mais aucun communiqu nestdiffus en fin de runion. Ce Comit sest dj runi plus dunedizaine de fois. Sa premire dcision importante, favorise par labonne conjoncture des prix du gaz, a t de confier un cabinet deconsultants la conduite dune tude de faisabilit du TSGP.

    La slection du cabinet, annonce pour la fin 2004, a lieu le 7mai 2005 en faveur des Britanniques Penspen et IPA Energy. Leurrapport, rendu en mai 2006, conclut que le projet est techniquementfaisable et conomiquement viable. Ils proposent deux options : ungazoduc capable de transporter 20 milliards de mtres cubes par anou un autre avec une capacit de 30 milliards de mtres cubes.

    Le trac propos ferait partir le gazoduc transsaharien de largion du Delta du Niger, prs de la ville de Warri (Sud-Est duNigeria), o est situe la plus grande partie des rserves. Il passeraitensuite par la plus grande ville du Nord du Nigeria, Kano (couvrantainsi plus de 1 000 km dans ce pays). Il traverserait ensuite le Nigersur 841 km en passant par la ville de Zinder au Sud puis par la villedAgadez (rgion septentrionale). videmment, le gazoduc netraverserait pas directement ces villes, mais il sen approcherait, danslhypothse dun approvisionnement des concentrations urbainesproches de son parcours, ce qui nest pas encore dcid. Si tel ntaitpas le cas, dun point de vue purement financier, il serait prfrablepour les promoteurs dviter les villes. Le TSGP parcourrait ensuite le

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    territoire algrien sur prs de 1 500 km en passant aux alentours dela ville de Tamanrasset (aucun contournement de la chane demontagne du Hoggar ntant actuellement prvu) avant de rejoindrele nud gazier de Hassi Rmel (rgion septentrionale en plein dsertdu Sahara). Le gazoduc serait ensuite reli lEurope grce un desgazoducs en construction partant de Hassi Rmel comme leMedgaz qui reliera lAlgrie lEspagne ou leTrans-Mediterranean (appeldepuis 2000 Enrico Mattei) qui relie dj lAlgrie lItalie via la Siciledepuis 1983 ou le Maghreb Europe Gas Pipeline entre lAlgrie etlEspagne (appel aussi Pedro Duran Farrell)8. La longueur dugazoduc en Algrie pour rejoindre les ctes sera donc de prs de2 300 km.

    Depuis la remise du rapport, le projet na pas beaucoupavanc sur les points cls comme le choix dfinitif du trac et descontractants, le financement, et la scurit. Lancien commissaire lnergie de lUE, Andris Pielbags9, a annonc lors dun passage Abuja en septembre 2008 que lEurope tait prte financer dautrestudes de faisabilit. Cependant, aucune dcision effective na tprise, alors que lchance de mise en service en 2015-2016 esttoujours martele dans les communiqus officiels depuis lelancement du projet. Le 3 juillet 2009, les trois ministres du Ptrole etde lnergie du Nigeria, du Niger et de lAlgrie ont sign Abujalaccord intergouvernemental sur le dveloppement du TSGP. Celui-ci donne le feu vert des trois gouvernements pour la mise endveloppement du projet. Il ny a donc, en thorie, plus de litige entreles promoteurs. Mais malgr la volont affiche des trois acteurs, leprojet a encore devant lui une multitude dobstacles surmonter.

    8 plus long terme, le gazoducGalsi entre lEst de lAlgrie, la Sardaigne et lItalieexportera le gaz algrien vers lEurope. Selon leJournal officiel franais du 10 janvier2010, leGalsi devrait galement passer par la Corse.9 Depuis 2010, il est le nouveau commissaire au Dveloppement.

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    Lpineuse questiondes rserves disponibles

    Lune des principales raisons de la lenteur du dveloppement du projetest le doute qui pse sur les rserves de gaz disponibles10 dans leDelta du Niger. Les responsables de la Sonatrach algrienne ontdemand, lors de plusieurs runions en 2008, ce que le Nigeriaprocde une tude, mene par un cabinet indpendant, sur ltendue

    de ses rserves11

    . Cette demande a t rejete par les officielsnigrians, arguant du fait que les estimations des rserves disponiblesdans le Delta 184 trillions de pieds cubes sont dtermines, nonpas par ltat, mais par les compagnies ptrolires prives quiexploitent les hydrocarbures de la rgion depuis plus de cinquante ans.Cet pisode a refroidi les relations entre les deux promoteurs du projetqui ont dcid dcarter cette question lors de la runion dAlger en juillet 2008, au cours de laquelle les diffrends semblent stremomentanment aplanis. Cependant, les doutes sont bel et bienprsents. Or, il est impossible dinvestir sur un projet dune telleampleur sans une certitude sur les rserves. Mais plus que lesrserves elles-mmes, cest leur exploitabilit qui est rellement en jeu.

    La rgion du Delta est le thtre depuis 2006 dunaccroissement des vandalismes et pirateries du fait des actions duMovement for the Emancipation of the Niger Delta (MEND). Cemouvement fonctionne comme une fdration de groupuscules dontles combattants sont quips en armes et en moyens de transport dedernire gnration (bateaux ultrarapides). Ils peuvent atteindreaisment les plateformes offshores les plus recules, les vandalismes terre sont donc encore plus faciles. Le MEND se caractrise parlapplication dun programme guerrier au but affich de dtruireentirement la capacit du gouvernement exporter du ptrole afinden prendre le contrle au dtriment des socits ptrolires12 . Il

    est donc tout fait diffrent des mouvements pacifistes des annes1990 comme le Movement for the Survival of the Ogoni People dontles principaux chefs ont t condamns mort en 1995 par le rgimede Sani Abacha. Depuis sa premire action radicale, lassassinat de

    10 Les rserves disponibles sont celles quil est possible de mobiliser rapidementpour la production. Le Nigeria a des rserves prouves trs importantes, mais lesinvestisseurs ont besoin davoir des certitudes sur la capacit immdiate dextraction.11 Africa Energy Intelligence , numro 600, 11 mars 2009.12 Benjamin Aug, Pillage et vandalisme dans le Delta du Niger ,Hrodote , 3e trimestre 2009.

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    neuf salaris de Saipem (ENI) Port Harcourt en 2006, le MEND arussi faire chuter la production ptrolire de 2 millions de bpj(quota actuel du Nigeria lOPEP) 1,2 million de bpj durant lt2009, au paroxysme de la violence. Le MEND na pas non pluspargn les infrastructures gazires en faisant sauter des gazoducsou en kidnappant des techniciens en charge des usines deliqufaction (Bonny Island en 2006). La grande force du MEND estdtre capable, mme sans utiliser les importants moyens dont ildispose, de bloquer concomitamment la production de plusieurschamps. Ses chefs sont conseills par des techniciens ptroliersnigrians, capables de dterminer o les installations sontvulnrables et o frapper pour causer le plus de dgts. la suitede lannonce par le gouvernement du prsident Umaru YarAdua delouverture dun processus damnistie, les membres du MEND ontdcrt un cessez-le-feu illimit partir du 4 octobre 2009, qui acependant t rompu le 30 janvier 2010. La menace plane donc

    toujours. Mme en cas de signature dun accord dfinitif entre lesrebelles du MEND et le gouvernement nigrian dans le courant delanne 2010, rien ne garantira un accs continu des socitsgazires aux rserves de gaz du Delta pour approvisionner le TSGP.En cas de dsaccord, mme ponctuel, sur la gestion ptrolire, leMEND peut agir nouveau comme il la fait par exemple endcembre 2009 en vandalisant un oloduc dans ltat de Rivers13. LeMEND a dailleurs explicitement menac de sen prendre au TSGP plusieurs reprises, comme en fvrier ou juillet 200914. Sans unprofond changement de politique de dveloppement dans cettergion15, les rserves gazires et ptrolires resteront toujours entreparenthses, cest--dire sujettes des arrts dexploitation au moinstemporaires. Cette apprciation est valable pour tous les projets dedveloppement dhydrocarbures dans la rgion. Certains individus serclamant du MEND utilisent le mouvement des fins crapuleuses etinstrumentalisent le sous-dveloppement de la rgion pour leurenrichissement personnel. Ils senrichissent grce au vol de multiplescargaisons de brut grce la complicit de certains militaires hautplacs. Le mouvement peut aussi savrer un formidable tremplinpolitique pour les leaders du Delta qui le dfendent publiquement.Larrive la tte du pays dbut fvrier 2010 de lex-vice prsident

    13 Africa Energy Intelligence , numro 619, 6 janvier 2010.14 Oil and Gas journal , 13 juillet 2009.15 Outre la proposition damnistie du prsident nigrian, un nouveau ministre charguniquement de la rgion du Delta a t cr en dcembre 2008. Celui-ci doit menerune tche quasi insurmontable du fait de son faible budget : il doit en effet amliorerlconomie de la rgion en finanant des projets dinfrastructures, faciliter la crationdemplois, en particulier pour les jeunes, etc. Ce ministre vient aussi se rajouter lacommission charge du dveloppement de la rgion du Delta, laNiger Delta Development Commission (NDDC). Cre en 2000 par lex-prsident OlusegunObasanjo, elle souffre elle aussi dun budget bien trop faible : 314 millions de dollarspour lanne 2009. Laccumulation de commissions et dorganismes chargs duDelta disperse les moyens et les investissements et ne permet pas davancer sur lesproblmes essentiels dune rgion qui compte prs de 30 millions dhabitants.

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    Goodluck Jonathan en tant que prsident par intrim, suite lhospitalisation du prsident en titre Umaru YarAdua en ArabieSaoudite de novembre 2009 au 25 fvrier 2010, pourrait peut-trechanger la stratgie de ltat fdral envers cette rgion et leproblme de la gestion des hydrocarbures. Jonathan est en effet issude ltat ptrolier de Bayelsa o il a prcdemment t gouverneur(Umaru YarAdua, quant lui, est issu de ltat de Katsina au Norddu pays, dpourvu de ptrole).

    Les cadres de la Sonatrach cachent mal leurs craintesconcernant la disponibilit des rserves du Delta du Niger du fait desrisques quotidiens de vandalisme. Mais la Sonatrach se faitgalement lcho du rapport de Penspen qui demandait auxpromoteurs du TSGP de prioriser les projets de gaz naturel liqufi(GNL) dans le Delta. Actuellement, trois usines gazires sont enprojet : OK LNG (programme men par Chevron et Shell, report),Brass LNG (dcision de mise en dveloppement par la socititalienne ENI repousse depuis plusieurs annes), Escravos GTL(mise en service prvue en 2012). ces projets qui demandent, pourchacun dentre eux, des milliards de dollars dinvestissement etdimportantes quantits de gaz, il faut ajouter laccroissement de laconsommation locale en gaz qui nest pas satisfaite. Or, cette donneva devenir une priorit dans la prochaine loi ptrolire et gazire duNigeria qui devrait tre vote dans le courant 2010 (elle aussi estconstamment repousse). Cette nouvelle lgislation, dont lun desprincipaux volets est consacr au gaz dans le documentGas Masterplan , devrait contraindre toute compagnie voulant exploiter unnouveau champ gazier laborer des projets pour approvisionner lescentrales lectriques locales. Cette volont se justifie amplement dupoint de vue conomique. Depuis plusieurs annes, les cinqcentrales lectriques nigrianes au gaz Lagos, Egbin, Afam (PortHarcourt), Geregu (Kogi) et Sapele (Delta) sont contraintes defonctionner au ralenti du fait dune pnurie de gaz. La socitnationale dlectricit Power Holding Company of Nigeria (PHCN) aencore rappel en dcembre 2009 que, faute de gaz en quantitsuffisante16, il avait t impossible datteindre lobjectif de productionde 6 000 MW promis par le prsident Umaru YarAdua17.

    Dans cette numration de projets gaziers, il ne faut pasoublier le gazoduc du West African Gas Pipeline (WAGP)18 qui

    16 African Energy , numro 178, janvier 2010.17 Le Nigeria produisait, la fin 2009, 3 000 MW, soit quinze fois moins que lAfriquedu Sud.18 Ce gazoduc de 620 kilomtres relie Lagos, la capitale conomique du Nigeria, auBnin, au Togo et au Ghana. Linvestissement global dans le gazoduc a t dunmilliard de dollars. Sa construction a t mene par un consortium de socits dontle chef de file est la socit amricaine Chevron-Texaco. Le WAGP a connu denombreux retards du fait notamment du vandalisme du gazoduc ELPS dans le Deltadu Niger, endommag par le MEND en mai 2009. Le WAGP devrait termetransporter 30 millions de pieds cubes par jour. Ce gazoduc pourrait, selon lesautorits ivoiriennes, faire lobjet dune extension jusqu Abidjan.

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    devrait tre mis en service dans le courant de lanne 2010. Aprsplusieurs reports, celui-ci va, lors de sa mise en gaz, pesergalement sur les quantits disponibles dans le Delta. La multi-plication de ces projets de GNL ou de mobilisation dune partie desrserves gazires par gazoduc au Nigeria fait donc logiquement peuraux Algriens.

    Lautre problme majeur est laccroissement des cots deconstruction dans lindustrie ptrolire. Les cots des socits deservice ont augment depuis le dbut des annes 2000 ; les projetsont parfois t conus sur la base dun certain prix et, lorsque ladcision de dveloppement a t prise, ont d faire face desbesoins dinvestissements considrablement accrus. Dautre part, lesraisons du report des projets de liqufaction par les socitsptrolires prives doivent faire rflchir les partenaires du TSGP.Pourquoi des socits ptrolires voudraient-elles investir dans leTSGP alors quelles reportent constamment leurs usines deliqufaction, moins coteuses, dans la mme zone ? Lesinvestisseurs attendent clairement que des amliorations notablesredonnent confiance dans lavenir.

    Afin de rpondre en partie ces multiples projets, ltatnigrian compte sur larrt progressif du torchage du gaz19 pourapprovisionner les nouvelles usines. Cependant, le gouvernementnigrian, qui a officiellement interdit le torcharge en 1984, na jamaiseu la volont de contraindre les socits construire les rseauxncessaires la rcupration du gaz. Un nouveau dlai a t discuten fin danne 2009 au Parlement nigrian, les compagnies privesplaidant pour 2013 et les parlementaires pour 2011. La seule mesurecoercitive efficace serait linterdiction de produire jusqu la crationeffective dun rseau, mais le Nigeria ne peut absolument pas se lepermettre financirement. Plus de 90 % des exportations de ltatfdral sont le rsultat de la vente des hydrocarbures. Lesvandalismes lui amputent dj suffisamment ses recettes. Le Nigeriadtient aujourdhui les premires rserves gazires dAfrique, devantlAlgrie, mais du fait de ce torchage massif du gaz associ, il narrivequ la troisime position pour la production (avec 35 milliards demtres cubes), aprs lgypte (58,9) et lAlgrie (86,5)20.

    En dehors des griefs de la Sonatrach envers la NNPC sur laquestion essentielle des rserves, le Niger, depuis son entre dans le

    19 Le torcharge consiste brler le gaz associ au ptrole. Tous les champsptroliers contiennent aussi une quantit plus ou moins importante de gaz. Afindviter de construire un rseau gazier coteux, les socits ptrolires opratricesont, depuis le dbut de la production ptrolire au Nigeria en 1958, dcid de brlerle gaz associ. On estime 70 millions de m par jour le volume de gaz brl auNigeria, ce qui quivaut 2 ou 3 milliards de dollars de recettes par an en moinspour ltat, selon les chiffres donns par le vice-prsident Goodluck Jonathan en2008. Le Nigeria est, en partie du fait ce phnomne, le plus gros pollueur ducontinent.20 BP Statistical Review of World Energy 2009 .

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    projet, a galement fait plusieurs remarques importantes seshomologues. Lors des runions du Comit des experts en septembre2009 Niamey, et un mois plus tard Alger, la NNPC a propos, aulieu de construire un nouveau rseau, dutiliser les rseaux djconstruits au Nigeria (entre la rgion du Delta et le Nord du pays).Cette solution aurait le grand avantage de faire baisserconsidrablement le cot total du projet. Cependant, le Niger naaucune infrastructure gazire, et aurait, dans ce cas, payer desroyalties son partenaire pour lutilisation de son rseau. De plus, ilnest pas garanti que les gazoducs existants au Nigeria, en servicedepuis plusieurs dizaines dannes, soient en tat de transporter, entoute scurit, la quantit de gaz ncessaire vers lEurope pendanttrois dcennies (dure de vie minimale prvue du TSGP). Cetteproposition dun des promoteurs originels du projet cache mal unegrande difficult trouver les financements pour financer le TSGP. Lacrise financire qui a commenc en 2008 et qui a connu son apoge

    en 2009 a encore aggrav lexercice. Le Niger ngocie avec ces deuxpartenaires pour que des tudes indpendantes soient menes sur lafiabilit des rseaux du Nigeria.

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    Les dangers gopolitiques du trac

    En dehors de la menace du MEND et des autres groupes de la rgiondu Delta, prendre au srieux, le trac privilgi par le cabinetPenspen va devoir emprunter dautres zones trs difficilementcontrlables du fait de leur trs faible densit de population, enparticulier au Niger et en Algrie, majoritairement dsertiques. Deuxmenaces principales sont prendre en compte : les Touaregs auNiger et lancien Groupe pour la prdication et le combat (GSPC)

    devenu, en 2007, Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), avecoriginellement lAlgrie comme base principale.Les Touaregs sont localiss majoritairement dans le Nord du

    Niger, prcisment dans la rgion dAgadez o le gazoduc devraitpasser. Depuis les annes 1990, ils luttent contre le gouvernementdu Niger pour que leur rgion ne soit pas laisse de ct en termesdinfrastructures et de dveloppement. Dans le mme temps, ils ontprofit de cette quasi-absence dtat dans leur zone pour dvelopperdes petits trafics de marchandises, trs difficiles valuer en volume.De 2007 octobre 2009, la rbellion sest renforce avec la crationdun nouveau groupuscule : le Mouvement des Nigriens pour la

    justice (MNJ)21

    . Pour faire pression sur Niamey, cette organisation atu prs de 80 soldats nigriens par lutilisation de mines etdattaques directes contre des casernes. Une mdiation libyenne apermis la signature dun accord en octobre 2009 et lacceptation duncessez-le-feu par les deux parties, symbolis par plusieurscrmonies de remises darmes. Le ministre de lIntrieur nigrienAlbad Abouba sest engag rintgrer les rebelles touaregs dansltat et mieux soccuper conomiquement de la rgion dAgadezdans lavenir. Bien que ltat ait choisi au dpart la fermet face auxTouaregs, ces derniers ont quand mme russi acculer legouvernement la ngociation. Cette zone limportance stratgiquerenferme limmense mine duranium dImouraren, exploite par les

    Franais dAreva, et une partie du ptrole du pays : la compagniechinoise China National Petroleum Corporation (CNPC) y exploreactuellement plusieurs primtres22. Les principaux mouvements

    21 Voir F. Bouhlel-Hardy, Y. Guichaoua, A. Tamboura,Crises touargues au Niger et au Mali , Ifri, sminaire du 27 novembre 2007,www.ifri.org/downloads/Sem_crisestouaregues_FR.pdf.22 La compagnie nationale chinoise CNPC a pu reprendre ses travaux dexplorationsur le champ de Tnr aprs que le prsident nigrien, Mamadou Tandja, a levlinterdiction dexplorer la zone le 27 novembre 2009. Depuis 2007, un document

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    touaregs des annes 1990, comme le Front patriotique nigrien(FPN) et le Front des forces pour le redressement (FFR), ont acceptlaccord doctobre 2009. Cependant, rien ninterdit de penser que siles rsultats du processus de rintgration dplaisent une faction,la rbellion ne repartirait pas aussitt sous un autre nom. Le TSGPpourrait tre un bon prtexte pour exiger plus du gouvernement. Ilfaudrait peu de moyens pour vandaliser un gazoduc impossible protger sur les 844 kilomtres de son trac sur le territoire nigrien.En tout cas, les autorits nigriennes devront ngocier avec lesTouaregs et les communauts locales pour le passage du gazoducsur leurs terres. Au cas o une faction ne serait pas satisfaite dunaccord avec Niamey sur les retombes financires du TSGP, unenouvelle instabilit serait craindre.

    Le cas dAQMI est galement pris trs au srieux par lAlgrieo plusieurs attentats meurtriers et kidnappings ont eu lieu depuis2007. Tous les pays de la rgion sont confronts avec plus ou moinsdintensit aux actions dAQMI, comme la Mauritanie o son action acommenc avec le meurtre de quatre Franais en dcembre 2007 etle Mali qui a connu de nombreux enlvements avec demande deranon. Ce mouvement aurait des centres dentranement dans cettezone dsertique aux confins de lAlgrie, du Mali et de la Mauritanie.Les services de renseignement franais et amricains y font, cetitre, des reprages rguliers depuis 200723. Cette zone est dautantplus surveille quelle est propice au trafic de drogue pour les mmesraisons quau Niger : contrle insuffisant des tats par manque demoyens et immensit des zones surveiller. Nombre de com-muniqus de lAQMI sont dirigs contre les ressortissants franaismais, dans les faits, ses actions visent tous les Occidentaux, ainsique les militaires des pays o le mouvement est implant. AQMIconnait mieux que personne le Sud de lAlgrie o le gazoductranssaharien doit ncessairement passer. Si, en Algrie, AQMI na jamais officiellement menac la construction du TSGP, il est craindre que cette relative quitude change avec lventuel dbut destravaux. La major franaise Total a fait publiquement part de sonintrt pour ce projet en mai 200924 ; le gazoduc pourrait devenir unsymbole fort des intrts franais en Algrie et serait ainsidoublement vis.

    interdisant dexplorer cette rgion tait sign par le prsident de la Rpublique tousles trois mois la lumire des activits des Touaregs.23 Les tats-Unis vont plus loin que les simples reprages. Le Pentagone a consacrquelque 436 millions de dollars entre 2005 et 2009 au programmeOperation Enduring Freedom-Trans Sahara (OEF-TS), lui-mme prcd par laTrans-Sahara Counterterrorism Initiative (TSCTI) lance en 2005 et laPan Sahel Initiative (PSI) en2002. Prs de 170 soldats amricains ont notamment form la lutte contre leterrorisme les armes des diffrents pays impliqus dans le programme OEF-TS :Algrie, Mali, Mauritanie, Tchad, Burkina-Faso, Sngal et Tunisie. Les tats-Unisconsidrent cette zone comme le troisime foyer terroriste le plus dangereux aprslIrak et lAfghanistan.24 Africa Energy Intelligence , numro 605, 27 mai 2009.

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    Malgr ces menaces, une sorte de soft power de ce grandprojet gopolitique fonctionne auprs dautres pays de la rgion. LeMali qui nest pas, priori, sur le trac du TSGP, prpare activementdepuis lt 2009 un argumentaire pour convaincre ses homologuesnigrian et algrien de lintgrer dans laventure25. LAutorit pour lapromotion de la recherche ptrolire (AUREP) au Mali a commanden septembre 2009 un rapport de prfaisabilit la compagniecanadienne ERCO Worldwide, dont les conclusions ont t renduesau Mali en fin danne 2009. ERCO conclut quil y aurait un faiblemais rel avantage comparatif en faveur dun trac passant par leMali26. Pour en arriver cette conclusion, les Canadiens ont dcomparer le relief du territoire malien celui du Nord du Niger,pouvant justifier un changement de trac. ERCO a galement d seprononcer sur le potentiel gazier du Mali, dont une partie pourrait treinjecte dans le TSGP. La Socit financire internationale, filialeprive de la Banque mondiale, a galement t sollicite par Bamako

    pour participer lactionnariat du TSGP. Le prsident nigrian UmaruYarAdua sest dit prt ds novembre 2009 rencontrer le prsidentmalien Amadou Toumani Tour. Mais, comme nous lavons men-tionn plus haut, de novembre 2009 fvrier 2010, Umaru YaAduatait hospitalis en Arabie Saoudite pour un problme de cur,bloquant toute discussion. Quant Abdelaziz Bouteflika, il a ragi findcembre 2009 la proposition malienne par lintermdiaire dunelettre signe de son ministre du Ptrole Chakib Khelil, qui devrait serendre bientt Bamako pour en discuter avec le prsident malien. Ilest cependant trs improbable que le Mali soit un jour impliqu dansce projet. Les rserves gazires du pays y sont pour le momentinconnues, aucun forage ny a t effectu depuis les annes 199027.De plus, le passage par son territoire impliquerait selon plusieursspcialistes interrogs une hausse des cots de construction dugazoduc. Il est trs improbable que le Mali arrive lever des fondspour un gazoduc qui nest pas du tout dans la priorit des bailleurstraditionnels. Le projet semble dj difficile trois acteurs, unquatrime ne ferait que le compliquer davantage. Dernier lment quine plaide pas en faveur de la proposition malienne : les offensivesrptes de larme algrienne contre AQMI depuis trois ans ontconduit un grand nombre de combattants trouver refuge dans leNord du Mali. Les relations entre Algrie et Mali se sont dailleursconsidrablement dgrades en grande partie cause de ce sujet.

    25 Africa Energy Intelligence , numro 615, 4 novembre 2009.26 ERCO, tant mandat par ltat malien, serait en position dlicate si sesconclusions taient diffrentes.27 Les espoirs du Mali reposent sur le futur forage de Sipex (filiale ltranger de laSonatrach algrienne) dans le bloc 20 du bassin sdimentaire de Taoudeni (partagentre le Mali, la Mauritanie et lAlgrie). Ce forage a t report au mois de juillet2010. Ce report tient principalement au fait que Sipex attend les rsultats du forageentrepris depuis la fin de lanne 2009 par Total en Mauritanie sur le mme bassinsdimentaire.

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    La stratgie africaine du Kremlin :ltouffement de lUE ?

    Lors du sommet de Paris de septembre 2000, lUnion europenne aentam avec la Russie un nouveau dialogue sur lnergie. Lun desbuts de cette rencontre tait de se concerter sur la rponse donner laugmentation rapide de la demande nergtique dans la zone UEet en particulier celle du gaz. Il y avait lpoque une totale confiance

    entre les deux blocs. La question tait de savoir si la Russieaccepterait et aurait les moyens de rpondre aux besoins europens.En effet, la dpendance de lUE vis--vis de la Russie va devenircrasante si aucun changement de politique nergtique nest opr.Le ministre russe de lnergie indique mme que lUE dpendrait 70 % de la Russie pour son gaz dici 2050 (pourcentage peineexagr si rien ne change). Plusieurs gazoducs sont actuellement enconstruction pour permettre lUE, dont la consommation aug-menterait considrablement moyen terme, dobtenir suffisammentde gaz de la Russie28. Cest le cas notamment du North EuropeanGas Pipeline act par la signature dun contrat en 2005 entre laRussie et lAllemagne.

    Le problme actuel entre les deux blocs provient de la rcentebaisse de confiance de lUE envers la Russie29, suite la baissemomentane des approvisionnements gaziers russes en 2006 et en2009, due un diffrend avec lUkraine30. LUkraine est actuellementle passage quasi oblig pour lentre du gaz russe en Europe, 80 %des importations du gaz russe destination de lEurope passant par

    28 Projet Nord Stream.29 Voir ltude dtaille de Susanne Nies,LUkraine, un pays de transit dans limpasse , Paris, Ifri, dcembre 2009.30 La Russie exigeait de lUkraine quelle paie, partir du 1er janvier 2006, le mmeprix que lUE, soit lpoque 220 dollars les 1 000 mtres cubes, alors quelle nesacquittait que du quart jusqualors. Finalement lUkraine obtiendra de Gazprom uneaugmentation graduelle : 95 dollars en 2006, 130 en 2007 et 179 en 2008.Actuellement, lUkraine paie son gaz plus cher que lEurope. Avant 2006, lUkraineprofitait dun tarif prfrentiel du fait de la relation privilgie entre les deux tatsissus du bloc sovitique. Llection fin 2004 la tte de lUkraine du candidatsoutenu par nombre de pays occidentaux, Victor Iouchtchenko, a fait voluer ladonne gopolitique. la suite de cette lection, la Russie a trait lUkraine commeun client beaucoup moins privilgi. Malgr larrive en fvrier 2010 du candidat pro-russe au pouvoir Kiev, Viktor Ianoukovitch, le Kremlin ne va sans doute pas revoirsa politique visant faire payer lUkraine un prix proche de celui du march, enparticulier aprs que la Russie a connu une dcroissance de 8 % en 2009 (Fondsmontaire international).

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    son territoire. Due, lUE a tir de cet pisode la leon dunencessaire diversification, lavenir, de ses sources dappro-visionnement, mme si la Russie, par ltendue de ses rserves,restera obligatoirement lun des principaux fournisseurs europens31.Cest dans ce contexte de mfiance que lUE montre peu peu sonintrt pour le TSGP. Le prcdent commissaire europen lnergie, Andris Pielbags, a dabord appuy le projet lors dunerunion concernant les futurs gazoducs entre lAfrique et lUE ennovembre 2006 Alger. Une runion des ministres de lnergie despays membres de lUnion sest tenue le 18 dcembre 2007, Limassol, pour voquer les priorits nergtiques du budget duprogramme euro-mditerranen pour 2008/2013. A. Pielbags y avoqu nouveau, mais une seule reprise, lintrt de lUE pour leprojet. Cest seulement le 11 septembre 2008 que lUE a donn unsigne plus volontariste avec la venue dA. Pielbags Abuja auNigeria : le commissaire europen propose le financement de nou-

    velles tudes de faisabilit du gazoduc. Il suggre des pistes pour lefinancement du TSGP par lintermdiaire de la Banque europennedinvestissement (BEI) ou lEU Infrastructure Fund. Le 13 novembre2008, la 2 nd Strategic Energy Review qui adopte, pour deux ans, lespriorits dinvestissement en matire dnergie de lUE, ne faitqu examiner comment intgrer le TSGP32 . Le 22 janvier 2009,lambassadeur de la Rpublique tchque au Nigeria, Jaroslov Siro,dclare publiquement lintrt de son pays pour le TSGP, enparticulier dans un contexte de crise Ukraine-Russie . J. Siroexprime la position dun pays approvisionn 100 % en gaz par laRussie, comme la quasi-totalit des pays dEurope de lEst ; laRpublique tchque a donc un besoin imprieux de pousser lUE une diversification. Alors que rien de concret ne vient de Bruxelles, leministre du Ptrole nigrian Rilwanu Lukman se rend dans la capitaleeuropenne les 26 et 27 mars 2009 pour attirer nouveau lattentionde lUnion sur le TSGP. Reu poliment, il repart au Nigeria sans lemoindre engagement.

    Ces deux dernires annes, lUE montre de plus en plusdintrt, au moins en paroles, pour le TSGP, car de son ct, laRussie, avec son gant tatique gazier Gazprom, pose les jalonsdune coopration active avec le Nigeria et lAlgrie. La cooprationavec lAlgrie commence par un accord avec la compagnie nationaleSonatrach sign en aot 2006. Gazprom doit cependant attendre

    dcembre 2008 pour la premire concrtisation de cet accord, grce son entre sur le champ dEl Assel. Or, cest en grande partie grce

    31 La Russie a conscience quune grande partie de ses rentres de devises vient dela vente de gaz en Europe, elle ne peut donc pas se permettre de bloquer ladistribution gazire pendant de longues priodes. Mais le simple fait quelle ait utiliscette arme a fait rflchir lUE. Les conomies des deux blocs sont cependantintrinsquement lies : dun ct lUE besoin de gaz pour faire fonctionner sonconomie et de lautre la Russie a besoin de vendre son gaz pour faire fonctionnerltat, en particulier en regard de son conomie assez peu diversifie.32 Europe Information Service , 13 novembre 2008.

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    aux assurances donnes par Gazprom au ministre algrien dbut2008 sur la construction du TSGP que cette participation a pu treacquise. Pourtant, plusieurs voix se sont leves contre larrive deGazprom en Algrie, comme celle du prsident de lpoque deSonatrach, Mohamed Meziane. Ce dernier dclare en mars 2008 queGazprom na rien fait en Algrie depuis la signature de sonMemorandum of Understanding (MOU) et quil ne sera pas lun desconstructeurs du TSGP. Cette dclaration est dcrypte par unquotidien russe comme une attaque anti-russe33. Cependant, M.Meziane ne posera plus de problme dans lavenir pour lesinvestissements russes en Algrie, puisquil a t dmis de sesfonctions en janvier 2010 pour prsomption de corruption34.

    Lentre au Nigeria a t encore plus laborieuse pourGazprom. Aprs un premier voyage Abuja du prsident VladimirPoutine en 2007, une dlgation de Gazprom se rend Abuja en janvier 2008 pour proposer un partenariat nergtique. La socitrusse se dclare pour la premire fois officiellement intresse pourconstruire le TSGP. UnMOU trs vague est sign en septembre2008 entre Gazprom et la NNPC ; lide dune collaboration danslexploration, la production et la distribution dhydrocarbures dans lepays y est mentionne. Il faut attendre le voyage officiel du nouveauprsident russe Dimitri Medvedev au Nigeria35 fin juin 2009 pourquune joint-venture appele Nigaz soit cre entre les deux socitsnationales. Le projet prioritaire de Nigaz est la ralisation du premiertronon du TSGP (qui partirait du Delta pour aller au nord du pays).Gazprom sduit le pouvoir nigrian en proposant, ds lespremires ngociations, de construire des rseaux pour rcuprer legaz torch par les socits qui exploitent les ressources du Delta.Ces rseaux permettraient notamment daugmenter la capacitlectrique des cinq centrales au gaz, proposition laquelle lesautorits nigrianes sont sensibles. Le chiffre de 2,5 milliards dedollars dinvestissement global est rgulirement mis en avant par lapartie russe pour montrer son engagement aux autorits nigrianes.Gazprom tente galement, pour le moment sans succs, dobtenirdes champs gaziers en change de ses bons offices sur laconstruction de rseaux gaziers.

    La stratgie de Gazprom concernant le TSGP se comprendmieux en analysant ses activits avec les autres pays producteurs dela rgion du golfe de Guine et de lAfrique du Nord. Gazprom tentede circonscrire toute possibilit de diversification de lUnion

    33 Nezavisimaya Gazeta , 28 mars 2009. Quotidien russe plutt gauche surlchiquier politique.34 Africa Energy Intelligence , n620, 19 janvier 2010.35 Durant son priple africain du 23 au 27 juin 2009, Dimitri Medvedev est galementpass par lgypte (pour le gaz et la diplomatie rgionale), la Namibie (uranium etconstruction dune centrale lectrique au gaz) et lAngola. Dans ce dernier pays,plusieurs partenariats stratgiques ont t signs, notamment dans le secteur delnergie. LAngola nexporte pas encore de gaz et nest donc pas encore une grandesource dinquitude pour la Russie dans sa stratgie dencerclement europen.

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    europenne. Le 17 octobre 2008, le prsident de Gazprom, AlexeMiller, se rend Malabo en Guine quatoriale pour signer, commeau Nigeria, un autre MOU initiant une coopration, elle aussi peuprcise, entre les deux tats. On sait aussi que la Russie vise desprises de participation dans le deuxime train de liqufaction delusine EG LNG. Les MOU avec le Nigeria, la Guine quatoriale etlAlgrie permettent Gazprom desprer contrler un jour une partiedu gaz allant lUnion europenne. Pour boucler sa stratgie,Gazprom a galement mis un pied en Libye : A. Miller a propos lorsdun voyage Tripoli en juillet 2008 de construire des rseaux degazoducs ainsi que des raffineries en change dun accs auxhydrocarbures du pays (quatrime rserve gazire du continent).Cette stratgie a t couronne de succs puisque Gazprom aremport 33 % de limportant champ gazier dEl Feel en dcembre2008. La Libye vend quasiment toute sa production gazire lEurope ; le TSGP est loin de ses frontires, mais dans une stratgie

    rgionale, sa participation ne serait pas dnue de sens.Cette stratgie dencerclement de tous les tats gaziers

    mme dapprovisionner le TSGP ou de liqufier du gaz destinationde lUE a t dcrite trs prcisment dans un rapport du CentroNacional de Inteligencia (services secrets espagnols). Renduespubliques par le quotidienEl Publico en avril 2009, les conclusions dece rapport mettent en exergue lide que la stratgie daccords tousazimuts de Gazprom en Afrique et au Moyen-Orient a comme uniquefinalit de contrler tous les circuits dapprovisionnement de gaz verslUnion europenne. Si ce rapport est excessif en considrantlencerclement europen comme le seul objectif des Russes, il a lemrite de mettre en valeur la crainte de certains pays de lUniondtre mis sous tutelle nergtique par son grand voisin de lEst.

    Les accords de Gazprom en Afrique nont pas, comme nouslavons dit, comme but unique lencerclement europen. La Russiecherche aussi retrouver une certaine influence conomique etdiplomatique auprs des pays africains. La chute de lURSS lui a faitperdre ses relations privilgies avec certains pays du continentcomme lAlgrie, la Libye, la Guine, lAngola ou le Mozambique ; elleconcentre dsormais ses efforts dans les pays o elle peut se fairepayer de retour avec des contrats commerciaux comme danslnergie ou les mines. Elle aide aussi ses compagnies prives fairedes affaires. Le dernier voyage du prsident Medvedev de juin 2009est ce titre illustratif : une dlgation de deux cents chefsdentreprise laccompagnait. Medvedev mne, comme son Premierministre Vladimir Poutine, une diplomatie africaine trs dirige versles affaires, en noubliant pas le pilier central : lnergie. La Russiepossde les premires rserves mondiales de gaz avec 43 trillions depieds cubes, soit 23,4 % des volumes dcouverts jusqu main-tenant36. Elle vend dj une bonne partie de son gaz lUE et narrive

    36 BP Statistical Review of World Energy 2009 .

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    pas encore dvelopper dautres relais de croissance : la vente deptrole et gaz compte pour plus de 60 % des exportations du pays.Elle doit donc mener une politique trs en amont pour, terme,profiter des autres projets approvisionnant en gaz lUE. Cependant,ses intentions concernant le TSGP ne sont pas encore clairementdiscernables. Durant leurs voyages africains, les dirigeants russesdonnent limpression de parler du TSGP pour faire plaisir leurshtes sans convaincre vraiment quils croient sa pertinenceconomique et scuritaire. Sil se ralise, ils veulent en tre lun despartenaires, mais sil ne se fait pas, cela na apparemment pasbeaucoup dimportance leurs yeux, et cest mme probablementstratgiquement prfrable pour eux car cela met de ct uneopportunit de diversification pour lEurope. Labsence davance surle TSGP leur donne du temps pour mieux simplanter dans les paysdu golfe de Guine et tenter dobtenir des rserves dvelopper.Compare la Russie, lEurope manque de ractivit, se contentant

    pour le moment de dclarations dintention sans lendemain. Elle faitla course derrire les dirigeants russes, mais ne sest encoreengage sur rien de concret, au grand dplaisir des Nigrians etAlgriens. Le dernier voyage, le 10 fvrier 2010 Lagos, du vice-prsident de la BEI en charge de lAfrique subsaharienne, PlutarchosSakellaris, ne va pas dans le sens dun changement de la politiquenergtique europenne envers le TSGP. P. Sakellaris a en effetsign pour 240 millions deuros de prt pour lamlioration du rseaulectrique ainsi que pour la cration duneNational Gas Distribution Grid (rseau gazier national) ; absolument aucun financement nat prvu pour le gazoduc transsaharien37.

    37 Africa Energy Intelligence , n622, 16 fvrier 2010.

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    Des compagnies internationalesaux discours tactiques

    Le Trans Saharan Gas Pipeline est un projet coteux : on a parl de7, puis de 10 milliards de dollars et on voque dsormais le chiffre de21 milliards de dollars (ce dernier montant semble tout de mmeexagr). La construction du TGSP prendrait des annes etnombreux sont les dangers menaant son trac. Cependant,

    plusieurs socits europennes ont dj dclar lintrt quellesportent ce gazoduc, qui serait le plus long dAfrique et lun des pluslongs du monde. Les plus importantes sont Total (France), ENI (Italie)et Gas Natural et Repsol (Espagne). Des dirigeants de Total se sontexprims deux reprises en 2009 ce sujet : une premire fois parlintermdiaire du directeur Nigeria du groupe, Guy Maurice, le 25fvrier lors dun sommet ptrolier Abuja, et ensuite par la voix dudirecteur Afrique du Nord, Jean-Franois Arrighi de Casanova, lorsdun entretien la revuePtrole et Gaz Arabes en mars 2009. Cesdeux dirigeants dclarent, en substance, quaprs avoir tudi lesdonnes techniques disponibles, le TSGP leur semble intressant. LePDG dENI, Paolo Scaroni, est un peu plus explicite dans un entretien

    donn lhebdomadaire franaisJeune Afrique en mai dernier : Leprojet men par la Sonatrach et la NNPC nous intresse enparticulier car nos quipes matrisent la technologie de transport haute pression ncessaire au dveloppement de ce gazoduc .Quant Gas Natural et Repsol38, elles ont maniest leur volontdintgrer le projet plusieurs reprises en 2009, restant cependantassez vagues tout comme leurs homologues. Connaissant lesinnombrables contraintes et risques de ce gazoduc, on peutsinterroger sur les raisons objectives de ladhsion de ces socitsau TSGP alors que la rentabilit est systmatiquement le premiercritre dinvestissement.

    Lhypothse dune relle volont dinvestir est peu probable.La raison qui explique le plus logiquement ces interventionspubliques est la mme que pour Gazprom : le fait de parler du TSGPest une simple stratgie, qui vise flatter les autorits des pays htesdu projet, en particulier celles du Nigeria, afin dobtenir un accs auxrserves et donc aux champs de ce pays. Le TSGP est port, depuisle dbut, par les mmes personnes, les ministres du Ptrole du

    38 Africa Energy Intelligence , n614, 21 octobre 2009,

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    Nigeria, Rilwanu Lukman39, et de lAlgrie, Chakib Khelil, autoritsqui, dans leur pays respectif, ont aussi le plus de poids danslattribution de contrats dexploration/production. Quant aux dcla-rations publiques des majors sur le TSGP, elles sont, en grandepartie, la consquence dun repositionnement tactique. Les socitsptrolires ont besoin de renouveler leurs rserves ptrolires etgazires tout prix, pour ne pas voir leur cours de bourse chuter.Depuis la dernire flambe des cours du ptrole, les conditionsdaccs aux ressources se sont considrablement durcies, y comprisen Afrique. Total dveloppe de multiples projets au Nigeria (unecinquantaine de permis) et ENI y est galement trs bien implantepar lintermdiaire de sa joint-venture avec la NNPC. Ces socitsveulent continuer y travailler et pouvoir ventuellement prendre peu peu lascendant sur leurs rivaux : Royal Dutch Shell40, Exxon-Mobilet Chevron-Texaco. Le Nigeria, dans sonGas Masterplan, a prvenuquil ne donnerait plus accs aux ressources sans un engagement

    contractuel des socits pour dvelopper les zones aux abords deschamps. Les tats producteurs ont compris quen tant que dtenteursdes rserves, ils sont en position de force et doivent faire payer auprix fort une ressource puisable et finie ; la question est devenuecentrale pour la souverainet de ces tats. Quant Gas Natural etRepsol, elles essaient dsesprment dentrer dans lexploration auNigeria depuis plusieurs annes ; parler du TSGP leur permetprobablement dtre mieux accueillies Abuja. Toutes ces socitssuivent donc la mme stratgie que Gazprom : dans le cas o leTSGP se raliserait, elles auraient intrt y tre associes car ellesseraient toutes concernes directement par ce gaz destination delEurope. Le Transsaharien arriverait directement de lAlgrie en Italieet en Espagne et le gaz remonterait vers la France : que les plusgrosses socits de ces trois pays sy intressent parat donclogique, et ce dautant plus que la concurrence dans lindustrie deconstruction des gazoducs et oloducs est de plus en plusmondialise,41. Il est frappant de voir que, hormis ces compagnieseuropennes directement concernes par la ralisation du TSGP,aucune autre socit, amricaine ou asiatique par exemple, na pourle moment manifest dintrt. Cela sexplique par le fait que le TSGP

    39 R. Lukman tait, lors du lancement du projet en 2001, conseiller pour leshydrocarbures du prsident nigrian Olusegun Obasanjo.40 Shell a trs mauvaise rputation au Nigeria depuis les problmes politiques desannes 1990 o elle a t accuse dtre complice du pouvoir de Sani Abacha. Enoutre, tant la major la plus ancienne dans le Delta et celle qui produit le plus, elleest dautant plus expose. Actuellement, le gouvernement nigrian soulve desdifficults pour le renouvellement de plusieurs de ses permis.41 Lune des compagnies publiques libyennes, Tamoil Oil, sest beaucoup investiedans la construction doloducs ces dernires annes avec plusieurs projets enRpublique dmocratique du Congo ainsi quen Ouganda pour amener les produitsptroliers de la ville kenyane dEldoret Kampala (projet pour lequel les travaux sontrgulirement repousss). Les Chinois possdent galement de nombreusessocits capables de construire des oloducs et des gazoducs dans des conditionsdifficiles et sur des distances de plusieurs milliers de kilomtres.

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    ninspire toujours pas confiance aux professionnels du secteur.Dailleurs, lapparition doffres financires fermes de socitschinoises, malaisiennes ou des gants amricains dj prsents auNigeria, pourrait signifier que le transsaharien nest plus un projetmirage sans fondement solide, mais quil fait partie des projetsviables, intressants financirement. En conclure que le TSGP nestactuellement quun cheval de Troie pour les socits qui veulentmaintenir ou crer de bonnes relations avec Abuja et Alger ne semblepas exagr.

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    Conclusion

    Le projet du Trans Saharan Gas Pipeline est en discussion, au plushaut niveau, depuis le dbut des annes 2000, et a connu plusieursavances non ngligeables. La premire est sa faisabilit technique,valide par une tude technique remise en 2006 aux gouvernementsdes pays membres du projet. Ceux-ci ont galement cr uneorganisation de suivi, diffrents niveaux de responsabilit. Desrunions intervalle rgulier permettent ainsi davancer pour

    surmonter les obstacles qui divisent les tats partenaires du TSGP.Ltude de faisabilit a cependant mis en vidence certainsproblmes que les gouvernements nont toujours pas rsolus, commecelui de la disponibilit des rserves gazires du Delta, pointessentiel que les investisseurs ne peuvent ngliger.

    Lanalyse de tous les lments du trac et des ralitsgopolitiques semble indiquer que le gazoduc ne sera pas construitdans limmdiat. Ce dlai nest en rien imputable des contraintestechniques qui seraient insurmontables : la construction de gazoducsde 4 000 kilomtres est dsormais matrise par de nombreuxcontractants. Au niveau de la topographie, il existe certes quelques

    difficults qui alourdissent le cot du projet, comme le passage par lemassif du Hoggar, mais rien dinsurmontable pour les compagniesspcialises. Il faut attendre de connatre le choix dfinitif du tracpour tudier les solutions proposes par les promoteurs devant cetype dobstacles.

    Cest linhospitalit des zones traverses, gopolitiquementdangereuses du fait des conflits passs ou en cours, qui sera lun desdfis majeurs du projet. Lincertitude de la ralisation tient aussi desraisons dordre conomique et des choix gopolitiques de lUnioneuropenne en termes de scurit nergtique : aujourdhui, aucuninvestisseur priv, aucun bailleur de fonds, aucun pays nont dpassla simple dclaration dintention pour le TSGP. LUE elle-mme,pourtant accule une diversification de ses approvisionnementsdans un futur proche du fait de la baisse annonce de sa productioninterne, nappuie pas concrtement ce projet. Elle importe seulement20 % du ptrole produit au Nigeria mais dj 80 % du gaz. Or, depuisles problmes dans le Delta, exacerbs depuis 2006 par les actionsdu MEND et la hausse des cots des industries de service ptrolier,tous les projets de construction dusines de LNG sont gels. A fortiori,un gazoduc au cot bien suprieur est peu susceptible de susciterlenthousiasme de la part des pays membres. Pour assurer lascurit de ses approvisionnements, lUE est donc susceptible de

  • 8/7/2019 Le Trans Saharan Gas Pipeline: Mirage ou relle opportunit?

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    B. Aug / Trans Saharan Gas Pipeline

    poursuivre sa stratgie actuelle de dveloppement des projets de gaznaturel liqufi grce au gaz venant entre autres du golfe Persique,des tats-Unis et de lgypte. Plusieurs terminaux de regazificationsont dailleurs en construction dans les pays bordant la cte nord dela Mditerrane. Ce choix vers une prfrence du transport parmthanier ne contredit cependant en rien son soutien aux projetsMedgaz et Galsi, tous deux ports par des socits majoritairementprives. Mais, pour le moment, ces deux projets seront uniquementaliments par du gaz algrien. Si lUE a jusqu prsent ragimdiatiquement sur le TSGP, cest dans lunique objectif de contrerGazprom et non par conviction que le projet est central dans sastratgie de diversification.

    Les nombreux entretiens que lauteur a mens avec desptroliers et des banquiers montrent combien le projet du TSGPsemble utopique aujourdhui, quasiment dix ans aprs son lancementformel. Les oloducs et gazoducs exigent toujours un temps deralisation long, mais les obstacles semblent ici particulirementdifficiles surmonter. La seule chance de ce gazoduc serait dtrefinanc, au moins en partie, par les pays traverss, pour attirerdautres acteurs. Or, le Nigeria, peupl de 150 millions dindividus, estexsangue financirement. LAlgrie a des rserves importantes endevises (grce la priode faste 2003-2008) mais ne compte paspayer la part de son grand voisin du Sud. Quant au Niger, il resteparmi les pays les plus pauvres du continent.

    De plus, il faudrait aussi des garanties fermes des bailleurs defonds pour que les socits prives sengagent investir le moindredollar. Le cas du TSGP ressemble celui de loloduc Doba/Kribi,construit en 2002-2003 pour transporter le ptrole du Sud du Tchadaux ctes camerounaises, pour lexportation. Si la Banque mondialenavait pas garanti le projet et dbours une part du cot des travaux,(quelques centaines de millions de dollars), il ne se serait jamaismatrialis. Les compagnies prives comme Exxon-Mobil avaientamplement les moyens de financer les 3,7 milliards de dollars, cottotal du projet. Cependant, elles avaient besoin dune sortedassurance de la Banque mondiale pour se lancer dans uninvestissement de cette ampleur, en particulier au Tchad o lesproblmes de gouvernance sont lgion. Malheureusement, cemontage ne peut pas servir de modle, car le Tchad, aprs avoirrembours la totalit de ses prts la Banque mondiale fin 2008, aclos le projet ptrole de la Banque Ndjamena. Celle-ci na doncplus aucun contrle sur la gouvernance du ptrole au Tchad. Lestats producteurs africains acceptent de moins en moinslinterventionnisme des bailleurs de fonds dans leurs affairesintrieures et ils le font savoir. La Banque mondiale, srieusementchaude, rflchira deux fois avant de sinvestir nouveau dansun projet, en loccurrence encore plus compliqu par le nombredacteurs concerns, les sommes en jeu et le problme daccs auxrserves. Sans clarification sur ce dernier point, on peut tre certainque le projet restera ltat dtudes.