le monde - 12 06 2020

36
UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws

Upload: others

Post on 11-Sep-2021

1 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: Le Monde - 12 06 2020

UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws

Page 2: Le Monde - 12 06 2020

2 | INTERNATIONAL VENDREDI 12 JUIN 20200123

Donald Trump dans une mauvaise passeEn chute dans les sondages, le président américain mise sur la reprise de l’économie pour rebondir

washington ­ correspondant

D onald Trump atten­dait cet instant avecimpatience. Les mee­tings politiques qui

lui donnent l’occasion de galva­niser sa base électorale repren­dront le 19 juin à Tulsa, dans l’Oklahoma, a­t­il annoncé, mer­credi 10 juin. Il n’a donné aucuneindication à propos d’éventuel­les mesures visant à réduire lesrisques de contamination alors que la pandémie de Covid­19progresse dans des Etats jusqu’à présent épargnés.

Le président des Etats­Unis es­père à cette occasion sortir de la posture défensive à laquelle il aété contraint depuis l’éclatementde la maladie, en mars, jusqu’aux manifestations contre les violen­ces policières déclenchées par la mort tragique de George Floyd,un Afro­Américain étouffé le25 mai par le genou d’un policier de Minneapolis (Minnesota) alorsqu’il gisait au sol, menotté.

Son image a été abîmée par cestrois mois de crise. Selon l’agréga­teur de sondages du site Real­ClearPolitics, son taux d’approba­tion a chuté de 47 % à 42 % pen­dant cette période alors que lesavis contraires ont augmenté dans la même proportion. Lesmoyennes des mesures d’inten­tions de vote calculées par Real­ClearPolitics montrent que son

adversaire démocrate, Joe Biden, dispose, au 10 juin, d’une avance deux fois supérieure à celle d’Hillary Clinton à la même date en 2016 (8,1 points contre 3,8).

Ces résultats sont purementindicatifs puisque les élections sejouent au niveau des Etats, maisl’ancien vice­président devanceégalement pour l’instant son adversaire dans la majorité des Etats­clés de 2016 – le Michigan, laPennsylvanie et le Wisconsin –, tout comme dans l’ancienbastion républicain de l’Arizona.L’écart entre les deux hommes reste cependant proche de la marge d’erreur dans de nom­breuses enquêtes.

Rencontre improviséeLa cote d’alerte est donc loin d’être atteinte, mais Donald Trump n’est visiblement pas àson aise dans la séquence ouvertepar la mort de George Floyd. Le président a, dans un premier temps, dénoncé le rôle majeur joué, selon lui, par l’extrême gauche dans les troubles qui ontémaillé les premières manifesta­tions, une accusation que rien n’est vraiment venu étayer. Il l’a reprise pourtant pour exonérer les policiers qui avaient bousculé un manifestant de 75 ans à Buffalo, dans l’Etat de New York,hospitalisé depuis. Donald Trump s’est inspiré à cette occasion des affirmations d’un

journaliste de l’agence de presse russe Sputnik, qui travaille égale­ment pour la chaîne de télévisionpréférée du président, OAN (One America News), depuis qu’iltrouve Fox News parfois tropcritique. Il a ajouté que le mani­festant était selon lui « tombé plusdurement qu’il avait été poussé », l’indice selon lui d’un « piège »tendu aux policiers.

Donald Trump a été ensuitecritiqué pour avoir privilégié uneréponse strictement répressiveà la mobilisation déclenchée parla mort de George Floyd, niant à rebours de l’opinion améri­caine toute forme de racismesystémique. La Maison Blanchea laissé entendre que le prési­dent pourrait prononcer undiscours consacré à ce sujet, peut­être lors d’un déplacementà Dallas, au Texas, jeudi.

Une table ronde avec des figuresafro­américaines a bien été im­provisée, mercredi, mais Donald Trump a ouvert la discussion en annonçant la reprise de ses mee­tings, l’éventualité du déplace­ment de la convention nationale d’investiture républicaine – ini­tialement prévue en Caroline du Nord –, avant de se féliciter lon­guement des signes annoncia­teurs, selon lui, d’une reprise de l’économie. Ses interlocuteurscomptaient parmi ses thurifé­raires. « Je voudrais dire à tous les médias que j’aimerais qu’ils

cessent de mentir sur ce que [le président a] fait, en particulier pour la communauté noire », a as­suré l’un d’entre eux.

L’évolution rapide de l’opinionaméricaine sur la question des violences policières ne cesse deplacer Donald Trump en porte­à­faux. Il s’est indigné du revire­ment du patron de la NationalFootball League (NFL), RogerGoodell, désormais ouvert à ceque les joueurs de la ligue profes­sionnelle de football américain expriment publiquement leur condamnation de ces violences.

Enfin, la National Associationfor Stock Car Auto Racing (Nas­car), qui organise un champion­nat automobile très populaire, a banni, mercredi, « la présence du drapeau des confédérés », celui des Etats sudistes esclavagistes pendant la guerre de Sécession (1861­1865), pour tous les événe­ments qu’elle organise.

« Manque de respect »Donald Trump s’est singularisé en annonçant, mercredi, surTwitter, son intention de s’oppo­ser à l’hypothèse envisagée par lePentagone de rebaptiser lesbases militaires portant le nomd’officiers confédérés. Unebonne partie d’entre elles ont étécréées au pic du mouvement ditde la « cause perdue » consacré à la réhabilitation des Sudistes,pendant les années de la ségréga­tion. Les statues en hommage àces hommes se sont égalementmultipliées au cours de la mêmepériode. Un ancien général,David Petraeus, a pris publique­ment position en faveur d’unchangement de nom dans lescolonnes du magazine TheAtlantic, dénonçant l’honneurfait selon lui à des « traîtres ».

La porte­parole du président,Kayleigh McEnany, a défendu Donald Trump en assurant qu’une telle décision revenait à

« manquer de respect » vis­à­visdes militaires qui sont passés par ces bases. Le président avait dé­fendu cette mémoire sudisteaprès les heurts qui avaient op­posé à Charlottesville (Virginie) des suprémacistes blancs et des militants antiracistes, en 2017.

D’anciens militaires, commel’ex­ministre de la défense JamesMattis, avaient également criti­qué la volonté du président d’en­voyer l’armée contre les manifes­tants, un vœu qui avait suscité unréel malaise au Pentagone.

Les difficultés rencontrées parDonald Trump n’ont cependantpas ébranlé sa base électorale, etrares ont été les voix au Congrèsà condamner la théorie ducomplot popularisée par le prési­dent à propos du manifestant deBuffalo. Interrogés par le journa­liste parlementaire de la chaîneCNN Manu Raju, de nombreuxsénateurs ont ainsi assuré, mardi, n’en avoir pas eu connais­sance. Ils ont de même refusé delire la copie du message qui avaitété préparé à leur intention.

Comme l’a montré la teneur deson intervention lors de la tableronde de mercredi, DonaldTrump espère que la reprise del’économie lui permettra d’effa­cer cette période délicate. L’ef­fondrement entraîné par la miseà l’arrêt du pays du fait de la pandémie peut jouer paradoxa­

lement en sa faveur, en replaçantles préoccupations économi­ques en tête des priorités desAméricains.

Le baromètre de l’institut Ipsospour l’agence de presse Reutersen atteste. Sa dernière enquête, effectuée les 8 et 9 juin, montre que l’économie est redevenue lesujet de préoccupation principal (20 %) devant la santé (18 %), long­temps dominante, l’emploi (10 %), l’immigration (6 %) et leterrorisme (3 %). Alors que les démocrates continuent de consi­dérer la santé comme une prio­rité, ce n’est pas le cas des républi­cains ni des indépendants.

Image favorable sur l’économieDonald Trump jouit en la ma­tière d’une image favorable. Son action pour l’économie estapprouvée par une majorité depersonnes interrogées (50 %contre 44 % d’avis opposés), toutcomme en matière d’emploi (52 % contre 42 %). En revanche, ilest minoritaire à propos de lalutte contre le Covid­19 (43 %contre 52 %), de la réforme de la santé (40 % contre 53 %), et plusencore sur sa « capacité à unifierle pays » (38 % contre 57 %).

Donald Trump a donc toutesles raisons de se concentrersur ce domaine même si les pré­visions de la Réserve fédéraleaméricaine (Fed, la banque cen­trale) communiquées mercredi10 juin ne nourrissent pas unoptimisme échevelé. Pour l’ins­tant supérieur à 13 %, le tauxde chômage pourrait en effetdépasser encore 9 % à la fin del’année, et 5 % en 2022, soit unchiffre plus élevé que celui dontDonald Trump avait hérité en ar­rivant à la Maison Blanche (4,5 %)en 2017. La bonne santé persis­tante de l’économie avait ensuitepermis d’atteindre un étiagehistorique de 3,5 %.

gilles paris

Donald Trump rentre à la Maison Blancheaprès s’être rendu à l’église Saint­John, à Washington, le 1er juin.BRENDAN SMIALOWSKI/AFP

Selon un agrégateur de

sondages, le tauxd’approbation

de Donald Trump a chuté de 47 %

à 42 % entre mars et mai

Si la cote d’alerteest loin d’être

atteinte,le président n’est

pas à son aise dans la séquence

ouvertepar la mort

de George Floyd

Des statues de Christophe Colomb ciblées par des manifestantsUne statue de Christophe Colomb a été décapitée, mardi 9 juin au soir, à Boston, et une autre traînée dans un lac en Virginie, dans la foulée du mouvement antiraciste relancé aux Etats-Unis par la mort de George Floyd, le 25 mai. De son côté, la présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, a appelé, mercredi, au retrait des statues de confédérés du Capitole, à Washington. « J’appelle encore une fois à retirer du Capitole les onze statues représentant des soldats et des responsables confédérés », a tweeté l’élue démocrate de Californie.

UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws

Page 3: Le Monde - 12 06 2020

0123VENDREDI 12 JUIN 2020 international | 3

« Le statu quo n’est pas tenable » au sein des Vingt­Sept sur l’asileNina Gregori, la directrice du Bureau européen sur l’asile, défend une refonte du système

ENTRETIEN

N ina Gregori est directricede l’EASO, le Bureaueuropéen d’appui en

matière d’asile. Elle estime que lesflux de réfugiés vers l’Europe pourraient augmenter en raison de la pandémie due au Covid­19.

Quel a été l’impact du Covid­19 sur l’asile en Europe ?

Le nombre de demandes d’asileenregistrées en Europe a chuté de 43 % en mars et de 86 % en avril, avec 8 730 demandes. A cause de lacrise, les entrées en Europe ont étépratiquement stoppées et, dans la plupart des Etats, les procédu­res d’asile ont été suspendues. Leschoses sont en train de reprendre doucement. Si on regarde la situa­tion avant la crise due au Covid­19,il y avait plutôt une augmentationdes demandes de protection en Europe, principalement du fait de ressortissants de pays exemp­tés de visa, comme les Vénézué­liens et les Colombiens. Alors qu’ily a quelques années, ces pays n’étaient pas dans le top 10 des de­mandes d’asile, plus de 45 600 Vé­nézuéliens et 32 400 Colombiens ont déposé une demande en 2019.

Comment voyez­vous la demande de protection évoluer à moyen terme ?

Les pays à faibles revenus sontplus vulnérables face aux pandé­mies. Et ce sont des pays dont sonttraditionnellement originaires les principaux demandeurs d’asile enEurope, comme la Syrie, l’Afgha­nistan, l’Irak ou le Pakistan. On ne peut pas faire de spéculation, maisles Etats membres doivent être at­tentifs au fait que cela peut faire augmenter les flux vers l’Europe.

La crise sanitaire peut­elle remettre en cause la capacité d’accueil des pays de première entrée en Europe ?

En 2019, l’Espagne a reçu le troi­sième plus grand nombre de demandes d’asile, la Grèce le quatrième et l’Italie le sixième. Malte, qui a la plus petite popula­tion de l’UE, s’est retrouvé au 15e rang. Je rejette l’idée selon la­quelle les pays en première lignene sont pas ouverts. La situation sur le terrain dit le contraire et,bien qu’il y ait toujours des événe­ments regrettables très médiati­sés, tels que des bateaux de mi­grants qui restent bloqués, la réa­lité est que les Etats en première li­gne font largement de leur mieux.

Je ne pense pas que le Covid­19aura un impact direct immédiat sur les attitudes envers la migra­tion et l’asile. Il pourrait, cepen­dant, inciter à accorder plus de va­leur à la vie humaine, contrant ainsi les discours extrémistes. Dans le même temps, ses retom­bées économiques pourraient exercer encore plus de pression sur les finances nationales, au dé­triment des services d’asile et des structures d’accueil. Il est encore trop tôt pour le dire.

Il n’existe toujours pas de cadre légal de répartition des migrants secourus en mer Méditerranée…

C’est un blocage politique. DesEtats veulent un système obliga­toire de relocalisation, d’autres non ; certains veulent faire respec­ter le règlement de Dublin [selon

lequel le pays d’entrée est chargé d’examiner la demande de protec­tion], d’autres considèrent qu’il nefonctionne pas… Il n’y a pas d’ap­proche commune sur l’asile. Ces différences de perception sont no­tamment liées aux positions géo­graphiques des Etats. Ceux de pre­mière entrée sont soumis à une forte pression. La Commission doit proposer un nouveau paquet européen sur l’asile prochaine­ment. Les Etats membres peuventtrouver un compromis.

Ce que l’UE fait ici est sans précé­dent dans le monde. L’élaborationd’un régime d’asile commun ju­ridiquement contraignant pour 27 pays n’a jamais été réalisée auparavant. Trois éléments sont essentiels pour le futur « paquet asile ». Il doit d’abord être juste. Lestatu quo n’est pas tenable. Tout comme les Etats membres se sontréunis pendant la crise, ce doitêtre le cas ici aussi. Le fait de ne pasavoir de solution équitable nuira non seulement à ceux qui fuient les guerres et la persécution, mais également au projet européen.

Le deuxième élément impor­tant est que ce pacte doit être du­rable. Nous ne savons pas com­ment évoluera la sécurité interna­tionale au cours des prochaines années et nous devons donc dis­poser d’un système qui puisse s’adapter. Si ce sont actuellement les Etats du Bassin méditerranéenqui sont en première ligne, rien negarantit que ce sera le cas à l’ave­nir. Un système d’asile durable estun système d’assurance pour tousles Etats membres. Enfin, il devras’agir d’un compromis. Il est clairqu’il n’y a pas de solution dont tout le monde sera entièrement satisfait. Il vaut mieux avancer lentement que pas du tout.

Les équipes de l’EASO contribuent à l’harmonisation des systèmes d’asile en Europe. Que doit­on attendre d’une telle convergence ?

L’harmonisation des procé­dures d’asile signifie que si un Afghan demande l’asile à Malte, il recevra le même résultat à sademande que s’il avait fait une de­mande en France. Aujourd’hui, le taux de protection d’unAfghan s’établit à 64 % en Angle­terre, mais atteint 93 % en Italie.

L’impact principal de l’harmoni­sation est qu’elle contribue à éli­miner ce que l’on appelle le « shop­ping de l’asile », par lequel un mi­grant cherche à faire sa demande dans un Etat membre qui offre le résultat le plus avantageux. Cela ouvre également la porte à une so­lidarité plus facile au sein de l’UE elle­même. Même au niveau poli­tique, cela signifie que les taux de reconnaissance étant similaires, les citoyens ne pensent pas que leur pays applique aux deman­deurs d’asile des normes différen­tes de celles d’un autre pays.

L’UE a réalisé des progrès aucours de la dernière décennie. Cela est notamment dû à la for­mation intensive que l’EASO a dis­pensée aux fonctionnaires natio­naux ou aux documents sources qui fournissent des informations standardisées sur la situation dans les pays d’origine. Il reste, bien sûr, encore du travail à faire en matière de convergence.

propos recueillis par julia pascual

A Athènes, la détresse des réfugiés en voie d’expulsion de leur logementLe gouvernement a réduit la durée d’hébergement des étrangers bénéficiant de l’asile

athènes ­ correspondance

V ous êtes désormais res­ponsables de votre vie,vous devez quitter l’ap­

partement dont vous avez bénéfi­cié durant votre demande d’asile. »Ces mots résonnent encore cruel­lement dans la tête de Mohamed Al­Rifaie, un Syrien de 19 ans qui vit avec sa mère et son frère aînédans un deux­pièces d’un quar­tier populaire du port du Pirée.

Le 1er juin, l’ONG Nostos qui leuravait attribué le logement dans le cadre du programme d’héberge­ment Estia géré par le Haut­Com­missariat aux réfugiés (HCR) et fi­nancé par la Commission euro­péenne, leur a ordonné de quitter les lieux. Ils avaient déjà reçu unavertissement quinze jours aupa­ravant. « L’ONG nous a prévenus que la police pourrait désormais venir nous déloger. Mais nous n’avons aucune alternative, nousleur avons expliqué que nous ne pouvions pas nous retrouver à larue, surtout en raison des pro­blèmes de santé de mon frère »,constate Mohamed.

Son frère Ahmad, 25 ans, a subiune opération du cerveau à sonarrivée en Grèce il y a trois ans et doit être suivi régulièrement à l’hôpital. L’ONG, qui les emmène habituellement chez les méde­cins, a arrêté de s’occuper de leur

situation. Leur aide financière demoins de 400 euros a également cessé au début du mois.

Selon une loi votée en novem­bre 2019 à l’initiative du premier ministre conservateur, Kyriakos Mitsotakis, et appliquée tardive­ment en raison du Covid­19, la pé­riode pendant laquelle les réfu­giés ayant obtenu l’asile peuventrester dans les appartements mis à leur disposition a été réduite de six à un mois. D’après le ministèredes migrations, quelque 11 200 ré­fugiés doivent être expulsés de ces logements sociaux, mais aussides camps et des chambres d’hô­tel à travers le pays.

« Qu’allons-nous devenir ? »« Ces mesures d’expulsion des réfu­giés reconnus sont en fait dans le prolongement de la ligne durechoisie par le gouvernement grec en matière migratoire, soutient Fi­lippa Chatzistavrou, professeure associée en sciences politiques àl’université d’Athènes. L’idée est demontrer aux réfugiés qu’ils ne sontpas les bienvenus en Grèce, d’avoir un effet d’épouvantail sur les can­didats à l’asile mais aussi de sé­duire les électeurs attirés par le dis­cours de l’extrême droite. »

Les ONG qui s’occupent de lagestion des appartements se re­trouvent dans la délicate situa­tion de déloger les occupants. Cer­

taines associations s’y refusentpour l’instant. C’est le cas de Soli­darity Now, qui, sur 411 locataires, affirme n’avoir eu que dix départsdepuis le 1er juin. « Une grande ma­jorité sont des réfugiés syriens vic­times de stress post­traumatique, des familles, des mères seules avec enfants, des personnes en situa­tion d’handicap », commente Eva Giannakaki, en charge des ques­tions de logement pour l’ONG.

Au deuxième étage de l’immeu­ble de Mohamed Al­Rifaie, la si­tuation de la famille Nadaoui, desIrakiens, est elle aussi alarmante. Asil Nadaoui a cinq enfants, dont Maya, 5 ans, qui ne peut s’alimen­ter qu’à l’aide d’une sonde gastri­que. Son mari est, lui, paralysé desjambes. « Nous devons théorique­ment partir fin juin… Mais nousn’avons ni travail ni aide finan­cière, qu’allons­nous devenir ? », estime Mustafa, l’aîné de 20 ans.

Le gouvernement grec soutientque les réfugiés expulsés peuvent postuler à un autre programme, « Helios », mis en place par l’OIM (Organisation internationale pourles migrations), afin de bénéficier de cours de grec et d’une alloca­tion pour leur logement. Mais il nepermet pour le moment de soute­nir que 3 500 personnes et les dé­marches administratives sont lourdes, comme le constate Nahla Salama, une Syrienne de Rakka,

qui doit quitter son studio du cen­tre d’Athènes début juillet : « Il fautd’abord signer un contrat de loca­tion pour ensuite obtenir l’aide de l’OIM. Or, les propriétaires deman­dent deux loyers d’avance, une somme trop importante pour moi, et sont souvent réticents à louer aux étrangers… », soupire la jeune femme de 26 ans, veuve et mère d’une enfant de 3 ans.

Les autorités estiment pourtantque cette politique est nécessairepour faire de la place aux nou­veaux arrivants : « Les camps des îles du nord de la mer Egée sont dé­bordés [environ 32 500 deman­deurs d’asile pour une capacité de6 000 places], il est indispensablede poursuivre les transferts pour les plus vulnérables et de leur faire bénéficier de ces logements », sejustifie Manos Logothetis, secré­taire général chargé de l’asile au ministère grec de l’immigration.

Mais au lieu d’augmenter la ca­pacité d’accueil sur le continent, comme le recommande le HCR, le gouvernement veut fermer des camps : « Avec la diminution des ar­rivées sur les îles ces derniers mois et l’accélération des examens des demandes d’asile, nous pouvons envisager la fermeture de camps en 2020 », a déclaré mardi le minis­tre des migrations, Notis Mita­rachi, sur la chaîne Open.

marina rafenberg

Le « pacte migratoire », un dossier sensible pour l’Allemagne et l’UELa Commission plaide pour une « politique réaliste » de l’immigration

bruxelles ­ bureau européen

C’ est le brouillon de cequi devait être l’unedes grandes priori­tés de la Commis­

sion européenne. Avant la pandé­mie de Covid­19, la nécessité de re­lancer l’économie, les désaccords sur le futur budget de l’Union oul’enlisement de la négociation surle Brexit. Le « Pacte pour la migra­tion », annoncé dès son entrée en fonctions par la présidente Ursulavon der Leyen, reste sans doute un sujet important pour les Vingt­Sept, mais la future prési­dence allemande de l’Union − le 1er juillet pour six mois − ne de­vrait pas mettre ce texte d’une vingtaine de pages, lu par Le Monde, en tête de son agenda. « Il y a bien d’autres soucis et, en outre,les positions politiques n’ont pas bougé », résume un diplomate.

Annoncée pour le premier tri­mestre de 2020, sans doute dé­voilée officiellement à la fin dudeuxième, l’initiative des com­missaires Margaritis Schinas (promotion du mode de vie eu­ropéen) et Ylva Johansson (affai­res intérieures) vise à régler un débat miné, depuis des années, par un défaut de solidarité entre les pays. Avec certains dirigeantsqui prospèrent grâce à leur refus obstiné d’accueillir des « mi­grants » qui sont souvent des de­mandeurs d’asile et des réfugiés.

« Outils pratiques »Ce texte pourrait­il faire cesserles polémiques qui ont marqué l’actualité depuis 2015 ? Elles por­taient sur l’accueil des deman­deurs, les règles divergentes qui régissent l’asile selon les Etats, le règlement de Dublin qui oblige le premier pays d’entrée dans l’Union à se charger de l’instruc­tion des dossiers, ou encore les mécanismes de débarquement

des migrants secourus en mer. Pour Bruxelles, le moment est venu de poser les bases d’un débatserein, alors que le nombre d’arri­vées irrégulières dans l’UE est à son niveau le plus bas depuis 2014 et que, comme le mentionne le do­cument, « il est temps de se référer aux faits plus qu’aux perceptions ».

Selon ce projet de texte « confi­dentiel » actuellement en discus­sion avec les capitales, les ressor­tissants de pays tiers comptent ac­tuellement pour 4,4 % de la popu­lation totale de l’UE, la migration restera un phénomène durable etelle serait parfaitement gérable dans le cadre d’un système effi­cace et résilient. En outre, soulignele texte, une Europe vieillissante et en manque de main­d’œuvre spécialisée aurait intérêt à « attirerceux dont elle a besoin pour lacompétitivité de son économie et lemaintien de son bien­être ». Sur ce point comme sur d’autres, le do­cument note toutefois prudem­ment « certaines hésitations ».

La Commission prône « une po­litique réaliste, qui ne crée ni faux espoirs ni effets d’aspiration ». Tout en respectant le devoir hu­manitaire et le principe de non­refoulement, cette politique de­vrait donc souligner aussi la né­cessité d’une gestion des retours plus efficace, alors que 66 % des demandes d’asile ont été rejetées par les pays membres en 2019 et

qu’un tiers seulement des per­sonnes déboutées quittent effec­tivement le territoire.

La Commission suggère trois« outils pratiques » à mettre en œuvre parallèlement : des parte­nariats internationaux « robus­tes » avec les pays d’origine ou detransit, des frontières extérieures mieux surveillées et des procédu­res plus efficaces et plus rapides.

Les accords conclus avec le Ma­roc, le Niger et surtout la Turquie, devraient ainsi être maintenus et étendus. La Tunisie, l’Ethiopie, l’Irak, le Bangladesh ou les paysdes Balkans devraient recevoir desinvestissements et de l’argent afinde développer la lutte contre la mi­gration irrégulière, contrôler leursfrontières et réadmettre leurs na­tionaux. Le Liban, l’Egypte ou la Jordanie, qui accueillent de nom­breux réfugiés, devraient bénéfi­cier d’aides accrues dans le cadre de la hausse d’un budget « Asile et migration » que Bruxelles espère voir passer de 12 à 32 milliards d’euros (sur la période 2020/2027).

Débat « épidermique »Aux frontières extérieures, le renforcement de l’agence Fron­tex, couplé au développement des techniques d’intelligence arti­ficielle − prévu, au mieux, pour2023­2025 –, devrait permettredes contrôles plus efficaces et unelutte renforcée contre les réseaux qui acheminent aujourd’hui quelque 90 % des clandestins versles portes de l’Europe. Bruxelles prône aussi la généralisation desprocédures dites d’« asile à lafrontière », à savoir des méthodes d’examen rapide des demandes.

Pas de quoi, toutefois, calmer ledébat qu’un diplomate décrit comme « épidermique » sur deuxquestions­clés et indissociables : la solidarité pour l’accueil − le texte préfère d’ailleurs évoquer « une vraie responsabilité parta­

gée » − et les dispositions du règle­ment de Dublin, jugées insuppor­tables par les pays du Sud, l’Italie, la Grèce ou Malte, qui exigent unerépartition de la charge.

Si la Commission évoque lanécessité d’une politique « coor­donnée, harmonisée, stratégi­que », les pays du Groupe de Vise­grad − Hongrie, Pologne, Républi­que tchèque, Slovaquie – campentsur leur refus obstiné d’accueillirtout étranger issu d’un pays tiers. L’Autriche, les Pays­Bas, le Dane­mark ont, eux, développé des po­litiques restrictives. Et un groupelimité (France, Allemagne, Portu­gal, Irlande, Suède, Luxembourg) est prêt à ouvrir une discussion, tout en sachant que ces pays ont accueilli quelque 90 % des « réins­tallations » depuis 2015. Soit envi­ron 100 000 personnes, alors que les Nations unies chiffrent les be­soins à 1,44 million de places d’ac­cueil pour la seule année 2020…

La Commission est donc à larecherche d’un compromis que pourrait endosser la présidenceallemande, avec différents scéna­rios possibles (une pression mi­gratoire faible, intense ou très in­tense), qui entraînerait un engage­ment à géométrie variable des dif­férents Etats membres. Il lui reste à trouver la « masse critique » de pays qui accepteraient des reloca­lisations, tandis que les autres se­raient contraints de les aider fi­nancièrement − et massivement.

« On pourrait accorder des dé­rogations à certains et les obligeren même temps à “passer à la caisse”. Mais il reste encore à trou­ver les pays acceptant d’accueillir et, dans le contexte actuel, on n’y est vraiment pas », juge un expert.Avec, à la clé, une seule certitude : Berlin ne s’engagera pas dans une discussion qui révélerait, unefois encore, des divisions béantes au sein de l’Union.

jean­pierre stroobants

Selon l’UE, une Europe

vieillissante et enmanque de main-

d’œuvre auraitintérêt à « attirer

ceux dont elle a besoin »

« Un système d’asile durableest un système

d’assurance pour tous les

Etats membres »

« Le Covid-19 pourrait inciter à accorder plus

de valeur à la vie humaine »

UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws

Page 4: Le Monde - 12 06 2020

4 | international VENDREDI 12 JUIN 20200123

Au Nicaragua, l’inaction « irrationnelle » face au Covid­19Une dizaine de médecins hospitaliers, qui alertaient sur la gestion désastreuse de la pandémie par le régime Ortega, ont été licenciés

V oici ma lettre de licen­ciement, et il n’y figureaucune raison valable !De toute ma vie profes­

sionnelle, je n’ai jamais eu ne serait­ce qu’un avertissement. »Maria Nela Escoto Lopez, anes­thésiste de l’hôpital Lenin­Fon­seca, à Managua, s’étrangle d’in­dignation sur une vidéo publiée mardi 9 juin sur les réseaux so­ciaux, après avoir appris son ren­voi du jour au lendemain. « Je fais partie de ces personnes qui ont donné de la voix et qui ont réclaméce qui est juste », continue­t­elle,masquée et en blouse blanche.

Alors que la situation sanitaires’est aggravée de manière expo­nentielle au Nicaragua ces derniè­res semaines, une dizaine de mé­decins qui, comme elle, avaient critiqué l’inaction du gouverne­ment pour lutter contre l’épidé­mie de Covid­19, ont été licenciés,mardi, des établissements pu­blics où ils exerçaient.

Tous avaient signé, le 28 mai,aux côtés de 700 autres méde­cins, une lettre ouverte alertantsur la quasi­saturation du sys­tème de santé public « avec uneforte probabilité d’effondrement dans les prochains jours » et « unrisque de mort élevé pour la popu­lation », réclamant des équipe­ments de protection pour le per­sonnel médical. « L’Etat continuede ne pas appliquer les mesuresqui permettraient de contrôlerl’éruption, ignorant de manière indolente la réalité de la pandé­mie dans notre pays », ajoutaientles médecins.

« Représailles »Le gouvernement de DanielOrtega, au pouvoir depuis 2007et qui fait face à un mouvement de contestation – réprimé dans lesang – depuis deux ans, a refuséde confiner la population ou defermer les écoles et a, au con­traire, promu des manifestationsde masse depuis le début de l’épi­démie. Une marche de solidarité

s’appelait même « L’amour auxtemps du Covid­19 »…

La veille du licenciement desdix médecins, un des principaux infectiologues du pays (qui n’en compte que cinq), Carlos Quant, avait aussi été brutalement mis àla porte de l’hôpital Roberto­Cal­deron de Managua. « Ce sont desreprésailles de la part du ministèrede la santé », assure­t­il. Signatairede la tribune de 700 médecins, Carlos Quant fait partie du co­mité scientifique multidiscipli­naire mis en place par une dou­zaine de spécialistes de la santé pour conseiller la population sur la manière de prévenir les conta­minations, et très critique du manque du gouvernement.

L’Observatoire citoyen Covid­19,une plate­forme indépendantecréée pour suivre l’évolution de lapandémie, dénombrait, lui, plusde 5 000 cas et 1 000 morts au 3 juin, pour une population de 6 millions d’habitants, alors que les autorités reconnaissaient, le 9 juin, 55 morts pour 1 354 cas.

Les médecins sont aux premiè­res loges de l’épidémie. L’Observa­toire citoyen recense 48 mortssuspectes du Covid­19 parmi le personnel soignant. « Dans monhôpital, six membres du corps mé­dical sont morts du virus, s’indi­gne Carlos Quant, et au moins 50 % en médecine interne sont ou ont été malades. » Jusqu’à il y a un mois et demi, le ministère de la santé avait interdit aux médecins de porter des masques et desgants dans les hôpitaux pour ne pas alarmer les patients. « C’est en­core le cas dans deux hôpitauxhors de Managua », précise l’épi­démiologiste Leonel Argüello, membre du comité scientifique multidisciplinaire.

L’épidémie touche tout le pays.Et si les hôpitaux ne sont pas en­core arrivés à saturation, « c’est parce que le taux de mortalité esttrès élevé et que les lits se libè­rent », soupire Carlos Quant. Beaucoup de patients préfèrent

également quitter les lieux « pouraller mourir chez eux ».

De nombreuses vidéos circulentsur les réseaux sociaux et les mé­dias d’opposition, montrant des « enterrements express », de jour comme de nuit, des cercueils sor­tant directement des hôpitaux, entourés de personnel en combi­naison complète et escortés par des policiers. Les vidéos ont fait réagir la vice­présidente et épouse du président Ortega, Rosario Murillo, qui dénonce ceux qui « prétendent créer de fausses réali­tés en utilisant des vidéos d’autres pays, en faisant croire qu’il s’agit devidéos du Nicaragua ». Le couple présidentiel n’a pas été vu hors de sa résidence d’El Carmen depuis au moins quatre mois.

Le gouvernement justifie sa dé­cision de ne pas décréter de confi­nement par la nécessité de proté­ger l’économie. Dans un Livreblanc rendu public fin mai, le mi­nistère de la santé souligne sa« stratégie d’équilibre entre la pan­démie et l’économie », dans un pays où « 40 % de la population vità la campagne et 80 % des tra­vailleurs des zones urbaines tra­vaillent de manière informelle ».

« Une chose est ne pas vouloir pa­ralyser l’économie, une autre estcelle de promouvoir des rassem­blements de masse, dénonce Car­los Quant. On aurait pu au moins fermer les écoles et les universités, prendre des mesures graduelles qui n’auraient pas signifié l’arrêt total de l’économie. »

L’inaction du gouvernement estd’autant plus « irrationnelle », con­

sidère l’épidémiologiste Leonel Argüello, que le virus semble ne pas avoir épargné le régime. Une vingtaine de ministres, con­seillers présidentiels, députés, maires ou dirigeants du Front san­diniste de libération nationale (FSLN), le parti au pouvoir, auraient succombé du Covid­19ces dernières semaines. Tous se souviennent de la manière dont Edwin Castro, président du groupeparlementaire du FSLN, s’était mo­qué de députés de l’opposition ar­rivés masqués dans l’hémicycledébut mars. Trois mois plus tard, Edwin Castro était hospitalisépendant deux semaines avec des symptômes de la maladie.

« Enterrement express »Ce fut ensuite le tour du ministre des télécommunications, Or­lando Castillo – sous le coup de sanctions imposées par Washing­ton pour son rôle dans la répres­sion de manifestants et de médiasen 2018 –, et du maire de Masaya, Orlando Noguera – qui avait menéd’une main de fer l’étouffement de la contestation dans sa ville –, tous deux décédés début juin dans des unités hospitalières con­sacrées au Covid­19. Noguera a en outre été inhumé lors d’un « en­terrement express ».

Face à la situation, trente­quatreassociations médicales ont publiéun appel, le 1er juin, à un confine­ment volontaire de la population « pendant trois ou quatre semai­nes », demandant des mesures « àgrande échelle ». Un appel sou­tenu par le secteur privé, mais re­lativement peu suivi. « La majo­rité de la population s’en tient aux médias officiels aux mains du gou­vernement ou de la famille du pré­sident », regrette Leonel Argüello,qui craint que la courbe ascen­dante de cas ne se maintienne pendant au moins six mois. « La situation, alerte Carlos Quant, neva pas devenir catastrophique, mais apocalyptique. »

angeline montoya

L’enquête Palme bouclée, la Suède déçueLes critiques se multiplient après l’identification du meurtrier de l’ancien premier ministre

malmö (suède) ­correspondante régionale

D es témoignages contra­dictoires, un récit en dé­calage avec celui des té­

moins sur place et l’envie cons­tante d’interférer dans l’enquête. Voilà les éléments qui ont conduit,mercredi 10 juin, le procureur Kris­ter Petersson, chargé du dossier depuis 2017, à désigner Stig Engs­tröm comme le meurtrier pré­sumé du premier ministre Olof Palme, tué en plein centre de Stoc­kholm, le 28 février 1986. Trente­quatre ans que les Suédois atten­daient ce moment. Mais l’annoncea suscité un mélange de déceptionet de colère, accompagné du senti­ment d’un immense gâchis.

En février, le procureur avaitlaissé entendre qu’il pourrait pré­senter des preuves concrètes. Mer­credi, il a admis que les éléments à charge contre le graphiste, âgé de52 ans au moment des faits, « n’auraient pas suffi à le mettre en examen », mais qu’ils auraient per­mis de l’interpeller et de le placer en détention provisoire.

Ce ne sera pas possible. Stig Engs­tröm s’est suicidé en juin 2000. Néen 1934 en Inde, à Bombay, où son père travaillait comme ingénieur,

il est envoyé en Suède à 12 ans. Il seretrouve dans un pensionnat à Stockholm, le même qu’Olof Palme a fréquenté quelques an­nées plus tôt. Stig Engström tra­vaille dans l’armée, puis à la radio suédoise, avant d’être embauché par la compagnie d’assurances Skandia. Divorcé, puis remarié, sans enfant, il est engagé au Parti conservateur et évolue dans un milieu où la haine de Palme est la règle. En mars 2018, le journaliste Thomas Pettersson révèle qu’il a appartenu à un club de tir et fré­quenté un collectionneur d’armes.

« Sûrs de rien »Hans Melander, chef du « groupePalme », composé de quatre poli­ciers, confirme au Monde que lesenquêteurs « ne sont sûrs de rien »,mais mentionne des « circonstan­ces fortes ». Stig Engström, rappel­le­t­il, « avait des difficultés finan­cières, souffrait d’alcoolisme et du sentiment de ne pas avoir accom­pli ce qu’il aurait dû ».

Le 28 février 1986, à 23 h 19, legraphiste quitte son bureau, àquelques dizaines de mètres dulieu du meurtre. Olof Palme est tué deux minutes plus tard.Le lendemain, Stig Engström contacte la police et le journal

Svenska Dagbladet. Il dit avoir parlé avec la femme du premier ministre, Lisbeth Palme − qui dé­ment. Il identifie un suspect, « avec une veste bleue ».

Pour les policiers, il s’agit d’undes témoins que Stig Engström nepeut pas avoir vu de l’endroit où ilaffirme se trouver. Il s’empresse aussi de mettre en garde les en­quêteurs : il craint que les person­nes sur place l’aient pris pour letueur et que les policiers partent sur une mauvaise piste. « Si on était conspirationniste ou cyni­que, on peut se dire que c’est trèsintelligent de la part d’un meur­trier », a noté, mercredi, le procu­reur. Durant des années, Stig Engström continuera de donnerdes interviews, clamant que la po­lice ne l’a pas pris au sérieux. Il té­moignera même au procès de Christer Pettersson, condamné en première instance pour lemeurtre, puis relaxé en appel.

Des policiers le voient commeune piste sérieuse. Hans Holmer,le chef de la police de Stockholm,obsédé par le Parti des tra­vailleurs kurdes, l’écarte. Il faut at­tendre 2017 pour que « Skandia­mannen » − « l’homme de Skan­dia », surnom d’Engström − de­vienne le suspect principal,

quand le « groupe Palme » re­prend l’enquête à zéro.

En 1994, Inga­Britt Ahlenius,haut fonctionnaire, avait siégé au sein de la commission d’enquête, chargée par le Parlement d’éva­luer le travail de la police. Elle avoue sa déception : « L’histoire netient pas. Ça ne peut pas être aussi simple qu’un pur hasard qui vou­drait que Stig Engström, sortant du travail à 23 h 29, une arme dans sa poche, croise Olof Palme dans larue et décide de le tuer. » Pour le journaliste Gunnar Wall, auteur d’ouvrages sur le sujet, « cette con­clusion choquante est dans la li­gnée de ce qu’a été l’enquête, un immense échec pour notre sys­tème judiciaire ». En Suède, la criti­que est massive contre ce qui estprésenté comme un « fiasco ».

Regrettant l’absence de condam­nation, le premier ministre social­démocrate, Stefan Löfven, a af­firmé, mercredi, que l’enquête pourrait reprendre si des informa­tions sérieuses faisaient surface. D’une immense dignité depuis le début, les trois fils d’Olof Palme ont assuré, pour leur part, être convaincus par les arguments du procureur, même s’ils regrettent l’absence de preuves concrètes.

anne­françoise hivert

Le gouvernement ajustifié sa décisionde ne pas confiner

par sa volontéde protéger

l’économie du pays

Au Pérou, l’oxygène se vendà prix d’or au marché noir

C’ est un « crime », une « trahison à la patrie ». Pilar Maz­zetti, médecin et présidente du dénommé « com­mando Covid­19 » chargé de la lutte contre l’épidémie,

n’a pas de mots assez durs pour qualifier la spéculation sur les prix de l’oxygène, tandis que le Pérou est confronté à une inquié­tante pénurie de gaz médical et que pas loin de 10 000 patients sont actuellement hospitalisés. Deuxième pays le plus touché par le Covid­19 en Amérique latine en nombre de cas, après le Brésil, le Pérou a dépassé la barre symbolique des 200 000 mala­des et 5 903 morts au dernier bilan en date du jeudi 11 juin.

La demande d’oxygène dans les hôpitaux est de 40 % supé­rieure à la production disponible, selon le président du conseildes ministres, Vicente Zeballos. Actuellement, 216 tonnes d’oxy­gène sont utilisées chaque jour et il en manque 136 tonnes. Les besoins sont en constante augmentation. Le gouvernement cal­cule qu’ils seraient de l’ordre de 400 tonnes par jour, d’ici la fin du mois de juin. Des estimations qui cachent une réalité encore plus préoccupante. Selon Cesar Chaname, porte­parole de la sé­curité sociale Essalud, c’est un « véritable tsunami » qui a déferlésur le pays, avec une augmentation exponentielle de la demandede « 500 % à 600 % » depuis le début de la pandémie.

La pénurie a d’abord frappé la ville d’Iquitos en Amazonie – oùdes médecins avaient tiré le signal d’alarme il y a plusieurs se­maines –, puis d’autres régions du nord du pays. Elle touchemaintenant la capitale Lima, où vit un tiers de la population et qui concentre plus de 70 % des cas de malades du Covid­19. La

semaine dernière, le gouverne­ment a annoncé que le Pérouétait arrivé au maximum de saproduction. A Lima, des imagesdiffusées sur les chaînes de télé­vision nationale montrent des fi­les d’attente de plusieurs dizai­nes de mètres devant des four­nisseurs spécialisés. Les ache­teurs sont prêts à patienter desheures, voire toute une nuit,

pour se procurer de l’oxygène pour leurs parents malades. Le marché noir s’est développé et la spéculation va bon train. Se­lon le bureau du défenseur des droits, le prix du ballon d’oxy­gène de 10 m3 coûterait entre 3 500 et 6 000 soles, environ 900 à1 500 euros. Un prix multiplié par dix par rapport au début de l’épidémie, dont le premier cas a été recensé le 5 mars. Toute­fois, Cesar Chaname tempère : « Le marché noir représente seule­ment 2 % à 3 % de l’oxygène en circulation. »

Un rapport publié le 6 juin par le défenseur des droits, WalterGutierrez, accuse le gouvernement du président Martin Vizcarrade ne pas avoir anticipé, alors qu’il avait été informé fin avril de lapénurie à venir. Jeudi 4 juin, le gouvernement a enfin décrété desmesures d’urgence. L’oxygène a été qualifié de « bien public » et de « ressource d’intérêt stratégique ». Le décret ordonne de don­ner la priorité à l’oxygène médical sur l’oxygène industriel. Mais ces déclarations arrivent tard et sont « insuffisantes », juge WalterGutierrez, pour qui il faut des « mesures contraignantes ».

Avec la reprise de l’économie décidée en juin et le redémarragede certaines activités stratégiques comme le secteur minier et la métallurgie, les besoins en oxygène industriel vont de nouveau augmenter et peser sur le secteur de la santé, s’inquiète le bureaudu défenseur des droits. Le Pérou a annoncé l’importation de gazmédical à ses voisins colombien, équatorien et chilien. « Nous nesommes qu’au début de la crise de l’oxygène, estime Ciro Vargas, médecin épidémiologiste et vice­président du Collège des méde­cins, il faut agir dans les plus brefs délais. »

amanda chaparro (lima, correspondance)

SELON UN BILAN ÉTABLI AU 11 JUIN, LE COVID­19 A TOUCHÉ PLUS DE 200 000 PERSONNESET FAIT 5 903 MORTS

UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws

Page 5: Le Monde - 12 06 2020

0123VENDREDI 12 JUIN 2020 international | 5

En baisse dans les sondages, Erdogan réprimeAlors que l’opinion turque critique la gestion de la crise sanitaire, des journalistes et des députés sont arrêtés

istanbul ­ correspondante

M ilitaires, gendar­mes, policiers, jour­nalistes, médecins,députés, le régime

turc a renoué avec les purges ces derniers jours, multipliant les ar­restations, les destitutions et les tentatives de restreindre la liberté d’expression, du moins ce qu’il en reste. Mardi 9 juin, 414 personnes ont été arrêtées, des militaires surtout, pour leurs liens présumésavec le mouvement religieux du prédicateur Gülen, accusé d’avoir orchestré la tentative de coup d’État ratée de 2016.

La veille, la police turque a placéen garde à vue deux journalistes dans le cadre d’une enquête pour « espionnage politique et mili­taire ». Ismail Dukel, le représen­tant d’Ankara de la chaîne de télé­vision TelE1, et Müyesser Yildiz,du site d’information OdaTV, ont été interrogés par la police anti­terroriste. Ils sont accusés d’avoir diffusé des informations sur la mort, en Libye, d’un officier turc du renseignement.

En mai, six autres journalistesavaient été placés en détention pour la même raison. Ils risquent dix­sept ans de prison pour avoir révélé des « secrets d’Etat ». Quatre­vingt­quinze journalistes sont ac­tuellement emprisonnés en Tur­quie selon l’Assemblée parlemen­taire du Conseil de l’Europe. La purge n’a pas épargné les députés de l’opposition. Jeudi dernier, le Parlement turc, dominé par la coa­lition formée par le Parti de la jus­tice et du développement (AKP, au pouvoir) et le Parti d’action natio­naliste (MHP), a déchu de leur mandat trois députés condamnés dans le cadre de différents procès.

Obsession du contrôleEnis Berberoglu, du Parti républi­cain du peuple (CHP, centre gau­che, laïque) ainsi que Leyla Güvenet Musa Farisogullari, du Parti démocratique des peuples (HDP,gauche, prokurde) ont perdu leur mandat et ne pourront donc plus siéger au Parlement. Dans la fou­lée, les trois parlementaires dé­chus ont été arrêtés. Quelquesjours plus tard, deux d’entre eux,Enis Berberoglu et Leyla Güven, ont été relâchés.

Depuis la crise sanitaire liée auCovid­19, le corps médical est plusque jamais dans le collimateur des autorités. Ces derniers mois,

des enquêtes judiciaires ont été ouvertes contre plusieurs méde­cins dans les provinces à majoritékurde de Van, Mardin et Sanliurfa,à l’est et au sud est du pays. Accu­sés d’avoir suscité « la peur et la panique parmi l’opinion », une ac­cusation brandie contre tousceux qui critiquent la gestion de la crise sanitaire par le gouverne­ment, ils risquent entre deux et quatre ans de prison.

Le régime n’est pas gêné par le« deux poids deux mesures ». Autant l’opposition se fait tapersur les doigts à la moindre criti­que, autant les zélotes du pouvoiren place ont toute latitude pours’exprimer, y compris lorsqu’ils appellent au meurtre.

Le 9 mai, Sevda Noyan, unecommentatrice de la chaîne ÜlkeTV, a déclaré que sa famille « était prête à tuer cinquante personnes »pour sauver Erdogan. « Ma liste est prête. Quatre à cinq de mes voi­sins y figurent », s’est­elle vantée.Interrogé par des journalistes soucieux de savoir si ce genre dediscours ne constituait pas une

infraction, Ebubekir Sahin, le di­recteur du RTÜK (l’équivalent duCSA en France), a répondu qu’il « ne fallait pas exagérer ».

La nouvelle vague de répressionintervient alors que le Parlement turc a adopté, jeudi 11 juin au ma­tin, un projet de loi controversé visant à renforcer les prérogativesdes « gardiens de quartier », une police parallèle forte de 28 000 membres. La loi leur per­met désormais de fouiller les pas­sants et leurs véhicules, vérifierles identités et, au besoin, utiliser leurs armes. Un autre projet de loien cours d’examen prévoit d’obli­ger les internautes à se doter d’unnuméro d’identification pour ac­céder aux réseaux sociaux tels WhatApp, Facebook, Twitter,Instagram. Le gouvernement en­tend ainsi repérer plus aisément les voix dissonantes et neutrali­ser la moindre pensée critique.

Cette obsession du contrôle re­présente l’ultime effort du prési­dent turc Recep Tayyip Erdogan pour tenter de renforcer son em­prise sur le pays. Et ce, pour une

raison. A en croire les derniers sondages, lui et son parti AKP semblent avoir perdu son pou­voir d’attraction.

Özer Sencar, le directeur de l’ins­titut de sondages Metropoll, l’a confirmé lors d’une interview dif­fusée mercredi 10 juin sur la télévi­sion en ligne Medyascope : « Selon nos derniers sondages, la popula­rité de l’AKP est tombée à 30 %. (…). Avec le MHP son partenaire de coalition, l’AKP est créditée de 45 % à 46 % des intentions de vote en vuede la présidentielle [prévue pour 2023]. » Avec l’ancien système parlementaire, 30 % des voix suffi­saient à former une majorité.

En 2002, l’AKP a d’ailleurs rem­porté les législatives avec 34 % des voix, ce qui a permis à Erdogan, son chef, d’être élu premier minis­tre par le Parlement quelques mois plus tard. Mais depuis la mise en place du nouveau sys­tème présidentiel, à l’initiative du numéro un, la barre a été placée plus haut. Le président doit désor­mais recueillir 51 % des voix pour l’emporter. Une perte de voix de l’ordre de 1 % ou 2 % pourrait suf­fire à ébranler son assise.

« Perte de leadership »« Les gens sont mécontents d’Erdo­gan et de son gouvernement en rai­son de leur mauvaise gestion de la crise due au coronavirus. Aucun fi­let social n’a été mis en place, la po­pulation est déçue. Les enquêtes d’opinion traduisent cette décep­tion », explique Baris Yarkadas, un ancien député du CHP (2015­2018).L’acharnement du président turc envers les députés, les journalis­tes, les maires HDP et plus large­ment envers toutes les voix criti­ques est, selon lui, « lié à sa perte de

leadership ». Il en est sûr, « Erdoganne supporte pas le fait que deux personnalités du CHP, à savoir le maire d’Ankara, Mansur Yavas, et celui d’Istanbul, Ekrem Imamoglu, affichent des scores de popularité plus élevés que le sien ».

Le facteur économique est dé­terminant. « Le plus souvent en Turquie, ce sont difficultés écono­miques qui font chuter les politi­ciens. Les restrictions en matièrede démocratie et de libertés ne comptent pas aux yeux de l’électo­rat qui privilégie un pouvoir fort.En revanche, l’économie est pri­mordiale », explique Özer Sencar,de l’institut Metropoll.

Dès lors, l’habillage historico­re­ligieux prisé par Erdogan pour as­seoir sa légitimité ne fonctionne plus. « Evoquer la transformation de la basilique Sainte­Sophie en mosquée pouvait être perçu positi­vement par la population il y a quelques années, plus aujourd’hui. L’argument est éculé, il n’apporte aucun point de plus à l’AKP », con­clut le politologue.

marie jégo

L’Arabie saoudite peine à juguler la pandémie de Covid­19Alors que le nombre de cas augmente, Riyad a annoncé de nouvelles restrictions quelques jours à peine après l’allégement du couvre­feu

beyrouth ­ correspondant

E n Arabie saoudite, l’épidé­mie de Covid­19 est têtue.Alors que le processus de

déconfinement a commencé finmai, avec notamment la réouver­ture des mosquées, le rythme de propagation de la maladie nemontre aucun signe de ralentis­sement. Au contraire : 3 717 nou­velles contaminations ont été en­registrées sur la seule journée de mercredi 10 juin, un chiffre ja­mais atteint jusque­là.

Au total, 112 288 cas ont été ré­pertoriés, ce qui fait de l’Arabie saoudite le pays du monde arabele plus touché par la pandémie.Le nombre de décès est égale­ment en forte augmentation, avec 36 morts mercredi − alors que la moyenne s’établissaitautour de vingt au début du mois − et un total de 819 décès.

Ces statistiques prennent lesautorités de Riyad à contre­pied.La Couronne, impatiente de tour­ner la page d’une épidémie qui,

couplée à l’effondrement des prixdu pétrole, a eu un impact désas­treux sur l’économie locale, se re­trouve obligée d’imposer de nou­veau des restrictions.

Le couvre­feu, qui avait été levéle 31 mai dans tout le pays entre6 heures et 20 heures, à l’excep­tion de la ville sainte de La Mec­que, a été rétabli vendredi 5 juin àpartir de 15 heures à Djedda, legrand port sur la mer Rouge, oùles unités de soins intensifs sontsaturées. Les fonctionnaires, de retour sur leur lieu de travail de­puis à peine une semaine, ont étérenvoyés à leur domicile et lesprières dans les mosquées ontété de nouveau suspendues.

Lundi 8 juin, un nouveau coupde frein a été donné dans la straté­gie de déconfinement : après que des employés de mosquées ont été testés et déclarés positifs auCovid­19, 70 lieux de culte supplé­mentaires ont été fermés. Ces me­sures de reconfinement pour­raient être étendues à la capitale,Riyad, en raison d’« une augmen­

tation continue au cours des der­niers jours » des cas critiques se­lon le ministère de l’intérieur.

La levée des restrictions se vou­lait pourtant prudente. Dans lesmosquées, pour réduire au maxi­mum le risque de contamination,les exemplaires du Coran, tradi­tionnellement à disposition des croyants, devaient être retirés. Lesfidèles devaient effectuer leurs ablutions − un rituel de purifica­tion − à leur domicile, apporter leur propre tapis de prière et res­pecter une distance d’au moins

2,5 mètres. En guise de précau­tion, le gouvernement a aussi or­donné que les mosquées refer­ment leur porte dix minutesaprès la fin de la prière et que lesermon du vendredi ne dure pas plus d’un quart d’heure. Une amende de 1 000 riyals (235 euros)est prévue pour les réfractaires auport du masque, obligatoire enpublic. Sur Twitter, le ministèrede la santé a même précisé, à l’in­tention des Saoudiennes, que leniqab (voile couvrant le visage à l’exception des yeux) ne pouvaittenir lieu de masque que s’il était constitué de plusieurs couches detissu, solidement maintenues surla bouche et le nez.

« Pas assez de policiers »« Le problème est que ces consi­gnes ne sont pas respectées », déplore un journaliste saoudien,sous le couvert de l’anony­mat. Selon cette source, « la déci­sion de déconfiner a été prise sousla pression des milieux religieux, pour lesquels le confinement en

période de ramadan a été difficile à vivre. L’urgence de relancer l’ac­tivité économique a pesé aussi, ainsi que des considérations poli­tiques. Il était inconcevable demaintenir les mosquées fermées au moment où la Turquie, legrand rival de l’Arabie, les rou­vrait. Mais ici, ce n’est pas Dubaï [un émirat qui a lancé lui aussi ledéconfinement alors que l’épidé­mie battait son plein]. Le pays est immense, il n’y a pas assez de poli­ciers pour faire respecter les mesu­res de prudence. »

La suspension de l’oumra, le pe­tit pèlerinage, qui se pratique toute l’année, reste en vigueur. Lepouvoir observe aussi un silence embarrassé sur le hadj, le grandpèlerinage à La Mecque, prévu en théorie fin juillet. A la fin mars, lesdirigeants saoudiens avaient ap­pelé les candidats à ce voyage sa­cré à suspendre leurs préparatifs, sans toutefois proclamer l’annu­lation explicite de l’événement,qui a attiré 2,5 millions de musul­mans dans le royaume l’année

passé. Les ratés du déconfine­ment rendent son maintien en­core un peu plus improbable.

La lenteur du retour à la nor­male en Arabie saoudite pèse aussi sur le moral des famillesde prisonniers. C’est le cas desparents de Loujain Al­Hathloul, une défenseuse des droits des femmes, incarcérée depuis deuxans avec plusieurs autres mili­tantes féministes. Alors que son père et sa mère parvenaientà lui parler environ une fois parsemaine avant la crise sanitaire,depuis un mois, aucune commu­nication téléphonique n’a pu êtreétablie avec elle.

« On a contacté la prison, ni leministère de l’intérieur, ni le minis­tère de la justice, ni qui que ce soit n’ont pu nous renseigner, témoi­gne Alia Al­Athloul, l’une de ses sœurs. On commence à s’inquié­ter. On espère que c’est juste dû à un manque de personnel, du fait de l’épidémie. On veut croire que cen’est pas grave. »

benjamin barthe

« Il était inconcevable

de maintenir les mosquées fermées

au momentoù la Turquie les

rouvrait », expliqueun journaliste

Manifestation à Istanbul, le 6 juin, pour la libération de Leyla Güven, du Parti de la démocratie des peuples (prokurde). Y. AKGUL/AFP

« Aucun filet social n’a été mis

en place, la population est

déçue »BARIS YARKADAS

ancien député du CHP

LE CONTEXTE

RÉOUVERTURERecep Tayyip Erdogan aannoncé, mardi 9 juin, la levée sous conditions du confinement imposé aux seniors et aux jeunes et la réouverture, le 1er juillet,des théâtres et des salles decinéma. La Turquie avait levé,le 1er juin, la plupart des restric-tions en vigueur pour lutter con-tre le Covid-19, qui a fait plus de 4 700 morts sur plus de 173 000 cas recensés dans le pays.Bibliothèques, restaurants et crè-ches ont pu rouvrir et les dépla-cements entre les principalesvilles du pays sont à nouveau autorisés. Les centres commer-ciaux et salons de coiffure ont rouvert depuis mai. Le chef de l’Etat a annulé le confinement imposé uniquement en fin desemaine. L’annonce soudaine,en avril, d’un premier week-end de confinement avait conduità une ruée sur les biens depremière nécessité. Erdogana précisé que la priorité étaitdésormais de ménager une éco-nomie fragilisée par la pandémie.

UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws

Page 6: Le Monde - 12 06 2020

6 | PLANÈTE VENDREDI 12 JUIN 20200123

« Nous ne sommes qu’au début de l’épidémie »Le microbiologiste belge Peter Piot estime que l’humanité va devoir apprendre à vivre avec le Covid­19

ENTRETIEN

D irecteur de la LondonSchool of Hygiene& Tropical Medicine,le médecin et micro­

biologiste belge Peter Piot fut l’undes codécouvreurs du virus Ebola, avant d’être à la tête de l’Onusida (Programme commundes Nations unies sur le VIH­sida),de 1995 à 2008. Récemment nommé conseiller de la prési­dente de la Commission euro­péenne, Ursula von der Leyen, pour la recherche sur le nouveau coronavirus, il a été lui­même sé­vèrement touché par le Covid­19.

Quel regard portez­vous sur la manière dont le monde a réagi face au Covid­19 ?

Ce que le Covid­19 nous a mon­tré, c’est l’importance d’un lea­dership et d’un bon système de santé publique préexistant. A part Singapour, Taïwan et Hongkong, tout le monde a sous­estimé l’am­pleur et la vitesse avec lesquelles levirus pouvait se répandre. Les na­tions asiatiques avaient conservé le mauvais souvenir de l’épidémie de SRAS [syndrome respiratoire aigu sévère] en 2003 et étaient plussensibilisées. Ils ont réagi en con­séquence. Les pays qui ont immé­diatement mis en place des dispo­sitifs de dépistage ont eu le moins de décès. L’Allemagne a montré le chemin. Dès fin janvier, elle dispo­sait d’un test diagnostique et n’a pas attendu d’avoir beaucoup de cas pour l’utiliser à grande échelle. Le Royaume­Uni a réagi tardivement et a commencé à par­ler de mise en quarantaine pour les voyageurs quand le nombre de cas était en diminution. C’était trop et trop tard. En France comme outre­Manche, les stocks de masques constitués après la pandémie grippale [A(H1N1)] de 2009­2010 ont disparu des bud­gets. Et il y a eu un sous­investisse­ment dans la santé publique.

Vous évoquiez le reflux de la pandémie. Pourrions­nous en être bientôt débarrassés ?

Nous ne sommes qu’au débutde l’épidémie. Il n’y a aucune rai­son qu’après avoir atteint cetteampleur, elle disparaisse sponta­nément. Nous n’avons pas encoreune immunité de groupe, même en Suède, où la stratégie misant là­dessus a échoué. Ce n’est que dans un an ou deux ans que nous pourrons faire le bilan de la ri­poste la plus efficace.

La situation dans le monde, mais aussi à l’intérieur des

frontières nationales est hétérogène…

Cette pandémie est un ensem­ble de nombreuses épidémies lo­cales. Toutes les régions d’un paysne sont pas touchées uniformé­ment. L’action doit donc être lo­cale ou régionale. La majorité des pays relâchent les mesures de dis­tanciation physique. Des flam­bées épidémiques sont proba­bles, mais pas de grande ampleur dans l’immédiat. Nous ne devons pas adopter une approche « bull­dozer » et fermer tous les pays, mais cela suppose un niveau d’in­formation en temps réel, très pré­cis et très local, sur l’épidémie.

Donc, cela implique de vivre avec le Covid­19…

Oui, nous devons vivre avec leCovid­19, comme nous vivons avec le VIH. Nous devons admettreque l’éradication de ce virus n’est pas réalisable actuellement. La seule maladie infectieuse qui ait été éradiquée est la variole, et nousn’en sommes pas très loin avec la polio. Mais c’est tout. Si nous ne

contrôlons pas le Covid­19, le sys­tème de santé ne peut fonctionnernormalement. Il nous faut donc une approche de réduction des ris­ques en minimisant l’impact de cette maladie et en réfléchissant à ce que nos sociétés sont prêtes à accepter pour cela.

Il n’est pas possible de revenir aumême confinement, pas tous les deux mois… Il a des effets secon­daires énormes et des répercus­sions sur les autres pathologies : une surmortalité par infarctus du myocarde, AVC, cancer, faute d’ac­cès aux soins essentiels ; il y a unfort retentissement sur la santé

mentale. Sans parler des problè­mes économiques. Vivre avec le Covid­19, cela signifie trouver des compromis entre la protection de la population et ne pas aggraver les problèmes. Il est nécessaire de modifier les comportements àgrande échelle sur le port du mas­que, le lavage des mains et la dis­tanciation physique. Dans beau­coup de pays, l’épidémie a surtouttouché les maisons de retraite, les hôpitaux, les foyers des tra­vailleurs du secteur de la santé et les prisons. Nous devons concen­trer nos efforts sur ces lieux.

Comment le continent africain va­t­il faire face à la pandémie ?

Les épidémies voyagent. Il n’y apas de raison que celle­ci évitel’Afrique. Le Covid­19 s’est pas mal implanté, notamment enAfrique du Sud, dans la région duCap, mais ce n’est pas aussi spec­taculaire qu’en Europe ou dansles Amériques. Est­ce une simplequestion de temps ? Le faitd’avoir une population plusjeune, en moyenne, que celle du

Vieux Continent pourrait jouer.Des facteurs climatiques pour­raient­ils atténuer le risque ?Nous l’ignorons. Reste que lesmesures de distanciation physi­que ne sont pas applicables dansles grands townships, commeKhayelitsha, en Afrique du Sud, Kibera, au Kenya, ou dans lesgrandes villes africaines surpeu­plées. C’est le même problème enInde. A Bombay, les cas explo­sent, certains hôpitaux placentdeux malades par lit…

Que vous inspire la mobilisa­tion internationale pour mettre au point un vaccin ?

Ce qui a déjà été accompli encinq mois est impressionnant. Des laboratoires universitaires ou commerciaux ont commencé à travailler dès janvier. Lors du Forum de Davos [21 au 24 janvier],la Coalition pour les innovations en matière de préparation aux épi­démies a accordé des finan­cements à quatre projets de re­cherche sur les vaccins. Il existe plus d’une centaine d’initatives.

Les Pays­Bas abattent des visons contaminés par le SARS­CoV­2Les autorités, qui suspectent que deux personnes ont été infectées par les mustélidés, espèrent prévenir un rebond épidémique

L es autorités sanitairesnéerlandaises procèdent,depuis le 5 juin et pour une

dizaine de jours, à l’abattage de plusieurs milliers de visons, dont une partie a été infectée par le SARS­CoV­2. Une décision priseen dépit des protestations des associations de protection ani­male, qui appelaient à isoler stric­tement les animaux malades plu­tôt que de tuer toutes les bêtes, et qui provoque la perte d’une sai­son de travail dans ces élevages. Tandis que l’épidémie de Covid­19décroît aux Pays­Bas, la présence persistante du virus parmi cesanimaux faisait craindre unrebond possible dans la popula­tion, les autorités estimant que deux personnes ont pu être con­taminées par des mustélidés.

Courant mai, des vétérinaires etéleveurs observent des pneumo­nies suspectes et une mortalité accrue dans certains élevages si­tués dans le sud­est des Pays­Bas, une des zones les plus touchéespar le Covid­19. Le 19 mai, la pré­sence du virus est confirmée dans trois élevages et des mesu­res sanitaires y sont décrétées. Le 28 mai, après la découverte d’une quatrième ferme infectée, elles sont étendues à toutes les vison­nières néerlandaises : plus aucun transport d’animaux n’est auto­risé et un dépistage obligatoire est lancé. Mais entre­temps, le vi­rus a pu circuler plusieurs semai­nes dans ces milieux confinés à forte densité. Au 10 juin, treizeélevages étaient concernés, selon le ministère de l’agriculture.

Aux Pays­Bas, les élevages de vi­sons vivent leurs dernières heu­res. Après des années de campa­gne contre le secteur de la four­rure, le pays a décidé en 2013 d’in­terdire toute nouvelle installationet de faire cesser l’activité des vi­sonnières existantes d’ici à 2024. Erwin Vermeulen, de l’association Animal Rights, qui a tenté en vainde faire annuler en justice la déci­sion d’abattage, déplore les condi­tions dans ces élevages. « Les vi­sons vivent dans des cages grilla­gées, les uns sur les autres, alors quece sont des animaux solitaires. » Avec la fin programmée de cette activité, plus aucun investisse­ment n’a été réalisé ces dernières années dans les installations. Le virus est apparu au printemps auxPays­Bas, au moment où les vi­

sons mettent bas et les fermes se densifient. « L’élevage de visons est saisonnier, poursuit Erwin Ver­meulen. En mars­avril, on comp­tait 800 000 femelles gestantes. Ce sont désormais 4 à 5 millions d’ani­maux qui vivent dans les élevages. »

Protection immunitaire fragileSelon les comptes rendus des tra­vaux du comité de gestion des zoonoses, les experts estiment que les petits ont reçu des anti­corps à la naissance, mais crai­gnent que cette protection immu­nitaire décroisse au fil des semai­nes. La découverte de transmis­sions suspectes à l’homme a fini de convaincre les autorités d’or­donner l’abattage sur toutes les fermes contaminées. Sans pou­voir l’affirmer avec certitude, les

experts du comité de gestion des zoonoses estiment « probable », auvu de l’analyse du séquençage gé­nétique du virus, que les visons aient infecté au moins deux per­sonnes. Cette contamination ani­mal­homme serait la première ainsi observée dans le monde, se­lon l’Organisation mondiale de la santé – la question de l’origine ani­male du SARS­CoV­2 restant, elle, toujours ouverte. « A l’origine, on pense que le virus était différent dans le réservoir animal, relève So­phie Le Poder, professeure de viro­logie à l’Ecole nationale vétéri­naire d’Alfort. Là, on parle du même virus, passant de l’homme au vison puis du vison à l’homme, sans savoir comment précisé­ment. » Pour mieux comprendre les chaînes de transmission, des

analyses sont en cours auprès de la population environnante des visonnières pour retracer l’arbre généalogique du virus.

A l’échelle mondiale de la pandé­mie, ces visons contaminés res­tent une exception. « On ne voit pas d’épizootie animale de SARS­CoV­2, mais des cas sporadiques marginaux par rapport à la conta­mination humaine », assure So­phie Le Poder. Pour elle, les éleva­ges de visons ont agi à l’instar d’autres milieux clos infectés, tels les bateaux de croisière. Cet épi­sode va­t­il accélérer la reconver­sion des élevages de visons ? Les associations de protection ani­male l’espèrent ; les éleveurs, eux, n’excluent pas de redémarrer l’ac­tivité dans quelques mois.

mathilde gérard

Le conseiller de la présidente de la Commission européenne pour la recherche sur le Covid­19, à Londres, le 8 mai. HEIDI LARSON

Une dizaine d’entre elles, peut­être, aboutiront.

Qu’attend­on d’un vaccin contre le Covid­19 ?

Son cahier des charges com­prend quatre conditions. Le vac­cin doit démontrer qu’il protège contre l’infection ou, au moins, at­ténue les effets de la maladie et ré­duit le nombre des décès. Cela im­plique des essais cliniques dansune population où l’incidence duCovid­19 soit suffisante. Elle dimi­nue en Europe. Peut­être au Bré­sil… Le vaccin doit aussi ne pas avoir d’effets secondaires. Avec une administration à très grande échelle, des effets indésirables rares toucheraient un nombre im­portant de personnes. Une fois ces deux premières conditionsremplies, il ne faut pas espérer une autorisation de mise sur le marché avant 2021.

Troisième condition, des mil­liards de doses d’un vaccin contre le Covid­19 devront être produi­tes. Une capacité de production qui n’existe pas à l’heure actuelle. Il faut investir pour acquérir et construire des unités de produc­tion répondant aux normes, avant de savoir si le candidat vac­cin va marcher. Enfin, il faut tout faire pour que tous ceux qui ontbesoin du vaccin y aient accès. La collaboration internationale ACT souligne la nécessité d’un accès équitable. C’est très important au moment où l’on voit apparaître un nationalisme vaccinal. DonaldTrump affirme que les vaccins produits aux Etats­Unis seront ré­servés aux Etats­Unis. Il fautà tout prix éviter cela. Néan­moins, il faudra faire des choixsur les priorités. Cela donnera lieuà des débats très durs tant qu’il y aura une pénurie de vaccins.

Vous avez été atteint du Covid­19. Comment avez­vous vécu votre maladie ?

C’est une sale maladie, avec desaspects chroniques chez beau­coup de ceux qui l’ont eue. Ironi­quement, j’ai passé la plus grande partie de ma vie d’adulte à com­battre les virus, à leur mener la viedure. Là, un virus a pris sa revan­che sur moi ! C’est quand mêmedifférent quand on en fait l’expé­rience personnelle : je deviens − pour reprendre une expression néerlandaise − un « expert d’ex­périence ». Comme cela est de­venu habituel dans la lutte contrele sida, il faut impliquer les per­sonnes touchées dans la réponseà cette maladie.

propos recueillis par paul benkimoun

« Il n’est pas possible

de revenir au même

confinement, pas tous

les deux mois »

UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws

Page 7: Le Monde - 12 06 2020

0123VENDREDI 12 JUIN 2020 planète | 7

Covid­19 : des avocats en quête de victimesCertains auxiliaires de justice opportunistes n’hésitent pas à démarcher des malades

ENQUÊTE

A mesure que l’épidémiede Covid­19, qui a causéplus de 29 000 décès enFrance, semble s’étein­

dre, des familles endeuillées ou des citoyens ulcérés par la gestion gouvernementale de cette crise sanitaire demandent des comp­tes. « La judiciarisation est en place,sur le mode américain, notait Roselyne Bachelot, ancienne mi­nistre de la santé aujourd’hui chroniqueuse sur TF1, le 28 mai, ausujet de la dimension judiciaire que prend la pandémie. Il y a des cabinets d’avocats qui se sont fait une spécialité d’aller contacter les malades ».

Dans leur quête de réponses etde vérité, les justiciables ne sont en effet pas seuls. Pris d’une soudaine passion pour la santé publique, nombre d’avocats sesont lancés dans la recherche de victimes pour être parmi les pre­miers à déposer des plaintes en tout genre. Souvent rédigées à la hâte, celles­ci ne reflètent pas forcément les préoccupations desvictimes et risquent de créer delourdes déceptions.

Olivia Mokiejewski, dont lagrand­mère est morte du Co­vid­19 à l’hôpital après avoir étécontaminée dans un Etablisse­ment d’hébergement pour per­sonnes âgées dépendantes (Eh­pad) francilien, a fait l’expérience de l’empressement d’une poi­gnée de ces auxiliaires de justice. « Début avril, sur Facebook, j’aivoulu alerter mes confrères sur lapropagation de l’épidémie et le dé­faut d’information dramatique dans les maisons de retraite, a ex­pliqué au Monde cette journaliste de 43 ans. Résultat, j’ai été littérale­ment draguée par une demi­dou­zaine d’avocats insistant pour me rencontrer, me représenter. »

Sites sans contenu réelD’instinct, elle a résisté. Elle s’est alliée à Arnaud Noyer, rencontré àtravers une amie commune et dont la grand­mère a aussi suc­combé du Covid­19 dans un Eh­pad des Alpes­Maritimes. Tousdeux ont fondé, le 5 mai, l’associa­tion Collectif 9471, en référenceau nombre de morts recensés dans les Ehpad à cette date. Et, pour déposer plainte, ils ont re­cruté un conseil soigneusement choisi pour « son approche humaine, sa déontologie et ses tarifs raisonnables ».

Certains avocats sont passés àdes méthodes plus systémati­ques en créant des sites Internet spécifiques s’affichant comme « associations de victimes ». Des sites au look attrayant, mais dé­pourvus de contenu réel, à l’op­posé de ce que proposent habi­tuellement les associations devictimes. Pas de liste de revendi­cations, de communiqués depresse ou d’interpellation des pouvoirs publics… Tout juste ydemande­t­on de répondre à un« sondage » ou de laisser un bref« témoignage ». « Ce type deprocédé est un filet pour récolterles adresses mail et l’identité d’ad­hérents susceptibles de devenir defuturs clients », décrypte unavocat habitué des dossiersjudiciaires de santé publique quia requis l’anonymat.

Avant même de déposer en pré­fecture les statuts de l’Association française des victimes, malades etimpactés du coronavirus­Co­vid­19 (Corona Victimes), qui le désignent comme « dirigeant no 1 », Me Jean­Baptiste Soufron, avocat spécialisé dans le droit des start­up, a ainsi créé un site. « Monter des associations loi de 1901 et des sites Internet, je sais faire, j’en ai monté 200 », a expli­qué au Monde le quadragénaire, qui fut membre de l’équipe de campagne de François Hollande, conseiller de la ministre chargée de l’économie numérique Fleur Pellerin, puis secrétaire général du Conseil national du numéri­que, après avoir été journaliste et entrepreneur. Me Soufron se dit sensible à la cause des victimes duCovid­19 car sa mère a été touchéepar une forme légère du virus.

Le référencement du site enpremière page sur les moteurs de recherche est essentiel pour ral­lier des victimes. « Ce serait bien sivous pouvez mentionner [son] nom, c’est par là qu’on communi­que… », n’oublie d’ailleurs pas desuggérer cet expert du numéri­que. Sur le site de Corona Victimes ne figure aucune information concernant l’iden­tité des autres membres fonda­teurs de l’association.

Ebranlé par la mort de sa mèredans un Ehpad francilien, le1er avril, après que cette dernière s’était vue refuser un transport àl’hôpital par le SAMU, Gilles, 62 ans – qui préfère conserver l’anonymat –, s’est brièvementfait prendre dans ce « filet », alorsqu’il cherchait à rejoindre Coronavictimes (en un seul mot).Moins bien classée dans les mo­teurs de recherche, cette dernièreassociation s’était fait connaîtrepar une requête, déposée le2 avril devant le Conseil d’Etat,contre l’inégalité d’accès auxsoins hospitaliers.

Gilles, qui a, depuis, rejointCoronavictimes, explique avoir « contacté par mail, le 8 avril » l’as­sociation de Me Soufron, puisl’avoir relancée par deux fois les jours suivants. Un mois et demi plus tard, il a finalement reçu unenewsletter lui proposant de s’as­socier à une plainte contre le di­recteur général de la santé, Jé­rôme Salomon, et de lancer un re­cours… pour faire annuler les élections municipales. MaisGilles s’y refuse. « L’union fait, cer­tes, la force, mais il n’est pas ques­tion pour moi de m’engager dans des procédures tous azimuts que jen’ai pas choisies », confie­t­il.

D’autres avocats ont monté desassociations dont les objectifssont en étroite relation avec les compétences de leur cabinet.

Covid­Grand Est, l’AssociationGrand­Est des victimes du Co­vid­19, par exemple, qui se définitcomme une « association de droit local » mais dont rien sur son site n’indique qu’elle a été créée par les cabinets de Me Xavier Iochum et Me Laurent Paté. « En ce mo­ment, les gens ont un besoin de droit (…), relève Me Iochum. Alors, on les informe, on leur explique comment bien remplir des recon­naissances en accident du travailou en maladie professionnelle. »

Me Christophe Lèguevaques,installé à Paris et qui dispose d’unassocié à Toulouse, se définit, lui, comme un « activateur de jus­tice ». De longue date, il proposedu « fast droit » sous forme de procédures « standardisées » sur sa plate­forme MySMARTcab. Il contourne ainsi l’interdictionfaite aux avocats d’être à l’initia­tive des « actions de groupe »créées par la loi de 2014 relative à la consommation.

A travers « N’oublions rien »,son site consacré au Covid­19, l’avocat invite à répondre à un sondage en laissant obligatoire­ment son adresse courriel. Et il propose quatre « actions collecti­ves » clé en main en faveur de l’utilisation de « l’hydroxychloro­quine et de l’azithromycine etd’autres bithérapies prometteuses contre le Covid­19 », qui subissent, selon lui, « un blocage ».

« Détournement de la justice »Ces diverses initiatives sont­ellesbien conformes au code de déontologie des avocats ? Inter­rogée, la commission des règles et usages de la profession d’avo­cat au Conseil national des bar­reaux ne décèle, « en façade, riende répréhensible » sur ces sites, même si elle considère qu’il faudra « surveiller » le contenu des e­mails adressés auxadhérents pour s’assurer du « res­pect du code de déontologie ». Mais qui s’en chargera ?

De son cabinet grenoblois,Me Hervé Gerbi, spécialisé dans l’indemnisation des dommages corporels, observe cette hyper­activité d’une partie de ses pairs avec circonspection. « Chaquejusticiable a une histoire à part, souligne­t­il. Il s’agit de sonprocès, dans lequel l’avocat est làpour l’accompagner. » Pour lui, le démarchage des victimes à grande échelle est « un manque­ment à l’obligation de délicatesse et d’indépendance qui interdit à l’avocat de prendre en compte son intérêt personnel ».

Un point de vue partagé pard’autres défenseurs de victimes. Un pénaliste intervenant dansdes dossiers sanitaires d’am­pleur, qui a requis l’anonymat, explique : « On est en train de créer des clients qu’on agrègepour inventer des causes. C’estdéontologiquement hors desclous et moralement inaccepta­ble, d’autant que ces plaintes, sou­vent rédigées à l’emporte­pièce,sont d’une qualité médiocre. »

Michel Ledoux, avocat des victi­mes de l’amiante depuis vingt­cinq ans, juge, lui aussi, ces mé­thodes « extrêmement douteu­ses ». « Les avocats sont au service de l’association pour lui apporter les éclairages juridiques indispen­sables, pas l’inverse », dit­il. Il s’in­quiète du décalage entre les pro­messes faites aux victimes « sur lethème, vous allez voir ce que vous allez voir » et les plaintes dépo­sées précipitamment par des confrères totalement dépourvus d’expérience dans ce type d’af­faire. « Le rôle d’un avocat est deconseiller, pas de jeter ses clients contre un mur », insiste­t­il.

Les associations qui accompa­gnent de longue date les victi­mes mettent également en gardeles familles en situation de vulnérabilité contre le démar­chage par les avocats. Ellesrecommandent notamment de

prendre son temps avant designer une convention d’hono­raires et de consulter plusieursconseils ayant déjà fait preuve deleur compétence sur le sujet avant de choisir.

Selon Françoise Rudetzki, griè­vement blessée dans l’attentat durestaurant parisien Le Grand Véfour en 1983 et fondatriceen 1986 de l’association d’aideaux victimes SOS Attentats visantaussi à agir auprès des autorités politiques françaises, « le rôle des associations est d’écouter, d’infor­mer et de guider les adhérents afinqu’ils deviennent acteurs de leur propre parcours, pas d’en faire des victimes passives en les entraînantdans des procédures judiciairesdont la conduite leur échappe ».

Michel Parigot, président deCoronavictimes et engagé dansl’aide aux victimes de l’amiantedepuis le début des années 1990,pose la question directement :« Pourquoi se présenter comme association de victimes quand onest un cabinet d’avocats, sinonpour tromper ? » Pour lui, cette

« dérive » est imputable à la ré­cente ouverture de la professiond’avocat « à la publicité et au démarchage ». Et il estime « ur­gent que le législateur interviennepour la stopper ». « Les avocatsont un monopole de la représen­tation des victimes devant les tri­bunaux, mais il ne leur donne pasle droit d’agir par et pour eux­mê­mes, rappelle­t­il. C’est un détour­nement de la justice à des fins commerciales, qui instrumenta­lise les victimes et, au final, désta­bilise l’état de droit. »

A la lumière de son expérience,M. Parigot attire l’attention sur les « conséquences dommagea­bles » de la mainmise que tentent d’exercer certains avocats. « En re­groupant les victimes sous l’angle extrêmement réducteur de l’ac­tion judiciaire, ils empêchent la création de véritables associationsde victimes, capables d’agir en ma­tière de prévention et de peser surles choix de société. Des associa­tions ayant une réelle influence sur la politique menée – commecelles des victimes de l’amiante à la fin des années 1990 – ne pour­raient plus émerger dans ce nou­veau contexte. »

A l’époque, ces associations ontpu obtenir l’interdiction de l’usagede l’amiante et la création d’un fonds d’indemnisation des victi­mes de ce matériau cancérogène, influer sur la réglementation de protection des personnes qui y étaient encore exposées, et aussi participer à la gouvernance des agences de sécurité sanitaire.

patricia jolly

« J’ai été littéralement

draguée par unedemi-douzaine

d’avocats insistant pour

me rencontrer »OLIVIA MOKIEJEWSKI

petite-fille d’une victimecontaminée dans un Ehpad

« C’est moralementinacceptable,

d’autant que ces plaintes sont

souvent rédigées à l’emporte-pièce »,

commente un pénaliste

Un fonds d’indemnisation proposéLes députés du groupe socialiste de l’Assemblée nationale ont déposé, mercredi 10 juin, une proposition de loi visant à créer un fonds d’indemnisation pour les victimes du Covid-19, qui serait financé grâce à une contribution de l’Etat et de la branche acci-dent du travail de la Sécurité sociale. Plus ambitieux que la re-connaissance automatique en maladie professionnelle promise, fin mars, par le gouvernement, aux seuls personnels soignants et du ministère de l’intérieur en cas de contamination, ce texte – porté par Christian Hutin et Régis Juanico, apparentés socialis-tes – garantirait la réparation intégrale de leurs préjudices à tou-tes « les personnes connaissant des séquelles temporaires ou défi-nitives du fait de leur infection » ainsi qu’aux « ayants droit des personnes décédées » du Covid-19.

PESTICIDESUn projet de collège proche de vignes abandonnéUn collège de Gironde, dont le projet de reconstruction près d’un vignoble avait sus­cité l’opposition de riverains et de parents d’élèves en rai­son de craintes liées aux trai­tements par les pesticides, sera finalement rebâti ou agrandi ailleurs, a annoncé mercredi 10 juin le conseil dé­partemental. L’emplacement prévu pour accueillir ce col­lège de Parempuyre jouxtait des vignobles du château Clément­Pichon, et devait accueillir 900 élèves. – (AFP.)

SÛRETÉ NUCLÉAIREEDF mis en demeure sur la centrale de GravelinesL’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a mis en demeure EDF de réaliser des travaux d’ici à la fin octobre sur sa centralede Gravelines (Nord) afin de pouvoir faire face à une éventuelle explosion au ter­minal gazier de Dunkerque, voisin de la centrale, a an­noncé l’ASN mercredi 10 juin. Un accident de ce type pour­rait entraîner une perte des moyens de refroidissement du combustible.

FAUNEUn ours mâle abattu dans les PyrénéesL’ours brun retrouvé mort mardi 9 juin dans les Pyré­nées portait des traces de tir par balle, a annoncé le procu­reur de Foix mercredi. Une enquête a été ouverte pour « destruction non autorisée d’une espèce protégée », une infraction passible de trois ans de prison et 150 000 euros d’amende. – (AFP.)

PARIS 3e • PARIS 7e • PARIS 12e • PARIS 14e • PARIS 17e • ATHIS-MONS • DOMUS C. CIAL • COIGNIÈRES • HERBLAY/MONTIGNY-LÈS-C.(1)

ORGEVAL • SAINTE-GENEVIÈVE-DES-BOIS • SAINT-MAXIMIN • SURESNES • VAL D’EUROPE C. CIAL /SERRIS • VERSAILLES.

(1) Magasin franchisé indépendant.

« LES TENTATIONS » DANS TOUS LES MAGASINS DE FRANCE PARTICIPANT À L’OPÉRATION.Liste sur www.roche-bobois.com

PhotoMichelGibert,noncontractuelle.PierreStéphaneDumas–www.bubbletree.fr–www.gerflor.com

Blogger. Design Roberto Tapinassi & Maurizio Manzoni.

UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws

Page 8: Le Monde - 12 06 2020

8 | FRANCE VENDREDI 12 JUIN 20200123

Macron prépare l’après sans changer de capLe président de la République doits’exprimer dimanche 14 juin pour accélérer le déconfinement

E mmanuel Macron a dé­cidé de passer à la vitessesupérieure. Trois moispresque jour pour jour

après avoir décidé de confiner lepays pour lutter contre l’épidé­mie due au coronavirus, le prési­dent de la République s’adressera de nouveau aux Français, diman­che 14 juin à 20 heures. Une qua­trième allocution depuis l’Elyséedestinée non plus cette fois à mo­biliser pour la « guerre » contre leCovid­19 mais à accélérer le dé­confinement, alors que les mi­lieux économiques piaffent et que l’épidémie est « contrôlée », comme l’a rappelé le conseil scientifique mercredi 10 juin.

Le président de la Républiqueconsidère en effet que l’urgence économique et sociale a désor­mais pris le pas sur l’urgence sani­taire. L’impatience perceptible de­puis quelques jours chez les Fran­çais l’est aussi à l’Elysée, où l’on s’irrite du « défaitisme » manifestépar certains intellectuels et de l’ef­fet ouate crée par le confinement.

Pour repartir de l’avant, Emma­nuel Macron veut, au plus vite,donner du sens à la « nouvelle étape de la vie du pays » qui vas’ouvrir à la rentrée de septembre et durer jusqu’à la fin du quin­quennat. D’autant que la campa­gne du second tour des élections municipales s’ouvre lundi 15 juin.

Une « nouvelle étape »« Lors de son allocution, le prési­dent va expliquer ce qu’il s’est passé,saluer l’engagement des Français, revenir aussi sur les manque­ments », énumère un conseiller. Un préalable nécessaire avant de passer à cette fameuse « nouvelle étape », dont il devrait tracer les grandes lignes avant d’en détailler le contenu entre le second tour des municipales et le 14­Juillet.

Emmanuel Macron, qui sou­haite impulser une relance « éco­logique et sociale », doit, d’ici là, re­cevoir les représentants de la con­vention citoyenne sur le climat et décider de la forme qu’il donnera à leurs propositions − l’hypothèsed’un référendum reste envisagée. Le président doit aussi prendre connaissance des contributions qu’il a demandées aux présidents de l’Assemblée nationale, du Sénat et du Conseil économique, social et environnemental.

En attendant, Emmanuel Ma­cron n’entend pas se laisser em­porter trop loin de son port d’at­tache. En parlant de « nouvelle étape », les hommes du président récusent de fait tout changement de cap. Aux yeux du chef de l’Etat,la politique économique engagée au début du quinquennat était la bonne car elle avait permis, avant le confinement, de rétablir l’at­

tractivité et de faire substantielle­ment baisser le chômage. Hors dequestion, donc, de revenir sur les baisses d’impôts engagées depuisle début du mandat ou de créerune imposition sur les riches, comme le réclame la gauche.

Le chef de l’Etat ne veut pas nonplus d’un Grenelle des salaires quiaboutirait, selon lui, à renforcer l’avantage de ceux qui ont un em­ploi au détriment de ceux qui vont le perdre et de ceux qui n’en ont pas. Dans le secteur privé, il préfère jouer sur l’intéressement et la participation, au risque de créer des frustrations dans les en­treprises qui n’auront pas immé­diatement les moyens de la ver­ser. Dans ses échanges avec ses proches, l’intégration des « outsi­ders » revient comme un leitmo­tiv, de même que la lutte contre les corporatismes, deux points qui ne sont pas sans rappeler sa campagne présidentielle de 2017.

Signe de cette résolution, le pré­sident de la République a fait sa­voir qu’il n’entendait pas non plusabandonner l’idée de la retraite

par points, qui a pourtant suscité une très forte crispation socialeces derniers mois. A ses proches, ilfait valoir qu’elle serait particuliè­rement avantageuse pour les « premiers de corvée », les caissiè­res, les livreurs, les éboueurs, tousceux qui ont tenu le pays pendantla crise. Il estime qu’elle a encore une chance d’être comprise, pourvu que du temps soit laissé aux partenaires sociaux et que ses dispositions les plus clivantes,comme l’âge pivot, soient remisessur la table de négociation.

On l’aura compris, c’est essen­tiellement sur la méthode qu’Em­

manuel Macron devrait promet­tre du changement. Accusé de concentrer les pouvoirs, il se diten petit comité prêt à partager laresponsabilité avec les partenai­res sociaux et les élus locaux. Pourle jacobin Macron qui promet de se « réinventer », cela équivaut à une révolution copernicienne.Encore faut­il que les partenaires saisissent la balle au bond. Pas fa­cile, alors que la présidentielle de 2022, déjà dans toutes les têtes,aiguise les appétits et freine toute velléité de concorde nationale.

Alors que la question du chô­mage va dominer toutes les autres, l’Elysée met en avant le modèle de « flexisécurité » qu’il tente, depuis quelques semaines, d’impulser avec les partenaires sociaux à l’occasion des plans de soutien aux secteurs en difficul­tés : sauvegarde autant que possi­ble de l’emploi contre modération salariale et développement de la formation. Une politique ouverte­ment inspirée des réformes Hartz menées en Allemagne au début des années 2000, qui ont permis à

nos voisins de retrouver le plein­emploi après la réunification. Pre­nant appui sur les négociations menées par l’Union des industrieset métiers de la métallurgie, le pré­sident espère un accord interpro­fessionnel et des négociations par branche et par entreprise.

Partager le fardeauAvec les collectivités locales, Em­manuel Macron se dit égalementprêt à partager le fardeau. Il dit res­sentir ce que le général de Gaulle avait éprouvé en 1969 et que Fran­çois Mitterrand avait compris en 1981 : l’excès de tension sur le sommet conduit à demander toutet son contraire au président de la République, au point de fragiliser la fonction et, avec elle, la démo­cratie. Pour détendre l’élastique, il se dit prêt à mieux répartir « lescharges et les pouvoirs », mais à condition que l’élu local soit prêt àendosser la responsabilité pleine et entière des compétences qui luiseront dévolues.

En attendant, l’Elysée mise surun mouvement de déconcentra­

tion pour remettre au niveau du département les compétences ad­ministratives qui y ont été détrui­tes au rythme des différentes révi­sions des politiques publiques. Endégonflant les effectifs parisiens au bénéfice du reste de la France, Emmanuel Macron espère redo­rer le blason d’un Etat central vécucomme lointain et tatillon.

Mais a­t­il les moyens, à cet ins­tant du mandat, de créer un large mouvement de délocalisation ? Au fil de son quinquennat, le pré­sident a pu mesurer comme nom­bre de ses prédécesseurs, combience qu’il appelle « l’Etat profond » lui résistait. La réforme de l’ENA, qu’il avait souhaitée après le mouvement des « gilets jaunes », n’est toujours pas faite. Il veut la remettre en chantier, en répétant à ses proches qu’il est là pour « se­couer ». Avec toujours Edouard Philippe à la tête du gouverne­ment ? Le président le répète : c’estla ligne politique qui fait le choix des hommes, pas l’inverse.

françoise fressozet cédric pietralunga

L’Elysée veut répondre au mal­être d’une partie de la jeunesseLors de sa prochaine allocution, M. Macron adressera un message aux jeunes qui se rassemblent contre le racisme et les violences policières

J usqu’ici silencieux sur lemouvement de protestationcontre les violences policièreset le racisme, Emmanuel Ma­

cron devrait s’exprimer sur le sujetdimanche 14 juin, lors de son allo­cution. L’occasion d’apparaître en père de la nation, alors que les ma­nifestations se multiplient et que certains craignent des déborde­ments lors du rassemblement qui doit se tenir samedi 13 juin, à Paris,à l’appel de la famille d’Adama Traoré. « Le président va montrerqu’il est le président de tous les Français, qu’il considère et protège tous les enfants de la République », estime un proche soutien.

Au sein de l’exécutif, on necache plus la crainte de voir se

lever un vent de révolte au sein dela jeunesse. Si les Etats­Unis nesont pas la France, l’affaire GeorgeFloyd sert de vecteur au mal­être de la partie la plus jeune de la po­pulation, estime­t­on à l’Elysée.

« On a fait vivre à la jeunessequelque chose de terrible à travers le confinement : on a interrompu leurs études, ils ont des angoisses sur leurs examens, leurs diplômes et leur entrée dans l’emploi. Il est normal qu’ils trouvent dans la lutte contre le racisme un idéal, un universalisme », répète M. Macronà ses interlocuteurs. Pour le chef de l’Etat, le confinement a étépénalisant avant tout pour lesjeunes, alors qu’il a d’abord été décidé pour protéger les plus

âgés, davantage exposés au coro­navirus. Un paradoxe qui, si l’onn’y prend garde, pourrait débou­cher sur un « conflit de généra­tions », craint Emmanuel Macron.

La maxime du dentifriceLe président partage les analysesde ceux qui estiment que la géné­ration de Mai 68 est responsable d’un certain nombre de maux du pays mais aussi du monde, notamment en matière d’écolo­gie. « Il ne faut pas perdre la jeu­nesse », résume­t­on au sommetde l’Etat, où l’on répète à l’envi la maxime du dentifrice, qui veut qu’une fois les lycéens ou les étu­diants sortis dans la rue, il est dif­ficile de les faire rentrer chez eux.

Le risque est d’autant plus grandpour la République que la menacesécessionniste est réelle au sein du pays, affirme­t­on au sein de l’exécutif. Pour le chef de l’Etat, l’affaire George Floyd entre en ré­sonance avec un passé colonial non encore digéré. « La guerre d’Al­gérie reste un impensé », aime ré­péter le locataire de l’Elysée, qui a tenté à plusieurs reprises de faire évoluer les mentalités sur ce sujet mais dit se heurter à l’absence d’interlocuteurs. « Il y a tout un travail à faire avec les historiens, mais cela prend du temps », expli­que­t­on au cabinet présidentiel.

De la même façon, le chef del’Etat tient des propos très durscontre une partie des élites qui

se trompe de combat en raison­nant sur le plan des communau­tés. « Le monde universitaire a été coupable. Il a encouragé l’ethnici­sation de la question sociale en pensant que c’était un bon filon. Or, le débouché ne peut être que sé­cessionniste. Cela revient à casserla République en deux », estime enprivé le chef de l’Etat, qui soulignenotamment les ambivalences desdiscours racisés ou sur l’intersec­tionnalité. Pas question de dé­boulonner les statues au nom de la lutte contre le racisme, comme certains le réclament pour cellede Colbert à l’Assemblée natio­nale. « Effacer les traces ne traitepas le traumatisme », rappelle­t­il. En revanche, il faut amplifier la

lutte contre les discriminations, notamment à l’embauche.

Quelle réponse le chef de l’Etatpeut­il apporter sur les violences policières ? Emmanuel Macron ditne pas craindre une « FNisation » de la police. « Ce sont des citoyens comme les autres », répète­t­il. Il sedit prêt à faire évoluer les techni­ques d’interpellation, comme leministre de l’intérieur, ChristopheCastaner, a commencé à le faire eninterdisant l’étranglement. De même, il milite pour la multiplica­tion des caméras­piétons portées par les policiers. « Il faut aller vers davantage de transparence, on n’est pas encore allés au bout », dit­on au sommet de l’Etat.

f. f. et c. pi.

Le président a fait savoir

qu’il n’entendait pas abandonner

l’idée de la retraite par points

Edouard Philippe et Emmanuel Macron, à Paris, le 8 mai. JEAN-CLAUDE COUTAUSSE POUR « LE MONDE »

UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws

Page 9: Le Monde - 12 06 2020

0123VENDREDI 12 JUIN 2020 france | 9

B onjour, c’est AgnèsBuzyn… » En mars, à peinebombardée candidate à la

Mairie de Paris, l’ex­ministre de lasanté avait fait appeler au télé­phone 500 000 électeurs pour lesinciter à voter pour elle. Trois mois après l’envoi massif de ce message préenregistré, la tête deliste de La République en marche (LRM) à Paris s’apprête à renouve­ler l’expérience avec, cette fois­ci, des SMS. Environ 250 000 messa­ges vont être envoyés dans les prochaines semaines, a annoncé, mardi 9 juin, son équipe de cam­pagne. En parallèle, 250 000 cour­riers vont être postés.

Le parti présidentiel a, en outre,prévu « une énorme opération dephoning », avec « 50 000 coups defil au minimum ». Ils viseront avant tout les adhérents de LRM,les électeurs qui ont laissé leurscoordonnées au fil de la campa­gne, et les « amis d’amis ». Objec­tif : les inciter à se déplacer dans les bureaux de vote le 28 juin, ou, sinon, à confier une procuration au parti. « Nous voulons en récu­

pérer 10 000 à 20 000 », précise­t­on au siège de la campagne. Et puisque Emmanuel Macronmultiplie les références à Charles de Gaulle, l’opération a été appe­lée « l’appel du 28 juin ».

Agnès Buzyn et ses colistierssavent qu’ils ne sont pas les favo­ris de l’élection municipale. Aprèsavoir recueilli 17,3 % des voix le 15 mars, un score décevant qui s’expliquait en partie par la concurrence des listes de Cédric Villani (7,9 %), l’ancienne minis­tre de la santé n’est créditée que de 20 % des intentions de votepour le second tour, selon unsondage IFOP­Fiducial pour Le Journal du dimanche et Sud Ra­dio réalisé du 2 au 5 juin, le pre­mier publié depuis la sortie du confinement.

Elle se trouve ainsi largementdistancée par ses adversaires, la maire sortante socialiste AnneHidalgo (44 %) et l’ex­ministresarkozyste, et maire du 7e arron­dissement Rachida Dati (33 %).

Limiter la casseEn juin 2019, dans le même matchà trois, l’IFOP accordait non pas 20 %, mais 37 % des suffrages dusecond tour au candidat de LRM, alors Benjamin Griveaux. Entre­temps, le mouvement présiden­tiel a connu une succession de catastrophes : la dissidence de Cédric Villani, le renoncement de Benjamin Griveaux après la diffu­sion de vidéos intimes à caractèresexuel, les confessions maladroi­tes d’Agnès Buzyn au Monde surle « cauchemar » de sa fin de cam­

pagne, ses deux mois de silence,ses hésitations, enfin, à rester candidate… Compte tenu de cecontexte, « plus personne ne pensequ’Agnès Buzyn va être élue maire de Paris », affirmait, vendredi, lasecrétaire d’Etat à l’égalité entre les hommes et les femmes, Mar­lène Schiappa, dans un messageinterne destiné à ses colistiers du 14e arrondissement et révélé quel­ques heures plus tard par Le Point.

Les artisans de la campagne nebaissent pas les bras pour autant. « Agnès est plus combative que jamais, très présente sur le ter­rain », assure ainsi Déborah Paw­lik, sa colistière dans le 17e arron­dissement. Et à défaut de rempor­ter une victoire, les macronistesentendent conserver un maxi­mum d’élus au conseil municipal.Un pari loin d’être gagné. Alors que le conseil de Paris compteaujourd’hui environ 50 soutiens du gouvernement sur 163 élus,leur nombre pourrait tomber autour de vingt à vingt­cinq, selon diverses projections.

Pour limiter la casse, difficile des’appuyer sur Agnès Buzyn,devenue l’une des personnalités politiques les moins appréciées des Français. Au sein même des

sympathisants de LRM, elle re­cueille davantage d’opinions dé­favorables que favorables, selon ledernier baromètre d’Ipsos pour Le Point. Les stratèges de la cam­pagne ont donc pris une autre op­tion. Ils misent désormais sur l’image d’Emmanuel Macron et du gouvernement.

Plan d’investissementTous les tracts, les affiches, les professions de foi soulignerontl’appartenance des candidats à la « majorité présidentielle soutenue par Emmanuel Macron ». Ce sera le message clé. Des photos du chefde l’Etat et du premier ministre Edouard Philippe sont prévuessur tous les documents. Dans son tract distribué le week­end du 6 etdu 7 juin, Gaspard Gantzer, tête deliste dans le 6e arrondissement, s’affiche aux côtés du chef dugouvernement et ne mentionne même pas le nom d’Agnès Buzyn.

« Le 28 juin, les Parisiens aurontle choix entre trois candidates,dont deux, Anne Hidalgo et Ra­chida Dati, critiquent systémati­quement l’action du président de la République et de son gouverne­ment, explique Pierre­Yves Bour­nazel, l’un des porte­parole

d’Agnès Buzyn. Nous, nous la soutenons. Et pour gérer la crise qui arrive, avoir une maire alignée politiquement avec la majoritéprésidentielle peut constituer un atout décisif. »

En se présentant ainsi commeles fantassins d’Emmanuel Ma­cron à Paris, les candidats réunis autour d’Agnès Buzyn espèrentremobiliser le socle électoral deLRM dans la capitale. Et convain­cre à nouveau ceux, nombreux,qui ont voté un jour en faveur duprésident et de ses équipes et s’ensont parfois éloignés. Il s’agit de s’assurer que les électeurs d’Agnès Buzyn au premier tour ne la lâcheront pas au second,

mais aussi de séduire les sou­tiens de Cédric Villani, désormaisécarté de la course. Pour y parve­nir, la candidate à la Mairie a re­pris dans son programme plu­sieurs projets du mathématicien,comme un plan d’investisse­ment de 5 milliards d’euros dans la transition écologique. A ce stade, cependant, environ 40 %électeurs de Cédric Villani comp­tent se reporter sur Anne Hi­dalgo, et un tiers seulement sur Agnès Buzyn, selon l’IFOP.

Au­delà, les macronistes espè­rent attirer certains électeurs centristes, en insistant sur leurs différences jugées « extrêmes » avec la « droite dure » de Rachida Dati, selon les mots des militants. « Elle a des valeurs qui ne corres­pondent pas du tout à notre vision », affirme Paul Midy, le di­recteur de campagne. Cet argu­ment se heurte, cependant, à l’al­liance conclue avec la même Ra­chida Dati dans le 5e arrondisse­ment. La maire sortante, Florence Berthout, figure de proue locale d’Agnès Buzyn, y a fusionné sa liste avec celle de LR. Un accord va­lidé par la direction de LRM, afin de sauver le fauteuil de l’élue.

denis cosnard

« Avoir une maire alignée politiquement

avec la majoritéprésidentielle

peut constituerun atout décisif »

PIERRE-YVES BOURNAZELporte-parole d’Agnès Buzyn

Agnès Buzyn, candidate LRM aux municipales, à Paris, le 15 mars. JULIEN DE ROSA/AFP

Des photos d’Emmanuel Macron et du

premier ministre,Edouard Philippe,

sont prévues sur tous

les documents

Majorité et oppositions en accord sur la retraite des agriculteursLes députés ont voté en commission des affaires sociales une proposition de loi qui revalorise le montant minimal des pensions agricoles

L es députés de la majorité etdes oppositions viennentde réussir un tour de force :

s’entendre à propos des retraites, alors qu’ils croisaient le fer sur le sujet, il y a trois mois. A l’issue de débats en commission des affai­res sociales, ils ont adopté, mer­credi 10 juin, à l’unanimité, une proposition de loi (PPL) commu­niste visant à garantir aux agri­culteurs une pension minimumégale à 85 % du smic – à conditiond’avoir accompli une carrière complète. Le texte poursuit ainsi un but similaire au projet de loi instituant un système universel de retraites, qui est passé en première lecture, début mars, à l’aide du 49.3. Une réforme à l’ori­gine, donc, d’empoignades viriles à l’Assemblée nationale et dont l’examen au Parlement a été suspendu à cause du Covid­19.

Il s’agit d’un rebondissementinattendu pour cette PPL qui aenjambé deux législatures. Portéedepuis trois ans par le président du groupe de la Gauche démo­crate et républicaine (GDR), AndréChassaigne (PCF), elle avait étéapprouvée en première lecture auPalais­Bourbon début 2017, peu avant l’élection présidentielle. Mais son cheminement avait été stoppé, un an plus tard, au Sénat : le gouvernement avait alors demandé un vote bloqué, arguant

que la question des pensions agricoles serait traitée à l’occasionde la réforme des retraites.

L’issue des discussions encommission des affaires sociales, mercredi, constitue donc un revi­rement, dont se réjouit M. Chas­saigne. Le texte adopté ne va, cependant, pas aussi loin qu’il l’aurait voulu. Les députés de la majorité ont souhaité repousser l’entrée en vigueur de la revalori­sation. « Nous aurions voulu que ce soit dès 2021, mais pour des raisons techniques, rien ne nous dit que ce soit possible, justifieOlivier Damaisin, député LRM du Lot­et­Garonne. Du coup, nous avons opté pour 2022, afin d’éviter les mauvaises surprises. »

Autre modification substan­tielle, par rapport à la version ini­tiale de la PPL : l’instauration d’un

« écrêtement ». Ce mécanisme concerne les personnes qui, ayantcotisé à plusieurs caisses durantleur vie professionnelle, ont, dumême coup, droit à plusieurspensions : il aura pour effet de limiter le coup de pouce financieraccordé à l’agriculteur afin que lemontant de pension perçu, tousrégimes confondus, n’excède pas un certain seuil. Une telle mesurepoursuit un objectif d’« équité » entre ceux qui ne bénéficient que d’une seule pension et les « poly­pensionnés », explique M. Damai­sin. C’est aussi une façon de cir­conscrire le coût du dispositif. Se­lon le député du Lot­et­Garonne, « on passe ainsi de 400 à 280 mil­lions d’euros » par an – « 258 mil­lions », d’après M. Chassaigne.

« Une œuvre collective »Le patron du groupe GDR re­grette, bien évidemment, les cor­rections apportées par ses collè­gues macronistes et leurs alliés centristes car le nombre de béné­ficiaires sera, in fine, moins im­portant : 196 000, d’après lui, alors que la mouture originelle desa PPL permettait de couvrir près de 100 000 individus supplémen­taires. « Mais c’est quand même unprogrès », confie­t­il. « Il s’agitd’une avancée », renchérit Boris Vallaud (PS, Landes), car la mesuremise en place va aussi concerner

des paysans qui sont déjà à la retraite – ce qui n’est pas le cas dans le projet de loi relatif au sys­tème universel adopté début mars à l’Assemblée.

M. Chassaigne pense queplusieurs éléments ont joué en sa faveur : « J’ai travaillé avec les dé­putés de toutes les sensibilités pourque ce texte soit vu comme une œuvre collective et non pas commeune démarche partisane », décla­re­t­il. L’élu communiste affirmemême avoir plaidé sa causeauprès d’Emmanuel Macron, alors qu’ils revenaient, tous deux, en avion, des obsèques de l’ancienministre Michel Charasse, fin fé­vrier. « Du point de vue de la majo­rité, c’est gagnant­gagnant, com­plète­t­il : elle se donne une imageplus ouverte, sur un texte à dimen­sion sociale, ce qui ne peut qu’être accueilli favorablement dans le contexte actuel. » « Il était logiqueque cette proposition de loi soit ap­prouvée car elle rencontrait un écho fort chez des députés provin­ciaux de la majorité », observe Ni­colas Turquois (Modem, Vienne).

La proposition de loi de M. Chas­saigne devrait être approuvée sansencombre lors de son examen en séance, le 18 juin. Ce retournementde situation augure­t­il d’une vo­lonté de l’exécutif de reprendre la réforme qui avait enflammé le pays cet hiver ? Rapporteur géné­

ral du projet de loi relatif au sys­tème universel, Guillaume Gouf­fier­Cha (LRM, Val­de­Marne) fait remarquer que la question du mi­nimum de pension pour d’autres catégories d’indépendants, no­tamment les artisans et les com­

merçants, n’est pas abordée dans le texte. Or, « il y a des attentes » en la matière, souligne­t­il : « Notre ambition de créer le système uni­versel est toujours intacte. »

raphaëlle besse desmoulièreset bertrand bissuel

« La majoritése donne

une image plus ouverte, sur un texte à dimension

sociale »ANDRÉ CHASSAIGNE

député PCF

A Paris, Buzyn mise sur l’action gouvernementale pour se relancerDes milliers de SMS appelant à voter pour la candidate LRM vont être envoyés

- CESSATIONS DE GARANTIE

LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRETD’APPLICATION N° 72-678 DU 20

JUILLET 1972 - ARTICLES 44QBE EUROPE SA/NV, sis Cœur Défense– Tour A – 110 esplanade du Général deGaulle – 92931 LA DEFENSE CEDEX(RCS NANTERRE 842 689 556), suc-cursale de QBE EUROPE SA/NV, dont lesiège social est à 37, Boulevard du Régent,1000 BRUXELLES - BELGIQUE, faitsavoir que, la garantie financière dont béné-ficiait la :

SARLASIALYNE7 cours Colonel Petitpied09500 MIREPOIXRCS: 791 102 726

depuis le 02/04/2013 pour ses activités de :TRANSACTIONS SUR IMMEUBLES ETFONDS DE COMMERCE cessera de por-ter effet trois jours francs après publicationdu présent avis. Les créances éventuellesse rapportant à ces opérations devrontêtre produites dans les trois mois de cetteinsertion à l’adresse de l’Établissementgarant sis Cœur Défense – Tour A – 110esplanade du Général de Gaulle – 92931LA DEFENSE CEDEX Il est précisé qu’ils’agit de créances éventuelles et que le pré-sent avis ne préjuge en rien du paiementou du non-paiement des sommes dues etne peut en aucune façon mettre en causela solvabilité ou l’honorabilité de la SARLASIALYNE.

LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRETD’APPLICATION N° 72-678 DU 20

JUILLET 1972 - ARTICLES 44QBE EUROPE SA/NV, sis Cœur Défense– Tour A – 110 esplanade du Général deGaulle – 92931 LA DEFENSE CEDEX(RCS NANTERRE 842 689 556), suc-cursale de QBE EUROPE SA/NV, dont lesiège social est à 37, Boulevard du Régent,1000 BRUXELLES - BELGIQUE, faitsavoir que, la garantie financière dont béné-ficiait la :

SARL EURO IMMOBILIER46 Rue la Fayette75009 PARIS

RCS: 342 259 769depuis le 01/01/2004 pour ses activités de :TRANSACTIONS SUR IMMEUBLES ETFONDS DE COMMERCE cessera de por-ter effet trois jours francs après publicationdu présent avis. Les créances éventuellesse rapportant à ces opérations devrontêtre produites dans les trois mois de cetteinsertion à l’adresse de l’Établissementgarant sis Cœur Défense – Tour A – 110esplanade du Général de Gaulle – 92931LA DEFENSE CEDEX Il est précisé qu’ils’agit de créances éventuelles et que le pré-sent avis ne préjuge en rien du paiementou du non-paiement des sommes dues etne peut en aucune façon mettre en causela solvabilité ou l’honorabilité de la SARLEURO IMMOBILIER.

UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws

Page 10: Le Monde - 12 06 2020

10 | france VENDREDI 12 JUIN 20200123

Un an dans la vie des extrêmes droites en Europe« Le Monde » a pu consulter une note sur l’évolution des mouvements populistes depuis mai 2019

T entatives d’union ratéesdurant la campagneeuropéenne, accentua­tion du vote en faveur

des partis populistes, globalisa­tion du nationalisme… La chaire citoyenneté de Sciences Po Saint­Germain­en­Laye publie, jeudi11 juin, une note, à laquelle Le Monde a eu accès. Dans ce do­cument, les chercheurs décryp­tent l’année passée par les extrê­mes droites européennes.

Du scrutin de mai 2019 à la pan­démie de Covid­19, le coordina­teur, Nicolas Lebourg, historien etchercheur au Centre d’études po­litiques de l’Europe latine (CNRS­Université de Montpellier), et ledirecteur de l’observatoire des radicalités politiques de la Fon­dation Jean­Jaurès, Jean­Yves Camus, analysent les dynami­ques et les impasses des partis de la famille des droites nationales­conservatrices comme des mou­vements nationalistes radicaux.

« Phénomène dynamique »L’objectif ? Raconter que les mou­vements à l’intérieur du champ de l’extrême droite sont structu­rels. « On ne peut pas parler de “vague populiste”, c’est donner les mauvaises clés de compréhension,prévient Nicolas Lebourg. Une va­gue surgit, déferle et passe. Ce n’estpas du tout ce qu’on observe dans le champ de l’extrême droite, quiest un phénomène dynamiquedepuis le XIXe siècle, les débuts de la globalisation et le premier choc pétrolier. »

En se plongeant dans la vie desgroupes constitués au sein duParlement européen, les auteursrelèvent un premier point nota­ble. Lors du mandat précédent,les députés du groupe Europe des nations et des libertés (ENL)– parmi lesquels siégeaient no­

tamment le Front national, laLega italienne, l’AfD allemandeou encore le FPÖ autrichien – nese sont accordés que sur 69 % deleurs votes, contre au moins90 % au sein des groupes conser­vateurs, écologistes ou libéraux.« L’idée d’une “vague populiste”ou d’une possible “internationalepopuliste” repose donc d’abordsur une surestimation du niveaude cohérence idéologique des partis de l’ENL », résument les spécialistes.

Etudier les tentatives d’unionratées des droites populistes lors de la campagne pour les électionseuropéennes de 2019 leur permetensuite de remettre ces partis àleur place dans l’espace politiqueeuropéen. L’échec de l’ancienconseiller du président américainDonald Trump, Steve Bannon,débarquant en Europe dans l’opti­que de fédérer les partis populis­tes européens, montre que cesderniers « restaient confinés pourl’immense majorité d’entre eux en

dehors du mainstream politique ».A contrario, si « Donald Trumpavait gagné la présidentielle de­puis l’extérieur du Parti républi­cain, il n’avait pu vaincre qu’une fois devenu le candidat de celui­ci, grâce à son appareil et à ses élec­teurs », précise le document.

Sans compter l’incapacité de cespartis, ensuite, à constituer un groupe unique au Parlement européen et à « recruter les partis qui auraient permis de proclamer qu’une ère nouvelle s’ouvrait en

Europe », notamment le BrexitParty de Nigel Farage au Royau­me­Uni et le Fidesz de ViktorOrban en Hongrie.

Selon les chercheurs, unedernière déconfiture finit d’ancrerles nationalistes dans la marge de l’espace de décision politique européen : le groupe Identité et Démocratie (qui réunit notam­ment le Rassemblement national et la Lega) a échoué à obtenir les deux postes de vice­présidents du Parlement européen et les deux présidences de commission qu’il aurait dû avoir au regard de ses 73 sièges obtenus. « Il n’a obtenu aucun poste car les autres groupes ont maintenu le cordon sanitaire à son égard », résument Nicolas Le­bourg et Jean­Yves Camus.

Suprémacisme blancDes déconvenues politiques quimènent à la deuxième partie de lanote, consacrée à la « tentation terroriste » des mouvements radi­caux d’extrême droite en Europe.

Les deux chercheurs y expli­quent que « la concordance entrerecul politique et tentation terro­riste est possible » : « Le manque

d’issue politique à une radicalitédont les thèmes (type “grand rem­placement”) sont pourtant ample­ment diffusés, et participent, demanière diluée, aux succès despartis légalistes d’extrême droite,peut amener certains de ses mili­tants à considérer que le passage àla violence devient la seule option rationnelle pour obtenir le bascu­lement auquel ils aspirent. »

Une « tentation » que le supré­macisme blanc exprime désor­mais dans le cadre de la globalisa­tion, « quoiqu’il vomisse le “mon­dialisme” », ajoutent les cher­cheurs en s’appuyant sur plusieurs exemples parlants.

Au printemps 2020, le Mouve­ment impérial russe a ainsi été qualifié par les Etats­Unis comme relevant du « terrorisme interna­tional ». Une première. Quelques mois plus tôt, en novembre 2019,la Pologne expulsait quant à elle un membre du Mouvement de ré­sistance nordique – un mouve­ment néonazi transnational. Celui­ci, après sa sortie de prison en Suède « pour un attentat à l’ex­plosif contre un centre de réfugiés, s’était rendu en Pologne pour suivre un entraînement paramili­taire en ayant le dessein manifeste d’imiter [Brenton Tarrent], le terroriste de Christchurch ».

Les deux chercheurs concluentque les crises sociale et politiquese mêlant actuellement à la crise sanitaire ne peuvent « qu’aider à cette symbiose des sentiments dedéclassements personnels et nationaux qui contribue à la dyna­mique de la droitisation ».

En résumé, « si le scrutin euro­péen de 2019 n’a aucunement été le tsunami populiste que certains avaient rêvé ou cauchemardé, l’ac­tuelle pandémie paraît en capacitéde pouvoir au moins fidéliser les clientèles acquises par les extrê­mes droites et aggraver les proces­sus de radicalisation violente ».

lucie soullier

Le plan à 130 milliards du PS pour un « rebond social et écologique »Le parti de gauche détaille, dans une note, 45 propositions pour faire face à la crise provoquée par la pandémie de Covid­19

L’ élaboration des mesuresde relance post­Covid duParti socialiste (PS) aura

été longue. Des dizaines d’audi­tions, des allers et retours nom­breux entre membres de la direc­tion et députés chargés du dos­sier… Ce travail aura pris près d’unmois. Finalement, le plan « pour un rebond économique, social, etécologique » se veut une réponse immédiate à l’urgence provoquéepar la pandémie et des mesures de moyen terme pour préparerl’avenir, panachant relance par la consommation et schéma dedéveloppement prenant en compte l’urgence climatique.

Pour concocter ce plan, le PS aconsulté nombre d’experts, dechercheurs, de syndicalistes, de responsables associatifs et d’éluslocaux. Le document qui enrésulte, coordonné par BorisVallaud, député des Landes, est à l’image de l’entre­deux dans lequel se trouve un parti poussépar ses alliances avec Europe

Ecologie­Les Verts, la prise deconscience de ses maires degrandes villes qui ont largement verdi leur propre programme et son logiciel économique histori­que, très classiquement keyné­sien. Son coût est chiffré à 130 milliards d’euros.

250 000 emplois aidésPartant du constat d’une crised’une ampleur majeure, avec un chômage en hausse vertigineuse, des plans de licenciements à ve­nir et quelque 600 000 jeunes arrivant prochainement sur le marché du travail, et donc une situation sociale dramatique pour des millions de Français, lanote de quarante pages présente 45 propositions. « Nous voulonsmontrer que nous sommes de ceux sur lesquels la France peut compter dans l’épreuve », a déclaréOlivier Faure, premier secrétaireet député de Seine­et­Marne, lors de la présentation, mardi 9 juin, àl’Assemblée nationale.

Le plan veut d’abord s’adresseraux victimes de la crise, ceux « quine mangent pas à leur faim, ne peuvent payer leur loyer, ceux qui n’ont pas d’emploi ou craignent dele perdre », précise la note. Réduction « transitoire » du temps de travail dans les entrepri­ses touchées par une activité ralentie, revenu de base de550 euros ouverts aux jeunes, prime premier emploi, prolonga­tion des bourses étudiantes, limitation des frais bancaires pour les plus fragiles…, les systè­

mes d’aide d’urgence sont nom­breux et précis. Pour revaloriserles salaires des « premiers de tran­chée », une conférence réunissantles partenaires sociaux est propo­sée pour les professions telles queles caissières, les aides­soignants ou les éboueurs.

L’hôpital comme les établisse­ments d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) doivent devenir « priorité nationale », continue le docu­ment, mettant en avant un inves­tissement annuel de 6 milliards pour les premiers et de 2 mil­liards pour les seconds et la reva­lorisation durable de leurs personnels. Afin d’aider le sec­teur associatif, notamment dans les quartiers populaires, le PS préconise la création de 250 000 emplois aidés.

Le deuxième axe met l’accentsur les territoires et le rôle qu’ils peuvent jouer, tant dans la relance que parce qu’ils « sont enpremière ligne » de la conversion

écologique de l’économie. Le plansuggère donc un investissementde 50 milliards d’euros, pour les « projets de résilience » : agrofores­terie, rénovation thermique des bâtiments, circuits courts et déve­loppement des mobilités dou­ces… Deux pistes avancées retien­nent l’attention : la mise en place d’une « prime climat » pour finan­cer les travaux d’isolation desparticuliers et un « chèque rebondlocal », sorte d’allocation de 300 à 700 euros pour les plus modestes,fléchée vers la consommation locale, saine et écologique.

« Hiatus »Enfin, et c’est là le volet à la facture la plus classique, la recon­quête économique. Plan de sau­vetage des petites et moyennes entreprises (PME) avec mise à contribution des assureurs,protection par l’Etat des brevets et entreprises « fleurons » contretout achat par des investisseurs étrangers, nationalisation des

sociétés indispensables à l’indé­pendance dans le secteur sani­taire, recapitalisation des entre­prises par un pôle d’investisseurs publics conditionnée à des enga­gements sociaux et écologiques,plan de relance du bâtiment et dulogement… les mesures repren­nent bon nombre de proposi­tions de loi passées et discutées lors des niches parlementaires.

L’ensemble de ce plan derelance, plutôt de qualité, laisse cependant un goût d’inachevé. Certains dans la direction le reconnaissent : « On ne sent pas lapleine prise en compte de l’ur­gence face à la crise d’un systèmedans ce qu’elle impose en termesde rupture », juge l’un. « Il y aencore un hiatus avec les discours très écolos tenus depuis des mois »,remarque une autre. La direction prévoit un autre plan à la rentrée, pour dessiner une « autre » reprise. Les écolos du PS seront alors peut­être plus écoutés.

sylvia zappi

L’hôpital commeles Ehpad

doivent devenir« priorité

nationale », selon

le document

« On ne peut pasparler de “vague

populiste”, c’est donner

les mauvaises clés de

compréhension »NICOLAS LEBOURG

historien

Dirigeants des partis d’extrême droite européens, à Bruxelles, le 13 juin 2019. ARIS OIKONOMOU/AFP

après son hommage au général deGaulle début juin, Marine Le Pen a une nouvelle fois mis la barre à droite.Mercredi, sur France Inter, la présidente du Rassemblement national a apporté untrès rare concours au parti Les Républi­cains (LR) en affirmant son soutien à la candidate du parti de droite à la Mairie deParis, Rachida Dati : « Si effectivement le choix est entre Mme Hidalgo et Mme Dati, moi à titre personnel, si j’étais électeur àParis, je voterais largement Dati plutôtqu’Hidalgo. »

Finies la critique de l’« UMPS » ou les atta­ques contre les « sœurs jumelles » Anne Hidalgo et Nathalie Kosciusko­Morizet, telles que Marine Le Pen qualifiaient les candidates socialiste et UMP lors de la campagne municipale de 2014 à Paris. Sixans plus tard, faute d’alliances malgré sastratégie d’ouverture affichée, la prési­dente de l’ex­Front national a donc choisi la candidate de l’ex­UMP. Dès le mois de février, Jean­Marie Le Pen avait, lui aussi, confié sa préférence pour l’ancienne garde des sceaux de Nicolas Sarkozy.

Marine Le Pen et son père ne votent pasdans la capitale, où le Rassemblement national a officiellement soutenu Serge Federbusch, qui s’est classé avant­dernier au premier tour avec 1,5 % des voix, juste devant le forain Marcel Campion.

Rachida Dati, elle, a préféré prendre sesdistances avec cet encombrant soutien. « En quoi suis­je responsable de ses propos ?,a réagi mercredi matin la candidate LR.Vous connaissez ma vie, mon nom, mon prénom : Rachida. Alors… »

denis cosnard et l. so

Pour la Mairie de Paris, Marine le Pen choisit Rachida Dati

UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws

Page 11: Le Monde - 12 06 2020

0123VENDREDI 12 JUIN 2020 france | 11

A Tonnay­Charente, les morts oubliés de l’EhpadSeize résidents sont décédés du Covid­19 entre mars et mai. Ni le maire ni le préfet n’ont été informés de la situation

D ominique Bussereaune décolère pas. A demultiples reprises, leprésident de l’Assem­

blée des départements de France (ADF) a alerté sur les dysfonction­nements des agences régionales de santé (ARS) et leur inadapta­tion à la gestion de la crise liée au Covid­19. Auditionné, mardi 9 juin, par une mission d’infor­mation du Sénat, le président duconseil départemental de Cha­rente­Maritime a évoqué le casd’un établissement d’héberge­ment pour personnes âgées dé­pendantes (Ehpad) pour illustrer le manque de communication en­tre les ARS et les élus locaux.

L’affaire a été révélée par le quo­tidien régional Sud Ouest du29 mai : seize résidents de l’éta­blissement Les Portes du jardin,du groupe DomusVi, à Tonnay­Charente (Charente­Maritime), sont décédés des suites du SARS­CoV2 entre les mois de mars et de mai. C’est dans cet établissement, qui compte cent vingt lits, que sont mortes un tiers des victimes comptabilisées dans le départe­ment – quarante­huit, selon lebilan, établi le 1er juin, par l’ARS de Nouvelle­Aquitaine. Mais ni le maire de la commune, Eric Au­thiat, ni le président du conseil départemental, en sa qualité de cotutelle, ni le préfet n’ont été

informés de la situation. C’est enparcourant le site Internet de Sud Ouest que M. Bussereau en a pris connaissance.

Comment se fait­il que les au­torités et élus concernés n’aient pas été prévenus de la situationdans cet établissement ? Sollicité,le directeur de l’établissement,Gilles Bastier, renvoie sur le siège national de DomusVi, un des troisplus grands groupes d’Ehpad, avec Korian et Orpéa, qui repré­sentent à eux seuls le dixième desplaces en résidence médicalisée sur le territoire. « Nous n’y som­mes pour rien. Nous sommes dans l’obligation de communiquer à l’autorité de tutelle, l’ARS, ce que nous faisons, assure le respon­sable de la communication du

groupe, Ludovic Boursin, jointpar Le Monde. Après, qu’il y ait des problèmes de communication en­tre eux et le département… »

Dans cette commune de8 000 habitants, proche de Ro­chefort, les habitants et les élussont tombés des nues. C’est parune de ses adjointes, dont un membre de la famille résidait auxPortes du jardin, que le maire,M. Authiat, a eu connaissance, dé­but mars, d’une suspicion de cas de Covid­19 dans l’établissement.« J’ai trouvé curieux que la direc­tion ne m’ait pas appelé », confie­t­il. Il s’enquiert de la situation, sans obtenir de plus amples in­formations. Quelques jours plustard, un responsable de l’ARS luiindique que tous les résidents etles personnels de l’établissement vont être testés.

Les personnes positives peu­vent alors soit rester sur place, soit être hospitalisées à La Ro­chelle. Aucun état de ces trans­ferts n’est communiqué à la mai­rie : onze résidents de l’établisse­ment vont décéder à l’hôpital. Seuls les permis d’inhumer de ré­sidents morts à l’Ehpad passent par le maire. « J’ai eu des permisd’inhumer à signer, mais il n’estpas fait mention de la cause du dé­cès, note M. Authiat. Aucun indica­teur qui puisse m’alerter. Je suis to­talement insatisfait de la manière

dont l’établissement a communi­qué, ou plutôt n’a pas communi­qué. » Une version contestée par DomusVi. « Le directeur de la rési­dence a communiqué avec l’en­semble des parties prenantes, as­sure M. Boursin. La mairie a été régulièrement informée par télé­phone. Ainsi que les familles. »

Dans Sud Ouest, la belle­filled’un résident mort à l’hôpital du Covid­19 rapporte avoir appelé son beau­père, début avril, qui se plaignait de mal respirer. Trois jours après, il était transféré à l’hôpital de La Rochelle, où il est mort le 18 avril. « L’Ehpad ne m’a pas informée du décès et ne m’a pas présenté ses condoléances », déplore Sophie Caillaud. Quel­ques jours après, elle recevait par courrier la carte Vitale de son beau­père. « Sans un mot, sans unelettre, c’est ignoble », dit­elle. Le directeur de l’établissement s’est excusé, reconnaissant dans Sud Ouest qu’il y avait eu un « loupé ».

Arrière-pensées« Il y a eu une erreur, le directeur s’en est excusé, admet M. Boursin.Il y a souvent des témoignages né­gatifs, mais nous avons eu beau­coup de messages de soutien. Les équipes ont été remarquables. Je ne pense pas qu’il y ait à polé­miquer. » Pour lui, les réactionsindignées qu’a suscitées cette af­faire ne sont pas exemptes d’ar­rière­pensées. « Nous ne ferons pas de commentaires sur des com­mentaires, poursuit­il. C’est tropfacile de pointer un Ehpad privé. Il y a des volontés politiques der­rière. » Contactée par Le Monde,l’ARS préfère ne pas commenter.« Il ne nous est pas possible de ré­pondre, pour cause de réserve élec­torale », avant les municipales, explique le service de presse.

Le 11 avril, c’est le directeur gé­néral du centre hospitalier de

La Rochelle, Pierre Thépot, qui avait fait état, lors d’un pointpresse sanitaire, de l’apparition du Covid­19 aux Portes du jardin, après que quatre pensionnaires de l’établissement eurent été hospitalisés. A la suite de cetteintervention, l’ARS avait finale­ment signalé que onze salariés etdeux résidents avaient été détec­tés positifs au Covid­19. Mais sansfaire état des décès.

Egalement joint par Le Monde,le directeur de la délégation dé­partementale Charente­Maritimede l’ARS, Eric Morival, n’est pas plus disert : « Je ne peux pas vous répondre. A ce stade, je n’échangepas. » Force est de se reporter aux propos qu’il tenait dans lescolonnes de Sud Ouest, fin mai : « On a mis le paquet pour éviter lesdégâts », affirmait­il, ajoutant que« les choses sont globalement gérées aujourd’hui ».

Bien qu’il assure avoir reçuaprès coup des excuses du res­ponsable de l’ARS reconnaissant que l’agence avait péché par man­que de communication, M. Au­thiat juge l’affaire inquiétante. « Si je n’avais pas percuté, j’ai lesentiment que personne n’aurait été informé, déplore le maire. Nous étions probablement le prin­cipal point de développement de l’épidémie dans le département, et nous ne le savions pas. Si le pre­mier maillon de la démocratie, lemaire, n’est pas informé, ni les conseillers départementaux, c’est absolument anormal. »

« Un tel comportement estinadmissible. C’est invraisembla­ble. Je condamne le silence assour­dissant de l’ARS, s’insurge M. Bus­sereau. Cela ne fait que conforter,hélas, tout ce qui m’est remontéde mes collègues sur les problè­mes qu’ils ont eus, globalement,avec les ARS. »

patrick roger

« Nous étions probablement le

principal point dedéveloppement

de l’épidémie en Charente-

Maritime et nousne le savions pas »

ÉRIC AUTHIATmaire de Tonnay-Charente

JUSTICELe Défenseur des droits ouvre une enquête sur l’affaire GabrielLe Défenseur des droitsa ouvert, mercredi 10 juin, une enquête sur l’interpella­tion brutale de Gabriel D., 14 ans, à Bobigny. L’adoles­cent accuse des policiers de l’avoir frappé et gravement blessé à l’œil. Il avait été arrêté dans la nuit du 25au 26 mai alors qu’il tentait de voler un scooter. Sa fa­mille a déposé deux plaintes. Le parquet de Bobigny a déjà ouvert une enquête, confiée à l’inspection générale de la police nationale. – (AFP.)

VIOLENCES POLICIÈRESChristophe Castaner reçoit les syndicatsLe ministre de l’intérieur de­vait recevoir, jeudi 11 et ven­dredi 12 juin, les syndicats de policiers pour tenter de cal­mer leur colère. Tous ont tiré le signal d’alarme après les déclarations de Christophe Castaner qui a prôné, lundi, la « tolérance zéro » contre le racisme dans la police et interdit plusieurs techniques d’interpellation. – (AFP.)

MUNICIPALESQuatre communes sans maire, faute de candidatFaute de candidat, quatre communes de plus de 1 000 habitants se retrouve­ront sans maire à l’issue du second tour des municipales le 28 juin. Trois se situent dans l’Ain (Buellas, Péron et Pont­d’Ain), la quatrième en Eure­et­Loir (Prunay­le­Gillon). Dans les communes de ce type, si aucune liste n’est enregistrée, l’élection ne peut avoir lieu. – (AFP.)

LES JOURSSÉRÉNITÉBMW

*Dans la limitedes stocksdisponiblesdans les concessionsBMWparticipantes.BMWFrance, S.A. au capital de2805000€-722000965RCSVersailles - 5 ruedesHérons, 78180Montigny-le-Bretonneux.

JUSQU’AU 30 JUIN CHEZ BMW, BÉNÉFICIEZ DE SOLUTIONS DE FINANCEMENTAVANTAGEUSESSANS AUCUN APPORT SUR UNE SÉLECTION DE BMW NEUVES ET D’OCCASION DISPONIBLESIMMÉDIATEMENT. COMMANDE, ESSAI ETLIVRAISONÀDOMICILEOUÀDISTANCE.*

#LeRetourAuPlaisir BMW.fr

UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws

Page 12: Le Monde - 12 06 2020

12 | france VENDREDI 12 JUIN 20200123

A l’hôpital, la course aux financementsLES MAUX DE L’HÔPITAL 4|6 La tarification à l’activité, ou « T2A », fait bondir les soignants. A l’occasion du Ségur de la santé, « Le Monde » se penche sur les sujets qui agitent le secteur hospitalier

D epuis le 23 septem­bre 2019, StéphaneDauger est en grève.Une grève un peu par­

ticulière : dans le sillon du mouve­ment de contestation dans les hô­pitaux, ce médecin, chef du ser­vice de réanimation pédiatriquede l’hôpital parisien Robert­De­bré (AP­HP) et ses équipes ont décidé d’arrêter le « codage ».

Derrière le mot technique, c’est àl’un des cordons de la bourse que s’est attaqué le professeur, copré­sident du Collectif inter­hôpitaux,en refusant de faire remonter les informations correspondant à son activité médicale. Ces fameux« codes » déterminent ensuite lesrecettes versées par l’Assurance­maladie aux établissements. Les pressions de sa hiérarchie admi­nistrative n’y ont rien changé : lui comme la majorité des services deRobert­Debré, et d’autres en France, poursuivent cette grève.

L’action vise l’une des clés degestion des hôpitaux les plus con­testées : le système de tarification à l’activité. La « T2A ». Prononcez ce sigle et vous obtenez la même réaction chez les médecins : un

long soupir. « La seule chose qui compte aujourd’hui, c’est de faire toujours plus d’activité, d’avoir plus de malades pour ramenerplus d’argent », dénonce StéphaneDauger, qui voit revenir cette logi­que, après la parenthèse de la crise sanitaire du Covid­19.

« Il n’y a pas d’alternative »Hôpital entreprise, politique du chiffre, course à la rentabilité, con­currence entre établissements… Les critiques pleuvent depuis des années sur ce système d’allocationdes moyens déployé au début des années 2000. Son avenir est de nouveau sur la table : il figure parmi les chantiers à l’ordre du jour des discussions du Ségur de lasanté, ouvert par le gouvernementle 25 mai, qui doivent aboutir à uneréforme d’ici à la mi­juillet.

Pourquoi cette pierre d’achoppe­ment dans le monde médical ? Faire dépendre les financements de l’activité de l’hôpital : l’idéeinitiale paraît pragmatique. Son principe est simple, derrière des si­gles complexes. L’activité de l’hô­pital est classée, selon le profil du patient, son diagnostic, les actes

médicaux réalisés… Ce sont les « groupes homogènes de mala­des » (GHM). Il y en a environ 2 600aujourd’hui. Pour chaque groupe, on évalue un coût moyen de prise en charge, puis un tarif lui est attri­bué par l’Etat. C’est ce tarif qui est reversé, ensuite, par l’Assurance­maladie à l’hôpital. Pour 2020 parexemple, un accouchement par voie basse sans complication est payé 2 012,72 euros, une transplan­tation cardiaque du niveau de sé­vérité le plus élevé, 72 146,14 euros.

« Il n’y a pas d’alternative », défen­dait le ministre de la santé Jean­François Mattei, en 2004, dans le gouvernement de Jean­Pierre Raf­farin. Sans rencontrer de résis­tance, il déploie alors progressive­ment le mécanisme, dont les jalons étaient posés depuis quel­ques années déjà, en médecine, enchirurgie et obstétrique pour les séjours hospitaliers. A l’orée des années 2000, il y a urgence à ré­pondre aux maux des systèmes definancement précédents, alors que le « trou de la Sécu » ne cesse de se creuser. Le plus ancien, le « prix à la journée », ne permet pasd’endiguer l’augmentation des dé­penses et incite même à l’inflationdes séjours. La dotation globale, déployée dans les années 1980 – soit une enveloppe attribuée par l’Etat à chaque établissement – ré­vèle assez vite d’autres limites.

Reconduite d’année en année demanière relativement figée, la dotation pénalise les hôpitaux les plus actifs, enfermés dans cette enveloppe, tout en donnant à l’in­verse une rente aux mieux pour­vus historiquement. Son évolu­tion n’est pas exempte des « jeux de pouvoirs locaux et des négocia­tions politiques pour obtenir des rallonges », rappelle le chercheur Pierre­André Juven, coauteur d’un ouvrage sur les réformes de l’hôpi­

tal public, La Casse du siècle, publiéen avril 2019 (éd. Raisons d’agir).

Rapidement, la tarification à l’ac­tivité monte en puissance, avec untournant sous l’ère Sarkozy : elle est généralisée en 2008, pour at­teindre 100 % du financement en médecine, chirurgie, et obstétri­que. Certains domaines, comme lapsychiatrie ou l’activité de soins de suite et de réadaptation, restenten dehors, avec des systèmes d’en­veloppes ou de forfaits.

« Au départ, la T2A apporte unebouffée d’oxygène et des gains d’ef­ficience dans les hôpitaux », rap­pelle Laurence Hartmann, cher­cheuse en économie de la santé auConservatoire national des arts et métiers. Au gré des ajustements, l’algorithme à l’activité ne cesse d’être étoffé, avec des groupes et sous­groupes tarifés dans la grille, pour coller au mieux aux subtili­tés des parcours des patients. Des services spéciaux se développent dans de nombreux hôpitaux pour « optimiser le codage ». Une « boîtenoire », étrille­t­on chez les méde­cins, peu enclins, souvent, à rem­plir cette tâche administrative.

Système « ubuesque »Les effets pervers de la machine moderne apparaissent assez vite : peu à peu, de nombreux « tarifs » versés par l’Etat ne suivent plus lescoûts réels que doit débourser l’hôpital pour accomplir cette activité. « Cela dérape dès les années 2010 », reprend Laurence Hartmann, qui y voit un « dévoie­ment » du mécanisme initial : « Lespouvoirs publics vont moduler les prix et utiliser la T2A pour rester dans les clous de l’enveloppe de l’Ondam [Objectif national des dé­penses d’Assurance­maladie] ».

« Avec cette distorsion, la T2Apousse à une productivité sans fin dans les hôpitaux, pour essayer de maintenir les finances à flot », souli­gne Pierre­André Juven. Les éta­blissements sont nombreux à en­chaîner des plans de redresse­ment, à tenter de réduire les coûts, sans jamais réussir à pédaler assez vite. « Cela crée aussi des patients rentables et d’autres trop coûteux », ajoute­t­il, car certains séjours sontmieux remboursés que d’autres.

Les anecdotes sont légion chezles médecins pour brocarder les petits travers et grandes dérives

que provoque le système. Pour ce manipulateur en radiologie de 43 ans en CHU, qui souhaite rester anonyme, « on en est arrivé au point de devoir dissuader ceux qui veulent aller uriner avant l’exa­men », lâche­t­il. Le chronomètre tourne : pas question de laisser la machine vide cinq minutes, sous peine de se faire remonter les bretelles. IRM, scanner, radiogra­phie… l’imagerie médicale est un secteur « qui rapporte » à l’hôpital. « Il faut remplir les plannings au maximum, réduire les temps d’examens… » Au point parfois de faire des choses « limite » dans ce système « ubuesque », juge­t­il, comme faire revenir le patient une autre fois, officiellement « pour des raisons techniques », officieusement parce que seuls deux actes sur trois sont rembour­sés, dans tel ou tel examen.

D’autres racontent aussi com­ment ce « carcan » tarifaire en vient de facto à orienter certaines priorités. « Le bloc opératoire concentre beaucoup d’attention de notre administration, car l’activité chirurgicale génère une grande partie de recettes », raconte Marc Leone, un chef du service d’anes­thésie­réanimation à l’hôpital Nord de Marseille. Résultat : « Nos anesthésistes­réanimateurs sont challengés pour faire le maximum d’endoscopies car, d’une part, l’acti­vité est bien rémunérée mais, en plus, c’est un pourvoyeur de pa­tients potentiels pour la chirurgie. »

Opposant de la première heurede la T2A, André Grimaldi, profes­seur à la Pitié­Salpêtrière à Paris, lerépète inlassablement : « On a voulu utiliser la T2A pour une acti­vité pour laquelle elle n’est pas faite,estime­t­il. On l’a fait exprès, pourfaire rentrer l’hôpital dans une lo­gique commerciale. » Selon le dia­

bétologue, si la T2A peut être perti­nente en chirurgie, là où l’on peut facilement « quantifier, mesurer, avec une activité standardisée et programmée », « cela ne marche pas dans toute une partie de la mé­decine, particulièrement les mala­dies chroniques, qui sont évoluti­ves ». Il prône un retour dans ce casà un système de dotation globale, ou encore à un « prix à la journée »quand cela est pertinent, comme en soins palliatifs.

A d’autres étages de l’hôpital,chez les administratifs, on porte un discours plus nuancé sur le sortà réserver à cette T2A. « On se trompe de cible », entend­on à laFédération hospitalière de France. « On sent bien cette volonté de fairede la T2A le bouc émissaire facile,estime Camille Dumas, directeur des affaires financières aux Hospi­ces civils de Lyon. On s’en sortira peut­être politiquement, mais ce n’est pas sa suppression qui va sau­ver l’hôpital public. »

55 % des recettesPour le gestionnaire, si l’outil n’est pas parfait et nécessite des adapta­tions, il donne tout de même « un peu de liberté et de souplesse aux hôpitaux, avec la possibilité d’aller chercher des recettes pour denouvelles activités ». Pour lui, le problème se trouve avant tout dans cet écart entre les tarifs ver­sés par l’Etat et les coûts. « On peut sacrifier l’outil, mais si l’enveloppe reste insuffisante, rien ne va chan­ger », défend le responsable.

La T2A est sur la table du Ségur dela santé, et le gouvernement a déjàles idées bien arrêtées. Ce système a « démontré toutes ses limites », a estimé Edouard Philippe, le pre­mier ministre, le 25 mai, prônant un « système plus intelligent », « plus respectueux de la qualité des soins », « moins ancré sur la néces­sité de multiplier les actes pour dé­gager des recettes ». Pas question non plus de tout changer : il faut réduire sa part en dessous de 50 %,a­t­il avancé, rappelant ainsi l’une des promesses de campagne du candidat Macron. Pour y arriver, il a évoqué l’augmentation de la « part à la qualité ».

Reste à savoir comment cela vaêtre mis en musique. « C’est assez facile à formuler, a reconnu le pre­mier ministre, plus difficile à met­tre en œuvre ». Dans le monde mé­dical, on reste sur ses gardes. Chez les défenseurs de la T2A comme chez ses détracteurs, on souligne que ce mode d’allocation ne repré­sente déjà que 55 % des recettes des hôpitaux publics. Toute une partie du financement demeure sous la forme de dotations, pour les missions d’intérêt général, ou encore la recherche, l’enseigne­ment. « Cela ne pourra passer que par un schéma de paiement plus sophistiqué, avec une combinaison de différents mécanismes », estime Laurence Hartmann, qui cite pêle­mêle la T2A, le financement à la qualité, au forfait, à la dotation…

Les premières tentatives pour ré­pondre aux effets pervers de la T2A, enclenchées en 2018 par Agnès Buzyn, alors ministre de la santé, vont en ce sens. Difficile d’en dresser le bilan à ce stade : pour les maladies rénales chroni­ques, la mise en place d’un forfait global à l’année pour un patient, avec des indicateurs de qualité, n’acommencé à s’appliquer qu’en janvier. Quant au diabète, les dis­cussions achoppent entre le mi­nistère et les professionnels pour s’accorder sur une alternative.

Les médecins s’en souviennent :ce n’est pas la première fois qu’un gouvernement fait des promesses sur la question. Le candidat Fran­çois Hollande dénonçait, en 2012, « l’idéologie dogmatique de l’hôpi­tal­entreprise » et s’engageait à « re­définir le mode de financement de l’hôpital ». En pratique, rien n’a bougé ou presque. En toute fin de mandat, un ancien député socia­liste avait rendu un rapport sur le sujet, prônant un système « trans­formé » et « modulé lorsque néces­saire ». Un certain Olivier Véran.

camille stromboni

Prochain épisode Quel modèle d’hôpital pour demain ?

A l’hôpital Henri­Mondor de Créteil (Val­de­Marne),le 5 juin 2019.STÉPHANE DE SAKUTIN/AFP

« On l’a fait exprès, pour faire

entrer l’hôpitaldans une logique

commerciale »ANDRÉ GRIMALDI

diabétologue à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière

Peu à peu, de nombreux

« tarifs » verséspar l’Etat ne

suivent plus lescoûts réels quedoit débourser

l’hôpital

du lundiau vendredi

11H–11H5

FlorianDelorme

L’espritd’ouver-ture.

franceculture.fr/@Franceculture

Enpartenariatavec

CULTURESMONDE.

©RadioFrance/Ch.Abram

owitz

UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws

Page 13: Le Monde - 12 06 2020

0123VENDREDI 12 JUIN 2020 france | 13

La réussite« à géométrie variable » des cours à distanceLa continuité pédagogique promise aux élèves n’a pas toujours été tenue, selon des familles

ENQUÊTE

A lice, collégienne en ré­gion parisienne, a« mené un effort cons­tant durant tout le

trimestre ». C’est en tout cas ce qui s’est dit d’elle lors de son troisième– et dernier – conseil de classe. « Cetroisième trimestre, c’est du vent, lâche l’élève de 3e. D’ailleurs, on a pratiquement tous eu la même appréciation. » Elève assidue, Alice, 15 ans, « rumine depuis des semaines », confient ses parents, cadres supérieurs, sur un ton « sans filtre » qu’ils ne lui connais­saient pas. « Elle est en boucle sur sa prof de français qui annule les “visio” en dernière minute, le prof d’histoire qui ne maîtrise pas le numérique… Tout est devenu l’ob­jet de critiques », se désole Guillaume, son père. L’annoncede la suppression des épreuves dubrevet a eu raison de sa motiva­tion. « Chaque soir, quand on luidemande comment s’est passée sa journée, elle nous répète qu’elle esten vacances… comme ses profs ! »

« Aux abonnés absents »Chez Laurent et Céline, qui ont deux enfants au lycée, à Bordeaux,l’enseignement à distance fait aussi l’objet de débats animés autour de la table du dîner. Pour lecadet, en 2de, cela a « à peu près fonctionné » jusqu’à Pâques. « En­suite, je n’ai pratiquement plus eu de contact avec la classe », dit­il. L’aîné, en 1re, a vécu l’« inverse » : peu d’échanges au début, une « tonne de devoirs » depuis mai. « Comme si on pouvait rattraper le temps perdu ! » « On a écrit au lycée,la direction nous a répondu que l’équipe faisait au mieux, racon­tent les parents, restaurateurs. Nosfils ne sont pas les plus à plaindre. Ce mieux, il faut s’en contenter. »

Cécile, deux enfants eux aussilycéens, à Paris, pense au contrairequ’il faut « pointer ce qui coince. On nous a répété, au début du confinement, que tout était prêt. Cen’est pas honteux de témoigner que

ça n’a pas toujours été le cas ». Son aînée, en terminale, résume la pé­riode : « Deux mois et demi de con­finement, et six profs sur huit aux abonnés absents. » Ses deux ensei­gnants « très impliqués » ont, dit­elle, « fait le job du début à la fin ».

Dans les rangs des fédérations deparents d’élèves, on reconnaît en­tendre « monter » des témoigna­ges de ce type. Un peu toujours les mêmes, d’ailleurs : sur des ensei­gnants qui ont mis la « barre haut au début » et qui, après quinze jours d’école à distance, n’ont plus donné signe de vie. Sur d’autres qui ont « bombardé » leurs classes d’exercices, y compris pendant les vacances ou un 1er­Mai. Sur d’autres, encore, qui ne répondentpas aux sollicitations des élèves… « Cela n’efface en rien les “bravos” et les hommages rendus aux pro­fesseurs, nuance Gérard Pommier, président de la PEEP. Mais il y a desexceptions pour confirmer la règle. Et ces exceptions sont toujours vé­cues comme trop nombreuses. »

Selon un sondage IFOP réalisé enavril, 75 % des familles se sont di­tes satisfaites du déroulement de l’enseignement à distance. Autant se sont senties capables d’accom­pagner leur enfant, et plus de 8 sur10 affirment que celui­ci a été en contact avec un enseignant « au moins une fois par semaine ». En creux, on entraperçoit la part, très minoritaire et néanmoins audi­ble, des expériences problémati­ques. « Evidemment que la période a été difficile, mais il ne faudrait pasque ces retours­là soient l’arbre qui

cache la forêt, indique au Monde Jean­Michel Blanquer, le ministre de l’éducation. La France est l’un des pays qui a le mieux réussi, pendant le confinement, à mainte­nir un lien avec les élèves et à leur éviter de décrocher. La relation entre l’école et les familles en est ressortie plutôt renforcée. Je veux lerépéter : la mobilisation des ensei­gnants est restée remarquable. »

C’est aussi ce que met en avant laFCPE. « Souvent, les parents qui nous interpellent mélangent la démotivation de leurs enfants et celle, supposée, des enseignants, note Jean­André Lasserre, à Paris. Ils veulent croire que si leurs en­fants travaillent moins, c’est que l’offre scolaire n’est pas à la hau­teur. Quand les attentes sont for­tes, la désillusion peut l’être aussi. »

D’un établissement à l’autre, onle reconnaît : les « dysfonctionne­ments » existent, mais à la marge. « Et ils ne sont pas une surprise, in­dique Philippe Vincent, secrétaire

général du syndicat de proviseursSNPDEN­UNSA. Comme dans toutes les entreprises, on connaît les personnels plus fragiles. Ceux qui ont un problème de santé ou des difficultés familiales ; ceux quisont mal équipés ou mal à l’aise avec le numérique. »

Les chercheurs le disent : lapériode, inédite, a mis en lumière et exacerbé des difficultés qui lui préexistaient. Braquer les projec­teurs sur des personnels plus ou moins investis, plus ou moins geeks, inégaux face à la crise, à l’anxiété, à la maladie… « L’expé­rience du confinement a été brutaleet très diversement vécue, observe Bruno Devauchelle, du laboratoireTechné de l’université de Poitiers, qui travaille sur le développement du numérique dans les sciences del’éducation. Les fragilités person­nelles ajoutées à l’absence d’accom­pagnement ont pu en pousser cer­tains à se mettre en retrait. »

Sans compter les quelquesautres qui, « presque par principe »,disent les proviseurs, refusent l’installation à la maison d’outils de liaison avec leur établissement. Un ou deux, « pas plus », sur une équipe de 140 dans telle cité sco­laire du Val­de­Marne. Trois ou quatre sur 120 dans ce lycée mar­seillais. Deux qui ont « totalement disparu de la circulation », trois ou quatre qui ont « travailloté » dans ce grand établissement parisien.

Dans son collège de Montauban(Tarn­et­Garonne), le plus gros de

l’académie de Toulouse, le princi­pal José Jorge a vite repéré qu’une« portion non négligeable » de l’équipe (près d’un cinquième) pourrait « plonger » faute de ma­tériel et de compétences numéri­ques. Pour y remédier, il a multi­plié les temps de formation.

« Faire au mieux »« Nos premières analyses identi­fient un bon quart de la profession qui était déjà acculturée aux tech­nologies numériques. Ces ensei­gnants s’en sont plutôt bien tirés pour recréer, même à distance, unedynamique de classe et inventer d’autres façons de travailler », ex­plique Pascal Plantard, professeur d’anthropologie des usages nu­mériques à l’université Rennes­2.

Il suit depuis trois ans, en Breta­gne, une cohorte de 1 800 collé­giens et une autre de 1 000 ensei­gnants. « Environ la moitié des professeurs ont tâtonné pour faire au mieux, poursuit le chercheur ; leur capacité d’adaptation mérited’être applaudie. Les problèmes se concentrent sur le quart restant : des enseignants qui, d’ordinaire, n’ont pas d’usage ou un usage a minima du numérique en classe (un tableau blanc interactif, des diaporamas). Eux ont rencontré le plus de difficultés. »

Au point de « décrocher » ? Leverbe, jusqu’à présent réservé auxélèves, heurte de plein fouet lemonde enseignant. « On joue sur la corde de la culpabilité mais,

parmi nos collègues, beaucoup doivent encore prendre soin de leurs proches, quand ils ne sont paseux­mêmes tombés malades », fait observer Claire Guéville, porte­parole du SNES­FSU. « Le débat se focalise sur les profs récalcitrants, poursuit­elle, mais, vu l’énergie dé­ployée collectivement pour répon­dre au défi du confinement, il fau­drait plutôt saluer un miracle ! »

« Soyons honnêtes : aucun profn’était prêt à vivre ça, assure, sous couvert d’anonymat, une ensei­gnante en Seine­Saint­Denis. A unmoment ou à un autre, on s’esttous retrouvés en difficulté. Mais c’est un tabou que de dire qu’on n’yarrive pas… » Certains l’assument, pourtant. « Que le lien d’apprentis­sage ait pu être altéré durant la période, c’est une évidence, témoi­gne Thibaut Poirot, professeur d’histoire­géographie en lycée. Nous avons laissé des enfants sur le bord de la route, c’est un fait. Mais peut­on rendre responsables d’inégalités amplifiées par le confi­nement des enseignants à qui on ademandé de faire tenir le systèmequel qu’en soit le prix ? »

« Quoi qu’on fasse, le succès de lacontinuité pédagogique est àgéométrie variable, souligne aussiMarc Charbonnier, enseignant enlycée à Châtenay­Malabry (Hauts­de­Seine), ne serait­ce que parceque le “à distance” ne pourra jamais remplacer ce qui se joue, enclasse, dans la relation directe aux élèves. » Mêmes réserves d’AmélieHart­Hutasse, enseignante dansun collège en Côte­d’Or. Semaine après semaine, elle a réussi à maintenir ses rendez­vous « enaudio » avec ses quatre classes – y compris avec les élèves habitanten zone blanche. « Rarement avant 11 heures », concède­t­elle.Mais sur la qualité du lien main­tenu, cette militante du SNES­FSUreste prudente : « Qu’est­ce que les élèves auront réellement appris ? Jen’ai aucune certitude sur la valeurpédagogique de cette continuité… Il faudra le vérifier. »

C’est ce qu’a prévu l’éducationnationale. Si les épreuves de find’année, pour le bac et le brevet,ont été annulées, le ministre del’éducation s’engage à « accompa­gner les professeurs pour leur permettre d’évaluer les besoins desélèves, à tous les niveaux, dès la rentrée ». A l’automne auront lieu les états généraux du numérique à l’école. L’occasion de tirer un bi­lan de ce qui s’est joué, le meilleurcomme le moins bon.

mattea battaglia

« Je ne suis pas maîtresse d’école, c’est sûr, mais j’ai joué un rôle »De nombreux grands­parents ont endossé un rôle de professeur pour leurs petits­enfants pendant et après le confinement

TÉMOIGNAGES

M a grand­mère est forteen histoire et en fran­çais, mon grand­père

préfère les maths, la SVT et la techno. » Dimitri, 12 ans, aura appris beaucoup de choses pen­dant le confinement. Et, entre autres, que ses grands­parentsfont d’excellents répétiteurs. Con­finé en Bretagne avec ses parents et son petit frère, ce collégiend’un établissement privé du 12e arrondissement de Paris s’est vite senti noyé sous la masse desdevoirs à faire « à distance », qui « arrivaient de partout », parfois par mail, parfois sur la plate­forme numérique du collège.

Un dimanche, sur Facetime, sesgrands­parents paternels lui ont proposé de l’aider. Depuis, André et Lucette se répartissent les

matières. Ils disposent des identi­fiants de leur petit­fils sur l’espacenumérique de travail du collège. « On s’y met à 9 h 30, on regarde ce qu’il y a à faire et on organise la journée en fonction, explique Dimitri, qui a répondu à un appel à témoignages sur Lemonde.fr. Avant, je ne faisais pas l’histoire­géo, la techno et la SVT parce que jene comprenais pas ce qu’il fallaitfaire, parce qu’il y en avait trop. Maintenant, on en vient à bout. »

Avec la fermeture des écoles, le16 mars, et jusqu’à aujourd’hui – le déconfinement scolaireconcernant toujours une mino­rité d’élèves –, les parents se sont retrouvés à jongler entre télétra­vail, gestion des tâches ménagè­res et devoirs des enfants. Pour certaines familles, faire assurer« l’école à la maison » par les grands­parents a été la solution.

Charlotte, qui préfère garderl’anonymat, s’est retrouvée confi­née dans son trois­pièces de Boulogne­Billancourt (Hauts­de­Seine) avec son conjoint et ses jumeaux, Raphaël et Laura, en classe de CP. « Mi­avril, ma fille m’a confié qu’elle n’y arrivait pas, ra­conte sa mère, Michelle, qui vit surle bassin d’Arcachon. J’ai proposéde leur faire faire une séance de lec­ture sur Facetime. On a essayé, pas forcément très convaincues… Et ça a incroyablement bien marché ! »

« Les petits sont appliqué »Les enfants ont rendez­vouschaque jour avec leur grand­mèrepour des séances de deux heureset demie : l’un le matin, l’autrel’après­midi. « Les petits jouent lejeu, constate Michelle. Ils sont concentrés, appliqués, ils ont compris que ce temps avec leur

mamie était un temps d’école et non un temps pour s’amuser. »Pour Charlotte, ce soutien a toutchangé. « Au début du confine­ment, je venais de prendre un nou­veau poste, raconte­t­elle. Je gé­rais l’école par à­coups. Entre deuxappels, je disais “ok les enfants, on a une heure pour faire les devoirs”. Mais ça ne fonctionnait pas. Il fautpouvoir y consacrer du temps longet être structuré. » Le rythme sur Facetime a changé depuis la re­prise « en présentiel », deux jours par semaine, mais les enfantscontinuent à voir leur grand­mère les deux jours restants.

Pour les grands­parents qui sesont improvisés « professeurs » à distance, assurer le suivi du travail scolaire a été l’occasion de maintenir un lien mis à l’épreuve par le confinement. « Le contact quotidien avec eux a développé

d’autres choses », explique André, le grand­père de Dimitri. Un lien journalier qui n’est pas le même que celui des seules vacances sco­laires. « On sent qu’eux aussi ontapprécié, ajoute André. Ils nous le disent et leurs parents aussi. Et ça, c’est extrêmement gratifiant. »

Les grands­parents rapportenten effet avoir « appris des choses »,tant dans l’usage des outils numériques que sur les program­mes scolaires. Ils disent s’être sen­tis « utiles », voire « honorés » defaire progresser leurs petits­en­fants. « Je ne suis pas maîtresse d’école, c’est sûr, dit ainsi Michelle.Mais je vois bien, maintenant que l’école a repris, qu’ils ne sont pas enretard sur le programme. Et je sais que j’ai joué un rôle là­dedans. »

Avec une plus­value certaine parrapport aux devoirs faits par les parents : « Ma fille me dit qu’ils

sont plus disciplinés avec moiqu’avec elle, ils font moins la comé­die », avance Claude Philiponnet, médecin du travail à la retraite quia fait « l’école à la maison » depuis Aix­en­Provence (Bouches­du­Rhône) pour deux petits Pari­siens. « Les devoirs à la maison sont une source importante de tension entre parents et enfants, abonde le pédagogue Philippe Meirieu. Pour les parents, l’échec dans les devoirs est comme une mise en cause de leur autorité. »

Les grands­parents, par leur « re­lation affective » avec leurs petits­enfants, sont des personnes« tierces » essentielles dans l’édu­cation, avance le pédagogue. « Ilssont à une place qui leur permetd’apprendre des choses aux enfants, sans entrer dans un bras de fer si ça ne fonctionne pas. »

violaine morin

« Soyons honnêtes : aucunprof n’était prêt

à vivre ça », assure une

enseignante deSeine-Saint-Denis

35 %C’est la part d’enseignants qui continuent de faire cours à distance, estimait-on au ministère de l’éducation le 10 juin. Environ 5 % des en-seignants sont « excusés pour maladie, empêchés de reprendre le tra-vail pour cause de fragilité ou pour un autre motif. Cela ne veut pas dire que ces 5 % ont décroché ». Il n’empêche : « Quelqu’un qui ne fait pas son travail est sanctionnable », a affirmé le ministre sur RTL, mer-credi soir. 60 % des professeurs ont repris le travail « en présentiel ».

UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws

Page 14: Le Monde - 12 06 2020

14 | france VENDREDI 12 JUIN 20200123

L’attribution d’un HLM : un système discriminantSelon une étude publiée jeudi 11 juin, plus un ménage est pauvre, moins il ade chances d’obtenir un logement social

I l s’agit là d’un paradoxe. Alorsque la vocation première dulogement social est d’ac­

cueillir les ménages les plus mo­destes, plus on est pauvre, moins on a de chances d’en obtenir un. C’est la cinglante conclusion à la­quelle aboutit l’enquête, publiée jeudi 11 juin, menée par six asso­ciations à partir des données ex­traites du système national d’en­registrement de la demande de logement social, de l’analyse des dossiers de 96 ménages, en prin­cipe prioritaires, mais victimes de cette logique de refus et d’entre­tiens avec des travailleurs sociaux.

« Après avoir été broyées par lemécanisme opaque et sélectif d’at­tribution, les familles pauvres qui pensent avoir enfin franchi la der­nière étape sont bloquées par la cherté des loyers qui, bien que so­ciaux, sont encore trop élevés pour elles », analyse Michel Platzer, vice­président de ATD Quart Monde, partenaire, pour cette enquête, du Secours catholique, de Solidarités nouvelles pour le logement, de la Fondation Abbé Pierre, d’Habitat et humanisme et de Solidarité DALO. Depuis 1973, le nombre de demandeurs d’un logement socialn’a pas cessé d’augmenter – plus de deux millions depuis 2018 –, tandis que leur situation finan­cière s’est dégradée : 51 % des can­didats appartiennent au quart de la population aux revenus les plusbas, contre 25 % en 1978.

Dans son rapport, publiéen 2017, la Cour des comptes cons­tatait que le taux d’attributions d’un logement social aux famillesdisposant de moins de 500 eurospar mois et par unité de consom­mation n’était, en 2015, que de 19 %, contre 26 % pour l’ensemble des ménages demandeurs, sept points d’écart qui constituent uneforme de discrimination fine­ment analysée par cette enquête. Les auteurs estiment à 224 000 lenombre de familles bloquées pen­dant des années sur la liste d’at­tente sans qu’aucune proposition leur ait été faite ou, pire, ayant été refusées à la toute dernière étapedu long parcours d’attributionpar le bailleur social, qui a, de droit, le dernier mot.

« C’est décourageant »Moussa (le prénom a été changé), 32 ans, français d’origine ma­lienne, est intérimaire dans les travaux publics, notamment pour Eurovia, filiale de Vinci spé­cialisée dans les chantiers rou­tiers. Il gagne entre 2 300 et 2 600 euros par mois. Depuis 2016, il habite le 14e arrondisse­ment de Paris, dans une sous­pente de 2,5 mètres carrés décla­rée « impropre à l’habitation » par arrêté préfectoral. Prioritaire par définition pour accéder à un loge­ment social, solidement soutenu par la Fondation Abbé Pierre, il a déjà essuyé quatre refus en com­mission d’attribution, à Nanterre, Courbevoie et Bois­Colombes (Hauts­de­Seine), alors que son dossier était classé deuxième destrois candidats sélectionnés. « Je ne comprends pas, témoigne­t­il.Il manque toujours un papier, onoublie de me téléphoner, on m’in­vente une dette locative… C’est dé­courageant, car, à chaque fois, j’ai l’espoir, mais rien ne se passe. »

Après quatre ans et demi d’hé­bergement, à cinq (grands­pa­rents, parents et fils) dans une chambre d’hôtel, la famille A., arrivée d’Arménie en Bretagne en 2012, avait réussi à réunir tou­tes les conditions exigées pour ac­céder à un logement social – titres de séjour, bourse d’études pour le fils –, mais s’est vu refuser un ap­partement par le bailleur social,qui a jugé trop incertaines les ressources de la mère, en CDD comme femme de ménage. « Cette

attitude nous a déconcertés, car lesressources couvraient largement leloyer et, surtout, il y avait des ap­partements vides disponibles », se souvient Marie­Annonciade Petit, chargée des relations publiques pour Habitat et humanisme. Pour rassurer le bailleur, l’association a signé le bail et la famille a pu em­ménager en 2018.

La réticence des bailleurs so­ciaux s’explique par leur souci de ne pas prendre de risque d’impayéde loyer. Alors, dès qu’ils sentent que les finances sont fragiles, qu’une dette de loyer a pu être contractée auparavant, ils refer­ment la porte. Par ailleurs, la pré­sence d’enfants proches de la ma­jorité, qui fera bientôt chuter lemontant des allocations familia­les et des aides au logement, ou la précarité des emplois les rendent frileux. Le risque financier n’est pourtant pas un critère légal de prise en compte du dossier, et il cache parfois des motifs moins avouables, comme l’origine des demandeurs : « J’ai entendu des phrases comme : “Avec un Como­rien, c’est toute la famille qui ar­rive.” », raconte Mme Petit. Un can­didat qui ose refuser le logementqu’on lui propose prend, lui, le ris­que de voir son dossier enterré.

Le législateur a bien tenté, et ceà plusieurs reprises, de forcerl’ouverture des portes des HLM aux cas les plus difficiles. La loi surle droit au logement opposable (DALO, du 5 mars 2007), un statut accordé au demandeur qui oblige l’Etat à le reloger dans les six mois,laisse toujours 54 360 « ménages DALO » sans solution. « Nous avons bien un accord départemen­tal avec les bailleurs sociaux de l’Ile­de­France pour qu’ils mettent à la disposition des associations et des personnes hébergées 2 000 loge­ments par an, mais ils n’en propo­sent que 1 000 et beaucoup d’entre eux ne jouent pas le jeu et refusent nos candidats », dit Odile Pécout, travailleuse sociale pour Solidari­tés nouvelles pour le logement.

En 2009, la loi de mobilisationpour le logement et la lutte contrel’exclusion oblige Action Loge­ment (ex­1 % logement) à réserver un quart de ses attributions aux publics prioritaires, ce qui n’a ja­mais été fait. La loi relative à l’éga­lité et à la citoyenneté, du 27 jan­vier 2017, a, elle, instauré l’obliga­tion faite aux bailleurs de réser­ver, hors quartiers prioritaires de la ville, 25 % des attributions aux 25 % des demandeurs les plus mo­destes ; 18,7 % des demandeurs en ont profité sur le plan national, mais seulement 15 % à Nice ou 11 %en Ile­de­France.

Un obstacle majeur est le loyertrop élevé des logements sociaux qui se libèrent. Leur montant est déconnecté de la situation des de­mandeurs, ainsi victimes, selon lerapport, « d’exclusion économi­que ». Les six associations à l’ori­gine de l’enquête demandent, entre autres, la revalorisation de l’aide personnalisée au logement et une nouvelle politique des loyers sociaux, à ajuster aux res­sources des candidats pour parve­nir à une « quittance adaptée ». Une possibilité déjà envisagée parles lois ELAN (2018) et « égalité etcitoyenneté », mais très peu usi­tée, sauf à Rennes.

isabelle rey­lefebvre

Une vaste enquête pour mieux comprendre et améliorer les soins palliatifsLes résultats viendront nourrir le prochain plan national d’accompagnement de la fin de vie

E n entraînant la mort deplusieurs milliers de per­sonnes âgées, l’épidémie

due au coronavirus a posé de ma­nière aiguë la question des soins palliatifs. Les structures existant en France pour accompagner ces fins de vie étaient­elles suffisan­tes ? Ont­elles pu fonctionner cor­rectement ? Sur ce point, l’heure du bilan exhaustif n’est pas en­core venue. Mais l’état des lieux des structures et ressources en soins palliatifs rendu public, jeudi 11 juin, par le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie (CNSPFV), tombe à point nommé, tant ce sujet est revenu dans l’actualité avec la crise sanitaire.

Cette enquête, première dugenre, a été réalisée en ligne en oc­tobre 2019, auprès des deux prin­cipaux types de structures char­gées de l’accompagnement des fins de vie : les unités de soins pal­liatifs (USP), services hospitaliersconstitués de lits alloués aux soinspalliatifs ; et les équipes mobiles de soins palliatifs (EMSP), équipes pluriprofessionnelles qui accom­pagnent la prise en charge des fins de vie à l’hôpital, en établisse­ment médico­social ou à domicile.L’étude comporte deux volets : lepremier, quantitatif, recense le nombre de lits et de ressources humaines ; le second, qualitatif,reflète le ressenti des équipes quant à leurs conditions d’exer­cice quotidien. Le taux de réponse est de 85 % parmi les 158 USP, et de75 % des 408 EMSP que compte le territoire national. Une participa­

tion satisfaisante et géographi­quement bien répartie, qui per­met, précise le CNSPFV, de consi­dérer cet état des lieux comme « représentatif de la situation moyenne française et de la situa­tion moyenne région par région ».

Pour toutes les équipes d’USP etd’EMSP, la difficulté la plus fré­quente signalée est un manque depersonnel, notamment de méde­cins. On compte en moyenne 1,5 médecin et 7,5 infirmières pour10 lits d’USP (une USP dispose en moyenne de 12,5 lits), et 0,7 méde­cin et 1 infirmière d’EMSP pour 100 000 habitants. Relativement homogène à l’échelle des régions, cette réalité n’en cache pas moins de fortes inégalités départemen­tales en ce qui concerne le nom­bre de lits dévolus aux soins pal­liatifs. Une autre étude du CNSPFVrévèle ainsi que 27 départements ne disposent même pas d’un lit d’USP pour 100 000 habitants, contre 9,4 lits à Paris.

Interrogées quant à la « pres­sion » ressentie dans leur exercice quotidien, les équipes d’USP l’ont qualifiée de « gérable » à 54 %, « li­mite » à 37 % et « ingérable » à 9 %. La situation est plus délicate dans les EMSP : elle n’est vécue comme « gérable » que pour 42 % des équi­pes répondantes, alors qu’elle est « limite » pour 52 % et « ingérable » pour 6 % d’entre elles. « Globale­ment, les EMSP apparaissent donc comme plus en difficulté de fonc­tionnement que les USP », soulignele CNSPFV. La raison principale en est l’augmentation récente de leur

activité extra­hospitalière. Après que fut promulguée, en 2005, la loi garantissant le droit à l’accès detoutes les personnes en fin de vie aux soins palliatifs, il est apparuque l’accès à cette pratique restaitproblématique dans les structu­res médico­sociales, notamment dans les établissements d’héber­gement pour personnes âgées dé­pendantes (Ehpad). Les pouvoirs publics y ont donc encouragé l’in­tervention des EMSP, et certainesde ces équipes mobiles ont passé convention avec plusieurs dizai­nes d’Ehpad, afin de les aider à gé­rer les fins de vie de leurs rési­dents. Soit une nette augmenta­tion de leur activité clinique, alors même que leurs dotations « n’ont guère augmenté depuis 2012 ».

Pistes d’amélioration« Quand vous êtes une petiteéquipe de soins palliatifs et que vous avez sous votre responsabilitéune centaine d’Ehpad, à quoi s’ajoutent les patients à domicile, et que vous êtes “mobile” mais que vous ne disposez pas de voiture, c’est assez kafkaïen », résume le docteur Véronique Fournier, qui préside le CNSPFV depuis sa créa­tion, en 2016. Et de pointer un autre problème, relatif cette fois aux USP : « On leur demande, par exemple, de prendre des personnes en fin de vie en séjour de répit, le temps que la famille se repose. » Certaines équipes soulignent le risque de ne plus pouvoir accom­pagner leurs patients jusqu’à la mort, faute de places suffisantes.

Quelles mesures envisager pourenrayer ces dysfonctionnements ?« La priorité est de mettre autourd’une table les différents acteurs concernés, et de voir ensemble ce qu’il est réaliste de faire », répondprudemment le docteur Fournier. Les éléments fournis par cette enquête devraient permettre de poser les jalons d’une réflexion,notamment dans le cadre du prochain plan national d’accom­pagnement de la fin de vie et dessoins palliatifs. Lequel se fait at­tendre : prévu pour succéder auplan 2015­2018, il devait être lancé en 2019, avant d’être repousséen 2020… puis d’être à nouveau ajourné du fait de la crise.

A quelque chose malheur étantbon, l’épidémie a peut­être mon­tré quelques pistes d’amélioration.En touchant majoritairement les personnes âgées, elle a mis à l’épreuve les dispositifs existants. Pour certains, ce fut l’occasion de révéler leur efficacité : dans la ré­gion du Grand­Est, cruellement at­teint par le Covid­19, le réseau de soins palliatifs, qui avait à gérer une bonne centaine d’Ehpad, est ainsi globalement parvenu à maî­triser la situation. « L’épidémie a aussi permis à de nombreux soi­gnants de vaincre la peur que leur inspiraient les soins palliatifs. Ils ont été mis en demeure d’accompa­gner leurs patients en fin de vie, et ça s’est plutôt bien passé, remarquele docteur Fournier. Il faut tirer parti de cette expérience, et en dé­gager les bonnes pratiques. »

catherine vincent

Prison avec sursis et inéligibilité requises contre le maire de SanaryFerdinand Bernhard était jugé pour plusieurs infractions liées à sa fonction

marseille ­ correspondant

L es choix que j’opère sonttoujours faits pour servirau mieux les intérêts de lacommune. Il arrive que je

me trompe mais dans ce cas­là, je ne me suis pas trompé. » Devant le tribunal correctionnel de Mar­seille, le maire (divers droite) de Sanary­sur­Mer (Var), élu depuis 1989, s’est défendu d’avoir mé­langé intérêts publics et fins pri­vées. Ferdinand Bernhard, 68 ans, était jugé pour plusieurs infrac­tions liées à sa fonction : prise illégale d’intérêts, détournement de fonds publics et favoritisme.

Evoquant « un professionnel de lavie publique qui sait très bien ce qu’il fait », le procureur Etienne Perrin a brocardé « un serviteur quis’est servi », « le pivot d’un système »qui se serait ancré dans cette com­mune balnéaire. Le magistrat a re­quis, mercredi 10 juin, trois ans de prison avec sursis, une amende de100 000 euros, une privation des droits civils, civiques et de fa­mille – dont ceux de vote et d’éligi­bilité – pendant cinq ans.

« Comment apprécier les attein­tes à la probité, s’est interrogé M. Perrin. Le voleur passe en com­parution immédiate car c’est gravemais là c’est plus grave car il y a dis­simulation, car les fonctions et les responsabilités qui lui sont con­fiées ont été totalement dévoyées, sans état d’âme. » Et pour souli­gner cette gravité, le procureur a requis la confiscation du terrain sur lequel M. Bernhard, un chirur­gien­dentiste aux revenus confor­tables, a construit quatre maisons dont la sienne, un ensemble éva­lué à près de 1,5 million d’euros.

Cette opération immobilièrecompose l’un des pans de ce dos­sier. L’élu avait impliqué les servi­ces de l’urbanisme et les services techniques de Sanary­sur­Mer dans l’instruction de son permis de construire. « Ce n’est pas un pri­vilège, n’importe quel administré peut solliciter les services et bénéfi­cier d’une pré­instruction », a­t­il soutenu, reconnaissant juste que les choses étaient allées un peu plus vite pour lui. En guerre avec des opposants, il savait que son projet serait attaqué. « J’ai une seule obsession : être dans la léga­lité. » A ses fonctionnaires, il lance donc : « Regardez ce que le plustordu des tordus pourrait trouver. »

« Promotion canapé »En juillet 2010, le conseil munici­pal vote une procédure de déclara­tion d’utilité publique en vue de l’expropriation de terrains, ce qui permettra de faire passer une canalisation d’assainissement mais aussi de desservir son ter­rain et le désenclaver. Un projet deliaison porté par la commune bien avant son élection, se défend l’élu pour lequel « cette voie n’avaitaucun intérêt » pour lui, disposantdéjà d’une servitude de passage.

Ce « mélange d’intérêts person­nels à ceux de la commune », cet « arbitraire » qu’il dénonce dans son réquisitoire, le procureur le souligne aussi dans « l’ascension fulgurante au sein de la mairie » d’une attachée territoriale deve­nue sa compagne à l’été 2009. « Iln’est pas question d’être indiscret, avait campé d’emblée la prési­dente du tribunal Céline Ballérini. Mais c’est le fond de notre dossier. »Recrutée début 2009 comme con­

trôleuse de gestion, cette compta­ble avait été nommée, en août sui­vant, à l’un des deux postes de col­laborateur de cabinet, avant defaire fonction de directrice géné­rale des services en 2011. Son sa­laire avait quasiment doublé.

Sur le long banc des prévenus,le maire et son ex­compagne se sont assis aux deux extrémités. Lorsqu’elle parle de lui, elle em­ploie l’expression « l’autorité ».« J’ai mérité ce poste ! C’est impen­sable que je sois recrutée pour autre chose que pour mes qualités professionnelles et ce que j’avais pu prouver », martèle­t­elle. D’ail­leurs à l’entendre, la relation sentimentale n’aurait débuté qu’après sa nomination au postede collaborateur de cabinet. Inter­rogée en 2015 par les gendarmes, elle avait néanmoins reconnu de­voir un accès aussi rapide à ce poste – et au troisième salaire le plus haut de la commune – à sa re­lation avec le maire.

« On est dans une relation detravail et notre vie privée est acces­soire, elle n’a pas à s’immiscer dansla vie professionnelle », abonde Ferdinand Bernhard pour qui « on peut les séparer sans se priver du

bonheur d’être ensemble ». Une peine de six mois de prison avec sursis, une amende de 50 000 euros et deux ans de priva­tion des droits civils, civiques et defamille ont été requis contre l’ex­directrice générale des services.

Personne ne conteste les capaci­tés professionnelles de cette an­cienne compagne du maire, ni le travail fourni, mais le procureur rappelle que le second poste de collaborateur était, un temps, oc­cupé par une précédente petiteamie de M. Bernhard. « Est­ce que les fonctions de collaborateur decabinet n’ont pas été un moyen de gratifier des personnes pour les re­lations intimes qu’elles avaient avec vous ? », demande le magis­trat. Pour l’élu, « c’est vraiment faire un raccourci de la vie publi­que que d’imaginer cela » et c’est« indécent et malvenu qu’on puise considérer qu’une femme a sa car­rière du fait d’une relation ».

Face à des réquisitions qu’il aqualifiées de « demande de mise à mort politique et de mise à mort patrimoniale », Me Julien Pinelli a réclamé la relaxe de Ferdinand Bernhard qui « n’a jamais, ne se­rait­ce que tenté, de violer la loi ». « La promotion canapé, a­t­il expliqué, c’est offrir à quelqu’un une ascension professionnelle pour laquelle elle n’a pas les capaci­tés. Ici, je n’ai pas entendu une courtisane mais quelqu’un qui a gagné ses galons par son travail. »

Le maire a été réélu haut la mainau premier tour des municipales et, au tribunal, il a déclaré vivre, auvu et au su des habitants de Sa­nary, avec sa secrétaire. Le juge­ment sera rendu le 7 septembre.

luc leroux

Le procureur dénonce dans

son réquisitoirele « mélange

d’intérêts personnels

de l’élu à ceux de la commune »

Le législateur atenté à plusieurs

reprises de forcerl’ouverture des portes

des HLM aux casles plus difficiles

UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws

Page 15: Le Monde - 12 06 2020

0123VENDREDI 12 JUIN 2020 ÉCONOMIE & ENTREPRISE | 15

Au Brésil, une débâcle économique inéditeLes experts prévoient pour 2020 un plongeon de 6 % à 10 % de la richesse nationale. Du jamais­vu

rio de janeiro ­ correspondant

L e Brésil n’en est pas à unecrise près. Frappé de pleinfouet par la pandémie deCovid­19, en proie aux cir­

convolutions politiques de sonprésident, Jair Bolsonaro, le géant sud­américain doit aussi faire face à un crash économique d’unegravité sans précédent.

Les perspectives sont très som­bres : le ministère de l’économie table désormais sur un recul duproduit intérieur brut (PIB) de 4,7 % en 2020. Des prévisions dra­matiques, mais qui paraissent bien optimistes à une majorité d’instituts d’études et d’écono­mistes. Ces derniers prévoient plutôt un plongeon de 6 % à 10 % de la richesse nationale cette an­née : une récession jamais enre­gistrée dans l’histoire du Brésil.

La vague du Covid­19 a provo­qué un ralentissement général de l’économie, notamment après les mesures de restrictions mises en place par les autorités locales, maires ou gouverneurs, qui ontfait fermer, depuis la mi­mars, la plupart des commerces et activi­tés non essentielles. Les mesures ont été particulièrement strictesdans l’Etat de Sao Paulo, épicentrede l’épidémie et poumon écono­mique du pays, qui génère un tiers du PIB national.

On manque encore de donnéesofficielles pour connaître l’inci­dence de la pandémie sur le chô­mage et la pauvreté. Mais, dès lami­mai, la très sérieuse Fonda­tion Getulio Vargas (FGV) a publiédes chiffres inquiétants : d’après elle, 40 % des entreprises des sec­teurs du commerce, de l’indus­trie, des services et de la construc­tion auraient déjà été contraints de licencier tout ou partie de leur personnel à cause de la crise. Plus d’un ménage sur deux a vu l’un deses membres touché par le chô­mage ou une baisse de salaire. Près de huit Brésiliens sur dix di­sent aujourd’hui limiter leursachats aux biens essentiels.

La situation est d’autant plusdifficile que la crise frappe un pays « à peine remis de la granderécession de 2016­2017, avec un chômage fort, supérieur à 11 %, et des inégalités très creusées, où lesdeux tiers de la population viventdans la pauvreté ou la précarité », insiste Monica de Bolle, écono­miste et professeure à l’universitéaméricaine Johns­Hopkins. Sur­

tout, selon elle, « le Brésil est mal­heureusement dirigé par un gou­vernement passif, qui a nié des semaines durant la gravité de la pandémie, ainsi que son impact sur l’économie, et qui réagit aujourd’hui de manière totale­ment improvisée ».

« Aucun projet structuré »La seule mesure forte prise par le pouvoir d’extrême droite de Jair Bolsonaro est une aide d’ur­gence mensuelle de 600 reais (109 euros). « Mais le gouverne­ment a adopté cette mesure à contrecœur, sous pression de la société civile et du Parlement. Aujourd’hui, il n’a plus aucun projetstructuré sur la façon d’aider l’éco­nomie à faire face à la récession », dénonce Mme de Bolle. Le minis­tère de l’économie a d’ailleurs annoncé, mardi 9 juin, que l’aide

d’urgence serait encore versée pour deux mois de plus, mais qu’elle ne serait que de 300 reais.

La situation n’est pas près des’améliorer : alors qu’une bonne partie de la planète vit à l’heure du déconfinement, le Brésil est enpasse de devenir le principal foyeractif de l’épidémie, avec près de 40 000 victimes et 772 000 cas re­censés au 10 juin. Les menaces de destitution ou de coup d’Etat nerassurent pas les investisseurs.Selon l’agence Reuters, les inves­tissements directs à destination du pays se sont réduits à peau dechagrin au mois d’avril : 234 mil­lions de dollars (207,8 millionsd’euros), le plus mauvais résultat mensuel depuis 1995.

Le gouvernement brésilien vadonc devoir faire face seul, et ce, alors que les caisses se vident. Une étude publiée par le journal

Folha de S.Paulo et coordonnée par l’économiste renommé Mar­cos Lisboa anticipe un déficit re­cord des comptes publics pour2020, supérieur à 1,2 trillion de reais, et une dette qui devrait sansnul doute exploser et dépasser la barre symbolique des 100 % duPIB (contre 76 % avant la crise).

Pour ne rien arranger, une lutteoppose deux camps au sommet

de l’Etat. D’un côté, l’ultralibéralministre de l’économie Paulo Guedes, qui souhaiterait dérégu­ler davantage encore le marché du travail et poursuivre un vaste plan de privatisations. De l’autre, l’aile militaire, représentée par Walter Braga Netto, ministre­chef de la Casa Civil (équivalent de chefde cabinet du président), qui mi­lite pour un grand programme dedépenses d’investissement dans les infrastructures, conçu commeun « plan Marshal brésilien », et chiffré à 300 milliards de reais.

Pour le moment, Jair Bolsonaroa donné raison à son ministre de l’économie. « Un seul homme dé­cide de la direction de l’économie au Brésil : il s’appelle Paulo Gue­des », a­t­il déclaré, fin avril. De­puis le début de la crise, le chef de l’Etat nie la gravité de la pandémieet appelle à une réouverture to­

A Hongkong, les milieux d’affaires s’alignent sans ciller sur PékinLes menaces de riposte américaines n’inquiètent pas vraiment la place financière, dont l’activité est intrinsèquement liée à la Chine

hongkong ­ correspondance

L es banques et tous lesacteurs importants dela place financière de

Hongkong, qui ont toujours privi­légié la neutralité politique, sont désormais contraints de choisir leur camp. D’un côté, Pékin, qui va imposer à Hongkong une loidraconienne de sécurité natio­nale dans les mois à venir ; de l’autre, Washington, qui a promis des mesures de rétorsion à cette atteinte à l’autonomie du terri­toire chinois, en lui enlevant son statut « spécial » garanti par le Hongkong Policy Act de 1992. Or, tout indique que les milieux d’af­faires, tant hongkongais qu’occi­dentaux, optent pour Pékin, sans hésitation ni états d’âme, sous couvert de pragmatisme.

Mercredi 10 juin, le secrétaired’Etat américain, Mike Pompeo, a d’ailleurs accusé HSBC de faire des « courbettes intéressées » à la

Chine, et l’énorme fonds d’inves­tissement britannique Aviva In­vestors (250 milliards de dollars d’actifs, soit 220 milliards d’euros)s’est déclaré « mal à l’aise » et « mé­content » quant à la prise de posi­tion des banques HSBC et de Stan­dard Chartered, toutes deux favo­rables à la future loi chinoise. « Unmarché financier a besoin, avanttoute chose, de stabilité politique.Peu importe par quel moyen elleest obtenue », commente, pour sa part, Fabrice Jacob, président deJK Capital Management, établi àHongkong, dont tous les fondsont gagné 10 % en dix jours.

Après que le Parlement chinoisa annoncé, le 21 mai, qu’il se saisi­rait d’une loi sur la « protection de la sécurité nationale » à Hongkong, la Chine a déployé desémissaires pour tenter de persua­der le monde entier du bien­fondé de sa mesure. Celle­ci est « principalement vouée à ramener l’ordre », un argument doux aux

oreilles du camp de l’argent dansl’ex­colonie britannique, qui rêve de retrouver une stabilité sociale et politique disparue depuis un an, afin de continuer de prospé­rer. L’ancien chef de l’exécutifhongkongais (de 2012 à 2017), C. Y. Leung, tout dévoué à Pékin, avaitd’ailleurs publiquement inter­pellé HSBC sur sa position.

« Un atout formidable »Pour ou contre la loi de sécurité nationale ? HSBC a vite tranché,Hongkong et la Chine ayant re­présenté 75 % de ses profits en 2019. Le 3 juin, la banque a mis en ligne une photo de son direc­teur Asie­Pacifique, Peter Wong, en train de signer une pétition fa­vorable à la décision de Pékin… Un peu plus tard, un porte­parole de Standard Chartered se décla­rait « convaincu que la loi de sécu­rité nationale [pouvait] maintenir la stabilité sociale et économique de Hongkong à long terme ».

Quelques jours avant, Li Ka­shing, le plus célèbre des tycoons,avait ouvert la danse des allégean­ces à Pékin, en étant le premier à se déclarer « favorable » à la loi de sécurité nationale. Les autres sonttombés comme des dominos. Sir Michael Kadoorie, qui partage avec Li Ka­shing le monopole de l’électricité à Hongkong, les grou­pes Swire Pacific (Cathay) et Jar­dine Matheson (Hôtels Manda­rin) lui ont emboîté le pas.

« Personne ne crache dans lamain de celui qui le nourrit, c’est aussi simple que cela. Si vous tenezà vos affaires en Chine, vous res­pectez l’autorité chinoise. Il n’y a pas de question morale là­de­dans », résume un banquier euro­péen. D’autant qu’aucune place chinoise – ni Shanghaï ni Shen­zhen ni même Singapour – n’esten mesure de concurrencer sé­rieusement Hongkong, son éco­système bien rodé et bien régle­menté, son cadre juridique fondé

sur la common law (le droit coutu­mier), son très faible taux d’impo­sition, son vivier de talents inter­nationaux, ses infrastructures et, surtout, son accès presque direct à la manne de capitaux chinois.

Selon le discours qui prévautparmi les acteurs de la place fi­nancière, la Chine a d’ailleurs, elleaussi, grand besoin de Hongkong,et n’a donc aucunement l’inten­tion de la sacrifier. « Une zone dol­lar en territoire chinois, c’est un atout formidable et la Chine y tientbeaucoup ! », affirme l’un d’eux. D’ailleurs, si la Bourse a d’abord décroché de 5 % lors de l’annonce du projet de loi, elle s’est, depuis,amplement remise.

Dans ce contexte, les mesurespunitives américaines qui, selonle président Donald Trump, de­vaient faire « très mal », n’inquiè­tent personne. Même si les détailsne sont toujours pas connus, la menace ressemble à du bluff. In­terpellé, mercredi, au Parlement

local sur les conséquences éven­tuelles de ce changement de la po­litique américaine à l’égard de Hongkong, le secrétaire au com­merce et au développement éco­nomique, Edward Yau, a soulignéque les exportations Hongkon­gaises vers les Etats­Unis qui bé­néficiaient de privilèges doua­niers au titre du statut spécial ne représentaient que… 0,1 % du to­tal des exportations.

« Les gesticulations de Trump nesont qu’un show électoral. Les Chi­nois ne sont pas dupes », juge M. Ja­cob. En revanche, depuis le vote auSénat américain, en mai, de nou­velles mesures de contrôle des en­treprises chinoises cotées à Wall Street, les 146 entreprises chinoi­ses concernées, et les 1 300 mil­liards de dollars qu’elles portent, risquent de migrer de New York à Hongkong, sur les traces d’Ali­baba. Un cadeau inespéré pour la place financière asiatique.

florence de changy

Devant un magasin,à Rio de Janeiro (sud­est du Brésil), le 2 juin. PILAR OLIVARES/REUTERS

« Les deux tiersde la population

vivent dans la pauvreté

ou la précarité »MONICA DE BOLLE

économiste et professeure à l’université Johns-Hopkins

tale de l’économie. Après des se­maines de conflits avec les maireset les gouverneurs, il semble pro­che de remporter son pari : face à l’étendue de la récession, plu­sieurs Etats, dont Sao Paulo et Rio de Janeiro, ont amorcé une re­prise graduelle des commerces et activités non essentiels.

Tout cela ne signifie cependantpas le retour de la croissance. La reprise sera lente, voire très lente. Quand bien même la pandémie marquerait le pas, le Brésil ne re­trouvera pas avant plusieurs an­nées sa situation d’avant­corona­virus (déjà bien morose…). D’ici à la fin de son mandat, en 2022, Jair Bolsonaro pourrait donc bel et bien être réduit à devoir gérer lacrise. Un comble pour un hommequi s’est vanté de ne « rien com­prendre » à l’économie.

bruno meyerfeld

UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws

Page 16: Le Monde - 12 06 2020

UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws

Page 17: Le Monde - 12 06 2020

UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws

Page 18: Le Monde - 12 06 2020

18 | économie & entreprise VENDREDI 12 JUIN 20200123

Le plan de soutien de l’Etat au BTP ne convainc pasLe secteur estime que les mesures, insuffisantes, sont à « contretemps »

C e n’est pas faute d’avoir es­sayé d’attirer l’attention.Mardi 9 juin encore, la

veille de la présentation enconseil des ministres du projet deloi de finances rectificative, le troisième depuis le début de lacrise sanitaire, les fédérations du bâtiment et des travaux publics s’offraient des publicités pleine page dans les journaux pour sup­plier « monsieur le président de la République » « d’aider le BTP ». « Il ya urgence : aider le BTP, c’est sauverl’emploi partout en France. »

Certes, la plupart des chantiersont repris. Mais voir les grues et tunneliers tourner de nouveau « ne signifie pas la fin des problè­mes pour nos entreprises », insis­tent­elles. La crise a engendré des surcoûts. Qui va les payer ? Sur­tout si les commandes ne sontpas relancées dès à présent, elles craignent des faillites en cascade.

Le gouvernement sait le secteursensible. Le BTP en France repré­sente 2 millions d’emplois, 11 % duproduit intérieur brut, une multi­tude de PME réparties sur tout le territoire et de puissants lobbys. Il a donc essayé d’y mettre lesformes, en présentant, mercredi 10 juin, un « plan de soutien au secteur », avec des « mesures d’ur­gence pour soutenir la reprise d’ac­tivité ». Les fédérations n’ont pas marché. « Un projet extrêmementdéceptif », « qui n’empêchera pas l’effondrement rapide du secteur »,commente la Fédération natio­nale des travaux publics. « Le gou­vernement avait annoncé (…) unplan de soutien du BTP (…) Force

est de constater qu’il n’en est rien… ou presque ! », complète saconsœur du bâtiment.

Il y a d’abord cette question ré­currente posée depuis la reprise des travaux : qui, du donneur d’ordre ou de l’entreprise, réglerales surcoûts liés à la crise sani­taire ? Evidemment, comme par­tout, il a fallu commander des masques et du gel hydroalcooli­que. Mais sur un chantier commecelui du métro du Grand Paris, à Sèvres (Hauts­de­Seine), des per­ceuses, des meuleuses, des bou­lonneuses, ont dû aussi être ra­chetées pour éviter les échanges entre ouvriers. Une grue immobi­lisée pendant deux mois, ce sont aussi des frais de location supplé­mentaires. Et que dire de la baissede productivité liée aux mesures de distanciation physique ? Les estimations varient, mais le sur­coût moyen est estimé à 10 %. Or, les entreprises refusent d’acquit­ter seules la facture.

Vœu d’exemplaritéLe sujet a été abordé à l’Assem­blée, le 2 juin, et Bruno Le Maire, leministre de l’économie et des fi­nances, avait assuré que « les moyens de prendre en charge ces surcoûts » seraient examinés. Lamesure présentée par le gouver­nement mercredi est en réalité unvœu d’exemplarité. Il est ainsi de­mandé aux maîtres d’ouvrage d’Etat de négocier « rapidement » la prise en charge « d’une partie des surcoûts directs » sur ses chan­tiers, de manière que tous suiventderrière. Les coûts indirects, eux,

seront évalués par un comité de suivi. Ce travail servira de baseaux négociations futures.

Vient ensuite une série de me­sures dites de « soutien à la re­prise ». Parmi elles, le renforce­ment du dispositif de garantie de l’Etat à l’assurance­crédit pour pallier la réticence des assureurs à couvrir des entreprises suscep­tibles de faire faillite. « Une me­sure importante qui, on l’espère, aura un impact sur les entreprises du BTP », insiste l’entourage de M. Le Maire. C’est le même dis­cours employé pour présenter le dispositif de remises de chargessociales aux entreprises de moinsde 50 salariés, ou encore les aides au recrutement des apprentis. Cesdispositifs valent pour tous, mais le BTP est directement concerné.

Quant au milliard d’euros sup­plémentaires versé à la dotation de soutien à l’investissement local– cette enveloppe dont disposent les préfets pour soutenir les inves­tissements des collectivités, qui passera à 1,6 milliard d’euros –, l’annonce avait déjà été faite fin mai par le premier ministre, Edouard Philippe, dans son plan d’aide aux collectivités locales.

Ce projet est surtout « à contre­temps », souligne enfin la fédé­ration des travaux publics. Pourelle, ce n’est plus de « reprise »qu’il doit être question, mais de « relance ». Or, avec un plan de re­lance de l’économie annoncé à larentrée, et pas avant, elle craintque les nouveaux chantiers ne démarrent qu’en 2021.

émeline cazi

Lactalis va baisser le prix du lait payé aux éleveurs en 2020Exaspérés, certains producteurs ont décidé de saisir le médiateur

L es éleveurs laitiers fran­çais font grise mine. Lacrise liée au coronavi­rus a soudain assombri

les perspectives. En janvier, ils se frottaient les mains, anticipant une nouvelle hausse du prix du lait en 2020. Las, la pandémie a bousculé le jeu. Et certains indus­triels ont alors changé de dis­cours. A l’exemple du poids lourd Lactalis.

« Sur les cinq premiers mois del’année, le prix du lait payé au pro­ducteur est supérieur à celui payé en 2019. Mais au second semestre, le prix moyen sera en baisse et nous sommes sur un repli enmoyenne sur l’ensemble de l’an­née », déclare Emmanuel Besnier, président du conseil de sur­veillance de l’entreprise familiale mayennaise, qui revendique le ti­tre de premier groupe laitier mondial. Son chiffre d’affaires a tutoyé la barre des 20 milliards d’euros en 2019. Cette inversion de tendance n’est guère du goûtde certains éleveurs qui tra­vaillent pour Lactalis. En particu­lier ceux regroupés au sein de l’Organisation des producteurs delait Grand Ouest (OPLGO), soit près de 1 300 agriculteurs qui ontdécidé de saisir le médiateur desrelations commerciales agricoles.

« Déjà fin 2019, nous n’avions passigné d’accord cadre et nous som­mes allés en médiation. Nousavons trouvé un accord tempo­raire pour le premier trimestre 2020 avec une formule de prix qui tient compte des coûts de produc­tion de l’éleveur et de l’évolution des marchés. Mais en avril­mai, Lactalis nous a dit que le prix était

déconnecté de la réalité écono­mique et ils ont appliqué un prix imposé », explique le président de l’OPLGO, Jean­Michel Yvard.

Les éleveurs, qui avaient tou­ché en moyenne 330 euros la tonne de lait en 2019, ont perçu 333 euros au premier trimestre2020, puis 326 euros en avril et,pour finir, 315 euros en mai et juin. « Les Etats généraux de l’ali­mentation devaient apporter uneréponse à la crise laitière de 2015 avec la prise en compte des coûtsde production des éleveurs. Il y a euun début de réponse en 2019. Mais là, on nous ramène à la réa­lité du marché international. C’est exaspérant d’être mis en concur­rence avec des producteurs qui nerespectent pas les mêmes règles »,affirme M. Yvard.

La crise due au coronavirus,après avoir frappé la Chine, est ar­rivée au moment crucial du pic deproduction laitière saisonnière en Europe. « Fin mars, début avril,tout le monde était très inquietavec le pic de collecte de lait », sou­ligne Benoît Rouyer, directeur de la prospective économiquedu Centre national interprofes­sionnel de l’économie laitière. D’autant qu’en face, les réseaux

de distribution étaient boulever­sés avec, d’un côté, la grande dis­tribution écoulant des volumesinédits de lait, de beurre, deyaourts et d’emmental râpé, et, de l’autre, des cantines, des res­taurants et des marchés en plein air contraints de fermer, mettant à mal les fabricants de fromagestraditionnels. En parallèle, les circuits d’exportation étaient euxaussi bousculés et les cotationsinternationales des produits lai­tiers perdaient de la valeur.

Trouver un terrain d’ententeL’interprofession a immédiate­ment réagi en débloquant 10 mil­lions d’euros pour inciter les agri­culteurs français à réduire leur production. En parallèle, Bruxel­les a accepté de débloquer 30 mil­lions d’euros afin de financer lestockage privé de produits laitierspour absorber d’éventuels trop­pleins. Finalement, les cours nesont pas descendus au niveau du prix d’intervention (prix auquel Bruxelles s’engage à acheter) et les industriels comme Lactalis n’ont pas sollicité ces aides.

« Ce qui nous a rassurés, ce sontles moyens colossaux mis en place par les Etats­Unis pour soutenirleur secteur agricole. Même si la production laitière n’a pas baissé outre­Atlantique, on constate un rebond des cours depuis fin avril,début mai », explique M. Rouyer.En outre, les exportations de pro­duits laitiers français qui avaientsubi un retrait en janvier et fé­vrier, lié à la situation chinoise, sesont redressées en mars. Finale­ment la filière laitière a, dansson ensemble, plutôt mieux

passé la période de crise sanitaire que d’autres secteurs. « Mainte­nant, on va entrer dans la crise éco­nomique, avec la problématiquedu prix dans la grande distributionet le risque d’un retour du discourssur la lutte pour le pouvoir d’achat.Nous allons voir quelle sera la position de la grande distribu­tion », explique M. Besnier.

Lactalis n’est pas le seul groupe,à réagir à ces anticipations en baissant le prix du lait. D’où la réaction de France OP Lait, qui fé­dère différentes organisations deproducteurs, et a aussi saisi le mé­diateur fin avril. « Prétextant de la crise du Covid­19, de nombreux in­dustriels n’ont pas respecté les ac­cords ni les contrats en imposantunilatéralement et brutalement des réductions de prix. Certains en profitent également pour reporter aux calendes grecques la mise en conformité de leurs relations com­merciales avec les organisationsde producteurs conformément aux exigences de la loi Egalim », s’est émue France OP Lait.

Dans sa réponse, mi­mai, le mé­diateur incite les acteurs à trouverun terrain d’entente avant lesnouvelles négociations commer­ciales entre industriels et distri­buteurs fin 2020, au risque de sanctions financières. « Si l’onveut garder des éleveurs en France,il faut donner une réponse en ter­mes de valeur et de prix. La crise du Covid a créé un trou d’air, mais il faut remettre de l’opti­misme dans la filière », conclut Marie­Thérèse Bonneau, vice­présidente de la Fédération natio­nale des producteurs de lait.

laurence girard

Les éleveurs ontperçu 333 eurosla tonne de lait

au premier trimestre 2020,

contre 315 eurosen mai et juin

C’est maintenant acquis, le grand gagnant de la crise sanitaire mondiale est le monde de l’Inter­net. Pendant le confinement, le télétravail et le commerce en li­gne se sont installés durablement dans le quotidien et la culture de tous les pays. Le Nasdaq, la Bourse américaine des valeurs technologiques, vole de record en record. Et les stars du secteur, les Google, Apple, Facebook, Amazonou Microsoft (Gafam) dépassent désormais toutes allègrement les 1 000 milliards de dollars (880 milliards d’euros) de capita­lisations faisant d’elles les entre­prises les plus chères du monde.

Il n’est donc pas étonnant que labataille de la livraison de repas à domicile par Internet déclenche elle aussi sa pluie de milliards. Mercredi 10 juin, la société néer­landaise Just Eat Takeaway a an­noncé qu’elle allait acheter son homologue américaine, Gru­Hhub, pour 7,3 milliards de dol­lars en actions. Pas mal pour une entreprise dont les ventes de re­pas dépassent à peine le milliard et qui ne gagne pas d’argent. Cela ne l’a pas empêchée d’être convoi­tée aussi par le géant du secteur, Uber Eats, leader aux Etats­Unis. Une acquisition qui a achoppé non pour des raisons de prix, mais de risque d’action antitrust.

C’est donc finalement le néer­landais Takeway qui rafle la mise. La société, fondée en 2000 dans un dortoir d’université par Jitse Groen, s’offre ainsi un accès à l’immense marché américain, ainsi qu’en Australie, au Brésil et au Canada. Devenu milliardaire à 42 ans, il utilise la valorisation boursière de sa société, de plus de 12 milliards d’euros, pour faire le

ménage dans le secteur. Il avait déjà acheté, en 2018, les opéra­tions de Delivery Hero en Allema­gne, puis celle de son concurrent britannique Just Eat, en 2019. Il est maintenant en lutte frontale avec Uber Eats dans le monde et DoorDash aux Etats­Unis.

Course pour la survieMais un seul petit détail sépare encore ces ambitieuses start­up des Gafam aux 1 000 milliards de dollars : aucune ne gagne d’argent. Et, à vrai dire, personne ne peut affirmer avec certitude que ce métier sera rentable un jour. La concentration actuelle revêt donc des allures de course pour la survie. Celle­ci dépend fi­nalement de deux facteurs : le niveau de concurrence et le mo­dèle économique.

La concurrence est d’autant plus forte que d’innombrables start­up locales tentent leur chance sur le métier de mise en relation entre restaurateurs et clients. Pour se distinguer, il faut investir des millions en publicité sur Google ou Facebook, alors que la guerre des prix ruine la rentabilité. Afin d’y échapper et de conquérir plus de restaurants, certains, comme Deliveroo ou Uber Eats, construisent leur ré­seau de livreurs. Mais le coût de celui­ci est considérable, et les entreprises peinent à accorder un salaire et une protection dé­cente à leurs livreurs, d’où la multiplication de conflits so­ciaux. Finalement, chacun espère être le dernier debout pour em­porter la mise, comme cela a été le cas avec Booking.com dans l’hôtellerie. C’est le pari de Takeaway et d’Uber.

PERTES & PROFITS | JUST EAT TAKEAWAYpar philippe escande

Bataille de livreurset pluie de milliards

CONJONCTURELa Fed prévoit une baisse de 6,5 % du PIB des Etats-Unis en 2020La Réserve fédérale améri­caine (Fed) a promis, mer­credi 10 juin, de continuer à soutenir l’économie pendant plusieurs années après la crise provoquée par la pandé­mie de Covid­19, qui devrait se solder par une chute du produit intérieur brut (PIB) de 6,5 % en 2020 et porter le taux de chômage à 9,3 % en fin d’année. – (Reuters.)

MÉDIASDenis Olivennes nommé directeur général de « Libération »Denis Olivennes a été nommé directeur général et cogérant du journal Libéra­tion, en remplacement de Clément Delpirou, selon un courriel interne envoyé par la direction jeudi et consulté par l’Agence France­Presse. Il quitte donc la présidence de CMI France, le groupe de mé­dias français du milliardaire tchèque Daniel Kretinsky (ac­tionnaire indirect et minori­taire du Monde), qu’il assurait depuis début 2019.

INTERNETAmazon suspend l’accès de la police américaine à son logiciel de reconnaissance facialeAmazon a annoncé, mercredi 10 juin, un moratoire d’un an sur l’utilisation, par la police américaine, de son logiciel de reconnaissance faciale, alors que des manifestations de masse se déroulent aux Etats­Unis pour dénoncer la bruta­lité policière contre les per­sonnes de couleur, après la mort de George Floyd, le 25 mai à Minneapolis (Minne­sota) – (Reuters.)

Des liens inquiétants entre chômage et suicide

L e lien entre travail et suicide résonne particulièrementdans l’actualité puisque la crise sanitaire se double d’unecrise économique et sociale. » C’est ainsi que Fabrice Len­

glart, à la tête de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), et président délégué de l’Observatoire national du suicide (ONS), a présenté, mercredi 10 juin, le quatrième rapport de l’ONS.

La relation de cause à effet n’est pas évidente. « Le chômagepeut détériorer la santé mentale, mais une mauvaise santé men­tale peut, à terme, limiter la participation au marché du travail, la recherche et l’obtention d’un emploi », rappelle l’ONS. Et pour­tant, les chiffres sont là : 30 % des chômeurs songent sérieuse­ment au suicide, contre 19 % des actifs en poste, et « le risque dedécès par suicide des chômeurs est supérieur à celui des actifs en emploi, en particulier chez les hommes entre 25 et 49 ans ».

La perte d’emploi a une incidence sur tous les domaines de lavie (famille, relations sociales) et des effets délétères sur la santé du chômeur (troubles du sommeil, alimentation désé­quilibrée, moindre activité physique, comportements addic­

tifs). « Le chômage entraîne une dété­rioration de la santé mentale pouvantaller de l’anxiété à la dépression, voire,dans sa forme la plus dramatique, ausuicide », peut­on lire dans le rapport.

Le psychiatre Michel Debout, coau­teur du document, alerte les pou­voirs publics sur l’urgence de propo­ser des accompagnements psychi­ques aux demandeurs d’emploi. Ildistingue différents types de sui­cide : « le suicide retrait », qui clôt unepériode d’isolement et de désociali­

sation provoquée par le chômage et qui pourrait être évité par une proposition de formation ou d’emploi, même précaire ; « lesuicide protestation », qui manifeste l’opposition à tout ce qui aconduit au licenciement ; enfin, « le suicide sacrifice », qui estaussi un acte de dénonciation, pour faire bouger les lignes.

L’acte suicidaire n’est pas qu’un problème avec soi, mais uneréponse à la société. « C’est bien à “l’être social” que s’adresse la violence générée par la perte d’emploi, les licenciements, les plans sociaux et les dépôts de bilan », souligne M. Debout. Vu lesperspectives économiques, la baisse du nombre de morts par suicide révélée par le rapport (9 300 en 2016) est fragile. « Hélas,cette évolution est en cours d’inversion rapide. On constate déjà une remontée des actes suicidaires avec la crise », affirme Jean­Claude Delgènes, président fondateur du cabinet Technologia, spécialisé dans la prévention des risques psychosociaux.

anne rodier

LA PERTE D’EMPLOI A UNE INCIDENCE SUR TOUS LES DOMAINES DE LA VIE ET DES EFFETS DÉLÉTÈRES SUR LA SANTÉ

UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws

Page 19: Le Monde - 12 06 2020

0123VENDREDI 12 JUIN 2020 horizons | 19

En Israël, sur les traces du colon bâtisseurZe’ev Hever, entrepreneur au passé terroriste, est le principal constructeur des colonies dans les territoires palestiniens. L’Etat israélien s’apprête à légaliser son « œuvre », en annexant une partie de la Cisjordanie à partir du 1er juillet

jérusalem ­ correspondant

T oute sa vie, le « roi » des colonsisraéliens, Ze’ev Hever, a at­tendu ce jour. Voilà trente ansque le patron d’Amana, l’entre­prise de bâtiment des colons,construit en Cisjordanie occu­

pée, peuplant de centaines de milliers de juifs son empire de caravanes et de pavillons à tuiles rouges. A compter du 1er juillet, le gou­vernement de Benyamin Nétanyahou s’est engagé à légaliser son œuvre, accomplie en violation du droit international. Avec le sou­tien de Washington, M. Nétanyahou a promisde rompre avec le régime d’occupation en vi­gueur depuis la victoire militaire de 1967 pour annexer la vallée du Jourdain et les colo­nies en Cisjordanie. Il entend appliquer la« souveraineté » israélienne sur ces terrespromises au peuple juif par la Bible. A 66 ans,M. Hever, que tout le monde surnomme« Zambish » en Israël, pourrait exulter. Pour­tant, il se tait. Il étudie les cartes des implan­tations. Il laisse son propre camp se diviser sur le projet d’annexion conçu par M. Nétan­yahou et ses alliés américains.

Une partie des colons rejettent le « planTrump », qui envisage encore la création d’unEtat palestinien, même réduit à presque rien.Ils craignent aussi que ce programme ne lescontraigne à abandonner certaines de leursconquêtes. Ils veulent tout, tout de suite, ou bien rien. Et Zambish, homme de réseaux etd’argent, est leur relais au sein de l’Etat. Un héros pour beaucoup, un traître pourd’autres, qui l’accusent de comploter avec M. Nétanyahou afin de brader leur terre.

Ze’ev Hever n’a pas toujours été ce notable,cet homme d’antichambre à la voix forte et aux manières respectueuses, que les puis­sants admirent. Né dans une famille reli­gieuse, il est issu du creuset d’Hébron, colonieultraviolente, où un petit noyau d’idéologuess’établit dès 1968, après la guerre des Six­Jours,à l’ombre du tombeau des Patriarches (la mos­quée d’Ibrahim pour les musulmans). Adoles­cent, il y prépare son service militaire dans une académie religieuse, puis gravite dans l’entourage du rabbin Moshe Levinger, au seindu Bloc de la foi, le Gush Emunim, qui se veut le fer de lance de la reconquête du « grand Israël », du Jourdain à la Méditerranée.

« MENEUR D’HOMMES »Zambish, grand garçon bien bâti, un peu voûté, à la barbe noire broussailleuse et auxbeaux yeux sombres, ne craint pas defaire le coup de feu. Il suit son camaradeYehuda Etzion lorsque celui­ci contribue àformer, en 1979, un réseau voué à l’actionviolente et secrète, Hamakhteret hayehudit,« la résistance juive ». En juin 1980, il se jointà l’un des commandos envoyés poser desbombes sous les voitures des maires de troisgrandes villes palestiniennes.

En juillet 1983, des membres du réseausont les auteurs d’une fusillade dans l’uni­versité islamique d’Hébron (3 morts, 33 bles­sés). Zambish n’était pas de cette équipée­là.Il a été auparavant « grillé » par le Shin Bet, leservice de renseignement intérieur israé­lien. Les agents ont trouvé une bombe, que son commando avait échoué à placer sous levéhicule du maire de Bethléem trois ansplus tôt, et que Zambish avait cachée prèsd’Hébron. Interrogé, ce dernier reste muet.Mais les agents finissent par prendre sescamarades la main dans le sac, une nuitd’avril 1984, alors qu’ils posent des bombessous des bus arabes, à Jérusalem. « Zambishne faisait pas partie de la direction dugroupe, mais il était influent et il connaissaitcertains de leurs plans », estime aujourd’hui Yaakov Peri, l’un des enquêteurs, qui prit parla suite la direction du Shin Bet.

Leur procès fait grand bruit. Zambish estcondamné à onze mois de prison. YehudaEtzion y passe cinq ans pour avoir planifié ladestruction du dôme du Rocher, le troisièmelieu saint de l’islam. « Zambish a montré sescapacités de meneur d’hommes durant sadétention parmi eux », assure au Monde un ancien responsable du mouvement colon,soucieux de demeurer anonyme. Une fois sortis, « nous avons continué d’agir chacunselon nos moyens, qui sont complémentai­res », précise, pour sa part, Yehuda Etzion. A69 ans, le vieux radical milite encore pour laconstruction du « troisième temple » juif surle mont du Temple (ou l’esplanade des Mos­quées), et mesure avec admiration le cheminparcouru par son compère Zambish.

En 1989, celui­ci est élu secrétaire générald’Amana, une association qui finance, grâce àsa compagnie commerciale de bâtiment, le conseil de Yesha, représentant des colonies auprès de l’Etat. « Zambish n’avait pas de titrede chef ou de général, mais il a été le plus in­fluent d’entre nous depuis au moins vingt ans,

dit l’ex­responsable du mouvement colon. Nos institutions venaient à lui pour obtenir des prêts, elles sont devenues dépendantes de lui, parce qu’il avait accès à l’argent. » Son objectifdéclaré : héberger, à terme, 1 million de juifs enCisjordanie. Il se tient aujourd’hui à mi­che­min : les colons sont environ 450 000 en Cisjordanie, et 200 000 autour de Jérusalem.

Zambish, marié et père de sept enfants,conserve de ses années de terrorisme le goût du secret : il ne donne pas d’interviews à lapresse. Son obsession : les « avant­postes », ces colonies construites loin dans les territoi­res palestiniens, au mépris du droit interna­tional et, souvent, de la loi israélienne.« Amana choisit le lieu, le moment approprié,le type d’avant­poste à construire et fournit l’argent », résume Dror Etkes, l’un des plusfins observateurs de la colonisation, qui la combat au sein de l’ONG de gauche KeremNavot. Par la suite, Zambish négocie avec legouvernement pour qu’il tolère et légalise éventuellement le nouveau bâti.

Cette influence, le leader colon l’a acquiseauprès d’Ariel Sharon, ministre de la cons­truction au début des années 1990. « Zam­bish est, dans une très large mesure, une créa­ture de Sharon, qui est tombé amoureux delui. C’était le genre de type qu’il a toujours ad­miré : jeune, fort et bien bâti, vétéran d’uneunité de combat, religieux, efficace et courantles collines », estime Ehoud Olmert, succes­seur de M. Sharon à la tête du gouverne­ment, après l’attaque cérébrale qui le plon­gea dans le coma en 2006.

Nombre de colons n’ont jamais pardonné àZambish cette amitié, qui les a pourtant ser­vis. Ils soupçonnent celui­ci d’avoir acquiescé secrètement au retrait de l’armée et à l’évacua­tion des colonies de la bande de Gaza, décré­tées par M. Sharon en 2005. Zambish, lui, est demeuré fidèle. « Ton désengagement du che­min que nous avons parcouru ensemble, pen­dant tes deux dernières années au pouvoir, était difficile et pénible. Les questions restent sans réponse, la douleur est immense, et tout sera recouvert d’un grand amour », déclare­t­il à la Knesset, en 2014, après la mort de

M. Sharon, qu’il appelle encore « notre père ». Zambish ne s’est cependant jamais enfermé dans un seul camp. Depuis les années 1990, il a fréquenté tous les gouvernements israé­liens, de droite comme de gauche. Ses alliés aiment à rappeler que Yitzak Rabbin lui avait fait montrer les cartes sur lesquelles se négo­ciaient les futurs accords d’Oslo, signés en 1993. Zambish y est hostile, mais il proposedes ajustements et tire le meilleur parti d’un processus qu’il ne peut contrecarrer, en mili­tant notamment pour la construction de rou­tes reliant les colonies aux grandes villes.

Le travailliste Ehoud Barak (au pouvoir de1999 à 2001) lui donnait l’accolade, lorsqu’ille croisait à la cafétéria du Parlement. Ses successeurs, Ehoud Olmert et Benyamin Nétanyahou, respectent son savoir­faire et samémoire des chemins de traverse de Cis­jordanie, saisissante selon ses proches. Il les parcourt à pied ou en 4 × 4, parfois seul et avec prudence, lorsqu’il s’approche de cer­taines colonies, parmi les plus radicales.

« IL PÈCHE PAR FIERTÉ »« Pendant des années, j’ai pris des jeunes[colons] qui faisaient de l’auto­stop au bord des routes, mais depuis un an, je vois la ragedans leurs yeux et parfois je ne m’arrête plus,pour éviter une situation déplaisante », dit­il publiquement dès l’été 2012. Contesté par certains radicaux d’Hébron, il a quitté saville pour s’établir auprès de l’une de sesfilles, d’abord dans une caravane puis dans une belle maison de pierre jaune, juchée surune colline d’El­Azar (centre), dans un quar­tier illégal au regard du droit israélien.

« Zambish partage sans aucun doute notreidéologie, reconnaît Daniella Weiss, 75 ans,son aînée au sein du Gush Emunim. Mais iln’a pas d’école, pas de rabbin, pas de groupe oùles choses peuvent être exposées et discutées. Ilpèche par fierté, par hubris ! » Cette critique est commune : Zambish exerce le pouvoir en solitaire, supervisant jusqu’aux plus petitestâches. « Même auprès de ses amis les plus proches ou des gens en qui il a confiance, il garde ses plans secrets. Nombre de gens qui

travaillaient avec lui ont fini par le quitter,parce qu’ils n’avaient pas de place pour gran­dir », dit l’ancien responsable du mouvementcolon désireux de rester anonyme.

C’est l’une des rares ressemblances entreZambish et Benyamin Nétanyahou. Lesdeux hommes se connaissent depuis lepremier mandat de M. Nétanyahou, en 1996. Ils se savent indispensables l’un àl’autre. Mais Zambish, sans formation uni­versitaire, indifférent à l’argent pour lui­même, ne parle pas la même langue que lepremier ministre, cet homme du monde,peu porté sur la religion, plus préoccupé de la grande histoire du peuple juif et de sesdroits que des basses réalités de la terre.

Depuis cinq ans, M. Nétanyahou a su satis­faire son allié, en tolérant le développement de colonies agricoles, gourmandes en terre, dans le nord et l’est de la Cisjordanie. Il a aussiautorisé une hausse spectaculaire des cons­tructions depuis 2018. Ce rapport de force pousse les colons à durcir encore leur posi­tion à l’approche de la date promise de l’an­nexion. « Nétanyahou craint avant tout d’être contesté par sa droite. Il n’a pas d’autre choix que de garder Zambish heureux. C’est lui quidécide, in fine, si “Bibi” est encore l’un des leurs, si les colons doivent rester derrière lui »,estime le journaliste Anshel Pfeffer, biogra­phe du premier ministre.

Début juin, s’estimant tenus à l’écart desnégociations avec l’administration améri­caine, les colons ont lancé une vaste campa­gne d’affichage pour critiquer le planTrump. Washington a fait savoir son déplai­sir. M. Nétanyahou a lui­même dénoncé l’in­gratitude de ses alliés, qui risquent degâcher « une occasion historique ». Au fond, les colons craignent que leur premier minis­tre se contente d’annexer quelques terres symboliques, ou qu’il abandonne sa pro­messe électorale, lancée alors qu’il luttait pour demeurer au pouvoir, au fil de trois élections législatives en à peine un an.

Quant à Zambish, il s’est laissé photogra­phier début juin, la mine soucieuse, devant une carte des colonies. « Il est pour l’annexion,veut croire un interlocuteur de confiance. C’est la manière des gens pragmatiques qui ont fondé l’Etat d’Israël. David Ben Gourionavait accepté le plan de partition [de la Pales­tine sous mandat britannique, en 1947],quand les idéologues le refusaient. Il disait :“Prenons un petit morceau et nous le dévelop­perons. Un jour nous aurons tous les territoi­res que nous voulons, le futur sera avec nous.” » Mais dans ce jeu de poker menteur, Ze’ev Hever se tait, comme à son habitude.

louis imbert

Ze’ev Hever, dit « Zambish », à Jérusalem, le 18 juin 2017. YONATAN SINDEL/FLASH90

« C’EST  “ZAMBISH” QUI DÉCIDE, IN FINE, 

SI BENYAMIN NÉTANYAHOU EST ENCORE 

L’UN DES LEURS, SI LES COLONS 

DOIVENT RESTER DERRIÈRE LUI »

ANSHEL PFEFFERjournaliste, biographe

du premier ministre

UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws

Page 20: Le Monde - 12 06 2020

20 | CULTURE VENDREDI 12 JUIN 20200123

Spike Lee mène la guerre des héros fatiguésLe réalisateur militant a bâti une fable autour de quatre vétérans afro­américains qui retournent au Vietnam

DA 5 BLOODS

C hantre inlassable et ra­geur de la cause noireaux Etats­Unis, SpikeLee – qui a failli cette an­

née présider le jury du Festival de Cannes – divulgue son nouveau film sur la plate­forme Netflix à compter du 12 juin. Da 5 Bloods sedécouvre sous les feux d’une ac­tualité tragique, alors qu’une va­gue de manifestations et de trou­bles traverse les Etats­Unis, consé­cutivement à l’étranglement mortel d’un homme noir, George Floyd, par un policier blanc lors deson arrestation le 25 mai. Ce lieu commun de la violence racisteaméricaine, Lee l’avait déjà filméen 1989 dans le mémorable Do the Right Thing (1989), où le meur­tre d’un jeune Noir, semblable­ment tué par l’effet d’une stran­gulation portée par un policier blanc, entraîne la révolte d’unquartier de Brooklyn, à New York. Plus que quiconque conscient de cette récurrence, Lee a d’ailleursréitéré son geste voici quelques jours en publiant sur son compte Twitter un montage percutant qui relie trois morts d’hommesnoirs par étouffement, celle fic­tive de Do the Right Thing, lesdeux autres, bien réelles et fil­mées par des témoins, étant cellesde George Floyd et d’Eric Garner, en 2014 à Staten Island, victime d’un plaquage ventral.

Titrant ce court film L’histoirecessera­t­elle de se répéter ?, le réa­lisateur nous rappelle au passageque c’est toujours à l’histoire, si cen’est exclusivement à cette part maudite de l’histoire américaine,que se confronte obsessivement son cinéma depuis bientôt qua­rante ans. Da 5 Bloods, cela n’éton­nera personne, n’y fait pas excep­tion. Cinquante ans après les évé­nements, quatre vétérans afro­américains retournent auVietnam pour y retrouver le corpsde leur officier et ami, mort aucours d’une mission. Mais il s’agitaussi de remettre la main sur le trésor de guerre qu’ils ont dû en­terrer sur place au cours de cette même mission. Une malle rem­plie de lingots d’or, dépêchée par la CIA aux indigènes qui combat­taient le Vietcong.

Romanesque flamboyantPas grand­chose ne se passera comme prévu, eu égard à la mo­rale que Spike Lee semble vouloir conférer à sa fable, le groupe de­vant à cet effet exploser en cours de route. Il s’agit en l’occurrence de deux choses. Montrer d’abord que les soldats noirs américains, aliénés par un Etat qui n’a jamais réellement fait cesser la ségréga­tion dans la vie civile, se sont trompés de guerre. Rappeler en­suite que les idéaux de lutte et de solidarité des années 1970 se sont émoussés, y compris au sein de la communauté noire au profit d’un individualisme dissolvant. Si l’on perçoit assez clairement cettedouble intention, les moyens em­ployés par Lee pour l’administrer

manquent toutefois de la tenue adéquate pour le faire avec le mi­nimum de complexité requis.

Spike aura ici péché précisémentpar où on l’aime. Ce goût toujours limite du romanesque flam­boyant, du baroque, de l’impureté du récit. Il semble qu’on soit passé cette fois­ci de l’autre côté du kitsch. Quelque part entre Le Tré­sor de la Sierra Madre (1948), de John Huston, et Apocalypse Now (1979), de Francis Ford Coppola – à propos duquel les références écra­santes abondent –, le cinéaste compose un récit largement em­pêché par ses propres faiblesses.

Qui tiennent à l’aspect monolithi­que et trop souvent sommaire despersonnages, à la fusion ratée du grotesque et du sublime par quoiLee rejoint Hugo dans la défini­tion du romantisme, à la proliféra­tion des intrigues secondaires, quifinissent par faire perdre de vue laligne du récit.

Entrons dans le détail. Deux desmembres du quatuor n’existent simplement pas comme person­nages, c’est déjà fâcheux. Les deuxautres, Paul (Delroy Lindo) et Otis (Clarke Peters), en sont réduits à il­lustrer une partition antagoniqueentre l’être noir aliéné par le sys­

tème blanc (Paul, à moitié para­noïaque, est devenu trumpiste) et l’homme cultivant encore l’idéal combatif de sa jeunesse. Les re­tours en arrière sur les scènes de guerre sont, quant à eux, problé­matiques pour deux raisons : une certaine platitude, écrasée si be­soin était par le petit écran, etl’écart d’âge incongru entre les quatre acteurs et l’interprète de l’officier qui était à leurs côtés, en l’occurrence Chadwick Boseman (alias Black Panther), qui pourrait être leur fils. Ajoutez à cela un JeanReno incertain en crapule fran­çaise grand style, une MélanieThierry expiant le passé colonia­liste de sa famille en devenant dé­mineuse, le fils mal­aimé de Paul, la fille cachée d’Otis, le cancer ca­ché de Paul dû à l’agent orange, l’amante vietnamienne dévoilée d’Otis… Une barque décidément un peu trop pleine pour voguer.

Portraits en miroirReste l’omniprésence de Marvin Gaye et des traits d’humour qui portent parfois, telle cette che­vauchée des Walkyries qui remé­more l’attaque des hélicos d’Apo­calypse Now, mais résonne ici sur l’image d’un pauvre rafiot danslequel un soldat noir tente de vo­ler une paire de chaussures sus­pendue à un fil. C’est peu. Faut­il en inférer que le film de guerre ne

sied pas à Spike Lee ? On pourrait l’imaginer, après la mésaventure similaire du Miracle à Santa Annaen 2008, qui relate lui aussi, avecune certaine désinvolture et forceressorts mélodramatiques, l’im­plication et le sacrifice de soldats afro­américains sur le front ita­lien en 1944. Autant décentrerson regard du propos sur lequel lefilm voudrait nous contraindre à nous appesantir, pour aller cher­cher ailleurs, sur un chemin de traverse, une bonne raison de s’alléger et de s’émouvoir.

Ce serait, en l’espèce, l’entréedans la vieillesse d’un cinémaaméricain postclassique qu’onaurait pu croire éternel, puisque procédant lui­même d’une re­naissance. Ce cinéma dont Lee (63 ans) partagerait aujourd’hui leterritoire avec un Clint Eastwood (90 ans), un Martin Scorsese

Cinquante ans après les événements, d’anciens soldats veulent retrouver la dépouille de leur officier mort au cours d’une mission. DAVID LEE/NETFLIX

Spike Lee aura ici péché

précisément paroù on l’aime.

Il semble qu’onsoit passé cettefois-ci de l’autre

côté du kitsch

(77 ans) ou un Quentin Tarantino (57 ans). Chacun d’entre eux cou­rait dès l’origine derrière un ci­néma désiré mais moribond, qu’ilaura relancé à nouveaux frais. L’âge d’or hollywoodien pour le néoclassique Eastwood. L’auteu­risme européen pour le torturé Scorsese. Le cinéma bis pour le maniériste Tarantino. Le cinémamilitant pour le vibrion afro­américain Spike Lee. Aujourd’huiéloignés de ces sources comme deleur jeunesse, ils se retournent sur leur propre création pour y re­jouer leur carte favorite, celle de lacontinuité dans la rupture. Leurs héros vieillissants, débarquant pour solder des affaires déclinan­tes, sont autant de portraits en miroir, tour à tour drôles, pathéti­ques et cruels. En ce sens, les per­sonnages principaux de Space Cowboys (2000), The Irishman(2018), Once Upon a Time… in Hol­lywood (2019) et Da 5 Bloods sont frères : leur victoire nous émeut,mais elle a l’amertume inexora­ble du temps qui passe et qui la re­tourne en défaite.

jacques mandelbaum

Film américain de Spike Lee. Avec Chadwick Boseman, Delroy Lindo, Clarke Peters, Giancarlo Esposito, Paul Walter Hauser, Jean Reno, Mélanie Thierry (2 h 35).

« Autant en emporte le vent » retiré de la plate-forme de streaming HBO MaxEn plein mouvement de protestation contre le racisme et les vio-lences policières visant les Noirs aux Etats-Unis, le film « Autant en emporte le vent » (1939) a été retiré de la plate-forme de streaming HBO Max. Le long-métrage est considéré par de nom-breux universitaires comme l’instrument le plus ambitieux et ef-ficace du révisionnisme sudiste. Il présente une version romanti-que du Sud et une vision très édulcorée de l’esclavage, avec notamment du personnel de maison dépeint comme satisfait de son sort et traité comme des employés ordinaires. « Autant en emporte le vent est le produit de son époque et dépeint des préju-gés racistes qui étaient communs dans la société américaine », a commenté, mardi 9 juin, un porte-parole de HBO Max. Maintenir ce film dans son catalogue « sans explication et dénonciation de cette représentation aurait été irresponsable ». La plate-forme prévoit de remettre le film en ligne mais avec une contextualisa-tion pour restituer l’œuvre dans son époque.

HORS-SÉRIE

0123

1940DE GAULL

E

LA RÉSISTANCE

PÉTAIN

LA COLLABORAT

ION

Un hors-série du «Monde»100 pages - 8,50 € chez votre marchand de journaux et sur lemonde.fr/boutique

1940DE GAULLE LA RÉSISTANCE - PÉTAIN LA COLLABORATION

UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws

Page 21: Le Monde - 12 06 2020

0123VENDREDI 12 JUIN 2020 culture | 21

Les histoires naturelles de Jochen LempertA Ivry­sur­Seine, le Crédac a rouvert et prolonge jusqu’à l’été l’exposition consacrée au photographe allemand

PHOTOGRAPHIE

L e Centre d’art contem­porain d’Ivry­sur­Seine(Val­de­Marne) a rouvertavant la grande majorité

des musées parisiens, encore fer­més, et l’occasion est belle d’aller y faire un tour. Anciennement installé au pied du métro de la Porte d’Ivry, le terminus de la li­gne 7, le Crédac est parti prendre de la hauteur il y a une dizaine d’années dans l’ex­Manufacturedes Œillets, devenue un pôle culturel, avec un théâtre et une école d’art. En attendant qu’une signalétique plus entreprenantevienne guider les visiteurs, on peut se perdre un peu sur le che­min, les yeux en l’air, car la baladeest architecturale, parmi les en­sembles modernistes du quartier jusqu’à l’ancienne usine, elle­même une cage de verre des an­nées 1910, à la vue imprenable.

L’Allemand Jochen Lempert ena fait un « Jardin d’hiver », uneserre pour ses photographies sai­sies comme autrefois il captait in­sectes et oiseaux. La lumière in­tense des lieux, avec laquelle lesartistes invités doivent toujourscomposer, devait de fait être une lumière d’hiver, plus douce pourles tirages, non encadrés, qu’il adirectement fixés au mur ou po­sés dans des vitrines.

Le confinement en a décidéautrement, et l’exposition, initia­lement prévue du 24 janvier au5 avril, vient de rouvrir et est pro­longée jusqu’aux premiers joursde l’été. Une chance pour ceux quiseraient passés à côté du travail de ce photographe peu montré, donc peu connu en France.

Né en 1958 et installé à Ham­bourg, Jochen Lempert est d’abordun scientifique : c’est en tant qu’or­nithologue qu’il emploie la photo­graphie, qui fut un outil, avant queles processus de fabrication des images ne prennent le pas sur sa pratique, au début des années 1990. Restent le goût des expéri­

mentations de laboratoire sur pa­piers sensibles et les formules des révélateurs et fixateurs de ses tirages argentiques en noir et blanc. Reste aussi l’œil du biolo­giste, qui attrape le réel.

Son regard, c’est déjà l’utilisationpresque exclusive du 50 mm, une optique au plus proche de la vue humaine. Un regard modeste qui tranche avec la monumentalité de ses compatriotes de l’Ecole de Düs­seldorf, Thomas Struth, Thomas Ruff, Andreas Gursky ou encore Bernd et Hilla Becher. N’usant ni du zoom ni du grand­angle, son observation des mondes végétal, animal et minéral s’articule d’ailleurs toujours avec l’humain d’une façon ou d’une autre.

Chercher l’humain dans laphoto en devient presque un jeu, car cette présence est discrète. Le photographe recourt à des leurresvisuels de toute nature. Poétiquesparéidolies, où l’on croit deviner

les trois salles de l’exposition.L’agencement est une orchestra­tion sur mesure, comme lorsque les fils d’une toile d’araignée appa­raissent telles des portées musica­les dénuées de notes, tandis qu’à côté, deux cerises aux queues pa­rallèles prennent des airs de notessuspendues. Ces mêmes cerises sauvages sont accrochées dans

une autre salle, mais ni au même format, ni dans le même contexte,ni avec le même cadrage : l’artisteen a coupé une au cutter comme ilaurait taillé le cerisier.

Un petit miracle de la naturechasse l’autre, mais c’est le rap­prochement des photos par échosformels ou conceptuels qui crée des narrations imprévisibles. Ici un jeu de troncs et de souches, là un rébus visuel de coquilles, cara­paces et enveloppes en tout genre, de la coccinelle à une voi­ture vue depuis son atelier. Un hippocampe, une feuille, un hip­pocampe feuillu, une sculpturede Jean Arp qui semble avoir re­mélangé toutes ces formes. Le dé­tail de fleurs aux pieds d’unenymphe de Botticelli côtoie un cliché au ras de pâquerettes à la même échelle, mais foulées par un pneu de voiture.

Partout, l’œil cherche aussi à élu­cider la nature de l’image. Jochen

Lempert brouille les pistes, no­tamment en jouant sur le graindes tirages, qui ressemblent par­fois à des dessins : les papiers sontinsolés ou trempés dans de l’eausalée, et les images extraites du réel basculent volontiers dans de semi­abstractions. Dans une ma­gnifique série, deux oiseaux mê­lent leurs becs et leurs blancheurs surexposées dans d’infinies varia­tions. Avec un simple photo­gramme de sable, le micro devientmacro par projection mentale, les grains ressemblant à une vue du cosmos dans une nuée de points blancs. Chez Jochen Lempert, même l’humour se distille de ma­nière minimaliste.

emmanuelle jardonnet

« Jardin d’hiver. Jochen Lempert », jusqu’au 27 juin, à La Manufacture des Œillets, 1, place Pierre­Gosnat, Ivry­sur­Seine. Entrée libre, sur réservation.

« Swans (Stock­holm) » (2018),de Jochen Lempert. JOCHEN LEMPERT/ADAGP, PARIS 2020/COURTESY PROJECTESD (BARCELONE)ET BQ (BERLIN)

A la basilique de Saint­Denis, s’initierau travail de la pierre dans les règles de l’artDes ateliers sont proposés pour découvrir les métiers de la restauration architecturale

REPORTAGE

B im, bim, bim, bim. » Ci­seau dans une main, mas­sette dans l’autre, Alice et

Héloïse, 9 ans, taillent avec appli­cation le cube en pierre de Saint­Leu posé sur un établi. DélivranceMakingson et Frédéric Thibault, tailleurs professionnels, se pen­chent sur leur épaule pour les gui­der dans leur travail. Non loindes fillettes, deux dames s’ini­tient au travail du fer, en compa­gnie de Mathieu Bonnemaison et de Bakary Yatera, forgerons.

Ils sont une dizaine, adultes etenfants, à avoir ignoré le ciel me­naçant de ce début juin pour par­ticiper aux ateliers de découverte des métiers de la restauration proposés sur le parvis de la basili­que de Saint­Denis (Seine­Saint­Denis). Organisées par l’associa­tion Suivez la flèche et la mairie, ces séances, sur réservation (et avec masque), visent à associer la population au projet de recons­truction de la flèche de la tour nord de l’édifice. Haute de 85 mè­tres, elle avait été démontée pierre à pierre en 1847, à la suited’une série de tornades qui en avait fragilisé la base, et n’avait ja­mais été rebâtie depuis.

Comme pour Notre­Dame deParis, les spécialistes se sont af­frontés pour savoir s’il fallait re­

monter à l’identique le clocherou s’orienter vers une créationcontemporaine. Voire laisser l’édifice amputé de sa tour Nord. Après des années de tergiversa­tions, le projet de remontage « à l’ancienne » a reçu l’aval de l’Etat,qui a signé une convention­cadre avec l’association Suivez la flèche, le Centre des monuments natio­naux et le diocèse en 2017.

Contrairement à Notre­Dame, letravail ne se fera pas au pas de course. Les responsables ont opté pour le temps long, dix ans envi­ron, en utilisant les outils et les matériaux de l’époque de sa construction, au XIIe siècle. Et ils ont choisi de faire œuvre de péda­gogie : outre ces ateliers, ouverts jusqu’au 22 octobre, où l’on dé­couvre les savoir­faire des arti­sans, l’histoire de la nécropole desrois de France est présentée à l’aide de cartes et de maquettes. Par la suite, explique Benjamin Masure, coordinateur du projet,des formations à visée d’inser­tion seront assurées sur le chan­tier pour des jeunes désireuxd’acquérir ces compétences.

Retrouver les gestes de l’époqueA partir du moment où démarre­ront les travaux, en 2022, une structure en belvédère, avec rampe d’accès et ascenseurs, serainstallée pour permettre aux

curieux d’aller observer, à40 mètres de hauteur, les opéra­tions. Payant, ce parcours dedécouverte permettra de partici­per au financement du projet,évalué à 25 millions d’euros. Leprincipe a été expérimenté auchâteau de Guédelon (Yonne)qui, depuis vingt ans, reçoit enmoyenne 300 000 visiteurs par an, venus découvrir la construc­tion d’une forteresse médiévaleavec les techniques et les outilsdu Moyen Age.

« Au­delà de l’enjeu patrimonialet touristique, le projet a un objec­tif fédérateur pour les Séquano­Dyonisiens, très attachés à leur ba­silique, que l’on peut voir de tous les quartiers de la ville », souligne le maire (PCF), Laurent Russier. Lamairie, la région et l’Etat appor­tent leur contribution, mais « des mécènes sont sollicités pour avan­cer les frais du parcours de décou­verte », précise l’architecte du projet, Frédéric Keiff.

« C’est un privilège de pouvoirtravailler comme on le fait ici et de partager avec le public », confie le forgeron Mathieu Bonnemaison, qui explique avec passion son tra­vail de taillandier (fabricant d’outils pour creuser la pierre). Il s’inspire de gravures anciennes pour reproduire les instrumentsqui étaient utilisés au Moyen Age et retrouver les gestes des arti­sans de l’époque.

Serrant contre elles le pavéportant l’initiale de leur prénomsculptée de leur main, Alice etHéloïse écoutent Délivrance Makingson énumérer les grandschantiers de restauration – No­tre­Dame, le pont Neuf, Bastille,Versailles – auxquels il a parti­cipé depuis vingt­cinq ans qu’ilopère dans la région. Lui se dit heureux de transmettre au pu­blic son « amour du minéral »,comme son collègue Frédéric Thibault, intarissable sur lesvoûtes sur croisée d’ogive, typi­ques de l’architecture gothiqueinventée ici, à la basilique deSaint­Denis, avant d’essaimer àtravers l’Europe.

sylvie kerviel

Basilique de Saint­Denis, réservation sur Exploreparis.com.Groupes de 10 personnes maximum, gratuit (1 h 30). Jusqu’au 22 octobre.

La reconstructionde la flèchede l’édifice, démontée

en 1847, débuteraen 2022

ARTSUne œuvre attribuéeà Banksy, voléeau Bataclan, retrouvée en ItalieVolée en 2019 au Bataclan à Paris, une œuvre attribuée au street­artiste Banksy, réalisée sur une porte de l’établisse­ment en hommage aux victi­mes des attentats de novem­bre 2015, a été retrouvée dans le centre de l’Italie. L’opération a été menée à la demande de la police fran­çaise et en présence de poli­ciers français. Selon le quoti­dien La Repubblica, la porte a été retrouvée dans une ferme de la campagne des Abruz­zes. Réalisée au pochoir et à la peinture blanche, l’œuvre représente un personnage féminin à l’air triste. Elle avait été peinte sur l’une des sor­ties de secours, située der­rière le Bataclan, dans le pas­sage par lequel de nombreux spectateurs du concert des Eagles of Death Metal s’étaient échappés pendant l’attaque terroriste. – (AFP.)

SPECTACLEUne cinquantaine d’artistes donnent rendez-vous au publicà La Villette cet étéA partir du 1er juillet, dans le cadre de « l’été culturel et apprenant » lancé par le ministre de la culture, une cinquantaine d’artistes, de toutes disciplines (le choré­graphe Angelin Preljocaj, le fondateur du Théâtre éques­tre Zingaro Bartabas, la dan­seuse Anne Nguyen, le magi­cien Thierry Collet, etc.), se

déploieront sur le site deLa Villette à Paris pour pré­senter leur travail au public. Tous les espaces extérieurs et intérieurs (Grande Halle, Folies, etc.), accessibles gra­tuitement, seront mis à dis­position pour des ateliers de découverte des coulisses de la création. En collabora­tion avec le Centre Pompi­dou, des œuvres éphémères seront réalisées par huit ar­tistes dans les espaces de la Grande Halle, en utilisant les matériaux provenant des réserves du site de La Villette pour une collection intitulée« Les Moyens du bord ».Par ailleurs, le traditionnel festival de cinéma en plein air, du 24 juillet au 22 août, aura pour thème cette année « Grandeur nature ».

CINÉMALa réalisatrice afro-américaine Ava DuVernay au comité directeur des OscarsLa réalisatrice afro­améri­caine Ava DuVernay, connue pour ses prises de position et œuvres antiracistes, a été élue, mercredi 10 juin, au co­mité directeur de l’Académie des Oscars. Avec 26 femmes et 12 personnes de couleur sur 54 gouverneurs, la com­position du comité qui dirige l’Académie n’a jamais été aussi diversifiée, selon les médias spécialisés. L’Acadé­mie a été critiquée ces dernières années pour son manque de diversité, parmi ses membres mais aussi dans le choix de ses nommés et vainqueurs. – (AFP.)

des visages dans les plis de végé­taux butinés, photogrammes lu­diques, comme cette petite fou­gère fantomatique révélée par la lumière de l’écran d’ordinateursur laquelle elle est posée. Médu­ses et sacs plastiques ondulant de concert sous l’eau, vrai­faux en­chaînements de photos.

Echos formels ou conceptuelsLorsque aucune trace de présencehumaine n’est détectable, il fauten savoir plus sur l’espèce ou lelieu montré sur l’image. Un mo­deste plantin sur un chemin ? Cette plante, qui se dissémine par le piétinement humain, a été sur­nommée « pied de l’homme blanc » par les Indiens d’Amériquedu Nord, où elle a été importée par les premiers colons. La photo est prise sur un de ces chemins dela colonisation, à Vancouver.

Le photographe a déployé prèsde 150 photos de tout format dans

L’observation desmondes végétal,

animal et minérals’articule

toujours, chez Jochen Lempert,

avec l’humain d’une façon

ou d’une autre

UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws

Page 22: Le Monde - 12 06 2020

22 | télévision VENDREDI 12 JUIN 20200123

HORIZONTALEMENT

I. Ne fera pas beaucoup d’effet, même réduit en poudre. II. Vénus est la pre-mière à l’allumage. Solide rapproche-ment. III. Trop malin pour être bien aimé. Grecque. S’use sous nos pieds. IV. Pousse au départ. Lentilles. Sem-blable. V. Noter très sévèrement. Points en opposition. VI. Manifesta-tion enfantine. Accaparée. VII. Brisé pour résister. Pièce de la charrue. Contre tout. VIII. Rejetée globale-ment. Mis à sa place. Golfe près de Marseille. IX. Risque de lâcher à tout moment. Métal jaune et mou. X. Dif-ficile de lui résister.

VERTICALEMENT

1. Insensible aux rigueurs du temps, elle va durer. 2. Pour une bonne présentation. Suiveur hérétique. 3. Expulsas les gaz. Le prix à payer pour s’exprimer. 4. Mesure chez Mao. Pianiste français. Fut capitale chez les Nippons. 5. Prend l’eau de tous les côtés. Gens de bonnes compagnies. Cité d’Abraham. 6. Victimes d’un délit de sale gueule depuis Moustaki. 7. Voit l’avenir après ouverture. 8. Per-sonnel. Evite de sortir une nappe. A sa place à table. 9. Trésor égyptien. Faci-lite la traction. Structure d’entreprise. 10. Se nourrit d’herbe tendre. En arri-vant au bout de la succession. 11. En feu. Grand ensemble. 12. Enrichit notre vocabulaire.

SOLUTION DE LA GRILLE N° 20 - 135

HORIZONTALEMENT I. Déliquescent. II. Erebus. Pamir. III. Proie. Solive. IV. Lens. Materas. V. Ane. Sac. Salo. VI. It. Haïra. Ter. VII. Se. Seul. Si. VIII. Amour. Etes. IX. Nuirez. Espar. X. Tentaculaire.

VERTICALEMENT 1. Déplaisant. 2. Errent. Mue. 3. Leone. Soin. 4. Ibis. Heurt. 5. Que. Sa. Réa. 6. Us. Maïs. Zc. 7. Sacrée. 8. Spot. Autel. 9. Calés. Lésa. 10. Emirat. Spi. 11. Nivales. Ar. 12. Trésorière.

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12

I

II

III

IV

V

VI

VII

VIII

IX

X

GRILLE N° 20 - 136PAR PHILIPPE DUPUIS

SUDOKUN°20­136

6

3 8 2

9 2 7

6

3 7 5 1

4 7 9

6 3 8 7

7 2 6 9 4 5 3Realise par Yan Georget (https://about.me/yangeorget)

4 9 1 2 6 7 8 3 5

5 6 8 9 3 1 2 7 4

2 3 7 8 5 4 1 6 9

7 2 6 4 9 3 5 8 1

3 4 9 5 1 8 6 2 7

1 8 5 7 2 6 4 9 3

6 5 3 1 7 2 9 4 8

9 7 4 6 8 5 3 1 2

8 1 2 3 4 9 7 5 6

DifficileCompletez toute la

grille avec des chiffres

allant de 1 a 9.

Chaque chiffre ne doit

etre utilise qu’une

seule fois par ligne,

par colonne et par

carre de neuf cases.

CHEZ VOTRE MARCHANDDE JOURNAUX

Chaque jeudi,l’essentielde la presseétrangère

L’AMÉRIQUESE RÉVOLTE

Face à unprésidentqui attiselesdivisions, les manifestationscontre les violencespolicièreset le racismeaux États-Unissemblentpartiespourdurer

Afriq

ueCFA34

00FCFA

Algérie

530DA

Allemagne

5,40

€An

dorre5€

Autriche

5,40

€Canada

7,75

$CAN

DOM5€

Espagne5,20€G-B4,60

£Grèce5,20€Italie

5,20€Japon850¥

Liban900

0LBPMaroc

41DH

Pays-Bas

5,20

€Portugalcont.5,20€

Suisse

6,70

CHFTO

M850XPF

Tunisie7,20

DT

No 1545 du 11 au 17 juin 2020courrierinternational.comFrance : 4,50€

RÉCIT MA LUNE DE MIELAVEC UNE INTELLIGENCEARTIFICIELLE

GRÈCE — PLUS DURE SERA LA CRISEALGÉRIE— LE RAPPEUR SOOLKING,VOIX DU HIRAK

AVEC UNE INTELLIGENCE

V E N D R E D I   1 2   J U I N

TF121.05 La Chanson de l’annéeDivertissement présentépar Nikos Aliagas.23.05 La Chanson de l’annéeDivertissement présentépar Nikos Aliagas.

France 221.05 Candice RenoirSérie. Avec Cécile Bois,Raphaël Lenglet, Yeelem Jappain (Fr., 2017 et 2016).23.40 Basique, le concertEmission musicale.Avec Claudio Capéo.

France 321.05 Famille, je vous chanteDocumentaire de Mireille Dumaset Alain Chaufour (Fr., 2018, 110 min).22.55 La Vie secrètedes chansonsLes papas chanteursMagazine musical présentépar André Manoukianet Wendy Bouchard.

Canal+21.05 VenomFilm de Ruben Fleischer.Avec Tom Hardy, Michelle Williams (EU, 2018, 110 min).22.55 Gemini ManFilm d’Ang Lee. Avec Will Smith,Clive Owen (EU-Ch., 2019, 115 min).

France 520.55 La Maison France 5Magazine présentépar Stéphane Thebaut.22.25 Silence, ça pousse !Magazine présentépar Stéphane Marie et Carole Tolila.

Arte20.55 Un cœur pour ma filleFilm de Steffen Weinert. Avec Christoph Bach, Maggie Valentina Salomon (All., 2019, 90 min).22.25 ZZ Top. That Little Ol’Band from TexasDocumentaire de Sam Dunn(RU, 2019, 95 min).

M621.05 NCISSérie. Avec Mark Harmon,Emily Wickersham, Pauley Perrette(EU, 2018).23.30 NCISSérie. Avec Sean Murray,Michael Weatherly (EU, 2016).

Hannah Gadsby, humoriste de la différenceLe nouveau spectacle de la comédienne australienne dynamite tranquillement patriarcat et sexisme

NETFLIXÀ LA DEMANDE

SEULE-EN-SCÈNE

C est par ses adieux austand­up, qu’elle prati­quait depuis une di­zaine d’années en Aus­

tralie, qu’Hannah Gadsby s’est faitconnaître du public international.La comédienne lesbienne, origi­naire de l’île de Tasmanie, bien connue en son pays pour son hu­mour impitoyable contre le sexisme et l’homophobie, annon­çait, dans Nanette, mis en ligne en 2018 sur Netflix, renoncer à cetype de spectacle. « Quand cet hu­mour [l’autodérision] vient de gens maintenus dans les marges, ce n’est pas de l’humilité, mais de l’humiliation. » Mais, trois ansaprès le carton de son spectacle,qui lui a valu récompenses, louan­ges de la presse et prolongations, Hannah Gadsby se risque au « dif­ficile deuxième album ».

Quoi de mieux pour ce faire, etpour impliquer pleinement le pu­blic, que d’ajouter un obstacle à ce retour très attendu ? Hannah Gadsby, experte de la montée en tension, commence donc par dé­rouler, en un prélude hilarant, le plan détaillé de son spectacle. Au menu : de l’humour d’observa­tion, autour des différences de vo­cabulaire entre l’anglais améri­cain et l’anglais australien

– moins accessible à un téléspec­tateur français ; une histoire d’anatomie dont le décor est celui du parc canin où elle promène son chien Douglas ; un mauvais diagnostic chez un gynécologue ;un hameçon tendu à ses haters sur les réseaux sociaux ; une ra­pide leçon sur la représentationdes femmes dans les peintures de la Renaissance italienne ; la révé­

lation de son autisme de « haut ni­veau » ; le démontage de l’argu­mentaire des antivaccins ; et uneblague sur l’humoriste Louis C.K.

Puissant et subversifAlternant anecdotes du quotidien et punchlines bien senties, la co­médienne procède à une « gentillemise en boîte du patriarcat » et re­lève, avec l’ironie piquante qui ca­

ractérise son écriture, l’omnipré­sence du regard masculin, qui nomme, diagnostique ou domine l’art et l’histoire de l’art. C’est drôle, politique, bouleversant et déstabilisant, sans glisser dans lepathos. « Une blague, c’est essen­tiellement une question avec une réponse surprenante. Mais ici, une blague est une question que j’ai in­séminée artificiellement. La ten­

sion, c’est mon travail, ironisait Hannah Gadsby dans Nanette. C’est moi qui vous stresse, vous êtesdans une relation abusive. »

La puissance du spectacled’Hannah Gadsby tient à la réali­sation brillante de toutes les pro­messes annoncées et à son écri­ture dense, qui ne laisse pas de ré­pit au téléspectateur. Tout s’em­boîte à merveille dans ce show subversif, méthodiquement mis en scène, comme un cri en faveur de l’affirmation de soi et du droit, pour tous, à la différence.

« Ce spectacle est une comédieromantique », risque d’entrée de jeu celle qui excelle à tourner en ridicule toutes les idéologies dis­criminantes, autant qu’à ques­tionner la portée politique de l’humour ou à casser les codes classiques du stand­up. C’est aussile récit et une belle invitation à la résilience, pour celle qui a grandidans une Tasmanie où l’homo­sexualité n’a été dépénalisée qu’en 1997, fut victime d’un pas­sage à tabac homophobe, de viol et s’est pratiquement retrouvée àla rue avant de connaître le succèssur les planches. « Mon cerveau m’emmène dans des endroits où personne d’autre ne vit. » On est ra­vis d’être du voyage.

mouna el mokhtari

Douglas, écrit et joué par Hannah Gadsby (2020, 72 min).

Après « Nanette » (2018), « Douglas » est le deuxième spectacle d’Hannah Gadsby. NETFLIX

Boires et déboires d’Amy Schumer, comédienne de stand­upDans « Crazy Amy », dont elle est aussi la scénariste et coproductrice, l’actrice incarne une journaliste new­yorkaise

OCS MAXVENDREDI 12 - 20 H 40

FILM

A vec Crazy Amy, JuddApatow ajoute à sa cas­quette de producteur

celle de réalisateur, mais cède à une femme, Amy Schumer, les clésdu véhicule. Comme Kristen Wiig dans Mes meilleures amies (2011), de Paul Feig, cette comédienne de stand­up, qui a construit son per­sonnage public en parlant de sexe avec une frontalité candide, est l’actrice principale, la scénariste et

la coproductrice du film. Elle en donne le ton, elle en fait le charme,elle en est l’argument commercial.

Amy, la journaliste new­yorkaisequ’elle interprète, enchaîne jour­nées de travail harassantes et soi­rées alcoolisées, pour générale­ment finir dans le lit d’un inconnuqu’elle se fait un devoir de quitteravant l’aube, souvent dans un saleétat, mais sans états d’âme. Les choses changent quand sa rédac­trice en chef (Tilda Swinton, excel­lente en dominatrice perverse cas­tratrice) l’envoie portraiturer unmédecin du sport aux mœurs très

conventionnelles (l’excellent BillHader) qui, en la sortant de son milieu, va rétablir les connexions de son cortex sentimental.

Le film porte la marque de sonauteur, qui n’a pas seulement eu letalent de solliciter Amy Schumer, mais aussi celui d’avoir trans­formé son énergie en une matièrecinégénique. On y retrouve les qualités des productions Apatow : dialogues qui claquent, étoffés parun ping­pong gaguesque de réfé­rences à la culture pop, attention minutieuse à tous les personna­ges, y compris les plus périphéri­

ques (comme le rappeur Method Man qui joue un médecin africain relégué par l’hôpital américain au rang d’aide­soignant), dont les singularités font le relief du film…

On reconnaît aussi cette plati­tude caractéristique de la mise enscène d’Apatow, cette saveur par­fois un peu douceâtre, emblémati­que d’une vision traditionaliste dumonde et de la famille. Mais la ren­contre avec Amy Schumer en re­lève le goût. Tout se passe comme si le réalisateur et son actrice­scé­nariste confrontaient leurs points de vue, comme si chaque scène ré­

sultait d’une forme de négocia­tion, voire de bras de fer.

Si cette comédie romantiquetend, comme le veut le genre, vers une forme d’apaisement (l’amour, l’ouverture à l’autre…), elle ne bas­cule jamais dans la mièvrerie de l’idéal familialiste américain, et s’arrête toujours juste avant, de manière abrupte, suspendue au­dessus du vide.

isabelle regnier

Crazy Amy, de Judd Apatow.Avec Amy Schumer, Bill Hader, Brie Larson (EU, 2015, 125 min).

V O T R ES O I R É E

T É L É

0123 est édité par la Société éditricedu « Monde » SA. Durée de la société : 99 ans à compter du 15 décembre 2000. Capital social : 124.610.348,70 ¤.Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).

Rédaction 67-69, avenue Pierre-Mendès-France, 75013 Paris. Tél. : 01-57-28-20-00

Abonnements par téléphone au 03 28 25 71 71 (prix d’un appel local) de 9 heures à 18 heures. Depuis l’étranger au : 00 33 3 28 25 71 71. Par courrier électronique : [email protected]. Tarif 1 an : France métropolitaine : 399 ¤

Courrier des lecteursPar courrier électronique : [email protected]

Médiateur : [email protected]

Internet : site d’information : www.lemonde.fr ; Emploi : www.talents.fr/

Collection : Le Monde sur CD-ROM : CEDROM-SNI 01-44-82-66-40Le Monde sur microfilms : 03-88-04-28-60

La reproduction de tout article est interdite sans l’accord de l’administration. Commission paritaire des publications et agences de presse n° 0722 C 81975 ISSN 0395-2037

L’Imprimerie, 79, rue de Roissy, 93290 Tremblay-en-FranceMontpellier (« Midi Libre »)

67-69, avenue Pierre-Mendès-France

75013 PARIS Tél : 01-57-28-39-00Fax : 01-57-28-39-26

PRINTED IN FRANCEPrésidente :

Laurence Bonicalzi Bridier

Origine du papier : France. Taux de fibres recyclées : 100 %. Ce journal est imprimé sur un papier UPM issu de forêts gérées

durablement, porteur de l’Ecolabel européen sous le N°FI/37/001. Eutrophisation : PTot = 0.009 kg/tonne de papier

UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws

Page 23: Le Monde - 12 06 2020

0123VENDREDI 12 JUIN 2020 carnet | 23

Société éditrice du « Monde » SAPrésident du directoire, directeur de la publicationLouis DreyfusDirecteur du « Monde », directeur délégué de lapublication,membre du directoire Jérôme FenoglioDirecteur de la rédaction Luc BronnerDirectrice déléguée à l’organisation des rédactionsFrançoise TovoDirection adjointe de la rédactionGrégoire Allix, Philippe Broussard, EmmanuelleChevallereau, Alexis Delcambre, Benoît Hopquin,Marie-Pierre Lannelongue, Caroline Monnot,Cécile Prieur, Emmanuel Davidenkoff (Evénements)Directrice éditoriale Sylvie KauffmannRédaction en chef numériqueHélène BekmezianRédaction en chef quotidienMichel Guerrin, Christian Massol, Camille Seeuws,Franck Nouchi (Débats et Idées)Directeur délégué aux relations avec les lecteursGilles van KoteDirecteur du numérique Julien Laroche-JoubertChef d’édition Sabine LedouxDirectrice du design Mélina ZerbibDirection artistique du quotidien Sylvain PeiraniPhotographie Nicolas JimenezInfographie Delphine PapinDirectrice des ressources humaines du groupeEmilie ConteSecrétaire générale de la rédaction Christine LagetConseil de surveillance Jean-Louis Beffa, président,Sébastien Carganico, vice-président

un événement heureuxdoit être partagé !

Tarif : 20 € TTCPrix à la ligne

Pour toute information :[email protected]

Le Carnet

Tarif : 20 € TTC

Le Carnet

AU CARNET DU «MONDE»

Décès

L’École normale supérieure - PSLEt l’A-Ulm,

font part du décès de

M. Yash Kumar BHATI,doctorant

au département de chimie,

survenu le 24mai 2020, à Paris.

Un hommage lui a été rendu àl’ENS le 3 juin.

Les obsèques auront lieu le 12 juinau cimetière du Père-Lachaise, àParis.

La communauté normaliennes’associe à la douleur de sa famille.

The École normale supérieure - PSLAnd A-Ulm, the ENS alumni

association

are deeply saddened to announcethat

Mr. Yash Kumar BHATI,a PhD student

in the department of chemistry,

passed away on may 24, 2020, inParis.

A tribute was paid to him at theENS on 3 june.

The funeral will take place on 12June at Père-Lachaise cemetery inParis.

The ENS community expressestheir sincere condolences to hisfamily.

M. Jacques Delors,son époux,MmeMartine Aubry,

sa fille,M. Jean-Louis Brochen,

son gendre,Mme Clémentine Aubry,

sa petite-filleet M. Edouard Fouré,Augustin, Olympe,

ses arrière-petits-enfants,Mme Jacqueline HousseauxEt toute sa famille,

ont la douleur de faire part du décèsde

Mme Marie DELORS,née LEPHAILLE,

survenu à Lille, le 5 juin 2020,dans sa quatre-vingt-dix-septièmeannée.

Les funérailles religieuses onteu lieu en l’église de Fontaine-la-Gaillarde, le mardi 9 juin, dans laplus stricte intimité familiale, suiviesde l’inhumation dans la sépulture dela famille.

Une pensée pour son fils,

Jean-Paul,

décédé en 1982.

La famille tient à dire toute sareconnaissance aux médecins etpersonnels soignants de l’hôpitalSaint-Vincent-de-Paul, à Lille, pourleur grande humanité.

Le président de l’École pratiquedes hautes études,Le doyen de la Section des sciences

historiques et philologiques,Les directeurs d’études et les

maîtres de conférences,Les étudiants et auditeurs,Le personnel administratif,

ont la tristesse de faire part du décès,survenu le 6 juin 2020, de

AlainERLANDE-BRANDENBURG,

ancien titulairede la direction d’études« Art et archéologie

duMoyen Âge occidental ».

Ils s’associent à la douleur de lafamille.

Marie-Christine Labourdette,présidente de la Cité de l’architectureet du patrimoine,directrice des Musées de France de2008 à 2018,Benoît Melon,

directeur de l’Ecole de Chaillot,ses prédécesseurs,L’ensemble des équipes de l’Ecole

de Chaillot et de la Cité,

ont la tristesse de faire part du décèsde

M. AlainERLANDE-BRANDENBURG.

Enseignant à l’École de Chaillot de1979 à 1993, son cours « Histoire del’architecture romane et gothique,suivi de l’architecture civile etmonastique » a passionné desgénérations d’étudiants. Cet éruditd’exception entraînait ses élèves surle terrain et les incitait à publierleurs travaux de recherche dans leBulletin monumental. Certainsdeviendront enseignants grâce à lui.

Il laisse à Chaillot et auxarchitectes qui sont passés oupasseront par l’École, un ouvrage deréférence, co-écrit avec son épouse,Anne-Bénédicte, «Histoire del’architecture française. Du MoyenÂge à la Renaissance».

Alain Erlande-Brandenburg restera« le roi des études sur l’art gothiqueet les cathédrales » pour l’Ecole deChaillot, qui lui a rendu un hommagelégitime avec la publication d’unvolume de Mélanges « Materiamsuperabat opus » en 2006.

Les enseignants, les élèves et lespersonnels de l’Ecole et ceux de laCité s’associent à la douleur de sonépouse et de sa famille.

Rennes. Saint-Cast-le-Guildo.

Mme Léon Faure,née Martine Berthoux,Ses enfants,Ses petits-enfantsEt ses arrière-petits-enfants,

ont la grande tristesse de faire partdu décès du

docteur Léon FAURE,

survenu le 7 juin 2020,à l’âge de quatre-vingt-douze ans.

La cérémonie religieuse aura lieule 12 juin, à 11 heures, en l’égliseSaint-Germain, à Rennes.

A

Mathieu SARDA

parti le 8 juin 2020,à l’âge de quarante et un ans.

Mathieu, nous t’aimions et terespections tant. Tristesse et désarroisubmergent aujourd’hui FranceInter, la chaîne pour laquelle tu astant donné.

Nous ne t’oublierons pas.

Nous nous associons à la peine detous les tiens.

Tes collègues et amisde France Inter.

[email protected]

Courcelottecommune de Dompierre-en-Morvan(Côte-d’Or).Boulogne-Billancourt

(Hauts-de-Seine).

Patrick,son époux,Chrystelle,

sa filleEt toute la famille,

ont la douleur de faire part du décèsde

Chantal LARGILLIÈRE,née BRADIER,

survenu à Garches (Hauts-de-Seine),à l’âge de soixante et onze ans.

La cérémonie religieuse seracélébrée le samedi 13 juin 2020,à 14 h 30, en l’église de Dompierre-en-Morvan, suivie de l’inhumationau cimetière du village.

Chantal repose à l’espace funérairede Semur-en-Auxois, 9, avenuePasteur.

Christian, Denise, Serge, Jean Luc,Pascal et Aude,ses enfants,Son gendre,Ses belles-filles,Ses petits-enfants,L’ensemble de la famille,

ont la douleur et le chagrin de fairepart du décès de

Mme Josiane PhilippeLATOUCHE,

née THEODORE,

survenu à Paris, le 8 juin 2020,à l’âge de quatre-vingt-quatre ans.

Elle rejoint son époux,

Serge LATOUCHE,

dans l’éternité.

La cérémonie religieuse aura lieule vendredi 12 juin, à 10 h 30, enl’église Notre-Dame-de-la-Nativité,9, place Lachambeaudie, Paris 12e.

L’inhumation aura lieu aucimetière parisien d’Ivry, dans laplus stricte intimité.

Pauline de Mazières,née Cheremeteff,Catherine,

sa fille,Sarah et Niels,

ses petits-enfants,Ses proches,Ses amis, et compagnons de route,

ont la tristesse de faire part du décèsde

M. Jean, Patrice DEMAZIÈRES,

survenu à Rabat (Maroc), le 8 juin2020, à l’âge de quatre-vingt-dix ans.

Anne Rosenberg,sa compagne,Fabien, Matthieu, Clément, Adrien

Onimus, Myriam et Daniel Suchet,ses enfants,Nathalie Hoang, Delphine Laugier,

Stéphanie Cheron et Aline Aurias,ses beaux-enfants,Solène, Mathias, Thomas, Ernestine,

Léon et Elias,ses petits-enfants,Ses frères et sœurs

et leurs grandes familles,

ont la tristesse d’annoncer le décèsde

Jean-Louis ONIMUS,

survenu le 8 juin 2020, à son domicile.

Les obsèques auront lieu levendredi 12 juin, à 16 h 15, aucimetière parisien de Pantin.

[email protected]

Michel Lescure,sonmari,Frédérique Larmagnac,

sa fille,Nicolas et Caroline Larmagnac,

son fils et sa belle-fille,Marin, Hugo et Célimène,

ses petits-enfants,Nadine Sausset,

sa sœur,

ont la profonde tristesse d’annoncerle décès le 8 juin 2020, de

Michelle SAUSSET-LESCURE.

7, rue du Bourg Neuf,41000 Blois.

Dominique et Marie-ChristineSchwartz,son frère et sa belle-sœur,Jean-Laurent et Shaheen Schwartz,Nathalie et Olivier Sambourg,

son neveu, sa nièce et leurs conjoints,Chloé et Elsa,

ses petites-nièces,Adam,

son petit-neveu,

ont la douleur de faire part du décèsaccidentel de

Jean-Marie SCHWARTZ,ENS Saint-Cloud 1967,agrégé, docteur, HDR

enmathématiques pures,ancien directeur de recherche

au CNRS,

survenu à Paris, le 29mai 2020,à l’âge de soixante-treize ans.

Homme libre, il a toujours préférél’honneur aux honneurs et refusé lesdécorations, suivant en celal’exemple de sa mère, HuguetteSchwartz, résistante de la premièreheure.

Homme de science brillant, il aconsacré aux mathématiques puresles premières années de sa carrièreau CNRS, avant de s’attacher àl’organisation de la recherche enFrance, défendant sans relâche larecherche fondamentale au sein dela direction générale du CNRS.

Homme engagé, vice-présidentuniversitaire de l’Unef en mai 1968,il est toujours resté fidèle à sesidéaux en menant une vieassociative très active.

Les obsèques ont eu lieu aucrématorium du cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e, ce 11 juin 2020.

Cet avis tient lieu de faire-part.Marie Cécile TRICON,ancienne infirmière chefà la Compagnie générale

transatlantique,

nous a quittés le jeudi 4 juin 2020,dans sa quatre-vingt-treizièmeannée, en la résidence, Champ deMars, Paris 15e.

La famille remercie le personnelde l’établissement pour ses soinsattentionnés.

La cérémonie religieuse seracélébrée le vendredi 12 juin, à 10 h 30,en l’église Notre-Dame-des-Champs,91, boulevard du Montparnasse,Paris 14e.

La cérémonie pourra être suivie àl’adresse : Paroisse Notre-Dame desChamps - youtube.

L’inhumation aura lieu le mêmejour au cimetière du Montparnasse,Paris 14e.

Cet avis tient lieu de faire-part.

Contact : Colette [email protected]

Débats

Le Théâtre de la Villeet

Télérama

vous invitent à

l’Urgence des alliances5 jours de débats

du 15 au 19 juin 2020.Pour comprendre l’impactde la pandémie du Covid-19et proposer des solutionspour l’après via la culture

dans 5 domaines :Santé, environnement, sciences,

économie, éducationà suivre en direct sur

telerama.frtheatredelaville-paris.com

institutfrancais.comavec

l’ENS Paris-Saclay,l’Institut français

et le Rectorat de Paris

informations et réservations :Télérama.fr

Hommage

Séverine Lepape,directrice du musée de Cluny,musée national duMoyen ÂgeEt Thierry Crépin-Leblond,

directeur du musée national de laRenaissance, château d’Ecouen,Les équipes du musée de Cluny

et dumusée de la Renaissance,

rendent hommage à la mémoire de

AlainERLANDE-BRANDENBURG,

conservateuraumusée de Cluny (1967)

et aumusée de la Renaissance,conservateur en chef

des deuxmusées nationaux(1981-1987),

directeur dumusée nationalduMoyen Âge (1991-1994)

et directeur dumusée nationalde la Renaissance (2000-2005),

disparu le 6 juin 2020

et s’associent à la douleur de lafamille.

Merci de nous adresser

vos demandes

par mail en précisant

impérativement

votre numéro de

téléphone personnel,

votre nom et prénom,

adresse postale

et votre éventuelle

référence d’abonnement.

L’équipe du Carnet

reviendra vers vous

dans les meilleurs délais.

[email protected]

Le Carnet

Concerts

20e Festival EuropéenJeunes Talents

Du 5 au 25 juillet 2020,venez de nouveau partager

des grands moments d’évasionmusicale avec les musiciens les plus

talentueux de leur générationparfois accompagnés de leurs aînés !

Célébrez les 20 ans du festivalautour de 20 concertsdemusique de chambre

avec Marie Perbost, Marc Mauillon,Le Consort,

Pierre & Théo Fouchenneret,Axelle Fanyo,

des musiciens de l’Orchestrenational d’Île-de-France,

Maroussia Gentet, le Trio Karénine,Raphaël Sévère,

Jean-Baptiste Doulcet,le Quatuor Ellipsos et tant d’autres…

Dumardi au vendredià 20 heures,

le samedi et dimancheà partir de 16 heures.Distanciation assurée,masques à dispositionTarifs de 8 € à 20 €.

Informations et réservations surwww.jeunes-talents.orgTél : 01 40 20 09 20.

UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws

Page 24: Le Monde - 12 06 2020

24 | IDÉES VENDREDI 12 JUIN 20200123

La surmortalitéen Seine­Saint­Denis

confirme ce quela recherche avait déjà

constaté, les minorités ethno­raciales

souffrent d’inégalités et de discriminations

en matière de santé, rappelle la sociologue

ENTRETIEN

Solène Brun est sociologue,chercheuse postdoctorante àl’Institut Convergences Migra­tions, coordinatrice scientifiquedu département Integer (inté­gration et discrimination) de

cet institut. Ses recherches portent sur lesinégalités ethno­raciales en France et lesrapports sociaux de race dans la famille.Avec le démographe Patrick Simon, elle vient de publier un article intitulé « L’in­visibilité des minorités dans les chiffres du coronavirus : le détour par la Seine­Saint­Denis », paru dans la revue en ligne De Facto, éditée par l’Institut ConvergencesMigrations.

Pour vous, on ne doit pas ignorer la dimension ethno­raciale de la pandé­mie. Vous vous intéressez, pour cette raison, à la Seine­Saint­Denis, où la population est largement composée d’immigrés et de descendants d’immi­grés. Quel est l’impact du Covid­19 dans ce département ?

L’Insee publie chaque semaine desdonnées et des analyses qui font le décompte des décès en fonction de lacommune où ils se produisent. Ainsi, du 1er mars au 27 avril, il y a en Seine­Saint­Denis une surmortalité de 128,9 % par rapport à la même période en 2019. Avec mon collègue Patrick Simon, nous avons voulu aller plus loin, car la pandémie a provoqué une rapide saturation des hôpi­taux en Seine­Saint­Denis, des malades ont donc été hospitalisés dans d’autresdépartements et, pour certains, y sont morts. Nous avons analysé des donnéesbrutes, mises à disposition par l’Insee, qui portent sur la mortalité en fonction du lieu de résidence. Sur cette base, nous avons pu constater qu’entre le 1er mars et le 19 avril, la Seine­Saint­Denis enregistre le plus fort taux de surmortalité en Ile­de­France. Elle y atteint 134 %, alors que dansles Hauts­de­Seine, elle est de 114 %, et de 99 % pour Paris.

Pour la tranche d’âge la plus à risque,les personnes âgées de 75 à 84 ans, cetaux est de 188 % en Seine­Saint­Denis,

de 150 % pour les Hauts­de­Seine et de 137 % pour Paris. Les chiffres compiléspar l’Insee concernent cependant l’en­semble des décès, et pas uniquementceux liés au Covid­19. La comparaison avec 2019 nous permet de mesurer des écarts que l’on peut raisonnablement at­tribuer à la pandémie.

Pourquoi est­il pertinent, selon vous, de s’intéresser aux inégalités ethno­raciales pour expliquer la surmortalité en Seine­Saint­Denis ?

La question des inégalités ethno­racia­les n’est que rarement prise en comptepar la recherche en France. De fait, laproduction de statistiques ethno­racia­les est fortement encadrée et limitéedans le pays, et les chercheurs sont leplus souvent contraints d’utiliser desdonnées d’approximation, comme lepays de naissance ou le pays de nais­sance des parents. La pandémie actuellen’échappe pas à cette règle, et même lesrares données disponibles, comme lepays de naissance des personnes mor­tes, n’ont pas été mises à disposition parl’Insee.

Cependant, la Seine­Saint­Denis n’estpas seulement le département le plus pauvre de France métropolitaine, c’estaussi celui qui compte la plus grande pro­portion d’immigrés et de descendantsd’immigrés. Les immigrés forment 30 % des résidents du « 93 », contre 9 % ailleursen France. De plus, 50 % des moins de 18 ans de Seine­Saint­Denis sont des des­cendants d’immigrés, d’après l’Institut Paris Région. La surmortalité dans un dé­partement où se concentrent les minori­tés laisse donc à penser que les immigrés et leurs descendants sont particulière­ment exposés à la pandémie.

La recherche devrait pouvoir étudier lerôle et l’effet des discriminations dans la crise actuelle, d’autant que des travauxréalisés à l’étranger attestent de l’intérêt d’une telle démarche. Aux Etats­Unis, par exemple, une étude a démontré que lespatients noirs qui se présentent à l’hôpi­tal avec des symptômes du Covid­19 ont moins de chances que les patients blancs à symptômes équivalents d’être testés et d’être pris en charge.

Disposons­nous d’études réalisées avant la crise qui tendent à confirmer que les minorités pourraient être plus vulnérables face à la pandémie ?

Plusieurs travaux ont en effet établi delongue date l’existence en France d’inéga­lités et de discriminations ethno­raciales en matière de santé, et permettent d’af­firmer que les immigrés et leurs descen­dants sont en moins bonne position pour affronter le Covid­19.

Par exemple, une étude publiée en 2019par les démographes Michel Guillot, My­riam Khlat et Matthew Wallace a démon­tré que les hommes descendants d’immi­grés maghrébins risquent davantage demourir entre 18 et 65 ans que la popula­tion majoritaire, mais aussi que les des­cendants d’immigrés d’Europe du Sud, à niveau d’éducation comparable.

En outre, les immigrés voient leur santése dégrader plus rapidement que le reste de la population. Des facteurs socio­éco­nomiques expliquent en grande partiecette différence, mais aussi l’expérience de discriminations, comme en attesteune enquête quantitative et qualitativepubliée en 2012 dans la Revue européennedes migrations internationales.

Grâce à un rapport de Santé publiqueFrance, on sait également que le diabète et le surpoids, qui peuvent entraîner une plus grande mortalité chez les patients atteints par le Covid­19, sont plus répan­dus dans les milieux moins favorisés, mais aussi chez les personnes d’origine maghrébine.

Enfin, différentes enquêtes qualitatives,à plus petite échelle, ont étudié l’effet dela discrimination ethno­raciale dans le domaine de la santé. Par exemple, Pris­cille Sauvegrain, sociologue et sage­femme, a mis en évidence le fait qu’à état de santé et âge égaux, les femmes catégo­risées comme noires ou « africaines » ac­couchaient beaucoup plus par césarienneque les autres femmes en France, en rai­son de préjugés ethno­raciaux portantsur leurs caractéristiques génétiques, anatomiques et physiologiques. La socio­logue Dorothée Prud’homme a pour sapart étudié les effets de la racialisation sur les patients roms dans les servicesd’urgence. Au moment où les soignants font preuve d’un grand courage, il ne s’agit pas de les pointer du doigt, mais simplement de rappeler que, si le racismeexiste dans notre société, il n’y a pas deraison pour que la santé y échappe.

Plus généralement, quel était l’état desanté de la Seine­Saint­Denis avant lapandémie ?

Les indicateurs de santé de la popula­tion y sont généralement sous la moyenne nationale, en particulier en ce qui concerne les facteurs de comorbiditéassociés au Covid­19. On y trouve des fortstaux de diabète, d’asthme, de maladiescardio­vasculaires, comme le rapporte l’Observatoire régionale de santé (ORS).

L’offre de soin est également plus limi­tée dans ce département qu’ailleurs dans la région, la densité médicale y est plus faible pour la médecine de ville, les placesen hospitalisation y sont également moins nombreuses (ORS). Sur le plan éco­nomique, la Seine­Saint­Denis souffre aussi, avec une pauvreté et un chômage inégalés en France métropolitaine.

L’effet délétère sur la santé de la préca­rité est bien documenté. Les ouvriers vi­vent moins longtemps que les cadres, et

en moins bonne santé. On sait égalementque les personnes défavorisées ont moins recours aux soins. Dans le « 93 »,inégalités sociales et inégalités ethno­ra­ciales s’entremêlent. Il me paraît urgent de pouvoir isoler l’effet de chacun de ces phénomènes sur la santé, mais il faudraitpour cela disposer de données concrètes. Sans statistiques solides, nous sommes réduits à n’émettre que des hypothèses : on ne pourra pas mesurer les inégalités ethno­raciales ni l’ampleur des discrimi­nations dans la présente crise sanitaire, etle domaine de la santé en général, sansune mise à disposition de données qui permettent d’identifier les populations racialisées comme non blanches. Et, sans outils de mesure robustes, il est très com­pliqué de lutter efficacement contre les discriminations.

Peut­on croire que la crise sanitaire a eu un impact sur les relations entre police et populations minoritaires ?

Avec le confinement, la crise sanitaires’est accompagnée d’une restriction des déplacements et de l’accès à l’espace pu­blic. Cette situation a créé un renforce­ment du contrôle et de la pression poli­cière sur les quartiers populaires et surles populations racialisées comme non blanches. En Seine­Saint­Denis, le tauxde verbalisation pour non­respect de confinement a été presque trois fois plusélevé que la moyenne nationale (17 %, contre 6 %).

On a donc une verbalisation dispropor­tionnée (d’ailleurs dénoncée par un col­lectif d’associations et de syndicats), quireflète en réalité davantage la présence etle contrôle policiers exceptionnels dansce département que l’importance des in­fractions au confinement, dont il a été re­connu par le préfet de la Seine­Saint­De­nis lui­même qu’il avait été bien respecté.La période du confinement a été une pé­riode dans laquelle de nombreux cas de brutalité policière ont été signalés, sou­vent filmés par les habitants. Les soup­çons d’incivisme ont ainsi largementvisé les populations pauvres et non blan­ches, quand les infractions au confine­ment des Parisiens rejoignant leurs mai­sons secondaires ou des Français sur laCosta Brava ont suscité moins d’émoi.Les violences policières et le racisme nesont pas des faits nouveaux, mais le con­finement a été une nouvelle fois l’occa­sion d’en mesurer l’ampleur, commel’écrit le sociologue Jérémie Gauthier,dans la revue De Facto.

propos recueillis parmarc­olivier bherer

DU 1ER MARSAU 27 AVRIL, IL Y A EU EN SEINE-SAINT-DENIS UNE SURMORTALITÉ DE 128,9 % PAR RAPPORT À LA MÊME PÉRIODE EN 2019

YANN LEGENDRE

Solène Brun « Les immigrés et leurs

descendants sont en moins bonne position

face au Covid-19 »

UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws

Page 25: Le Monde - 12 06 2020

0123VENDREDI 12 JUIN 2020 idées | 25

Jay S. Kaufman et Joanna Merckx La réaction biologiqueau Covid-19 n’est pas une question d’appartenance racialeSi les minorités ethniques sont davantage touchées par le virus, les scientifiques doivent considérer cette disproportion comme le résultat d’inégalités sociales, et non comme la manifestation de différences biologiques, relèvent les deux épidémiologistes canadiens

Nous en apprenons chaque jourun peu plus sur le virus SARS­CoV­2 et sur la maladie Covid­19qu’il provoque. Notre compré­

hension des facteurs de transmission, de l’infection et de la maladie reste limi­tée, et, malheureusement, des interpré­tations erronées circulent.

Au Royaume­Uni comme aux Etats­Unis, les médias et les revues médicalesse font largement l’écho du nombre dis­proportionné de victimes du SARS­CoV­2 parmi les minorités ethniques etles migrants. Bien entendu, cette dis­proportion s’explique en grande partie par les différences socio­économiqueset les inégalités professionnelles. Car ce sont ces segments de la population quiconduisent les bus, qui font le ménagedans les hôpitaux, qui livrent les courseset qui s’occupent des personnes âgéesdans les maisons de retraite. En règle gé­nérale, ce sont eux qui occupent un tra­vail qui ne leur permet pas d’échapperau virus, et des logements où s’isoler desautres est plus difficile.

Au Royaume­Uni, la revue médicaleThe Lancet s’est intéressée au très grandnombre de professionnels de la santénoirs et d’origines asiatiques, morts duCovid­19 dans le pays – poussant le gou­vernement à enquêter sur cette inéga­lité choquante. Aux Etats­Unis, les don­nées révèlent également des inégalitéscriantes. Les groupes afro­américains etlatinos sont bien plus touchés que lesautres segments de la population,

comme l’a montré une étude réaliséepar un centre de recherche indépendant(APM Research Lab), et la maladie seconcentre dans les quartiers qu’ils habi­tent, selon un article publié par deux chercheurs de l’université Harvard (Jar­vis T. Chen et Nancy Krieger). Au Royau­me­Uni et aux Etats­Unis, ces injusticessont connues car des données ont étécollectées et analysées.

Sociologie du racismeAlors que chaque pays a son approchepour définir les catégories démographi­ques comme l’« appartenance ethni­que » et la « race », la France s’oppose fer­mement à l’utilisation de ce genre d’éti­quettes pour catégoriser officiellement les individus. L’absence de classificationraciale permet d’éviter une interpréta­tion fallacieuse, courante au Royaume­Uni et aux Etats­Unis, selon laquelle cer­taines inégalités que l’on observe indi­queraient l’existence de prédispositionsgénétiques, comme le rappelle un arti­cle publié par la journaliste scientifi­que Angela Saini (« Stereotype threat »)dans The Lancet, le 23 mai.

Malheureusement, que ce soit dans lesmédias ou les milieux scientifiques, il esttrès courant d’entendre que la réactionbiologique à l’infection semble différerselon l’appartenance raciale. La sociolo­gie du racisme n’a rien d’agréable, et, au lieu de regarder les choses en face, les gens se tournent vers les vieux mythes des différences raciales pour expliquer

l’injustice. La pression monte sur les pays européens autres que le Royaume­Uni : certains souhaitent que ces pays ré­coltent des données sur les inégalités ethnoraciales face au Covid­19. Ce seraiten effet un bon moyen de comprendre latragédie sociale liée au virus, même s’ilfaut se garder de croire que ces catégo­ries ont quelque chose de biologique.

Nos connaissances actuelles sur lapandémie reposent sur des donnéescollectées auprès de cas testés positifs. Or, le fait de tester ou non une personnedépend principalement de la présenceou non de symptômes, mais aussi d’in­nombrables barrières, linguistiques et géographiques, toutes étroitement liéesà des facteurs socio­économiques et dé­mographiques.

Ainsi, lorsqu’on mène des études surles malades du Covid­19 pour observerleurs caractéristiques, on prend en con­sidération, non pas tous les malades,mais seulement la partie émergée del’iceberg – une partie fortement défor­mée par les déterminants sociaux destests. Certains chercheurs estiment

néanmoins que l’origine ethnique pour­rait constituer un facteur de risque chezdes enfants pour lesquels a été diagnos­tiqué un syndrome inflammatoire post­infectieux associé au SARS­CoV­2 (unsyndrome très rare, récemment décou­vert). Connaître l’origine ethnique desmalades n’améliorera pas notre com­préhension de l’étiologie et de la généti­que de ce syndrome en particulier, ni duCovid­19 en général.

Ces chercheurs motivent leur intérêtpour la question en invoquant le nom­bre disproportionné d’enfants issus deminorités qui ont été hospitalisés au Royaume­Uni avec ce syndrome. Or l’ex­position au virus et les tests dépendentfortement des hiérarchies raciales dans la société, et ces inégalités en disent plussur nous que sur le virus.

Des stéréotypes archaïquesOn croit également à tort que ces inégali­tés indiqueraient l’existence de différen­ces génétiques ou de gènes uniques. Le génome humain étant à présent sé­quencé, nous savons que la quasi­totalitédes variations génétiques humaines se produisent à l’intérieur des groupes ra­ciaux, et non d’un groupe à l’autre. Bien entendu, comme la « race » est une cons­truction historique et sociologique, sadéfinition (arbitraire) diffère d’un pays à l’autre, mais, quelle que soit la définitionretenue, les recherches montrent que, s’il existe bien des différences entre les personnes, la race et l’origine ethnique sont de fort mauvaises catégories pourexpliquer ces différences.

De surcroît, au XXIe siècle, alors quel’extraction d’ADN est devenue une opé­ration routinière et que n’importe qui peut être génotypé à moindre coût, cescatégories sont dépourvues de toutepertinence. A notre époque, lorsqu’onveut étudier la génétique, c’est aux gè­nes que l’on s’intéresse. Nous ne pou­

vons plus recourir à des catégories duXIXe siècle basées sur des mythes et desstéréotypes archaïques.

Si certaines variantes ou mutations gé­nétiques paraissent réellement jouer un rôle important dans l’épidémie de Co­vid­19, les scientifiques exploreront cettehypothèse en collectant et en analysant les génotypes de personnes qui sont ma­lades et de personnes qui ne le sont pas. Ils ne feraient que se fourvoyer en pre­nant en compte l’appartenance ethniquedes individus. Le lien simpliste que l’onfait entre la « race » et la génétique relève d’une croyance populaire erronée, mais il ne lèvera pas le mystère médical du Co­vid­19 – il n’a, de fait, jamais levé aucun mystère par le passé. Historiquement, ce lien s’est avéré être une sinistre impasse, et c’est la raison pour laquelle la France a choisi d’interdire la collecte de données « raciales ». Mais c’est une arme à double tranchant car, si d’un côté, il décourageles mythes biologiques, de l’autre, il dis­simule les réalités sociales.

Traduit de l’anglais par Valentine Morizot

Jay S. Kaufman est professeur au département d’épidémiologie, biostatistiques et santé au travail à l’université McGill (Montréal, Canada) ; il est l’un des rédacteurs en chef de la revue scientifique « Epidemiology », publiée par l’International Society for Environmental Epidemiology ; Joanna Merckx est directrice des affaires médicales au laboratoire bioMérieux Canada Inc. Les opinions exprimées sont les siennes et sont sans lien avec sa fonction chez bioMérieux. Elle enseigne l’épidémiologie des mala-dies infectieuses à l’université McGill

LE LIEN SIMPLISTE ENTRE « RACE » ET GÉNÉTIQUE RELÈVE D’UNE CROYANCE POPULAIRE ERRONÉE ET N’A JAMAIS LEVÉ AUCUN MYSTÈRE MÉDICAL

Juan Guaido Marquez Sauvons le Venezuela ensemble !Le président par intérim autoproclamé du Venezuela appelle à la formation d’un gouvernement d’urgence nationale afin de convoquer des élections libres et de définir un plan de sauvegarde du pays

Selon les Nations unies, plus de9 millions de Vénézuélienssouffrent actuellement de la faim.La crise migratoire en cours

constitue l’exode le plus important del’histoire contemporaine, après celui de la Syrie. Plus de 5 millions de personnes ont quitté le pays depuis 2014. Pendantce temps, la dictature criminelle de Nicolas Maduro, impliquée dans le trafic de drogue et le terrorisme [selon la justice américaine], sourde à la crisesocio­économique et au désastre sani­taire, refusait les dons internationaux denourriture et de médicaments, condam­nant nombre de mes concitoyens à mourir. Même en pleine pandémie de Covid­19, ce régime ne souhaitait pasaccepter l’aide internationale.

Ma priorité est de mettre fin à la souf­france du peuple vénézuélien le plus rapidement possible. Nous, les Vénézué­liens, ne méritons pas de mourir defaim ou à cause d’une pandémie.C’est pour cette raison que nous avonsréussi à faire en sorte que le régimelaisse entrer dans le pays l’aide humani­taire de l’Organisation panaméricainede la santé (OPS) pour s’attaquer au Covid­19, et nous remercions la com­

munauté internationale qui a beaucoupœuvré en ce sens.

Ceci démontre pleinement notrevolonté politique de trouver des solu­tions adaptées aux problèmes desVénézuéliens. Nous sommes déterminésà mettre fin à cette grave crise en ras­semblant largement ceux qui, commemoi, ont chevillés au corps les intérêts du peuple vénézuélien, celui resté au pays comme celui de la diaspora.

La solution ne peut être que politiqueToutefois, la réalité est la suivante : unenarcodictature s’est saisie des institu­tions et confisque tous les pouvoirs auVenezuela. Effrayé et intimidé, le régimede Nicolas Maduro n’a ni la capacité ni l’intention de mettre fin à la crise écono­mique, sociale, sanitaire et politiquedont il est lui­même responsable.

Je dirige un gouvernement par intérimreconnu par plusieurs pays, dont la France, par le Parlement national et par la société civile. Afin de parvenir à undénouement de crise et à trouver une so­lution structurelle, nous proposonsqu’un gouvernement national d’urgencevoie le jour. Ce gouvernement compte­rait avec la participation de tous les sec­

teurs politiques et sociaux du pays. Il ex­clurait toute personne impliquée dans des violations aux droits humains. Ce gouvernement national d’urgence serait principalement chargé de résoudre la situation humanitaire, de garantir laséparation des pouvoirs et de générer lesgaranties nécessaires pour la tenued’élections législatives et présidentielleslibres, justes et transparentes.

Mais la solution définitive ne peut êtreque politique. Les déclarations de Jean­Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères, lors de la confé­rence des donateurs en solidarité avecles réfugiés et les migrants vénézuélienstenue en mai, vont dans ce sens. Selon leministre Le Drian, la communauté in­ternationale doit redoubler d’efforts

pour créer les conditions nécessaires àune solution politique au Venezuela.

Nous appelons la communauté inter­nationale à être particulièrement vigilante sur les efforts de Nicolas Maduro pour mettre définitivement finà la démocratie au Venezuela. Il compteen effet organiser de nouvelles élections législatives cette année. Ces élections, àl’instar de celles de 2018, promettentd’être une nouvelle mascarade. Il nes’agira en aucun cas d’un processus élec­toral libre et équitable.

Premièrement, les principales forcespolitiques ont été déclarées illégales et leurs dirigeants sont emprisonnés, en exil ou déclarés politiquement inéligi­bles. Deuxièmement, il n’existe pas de registre électoral fiable qui puisse garantir le droit de vote à tous les Véné­zuéliens à l’intérieur et à l’extérieur du pays. Troisièmement, le régime empê­che toute observation électorale interna­tionale. Enfin, l’autorité compétente en matière d’élections, le Conseil national électoral, n’est pas neutre. Il n’est pas garant de la bonne tenue ou de la trans­parence des élections.

Mon gouvernement, et les principauxpartis politiques vénézuéliens qui y sont représentés, ont toujours encouragé et continueront à encourager la tenue d’élections libres afin de rétablir la dé­mocratie au Venezuela. Nous sommesdonc en faveur de la tenue d’élections dans le pays en 2020, à condition qu’ellessoient organisées en toute transparence, selon le cadre juridique prévu par notre

Constitution, et à condition que les élec­tions présidentielles exigées par la Constitution depuis 2018 soient aussicélébrées. En accord avec toutes les par­ties, des observateurs internationaux doivent également pouvoir veiller libre­ment sur le scrutin.

Nous sommes bien conscients que lerégime de Nicolas Maduro n’a pas la volonté politique, ni la volonté humani­taire, de donner au peuple vénézuélien la possibilité de voter lors d’électionstransparentes, libres et équitables. Nous réitérons donc que la seule façon de met­tre fin à cette crise sans précédent est la formation d’un gouvernement nationald’urgence qui se chargerait de convoquerces élections libres et de mettre en œuvre un plan de sauvegarde du pays.

Nous devons sauver ce Venezuela, qui aété gravement touché par la misère et la corruption, et nous devons le faire avecla participation de la plus grande repré­sentation de la nation. Voilà la seule am­bition du gouvernement par intérim :reconstruire le Venezuela ensemble. Nenous décourageons pas et continuons àtravailler avec toute notre bonne volontépour sauver notre peuple et notre pays.

Juan Guaido Marquez est reconnu comme « président par intérim »de son pays par les Etats-Unis,la France et plus de cinquante pays

LA RÉALITÉ ESTLA SUIVANTE : UNE NARCO-DICTATURE S’EST SAISIEDES INSTITUTIONS ET CONFISQUE TOUS LES POUVOIRS AU VENEZUELA

UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws

Page 26: Le Monde - 12 06 2020

26 | 0123 VENDREDI 12 JUIN 20200123

P etit dialogue sino­amé­ricain rapporté par leFinancial Times. A unporte­parole du dépar­

tement d’Etat qui, la semaine der­nière, à Washington, dénonçait les restrictions des libertés impo­sées à Hongkong, un fonction­naire du ministère chinois desaffaires étrangères, à Pékin, ré­pondait d’un Tweet vengeur : « Je n’arrive plus à respirer. »

En deux mots, la réplique rap­pelait cette vérité : la politiqueétrangère, c’est de la politiqueintérieure – et vice versa. La capa­cité d’un pays à défendre ses inté­rêts et à promouvoir ses valeursà l’extérieur dépend aussi de sasituation intérieure. Les imagesdu policier blanc écrasant la nu­que d’un homme noir, menottéet jeté à terre à Minneapolis,dans le Minnesota, avaient fait letour du monde. La dernière phrase prononcée par GeorgeFloyd – « je n’arrive plus à respi­rer » – avant de succomber sousla pression du policier était deve­nue le symbole universel de lapersistance du racisme dans la société américaine. Le fonction­naire chinois avait beau jeu dedire à son collègue du départe­ment d’Etat : vous n’avez pas deleçon de morale à nous donner.

L’image de Minneapolis l’em­porte sur toute autre réalité. Elle gomme allègrement le fait que le policier va être jugé pour meur­tre. Elle ne dit rien de l’indépen­dance de la justice (même si elle est perméable à l’argent), de la li­berté de la presse ou du droit de manifester aux Etats­Unis – tout ce qui n’existe pas en Chine. Mais c’est ainsi, l’image commande. Elle va peser sur l’aptitude des Etats­Unis à incarner la démocra­tie et à dénoncer, chez les autres, l’autocratie. Elle va devenir l’undes éléments de la bataille que se livrent Pékin et Washington pour dominer le siècle. La politique étrangère américaine passe par Minneapolis. Et, en se désolidari­sant de la grande vague de mani­festations contre le racisme qui asuivi la mort de George Floyd, Do­nald Trump a dégradé un peu plus l’image de son pays – pour le plus grand plaisir de Pékin.

En son temps, un autre prési­dent républicain, Dwight Eisen­hower, avait différemment réagi. C’était en 1957, à un moment clé de la lutte des Noirs américains pour l’égalité civique, rapporte l’historienne Mary L. Dudziakdans le New York Times. Là encore,l’épisode ne fut pas sans consé­quences pour la politique étran­gère américaine alors tout occu­pée à la guerre froide opposant les Etats­Unis à l’URSS. Gouver­neur de l’Arkansas, l’un des Etats du sud du pays, le démocrateOrval Faubus refusait d’appliquer une décision de la Cour suprême sur l’interdiction de la ségréga­tion scolaire. Faubus avait mobi­lisé la garde nationale locale pour empêcher neuf écoliers noirs de faire leur rentrée au lycée publicde la capitale de l’Etat, Little Rock. Image forte : des soldats blancs enarmes contre des enfants noirs avec leur cartable.

A Moscou, la presse soviétiques’en empare, publie, commente, stigmatise. A l’ONU, le représen­

tant des Etats­Unis, John FosterDulles, s’inquiète : « Nous perdonsdes votes, notre politique étran­gère est en ruines. » Les images de Little Rock – mais ce sera vraidurant toute la lutte des Noirsaméricains pour l’égalité civique, dans les années 1960 – ébranlent nombre de pays, particulière­ment africains, que Washingtonveut rassembler dans le campantisoviétique. Eisenhower réa­git, renvoie la garde nationaledans ses foyers et dépêche desparachutistes de la 101e divisionaéroportée pour escorter les en­fants noirs dans l’école.

Trump est incapable d’un pareilgeste. Il a façonné l’image des Etats­Unis d’aujourd’hui : plus de110 000 morts du Covid­19, des dizaines de millions de chô­meurs, un président qui appellel’armée à « dominer » la rue amé­ricaine théâtre de manifestations antiracistes. Dans la bataille idéo­logique en cours entre la Chine et les Etats­Unis, entre l’autocratieet la démocratie, le président offre à Xi Jinping, son homologuechinois, le portrait d’un pays af­faibli, divisé, en proie à de vieuxdémons, ceux­là mêmes queTrump s’emploie à raviver à des fins électorales. L’impact stratégi­que n’est pas négligeable. Commes’ils « sentaient » les Etats­Unis diminués, la Chine, la Russie etl’Iran ont multiplié ces trois der­niers mois les provocations à l’adresse de Washington – en merde Chine, à Hongkong, en Médi­terranée, au Venezuela.

Capacité de séductionLa diplomatie de l’image ne dit pas tout. Elle ne rend pas comptede la puissance intouchée desEtats­Unis – économique, techno­logique, monétaire, culturelle. L’économie américaine a créé2,5 millions d’emplois en mai. A ceux qui gambergent sur le softpower perdu du pays, on rappel­lera que les chefs communistes chinois envoient leurs enfants à Harvard, où a étudié la fille deXi Jinping, pas à Pékin, Moscou niTéhéran.

Mais le lien entre les patholo­gies intérieures des Etats­Unis etleur aptitude à projeter leur pou­voir à l’extérieur demeure. Est­ce un hasard si, au plus fort des temps sombres que les Etats­Unistraversent au début des années1970, quand se cumulent émeu­tes raciales et manifestationscontre la guerre du Vietnam, la politique étrangère change ? Il yavait une priorité, le feu à la mai­son : la guerre froide glisse vers la détente (relative) avec l’URSS.

Barack Obama l’avait compris. Ilpensait qu’il fallait réparer la dé­mocratie américaine à l’intérieur avant d’en vanter les valeurs à l’ex­tériexur. Il jugeait que la capacitéde séduction d’un des pays les plus riches du monde dépendait aussi des performances de son système d’assurance­santé. Le maintien du leadership des Etats­Unis sur la scène internationale, jugeait­il, supposait de panser certaines des plaies du pays. Do­nald Trump, son successeur, s’em­ploie, lui, à y verser du sel. Pour se faire réélire en novembre, il diviseles Etats­Unis – la peur des uns contre la colère des autres.

A près l’urgence sanitaire, la Franceentre en convalescence sur le planéconomique. Face au choc provo­

qué par l’arrêt brutal de l’activité pour endi­guer la pandémie de Covid­19, les prévi­sionnistes tâtonnent en élaborant des scénarios instables. Seule certitude : le dé­crochage s’annonce violent et la rapidité dela reprise difficile à évaluer.

Dans ses prévisions publiées mercredi10 juin, l’OCDE anticipe un affaissement de la richesse nationale situé entre 11,4 % et 14,1 %, selon l’apparition ou non d’une se­conde vague de Covid­19 au cours de l’automne. La France devrait être ainsi l’un des pays où la récession sera la plus sévère. Un confinement particulièrement strict et une exposition plus forte aux secteurs les

plus touchés par l’arrêt de l’activité (aéro­nautique, services, tourisme, luxe) expli­quent l’ampleur du recul.

Les nouvelles rassurantes se sont pour­tant multipliées ces derniers jours. Le dé­confinement se révèle moins compli­qué que prévu. Les foyers de contamina­tion restent isolés et sous contrôle. Dansles hôpitaux, les services de réanima­tion se vident peu à peu. Même si les me­sures barrières au virus restent contrai­gnantes, la consommation commence àrepartir, tandis que la production et leschantiers redémarrent.

Les stigmates laissés par le confinementsur l’économie sont pourtant déjà visibles, même si les mesures de chômage partiel etde soutien aux entreprises financées par ladette publique ont joué leur rôle d’amor­tisseur. Nécessaires, ces dispositifs ne se­ront pas pour autant suffisants pour tota­lement absorber le choc.

Surtout, ils ne seront pas tenables dans ladurée. Selon le budget rectificatif présenté le10 juin par le gouvernement, la dépense pu­blique en France en 2020 va représenter les deux tiers de la richesse produite, « un ni­veau jamais atteint au cours de ces soixante­dix dernières années », souligne le Haut Con­seil des finances publiques, tandis que le dé­ficit dépassera 11,4 % du PIB. L’Etat ne pourrapas soutenir à bout de bras salariés et entre­prises beaucoup plus longtemps.

La bonne nouvelle, c’est que la grandemajorité des Français n’a pas eu à subir à cestade une baisse substantielle de ses reve­nus. L’épargne accumulée pourrait s’élever à une centaine de milliards d’euros d’ici à lafin de l’année. Mais, avec la peur grandis­sante du chômage, rien ne dit que ce mate­las de précaution sera utilisé pour consom­mer et donc soutenir le carnet de comman­des des entreprises.

Or, si la demande ne repart pas rapide­ment, on risque d’assister à une vague de faillites et de licenciements. Le gouverne­ment table déjà sur 800 000 suppressionsd’emplois d’ici à 2021. La situation estd’autant plus préoccupante que beaucoup d’entreprises n’ont plus de marges demanœuvre. Depuis 2008, la faiblesse destaux d’intérêt les a incitées à s’endetter plusque de raison, à commencer par les plus fragiles d’entre elles. Sans les politiques monétaires accommodantes des banques centrales, un grand nombre auraient déjà dû disparaître. Ce n’est pas en s’endettant encore plus avec la bénédiction de l’Etat qu’elles surmonteront leurs difficultés. Trier le bon grain de l’ivraie sera inévitable.

Le paradoxe de cette récession, c’est que laspirale de la dette fait à la fois partie de la so­lution et du problème. Mais après l’urgence, il faudra bien sortir un jour de cette impassequi, de crise en crise, fragilise durablement l’économie au lieu de la renforcer.

L’IMAGE DE MINNEAPOLIS VA 

PESER SUR L’APTITUDE DES ÉTATS­UNIS 

À INCARNER LA DÉMOCRATIE

LA DETTE, SOLUTION ET PROBLÈME DE LA CRISE

INTERNATIONAL | CHRONIQUEpar alain frachon

Quand Trumpdévalue son pays

CHINE, RUSSIE ET IRAN ONT MULTIPLIÉ 

LES PROVOCATIONS À L’ADRESSE 

DE WASHINGTONTirage du Monde daté jeudi 11 juin : 127 941 exemplaires

E N V E N T E C H E Z V O T R E M A R C H A N D D E J O U R N A U X

UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws

Page 27: Le Monde - 12 06 2020

Cahier du « Monde » No 23459 daté Vendredi 12 juin 2020 ­ Ne peut être vendu séparément

2|3DOSSIERv SPINOZA : L’« ÉTHIQUE » REDÉCOUVERTEv Une nouvelle traduction, fondée sur un manuscrit inédit, paraît. Retour sur l’histoire et l’influence d’un texte philosophique majeur

4|5LITTÉRATUREHélène Gestern,Daniel Grenier,Akwaeke Emezi,Elena Ferrante

6HISTOIRE D’UN LIVREv « Le Détour », de Luce d’Eramo

7ESSAISL’art menacé de la conversation, selon Sherry Turkle

8CHRONIQUESv LE FEUILLETONCamille Laurens a trouvé bien long « Isabelle, l’après-midi », de Douglas Kennedy

9POLARDominique Manotti ravive l’ambiance délétère des années 1970 dans « Marseille 73 »

10RENCONTREAnna Hope : « Ecrire, une forme de puissance »

raphaële botte

U n tout petit bonhommea fait de Timothée deFombelle l’un des plusgrands noms de la litté­rature jeunesse fran­çaise. Tobie Lolness,

13 ans, 1,5 millimètre de hauteur, vivantdans les arbres avec son peuple minus­cule, était le héros des deux premiers ro­mans de l’écrivain né en 1973 (La Vie sus­pendue et Les Yeux d’Elisha, GallimardJeunesse, comme tous ses livres pour les jeunes, 2006 et 2007), qui lui valurent des traductions et prix littéraires à tra­vers le monde. Vango (2010­2011) – uneautre saga en deux tomes –, puis Le Livre de Perle (2014), notamment, ont confirmé quel formidable auteur de ro­mans d’aventures pour les jeunes adoles­cents (mais pas seulement) est Timothée de Fombelle.

C’est à nouveau cette veine qu’il creusedans Alma. Le vent se lève, premier tome d’un triptyque annoncé, dans lequel il se confronte à la traite négrière et au com­bat pour l’abolition de l’esclavage. Son

héroïne est la jeune Alma. « Chez les Oko, le mot “alma” signifie “libre”. Mais ce genre de liberté n’existe dans aucune autrelangue. C’est un mot rare, une liberté im­prenable, une liberté qui remplit l’être pourtoujours. » Elle a 13 ans quand l’histoirecommence, en Afrique, dans une prairie sauvage. Une nuit, son petit frère, tenaillépar l’envie d’explorer le monde, s’enfuit, et elle part à sa recherche. Nous sommes en 1786 et le danger est de taille pour ces enfants noirs. Au même moment, en Eu­rope, Joseph, un autre adolescent, embar­que à bord d’un navire négrier.

Le romancier tresse son intrigue sur lestrois continents du commerce triangu­laire, et conjugue aventure, fresque histo­rique et récit initiatique. Son architec­ture, si précise, est l’une des forces dutexte. Comme dans Victoria rêve (Galli­mard, 2012), chaque chapitre s’achève parles mots qui ont servi de titre. Pour le romancier, c’est peut­être une contrainteafin de dompter sa créativité. Pour lelecteur, cela crée des effets poétiques qui l’accompagnent dans l’aventure.

Si Timothée de Fombelle, qui a décou­vert l’histoire de la traite à 13 ans, alors qu’il vivait en Afrique, s’est beaucoup do­cumenté afin d’écrire Alma, le savoir qui transparaît dans les pages est au servicede la précision et de la concision : pas question que le lecteur s’ennuie. Le rythme cousine avec celui des grands

feuilletons du XIXe siècle à la Dumas. Bien sûr, les destins des héros vont secroiser, mais les mystères sont si fournis qu’il semble impossible d’imaginer les rebondissements à venir.

L’auteur parvient surtout à aborder latraite négrière avec une ampleur rare pour un roman jeunesse. D’autres ont bien sûr déjà évoqué ce sujet, mais en sa­crifiant souvent le romanesque à la vo­lonté bienveillante de faire des lecteurs des abolitionnistes convaincus. Chez Fombelle, l’indignation de ses lecteurs n’est pas l’objectif. Il avance, concentré

sur la puissance de son récit, et c’est une arme bien plus redoutable. Jamais ses hé­ros ne virent à l’archétype. Tous existent,souffrent, vibrent, empêtrés dans leursdestins et leurs secrets.

On croise ici certains thèmes de prédi­lection de l’auteur. Ainsi, en quittant sa vallée, Alma laisse son enfance derrière elle, comme l’ont fait les inoubliables To­bie et Vango. Mais rencontrer Alma, c’est d’abord trembler à ses côtés dans les ca­les sombres et puantes de la Douce­Amé­lie, c’est pleurer en écoutant le chant desa mère, c’est aussi accepter de se sentir

désarmé face à l’absurdité de la mons­truosité humaine. C’est rencontrer une héroïne libre et inoubliable. Et grandir àses côtés. A tout âge.

Timothée de Fombelle libère les jeunes esclavesAvec « Alma. Le vent se lève », l’auteur jeunesse ne fait pas que conjuguer aventure, fresque historique et récit initiatique. Il aborde surtout la traite négrière avec une justesse rare

Une illustration de François Place extraite d’« Alma ». GALLIMARD JEUNESSE

alma. le vent se lève, de Timothée de Fombelle, illustré par François Place, Gallimard Jeunesse, 400 p., 18 €, numérique 13 €. Dès 11 ans.Signalons, du même auteur, la parution de Le Jour où je serai grande. Une histoire de Poucette, photographies de Marie Liesse, Gallimard Jeunesse, 32 p., 14,50 €. Dès 3 ans.

Si l’auteur s’est beaucoup documenté afin d’écrire « Alma », le savoir qui transparaît dans les pages estau service de la précision et

que le lecteur s’ennuie

UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws

Page 28: Le Monde - 12 06 2020

2 | Dossier Vendredi 12 juin 20200123

Spinoza : l’« Ethique » redécouverte

Une nouvelle traduction du

maître ouvrage du philosophe

néerlandais paraît, fondée sur

le manuscrit inédit retrouvé au Vatican

en 2010.Une histoire

rocambolesque, pour un texte qui

donne à penser depuis quatre

siècles

LES SPÉCIALISTES trouvent souvent insolite la mobilisa­tion de Spinoza par une pensée critique contemporaine qui, d’Althusser à Toni Negri et Mi­chael Hardt – lesquels lui ont emprunté le concept de « mul­titude », titre de leur best­seller paru en 2004 (La Découverte) –,l’érige en apôtre de l’athéisme ou de la révolution. Ils remar­quent que, ce faisant, ces éloges reprennent, sur un mode positif, les reproches adressés autrefois à Spinoza par ses contempteurs. « Athéisme », « sédition », « géométrisme » : autant de jugements qui, affir­mait le philosophe André Pes­sel (Dans l’Ethique de Spinoza, Klincksieck, 2018), ont fini par faire « disparaître Spinoza sous le spinozisme ».

Spinoza serait­il « de gauche » ?Celui qui revendiquait la liberté de philosopher pour les philoso­phes la voulait­il tant que cela pour le peuple ? L’Allemand Wolf­gang Bartuschat, qui a consacré de nombreux livres à Spinoza, trouve partiales ces lectures poli­tisées. Elles font fi « de la méta­physique comme de la méthode du philosophe », explique­t­il au « Monde des livres ». Jusqu’au milieu du XIXe siècle, l’Allema­gne a été la première terre d’élec­tion du spinozisme, inspirant notamment Leibniz, Mendels­sohn, le romantisme, l’idéalisme, puis Marx comme Nietzsche. Après quoi, son empreinte s’ef­face. Même l’école de Francfort, cette influente théorie impré­gnée de marxisme et de sociolo­gie, l’a plutôt négligé jusqu’à il y

a peu, avec Martin Saar, proche des idées foucaldiennes.

Le creuset françaisDans le monde anglo­saxon,

Spinoza, longtemps considéré comme un métaphysicien extra­vagant, bénéficie depuis les an­nées 1990 d’un retour en grâce (lire l’entretien page suivante), comme en témoignent les tra­vaux de Steven Nadler (Spinoza, Bayard, 2003), Richard Popkin (Histoire du scepticisme. De la fin du Moyen Age à l’aube du XIXe siècle, Agone, 2019) ou Jona­than Israel, auteur des Lumières radicales. La philosophie, Spinoza et la naissance de la modernité (Amsterdam, 2005).

La France, elle, constitue un foyer des études spinoziennes grâce aux magistrales lectures et

traductions de l’Ethique par Mar­tial Guéroult (Spinoza, Aubier­Montaigne, 1968, 1974), Pierre­François Moreau, Bernard Pautrat, Gilles Deleuze (Spinoza et le problème de l’expression, Mi­nuit, 1969) et tant d’autres. Au sein de ce creuset s’est opéré l’al­liage entre le marxisme et Spi­noza. Il fut initié par le philoso­phe communiste Jean­Toussaint Desanti (dans son Introduction à l’histoire de la philosophie, Edi­tions de La Nouvelle Critique, 1956) puis repris par Louis Althusser et ses disciples, en particulier Etienne Balibar et Jacques Rancière.

Charles Ramond, de l’univer­sité Paris­VIII, auteur de Qualité et quantité dans la philosophie de Spinoza (PUF, 1995), s’étonne de cette métamorphose de l’auteur

du Traité politique en subversif, quasi­précurseur de l’altermon­dialisme et libre­penseur. « C’est exactement le contraire, dit­il au “Monde des livres”. Spinoza sou­tient que le message unique et constant des Ecritures, de tous les prophètes de l’Ancien Testament comme du Christ, est parfaite­ment clair : “Les ignorants seront sauvés par l’obéissance.” »

UltramodernitéSi le spinozisme s’impose

comme la philosophie de l’ultra­modernité, selon lui, c’est sur­tout par sa volonté, héritée de Descartes, de réduire le réel à la quantité et à l’ordre géométri­que. Spinoza professerait un « conservatisme paradoxal ». Conservateur, il l’est parce que, pour lui, « ce qui est rationnel

dure, et que son but est de construire des systèmes politi­ques si solides et durables que rien ne puisse les renverser ». Maisil est aussi démocrate car, « bien loin d’appuyer la politique sur des “valeurs”, il ne l’appuie que sur des “comptes”, et par excellence sur les comptes démocratiques ».

Pierre­François Moreau, quantà lui, se souvient, amusé, d’un débat télévisé de 1977 où l’on mêlait le spinozisme à l’autoges­tion, chère à Michel Rocard et alors en vogue à gauche. La mo­dernité démodera toujours plus vite ses notions que la « boîte à outils » spinozienne, où elle puise pour les penser. n. w.

Lire l’intégralité de l’entretien avec Charles Ramond sur Lemonde. fr/livres

analyse Spinoza est­il vraiment un précurseur de la gauche critique ?

nicolas weill

O n peut sans exagérer par­ler d’événement, lorsquec’est en France que paraîtune édition de référencede l’Ethique, œuvre ma­jeure de Benedictus de

Spinoza (1632­1677) à laquelle le philoso­phe a consacré près de treize années (de 1662 à 1676). Il la considérait comme l’exposition par excellence de sa pensée, mais dut renoncer à la publier de son vivant. Dans sa correspondance, Spinoza parle des rumeurs répandues par « cer­tains théologiens » prétendant que son li­vre montrerait « que Dieu n’existait pas ». Après son décès, ses œuvres complètes, dont l’Ethique, sont finalement publiées, en 1677, grâce à un groupe soudé d’admi­rateurs et de disciples, en latin et en néer­landais, sous les titres respectifs d’Opera Posthuma et de De nagelate schriften.

Les manuscrits autographes ont dis­paru. Seules les variantes entre ces deux

sources ont depuis constitué la base des éditions scientifiques de ses œuvres.L’historien de la philosophie Pierre­Fran­çois Moreau, traducteur de la nouvelle version de l’Ethique (les Néerlandais Fokke Akkerman et Piet Steenbakkers en ont établi le texte latin), ne trouve à cela rien d’étonnant. Depuis le XVIe siècle, la destruction du manuscrit était de mise après publication.

133 feuillets copiés à la mainQuoique excellent latiniste, Spinoza

n’utilisait pas un latin exclusivement « classique ». Son cercle n’a pas manqué d’intervenir dans son écriture afin de la retoucher, à l’occasion. Jusqu’à présent, ilétait difficile, voire impossible, de loca­liser ces interventions et de jauger leurétendue, sinon par conjectures. Long­temps, l’édition de l’Ethique due à l’éruditallemand Carl Gebhardt (Opera, 1925) a fait foi, qui recourait à cet expédient. Or, en 2010, l’historien néerlandais LeenSpruit, aidé par l’Italienne Pina Totaro,découvre 133 feuillets copiés à la main, non reliés et sans nom d’auteur, déposésà la Bibliothèque apostolique vaticane(Rome). On s’aperçoit qu’ils contiennent le texte de l’Ethique. La trouvaille vachanger la donne et réinscrire l’histoirede ce monument philosophique dans les romanesques circuits de l’Europe savante du Grand Siècle, à la veille des Lumières.

Le protagoniste en est, cette fois, unAllemand luthérien, Ehren­fried Walther von Tschirn­haus (1651­1708), futur ma­thématicien et physicien. Il parcourt le continent enquête de savoir et réside aux Pays­Bas de 1669 à 1675. Ce jeune baron bombarde Spi­noza de lettres et de deman­des d’éclaircissements. A laveille de son départ d’Amster­dam, en mai 1675, Tschirn­haus sait que l’Ethique est en passe d’être publié mais ne peut attendre. Un ami du phi­losophe, Pieter van Gent, eneffectue promptement une copie à son intention, supervisée par le philosophe. Elle a la forme d’un manus­crit de travail de la taille de nos actuelslivres de poche. Tschirnhaus, qui croise Leibniz à Paris, sollicite de Spinoza, par lettre, la permission de lui montrer cette copie. Spinoza, méfiant, refuse.

A Rome, en 1677, Tschirnhaus fait la

connaissance d’un Danois, protestantconverti au catholicisme. Niels Steensen,également connu sous le nom de NicolasSténon (1638­1686), a été un anatomiste de renom, qui avait lui­même fréquenté Spinoza bien plus tôt que Tschirnhaus, à l’université de Leyde (Pays­Bas). Ses dis­sections ont prouvé l’inexistence de la fameuse « glande pinéale » par laquelleDescartes croyait pouvoir articuler l’âmeau cerveau – thème évoqué dans la cin­quième partie de l’Ethique. Mais Sténon a délaissé la science pour la théologie.

Il tente avec l’ardeur du néophyte, quoi­que en vain, de convaincre l’aristocrateluthérien du nécessaire retour au gironde l’Eglise romaine. Dans ces circonstan­ces, il reçoit ou subtilise le manuscrit anonyme possédé par Tschirnhaus, qui ypuise son contre­argumentaire. Sténon reconnaît aussitôt la patte spinozienne et, en fidèle prosélyte, le livre à l’Inqui­sition, laquelle s’empresse de mettre l’ouvrage à l’Index. La dénonciation auSaint­Office et l’explication qui l’accom­pagne ont été tout récemment présen­tées et traduites par Stéphane Ferret dans la revue Philosophie (n° 145,mars 2020, Minuit, 160 p., 13 €).

« Ecarts lexicaux »Quel type de modification entraîne ce

matériau d’époque ? Tout d’abord le repé­rage d’une soixantaine d’« écarts lexi­caux » entre les sources latines, désor­mais au nombre de deux. Pour Pierre­

François Moreau, grâce à cemanuscrit, on peut voir le« dernier Spinoza » (de 1675 à1677) devenir plus incisif. Ilpermet aussi de rectifier descorrections introduites parles éditeurs des Opera pos­thuma. Ainsi Spinoza avait­ilécrit en 1675 (Ethique IV, cha­pitre V de l’Appendice) qu’ilétait impossible, sans intelli­gence, de mener « vie digned’être vécue » (vita vitalis). Leséditeurs de 1677, gênés par laredondance, l’avaient corrigéen « vie rationnelle » (vitarationalis).

Abandonné dans les coursives duSaint­Office, le « manuscrit du Vatican » a surgi, en 2010, alors que l’entreprise d’édition et de traduction de Pierre­Fran­çois Moreau et Piet Steenbakkers était déjà en cours, retardant leur travail d’une dizaine d’années. Même si la ver­sion des Opera posthuma reste fiable à

leurs yeux, une confrontation avec le « manuscrit du Vatican » s’est imposée,tant il est vrai qu’on n’avait jamais dis­posé jusque­là d’un texte aussi proche des volontés de Spinoza. Du patient

œuvres iv. ethica. éthique, de Spinoza, texte établi par Fokke Akkerman et Piet Steenbakkers, traduit du latin par Pierre­François Moreau, édité par Pierre­François Moreau et Piet Steenbakkers, édition bilingue, PUF, « Epiméthée », 696 p., 32 €.

labeur de comparaison entre les troissources à présent disponibles naît la pré­cieuse édition que nous avons enfin en­tre les mains, définitive, au moins pour quelques décennies.

UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws

Page 29: Le Monde - 12 06 2020

0123Vendredi 12 juin 2020 Dossier | 3

Quatre portraits de Spinoza, quatre œuvres d’imagination : il n’existerait pas de portrait sur le vif du philosophe. De gauche à droite et de haut en bas : gravure colorisée, non datée ; gravure extraite d’« Icones virorum », de Friedrich Roth­Scholtz, 1725 ; gravure sur bois du XIXe siècle, colorisée ; peinture de Francisco Fonollosa, XXIe siècle.RUE DES ARCHIVES/TALLANDIER. WORLD HISTORY ARCHIVE/ABACA. AKG-IMAGES. PRISMAARCHIVO/LEEMAGE

« Le grand profanateur de la “tradition sacrée” humaniste »L’universitaire américain Yitzhak Melamed, spécialiste de Spinoza, évoque la modernité et l’importance renouvelée de sa philosophie

Quelle est la place de Spinoza dans la pensée américaine contemporaine et dans le monde anglo­saxon en général ?

L’hostilité de la philosophieanalytique anglo­américaine à lamétaphysique a été dominante. Mais les choses ont changé du tout au tout depuis vingt outrente ans. Spinoza représentantle métaphysicien de la moder­nité par excellence, il n’est pas surprenant que la récente re­montée en puissance de la méta­physique comme discipline phi­losophique centrale se traduise par un intérêt exponentiel pour Spinoza.

Actuellement, Spinoza mobiliseénormément les historiens de la philosophie comme les philoso­phes (en métaphysique et, dans une certaine mesure, en épisté­mologie, éthique et théorie politi­que). Le naturalisme de Spinoza jouit d’une grande faveur dans le discours philosophique actuel en Amérique du Nord. Mais le tempsde la découverte de sa critique de l’humanisme et de son sens de­meure à venir.

Quelle influence la découverte, en 2010, à la Bibliothèque vaticane, d’une copie manuscrite de l’« Ethique » aura­t­elle sur la réception de Spinoza et sur votre lecture en particulier ?

Je pense qu’il est encore troptôt pour le dire. Les différences entre le manuscrit du Vatican et les Opera posthuma [la premièreédition de 1677, l’année même dela mort de Spinoza] semblentassez minimes. Cela dit, il y a encore bon nombre de notionscentrales chez Spinoza dontnous n’avons simplement qu’une idée. D’infimes varia­tions dans le manuscrit du Vati­can pourraient se révéler fort uti­les pour comprendre commentl’Ethique s’est constituée.

propos recueillis par n. w.

Lire l’intégralité de cet entretien sur Lemonde. fr/livres

Cinq ruptures et une fidélitéCe que contient l’« Ethique » et qui en fait un des livres indépassables de la philosophie occidentale

roger­pol droit

P ourquoi, depuis 1677, l’Ethiquede Spinoza n’a­t­elle cessé d’êtrelue, scrutée, commentée, de gé­nération en génération, par des

lecteurs très dissemblables ? Qu’a doncd’inépuisable cet étrange livre­univers,organisé comme un traité de géométrie qui veut élucider nos passions et notresalut en ce monde ? Répondre en détail occuperait quelques volumes. En sché­matisant à l’extrême, cinq points peu­vent indiquer des éléments de réponse.

La rupture première tient en trois motsde latin : Deus sive Natura. Le terme cen­tral, sive, brise avec des siècles de méta­physique et de théologie. Dieu « ou bien, si tu préfères », la Nature. Dieu, « c’est­à­dire » la Nature. Pas de différence, l’un et l’autre s’équivalent. Dieu n’est donc plus

pur esprit, séparé du monde. Il est l’uni­vers, dont nous sommes une partie, et toute chose est en lui. Cause de soi, il est sans autre. Au revoir Platon, le Penta­teuque, toutes les pensées de la sépara­tion absolue.

Athéisme ? Oui, en un sens, si l’on com­pare la doctrine aux anciennes transcen­dances. Mais rien n’est si simple. Carcette équivalence proclamée possède une autre face : la Nature est presque di­vinisée, puisque la réalité physique toutentière, y compris nos corps et nos pen­sées, équivaut désormais à la substance unique et infinie.

Une deuxième rupture s’ensuit, pasmoins bouleversante : Dieu­la Nature se trouve dépourvu de volonté libre, et nous également. Chaque événement dé­coule nécessairement des propriétés intrinsèques de la substance infinie, comme les propriétés géométriques dutriangle découlent de sa nature propre. Personne n’est à l’origine de ses propres actes, pas plus Dieu que le petit délin­quant, ou le grand héros. Si les hommes

se croient libres, c’est qu’ils ne savent pasce qui les détermine. Par ignorance, ils s’attribuent un pouvoir de décider, pure illusion, et forgent la chimère d’une « vo­lonté » de Dieu.

Faut­il en conséquence dire adieu àtout jugement moral, à toute action de

justice ? Pas complètement. Une rupture no 3 sauve les tribunaux, l’ordre public,les châtiments, alors même que les fon­dements anciens de la morale se trou­vent ruinés. Blâmer le criminel est vain, puisqu’il n’est pas responsable de son

crime, si le libre arbitre est un fantôme. Mais on peut l’emprisonner pour l’em­pêcher de nuire. Personne ne considère l’orage comme librement responsable de la grêle, malgré tout on protège les récoltes. Les désirs des criminels sont nuisibles, même s’ils n’en sont pas

responsables.Car le désir mène toutes les

affaires humaines. Ce désir– nouvelle rupture avec latradition – est une plénitudeet non un manque, unepositivité et non la marqued’une privation. Ce qui im­plique un renversement ca­pital : un homme ne désirepas une femme parce qu’elleest belle, il la trouve belleparce qu’il la désire. Nos

élans, nos jugements ne sont pas façon­nés du dehors, ils émanent du dedans. Est­ce à dire que nous sommes enchaî­nés à jamais à nos travers, que nos actes sont conditionnés et mécaniques ? Pas du tout. L’Ethique explique comment

la joie, la béatitude, l’éternité, le salut sont possibles…

Par quelle voie ? La connaissance descauses qui nous déterminent. Ce savoir rend libre, mais en un sens neuf, aux antipodes de l’arbitraire et du caprice.Rupture ultime avec la révélation et les peurs. Par la raison et la connaissancedes causes, le sage­savant se défait des illusions, vains espoirs, rancœurs absur­des, passions tristes. Il comprend que la réalité est perfection : rien n’y man­que. Alors ses pensées, donc sa vie, parti­cipent de l’éternité.

L’incomparable prouesse de Spinoza,dans l’Ethique, est d’avoir conjugué ces mutations radicales en quelques dizai­nes de pages. Voilà pourquoi on ne cesse de le lire et de l’interpréter. Son paradoxeultime est sa fidélité à l’idéal antique d’une vie philosophique placée sous le contrôle absolu de la raison. Il ne rompt pas avec ce rêve, et le porte au contraireà son paroxysme. Pour quitter cethorizon, il faut attendre Schopenhauer,Freud, et plus encore Nietzsche.

Sommes­nous enchaînés à jamais à nos travers, nos actes sont­ils conditionnés et mécaniques ? Pas du tout. L’« Ethique » explique comment la joie, la béatitude, l’éternité, le salut sont possibles…

E N T R E T I E N

É C L A I R A G E

P rofesseur de philosophieà l’université Johns­Hop­kins (Baltimore), YitzhakMelamed, né en 1968 en

Israël, s’est imposé comme un des spécialistes majeurs de la phi­losophie de Spinoza. Son travail témoigne du renouveau des étu­des spinoziennes et de la popula­rité retrouvée de la métaphysiqueoutre­Atlantique. Il est notam­ment l’auteur de Spinoza’s Meta­physics. Substance and Thought(« La métaphysique de Spinoza. Substance et pensée », 2013, non traduit) et prépare un ouvragesur l’importance de Spinoza pourl’idéalisme allemand (Fichte, Hegel, Schelling).

Poursuivant un geste inauguré en France par des penseurs marxistes d’après­guerre comme Jean­Toussaint De­santi, Louis Althusser et ses disciples – notamment Etienne Balibar –, Spinoza est devenu une sorte d’emblème de la radicalité. Pensez­vous que cette lecture de Spinoza en tantqu’apôtre de la modernité soit cohérente avec l’œuvre ?

Absolument. L’antihumanismequ’Althusser a vu en Spinoza s’ytrouve effectivement (bien quecela nécessite de savoir précisé­ment ce que nous entendons par « antihumanisme »). Althusser n’a cependant, à mon avis, pasassez pris la mesure de la profon­deur et de l’audace que recèle l’antihumanisme de Spinoza, surtout à cause de sa surdité àla dimension profondément

religieuse de ce philosophe. Par« humanisme », j’entends, moi,une conception qui met l’accent sur la centralité ou, si vous préfé­rez, le rôle constitutif de la pers­pective humaine. Cette idée quele point de vue humain serait lamesure de toute chose a eu sesdéfenseurs dans la philosophie ancienne et moderne.

Pour moi, Spinoza est le grandprofanateur de cette « traditionsacrée ». Quelques antihumanis­tes (Hume, par exemple) défient l’humanisme en déniant le carac­tère unique de l’être humain parrapport au reste de la nature.D’autres insistent sur la margina­lité de l’homme par rapport au divin. Spinoza semble attaquerl’humanisme sur deux fronts àla fois. Chez lui, le naturalisme comme l’infinité de Dieu ravalentl’homme à une place plutôt mo­deste. J’ai beaucoup de sympathiepour Marx, mais une certaine lecture marxiste de Spinoza de­meure insensible à sa pensée reli­gieuse et, pour cette raison, perdbeaucoup du potentiel icono­claste de son antihumanisme.

Dans « Spinoza’s Metaphysics », vous affirmez que le philoso­phe a désormais remplacé Kant ou Hegel en tant que « bous­sole de la modernité ». En quoi ? Est­ce parce que, selon vous, il s’agit d’un penseur qui prend la religion au sérieux ?

Tout à fait. La religion ne va pasdisparaître. On peut certes rem­placer les religions tradition­nelles par une religion séculièreinventée par la modernité : le na­tionalisme, le culte de l’art, certai­nes variantes du marxisme, etc. Mais le type de religiosité que le spinozisme propose combine la profondeur de la tradition et l’ab­sence de superficialité, tout en étant la plus libérée des illusions anthropocentriques et anthropo­morphiques. C’est déjà beaucoup.Bien sûr, certains peuvent conti­nuer à ajouter foi à des faribolescomme l’homo noumenon kan­tien [l’homme considéré comme une fin en soi et « au­dessus de tout prix »]…

UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws

Page 30: Le Monde - 12 06 2020

UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws

Page 31: Le Monde - 12 06 2020

0123Vendredi 12 juin 2020 Critiques | Littérature | 5

Le jour et la nuit à New YorkA la fin des années 1960, Jonathan Rosen étudie la littéra­ture à New York tout en se rêvant écrivain. Entre universitéet petits boulots, il suit les jolies filles dans la rue avec sonappareil photo. Un jour, il fait la connaissance d’un dandyquinquagénaire, Josef Eisenstein, qui, en quelques mots,séduit la jeune femme que Jonathan n’osait pas aborder. Etvoilà que Rosen se retrouve dans l’atelier d’artiste d’Eisens­tein en train de faire l’amour pour la première fois. Eisens­tein lui apprend comment s’y prendre en matière de séduc­tion et, peu à peu, Jonathan tombe sous sa coupe, tout enne pouvant se défaire cependant de l’idée qu’Eisenstein,bibliophile aussi fascinant qu’inquiétant, cache un secret.

Quand il apparaît qu’un serial killer, « l’Ecor­cheur », sévit dans la ville, Rosen refoule sessoupçons jusqu’à ce que, vingt ans plus tard, lepassé le rattrape de la manière la plus inatten­due. Le lecteur se laisse prendre et surprendrepar cet opulent premier roman sur les forces dudestin, à mi­chemin entre thriller et récitd’éducation. pierre deshusses Dans la peau (Unter der Haut), de Gunnar Kaiser,traduit de l’allemand par Yasmin Hoffman, Fayard, 510 p., 24 €, numérique 17 €.

Routard d’un été lointainSubrepticement, les années 1970, avec leur lot de vécupersonnel et passionnel, sont devenues « de l’Histoire ».Une distanciation qui profite à l’analyse, mais qui désin­carne son objet. Entre les deux, le roman d’Einar MarGudmundsson (né en 1954), son deuxième traduit en fran­çais après Les Rois d’Islande (Zulma, 2018), tente une syn­thèse : profiter de la distance temporelle pour mieux cernerla période, recréer l’ambiance en puisant dans ses propressouvenirs de jeunesse. En résulte une narration capricieuseet fébrile, une sorte de recherche du temps perdu doubléed’une quête de l’espace perdu : Athènes, Rome, Paris… Et laNorvège, où le narrateur s’était rendu le temps d’un été,sans but précis, si ce n’est de « devenir écrivain ». A présent,il y revient en pensée, au gré de rencontres fortuites avecses amis d’antan. Il revit sa jeunesse, avec l’omniscience decelui qui, commençant une histoire, en connaît déjà la fin.

Un été norvégien est l’instantané, tout en mou­vement, d’une génération en quête d’action,proie facile d’égarements idéologiques, créduleet irresponsable, désarmante dans sa bonne foi.Emporté par ce tourbillon, le lecteur respire àpleins poumons l’air d’une époque qu’il n’apeut­être pas connue.

elena balzamo Un été norvégien (Passmyndir), d’Einar Mar Gudmundsson, traduit de l’islandais par Eric Boury, Zulma, 336 p., 21 €.

L’héroïne du singulier « Eau douce », du Nigérian Akwaeke Emezi, se cherche. Les esprits qui narrent son histoire ne l’aident guère

Quels démons piquent Ada

gladys marivat

I ls s’appellent Fumée et Ombre, Asu­ghara ou Saint Vincent. Ce sont desesprits qui, selon la cosmogonie del’ethnie igbo, au Nigeria, forment la

personnalité et l’avenir des enfants, dansle ventre de la mère. La tradition veut qu’ils s’effacent après la naissance. Mais quelque chose a vrillé pour Ada. Ils sontrestés dans son corps et sa tête. « Il était clair qu’elle allait devenir folle », affirmentces esprits. La suite leur donnera raison. Bébé étrange qui ne marche pas, mais« rampe comme un serpent » et hurle très fort, Ada traverse une enfance brisée, en­tre une mère dépressive partie travailler à l’étranger et un père médecin dévoré par l’échec de sa carrière. Très vite, elle se mutile, encouragée par les multiples voix qui lui dictent ses actes.

Les esprits sont les narrateurs d’Eaudouce, premier roman très remarqué auxEtats­Unis à sa parution, en 2018. Son auteur, Akwaeke Emezi, né au Nigeriaen 1987 d’un père nigérian et d’une mère malaisienne, se définit comme noir,trans et non binaire, et se vit comme étant plusieurs. Dans Eau douce, qui tire une part de sa puissance et de sa singula­rité de sa biographie, Akwaeke Emezi fait le choix de mettre de côté la vision occi­dentale de la sexualité et des troubles de la personnalité au profit du regard ances­tral igbo. Un peu à la manière de son compatriote Chigozie Obioma dans La Prière des oiseaux (Buchet­Chastel, 2020, lire « Le Monde des livres » du 3 janvier), oùun esprit narrateur igbo sonde le carac­tère aliénant d’une histoire d’amour.

Loin du continent africainEt si les esprits qui habitent Ada

n’étaient pas une manifestation de sa folie, mais des recours qui l’aident à s’ac­cepter ? C’est l’une des questions stimu­lantes que pose Akwaeke Emezi dans ce roman d’apprentissage hors norme. A16 ans, l’héroïne paraît reprendre le contrôle de sa vie. Elle part étudier aux Etats­Unis. Loin du continent africain, lespuissances igbo enragent, leur pouvoir s’amenuise. La transplantation d’Ada en Virginie agit pareillement sur le genre duroman, qui, dans sa deuxième partie, joue avec les codes du campus novel et duroman de l’acculturation. Le passagemontrant Ada se faisant lisser les

cheveux « jusqu’à ce qu’ils soient définis etraides comme des baguettes » fait assuré­ment écho à la scène du salon afro­amé­ricain dans Americanah, le roman phé­nomène de Chimamanda Ngozi Adichie(Gallimard, 2015). Plus loin, lorsque Adas’étonne que la fille qui tient le fer à lisserchante en chœur les publicités qui pas­sent à la télé, cette dernière lui répond : « Ne t’en fais pas (…). Quand tu auraspassé un moment ici, toi aussi tu chante­ras tous les jingles. »

Akwaeke Emezi distille quelque chosed’inquiétant, de légèrement étrange qui vient déconstruire l’univers d’innocence heureuse et aseptisée des universités américaines, d’une manière qui n’est pas sans rappeler La Couronne verte et Les Re­venants, de Laura Kasischke (Christian Bourgois, 2008 et 2011). Ada change, « en­dossant le rôle d’une fille normale à la fac ».Des deux expériences qu’elle aura avec leshommes, l’une se soldera par un viol, l’autre par une relation toxique, loin des images cauteleuses des bals de promo.

C’est en accouchant d’un esprit quel’héroïne parviendra à surmonter son traumatisme. Asughara est un « og­banje », une créature de Dieu qui exerce ses pouvoirs sur les mortels, et nuit pour le plaisir. « J’étais la fureur sous sa peau, la

peau faite arme, l’arme brandie sur la chair. J’étais là. Plus personne ne la tou­cherait jamais », prévient­il.

Excès de fantasmagorieSous son emprise, Ada change d’appa­

rence, devenant une mangeuse d’hom­mes sans scrupule. La dernière partie du récit bascule dans une grande noirceur, étouffante, au risque de nous perdre par excès de fantasmagorie. Toutefois, il est impossible d’abandonner Ada qui, par ses blessures, son indécision et ses vai­nes tentatives, évoque une héroïne de roman de formation classique – on penseà Judith Earle dans Poussière, de Rosa­mond Lehmann (Plon, 1929). Ou à ces personnages aux vies spirituelles inten­ses que la littérature gothique dépeintcomme folles. « Le monde dans ma tête a toujours été bien plus réel que celui du de­hors », conclut Ada dans une de ses rares et lucides interventions.

Rituel nocturne près de Benin City, au Nigeria, en 1982. PETER MARLOW/MAGNUM PHOTOS

eau douce (Freshwater), d’Akwaeke Emezi, traduit de l’anglais (Nigeria) par Marguerite Capelle, Gallimard, « Du monde entier », 256 p., 20,50 €, numérique 15 €.

Le charme un peu passé d’Elena FerrantePortraits de femmes ciselés et Naples en toile de fond. Le talent est là, guère la surprise

florence noiville

F rantumaglia. C’est ainsique la mystérieuse écri­vaine italienne ElenaFerrante avait intitulé sa

réflexion sur la création roma­nesque : un texte subtil et pleind’élan, sous­titré L’écriture et ma vie (Gallimard, 2019), où elle revenait notamment sur les grandes figures littéraires fémi­nines qu’elle affectionne, VirginiaWoolf, Anna Maria Ortese, Elsa Morante… Dans le dialecte napo­litain jadis utilisé par sa mère, ce terme étrange désigne « des mor­ceaux qui font du bruit dans latête et vous mettent mal à l’aise ».

Ce mal­être « frantuma­gliesque », indistinct et diffus,Ferrante nous en livre un bel échantillon dans son nouveau ro­man, La Vie mensongère des adul­tes. Dès l’incipit, il est là qui trou­ble et paralyse Giovanna, la jeune narratrice. « En réalité, je ne suis

rien, rien qui soit vraiment à moi, rien qui ait vraiment commencé ou vraiment abouti : je ne suisqu’un écheveau emmêlé dont per­sonne ne sait, pas même celle quiécrit en ce moment, s’il contient le juste fil d’un récit, ou si tout n’estque douleur confuse, sans ré­demption possible. »

Dans la tête de Giovanna,12 ans, ces « morceaux » com­mencent à s’entrechoquer le jouroù elle intercepte une conversa­tion qu’elle n’aurait pas dû enten­dre, et au cours de laquelle sonpère, discutant à mi­voix avec sa mère, assène tout de go que Gio­vanna est laide. Pas à cause de l’adolescence ou de quelque in­gratitude passagère, mais parcequ’elle est, dit­il, en train de pren­dre les traits de sa sœur, Vittoria.Or, d’aussi loin que Giovanna sesouvienne, cette tante, Zia Vitto­ria, « alliance parfaite de la lai­deur et du Mal », a toujours pro­voqué chez ses parents le dégoût et la peur. Pourquoi ? La jeune fille l’ignore, mais, après un mo­ment de désespoir, elle se per­suade que son seul salut estd’aller voir à quoi ressemble

réellement cette Zia Vittoria dontla photo a disparu dans les al­bums de famille et qu’elle n’a pas vue depuis longtemps.

Regard sur le mondeAprès L’Amour harcelant, Les

Jours de mon abandon ou la célè­bre tétralogie de L’Amie prodi­gieuse (tous chez Gallimard, 1995, 2004, et 2014­2018), La Vie men­songère des adultes est le hui­tième roman traduit d’Elena Ferrante. On y trouve, comme toujours chez cette talentueuse dentellière, des portraits fémi­nins découpés et ciselés – celui deGiovanna et de ses deux amies, mais aussi et surtout celui de cette tante, qui jure comme uncharretier en n’épargnant per­sonne, mais dont le charme agit immédiatement sur sa nièce.

Au point que Vittoria devientbientôt indispensable pour des­siller son regard sur le monde, lestrahisons des adultes, les hypo­crisies de ses parents et les se­crets de sa famille. (« Vittoria di­sait que j’avais des œillères,comme les chevaux, je regardaismais ne voyais pas (…). Regarde,

regarde, regarde, martelait­elle. »)Comme toujours aussi chez

Elena Ferrante, Naples est là, enarrière­fond décrépit et sublime, avec ses murs bleus ou jaunâtres et ses chiens hurlant derrière laCinquecento de Zia Vittoria, dansles ruelles lépreuses de la ville.Cela suffit­il à Ferrante pour trou­ver et tirer « le juste fil d’un récit » ?En dépit de ces ingrédients fami­liers, quelque chose ne « prend » pas dans ce roman d’initiationpourtant lancé à grand renfort demarketing, en novembre 2019, par l’éditeur romain e/o et déjà acheté par Netflix. On ne s’atta­che ni ne s’émeut réellement. Et l’on reste finalement à la porte, oscillant entre le doute, le regret et la frantumaglia.

la vie mensongère des adultes(La vita bugiarda degli adulti),d’Elena Ferrante,traduit de l’italien par Elsa Damien, Gallimard, « Du monde entier », 416 p., 22 €, numérique 16 €.Signalons, de la même autrice, la parution en poche de L’Amour harcelant, traduit par Jean­Noël Schifano, 224 p., 7,50 €.

“C’est un recueil passionnant et joyeux. Voilàun livre qui m’a épaté.”

François Busnel,France 5 “La Grande Librairie”

“Une telle excursion offre relief et profondeur,confère poésie autant qu’espièglerie, sous laplume d’un érudit de première.”

Antoine Perraud, La Croix

ALBERTO MANGUEL

UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws

Page 32: Le Monde - 12 06 2020

UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws

Page 33: Le Monde - 12 06 2020

UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws

Page 34: Le Monde - 12 06 2020

UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws

Page 35: Le Monde - 12 06 2020

0123Vendredi 12 juin 2020 Mélange des genres | 9

POÉSIE

Tout un monde de nuagesLe temps ne passe pas, il aide à faire passer. Il y a déjà bien desannées, Enza Palamara était frappée d’un deuil très doulou­reux puis, comme s’il fallait qu’elle fût atteinte à son tour, elleétait tombée gravement malade. La vocation de cette univer­sitaire sensible avait toujours consisté à recueillir les motsdes poètes. A cheminer avec eux à la recherche de ces « passages secrets » entre poésie et peinture.Et voilà qu’elle se retrouvait dans un terrible vide, sans possi­bilité, sans capacité de lire, les phrases empêchées, enferméedans l’impouvoir. Sur des carnets, de sa main gauche, elleavait alors commencé à ébaucher des dessins dont, peu à peu,elle était parvenue à recueillir l’essence. Ecrire, réécrire, deve­nant ainsi une tentative de traduction. Elle poursuit cette

quête, commencée avec Rassembler les traitsépars (Orizons, 2008). Dans ce nouveau« cahier d’heures », elle est « Errante/ par lesnuages ». Au creux des images, dans l’em­brouillement des lignes, se révèle un autre étatde conscience, d’appartenance au monde queles mots maintenant accompagnent. Et « Leschemins/ s’ouvrent/ légers ». Ainsi passent lesnuages. xavier houssin Ce que dit le nuage, d’Enza Palamara, Poésis, 192 p., 19 €.

Magique marivaudage

B A N D E D E S S I N É E

Les violences racistes des années 1970 ? Très sale ambiance, que Dominique Manotti rappelle crûment dans « Marseille 73 »

Au temps honni des ratonnades

abel mestre

C e sont des crimes racistesoubliés, voire occultés. DansMarseille 73, passionnant polar,Dominique Manotti revient sur

les agressions et les meurtres de Magh­rébins qui ont eu lieu dans le sud dela France au début des années 1970. En 1972, les circulaires Marcellin­Fonta­net imposent aux immigrés d’avoir un contrat de travail et un logement décent pour pouvoir rester légalement sur le territoire français. Cette volonté de régu­ler l’immigration s’explique par la fin des« trente glorieuses » et la hausse du chô­mage. C’est aussi le moment de la nais­sance du Front national. L’un des grou­puscules à l’origine de ce parti, les néo­fascistes d’Ordre nouveau, lance à cemoment­là une campagne contre « l’im­migration sauvage », avant d’être dissous à l’été 1973.

Sur le pourtour méditerranéen, lacolère monte. Dix ans après la guerred’Algérie (1954­1962), la société méri­dionale est encore fortement marquéepar le conflit, avec, à la fois, une forte population pied­noir et de nombreuxtravailleurs nord­africains. Du jour au lendemain, des milliers d’entre ces der­niers deviennent expulsables. En signede protestation, une manifestation est organisée à Grasse, en juin 1973, par les travailleurs tunisiens. Hervé de Fontmi­chel, maire centriste de la ville, ne l’ac­cepte pas et fait intervenir les forces de l’ordre. Dans la soirée, des habitants se mettent à « chasser » les immigrés. La « ratonnade de Grasse » commence.

Une affaire pour Théodore DaquinLoin d’être un incident isolé, cette nuit

de violence déclenche une série d’atta­ques xénophobes dont l’épicentre se si­tue à Marseille. En six mois, plus de cin­quante Maghrébins sont tués, dont une vingtaine dans la cité phocéenne. C’est ledécor du roman de Manotti, qui s’inspirede cet épisode historique en mêlant per­sonnages réels et héros de fiction.

On retrouve dans Marseille 73 le per­sonnage fétiche de l’autrice, Théodore Daquin. Il vient de boucler une grosseaffaire (Or noir, Gallimard, 2015, premier volume de ces préquelles aux romans ayant rendu célèbre le héros de Manotti),mais goûte peu aux plaisirs de la

Canebière. L’ambiance macho etsurtout la menace de voir sonhomosexualité révélée au grandjour le poussent au départ. Le ra­cisme, qui infuse partout, le dé­goûte. « Daquin jette un dernierregard sur le Vieux­Port à sespieds, l’eau glauque, immobile, les

quais déserts, pas un bruit, pas un mouve­ment, la vie est suspendue. La ville ne res­pire plus. (…) Elle attend, elle pue le sang. »

Il lui faudra résoudre une ultime en­quête. Un jeune d’origine algérienne a été tué en pleine rue, quelques heuresaprès l’enterrement d’un traminot égorgé par un déséquilibré arabe. La justice et la police veulent étouffer

l’affaire. Pas Daquin ni ses hommes, qui devront enquêter en sous­marin pour contourner l’influence des anciens com­battants et sympathisants de l’Organi­sation de l’armée secrète (OAS, groupeterroriste d’extrême droite opposé à l’indépendance de l’Algérie) parmi lesforces de l’ordre.

Comme son héros, Manotti travaille « àl’ancienne ». Phrases courtes, ultra­des­criptives, fil rouge politique… Les livres de cette agrégée d’histoire, colauréate duGrand Prix de littérature policièreen 2011 pour L’Honorable Société (avec DOA, « Série noire »), s’inscrivent dans l’héritage du néopolar français. Notam­ment des romans de Didier Daeninckx (Meurtres pour mémoire, Gallimard, 1983), qui ont contribué à faire connaître les ratonnades d’octobre 1961 à Paris, et ceux de Frédéric H. Fajardie (1947­2008)pour la description d’une police raciste et corrompue. Une veine devenue rare,que l’on prend plaisir à retrouver.

marseille 73, de Dominique Manotti, Les Arènes, 384 p., 20 €, numérique 15 €.

macha séry

H iver 1748, dans l’ouestde la Virginie. Le froid,la faim, les attaques deloups ou d’ours, sans

compter la variole qui rôde, les hussards français et les tribus in­diennes qui massacrent colons et trappeurs… Les chances de survie dans ces montagnes enneigées sont, comme les températures,rudement basses.

Pour Della, une sang­mêlé quis’est échappée d’un sordide bor­del, le bébé qu’elle vient de mettreau monde dans une cabane cer­née par les congères n’aura proba­blement que quelques jours à vi­vre. « Vaut mieux pas trop comp­ter que la vie prenne racine dans ces contrées. »

Reathel, le voyageur en perdi­tion qui a tué l’homme avec lequelDella s’était enfuie, prend vite conscience que la jeune mère est recherchée. Missionnés par un médecin militaire, deux frères mercenaires, une brute borgne et un adepte de l’opium et du lau­danum, la traquent. Car l’enfant deDella, comme tous les enfants de prostituées, a été promis à Black

Hécatombe pionnièreL’homme est à la fois un loup et un ours pour l’homme dans la glaciale Amérique anglaise. Alex Taylor, cruel

Tooth, le chef des Shawnees, afin qu’il épargne Fort Bannock, un casernement anglais où, les routesde ravitaillement étant coupées, les réserves s’amenuisent tragi­quement. Pourtant Reathel, jeune veuf dont la femme et le fils ont été emportés par la maladie, va escorter l’énigmatique Della dans son périple vers la liberté, au prix d’une terrible hécatombe.

Sang et jus de tabacTandis qu’un grésil glacial s’abat

sur ces étendues sauvages et qu’une ourse furieuse suit à la trace ceux qui s’aventurent dans les sentiers escarpés, les esprits s’échauffent, les mousquets péta­radent. Le blanc de la neige sera taché du jus noir du tabac et du sang de pionniers échoués enenfer. Avec ce thriller proche de l’épure, le styliste du Verger de marbre (Gallmeister, Grand Prix du roman noir étranger deBeaune 2017) signe un cruel ro­man d’aventures rappelant le film The Revenant, d’AlejandroGonzalez Iñarritu (2016).

le sang ne suffit pas (Blood Speeds the Traveler), d’Alex Taylor, traduit de l’anglais (Etats­Unis) par Anatole Pons­Reumaux, Gallmeister, 316 p., 23 €, numérique 16 €.

N O I R H I S T O R I Q U E

A Marseille. RIJASOLO/RIJASOLO/RIVA PRESS

P O L A R H I S T O R I Q U E

MORT BRUTALEMENT À L’ÂGE DE 49 ANS, en février, le scéna­riste et coloriste Hubert a laissé deux albums posthumes, dont cette fable joliment écrite sur le thème du genre. L’action se déroule pendant la Renaissance italienne, dans une petite ville qu’un curé fanatique entend soumettre au joug de la pudi­bonderie. Sa sœur, Bianca, ne veut pas du mariage arrangé que sa famille bourgeoise a prévu pour elle. Sa marraine lui confie alors une tunique magique, une « peau d’homme » lui permet­tant de voyager incognito dans le monde du sexe opposé, et faire ainsi la connaissance de Giovanni, son futur époux. L’homosexualité dissimulée de ce dernier ne sera pas la plus curieuse des découvertes que va faire l’héroïne devenue héros. Prise de conscience de la sexualité, libération des mœurs, tyrannie de la morale religieuse, acceptation de la marginalité… Soutenu par le trait faussement innocent de Zanzim, ce mari­vaudage fantastique réexamine des questionnements éternels, pour mieux porter le fer dans l’épiderme de l’époque actuelle. frédéric potet Peau d’homme, d’Hubert (scénario) et Zanzim (dessin), Glénat, 160 p., 27 €, numérique 19 €.

GLÉNAT

Terres et cieux rebellesDes déesses capricieuses, un dragon mélomane et uneconfrérie d’assassins… Le premier tome de l’ambitieux cyclede l’Américaine Jenn Lyons est résolument épique. Le Fléaudes rois raconte l’histoire d’un adolescent déraciné, Kihrin,musicien le jour et voleur la nuit. Recherché par de puissantsmages, à la suite d’une invocation démoniaque à laquelle iln’aurait pas dû assister, il devient la cible d’une machinationpolitique. Pour fuir l’empire de Quur et son destin, Kihrinembarque dans une aventure ponctuée de meurtres et de tra­hisons. Ce faisant, il s’engage dans un face­à­face douloureuxavec son passé, sur fond d’apocalypse, de prophétie sanglanteet de rébellions célestes. Dans cet exigeant roman d’epicfantasy porté par une narration à trois voix, l’autrice subver­

tit astucieusement les canons du genre et bâtit ununivers dense, peuplé de personnages vibrants,délicieusement cruels et attachants. Malgréquelques circonvolutions accessoires, Le Fléau desrois propulse Jenn Lyons dans la liste des auteurs àsuivre. elisa thévenet Le Fléau des rois. Le chœur des dragons, tome I (The Ruin of Kings. A Chorus of Dragons I), de Jenn Lyons, traduit de l’anglais (Etats­Unis) par Louise Malagoli, Bragelonne, 696 p., 25 €, numérique 13 €.

FANTASY

Magie du jeuDans l’empire des Sicles, secoué par des intrigues politiques,où la méfiance divise les peuples, Moïra peine à trouver saplace. A la mort de son père, la jeune princesse, intuitive ettéméraire, se lance sur les traces de son frère disparu. Unemission diplomatique devenue une quête intime à la découverte des forces qui traversent le monde. Au contactde mystérieux voyageurs à la peau tatouée, sa vie bascule.Enrôlée dans un jeu de stratégie où l’expertise des carto­graphes se conjugue à la puissance des principes célestes,

Moïra s’affirme. Dans ce roman ingénieux, à l’oréede la fantasy classique, Léo Henry réalise un subtilpas de côté. L’intrigue déploie ses ailes avecdélicatesse, en trois mouvements millimétrés.Une exploration initiatique de soi et de l’autre.L’auteur français sculpte avec poésie un univers oùle murmure devient la plus puissante des armes.Une incursion réussie sur les terres impitoyablesdes dragons. e. th. Thecel, de Léo Henry, Folio, « SF », inédit, 304 p., 8,50 €, numérique 8,50 €.

Kristell Guével-DelaruePréface d’Alain Fischer

Se vacciner contre les idées reçues

En librairie20 € • 208 pages

presses.ehesp.fr

Collection « VADEMECUM PRO »

UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws

Page 36: Le Monde - 12 06 2020

UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws