le monde - 12 06 2020
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2 | INTERNATIONAL VENDREDI 12 JUIN 20200123
Donald Trump dans une mauvaise passeEn chute dans les sondages, le président américain mise sur la reprise de l’économie pour rebondir
washington correspondant
D onald Trump attendait cet instant avecimpatience. Les meetings politiques qui
lui donnent l’occasion de galvaniser sa base électorale reprendront le 19 juin à Tulsa, dans l’Oklahoma, atil annoncé, mercredi 10 juin. Il n’a donné aucuneindication à propos d’éventuelles mesures visant à réduire lesrisques de contamination alors que la pandémie de Covid19progresse dans des Etats jusqu’à présent épargnés.
Le président des EtatsUnis espère à cette occasion sortir de la posture défensive à laquelle il aété contraint depuis l’éclatementde la maladie, en mars, jusqu’aux manifestations contre les violences policières déclenchées par la mort tragique de George Floyd,un AfroAméricain étouffé le25 mai par le genou d’un policier de Minneapolis (Minnesota) alorsqu’il gisait au sol, menotté.
Son image a été abîmée par cestrois mois de crise. Selon l’agrégateur de sondages du site RealClearPolitics, son taux d’approbation a chuté de 47 % à 42 % pendant cette période alors que lesavis contraires ont augmenté dans la même proportion. Lesmoyennes des mesures d’intentions de vote calculées par RealClearPolitics montrent que son
adversaire démocrate, Joe Biden, dispose, au 10 juin, d’une avance deux fois supérieure à celle d’Hillary Clinton à la même date en 2016 (8,1 points contre 3,8).
Ces résultats sont purementindicatifs puisque les élections sejouent au niveau des Etats, maisl’ancien viceprésident devanceégalement pour l’instant son adversaire dans la majorité des Etatsclés de 2016 – le Michigan, laPennsylvanie et le Wisconsin –, tout comme dans l’ancienbastion républicain de l’Arizona.L’écart entre les deux hommes reste cependant proche de la marge d’erreur dans de nombreuses enquêtes.
Rencontre improviséeLa cote d’alerte est donc loin d’être atteinte, mais Donald Trump n’est visiblement pas àson aise dans la séquence ouvertepar la mort de George Floyd. Le président a, dans un premier temps, dénoncé le rôle majeur joué, selon lui, par l’extrême gauche dans les troubles qui ontémaillé les premières manifestations, une accusation que rien n’est vraiment venu étayer. Il l’a reprise pourtant pour exonérer les policiers qui avaient bousculé un manifestant de 75 ans à Buffalo, dans l’Etat de New York,hospitalisé depuis. Donald Trump s’est inspiré à cette occasion des affirmations d’un
journaliste de l’agence de presse russe Sputnik, qui travaille également pour la chaîne de télévisionpréférée du président, OAN (One America News), depuis qu’iltrouve Fox News parfois tropcritique. Il a ajouté que le manifestant était selon lui « tombé plusdurement qu’il avait été poussé », l’indice selon lui d’un « piège »tendu aux policiers.
Donald Trump a été ensuitecritiqué pour avoir privilégié uneréponse strictement répressiveà la mobilisation déclenchée parla mort de George Floyd, niant à rebours de l’opinion américaine toute forme de racismesystémique. La Maison Blanchea laissé entendre que le président pourrait prononcer undiscours consacré à ce sujet, peutêtre lors d’un déplacementà Dallas, au Texas, jeudi.
Une table ronde avec des figuresafroaméricaines a bien été improvisée, mercredi, mais Donald Trump a ouvert la discussion en annonçant la reprise de ses meetings, l’éventualité du déplacement de la convention nationale d’investiture républicaine – initialement prévue en Caroline du Nord –, avant de se féliciter longuement des signes annonciateurs, selon lui, d’une reprise de l’économie. Ses interlocuteurscomptaient parmi ses thuriféraires. « Je voudrais dire à tous les médias que j’aimerais qu’ils
cessent de mentir sur ce que [le président a] fait, en particulier pour la communauté noire », a assuré l’un d’entre eux.
L’évolution rapide de l’opinionaméricaine sur la question des violences policières ne cesse deplacer Donald Trump en porteàfaux. Il s’est indigné du revirement du patron de la NationalFootball League (NFL), RogerGoodell, désormais ouvert à ceque les joueurs de la ligue professionnelle de football américain expriment publiquement leur condamnation de ces violences.
Enfin, la National Associationfor Stock Car Auto Racing (Nascar), qui organise un championnat automobile très populaire, a banni, mercredi, « la présence du drapeau des confédérés », celui des Etats sudistes esclavagistes pendant la guerre de Sécession (18611865), pour tous les événements qu’elle organise.
« Manque de respect »Donald Trump s’est singularisé en annonçant, mercredi, surTwitter, son intention de s’opposer à l’hypothèse envisagée par lePentagone de rebaptiser lesbases militaires portant le nomd’officiers confédérés. Unebonne partie d’entre elles ont étécréées au pic du mouvement ditde la « cause perdue » consacré à la réhabilitation des Sudistes,pendant les années de la ségrégation. Les statues en hommage àces hommes se sont égalementmultipliées au cours de la mêmepériode. Un ancien général,David Petraeus, a pris publiquement position en faveur d’unchangement de nom dans lescolonnes du magazine TheAtlantic, dénonçant l’honneurfait selon lui à des « traîtres ».
La porteparole du président,Kayleigh McEnany, a défendu Donald Trump en assurant qu’une telle décision revenait à
« manquer de respect » visàvisdes militaires qui sont passés par ces bases. Le président avait défendu cette mémoire sudisteaprès les heurts qui avaient opposé à Charlottesville (Virginie) des suprémacistes blancs et des militants antiracistes, en 2017.
D’anciens militaires, commel’exministre de la défense JamesMattis, avaient également critiqué la volonté du président d’envoyer l’armée contre les manifestants, un vœu qui avait suscité unréel malaise au Pentagone.
Les difficultés rencontrées parDonald Trump n’ont cependantpas ébranlé sa base électorale, etrares ont été les voix au Congrèsà condamner la théorie ducomplot popularisée par le président à propos du manifestant deBuffalo. Interrogés par le journaliste parlementaire de la chaîneCNN Manu Raju, de nombreuxsénateurs ont ainsi assuré, mardi, n’en avoir pas eu connaissance. Ils ont de même refusé delire la copie du message qui avaitété préparé à leur intention.
Comme l’a montré la teneur deson intervention lors de la tableronde de mercredi, DonaldTrump espère que la reprise del’économie lui permettra d’effacer cette période délicate. L’effondrement entraîné par la miseà l’arrêt du pays du fait de la pandémie peut jouer paradoxa
lement en sa faveur, en replaçantles préoccupations économiques en tête des priorités desAméricains.
Le baromètre de l’institut Ipsospour l’agence de presse Reutersen atteste. Sa dernière enquête, effectuée les 8 et 9 juin, montre que l’économie est redevenue lesujet de préoccupation principal (20 %) devant la santé (18 %), longtemps dominante, l’emploi (10 %), l’immigration (6 %) et leterrorisme (3 %). Alors que les démocrates continuent de considérer la santé comme une priorité, ce n’est pas le cas des républicains ni des indépendants.
Image favorable sur l’économieDonald Trump jouit en la matière d’une image favorable. Son action pour l’économie estapprouvée par une majorité depersonnes interrogées (50 %contre 44 % d’avis opposés), toutcomme en matière d’emploi (52 % contre 42 %). En revanche, ilest minoritaire à propos de lalutte contre le Covid19 (43 %contre 52 %), de la réforme de la santé (40 % contre 53 %), et plusencore sur sa « capacité à unifierle pays » (38 % contre 57 %).
Donald Trump a donc toutesles raisons de se concentrersur ce domaine même si les prévisions de la Réserve fédéraleaméricaine (Fed, la banque centrale) communiquées mercredi10 juin ne nourrissent pas unoptimisme échevelé. Pour l’instant supérieur à 13 %, le tauxde chômage pourrait en effetdépasser encore 9 % à la fin del’année, et 5 % en 2022, soit unchiffre plus élevé que celui dontDonald Trump avait hérité en arrivant à la Maison Blanche (4,5 %)en 2017. La bonne santé persistante de l’économie avait ensuitepermis d’atteindre un étiagehistorique de 3,5 %.
gilles paris
Donald Trump rentre à la Maison Blancheaprès s’être rendu à l’église SaintJohn, à Washington, le 1er juin.BRENDAN SMIALOWSKI/AFP
Selon un agrégateur de
sondages, le tauxd’approbation
de Donald Trump a chuté de 47 %
à 42 % entre mars et mai
Si la cote d’alerteest loin d’être
atteinte,le président n’est
pas à son aise dans la séquence
ouvertepar la mort
de George Floyd
Des statues de Christophe Colomb ciblées par des manifestantsUne statue de Christophe Colomb a été décapitée, mardi 9 juin au soir, à Boston, et une autre traînée dans un lac en Virginie, dans la foulée du mouvement antiraciste relancé aux Etats-Unis par la mort de George Floyd, le 25 mai. De son côté, la présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, a appelé, mercredi, au retrait des statues de confédérés du Capitole, à Washington. « J’appelle encore une fois à retirer du Capitole les onze statues représentant des soldats et des responsables confédérés », a tweeté l’élue démocrate de Californie.
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0123VENDREDI 12 JUIN 2020 international | 3
« Le statu quo n’est pas tenable » au sein des VingtSept sur l’asileNina Gregori, la directrice du Bureau européen sur l’asile, défend une refonte du système
ENTRETIEN
N ina Gregori est directricede l’EASO, le Bureaueuropéen d’appui en
matière d’asile. Elle estime que lesflux de réfugiés vers l’Europe pourraient augmenter en raison de la pandémie due au Covid19.
Quel a été l’impact du Covid19 sur l’asile en Europe ?
Le nombre de demandes d’asileenregistrées en Europe a chuté de 43 % en mars et de 86 % en avril, avec 8 730 demandes. A cause de lacrise, les entrées en Europe ont étépratiquement stoppées et, dans la plupart des Etats, les procédures d’asile ont été suspendues. Leschoses sont en train de reprendre doucement. Si on regarde la situation avant la crise due au Covid19,il y avait plutôt une augmentationdes demandes de protection en Europe, principalement du fait de ressortissants de pays exemptés de visa, comme les Vénézuéliens et les Colombiens. Alors qu’ily a quelques années, ces pays n’étaient pas dans le top 10 des demandes d’asile, plus de 45 600 Vénézuéliens et 32 400 Colombiens ont déposé une demande en 2019.
Comment voyezvous la demande de protection évoluer à moyen terme ?
Les pays à faibles revenus sontplus vulnérables face aux pandémies. Et ce sont des pays dont sonttraditionnellement originaires les principaux demandeurs d’asile enEurope, comme la Syrie, l’Afghanistan, l’Irak ou le Pakistan. On ne peut pas faire de spéculation, maisles Etats membres doivent être attentifs au fait que cela peut faire augmenter les flux vers l’Europe.
La crise sanitaire peutelle remettre en cause la capacité d’accueil des pays de première entrée en Europe ?
En 2019, l’Espagne a reçu le troisième plus grand nombre de demandes d’asile, la Grèce le quatrième et l’Italie le sixième. Malte, qui a la plus petite population de l’UE, s’est retrouvé au 15e rang. Je rejette l’idée selon laquelle les pays en première lignene sont pas ouverts. La situation sur le terrain dit le contraire et,bien qu’il y ait toujours des événements regrettables très médiatisés, tels que des bateaux de migrants qui restent bloqués, la réalité est que les Etats en première ligne font largement de leur mieux.
Je ne pense pas que le Covid19aura un impact direct immédiat sur les attitudes envers la migration et l’asile. Il pourrait, cependant, inciter à accorder plus de valeur à la vie humaine, contrant ainsi les discours extrémistes. Dans le même temps, ses retombées économiques pourraient exercer encore plus de pression sur les finances nationales, au détriment des services d’asile et des structures d’accueil. Il est encore trop tôt pour le dire.
Il n’existe toujours pas de cadre légal de répartition des migrants secourus en mer Méditerranée…
C’est un blocage politique. DesEtats veulent un système obligatoire de relocalisation, d’autres non ; certains veulent faire respecter le règlement de Dublin [selon
lequel le pays d’entrée est chargé d’examiner la demande de protection], d’autres considèrent qu’il nefonctionne pas… Il n’y a pas d’approche commune sur l’asile. Ces différences de perception sont notamment liées aux positions géographiques des Etats. Ceux de première entrée sont soumis à une forte pression. La Commission doit proposer un nouveau paquet européen sur l’asile prochainement. Les Etats membres peuventtrouver un compromis.
Ce que l’UE fait ici est sans précédent dans le monde. L’élaborationd’un régime d’asile commun juridiquement contraignant pour 27 pays n’a jamais été réalisée auparavant. Trois éléments sont essentiels pour le futur « paquet asile ». Il doit d’abord être juste. Lestatu quo n’est pas tenable. Tout comme les Etats membres se sontréunis pendant la crise, ce doitêtre le cas ici aussi. Le fait de ne pasavoir de solution équitable nuira non seulement à ceux qui fuient les guerres et la persécution, mais également au projet européen.
Le deuxième élément important est que ce pacte doit être durable. Nous ne savons pas comment évoluera la sécurité internationale au cours des prochaines années et nous devons donc disposer d’un système qui puisse s’adapter. Si ce sont actuellement les Etats du Bassin méditerranéenqui sont en première ligne, rien negarantit que ce sera le cas à l’avenir. Un système d’asile durable estun système d’assurance pour tousles Etats membres. Enfin, il devras’agir d’un compromis. Il est clairqu’il n’y a pas de solution dont tout le monde sera entièrement satisfait. Il vaut mieux avancer lentement que pas du tout.
Les équipes de l’EASO contribuent à l’harmonisation des systèmes d’asile en Europe. Que doiton attendre d’une telle convergence ?
L’harmonisation des procédures d’asile signifie que si un Afghan demande l’asile à Malte, il recevra le même résultat à sademande que s’il avait fait une demande en France. Aujourd’hui, le taux de protection d’unAfghan s’établit à 64 % en Angleterre, mais atteint 93 % en Italie.
L’impact principal de l’harmonisation est qu’elle contribue à éliminer ce que l’on appelle le « shopping de l’asile », par lequel un migrant cherche à faire sa demande dans un Etat membre qui offre le résultat le plus avantageux. Cela ouvre également la porte à une solidarité plus facile au sein de l’UE ellemême. Même au niveau politique, cela signifie que les taux de reconnaissance étant similaires, les citoyens ne pensent pas que leur pays applique aux demandeurs d’asile des normes différentes de celles d’un autre pays.
L’UE a réalisé des progrès aucours de la dernière décennie. Cela est notamment dû à la formation intensive que l’EASO a dispensée aux fonctionnaires nationaux ou aux documents sources qui fournissent des informations standardisées sur la situation dans les pays d’origine. Il reste, bien sûr, encore du travail à faire en matière de convergence.
propos recueillis par julia pascual
A Athènes, la détresse des réfugiés en voie d’expulsion de leur logementLe gouvernement a réduit la durée d’hébergement des étrangers bénéficiant de l’asile
athènes correspondance
V ous êtes désormais responsables de votre vie,vous devez quitter l’ap
partement dont vous avez bénéficié durant votre demande d’asile. »Ces mots résonnent encore cruellement dans la tête de Mohamed AlRifaie, un Syrien de 19 ans qui vit avec sa mère et son frère aînédans un deuxpièces d’un quartier populaire du port du Pirée.
Le 1er juin, l’ONG Nostos qui leuravait attribué le logement dans le cadre du programme d’hébergement Estia géré par le HautCommissariat aux réfugiés (HCR) et financé par la Commission européenne, leur a ordonné de quitter les lieux. Ils avaient déjà reçu unavertissement quinze jours auparavant. « L’ONG nous a prévenus que la police pourrait désormais venir nous déloger. Mais nous n’avons aucune alternative, nousleur avons expliqué que nous ne pouvions pas nous retrouver à larue, surtout en raison des problèmes de santé de mon frère »,constate Mohamed.
Son frère Ahmad, 25 ans, a subiune opération du cerveau à sonarrivée en Grèce il y a trois ans et doit être suivi régulièrement à l’hôpital. L’ONG, qui les emmène habituellement chez les médecins, a arrêté de s’occuper de leur
situation. Leur aide financière demoins de 400 euros a également cessé au début du mois.
Selon une loi votée en novembre 2019 à l’initiative du premier ministre conservateur, Kyriakos Mitsotakis, et appliquée tardivement en raison du Covid19, la période pendant laquelle les réfugiés ayant obtenu l’asile peuventrester dans les appartements mis à leur disposition a été réduite de six à un mois. D’après le ministèredes migrations, quelque 11 200 réfugiés doivent être expulsés de ces logements sociaux, mais aussides camps et des chambres d’hôtel à travers le pays.
« Qu’allons-nous devenir ? »« Ces mesures d’expulsion des réfugiés reconnus sont en fait dans le prolongement de la ligne durechoisie par le gouvernement grec en matière migratoire, soutient Filippa Chatzistavrou, professeure associée en sciences politiques àl’université d’Athènes. L’idée est demontrer aux réfugiés qu’ils ne sontpas les bienvenus en Grèce, d’avoir un effet d’épouvantail sur les candidats à l’asile mais aussi de séduire les électeurs attirés par le discours de l’extrême droite. »
Les ONG qui s’occupent de lagestion des appartements se retrouvent dans la délicate situation de déloger les occupants. Cer
taines associations s’y refusentpour l’instant. C’est le cas de Solidarity Now, qui, sur 411 locataires, affirme n’avoir eu que dix départsdepuis le 1er juin. « Une grande majorité sont des réfugiés syriens victimes de stress posttraumatique, des familles, des mères seules avec enfants, des personnes en situation d’handicap », commente Eva Giannakaki, en charge des questions de logement pour l’ONG.
Au deuxième étage de l’immeuble de Mohamed AlRifaie, la situation de la famille Nadaoui, desIrakiens, est elle aussi alarmante. Asil Nadaoui a cinq enfants, dont Maya, 5 ans, qui ne peut s’alimenter qu’à l’aide d’une sonde gastrique. Son mari est, lui, paralysé desjambes. « Nous devons théoriquement partir fin juin… Mais nousn’avons ni travail ni aide financière, qu’allonsnous devenir ? », estime Mustafa, l’aîné de 20 ans.
Le gouvernement grec soutientque les réfugiés expulsés peuvent postuler à un autre programme, « Helios », mis en place par l’OIM (Organisation internationale pourles migrations), afin de bénéficier de cours de grec et d’une allocation pour leur logement. Mais il nepermet pour le moment de soutenir que 3 500 personnes et les démarches administratives sont lourdes, comme le constate Nahla Salama, une Syrienne de Rakka,
qui doit quitter son studio du centre d’Athènes début juillet : « Il fautd’abord signer un contrat de location pour ensuite obtenir l’aide de l’OIM. Or, les propriétaires demandent deux loyers d’avance, une somme trop importante pour moi, et sont souvent réticents à louer aux étrangers… », soupire la jeune femme de 26 ans, veuve et mère d’une enfant de 3 ans.
Les autorités estiment pourtantque cette politique est nécessairepour faire de la place aux nouveaux arrivants : « Les camps des îles du nord de la mer Egée sont débordés [environ 32 500 demandeurs d’asile pour une capacité de6 000 places], il est indispensablede poursuivre les transferts pour les plus vulnérables et de leur faire bénéficier de ces logements », sejustifie Manos Logothetis, secrétaire général chargé de l’asile au ministère grec de l’immigration.
Mais au lieu d’augmenter la capacité d’accueil sur le continent, comme le recommande le HCR, le gouvernement veut fermer des camps : « Avec la diminution des arrivées sur les îles ces derniers mois et l’accélération des examens des demandes d’asile, nous pouvons envisager la fermeture de camps en 2020 », a déclaré mardi le ministre des migrations, Notis Mitarachi, sur la chaîne Open.
marina rafenberg
Le « pacte migratoire », un dossier sensible pour l’Allemagne et l’UELa Commission plaide pour une « politique réaliste » de l’immigration
bruxelles bureau européen
C’ est le brouillon de cequi devait être l’unedes grandes priorités de la Commis
sion européenne. Avant la pandémie de Covid19, la nécessité de relancer l’économie, les désaccords sur le futur budget de l’Union oul’enlisement de la négociation surle Brexit. Le « Pacte pour la migration », annoncé dès son entrée en fonctions par la présidente Ursulavon der Leyen, reste sans doute un sujet important pour les VingtSept, mais la future présidence allemande de l’Union − le 1er juillet pour six mois − ne devrait pas mettre ce texte d’une vingtaine de pages, lu par Le Monde, en tête de son agenda. « Il y a bien d’autres soucis et, en outre,les positions politiques n’ont pas bougé », résume un diplomate.
Annoncée pour le premier trimestre de 2020, sans doute dévoilée officiellement à la fin dudeuxième, l’initiative des commissaires Margaritis Schinas (promotion du mode de vie européen) et Ylva Johansson (affaires intérieures) vise à régler un débat miné, depuis des années, par un défaut de solidarité entre les pays. Avec certains dirigeantsqui prospèrent grâce à leur refus obstiné d’accueillir des « migrants » qui sont souvent des demandeurs d’asile et des réfugiés.
« Outils pratiques »Ce texte pourraitil faire cesserles polémiques qui ont marqué l’actualité depuis 2015 ? Elles portaient sur l’accueil des demandeurs, les règles divergentes qui régissent l’asile selon les Etats, le règlement de Dublin qui oblige le premier pays d’entrée dans l’Union à se charger de l’instruction des dossiers, ou encore les mécanismes de débarquement
des migrants secourus en mer. Pour Bruxelles, le moment est venu de poser les bases d’un débatserein, alors que le nombre d’arrivées irrégulières dans l’UE est à son niveau le plus bas depuis 2014 et que, comme le mentionne le document, « il est temps de se référer aux faits plus qu’aux perceptions ».
Selon ce projet de texte « confidentiel » actuellement en discussion avec les capitales, les ressortissants de pays tiers comptent actuellement pour 4,4 % de la population totale de l’UE, la migration restera un phénomène durable etelle serait parfaitement gérable dans le cadre d’un système efficace et résilient. En outre, soulignele texte, une Europe vieillissante et en manque de maind’œuvre spécialisée aurait intérêt à « attirerceux dont elle a besoin pour lacompétitivité de son économie et lemaintien de son bienêtre ». Sur ce point comme sur d’autres, le document note toutefois prudemment « certaines hésitations ».
La Commission prône « une politique réaliste, qui ne crée ni faux espoirs ni effets d’aspiration ». Tout en respectant le devoir humanitaire et le principe de nonrefoulement, cette politique devrait donc souligner aussi la nécessité d’une gestion des retours plus efficace, alors que 66 % des demandes d’asile ont été rejetées par les pays membres en 2019 et
qu’un tiers seulement des personnes déboutées quittent effectivement le territoire.
La Commission suggère trois« outils pratiques » à mettre en œuvre parallèlement : des partenariats internationaux « robustes » avec les pays d’origine ou detransit, des frontières extérieures mieux surveillées et des procédures plus efficaces et plus rapides.
Les accords conclus avec le Maroc, le Niger et surtout la Turquie, devraient ainsi être maintenus et étendus. La Tunisie, l’Ethiopie, l’Irak, le Bangladesh ou les paysdes Balkans devraient recevoir desinvestissements et de l’argent afinde développer la lutte contre la migration irrégulière, contrôler leursfrontières et réadmettre leurs nationaux. Le Liban, l’Egypte ou la Jordanie, qui accueillent de nombreux réfugiés, devraient bénéficier d’aides accrues dans le cadre de la hausse d’un budget « Asile et migration » que Bruxelles espère voir passer de 12 à 32 milliards d’euros (sur la période 2020/2027).
Débat « épidermique »Aux frontières extérieures, le renforcement de l’agence Frontex, couplé au développement des techniques d’intelligence artificielle − prévu, au mieux, pour20232025 –, devrait permettredes contrôles plus efficaces et unelutte renforcée contre les réseaux qui acheminent aujourd’hui quelque 90 % des clandestins versles portes de l’Europe. Bruxelles prône aussi la généralisation desprocédures dites d’« asile à lafrontière », à savoir des méthodes d’examen rapide des demandes.
Pas de quoi, toutefois, calmer ledébat qu’un diplomate décrit comme « épidermique » sur deuxquestionsclés et indissociables : la solidarité pour l’accueil − le texte préfère d’ailleurs évoquer « une vraie responsabilité parta
gée » − et les dispositions du règlement de Dublin, jugées insupportables par les pays du Sud, l’Italie, la Grèce ou Malte, qui exigent unerépartition de la charge.
Si la Commission évoque lanécessité d’une politique « coordonnée, harmonisée, stratégique », les pays du Groupe de Visegrad − Hongrie, Pologne, République tchèque, Slovaquie – campentsur leur refus obstiné d’accueillirtout étranger issu d’un pays tiers. L’Autriche, les PaysBas, le Danemark ont, eux, développé des politiques restrictives. Et un groupelimité (France, Allemagne, Portugal, Irlande, Suède, Luxembourg) est prêt à ouvrir une discussion, tout en sachant que ces pays ont accueilli quelque 90 % des « réinstallations » depuis 2015. Soit environ 100 000 personnes, alors que les Nations unies chiffrent les besoins à 1,44 million de places d’accueil pour la seule année 2020…
La Commission est donc à larecherche d’un compromis que pourrait endosser la présidenceallemande, avec différents scénarios possibles (une pression migratoire faible, intense ou très intense), qui entraînerait un engagement à géométrie variable des différents Etats membres. Il lui reste à trouver la « masse critique » de pays qui accepteraient des relocalisations, tandis que les autres seraient contraints de les aider financièrement − et massivement.
« On pourrait accorder des dérogations à certains et les obligeren même temps à “passer à la caisse”. Mais il reste encore à trouver les pays acceptant d’accueillir et, dans le contexte actuel, on n’y est vraiment pas », juge un expert.Avec, à la clé, une seule certitude : Berlin ne s’engagera pas dans une discussion qui révélerait, unefois encore, des divisions béantes au sein de l’Union.
jeanpierre stroobants
Selon l’UE, une Europe
vieillissante et enmanque de main-
d’œuvre auraitintérêt à « attirer
ceux dont elle a besoin »
« Un système d’asile durableest un système
d’assurance pour tous les
Etats membres »
« Le Covid-19 pourrait inciter à accorder plus
de valeur à la vie humaine »
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4 | international VENDREDI 12 JUIN 20200123
Au Nicaragua, l’inaction « irrationnelle » face au Covid19Une dizaine de médecins hospitaliers, qui alertaient sur la gestion désastreuse de la pandémie par le régime Ortega, ont été licenciés
V oici ma lettre de licenciement, et il n’y figureaucune raison valable !De toute ma vie profes
sionnelle, je n’ai jamais eu ne seraitce qu’un avertissement. »Maria Nela Escoto Lopez, anesthésiste de l’hôpital LeninFonseca, à Managua, s’étrangle d’indignation sur une vidéo publiée mardi 9 juin sur les réseaux sociaux, après avoir appris son renvoi du jour au lendemain. « Je fais partie de ces personnes qui ont donné de la voix et qui ont réclaméce qui est juste », continuetelle,masquée et en blouse blanche.
Alors que la situation sanitaires’est aggravée de manière exponentielle au Nicaragua ces dernières semaines, une dizaine de médecins qui, comme elle, avaient critiqué l’inaction du gouvernement pour lutter contre l’épidémie de Covid19, ont été licenciés,mardi, des établissements publics où ils exerçaient.
Tous avaient signé, le 28 mai,aux côtés de 700 autres médecins, une lettre ouverte alertantsur la quasisaturation du système de santé public « avec uneforte probabilité d’effondrement dans les prochains jours » et « unrisque de mort élevé pour la population », réclamant des équipements de protection pour le personnel médical. « L’Etat continuede ne pas appliquer les mesuresqui permettraient de contrôlerl’éruption, ignorant de manière indolente la réalité de la pandémie dans notre pays », ajoutaientles médecins.
« Représailles »Le gouvernement de DanielOrtega, au pouvoir depuis 2007et qui fait face à un mouvement de contestation – réprimé dans lesang – depuis deux ans, a refuséde confiner la population ou defermer les écoles et a, au contraire, promu des manifestationsde masse depuis le début de l’épidémie. Une marche de solidarité
s’appelait même « L’amour auxtemps du Covid19 »…
La veille du licenciement desdix médecins, un des principaux infectiologues du pays (qui n’en compte que cinq), Carlos Quant, avait aussi été brutalement mis àla porte de l’hôpital RobertoCalderon de Managua. « Ce sont desreprésailles de la part du ministèrede la santé », assuretil. Signatairede la tribune de 700 médecins, Carlos Quant fait partie du comité scientifique multidisciplinaire mis en place par une douzaine de spécialistes de la santé pour conseiller la population sur la manière de prévenir les contaminations, et très critique du manque du gouvernement.
L’Observatoire citoyen Covid19,une plateforme indépendantecréée pour suivre l’évolution de lapandémie, dénombrait, lui, plusde 5 000 cas et 1 000 morts au 3 juin, pour une population de 6 millions d’habitants, alors que les autorités reconnaissaient, le 9 juin, 55 morts pour 1 354 cas.
Les médecins sont aux premières loges de l’épidémie. L’Observatoire citoyen recense 48 mortssuspectes du Covid19 parmi le personnel soignant. « Dans monhôpital, six membres du corps médical sont morts du virus, s’indigne Carlos Quant, et au moins 50 % en médecine interne sont ou ont été malades. » Jusqu’à il y a un mois et demi, le ministère de la santé avait interdit aux médecins de porter des masques et desgants dans les hôpitaux pour ne pas alarmer les patients. « C’est encore le cas dans deux hôpitauxhors de Managua », précise l’épidémiologiste Leonel Argüello, membre du comité scientifique multidisciplinaire.
L’épidémie touche tout le pays.Et si les hôpitaux ne sont pas encore arrivés à saturation, « c’est parce que le taux de mortalité esttrès élevé et que les lits se libèrent », soupire Carlos Quant. Beaucoup de patients préfèrent
également quitter les lieux « pouraller mourir chez eux ».
De nombreuses vidéos circulentsur les réseaux sociaux et les médias d’opposition, montrant des « enterrements express », de jour comme de nuit, des cercueils sortant directement des hôpitaux, entourés de personnel en combinaison complète et escortés par des policiers. Les vidéos ont fait réagir la viceprésidente et épouse du président Ortega, Rosario Murillo, qui dénonce ceux qui « prétendent créer de fausses réalités en utilisant des vidéos d’autres pays, en faisant croire qu’il s’agit devidéos du Nicaragua ». Le couple présidentiel n’a pas été vu hors de sa résidence d’El Carmen depuis au moins quatre mois.
Le gouvernement justifie sa décision de ne pas décréter de confinement par la nécessité de protéger l’économie. Dans un Livreblanc rendu public fin mai, le ministère de la santé souligne sa« stratégie d’équilibre entre la pandémie et l’économie », dans un pays où « 40 % de la population vità la campagne et 80 % des travailleurs des zones urbaines travaillent de manière informelle ».
« Une chose est ne pas vouloir paralyser l’économie, une autre estcelle de promouvoir des rassemblements de masse, dénonce Carlos Quant. On aurait pu au moins fermer les écoles et les universités, prendre des mesures graduelles qui n’auraient pas signifié l’arrêt total de l’économie. »
L’inaction du gouvernement estd’autant plus « irrationnelle », con
sidère l’épidémiologiste Leonel Argüello, que le virus semble ne pas avoir épargné le régime. Une vingtaine de ministres, conseillers présidentiels, députés, maires ou dirigeants du Front sandiniste de libération nationale (FSLN), le parti au pouvoir, auraient succombé du Covid19ces dernières semaines. Tous se souviennent de la manière dont Edwin Castro, président du groupeparlementaire du FSLN, s’était moqué de députés de l’opposition arrivés masqués dans l’hémicycledébut mars. Trois mois plus tard, Edwin Castro était hospitalisépendant deux semaines avec des symptômes de la maladie.
« Enterrement express »Ce fut ensuite le tour du ministre des télécommunications, Orlando Castillo – sous le coup de sanctions imposées par Washington pour son rôle dans la répression de manifestants et de médiasen 2018 –, et du maire de Masaya, Orlando Noguera – qui avait menéd’une main de fer l’étouffement de la contestation dans sa ville –, tous deux décédés début juin dans des unités hospitalières consacrées au Covid19. Noguera a en outre été inhumé lors d’un « enterrement express ».
Face à la situation, trentequatreassociations médicales ont publiéun appel, le 1er juin, à un confinement volontaire de la population « pendant trois ou quatre semaines », demandant des mesures « àgrande échelle ». Un appel soutenu par le secteur privé, mais relativement peu suivi. « La majorité de la population s’en tient aux médias officiels aux mains du gouvernement ou de la famille du président », regrette Leonel Argüello,qui craint que la courbe ascendante de cas ne se maintienne pendant au moins six mois. « La situation, alerte Carlos Quant, neva pas devenir catastrophique, mais apocalyptique. »
angeline montoya
L’enquête Palme bouclée, la Suède déçueLes critiques se multiplient après l’identification du meurtrier de l’ancien premier ministre
malmö (suède) correspondante régionale
D es témoignages contradictoires, un récit en décalage avec celui des té
moins sur place et l’envie constante d’interférer dans l’enquête. Voilà les éléments qui ont conduit,mercredi 10 juin, le procureur Krister Petersson, chargé du dossier depuis 2017, à désigner Stig Engström comme le meurtrier présumé du premier ministre Olof Palme, tué en plein centre de Stockholm, le 28 février 1986. Trentequatre ans que les Suédois attendaient ce moment. Mais l’annoncea suscité un mélange de déceptionet de colère, accompagné du sentiment d’un immense gâchis.
En février, le procureur avaitlaissé entendre qu’il pourrait présenter des preuves concrètes. Mercredi, il a admis que les éléments à charge contre le graphiste, âgé de52 ans au moment des faits, « n’auraient pas suffi à le mettre en examen », mais qu’ils auraient permis de l’interpeller et de le placer en détention provisoire.
Ce ne sera pas possible. Stig Engström s’est suicidé en juin 2000. Néen 1934 en Inde, à Bombay, où son père travaillait comme ingénieur,
il est envoyé en Suède à 12 ans. Il seretrouve dans un pensionnat à Stockholm, le même qu’Olof Palme a fréquenté quelques années plus tôt. Stig Engström travaille dans l’armée, puis à la radio suédoise, avant d’être embauché par la compagnie d’assurances Skandia. Divorcé, puis remarié, sans enfant, il est engagé au Parti conservateur et évolue dans un milieu où la haine de Palme est la règle. En mars 2018, le journaliste Thomas Pettersson révèle qu’il a appartenu à un club de tir et fréquenté un collectionneur d’armes.
« Sûrs de rien »Hans Melander, chef du « groupePalme », composé de quatre policiers, confirme au Monde que lesenquêteurs « ne sont sûrs de rien »,mais mentionne des « circonstances fortes ». Stig Engström, rappelletil, « avait des difficultés financières, souffrait d’alcoolisme et du sentiment de ne pas avoir accompli ce qu’il aurait dû ».
Le 28 février 1986, à 23 h 19, legraphiste quitte son bureau, àquelques dizaines de mètres dulieu du meurtre. Olof Palme est tué deux minutes plus tard.Le lendemain, Stig Engström contacte la police et le journal
Svenska Dagbladet. Il dit avoir parlé avec la femme du premier ministre, Lisbeth Palme − qui dément. Il identifie un suspect, « avec une veste bleue ».
Pour les policiers, il s’agit d’undes témoins que Stig Engström nepeut pas avoir vu de l’endroit où ilaffirme se trouver. Il s’empresse aussi de mettre en garde les enquêteurs : il craint que les personnes sur place l’aient pris pour letueur et que les policiers partent sur une mauvaise piste. « Si on était conspirationniste ou cynique, on peut se dire que c’est trèsintelligent de la part d’un meurtrier », a noté, mercredi, le procureur. Durant des années, Stig Engström continuera de donnerdes interviews, clamant que la police ne l’a pas pris au sérieux. Il témoignera même au procès de Christer Pettersson, condamné en première instance pour lemeurtre, puis relaxé en appel.
Des policiers le voient commeune piste sérieuse. Hans Holmer,le chef de la police de Stockholm,obsédé par le Parti des travailleurs kurdes, l’écarte. Il faut attendre 2017 pour que « Skandiamannen » − « l’homme de Skandia », surnom d’Engström − devienne le suspect principal,
quand le « groupe Palme » reprend l’enquête à zéro.
En 1994, IngaBritt Ahlenius,haut fonctionnaire, avait siégé au sein de la commission d’enquête, chargée par le Parlement d’évaluer le travail de la police. Elle avoue sa déception : « L’histoire netient pas. Ça ne peut pas être aussi simple qu’un pur hasard qui voudrait que Stig Engström, sortant du travail à 23 h 29, une arme dans sa poche, croise Olof Palme dans larue et décide de le tuer. » Pour le journaliste Gunnar Wall, auteur d’ouvrages sur le sujet, « cette conclusion choquante est dans la lignée de ce qu’a été l’enquête, un immense échec pour notre système judiciaire ». En Suède, la critique est massive contre ce qui estprésenté comme un « fiasco ».
Regrettant l’absence de condamnation, le premier ministre socialdémocrate, Stefan Löfven, a affirmé, mercredi, que l’enquête pourrait reprendre si des informations sérieuses faisaient surface. D’une immense dignité depuis le début, les trois fils d’Olof Palme ont assuré, pour leur part, être convaincus par les arguments du procureur, même s’ils regrettent l’absence de preuves concrètes.
annefrançoise hivert
Le gouvernement ajustifié sa décisionde ne pas confiner
par sa volontéde protéger
l’économie du pays
Au Pérou, l’oxygène se vendà prix d’or au marché noir
C’ est un « crime », une « trahison à la patrie ». Pilar Mazzetti, médecin et présidente du dénommé « commando Covid19 » chargé de la lutte contre l’épidémie,
n’a pas de mots assez durs pour qualifier la spéculation sur les prix de l’oxygène, tandis que le Pérou est confronté à une inquiétante pénurie de gaz médical et que pas loin de 10 000 patients sont actuellement hospitalisés. Deuxième pays le plus touché par le Covid19 en Amérique latine en nombre de cas, après le Brésil, le Pérou a dépassé la barre symbolique des 200 000 malades et 5 903 morts au dernier bilan en date du jeudi 11 juin.
La demande d’oxygène dans les hôpitaux est de 40 % supérieure à la production disponible, selon le président du conseildes ministres, Vicente Zeballos. Actuellement, 216 tonnes d’oxygène sont utilisées chaque jour et il en manque 136 tonnes. Les besoins sont en constante augmentation. Le gouvernement calcule qu’ils seraient de l’ordre de 400 tonnes par jour, d’ici la fin du mois de juin. Des estimations qui cachent une réalité encore plus préoccupante. Selon Cesar Chaname, porteparole de la sécurité sociale Essalud, c’est un « véritable tsunami » qui a déferlésur le pays, avec une augmentation exponentielle de la demandede « 500 % à 600 % » depuis le début de la pandémie.
La pénurie a d’abord frappé la ville d’Iquitos en Amazonie – oùdes médecins avaient tiré le signal d’alarme il y a plusieurs semaines –, puis d’autres régions du nord du pays. Elle touchemaintenant la capitale Lima, où vit un tiers de la population et qui concentre plus de 70 % des cas de malades du Covid19. La
semaine dernière, le gouvernement a annoncé que le Pérouétait arrivé au maximum de saproduction. A Lima, des imagesdiffusées sur les chaînes de télévision nationale montrent des files d’attente de plusieurs dizaines de mètres devant des fournisseurs spécialisés. Les acheteurs sont prêts à patienter desheures, voire toute une nuit,
pour se procurer de l’oxygène pour leurs parents malades. Le marché noir s’est développé et la spéculation va bon train. Selon le bureau du défenseur des droits, le prix du ballon d’oxygène de 10 m3 coûterait entre 3 500 et 6 000 soles, environ 900 à1 500 euros. Un prix multiplié par dix par rapport au début de l’épidémie, dont le premier cas a été recensé le 5 mars. Toutefois, Cesar Chaname tempère : « Le marché noir représente seulement 2 % à 3 % de l’oxygène en circulation. »
Un rapport publié le 6 juin par le défenseur des droits, WalterGutierrez, accuse le gouvernement du président Martin Vizcarrade ne pas avoir anticipé, alors qu’il avait été informé fin avril de lapénurie à venir. Jeudi 4 juin, le gouvernement a enfin décrété desmesures d’urgence. L’oxygène a été qualifié de « bien public » et de « ressource d’intérêt stratégique ». Le décret ordonne de donner la priorité à l’oxygène médical sur l’oxygène industriel. Mais ces déclarations arrivent tard et sont « insuffisantes », juge WalterGutierrez, pour qui il faut des « mesures contraignantes ».
Avec la reprise de l’économie décidée en juin et le redémarragede certaines activités stratégiques comme le secteur minier et la métallurgie, les besoins en oxygène industriel vont de nouveau augmenter et peser sur le secteur de la santé, s’inquiète le bureaudu défenseur des droits. Le Pérou a annoncé l’importation de gazmédical à ses voisins colombien, équatorien et chilien. « Nous nesommes qu’au début de la crise de l’oxygène, estime Ciro Vargas, médecin épidémiologiste et viceprésident du Collège des médecins, il faut agir dans les plus brefs délais. »
amanda chaparro (lima, correspondance)
SELON UN BILAN ÉTABLI AU 11 JUIN, LE COVID19 A TOUCHÉ PLUS DE 200 000 PERSONNESET FAIT 5 903 MORTS
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0123VENDREDI 12 JUIN 2020 international | 5
En baisse dans les sondages, Erdogan réprimeAlors que l’opinion turque critique la gestion de la crise sanitaire, des journalistes et des députés sont arrêtés
istanbul correspondante
M ilitaires, gendarmes, policiers, journalistes, médecins,députés, le régime
turc a renoué avec les purges ces derniers jours, multipliant les arrestations, les destitutions et les tentatives de restreindre la liberté d’expression, du moins ce qu’il en reste. Mardi 9 juin, 414 personnes ont été arrêtées, des militaires surtout, pour leurs liens présumésavec le mouvement religieux du prédicateur Gülen, accusé d’avoir orchestré la tentative de coup d’État ratée de 2016.
La veille, la police turque a placéen garde à vue deux journalistes dans le cadre d’une enquête pour « espionnage politique et militaire ». Ismail Dukel, le représentant d’Ankara de la chaîne de télévision TelE1, et Müyesser Yildiz,du site d’information OdaTV, ont été interrogés par la police antiterroriste. Ils sont accusés d’avoir diffusé des informations sur la mort, en Libye, d’un officier turc du renseignement.
En mai, six autres journalistesavaient été placés en détention pour la même raison. Ils risquent dixsept ans de prison pour avoir révélé des « secrets d’Etat ». Quatrevingtquinze journalistes sont actuellement emprisonnés en Turquie selon l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. La purge n’a pas épargné les députés de l’opposition. Jeudi dernier, le Parlement turc, dominé par la coalition formée par le Parti de la justice et du développement (AKP, au pouvoir) et le Parti d’action nationaliste (MHP), a déchu de leur mandat trois députés condamnés dans le cadre de différents procès.
Obsession du contrôleEnis Berberoglu, du Parti républicain du peuple (CHP, centre gauche, laïque) ainsi que Leyla Güvenet Musa Farisogullari, du Parti démocratique des peuples (HDP,gauche, prokurde) ont perdu leur mandat et ne pourront donc plus siéger au Parlement. Dans la foulée, les trois parlementaires déchus ont été arrêtés. Quelquesjours plus tard, deux d’entre eux,Enis Berberoglu et Leyla Güven, ont été relâchés.
Depuis la crise sanitaire liée auCovid19, le corps médical est plusque jamais dans le collimateur des autorités. Ces derniers mois,
des enquêtes judiciaires ont été ouvertes contre plusieurs médecins dans les provinces à majoritékurde de Van, Mardin et Sanliurfa,à l’est et au sud est du pays. Accusés d’avoir suscité « la peur et la panique parmi l’opinion », une accusation brandie contre tousceux qui critiquent la gestion de la crise sanitaire par le gouvernement, ils risquent entre deux et quatre ans de prison.
Le régime n’est pas gêné par le« deux poids deux mesures ». Autant l’opposition se fait tapersur les doigts à la moindre critique, autant les zélotes du pouvoiren place ont toute latitude pours’exprimer, y compris lorsqu’ils appellent au meurtre.
Le 9 mai, Sevda Noyan, unecommentatrice de la chaîne ÜlkeTV, a déclaré que sa famille « était prête à tuer cinquante personnes »pour sauver Erdogan. « Ma liste est prête. Quatre à cinq de mes voisins y figurent », s’estelle vantée.Interrogé par des journalistes soucieux de savoir si ce genre dediscours ne constituait pas une
infraction, Ebubekir Sahin, le directeur du RTÜK (l’équivalent duCSA en France), a répondu qu’il « ne fallait pas exagérer ».
La nouvelle vague de répressionintervient alors que le Parlement turc a adopté, jeudi 11 juin au matin, un projet de loi controversé visant à renforcer les prérogativesdes « gardiens de quartier », une police parallèle forte de 28 000 membres. La loi leur permet désormais de fouiller les passants et leurs véhicules, vérifierles identités et, au besoin, utiliser leurs armes. Un autre projet de loien cours d’examen prévoit d’obliger les internautes à se doter d’unnuméro d’identification pour accéder aux réseaux sociaux tels WhatApp, Facebook, Twitter,Instagram. Le gouvernement entend ainsi repérer plus aisément les voix dissonantes et neutraliser la moindre pensée critique.
Cette obsession du contrôle représente l’ultime effort du président turc Recep Tayyip Erdogan pour tenter de renforcer son emprise sur le pays. Et ce, pour une
raison. A en croire les derniers sondages, lui et son parti AKP semblent avoir perdu son pouvoir d’attraction.
Özer Sencar, le directeur de l’institut de sondages Metropoll, l’a confirmé lors d’une interview diffusée mercredi 10 juin sur la télévision en ligne Medyascope : « Selon nos derniers sondages, la popularité de l’AKP est tombée à 30 %. (…). Avec le MHP son partenaire de coalition, l’AKP est créditée de 45 % à 46 % des intentions de vote en vuede la présidentielle [prévue pour 2023]. » Avec l’ancien système parlementaire, 30 % des voix suffisaient à former une majorité.
En 2002, l’AKP a d’ailleurs remporté les législatives avec 34 % des voix, ce qui a permis à Erdogan, son chef, d’être élu premier ministre par le Parlement quelques mois plus tard. Mais depuis la mise en place du nouveau système présidentiel, à l’initiative du numéro un, la barre a été placée plus haut. Le président doit désormais recueillir 51 % des voix pour l’emporter. Une perte de voix de l’ordre de 1 % ou 2 % pourrait suffire à ébranler son assise.
« Perte de leadership »« Les gens sont mécontents d’Erdogan et de son gouvernement en raison de leur mauvaise gestion de la crise due au coronavirus. Aucun filet social n’a été mis en place, la population est déçue. Les enquêtes d’opinion traduisent cette déception », explique Baris Yarkadas, un ancien député du CHP (20152018).L’acharnement du président turc envers les députés, les journalistes, les maires HDP et plus largement envers toutes les voix critiques est, selon lui, « lié à sa perte de
leadership ». Il en est sûr, « Erdoganne supporte pas le fait que deux personnalités du CHP, à savoir le maire d’Ankara, Mansur Yavas, et celui d’Istanbul, Ekrem Imamoglu, affichent des scores de popularité plus élevés que le sien ».
Le facteur économique est déterminant. « Le plus souvent en Turquie, ce sont difficultés économiques qui font chuter les politiciens. Les restrictions en matièrede démocratie et de libertés ne comptent pas aux yeux de l’électorat qui privilégie un pouvoir fort.En revanche, l’économie est primordiale », explique Özer Sencar,de l’institut Metropoll.
Dès lors, l’habillage historicoreligieux prisé par Erdogan pour asseoir sa légitimité ne fonctionne plus. « Evoquer la transformation de la basilique SainteSophie en mosquée pouvait être perçu positivement par la population il y a quelques années, plus aujourd’hui. L’argument est éculé, il n’apporte aucun point de plus à l’AKP », conclut le politologue.
marie jégo
L’Arabie saoudite peine à juguler la pandémie de Covid19Alors que le nombre de cas augmente, Riyad a annoncé de nouvelles restrictions quelques jours à peine après l’allégement du couvrefeu
beyrouth correspondant
E n Arabie saoudite, l’épidémie de Covid19 est têtue.Alors que le processus de
déconfinement a commencé finmai, avec notamment la réouverture des mosquées, le rythme de propagation de la maladie nemontre aucun signe de ralentissement. Au contraire : 3 717 nouvelles contaminations ont été enregistrées sur la seule journée de mercredi 10 juin, un chiffre jamais atteint jusquelà.
Au total, 112 288 cas ont été répertoriés, ce qui fait de l’Arabie saoudite le pays du monde arabele plus touché par la pandémie.Le nombre de décès est également en forte augmentation, avec 36 morts mercredi − alors que la moyenne s’établissaitautour de vingt au début du mois − et un total de 819 décès.
Ces statistiques prennent lesautorités de Riyad à contrepied.La Couronne, impatiente de tourner la page d’une épidémie qui,
couplée à l’effondrement des prixdu pétrole, a eu un impact désastreux sur l’économie locale, se retrouve obligée d’imposer de nouveau des restrictions.
Le couvrefeu, qui avait été levéle 31 mai dans tout le pays entre6 heures et 20 heures, à l’exception de la ville sainte de La Mecque, a été rétabli vendredi 5 juin àpartir de 15 heures à Djedda, legrand port sur la mer Rouge, oùles unités de soins intensifs sontsaturées. Les fonctionnaires, de retour sur leur lieu de travail depuis à peine une semaine, ont étérenvoyés à leur domicile et lesprières dans les mosquées ontété de nouveau suspendues.
Lundi 8 juin, un nouveau coupde frein a été donné dans la stratégie de déconfinement : après que des employés de mosquées ont été testés et déclarés positifs auCovid19, 70 lieux de culte supplémentaires ont été fermés. Ces mesures de reconfinement pourraient être étendues à la capitale,Riyad, en raison d’« une augmen
tation continue au cours des derniers jours » des cas critiques selon le ministère de l’intérieur.
La levée des restrictions se voulait pourtant prudente. Dans lesmosquées, pour réduire au maximum le risque de contamination,les exemplaires du Coran, traditionnellement à disposition des croyants, devaient être retirés. Lesfidèles devaient effectuer leurs ablutions − un rituel de purification − à leur domicile, apporter leur propre tapis de prière et respecter une distance d’au moins
2,5 mètres. En guise de précaution, le gouvernement a aussi ordonné que les mosquées referment leur porte dix minutesaprès la fin de la prière et que lesermon du vendredi ne dure pas plus d’un quart d’heure. Une amende de 1 000 riyals (235 euros)est prévue pour les réfractaires auport du masque, obligatoire enpublic. Sur Twitter, le ministèrede la santé a même précisé, à l’intention des Saoudiennes, que leniqab (voile couvrant le visage à l’exception des yeux) ne pouvaittenir lieu de masque que s’il était constitué de plusieurs couches detissu, solidement maintenues surla bouche et le nez.
« Pas assez de policiers »« Le problème est que ces consignes ne sont pas respectées », déplore un journaliste saoudien,sous le couvert de l’anonymat. Selon cette source, « la décision de déconfiner a été prise sousla pression des milieux religieux, pour lesquels le confinement en
période de ramadan a été difficile à vivre. L’urgence de relancer l’activité économique a pesé aussi, ainsi que des considérations politiques. Il était inconcevable demaintenir les mosquées fermées au moment où la Turquie, legrand rival de l’Arabie, les rouvrait. Mais ici, ce n’est pas Dubaï [un émirat qui a lancé lui aussi ledéconfinement alors que l’épidémie battait son plein]. Le pays est immense, il n’y a pas assez de policiers pour faire respecter les mesures de prudence. »
La suspension de l’oumra, le petit pèlerinage, qui se pratique toute l’année, reste en vigueur. Lepouvoir observe aussi un silence embarrassé sur le hadj, le grandpèlerinage à La Mecque, prévu en théorie fin juillet. A la fin mars, lesdirigeants saoudiens avaient appelé les candidats à ce voyage sacré à suspendre leurs préparatifs, sans toutefois proclamer l’annulation explicite de l’événement,qui a attiré 2,5 millions de musulmans dans le royaume l’année
passé. Les ratés du déconfinement rendent son maintien encore un peu plus improbable.
La lenteur du retour à la normale en Arabie saoudite pèse aussi sur le moral des famillesde prisonniers. C’est le cas desparents de Loujain AlHathloul, une défenseuse des droits des femmes, incarcérée depuis deuxans avec plusieurs autres militantes féministes. Alors que son père et sa mère parvenaientà lui parler environ une fois parsemaine avant la crise sanitaire,depuis un mois, aucune communication téléphonique n’a pu êtreétablie avec elle.
« On a contacté la prison, ni leministère de l’intérieur, ni le ministère de la justice, ni qui que ce soit n’ont pu nous renseigner, témoigne Alia AlAthloul, l’une de ses sœurs. On commence à s’inquiéter. On espère que c’est juste dû à un manque de personnel, du fait de l’épidémie. On veut croire que cen’est pas grave. »
benjamin barthe
« Il était inconcevable
de maintenir les mosquées fermées
au momentoù la Turquie les
rouvrait », expliqueun journaliste
Manifestation à Istanbul, le 6 juin, pour la libération de Leyla Güven, du Parti de la démocratie des peuples (prokurde). Y. AKGUL/AFP
« Aucun filet social n’a été mis
en place, la population est
déçue »BARIS YARKADAS
ancien député du CHP
LE CONTEXTE
RÉOUVERTURERecep Tayyip Erdogan aannoncé, mardi 9 juin, la levée sous conditions du confinement imposé aux seniors et aux jeunes et la réouverture, le 1er juillet,des théâtres et des salles decinéma. La Turquie avait levé,le 1er juin, la plupart des restric-tions en vigueur pour lutter con-tre le Covid-19, qui a fait plus de 4 700 morts sur plus de 173 000 cas recensés dans le pays.Bibliothèques, restaurants et crè-ches ont pu rouvrir et les dépla-cements entre les principalesvilles du pays sont à nouveau autorisés. Les centres commer-ciaux et salons de coiffure ont rouvert depuis mai. Le chef de l’Etat a annulé le confinement imposé uniquement en fin desemaine. L’annonce soudaine,en avril, d’un premier week-end de confinement avait conduità une ruée sur les biens depremière nécessité. Erdogana précisé que la priorité étaitdésormais de ménager une éco-nomie fragilisée par la pandémie.
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6 | PLANÈTE VENDREDI 12 JUIN 20200123
« Nous ne sommes qu’au début de l’épidémie »Le microbiologiste belge Peter Piot estime que l’humanité va devoir apprendre à vivre avec le Covid19
ENTRETIEN
D irecteur de la LondonSchool of Hygiene& Tropical Medicine,le médecin et micro
biologiste belge Peter Piot fut l’undes codécouvreurs du virus Ebola, avant d’être à la tête de l’Onusida (Programme commundes Nations unies sur le VIHsida),de 1995 à 2008. Récemment nommé conseiller de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, pour la recherche sur le nouveau coronavirus, il a été luimême sévèrement touché par le Covid19.
Quel regard portezvous sur la manière dont le monde a réagi face au Covid19 ?
Ce que le Covid19 nous a montré, c’est l’importance d’un leadership et d’un bon système de santé publique préexistant. A part Singapour, Taïwan et Hongkong, tout le monde a sousestimé l’ampleur et la vitesse avec lesquelles levirus pouvait se répandre. Les nations asiatiques avaient conservé le mauvais souvenir de l’épidémie de SRAS [syndrome respiratoire aigu sévère] en 2003 et étaient plussensibilisées. Ils ont réagi en conséquence. Les pays qui ont immédiatement mis en place des dispositifs de dépistage ont eu le moins de décès. L’Allemagne a montré le chemin. Dès fin janvier, elle disposait d’un test diagnostique et n’a pas attendu d’avoir beaucoup de cas pour l’utiliser à grande échelle. Le RoyaumeUni a réagi tardivement et a commencé à parler de mise en quarantaine pour les voyageurs quand le nombre de cas était en diminution. C’était trop et trop tard. En France comme outreManche, les stocks de masques constitués après la pandémie grippale [A(H1N1)] de 20092010 ont disparu des budgets. Et il y a eu un sousinvestissement dans la santé publique.
Vous évoquiez le reflux de la pandémie. Pourrionsnous en être bientôt débarrassés ?
Nous ne sommes qu’au débutde l’épidémie. Il n’y a aucune raison qu’après avoir atteint cetteampleur, elle disparaisse spontanément. Nous n’avons pas encoreune immunité de groupe, même en Suède, où la stratégie misant làdessus a échoué. Ce n’est que dans un an ou deux ans que nous pourrons faire le bilan de la riposte la plus efficace.
La situation dans le monde, mais aussi à l’intérieur des
frontières nationales est hétérogène…
Cette pandémie est un ensemble de nombreuses épidémies locales. Toutes les régions d’un paysne sont pas touchées uniformément. L’action doit donc être locale ou régionale. La majorité des pays relâchent les mesures de distanciation physique. Des flambées épidémiques sont probables, mais pas de grande ampleur dans l’immédiat. Nous ne devons pas adopter une approche « bulldozer » et fermer tous les pays, mais cela suppose un niveau d’information en temps réel, très précis et très local, sur l’épidémie.
Donc, cela implique de vivre avec le Covid19…
Oui, nous devons vivre avec leCovid19, comme nous vivons avec le VIH. Nous devons admettreque l’éradication de ce virus n’est pas réalisable actuellement. La seule maladie infectieuse qui ait été éradiquée est la variole, et nousn’en sommes pas très loin avec la polio. Mais c’est tout. Si nous ne
contrôlons pas le Covid19, le système de santé ne peut fonctionnernormalement. Il nous faut donc une approche de réduction des risques en minimisant l’impact de cette maladie et en réfléchissant à ce que nos sociétés sont prêtes à accepter pour cela.
Il n’est pas possible de revenir aumême confinement, pas tous les deux mois… Il a des effets secondaires énormes et des répercussions sur les autres pathologies : une surmortalité par infarctus du myocarde, AVC, cancer, faute d’accès aux soins essentiels ; il y a unfort retentissement sur la santé
mentale. Sans parler des problèmes économiques. Vivre avec le Covid19, cela signifie trouver des compromis entre la protection de la population et ne pas aggraver les problèmes. Il est nécessaire de modifier les comportements àgrande échelle sur le port du masque, le lavage des mains et la distanciation physique. Dans beaucoup de pays, l’épidémie a surtouttouché les maisons de retraite, les hôpitaux, les foyers des travailleurs du secteur de la santé et les prisons. Nous devons concentrer nos efforts sur ces lieux.
Comment le continent africain vatil faire face à la pandémie ?
Les épidémies voyagent. Il n’y apas de raison que celleci évitel’Afrique. Le Covid19 s’est pas mal implanté, notamment enAfrique du Sud, dans la région duCap, mais ce n’est pas aussi spectaculaire qu’en Europe ou dansles Amériques. Estce une simplequestion de temps ? Le faitd’avoir une population plusjeune, en moyenne, que celle du
Vieux Continent pourrait jouer.Des facteurs climatiques pourraientils atténuer le risque ?Nous l’ignorons. Reste que lesmesures de distanciation physique ne sont pas applicables dansles grands townships, commeKhayelitsha, en Afrique du Sud, Kibera, au Kenya, ou dans lesgrandes villes africaines surpeuplées. C’est le même problème enInde. A Bombay, les cas explosent, certains hôpitaux placentdeux malades par lit…
Que vous inspire la mobilisation internationale pour mettre au point un vaccin ?
Ce qui a déjà été accompli encinq mois est impressionnant. Des laboratoires universitaires ou commerciaux ont commencé à travailler dès janvier. Lors du Forum de Davos [21 au 24 janvier],la Coalition pour les innovations en matière de préparation aux épidémies a accordé des financements à quatre projets de recherche sur les vaccins. Il existe plus d’une centaine d’initatives.
Les PaysBas abattent des visons contaminés par le SARSCoV2Les autorités, qui suspectent que deux personnes ont été infectées par les mustélidés, espèrent prévenir un rebond épidémique
L es autorités sanitairesnéerlandaises procèdent,depuis le 5 juin et pour une
dizaine de jours, à l’abattage de plusieurs milliers de visons, dont une partie a été infectée par le SARSCoV2. Une décision priseen dépit des protestations des associations de protection animale, qui appelaient à isoler strictement les animaux malades plutôt que de tuer toutes les bêtes, et qui provoque la perte d’une saison de travail dans ces élevages. Tandis que l’épidémie de Covid19décroît aux PaysBas, la présence persistante du virus parmi cesanimaux faisait craindre unrebond possible dans la population, les autorités estimant que deux personnes ont pu être contaminées par des mustélidés.
Courant mai, des vétérinaires etéleveurs observent des pneumonies suspectes et une mortalité accrue dans certains élevages situés dans le sudest des PaysBas, une des zones les plus touchéespar le Covid19. Le 19 mai, la présence du virus est confirmée dans trois élevages et des mesures sanitaires y sont décrétées. Le 28 mai, après la découverte d’une quatrième ferme infectée, elles sont étendues à toutes les visonnières néerlandaises : plus aucun transport d’animaux n’est autorisé et un dépistage obligatoire est lancé. Mais entretemps, le virus a pu circuler plusieurs semaines dans ces milieux confinés à forte densité. Au 10 juin, treizeélevages étaient concernés, selon le ministère de l’agriculture.
Aux PaysBas, les élevages de visons vivent leurs dernières heures. Après des années de campagne contre le secteur de la fourrure, le pays a décidé en 2013 d’interdire toute nouvelle installationet de faire cesser l’activité des visonnières existantes d’ici à 2024. Erwin Vermeulen, de l’association Animal Rights, qui a tenté en vainde faire annuler en justice la décision d’abattage, déplore les conditions dans ces élevages. « Les visons vivent dans des cages grillagées, les uns sur les autres, alors quece sont des animaux solitaires. » Avec la fin programmée de cette activité, plus aucun investissement n’a été réalisé ces dernières années dans les installations. Le virus est apparu au printemps auxPaysBas, au moment où les vi
sons mettent bas et les fermes se densifient. « L’élevage de visons est saisonnier, poursuit Erwin Vermeulen. En marsavril, on comptait 800 000 femelles gestantes. Ce sont désormais 4 à 5 millions d’animaux qui vivent dans les élevages. »
Protection immunitaire fragileSelon les comptes rendus des travaux du comité de gestion des zoonoses, les experts estiment que les petits ont reçu des anticorps à la naissance, mais craignent que cette protection immunitaire décroisse au fil des semaines. La découverte de transmissions suspectes à l’homme a fini de convaincre les autorités d’ordonner l’abattage sur toutes les fermes contaminées. Sans pouvoir l’affirmer avec certitude, les
experts du comité de gestion des zoonoses estiment « probable », auvu de l’analyse du séquençage génétique du virus, que les visons aient infecté au moins deux personnes. Cette contamination animalhomme serait la première ainsi observée dans le monde, selon l’Organisation mondiale de la santé – la question de l’origine animale du SARSCoV2 restant, elle, toujours ouverte. « A l’origine, on pense que le virus était différent dans le réservoir animal, relève Sophie Le Poder, professeure de virologie à l’Ecole nationale vétérinaire d’Alfort. Là, on parle du même virus, passant de l’homme au vison puis du vison à l’homme, sans savoir comment précisément. » Pour mieux comprendre les chaînes de transmission, des
analyses sont en cours auprès de la population environnante des visonnières pour retracer l’arbre généalogique du virus.
A l’échelle mondiale de la pandémie, ces visons contaminés restent une exception. « On ne voit pas d’épizootie animale de SARSCoV2, mais des cas sporadiques marginaux par rapport à la contamination humaine », assure Sophie Le Poder. Pour elle, les élevages de visons ont agi à l’instar d’autres milieux clos infectés, tels les bateaux de croisière. Cet épisode vatil accélérer la reconversion des élevages de visons ? Les associations de protection animale l’espèrent ; les éleveurs, eux, n’excluent pas de redémarrer l’activité dans quelques mois.
mathilde gérard
Le conseiller de la présidente de la Commission européenne pour la recherche sur le Covid19, à Londres, le 8 mai. HEIDI LARSON
Une dizaine d’entre elles, peutêtre, aboutiront.
Qu’attendon d’un vaccin contre le Covid19 ?
Son cahier des charges comprend quatre conditions. Le vaccin doit démontrer qu’il protège contre l’infection ou, au moins, atténue les effets de la maladie et réduit le nombre des décès. Cela implique des essais cliniques dansune population où l’incidence duCovid19 soit suffisante. Elle diminue en Europe. Peutêtre au Brésil… Le vaccin doit aussi ne pas avoir d’effets secondaires. Avec une administration à très grande échelle, des effets indésirables rares toucheraient un nombre important de personnes. Une fois ces deux premières conditionsremplies, il ne faut pas espérer une autorisation de mise sur le marché avant 2021.
Troisième condition, des milliards de doses d’un vaccin contre le Covid19 devront être produites. Une capacité de production qui n’existe pas à l’heure actuelle. Il faut investir pour acquérir et construire des unités de production répondant aux normes, avant de savoir si le candidat vaccin va marcher. Enfin, il faut tout faire pour que tous ceux qui ontbesoin du vaccin y aient accès. La collaboration internationale ACT souligne la nécessité d’un accès équitable. C’est très important au moment où l’on voit apparaître un nationalisme vaccinal. DonaldTrump affirme que les vaccins produits aux EtatsUnis seront réservés aux EtatsUnis. Il fautà tout prix éviter cela. Néanmoins, il faudra faire des choixsur les priorités. Cela donnera lieuà des débats très durs tant qu’il y aura une pénurie de vaccins.
Vous avez été atteint du Covid19. Comment avezvous vécu votre maladie ?
C’est une sale maladie, avec desaspects chroniques chez beaucoup de ceux qui l’ont eue. Ironiquement, j’ai passé la plus grande partie de ma vie d’adulte à combattre les virus, à leur mener la viedure. Là, un virus a pris sa revanche sur moi ! C’est quand mêmedifférent quand on en fait l’expérience personnelle : je deviens − pour reprendre une expression néerlandaise − un « expert d’expérience ». Comme cela est devenu habituel dans la lutte contrele sida, il faut impliquer les personnes touchées dans la réponseà cette maladie.
propos recueillis par paul benkimoun
« Il n’est pas possible
de revenir au même
confinement, pas tous
les deux mois »
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0123VENDREDI 12 JUIN 2020 planète | 7
Covid19 : des avocats en quête de victimesCertains auxiliaires de justice opportunistes n’hésitent pas à démarcher des malades
ENQUÊTE
A mesure que l’épidémiede Covid19, qui a causéplus de 29 000 décès enFrance, semble s’étein
dre, des familles endeuillées ou des citoyens ulcérés par la gestion gouvernementale de cette crise sanitaire demandent des comptes. « La judiciarisation est en place,sur le mode américain, notait Roselyne Bachelot, ancienne ministre de la santé aujourd’hui chroniqueuse sur TF1, le 28 mai, ausujet de la dimension judiciaire que prend la pandémie. Il y a des cabinets d’avocats qui se sont fait une spécialité d’aller contacter les malades ».
Dans leur quête de réponses etde vérité, les justiciables ne sont en effet pas seuls. Pris d’une soudaine passion pour la santé publique, nombre d’avocats sesont lancés dans la recherche de victimes pour être parmi les premiers à déposer des plaintes en tout genre. Souvent rédigées à la hâte, cellesci ne reflètent pas forcément les préoccupations desvictimes et risquent de créer delourdes déceptions.
Olivia Mokiejewski, dont lagrandmère est morte du Covid19 à l’hôpital après avoir étécontaminée dans un Etablissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) francilien, a fait l’expérience de l’empressement d’une poignée de ces auxiliaires de justice. « Début avril, sur Facebook, j’aivoulu alerter mes confrères sur lapropagation de l’épidémie et le défaut d’information dramatique dans les maisons de retraite, a expliqué au Monde cette journaliste de 43 ans. Résultat, j’ai été littéralement draguée par une demidouzaine d’avocats insistant pour me rencontrer, me représenter. »
Sites sans contenu réelD’instinct, elle a résisté. Elle s’est alliée à Arnaud Noyer, rencontré àtravers une amie commune et dont la grandmère a aussi succombé du Covid19 dans un Ehpad des AlpesMaritimes. Tousdeux ont fondé, le 5 mai, l’association Collectif 9471, en référenceau nombre de morts recensés dans les Ehpad à cette date. Et, pour déposer plainte, ils ont recruté un conseil soigneusement choisi pour « son approche humaine, sa déontologie et ses tarifs raisonnables ».
Certains avocats sont passés àdes méthodes plus systématiques en créant des sites Internet spécifiques s’affichant comme « associations de victimes ». Des sites au look attrayant, mais dépourvus de contenu réel, à l’opposé de ce que proposent habituellement les associations devictimes. Pas de liste de revendications, de communiqués depresse ou d’interpellation des pouvoirs publics… Tout juste ydemandeton de répondre à un« sondage » ou de laisser un bref« témoignage ». « Ce type deprocédé est un filet pour récolterles adresses mail et l’identité d’adhérents susceptibles de devenir defuturs clients », décrypte unavocat habitué des dossiersjudiciaires de santé publique quia requis l’anonymat.
Avant même de déposer en préfecture les statuts de l’Association française des victimes, malades etimpactés du coronavirusCovid19 (Corona Victimes), qui le désignent comme « dirigeant no 1 », Me JeanBaptiste Soufron, avocat spécialisé dans le droit des startup, a ainsi créé un site. « Monter des associations loi de 1901 et des sites Internet, je sais faire, j’en ai monté 200 », a expliqué au Monde le quadragénaire, qui fut membre de l’équipe de campagne de François Hollande, conseiller de la ministre chargée de l’économie numérique Fleur Pellerin, puis secrétaire général du Conseil national du numérique, après avoir été journaliste et entrepreneur. Me Soufron se dit sensible à la cause des victimes duCovid19 car sa mère a été touchéepar une forme légère du virus.
Le référencement du site enpremière page sur les moteurs de recherche est essentiel pour rallier des victimes. « Ce serait bien sivous pouvez mentionner [son] nom, c’est par là qu’on communique… », n’oublie d’ailleurs pas desuggérer cet expert du numérique. Sur le site de Corona Victimes ne figure aucune information concernant l’identité des autres membres fondateurs de l’association.
Ebranlé par la mort de sa mèredans un Ehpad francilien, le1er avril, après que cette dernière s’était vue refuser un transport àl’hôpital par le SAMU, Gilles, 62 ans – qui préfère conserver l’anonymat –, s’est brièvementfait prendre dans ce « filet », alorsqu’il cherchait à rejoindre Coronavictimes (en un seul mot).Moins bien classée dans les moteurs de recherche, cette dernièreassociation s’était fait connaîtrepar une requête, déposée le2 avril devant le Conseil d’Etat,contre l’inégalité d’accès auxsoins hospitaliers.
Gilles, qui a, depuis, rejointCoronavictimes, explique avoir « contacté par mail, le 8 avril » l’association de Me Soufron, puisl’avoir relancée par deux fois les jours suivants. Un mois et demi plus tard, il a finalement reçu unenewsletter lui proposant de s’associer à une plainte contre le directeur général de la santé, Jérôme Salomon, et de lancer un recours… pour faire annuler les élections municipales. MaisGilles s’y refuse. « L’union fait, certes, la force, mais il n’est pas question pour moi de m’engager dans des procédures tous azimuts que jen’ai pas choisies », confietil.
D’autres avocats ont monté desassociations dont les objectifssont en étroite relation avec les compétences de leur cabinet.
CovidGrand Est, l’AssociationGrandEst des victimes du Covid19, par exemple, qui se définitcomme une « association de droit local » mais dont rien sur son site n’indique qu’elle a été créée par les cabinets de Me Xavier Iochum et Me Laurent Paté. « En ce moment, les gens ont un besoin de droit (…), relève Me Iochum. Alors, on les informe, on leur explique comment bien remplir des reconnaissances en accident du travailou en maladie professionnelle. »
Me Christophe Lèguevaques,installé à Paris et qui dispose d’unassocié à Toulouse, se définit, lui, comme un « activateur de justice ». De longue date, il proposedu « fast droit » sous forme de procédures « standardisées » sur sa plateforme MySMARTcab. Il contourne ainsi l’interdictionfaite aux avocats d’être à l’initiative des « actions de groupe »créées par la loi de 2014 relative à la consommation.
A travers « N’oublions rien »,son site consacré au Covid19, l’avocat invite à répondre à un sondage en laissant obligatoirement son adresse courriel. Et il propose quatre « actions collectives » clé en main en faveur de l’utilisation de « l’hydroxychloroquine et de l’azithromycine etd’autres bithérapies prometteuses contre le Covid19 », qui subissent, selon lui, « un blocage ».
« Détournement de la justice »Ces diverses initiatives sontellesbien conformes au code de déontologie des avocats ? Interrogée, la commission des règles et usages de la profession d’avocat au Conseil national des barreaux ne décèle, « en façade, riende répréhensible » sur ces sites, même si elle considère qu’il faudra « surveiller » le contenu des emails adressés auxadhérents pour s’assurer du « respect du code de déontologie ». Mais qui s’en chargera ?
De son cabinet grenoblois,Me Hervé Gerbi, spécialisé dans l’indemnisation des dommages corporels, observe cette hyperactivité d’une partie de ses pairs avec circonspection. « Chaquejusticiable a une histoire à part, soulignetil. Il s’agit de sonprocès, dans lequel l’avocat est làpour l’accompagner. » Pour lui, le démarchage des victimes à grande échelle est « un manquement à l’obligation de délicatesse et d’indépendance qui interdit à l’avocat de prendre en compte son intérêt personnel ».
Un point de vue partagé pard’autres défenseurs de victimes. Un pénaliste intervenant dansdes dossiers sanitaires d’ampleur, qui a requis l’anonymat, explique : « On est en train de créer des clients qu’on agrègepour inventer des causes. C’estdéontologiquement hors desclous et moralement inacceptable, d’autant que ces plaintes, souvent rédigées à l’emportepièce,sont d’une qualité médiocre. »
Michel Ledoux, avocat des victimes de l’amiante depuis vingtcinq ans, juge, lui aussi, ces méthodes « extrêmement douteuses ». « Les avocats sont au service de l’association pour lui apporter les éclairages juridiques indispensables, pas l’inverse », ditil. Il s’inquiète du décalage entre les promesses faites aux victimes « sur lethème, vous allez voir ce que vous allez voir » et les plaintes déposées précipitamment par des confrères totalement dépourvus d’expérience dans ce type d’affaire. « Le rôle d’un avocat est deconseiller, pas de jeter ses clients contre un mur », insistetil.
Les associations qui accompagnent de longue date les victimes mettent également en gardeles familles en situation de vulnérabilité contre le démarchage par les avocats. Ellesrecommandent notamment de
prendre son temps avant designer une convention d’honoraires et de consulter plusieursconseils ayant déjà fait preuve deleur compétence sur le sujet avant de choisir.
Selon Françoise Rudetzki, grièvement blessée dans l’attentat durestaurant parisien Le Grand Véfour en 1983 et fondatriceen 1986 de l’association d’aideaux victimes SOS Attentats visantaussi à agir auprès des autorités politiques françaises, « le rôle des associations est d’écouter, d’informer et de guider les adhérents afinqu’ils deviennent acteurs de leur propre parcours, pas d’en faire des victimes passives en les entraînantdans des procédures judiciairesdont la conduite leur échappe ».
Michel Parigot, président deCoronavictimes et engagé dansl’aide aux victimes de l’amiantedepuis le début des années 1990,pose la question directement :« Pourquoi se présenter comme association de victimes quand onest un cabinet d’avocats, sinonpour tromper ? » Pour lui, cette
« dérive » est imputable à la récente ouverture de la professiond’avocat « à la publicité et au démarchage ». Et il estime « urgent que le législateur interviennepour la stopper ». « Les avocatsont un monopole de la représentation des victimes devant les tribunaux, mais il ne leur donne pasle droit d’agir par et pour euxmêmes, rappelletil. C’est un détournement de la justice à des fins commerciales, qui instrumentalise les victimes et, au final, déstabilise l’état de droit. »
A la lumière de son expérience,M. Parigot attire l’attention sur les « conséquences dommageables » de la mainmise que tentent d’exercer certains avocats. « En regroupant les victimes sous l’angle extrêmement réducteur de l’action judiciaire, ils empêchent la création de véritables associationsde victimes, capables d’agir en matière de prévention et de peser surles choix de société. Des associations ayant une réelle influence sur la politique menée – commecelles des victimes de l’amiante à la fin des années 1990 – ne pourraient plus émerger dans ce nouveau contexte. »
A l’époque, ces associations ontpu obtenir l’interdiction de l’usagede l’amiante et la création d’un fonds d’indemnisation des victimes de ce matériau cancérogène, influer sur la réglementation de protection des personnes qui y étaient encore exposées, et aussi participer à la gouvernance des agences de sécurité sanitaire.
patricia jolly
« J’ai été littéralement
draguée par unedemi-douzaine
d’avocats insistant pour
me rencontrer »OLIVIA MOKIEJEWSKI
petite-fille d’une victimecontaminée dans un Ehpad
« C’est moralementinacceptable,
d’autant que ces plaintes sont
souvent rédigées à l’emporte-pièce »,
commente un pénaliste
Un fonds d’indemnisation proposéLes députés du groupe socialiste de l’Assemblée nationale ont déposé, mercredi 10 juin, une proposition de loi visant à créer un fonds d’indemnisation pour les victimes du Covid-19, qui serait financé grâce à une contribution de l’Etat et de la branche acci-dent du travail de la Sécurité sociale. Plus ambitieux que la re-connaissance automatique en maladie professionnelle promise, fin mars, par le gouvernement, aux seuls personnels soignants et du ministère de l’intérieur en cas de contamination, ce texte – porté par Christian Hutin et Régis Juanico, apparentés socialis-tes – garantirait la réparation intégrale de leurs préjudices à tou-tes « les personnes connaissant des séquelles temporaires ou défi-nitives du fait de leur infection » ainsi qu’aux « ayants droit des personnes décédées » du Covid-19.
PESTICIDESUn projet de collège proche de vignes abandonnéUn collège de Gironde, dont le projet de reconstruction près d’un vignoble avait suscité l’opposition de riverains et de parents d’élèves en raison de craintes liées aux traitements par les pesticides, sera finalement rebâti ou agrandi ailleurs, a annoncé mercredi 10 juin le conseil départemental. L’emplacement prévu pour accueillir ce collège de Parempuyre jouxtait des vignobles du château ClémentPichon, et devait accueillir 900 élèves. – (AFP.)
SÛRETÉ NUCLÉAIREEDF mis en demeure sur la centrale de GravelinesL’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a mis en demeure EDF de réaliser des travaux d’ici à la fin octobre sur sa centralede Gravelines (Nord) afin de pouvoir faire face à une éventuelle explosion au terminal gazier de Dunkerque, voisin de la centrale, a annoncé l’ASN mercredi 10 juin. Un accident de ce type pourrait entraîner une perte des moyens de refroidissement du combustible.
FAUNEUn ours mâle abattu dans les PyrénéesL’ours brun retrouvé mort mardi 9 juin dans les Pyrénées portait des traces de tir par balle, a annoncé le procureur de Foix mercredi. Une enquête a été ouverte pour « destruction non autorisée d’une espèce protégée », une infraction passible de trois ans de prison et 150 000 euros d’amende. – (AFP.)
PARIS 3e • PARIS 7e • PARIS 12e • PARIS 14e • PARIS 17e • ATHIS-MONS • DOMUS C. CIAL • COIGNIÈRES • HERBLAY/MONTIGNY-LÈS-C.(1)
ORGEVAL • SAINTE-GENEVIÈVE-DES-BOIS • SAINT-MAXIMIN • SURESNES • VAL D’EUROPE C. CIAL /SERRIS • VERSAILLES.
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8 | FRANCE VENDREDI 12 JUIN 20200123
Macron prépare l’après sans changer de capLe président de la République doits’exprimer dimanche 14 juin pour accélérer le déconfinement
E mmanuel Macron a décidé de passer à la vitessesupérieure. Trois moispresque jour pour jour
après avoir décidé de confiner lepays pour lutter contre l’épidémie due au coronavirus, le président de la République s’adressera de nouveau aux Français, dimanche 14 juin à 20 heures. Une quatrième allocution depuis l’Elyséedestinée non plus cette fois à mobiliser pour la « guerre » contre leCovid19 mais à accélérer le déconfinement, alors que les milieux économiques piaffent et que l’épidémie est « contrôlée », comme l’a rappelé le conseil scientifique mercredi 10 juin.
Le président de la Républiqueconsidère en effet que l’urgence économique et sociale a désormais pris le pas sur l’urgence sanitaire. L’impatience perceptible depuis quelques jours chez les Français l’est aussi à l’Elysée, où l’on s’irrite du « défaitisme » manifestépar certains intellectuels et de l’effet ouate crée par le confinement.
Pour repartir de l’avant, Emmanuel Macron veut, au plus vite,donner du sens à la « nouvelle étape de la vie du pays » qui vas’ouvrir à la rentrée de septembre et durer jusqu’à la fin du quinquennat. D’autant que la campagne du second tour des élections municipales s’ouvre lundi 15 juin.
Une « nouvelle étape »« Lors de son allocution, le président va expliquer ce qu’il s’est passé,saluer l’engagement des Français, revenir aussi sur les manquements », énumère un conseiller. Un préalable nécessaire avant de passer à cette fameuse « nouvelle étape », dont il devrait tracer les grandes lignes avant d’en détailler le contenu entre le second tour des municipales et le 14Juillet.
Emmanuel Macron, qui souhaite impulser une relance « écologique et sociale », doit, d’ici là, recevoir les représentants de la convention citoyenne sur le climat et décider de la forme qu’il donnera à leurs propositions − l’hypothèsed’un référendum reste envisagée. Le président doit aussi prendre connaissance des contributions qu’il a demandées aux présidents de l’Assemblée nationale, du Sénat et du Conseil économique, social et environnemental.
En attendant, Emmanuel Macron n’entend pas se laisser emporter trop loin de son port d’attache. En parlant de « nouvelle étape », les hommes du président récusent de fait tout changement de cap. Aux yeux du chef de l’Etat,la politique économique engagée au début du quinquennat était la bonne car elle avait permis, avant le confinement, de rétablir l’at
tractivité et de faire substantiellement baisser le chômage. Hors dequestion, donc, de revenir sur les baisses d’impôts engagées depuisle début du mandat ou de créerune imposition sur les riches, comme le réclame la gauche.
Le chef de l’Etat ne veut pas nonplus d’un Grenelle des salaires quiaboutirait, selon lui, à renforcer l’avantage de ceux qui ont un emploi au détriment de ceux qui vont le perdre et de ceux qui n’en ont pas. Dans le secteur privé, il préfère jouer sur l’intéressement et la participation, au risque de créer des frustrations dans les entreprises qui n’auront pas immédiatement les moyens de la verser. Dans ses échanges avec ses proches, l’intégration des « outsiders » revient comme un leitmotiv, de même que la lutte contre les corporatismes, deux points qui ne sont pas sans rappeler sa campagne présidentielle de 2017.
Signe de cette résolution, le président de la République a fait savoir qu’il n’entendait pas non plusabandonner l’idée de la retraite
par points, qui a pourtant suscité une très forte crispation socialeces derniers mois. A ses proches, ilfait valoir qu’elle serait particulièrement avantageuse pour les « premiers de corvée », les caissières, les livreurs, les éboueurs, tousceux qui ont tenu le pays pendantla crise. Il estime qu’elle a encore une chance d’être comprise, pourvu que du temps soit laissé aux partenaires sociaux et que ses dispositions les plus clivantes,comme l’âge pivot, soient remisessur la table de négociation.
On l’aura compris, c’est essentiellement sur la méthode qu’Em
manuel Macron devrait promettre du changement. Accusé de concentrer les pouvoirs, il se diten petit comité prêt à partager laresponsabilité avec les partenaires sociaux et les élus locaux. Pourle jacobin Macron qui promet de se « réinventer », cela équivaut à une révolution copernicienne.Encore fautil que les partenaires saisissent la balle au bond. Pas facile, alors que la présidentielle de 2022, déjà dans toutes les têtes,aiguise les appétits et freine toute velléité de concorde nationale.
Alors que la question du chômage va dominer toutes les autres, l’Elysée met en avant le modèle de « flexisécurité » qu’il tente, depuis quelques semaines, d’impulser avec les partenaires sociaux à l’occasion des plans de soutien aux secteurs en difficultés : sauvegarde autant que possible de l’emploi contre modération salariale et développement de la formation. Une politique ouvertement inspirée des réformes Hartz menées en Allemagne au début des années 2000, qui ont permis à
nos voisins de retrouver le pleinemploi après la réunification. Prenant appui sur les négociations menées par l’Union des industrieset métiers de la métallurgie, le président espère un accord interprofessionnel et des négociations par branche et par entreprise.
Partager le fardeauAvec les collectivités locales, Emmanuel Macron se dit égalementprêt à partager le fardeau. Il dit ressentir ce que le général de Gaulle avait éprouvé en 1969 et que François Mitterrand avait compris en 1981 : l’excès de tension sur le sommet conduit à demander toutet son contraire au président de la République, au point de fragiliser la fonction et, avec elle, la démocratie. Pour détendre l’élastique, il se dit prêt à mieux répartir « lescharges et les pouvoirs », mais à condition que l’élu local soit prêt àendosser la responsabilité pleine et entière des compétences qui luiseront dévolues.
En attendant, l’Elysée mise surun mouvement de déconcentra
tion pour remettre au niveau du département les compétences administratives qui y ont été détruites au rythme des différentes révisions des politiques publiques. Endégonflant les effectifs parisiens au bénéfice du reste de la France, Emmanuel Macron espère redorer le blason d’un Etat central vécucomme lointain et tatillon.
Mais atil les moyens, à cet instant du mandat, de créer un large mouvement de délocalisation ? Au fil de son quinquennat, le président a pu mesurer comme nombre de ses prédécesseurs, combience qu’il appelle « l’Etat profond » lui résistait. La réforme de l’ENA, qu’il avait souhaitée après le mouvement des « gilets jaunes », n’est toujours pas faite. Il veut la remettre en chantier, en répétant à ses proches qu’il est là pour « secouer ». Avec toujours Edouard Philippe à la tête du gouvernement ? Le président le répète : c’estla ligne politique qui fait le choix des hommes, pas l’inverse.
françoise fressozet cédric pietralunga
L’Elysée veut répondre au malêtre d’une partie de la jeunesseLors de sa prochaine allocution, M. Macron adressera un message aux jeunes qui se rassemblent contre le racisme et les violences policières
J usqu’ici silencieux sur lemouvement de protestationcontre les violences policièreset le racisme, Emmanuel Ma
cron devrait s’exprimer sur le sujetdimanche 14 juin, lors de son allocution. L’occasion d’apparaître en père de la nation, alors que les manifestations se multiplient et que certains craignent des débordements lors du rassemblement qui doit se tenir samedi 13 juin, à Paris,à l’appel de la famille d’Adama Traoré. « Le président va montrerqu’il est le président de tous les Français, qu’il considère et protège tous les enfants de la République », estime un proche soutien.
Au sein de l’exécutif, on necache plus la crainte de voir se
lever un vent de révolte au sein dela jeunesse. Si les EtatsUnis nesont pas la France, l’affaire GeorgeFloyd sert de vecteur au malêtre de la partie la plus jeune de la population, estimeton à l’Elysée.
« On a fait vivre à la jeunessequelque chose de terrible à travers le confinement : on a interrompu leurs études, ils ont des angoisses sur leurs examens, leurs diplômes et leur entrée dans l’emploi. Il est normal qu’ils trouvent dans la lutte contre le racisme un idéal, un universalisme », répète M. Macronà ses interlocuteurs. Pour le chef de l’Etat, le confinement a étépénalisant avant tout pour lesjeunes, alors qu’il a d’abord été décidé pour protéger les plus
âgés, davantage exposés au coronavirus. Un paradoxe qui, si l’onn’y prend garde, pourrait déboucher sur un « conflit de générations », craint Emmanuel Macron.
La maxime du dentifriceLe président partage les analysesde ceux qui estiment que la génération de Mai 68 est responsable d’un certain nombre de maux du pays mais aussi du monde, notamment en matière d’écologie. « Il ne faut pas perdre la jeunesse », résumeton au sommetde l’Etat, où l’on répète à l’envi la maxime du dentifrice, qui veut qu’une fois les lycéens ou les étudiants sortis dans la rue, il est difficile de les faire rentrer chez eux.
Le risque est d’autant plus grandpour la République que la menacesécessionniste est réelle au sein du pays, affirmeton au sein de l’exécutif. Pour le chef de l’Etat, l’affaire George Floyd entre en résonance avec un passé colonial non encore digéré. « La guerre d’Algérie reste un impensé », aime répéter le locataire de l’Elysée, qui a tenté à plusieurs reprises de faire évoluer les mentalités sur ce sujet mais dit se heurter à l’absence d’interlocuteurs. « Il y a tout un travail à faire avec les historiens, mais cela prend du temps », expliqueton au cabinet présidentiel.
De la même façon, le chef del’Etat tient des propos très durscontre une partie des élites qui
se trompe de combat en raisonnant sur le plan des communautés. « Le monde universitaire a été coupable. Il a encouragé l’ethnicisation de la question sociale en pensant que c’était un bon filon. Or, le débouché ne peut être que sécessionniste. Cela revient à casserla République en deux », estime enprivé le chef de l’Etat, qui soulignenotamment les ambivalences desdiscours racisés ou sur l’intersectionnalité. Pas question de déboulonner les statues au nom de la lutte contre le racisme, comme certains le réclament pour cellede Colbert à l’Assemblée nationale. « Effacer les traces ne traitepas le traumatisme », rappelletil. En revanche, il faut amplifier la
lutte contre les discriminations, notamment à l’embauche.
Quelle réponse le chef de l’Etatpeutil apporter sur les violences policières ? Emmanuel Macron ditne pas craindre une « FNisation » de la police. « Ce sont des citoyens comme les autres », répètetil. Il sedit prêt à faire évoluer les techniques d’interpellation, comme leministre de l’intérieur, ChristopheCastaner, a commencé à le faire eninterdisant l’étranglement. De même, il milite pour la multiplication des caméraspiétons portées par les policiers. « Il faut aller vers davantage de transparence, on n’est pas encore allés au bout », diton au sommet de l’Etat.
f. f. et c. pi.
Le président a fait savoir
qu’il n’entendait pas abandonner
l’idée de la retraite par points
Edouard Philippe et Emmanuel Macron, à Paris, le 8 mai. JEAN-CLAUDE COUTAUSSE POUR « LE MONDE »
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0123VENDREDI 12 JUIN 2020 france | 9
B onjour, c’est AgnèsBuzyn… » En mars, à peinebombardée candidate à la
Mairie de Paris, l’exministre de lasanté avait fait appeler au téléphone 500 000 électeurs pour lesinciter à voter pour elle. Trois mois après l’envoi massif de ce message préenregistré, la tête deliste de La République en marche (LRM) à Paris s’apprête à renouveler l’expérience avec, cette foisci, des SMS. Environ 250 000 messages vont être envoyés dans les prochaines semaines, a annoncé, mardi 9 juin, son équipe de campagne. En parallèle, 250 000 courriers vont être postés.
Le parti présidentiel a, en outre,prévu « une énorme opération dephoning », avec « 50 000 coups defil au minimum ». Ils viseront avant tout les adhérents de LRM,les électeurs qui ont laissé leurscoordonnées au fil de la campagne, et les « amis d’amis ». Objectif : les inciter à se déplacer dans les bureaux de vote le 28 juin, ou, sinon, à confier une procuration au parti. « Nous voulons en récu
pérer 10 000 à 20 000 », préciseton au siège de la campagne. Et puisque Emmanuel Macronmultiplie les références à Charles de Gaulle, l’opération a été appelée « l’appel du 28 juin ».
Agnès Buzyn et ses colistierssavent qu’ils ne sont pas les favoris de l’élection municipale. Aprèsavoir recueilli 17,3 % des voix le 15 mars, un score décevant qui s’expliquait en partie par la concurrence des listes de Cédric Villani (7,9 %), l’ancienne ministre de la santé n’est créditée que de 20 % des intentions de votepour le second tour, selon unsondage IFOPFiducial pour Le Journal du dimanche et Sud Radio réalisé du 2 au 5 juin, le premier publié depuis la sortie du confinement.
Elle se trouve ainsi largementdistancée par ses adversaires, la maire sortante socialiste AnneHidalgo (44 %) et l’exministresarkozyste, et maire du 7e arrondissement Rachida Dati (33 %).
Limiter la casseEn juin 2019, dans le même matchà trois, l’IFOP accordait non pas 20 %, mais 37 % des suffrages dusecond tour au candidat de LRM, alors Benjamin Griveaux. Entretemps, le mouvement présidentiel a connu une succession de catastrophes : la dissidence de Cédric Villani, le renoncement de Benjamin Griveaux après la diffusion de vidéos intimes à caractèresexuel, les confessions maladroites d’Agnès Buzyn au Monde surle « cauchemar » de sa fin de cam
pagne, ses deux mois de silence,ses hésitations, enfin, à rester candidate… Compte tenu de cecontexte, « plus personne ne pensequ’Agnès Buzyn va être élue maire de Paris », affirmait, vendredi, lasecrétaire d’Etat à l’égalité entre les hommes et les femmes, Marlène Schiappa, dans un messageinterne destiné à ses colistiers du 14e arrondissement et révélé quelques heures plus tard par Le Point.
Les artisans de la campagne nebaissent pas les bras pour autant. « Agnès est plus combative que jamais, très présente sur le terrain », assure ainsi Déborah Pawlik, sa colistière dans le 17e arrondissement. Et à défaut de remporter une victoire, les macronistesentendent conserver un maximum d’élus au conseil municipal.Un pari loin d’être gagné. Alors que le conseil de Paris compteaujourd’hui environ 50 soutiens du gouvernement sur 163 élus,leur nombre pourrait tomber autour de vingt à vingtcinq, selon diverses projections.
Pour limiter la casse, difficile des’appuyer sur Agnès Buzyn,devenue l’une des personnalités politiques les moins appréciées des Français. Au sein même des
sympathisants de LRM, elle recueille davantage d’opinions défavorables que favorables, selon ledernier baromètre d’Ipsos pour Le Point. Les stratèges de la campagne ont donc pris une autre option. Ils misent désormais sur l’image d’Emmanuel Macron et du gouvernement.
Plan d’investissementTous les tracts, les affiches, les professions de foi soulignerontl’appartenance des candidats à la « majorité présidentielle soutenue par Emmanuel Macron ». Ce sera le message clé. Des photos du chefde l’Etat et du premier ministre Edouard Philippe sont prévuessur tous les documents. Dans son tract distribué le weekend du 6 etdu 7 juin, Gaspard Gantzer, tête deliste dans le 6e arrondissement, s’affiche aux côtés du chef dugouvernement et ne mentionne même pas le nom d’Agnès Buzyn.
« Le 28 juin, les Parisiens aurontle choix entre trois candidates,dont deux, Anne Hidalgo et Rachida Dati, critiquent systématiquement l’action du président de la République et de son gouvernement, explique PierreYves Bournazel, l’un des porteparole
d’Agnès Buzyn. Nous, nous la soutenons. Et pour gérer la crise qui arrive, avoir une maire alignée politiquement avec la majoritéprésidentielle peut constituer un atout décisif. »
En se présentant ainsi commeles fantassins d’Emmanuel Macron à Paris, les candidats réunis autour d’Agnès Buzyn espèrentremobiliser le socle électoral deLRM dans la capitale. Et convaincre à nouveau ceux, nombreux,qui ont voté un jour en faveur duprésident et de ses équipes et s’ensont parfois éloignés. Il s’agit de s’assurer que les électeurs d’Agnès Buzyn au premier tour ne la lâcheront pas au second,
mais aussi de séduire les soutiens de Cédric Villani, désormaisécarté de la course. Pour y parvenir, la candidate à la Mairie a repris dans son programme plusieurs projets du mathématicien,comme un plan d’investissement de 5 milliards d’euros dans la transition écologique. A ce stade, cependant, environ 40 %électeurs de Cédric Villani comptent se reporter sur Anne Hidalgo, et un tiers seulement sur Agnès Buzyn, selon l’IFOP.
Audelà, les macronistes espèrent attirer certains électeurs centristes, en insistant sur leurs différences jugées « extrêmes » avec la « droite dure » de Rachida Dati, selon les mots des militants. « Elle a des valeurs qui ne correspondent pas du tout à notre vision », affirme Paul Midy, le directeur de campagne. Cet argument se heurte, cependant, à l’alliance conclue avec la même Rachida Dati dans le 5e arrondissement. La maire sortante, Florence Berthout, figure de proue locale d’Agnès Buzyn, y a fusionné sa liste avec celle de LR. Un accord validé par la direction de LRM, afin de sauver le fauteuil de l’élue.
denis cosnard
« Avoir une maire alignée politiquement
avec la majoritéprésidentielle
peut constituerun atout décisif »
PIERRE-YVES BOURNAZELporte-parole d’Agnès Buzyn
Agnès Buzyn, candidate LRM aux municipales, à Paris, le 15 mars. JULIEN DE ROSA/AFP
Des photos d’Emmanuel Macron et du
premier ministre,Edouard Philippe,
sont prévues sur tous
les documents
Majorité et oppositions en accord sur la retraite des agriculteursLes députés ont voté en commission des affaires sociales une proposition de loi qui revalorise le montant minimal des pensions agricoles
L es députés de la majorité etdes oppositions viennentde réussir un tour de force :
s’entendre à propos des retraites, alors qu’ils croisaient le fer sur le sujet, il y a trois mois. A l’issue de débats en commission des affaires sociales, ils ont adopté, mercredi 10 juin, à l’unanimité, une proposition de loi (PPL) communiste visant à garantir aux agriculteurs une pension minimumégale à 85 % du smic – à conditiond’avoir accompli une carrière complète. Le texte poursuit ainsi un but similaire au projet de loi instituant un système universel de retraites, qui est passé en première lecture, début mars, à l’aide du 49.3. Une réforme à l’origine, donc, d’empoignades viriles à l’Assemblée nationale et dont l’examen au Parlement a été suspendu à cause du Covid19.
Il s’agit d’un rebondissementinattendu pour cette PPL qui aenjambé deux législatures. Portéedepuis trois ans par le président du groupe de la Gauche démocrate et républicaine (GDR), AndréChassaigne (PCF), elle avait étéapprouvée en première lecture auPalaisBourbon début 2017, peu avant l’élection présidentielle. Mais son cheminement avait été stoppé, un an plus tard, au Sénat : le gouvernement avait alors demandé un vote bloqué, arguant
que la question des pensions agricoles serait traitée à l’occasionde la réforme des retraites.
L’issue des discussions encommission des affaires sociales, mercredi, constitue donc un revirement, dont se réjouit M. Chassaigne. Le texte adopté ne va, cependant, pas aussi loin qu’il l’aurait voulu. Les députés de la majorité ont souhaité repousser l’entrée en vigueur de la revalorisation. « Nous aurions voulu que ce soit dès 2021, mais pour des raisons techniques, rien ne nous dit que ce soit possible, justifieOlivier Damaisin, député LRM du LotetGaronne. Du coup, nous avons opté pour 2022, afin d’éviter les mauvaises surprises. »
Autre modification substantielle, par rapport à la version initiale de la PPL : l’instauration d’un
« écrêtement ». Ce mécanisme concerne les personnes qui, ayantcotisé à plusieurs caisses durantleur vie professionnelle, ont, dumême coup, droit à plusieurspensions : il aura pour effet de limiter le coup de pouce financieraccordé à l’agriculteur afin que lemontant de pension perçu, tousrégimes confondus, n’excède pas un certain seuil. Une telle mesurepoursuit un objectif d’« équité » entre ceux qui ne bénéficient que d’une seule pension et les « polypensionnés », explique M. Damaisin. C’est aussi une façon de circonscrire le coût du dispositif. Selon le député du LotetGaronne, « on passe ainsi de 400 à 280 millions d’euros » par an – « 258 millions », d’après M. Chassaigne.
« Une œuvre collective »Le patron du groupe GDR regrette, bien évidemment, les corrections apportées par ses collègues macronistes et leurs alliés centristes car le nombre de bénéficiaires sera, in fine, moins important : 196 000, d’après lui, alors que la mouture originelle desa PPL permettait de couvrir près de 100 000 individus supplémentaires. « Mais c’est quand même unprogrès », confietil. « Il s’agitd’une avancée », renchérit Boris Vallaud (PS, Landes), car la mesuremise en place va aussi concerner
des paysans qui sont déjà à la retraite – ce qui n’est pas le cas dans le projet de loi relatif au système universel adopté début mars à l’Assemblée.
M. Chassaigne pense queplusieurs éléments ont joué en sa faveur : « J’ai travaillé avec les députés de toutes les sensibilités pourque ce texte soit vu comme une œuvre collective et non pas commeune démarche partisane », déclaretil. L’élu communiste affirmemême avoir plaidé sa causeauprès d’Emmanuel Macron, alors qu’ils revenaient, tous deux, en avion, des obsèques de l’ancienministre Michel Charasse, fin février. « Du point de vue de la majorité, c’est gagnantgagnant, complètetil : elle se donne une imageplus ouverte, sur un texte à dimension sociale, ce qui ne peut qu’être accueilli favorablement dans le contexte actuel. » « Il était logiqueque cette proposition de loi soit approuvée car elle rencontrait un écho fort chez des députés provinciaux de la majorité », observe Nicolas Turquois (Modem, Vienne).
La proposition de loi de M. Chassaigne devrait être approuvée sansencombre lors de son examen en séance, le 18 juin. Ce retournementde situation auguretil d’une volonté de l’exécutif de reprendre la réforme qui avait enflammé le pays cet hiver ? Rapporteur géné
ral du projet de loi relatif au système universel, Guillaume GouffierCha (LRM, ValdeMarne) fait remarquer que la question du minimum de pension pour d’autres catégories d’indépendants, notamment les artisans et les com
merçants, n’est pas abordée dans le texte. Or, « il y a des attentes » en la matière, soulignetil : « Notre ambition de créer le système universel est toujours intacte. »
raphaëlle besse desmoulièreset bertrand bissuel
« La majoritése donne
une image plus ouverte, sur un texte à dimension
sociale »ANDRÉ CHASSAIGNE
député PCF
A Paris, Buzyn mise sur l’action gouvernementale pour se relancerDes milliers de SMS appelant à voter pour la candidate LRM vont être envoyés
- CESSATIONS DE GARANTIE
LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRETD’APPLICATION N° 72-678 DU 20
JUILLET 1972 - ARTICLES 44QBE EUROPE SA/NV, sis Cœur Défense– Tour A – 110 esplanade du Général deGaulle – 92931 LA DEFENSE CEDEX(RCS NANTERRE 842 689 556), suc-cursale de QBE EUROPE SA/NV, dont lesiège social est à 37, Boulevard du Régent,1000 BRUXELLES - BELGIQUE, faitsavoir que, la garantie financière dont béné-ficiait la :
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10 | france VENDREDI 12 JUIN 20200123
Un an dans la vie des extrêmes droites en Europe« Le Monde » a pu consulter une note sur l’évolution des mouvements populistes depuis mai 2019
T entatives d’union ratéesdurant la campagneeuropéenne, accentuation du vote en faveur
des partis populistes, globalisation du nationalisme… La chaire citoyenneté de Sciences Po SaintGermainenLaye publie, jeudi11 juin, une note, à laquelle Le Monde a eu accès. Dans ce document, les chercheurs décryptent l’année passée par les extrêmes droites européennes.
Du scrutin de mai 2019 à la pandémie de Covid19, le coordinateur, Nicolas Lebourg, historien etchercheur au Centre d’études politiques de l’Europe latine (CNRSUniversité de Montpellier), et ledirecteur de l’observatoire des radicalités politiques de la Fondation JeanJaurès, JeanYves Camus, analysent les dynamiques et les impasses des partis de la famille des droites nationalesconservatrices comme des mouvements nationalistes radicaux.
« Phénomène dynamique »L’objectif ? Raconter que les mouvements à l’intérieur du champ de l’extrême droite sont structurels. « On ne peut pas parler de “vague populiste”, c’est donner les mauvaises clés de compréhension,prévient Nicolas Lebourg. Une vague surgit, déferle et passe. Ce n’estpas du tout ce qu’on observe dans le champ de l’extrême droite, quiest un phénomène dynamiquedepuis le XIXe siècle, les débuts de la globalisation et le premier choc pétrolier. »
En se plongeant dans la vie desgroupes constitués au sein duParlement européen, les auteursrelèvent un premier point notable. Lors du mandat précédent,les députés du groupe Europe des nations et des libertés (ENL)– parmi lesquels siégeaient no
tamment le Front national, laLega italienne, l’AfD allemandeou encore le FPÖ autrichien – nese sont accordés que sur 69 % deleurs votes, contre au moins90 % au sein des groupes conservateurs, écologistes ou libéraux.« L’idée d’une “vague populiste”ou d’une possible “internationalepopuliste” repose donc d’abordsur une surestimation du niveaude cohérence idéologique des partis de l’ENL », résument les spécialistes.
Etudier les tentatives d’unionratées des droites populistes lors de la campagne pour les électionseuropéennes de 2019 leur permetensuite de remettre ces partis àleur place dans l’espace politiqueeuropéen. L’échec de l’ancienconseiller du président américainDonald Trump, Steve Bannon,débarquant en Europe dans l’optique de fédérer les partis populistes européens, montre que cesderniers « restaient confinés pourl’immense majorité d’entre eux en
dehors du mainstream politique ».A contrario, si « Donald Trumpavait gagné la présidentielle depuis l’extérieur du Parti républicain, il n’avait pu vaincre qu’une fois devenu le candidat de celuici, grâce à son appareil et à ses électeurs », précise le document.
Sans compter l’incapacité de cespartis, ensuite, à constituer un groupe unique au Parlement européen et à « recruter les partis qui auraient permis de proclamer qu’une ère nouvelle s’ouvrait en
Europe », notamment le BrexitParty de Nigel Farage au RoyaumeUni et le Fidesz de ViktorOrban en Hongrie.
Selon les chercheurs, unedernière déconfiture finit d’ancrerles nationalistes dans la marge de l’espace de décision politique européen : le groupe Identité et Démocratie (qui réunit notamment le Rassemblement national et la Lega) a échoué à obtenir les deux postes de viceprésidents du Parlement européen et les deux présidences de commission qu’il aurait dû avoir au regard de ses 73 sièges obtenus. « Il n’a obtenu aucun poste car les autres groupes ont maintenu le cordon sanitaire à son égard », résument Nicolas Lebourg et JeanYves Camus.
Suprémacisme blancDes déconvenues politiques quimènent à la deuxième partie de lanote, consacrée à la « tentation terroriste » des mouvements radicaux d’extrême droite en Europe.
Les deux chercheurs y expliquent que « la concordance entrerecul politique et tentation terroriste est possible » : « Le manque
d’issue politique à une radicalitédont les thèmes (type “grand remplacement”) sont pourtant amplement diffusés, et participent, demanière diluée, aux succès despartis légalistes d’extrême droite,peut amener certains de ses militants à considérer que le passage àla violence devient la seule option rationnelle pour obtenir le basculement auquel ils aspirent. »
Une « tentation » que le suprémacisme blanc exprime désormais dans le cadre de la globalisation, « quoiqu’il vomisse le “mondialisme” », ajoutent les chercheurs en s’appuyant sur plusieurs exemples parlants.
Au printemps 2020, le Mouvement impérial russe a ainsi été qualifié par les EtatsUnis comme relevant du « terrorisme international ». Une première. Quelques mois plus tôt, en novembre 2019,la Pologne expulsait quant à elle un membre du Mouvement de résistance nordique – un mouvement néonazi transnational. Celuici, après sa sortie de prison en Suède « pour un attentat à l’explosif contre un centre de réfugiés, s’était rendu en Pologne pour suivre un entraînement paramilitaire en ayant le dessein manifeste d’imiter [Brenton Tarrent], le terroriste de Christchurch ».
Les deux chercheurs concluentque les crises sociale et politiquese mêlant actuellement à la crise sanitaire ne peuvent « qu’aider à cette symbiose des sentiments dedéclassements personnels et nationaux qui contribue à la dynamique de la droitisation ».
En résumé, « si le scrutin européen de 2019 n’a aucunement été le tsunami populiste que certains avaient rêvé ou cauchemardé, l’actuelle pandémie paraît en capacitéde pouvoir au moins fidéliser les clientèles acquises par les extrêmes droites et aggraver les processus de radicalisation violente ».
lucie soullier
Le plan à 130 milliards du PS pour un « rebond social et écologique »Le parti de gauche détaille, dans une note, 45 propositions pour faire face à la crise provoquée par la pandémie de Covid19
L’ élaboration des mesuresde relance postCovid duParti socialiste (PS) aura
été longue. Des dizaines d’auditions, des allers et retours nombreux entre membres de la direction et députés chargés du dossier… Ce travail aura pris près d’unmois. Finalement, le plan « pour un rebond économique, social, etécologique » se veut une réponse immédiate à l’urgence provoquéepar la pandémie et des mesures de moyen terme pour préparerl’avenir, panachant relance par la consommation et schéma dedéveloppement prenant en compte l’urgence climatique.
Pour concocter ce plan, le PS aconsulté nombre d’experts, dechercheurs, de syndicalistes, de responsables associatifs et d’éluslocaux. Le document qui enrésulte, coordonné par BorisVallaud, député des Landes, est à l’image de l’entredeux dans lequel se trouve un parti poussépar ses alliances avec Europe
EcologieLes Verts, la prise deconscience de ses maires degrandes villes qui ont largement verdi leur propre programme et son logiciel économique historique, très classiquement keynésien. Son coût est chiffré à 130 milliards d’euros.
250 000 emplois aidésPartant du constat d’une crised’une ampleur majeure, avec un chômage en hausse vertigineuse, des plans de licenciements à venir et quelque 600 000 jeunes arrivant prochainement sur le marché du travail, et donc une situation sociale dramatique pour des millions de Français, lanote de quarante pages présente 45 propositions. « Nous voulonsmontrer que nous sommes de ceux sur lesquels la France peut compter dans l’épreuve », a déclaréOlivier Faure, premier secrétaireet député de SeineetMarne, lors de la présentation, mardi 9 juin, àl’Assemblée nationale.
Le plan veut d’abord s’adresseraux victimes de la crise, ceux « quine mangent pas à leur faim, ne peuvent payer leur loyer, ceux qui n’ont pas d’emploi ou craignent dele perdre », précise la note. Réduction « transitoire » du temps de travail dans les entreprises touchées par une activité ralentie, revenu de base de550 euros ouverts aux jeunes, prime premier emploi, prolongation des bourses étudiantes, limitation des frais bancaires pour les plus fragiles…, les systè
mes d’aide d’urgence sont nombreux et précis. Pour revaloriserles salaires des « premiers de tranchée », une conférence réunissantles partenaires sociaux est proposée pour les professions telles queles caissières, les aidessoignants ou les éboueurs.
L’hôpital comme les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) doivent devenir « priorité nationale », continue le document, mettant en avant un investissement annuel de 6 milliards pour les premiers et de 2 milliards pour les seconds et la revalorisation durable de leurs personnels. Afin d’aider le secteur associatif, notamment dans les quartiers populaires, le PS préconise la création de 250 000 emplois aidés.
Le deuxième axe met l’accentsur les territoires et le rôle qu’ils peuvent jouer, tant dans la relance que parce qu’ils « sont enpremière ligne » de la conversion
écologique de l’économie. Le plansuggère donc un investissementde 50 milliards d’euros, pour les « projets de résilience » : agroforesterie, rénovation thermique des bâtiments, circuits courts et développement des mobilités douces… Deux pistes avancées retiennent l’attention : la mise en place d’une « prime climat » pour financer les travaux d’isolation desparticuliers et un « chèque rebondlocal », sorte d’allocation de 300 à 700 euros pour les plus modestes,fléchée vers la consommation locale, saine et écologique.
« Hiatus »Enfin, et c’est là le volet à la facture la plus classique, la reconquête économique. Plan de sauvetage des petites et moyennes entreprises (PME) avec mise à contribution des assureurs,protection par l’Etat des brevets et entreprises « fleurons » contretout achat par des investisseurs étrangers, nationalisation des
sociétés indispensables à l’indépendance dans le secteur sanitaire, recapitalisation des entreprises par un pôle d’investisseurs publics conditionnée à des engagements sociaux et écologiques,plan de relance du bâtiment et dulogement… les mesures reprennent bon nombre de propositions de loi passées et discutées lors des niches parlementaires.
L’ensemble de ce plan derelance, plutôt de qualité, laisse cependant un goût d’inachevé. Certains dans la direction le reconnaissent : « On ne sent pas lapleine prise en compte de l’urgence face à la crise d’un systèmedans ce qu’elle impose en termesde rupture », juge l’un. « Il y aencore un hiatus avec les discours très écolos tenus depuis des mois »,remarque une autre. La direction prévoit un autre plan à la rentrée, pour dessiner une « autre » reprise. Les écolos du PS seront alors peutêtre plus écoutés.
sylvia zappi
L’hôpital commeles Ehpad
doivent devenir« priorité
nationale », selon
le document
« On ne peut pasparler de “vague
populiste”, c’est donner
les mauvaises clés de
compréhension »NICOLAS LEBOURG
historien
Dirigeants des partis d’extrême droite européens, à Bruxelles, le 13 juin 2019. ARIS OIKONOMOU/AFP
après son hommage au général deGaulle début juin, Marine Le Pen a une nouvelle fois mis la barre à droite.Mercredi, sur France Inter, la présidente du Rassemblement national a apporté untrès rare concours au parti Les Républicains (LR) en affirmant son soutien à la candidate du parti de droite à la Mairie deParis, Rachida Dati : « Si effectivement le choix est entre Mme Hidalgo et Mme Dati, moi à titre personnel, si j’étais électeur àParis, je voterais largement Dati plutôtqu’Hidalgo. »
Finies la critique de l’« UMPS » ou les attaques contre les « sœurs jumelles » Anne Hidalgo et Nathalie KosciuskoMorizet, telles que Marine Le Pen qualifiaient les candidates socialiste et UMP lors de la campagne municipale de 2014 à Paris. Sixans plus tard, faute d’alliances malgré sastratégie d’ouverture affichée, la présidente de l’exFront national a donc choisi la candidate de l’exUMP. Dès le mois de février, JeanMarie Le Pen avait, lui aussi, confié sa préférence pour l’ancienne garde des sceaux de Nicolas Sarkozy.
Marine Le Pen et son père ne votent pasdans la capitale, où le Rassemblement national a officiellement soutenu Serge Federbusch, qui s’est classé avantdernier au premier tour avec 1,5 % des voix, juste devant le forain Marcel Campion.
Rachida Dati, elle, a préféré prendre sesdistances avec cet encombrant soutien. « En quoi suisje responsable de ses propos ?,a réagi mercredi matin la candidate LR.Vous connaissez ma vie, mon nom, mon prénom : Rachida. Alors… »
denis cosnard et l. so
Pour la Mairie de Paris, Marine le Pen choisit Rachida Dati
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0123VENDREDI 12 JUIN 2020 france | 11
A TonnayCharente, les morts oubliés de l’EhpadSeize résidents sont décédés du Covid19 entre mars et mai. Ni le maire ni le préfet n’ont été informés de la situation
D ominique Bussereaune décolère pas. A demultiples reprises, leprésident de l’Assem
blée des départements de France (ADF) a alerté sur les dysfonctionnements des agences régionales de santé (ARS) et leur inadaptation à la gestion de la crise liée au Covid19. Auditionné, mardi 9 juin, par une mission d’information du Sénat, le président duconseil départemental de CharenteMaritime a évoqué le casd’un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) pour illustrer le manque de communication entre les ARS et les élus locaux.
L’affaire a été révélée par le quotidien régional Sud Ouest du29 mai : seize résidents de l’établissement Les Portes du jardin,du groupe DomusVi, à TonnayCharente (CharenteMaritime), sont décédés des suites du SARSCoV2 entre les mois de mars et de mai. C’est dans cet établissement, qui compte cent vingt lits, que sont mortes un tiers des victimes comptabilisées dans le département – quarantehuit, selon lebilan, établi le 1er juin, par l’ARS de NouvelleAquitaine. Mais ni le maire de la commune, Eric Authiat, ni le président du conseil départemental, en sa qualité de cotutelle, ni le préfet n’ont été
informés de la situation. C’est enparcourant le site Internet de Sud Ouest que M. Bussereau en a pris connaissance.
Comment se faitil que les autorités et élus concernés n’aient pas été prévenus de la situationdans cet établissement ? Sollicité,le directeur de l’établissement,Gilles Bastier, renvoie sur le siège national de DomusVi, un des troisplus grands groupes d’Ehpad, avec Korian et Orpéa, qui représentent à eux seuls le dixième desplaces en résidence médicalisée sur le territoire. « Nous n’y sommes pour rien. Nous sommes dans l’obligation de communiquer à l’autorité de tutelle, l’ARS, ce que nous faisons, assure le responsable de la communication du
groupe, Ludovic Boursin, jointpar Le Monde. Après, qu’il y ait des problèmes de communication entre eux et le département… »
Dans cette commune de8 000 habitants, proche de Rochefort, les habitants et les élussont tombés des nues. C’est parune de ses adjointes, dont un membre de la famille résidait auxPortes du jardin, que le maire,M. Authiat, a eu connaissance, début mars, d’une suspicion de cas de Covid19 dans l’établissement.« J’ai trouvé curieux que la direction ne m’ait pas appelé », confietil. Il s’enquiert de la situation, sans obtenir de plus amples informations. Quelques jours plustard, un responsable de l’ARS luiindique que tous les résidents etles personnels de l’établissement vont être testés.
Les personnes positives peuvent alors soit rester sur place, soit être hospitalisées à La Rochelle. Aucun état de ces transferts n’est communiqué à la mairie : onze résidents de l’établissement vont décéder à l’hôpital. Seuls les permis d’inhumer de résidents morts à l’Ehpad passent par le maire. « J’ai eu des permisd’inhumer à signer, mais il n’estpas fait mention de la cause du décès, note M. Authiat. Aucun indicateur qui puisse m’alerter. Je suis totalement insatisfait de la manière
dont l’établissement a communiqué, ou plutôt n’a pas communiqué. » Une version contestée par DomusVi. « Le directeur de la résidence a communiqué avec l’ensemble des parties prenantes, assure M. Boursin. La mairie a été régulièrement informée par téléphone. Ainsi que les familles. »
Dans Sud Ouest, la bellefilled’un résident mort à l’hôpital du Covid19 rapporte avoir appelé son beaupère, début avril, qui se plaignait de mal respirer. Trois jours après, il était transféré à l’hôpital de La Rochelle, où il est mort le 18 avril. « L’Ehpad ne m’a pas informée du décès et ne m’a pas présenté ses condoléances », déplore Sophie Caillaud. Quelques jours après, elle recevait par courrier la carte Vitale de son beaupère. « Sans un mot, sans unelettre, c’est ignoble », ditelle. Le directeur de l’établissement s’est excusé, reconnaissant dans Sud Ouest qu’il y avait eu un « loupé ».
Arrière-pensées« Il y a eu une erreur, le directeur s’en est excusé, admet M. Boursin.Il y a souvent des témoignages négatifs, mais nous avons eu beaucoup de messages de soutien. Les équipes ont été remarquables. Je ne pense pas qu’il y ait à polémiquer. » Pour lui, les réactionsindignées qu’a suscitées cette affaire ne sont pas exemptes d’arrièrepensées. « Nous ne ferons pas de commentaires sur des commentaires, poursuitil. C’est tropfacile de pointer un Ehpad privé. Il y a des volontés politiques derrière. » Contactée par Le Monde,l’ARS préfère ne pas commenter.« Il ne nous est pas possible de répondre, pour cause de réserve électorale », avant les municipales, explique le service de presse.
Le 11 avril, c’est le directeur général du centre hospitalier de
La Rochelle, Pierre Thépot, qui avait fait état, lors d’un pointpresse sanitaire, de l’apparition du Covid19 aux Portes du jardin, après que quatre pensionnaires de l’établissement eurent été hospitalisés. A la suite de cetteintervention, l’ARS avait finalement signalé que onze salariés etdeux résidents avaient été détectés positifs au Covid19. Mais sansfaire état des décès.
Egalement joint par Le Monde,le directeur de la délégation départementale CharenteMaritimede l’ARS, Eric Morival, n’est pas plus disert : « Je ne peux pas vous répondre. A ce stade, je n’échangepas. » Force est de se reporter aux propos qu’il tenait dans lescolonnes de Sud Ouest, fin mai : « On a mis le paquet pour éviter lesdégâts », affirmaitil, ajoutant que« les choses sont globalement gérées aujourd’hui ».
Bien qu’il assure avoir reçuaprès coup des excuses du responsable de l’ARS reconnaissant que l’agence avait péché par manque de communication, M. Authiat juge l’affaire inquiétante. « Si je n’avais pas percuté, j’ai lesentiment que personne n’aurait été informé, déplore le maire. Nous étions probablement le principal point de développement de l’épidémie dans le département, et nous ne le savions pas. Si le premier maillon de la démocratie, lemaire, n’est pas informé, ni les conseillers départementaux, c’est absolument anormal. »
« Un tel comportement estinadmissible. C’est invraisemblable. Je condamne le silence assourdissant de l’ARS, s’insurge M. Bussereau. Cela ne fait que conforter,hélas, tout ce qui m’est remontéde mes collègues sur les problèmes qu’ils ont eus, globalement,avec les ARS. »
patrick roger
« Nous étions probablement le
principal point dedéveloppement
de l’épidémie en Charente-
Maritime et nousne le savions pas »
ÉRIC AUTHIATmaire de Tonnay-Charente
JUSTICELe Défenseur des droits ouvre une enquête sur l’affaire GabrielLe Défenseur des droitsa ouvert, mercredi 10 juin, une enquête sur l’interpellation brutale de Gabriel D., 14 ans, à Bobigny. L’adolescent accuse des policiers de l’avoir frappé et gravement blessé à l’œil. Il avait été arrêté dans la nuit du 25au 26 mai alors qu’il tentait de voler un scooter. Sa famille a déposé deux plaintes. Le parquet de Bobigny a déjà ouvert une enquête, confiée à l’inspection générale de la police nationale. – (AFP.)
VIOLENCES POLICIÈRESChristophe Castaner reçoit les syndicatsLe ministre de l’intérieur devait recevoir, jeudi 11 et vendredi 12 juin, les syndicats de policiers pour tenter de calmer leur colère. Tous ont tiré le signal d’alarme après les déclarations de Christophe Castaner qui a prôné, lundi, la « tolérance zéro » contre le racisme dans la police et interdit plusieurs techniques d’interpellation. – (AFP.)
MUNICIPALESQuatre communes sans maire, faute de candidatFaute de candidat, quatre communes de plus de 1 000 habitants se retrouveront sans maire à l’issue du second tour des municipales le 28 juin. Trois se situent dans l’Ain (Buellas, Péron et Pontd’Ain), la quatrième en EureetLoir (PrunayleGillon). Dans les communes de ce type, si aucune liste n’est enregistrée, l’élection ne peut avoir lieu. – (AFP.)
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12 | france VENDREDI 12 JUIN 20200123
A l’hôpital, la course aux financementsLES MAUX DE L’HÔPITAL 4|6 La tarification à l’activité, ou « T2A », fait bondir les soignants. A l’occasion du Ségur de la santé, « Le Monde » se penche sur les sujets qui agitent le secteur hospitalier
D epuis le 23 septembre 2019, StéphaneDauger est en grève.Une grève un peu par
ticulière : dans le sillon du mouvement de contestation dans les hôpitaux, ce médecin, chef du service de réanimation pédiatriquede l’hôpital parisien RobertDebré (APHP) et ses équipes ont décidé d’arrêter le « codage ».
Derrière le mot technique, c’est àl’un des cordons de la bourse que s’est attaqué le professeur, coprésident du Collectif interhôpitaux,en refusant de faire remonter les informations correspondant à son activité médicale. Ces fameux« codes » déterminent ensuite lesrecettes versées par l’Assurancemaladie aux établissements. Les pressions de sa hiérarchie administrative n’y ont rien changé : lui comme la majorité des services deRobertDebré, et d’autres en France, poursuivent cette grève.
L’action vise l’une des clés degestion des hôpitaux les plus contestées : le système de tarification à l’activité. La « T2A ». Prononcez ce sigle et vous obtenez la même réaction chez les médecins : un
long soupir. « La seule chose qui compte aujourd’hui, c’est de faire toujours plus d’activité, d’avoir plus de malades pour ramenerplus d’argent », dénonce StéphaneDauger, qui voit revenir cette logique, après la parenthèse de la crise sanitaire du Covid19.
« Il n’y a pas d’alternative »Hôpital entreprise, politique du chiffre, course à la rentabilité, concurrence entre établissements… Les critiques pleuvent depuis des années sur ce système d’allocationdes moyens déployé au début des années 2000. Son avenir est de nouveau sur la table : il figure parmi les chantiers à l’ordre du jour des discussions du Ségur de lasanté, ouvert par le gouvernementle 25 mai, qui doivent aboutir à uneréforme d’ici à la mijuillet.
Pourquoi cette pierre d’achoppement dans le monde médical ? Faire dépendre les financements de l’activité de l’hôpital : l’idéeinitiale paraît pragmatique. Son principe est simple, derrière des sigles complexes. L’activité de l’hôpital est classée, selon le profil du patient, son diagnostic, les actes
médicaux réalisés… Ce sont les « groupes homogènes de malades » (GHM). Il y en a environ 2 600aujourd’hui. Pour chaque groupe, on évalue un coût moyen de prise en charge, puis un tarif lui est attribué par l’Etat. C’est ce tarif qui est reversé, ensuite, par l’Assurancemaladie à l’hôpital. Pour 2020 parexemple, un accouchement par voie basse sans complication est payé 2 012,72 euros, une transplantation cardiaque du niveau de sévérité le plus élevé, 72 146,14 euros.
« Il n’y a pas d’alternative », défendait le ministre de la santé JeanFrançois Mattei, en 2004, dans le gouvernement de JeanPierre Raffarin. Sans rencontrer de résistance, il déploie alors progressivement le mécanisme, dont les jalons étaient posés depuis quelques années déjà, en médecine, enchirurgie et obstétrique pour les séjours hospitaliers. A l’orée des années 2000, il y a urgence à répondre aux maux des systèmes definancement précédents, alors que le « trou de la Sécu » ne cesse de se creuser. Le plus ancien, le « prix à la journée », ne permet pasd’endiguer l’augmentation des dépenses et incite même à l’inflationdes séjours. La dotation globale, déployée dans les années 1980 – soit une enveloppe attribuée par l’Etat à chaque établissement – révèle assez vite d’autres limites.
Reconduite d’année en année demanière relativement figée, la dotation pénalise les hôpitaux les plus actifs, enfermés dans cette enveloppe, tout en donnant à l’inverse une rente aux mieux pourvus historiquement. Son évolution n’est pas exempte des « jeux de pouvoirs locaux et des négociations politiques pour obtenir des rallonges », rappelle le chercheur PierreAndré Juven, coauteur d’un ouvrage sur les réformes de l’hôpi
tal public, La Casse du siècle, publiéen avril 2019 (éd. Raisons d’agir).
Rapidement, la tarification à l’activité monte en puissance, avec untournant sous l’ère Sarkozy : elle est généralisée en 2008, pour atteindre 100 % du financement en médecine, chirurgie, et obstétrique. Certains domaines, comme lapsychiatrie ou l’activité de soins de suite et de réadaptation, restenten dehors, avec des systèmes d’enveloppes ou de forfaits.
« Au départ, la T2A apporte unebouffée d’oxygène et des gains d’efficience dans les hôpitaux », rappelle Laurence Hartmann, chercheuse en économie de la santé auConservatoire national des arts et métiers. Au gré des ajustements, l’algorithme à l’activité ne cesse d’être étoffé, avec des groupes et sousgroupes tarifés dans la grille, pour coller au mieux aux subtilités des parcours des patients. Des services spéciaux se développent dans de nombreux hôpitaux pour « optimiser le codage ». Une « boîtenoire », étrilleton chez les médecins, peu enclins, souvent, à remplir cette tâche administrative.
Système « ubuesque »Les effets pervers de la machine moderne apparaissent assez vite : peu à peu, de nombreux « tarifs » versés par l’Etat ne suivent plus lescoûts réels que doit débourser l’hôpital pour accomplir cette activité. « Cela dérape dès les années 2010 », reprend Laurence Hartmann, qui y voit un « dévoiement » du mécanisme initial : « Lespouvoirs publics vont moduler les prix et utiliser la T2A pour rester dans les clous de l’enveloppe de l’Ondam [Objectif national des dépenses d’Assurancemaladie] ».
« Avec cette distorsion, la T2Apousse à une productivité sans fin dans les hôpitaux, pour essayer de maintenir les finances à flot », souligne PierreAndré Juven. Les établissements sont nombreux à enchaîner des plans de redressement, à tenter de réduire les coûts, sans jamais réussir à pédaler assez vite. « Cela crée aussi des patients rentables et d’autres trop coûteux », ajoutetil, car certains séjours sontmieux remboursés que d’autres.
Les anecdotes sont légion chezles médecins pour brocarder les petits travers et grandes dérives
que provoque le système. Pour ce manipulateur en radiologie de 43 ans en CHU, qui souhaite rester anonyme, « on en est arrivé au point de devoir dissuader ceux qui veulent aller uriner avant l’examen », lâchetil. Le chronomètre tourne : pas question de laisser la machine vide cinq minutes, sous peine de se faire remonter les bretelles. IRM, scanner, radiographie… l’imagerie médicale est un secteur « qui rapporte » à l’hôpital. « Il faut remplir les plannings au maximum, réduire les temps d’examens… » Au point parfois de faire des choses « limite » dans ce système « ubuesque », jugetil, comme faire revenir le patient une autre fois, officiellement « pour des raisons techniques », officieusement parce que seuls deux actes sur trois sont remboursés, dans tel ou tel examen.
D’autres racontent aussi comment ce « carcan » tarifaire en vient de facto à orienter certaines priorités. « Le bloc opératoire concentre beaucoup d’attention de notre administration, car l’activité chirurgicale génère une grande partie de recettes », raconte Marc Leone, un chef du service d’anesthésieréanimation à l’hôpital Nord de Marseille. Résultat : « Nos anesthésistesréanimateurs sont challengés pour faire le maximum d’endoscopies car, d’une part, l’activité est bien rémunérée mais, en plus, c’est un pourvoyeur de patients potentiels pour la chirurgie. »
Opposant de la première heurede la T2A, André Grimaldi, professeur à la PitiéSalpêtrière à Paris, lerépète inlassablement : « On a voulu utiliser la T2A pour une activité pour laquelle elle n’est pas faite,estimetil. On l’a fait exprès, pourfaire rentrer l’hôpital dans une logique commerciale. » Selon le dia
bétologue, si la T2A peut être pertinente en chirurgie, là où l’on peut facilement « quantifier, mesurer, avec une activité standardisée et programmée », « cela ne marche pas dans toute une partie de la médecine, particulièrement les maladies chroniques, qui sont évolutives ». Il prône un retour dans ce casà un système de dotation globale, ou encore à un « prix à la journée »quand cela est pertinent, comme en soins palliatifs.
A d’autres étages de l’hôpital,chez les administratifs, on porte un discours plus nuancé sur le sortà réserver à cette T2A. « On se trompe de cible », entendon à laFédération hospitalière de France. « On sent bien cette volonté de fairede la T2A le bouc émissaire facile,estime Camille Dumas, directeur des affaires financières aux Hospices civils de Lyon. On s’en sortira peutêtre politiquement, mais ce n’est pas sa suppression qui va sauver l’hôpital public. »
55 % des recettesPour le gestionnaire, si l’outil n’est pas parfait et nécessite des adaptations, il donne tout de même « un peu de liberté et de souplesse aux hôpitaux, avec la possibilité d’aller chercher des recettes pour denouvelles activités ». Pour lui, le problème se trouve avant tout dans cet écart entre les tarifs versés par l’Etat et les coûts. « On peut sacrifier l’outil, mais si l’enveloppe reste insuffisante, rien ne va changer », défend le responsable.
La T2A est sur la table du Ségur dela santé, et le gouvernement a déjàles idées bien arrêtées. Ce système a « démontré toutes ses limites », a estimé Edouard Philippe, le premier ministre, le 25 mai, prônant un « système plus intelligent », « plus respectueux de la qualité des soins », « moins ancré sur la nécessité de multiplier les actes pour dégager des recettes ». Pas question non plus de tout changer : il faut réduire sa part en dessous de 50 %,atil avancé, rappelant ainsi l’une des promesses de campagne du candidat Macron. Pour y arriver, il a évoqué l’augmentation de la « part à la qualité ».
Reste à savoir comment cela vaêtre mis en musique. « C’est assez facile à formuler, a reconnu le premier ministre, plus difficile à mettre en œuvre ». Dans le monde médical, on reste sur ses gardes. Chez les défenseurs de la T2A comme chez ses détracteurs, on souligne que ce mode d’allocation ne représente déjà que 55 % des recettes des hôpitaux publics. Toute une partie du financement demeure sous la forme de dotations, pour les missions d’intérêt général, ou encore la recherche, l’enseignement. « Cela ne pourra passer que par un schéma de paiement plus sophistiqué, avec une combinaison de différents mécanismes », estime Laurence Hartmann, qui cite pêlemêle la T2A, le financement à la qualité, au forfait, à la dotation…
Les premières tentatives pour répondre aux effets pervers de la T2A, enclenchées en 2018 par Agnès Buzyn, alors ministre de la santé, vont en ce sens. Difficile d’en dresser le bilan à ce stade : pour les maladies rénales chroniques, la mise en place d’un forfait global à l’année pour un patient, avec des indicateurs de qualité, n’acommencé à s’appliquer qu’en janvier. Quant au diabète, les discussions achoppent entre le ministère et les professionnels pour s’accorder sur une alternative.
Les médecins s’en souviennent :ce n’est pas la première fois qu’un gouvernement fait des promesses sur la question. Le candidat François Hollande dénonçait, en 2012, « l’idéologie dogmatique de l’hôpitalentreprise » et s’engageait à « redéfinir le mode de financement de l’hôpital ». En pratique, rien n’a bougé ou presque. En toute fin de mandat, un ancien député socialiste avait rendu un rapport sur le sujet, prônant un système « transformé » et « modulé lorsque nécessaire ». Un certain Olivier Véran.
camille stromboni
Prochain épisode Quel modèle d’hôpital pour demain ?
A l’hôpital HenriMondor de Créteil (ValdeMarne),le 5 juin 2019.STÉPHANE DE SAKUTIN/AFP
« On l’a fait exprès, pour faire
entrer l’hôpitaldans une logique
commerciale »ANDRÉ GRIMALDI
diabétologue à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière
Peu à peu, de nombreux
« tarifs » verséspar l’Etat ne
suivent plus lescoûts réels quedoit débourser
l’hôpital
du lundiau vendredi
11H–11H5
FlorianDelorme
L’espritd’ouver-ture.
franceculture.fr/@Franceculture
Enpartenariatavec
CULTURESMONDE.
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0123VENDREDI 12 JUIN 2020 france | 13
La réussite« à géométrie variable » des cours à distanceLa continuité pédagogique promise aux élèves n’a pas toujours été tenue, selon des familles
ENQUÊTE
A lice, collégienne en région parisienne, a« mené un effort constant durant tout le
trimestre ». C’est en tout cas ce qui s’est dit d’elle lors de son troisième– et dernier – conseil de classe. « Cetroisième trimestre, c’est du vent, lâche l’élève de 3e. D’ailleurs, on a pratiquement tous eu la même appréciation. » Elève assidue, Alice, 15 ans, « rumine depuis des semaines », confient ses parents, cadres supérieurs, sur un ton « sans filtre » qu’ils ne lui connaissaient pas. « Elle est en boucle sur sa prof de français qui annule les “visio” en dernière minute, le prof d’histoire qui ne maîtrise pas le numérique… Tout est devenu l’objet de critiques », se désole Guillaume, son père. L’annoncede la suppression des épreuves dubrevet a eu raison de sa motivation. « Chaque soir, quand on luidemande comment s’est passée sa journée, elle nous répète qu’elle esten vacances… comme ses profs ! »
« Aux abonnés absents »Chez Laurent et Céline, qui ont deux enfants au lycée, à Bordeaux,l’enseignement à distance fait aussi l’objet de débats animés autour de la table du dîner. Pour lecadet, en 2de, cela a « à peu près fonctionné » jusqu’à Pâques. « Ensuite, je n’ai pratiquement plus eu de contact avec la classe », ditil. L’aîné, en 1re, a vécu l’« inverse » : peu d’échanges au début, une « tonne de devoirs » depuis mai. « Comme si on pouvait rattraper le temps perdu ! » « On a écrit au lycée,la direction nous a répondu que l’équipe faisait au mieux, racontent les parents, restaurateurs. Nosfils ne sont pas les plus à plaindre. Ce mieux, il faut s’en contenter. »
Cécile, deux enfants eux aussilycéens, à Paris, pense au contrairequ’il faut « pointer ce qui coince. On nous a répété, au début du confinement, que tout était prêt. Cen’est pas honteux de témoigner que
ça n’a pas toujours été le cas ». Son aînée, en terminale, résume la période : « Deux mois et demi de confinement, et six profs sur huit aux abonnés absents. » Ses deux enseignants « très impliqués » ont, ditelle, « fait le job du début à la fin ».
Dans les rangs des fédérations deparents d’élèves, on reconnaît entendre « monter » des témoignages de ce type. Un peu toujours les mêmes, d’ailleurs : sur des enseignants qui ont mis la « barre haut au début » et qui, après quinze jours d’école à distance, n’ont plus donné signe de vie. Sur d’autres qui ont « bombardé » leurs classes d’exercices, y compris pendant les vacances ou un 1erMai. Sur d’autres, encore, qui ne répondentpas aux sollicitations des élèves… « Cela n’efface en rien les “bravos” et les hommages rendus aux professeurs, nuance Gérard Pommier, président de la PEEP. Mais il y a desexceptions pour confirmer la règle. Et ces exceptions sont toujours vécues comme trop nombreuses. »
Selon un sondage IFOP réalisé enavril, 75 % des familles se sont dites satisfaites du déroulement de l’enseignement à distance. Autant se sont senties capables d’accompagner leur enfant, et plus de 8 sur10 affirment que celuici a été en contact avec un enseignant « au moins une fois par semaine ». En creux, on entraperçoit la part, très minoritaire et néanmoins audible, des expériences problématiques. « Evidemment que la période a été difficile, mais il ne faudrait pasque ces retourslà soient l’arbre qui
cache la forêt, indique au Monde JeanMichel Blanquer, le ministre de l’éducation. La France est l’un des pays qui a le mieux réussi, pendant le confinement, à maintenir un lien avec les élèves et à leur éviter de décrocher. La relation entre l’école et les familles en est ressortie plutôt renforcée. Je veux lerépéter : la mobilisation des enseignants est restée remarquable. »
C’est aussi ce que met en avant laFCPE. « Souvent, les parents qui nous interpellent mélangent la démotivation de leurs enfants et celle, supposée, des enseignants, note JeanAndré Lasserre, à Paris. Ils veulent croire que si leurs enfants travaillent moins, c’est que l’offre scolaire n’est pas à la hauteur. Quand les attentes sont fortes, la désillusion peut l’être aussi. »
D’un établissement à l’autre, onle reconnaît : les « dysfonctionnements » existent, mais à la marge. « Et ils ne sont pas une surprise, indique Philippe Vincent, secrétaire
général du syndicat de proviseursSNPDENUNSA. Comme dans toutes les entreprises, on connaît les personnels plus fragiles. Ceux qui ont un problème de santé ou des difficultés familiales ; ceux quisont mal équipés ou mal à l’aise avec le numérique. »
Les chercheurs le disent : lapériode, inédite, a mis en lumière et exacerbé des difficultés qui lui préexistaient. Braquer les projecteurs sur des personnels plus ou moins investis, plus ou moins geeks, inégaux face à la crise, à l’anxiété, à la maladie… « L’expérience du confinement a été brutaleet très diversement vécue, observe Bruno Devauchelle, du laboratoireTechné de l’université de Poitiers, qui travaille sur le développement du numérique dans les sciences del’éducation. Les fragilités personnelles ajoutées à l’absence d’accompagnement ont pu en pousser certains à se mettre en retrait. »
Sans compter les quelquesautres qui, « presque par principe »,disent les proviseurs, refusent l’installation à la maison d’outils de liaison avec leur établissement. Un ou deux, « pas plus », sur une équipe de 140 dans telle cité scolaire du ValdeMarne. Trois ou quatre sur 120 dans ce lycée marseillais. Deux qui ont « totalement disparu de la circulation », trois ou quatre qui ont « travailloté » dans ce grand établissement parisien.
Dans son collège de Montauban(TarnetGaronne), le plus gros de
l’académie de Toulouse, le principal José Jorge a vite repéré qu’une« portion non négligeable » de l’équipe (près d’un cinquième) pourrait « plonger » faute de matériel et de compétences numériques. Pour y remédier, il a multiplié les temps de formation.
« Faire au mieux »« Nos premières analyses identifient un bon quart de la profession qui était déjà acculturée aux technologies numériques. Ces enseignants s’en sont plutôt bien tirés pour recréer, même à distance, unedynamique de classe et inventer d’autres façons de travailler », explique Pascal Plantard, professeur d’anthropologie des usages numériques à l’université Rennes2.
Il suit depuis trois ans, en Bretagne, une cohorte de 1 800 collégiens et une autre de 1 000 enseignants. « Environ la moitié des professeurs ont tâtonné pour faire au mieux, poursuit le chercheur ; leur capacité d’adaptation mérited’être applaudie. Les problèmes se concentrent sur le quart restant : des enseignants qui, d’ordinaire, n’ont pas d’usage ou un usage a minima du numérique en classe (un tableau blanc interactif, des diaporamas). Eux ont rencontré le plus de difficultés. »
Au point de « décrocher » ? Leverbe, jusqu’à présent réservé auxélèves, heurte de plein fouet lemonde enseignant. « On joue sur la corde de la culpabilité mais,
parmi nos collègues, beaucoup doivent encore prendre soin de leurs proches, quand ils ne sont paseuxmêmes tombés malades », fait observer Claire Guéville, porteparole du SNESFSU. « Le débat se focalise sur les profs récalcitrants, poursuitelle, mais, vu l’énergie déployée collectivement pour répondre au défi du confinement, il faudrait plutôt saluer un miracle ! »
« Soyons honnêtes : aucun profn’était prêt à vivre ça, assure, sous couvert d’anonymat, une enseignante en SeineSaintDenis. A unmoment ou à un autre, on s’esttous retrouvés en difficulté. Mais c’est un tabou que de dire qu’on n’yarrive pas… » Certains l’assument, pourtant. « Que le lien d’apprentissage ait pu être altéré durant la période, c’est une évidence, témoigne Thibaut Poirot, professeur d’histoiregéographie en lycée. Nous avons laissé des enfants sur le bord de la route, c’est un fait. Mais peuton rendre responsables d’inégalités amplifiées par le confinement des enseignants à qui on ademandé de faire tenir le systèmequel qu’en soit le prix ? »
« Quoi qu’on fasse, le succès de lacontinuité pédagogique est àgéométrie variable, souligne aussiMarc Charbonnier, enseignant enlycée à ChâtenayMalabry (HautsdeSeine), ne seraitce que parceque le “à distance” ne pourra jamais remplacer ce qui se joue, enclasse, dans la relation directe aux élèves. » Mêmes réserves d’AmélieHartHutasse, enseignante dansun collège en Côted’Or. Semaine après semaine, elle a réussi à maintenir ses rendezvous « enaudio » avec ses quatre classes – y compris avec les élèves habitanten zone blanche. « Rarement avant 11 heures », concèdetelle.Mais sur la qualité du lien maintenu, cette militante du SNESFSUreste prudente : « Qu’estce que les élèves auront réellement appris ? Jen’ai aucune certitude sur la valeurpédagogique de cette continuité… Il faudra le vérifier. »
C’est ce qu’a prévu l’éducationnationale. Si les épreuves de find’année, pour le bac et le brevet,ont été annulées, le ministre del’éducation s’engage à « accompagner les professeurs pour leur permettre d’évaluer les besoins desélèves, à tous les niveaux, dès la rentrée ». A l’automne auront lieu les états généraux du numérique à l’école. L’occasion de tirer un bilan de ce qui s’est joué, le meilleurcomme le moins bon.
mattea battaglia
« Je ne suis pas maîtresse d’école, c’est sûr, mais j’ai joué un rôle »De nombreux grandsparents ont endossé un rôle de professeur pour leurs petitsenfants pendant et après le confinement
TÉMOIGNAGES
M a grandmère est forteen histoire et en français, mon grandpère
préfère les maths, la SVT et la techno. » Dimitri, 12 ans, aura appris beaucoup de choses pendant le confinement. Et, entre autres, que ses grandsparentsfont d’excellents répétiteurs. Confiné en Bretagne avec ses parents et son petit frère, ce collégiend’un établissement privé du 12e arrondissement de Paris s’est vite senti noyé sous la masse desdevoirs à faire « à distance », qui « arrivaient de partout », parfois par mail, parfois sur la plateforme numérique du collège.
Un dimanche, sur Facetime, sesgrandsparents paternels lui ont proposé de l’aider. Depuis, André et Lucette se répartissent les
matières. Ils disposent des identifiants de leur petitfils sur l’espacenumérique de travail du collège. « On s’y met à 9 h 30, on regarde ce qu’il y a à faire et on organise la journée en fonction, explique Dimitri, qui a répondu à un appel à témoignages sur Lemonde.fr. Avant, je ne faisais pas l’histoiregéo, la techno et la SVT parce que jene comprenais pas ce qu’il fallaitfaire, parce qu’il y en avait trop. Maintenant, on en vient à bout. »
Avec la fermeture des écoles, le16 mars, et jusqu’à aujourd’hui – le déconfinement scolaireconcernant toujours une minorité d’élèves –, les parents se sont retrouvés à jongler entre télétravail, gestion des tâches ménagères et devoirs des enfants. Pour certaines familles, faire assurer« l’école à la maison » par les grandsparents a été la solution.
Charlotte, qui préfère garderl’anonymat, s’est retrouvée confinée dans son troispièces de BoulogneBillancourt (HautsdeSeine) avec son conjoint et ses jumeaux, Raphaël et Laura, en classe de CP. « Miavril, ma fille m’a confié qu’elle n’y arrivait pas, raconte sa mère, Michelle, qui vit surle bassin d’Arcachon. J’ai proposéde leur faire faire une séance de lecture sur Facetime. On a essayé, pas forcément très convaincues… Et ça a incroyablement bien marché ! »
« Les petits sont appliqué »Les enfants ont rendezvouschaque jour avec leur grandmèrepour des séances de deux heureset demie : l’un le matin, l’autrel’aprèsmidi. « Les petits jouent lejeu, constate Michelle. Ils sont concentrés, appliqués, ils ont compris que ce temps avec leur
mamie était un temps d’école et non un temps pour s’amuser. »Pour Charlotte, ce soutien a toutchangé. « Au début du confinement, je venais de prendre un nouveau poste, racontetelle. Je gérais l’école par àcoups. Entre deuxappels, je disais “ok les enfants, on a une heure pour faire les devoirs”. Mais ça ne fonctionnait pas. Il fautpouvoir y consacrer du temps longet être structuré. » Le rythme sur Facetime a changé depuis la reprise « en présentiel », deux jours par semaine, mais les enfantscontinuent à voir leur grandmère les deux jours restants.
Pour les grandsparents qui sesont improvisés « professeurs » à distance, assurer le suivi du travail scolaire a été l’occasion de maintenir un lien mis à l’épreuve par le confinement. « Le contact quotidien avec eux a développé
d’autres choses », explique André, le grandpère de Dimitri. Un lien journalier qui n’est pas le même que celui des seules vacances scolaires. « On sent qu’eux aussi ontapprécié, ajoute André. Ils nous le disent et leurs parents aussi. Et ça, c’est extrêmement gratifiant. »
Les grandsparents rapportenten effet avoir « appris des choses »,tant dans l’usage des outils numériques que sur les programmes scolaires. Ils disent s’être sentis « utiles », voire « honorés » defaire progresser leurs petitsenfants. « Je ne suis pas maîtresse d’école, c’est sûr, dit ainsi Michelle.Mais je vois bien, maintenant que l’école a repris, qu’ils ne sont pas enretard sur le programme. Et je sais que j’ai joué un rôle làdedans. »
Avec une plusvalue certaine parrapport aux devoirs faits par les parents : « Ma fille me dit qu’ils
sont plus disciplinés avec moiqu’avec elle, ils font moins la comédie », avance Claude Philiponnet, médecin du travail à la retraite quia fait « l’école à la maison » depuis AixenProvence (BouchesduRhône) pour deux petits Parisiens. « Les devoirs à la maison sont une source importante de tension entre parents et enfants, abonde le pédagogue Philippe Meirieu. Pour les parents, l’échec dans les devoirs est comme une mise en cause de leur autorité. »
Les grandsparents, par leur « relation affective » avec leurs petitsenfants, sont des personnes« tierces » essentielles dans l’éducation, avance le pédagogue. « Ilssont à une place qui leur permetd’apprendre des choses aux enfants, sans entrer dans un bras de fer si ça ne fonctionne pas. »
violaine morin
« Soyons honnêtes : aucunprof n’était prêt
à vivre ça », assure une
enseignante deSeine-Saint-Denis
35 %C’est la part d’enseignants qui continuent de faire cours à distance, estimait-on au ministère de l’éducation le 10 juin. Environ 5 % des en-seignants sont « excusés pour maladie, empêchés de reprendre le tra-vail pour cause de fragilité ou pour un autre motif. Cela ne veut pas dire que ces 5 % ont décroché ». Il n’empêche : « Quelqu’un qui ne fait pas son travail est sanctionnable », a affirmé le ministre sur RTL, mer-credi soir. 60 % des professeurs ont repris le travail « en présentiel ».
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14 | france VENDREDI 12 JUIN 20200123
L’attribution d’un HLM : un système discriminantSelon une étude publiée jeudi 11 juin, plus un ménage est pauvre, moins il ade chances d’obtenir un logement social
I l s’agit là d’un paradoxe. Alorsque la vocation première dulogement social est d’ac
cueillir les ménages les plus modestes, plus on est pauvre, moins on a de chances d’en obtenir un. C’est la cinglante conclusion à laquelle aboutit l’enquête, publiée jeudi 11 juin, menée par six associations à partir des données extraites du système national d’enregistrement de la demande de logement social, de l’analyse des dossiers de 96 ménages, en principe prioritaires, mais victimes de cette logique de refus et d’entretiens avec des travailleurs sociaux.
« Après avoir été broyées par lemécanisme opaque et sélectif d’attribution, les familles pauvres qui pensent avoir enfin franchi la dernière étape sont bloquées par la cherté des loyers qui, bien que sociaux, sont encore trop élevés pour elles », analyse Michel Platzer, viceprésident de ATD Quart Monde, partenaire, pour cette enquête, du Secours catholique, de Solidarités nouvelles pour le logement, de la Fondation Abbé Pierre, d’Habitat et humanisme et de Solidarité DALO. Depuis 1973, le nombre de demandeurs d’un logement socialn’a pas cessé d’augmenter – plus de deux millions depuis 2018 –, tandis que leur situation financière s’est dégradée : 51 % des candidats appartiennent au quart de la population aux revenus les plusbas, contre 25 % en 1978.
Dans son rapport, publiéen 2017, la Cour des comptes constatait que le taux d’attributions d’un logement social aux famillesdisposant de moins de 500 eurospar mois et par unité de consommation n’était, en 2015, que de 19 %, contre 26 % pour l’ensemble des ménages demandeurs, sept points d’écart qui constituent uneforme de discrimination finement analysée par cette enquête. Les auteurs estiment à 224 000 lenombre de familles bloquées pendant des années sur la liste d’attente sans qu’aucune proposition leur ait été faite ou, pire, ayant été refusées à la toute dernière étapedu long parcours d’attributionpar le bailleur social, qui a, de droit, le dernier mot.
« C’est décourageant »Moussa (le prénom a été changé), 32 ans, français d’origine malienne, est intérimaire dans les travaux publics, notamment pour Eurovia, filiale de Vinci spécialisée dans les chantiers routiers. Il gagne entre 2 300 et 2 600 euros par mois. Depuis 2016, il habite le 14e arrondissement de Paris, dans une souspente de 2,5 mètres carrés déclarée « impropre à l’habitation » par arrêté préfectoral. Prioritaire par définition pour accéder à un logement social, solidement soutenu par la Fondation Abbé Pierre, il a déjà essuyé quatre refus en commission d’attribution, à Nanterre, Courbevoie et BoisColombes (HautsdeSeine), alors que son dossier était classé deuxième destrois candidats sélectionnés. « Je ne comprends pas, témoignetil.Il manque toujours un papier, onoublie de me téléphoner, on m’invente une dette locative… C’est décourageant, car, à chaque fois, j’ai l’espoir, mais rien ne se passe. »
Après quatre ans et demi d’hébergement, à cinq (grandsparents, parents et fils) dans une chambre d’hôtel, la famille A., arrivée d’Arménie en Bretagne en 2012, avait réussi à réunir toutes les conditions exigées pour accéder à un logement social – titres de séjour, bourse d’études pour le fils –, mais s’est vu refuser un appartement par le bailleur social,qui a jugé trop incertaines les ressources de la mère, en CDD comme femme de ménage. « Cette
attitude nous a déconcertés, car lesressources couvraient largement leloyer et, surtout, il y avait des appartements vides disponibles », se souvient MarieAnnonciade Petit, chargée des relations publiques pour Habitat et humanisme. Pour rassurer le bailleur, l’association a signé le bail et la famille a pu emménager en 2018.
La réticence des bailleurs sociaux s’explique par leur souci de ne pas prendre de risque d’impayéde loyer. Alors, dès qu’ils sentent que les finances sont fragiles, qu’une dette de loyer a pu être contractée auparavant, ils referment la porte. Par ailleurs, la présence d’enfants proches de la majorité, qui fera bientôt chuter lemontant des allocations familiales et des aides au logement, ou la précarité des emplois les rendent frileux. Le risque financier n’est pourtant pas un critère légal de prise en compte du dossier, et il cache parfois des motifs moins avouables, comme l’origine des demandeurs : « J’ai entendu des phrases comme : “Avec un Comorien, c’est toute la famille qui arrive.” », raconte Mme Petit. Un candidat qui ose refuser le logementqu’on lui propose prend, lui, le risque de voir son dossier enterré.
Le législateur a bien tenté, et ceà plusieurs reprises, de forcerl’ouverture des portes des HLM aux cas les plus difficiles. La loi surle droit au logement opposable (DALO, du 5 mars 2007), un statut accordé au demandeur qui oblige l’Etat à le reloger dans les six mois,laisse toujours 54 360 « ménages DALO » sans solution. « Nous avons bien un accord départemental avec les bailleurs sociaux de l’IledeFrance pour qu’ils mettent à la disposition des associations et des personnes hébergées 2 000 logements par an, mais ils n’en proposent que 1 000 et beaucoup d’entre eux ne jouent pas le jeu et refusent nos candidats », dit Odile Pécout, travailleuse sociale pour Solidarités nouvelles pour le logement.
En 2009, la loi de mobilisationpour le logement et la lutte contrel’exclusion oblige Action Logement (ex1 % logement) à réserver un quart de ses attributions aux publics prioritaires, ce qui n’a jamais été fait. La loi relative à l’égalité et à la citoyenneté, du 27 janvier 2017, a, elle, instauré l’obligation faite aux bailleurs de réserver, hors quartiers prioritaires de la ville, 25 % des attributions aux 25 % des demandeurs les plus modestes ; 18,7 % des demandeurs en ont profité sur le plan national, mais seulement 15 % à Nice ou 11 %en IledeFrance.
Un obstacle majeur est le loyertrop élevé des logements sociaux qui se libèrent. Leur montant est déconnecté de la situation des demandeurs, ainsi victimes, selon lerapport, « d’exclusion économique ». Les six associations à l’origine de l’enquête demandent, entre autres, la revalorisation de l’aide personnalisée au logement et une nouvelle politique des loyers sociaux, à ajuster aux ressources des candidats pour parvenir à une « quittance adaptée ». Une possibilité déjà envisagée parles lois ELAN (2018) et « égalité etcitoyenneté », mais très peu usitée, sauf à Rennes.
isabelle reylefebvre
Une vaste enquête pour mieux comprendre et améliorer les soins palliatifsLes résultats viendront nourrir le prochain plan national d’accompagnement de la fin de vie
E n entraînant la mort deplusieurs milliers de personnes âgées, l’épidémie
due au coronavirus a posé de manière aiguë la question des soins palliatifs. Les structures existant en France pour accompagner ces fins de vie étaientelles suffisantes ? Ontelles pu fonctionner correctement ? Sur ce point, l’heure du bilan exhaustif n’est pas encore venue. Mais l’état des lieux des structures et ressources en soins palliatifs rendu public, jeudi 11 juin, par le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie (CNSPFV), tombe à point nommé, tant ce sujet est revenu dans l’actualité avec la crise sanitaire.
Cette enquête, première dugenre, a été réalisée en ligne en octobre 2019, auprès des deux principaux types de structures chargées de l’accompagnement des fins de vie : les unités de soins palliatifs (USP), services hospitaliersconstitués de lits alloués aux soinspalliatifs ; et les équipes mobiles de soins palliatifs (EMSP), équipes pluriprofessionnelles qui accompagnent la prise en charge des fins de vie à l’hôpital, en établissement médicosocial ou à domicile.L’étude comporte deux volets : lepremier, quantitatif, recense le nombre de lits et de ressources humaines ; le second, qualitatif,reflète le ressenti des équipes quant à leurs conditions d’exercice quotidien. Le taux de réponse est de 85 % parmi les 158 USP, et de75 % des 408 EMSP que compte le territoire national. Une participa
tion satisfaisante et géographiquement bien répartie, qui permet, précise le CNSPFV, de considérer cet état des lieux comme « représentatif de la situation moyenne française et de la situation moyenne région par région ».
Pour toutes les équipes d’USP etd’EMSP, la difficulté la plus fréquente signalée est un manque depersonnel, notamment de médecins. On compte en moyenne 1,5 médecin et 7,5 infirmières pour10 lits d’USP (une USP dispose en moyenne de 12,5 lits), et 0,7 médecin et 1 infirmière d’EMSP pour 100 000 habitants. Relativement homogène à l’échelle des régions, cette réalité n’en cache pas moins de fortes inégalités départementales en ce qui concerne le nombre de lits dévolus aux soins palliatifs. Une autre étude du CNSPFVrévèle ainsi que 27 départements ne disposent même pas d’un lit d’USP pour 100 000 habitants, contre 9,4 lits à Paris.
Interrogées quant à la « pression » ressentie dans leur exercice quotidien, les équipes d’USP l’ont qualifiée de « gérable » à 54 %, « limite » à 37 % et « ingérable » à 9 %. La situation est plus délicate dans les EMSP : elle n’est vécue comme « gérable » que pour 42 % des équipes répondantes, alors qu’elle est « limite » pour 52 % et « ingérable » pour 6 % d’entre elles. « Globalement, les EMSP apparaissent donc comme plus en difficulté de fonctionnement que les USP », soulignele CNSPFV. La raison principale en est l’augmentation récente de leur
activité extrahospitalière. Après que fut promulguée, en 2005, la loi garantissant le droit à l’accès detoutes les personnes en fin de vie aux soins palliatifs, il est apparuque l’accès à cette pratique restaitproblématique dans les structures médicosociales, notamment dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Les pouvoirs publics y ont donc encouragé l’intervention des EMSP, et certainesde ces équipes mobiles ont passé convention avec plusieurs dizaines d’Ehpad, afin de les aider à gérer les fins de vie de leurs résidents. Soit une nette augmentation de leur activité clinique, alors même que leurs dotations « n’ont guère augmenté depuis 2012 ».
Pistes d’amélioration« Quand vous êtes une petiteéquipe de soins palliatifs et que vous avez sous votre responsabilitéune centaine d’Ehpad, à quoi s’ajoutent les patients à domicile, et que vous êtes “mobile” mais que vous ne disposez pas de voiture, c’est assez kafkaïen », résume le docteur Véronique Fournier, qui préside le CNSPFV depuis sa création, en 2016. Et de pointer un autre problème, relatif cette fois aux USP : « On leur demande, par exemple, de prendre des personnes en fin de vie en séjour de répit, le temps que la famille se repose. » Certaines équipes soulignent le risque de ne plus pouvoir accompagner leurs patients jusqu’à la mort, faute de places suffisantes.
Quelles mesures envisager pourenrayer ces dysfonctionnements ?« La priorité est de mettre autourd’une table les différents acteurs concernés, et de voir ensemble ce qu’il est réaliste de faire », répondprudemment le docteur Fournier. Les éléments fournis par cette enquête devraient permettre de poser les jalons d’une réflexion,notamment dans le cadre du prochain plan national d’accompagnement de la fin de vie et dessoins palliatifs. Lequel se fait attendre : prévu pour succéder auplan 20152018, il devait être lancé en 2019, avant d’être repousséen 2020… puis d’être à nouveau ajourné du fait de la crise.
A quelque chose malheur étantbon, l’épidémie a peutêtre montré quelques pistes d’amélioration.En touchant majoritairement les personnes âgées, elle a mis à l’épreuve les dispositifs existants. Pour certains, ce fut l’occasion de révéler leur efficacité : dans la région du GrandEst, cruellement atteint par le Covid19, le réseau de soins palliatifs, qui avait à gérer une bonne centaine d’Ehpad, est ainsi globalement parvenu à maîtriser la situation. « L’épidémie a aussi permis à de nombreux soignants de vaincre la peur que leur inspiraient les soins palliatifs. Ils ont été mis en demeure d’accompagner leurs patients en fin de vie, et ça s’est plutôt bien passé, remarquele docteur Fournier. Il faut tirer parti de cette expérience, et en dégager les bonnes pratiques. »
catherine vincent
Prison avec sursis et inéligibilité requises contre le maire de SanaryFerdinand Bernhard était jugé pour plusieurs infractions liées à sa fonction
marseille correspondant
L es choix que j’opère sonttoujours faits pour servirau mieux les intérêts de lacommune. Il arrive que je
me trompe mais dans ce caslà, je ne me suis pas trompé. » Devant le tribunal correctionnel de Marseille, le maire (divers droite) de SanarysurMer (Var), élu depuis 1989, s’est défendu d’avoir mélangé intérêts publics et fins privées. Ferdinand Bernhard, 68 ans, était jugé pour plusieurs infractions liées à sa fonction : prise illégale d’intérêts, détournement de fonds publics et favoritisme.
Evoquant « un professionnel de lavie publique qui sait très bien ce qu’il fait », le procureur Etienne Perrin a brocardé « un serviteur quis’est servi », « le pivot d’un système »qui se serait ancré dans cette commune balnéaire. Le magistrat a requis, mercredi 10 juin, trois ans de prison avec sursis, une amende de100 000 euros, une privation des droits civils, civiques et de famille – dont ceux de vote et d’éligibilité – pendant cinq ans.
« Comment apprécier les atteintes à la probité, s’est interrogé M. Perrin. Le voleur passe en comparution immédiate car c’est gravemais là c’est plus grave car il y a dissimulation, car les fonctions et les responsabilités qui lui sont confiées ont été totalement dévoyées, sans état d’âme. » Et pour souligner cette gravité, le procureur a requis la confiscation du terrain sur lequel M. Bernhard, un chirurgiendentiste aux revenus confortables, a construit quatre maisons dont la sienne, un ensemble évalué à près de 1,5 million d’euros.
Cette opération immobilièrecompose l’un des pans de ce dossier. L’élu avait impliqué les services de l’urbanisme et les services techniques de SanarysurMer dans l’instruction de son permis de construire. « Ce n’est pas un privilège, n’importe quel administré peut solliciter les services et bénéficier d’une préinstruction », atil soutenu, reconnaissant juste que les choses étaient allées un peu plus vite pour lui. En guerre avec des opposants, il savait que son projet serait attaqué. « J’ai une seule obsession : être dans la légalité. » A ses fonctionnaires, il lance donc : « Regardez ce que le plustordu des tordus pourrait trouver. »
« Promotion canapé »En juillet 2010, le conseil municipal vote une procédure de déclaration d’utilité publique en vue de l’expropriation de terrains, ce qui permettra de faire passer une canalisation d’assainissement mais aussi de desservir son terrain et le désenclaver. Un projet deliaison porté par la commune bien avant son élection, se défend l’élu pour lequel « cette voie n’avaitaucun intérêt » pour lui, disposantdéjà d’une servitude de passage.
Ce « mélange d’intérêts personnels à ceux de la commune », cet « arbitraire » qu’il dénonce dans son réquisitoire, le procureur le souligne aussi dans « l’ascension fulgurante au sein de la mairie » d’une attachée territoriale devenue sa compagne à l’été 2009. « Iln’est pas question d’être indiscret, avait campé d’emblée la présidente du tribunal Céline Ballérini. Mais c’est le fond de notre dossier. »Recrutée début 2009 comme con
trôleuse de gestion, cette comptable avait été nommée, en août suivant, à l’un des deux postes de collaborateur de cabinet, avant defaire fonction de directrice générale des services en 2011. Son salaire avait quasiment doublé.
Sur le long banc des prévenus,le maire et son excompagne se sont assis aux deux extrémités. Lorsqu’elle parle de lui, elle emploie l’expression « l’autorité ».« J’ai mérité ce poste ! C’est impensable que je sois recrutée pour autre chose que pour mes qualités professionnelles et ce que j’avais pu prouver », martèletelle. D’ailleurs à l’entendre, la relation sentimentale n’aurait débuté qu’après sa nomination au postede collaborateur de cabinet. Interrogée en 2015 par les gendarmes, elle avait néanmoins reconnu devoir un accès aussi rapide à ce poste – et au troisième salaire le plus haut de la commune – à sa relation avec le maire.
« On est dans une relation detravail et notre vie privée est accessoire, elle n’a pas à s’immiscer dansla vie professionnelle », abonde Ferdinand Bernhard pour qui « on peut les séparer sans se priver du
bonheur d’être ensemble ». Une peine de six mois de prison avec sursis, une amende de 50 000 euros et deux ans de privation des droits civils, civiques et defamille ont été requis contre l’exdirectrice générale des services.
Personne ne conteste les capacités professionnelles de cette ancienne compagne du maire, ni le travail fourni, mais le procureur rappelle que le second poste de collaborateur était, un temps, occupé par une précédente petiteamie de M. Bernhard. « Estce que les fonctions de collaborateur decabinet n’ont pas été un moyen de gratifier des personnes pour les relations intimes qu’elles avaient avec vous ? », demande le magistrat. Pour l’élu, « c’est vraiment faire un raccourci de la vie publique que d’imaginer cela » et c’est« indécent et malvenu qu’on puise considérer qu’une femme a sa carrière du fait d’une relation ».
Face à des réquisitions qu’il aqualifiées de « demande de mise à mort politique et de mise à mort patrimoniale », Me Julien Pinelli a réclamé la relaxe de Ferdinand Bernhard qui « n’a jamais, ne seraitce que tenté, de violer la loi ». « La promotion canapé, atil expliqué, c’est offrir à quelqu’un une ascension professionnelle pour laquelle elle n’a pas les capacités. Ici, je n’ai pas entendu une courtisane mais quelqu’un qui a gagné ses galons par son travail. »
Le maire a été réélu haut la mainau premier tour des municipales et, au tribunal, il a déclaré vivre, auvu et au su des habitants de Sanary, avec sa secrétaire. Le jugement sera rendu le 7 septembre.
luc leroux
Le procureur dénonce dans
son réquisitoirele « mélange
d’intérêts personnels
de l’élu à ceux de la commune »
Le législateur atenté à plusieurs
reprises de forcerl’ouverture des portes
des HLM aux casles plus difficiles
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0123VENDREDI 12 JUIN 2020 ÉCONOMIE & ENTREPRISE | 15
Au Brésil, une débâcle économique inéditeLes experts prévoient pour 2020 un plongeon de 6 % à 10 % de la richesse nationale. Du jamaisvu
rio de janeiro correspondant
L e Brésil n’en est pas à unecrise près. Frappé de pleinfouet par la pandémie deCovid19, en proie aux cir
convolutions politiques de sonprésident, Jair Bolsonaro, le géant sudaméricain doit aussi faire face à un crash économique d’unegravité sans précédent.
Les perspectives sont très sombres : le ministère de l’économie table désormais sur un recul duproduit intérieur brut (PIB) de 4,7 % en 2020. Des prévisions dramatiques, mais qui paraissent bien optimistes à une majorité d’instituts d’études et d’économistes. Ces derniers prévoient plutôt un plongeon de 6 % à 10 % de la richesse nationale cette année : une récession jamais enregistrée dans l’histoire du Brésil.
La vague du Covid19 a provoqué un ralentissement général de l’économie, notamment après les mesures de restrictions mises en place par les autorités locales, maires ou gouverneurs, qui ontfait fermer, depuis la mimars, la plupart des commerces et activités non essentielles. Les mesures ont été particulièrement strictesdans l’Etat de Sao Paulo, épicentrede l’épidémie et poumon économique du pays, qui génère un tiers du PIB national.
On manque encore de donnéesofficielles pour connaître l’incidence de la pandémie sur le chômage et la pauvreté. Mais, dès lamimai, la très sérieuse Fondation Getulio Vargas (FGV) a publiédes chiffres inquiétants : d’après elle, 40 % des entreprises des secteurs du commerce, de l’industrie, des services et de la construction auraient déjà été contraints de licencier tout ou partie de leur personnel à cause de la crise. Plus d’un ménage sur deux a vu l’un deses membres touché par le chômage ou une baisse de salaire. Près de huit Brésiliens sur dix disent aujourd’hui limiter leursachats aux biens essentiels.
La situation est d’autant plusdifficile que la crise frappe un pays « à peine remis de la granderécession de 20162017, avec un chômage fort, supérieur à 11 %, et des inégalités très creusées, où lesdeux tiers de la population viventdans la pauvreté ou la précarité », insiste Monica de Bolle, économiste et professeure à l’universitéaméricaine JohnsHopkins. Sur
tout, selon elle, « le Brésil est malheureusement dirigé par un gouvernement passif, qui a nié des semaines durant la gravité de la pandémie, ainsi que son impact sur l’économie, et qui réagit aujourd’hui de manière totalement improvisée ».
« Aucun projet structuré »La seule mesure forte prise par le pouvoir d’extrême droite de Jair Bolsonaro est une aide d’urgence mensuelle de 600 reais (109 euros). « Mais le gouvernement a adopté cette mesure à contrecœur, sous pression de la société civile et du Parlement. Aujourd’hui, il n’a plus aucun projetstructuré sur la façon d’aider l’économie à faire face à la récession », dénonce Mme de Bolle. Le ministère de l’économie a d’ailleurs annoncé, mardi 9 juin, que l’aide
d’urgence serait encore versée pour deux mois de plus, mais qu’elle ne serait que de 300 reais.
La situation n’est pas près des’améliorer : alors qu’une bonne partie de la planète vit à l’heure du déconfinement, le Brésil est enpasse de devenir le principal foyeractif de l’épidémie, avec près de 40 000 victimes et 772 000 cas recensés au 10 juin. Les menaces de destitution ou de coup d’Etat nerassurent pas les investisseurs.Selon l’agence Reuters, les investissements directs à destination du pays se sont réduits à peau dechagrin au mois d’avril : 234 millions de dollars (207,8 millionsd’euros), le plus mauvais résultat mensuel depuis 1995.
Le gouvernement brésilien vadonc devoir faire face seul, et ce, alors que les caisses se vident. Une étude publiée par le journal
Folha de S.Paulo et coordonnée par l’économiste renommé Marcos Lisboa anticipe un déficit record des comptes publics pour2020, supérieur à 1,2 trillion de reais, et une dette qui devrait sansnul doute exploser et dépasser la barre symbolique des 100 % duPIB (contre 76 % avant la crise).
Pour ne rien arranger, une lutteoppose deux camps au sommet
de l’Etat. D’un côté, l’ultralibéralministre de l’économie Paulo Guedes, qui souhaiterait déréguler davantage encore le marché du travail et poursuivre un vaste plan de privatisations. De l’autre, l’aile militaire, représentée par Walter Braga Netto, ministrechef de la Casa Civil (équivalent de chefde cabinet du président), qui milite pour un grand programme dedépenses d’investissement dans les infrastructures, conçu commeun « plan Marshal brésilien », et chiffré à 300 milliards de reais.
Pour le moment, Jair Bolsonaroa donné raison à son ministre de l’économie. « Un seul homme décide de la direction de l’économie au Brésil : il s’appelle Paulo Guedes », atil déclaré, fin avril. Depuis le début de la crise, le chef de l’Etat nie la gravité de la pandémieet appelle à une réouverture to
A Hongkong, les milieux d’affaires s’alignent sans ciller sur PékinLes menaces de riposte américaines n’inquiètent pas vraiment la place financière, dont l’activité est intrinsèquement liée à la Chine
hongkong correspondance
L es banques et tous lesacteurs importants dela place financière de
Hongkong, qui ont toujours privilégié la neutralité politique, sont désormais contraints de choisir leur camp. D’un côté, Pékin, qui va imposer à Hongkong une loidraconienne de sécurité nationale dans les mois à venir ; de l’autre, Washington, qui a promis des mesures de rétorsion à cette atteinte à l’autonomie du territoire chinois, en lui enlevant son statut « spécial » garanti par le Hongkong Policy Act de 1992. Or, tout indique que les milieux d’affaires, tant hongkongais qu’occidentaux, optent pour Pékin, sans hésitation ni états d’âme, sous couvert de pragmatisme.
Mercredi 10 juin, le secrétaired’Etat américain, Mike Pompeo, a d’ailleurs accusé HSBC de faire des « courbettes intéressées » à la
Chine, et l’énorme fonds d’investissement britannique Aviva Investors (250 milliards de dollars d’actifs, soit 220 milliards d’euros)s’est déclaré « mal à l’aise » et « mécontent » quant à la prise de position des banques HSBC et de Standard Chartered, toutes deux favorables à la future loi chinoise. « Unmarché financier a besoin, avanttoute chose, de stabilité politique.Peu importe par quel moyen elleest obtenue », commente, pour sa part, Fabrice Jacob, président deJK Capital Management, établi àHongkong, dont tous les fondsont gagné 10 % en dix jours.
Après que le Parlement chinoisa annoncé, le 21 mai, qu’il se saisirait d’une loi sur la « protection de la sécurité nationale » à Hongkong, la Chine a déployé desémissaires pour tenter de persuader le monde entier du bienfondé de sa mesure. Celleci est « principalement vouée à ramener l’ordre », un argument doux aux
oreilles du camp de l’argent dansl’excolonie britannique, qui rêve de retrouver une stabilité sociale et politique disparue depuis un an, afin de continuer de prospérer. L’ancien chef de l’exécutifhongkongais (de 2012 à 2017), C. Y. Leung, tout dévoué à Pékin, avaitd’ailleurs publiquement interpellé HSBC sur sa position.
« Un atout formidable »Pour ou contre la loi de sécurité nationale ? HSBC a vite tranché,Hongkong et la Chine ayant représenté 75 % de ses profits en 2019. Le 3 juin, la banque a mis en ligne une photo de son directeur AsiePacifique, Peter Wong, en train de signer une pétition favorable à la décision de Pékin… Un peu plus tard, un porteparole de Standard Chartered se déclarait « convaincu que la loi de sécurité nationale [pouvait] maintenir la stabilité sociale et économique de Hongkong à long terme ».
Quelques jours avant, Li Kashing, le plus célèbre des tycoons,avait ouvert la danse des allégeances à Pékin, en étant le premier à se déclarer « favorable » à la loi de sécurité nationale. Les autres sonttombés comme des dominos. Sir Michael Kadoorie, qui partage avec Li Kashing le monopole de l’électricité à Hongkong, les groupes Swire Pacific (Cathay) et Jardine Matheson (Hôtels Mandarin) lui ont emboîté le pas.
« Personne ne crache dans lamain de celui qui le nourrit, c’est aussi simple que cela. Si vous tenezà vos affaires en Chine, vous respectez l’autorité chinoise. Il n’y a pas de question morale làdedans », résume un banquier européen. D’autant qu’aucune place chinoise – ni Shanghaï ni Shenzhen ni même Singapour – n’esten mesure de concurrencer sérieusement Hongkong, son écosystème bien rodé et bien réglementé, son cadre juridique fondé
sur la common law (le droit coutumier), son très faible taux d’imposition, son vivier de talents internationaux, ses infrastructures et, surtout, son accès presque direct à la manne de capitaux chinois.
Selon le discours qui prévautparmi les acteurs de la place financière, la Chine a d’ailleurs, elleaussi, grand besoin de Hongkong,et n’a donc aucunement l’intention de la sacrifier. « Une zone dollar en territoire chinois, c’est un atout formidable et la Chine y tientbeaucoup ! », affirme l’un d’eux. D’ailleurs, si la Bourse a d’abord décroché de 5 % lors de l’annonce du projet de loi, elle s’est, depuis,amplement remise.
Dans ce contexte, les mesurespunitives américaines qui, selonle président Donald Trump, devaient faire « très mal », n’inquiètent personne. Même si les détailsne sont toujours pas connus, la menace ressemble à du bluff. Interpellé, mercredi, au Parlement
local sur les conséquences éventuelles de ce changement de la politique américaine à l’égard de Hongkong, le secrétaire au commerce et au développement économique, Edward Yau, a soulignéque les exportations Hongkongaises vers les EtatsUnis qui bénéficiaient de privilèges douaniers au titre du statut spécial ne représentaient que… 0,1 % du total des exportations.
« Les gesticulations de Trump nesont qu’un show électoral. Les Chinois ne sont pas dupes », juge M. Jacob. En revanche, depuis le vote auSénat américain, en mai, de nouvelles mesures de contrôle des entreprises chinoises cotées à Wall Street, les 146 entreprises chinoises concernées, et les 1 300 milliards de dollars qu’elles portent, risquent de migrer de New York à Hongkong, sur les traces d’Alibaba. Un cadeau inespéré pour la place financière asiatique.
florence de changy
Devant un magasin,à Rio de Janeiro (sudest du Brésil), le 2 juin. PILAR OLIVARES/REUTERS
« Les deux tiersde la population
vivent dans la pauvreté
ou la précarité »MONICA DE BOLLE
économiste et professeure à l’université Johns-Hopkins
tale de l’économie. Après des semaines de conflits avec les maireset les gouverneurs, il semble proche de remporter son pari : face à l’étendue de la récession, plusieurs Etats, dont Sao Paulo et Rio de Janeiro, ont amorcé une reprise graduelle des commerces et activités non essentiels.
Tout cela ne signifie cependantpas le retour de la croissance. La reprise sera lente, voire très lente. Quand bien même la pandémie marquerait le pas, le Brésil ne retrouvera pas avant plusieurs années sa situation d’avantcoronavirus (déjà bien morose…). D’ici à la fin de son mandat, en 2022, Jair Bolsonaro pourrait donc bel et bien être réduit à devoir gérer lacrise. Un comble pour un hommequi s’est vanté de ne « rien comprendre » à l’économie.
bruno meyerfeld
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18 | économie & entreprise VENDREDI 12 JUIN 20200123
Le plan de soutien de l’Etat au BTP ne convainc pasLe secteur estime que les mesures, insuffisantes, sont à « contretemps »
C e n’est pas faute d’avoir essayé d’attirer l’attention.Mardi 9 juin encore, la
veille de la présentation enconseil des ministres du projet deloi de finances rectificative, le troisième depuis le début de lacrise sanitaire, les fédérations du bâtiment et des travaux publics s’offraient des publicités pleine page dans les journaux pour supplier « monsieur le président de la République » « d’aider le BTP ». « Il ya urgence : aider le BTP, c’est sauverl’emploi partout en France. »
Certes, la plupart des chantiersont repris. Mais voir les grues et tunneliers tourner de nouveau « ne signifie pas la fin des problèmes pour nos entreprises », insistentelles. La crise a engendré des surcoûts. Qui va les payer ? Surtout si les commandes ne sontpas relancées dès à présent, elles craignent des faillites en cascade.
Le gouvernement sait le secteursensible. Le BTP en France représente 2 millions d’emplois, 11 % duproduit intérieur brut, une multitude de PME réparties sur tout le territoire et de puissants lobbys. Il a donc essayé d’y mettre lesformes, en présentant, mercredi 10 juin, un « plan de soutien au secteur », avec des « mesures d’urgence pour soutenir la reprise d’activité ». Les fédérations n’ont pas marché. « Un projet extrêmementdéceptif », « qui n’empêchera pas l’effondrement rapide du secteur »,commente la Fédération nationale des travaux publics. « Le gouvernement avait annoncé (…) unplan de soutien du BTP (…) Force
est de constater qu’il n’en est rien… ou presque ! », complète saconsœur du bâtiment.
Il y a d’abord cette question récurrente posée depuis la reprise des travaux : qui, du donneur d’ordre ou de l’entreprise, réglerales surcoûts liés à la crise sanitaire ? Evidemment, comme partout, il a fallu commander des masques et du gel hydroalcoolique. Mais sur un chantier commecelui du métro du Grand Paris, à Sèvres (HautsdeSeine), des perceuses, des meuleuses, des boulonneuses, ont dû aussi être rachetées pour éviter les échanges entre ouvriers. Une grue immobilisée pendant deux mois, ce sont aussi des frais de location supplémentaires. Et que dire de la baissede productivité liée aux mesures de distanciation physique ? Les estimations varient, mais le surcoût moyen est estimé à 10 %. Or, les entreprises refusent d’acquitter seules la facture.
Vœu d’exemplaritéLe sujet a été abordé à l’Assemblée, le 2 juin, et Bruno Le Maire, leministre de l’économie et des finances, avait assuré que « les moyens de prendre en charge ces surcoûts » seraient examinés. Lamesure présentée par le gouvernement mercredi est en réalité unvœu d’exemplarité. Il est ainsi demandé aux maîtres d’ouvrage d’Etat de négocier « rapidement » la prise en charge « d’une partie des surcoûts directs » sur ses chantiers, de manière que tous suiventderrière. Les coûts indirects, eux,
seront évalués par un comité de suivi. Ce travail servira de baseaux négociations futures.
Vient ensuite une série de mesures dites de « soutien à la reprise ». Parmi elles, le renforcement du dispositif de garantie de l’Etat à l’assurancecrédit pour pallier la réticence des assureurs à couvrir des entreprises susceptibles de faire faillite. « Une mesure importante qui, on l’espère, aura un impact sur les entreprises du BTP », insiste l’entourage de M. Le Maire. C’est le même discours employé pour présenter le dispositif de remises de chargessociales aux entreprises de moinsde 50 salariés, ou encore les aides au recrutement des apprentis. Cesdispositifs valent pour tous, mais le BTP est directement concerné.
Quant au milliard d’euros supplémentaires versé à la dotation de soutien à l’investissement local– cette enveloppe dont disposent les préfets pour soutenir les investissements des collectivités, qui passera à 1,6 milliard d’euros –, l’annonce avait déjà été faite fin mai par le premier ministre, Edouard Philippe, dans son plan d’aide aux collectivités locales.
Ce projet est surtout « à contretemps », souligne enfin la fédération des travaux publics. Pourelle, ce n’est plus de « reprise »qu’il doit être question, mais de « relance ». Or, avec un plan de relance de l’économie annoncé à larentrée, et pas avant, elle craintque les nouveaux chantiers ne démarrent qu’en 2021.
émeline cazi
Lactalis va baisser le prix du lait payé aux éleveurs en 2020Exaspérés, certains producteurs ont décidé de saisir le médiateur
L es éleveurs laitiers français font grise mine. Lacrise liée au coronavirus a soudain assombri
les perspectives. En janvier, ils se frottaient les mains, anticipant une nouvelle hausse du prix du lait en 2020. Las, la pandémie a bousculé le jeu. Et certains industriels ont alors changé de discours. A l’exemple du poids lourd Lactalis.
« Sur les cinq premiers mois del’année, le prix du lait payé au producteur est supérieur à celui payé en 2019. Mais au second semestre, le prix moyen sera en baisse et nous sommes sur un repli enmoyenne sur l’ensemble de l’année », déclare Emmanuel Besnier, président du conseil de surveillance de l’entreprise familiale mayennaise, qui revendique le titre de premier groupe laitier mondial. Son chiffre d’affaires a tutoyé la barre des 20 milliards d’euros en 2019. Cette inversion de tendance n’est guère du goûtde certains éleveurs qui travaillent pour Lactalis. En particulier ceux regroupés au sein de l’Organisation des producteurs delait Grand Ouest (OPLGO), soit près de 1 300 agriculteurs qui ontdécidé de saisir le médiateur desrelations commerciales agricoles.
« Déjà fin 2019, nous n’avions passigné d’accord cadre et nous sommes allés en médiation. Nousavons trouvé un accord temporaire pour le premier trimestre 2020 avec une formule de prix qui tient compte des coûts de production de l’éleveur et de l’évolution des marchés. Mais en avrilmai, Lactalis nous a dit que le prix était
déconnecté de la réalité économique et ils ont appliqué un prix imposé », explique le président de l’OPLGO, JeanMichel Yvard.
Les éleveurs, qui avaient touché en moyenne 330 euros la tonne de lait en 2019, ont perçu 333 euros au premier trimestre2020, puis 326 euros en avril et,pour finir, 315 euros en mai et juin. « Les Etats généraux de l’alimentation devaient apporter uneréponse à la crise laitière de 2015 avec la prise en compte des coûtsde production des éleveurs. Il y a euun début de réponse en 2019. Mais là, on nous ramène à la réalité du marché international. C’est exaspérant d’être mis en concurrence avec des producteurs qui nerespectent pas les mêmes règles »,affirme M. Yvard.
La crise due au coronavirus,après avoir frappé la Chine, est arrivée au moment crucial du pic deproduction laitière saisonnière en Europe. « Fin mars, début avril,tout le monde était très inquietavec le pic de collecte de lait », souligne Benoît Rouyer, directeur de la prospective économiquedu Centre national interprofessionnel de l’économie laitière. D’autant qu’en face, les réseaux
de distribution étaient bouleversés avec, d’un côté, la grande distribution écoulant des volumesinédits de lait, de beurre, deyaourts et d’emmental râpé, et, de l’autre, des cantines, des restaurants et des marchés en plein air contraints de fermer, mettant à mal les fabricants de fromagestraditionnels. En parallèle, les circuits d’exportation étaient euxaussi bousculés et les cotationsinternationales des produits laitiers perdaient de la valeur.
Trouver un terrain d’ententeL’interprofession a immédiatement réagi en débloquant 10 millions d’euros pour inciter les agriculteurs français à réduire leur production. En parallèle, Bruxelles a accepté de débloquer 30 millions d’euros afin de financer lestockage privé de produits laitierspour absorber d’éventuels troppleins. Finalement, les cours nesont pas descendus au niveau du prix d’intervention (prix auquel Bruxelles s’engage à acheter) et les industriels comme Lactalis n’ont pas sollicité ces aides.
« Ce qui nous a rassurés, ce sontles moyens colossaux mis en place par les EtatsUnis pour soutenirleur secteur agricole. Même si la production laitière n’a pas baissé outreAtlantique, on constate un rebond des cours depuis fin avril,début mai », explique M. Rouyer.En outre, les exportations de produits laitiers français qui avaientsubi un retrait en janvier et février, lié à la situation chinoise, sesont redressées en mars. Finalement la filière laitière a, dansson ensemble, plutôt mieux
passé la période de crise sanitaire que d’autres secteurs. « Maintenant, on va entrer dans la crise économique, avec la problématiquedu prix dans la grande distributionet le risque d’un retour du discourssur la lutte pour le pouvoir d’achat.Nous allons voir quelle sera la position de la grande distribution », explique M. Besnier.
Lactalis n’est pas le seul groupe,à réagir à ces anticipations en baissant le prix du lait. D’où la réaction de France OP Lait, qui fédère différentes organisations deproducteurs, et a aussi saisi le médiateur fin avril. « Prétextant de la crise du Covid19, de nombreux industriels n’ont pas respecté les accords ni les contrats en imposantunilatéralement et brutalement des réductions de prix. Certains en profitent également pour reporter aux calendes grecques la mise en conformité de leurs relations commerciales avec les organisationsde producteurs conformément aux exigences de la loi Egalim », s’est émue France OP Lait.
Dans sa réponse, mimai, le médiateur incite les acteurs à trouverun terrain d’entente avant lesnouvelles négociations commerciales entre industriels et distributeurs fin 2020, au risque de sanctions financières. « Si l’onveut garder des éleveurs en France,il faut donner une réponse en termes de valeur et de prix. La crise du Covid a créé un trou d’air, mais il faut remettre de l’optimisme dans la filière », conclut MarieThérèse Bonneau, viceprésidente de la Fédération nationale des producteurs de lait.
laurence girard
Les éleveurs ontperçu 333 eurosla tonne de lait
au premier trimestre 2020,
contre 315 eurosen mai et juin
C’est maintenant acquis, le grand gagnant de la crise sanitaire mondiale est le monde de l’Internet. Pendant le confinement, le télétravail et le commerce en ligne se sont installés durablement dans le quotidien et la culture de tous les pays. Le Nasdaq, la Bourse américaine des valeurs technologiques, vole de record en record. Et les stars du secteur, les Google, Apple, Facebook, Amazonou Microsoft (Gafam) dépassent désormais toutes allègrement les 1 000 milliards de dollars (880 milliards d’euros) de capitalisations faisant d’elles les entreprises les plus chères du monde.
Il n’est donc pas étonnant que labataille de la livraison de repas à domicile par Internet déclenche elle aussi sa pluie de milliards. Mercredi 10 juin, la société néerlandaise Just Eat Takeaway a annoncé qu’elle allait acheter son homologue américaine, GruHhub, pour 7,3 milliards de dollars en actions. Pas mal pour une entreprise dont les ventes de repas dépassent à peine le milliard et qui ne gagne pas d’argent. Cela ne l’a pas empêchée d’être convoitée aussi par le géant du secteur, Uber Eats, leader aux EtatsUnis. Une acquisition qui a achoppé non pour des raisons de prix, mais de risque d’action antitrust.
C’est donc finalement le néerlandais Takeway qui rafle la mise. La société, fondée en 2000 dans un dortoir d’université par Jitse Groen, s’offre ainsi un accès à l’immense marché américain, ainsi qu’en Australie, au Brésil et au Canada. Devenu milliardaire à 42 ans, il utilise la valorisation boursière de sa société, de plus de 12 milliards d’euros, pour faire le
ménage dans le secteur. Il avait déjà acheté, en 2018, les opérations de Delivery Hero en Allemagne, puis celle de son concurrent britannique Just Eat, en 2019. Il est maintenant en lutte frontale avec Uber Eats dans le monde et DoorDash aux EtatsUnis.
Course pour la survieMais un seul petit détail sépare encore ces ambitieuses startup des Gafam aux 1 000 milliards de dollars : aucune ne gagne d’argent. Et, à vrai dire, personne ne peut affirmer avec certitude que ce métier sera rentable un jour. La concentration actuelle revêt donc des allures de course pour la survie. Celleci dépend finalement de deux facteurs : le niveau de concurrence et le modèle économique.
La concurrence est d’autant plus forte que d’innombrables startup locales tentent leur chance sur le métier de mise en relation entre restaurateurs et clients. Pour se distinguer, il faut investir des millions en publicité sur Google ou Facebook, alors que la guerre des prix ruine la rentabilité. Afin d’y échapper et de conquérir plus de restaurants, certains, comme Deliveroo ou Uber Eats, construisent leur réseau de livreurs. Mais le coût de celuici est considérable, et les entreprises peinent à accorder un salaire et une protection décente à leurs livreurs, d’où la multiplication de conflits sociaux. Finalement, chacun espère être le dernier debout pour emporter la mise, comme cela a été le cas avec Booking.com dans l’hôtellerie. C’est le pari de Takeaway et d’Uber.
PERTES & PROFITS | JUST EAT TAKEAWAYpar philippe escande
Bataille de livreurset pluie de milliards
CONJONCTURELa Fed prévoit une baisse de 6,5 % du PIB des Etats-Unis en 2020La Réserve fédérale américaine (Fed) a promis, mercredi 10 juin, de continuer à soutenir l’économie pendant plusieurs années après la crise provoquée par la pandémie de Covid19, qui devrait se solder par une chute du produit intérieur brut (PIB) de 6,5 % en 2020 et porter le taux de chômage à 9,3 % en fin d’année. – (Reuters.)
MÉDIASDenis Olivennes nommé directeur général de « Libération »Denis Olivennes a été nommé directeur général et cogérant du journal Libération, en remplacement de Clément Delpirou, selon un courriel interne envoyé par la direction jeudi et consulté par l’Agence FrancePresse. Il quitte donc la présidence de CMI France, le groupe de médias français du milliardaire tchèque Daniel Kretinsky (actionnaire indirect et minoritaire du Monde), qu’il assurait depuis début 2019.
INTERNETAmazon suspend l’accès de la police américaine à son logiciel de reconnaissance facialeAmazon a annoncé, mercredi 10 juin, un moratoire d’un an sur l’utilisation, par la police américaine, de son logiciel de reconnaissance faciale, alors que des manifestations de masse se déroulent aux EtatsUnis pour dénoncer la brutalité policière contre les personnes de couleur, après la mort de George Floyd, le 25 mai à Minneapolis (Minnesota) – (Reuters.)
Des liens inquiétants entre chômage et suicide
L e lien entre travail et suicide résonne particulièrementdans l’actualité puisque la crise sanitaire se double d’unecrise économique et sociale. » C’est ainsi que Fabrice Len
glart, à la tête de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), et président délégué de l’Observatoire national du suicide (ONS), a présenté, mercredi 10 juin, le quatrième rapport de l’ONS.
La relation de cause à effet n’est pas évidente. « Le chômagepeut détériorer la santé mentale, mais une mauvaise santé mentale peut, à terme, limiter la participation au marché du travail, la recherche et l’obtention d’un emploi », rappelle l’ONS. Et pourtant, les chiffres sont là : 30 % des chômeurs songent sérieusement au suicide, contre 19 % des actifs en poste, et « le risque dedécès par suicide des chômeurs est supérieur à celui des actifs en emploi, en particulier chez les hommes entre 25 et 49 ans ».
La perte d’emploi a une incidence sur tous les domaines de lavie (famille, relations sociales) et des effets délétères sur la santé du chômeur (troubles du sommeil, alimentation déséquilibrée, moindre activité physique, comportements addic
tifs). « Le chômage entraîne une détérioration de la santé mentale pouvantaller de l’anxiété à la dépression, voire,dans sa forme la plus dramatique, ausuicide », peuton lire dans le rapport.
Le psychiatre Michel Debout, coauteur du document, alerte les pouvoirs publics sur l’urgence de proposer des accompagnements psychiques aux demandeurs d’emploi. Ildistingue différents types de suicide : « le suicide retrait », qui clôt unepériode d’isolement et de désociali
sation provoquée par le chômage et qui pourrait être évité par une proposition de formation ou d’emploi, même précaire ; « lesuicide protestation », qui manifeste l’opposition à tout ce qui aconduit au licenciement ; enfin, « le suicide sacrifice », qui estaussi un acte de dénonciation, pour faire bouger les lignes.
L’acte suicidaire n’est pas qu’un problème avec soi, mais uneréponse à la société. « C’est bien à “l’être social” que s’adresse la violence générée par la perte d’emploi, les licenciements, les plans sociaux et les dépôts de bilan », souligne M. Debout. Vu lesperspectives économiques, la baisse du nombre de morts par suicide révélée par le rapport (9 300 en 2016) est fragile. « Hélas,cette évolution est en cours d’inversion rapide. On constate déjà une remontée des actes suicidaires avec la crise », affirme JeanClaude Delgènes, président fondateur du cabinet Technologia, spécialisé dans la prévention des risques psychosociaux.
anne rodier
LA PERTE D’EMPLOI A UNE INCIDENCE SUR TOUS LES DOMAINES DE LA VIE ET DES EFFETS DÉLÉTÈRES SUR LA SANTÉ
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0123VENDREDI 12 JUIN 2020 horizons | 19
En Israël, sur les traces du colon bâtisseurZe’ev Hever, entrepreneur au passé terroriste, est le principal constructeur des colonies dans les territoires palestiniens. L’Etat israélien s’apprête à légaliser son « œuvre », en annexant une partie de la Cisjordanie à partir du 1er juillet
jérusalem correspondant
T oute sa vie, le « roi » des colonsisraéliens, Ze’ev Hever, a attendu ce jour. Voilà trente ansque le patron d’Amana, l’entreprise de bâtiment des colons,construit en Cisjordanie occu
pée, peuplant de centaines de milliers de juifs son empire de caravanes et de pavillons à tuiles rouges. A compter du 1er juillet, le gouvernement de Benyamin Nétanyahou s’est engagé à légaliser son œuvre, accomplie en violation du droit international. Avec le soutien de Washington, M. Nétanyahou a promisde rompre avec le régime d’occupation en vigueur depuis la victoire militaire de 1967 pour annexer la vallée du Jourdain et les colonies en Cisjordanie. Il entend appliquer la« souveraineté » israélienne sur ces terrespromises au peuple juif par la Bible. A 66 ans,M. Hever, que tout le monde surnomme« Zambish » en Israël, pourrait exulter. Pourtant, il se tait. Il étudie les cartes des implantations. Il laisse son propre camp se diviser sur le projet d’annexion conçu par M. Nétanyahou et ses alliés américains.
Une partie des colons rejettent le « planTrump », qui envisage encore la création d’unEtat palestinien, même réduit à presque rien.Ils craignent aussi que ce programme ne lescontraigne à abandonner certaines de leursconquêtes. Ils veulent tout, tout de suite, ou bien rien. Et Zambish, homme de réseaux etd’argent, est leur relais au sein de l’Etat. Un héros pour beaucoup, un traître pourd’autres, qui l’accusent de comploter avec M. Nétanyahou afin de brader leur terre.
Ze’ev Hever n’a pas toujours été ce notable,cet homme d’antichambre à la voix forte et aux manières respectueuses, que les puissants admirent. Né dans une famille religieuse, il est issu du creuset d’Hébron, colonieultraviolente, où un petit noyau d’idéologuess’établit dès 1968, après la guerre des SixJours,à l’ombre du tombeau des Patriarches (la mosquée d’Ibrahim pour les musulmans). Adolescent, il y prépare son service militaire dans une académie religieuse, puis gravite dans l’entourage du rabbin Moshe Levinger, au seindu Bloc de la foi, le Gush Emunim, qui se veut le fer de lance de la reconquête du « grand Israël », du Jourdain à la Méditerranée.
« MENEUR D’HOMMES »Zambish, grand garçon bien bâti, un peu voûté, à la barbe noire broussailleuse et auxbeaux yeux sombres, ne craint pas defaire le coup de feu. Il suit son camaradeYehuda Etzion lorsque celuici contribue àformer, en 1979, un réseau voué à l’actionviolente et secrète, Hamakhteret hayehudit,« la résistance juive ». En juin 1980, il se jointà l’un des commandos envoyés poser desbombes sous les voitures des maires de troisgrandes villes palestiniennes.
En juillet 1983, des membres du réseausont les auteurs d’une fusillade dans l’université islamique d’Hébron (3 morts, 33 blessés). Zambish n’était pas de cette équipéelà.Il a été auparavant « grillé » par le Shin Bet, leservice de renseignement intérieur israélien. Les agents ont trouvé une bombe, que son commando avait échoué à placer sous levéhicule du maire de Bethléem trois ansplus tôt, et que Zambish avait cachée prèsd’Hébron. Interrogé, ce dernier reste muet.Mais les agents finissent par prendre sescamarades la main dans le sac, une nuitd’avril 1984, alors qu’ils posent des bombessous des bus arabes, à Jérusalem. « Zambishne faisait pas partie de la direction dugroupe, mais il était influent et il connaissaitcertains de leurs plans », estime aujourd’hui Yaakov Peri, l’un des enquêteurs, qui prit parla suite la direction du Shin Bet.
Leur procès fait grand bruit. Zambish estcondamné à onze mois de prison. YehudaEtzion y passe cinq ans pour avoir planifié ladestruction du dôme du Rocher, le troisièmelieu saint de l’islam. « Zambish a montré sescapacités de meneur d’hommes durant sadétention parmi eux », assure au Monde un ancien responsable du mouvement colon,soucieux de demeurer anonyme. Une fois sortis, « nous avons continué d’agir chacunselon nos moyens, qui sont complémentaires », précise, pour sa part, Yehuda Etzion. A69 ans, le vieux radical milite encore pour laconstruction du « troisième temple » juif surle mont du Temple (ou l’esplanade des Mosquées), et mesure avec admiration le cheminparcouru par son compère Zambish.
En 1989, celuici est élu secrétaire générald’Amana, une association qui finance, grâce àsa compagnie commerciale de bâtiment, le conseil de Yesha, représentant des colonies auprès de l’Etat. « Zambish n’avait pas de titrede chef ou de général, mais il a été le plus influent d’entre nous depuis au moins vingt ans,
dit l’exresponsable du mouvement colon. Nos institutions venaient à lui pour obtenir des prêts, elles sont devenues dépendantes de lui, parce qu’il avait accès à l’argent. » Son objectifdéclaré : héberger, à terme, 1 million de juifs enCisjordanie. Il se tient aujourd’hui à michemin : les colons sont environ 450 000 en Cisjordanie, et 200 000 autour de Jérusalem.
Zambish, marié et père de sept enfants,conserve de ses années de terrorisme le goût du secret : il ne donne pas d’interviews à lapresse. Son obsession : les « avantpostes », ces colonies construites loin dans les territoires palestiniens, au mépris du droit international et, souvent, de la loi israélienne.« Amana choisit le lieu, le moment approprié,le type d’avantposte à construire et fournit l’argent », résume Dror Etkes, l’un des plusfins observateurs de la colonisation, qui la combat au sein de l’ONG de gauche KeremNavot. Par la suite, Zambish négocie avec legouvernement pour qu’il tolère et légalise éventuellement le nouveau bâti.
Cette influence, le leader colon l’a acquiseauprès d’Ariel Sharon, ministre de la construction au début des années 1990. « Zambish est, dans une très large mesure, une créature de Sharon, qui est tombé amoureux delui. C’était le genre de type qu’il a toujours admiré : jeune, fort et bien bâti, vétéran d’uneunité de combat, religieux, efficace et courantles collines », estime Ehoud Olmert, successeur de M. Sharon à la tête du gouvernement, après l’attaque cérébrale qui le plongea dans le coma en 2006.
Nombre de colons n’ont jamais pardonné àZambish cette amitié, qui les a pourtant servis. Ils soupçonnent celuici d’avoir acquiescé secrètement au retrait de l’armée et à l’évacuation des colonies de la bande de Gaza, décrétées par M. Sharon en 2005. Zambish, lui, est demeuré fidèle. « Ton désengagement du chemin que nous avons parcouru ensemble, pendant tes deux dernières années au pouvoir, était difficile et pénible. Les questions restent sans réponse, la douleur est immense, et tout sera recouvert d’un grand amour », déclaretil à la Knesset, en 2014, après la mort de
M. Sharon, qu’il appelle encore « notre père ». Zambish ne s’est cependant jamais enfermé dans un seul camp. Depuis les années 1990, il a fréquenté tous les gouvernements israéliens, de droite comme de gauche. Ses alliés aiment à rappeler que Yitzak Rabbin lui avait fait montrer les cartes sur lesquelles se négociaient les futurs accords d’Oslo, signés en 1993. Zambish y est hostile, mais il proposedes ajustements et tire le meilleur parti d’un processus qu’il ne peut contrecarrer, en militant notamment pour la construction de routes reliant les colonies aux grandes villes.
Le travailliste Ehoud Barak (au pouvoir de1999 à 2001) lui donnait l’accolade, lorsqu’ille croisait à la cafétéria du Parlement. Ses successeurs, Ehoud Olmert et Benyamin Nétanyahou, respectent son savoirfaire et samémoire des chemins de traverse de Cisjordanie, saisissante selon ses proches. Il les parcourt à pied ou en 4 × 4, parfois seul et avec prudence, lorsqu’il s’approche de certaines colonies, parmi les plus radicales.
« IL PÈCHE PAR FIERTÉ »« Pendant des années, j’ai pris des jeunes[colons] qui faisaient de l’autostop au bord des routes, mais depuis un an, je vois la ragedans leurs yeux et parfois je ne m’arrête plus,pour éviter une situation déplaisante », ditil publiquement dès l’été 2012. Contesté par certains radicaux d’Hébron, il a quitté saville pour s’établir auprès de l’une de sesfilles, d’abord dans une caravane puis dans une belle maison de pierre jaune, juchée surune colline d’ElAzar (centre), dans un quartier illégal au regard du droit israélien.
« Zambish partage sans aucun doute notreidéologie, reconnaît Daniella Weiss, 75 ans,son aînée au sein du Gush Emunim. Mais iln’a pas d’école, pas de rabbin, pas de groupe oùles choses peuvent être exposées et discutées. Ilpèche par fierté, par hubris ! » Cette critique est commune : Zambish exerce le pouvoir en solitaire, supervisant jusqu’aux plus petitestâches. « Même auprès de ses amis les plus proches ou des gens en qui il a confiance, il garde ses plans secrets. Nombre de gens qui
travaillaient avec lui ont fini par le quitter,parce qu’ils n’avaient pas de place pour grandir », dit l’ancien responsable du mouvementcolon désireux de rester anonyme.
C’est l’une des rares ressemblances entreZambish et Benyamin Nétanyahou. Lesdeux hommes se connaissent depuis lepremier mandat de M. Nétanyahou, en 1996. Ils se savent indispensables l’un àl’autre. Mais Zambish, sans formation universitaire, indifférent à l’argent pour luimême, ne parle pas la même langue que lepremier ministre, cet homme du monde,peu porté sur la religion, plus préoccupé de la grande histoire du peuple juif et de sesdroits que des basses réalités de la terre.
Depuis cinq ans, M. Nétanyahou a su satisfaire son allié, en tolérant le développement de colonies agricoles, gourmandes en terre, dans le nord et l’est de la Cisjordanie. Il a aussiautorisé une hausse spectaculaire des constructions depuis 2018. Ce rapport de force pousse les colons à durcir encore leur position à l’approche de la date promise de l’annexion. « Nétanyahou craint avant tout d’être contesté par sa droite. Il n’a pas d’autre choix que de garder Zambish heureux. C’est lui quidécide, in fine, si “Bibi” est encore l’un des leurs, si les colons doivent rester derrière lui »,estime le journaliste Anshel Pfeffer, biographe du premier ministre.
Début juin, s’estimant tenus à l’écart desnégociations avec l’administration américaine, les colons ont lancé une vaste campagne d’affichage pour critiquer le planTrump. Washington a fait savoir son déplaisir. M. Nétanyahou a luimême dénoncé l’ingratitude de ses alliés, qui risquent degâcher « une occasion historique ». Au fond, les colons craignent que leur premier ministre se contente d’annexer quelques terres symboliques, ou qu’il abandonne sa promesse électorale, lancée alors qu’il luttait pour demeurer au pouvoir, au fil de trois élections législatives en à peine un an.
Quant à Zambish, il s’est laissé photographier début juin, la mine soucieuse, devant une carte des colonies. « Il est pour l’annexion,veut croire un interlocuteur de confiance. C’est la manière des gens pragmatiques qui ont fondé l’Etat d’Israël. David Ben Gourionavait accepté le plan de partition [de la Palestine sous mandat britannique, en 1947],quand les idéologues le refusaient. Il disait :“Prenons un petit morceau et nous le développerons. Un jour nous aurons tous les territoires que nous voulons, le futur sera avec nous.” » Mais dans ce jeu de poker menteur, Ze’ev Hever se tait, comme à son habitude.
louis imbert
Ze’ev Hever, dit « Zambish », à Jérusalem, le 18 juin 2017. YONATAN SINDEL/FLASH90
« C’EST “ZAMBISH” QUI DÉCIDE, IN FINE,
SI BENYAMIN NÉTANYAHOU EST ENCORE
L’UN DES LEURS, SI LES COLONS
DOIVENT RESTER DERRIÈRE LUI »
ANSHEL PFEFFERjournaliste, biographe
du premier ministre
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20 | CULTURE VENDREDI 12 JUIN 20200123
Spike Lee mène la guerre des héros fatiguésLe réalisateur militant a bâti une fable autour de quatre vétérans afroaméricains qui retournent au Vietnam
DA 5 BLOODS
C hantre inlassable et rageur de la cause noireaux EtatsUnis, SpikeLee – qui a failli cette an
née présider le jury du Festival de Cannes – divulgue son nouveau film sur la plateforme Netflix à compter du 12 juin. Da 5 Bloods sedécouvre sous les feux d’une actualité tragique, alors qu’une vague de manifestations et de troubles traverse les EtatsUnis, consécutivement à l’étranglement mortel d’un homme noir, George Floyd, par un policier blanc lors deson arrestation le 25 mai. Ce lieu commun de la violence racisteaméricaine, Lee l’avait déjà filméen 1989 dans le mémorable Do the Right Thing (1989), où le meurtre d’un jeune Noir, semblablement tué par l’effet d’une strangulation portée par un policier blanc, entraîne la révolte d’unquartier de Brooklyn, à New York. Plus que quiconque conscient de cette récurrence, Lee a d’ailleursréitéré son geste voici quelques jours en publiant sur son compte Twitter un montage percutant qui relie trois morts d’hommesnoirs par étouffement, celle fictive de Do the Right Thing, lesdeux autres, bien réelles et filmées par des témoins, étant cellesde George Floyd et d’Eric Garner, en 2014 à Staten Island, victime d’un plaquage ventral.
Titrant ce court film L’histoirecesseratelle de se répéter ?, le réalisateur nous rappelle au passageque c’est toujours à l’histoire, si cen’est exclusivement à cette part maudite de l’histoire américaine,que se confronte obsessivement son cinéma depuis bientôt quarante ans. Da 5 Bloods, cela n’étonnera personne, n’y fait pas exception. Cinquante ans après les événements, quatre vétérans afroaméricains retournent auVietnam pour y retrouver le corpsde leur officier et ami, mort aucours d’une mission. Mais il s’agitaussi de remettre la main sur le trésor de guerre qu’ils ont dû enterrer sur place au cours de cette même mission. Une malle remplie de lingots d’or, dépêchée par la CIA aux indigènes qui combattaient le Vietcong.
Romanesque flamboyantPas grandchose ne se passera comme prévu, eu égard à la morale que Spike Lee semble vouloir conférer à sa fable, le groupe devant à cet effet exploser en cours de route. Il s’agit en l’occurrence de deux choses. Montrer d’abord que les soldats noirs américains, aliénés par un Etat qui n’a jamais réellement fait cesser la ségrégation dans la vie civile, se sont trompés de guerre. Rappeler ensuite que les idéaux de lutte et de solidarité des années 1970 se sont émoussés, y compris au sein de la communauté noire au profit d’un individualisme dissolvant. Si l’on perçoit assez clairement cettedouble intention, les moyens employés par Lee pour l’administrer
manquent toutefois de la tenue adéquate pour le faire avec le minimum de complexité requis.
Spike aura ici péché précisémentpar où on l’aime. Ce goût toujours limite du romanesque flamboyant, du baroque, de l’impureté du récit. Il semble qu’on soit passé cette foisci de l’autre côté du kitsch. Quelque part entre Le Trésor de la Sierra Madre (1948), de John Huston, et Apocalypse Now (1979), de Francis Ford Coppola – à propos duquel les références écrasantes abondent –, le cinéaste compose un récit largement empêché par ses propres faiblesses.
Qui tiennent à l’aspect monolithique et trop souvent sommaire despersonnages, à la fusion ratée du grotesque et du sublime par quoiLee rejoint Hugo dans la définition du romantisme, à la prolifération des intrigues secondaires, quifinissent par faire perdre de vue laligne du récit.
Entrons dans le détail. Deux desmembres du quatuor n’existent simplement pas comme personnages, c’est déjà fâcheux. Les deuxautres, Paul (Delroy Lindo) et Otis (Clarke Peters), en sont réduits à illustrer une partition antagoniqueentre l’être noir aliéné par le sys
tème blanc (Paul, à moitié paranoïaque, est devenu trumpiste) et l’homme cultivant encore l’idéal combatif de sa jeunesse. Les retours en arrière sur les scènes de guerre sont, quant à eux, problématiques pour deux raisons : une certaine platitude, écrasée si besoin était par le petit écran, etl’écart d’âge incongru entre les quatre acteurs et l’interprète de l’officier qui était à leurs côtés, en l’occurrence Chadwick Boseman (alias Black Panther), qui pourrait être leur fils. Ajoutez à cela un JeanReno incertain en crapule française grand style, une MélanieThierry expiant le passé colonialiste de sa famille en devenant démineuse, le fils malaimé de Paul, la fille cachée d’Otis, le cancer caché de Paul dû à l’agent orange, l’amante vietnamienne dévoilée d’Otis… Une barque décidément un peu trop pleine pour voguer.
Portraits en miroirReste l’omniprésence de Marvin Gaye et des traits d’humour qui portent parfois, telle cette chevauchée des Walkyries qui remémore l’attaque des hélicos d’Apocalypse Now, mais résonne ici sur l’image d’un pauvre rafiot danslequel un soldat noir tente de voler une paire de chaussures suspendue à un fil. C’est peu. Fautil en inférer que le film de guerre ne
sied pas à Spike Lee ? On pourrait l’imaginer, après la mésaventure similaire du Miracle à Santa Annaen 2008, qui relate lui aussi, avecune certaine désinvolture et forceressorts mélodramatiques, l’implication et le sacrifice de soldats afroaméricains sur le front italien en 1944. Autant décentrerson regard du propos sur lequel lefilm voudrait nous contraindre à nous appesantir, pour aller chercher ailleurs, sur un chemin de traverse, une bonne raison de s’alléger et de s’émouvoir.
Ce serait, en l’espèce, l’entréedans la vieillesse d’un cinémaaméricain postclassique qu’onaurait pu croire éternel, puisque procédant luimême d’une renaissance. Ce cinéma dont Lee (63 ans) partagerait aujourd’hui leterritoire avec un Clint Eastwood (90 ans), un Martin Scorsese
Cinquante ans après les événements, d’anciens soldats veulent retrouver la dépouille de leur officier mort au cours d’une mission. DAVID LEE/NETFLIX
Spike Lee aura ici péché
précisément paroù on l’aime.
Il semble qu’onsoit passé cettefois-ci de l’autre
côté du kitsch
(77 ans) ou un Quentin Tarantino (57 ans). Chacun d’entre eux courait dès l’origine derrière un cinéma désiré mais moribond, qu’ilaura relancé à nouveaux frais. L’âge d’or hollywoodien pour le néoclassique Eastwood. L’auteurisme européen pour le torturé Scorsese. Le cinéma bis pour le maniériste Tarantino. Le cinémamilitant pour le vibrion afroaméricain Spike Lee. Aujourd’huiéloignés de ces sources comme deleur jeunesse, ils se retournent sur leur propre création pour y rejouer leur carte favorite, celle de lacontinuité dans la rupture. Leurs héros vieillissants, débarquant pour solder des affaires déclinantes, sont autant de portraits en miroir, tour à tour drôles, pathétiques et cruels. En ce sens, les personnages principaux de Space Cowboys (2000), The Irishman(2018), Once Upon a Time… in Hollywood (2019) et Da 5 Bloods sont frères : leur victoire nous émeut,mais elle a l’amertume inexorable du temps qui passe et qui la retourne en défaite.
jacques mandelbaum
Film américain de Spike Lee. Avec Chadwick Boseman, Delroy Lindo, Clarke Peters, Giancarlo Esposito, Paul Walter Hauser, Jean Reno, Mélanie Thierry (2 h 35).
« Autant en emporte le vent » retiré de la plate-forme de streaming HBO MaxEn plein mouvement de protestation contre le racisme et les vio-lences policières visant les Noirs aux Etats-Unis, le film « Autant en emporte le vent » (1939) a été retiré de la plate-forme de streaming HBO Max. Le long-métrage est considéré par de nom-breux universitaires comme l’instrument le plus ambitieux et ef-ficace du révisionnisme sudiste. Il présente une version romanti-que du Sud et une vision très édulcorée de l’esclavage, avec notamment du personnel de maison dépeint comme satisfait de son sort et traité comme des employés ordinaires. « Autant en emporte le vent est le produit de son époque et dépeint des préju-gés racistes qui étaient communs dans la société américaine », a commenté, mardi 9 juin, un porte-parole de HBO Max. Maintenir ce film dans son catalogue « sans explication et dénonciation de cette représentation aurait été irresponsable ». La plate-forme prévoit de remettre le film en ligne mais avec une contextualisa-tion pour restituer l’œuvre dans son époque.
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0123VENDREDI 12 JUIN 2020 culture | 21
Les histoires naturelles de Jochen LempertA IvrysurSeine, le Crédac a rouvert et prolonge jusqu’à l’été l’exposition consacrée au photographe allemand
PHOTOGRAPHIE
L e Centre d’art contemporain d’IvrysurSeine(ValdeMarne) a rouvertavant la grande majorité
des musées parisiens, encore fermés, et l’occasion est belle d’aller y faire un tour. Anciennement installé au pied du métro de la Porte d’Ivry, le terminus de la ligne 7, le Crédac est parti prendre de la hauteur il y a une dizaine d’années dans l’exManufacturedes Œillets, devenue un pôle culturel, avec un théâtre et une école d’art. En attendant qu’une signalétique plus entreprenantevienne guider les visiteurs, on peut se perdre un peu sur le chemin, les yeux en l’air, car la baladeest architecturale, parmi les ensembles modernistes du quartier jusqu’à l’ancienne usine, ellemême une cage de verre des années 1910, à la vue imprenable.
L’Allemand Jochen Lempert ena fait un « Jardin d’hiver », uneserre pour ses photographies saisies comme autrefois il captait insectes et oiseaux. La lumière intense des lieux, avec laquelle lesartistes invités doivent toujourscomposer, devait de fait être une lumière d’hiver, plus douce pourles tirages, non encadrés, qu’il adirectement fixés au mur ou posés dans des vitrines.
Le confinement en a décidéautrement, et l’exposition, initialement prévue du 24 janvier au5 avril, vient de rouvrir et est prolongée jusqu’aux premiers joursde l’été. Une chance pour ceux quiseraient passés à côté du travail de ce photographe peu montré, donc peu connu en France.
Né en 1958 et installé à Hambourg, Jochen Lempert est d’abordun scientifique : c’est en tant qu’ornithologue qu’il emploie la photographie, qui fut un outil, avant queles processus de fabrication des images ne prennent le pas sur sa pratique, au début des années 1990. Restent le goût des expéri
mentations de laboratoire sur papiers sensibles et les formules des révélateurs et fixateurs de ses tirages argentiques en noir et blanc. Reste aussi l’œil du biologiste, qui attrape le réel.
Son regard, c’est déjà l’utilisationpresque exclusive du 50 mm, une optique au plus proche de la vue humaine. Un regard modeste qui tranche avec la monumentalité de ses compatriotes de l’Ecole de Düsseldorf, Thomas Struth, Thomas Ruff, Andreas Gursky ou encore Bernd et Hilla Becher. N’usant ni du zoom ni du grandangle, son observation des mondes végétal, animal et minéral s’articule d’ailleurs toujours avec l’humain d’une façon ou d’une autre.
Chercher l’humain dans laphoto en devient presque un jeu, car cette présence est discrète. Le photographe recourt à des leurresvisuels de toute nature. Poétiquesparéidolies, où l’on croit deviner
les trois salles de l’exposition.L’agencement est une orchestration sur mesure, comme lorsque les fils d’une toile d’araignée apparaissent telles des portées musicales dénuées de notes, tandis qu’à côté, deux cerises aux queues parallèles prennent des airs de notessuspendues. Ces mêmes cerises sauvages sont accrochées dans
une autre salle, mais ni au même format, ni dans le même contexte,ni avec le même cadrage : l’artisteen a coupé une au cutter comme ilaurait taillé le cerisier.
Un petit miracle de la naturechasse l’autre, mais c’est le rapprochement des photos par échosformels ou conceptuels qui crée des narrations imprévisibles. Ici un jeu de troncs et de souches, là un rébus visuel de coquilles, carapaces et enveloppes en tout genre, de la coccinelle à une voiture vue depuis son atelier. Un hippocampe, une feuille, un hippocampe feuillu, une sculpturede Jean Arp qui semble avoir remélangé toutes ces formes. Le détail de fleurs aux pieds d’unenymphe de Botticelli côtoie un cliché au ras de pâquerettes à la même échelle, mais foulées par un pneu de voiture.
Partout, l’œil cherche aussi à élucider la nature de l’image. Jochen
Lempert brouille les pistes, notamment en jouant sur le graindes tirages, qui ressemblent parfois à des dessins : les papiers sontinsolés ou trempés dans de l’eausalée, et les images extraites du réel basculent volontiers dans de semiabstractions. Dans une magnifique série, deux oiseaux mêlent leurs becs et leurs blancheurs surexposées dans d’infinies variations. Avec un simple photogramme de sable, le micro devientmacro par projection mentale, les grains ressemblant à une vue du cosmos dans une nuée de points blancs. Chez Jochen Lempert, même l’humour se distille de manière minimaliste.
emmanuelle jardonnet
« Jardin d’hiver. Jochen Lempert », jusqu’au 27 juin, à La Manufacture des Œillets, 1, place PierreGosnat, IvrysurSeine. Entrée libre, sur réservation.
« Swans (Stockholm) » (2018),de Jochen Lempert. JOCHEN LEMPERT/ADAGP, PARIS 2020/COURTESY PROJECTESD (BARCELONE)ET BQ (BERLIN)
A la basilique de SaintDenis, s’initierau travail de la pierre dans les règles de l’artDes ateliers sont proposés pour découvrir les métiers de la restauration architecturale
REPORTAGE
B im, bim, bim, bim. » Ciseau dans une main, massette dans l’autre, Alice et
Héloïse, 9 ans, taillent avec application le cube en pierre de SaintLeu posé sur un établi. DélivranceMakingson et Frédéric Thibault, tailleurs professionnels, se penchent sur leur épaule pour les guider dans leur travail. Non loindes fillettes, deux dames s’initient au travail du fer, en compagnie de Mathieu Bonnemaison et de Bakary Yatera, forgerons.
Ils sont une dizaine, adultes etenfants, à avoir ignoré le ciel menaçant de ce début juin pour participer aux ateliers de découverte des métiers de la restauration proposés sur le parvis de la basilique de SaintDenis (SeineSaintDenis). Organisées par l’association Suivez la flèche et la mairie, ces séances, sur réservation (et avec masque), visent à associer la population au projet de reconstruction de la flèche de la tour nord de l’édifice. Haute de 85 mètres, elle avait été démontée pierre à pierre en 1847, à la suited’une série de tornades qui en avait fragilisé la base, et n’avait jamais été rebâtie depuis.
Comme pour NotreDame deParis, les spécialistes se sont affrontés pour savoir s’il fallait re
monter à l’identique le clocherou s’orienter vers une créationcontemporaine. Voire laisser l’édifice amputé de sa tour Nord. Après des années de tergiversations, le projet de remontage « à l’ancienne » a reçu l’aval de l’Etat,qui a signé une conventioncadre avec l’association Suivez la flèche, le Centre des monuments nationaux et le diocèse en 2017.
Contrairement à NotreDame, letravail ne se fera pas au pas de course. Les responsables ont opté pour le temps long, dix ans environ, en utilisant les outils et les matériaux de l’époque de sa construction, au XIIe siècle. Et ils ont choisi de faire œuvre de pédagogie : outre ces ateliers, ouverts jusqu’au 22 octobre, où l’on découvre les savoirfaire des artisans, l’histoire de la nécropole desrois de France est présentée à l’aide de cartes et de maquettes. Par la suite, explique Benjamin Masure, coordinateur du projet,des formations à visée d’insertion seront assurées sur le chantier pour des jeunes désireuxd’acquérir ces compétences.
Retrouver les gestes de l’époqueA partir du moment où démarreront les travaux, en 2022, une structure en belvédère, avec rampe d’accès et ascenseurs, serainstallée pour permettre aux
curieux d’aller observer, à40 mètres de hauteur, les opérations. Payant, ce parcours dedécouverte permettra de participer au financement du projet,évalué à 25 millions d’euros. Leprincipe a été expérimenté auchâteau de Guédelon (Yonne)qui, depuis vingt ans, reçoit enmoyenne 300 000 visiteurs par an, venus découvrir la construction d’une forteresse médiévaleavec les techniques et les outilsdu Moyen Age.
« Audelà de l’enjeu patrimonialet touristique, le projet a un objectif fédérateur pour les SéquanoDyonisiens, très attachés à leur basilique, que l’on peut voir de tous les quartiers de la ville », souligne le maire (PCF), Laurent Russier. Lamairie, la région et l’Etat apportent leur contribution, mais « des mécènes sont sollicités pour avancer les frais du parcours de découverte », précise l’architecte du projet, Frédéric Keiff.
« C’est un privilège de pouvoirtravailler comme on le fait ici et de partager avec le public », confie le forgeron Mathieu Bonnemaison, qui explique avec passion son travail de taillandier (fabricant d’outils pour creuser la pierre). Il s’inspire de gravures anciennes pour reproduire les instrumentsqui étaient utilisés au Moyen Age et retrouver les gestes des artisans de l’époque.
Serrant contre elles le pavéportant l’initiale de leur prénomsculptée de leur main, Alice etHéloïse écoutent Délivrance Makingson énumérer les grandschantiers de restauration – NotreDame, le pont Neuf, Bastille,Versailles – auxquels il a participé depuis vingtcinq ans qu’ilopère dans la région. Lui se dit heureux de transmettre au public son « amour du minéral »,comme son collègue Frédéric Thibault, intarissable sur lesvoûtes sur croisée d’ogive, typiques de l’architecture gothiqueinventée ici, à la basilique deSaintDenis, avant d’essaimer àtravers l’Europe.
sylvie kerviel
Basilique de SaintDenis, réservation sur Exploreparis.com.Groupes de 10 personnes maximum, gratuit (1 h 30). Jusqu’au 22 octobre.
La reconstructionde la flèchede l’édifice, démontée
en 1847, débuteraen 2022
ARTSUne œuvre attribuéeà Banksy, voléeau Bataclan, retrouvée en ItalieVolée en 2019 au Bataclan à Paris, une œuvre attribuée au streetartiste Banksy, réalisée sur une porte de l’établissement en hommage aux victimes des attentats de novembre 2015, a été retrouvée dans le centre de l’Italie. L’opération a été menée à la demande de la police française et en présence de policiers français. Selon le quotidien La Repubblica, la porte a été retrouvée dans une ferme de la campagne des Abruzzes. Réalisée au pochoir et à la peinture blanche, l’œuvre représente un personnage féminin à l’air triste. Elle avait été peinte sur l’une des sorties de secours, située derrière le Bataclan, dans le passage par lequel de nombreux spectateurs du concert des Eagles of Death Metal s’étaient échappés pendant l’attaque terroriste. – (AFP.)
SPECTACLEUne cinquantaine d’artistes donnent rendez-vous au publicà La Villette cet étéA partir du 1er juillet, dans le cadre de « l’été culturel et apprenant » lancé par le ministre de la culture, une cinquantaine d’artistes, de toutes disciplines (le chorégraphe Angelin Preljocaj, le fondateur du Théâtre équestre Zingaro Bartabas, la danseuse Anne Nguyen, le magicien Thierry Collet, etc.), se
déploieront sur le site deLa Villette à Paris pour présenter leur travail au public. Tous les espaces extérieurs et intérieurs (Grande Halle, Folies, etc.), accessibles gratuitement, seront mis à disposition pour des ateliers de découverte des coulisses de la création. En collaboration avec le Centre Pompidou, des œuvres éphémères seront réalisées par huit artistes dans les espaces de la Grande Halle, en utilisant les matériaux provenant des réserves du site de La Villette pour une collection intitulée« Les Moyens du bord ».Par ailleurs, le traditionnel festival de cinéma en plein air, du 24 juillet au 22 août, aura pour thème cette année « Grandeur nature ».
CINÉMALa réalisatrice afro-américaine Ava DuVernay au comité directeur des OscarsLa réalisatrice afroaméricaine Ava DuVernay, connue pour ses prises de position et œuvres antiracistes, a été élue, mercredi 10 juin, au comité directeur de l’Académie des Oscars. Avec 26 femmes et 12 personnes de couleur sur 54 gouverneurs, la composition du comité qui dirige l’Académie n’a jamais été aussi diversifiée, selon les médias spécialisés. L’Académie a été critiquée ces dernières années pour son manque de diversité, parmi ses membres mais aussi dans le choix de ses nommés et vainqueurs. – (AFP.)
des visages dans les plis de végétaux butinés, photogrammes ludiques, comme cette petite fougère fantomatique révélée par la lumière de l’écran d’ordinateursur laquelle elle est posée. Méduses et sacs plastiques ondulant de concert sous l’eau, vraifaux enchaînements de photos.
Echos formels ou conceptuelsLorsque aucune trace de présencehumaine n’est détectable, il fauten savoir plus sur l’espèce ou lelieu montré sur l’image. Un modeste plantin sur un chemin ? Cette plante, qui se dissémine par le piétinement humain, a été surnommée « pied de l’homme blanc » par les Indiens d’Amériquedu Nord, où elle a été importée par les premiers colons. La photo est prise sur un de ces chemins dela colonisation, à Vancouver.
Le photographe a déployé prèsde 150 photos de tout format dans
L’observation desmondes végétal,
animal et minérals’articule
toujours, chez Jochen Lempert,
avec l’humain d’une façon
ou d’une autre
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22 | télévision VENDREDI 12 JUIN 20200123
HORIZONTALEMENT
I. Ne fera pas beaucoup d’effet, même réduit en poudre. II. Vénus est la pre-mière à l’allumage. Solide rapproche-ment. III. Trop malin pour être bien aimé. Grecque. S’use sous nos pieds. IV. Pousse au départ. Lentilles. Sem-blable. V. Noter très sévèrement. Points en opposition. VI. Manifesta-tion enfantine. Accaparée. VII. Brisé pour résister. Pièce de la charrue. Contre tout. VIII. Rejetée globale-ment. Mis à sa place. Golfe près de Marseille. IX. Risque de lâcher à tout moment. Métal jaune et mou. X. Dif-ficile de lui résister.
VERTICALEMENT
1. Insensible aux rigueurs du temps, elle va durer. 2. Pour une bonne présentation. Suiveur hérétique. 3. Expulsas les gaz. Le prix à payer pour s’exprimer. 4. Mesure chez Mao. Pianiste français. Fut capitale chez les Nippons. 5. Prend l’eau de tous les côtés. Gens de bonnes compagnies. Cité d’Abraham. 6. Victimes d’un délit de sale gueule depuis Moustaki. 7. Voit l’avenir après ouverture. 8. Per-sonnel. Evite de sortir une nappe. A sa place à table. 9. Trésor égyptien. Faci-lite la traction. Structure d’entreprise. 10. Se nourrit d’herbe tendre. En arri-vant au bout de la succession. 11. En feu. Grand ensemble. 12. Enrichit notre vocabulaire.
SOLUTION DE LA GRILLE N° 20 - 135
HORIZONTALEMENT I. Déliquescent. II. Erebus. Pamir. III. Proie. Solive. IV. Lens. Materas. V. Ane. Sac. Salo. VI. It. Haïra. Ter. VII. Se. Seul. Si. VIII. Amour. Etes. IX. Nuirez. Espar. X. Tentaculaire.
VERTICALEMENT 1. Déplaisant. 2. Errent. Mue. 3. Leone. Soin. 4. Ibis. Heurt. 5. Que. Sa. Réa. 6. Us. Maïs. Zc. 7. Sacrée. 8. Spot. Autel. 9. Calés. Lésa. 10. Emirat. Spi. 11. Nivales. Ar. 12. Trésorière.
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GRILLE N° 20 - 136PAR PHILIPPE DUPUIS
SUDOKUN°20136
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allant de 1 a 9.
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etre utilise qu’une
seule fois par ligne,
par colonne et par
carre de neuf cases.
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Chaque jeudi,l’essentielde la presseétrangère
L’AMÉRIQUESE RÉVOLTE
Face à unprésidentqui attiselesdivisions, les manifestationscontre les violencespolicièreset le racismeaux États-Unissemblentpartiespourdurer
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M850XPF
Tunisie7,20
DT
No 1545 du 11 au 17 juin 2020courrierinternational.comFrance : 4,50€
RÉCIT MA LUNE DE MIELAVEC UNE INTELLIGENCEARTIFICIELLE
GRÈCE — PLUS DURE SERA LA CRISEALGÉRIE— LE RAPPEUR SOOLKING,VOIX DU HIRAK
AVEC UNE INTELLIGENCE
V E N D R E D I 1 2 J U I N
TF121.05 La Chanson de l’annéeDivertissement présentépar Nikos Aliagas.23.05 La Chanson de l’annéeDivertissement présentépar Nikos Aliagas.
France 221.05 Candice RenoirSérie. Avec Cécile Bois,Raphaël Lenglet, Yeelem Jappain (Fr., 2017 et 2016).23.40 Basique, le concertEmission musicale.Avec Claudio Capéo.
France 321.05 Famille, je vous chanteDocumentaire de Mireille Dumaset Alain Chaufour (Fr., 2018, 110 min).22.55 La Vie secrètedes chansonsLes papas chanteursMagazine musical présentépar André Manoukianet Wendy Bouchard.
Canal+21.05 VenomFilm de Ruben Fleischer.Avec Tom Hardy, Michelle Williams (EU, 2018, 110 min).22.55 Gemini ManFilm d’Ang Lee. Avec Will Smith,Clive Owen (EU-Ch., 2019, 115 min).
France 520.55 La Maison France 5Magazine présentépar Stéphane Thebaut.22.25 Silence, ça pousse !Magazine présentépar Stéphane Marie et Carole Tolila.
Arte20.55 Un cœur pour ma filleFilm de Steffen Weinert. Avec Christoph Bach, Maggie Valentina Salomon (All., 2019, 90 min).22.25 ZZ Top. That Little Ol’Band from TexasDocumentaire de Sam Dunn(RU, 2019, 95 min).
M621.05 NCISSérie. Avec Mark Harmon,Emily Wickersham, Pauley Perrette(EU, 2018).23.30 NCISSérie. Avec Sean Murray,Michael Weatherly (EU, 2016).
Hannah Gadsby, humoriste de la différenceLe nouveau spectacle de la comédienne australienne dynamite tranquillement patriarcat et sexisme
NETFLIXÀ LA DEMANDE
SEULE-EN-SCÈNE
C est par ses adieux austandup, qu’elle pratiquait depuis une dizaine d’années en Aus
tralie, qu’Hannah Gadsby s’est faitconnaître du public international.La comédienne lesbienne, originaire de l’île de Tasmanie, bien connue en son pays pour son humour impitoyable contre le sexisme et l’homophobie, annonçait, dans Nanette, mis en ligne en 2018 sur Netflix, renoncer à cetype de spectacle. « Quand cet humour [l’autodérision] vient de gens maintenus dans les marges, ce n’est pas de l’humilité, mais de l’humiliation. » Mais, trois ansaprès le carton de son spectacle,qui lui a valu récompenses, louanges de la presse et prolongations, Hannah Gadsby se risque au « difficile deuxième album ».
Quoi de mieux pour ce faire, etpour impliquer pleinement le public, que d’ajouter un obstacle à ce retour très attendu ? Hannah Gadsby, experte de la montée en tension, commence donc par dérouler, en un prélude hilarant, le plan détaillé de son spectacle. Au menu : de l’humour d’observation, autour des différences de vocabulaire entre l’anglais américain et l’anglais australien
– moins accessible à un téléspectateur français ; une histoire d’anatomie dont le décor est celui du parc canin où elle promène son chien Douglas ; un mauvais diagnostic chez un gynécologue ;un hameçon tendu à ses haters sur les réseaux sociaux ; une rapide leçon sur la représentationdes femmes dans les peintures de la Renaissance italienne ; la révé
lation de son autisme de « haut niveau » ; le démontage de l’argumentaire des antivaccins ; et uneblague sur l’humoriste Louis C.K.
Puissant et subversifAlternant anecdotes du quotidien et punchlines bien senties, la comédienne procède à une « gentillemise en boîte du patriarcat » et relève, avec l’ironie piquante qui ca
ractérise son écriture, l’omniprésence du regard masculin, qui nomme, diagnostique ou domine l’art et l’histoire de l’art. C’est drôle, politique, bouleversant et déstabilisant, sans glisser dans lepathos. « Une blague, c’est essentiellement une question avec une réponse surprenante. Mais ici, une blague est une question que j’ai inséminée artificiellement. La ten
sion, c’est mon travail, ironisait Hannah Gadsby dans Nanette. C’est moi qui vous stresse, vous êtesdans une relation abusive. »
La puissance du spectacled’Hannah Gadsby tient à la réalisation brillante de toutes les promesses annoncées et à son écriture dense, qui ne laisse pas de répit au téléspectateur. Tout s’emboîte à merveille dans ce show subversif, méthodiquement mis en scène, comme un cri en faveur de l’affirmation de soi et du droit, pour tous, à la différence.
« Ce spectacle est une comédieromantique », risque d’entrée de jeu celle qui excelle à tourner en ridicule toutes les idéologies discriminantes, autant qu’à questionner la portée politique de l’humour ou à casser les codes classiques du standup. C’est aussile récit et une belle invitation à la résilience, pour celle qui a grandidans une Tasmanie où l’homosexualité n’a été dépénalisée qu’en 1997, fut victime d’un passage à tabac homophobe, de viol et s’est pratiquement retrouvée àla rue avant de connaître le succèssur les planches. « Mon cerveau m’emmène dans des endroits où personne d’autre ne vit. » On est ravis d’être du voyage.
mouna el mokhtari
Douglas, écrit et joué par Hannah Gadsby (2020, 72 min).
Après « Nanette » (2018), « Douglas » est le deuxième spectacle d’Hannah Gadsby. NETFLIX
Boires et déboires d’Amy Schumer, comédienne de standupDans « Crazy Amy », dont elle est aussi la scénariste et coproductrice, l’actrice incarne une journaliste newyorkaise
OCS MAXVENDREDI 12 - 20 H 40
FILM
A vec Crazy Amy, JuddApatow ajoute à sa casquette de producteur
celle de réalisateur, mais cède à une femme, Amy Schumer, les clésdu véhicule. Comme Kristen Wiig dans Mes meilleures amies (2011), de Paul Feig, cette comédienne de standup, qui a construit son personnage public en parlant de sexe avec une frontalité candide, est l’actrice principale, la scénariste et
la coproductrice du film. Elle en donne le ton, elle en fait le charme,elle en est l’argument commercial.
Amy, la journaliste newyorkaisequ’elle interprète, enchaîne journées de travail harassantes et soirées alcoolisées, pour généralement finir dans le lit d’un inconnuqu’elle se fait un devoir de quitteravant l’aube, souvent dans un saleétat, mais sans états d’âme. Les choses changent quand sa rédactrice en chef (Tilda Swinton, excellente en dominatrice perverse castratrice) l’envoie portraiturer unmédecin du sport aux mœurs très
conventionnelles (l’excellent BillHader) qui, en la sortant de son milieu, va rétablir les connexions de son cortex sentimental.
Le film porte la marque de sonauteur, qui n’a pas seulement eu letalent de solliciter Amy Schumer, mais aussi celui d’avoir transformé son énergie en une matièrecinégénique. On y retrouve les qualités des productions Apatow : dialogues qui claquent, étoffés parun pingpong gaguesque de références à la culture pop, attention minutieuse à tous les personnages, y compris les plus périphéri
ques (comme le rappeur Method Man qui joue un médecin africain relégué par l’hôpital américain au rang d’aidesoignant), dont les singularités font le relief du film…
On reconnaît aussi cette platitude caractéristique de la mise enscène d’Apatow, cette saveur parfois un peu douceâtre, emblématique d’une vision traditionaliste dumonde et de la famille. Mais la rencontre avec Amy Schumer en relève le goût. Tout se passe comme si le réalisateur et son actricescénariste confrontaient leurs points de vue, comme si chaque scène ré
sultait d’une forme de négociation, voire de bras de fer.
Si cette comédie romantiquetend, comme le veut le genre, vers une forme d’apaisement (l’amour, l’ouverture à l’autre…), elle ne bascule jamais dans la mièvrerie de l’idéal familialiste américain, et s’arrête toujours juste avant, de manière abrupte, suspendue audessus du vide.
isabelle regnier
Crazy Amy, de Judd Apatow.Avec Amy Schumer, Bill Hader, Brie Larson (EU, 2015, 125 min).
V O T R ES O I R É E
T É L É
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0123VENDREDI 12 JUIN 2020 carnet | 23
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Le Carnet
AU CARNET DU «MONDE»
Décès
L’École normale supérieure - PSLEt l’A-Ulm,
font part du décès de
M. Yash Kumar BHATI,doctorant
au département de chimie,
survenu le 24mai 2020, à Paris.
Un hommage lui a été rendu àl’ENS le 3 juin.
Les obsèques auront lieu le 12 juinau cimetière du Père-Lachaise, àParis.
La communauté normaliennes’associe à la douleur de sa famille.
The École normale supérieure - PSLAnd A-Ulm, the ENS alumni
association
are deeply saddened to announcethat
Mr. Yash Kumar BHATI,a PhD student
in the department of chemistry,
passed away on may 24, 2020, inParis.
A tribute was paid to him at theENS on 3 june.
The funeral will take place on 12June at Père-Lachaise cemetery inParis.
The ENS community expressestheir sincere condolences to hisfamily.
M. Jacques Delors,son époux,MmeMartine Aubry,
sa fille,M. Jean-Louis Brochen,
son gendre,Mme Clémentine Aubry,
sa petite-filleet M. Edouard Fouré,Augustin, Olympe,
ses arrière-petits-enfants,Mme Jacqueline HousseauxEt toute sa famille,
ont la douleur de faire part du décèsde
Mme Marie DELORS,née LEPHAILLE,
survenu à Lille, le 5 juin 2020,dans sa quatre-vingt-dix-septièmeannée.
Les funérailles religieuses onteu lieu en l’église de Fontaine-la-Gaillarde, le mardi 9 juin, dans laplus stricte intimité familiale, suiviesde l’inhumation dans la sépulture dela famille.
Une pensée pour son fils,
Jean-Paul,
décédé en 1982.
La famille tient à dire toute sareconnaissance aux médecins etpersonnels soignants de l’hôpitalSaint-Vincent-de-Paul, à Lille, pourleur grande humanité.
Le président de l’École pratiquedes hautes études,Le doyen de la Section des sciences
historiques et philologiques,Les directeurs d’études et les
maîtres de conférences,Les étudiants et auditeurs,Le personnel administratif,
ont la tristesse de faire part du décès,survenu le 6 juin 2020, de
AlainERLANDE-BRANDENBURG,
ancien titulairede la direction d’études« Art et archéologie
duMoyen Âge occidental ».
Ils s’associent à la douleur de lafamille.
Marie-Christine Labourdette,présidente de la Cité de l’architectureet du patrimoine,directrice des Musées de France de2008 à 2018,Benoît Melon,
directeur de l’Ecole de Chaillot,ses prédécesseurs,L’ensemble des équipes de l’Ecole
de Chaillot et de la Cité,
ont la tristesse de faire part du décèsde
M. AlainERLANDE-BRANDENBURG.
Enseignant à l’École de Chaillot de1979 à 1993, son cours « Histoire del’architecture romane et gothique,suivi de l’architecture civile etmonastique » a passionné desgénérations d’étudiants. Cet éruditd’exception entraînait ses élèves surle terrain et les incitait à publierleurs travaux de recherche dans leBulletin monumental. Certainsdeviendront enseignants grâce à lui.
Il laisse à Chaillot et auxarchitectes qui sont passés oupasseront par l’École, un ouvrage deréférence, co-écrit avec son épouse,Anne-Bénédicte, «Histoire del’architecture française. Du MoyenÂge à la Renaissance».
Alain Erlande-Brandenburg restera« le roi des études sur l’art gothiqueet les cathédrales » pour l’Ecole deChaillot, qui lui a rendu un hommagelégitime avec la publication d’unvolume de Mélanges « Materiamsuperabat opus » en 2006.
Les enseignants, les élèves et lespersonnels de l’Ecole et ceux de laCité s’associent à la douleur de sonépouse et de sa famille.
Rennes. Saint-Cast-le-Guildo.
Mme Léon Faure,née Martine Berthoux,Ses enfants,Ses petits-enfantsEt ses arrière-petits-enfants,
ont la grande tristesse de faire partdu décès du
docteur Léon FAURE,
survenu le 7 juin 2020,à l’âge de quatre-vingt-douze ans.
La cérémonie religieuse aura lieule 12 juin, à 11 heures, en l’égliseSaint-Germain, à Rennes.
A
Mathieu SARDA
parti le 8 juin 2020,à l’âge de quarante et un ans.
Mathieu, nous t’aimions et terespections tant. Tristesse et désarroisubmergent aujourd’hui FranceInter, la chaîne pour laquelle tu astant donné.
Nous ne t’oublierons pas.
Nous nous associons à la peine detous les tiens.
Tes collègues et amisde France Inter.
Courcelottecommune de Dompierre-en-Morvan(Côte-d’Or).Boulogne-Billancourt
(Hauts-de-Seine).
Patrick,son époux,Chrystelle,
sa filleEt toute la famille,
ont la douleur de faire part du décèsde
Chantal LARGILLIÈRE,née BRADIER,
survenu à Garches (Hauts-de-Seine),à l’âge de soixante et onze ans.
La cérémonie religieuse seracélébrée le samedi 13 juin 2020,à 14 h 30, en l’église de Dompierre-en-Morvan, suivie de l’inhumationau cimetière du village.
Chantal repose à l’espace funérairede Semur-en-Auxois, 9, avenuePasteur.
Christian, Denise, Serge, Jean Luc,Pascal et Aude,ses enfants,Son gendre,Ses belles-filles,Ses petits-enfants,L’ensemble de la famille,
ont la douleur et le chagrin de fairepart du décès de
Mme Josiane PhilippeLATOUCHE,
née THEODORE,
survenu à Paris, le 8 juin 2020,à l’âge de quatre-vingt-quatre ans.
Elle rejoint son époux,
Serge LATOUCHE,
dans l’éternité.
La cérémonie religieuse aura lieule vendredi 12 juin, à 10 h 30, enl’église Notre-Dame-de-la-Nativité,9, place Lachambeaudie, Paris 12e.
L’inhumation aura lieu aucimetière parisien d’Ivry, dans laplus stricte intimité.
Pauline de Mazières,née Cheremeteff,Catherine,
sa fille,Sarah et Niels,
ses petits-enfants,Ses proches,Ses amis, et compagnons de route,
ont la tristesse de faire part du décèsde
M. Jean, Patrice DEMAZIÈRES,
survenu à Rabat (Maroc), le 8 juin2020, à l’âge de quatre-vingt-dix ans.
Anne Rosenberg,sa compagne,Fabien, Matthieu, Clément, Adrien
Onimus, Myriam et Daniel Suchet,ses enfants,Nathalie Hoang, Delphine Laugier,
Stéphanie Cheron et Aline Aurias,ses beaux-enfants,Solène, Mathias, Thomas, Ernestine,
Léon et Elias,ses petits-enfants,Ses frères et sœurs
et leurs grandes familles,
ont la tristesse d’annoncer le décèsde
Jean-Louis ONIMUS,
survenu le 8 juin 2020, à son domicile.
Les obsèques auront lieu levendredi 12 juin, à 16 h 15, aucimetière parisien de Pantin.
Michel Lescure,sonmari,Frédérique Larmagnac,
sa fille,Nicolas et Caroline Larmagnac,
son fils et sa belle-fille,Marin, Hugo et Célimène,
ses petits-enfants,Nadine Sausset,
sa sœur,
ont la profonde tristesse d’annoncerle décès le 8 juin 2020, de
Michelle SAUSSET-LESCURE.
7, rue du Bourg Neuf,41000 Blois.
Dominique et Marie-ChristineSchwartz,son frère et sa belle-sœur,Jean-Laurent et Shaheen Schwartz,Nathalie et Olivier Sambourg,
son neveu, sa nièce et leurs conjoints,Chloé et Elsa,
ses petites-nièces,Adam,
son petit-neveu,
ont la douleur de faire part du décèsaccidentel de
Jean-Marie SCHWARTZ,ENS Saint-Cloud 1967,agrégé, docteur, HDR
enmathématiques pures,ancien directeur de recherche
au CNRS,
survenu à Paris, le 29mai 2020,à l’âge de soixante-treize ans.
Homme libre, il a toujours préférél’honneur aux honneurs et refusé lesdécorations, suivant en celal’exemple de sa mère, HuguetteSchwartz, résistante de la premièreheure.
Homme de science brillant, il aconsacré aux mathématiques puresles premières années de sa carrièreau CNRS, avant de s’attacher àl’organisation de la recherche enFrance, défendant sans relâche larecherche fondamentale au sein dela direction générale du CNRS.
Homme engagé, vice-présidentuniversitaire de l’Unef en mai 1968,il est toujours resté fidèle à sesidéaux en menant une vieassociative très active.
Les obsèques ont eu lieu aucrématorium du cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e, ce 11 juin 2020.
Cet avis tient lieu de faire-part.Marie Cécile TRICON,ancienne infirmière chefà la Compagnie générale
transatlantique,
nous a quittés le jeudi 4 juin 2020,dans sa quatre-vingt-treizièmeannée, en la résidence, Champ deMars, Paris 15e.
La famille remercie le personnelde l’établissement pour ses soinsattentionnés.
La cérémonie religieuse seracélébrée le vendredi 12 juin, à 10 h 30,en l’église Notre-Dame-des-Champs,91, boulevard du Montparnasse,Paris 14e.
La cérémonie pourra être suivie àl’adresse : Paroisse Notre-Dame desChamps - youtube.
L’inhumation aura lieu le mêmejour au cimetière du Montparnasse,Paris 14e.
Cet avis tient lieu de faire-part.
Contact : Colette [email protected]
Débats
Le Théâtre de la Villeet
Télérama
vous invitent à
l’Urgence des alliances5 jours de débats
du 15 au 19 juin 2020.Pour comprendre l’impactde la pandémie du Covid-19et proposer des solutionspour l’après via la culture
dans 5 domaines :Santé, environnement, sciences,
économie, éducationà suivre en direct sur
telerama.frtheatredelaville-paris.com
institutfrancais.comavec
l’ENS Paris-Saclay,l’Institut français
et le Rectorat de Paris
informations et réservations :Télérama.fr
Hommage
Séverine Lepape,directrice du musée de Cluny,musée national duMoyen ÂgeEt Thierry Crépin-Leblond,
directeur du musée national de laRenaissance, château d’Ecouen,Les équipes du musée de Cluny
et dumusée de la Renaissance,
rendent hommage à la mémoire de
AlainERLANDE-BRANDENBURG,
conservateuraumusée de Cluny (1967)
et aumusée de la Renaissance,conservateur en chef
des deuxmusées nationaux(1981-1987),
directeur dumusée nationalduMoyen Âge (1991-1994)
et directeur dumusée nationalde la Renaissance (2000-2005),
disparu le 6 juin 2020
et s’associent à la douleur de lafamille.
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Le Carnet
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24 | IDÉES VENDREDI 12 JUIN 20200123
La surmortalitéen SeineSaintDenis
confirme ce quela recherche avait déjà
constaté, les minorités ethnoraciales
souffrent d’inégalités et de discriminations
en matière de santé, rappelle la sociologue
ENTRETIEN
Solène Brun est sociologue,chercheuse postdoctorante àl’Institut Convergences Migrations, coordinatrice scientifiquedu département Integer (intégration et discrimination) de
cet institut. Ses recherches portent sur lesinégalités ethnoraciales en France et lesrapports sociaux de race dans la famille.Avec le démographe Patrick Simon, elle vient de publier un article intitulé « L’invisibilité des minorités dans les chiffres du coronavirus : le détour par la SeineSaintDenis », paru dans la revue en ligne De Facto, éditée par l’Institut ConvergencesMigrations.
Pour vous, on ne doit pas ignorer la dimension ethnoraciale de la pandémie. Vous vous intéressez, pour cette raison, à la SeineSaintDenis, où la population est largement composée d’immigrés et de descendants d’immigrés. Quel est l’impact du Covid19 dans ce département ?
L’Insee publie chaque semaine desdonnées et des analyses qui font le décompte des décès en fonction de lacommune où ils se produisent. Ainsi, du 1er mars au 27 avril, il y a en SeineSaintDenis une surmortalité de 128,9 % par rapport à la même période en 2019. Avec mon collègue Patrick Simon, nous avons voulu aller plus loin, car la pandémie a provoqué une rapide saturation des hôpitaux en SeineSaintDenis, des malades ont donc été hospitalisés dans d’autresdépartements et, pour certains, y sont morts. Nous avons analysé des donnéesbrutes, mises à disposition par l’Insee, qui portent sur la mortalité en fonction du lieu de résidence. Sur cette base, nous avons pu constater qu’entre le 1er mars et le 19 avril, la SeineSaintDenis enregistre le plus fort taux de surmortalité en IledeFrance. Elle y atteint 134 %, alors que dansles HautsdeSeine, elle est de 114 %, et de 99 % pour Paris.
Pour la tranche d’âge la plus à risque,les personnes âgées de 75 à 84 ans, cetaux est de 188 % en SeineSaintDenis,
de 150 % pour les HautsdeSeine et de 137 % pour Paris. Les chiffres compiléspar l’Insee concernent cependant l’ensemble des décès, et pas uniquementceux liés au Covid19. La comparaison avec 2019 nous permet de mesurer des écarts que l’on peut raisonnablement attribuer à la pandémie.
Pourquoi estil pertinent, selon vous, de s’intéresser aux inégalités ethnoraciales pour expliquer la surmortalité en SeineSaintDenis ?
La question des inégalités ethnoraciales n’est que rarement prise en comptepar la recherche en France. De fait, laproduction de statistiques ethnoraciales est fortement encadrée et limitéedans le pays, et les chercheurs sont leplus souvent contraints d’utiliser desdonnées d’approximation, comme lepays de naissance ou le pays de naissance des parents. La pandémie actuellen’échappe pas à cette règle, et même lesrares données disponibles, comme lepays de naissance des personnes mortes, n’ont pas été mises à disposition parl’Insee.
Cependant, la SeineSaintDenis n’estpas seulement le département le plus pauvre de France métropolitaine, c’estaussi celui qui compte la plus grande proportion d’immigrés et de descendantsd’immigrés. Les immigrés forment 30 % des résidents du « 93 », contre 9 % ailleursen France. De plus, 50 % des moins de 18 ans de SeineSaintDenis sont des descendants d’immigrés, d’après l’Institut Paris Région. La surmortalité dans un département où se concentrent les minorités laisse donc à penser que les immigrés et leurs descendants sont particulièrement exposés à la pandémie.
La recherche devrait pouvoir étudier lerôle et l’effet des discriminations dans la crise actuelle, d’autant que des travauxréalisés à l’étranger attestent de l’intérêt d’une telle démarche. Aux EtatsUnis, par exemple, une étude a démontré que lespatients noirs qui se présentent à l’hôpital avec des symptômes du Covid19 ont moins de chances que les patients blancs à symptômes équivalents d’être testés et d’être pris en charge.
Disposonsnous d’études réalisées avant la crise qui tendent à confirmer que les minorités pourraient être plus vulnérables face à la pandémie ?
Plusieurs travaux ont en effet établi delongue date l’existence en France d’inégalités et de discriminations ethnoraciales en matière de santé, et permettent d’affirmer que les immigrés et leurs descendants sont en moins bonne position pour affronter le Covid19.
Par exemple, une étude publiée en 2019par les démographes Michel Guillot, Myriam Khlat et Matthew Wallace a démontré que les hommes descendants d’immigrés maghrébins risquent davantage demourir entre 18 et 65 ans que la population majoritaire, mais aussi que les descendants d’immigrés d’Europe du Sud, à niveau d’éducation comparable.
En outre, les immigrés voient leur santése dégrader plus rapidement que le reste de la population. Des facteurs socioéconomiques expliquent en grande partiecette différence, mais aussi l’expérience de discriminations, comme en attesteune enquête quantitative et qualitativepubliée en 2012 dans la Revue européennedes migrations internationales.
Grâce à un rapport de Santé publiqueFrance, on sait également que le diabète et le surpoids, qui peuvent entraîner une plus grande mortalité chez les patients atteints par le Covid19, sont plus répandus dans les milieux moins favorisés, mais aussi chez les personnes d’origine maghrébine.
Enfin, différentes enquêtes qualitatives,à plus petite échelle, ont étudié l’effet dela discrimination ethnoraciale dans le domaine de la santé. Par exemple, Priscille Sauvegrain, sociologue et sagefemme, a mis en évidence le fait qu’à état de santé et âge égaux, les femmes catégorisées comme noires ou « africaines » accouchaient beaucoup plus par césarienneque les autres femmes en France, en raison de préjugés ethnoraciaux portantsur leurs caractéristiques génétiques, anatomiques et physiologiques. La sociologue Dorothée Prud’homme a pour sapart étudié les effets de la racialisation sur les patients roms dans les servicesd’urgence. Au moment où les soignants font preuve d’un grand courage, il ne s’agit pas de les pointer du doigt, mais simplement de rappeler que, si le racismeexiste dans notre société, il n’y a pas deraison pour que la santé y échappe.
Plus généralement, quel était l’état desanté de la SeineSaintDenis avant lapandémie ?
Les indicateurs de santé de la population y sont généralement sous la moyenne nationale, en particulier en ce qui concerne les facteurs de comorbiditéassociés au Covid19. On y trouve des fortstaux de diabète, d’asthme, de maladiescardiovasculaires, comme le rapporte l’Observatoire régionale de santé (ORS).
L’offre de soin est également plus limitée dans ce département qu’ailleurs dans la région, la densité médicale y est plus faible pour la médecine de ville, les placesen hospitalisation y sont également moins nombreuses (ORS). Sur le plan économique, la SeineSaintDenis souffre aussi, avec une pauvreté et un chômage inégalés en France métropolitaine.
L’effet délétère sur la santé de la précarité est bien documenté. Les ouvriers vivent moins longtemps que les cadres, et
en moins bonne santé. On sait égalementque les personnes défavorisées ont moins recours aux soins. Dans le « 93 »,inégalités sociales et inégalités ethnoraciales s’entremêlent. Il me paraît urgent de pouvoir isoler l’effet de chacun de ces phénomènes sur la santé, mais il faudraitpour cela disposer de données concrètes. Sans statistiques solides, nous sommes réduits à n’émettre que des hypothèses : on ne pourra pas mesurer les inégalités ethnoraciales ni l’ampleur des discriminations dans la présente crise sanitaire, etle domaine de la santé en général, sansune mise à disposition de données qui permettent d’identifier les populations racialisées comme non blanches. Et, sans outils de mesure robustes, il est très compliqué de lutter efficacement contre les discriminations.
Peuton croire que la crise sanitaire a eu un impact sur les relations entre police et populations minoritaires ?
Avec le confinement, la crise sanitaires’est accompagnée d’une restriction des déplacements et de l’accès à l’espace public. Cette situation a créé un renforcement du contrôle et de la pression policière sur les quartiers populaires et surles populations racialisées comme non blanches. En SeineSaintDenis, le tauxde verbalisation pour nonrespect de confinement a été presque trois fois plusélevé que la moyenne nationale (17 %, contre 6 %).
On a donc une verbalisation disproportionnée (d’ailleurs dénoncée par un collectif d’associations et de syndicats), quireflète en réalité davantage la présence etle contrôle policiers exceptionnels dansce département que l’importance des infractions au confinement, dont il a été reconnu par le préfet de la SeineSaintDenis luimême qu’il avait été bien respecté.La période du confinement a été une période dans laquelle de nombreux cas de brutalité policière ont été signalés, souvent filmés par les habitants. Les soupçons d’incivisme ont ainsi largementvisé les populations pauvres et non blanches, quand les infractions au confinement des Parisiens rejoignant leurs maisons secondaires ou des Français sur laCosta Brava ont suscité moins d’émoi.Les violences policières et le racisme nesont pas des faits nouveaux, mais le confinement a été une nouvelle fois l’occasion d’en mesurer l’ampleur, commel’écrit le sociologue Jérémie Gauthier,dans la revue De Facto.
propos recueillis parmarcolivier bherer
DU 1ER MARSAU 27 AVRIL, IL Y A EU EN SEINE-SAINT-DENIS UNE SURMORTALITÉ DE 128,9 % PAR RAPPORT À LA MÊME PÉRIODE EN 2019
YANN LEGENDRE
Solène Brun « Les immigrés et leurs
descendants sont en moins bonne position
face au Covid-19 »
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0123VENDREDI 12 JUIN 2020 idées | 25
Jay S. Kaufman et Joanna Merckx La réaction biologiqueau Covid-19 n’est pas une question d’appartenance racialeSi les minorités ethniques sont davantage touchées par le virus, les scientifiques doivent considérer cette disproportion comme le résultat d’inégalités sociales, et non comme la manifestation de différences biologiques, relèvent les deux épidémiologistes canadiens
Nous en apprenons chaque jourun peu plus sur le virus SARSCoV2 et sur la maladie Covid19qu’il provoque. Notre compré
hension des facteurs de transmission, de l’infection et de la maladie reste limitée, et, malheureusement, des interprétations erronées circulent.
Au RoyaumeUni comme aux EtatsUnis, les médias et les revues médicalesse font largement l’écho du nombre disproportionné de victimes du SARSCoV2 parmi les minorités ethniques etles migrants. Bien entendu, cette disproportion s’explique en grande partie par les différences socioéconomiqueset les inégalités professionnelles. Car ce sont ces segments de la population quiconduisent les bus, qui font le ménagedans les hôpitaux, qui livrent les courseset qui s’occupent des personnes âgéesdans les maisons de retraite. En règle générale, ce sont eux qui occupent un travail qui ne leur permet pas d’échapperau virus, et des logements où s’isoler desautres est plus difficile.
Au RoyaumeUni, la revue médicaleThe Lancet s’est intéressée au très grandnombre de professionnels de la santénoirs et d’origines asiatiques, morts duCovid19 dans le pays – poussant le gouvernement à enquêter sur cette inégalité choquante. Aux EtatsUnis, les données révèlent également des inégalitéscriantes. Les groupes afroaméricains etlatinos sont bien plus touchés que lesautres segments de la population,
comme l’a montré une étude réaliséepar un centre de recherche indépendant(APM Research Lab), et la maladie seconcentre dans les quartiers qu’ils habitent, selon un article publié par deux chercheurs de l’université Harvard (Jarvis T. Chen et Nancy Krieger). Au RoyaumeUni et aux EtatsUnis, ces injusticessont connues car des données ont étécollectées et analysées.
Sociologie du racismeAlors que chaque pays a son approchepour définir les catégories démographiques comme l’« appartenance ethnique » et la « race », la France s’oppose fermement à l’utilisation de ce genre d’étiquettes pour catégoriser officiellement les individus. L’absence de classificationraciale permet d’éviter une interprétation fallacieuse, courante au RoyaumeUni et aux EtatsUnis, selon laquelle certaines inégalités que l’on observe indiqueraient l’existence de prédispositionsgénétiques, comme le rappelle un article publié par la journaliste scientifique Angela Saini (« Stereotype threat »)dans The Lancet, le 23 mai.
Malheureusement, que ce soit dans lesmédias ou les milieux scientifiques, il esttrès courant d’entendre que la réactionbiologique à l’infection semble différerselon l’appartenance raciale. La sociologie du racisme n’a rien d’agréable, et, au lieu de regarder les choses en face, les gens se tournent vers les vieux mythes des différences raciales pour expliquer
l’injustice. La pression monte sur les pays européens autres que le RoyaumeUni : certains souhaitent que ces pays récoltent des données sur les inégalités ethnoraciales face au Covid19. Ce seraiten effet un bon moyen de comprendre latragédie sociale liée au virus, même s’ilfaut se garder de croire que ces catégories ont quelque chose de biologique.
Nos connaissances actuelles sur lapandémie reposent sur des donnéescollectées auprès de cas testés positifs. Or, le fait de tester ou non une personnedépend principalement de la présenceou non de symptômes, mais aussi d’innombrables barrières, linguistiques et géographiques, toutes étroitement liéesà des facteurs socioéconomiques et démographiques.
Ainsi, lorsqu’on mène des études surles malades du Covid19 pour observerleurs caractéristiques, on prend en considération, non pas tous les malades,mais seulement la partie émergée del’iceberg – une partie fortement déformée par les déterminants sociaux destests. Certains chercheurs estiment
néanmoins que l’origine ethnique pourrait constituer un facteur de risque chezdes enfants pour lesquels a été diagnostiqué un syndrome inflammatoire postinfectieux associé au SARSCoV2 (unsyndrome très rare, récemment découvert). Connaître l’origine ethnique desmalades n’améliorera pas notre compréhension de l’étiologie et de la génétique de ce syndrome en particulier, ni duCovid19 en général.
Ces chercheurs motivent leur intérêtpour la question en invoquant le nombre disproportionné d’enfants issus deminorités qui ont été hospitalisés au RoyaumeUni avec ce syndrome. Or l’exposition au virus et les tests dépendentfortement des hiérarchies raciales dans la société, et ces inégalités en disent plussur nous que sur le virus.
Des stéréotypes archaïquesOn croit également à tort que ces inégalités indiqueraient l’existence de différences génétiques ou de gènes uniques. Le génome humain étant à présent séquencé, nous savons que la quasitotalitédes variations génétiques humaines se produisent à l’intérieur des groupes raciaux, et non d’un groupe à l’autre. Bien entendu, comme la « race » est une construction historique et sociologique, sadéfinition (arbitraire) diffère d’un pays à l’autre, mais, quelle que soit la définitionretenue, les recherches montrent que, s’il existe bien des différences entre les personnes, la race et l’origine ethnique sont de fort mauvaises catégories pourexpliquer ces différences.
De surcroît, au XXIe siècle, alors quel’extraction d’ADN est devenue une opération routinière et que n’importe qui peut être génotypé à moindre coût, cescatégories sont dépourvues de toutepertinence. A notre époque, lorsqu’onveut étudier la génétique, c’est aux gènes que l’on s’intéresse. Nous ne pou
vons plus recourir à des catégories duXIXe siècle basées sur des mythes et desstéréotypes archaïques.
Si certaines variantes ou mutations génétiques paraissent réellement jouer un rôle important dans l’épidémie de Covid19, les scientifiques exploreront cettehypothèse en collectant et en analysant les génotypes de personnes qui sont malades et de personnes qui ne le sont pas. Ils ne feraient que se fourvoyer en prenant en compte l’appartenance ethniquedes individus. Le lien simpliste que l’onfait entre la « race » et la génétique relève d’une croyance populaire erronée, mais il ne lèvera pas le mystère médical du Covid19 – il n’a, de fait, jamais levé aucun mystère par le passé. Historiquement, ce lien s’est avéré être une sinistre impasse, et c’est la raison pour laquelle la France a choisi d’interdire la collecte de données « raciales ». Mais c’est une arme à double tranchant car, si d’un côté, il décourageles mythes biologiques, de l’autre, il dissimule les réalités sociales.
Traduit de l’anglais par Valentine Morizot
Jay S. Kaufman est professeur au département d’épidémiologie, biostatistiques et santé au travail à l’université McGill (Montréal, Canada) ; il est l’un des rédacteurs en chef de la revue scientifique « Epidemiology », publiée par l’International Society for Environmental Epidemiology ; Joanna Merckx est directrice des affaires médicales au laboratoire bioMérieux Canada Inc. Les opinions exprimées sont les siennes et sont sans lien avec sa fonction chez bioMérieux. Elle enseigne l’épidémiologie des mala-dies infectieuses à l’université McGill
LE LIEN SIMPLISTE ENTRE « RACE » ET GÉNÉTIQUE RELÈVE D’UNE CROYANCE POPULAIRE ERRONÉE ET N’A JAMAIS LEVÉ AUCUN MYSTÈRE MÉDICAL
Juan Guaido Marquez Sauvons le Venezuela ensemble !Le président par intérim autoproclamé du Venezuela appelle à la formation d’un gouvernement d’urgence nationale afin de convoquer des élections libres et de définir un plan de sauvegarde du pays
Selon les Nations unies, plus de9 millions de Vénézuélienssouffrent actuellement de la faim.La crise migratoire en cours
constitue l’exode le plus important del’histoire contemporaine, après celui de la Syrie. Plus de 5 millions de personnes ont quitté le pays depuis 2014. Pendantce temps, la dictature criminelle de Nicolas Maduro, impliquée dans le trafic de drogue et le terrorisme [selon la justice américaine], sourde à la crisesocioéconomique et au désastre sanitaire, refusait les dons internationaux denourriture et de médicaments, condamnant nombre de mes concitoyens à mourir. Même en pleine pandémie de Covid19, ce régime ne souhaitait pasaccepter l’aide internationale.
Ma priorité est de mettre fin à la souffrance du peuple vénézuélien le plus rapidement possible. Nous, les Vénézuéliens, ne méritons pas de mourir defaim ou à cause d’une pandémie.C’est pour cette raison que nous avonsréussi à faire en sorte que le régimelaisse entrer dans le pays l’aide humanitaire de l’Organisation panaméricainede la santé (OPS) pour s’attaquer au Covid19, et nous remercions la com
munauté internationale qui a beaucoupœuvré en ce sens.
Ceci démontre pleinement notrevolonté politique de trouver des solutions adaptées aux problèmes desVénézuéliens. Nous sommes déterminésà mettre fin à cette grave crise en rassemblant largement ceux qui, commemoi, ont chevillés au corps les intérêts du peuple vénézuélien, celui resté au pays comme celui de la diaspora.
La solution ne peut être que politiqueToutefois, la réalité est la suivante : unenarcodictature s’est saisie des institutions et confisque tous les pouvoirs auVenezuela. Effrayé et intimidé, le régimede Nicolas Maduro n’a ni la capacité ni l’intention de mettre fin à la crise économique, sociale, sanitaire et politiquedont il est luimême responsable.
Je dirige un gouvernement par intérimreconnu par plusieurs pays, dont la France, par le Parlement national et par la société civile. Afin de parvenir à undénouement de crise et à trouver une solution structurelle, nous proposonsqu’un gouvernement national d’urgencevoie le jour. Ce gouvernement compterait avec la participation de tous les sec
teurs politiques et sociaux du pays. Il exclurait toute personne impliquée dans des violations aux droits humains. Ce gouvernement national d’urgence serait principalement chargé de résoudre la situation humanitaire, de garantir laséparation des pouvoirs et de générer lesgaranties nécessaires pour la tenued’élections législatives et présidentielleslibres, justes et transparentes.
Mais la solution définitive ne peut êtreque politique. Les déclarations de JeanYves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères, lors de la conférence des donateurs en solidarité avecles réfugiés et les migrants vénézuélienstenue en mai, vont dans ce sens. Selon leministre Le Drian, la communauté internationale doit redoubler d’efforts
pour créer les conditions nécessaires àune solution politique au Venezuela.
Nous appelons la communauté internationale à être particulièrement vigilante sur les efforts de Nicolas Maduro pour mettre définitivement finà la démocratie au Venezuela. Il compteen effet organiser de nouvelles élections législatives cette année. Ces élections, àl’instar de celles de 2018, promettentd’être une nouvelle mascarade. Il nes’agira en aucun cas d’un processus électoral libre et équitable.
Premièrement, les principales forcespolitiques ont été déclarées illégales et leurs dirigeants sont emprisonnés, en exil ou déclarés politiquement inéligibles. Deuxièmement, il n’existe pas de registre électoral fiable qui puisse garantir le droit de vote à tous les Vénézuéliens à l’intérieur et à l’extérieur du pays. Troisièmement, le régime empêche toute observation électorale internationale. Enfin, l’autorité compétente en matière d’élections, le Conseil national électoral, n’est pas neutre. Il n’est pas garant de la bonne tenue ou de la transparence des élections.
Mon gouvernement, et les principauxpartis politiques vénézuéliens qui y sont représentés, ont toujours encouragé et continueront à encourager la tenue d’élections libres afin de rétablir la démocratie au Venezuela. Nous sommesdonc en faveur de la tenue d’élections dans le pays en 2020, à condition qu’ellessoient organisées en toute transparence, selon le cadre juridique prévu par notre
Constitution, et à condition que les élections présidentielles exigées par la Constitution depuis 2018 soient aussicélébrées. En accord avec toutes les parties, des observateurs internationaux doivent également pouvoir veiller librement sur le scrutin.
Nous sommes bien conscients que lerégime de Nicolas Maduro n’a pas la volonté politique, ni la volonté humanitaire, de donner au peuple vénézuélien la possibilité de voter lors d’électionstransparentes, libres et équitables. Nous réitérons donc que la seule façon de mettre fin à cette crise sans précédent est la formation d’un gouvernement nationald’urgence qui se chargerait de convoquerces élections libres et de mettre en œuvre un plan de sauvegarde du pays.
Nous devons sauver ce Venezuela, qui aété gravement touché par la misère et la corruption, et nous devons le faire avecla participation de la plus grande représentation de la nation. Voilà la seule ambition du gouvernement par intérim :reconstruire le Venezuela ensemble. Nenous décourageons pas et continuons àtravailler avec toute notre bonne volontépour sauver notre peuple et notre pays.
Juan Guaido Marquez est reconnu comme « président par intérim »de son pays par les Etats-Unis,la France et plus de cinquante pays
LA RÉALITÉ ESTLA SUIVANTE : UNE NARCO-DICTATURE S’EST SAISIEDES INSTITUTIONS ET CONFISQUE TOUS LES POUVOIRS AU VENEZUELA
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26 | 0123 VENDREDI 12 JUIN 20200123
P etit dialogue sinoaméricain rapporté par leFinancial Times. A unporteparole du dépar
tement d’Etat qui, la semaine dernière, à Washington, dénonçait les restrictions des libertés imposées à Hongkong, un fonctionnaire du ministère chinois desaffaires étrangères, à Pékin, répondait d’un Tweet vengeur : « Je n’arrive plus à respirer. »
En deux mots, la réplique rappelait cette vérité : la politiqueétrangère, c’est de la politiqueintérieure – et vice versa. La capacité d’un pays à défendre ses intérêts et à promouvoir ses valeursà l’extérieur dépend aussi de sasituation intérieure. Les imagesdu policier blanc écrasant la nuque d’un homme noir, menottéet jeté à terre à Minneapolis,dans le Minnesota, avaient fait letour du monde. La dernière phrase prononcée par GeorgeFloyd – « je n’arrive plus à respirer » – avant de succomber sousla pression du policier était devenue le symbole universel de lapersistance du racisme dans la société américaine. Le fonctionnaire chinois avait beau jeu dedire à son collègue du département d’Etat : vous n’avez pas deleçon de morale à nous donner.
L’image de Minneapolis l’emporte sur toute autre réalité. Elle gomme allègrement le fait que le policier va être jugé pour meurtre. Elle ne dit rien de l’indépendance de la justice (même si elle est perméable à l’argent), de la liberté de la presse ou du droit de manifester aux EtatsUnis – tout ce qui n’existe pas en Chine. Mais c’est ainsi, l’image commande. Elle va peser sur l’aptitude des EtatsUnis à incarner la démocratie et à dénoncer, chez les autres, l’autocratie. Elle va devenir l’undes éléments de la bataille que se livrent Pékin et Washington pour dominer le siècle. La politique étrangère américaine passe par Minneapolis. Et, en se désolidarisant de la grande vague de manifestations contre le racisme qui asuivi la mort de George Floyd, Donald Trump a dégradé un peu plus l’image de son pays – pour le plus grand plaisir de Pékin.
En son temps, un autre président républicain, Dwight Eisenhower, avait différemment réagi. C’était en 1957, à un moment clé de la lutte des Noirs américains pour l’égalité civique, rapporte l’historienne Mary L. Dudziakdans le New York Times. Là encore,l’épisode ne fut pas sans conséquences pour la politique étrangère américaine alors tout occupée à la guerre froide opposant les EtatsUnis à l’URSS. Gouverneur de l’Arkansas, l’un des Etats du sud du pays, le démocrateOrval Faubus refusait d’appliquer une décision de la Cour suprême sur l’interdiction de la ségrégation scolaire. Faubus avait mobilisé la garde nationale locale pour empêcher neuf écoliers noirs de faire leur rentrée au lycée publicde la capitale de l’Etat, Little Rock. Image forte : des soldats blancs enarmes contre des enfants noirs avec leur cartable.
A Moscou, la presse soviétiques’en empare, publie, commente, stigmatise. A l’ONU, le représen
tant des EtatsUnis, John FosterDulles, s’inquiète : « Nous perdonsdes votes, notre politique étrangère est en ruines. » Les images de Little Rock – mais ce sera vraidurant toute la lutte des Noirsaméricains pour l’égalité civique, dans les années 1960 – ébranlent nombre de pays, particulièrement africains, que Washingtonveut rassembler dans le campantisoviétique. Eisenhower réagit, renvoie la garde nationaledans ses foyers et dépêche desparachutistes de la 101e divisionaéroportée pour escorter les enfants noirs dans l’école.
Trump est incapable d’un pareilgeste. Il a façonné l’image des EtatsUnis d’aujourd’hui : plus de110 000 morts du Covid19, des dizaines de millions de chômeurs, un président qui appellel’armée à « dominer » la rue américaine théâtre de manifestations antiracistes. Dans la bataille idéologique en cours entre la Chine et les EtatsUnis, entre l’autocratieet la démocratie, le président offre à Xi Jinping, son homologuechinois, le portrait d’un pays affaibli, divisé, en proie à de vieuxdémons, ceuxlà mêmes queTrump s’emploie à raviver à des fins électorales. L’impact stratégique n’est pas négligeable. Commes’ils « sentaient » les EtatsUnis diminués, la Chine, la Russie etl’Iran ont multiplié ces trois derniers mois les provocations à l’adresse de Washington – en merde Chine, à Hongkong, en Méditerranée, au Venezuela.
Capacité de séductionLa diplomatie de l’image ne dit pas tout. Elle ne rend pas comptede la puissance intouchée desEtatsUnis – économique, technologique, monétaire, culturelle. L’économie américaine a créé2,5 millions d’emplois en mai. A ceux qui gambergent sur le softpower perdu du pays, on rappellera que les chefs communistes chinois envoient leurs enfants à Harvard, où a étudié la fille deXi Jinping, pas à Pékin, Moscou niTéhéran.
Mais le lien entre les pathologies intérieures des EtatsUnis etleur aptitude à projeter leur pouvoir à l’extérieur demeure. Estce un hasard si, au plus fort des temps sombres que les EtatsUnistraversent au début des années1970, quand se cumulent émeutes raciales et manifestationscontre la guerre du Vietnam, la politique étrangère change ? Il yavait une priorité, le feu à la maison : la guerre froide glisse vers la détente (relative) avec l’URSS.
Barack Obama l’avait compris. Ilpensait qu’il fallait réparer la démocratie américaine à l’intérieur avant d’en vanter les valeurs à l’extériexur. Il jugeait que la capacitéde séduction d’un des pays les plus riches du monde dépendait aussi des performances de son système d’assurancesanté. Le maintien du leadership des EtatsUnis sur la scène internationale, jugeaitil, supposait de panser certaines des plaies du pays. Donald Trump, son successeur, s’emploie, lui, à y verser du sel. Pour se faire réélire en novembre, il diviseles EtatsUnis – la peur des uns contre la colère des autres.
A près l’urgence sanitaire, la Franceentre en convalescence sur le planéconomique. Face au choc provo
qué par l’arrêt brutal de l’activité pour endiguer la pandémie de Covid19, les prévisionnistes tâtonnent en élaborant des scénarios instables. Seule certitude : le décrochage s’annonce violent et la rapidité dela reprise difficile à évaluer.
Dans ses prévisions publiées mercredi10 juin, l’OCDE anticipe un affaissement de la richesse nationale situé entre 11,4 % et 14,1 %, selon l’apparition ou non d’une seconde vague de Covid19 au cours de l’automne. La France devrait être ainsi l’un des pays où la récession sera la plus sévère. Un confinement particulièrement strict et une exposition plus forte aux secteurs les
plus touchés par l’arrêt de l’activité (aéronautique, services, tourisme, luxe) expliquent l’ampleur du recul.
Les nouvelles rassurantes se sont pourtant multipliées ces derniers jours. Le déconfinement se révèle moins compliqué que prévu. Les foyers de contamination restent isolés et sous contrôle. Dansles hôpitaux, les services de réanimation se vident peu à peu. Même si les mesures barrières au virus restent contraignantes, la consommation commence àrepartir, tandis que la production et leschantiers redémarrent.
Les stigmates laissés par le confinementsur l’économie sont pourtant déjà visibles, même si les mesures de chômage partiel etde soutien aux entreprises financées par ladette publique ont joué leur rôle d’amortisseur. Nécessaires, ces dispositifs ne seront pas pour autant suffisants pour totalement absorber le choc.
Surtout, ils ne seront pas tenables dans ladurée. Selon le budget rectificatif présenté le10 juin par le gouvernement, la dépense publique en France en 2020 va représenter les deux tiers de la richesse produite, « un niveau jamais atteint au cours de ces soixantedix dernières années », souligne le Haut Conseil des finances publiques, tandis que le déficit dépassera 11,4 % du PIB. L’Etat ne pourrapas soutenir à bout de bras salariés et entreprises beaucoup plus longtemps.
La bonne nouvelle, c’est que la grandemajorité des Français n’a pas eu à subir à cestade une baisse substantielle de ses revenus. L’épargne accumulée pourrait s’élever à une centaine de milliards d’euros d’ici à lafin de l’année. Mais, avec la peur grandissante du chômage, rien ne dit que ce matelas de précaution sera utilisé pour consommer et donc soutenir le carnet de commandes des entreprises.
Or, si la demande ne repart pas rapidement, on risque d’assister à une vague de faillites et de licenciements. Le gouvernement table déjà sur 800 000 suppressionsd’emplois d’ici à 2021. La situation estd’autant plus préoccupante que beaucoup d’entreprises n’ont plus de marges demanœuvre. Depuis 2008, la faiblesse destaux d’intérêt les a incitées à s’endetter plusque de raison, à commencer par les plus fragiles d’entre elles. Sans les politiques monétaires accommodantes des banques centrales, un grand nombre auraient déjà dû disparaître. Ce n’est pas en s’endettant encore plus avec la bénédiction de l’Etat qu’elles surmonteront leurs difficultés. Trier le bon grain de l’ivraie sera inévitable.
Le paradoxe de cette récession, c’est que laspirale de la dette fait à la fois partie de la solution et du problème. Mais après l’urgence, il faudra bien sortir un jour de cette impassequi, de crise en crise, fragilise durablement l’économie au lieu de la renforcer.
L’IMAGE DE MINNEAPOLIS VA
PESER SUR L’APTITUDE DES ÉTATSUNIS
À INCARNER LA DÉMOCRATIE
LA DETTE, SOLUTION ET PROBLÈME DE LA CRISE
INTERNATIONAL | CHRONIQUEpar alain frachon
Quand Trumpdévalue son pays
CHINE, RUSSIE ET IRAN ONT MULTIPLIÉ
LES PROVOCATIONS À L’ADRESSE
DE WASHINGTONTirage du Monde daté jeudi 11 juin : 127 941 exemplaires
E N V E N T E C H E Z V O T R E M A R C H A N D D E J O U R N A U X
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Cahier du « Monde » No 23459 daté Vendredi 12 juin 2020 Ne peut être vendu séparément
2|3DOSSIERv SPINOZA : L’« ÉTHIQUE » REDÉCOUVERTEv Une nouvelle traduction, fondée sur un manuscrit inédit, paraît. Retour sur l’histoire et l’influence d’un texte philosophique majeur
4|5LITTÉRATUREHélène Gestern,Daniel Grenier,Akwaeke Emezi,Elena Ferrante
6HISTOIRE D’UN LIVREv « Le Détour », de Luce d’Eramo
7ESSAISL’art menacé de la conversation, selon Sherry Turkle
8CHRONIQUESv LE FEUILLETONCamille Laurens a trouvé bien long « Isabelle, l’après-midi », de Douglas Kennedy
9POLARDominique Manotti ravive l’ambiance délétère des années 1970 dans « Marseille 73 »
10RENCONTREAnna Hope : « Ecrire, une forme de puissance »
raphaële botte
U n tout petit bonhommea fait de Timothée deFombelle l’un des plusgrands noms de la littérature jeunesse française. Tobie Lolness,
13 ans, 1,5 millimètre de hauteur, vivantdans les arbres avec son peuple minuscule, était le héros des deux premiers romans de l’écrivain né en 1973 (La Vie suspendue et Les Yeux d’Elisha, GallimardJeunesse, comme tous ses livres pour les jeunes, 2006 et 2007), qui lui valurent des traductions et prix littéraires à travers le monde. Vango (20102011) – uneautre saga en deux tomes –, puis Le Livre de Perle (2014), notamment, ont confirmé quel formidable auteur de romans d’aventures pour les jeunes adolescents (mais pas seulement) est Timothée de Fombelle.
C’est à nouveau cette veine qu’il creusedans Alma. Le vent se lève, premier tome d’un triptyque annoncé, dans lequel il se confronte à la traite négrière et au combat pour l’abolition de l’esclavage. Son
héroïne est la jeune Alma. « Chez les Oko, le mot “alma” signifie “libre”. Mais ce genre de liberté n’existe dans aucune autrelangue. C’est un mot rare, une liberté imprenable, une liberté qui remplit l’être pourtoujours. » Elle a 13 ans quand l’histoirecommence, en Afrique, dans une prairie sauvage. Une nuit, son petit frère, tenaillépar l’envie d’explorer le monde, s’enfuit, et elle part à sa recherche. Nous sommes en 1786 et le danger est de taille pour ces enfants noirs. Au même moment, en Europe, Joseph, un autre adolescent, embarque à bord d’un navire négrier.
Le romancier tresse son intrigue sur lestrois continents du commerce triangulaire, et conjugue aventure, fresque historique et récit initiatique. Son architecture, si précise, est l’une des forces dutexte. Comme dans Victoria rêve (Gallimard, 2012), chaque chapitre s’achève parles mots qui ont servi de titre. Pour le romancier, c’est peutêtre une contrainteafin de dompter sa créativité. Pour lelecteur, cela crée des effets poétiques qui l’accompagnent dans l’aventure.
Si Timothée de Fombelle, qui a découvert l’histoire de la traite à 13 ans, alors qu’il vivait en Afrique, s’est beaucoup documenté afin d’écrire Alma, le savoir qui transparaît dans les pages est au servicede la précision et de la concision : pas question que le lecteur s’ennuie. Le rythme cousine avec celui des grands
feuilletons du XIXe siècle à la Dumas. Bien sûr, les destins des héros vont secroiser, mais les mystères sont si fournis qu’il semble impossible d’imaginer les rebondissements à venir.
L’auteur parvient surtout à aborder latraite négrière avec une ampleur rare pour un roman jeunesse. D’autres ont bien sûr déjà évoqué ce sujet, mais en sacrifiant souvent le romanesque à la volonté bienveillante de faire des lecteurs des abolitionnistes convaincus. Chez Fombelle, l’indignation de ses lecteurs n’est pas l’objectif. Il avance, concentré
sur la puissance de son récit, et c’est une arme bien plus redoutable. Jamais ses héros ne virent à l’archétype. Tous existent,souffrent, vibrent, empêtrés dans leursdestins et leurs secrets.
On croise ici certains thèmes de prédilection de l’auteur. Ainsi, en quittant sa vallée, Alma laisse son enfance derrière elle, comme l’ont fait les inoubliables Tobie et Vango. Mais rencontrer Alma, c’est d’abord trembler à ses côtés dans les cales sombres et puantes de la DouceAmélie, c’est pleurer en écoutant le chant desa mère, c’est aussi accepter de se sentir
désarmé face à l’absurdité de la monstruosité humaine. C’est rencontrer une héroïne libre et inoubliable. Et grandir àses côtés. A tout âge.
Timothée de Fombelle libère les jeunes esclavesAvec « Alma. Le vent se lève », l’auteur jeunesse ne fait pas que conjuguer aventure, fresque historique et récit initiatique. Il aborde surtout la traite négrière avec une justesse rare
Une illustration de François Place extraite d’« Alma ». GALLIMARD JEUNESSE
alma. le vent se lève, de Timothée de Fombelle, illustré par François Place, Gallimard Jeunesse, 400 p., 18 €, numérique 13 €. Dès 11 ans.Signalons, du même auteur, la parution de Le Jour où je serai grande. Une histoire de Poucette, photographies de Marie Liesse, Gallimard Jeunesse, 32 p., 14,50 €. Dès 3 ans.
Si l’auteur s’est beaucoup documenté afin d’écrire « Alma », le savoir qui transparaît dans les pages estau service de la précision et
que le lecteur s’ennuie
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2 | Dossier Vendredi 12 juin 20200123
Spinoza : l’« Ethique » redécouverte
Une nouvelle traduction du
maître ouvrage du philosophe
néerlandais paraît, fondée sur
le manuscrit inédit retrouvé au Vatican
en 2010.Une histoire
rocambolesque, pour un texte qui
donne à penser depuis quatre
siècles
LES SPÉCIALISTES trouvent souvent insolite la mobilisation de Spinoza par une pensée critique contemporaine qui, d’Althusser à Toni Negri et Michael Hardt – lesquels lui ont emprunté le concept de « multitude », titre de leur bestseller paru en 2004 (La Découverte) –,l’érige en apôtre de l’athéisme ou de la révolution. Ils remarquent que, ce faisant, ces éloges reprennent, sur un mode positif, les reproches adressés autrefois à Spinoza par ses contempteurs. « Athéisme », « sédition », « géométrisme » : autant de jugements qui, affirmait le philosophe André Pessel (Dans l’Ethique de Spinoza, Klincksieck, 2018), ont fini par faire « disparaître Spinoza sous le spinozisme ».
Spinoza seraitil « de gauche » ?Celui qui revendiquait la liberté de philosopher pour les philosophes la voulaitil tant que cela pour le peuple ? L’Allemand Wolfgang Bartuschat, qui a consacré de nombreux livres à Spinoza, trouve partiales ces lectures politisées. Elles font fi « de la métaphysique comme de la méthode du philosophe », expliquetil au « Monde des livres ». Jusqu’au milieu du XIXe siècle, l’Allemagne a été la première terre d’élection du spinozisme, inspirant notamment Leibniz, Mendelssohn, le romantisme, l’idéalisme, puis Marx comme Nietzsche. Après quoi, son empreinte s’efface. Même l’école de Francfort, cette influente théorie imprégnée de marxisme et de sociologie, l’a plutôt négligé jusqu’à il y
a peu, avec Martin Saar, proche des idées foucaldiennes.
Le creuset françaisDans le monde anglosaxon,
Spinoza, longtemps considéré comme un métaphysicien extravagant, bénéficie depuis les années 1990 d’un retour en grâce (lire l’entretien page suivante), comme en témoignent les travaux de Steven Nadler (Spinoza, Bayard, 2003), Richard Popkin (Histoire du scepticisme. De la fin du Moyen Age à l’aube du XIXe siècle, Agone, 2019) ou Jonathan Israel, auteur des Lumières radicales. La philosophie, Spinoza et la naissance de la modernité (Amsterdam, 2005).
La France, elle, constitue un foyer des études spinoziennes grâce aux magistrales lectures et
traductions de l’Ethique par Martial Guéroult (Spinoza, AubierMontaigne, 1968, 1974), PierreFrançois Moreau, Bernard Pautrat, Gilles Deleuze (Spinoza et le problème de l’expression, Minuit, 1969) et tant d’autres. Au sein de ce creuset s’est opéré l’alliage entre le marxisme et Spinoza. Il fut initié par le philosophe communiste JeanToussaint Desanti (dans son Introduction à l’histoire de la philosophie, Editions de La Nouvelle Critique, 1956) puis repris par Louis Althusser et ses disciples, en particulier Etienne Balibar et Jacques Rancière.
Charles Ramond, de l’université ParisVIII, auteur de Qualité et quantité dans la philosophie de Spinoza (PUF, 1995), s’étonne de cette métamorphose de l’auteur
du Traité politique en subversif, quasiprécurseur de l’altermondialisme et librepenseur. « C’est exactement le contraire, ditil au “Monde des livres”. Spinoza soutient que le message unique et constant des Ecritures, de tous les prophètes de l’Ancien Testament comme du Christ, est parfaitement clair : “Les ignorants seront sauvés par l’obéissance.” »
UltramodernitéSi le spinozisme s’impose
comme la philosophie de l’ultramodernité, selon lui, c’est surtout par sa volonté, héritée de Descartes, de réduire le réel à la quantité et à l’ordre géométrique. Spinoza professerait un « conservatisme paradoxal ». Conservateur, il l’est parce que, pour lui, « ce qui est rationnel
dure, et que son but est de construire des systèmes politiques si solides et durables que rien ne puisse les renverser ». Maisil est aussi démocrate car, « bien loin d’appuyer la politique sur des “valeurs”, il ne l’appuie que sur des “comptes”, et par excellence sur les comptes démocratiques ».
PierreFrançois Moreau, quantà lui, se souvient, amusé, d’un débat télévisé de 1977 où l’on mêlait le spinozisme à l’autogestion, chère à Michel Rocard et alors en vogue à gauche. La modernité démodera toujours plus vite ses notions que la « boîte à outils » spinozienne, où elle puise pour les penser. n. w.
Lire l’intégralité de l’entretien avec Charles Ramond sur Lemonde. fr/livres
analyse Spinoza estil vraiment un précurseur de la gauche critique ?
nicolas weill
O n peut sans exagérer parler d’événement, lorsquec’est en France que paraîtune édition de référencede l’Ethique, œuvre majeure de Benedictus de
Spinoza (16321677) à laquelle le philosophe a consacré près de treize années (de 1662 à 1676). Il la considérait comme l’exposition par excellence de sa pensée, mais dut renoncer à la publier de son vivant. Dans sa correspondance, Spinoza parle des rumeurs répandues par « certains théologiens » prétendant que son livre montrerait « que Dieu n’existait pas ». Après son décès, ses œuvres complètes, dont l’Ethique, sont finalement publiées, en 1677, grâce à un groupe soudé d’admirateurs et de disciples, en latin et en néerlandais, sous les titres respectifs d’Opera Posthuma et de De nagelate schriften.
Les manuscrits autographes ont disparu. Seules les variantes entre ces deux
sources ont depuis constitué la base des éditions scientifiques de ses œuvres.L’historien de la philosophie PierreFrançois Moreau, traducteur de la nouvelle version de l’Ethique (les Néerlandais Fokke Akkerman et Piet Steenbakkers en ont établi le texte latin), ne trouve à cela rien d’étonnant. Depuis le XVIe siècle, la destruction du manuscrit était de mise après publication.
133 feuillets copiés à la mainQuoique excellent latiniste, Spinoza
n’utilisait pas un latin exclusivement « classique ». Son cercle n’a pas manqué d’intervenir dans son écriture afin de la retoucher, à l’occasion. Jusqu’à présent, ilétait difficile, voire impossible, de localiser ces interventions et de jauger leurétendue, sinon par conjectures. Longtemps, l’édition de l’Ethique due à l’éruditallemand Carl Gebhardt (Opera, 1925) a fait foi, qui recourait à cet expédient. Or, en 2010, l’historien néerlandais LeenSpruit, aidé par l’Italienne Pina Totaro,découvre 133 feuillets copiés à la main, non reliés et sans nom d’auteur, déposésà la Bibliothèque apostolique vaticane(Rome). On s’aperçoit qu’ils contiennent le texte de l’Ethique. La trouvaille vachanger la donne et réinscrire l’histoirede ce monument philosophique dans les romanesques circuits de l’Europe savante du Grand Siècle, à la veille des Lumières.
Le protagoniste en est, cette fois, unAllemand luthérien, Ehrenfried Walther von Tschirnhaus (16511708), futur mathématicien et physicien. Il parcourt le continent enquête de savoir et réside aux PaysBas de 1669 à 1675. Ce jeune baron bombarde Spinoza de lettres et de demandes d’éclaircissements. A laveille de son départ d’Amsterdam, en mai 1675, Tschirnhaus sait que l’Ethique est en passe d’être publié mais ne peut attendre. Un ami du philosophe, Pieter van Gent, eneffectue promptement une copie à son intention, supervisée par le philosophe. Elle a la forme d’un manuscrit de travail de la taille de nos actuelslivres de poche. Tschirnhaus, qui croise Leibniz à Paris, sollicite de Spinoza, par lettre, la permission de lui montrer cette copie. Spinoza, méfiant, refuse.
A Rome, en 1677, Tschirnhaus fait la
connaissance d’un Danois, protestantconverti au catholicisme. Niels Steensen,également connu sous le nom de NicolasSténon (16381686), a été un anatomiste de renom, qui avait luimême fréquenté Spinoza bien plus tôt que Tschirnhaus, à l’université de Leyde (PaysBas). Ses dissections ont prouvé l’inexistence de la fameuse « glande pinéale » par laquelleDescartes croyait pouvoir articuler l’âmeau cerveau – thème évoqué dans la cinquième partie de l’Ethique. Mais Sténon a délaissé la science pour la théologie.
Il tente avec l’ardeur du néophyte, quoique en vain, de convaincre l’aristocrateluthérien du nécessaire retour au gironde l’Eglise romaine. Dans ces circonstances, il reçoit ou subtilise le manuscrit anonyme possédé par Tschirnhaus, qui ypuise son contreargumentaire. Sténon reconnaît aussitôt la patte spinozienne et, en fidèle prosélyte, le livre à l’Inquisition, laquelle s’empresse de mettre l’ouvrage à l’Index. La dénonciation auSaintOffice et l’explication qui l’accompagne ont été tout récemment présentées et traduites par Stéphane Ferret dans la revue Philosophie (n° 145,mars 2020, Minuit, 160 p., 13 €).
« Ecarts lexicaux »Quel type de modification entraîne ce
matériau d’époque ? Tout d’abord le repérage d’une soixantaine d’« écarts lexicaux » entre les sources latines, désormais au nombre de deux. Pour Pierre
François Moreau, grâce à cemanuscrit, on peut voir le« dernier Spinoza » (de 1675 à1677) devenir plus incisif. Ilpermet aussi de rectifier descorrections introduites parles éditeurs des Opera posthuma. Ainsi Spinoza avaitilécrit en 1675 (Ethique IV, chapitre V de l’Appendice) qu’ilétait impossible, sans intelligence, de mener « vie digned’être vécue » (vita vitalis). Leséditeurs de 1677, gênés par laredondance, l’avaient corrigéen « vie rationnelle » (vitarationalis).
Abandonné dans les coursives duSaintOffice, le « manuscrit du Vatican » a surgi, en 2010, alors que l’entreprise d’édition et de traduction de PierreFrançois Moreau et Piet Steenbakkers était déjà en cours, retardant leur travail d’une dizaine d’années. Même si la version des Opera posthuma reste fiable à
leurs yeux, une confrontation avec le « manuscrit du Vatican » s’est imposée,tant il est vrai qu’on n’avait jamais disposé jusquelà d’un texte aussi proche des volontés de Spinoza. Du patient
œuvres iv. ethica. éthique, de Spinoza, texte établi par Fokke Akkerman et Piet Steenbakkers, traduit du latin par PierreFrançois Moreau, édité par PierreFrançois Moreau et Piet Steenbakkers, édition bilingue, PUF, « Epiméthée », 696 p., 32 €.
labeur de comparaison entre les troissources à présent disponibles naît la précieuse édition que nous avons enfin entre les mains, définitive, au moins pour quelques décennies.
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0123Vendredi 12 juin 2020 Dossier | 3
Quatre portraits de Spinoza, quatre œuvres d’imagination : il n’existerait pas de portrait sur le vif du philosophe. De gauche à droite et de haut en bas : gravure colorisée, non datée ; gravure extraite d’« Icones virorum », de Friedrich RothScholtz, 1725 ; gravure sur bois du XIXe siècle, colorisée ; peinture de Francisco Fonollosa, XXIe siècle.RUE DES ARCHIVES/TALLANDIER. WORLD HISTORY ARCHIVE/ABACA. AKG-IMAGES. PRISMAARCHIVO/LEEMAGE
« Le grand profanateur de la “tradition sacrée” humaniste »L’universitaire américain Yitzhak Melamed, spécialiste de Spinoza, évoque la modernité et l’importance renouvelée de sa philosophie
Quelle est la place de Spinoza dans la pensée américaine contemporaine et dans le monde anglosaxon en général ?
L’hostilité de la philosophieanalytique angloaméricaine à lamétaphysique a été dominante. Mais les choses ont changé du tout au tout depuis vingt outrente ans. Spinoza représentantle métaphysicien de la modernité par excellence, il n’est pas surprenant que la récente remontée en puissance de la métaphysique comme discipline philosophique centrale se traduise par un intérêt exponentiel pour Spinoza.
Actuellement, Spinoza mobiliseénormément les historiens de la philosophie comme les philosophes (en métaphysique et, dans une certaine mesure, en épistémologie, éthique et théorie politique). Le naturalisme de Spinoza jouit d’une grande faveur dans le discours philosophique actuel en Amérique du Nord. Mais le tempsde la découverte de sa critique de l’humanisme et de son sens demeure à venir.
Quelle influence la découverte, en 2010, à la Bibliothèque vaticane, d’une copie manuscrite de l’« Ethique » auratelle sur la réception de Spinoza et sur votre lecture en particulier ?
Je pense qu’il est encore troptôt pour le dire. Les différences entre le manuscrit du Vatican et les Opera posthuma [la premièreédition de 1677, l’année même dela mort de Spinoza] semblentassez minimes. Cela dit, il y a encore bon nombre de notionscentrales chez Spinoza dontnous n’avons simplement qu’une idée. D’infimes variations dans le manuscrit du Vatican pourraient se révéler fort utiles pour comprendre commentl’Ethique s’est constituée.
propos recueillis par n. w.
Lire l’intégralité de cet entretien sur Lemonde. fr/livres
Cinq ruptures et une fidélitéCe que contient l’« Ethique » et qui en fait un des livres indépassables de la philosophie occidentale
rogerpol droit
P ourquoi, depuis 1677, l’Ethiquede Spinoza n’atelle cessé d’êtrelue, scrutée, commentée, de génération en génération, par des
lecteurs très dissemblables ? Qu’a doncd’inépuisable cet étrange livreunivers,organisé comme un traité de géométrie qui veut élucider nos passions et notresalut en ce monde ? Répondre en détail occuperait quelques volumes. En schématisant à l’extrême, cinq points peuvent indiquer des éléments de réponse.
La rupture première tient en trois motsde latin : Deus sive Natura. Le terme central, sive, brise avec des siècles de métaphysique et de théologie. Dieu « ou bien, si tu préfères », la Nature. Dieu, « c’estàdire » la Nature. Pas de différence, l’un et l’autre s’équivalent. Dieu n’est donc plus
pur esprit, séparé du monde. Il est l’univers, dont nous sommes une partie, et toute chose est en lui. Cause de soi, il est sans autre. Au revoir Platon, le Pentateuque, toutes les pensées de la séparation absolue.
Athéisme ? Oui, en un sens, si l’on compare la doctrine aux anciennes transcendances. Mais rien n’est si simple. Carcette équivalence proclamée possède une autre face : la Nature est presque divinisée, puisque la réalité physique toutentière, y compris nos corps et nos pensées, équivaut désormais à la substance unique et infinie.
Une deuxième rupture s’ensuit, pasmoins bouleversante : Dieula Nature se trouve dépourvu de volonté libre, et nous également. Chaque événement découle nécessairement des propriétés intrinsèques de la substance infinie, comme les propriétés géométriques dutriangle découlent de sa nature propre. Personne n’est à l’origine de ses propres actes, pas plus Dieu que le petit délinquant, ou le grand héros. Si les hommes
se croient libres, c’est qu’ils ne savent pasce qui les détermine. Par ignorance, ils s’attribuent un pouvoir de décider, pure illusion, et forgent la chimère d’une « volonté » de Dieu.
Fautil en conséquence dire adieu àtout jugement moral, à toute action de
justice ? Pas complètement. Une rupture no 3 sauve les tribunaux, l’ordre public,les châtiments, alors même que les fondements anciens de la morale se trouvent ruinés. Blâmer le criminel est vain, puisqu’il n’est pas responsable de son
crime, si le libre arbitre est un fantôme. Mais on peut l’emprisonner pour l’empêcher de nuire. Personne ne considère l’orage comme librement responsable de la grêle, malgré tout on protège les récoltes. Les désirs des criminels sont nuisibles, même s’ils n’en sont pas
responsables.Car le désir mène toutes les
affaires humaines. Ce désir– nouvelle rupture avec latradition – est une plénitudeet non un manque, unepositivité et non la marqued’une privation. Ce qui implique un renversement capital : un homme ne désirepas une femme parce qu’elleest belle, il la trouve belleparce qu’il la désire. Nos
élans, nos jugements ne sont pas façonnés du dehors, ils émanent du dedans. Estce à dire que nous sommes enchaînés à jamais à nos travers, que nos actes sont conditionnés et mécaniques ? Pas du tout. L’Ethique explique comment
la joie, la béatitude, l’éternité, le salut sont possibles…
Par quelle voie ? La connaissance descauses qui nous déterminent. Ce savoir rend libre, mais en un sens neuf, aux antipodes de l’arbitraire et du caprice.Rupture ultime avec la révélation et les peurs. Par la raison et la connaissancedes causes, le sagesavant se défait des illusions, vains espoirs, rancœurs absurdes, passions tristes. Il comprend que la réalité est perfection : rien n’y manque. Alors ses pensées, donc sa vie, participent de l’éternité.
L’incomparable prouesse de Spinoza,dans l’Ethique, est d’avoir conjugué ces mutations radicales en quelques dizaines de pages. Voilà pourquoi on ne cesse de le lire et de l’interpréter. Son paradoxeultime est sa fidélité à l’idéal antique d’une vie philosophique placée sous le contrôle absolu de la raison. Il ne rompt pas avec ce rêve, et le porte au contraireà son paroxysme. Pour quitter cethorizon, il faut attendre Schopenhauer,Freud, et plus encore Nietzsche.
Sommesnous enchaînés à jamais à nos travers, nos actes sontils conditionnés et mécaniques ? Pas du tout. L’« Ethique » explique comment la joie, la béatitude, l’éternité, le salut sont possibles…
E N T R E T I E N
É C L A I R A G E
P rofesseur de philosophieà l’université JohnsHopkins (Baltimore), YitzhakMelamed, né en 1968 en
Israël, s’est imposé comme un des spécialistes majeurs de la philosophie de Spinoza. Son travail témoigne du renouveau des études spinoziennes et de la popularité retrouvée de la métaphysiqueoutreAtlantique. Il est notamment l’auteur de Spinoza’s Metaphysics. Substance and Thought(« La métaphysique de Spinoza. Substance et pensée », 2013, non traduit) et prépare un ouvragesur l’importance de Spinoza pourl’idéalisme allemand (Fichte, Hegel, Schelling).
Poursuivant un geste inauguré en France par des penseurs marxistes d’aprèsguerre comme JeanToussaint Desanti, Louis Althusser et ses disciples – notamment Etienne Balibar –, Spinoza est devenu une sorte d’emblème de la radicalité. Pensezvous que cette lecture de Spinoza en tantqu’apôtre de la modernité soit cohérente avec l’œuvre ?
Absolument. L’antihumanismequ’Althusser a vu en Spinoza s’ytrouve effectivement (bien quecela nécessite de savoir précisément ce que nous entendons par « antihumanisme »). Althusser n’a cependant, à mon avis, pasassez pris la mesure de la profondeur et de l’audace que recèle l’antihumanisme de Spinoza, surtout à cause de sa surdité àla dimension profondément
religieuse de ce philosophe. Par« humanisme », j’entends, moi,une conception qui met l’accent sur la centralité ou, si vous préférez, le rôle constitutif de la perspective humaine. Cette idée quele point de vue humain serait lamesure de toute chose a eu sesdéfenseurs dans la philosophie ancienne et moderne.
Pour moi, Spinoza est le grandprofanateur de cette « traditionsacrée ». Quelques antihumanistes (Hume, par exemple) défient l’humanisme en déniant le caractère unique de l’être humain parrapport au reste de la nature.D’autres insistent sur la marginalité de l’homme par rapport au divin. Spinoza semble attaquerl’humanisme sur deux fronts àla fois. Chez lui, le naturalisme comme l’infinité de Dieu ravalentl’homme à une place plutôt modeste. J’ai beaucoup de sympathiepour Marx, mais une certaine lecture marxiste de Spinoza demeure insensible à sa pensée religieuse et, pour cette raison, perdbeaucoup du potentiel iconoclaste de son antihumanisme.
Dans « Spinoza’s Metaphysics », vous affirmez que le philosophe a désormais remplacé Kant ou Hegel en tant que « boussole de la modernité ». En quoi ? Estce parce que, selon vous, il s’agit d’un penseur qui prend la religion au sérieux ?
Tout à fait. La religion ne va pasdisparaître. On peut certes remplacer les religions traditionnelles par une religion séculièreinventée par la modernité : le nationalisme, le culte de l’art, certaines variantes du marxisme, etc. Mais le type de religiosité que le spinozisme propose combine la profondeur de la tradition et l’absence de superficialité, tout en étant la plus libérée des illusions anthropocentriques et anthropomorphiques. C’est déjà beaucoup.Bien sûr, certains peuvent continuer à ajouter foi à des faribolescomme l’homo noumenon kantien [l’homme considéré comme une fin en soi et « audessus de tout prix »]…
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0123Vendredi 12 juin 2020 Critiques | Littérature | 5
Le jour et la nuit à New YorkA la fin des années 1960, Jonathan Rosen étudie la littérature à New York tout en se rêvant écrivain. Entre universitéet petits boulots, il suit les jolies filles dans la rue avec sonappareil photo. Un jour, il fait la connaissance d’un dandyquinquagénaire, Josef Eisenstein, qui, en quelques mots,séduit la jeune femme que Jonathan n’osait pas aborder. Etvoilà que Rosen se retrouve dans l’atelier d’artiste d’Eisenstein en train de faire l’amour pour la première fois. Eisenstein lui apprend comment s’y prendre en matière de séduction et, peu à peu, Jonathan tombe sous sa coupe, tout enne pouvant se défaire cependant de l’idée qu’Eisenstein,bibliophile aussi fascinant qu’inquiétant, cache un secret.
Quand il apparaît qu’un serial killer, « l’Ecorcheur », sévit dans la ville, Rosen refoule sessoupçons jusqu’à ce que, vingt ans plus tard, lepassé le rattrape de la manière la plus inattendue. Le lecteur se laisse prendre et surprendrepar cet opulent premier roman sur les forces dudestin, à michemin entre thriller et récitd’éducation. pierre deshusses Dans la peau (Unter der Haut), de Gunnar Kaiser,traduit de l’allemand par Yasmin Hoffman, Fayard, 510 p., 24 €, numérique 17 €.
Routard d’un été lointainSubrepticement, les années 1970, avec leur lot de vécupersonnel et passionnel, sont devenues « de l’Histoire ».Une distanciation qui profite à l’analyse, mais qui désincarne son objet. Entre les deux, le roman d’Einar MarGudmundsson (né en 1954), son deuxième traduit en français après Les Rois d’Islande (Zulma, 2018), tente une synthèse : profiter de la distance temporelle pour mieux cernerla période, recréer l’ambiance en puisant dans ses propressouvenirs de jeunesse. En résulte une narration capricieuseet fébrile, une sorte de recherche du temps perdu doubléed’une quête de l’espace perdu : Athènes, Rome, Paris… Et laNorvège, où le narrateur s’était rendu le temps d’un été,sans but précis, si ce n’est de « devenir écrivain ». A présent,il y revient en pensée, au gré de rencontres fortuites avecses amis d’antan. Il revit sa jeunesse, avec l’omniscience decelui qui, commençant une histoire, en connaît déjà la fin.
Un été norvégien est l’instantané, tout en mouvement, d’une génération en quête d’action,proie facile d’égarements idéologiques, créduleet irresponsable, désarmante dans sa bonne foi.Emporté par ce tourbillon, le lecteur respire àpleins poumons l’air d’une époque qu’il n’apeutêtre pas connue.
elena balzamo Un été norvégien (Passmyndir), d’Einar Mar Gudmundsson, traduit de l’islandais par Eric Boury, Zulma, 336 p., 21 €.
L’héroïne du singulier « Eau douce », du Nigérian Akwaeke Emezi, se cherche. Les esprits qui narrent son histoire ne l’aident guère
Quels démons piquent Ada
gladys marivat
I ls s’appellent Fumée et Ombre, Asughara ou Saint Vincent. Ce sont desesprits qui, selon la cosmogonie del’ethnie igbo, au Nigeria, forment la
personnalité et l’avenir des enfants, dansle ventre de la mère. La tradition veut qu’ils s’effacent après la naissance. Mais quelque chose a vrillé pour Ada. Ils sontrestés dans son corps et sa tête. « Il était clair qu’elle allait devenir folle », affirmentces esprits. La suite leur donnera raison. Bébé étrange qui ne marche pas, mais« rampe comme un serpent » et hurle très fort, Ada traverse une enfance brisée, entre une mère dépressive partie travailler à l’étranger et un père médecin dévoré par l’échec de sa carrière. Très vite, elle se mutile, encouragée par les multiples voix qui lui dictent ses actes.
Les esprits sont les narrateurs d’Eaudouce, premier roman très remarqué auxEtatsUnis à sa parution, en 2018. Son auteur, Akwaeke Emezi, né au Nigeriaen 1987 d’un père nigérian et d’une mère malaisienne, se définit comme noir,trans et non binaire, et se vit comme étant plusieurs. Dans Eau douce, qui tire une part de sa puissance et de sa singularité de sa biographie, Akwaeke Emezi fait le choix de mettre de côté la vision occidentale de la sexualité et des troubles de la personnalité au profit du regard ancestral igbo. Un peu à la manière de son compatriote Chigozie Obioma dans La Prière des oiseaux (BuchetChastel, 2020, lire « Le Monde des livres » du 3 janvier), oùun esprit narrateur igbo sonde le caractère aliénant d’une histoire d’amour.
Loin du continent africainEt si les esprits qui habitent Ada
n’étaient pas une manifestation de sa folie, mais des recours qui l’aident à s’accepter ? C’est l’une des questions stimulantes que pose Akwaeke Emezi dans ce roman d’apprentissage hors norme. A16 ans, l’héroïne paraît reprendre le contrôle de sa vie. Elle part étudier aux EtatsUnis. Loin du continent africain, lespuissances igbo enragent, leur pouvoir s’amenuise. La transplantation d’Ada en Virginie agit pareillement sur le genre duroman, qui, dans sa deuxième partie, joue avec les codes du campus novel et duroman de l’acculturation. Le passagemontrant Ada se faisant lisser les
cheveux « jusqu’à ce qu’ils soient définis etraides comme des baguettes » fait assurément écho à la scène du salon afroaméricain dans Americanah, le roman phénomène de Chimamanda Ngozi Adichie(Gallimard, 2015). Plus loin, lorsque Adas’étonne que la fille qui tient le fer à lisserchante en chœur les publicités qui passent à la télé, cette dernière lui répond : « Ne t’en fais pas (…). Quand tu auraspassé un moment ici, toi aussi tu chanteras tous les jingles. »
Akwaeke Emezi distille quelque chosed’inquiétant, de légèrement étrange qui vient déconstruire l’univers d’innocence heureuse et aseptisée des universités américaines, d’une manière qui n’est pas sans rappeler La Couronne verte et Les Revenants, de Laura Kasischke (Christian Bourgois, 2008 et 2011). Ada change, « endossant le rôle d’une fille normale à la fac ».Des deux expériences qu’elle aura avec leshommes, l’une se soldera par un viol, l’autre par une relation toxique, loin des images cauteleuses des bals de promo.
C’est en accouchant d’un esprit quel’héroïne parviendra à surmonter son traumatisme. Asughara est un « ogbanje », une créature de Dieu qui exerce ses pouvoirs sur les mortels, et nuit pour le plaisir. « J’étais la fureur sous sa peau, la
peau faite arme, l’arme brandie sur la chair. J’étais là. Plus personne ne la toucherait jamais », prévientil.
Excès de fantasmagorieSous son emprise, Ada change d’appa
rence, devenant une mangeuse d’hommes sans scrupule. La dernière partie du récit bascule dans une grande noirceur, étouffante, au risque de nous perdre par excès de fantasmagorie. Toutefois, il est impossible d’abandonner Ada qui, par ses blessures, son indécision et ses vaines tentatives, évoque une héroïne de roman de formation classique – on penseà Judith Earle dans Poussière, de Rosamond Lehmann (Plon, 1929). Ou à ces personnages aux vies spirituelles intenses que la littérature gothique dépeintcomme folles. « Le monde dans ma tête a toujours été bien plus réel que celui du dehors », conclut Ada dans une de ses rares et lucides interventions.
Rituel nocturne près de Benin City, au Nigeria, en 1982. PETER MARLOW/MAGNUM PHOTOS
eau douce (Freshwater), d’Akwaeke Emezi, traduit de l’anglais (Nigeria) par Marguerite Capelle, Gallimard, « Du monde entier », 256 p., 20,50 €, numérique 15 €.
Le charme un peu passé d’Elena FerrantePortraits de femmes ciselés et Naples en toile de fond. Le talent est là, guère la surprise
florence noiville
F rantumaglia. C’est ainsique la mystérieuse écrivaine italienne ElenaFerrante avait intitulé sa
réflexion sur la création romanesque : un texte subtil et pleind’élan, soustitré L’écriture et ma vie (Gallimard, 2019), où elle revenait notamment sur les grandes figures littéraires féminines qu’elle affectionne, VirginiaWoolf, Anna Maria Ortese, Elsa Morante… Dans le dialecte napolitain jadis utilisé par sa mère, ce terme étrange désigne « des morceaux qui font du bruit dans latête et vous mettent mal à l’aise ».
Ce malêtre « frantumagliesque », indistinct et diffus,Ferrante nous en livre un bel échantillon dans son nouveau roman, La Vie mensongère des adultes. Dès l’incipit, il est là qui trouble et paralyse Giovanna, la jeune narratrice. « En réalité, je ne suis
rien, rien qui soit vraiment à moi, rien qui ait vraiment commencé ou vraiment abouti : je ne suisqu’un écheveau emmêlé dont personne ne sait, pas même celle quiécrit en ce moment, s’il contient le juste fil d’un récit, ou si tout n’estque douleur confuse, sans rédemption possible. »
Dans la tête de Giovanna,12 ans, ces « morceaux » commencent à s’entrechoquer le jouroù elle intercepte une conversation qu’elle n’aurait pas dû entendre, et au cours de laquelle sonpère, discutant à mivoix avec sa mère, assène tout de go que Giovanna est laide. Pas à cause de l’adolescence ou de quelque ingratitude passagère, mais parcequ’elle est, ditil, en train de prendre les traits de sa sœur, Vittoria.Or, d’aussi loin que Giovanna sesouvienne, cette tante, Zia Vittoria, « alliance parfaite de la laideur et du Mal », a toujours provoqué chez ses parents le dégoût et la peur. Pourquoi ? La jeune fille l’ignore, mais, après un moment de désespoir, elle se persuade que son seul salut estd’aller voir à quoi ressemble
réellement cette Zia Vittoria dontla photo a disparu dans les albums de famille et qu’elle n’a pas vue depuis longtemps.
Regard sur le mondeAprès L’Amour harcelant, Les
Jours de mon abandon ou la célèbre tétralogie de L’Amie prodigieuse (tous chez Gallimard, 1995, 2004, et 20142018), La Vie mensongère des adultes est le huitième roman traduit d’Elena Ferrante. On y trouve, comme toujours chez cette talentueuse dentellière, des portraits féminins découpés et ciselés – celui deGiovanna et de ses deux amies, mais aussi et surtout celui de cette tante, qui jure comme uncharretier en n’épargnant personne, mais dont le charme agit immédiatement sur sa nièce.
Au point que Vittoria devientbientôt indispensable pour dessiller son regard sur le monde, lestrahisons des adultes, les hypocrisies de ses parents et les secrets de sa famille. (« Vittoria disait que j’avais des œillères,comme les chevaux, je regardaismais ne voyais pas (…). Regarde,
regarde, regarde, martelaitelle. »)Comme toujours aussi chez
Elena Ferrante, Naples est là, enarrièrefond décrépit et sublime, avec ses murs bleus ou jaunâtres et ses chiens hurlant derrière laCinquecento de Zia Vittoria, dansles ruelles lépreuses de la ville.Cela suffitil à Ferrante pour trouver et tirer « le juste fil d’un récit » ?En dépit de ces ingrédients familiers, quelque chose ne « prend » pas dans ce roman d’initiationpourtant lancé à grand renfort demarketing, en novembre 2019, par l’éditeur romain e/o et déjà acheté par Netflix. On ne s’attache ni ne s’émeut réellement. Et l’on reste finalement à la porte, oscillant entre le doute, le regret et la frantumaglia.
la vie mensongère des adultes(La vita bugiarda degli adulti),d’Elena Ferrante,traduit de l’italien par Elsa Damien, Gallimard, « Du monde entier », 416 p., 22 €, numérique 16 €.Signalons, de la même autrice, la parution en poche de L’Amour harcelant, traduit par JeanNoël Schifano, 224 p., 7,50 €.
“C’est un recueil passionnant et joyeux. Voilàun livre qui m’a épaté.”
François Busnel,France 5 “La Grande Librairie”
“Une telle excursion offre relief et profondeur,confère poésie autant qu’espièglerie, sous laplume d’un érudit de première.”
Antoine Perraud, La Croix
ALBERTO MANGUEL
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0123Vendredi 12 juin 2020 Mélange des genres | 9
POÉSIE
Tout un monde de nuagesLe temps ne passe pas, il aide à faire passer. Il y a déjà bien desannées, Enza Palamara était frappée d’un deuil très douloureux puis, comme s’il fallait qu’elle fût atteinte à son tour, elleétait tombée gravement malade. La vocation de cette universitaire sensible avait toujours consisté à recueillir les motsdes poètes. A cheminer avec eux à la recherche de ces « passages secrets » entre poésie et peinture.Et voilà qu’elle se retrouvait dans un terrible vide, sans possibilité, sans capacité de lire, les phrases empêchées, enferméedans l’impouvoir. Sur des carnets, de sa main gauche, elleavait alors commencé à ébaucher des dessins dont, peu à peu,elle était parvenue à recueillir l’essence. Ecrire, réécrire, devenant ainsi une tentative de traduction. Elle poursuit cette
quête, commencée avec Rassembler les traitsépars (Orizons, 2008). Dans ce nouveau« cahier d’heures », elle est « Errante/ par lesnuages ». Au creux des images, dans l’embrouillement des lignes, se révèle un autre étatde conscience, d’appartenance au monde queles mots maintenant accompagnent. Et « Leschemins/ s’ouvrent/ légers ». Ainsi passent lesnuages. xavier houssin Ce que dit le nuage, d’Enza Palamara, Poésis, 192 p., 19 €.
Magique marivaudage
B A N D E D E S S I N É E
Les violences racistes des années 1970 ? Très sale ambiance, que Dominique Manotti rappelle crûment dans « Marseille 73 »
Au temps honni des ratonnades
abel mestre
C e sont des crimes racistesoubliés, voire occultés. DansMarseille 73, passionnant polar,Dominique Manotti revient sur
les agressions et les meurtres de Maghrébins qui ont eu lieu dans le sud dela France au début des années 1970. En 1972, les circulaires MarcellinFontanet imposent aux immigrés d’avoir un contrat de travail et un logement décent pour pouvoir rester légalement sur le territoire français. Cette volonté de réguler l’immigration s’explique par la fin des« trente glorieuses » et la hausse du chômage. C’est aussi le moment de la naissance du Front national. L’un des groupuscules à l’origine de ce parti, les néofascistes d’Ordre nouveau, lance à cemomentlà une campagne contre « l’immigration sauvage », avant d’être dissous à l’été 1973.
Sur le pourtour méditerranéen, lacolère monte. Dix ans après la guerred’Algérie (19541962), la société méridionale est encore fortement marquéepar le conflit, avec, à la fois, une forte population piednoir et de nombreuxtravailleurs nordafricains. Du jour au lendemain, des milliers d’entre ces derniers deviennent expulsables. En signede protestation, une manifestation est organisée à Grasse, en juin 1973, par les travailleurs tunisiens. Hervé de Fontmichel, maire centriste de la ville, ne l’accepte pas et fait intervenir les forces de l’ordre. Dans la soirée, des habitants se mettent à « chasser » les immigrés. La « ratonnade de Grasse » commence.
Une affaire pour Théodore DaquinLoin d’être un incident isolé, cette nuit
de violence déclenche une série d’attaques xénophobes dont l’épicentre se situe à Marseille. En six mois, plus de cinquante Maghrébins sont tués, dont une vingtaine dans la cité phocéenne. C’est ledécor du roman de Manotti, qui s’inspirede cet épisode historique en mêlant personnages réels et héros de fiction.
On retrouve dans Marseille 73 le personnage fétiche de l’autrice, Théodore Daquin. Il vient de boucler une grosseaffaire (Or noir, Gallimard, 2015, premier volume de ces préquelles aux romans ayant rendu célèbre le héros de Manotti),mais goûte peu aux plaisirs de la
Canebière. L’ambiance macho etsurtout la menace de voir sonhomosexualité révélée au grandjour le poussent au départ. Le racisme, qui infuse partout, le dégoûte. « Daquin jette un dernierregard sur le VieuxPort à sespieds, l’eau glauque, immobile, les
quais déserts, pas un bruit, pas un mouvement, la vie est suspendue. La ville ne respire plus. (…) Elle attend, elle pue le sang. »
Il lui faudra résoudre une ultime enquête. Un jeune d’origine algérienne a été tué en pleine rue, quelques heuresaprès l’enterrement d’un traminot égorgé par un déséquilibré arabe. La justice et la police veulent étouffer
l’affaire. Pas Daquin ni ses hommes, qui devront enquêter en sousmarin pour contourner l’influence des anciens combattants et sympathisants de l’Organisation de l’armée secrète (OAS, groupeterroriste d’extrême droite opposé à l’indépendance de l’Algérie) parmi lesforces de l’ordre.
Comme son héros, Manotti travaille « àl’ancienne ». Phrases courtes, ultradescriptives, fil rouge politique… Les livres de cette agrégée d’histoire, colauréate duGrand Prix de littérature policièreen 2011 pour L’Honorable Société (avec DOA, « Série noire »), s’inscrivent dans l’héritage du néopolar français. Notamment des romans de Didier Daeninckx (Meurtres pour mémoire, Gallimard, 1983), qui ont contribué à faire connaître les ratonnades d’octobre 1961 à Paris, et ceux de Frédéric H. Fajardie (19472008)pour la description d’une police raciste et corrompue. Une veine devenue rare,que l’on prend plaisir à retrouver.
marseille 73, de Dominique Manotti, Les Arènes, 384 p., 20 €, numérique 15 €.
macha séry
H iver 1748, dans l’ouestde la Virginie. Le froid,la faim, les attaques deloups ou d’ours, sans
compter la variole qui rôde, les hussards français et les tribus indiennes qui massacrent colons et trappeurs… Les chances de survie dans ces montagnes enneigées sont, comme les températures,rudement basses.
Pour Della, une sangmêlé quis’est échappée d’un sordide bordel, le bébé qu’elle vient de mettreau monde dans une cabane cernée par les congères n’aura probablement que quelques jours à vivre. « Vaut mieux pas trop compter que la vie prenne racine dans ces contrées. »
Reathel, le voyageur en perdition qui a tué l’homme avec lequelDella s’était enfuie, prend vite conscience que la jeune mère est recherchée. Missionnés par un médecin militaire, deux frères mercenaires, une brute borgne et un adepte de l’opium et du laudanum, la traquent. Car l’enfant deDella, comme tous les enfants de prostituées, a été promis à Black
Hécatombe pionnièreL’homme est à la fois un loup et un ours pour l’homme dans la glaciale Amérique anglaise. Alex Taylor, cruel
Tooth, le chef des Shawnees, afin qu’il épargne Fort Bannock, un casernement anglais où, les routesde ravitaillement étant coupées, les réserves s’amenuisent tragiquement. Pourtant Reathel, jeune veuf dont la femme et le fils ont été emportés par la maladie, va escorter l’énigmatique Della dans son périple vers la liberté, au prix d’une terrible hécatombe.
Sang et jus de tabacTandis qu’un grésil glacial s’abat
sur ces étendues sauvages et qu’une ourse furieuse suit à la trace ceux qui s’aventurent dans les sentiers escarpés, les esprits s’échauffent, les mousquets pétaradent. Le blanc de la neige sera taché du jus noir du tabac et du sang de pionniers échoués enenfer. Avec ce thriller proche de l’épure, le styliste du Verger de marbre (Gallmeister, Grand Prix du roman noir étranger deBeaune 2017) signe un cruel roman d’aventures rappelant le film The Revenant, d’AlejandroGonzalez Iñarritu (2016).
le sang ne suffit pas (Blood Speeds the Traveler), d’Alex Taylor, traduit de l’anglais (EtatsUnis) par Anatole PonsReumaux, Gallmeister, 316 p., 23 €, numérique 16 €.
N O I R H I S T O R I Q U E
A Marseille. RIJASOLO/RIJASOLO/RIVA PRESS
P O L A R H I S T O R I Q U E
MORT BRUTALEMENT À L’ÂGE DE 49 ANS, en février, le scénariste et coloriste Hubert a laissé deux albums posthumes, dont cette fable joliment écrite sur le thème du genre. L’action se déroule pendant la Renaissance italienne, dans une petite ville qu’un curé fanatique entend soumettre au joug de la pudibonderie. Sa sœur, Bianca, ne veut pas du mariage arrangé que sa famille bourgeoise a prévu pour elle. Sa marraine lui confie alors une tunique magique, une « peau d’homme » lui permettant de voyager incognito dans le monde du sexe opposé, et faire ainsi la connaissance de Giovanni, son futur époux. L’homosexualité dissimulée de ce dernier ne sera pas la plus curieuse des découvertes que va faire l’héroïne devenue héros. Prise de conscience de la sexualité, libération des mœurs, tyrannie de la morale religieuse, acceptation de la marginalité… Soutenu par le trait faussement innocent de Zanzim, ce marivaudage fantastique réexamine des questionnements éternels, pour mieux porter le fer dans l’épiderme de l’époque actuelle. frédéric potet Peau d’homme, d’Hubert (scénario) et Zanzim (dessin), Glénat, 160 p., 27 €, numérique 19 €.
GLÉNAT
Terres et cieux rebellesDes déesses capricieuses, un dragon mélomane et uneconfrérie d’assassins… Le premier tome de l’ambitieux cyclede l’Américaine Jenn Lyons est résolument épique. Le Fléaudes rois raconte l’histoire d’un adolescent déraciné, Kihrin,musicien le jour et voleur la nuit. Recherché par de puissantsmages, à la suite d’une invocation démoniaque à laquelle iln’aurait pas dû assister, il devient la cible d’une machinationpolitique. Pour fuir l’empire de Quur et son destin, Kihrinembarque dans une aventure ponctuée de meurtres et de trahisons. Ce faisant, il s’engage dans un faceàface douloureuxavec son passé, sur fond d’apocalypse, de prophétie sanglanteet de rébellions célestes. Dans cet exigeant roman d’epicfantasy porté par une narration à trois voix, l’autrice subver
tit astucieusement les canons du genre et bâtit ununivers dense, peuplé de personnages vibrants,délicieusement cruels et attachants. Malgréquelques circonvolutions accessoires, Le Fléau desrois propulse Jenn Lyons dans la liste des auteurs àsuivre. elisa thévenet Le Fléau des rois. Le chœur des dragons, tome I (The Ruin of Kings. A Chorus of Dragons I), de Jenn Lyons, traduit de l’anglais (EtatsUnis) par Louise Malagoli, Bragelonne, 696 p., 25 €, numérique 13 €.
FANTASY
Magie du jeuDans l’empire des Sicles, secoué par des intrigues politiques,où la méfiance divise les peuples, Moïra peine à trouver saplace. A la mort de son père, la jeune princesse, intuitive ettéméraire, se lance sur les traces de son frère disparu. Unemission diplomatique devenue une quête intime à la découverte des forces qui traversent le monde. Au contactde mystérieux voyageurs à la peau tatouée, sa vie bascule.Enrôlée dans un jeu de stratégie où l’expertise des cartographes se conjugue à la puissance des principes célestes,
Moïra s’affirme. Dans ce roman ingénieux, à l’oréede la fantasy classique, Léo Henry réalise un subtilpas de côté. L’intrigue déploie ses ailes avecdélicatesse, en trois mouvements millimétrés.Une exploration initiatique de soi et de l’autre.L’auteur français sculpte avec poésie un univers oùle murmure devient la plus puissante des armes.Une incursion réussie sur les terres impitoyablesdes dragons. e. th. Thecel, de Léo Henry, Folio, « SF », inédit, 304 p., 8,50 €, numérique 8,50 €.
Kristell Guével-DelaruePréface d’Alain Fischer
Se vacciner contre les idées reçues
En librairie20 € • 208 pages
presses.ehesp.fr
Collection « VADEMECUM PRO »
UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws
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