le figural entre imagination et perception

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HAL Id: hal-01163594 https://hal-unilim.archives-ouvertes.fr/hal-01163594 Submitted on 15 Jun 2015 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entiïŹc research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinĂ©e au dĂ©pĂŽt et Ă  la diïŹ€usion de documents scientiïŹques de niveau recherche, publiĂ©s ou non, Ă©manant des Ă©tablissements d’enseignement et de recherche français ou Ă©trangers, des laboratoires publics ou privĂ©s. Le ïŹgural entre imagination et perception Valeria de Luca To cite this version: Valeria de Luca. Le ïŹgural entre imagination et perception. Metodo. International Studies in Phe- nomenology and Philosophy, Metodo Associazione, 2015, pp.199-220. hal-01163594

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Page 1: Le figural entre imagination et perception

HAL Id: hal-01163594https://hal-unilim.archives-ouvertes.fr/hal-01163594

Submitted on 15 Jun 2015

HAL is a multi-disciplinary open accessarchive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come fromteaching and research institutions in France orabroad, or from public or private research centers.

L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, estdestinĂ©e au dĂ©pĂŽt et Ă  la diffusion de documentsscientifiques de niveau recherche, publiĂ©s ou non,Ă©manant des Ă©tablissements d’enseignement et derecherche français ou Ă©trangers, des laboratoirespublics ou privĂ©s.

Le figural entre imagination et perceptionValeria de Luca

To cite this version:Valeria de Luca. Le figural entre imagination et perception. Metodo. International Studies in Phe-nomenology and Philosophy, Metodo Associazione, 2015, pp.199-220. ïżœhal-01163594ïżœ

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Le figural entre imagination et perception

Valeria De LucaUniversitĂ© de Limoges CeReS (Centre de Recherches SĂ©miotiques)[email protected]

ABSTRACT: Whereas in semiotics we have tried to account for the activity of thefigurative dimension of meaning as a coherent text deformation, in otherknowledge fields, the study of figures of speech and of images, have led to anoriginal design of “figural” as a full dimension of cultures. Whether it was amatter of the relationship between saying and seeing or of the nature andpower of images, the “figural” has been designed as a device able to move theboundaries between: speech and desire, rhetoric and esthesia, reality andreference, between the subjectal constitution and the phenomenal donation,between the singular expression as semiotic praxis and stabilization of values over time.

1. SĂ©miotique et mĂ©thode phĂ©nomĂ©nologique: l’épreuvefiguraleSi l'on se tourne vers l'histoire de la sĂ©miotique de ces derniĂšres vingt annĂ©es,entendue autant comme discipline qu'en tant que mĂ©thode ou, en les termesd'Umberto Eco (1985), soit comme un ensemble des sĂ©miotiques spĂ©cifiques, soitcomme sĂ©miotique gĂ©nĂ©rale, on a assistĂ©, d’une part, Ă  un vĂ©ritable Ă©largissementdes champs ou domaines d'analyse, allant des passions et du corps auxpratiques sociales ayant engendrĂ© une plĂ©thore de sĂ©miotiques : de laphotographie, du corps, des pratiques, etc. D’autre part, cette prolifĂ©ration s'estpartiellement rebattue sur une sĂ©miotique plus gĂ©nĂ©rale, une voied'investigation du sens du sens, un procĂ©dĂ© d'interrogation de son faire ; parconsĂ©quent, au fur et Ă  mesure que des « nouveaux » phĂ©nomĂšnes rĂ©clamaientune description adĂ©quate, sinon une explication, les modĂšles thĂ©oriquesd'antan ont Ă©tĂ© soumis Ă  une rĂ©vision profonde, en constituant la sĂ©miotiquemĂȘme comme une pratique (cf. Fontanille 2008). Le modĂšle gĂ©nĂ©ratif de lasĂ©miotique greimasienne a notamment Ă©tĂ© modifiĂ© par l'intĂ©gration et lacomplexification des dimensions figurative et sensorielle-percpetive ;

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ISSN 2281-9177

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nĂ©anmoins, un principe mĂ©thodologique ou, autrement dit, un impĂ©ratifanalytique, paraĂźt demeurer, Ă  savoir la possibilitĂ© de parcourir gĂ©nĂ©rativementdes formes signifiantes, des phĂ©nomĂšnes de signification une fois passĂ©s aucrible de l'analyse et par lĂ  donc conçus comme des objets. DĂšs lors, un telĂ©largissement des champs d’analyse ainsi qu’une rĂ©vision profonde d’uneĂ©pistĂ©mologie structuraliste forte ouvrent de facto une brĂšche Ă  la voiephĂ©nomĂ©nologique dans la mesure oĂč la matiĂšre du sensible - entendu commeglobalitĂ© des modes de donation/apprĂ©hension du sens en devenir - interrogeles notions d’immanence et de transcendence non seulement par rapport auxexpĂ©riences et aux vĂ©cus, mais Ă©galement par rapport aux “ĂȘtres” faisant l’objetsoit d’une analyse soit d’une description phĂ©nomĂ©nologique. En effet, commele dit Eco, « une sĂ©miotique gĂ©nĂ©rale est une philosophie des langages en cesens qu'elle veut l’ĂȘtre non seulement par rapport aux rĂšgles de l'Ăšrgon, maisĂ©galement des processus de l'energheia. »1.

Dans les mailles intriquĂ©es de la sĂ©miose, des ses matĂ©riaux – qu'ils soient defacture perceptive, cognitive, culturelle, etc. et pourvu que l'on puisse lesdissocier - il y a toujours comme une sorte d'excĂšs, de dĂ©mesure – comme ledirait George Didi-Huberman -, de reste ou de lacune, de disponibilitĂ©,d'indĂ©termination irrĂ©ductible Ă  une gĂ©nĂ©rativitĂ© descendant d'unedĂ©limitation d'un plan et d'Ă©lĂ©ments de base. En ces termes, le figural rĂ©sisted'un cĂŽtĂ© Ă  nombre de modĂšles d'analyse et, de l'autre, Ă  une conception tropstricte de l'immanence en sĂ©miotique, en rĂ©-affirmant prĂ©cisĂ©ment la nĂ©cessitĂ©de questionner cette energheia de la sĂ©miose, cette Ă©nergie, cette force vivantepar-delĂ  son propre mĂ©ta-langage qui, s'il est vrai qu'il construit et façonne sonobjet, ne peut guĂšre se penser comme appartenant Ă  un autre ordre de« rĂ©alitĂ© » - scientifique – et qui, par contre, ne peut se configurer que commerĂ©flexion, processus, observation seconde sur le sens.

Le figural rĂ©side traverse les matĂ©riaux du sens, du discours Ă  l'image, de laperception aux formes de vie, du geste aux Ă©motions, en s'y incrustant, en s'ycachant, en s'y exprimant, en travaillant un « objet » quelconque jusqu'au cƓurde son faire sens, c'est-Ă -dire en tant qu'activitĂ© qui disloque - et par le mĂȘmecoup reproduit et renouvelle – la diffĂ©rence et l'agonisme du jeu des valeurs. Ilse constitue comme une durĂ©e, une survivance qui, afin d’ĂȘtre saisie, demande Ă ce que l'on se plonge, en la complexifiant, dans la dimension sensible de lasignification, lĂ  oĂč imaginaire et perception rendent visible l'Ă©mergence desformes signifiantes, lĂ  oĂč l'on assiste non plus Ă  une gĂ©nĂ©ration mais Ă  unegenĂšse de ces formes.

Par consĂ©quent, il s’agira de traverser des zones d'indiscernibilitĂ© oĂč le sens,

1 ECO 1985, 332.

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dans sa praxis, découvre les formes de sa propre teneur constituant les culturesainsi que sa propre histoire.

2. Figural et figuration : la sĂ©mantisation des figures chezGreimasAvant de convoquer certains auteurs ayant investiguĂ© la portĂ©e du figural dansle cadre d'une sĂ©miotique plus « continuiste », phĂ©nomĂ©nologiquementorientĂ©e, oĂč il n'y a pas de discrĂ©tisation entre perception et langage, entresĂ©miotique du monde naturel et sĂ©miotique des langues naturelles – pourutiliser la formule du lituanien -, mais un enchaĂźnement de formes demĂ©diation – ce sur quoi nous reviendrons -, il convient d'Ă©claircir certainsacquis et prĂ©supposĂ©s de l'Ă©laboration greimasienne autour des concepts defigure et de figurativisation qui, par leur mĂȘme façonnage, ont de facto Ă©cartĂ© ladimension figurale des prĂ©occupations de la sĂ©miotique.

Loin de restituer pleinement la richesse et la profondeur de l'infrastructurethĂ©orique de Greimas par exigences de synthĂšse, nous tenons tout de mĂȘme Ă remarquer des latences prĂ©sentes dans la formulation de ces deux notions.

En ce qui concerne notre argumentation, nous nous attachons premiĂšrementĂ  l'examen des entrĂ©es « Figure » et « Figurativisation », telles qu'ellesapparaissent dans le Dictionnaire rĂ©digĂ© avec CourtĂšs, oĂč, en sĂ©mantiquediscursive, les procĂ©dures de figurativisation consistent en l'investissementd'un objet syntaxique « permettant Ă  l'Ă©nonciataire de le reconnaĂźtre commeune figure »2, donnant ainsi l'impression rĂ©fĂ©rentielle par rapport aux figuresdu monde naturel. Ce passage est nĂ©cessaire dans la mesure oĂč les figures dumonde naturel, conçu lui-mĂȘme comme une organisation sĂ©miotique, « sontconstituĂ©es par les 'qualitĂ©s sensibles ' du monde » agissant « directement –sans mĂ©diation linguistique sur l'homme » 3; de surcroĂźt, on lit dans le texte queles dites figures sont Ă©galement repĂ©rables dans le plan du contenu des languesnaturelles, pourvu que des sĂšmes extĂ©roceptifs soient convoquĂ©s par lediscours. En d'autres termes, cela revient Ă  affirmer d'une part,l'autonomisation et l'abstraction des opĂ©rations s'effectuant tout le long duparcours gĂ©nĂ©ratif procĂ©dant des structures profondes aux structures desurface et, d'autre part, Ă  sceller le socle, la discontinuitĂ© entre langue etperception.

Autrement dit, c'est parce que le sens, le sens reconstruit déductivement par

2 GREIMAS, COURTÈS 1979 : entrée « figurativisation ».3 GREIMAS, COURTÈS 1979 : entrée « monde naturel ».

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le modĂšle d'analyse, se structure comme un parcours suivant une trajectoireallant des oppositions sĂ©miques et des opĂ©rations syntaxiques de base jusqu'Ă ses multiples manifestations de surface et parce que, implicitement, uneĂ©quivalence entre plan de l'expression et monde sensible s'installe, qu'il estbesoin de concevoir les figures et la figurativisation comme une reconstruction,une reprĂ©sentation de ce mĂȘme monde. Dans la mesure oĂč ces qualitĂ©s agissentdirectement et sans mĂ©diation linguistique, et dans la mesure oĂč l'on postuledes structures abstraites rĂ©gissant la formation du sens, l'introduction deprocĂ©dures de recouvrement figuratif s'avĂšre nĂ©cessaire.

Cependant, ces procĂ©dures d'investissement, de conversion figurative ne sontpas anodines, se nichant dans le discours greimasien une sorte deprĂ©figuration de la problĂ©matique figurale. En effet, toujours dans l'entrĂ©e« figurativisation » du Dictionnaire, on mentionne la figuration en tant que« mise en Ɠuvre des figures sĂ©miotiques4, dont le pendant est l'iconisation entant que revĂȘtement complet des figures. La figuration, telle qu'elle est dĂ©critedans ce court passage, serait de prime abord une affaire de formes plutĂŽt quedes figures et par lĂ  mĂȘme une telle opĂ©ration concernerait non seulement lesphases de rĂ©alisation des textes mais Ă©largirait la rĂ©flexion Ă  plusieurs formessĂ©miotiques et, par consĂ©quent, Ă  diffĂ©rentes substances. Revenant commethĂšme en filigrane dans De l'imperfection oĂč l'auteur se consacr aux rapportsentre perception et sĂ©miose, la figuration concernerait, en derniĂšre instance,comme l'affirment Fontanille et Tore, « la problĂ©matisation et la dĂ©finition dessujets Ă©nonçants et des objets-Ă©noncĂ©s »5.

Toutefois, en dĂ©pit du caractĂšre rĂ©volutionnaire de cette intuition, lorsque lelituanien aborde la figurativisation dans SĂ©miotique figurative et sĂ©miotiqueplastique en envisageant la constitution d'un modĂšle d'analyse des textes visuelsou, Ă  tout le moins, non verbaux, l'examen de la figuration comme mise enƓuvre des formes sĂ©miotiques ne trouve pas de place. En effet, dans ce textevisant Ă  Ă©laborer une grille de lecture du visuel, les figures se constituent entant que telles Ă  partir justement d'agencements de traits sĂ©mantiquesintĂ©roceptifs, et

c'est cette grille de lecture qui nous rend le monde signifiant,permettant d'identifier les figures comme des objets, de les classifier, deles relier entre elles [
] De nature sĂ©mantique, - et non pas, parexemple, visuelle, auditive ou olfactive – elle sert comme « code » dereconnaissance rendant le monde intelligible et utilisable. On comprend[
] que c'est la projection de cette grille de lecture – une sorte de

4 GREIMAS, COURTÈS 1979 : entrée « figurativisation ».5 FONTANILLE & TORE 2006, 23-32.

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« signifiĂ© » du monde – sur une toile peinte qui permet de reconnaĂźtrele spectacle que l'on estime qu'il soit reprĂ©sentĂ©6.

La figuration prĂ©cĂ©demment Ă©voquĂ©e cĂšde sa place en faveur d'une lectureexquisĂ©ment iconisante qui, en sĂ©lectionnant des traits sur le signifiant planaireet en leur attribuant des significations, transforme les figures en des « signes-objets », Ă  savoir en des formants figuratifs. Le propre d'une telle lecture - dontl'abstraction n'est que l'autre pĂŽle de l'iconisation - ainsi que du formantconstituĂ©, rĂ©side d'un cĂŽtĂ© dans le tri des faisceaux perçus et, de l'autre, dans larĂ©duction de l’hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ©, par exemple du visuel, Ă  son homogĂ©nĂ©isation euĂ©gard de l'unitĂ© de la signification, de son cadrage, si l'on peut dire, dans labonne forme. Par ailleurs, la comparaison avec la morphogenĂšse telle qu'elleavait Ă©tĂ© Ă©laborĂ©e par la Gestalttheorie est repĂ©rable dans le texte, quelqueslignes aprĂšs l'Ă©tude des formants, lorsque l'on Ă©tabli une convergence des deuxapproches autour des formes en tant qu'« unitĂ©s discrĂštes ainsi constituĂ©es Ă partir de la somme de ses traits »7. Ce parallĂšle, qui pourrait rĂ©-ouvrir larĂ©flexion et l'implĂ©mentation de la figuralitĂ© de et dans les formes sĂ©miotiquess’arrĂȘte pourtant lĂ , en demeurant sur des analogies de surface et en laissantinachevĂ©e cette piste. Celle-ci est Ă©galement la raison pour laquelle, avant derevenir vers des nouvelles suggestions sĂ©miotiques stricto sensu, il faut faireappel Ă  ceux qui, en philosophie et en linguistique, ont approchĂ© le figural entoute sa richesse et complexitĂ©.

3. IncommensurabilitĂ© du figural : de Lyotard aux formessĂ©mantiquesTandis qu’en sĂ©miotique l’on a cherchĂ© Ă  rendre compte du travail de ladimension figurative du sens en tant que dĂ©formation cohĂ©rente des textes,dans d’autres champs du savoir l’étude des figures du discours ainsi que duvisuel, a abouti Ă  une vĂ©ritable conception du figural comme dimension descultures Ă  part entiĂšre. Qu’il se soit agi des relations entre le dire et le voir oubien de la nature et du pouvoir des images, le figural a Ă©tĂ© conçu comme undispositif capable de mouvoir - d’émouvoir - les frontiĂšres entre la parole et ledĂ©sir, entre la rhĂ©torique et l’esthĂ©sie, entre la rĂ©alitĂ© et la rĂ©fĂ©rence, entre laconstitution subjectale et la donation mondaine, entre l’expression singuliĂšrecomme praxis sĂ©miotique et la thĂ©saurisation des valeurs dans le temps.

6 GREIMAS 1984, 34.7 GREIMAS 1984, 38.

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Une vĂ©ritable pensĂ©e du figural rĂ©sulte dĂ©bitrice du vaste hĂ©ritage laissĂ© parla notion de figure, figura - si l’on se tient Ă  l’étymologie de la rhĂ©toriqueancienne -, dont il serait impossible de restituer ici toute son histoire8.Soulignons, pour ce qui concerne notre procĂ©dĂ©, que, comme le dit bienHerman Parret, la figura est associĂ©e en latin Ă  des significations telles“configuration, chose façonnĂ©e, maniĂšre d’ĂȘtre”9 et que, selon Auerbach, “lesens premier du mot est [
] celui de ‘forme plastique’” ; l’animation de lafigura, notamment si l’on la rapproche de la forma, devient saillante en Ă©tant,toujours en suivant Auerbach, “en quelque sorte un opĂ©rateur intermĂ©diairequi fait passer de l’un [le moule de la forme] Ă  l’autre par empreinte”10, sesituant dĂšs lors dans un entre-deux, dans un interstice entre la conceptionimageante et l’incarnation corporelle.

C’est dans la lignĂ©e de ces Ă©laborations que la thĂ©orisation du figural sedĂ©gage dans l’examen que Jean-François Lyotard en fait dans le cĂ©lĂšbreDiscours, figure en 1971. Bien qu’elle soit loin d’une pertinence sĂ©miotiquestricte, l’étude lyotardienne ouvre un champ d’investigation et pose desquestions interpellant le faire mĂȘme du sens. Son analyse vise Ă  repenser lesrelations entre le dire et le voir, Ă  savoir entre le discours et le visible et par lĂ mĂȘme l’art, Ă  Ă©lucider les façons Ă  travers lesquelles le figural travaille en tousles sens autant la langue que la peinture et finalement Ă  considĂ©rer sous desnouveaux angles la dialectique entre transcendance et immanence innervantles chiasmes entre perception et langage, en mĂȘlant les thĂ©ories hĂ©gĂ©lienne eten particulier fregienne sur la signification jusqu’à une critique d’une certaineconception de la signification en sĂ©miotique (notamment le modĂšlejakobsonien). Plus prĂ©cisĂ©ment, Lyotard reprend de Frege, en la problĂ©matisantet en maintenant en filigrane les questions de la vĂ©ritĂ© et de la constitution dessujets, la distinction entre Sinn - la signification d’un mot au sens de placeoccupĂ©e dans un systĂšme, Ă  savoir la langue - et Bedeutung - l’acte dedĂ©signation d’une rĂ©fĂ©rence.

Dans les discours rĂ©alisĂ©s, dans tous phĂ©nomĂšnes de parole, un Ă©cart, uneĂ©paisseur, se produisent entre ce que l’on juge appartenant Ă  un ordreparadigmatique et ce qui relĂšve du syntagmatique. Cet Ă©cart qui est en mĂȘmetemps, affirme Lyotard, la distanciation, l’acte de surreflexion - en reprenantune formule merleau-pontienne - entre le langage et le sensible, et du langagesur lui-mĂȘme, fait entrevoir et trembler le mĂ©canisme mĂȘme de la langue car iltrouble la constitution de l’invariance en mettant en mouvement une reprise

8 Pour une vue panoramique sur ses différentes acceptions, voir PARRET 2006.9 PARRET 2006, 73. 10 Cité dans AUBRAL & CHATEAU1999, 12 et 13.

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constante de variations11. DĂšs lors que l’on dĂ©signe, que l’on met quelque choseĂ  distance, dĂšs lors que l’on installe une diffĂ©rence, l’on est comme pris dans undouble jeu entre d’une part, l’écartement de la chose et donc l’autonomisationdudit systĂšme, valant ainsi pour lui-mĂȘme, et, d’autre part, cet Ă©loignementmĂȘme qui marque inĂ©vitablement l’acte de formation autant du systĂšme quede la chose.

Cette dynamique, ce mouvement des figures entre signes et monde,remarque Lyotard, est partagĂ©e par la langue aussi bien que par la perceptionsi, comme le dit Renaud Barbaras, “approcher, c’est Ă©-loigner, c’est-Ă -dire sortirde l’éloignement : la proximitĂ© conserve la distance qu’elle surmonte [
] lesentir [
] est dĂ©ploiement d’une distance, [
] il n’y a donc plus d’alternativeentre l’intĂ©rioritĂ© de l’expĂ©rience et l’extĂ©rioritĂ© du monde perçu”12. C’est toutd’abord cette dunamis qui caractĂ©rise le figural ou, pour mieux dire, l’espacefigural, dont la figure n’est qu’une de ses dĂ©clinaisons et non pas de sesmanifestations. Le figural, en effet, en agissant en tant qu’opĂ©rateur de lavariation et de la diffĂ©renciation, n’est pas une chose, pas non plus une essence,mais l’activitĂ© Ă©vĂ©nementielle, Ă©mergente qui forme les choses reconnaissablesainsi que les actes de parole tout en y dĂ©voilant, d’un cĂŽtĂ©, leur caractĂšresingulier et transitoire et, de l’autre, leur façon d’ĂȘtre trace revenante destrĂ©fonds des sujets qui les expriment ainsi que des cultures qui les archivent.

En d’autres termes,

le langage exerce un certain effet d’appareillage en insĂ©rant les chosesdans son rĂ©seau de significations. [
] Par contre le figural c’est l’aspectsensible qui se trouve exclu des choses par ce discours, ce systĂšmelangagier. Une fois que la chose sera considĂ©rĂ©e par un systĂšme selon lepropre point de vue de celui-ci, elle sera traitĂ©e comme un Ă©lĂ©ment dece systĂšme et les propriĂ©tĂ©s incompatibles avec ce dernier passerontpour inaperçues. On peut dire, en caricaturant les termes, que cespropriĂ©tĂ©s inaperçues des choses par un discours constituent ce quireste sensible dans celles-ci et font l’objet de l’espace figural. Mais, cettedistinction n’est pas assignable dans les limites d’une simple oppositionentre le discours et le sensible. 13

L’imbrication intime du dicible et du visible exprimĂ©e par le figural et lapuissance d’altĂ©ritĂ© et d’hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©isation que chaque figure exemplifiecomme dans le cas du jeu mĂ©taphorique, s’affichent clairement lorsque l’auteuraffirme que

11 Voir notamment l’examen de l’oeuvre mallarmienne dans le texte citĂ©.12 BARBARAS 2009, 97.13 SARIKARTAL 2010, 8-9.

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la figure est dehors et dedans [
] Le langage n’est pas un milieuhomogĂšne, il est scindant parce qu’il extĂ©riorise le sensible en vis-Ă -vis,objet, et scindĂ© parce qu’il intĂ©riorise le figural dans l’articulĂ©. L’oeil estdans la parole puisqu’il n’y a pas de langage articulĂ© sansl’extĂ©riorisation d’un ‘visible’, mais il y est encore parce qu’il y a uneextĂ©rioritĂ© au moins gestuelle, ‘visible’, au sein du discours, qui est sonexpression.14

Et c’et dans ce miroitement ou, pour mieux dire, dans cette dynamique detransposition, qu’“en face du discours, il y a la figure-image” et “dans lediscours, il y a la figure-forme”15, le figural articulant ainsi ses “niveaux defigurabilitĂ©â€, suivant la lecture d’Herman Parret, dans une tripartition de sesfigures : figure-image, figure-forme et figure-matrice, cette derniĂšre Ă©tant vuecomme “ce qui ne peut ĂȘtre ni lu ni vu, relevant d’une topologie fantasmatiquequi traverse les espaces perceptifs et oniriques sans jamais s’y montrer. Elle estla diffĂ©rence originaire brouillant les oppositions qui structurent tout espace, lafigure topologique qui agite le dĂ©sir, la disposition Ă©nergĂ©tique qui prĂ©cĂšde Ă tout travail de production”16.

Bien que cette tripartition soit peut-ĂȘtre trop tributaire de l’influence d’unevision psychanalytique du langage - la singularisation de l’évĂ©nement figuralprocĂ©dant “uniquement” de la force pulsionnelle du dĂ©sir -, il n’en reste pasmoins qu’elle nous livre des suggestions fructueuses pour penser le figural ensĂ©miotique et repenser les raisons de sa rĂ©sistance.

Dans le sillage de Lyotard et suivant Ă©galement l’hĂ©ritage de laphĂ©nomĂ©nologie, Laurent Jenny dans La parole singuliĂšre systĂ©matise davantageles aspects saillants du figural et ses modes opĂ©ratoires dans le discours :

appelons donc ‘figural’ le processus esthĂ©tico-sĂ©mantique quiconditionne la reconduction du discours Ă  la puissance de l’actualitĂ©.[
] Quant Ă  la dĂ©finition du figural comme ‘processus esthĂ©tico-sĂ©mantique’, elle implique que s’y trouvent nouĂ©s des processustensionnels et des processus reprĂ©sentatifs17.

DĂ©finir ainsi le figural revient Ă  affirmer non seulement la nature mixte de lalangue, sa continuitĂ© avec le sensible, mais Ă©galement son activitĂ© de(rĂ©)crĂ©ation de formes en tant que son mode de fonctionnement ‘ordinaire’. En

14 LYOTARD 1971, 13-4.15 LYOTARD 1971, 51.16 PARRET 2006, 108.17 JENNY 2009, 14-15.

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effet, comme le dit Jenny, il y a

une Ă©vĂ©nementialitĂ© ‘ordinaire’ du discours oĂč le figural est dĂ©jĂ impliquĂ© si l’on veut bien admettre qu’il recouvre tout le champ desinteractions entre forme linguistique et forme non-linguistique. On voitdonc qu’il intervient dĂ©jĂ  sur un plan dĂ©cisif qui n’est autre que celui dela ‘rĂ©alisation’ de la langue”18, il “contraint Ă  reconsidĂ©rer la formemĂȘme de la langue [
] il nous ramĂšne Ă  une dĂ©cision ‘premiĂšre’ sur laforme de cette langue, il nous en reprĂ©sente le moment d’émergence etd’arbitraire.19.

DĂšs lors, montrer le caractĂšre instituĂ© de la langue en mĂȘme temps que lasingularitĂ© de la situation d’énonciation qui transpose continĂ»ment des motifsperçus en des rĂ©pertoires thĂ©matiques plus ou moins stabilisĂ©s au travers del’activitĂ© mĂ©morielle des discours attestĂ©s et gĂ©rĂ©s par la vocation identitaire etĂ©thique des cultures, signifie interprĂ©ter la constitution des sujets Ă©nonçants etdes ‘objets-Ă©noncĂ©s’ comme les rĂ©sultantes d’une polĂ©mique des forces, desvalences perceptives concourant Ă  la formation de valeurs. De surcroĂźt, celaveut Ă©galement dire que, derriĂšre mĂȘme les oppositions que l’on peut repĂ©rerdans le faire du sens, il y a toujours un jeu diffĂ©rentiel du semblable et dudissemblable faisant en sorte que les valeurs ne puissent se constituer que dansdes zones de pertinence locale en mĂȘme temps que gĂ©nĂ©rique toujours inscritesdans des champs plus vastes oĂč elles passent au crible, entre autres, deshabitus, des traditions, des domaines, etc. De ce fait, affirme Jenny, “le champfigural est plutĂŽt un champ d’individuation que d’unification. Une tension qui‘rĂ©pond’ au monde et renvoie Ă  lui se module diffĂ©remment [
], un dispositifdont aucun Ă©lĂ©ment ne doit ĂȘtre abstrait et traitĂ© pour lui-mĂȘme. Il ouvre unchamp diffĂ©rentiel plus vaste que celui oĂč la langue s’inscrit et comme antĂ©rieur Ă lui.”20

La notion de champ de forces - oĂč ces forces sont Ă  la fois de natureperceptive, linguistique, culturelle et imaginaire - se constituant conjointementĂ  l’émergence du sens et des sujets, et celle du figural comme Ă©nergie propre dece champ, trouvent un Ă©cho dans la thĂ©orie des formes sĂ©mantiques de PierreCadiot et Yves-Marie Visetti et notamment dans le concept de motif comme l’undes rĂ©gimes ou phases par lesquels le sens se produit. Les auteurs s’inscriventdans la reprise de la tradition phĂ©nomĂ©nologique aussi bien que de laGestalttheorie prĂ©cĂ©demment mentionnĂ©e. Les acquis de la psychologie de la

18 JENNY 2009, 19.19 JENNY 2009, 22.20 JENNY 2009, 65 et 76.

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forme se voient notamment complexifiĂ©s par rapport Ă  certaines idĂ©es reçuesqui installent une Ă©quivalence sinon une identitĂ© entre forme et structure -impliquant par consĂ©quent une vision close, dĂ©limitĂ©e et uniquementtopologique de la forme - ou qui ne conçoivent la stabilisation d’un scĂ©nariofiguratif, sa configuration, qu’en les termes d’une recomposition effectuĂ©e Ă partir de l’extraction de certains traits. Par contre, l’introduction du motifcomme germination des valeurs - une germination toujours Ă  rĂ©gime suivantPierluigi Basso Fossali, Ă  savoir toujours mĂȘlĂ©e Ă  la prĂ©sence des scĂšnesproprement fictives, des narrations dĂ©jĂ  en cours -, permet de mieux rendrecompte de la gĂ©nĂ©ricitĂ© figurale en tant que dynamique Ă©nergĂ©tique façonnant latension vers la forme. Les motifs, argumentent les auteurs,

sont en effet des unitĂ©s de couplage, hautement instables, entre desdimensions qui n’apparaissent comme hĂ©tĂ©rogĂšnes qu’à d’autresniveaux de stabilisation. Ces unitĂ©s sont construites, non pas seulementpar abstraction, mais aussi par des processus analogues Ă  dessynesthĂšses : des systĂšmes de transactions, de renvois multiples entrevaleurs qui s’entreexpriment, ce qui est une clĂ© essentielle pourcomprendre la variĂ©tĂ© des profils obtenus. C’est en oubliant ce caractĂšretransactionnel que l’on tombe dans les rĂ©ductions configurationnelles.Il nous faut pointer, au contraire, vers une thĂ©orie de la perception quisoit une thĂ©orie motrice et intentionnelle, une thĂ©orie sĂ©miotique ettransactionnelle de l’espace, constituĂ©e par la saisie concomitante devaleurs praxĂ©ologiques, subjectives, axiologiques21.

Les motifs Ă©tant ainsi conçus, en jaillit une vision totalement autre autant desrelations entre expression et contenu que de la figurativitĂ©. Du moment oĂč laperception est d’emblĂ©e “une perception sĂ©miotique, une perception qui seconstitue comme relation Ă , accĂšs vers, chemin pour, une perception d’identitĂ©squalitatives et de valeurs, qui discerne corrĂ©lativement [
] des motifs d’agir etdes mouvements expressifs : ceux du sujet, ceux d’autrui, ceux de la chosemĂȘme” en Ă©tant fondĂ©e dans l’activitĂ©, dans “une mise en perspective, et unesuggestion d’enchaĂźner”22 ; du moment oĂč “les formes dont il s’agit sontsocialement constituĂ©es [
] Ă  chercher dans une intersubjectivitĂ©â€23, il enrĂ©sulte que : i) la praxis Ă©nonciative ne se voit plus uniquement comme la miseen prĂ©sence, la mise en devenir de la part d’instances, soient-elles plurielles,des virtualitĂ©s du systĂšme du discours et de la signification stockĂ©es dans la

21 CADIOT, VISETTI 2002. Pour un examen global de la théorie des formes sémantiques, voir: CADIOT, VISETTI 2001.

22 CADIOT, VISETTI 2002, 16.23 CADIOT, VISETTI 2002, 19.

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mĂ©moire culturelle, mais elle devient le lieu rĂ©flexif d’apprĂ©ciation,d’ajustement, d’évaluation, de nĂ©gociation, de (re)institution - dans lamonstration prĂ©cisĂ©ment de leur caractĂšre instituĂ© - de ces mĂȘmessignifications et ii) la figurativitĂ© rĂ©cupĂšre le caractĂšre intermĂ©diaire de lafigura, en se situant transversalement par rapport aux diffĂ©rentes substancessignifiantes et permettant ainsi une transduction, une remĂ©diation des formesde leur mĂȘme apparaitre. DĂšs lors, le figural agit, en traversant le dicible, levisible et le sensible, comme un imaginaire “des corps-choses et de leursempreintes, un imaginaire des affects et des champs d’action [
] toujoursprĂ©sent-absent”, comme “l’ouverture surabondante du sensible, en mĂȘmetemps que son retrait, devant nos tentatives d’apprĂ©hension, de dĂ©limitation,de catĂ©gorisation”24. Passons ainsi Ă  examiner les imbrications entre lefigural/imaginaire formulĂ© de cette façon et ses implications pour unesĂ©miotique qui se veut vĂ©ritablement perceptive.

4. Figural, “magma” et sĂ©miotique de la perceptionSi l’on veut comprendre pleinement le rĂŽle de la dimension figurale Ă  l’oeuvredans les processus de sens, un pĂ©riple autour de la pensĂ©e du philosophe etpsychanalyste franco-grec Cornelius Castoriadis et plus particuliĂšrementautour de ses concepts de magma et d’imaginaire radical/imaginaire socials’impose. En Ă©tudiant le changements des sociĂ©tĂ©s et en se questionnant surl’existence de soi-disant principes ou de tendances qui pourraient rendrecompte historiquement de ces changements - son Ă©laboration Ă©tant issue Ă partir d’une critique du marxisme -, Castoriadis, dans une tentative dedĂ©passement des explications fonctionnalistes en sociologie, va Ă  la rencontred’une absence de fondement spĂ©cifique qui puisse avoir le dernier mot quantau ‘pourquoi’ d’une telle Ă©volution plutĂŽt que d’une autre. Les activitĂ©shumaines paraissent en effet ne pas trouver des vĂ©ritables justifications ou desfins dans des marco-configurations sĂ©miotiques telles l’économie, la politique,etc. ; au contraire, souligne Castoriadis, ce que les diffĂ©rentes formessymboliques constituant les sociĂ©tĂ©s - et il en va de mĂȘme pour lessignifications - partagent entre elles, c’est le fait d’ĂȘtre issues d’un processus decrĂ©ation qui les institue en tant que telles et qui, une fois les ayant instituĂ©es,leur confĂšre une existence, les fait ĂȘtre.

Les actes de création/institution sont à la fois ce qui permet à une société

24 VISETTI, 2014.

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donnĂ©e et Ă  des individus de se penser en tant que tels et la dynamique propreet interne aux sociĂ©tĂ©s et aux individus. Plus prĂ©cisĂ©ment, la crĂ©ation seproduit par l’activitĂ© imaginante des individus et des sociĂ©tĂ©s manipulant,modelant les significations donnĂ©es en partant de la perception jusqu’àprĂ©figurer l’insurgence du nouveau par la reprĂ©sentation. C’est la raison pourla quelle la crĂ©ation est ex nihilo sans que cela veuille dire qu’elle le soit

in nihilo (dans le rien) [
] ni cum nihilo (sans moyens ni conditions).Autrement dit, comme l’écrit Castoriadis, ‘il est clair que la crĂ©ationsocial-historique (comme du reste dans n’importe quel autre domaine),si elle est immotivĂ©e - ex nihilo - a toujours lieu sous contraintes. Nidans le domaine social-historique ni nulle part ailleurs, la crĂ©ation nesignifie pas que n’importe quoi peut arriver n’importe oĂč, n’importequand et n’importe comment’25.

L’imaginaire, qu’il soit ‘radical’ lorsqu’il concerne un single individu ou sociallorsque l’on a Ă  faire avec des sociĂ©tĂ©s entiĂšres, rĂ©git la crĂ©ation en seconstituant ainsi, comme le souligne Antonino BondĂŹ, comme “la clef de voĂ»tepour penser la nature humaine et ses modalitĂ©s de se mettre en contact avec lemonde”26, comme

une facultĂ© typiquement humaine de dĂ©placement, transposition etcrĂ©ation, dont le but est de construire une sorte d’atmosphĂšre ou demilieu mobile dans lequel tout ce qui est perçu n’est pas seulement latrace d’une activitĂ© expressive, mais aussi le rĂ©sultat d’une fabricationsociale, d’un enrĂŽlement conflictuel, d’un dispositif de mise en placed’une scĂšne interlocutoire extrĂȘmement complexe et gĂ©rĂ©e par desacteurs sociaux douĂ©s d’un statut social spĂ©cifique27.

Or, la condition par le biais de laquelle l’imaginaire peut exercer son fairerĂ©side prĂ©cisĂ©ment en le fait que les formes sĂ©miotiques, les significations, sontpar leur mĂȘme facture transposables, permĂ©ables, qu’elles constituent, suivantCastoriadis, un magma. Le caractĂšre toujours Ă  dĂ©terminer du magma, appelĂ©Ă©galement boue sĂ©mantique, prĂ©side notamment autant Ă  la dĂ©terminationd’ensembles de significations et d’identitĂ©s dĂ©terminĂ©es historiquement qu’à lapossibilitĂ© de faire Ă©merger, du fond du temps, l’inattendu - et c’est toute lĂ  sapuissance figurale -, le nouveau, le Ă  venir des significations. Comme l’auteurl’explique dans son oeuvre majeure, L’institution imaginaire de la sociĂ©tĂ©,“l’institution de la sociĂ©tĂ© est chaque fois institution d’un magma de

25 TOMÈS 2007, 79-80.26 BONDÌ 2014, 5. 27 BONDÌ 2014, 5.

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significations imaginaires sociales, que nous pouvons et devons appeler unmonde de significations”28 et

en tant que magma, les significations [
] ne sont pas des Ă©lĂ©mentsd’un ensemble soumis Ă  la dĂ©terminitĂ© comme mode et critĂšre d’ĂȘtre.Une signification est indĂ©finiment dĂ©terminable [
] sans que celaveuille dire qu’elle est dĂ©terminĂ©e. Elle peut toujours ĂȘtre repĂ©rĂ©e,assignĂ©e provisoirement comme Ă©lĂ©ment identitaire [
] Mais cesdĂ©terminations ne l’épuisent, par principe, jamais29.

Ce qui caractĂ©rise l’activitĂ© imaginaire et les fluctuations du magma - et c’est cequi reprĂ©sente l’originalitĂ© de la pensĂ©e de Castoriadis - c’est le fait que ladynamique instituante non seulement reconfigure la trame des valeurs desindividus et des sociĂ©tĂ©s, pour ainsi dire, dans l’abstrait, mais elle opĂšreprĂ©cisĂ©ment dans et Ă  partir de la perception - culturelle - en travaillant lesformes-figures des objets sĂ©miotiques car, comme poursuit le texte,“l’institution du monde des significations comme monde social-historique estipso facto ‘inscription’ et ‘incarnation’ dans le ‘monde sensible’”30. Les actes decrĂ©ation/institution mettent Ă  l’épreuve la teneur des valeurs dans le temps, cequi revient Ă  affirmer “l’auto-altĂ©ration perpĂ©tuelle de la sociĂ©tĂ© [
] qui semanifeste par la position de formes-figures relativement fixes et stables et parl’éclatement de ces formes-figures qui ne peut jamais ĂȘtre que position-crĂ©ationd’autres formes-figures”31.

Dans la perspective d’une sĂ©miotique de la perception et des cultures Ă vocation Ă©cologique, telle qu’elle est promue par Basso Fossali, cela revient Ă considĂ©rer la dimension figurale du sens comme “le carrefour des Ă©changes desens entre mondes. En effet le rĂŽle anthropologique dĂ©tenu par le figuraldĂ©pend du fait que le monde de l’expĂ©rience, ainsi que chaque monde fictifĂ©laborĂ© Ă  des buts explicatifs, ne peuvent jamais garantir une totalisation dusens”32. Dans la conception et dans le modĂšle de cet auteur, il y a, Ă  partir de laperception dĂ©jĂ  informĂ©e par la culture, une dĂ©multiplication des accĂšs au sensqui s’effectue par un va-et-vient de mĂ©diations entre l’expĂ©rience et l’existence,entre la sensibilitĂ© et l’affectivitĂ© et les procĂšs de textualisation, entre les coursd’action et leur instabilitĂ© et les narrations, les configurations identitaires quiles gĂšrent dans le temps. Les diffĂ©rentes mĂ©diations reprĂ©sentent, pour

28 CASTORIADIS 1975, 480.29 CASTORIADIS 1975, 465.30 CASTORIADIS 1975, 475.31 CASTORIADIS 1975, 496.32 BASSO FOSSALI 2006, 19.

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simplifier, autant de “lectures”, de pratiques de surreflexion de la part dessujets, de rĂ©flexion de la part des textualisations, au cours mĂȘme desexpĂ©riences ou de l’apprĂ©hension des textes. Les plis des diffĂ©rentes lectureslors de l’énonciation remettent en cause, en les complexifiant, la tension vers lafigure propre de toute perception. EmĂ©rgeant de l’apprĂ©hension perceptive, unplan figuratif peut se constituer, ouvrant Ă  un nouveau passage de lasĂ©mantisation, Ă  partir duquel Basso Fossali dĂ©nombre au moins trois lectures,trois modes de constitution du sens d’un texte, Ă  savoir : 1) une “lectureplastique de l’énonciation plastique “lorsque l’énoncĂ© s’autonomise en tant que“pur ensemble de pattern” ; 2) une “lecture figurative d’une Ă©nonciation plastique”lorsque l’on rĂ©cupĂšre une figurativitĂ© par “la mise en valeur d’une mĂ©moirediscursive” ; 3) une “lecture figurale” lorsque le plastique entre “en tension avecla stabilisation du scĂ©nario figuratif”33.

Le figural, notamment dans les images - et c’est pourquoi l’auteur se focalisesur l’image audiovisuelle et cinĂ©matographique - se pose comme “une mise enperspective du matĂ©riau discursif qu’en met l’emphase sur les relationsinternes, en particulier en termes de tension entre d’élĂ©ments plastiques etd’élĂ©ments figuratifs”34. Ce faisant, l’activitĂ© figurale non seulement remotive“les choix expressifs d’un texte” en sa globalitĂ© - en faisant bouger par le mĂȘmecoup tout le champ dans lequel ledit texte s’inscrit -, mais il occasionneĂ©galement, au moins dans les textes filmiques, une “rĂ©fraction continue duniveau de l’énoncĂ© vers celui de l’énonciation”35. De ce fait, on retrouve ici le filrouge traversant les diffĂ©rentes formulations du figural prĂ©cĂ©demmentĂ©voquĂ©es.

A l’instar des suggestions de Castoriadis, le figural non seulement traverseles espaces Ă©nonciatifs et les matiĂšres de la perception et de la fiction, en lesmultipliant par la crĂ©ation d’un espace tiers de tension entre les valences aussibien que les valorisations, mais il s’avĂšre, selon l’auteur, dans le basculementdes formes-figures,

l’épiphĂ©nomĂšne de l’observation de second ordre sur la signification ;on joue un match, mais en mĂȘme temps on observe la maniĂšre danslaquelle les joueurs observent ces rĂšgles, on tient un discours mais enmĂȘme temps on le fait se replier pour qu’il rĂ©flĂ©chisse sur sa proprelicĂ©itĂ© quant Ă  la maniĂšre dans laquelle il est Ă©noncĂ©. [
] Le figural esttoujours une sorte de ‘spasme’ interprĂ©tatif instituant des relationsentre les fronts les plus opposĂ©s de la signification textuelle, de la

33 BASSO FOSSALI 2009, 27.34 BASSO FOSSALI 2003, 29.35 BASSO FOSSALI 2003, 30.

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réémergence de la sensibilité de la signification à la pertinetialisationculturelle la plus sofistiquée.36

DĂšs lors, le figural en tant qu’imaginaire en action, oblige Ă  garder l’indĂ©cisionet le mouvement entre des lectures, en tant qu’indĂ©cision productrice de sensen elle-mĂȘme.

A ce propos, et Ă  titre purement d’exemplification, nous nous attardons trĂšsbriĂšvement sur deux oeuvres de l’artiste italien Alighiero Boetti, ayant faitpartie du courant artistique connu aux annĂ©es soixante sous le nom d’Artepovera (Art pauvre) et ayant par la suite suivi un cheminement tout Ă  faitpersonnel.

En particulier, les oeuvres qui retiennent notre attention sont : ShamanShowman, lithographie de 1968 (fig. 1) et la série de tapisseries Tutto (Tout)fabriquées entre 1980 et 1988 (fig. 2).

36 BASSO FOSSALI 2006, 18.

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Fig. 1 Alighiero Boetti, Shaman Showman, 1967, Galerie de Nieubourg, Milan

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Travaillant la dĂ©multiplication aussi bien linguistique - il avait scindĂ© pourles re-associer son nom et son prĂ©nom en se baptisant artistiquement Alighiero eBoetti - que matĂ©rielle et sensible, - en se servant de matĂ©riaux trouvĂ©s oud’objets du quotidien -, Boetti dĂ©fie, dans les deux oeuvres en question, ladualitĂ© des catĂ©gorisations, des oppositions et des lectures par le biais deprocĂ©dĂ©s similaires de monstration de la production de la diffĂ©rence. DansShaman Showman par exemple, il opĂšre tout d’abord une rĂ©pĂ©tition, undoublement de la figure, - son autoportrait - en se servant d’un principe desymĂ©trie ; l’image se trouve ainsi rebattue sur elle-mĂȘme comme le nĂ©gatif de lapremiĂšre. NĂ©anmoins, le rebattement s’écarte de la gĂ©omĂ©trisation de l’espacedĂšs lors que l’image rebattue se montre comme figure renversĂ©e. C’est lĂ  que levisage, ayant fondĂ© au dĂ©but la possibilitĂ© de reconnaitre l’image, la figureentiĂšre en tant qu’autoportrait, se tourne vers le fond de l’affiche, Ă  savoir versle dessin s’entrevoyant Ă  peine, et cĂšde ainsi la place aux densitĂ©s chromatiques- les concrĂ©tions noires faisant estomper les contours, les limites anatomiquesde la forme humaine. Comme le remarque Georges Didi-Huberman dans sonPhalĂšnes, oĂč le papillon exemplifie et se fait imago du trouble figural qui gĂźtedans les images, “dire de l’imago qu’elle ‘bat des ailes’, c’est dire que sa

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Fig. 2 Alighiero Boetti, Tutto, 1987, Centre Pompidou, Paris

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symĂ©trie mĂȘme est une danse : tous ensemble libertĂ© du corps et pĂ©ril -dislocation, fente, destruction - pour sa propre forme. [
] Toute symĂ©trie esten attente de l’évĂ©nement qui la disloquera d’un coup [
] Il suffit par exemplede symĂ©triser un visage pour le rendre inhumain, voire mĂ©connaissable”37. Dece fait, c’est la constitution mĂȘme de la forme, dans une reprise d’un motif quel’on pourrait qualifier de rĂ©bus Ă  l’instar des formes des tests perceptifs deRorschach, qui engage un agonisme et des aller-retour entre une lecturefigurative et une lecture plastique. En effet, l’exploration Ă©nigmatique proposĂ©eest renforcĂ©e par une mise en mouvement du mĂȘme processus de lecture ; auxquatre angles formĂ©s par le doublement de la figure initiale ainsi que dans lecorps de l’artiste - mais uniquement le corps rendu visible en son intĂ©rieur parle blanc de l’image -, l’on voit et l’on reconnait en filigrane des signesgraphiques de nature double, des lettres hĂ©braĂŻques aux vertex et, Ă  l’intĂ©rieurdu corps, des diagrammes, des circonfĂ©rences. Il s’agit de l’Adam Kadmon,l’”homme originel”, terme cabalistique issu du symbolisme du Zohar, quiexemplifie, Ă  travers les correspondances installĂ©es entre les parties du corpshumain et les cercles des diffĂ©rents sefirot de l’Arbre de Vie - les hypostasesĂ©manĂ©es du divin -, l’interprĂ©tation cabalistique de l’imago dei, c’est-Ă -dire de lacrĂ©ation de l’homme Ă  la ressemblance de Dieu. Ne pouvant pas creuserdavantage l’analyse de la litographie, soulignons tout de mĂȘme que, dĂ©jĂ  d’uneprime abord, il est ici question d’une dynamique de passages du rĂ©bus Ă l’altĂ©ritĂ© (le doublement imparfait) Ă  la ressemblance (Ă  Dieu) Ă  la diffĂ©rencedes signes et leurs â€œĂ©nergie sĂ©mantique”38, plutĂŽt que d’oppositions entre, parexemple, haut/bas, blanc/noir39 etc


Avec la tapisserie Tutto l’action du figural en tant qu’opĂ©rateurd’indiscernabilitĂ© et de transposition entre substances, entre genres, etc, semontre davantage jusqu’à s’étaler sur tout le volume - plutĂŽt que la surface -constituant l’espace de l’image. Tutto est une sĂ©rie de tapisseries (arazzi) datantdes annĂ©es 80 qu’Alighiero Boetti fit fabriquer au Pakistan par des femmesartisanes selon une mĂ©thode traditionnelle qu’il dĂ©couvrit lors d’un voyage enAfghanistan en 1975. Tutto affiche sans l’épuiser toute la richesse d’une lecturefigurale et matĂ©rique Ă  la fois, dans laquelle figurativitĂ© et plasticitĂ© se

37 DIDI-HUBERMAN 2013, 58 et 60.38 Voir Ă  ce propos OUAKNIN 2003.39 Et il ne pourrait qu’ĂȘtre ainsi, du moment oĂč dans la Table d’émeraude, l’un des plus

cĂ©lĂšbres textes de la littĂ©rature alchimique, on lit que “Ce qui est en bas, est comme cequi est en haut; et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, pour faire les miraclesd'une seule chose”. L'Hortulain (Ortulanus), vers 1350 : La table d'Ă©meraude d'HermĂšsTrismĂ©giste, avec les commentaires de l'Hortulain, Éditions Traditionnelles, Paris, 2000.

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disputent l’espace selon des degrĂ©s de distanciation physique stricto sensu del’acte de lecture, de parcours, d’exploration de l’oeuvre. Au doublement deShaman Showman se substitue ici un procĂ©dĂ© mimĂ©tique d’un magma, d’unmĂ©lange sans dĂ©but ni fin oĂč est abolie toute forme de symĂ©trie Ă  l’intĂ©rieur del’oeuvre, remplacĂ©e par la symĂ©trie frontale de l’espace extĂ©rieur de saperception. Par consĂ©quent, dans le va-et-vient des mouvements d’éloignementet de rapprochement, se crĂ©e une Ă©paisseur de la vision - une vision dans cescas-ci vĂ©ritablement haptique - qui, en Ă©largissant son extension, fait dĂ©borderles contours du statut de l’oeuvre, du visuel jusqu’aux bordures d’unesculpture textile. Et c’est prĂ©cisĂ©ment le mouvement qui permet d’alterner, enles gardant constamment en tension, une tension qui se fait musculaire, lesdeux lectures car ce qu’il apparait Ă  une premiĂšre vue semble ĂȘtre une massede formes et de chromatismes divers pour se configurer, en regardant de prĂšs,comme un enchevĂȘtrement de figures : des silhouettes humaines et animales,des esquisses de visages, des profils d’objets. De surcroĂźt, un autre aspectrelevant d’une dynamique figurale en action, lĂ©gitime le maintien des deuxlectures, Ă  savoir l’effet de saturation engendrant l’inextricabilitĂ© de la vision. Ilest obtenu, comme en transposant toujours une sorte de rĂ©bus perceptif del’image Ă  sa technique de production, dans ce cas le travail du tissu, parl’institution d’un principe arbitraire, c’est-Ă -dire le choix de confier auxartisanes la mĂȘme longueur de fil pour chaque couleur.

Tutto parait ainsi mimer et incarner, dans les chaĂźnes et dans les trames, dansles plis de la tapisserie, le mode opĂ©ratoire mĂȘme par lequel fonds et formes co-Ă©mergent.

5. ConclusionPour rĂ©sumer, ayant passĂ© en examen de nombreuses facettes du dispositiffigural, Ă  la fois ponctuel dans ses effets aussi et difficilement saisissable auprĂ©alable, procĂ©dons maintenant Ă  une rĂ©capitulation de celles qui nousparaissent ĂȘtre ses caractĂ©ristiques les plus saillantes afin d’esquisser tant uneproblĂ©matisation de la thĂ©orie qu’une opĂ©rationnalitĂ© Ă  l’égard de l’analysesĂ©miotique. DĂšs lors, le figural, nous semble-t-il, concerne et investit :

‱ une dimension Ă©nergĂ©tique (ex : investigation, Ă©galement dans le sillage dela sĂ©miotique tensive, des relations des forces et de leur constitutiondiagrammatique) ;

‱ une dimension d’altĂ©ritĂ© (ex : investigation des tensions Ă©ventuelles entre

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rĂŽles Ă  diffĂ©rents niveaux, de l’expĂ©rience aux pratiques sociales) ;‱ une dimension Ă©motionnelle (ex : Ă©mergence des Ă©motions et reconfiguration

d’un cours d’action) ;‱ une dimension de mĂ©dialitĂ© (ex : saisie des traces d’une activitĂ© figurale lors

des passages entre une mĂ©diation et l’autre ou lors des passage entre desobjets sĂ©miotiques mĂ©diatisĂ©s par leur propre constitution, question de latransposition de formes et motifs) ;

‱ une dimension temporelle (ex : Ă©mergence et survivance, question duchangement culturel, rĂ©vision du modĂšle lotmanien et dialectique desimages des formes de vie Ă  la lumiĂšre de l’imaginaire) ;

‱ une dimension d’étendue (ex : relation entre activitĂ©s singularisantes etdynamiques globales, questionnement et remaniement des notions telles legenre, le style, etc.)

L’enquĂȘte que nous avons jusqu’à ici menĂ©e sur les modes de fonctionnementdu figural ainsi que les volets que l’on a dĂ©gagĂ©s en relation avec desproblĂ©matiques exquisĂ©ment sĂ©miotiques, frayent une voie Ă  l’élargissement dela portĂ©e analytique du figural Ă  d’autres phĂ©nomĂšnes de sens. En effet, tout aulong de cette traversĂ©e, l’on a pu remarquer que la dimension figurale estĂ©mergĂ©e Ă  partir d’études portant tantĂŽt sur le discours linguistique, tantĂŽt surles images, tantĂŽt sur des analyses comparant ces deux objets. Le prolongementde ces questionnements concernera l’approfondissement des relations entredimension figurale et proccesus de subjectivation, Ă  savoir entre figuralitĂ© - entant qu’épaisseur perceptive et culturelle de l’apparaĂźtre - et, en derniĂšreanalyse, l’intentionnalitĂ© conçue comme “un sens d’ĂȘtre spĂ©cifique, qui estcelui d’un dynamisme”40, autrement dit comme mouvement.

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