le « corporate governance » et les limites à l’exercice du

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Vanham & Vanham 030537/PAF/dbo - 29/11/2010 Le « Corporate governance » et les limites à l’exercice du pouvoir de l’actionnaire de contrôle ______________________________________________________________ par Paul Alain Foriers, avocat, professeur ordinaire à l‟ULB en collaboration avec Rafaël Jafferali, avocat, assistant à l‟ULB 1. Le titre de cette contribution est un vaste programme qui, à la limite, pourrait conduire a réexposer l’ensemble des principes applicables à la gestion des sociétés anonymes et aux droits et devoirs des actionnaires et des administrateurs. Il faudrait aussi pénétrer dans le droit financier. Autant dire que pareille fresque s’avère impossible dans le cadre du présent rapport. Aussi me limiterais-je dans un premier temps à examiner rapidement les pouvoirs de l’actionnaire de contrôle et ses limites générales. Dans une seconde partie, j’aborderai plus spécifiquement certaines limites découlant de textes récents ou de principes relevant de ce qu’il est convenu d’appeler le « corporate governance ». 2. Je n’aborderai pas à cet égard les obligations ou les devoirs qui pèsent sur l’actionnaire de contrôle en raison de textes relevant du droit financier, notamment en matière de transparence ou de cession privée de participation de contrôle (cette question fait d’ailleurs l’objet d’un rapport distinct). Je n’aborderai pas davantage les limites à la légalité des conventions d’actionnaires qui font de même l’objet d’une contribution spéciale. I. Le pouvoir de contrôle et ses limites générales A. Le principe majoritaire 3. En définissant le « contrôle d‟une société comme le pouvoir de droit ou de fait d‟exercer une influence décisive sur la désignation de la majorité des administrateurs ou gérants de celles-ci ou sur l‟orientation de sa gestion » 1 , le Code des sociétés consacre clairement le pouvoir de l’actionnaire de contrôle. Dans les sociétés anonymes, ce pouvoir découle normalement de la détention d’une majorité absolue des droits de vote (soit existants : contrôle de droit, soit représentés ordinairement aux assemblées : contrôle de fait). 1 Art. 5 § 1 C. Soc.

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Page 1: Le « Corporate governance » et les limites à l’exercice du

Vanham & Vanham – 030537/PAF/dbo - 29/11/2010

Le « Corporate governance » et les limites à l’exercice du pouvoir

de l’actionnaire de contrôle

______________________________________________________________

par Paul Alain Foriers,

avocat, professeur ordinaire à l‟ULB

en collaboration avec Rafaël Jafferali,

avocat, assistant à l‟ULB

1. Le titre de cette contribution est un vaste programme qui, à la limite,

pourrait conduire a réexposer l’ensemble des principes applicables à la gestion des

sociétés anonymes et aux droits et devoirs des actionnaires et des administrateurs. Il

faudrait aussi pénétrer dans le droit financier. Autant dire que pareille fresque s’avère

impossible dans le cadre du présent rapport.

Aussi me limiterais-je dans un premier temps à examiner rapidement les pouvoirs de

l’actionnaire de contrôle et ses limites générales.

Dans une seconde partie, j’aborderai plus spécifiquement certaines limites découlant de

textes récents ou de principes relevant de ce qu’il est convenu d’appeler le « corporate

governance ».

2. Je n’aborderai pas à cet égard les obligations ou les devoirs qui pèsent

sur l’actionnaire de contrôle en raison de textes relevant du droit financier, notamment

en matière de transparence ou de cession privée de participation de contrôle (cette

question fait d’ailleurs l’objet d’un rapport distinct). Je n’aborderai pas davantage les

limites à la légalité des conventions d’actionnaires qui font de même l’objet d’une

contribution spéciale.

I. Le pouvoir de contrôle et ses limites générales

A. Le principe majoritaire

3. En définissant le « contrôle d‟une société comme le pouvoir de droit ou de

fait d‟exercer une influence décisive sur la désignation de la majorité des administrateurs ou

gérants de celles-ci ou sur l‟orientation de sa gestion »1, le Code des sociétés consacre

clairement le pouvoir de l’actionnaire de contrôle. Dans les sociétés anonymes, ce

pouvoir découle normalement de la détention d’une majorité absolue des droits de vote

(soit existants : contrôle de droit, soit représentés ordinairement aux assemblées :

contrôle de fait).

1 Art. 5 § 1 C. Soc.

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2

A l’assemblée des sociétés anonymes, il faut le réaffirmer, les décisions se forment à la

majorité et le législateur de 1991 a supprimé les limitations légales aux droits de vote

attachés aux actions2.

Les administrateurs de la société anonyme sont quant à eux élus à la majorité par

l’assemblée3. Sauf clause particulière des statuts qui assurerait une représentation à

certains groupes d’actionnaires minoritaires, l’actionnaire majoritaire a donc le droit de

désigner la totalité des membres du conseil. Si en principe – comme actionnaire, même

majoritaire – il ne peut s’immiscer dans la gestion4, il peut en fait, au travers des

administrateurs qu’il désigne, influencer les orientations de la gestion. Le Code des

sociétés prend en compte cette réalité même si celle-ci se heurte à l’idée que le conseil

d’administration devrait agir en toute indépendance dans l’intérêt social, donc dans

l’intérêt de l’entreprise et de l’ensemble des actionnaires.

S’il est vrai, à cet égard, que les administrateurs sont les « mandataires » de la société

dans son ensemble5, le Code des sociétés n’ignore donc pas qu’en fait, ils peuvent

représenter tel ou tel actionnaire. On rappellera d’ailleurs que l’article 15 de l’arrêté

royal du 8 novembre 1989 impose que dans l’avis que le conseil de la société cible d’une

2 Par l’ancien article 76 LCSC. On sait qu’aujourd’hui les statuts peuvent en revanche fixer le

nombre maximum de voix à concurrence duquel les actionnaires peuvent prendre part au vote

pour autant que ce plafond soit applicable à tous (art. 544 C. Soc.).

3 Article 518 § 2 C. Soc.

4 A. FRANCOIS, Vennootschapsbelang, Antwerpen et Groningen, Intersentia

Rechtswetenschappen, 1999, n° 515, pp. 696-697, n° 517, pp. 699-700; B. SERVAES, « Het

beschikkingsrecht van een moedervennootschap over de middelen van een dochter in het kader

van een openbaar aanbesteding », note sous C.J.C.E., 14 avril 1994, T.R.V., 1994, p. 455; C.

RESTEAU, A. BENOIT-MOURY et A. GREGOIRE, Traité des sociétés anonymes, t. II, 3e éd.,

Bruxelles, Swinnen, 1982, pp. 309-313.

On sait que « l‟assemblée générale ne peut adresser des injonctions au conseil d‟administration dans sa

sphère de compétence, ni mettre à néant ou modifier une décision prise dans cette limite par cet organe.

Une telle immixtion de l‟assemblée générale serait frappée de nullité. L‟assemblée ne peu que révoquer

les administrateurs, refuser la décharge ou intenter l‟actio mandati » (E. POTTIER, Pouvoirs et

fonctionnement du conseil d’administration des sociétés anonymes, in Actualités en droit des

affaires, Vanham & Vanham, n° 11, p. 592 et les réf. citées).

5 J. HEENEN, « L’inobservation des règles de forme prescrites pour les délibérations des organes

d’une société ou d’une association », note sous Cass., 4 avr. 1975, R.C.J.B., 1977, p. 558 et s., n°3,

p. 560; L. SIMONT, « Réflexions sur l’abus de minorité », Liber amicorum Jan Ronse, Brussel, Story-

Scientia, 1986, p. 307 et s., n°14, p. 322; VAN RYN et HEENEN, t. I, 1ère éd., n°585, p. 386.

Page 3: Le « Corporate governance » et les limites à l’exercice du

3

OPA donne sur cette dernière, les administrateurs indiquent ce que sont « les titulaires

de titres qu‟en fait ils représentent » entendent faire de ceux-ci6.

L’article 9 C. Soc. va encore plus loin lorsqu’il définit le contrôle conjoint comme le

contrôle exercé ensemble par un nombre limité d’associés « lorsque ceux-ci ont convenu

que les décisions relatives à l‟orientation de la gestion pourraient être prises que de leur

commun accord ». Dans les sociétés anonymes on admet en effet classiquement que les

pactes de votation au niveau du conseil d’administration sont sans efficacité juridique

dans la mesure d’une part, où ils heurteraient le caractère collégial des délibérations du

conseil et, d’autre part, où les administrateurs ne pourraient agir que dans l’intérêt

social7.

La notion légale d’actionnaire de contrôle prend donc non seulement en compte les

pouvoirs que celui-ci puise dans la loi (les droits de vote dont il dispose), mais aussi ceux

qui découlent de sa situation de fait. L’idée de « contrôle de fait » est d’ailleurs en elle-

même très éclairante.

4. Qui plus est, les pouvoirs de l’actionnaire de contrôle augmentent en fonction

de l’augmentation de son pouvoir votal. Si les décisions aux assemblées se prennent

normalement à la majorité simple, l’actionnaire disposant de 75 % de droits de vote

pourra ainsi, par exemple, modifier les statuts8, celui disposant de 80 % modifier l’objet

social9 ou décider d’un rachat d’actions10. Enfin, l’actionnaire qui contrôle une société

anonyme à 95 % pourra initier une procédure de « squeeze out » et donc, dans les

sociétés publiques, « exproprier » les minoritaires sans que ceux-ci n’aient à l’inverse un

droit de se faire racheter11. Distinction jugée conforme au principe d’égalité par la Cour

d’arbitrage car l’actionnaire qui détient 95 % d’une société est le « plus concerné par

6 Cons. sur cette question, P. VAN OMMESLAGHE, « L’acquisition du contrôle d’une société

anonyme et information de l’acquéreur », Mélanges Roger O. Dalcq, Bruxelles, Larcier, 1994, n° 4,

p. 598.

7 J.M. NELISSEN GRADE, « De la validité et de l’exécution de la convention de vote dans les

sociétés commerciales », note sous Cass., 13 avr. 1989, R.C.J.B., 1991, p. 214 et s., n°31, p. 231.; E.

POTTIER, op. cit., n°88, p. 614; P. VAN OMMESLAGHE, « Les conventions d’actionnaires en droit

belge », R.P.S., 1989, p. 289 et s., n°16, p. 314.

8 Art. 558 C. Soc.

9 Art 559. C. Soc.

10 Art. 620 § 1, 1° C. Soc.

11 Art. 513 C. Soc. et art. 46 de l’arrêté royal du 8 novembre 1989.

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l‟objectif de favoriser le bon fonctionnement et l‟évolution de la société »12. Un arrêt du

Bundesverfassungsgericht décidait déjà à cet égard le 7 août 1962 que le plus souvent

l’actionnaire très minoritaire voit son intérêt restreint aux dividendes et au cours des

actions : « Pour lui, l‟action est dès lors typiquement un pur placement de capital plutôt qu‟une

participation à l‟entreprise »13.

Si les droits attachés aux actions sont en principe égaux, il ne s’ensuit donc pas que

l’actionnaire majoritaire se trouve dans la même situation juridique à tous points de vue

que le minoritaire.

Que l’actionnaire de contrôle exerce les pouvoirs que la loi lui reconnaît ne paraît donc

en rien critiquable. Ce principe connaît toutefois une double limite générale :

l’actionnaire de contrôle comme tout actionnaire doit respecter la loi et les statuts ; il

doit par ailleurs agir dans l’intérêt social.

B. Les limites générales aux pouvoirs de l’actionnaire de contrôle

1. Respect de la loi et des statuts

5. Que l’actionnaire de contrôle doive respecter la loi et les statuts tombe sous le

sens.

Ceci implique notamment qu’il respecte le fonctionnement normal des organes sociaux

et qu’il ne se substitue à ceux-ci. Une société anonyme fût-elle filiale à 100 % d’une

autre société, agit par son conseil d’administration, son comité de direction ou son

délégué à la gestion journalière et non pas par les organes de sa société mère. Elle

conserve, en effet, son autonomie juridique14.

12 C.A., n°64/2003 du 14 mai 2003, M.B., 8 oct. 2003.

13 BVerfG, arrêt n° 30, 7 août 1962, Feldmühle, Entscheidungen des Bundesverfassungsgerichts, Vol.

14, p. 283.

14 Voy. not. P.A. FORIERS et C. de POTTER « Conflits d’intérêts et droit des groupes en

émergence », in Actualités en droit des affaires, n° 12, p. 322 et réf. citées.

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5

Quant aux organes de la filiale, ils ne peuvent se plier aveuglément aux desiderata de la

société mère.

6. Encore faut-il bien admettre que l’autonomie de filiales, spécialement lorsqu’elles

sont contrôlées à 100 %, apparaît largement comme formelle. J’ai eu l’occasion de

montrer ailleurs15 que le législateur avait au demeurant lui-même tendance à s’inscrire

dans cette optique formelle. La distinction faite en matière de rachat d’actions propres

entre la société mère (art. 620 à 626 C. Soc.), les filiales directes (art. 627 C. Soc.) et les

sous-filiales (art. 631 C. Soc.) en constitue la démonstration éclatante.

Mais, les textes vont même plus loin. C’est ainsi que l’article 524 § 5 C. Soc. dispose

que « les décisions et les opérations relatives aux relations d‟une filiale belge non cotée d‟une

société belge non cotée avec des sociétés liées à cette dernière, ne peuvent être prises ou

accomplies qu‟après autorisation de la société mère ». Le texte poursuit en soulignant que

« cette autorisation est soumise à la procédure visée aux § 2 et 3 » (avis des administrateurs

indépendant assistés de l’expert, délibération du conseil spécialement mentionnée au

procès-verbal, appréciation du commissaire quant à la fidélité des données figurant dans

l’avis et dans le procès-verbal, publication dabs le rapport de gestion). Il termine en

indiquant que « les §§ 6 et 7 ainsi que l‟article 529 al. 2 s‟appliquent à la société mère »

(action en nullité, indication des limitations ou des charges substantielles imposées par la

société mère et action en responsabilité).

La filiale ne peut donc agir que de l’accord du conseil de sa société mère. La solution

s’explique sans doute par un souci d’information des actionnaires de la société mère

cotée en bourse, mais elle ouvre une brèche dans l’autonomie, même formelle, de la

filiale.

L’article 524 § 5 s’inscrit à cet égard dans le sillage d’un texte à première vue plus

discret : l’article 627 C. Soc. issu de l’article 52 quinquiès LCSC introduit par la loi du 18

juillet 1991 (art. 10). Celui-ci subordonne en effet la possession par une filiale directe

d’actions de sa société mère au respect des « conditions prescrites aux articles 620 à 623,

sauf l‟article 620 § 1er et 5°, l‟article 621, 1°, l‟article 622 § 1, al. 2 et l‟article 623 al. 1er ».

Or, parmi les conditions prescrites par l’article 620 en matière de rachat d’actions

15 P.A. FORIERS et C. de POTTER, op. cit., in Actualités en droit des affaires, Vanham & Vanham, n°

14 et s., p. 324 et s.

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propres se retrouve l’exigence d’une décision préalable de l’assemblée générale aux

conditions de quorum et de majorité prévues à l’article 559 (art. 620, § 1er al . 1, 1°).

Sans doute est-il vrai que ce texte peut être lu comme imposant une assemblée générale

de la filiale. Mais la grande majorité des commentateurs soulignent le caractère absurde

de cette solution, puisqu’en pratique, l’assemblée sera aux mains de la société mère, et

conclut dès lors que l’article 627 impose une autorisation à l’assemblée générale de la

société mère16.

L’article 524 confirme ainsi le mouvement entamé en 1991 avec l’article 52 quinquiès

L.C.S.C.

2. Respect de l’intérêt social

7. Les administrateurs représentant en fait l’actionnaire de contrôle

doivent – le point est constant – agir dans l’intérêt social17.

Le principe s’applique de même, dans une large mesure, à l’actionnaire de contrôle

lorsqu’il exerce son vote à l’assemblée, encore que l’on enseigne traditionnellement que

si l’administrateur ne peut avoir en vue que l’intérêt de la société, l’actionnaire peut dans

une certaine mesure prendre en compte ses intérêts patrimoniaux propres18.

8. L’on sait toutefois que de longue date, la doctrine et la jurisprudence

admettent que les organes d’une société membre d’un groupe prennent en compte

16 X. DIEUX, « L’acquisition par une société anonyme de ses propres actions (en ce compris

l’acquisition par une société filiale des actions de sa société mère), in Cessions et rachats d‟actions,

séminaire Vanham & Vanham du 25 novembre 1999 ; K. GEENS, « Apport d’universalité ou d’une

branche d’activité, Clause d’agrément, Participation réciproque », in Réforme du droit des sociétés,

Journée d’étude du 30 mai 1995 organisée par l’Echo n° 16, H. BRAECKMANS, « De

vennootschapswet van 13 april 1995 : repareren en inoveren », R.W., 1996, p. 1462, n° 16 ; J.M.

NELISSEN GRADE, « Les rachats d’actions propres et les participations croisées », in L‟entrée en

vigueur de la loi du 13 avril 1995, séminaire Vanham & Vanham du 26 septembre 1999, p. 8.

17 Sur la notion d’intérêt social, cons. not. A. FRANCOIS, thèse précitée.

18 Sur cette distinction classique, cons. not. K. GEENS, « De bescherming tegen de bescherming »,

De bescherming van de minderheids aandelhouder, T.R.V., n° spécial, 1988, n°10 et s. et n°26 et s., p.

II-24 et s.; J. HEENEN, op. cit., R.C.J.B., 1977, n°3, p. 560; L. SIMONT, op. cit., n°14, p. 322; P. VAN

OMMESLAGHE et X. DIEUX, « Examen de jurisprudence (1979 à 1990). Les sociétés

commerciales », R.C.J.B., 1993, p. 639 et s., spéc. n°124, p. 771, et n°143, p. 811.

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7

l’intérêt du groupe dans son ensemble19, ce qui justifie notamment que des sociétés d’un

même groupe puissent – dans certaines limites – se venir en aide en cas de difficultés20.

9. Certes, chacune des sociétés membre d’un groupe conserve son

autonomie juridique en sorte qu’elles ne pourraient agir dans l’intérêt exclusif de leur

société mère ou d’une autre société du groupe. Mais l’intérêt du groupe peut être

appréhendé au travers de l’intérêt social propre de chacune des sociétés concernées.

L’appartenance à un groupe crée en effet un réseau de relations entre sociétés liées et,

vis-à-vis de l’extérieur, une identification de ces dernières avec le groupe.

Les difficultés d’une des sociétés du groupe peuvent ainsi avoir non seulement des

conséquences patrimoniales directes sur les autres sociétés de ce groupe (réduction de

valeur sur une participation, mise en péril de créances, etc…), mais aussi des

conséquences indirectes en termes d’image et de crédit. En se soutenant mutuellement,

les sociétés membres d’un groupe agissent donc dans leur intérêt égoïste.

A l’inverse, chaque société d’un groupe intégré profite du crédit qui s’attache au groupe

dans son ensemble. La division des tâches entre sociétés d’un même groupe en vue

d’aménager la performance globale de l’ensemble du groupe apparaît ainsi comme un

arbitrage entre les intérêts à court terme de chacune de ses composantes et leurs

intérêts à long terme.

19 Sur cette idée d’intérêt de groupe, P.A. FORIERS, « Abus de majorité, de minorité ou d’égalité :

conditions, recours et sanction », in Prévenir ou régler les différends entre actionnaires, Séminaire

Vanham & Vanham du 12 oct. 2000, n°17, p. 24; A. FRANCOIS, op. cit., n°514 et s., p. 695 et s. et

réf.

20 Bruxelles, 15 septembre 1992, T.R.V., 1994, p. 275 ; Liège, 13 octobre 1981, R.P.S., 1982, p. 54

(« Attendu qu‟une certaine perméabilité patrimoniale » peut être admise lorsqu‟une société aide

momentanément une autre société du groupe à condition toutefois que les sacrifices ne soient pas hors

de proportion avec les possibilités réelles de l‟entreprise qui les consent qu‟ils n‟entraînent pas de

difficultés graves que leur caractère excessif permet de prévoir au moment même où la décision est

prise »). On consultera également l’arrêt de la cour d’appel de Bruxelles du 29 juin 1999

rendu dans l’affaire « Assubel » (J.D.S.C., 2002, p. 370, note). Celui-ci énonce : « Attendu que les

sociétés Assubel-Vie et Assubel-AD font partie d‟un même groupe de sociétés étroitement intégrées, le

groupe “Assubel”; qu‟il est admis en doctrine et en jurisprudence qu‟une société faisant partie d‟un groupe

peut consentir des aides à une autre société faisant partie du même groupe et qui se trouve en difficulté,

à la double condition que ces aides soient justifiées par l‟intérêt du groupe et ne mettent pas la situation

de la société aidante en péril; qu‟en l‟espèce, les aides consenties par Assubel-Vie à Assubel-AD, qui se

trouvait en difficulté, l‟ont été dans l‟intérêt du groupe Assubel et n‟ont pas mis en péril Assubel-Vie; que

ces aides ont été temporaires, même si elles se sont étalées sur plusieurs années; qu‟enfin, leur caractère

occulte, certes répréhensible et faisant d‟ailleurs l‟objet d‟autres préventions, n‟affecte en rien la licéité des

aides apportées par Assubel-Vie à Assubel-AD ».

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3. Les sanctions classiques de la violation de l’intérêt social

a) L’abus de majorité comme sanction classique de la

méconnaissance de l’intérêt social

10. L’abus de majorité, qui a fait l’objet de nombreuses études, n’est à

mon sens qu’un aspect de la théorie de l’abus de droit21. Ce fondement, par sa

généralité, permet non seulement de censurer l’abus de majorité, mais aussi

d’appréhender aisément l’abus de minorité et l’abus d’égalité.

On sait que de manière générale, pour apprécier l’existence d’un abus de droit, la

jurisprudence a tendance à faire usage du critère dit « de la proportionnalité » en

comparant le « préjudice causé » et « l’avantage recherché ou obtenu par le titulaire du

droit »22. Elle en déduit un abus lorsqu’un l’un est hors de proportion avec l’autre.

Cette tentative d’objectivation de l’abus ne doit pas tromper. Elle ne se résume

nullement en une simple comparaison désincarnée. Elle suppose d’abord que l’on

détermine la finalité du droit en cause. Ce ne sera qu’ensuite que l’on vérifiera si l’acte

incriminé est utile pour atteindre cette fin et, dans l’affirmative, s’il n’est pas

disproportionné par rapport au but à atteindre23.

Ainsi conçu, le critère de proportionnalité peut rendre compte de tous les cas d’abus de

droit, même s’il s’agit de « droits-fonctions » ou de « pouvoirs », pour autant

évidemment que, dans ce cas, on adapte ce critère pour tenir compte de l’intérêt non du

titulaire du pouvoir, mais de celui pour lequel il est exercé, puisque le titulaire d’un droit

purement fonctionnel ne peut normalement pas agir dans son intérêt personnel24.

21 Voy. not. P.A. FORIERS, op. cit., Séminaire Vanham & Vanham du 12 oct. 2000, n°11, p. 11 et s.

22 Ces termes sont repris à l’arrêt de la Cour de cassation du 30 janvier 1992, Pas., 1992, I, p. 475,

R.C.J.B., 1994, p. 185, note P.A. FORIERS, « Observations sur le thème de l’abus de droit en

matière contractuelle ». Cons., pour une application de ce critère à l’abus de majorité, K. GEENS

et H. LAGA, « Overzicht van rechtspraak. Vennootschappen (1986-1991) », T.P.R., 1993, n°175, p.

1081.

23 W. VAN GERVEN, « Principe de proportionnalité, abus de droit et droits fondamentaux », J.T.,

1992, p. 305 et s., spéc. p. 306. Cons., en droit des sociétés sur le principe de proportionnalité,

P.E. PARTSCH et I. LEBBE, « Principe de proportionnalité et droit des sociétés », J.T., 1996, p.

609 et s.

24 Voy. P.A. FORIERS, op. cit., R.C.J.B., 1994, n°21, p. 217. Adde K. GEENS et H. LAGA, op. cit.,

T.P.R., 1993, n°175, p. 1080.

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9

11. A cet égard, on l’a relevé déjà au passage, une distinction est

traditionnellement faite entre la situation des administrateurs et celle des actionnaires25.

On admet, à cet effet, de manière constante que les administrateurs sont investis – ou

de pouvoirs – purement fonctionnels. Ils ne peuvent les exercer que dans l’intérêt de la

société, sans avoir égard à leurs intérêts particuliers. Le droit de vote des actionnaires

présente en revanche, dans l’opinion classique, un caractère mixte. Il tend sans doute,

d’abord, à assurer le fonctionnement d’un organe essentiel de la société, mais,

également, à protéger les intérêts particuliers de l’actionnaire. Si l’actionnaire doit dès

lors exercer son droit dans l’intérêt social, il ne lui est pas interdit de tenir compte, dans

une certaine mesure, de ses intérêts propres.

12. L’évolution récente du droit des sociétés et du droit financier permet

toutefois de s’interroger sur la question de savoir si une distinction ne doit pas être

opérée entre l’actionnaire majoritaire ou, plus généralement, les actionnaires de

contrôle, d’une part, et les autres actionnaires, d’autre part26. Par la place qu’il occupe

dans la société, l’actionnaire de contrôle joue un rôle central dans le développement de

l’entreprise. Et il ne me semble pas déraisonnable de penser qu’à ce pouvoir correspond

une responsabilité particulière vis-à-vis de la société.

L’idée n’est pas neuve. On sait à cet égard qu’avant l’arrêté royal du 8 novembre 1989,

la Commission bancaire avait fondé sa jurisprudence en matière de cession privée de

participation de contrôle sur l’existence de devoirs fiduciaires dans le chef des

actionnaires majoritaires en raison de leur participation à la gestion comme

administrateurs27. Sans doute à l’époque où elle s’est développée, cette jurisprudence

n’était-elle pas en accord avec le droit positif28. L’évolution générale du droit des

sociétés et du droit financier, comme la reconnaissance légale du concept d’actionnaire

de contrôle, invitent toutefois à une nouvelle réflexion sur ce point.

Plus radicalement, le professeur Dieux s’est interrogé sur la pertinence du principe

même de la distinction entre les administrateurs en conseil et les actionnaires en

assemblée29.

25 Voy. supra les réf. citées à la note n°18.

26 Sur ce point, voy. not. P.A. FORIERS, op. cit., Séminaire Vanham & Vanham du 12 oct. 2000,

n°15, p. 18 et s.

27 Voy. Com.b., Rapport annuel 1965, p. 106 et Rapport annuel 1969-1970, p. 165.

28 Voy. P.A. FORIERS, Fr. MAUSSION et L. SIMONT, « L’abus de pouvoir et de fonctions en droit

commercial belge », in L‟abus de pouvoirs ou de fonctions, Travaux de l’Association Henri

CAPITANT, T. XXVIII (1977), p. 190 et réf.

29 Voy. X. DIEUX, « Nouvelles observations sur l’abus de majorité ou de minorité dans les

personnes morales fonctionnant selon le principe majoritaire », R.G.D.C., 1998, p.8 et s.

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Son analyse, pour être séduisante, n’est pas totalement convaincante, spécialement si l’on

adopte une conception large de l’intérêt social dépassant l’intérêt commun des

actionnaires pour inclure l’intérêt de l’entreprise dans son ensemble, de ses travailleurs,

de ses créanciers, voire de la région.

En effet, il n’est pas douteux que le droit de vote conféré aux actionnaires par le Code

des sociétés n’a pas seulement pour but de contribuer au fonctionnement d’un organe

social, mais a aussi pour but de sauvegarder ses intérêts d’actionnaires. Il suffit à cet

égard de se référer à l’article 633 C. Soc. qui, en cas de perte du plus des trois quarts du

capital, permet à une minorité d’actionnaire de provoquer la dissolution en vue de

sauver ce qui reste de leur mise.

Le fait même que certaines décisions importantes soient soumises à des majorités

qualifiées témoigne de la volonté du législateur de protéger les intérêts patrimoniaux des

actionnaires.

Je demeure dès lors persuadé que s’il est vrai que pourrait commettre un abus de droit

l’actionnaire qui, usant de son droit à des fins égoïstes, cause aux autres actionnaires,

voire même à l’entreprise, un préjudice hors de proportion avec ses propres intérêts,

l’actionnaire, plus que l’administrateur, peut légalement prendre en compte ses propres

intérêts patrimoniaux.

b) L’action en responsabilité contre les administrateurs ;

l’action sociale minoritaire

13. L’administrateur qui méconnaîtrait l’intérêt social commettrait

évidemment une faute. Lorsque celle-ci s’analyse en une simple faute de gestion et non

en une violation du Code des sociétés ou des statuts (art. 528 C. Soc.), la société peut

en principe seule mettre la responsabilité de l’administrateur concerné en cause. Un

actionnaire ne pourrait agir individuellement qu’à la double condition de démontrer que

cette faute de gestion constitue aussi une faute quasi-délictuelle et qu’il s’en est suivi

pour lui un dommage distinct de sa simple quote-part dans le dommage subi par la

société30.

30 Sur ce point constant, voy. not. H. LAGA, « De minderheidsvordering en de

deskundigenonderzoek », N.V. en B.V.B.A. na de Wet van 18 juli 1991, Kalmthout, Biblo, 1992, p.

217 et s., n°5, p. 221; C. RESTEAU, A. BENOIT-MOURY et A. GREGOIRE, Traité des sociétés

anonymes, t. II, 3e éd., Bruxelles, Swinnen, 1982, n°979, p. 224 ; VAN RYN et HEENEN, T. I, 1°

éd., n° 610 et 614.

Page 11: Le « Corporate governance » et les limites à l’exercice du

11

L’action en responsabilité cesse toutefois avec la décharge, pour autant qu’elle soit votée

en connaissance de cause31. Or, l’actionnaire de contrôle peut voter la décharge des

administrateurs qui le représentent en fait.

C’est pour obvier à cette difficulté que le législateur de 1991 a introduit l’action sociale

minoritaire. Cette action, rappelons-le, doit être exercée pour le compte de la société.

Elle ne peut l’être que par des actionnaires représentant au moins 1 % des droits de

vote32 ou une fraction du capital égale à 1.250.000 euro au moins (art. 562 C. Soc.).

II. Questions spéciales. L’actionnaire de contrôle face aux règles de

« corporate governance »

A. Observations liminaires

1. Le « corporate governance » ou « gouvernement

d’entreprise »

14. Le vocable est accrocheur et volontiers médiatique. Il a le vent en

poupe. L’importance de son succès est sans doute à l’aune de son imprécision.

Ainsi que le relevait le professeur Wymeersch dans son intéressante contribution au

Liber Amicorum Yvette Merchiers, les termes « corporate governance » peuvent être

utilisés dans diverses acceptions, on peut les utiliser dans un sens descriptif ou dans un

sens normatif. Ils peuvent être employés dans un sens large ou dans un sens restrictif33.

Si le « corporate governance » ou « gouvernement d’entreprise » peut être abordé

objectivement et défini comme « le système par lequel les entreprises sont dirigées et

contrôlées »34, il est fréquemment identifié aux règles qualifiées de bonne

31 Sur cette condition du droit commun, voy. not. Cass. 12 fév. 1981, Pas., 1981, I, p. 639 et s.

32 Pour autant qu’ils n’aient pas valablement voté la décharge.

33 E. WYMEERSCH, « Toepassingen van coporate governance – regelen in het Belgisch

economisch recht », Liber Amicorum Yvette Merchiers, Brugge, die Keure, 2001, n° 2 et s., p. 683 et

s.

34 Telle est la définition retenue par la Commission des Communautés européennes dans sa

communication du 21 mai 2003 au Conseil et au Parlement européen « Modernisation du droit

des sociétés et renforcement du gouvernement d’entreprise dans l’Union européenne, un

plan pour avancer », COM (2003), 284 final, p. 12.

Page 12: Le « Corporate governance » et les limites à l’exercice du

12

« governance »35. Il déboucherait dès lors sur un modèle de structure des organes

sociaux et sur des règles formelles de fonctionnement censées définir de manière idéale

les relations entre la direction de l’entreprise, le conseil d’administration et les

actionnaires majoritaires ou minoritaires. On conçoit évidemment que le juriste soit

séduit par cette approche. Il en est a fortiori ainsi du législateur.

15. Je dois toutefois d’emblée attirer l’attention sur les limites de cette

approche.

Relevons, tout d’abord, que les modèles normatifs qui s’attachent à définir des structures

de gestion ou des processus de décision ont une limite évidente. Les dispositions

normatives aussi raffinées soient-elles sur le plan conceptuel ne sont rien sans les

hommes qui les mettent en œuvre. Le comte Maurice Lippens soulignait à ce propos

très exactement, dans son intervention lors de la séance académique organisée le 16

octobre dernier à l’occasion du cinquantième anniversaire de l’IRE, que c’est la qualité et

l’intégrité morale des membres de la direction et des conseils d’administration qui in fine

est fondamentale. Sans professionnalisme ni éthique des dirigeants, sans vision

privilégiant le long terme sur le profit immédiat, les réglementations les plus parfaites

n’empêcheront pas les abus.

J’ajouterai que si les procédures de prise de décision ou de contrôle peuvent présenter

une certaine utilité, elles deviennent nocives lorsqu’elles sont trop complexes. Leurs

utilisateurs risquent en effet de se concentrer sur la forme plutôt que sur le fond.

Dans un autre ordre d’idée, si l’on se place dans une perspective historique et

comparative, on doit nécessairement aboutir à la conclusion que s’il peut y avoir un

modèle de « corporate governance » à la mode, il n’y a pas un modèle qui s’impose

invariablement.

Au delà de quelques principes fondamentaux – comme le respect de l’intérêt social,

l’information correcte des actionnaires par le conseil d’administration et de celui-ci par la

direction, ou encore la prise par chacun de ses responsabilités, de manière sérieuse – les

structures de gestion doivent être adaptées aux spécificités de l’entreprise, à sa taille, à

son activité, à la composition de son actionnariat, à son admission ou non à la cote, à sa

culture, à son environnement local, etc …

Dans sa récente communication au Conseil et au Parlement européen sur la

« modernisation du droit des société » et le « renforcement du gouvernement

d’entreprise dans l’Union européenne », rappelant au passage la variété des systèmes

35 Voy. E. WYMEERSCH, op. cit., Liber Amicorum Yvette Merchiers, n° 2, p. 683.

Page 13: Le « Corporate governance » et les limites à l’exercice du

13

nationaux, la Commission soulignait en ce sens que l’adoption d’un Code européen de

gouvernement d’entreprise « ne contribuerait pas de manière notable à améliorer le

gouvernement d‟entreprise dans l‟Union européenne, car ce Code devrait soit autoriser un grand

nombre d‟options différentes, soit se limiter à énoncer des principes généraux abstraits »36.

Ceci étant, certains principes transparaissent.

2. Les principes fondamentaux en droit belge

a. Structure de gestion

16. Sur le plan de la structure des organes de gestion, le Code des

Sociétés, comme les principes dégagés par la FEB37 et la Commission belge du corporate

governance38, semblent pencher, en tout cas pour les sociétés cotées, pour un conseil

d’administration définissant les grandes orientations de la gestion et contrôlant de près,

avec l’appui de comités particuliers (comité d’audit ou de rémunération) un organe

exécutif : le « comité de direction ». Encore observera-t-on à propos de ce dernier

qu’en posant le principe de la délégation de toute la gestion à ce comité – sauf

restrictions ne valant que dans l’ordre interne39 – le législateur de 2002 a sans doute fait

un pas trop loin. De nombreux organes exécutifs collégiaux n’ont en effet pas, en

pratique, aujourd’hui, de pouvoirs aussi étendus40.

Sur le plan de la composition du conseil – nommé par l’assemblée – l’on penche

manifestement pour une distinction claire entre administrateurs exécutifs et non

exécutifs. Pour assurer un contrôle effectif de la direction, les recommandations vont

36 Communication précitée du 21.05.2003, COM (2003), 284 final, p. 14.

37 Recommandations de la FEB du 24 janv. 1998 pour l’organisation de l’administration et de la

direction des sociétés mieux connue sous le nom de corporate governance. Ce document est

accessible sur le site Internet de la FEB (http://www.feb.be/attachments/ATT1808.DOC).

38 Recommandations conjointes de la Bourse de Bruxelles et de la Commission bancaire et

financière émises en décembre 1998. Ce document est accessible sur le site Internet de la

Commission bancaire et financière (http://www.cbf.be/pe/pec/fr_ec01.htm).

39 Art. 524, in fine, C. Soc.

40 Sur le maintien des comités de direction antérieurs à la loi du 2 août 2002, voy. P. HERMANT

et C. BERTSCH, « La composition et le rôle du comité de direction dans la société anonyme au

regard des dernières évolutions législatives », Dernières évolutions en droit des sociétés, Bruxelles,

Ed. Jeune Barreau de Bruxelles, 2003, p. 117 et s., n°22, p. 125; P. ERNST et L. VAN DEN

EYNDEN, « Het directiecomité in de corporate governance-wet. Een eerste analyse », T.R.V.,

2002, p. 547 et s., n°20 et s., p. 553 et s.

Page 14: Le « Corporate governance » et les limites à l’exercice du

14

dans le sens d’une majorité de non exécutifs41. Elles appellent par ailleurs de leurs voeux

la présence d’administrateurs indépendants des actionnaires de référence et du

management.

On sait à cet égard que ce concept d’ « administrateur indépendant » a donné lieu à de

vifs débats42. L’indépendance de ce type d’administrateur dépend en effet

essentiellement de leur force de caractère puisqu’ils sont nommés et révoqués par

l’assemblée donc par les actionnaires de contrôle. C’est donc une fois encore sur la

qualité, la compétence et l’éthique de ces administrateurs que le système repose.

17. Le modèle structurel évoqué ci-dessus n’est toutefois pas obligatoire

– ce même , théoriquement, pour les sociétés cotées.

La Commission belge du corporate governance et la FEB43 se sont en effet sagement

gardés d’imposer des modèles rigides. La Commission bancaire et financière comme les

autorités boursières a à juste titre adopté une approche « comply or explain » (« se

conformer ou s’expliquer »)44.

Le législateur de 2002 n’impose nullement le comité de direction45. Il n’impose pas

davantage d’administrateurs indépendants même dans les conseils des sociétés cotées,

même si en pratique l’adoption du nouvel article 524 C. Soc. conduira sans doute à la

généralisation du système dans toutes les sociétés.

b) Les grands principes applicables au fonctionnement des

organes sociaux

41 Recommandations de l’Autorité de marché de la Bourse de Bruxelles, point 1.4;

Recommandations de la FEB, point 1.3.

42 Voy. M. CALUWAERTS, « Conflits d’intérêts et droit des groupes », Dernières évolutions en droit

des sociétés, Bruxelles, Ed. Jeune Barreau de Bruxelles, 2003, p. 161 et s., n°38 et s., p. 196 et s.;

H. DE WULF, op. cit., T.R.V., 2002, p. 590 et s.; K. GEENS et M. WYCKAERT, « La nouvelle

réglementation des conflits d’intérêts au sein des groupes », Corporate governance, Séminaire

Vanham & Vanham du 24 oct. 2002; F. HELLEMANS et M. WAUTERS, op. cit., T.R.V., 2002, n°38,

p. 489.

43 Recommandations de la FEB, Remarques liminaires, point 3.

44 Recommandations de l’Autorité de marché de la Bourse de Bruxelles, A. Objectifs, approche et

suivi du Code, point 5; Recommandations de la Commission bancaire et financière en matière

d’informations à diffuser par les sociétés cotées belges sur l’organisation de leur administration et

de leur gestion, A. Introduction.

45 On gardera évidemment à l’esprit les régimes particuliers comme dans le domaine bancaire.

Page 15: Le « Corporate governance » et les limites à l’exercice du

15

18. Les recommandations élaborées par la Commission belge du Corporate

governance s’articulent, de leur propre aveu, sur trois principes fondamentaux « la

transparence, l‟intégralité et la responsabilité ».

Elles précisent à cet égard :

« La transparence pour une société, dans les limites découlant des conditions de

concurrence qui s‟imposent à elle, est à la base de la confiance nécessaire entre la

société et tous ceux qui sont concernés par son activité. La transparence renforce

l‟efficacité des sociétés, en permettant au conseil d‟administration d‟intervenir

rapidement lorsque cela s‟avère nécessaire.

L‟intégrité exige que l‟ensemble des rapports financiers et informations diffusés par la

société soit un reflet honnête et complet de la situation de celle-ci.

Le principe de responsabilité concerne principalement les conseils d‟administration et

les actionnaires qui doivent tous deux jouer leur rôle pour que le rapport fait par le

conseil aux actionnaires sur la conduite des affaires, soit effectif. Outre leur aptitude à

prendre les mesures qui s‟imposent tant en termes de stratégie, qu‟en termes de

politique pour la mise en œuvre de cette stratégie, la responsabilité des conseils

résident principalement dans la qualité des informations qu‟ils procurent aux

actionnaires. »46

Les mêmes idées transparaissent des recommandations de la FEB.

On ne saurait cependant passer sous silence une préoccupation qui apparaît en marge de

ces trois indices : la prévention des conflits d’intérêts tant au niveau des organes de

gestion que bien sûr de l’organe de contrôle (le commissaire dont la parfaite

indépendance est évidemment essentielle).

19. Dans les lignes qui suivront, j’aborderai quelques aspects de ces

principes fondamentaux dans la mesure où ils sont de nature à intéresser l’actionnaire de

contrôle.

B. Le problème des conflits d’intérêts : le nouvel article 524 C. Soc.

1. Généralités

46 Recommandations de l’Autorité de marché de la Bourse de Bruxelles, A. Objectifs, approche et

suivi du Code, point 7.

Page 16: Le « Corporate governance » et les limites à l’exercice du

16

20. Depuis 1991, le problème des conflits d’intérêts occupe une place de

choix sur la scène du droit des sociétés. Conflits d’intérêts entre un administrateur47 et

la société bien sûr (art. 523 C. Soc.). Mais aussi conflits d’intérêts entre un actionnaire de

contrôle et la société. On sait, à cet égard, que la loi du 2 août 2002 a remodelé l’article

524 C. Soc. issu de l’introduction en 1995 d’un article 60 bis dans les lois coordonnées

sur les sociétés commerciales.

Cette disposition a fait l’objet de nombreux commentaires48. Il me paraît donc inutile

d’en refaire un exposé général.

Je me bornerai à en rappeler le champ d’application et à apporter à cet égard deux

précisions.

La procédure de conflit d’intérêts organisée par le nouvel article 524 C. Soc. s’applique,

on le sait, à « toute décision ou toute opération accomplie en exécution d‟une décision prise par

une société cotée… lorsqu‟elle concerne :

1º les relations de ladite société avec une société liée à celle-ci, à l‟exception de ses filiales;

2º les relations entre une filiale de ladite société et une société liée à celle-ci, autre qu‟une filiale

de ladite filiale. »

47 On rappellera la controverse sur l’application de l’article 523 C. Soc. à l’avis du conseil de la

société cible en cas d’OPA qui paraît aujourd’hui close par l’arrêt de la cour d’appel de Bruxelles,

19 janvier 2001 (R.P.S., 2001,n° 6835, p. 93 ; T.R.V., 2001, obs. C. CROES ; R.D.C., 2001, p. 108,

note BD ; cons. aussi J.M. GOLLIER ; « L’OPA volontaire de l’actionnaire majoritaire –

commentaires des affaires Tractebel et Cobepa », R.P.S., 2001,n° 6831, p. 5 ; D. WILLERMAIN,

« Conflits d’intérêts et droit à l’information dans le cadre d’une offre publique d’acquisition :

quelques observations sur l’arrêt de la cour d’appel de Bruxelles dans l’affaire Tractebel, J.T.,

2001, p. 105 ; B. FERON et J. MEUNIER, « La double casquette de l’administrateur de sociétés

anonymes », J.T., 2000, p. 689 et que le pourvoi formé contre cet arrêt a été rejeté par la Cour

de cassation le 17 octobre 2002, n° C. 01.0268.F.(voy. aussi. M. CALUWAERTS, « Conflits

d’intérêts et droit des groupes », in Dernières évolutions en droit des sociétés, Bruxelles, Ed. Jeune

Barreau de Bruxelles, 2003, p. 161 et s., spéc. n°9 et s., p. 169 et s.).

48 H. BRAECKMANS, « De wet van 2 augustus 2002 inzake behoorlijk vennootschapsbestuur

(corporate governance) », R.W., 2002-2003, p. 1641 et s., n°38 et s., p. 1649 et s.; M.

CALUWAERTS, op. cit., p. 161 et s.; H. DE WULF, « De nieuwe regeling voor intra-

groepbeslissingen : het herschreven art. 524 W.Venn. », T.R.V., 2002, p. 576 et s.; P.A. FORIERS,

« Les administrateurs et la gestion des conflits d’intérêts » (développements récents), Séminaire

Vanham & Vanham, 6 décembre 2001, Droits, devoirs et responsabilité des administrateurs ; P.A.

FORIERS et C. DE POTTER, op. cit., p. 311 et s.; M. FYON et N. DUPONT, « Les groupes de

sociétés en droit des sociétés : une réalité économique mais un régime juridique encore

incomplet », Les groupes de sociétés, Séminaire Vanham & Vanham du 23 oct. 2003; K. GEENS et

M. WYCKAERT, « La nouvelle réglementation des conflits d’intérêts au sein des groupes »,

Corporate governance, Séminaire Vanham & Vanham du 24 oct. 2002; F. HELLEMANS et M.

WAUTERS, « Het Wetboek van Vennootschappen gewijzigd door de wetten van 2 augustus en 4

september 2002 : een overzicht », T.R.V., 2002, p. 475 et s., n°33 et s., p. 487 et s.

Page 17: Le « Corporate governance » et les limites à l’exercice du

17

Sont toutefois exclues : les décisions et opérations intervenant « dans des conditions et

sous les garanties normales de marché pour des opérations de même nature » ou

représentant moins « d‟un pour cent » de l‟actif net de la société tel qu‟il résulte des comptes

consolidés. ».

2. Les organes visés

21. Un point est en tout cas certain : l’article 524 ne s’applique pas aux

décisions de l’assemblée générale. Il est en effet contenu dans le Chapitre 1er du Titre IV

du Livre VIII de Code des sociétés qui vise l’ « administration » et la « gestion journalière »

et non les assemblées d’actionnaires qui forment l’objet du Chapitre II49.

En revanche, dans la mesure où l’article 524 vise toute décision prise par la société sans

préciser l’organe d’où elle émane, celui-ci est théoriquement applicable aux décisions du

comité de direction, voire du délégué à la gestion journalière ou des mandataires

spéciaux. Les travaux préparatoires le confirment concernant tant le comité de direction

que le délégué à la gestion journalière50.

Ceci signifierait donc que ces organes, comme l’éventuel mandataire spécial, renvoient la

difficulté au conseil, aucune procédure particulière n’ayant été organisée pour ce qui les

concerne (comp. art. 524 ter § 2 C. Soc.)51.

22. S’agissant des décisions du délégué à la gestion journalière, le problème

ne sera toutefois susceptible de se poser en pratique que s’il dispose de pouvoirs

particuliers. En effet, compte tenu du caractère réduit que la Cour de cassation attribue

à la gestion journalière52, l’opération entrera pratiquement toujours dans le cadre des

exceptions à l’article 524.

C’est en revanche de manière discutable sur le plan des principes que certains auteurs

ont estimé que la position exprimée au cours des travaux préparatoires, qui mettaient

49 Voy. H. BRAECKMANS, op. cit., n°3, p. 1649, note n°63; M. CALUWAERTS, op. cit., n° 22, p.

181; H. DE WULF, op. cit., T.R.V., 2002, p. 580 ; K. GEENS et M. WYCKAERT, op. cit., Corporate

governance, Séminaire Vanham & Vanham du 24 octobre 2002, n° 8, p. 4.

50 Projet de loi modifiant le Code des sociétés et la loi du 2 mars 1989 relative à la publicité des

participations importantes dans les sociétés cotées en bourse et réglementant les offres publiques

d'acquisition, Exposé des motifs, Doc. parl., Ch., s.o., 2001-2002, n°1211/001, p. 19; Rapport fait au

nom de la Commission chargée des problèmes de droit commercial et économique par M.

Thierry GIET, Doc. parl., Ch., s.o., 2001-2002, n°1211/014, p. 263.

51 En ce sens M. CALUWAERTS, op. cit., n° 19, p. 178 ; H. DE WULF, op. cit., T.R.V., 2002, p. 582 ;

K. GEENS et M. WYCKAERT, op. cit., Corporate governance, Séminaire Vanham & Vanham du 24

octobre 2002, n° 6, pp. 3 et 4.

52 Cons. Cass., 21 fév. 2000, Pas., 2000, I, p. 457; Cass. 17 sept. 1968, Pas., 1969, I, p. 61.

Page 18: Le « Corporate governance » et les limites à l’exercice du

18

sur le même pied au regard de l’article 524 le délégué à la gestion journalière et le

comité de direction, procéderait d’une confusion et que la volonté du législateur de ne

pas appliquer l’article 524 au délégué à la gestion journalière résulterait notamment du

fait que l’article 529 ne vise que le conseil d’administration et le comité de direction, à

l’exclusion du délégué à la gestion journalière53

L’article 529 est en effet à l’évidence imparfait. Il suffit pour s’en convaincre de constater

qu’il rend les membres du comité de direction responsables même de certaines

décisions accomplies conformément à l’article 524. Or, il y aurait là une impossibilité

rationnelle en tout cas pour les membres non administrateurs de ce comité, puisque si

l’article 524 a été observé, le comité n’a pu se prononcer, la décision devant être prise

au conseil.

Ce texte imparfait me paraît dès lors difficilement pouvoir constituer un argument décisif

à l’encontre de la généralité des termes de l’article 524 § 1er al. 1.

S’agissant enfin des mandataires spéciaux, l’article 524 ne s’appliquera évidemment pas si

les conditions de leur intervention ont été clairement déterminées par le conseil pour

une opération déterminée en sorte qu’ils n’auraient en réalité aucune marge de

négociation sur les éléments essentiels de l’opération à conclure. Mais, dans ce cas, ce

serait la décision relative à la définition du mandat qui devra être soumise à l’article 524.

3. Le périmètre des opérations visées – relation entre le §1 et §5

de l’article 524

23. L’article 524 vise d’abord les relations de la société cotée elle-même

avec une société liée autre qu’une de ses filiales (sa mère ou une filiale de sa mère qui ne

serait pas sa propre filiale – une « sœur » ou une « cousine »).

L’article 524 vise ensuite les relations entre une filiale de la société cotée en cause « et

une société liée à celle-ci, autre qu‟une filiale de ladite société ». J’ai antérieurement eu

l’occasion de souligner le caractère obscure et illogique de ce texte. On n’aperçoit en

effet pas la raison de soumettre à l’article 524 une opération entre deux filiales d’une

même société cotée qui constitueraient des sociétés sœurs. En effet, en principe aucune

avantage particulier ne pourrait être attribué dans ce cas à l’actionnaire de contrôle de la

société cotée. A mon avis, mais la question est délicate, la restriction figurant in fine de

53 M. CALUWAERTS, op. cit., n°22, p. 179. H. DE WULF, op. cit., T.R.V., 2002, p. 582.

Page 19: Le « Corporate governance » et les limites à l’exercice du

19

l’article 524 § 1, al. 2° devrait par conséquent se lire plutôt : «autre qu‟une filiale de ladite

[société cotée] »54.

24. Si conformément à une certaine pratique, le conseil d’administration, ou

le comité de direction de la société mère devait prendre une décision sur une opération

d’une de ses filiales, l’article 524 devrait être observé que cette filiale soit belge ou

étrangère. La décision émanerait en effet de la société mère cotée belge.55

A priori cependant, rien n’imposerait que la société mère cotée se prononce sur ce type

d’opérations. Aussi pour éviter qu’elles échappent à l’article 524 ou que l’on doive

mettre en place une procédure particulière au niveau du conseil de la filiale concernée,

l’article 524 a été complété d’un §5 que j’ai déjà eu l’occasion d’évoquer56 : « Les décisions

et les opérations relatives aux relations d„une filiale belge non cotée d‟une société belge cotée

avec les sociétés liées à cette dernière, ne peuvent être prises ou accomplies qu‟après

autorisation de la société mère ».

L’article 524 s’appliquera par conséquent. Et il s’appliquera à mon sens, dans toutes ses

dispositions comme si le conseil de la société mère avait pris l’initiative d’examiner la

question. En effet, l’opération tombera dans le champ d’application de l’article 524 § 1, al.

2°57. Il est donc logique de considérer que les exceptions de l’article 524 § 1

s’appliqueront.

Encore faut-il se demander quelle serait la conséquence de l’application de ces

exceptions.

Trois solutions sont a priori concevables :

54 Voy. P.A. FORIERS et C. DE POTTER, « Conflits d’intérêts et droit des groupes en émergence.

Quelques réflexions », Recueil 10 ans. Actualités en droit des affaires, Bruxelles, Vanham & Vanham,

2003, p. 311 et s., n°6, p.316 ; P.A. FORIERS, op. cit., Vanham & Vanham, Séminaire du 6

décembre 2001, n° 12, p. 5.

55 Comp. dans un sens assez large M. CALUWAERTS, op. cit., n° 31, p. 191.

56 La condition de nationalité de la filiale résulte de la modification proposée, sans justification, par

la section de législation du Conseil d’Etat (Projet de loi modifiant le Code des sociétés et la loi du

2 mars 1989 relative à la publicité des participations importantes dans les sociétés cotées en

bourse et réglementant les offres publiques d’acquisition, Avis du Conseil d’Etat, Doc. .parl., Ch.

s.o., 2001-2002, n° 1211/001, p. 56).

57 Sur le caractère complémentaire du §5, voy. K. GEENS et M. WYCKAERT, op. cit., n°12, p. 6,

spéc. note n°23; F. HELLEMANS et M. WAUTERS, op. cit., T.R.V., 2002, n°35, p. 488. Voy. aussi

Rapport GIET, précité, Doc. parl., Ch., s.o., 2001-2002, n°1211/014, p. 264.

Page 20: Le « Corporate governance » et les limites à l’exercice du

20

- Soit le conseil de la société mère cotée devrait se prononcer par application du § 5

mais sans faire application de la procédure de l’article 524.

- Soit la question devrait être renvoyée au conseil pour lui permettre d’apprécier s’il

y a lieu pour lui de se prononcer en appliquant l’article 524 (par exemple, parce que la

question est douteuse). Dans la négative, la filiale prendrait sa décision seule

- Soit, enfin la question ne devrait en aucun cas être soumise au conseil de la société

mère cotée, l’article 524 n’étant en rien applicable.

La dernière solution est sans doute la plus cohérente logiquement. La première la plus

dérogatoire à l’autonomie de la filiale puisque l’autorisation de sa mère serait plus

largement requise. La deuxième pourrait constituer un compromis en obligeant le

conseil d’administration de la société mère à prendre ses responsabilités (mais aussi à

éviter une mise en cause de ses responsabilités), mais elle ne repose sur aucune base

solide.

Le caractère dérogatoire au principe de l’autonomie de la filiale qui conduit à une

interprétation stricte du § 5 et la cohérence du raisonnement me font donc pencher

pour la première solution.

C. Responsabilité des administrateurs

25. L’exercice responsable de leurs fonctions par les administrateurs et

autres dirigeants sociaux, implique nécessairement aussi une responsabilité dans une

certaine mesure accrue.

J’ai relevé au passage, l’introduction en 1991 d’une action sociale minoritaire. Les

réformes en 1991, 1995 et 2002 du régime des conflits d’intérêts ont conduit à

l’élaboration de règles particulières des responsabilités liées aux articles 523 et 524

C.Soc58.

L’organisation légale du comité de direction en 2002 devait, de même, aller de pair avec

l’établissement pour les membres de ceux-ci d’un régime de responsabilité analogue à

celui des administrateurs59.

58 Art. 529, al. 1 et 2 C. Soc.

59 Art. 527, 528, al. 2, et 529, al. 3, C. Soc.

Page 21: Le « Corporate governance » et les limites à l’exercice du

21

26. Plus fondamentalement le législateur de 2002 a exprimé le souci de

responsabiliser les « hommes » et par conséquent d’éviter que ceux-ci s’abritent dans

leur fonction d’administrateur ou de membre du comité de direction derrière la

responsabilité limitée d’une personne morale.

Aux termes de l’article 61 § 2 C. Soc. tel que modifié par la loi du 2 août 2002 :

« Lorsqu‟une personne morale est nommée administrateur, gérant ou membre du comité de

direction, celle-ci est tenue de désigner parmi ses associés, gérants, administrateurs ou

travailleurs, un représentant permanent chargé de l‟exécution de cette mission au nom et pour

le compte de la personne morale. Ce représentant est soumis aux mêmes conditions et encourt

les mêmes responsabilités civiles et pénales que s‟il exerçait cette mission en nom et pour

compte propre, sans préjudice de la responsabilité solidaire de la personne morale qu‟il

représente. Celle-ci ne peut révoquer son représentant qu‟en désignant simultanément son

successeur.

La désignation et la cessation des fonctions du représentant permanent sont soumises aux

mêmes règles de publicité que s‟il exerçait cette mission en nom et pour compte propre.

Le représentant permanent de la personne morale qui est administrateur ou gérant et associé

dans une société en nom collectif, une société en commandite simple, une société coopérative à

responsabilité illimitée ou dans une société en commandite par actions, ne contracte toutefois

aucune responsabilité personnelle relative aux engagements de la société dans laquelle la

personne morale est administrateur ou gérant et associé. »

L’exclusion du délégué à la gestion journalière de ce régime a suscité de nombreuses

critiques60.

L’article 61 § 2 C. Soc. peut être rapproché de l’article 18 de la loi du 22 mars 1993, aux

termes duquel « La direction effective des établissements de crédit doit être confiée à deux

personnes physiques au moins; celles-ci doivent posséder l'honorabilité professionnelle nécessaire

et l'expérience adéquate pour exercer ces fonctions. »

On sait à cet égard que la Commission bancaire et financière en déduit que le mandat

des membres du comité de direction d’un établissement de crédit ne peut en principe

être confié qu’à des personnes physiques61.

60 Voy. H. BRAECKMANS, op. cit., n°5, p. 1642; E. HUPIN, « La responsabilité des administrateurs

sous l’angle des dispositions légales récentes : Dirigeants d’établissements de crédit, “corporate

governance”, faillites », Corporate governance, Séminaire Vanham & Vanham du 24 oct. 2002, n°27,

p. 10; F. HELLEMANS et M. WAUTERS, op. cit., T.R.V., 2002, n°11, p. 479. Voy. aussi Avis du

Conseil d’Etat, Doc. parl., Ch., s.o., 2001-2002, n°1211/001, p. 50; Rapport GIET, précité, Doc.

parl., Ch., s.o., 2001-2002, n°1211/014, p. 240 et s.

61 Voy. la circulaire de la C.B.F. du 21 oct. 2002 D1 2002/5 aux établissements de crédit, p. 3,

selon laquelle il est « exclu qu‟une partie essentielle de la gestion de l‟établissement de crédit fasse

l‟objet d‟un contrat de management conclu avec la société de management d‟un de ses dirigeants ».

Page 22: Le « Corporate governance » et les limites à l’exercice du

22

27. On relèvera enfin que la loi du 4 septembre 2002 a modifié les articles

265, 409 et 530 du Code des sociétés pour permettre aux créanciers d’agir

individuellement en responsabilité contre les administrateurs d’une société lorsque leur

faute grave et caractérisée a contribué à la faillite. Cette modification aggrave, dans une

certaine mesure, la responsabilité des administrateurs, car l’action en comblement de

passif, qui, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation, ne pouvait être

formée que par le curateur, était dans la pratique assez rarement diligentée. La loi

introduit en outre une présomption légale selon laquelle « Est réputée faute grave et

caractérisée toute fraude fiscale grave et organisée au sens de l'article 3, § 2 de la loi du 11

janvier 1993 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins de blanchiment

de capitaux » 62.

28. Cet accroissement de la responsabilité des administrateurs pour faute

dans la gestion de la société contraste singulièrement avec l’immunité dont les organes

et la mandataires des personnes morales paraissent disposer lorsqu’ils négocient,

concluent ou exécutent un contrat.

On sait en effet tout d’abord que la Cour de cassation les assimile à des agents

d’exécution63 en sorte que le cocontractant de la société, hors le cas d’une infraction

pénale, ne saurait engager leur responsabilité qu’à la double condition de démontrer une

faute aquilienne ou un dommage résultant de celle-ci qui soit distinct du dommage

résultant de la mauvaise exécution du contrat64

Dans son arrêt du 16 février 2001 la Cour de cassation a considéré par ailleurs que

« lorsqu'un organe d'une société ou un mandataire agissant dans le cadre de son mandat

commet une faute ne constituant pas un délit au cours de négociations donnant lieu à la

conclusion d'un contrat, cette faute engage non pas la responsabilité de l'administrateur ou du

mandataire mais celle de la société ou du mandant »65.

Cette décision constitue quelle que soit la portée qu’on lui attribue une évolution

majeure de la jurisprudence de la Cour.

62 Sur ces réformes, voy. F. HELLEMANS et M. WAUTERS, op. cit., T.R.V., 2002, n°58 et s., p. 497

et s.; E. HUPIN, op. cit., Séminaire Vanham & Vanham du 24 oct. 2002, n°64 et s., p. 21 et s.

63 Cass. 7 novembre 1997, Pas. 1997, I, n° 457, R.C.J.B., 1999, p. 730, note V. SIMONART.

64 On relèvera que depuis son arrêt du 26 avril 2002, C.01.0296.F, la Cour de cassation estime

que les mêmes principes s’appliquent à l’action de l’agent d’exécution contre le cocontractant de

son propre contractant.

65 Cass., 16 fév. 2001, R.D.C., 2002, p. 698, note C. GEYS; comp. Cass., 11 sept. 2001,

R.G.P.99.1742.N à propos d’un délit.

Page 23: Le « Corporate governance » et les limites à l’exercice du

23

En effet, ou bien on y verra une extension à la phase précontractuelle des principes

relatifs au concours de responsabilité contractuelle et quasi délictuelle – ce qui pourrait

signifier que la culpa in contrahendo, du moins lorsque le contrat est conclu, relèverait

non de l’article 1382 du Code civil mais de la responsabilité contractuelle ...

Ou bien, et plus probablement, il faudrait y voir dans la ligne des enseignements de V.

SImonart66, la consécration de l’assimilation ou de l’absorption de l’organe – mais aussi

du mandataire – à la personne morale au nom de laquelle il agit – ce qui constituerait

tout autant une révolution. En effet, si la faute quasi-délictuelle de l’organe lie la

personne morale67 et que dans certaines conditions le quasi délit du mandataire engage

la responsabilité du mandat par représentation 68, il est traditionnellement admis en droit

positif belge que l’organe et le mandataire ne répondent pas moins personnellement de

leur faute à l’égard du tiers lésé69.

L’arrêt du 16 février 2001 consacrerait ainsi une véritable représentation parfaite –

organique ou contractuelle – pour des quasi délit en ce sens que seul le représenté

serait tenu70.

D. L’information des actionnaires, limites

29. L’information correcte des actionnaires et plus généralement du

marché est perçu comme une pièce maîtresse de toute bonne « corporate

governance ». La transparence est perçue comme un moyen de prévenir des abus.

Un examen systématique des dispositions relatives à l’information des actionnaires

excéderait à n’en pas douter le cadre de ce rapport.

66 V. SIMONART, « La quasi-immunité des organes de droit privé », R.C.J.B., 1999, p. 732 et s.,

spéc. n° 25 et s., p. 752 et s.

67 VAN RYN et HEENEN, t. I, 1ère éd., n°369 et 370; L. CORNELIS, Principes, n°264 et 270; P.

HENRY, « La responsabilité du fait d’autrui : commettants, préposés et organes », Droit de la

responsabilité, Liège, Ed. Formation Permanente CUP, 1996, p. 253 et s., spéc. p. 256; V.

SIMONART, op. cit., R.C.J.B., 1999, n°25, p. 752 et s.

68 Voy. P.A. FORIERS, « Aspects de la représentation en matière contractuelle », in Les obligations

contractuelles, Bruxelles, Ed. du Jeune Barreau, 2000, p. 221 et s., n°39 et s., p. 267 et s., et les réf.

citées.

69 Sur ce principe et sa critique, cons. T. TILQUIN et V. SIMONART, Traité des sociétés, t. I,

Diegem, Kluwer, 1996, n°1010 et s., p. 761 et s.

70 Cons. P.A. FORIERS, « Les obligations de l’entrepreneur : les sanctions de l’inexécution »,

Contrat d‟entreprise et droit de la construction, CUP, vol. 63, mai 2003, n° 5, p. 12 et s.

Page 24: Le « Corporate governance » et les limites à l’exercice du

24

Un antécédent de la cour d’appel de Gand dans l’affaire Barco me conduira cependant à

aborder les limites aux droits des actionnaires de poser des questions à l’assemblée et au

pouvoir de celle-ci clôture des débats ou de mettre un terme à des questions abusives.

30. Le siège de la matière se trouve dans l’article 540, al. 1 C. Soc. : « Les

administrateurs répondent aux questions qui leur sont posées par les actionnaires au sujet de

leur rapport ou des points portés à l‟ordre du jour, dans la mesure où la communication de

données ou de faits n‟est pas de nature à porter gravement préjudice à la société, aux

actionnaires ou au personnel de la société » (article 540, alinéa 1er, du Code des sociétés).

On se rappellera que lors de l’assemblée générale de la s.a. Barco qui s’était tenue le 13

mai 1998, certains actionnaires animés de convictions pacifistes avaient conçu l’idée de

poser de multiples questions concernant l’implication croissante de la société dans le

commerce des armes, transformant l’assemblée en une sorte de tribune politique. Après

que le conseil eut répondu à deux questions, l’assemblée décida de clore les débats à

une écrasante majorité avant de procéder à l’approbation des comptes annuels.

Les actionnaires déçus intentèrent alors une action devant le tribunal de commerce

d’Ypres aux fins notamment de recevoir par écrit des administrateurs les réponses qu’ils

n’avaient pu obtenir au cours de l’assemblée. A défaut, ils réclamaient la convocation

d’une assemblée extraordinaire pour avoir la possibilité de poser à nouveau leurs

questions. Ils postulaient enfin la nullité des résolutions adoptées par l’assemblée

générale.

Par jugement du 17 mai 199971, le tribunal d’Ypres accueillit cette demande considérant

que le droit à l’information serait « quasi absolu ». Refusant toutefois d’annuler les

délibérations, il ordonne curieusement la convocation d’une assemblée extraordinaire

pour répondre aux questions.

Par arrêt du 18 avril 200272, la cour d’appel de Gand décida dans un premier temps que

le droit à information des actionnaires avait été méconnu dès lors qu’ils pouvaient poser

des questions sur la politique économique et financière menée par la société. Aucun abus

ne peut être reproché aux minoritaires, dont les questions portaient sur le rapport des

administrateurs et les points à l’ordre du jour de l’assemblée, et ne heurtaient pas

l’intérêt social. Comme le premier juge, la cour estime qu’il n’appartenait pas à

l’assemblée de mettre un terme aux questions posées par les actionnaires minoritaires.

Elle ajoute que le temps utilisé par les minoritaires pour poser leurs questions ne paraît

pas excessif, eu égard à la pratique dans les sociétés cotées belges.

71 Comm. Ieper, 17 mai 1999, T.R.V., 1999, p. 534 et s., note.

72 Gent, 18 avril 2002, R.D.C., 2002, p. 730, note F. DE BAUW, « Etendue et finalité du droit de

poser des questions aux administrateurs».

Page 25: Le « Corporate governance » et les limites à l’exercice du

25

Quant aux conséquences de la méconnaissance des droits des minoritaires, la cour se

montre cependant plus prudente. Elle examine en effet si les résolutions de l’assemblée

sont susceptibles d’être annulées sur la base de l’actuel article 64 du Code des sociétés.

En vertu de l’article 64, 1°, une décision entachée d’une irrégularité de forme ne peut

être annulée que si le demandeur prouve que cette irrégularité a pu avoir une influence

sur la décision. Or, la puissance votale de l’actionnaire majoritaire lui permettrait, en

toute hypothèse, d’adopter la résolution querellée.

Quant à l’article 64, 3°, il ne permet l’annulation d’une décision pour méconnaissance

d’une règle de fonctionnement de l’assemblée qu’en cas d’intention frauduleuse. La cour

a estimé que cette existence d’une telle intention n’était pas démontrée en l’espèce.

La cour d’appel refuse ainsi de prononcer l’annulation des résolutions de l’assemblée

générale. S’écartant du raisonnement suivi par le premier juge, la cour estime en outre

que la convocation d’une assemblée générale extraordinaire pour répondre aux

questions des minoritaires est par conséquent dépourvue d’objet et contraire à la finalité

de l’actuel article 540 du Code des sociétés. Le droit à l’information ne s e concevrait en

effet que dans la perspective de l’adoption ultérieure d’une résolution par l’assemblée.

31. Ces décisions ont à juste titre été critiquées, à des degrés divers, par

la doctrine73. Celle-ci rejette à l’unanimité l’appréciation du tribunal de commerce selon

laquelle le droit à l’information serait un droit « quasi absolu » 74.

Certes, comme le relevait le tribunal de commerce d’Ypres, le droit à l’information

découlant de l’article 540 présente un caractère impératif en ce sens que les statuts ne

peuvent le supprimer. Il ne s’ensuit cependant pas que ce droit ne saurait être

susceptible d’abus75. Le droit de l’actionnaire loin d’être absolu et discrétionnaire est en

73 P. BAERT, « “En hoe gaat het met uw wapenproductie ?” Bedenkingen bij het vraagrecht van de

aandeelhouder, naar aanleiding van de Barco-zaak », T.R.V., 2002, p. 397 et s.; F. DE BAUW, op.

cit., R.D.C. 2002, p. 734 et s.; D. VAN GERVEN et M. WYCKAERT, “Kroniek vennootschapsrecht 2001-

2002», T.R.V., 2002, n° 19, p. 416 et s.

74 Voy. en outre les références citées à la note précédente, H.BRAECKMANS, « Het vraagrecht

van de aandelhouder in de algemene vergadering », Liber Amicorum Lucien Simont, Bruxelles,

Bruylant, 2002, p. 527 et s., n°11 et s., p. 532 et s. ; F. HELLEMANS, De algemene vergadering.

Een onderzoek naar haar grondslagen, haar bestaansreden en de geldigheid van haar besluiten,

Kalmthout, Biblo, 2001, n° 466, p. 514; J. RONSE, “De depotbepaling en het vraagrecht”, note

sous Comm. Brussel (réf), 6 nov.1987, T.R.V., 1988, p. 319 et s., n° 9, p. 322.

75 Comp. H. BRAECKMANS, op. cit., Liber Amicorum Lucien Simont, n° 16, p. 535 ; F.

HELLEMANS, De algemene vergadering, op. cit., n° 466, p. 516. Ces auteurs, qui approuvent la

solution retenue par le tribunal de commerce d’Ypres, admettent néanmoins qu’en cas d’abus du

Page 26: Le « Corporate governance » et les limites à l’exercice du

26

réalité fonctionnel. Il est lié au vote qu’il devra émettre notamment sur les comptes et la

décharge.

Au cas où un actionnaire transformerait l’assemblée en pure tribune politique en

multipliant des questions sans véritable intérêt pour le vote qu’il aurait à émettre, il me

semble donc qu’il pourrait commettre un abus de droit.

Il en serait de même si un actionnaire monopolisait la parole comme forme de faire-

valoir ou tenait des propos volontairement vexatoire ou encore multipliant des griefs

inarticulés et manifestement dénués de fondement.

Le président de séance, et, en cas de contestation, l’assemblée générale, auraient dans

ces cas le pouvoir de le rappeler à l’ordre, et au besoin de le priver de la parole.

Cette dernière solution est du reste confirmée par le fait que dans le silence des statuts,

« les règles ordinaires des assemblées délibérantes s‟appliquent aux collèges et assemblées

prévus par le présent code, sauf si celui-ci en dispose autrement » (article 63).

Or tant le règlement de la Chambre que celui du Sénat76 confèrent au président un

véritable pouvoir de police exercé au nom de l’assemblée qui, en cas de contestation, est

habilité à trancher77.

32. Dans un autre ordre d’idées, l’article 540 comporte lui-même une

restriction au pouvoir de poser des questions ou plus exactement d’obtenir des

réponses puisqu’ils permet de refuser de répondre à des questions de nature à porter

gravement préjudice à la société, aux actionnaires ou au personnel de la société78

droit à l’information, l’assemblée générale mette un terme aux questions par l’adoption d’une

résolution.

76 Sur la référence à ceux-ci, P. BAERT, op. cit., T.R.V., 2002, n° 12, p. 401 ; F. DE BAUW, oc.,

RDC, 2002, n° 9, p. 736. Ainsi, « Si un orateur s‟écarte de la question, le président seul l‟y rappelle. Si

un orateur, après avoir été deux fois dans le même discours rappelé à la question, continue à s‟en

écarter, la parole lui est retirée par le président pour le reste de la séance sur la même question. Il en est

de même si un orateur, après deux avertissements, persiste à répéter ses propres arguments ou ceux

produits par un autre membre dans le débat » (art. 46 du Règlement de la Chambre; voy. également

l’art. 47, ainsi que les art. 38, §4 et 49 du Règlement du Sénat). Par ailleurs, « lorsqu‟il considère que

les diverses opinions ont été émises, le président peut proposer de clore la liste des orateurs » (art. 34, al.

2 du Règlement du Sénat).

77 F. DE BAUW, op. cit., n° 9, p. 736, et les références citées.

78 Cette restriction est admise de longue date par la doctrine (voy. not. J. RONSE, op. cit.,

T.R.V.1988, n° 9, p. 322 et les réf. citées ; L. SIMONT, « Le devoir d’information, Sanctions et

responsabilités», L‟entreprise et ses devoirs d‟informations en matière économique et sociale. XXXIè

séminaire organisé à Liège les 19,20 et 21 octobre 1978, Bruxelles, Bruylant, 1979, p. 355 et s.,

spéc. p. 374).

Page 27: Le « Corporate governance » et les limites à l’exercice du

27

Par ailleurs, il précise que les questions doivent avoir trait aux rapports et aux points à

l’ordre du jour.

F. De Bauw a à cet égard défendu la thèse selon laquelle les questions ne peuvent porter

sur la politique générale menée par le conseil d’administration ni sur certaines de ses

décisions industrielles ou commerciales. Il n’en irait autrement que si ces questions

visaient à vérifier l’existence d’une faute de gestion.79. Cette solution repose sur l’idée

selon laquelle le droit à l’information doit permettre aux actionnaires de participer en

connaissance de cause aux délibérations et aux votes et d’influencer éventuellement les

autres actionnaires.80 Dès lors que les actionnaires ne sont pas appelés à voter sur le

rapport de gestion lui-même, mais uniquement sur l’approbation des comptes annuels et

la décharge des administrateurs, le droit à l’information ne pourrait porter sur les

éléments sans lien direct avec les résolutions à adopter par l’assemblée.81

33. Cette interprétation du droit à l’information me paraît trop

restrictive. Outre le fait qu’elle se concilie difficilement avec le texte de l’article 540, qui

envisage expressément les questions relatives au rapport de gestion, elle va à l’encontre

des solutions dictées par la nature des liens qui unissent les administrateurs à la société.

Dans l’ordre interne de la société, les administrateurs sont en effet considérés comme

de mandataires.82 Par application de l’article 1993 du Code civil, le mandataire est tenu

de rendre des comptes sur sa gestion à son mandant. L’assemblée générale est à ce titre

autorisée à interroger les administrateurs, non seulement sur les rubriques figurant aux

comptes annuels ou les éléments tendant à démontrer l’existence d’une faute de gestion,

Cette opinion a été confirmée par le législateur à propos des sociétés coopératives à

responsabilité limitée, à l’égard desquelles l’article 158quater des lois coordonnées sur les

sociétés commerciales, inséré par la loi du 13 avril 1995, disposait que « l‟article 70ter est

applicable à la société coopérative à responsabilité limitée. Toutefois, l‟alinéa 1er de cet article n‟est pas

applicable dans le cas où la communication de données ou de faits pourrait nuire à la société, aux

associés ou au personnel de l‟entreprise». Cette règle, dans une formulation légèrement différente, a

été étendue aux SPRL et aux SA lors de l’élaboration des articles 274 et 540 du Code des

sociétés (voy. H. BRAECKMANS, op. cit.Liber Amicorum Lucien Simont, n° 6, p. 529 ; F.

HELLEMANS, De algemene vergadering, op. cit., n° 466, p. 515).

79 F. DE BAUW, op. cit., R.D.C., n° 8, p. 736

80 Ibid., n°4, p. 735. Sur ce principe, généralement admis par la doctrine, voy. F. HELLEMANS, De

algemene vergadering, op. cit., n° 463, p. 513; J. RONSE, op. cit., T.R.V., 1988, n° 11, p. 322.

81 F. DE BAUW, op. cit., R.D.C., n° 5, p. 736.

82 VAN RYN et HEENEN, t. I, 1ère éd., n° 372, p. 262.

Page 28: Le « Corporate governance » et les limites à l’exercice du

28

mais plus largement, sur la politique suivie dans l’exercice de leur mandat ou sur telle

décision importante intéressant la société.83

Il faut néanmoins réserver l’hypothèse où les questions de l’actionnaire, tout en portant

formellement sur l’administration de la société, poursuivent un but étranger à celle-ci.

On considère ainsi que les administrateurs ne sont pas tenus de répondre aux questions

d’un actionnaire dont il apparaîtrait qu’elles tendent en réalité à préparer une offre

publique d’acquisition84. Ils ne devraient par ailleurs pas répondre comme je l’ai déjà

relevé au passage à des questions qui relèveraient davantage d’une action politique que

de la politique de la société.

34. Mais encore faut-il faire preuve de prudence sur ce dernier point, on

sait en effet l’importance croissante que l’éthique présente dans le monde des affaires en

général et pour certains investisseurs en particulier. Il me paraît par conséquent pas

déraisonnable qu’un conseil d’administration d’une société cotée soit interrogé sur ses

critères éthiques par exemple à propos du commerce des armes ou du travail des

enfants chez certains de ses fournisseurs ou sous-traitants étrangers. La question

relèverait de l’image de marque de la société. Elle ne serait pas plus critiquable qu’une

question liée à la politique de la société en matière de protection de l’environnement.

En revanche, seraient évidemment contestables les questions tendant à critiquer l’objet

même de l’activité sociale. On ne saurait en effet par exemple faire grief à une société

fabriquant des armes de fabriquer des armes. Si cette situation est insupportable à un

actionnaire, il lui suffira d’ailleurs de céder son titre.

En conclusion donc un juste équilibre doit être trouvé entre les droits respectifs des

parties en cause : droit de poser des questions et droit de ne pas répondre.

*

* *

*

83 Comp. H. BRAECKMANS, op. cit., Liber Amicorum Lucien Simont, n° 4, p. 528, qui considère que

le droit à l’information peut être utilisé pour critiquer, et le cas échéant orienter la politique

menée par les administrateurs.

84 H. BRAECKMANS, op. cit., Liber Amicorum Lucien Simont, n°16, p. 535; F. HELLEMANS, De

algemene vergadering, op. cit., n°466, p. 516.

Page 29: Le « Corporate governance » et les limites à l’exercice du

29

35. Le statut de l’actionnaire de contrôle et le droit des groupes est en

voie de constitution. Ce mouvement s’accélère au fil de réformes particulières. Sans

doute conviendra-t-il à un certain stade de repenser l’ensemble de la matière, le thème

de ce séminaire nous y invite.