la noblesse et la guerre - menrvablog.files.wordpress.comcorrection dissertation – a. destemberg 1...

28
Correction dissertation – A. Destemberg 1 LA NOBLESSE ET LA GUERRE Indications bibliographiques complémentaires Martin AURELL, La noblesse en Occident (Ve-XVe siècle), Paris, A. Colin, 1996 (rééd. 2002). Philippe CONTAMINE, La noblesse au royaume de France de Philippe le Bel à Louis XII. Essai de synthèse, Paris, PUF, 1997. La noblesse en question (XIII e -XV e siècle) dans Cahiers de recherche médiévale et humaniste, 13 (2006) (http://crm.revues.org/741). Tout le numéro est utile et en particulier les contributions suivantes : - Philippe Contamine, « Noblesse française, nobility et gentry anglaises à la fin du Moyen Âge », p. 106-131 (avec une importante bibliographie sur la noblesse anglaise). - Xavier Hélary, « Servir ? La noblesse française face aux sollicitations militaires du roi (fin du règne de Saint-Louis, fin du règne de Philippe le Bel », p. 21-40. - Jacques Paviot, « Noblesse et croisade à la fin du Moyen Âge », p. 69-84. Introduction Accroche - Citation - Partir d’un cas, une petite biographie (ainsi de celle de Geoffroy de Charny, trouvée dans une copie), dans une sorte de procédé relevant de la micro-histoire, et pointer dans ce parcours individuel choisi pour son exemplarité toutes les problématiques que cela révèle à une échelle plus générale. Définir la noblesse Le terme de « noblesse », dont on note les premières acceptions françaises au XII e siècle, vient du latin classique nobilitas qui désignait une disposition morale particulière, une forme d’excellence et de supériorité sociale qui donnait lieu à une renommée particulière. L’idée de noblesse est donc fondatrice d’une forme de distinction et d’une conscience de supériorité sociale. Comme l’on montré, pour le Moyen Âge, des historiens comme Karl Ferdinand Werner Paravicini (Naissance de la noblesse. L’essor des élites politiques en Europe, Paris, Fayard, 1998), la réalité sociale de la noblesse a été produite autour de cet idéal, principalement à l’époque carolingienne : grâce à des pratiques culturelles valorisant le lignage (memoria notamment), un petit groupe d’aristocrates concentrant en ses mains l’essentiel des moyens de domination (du pouvoir) à réussi à constituer un groupe spécifique, une strate supérieure animée par une idéologie du sang et des réseaux familiaux. Avec la mise en place de la société féodale, l’ancrage du pouvoir dans la domination de la terre, la noblesse tend à être associée à la part de l’aristocratie qui détient un fief. « Noblesse, fief, seigneurie : les trois notions apparaissent dès lors étroitement mêlés ». Ainsi, comme le disait Marc Bloch dans La société féodale : « Toute classe dominante n’est pas une noblesse. Pour mériter ce nom, elle doit, semble-t-il, réunir deux conditions : d’abord la possession d’un statut juridique qui confirme et matérialise la supériorité à laquelle elle prétend ; en second lieu, que ce statut se perpétue par le sang ». L’association de la noblesse à la guerre est une conception partagée, au Moyen Âge, qui fait donc toute la pertinence du sujet. Pour autant, la guerre à la fin du Moyen Âge est un

Upload: others

Post on 09-Aug-2020

1 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: La noblesse et la guerre - menrvablog.files.wordpress.comCorrection dissertation – A. Destemberg 1 LA NOBLESSE ET LA GUERRE Indications bibliographiques complémentaires Martin AURELL,

Correctiondissertation–A.Destemberg

1

LANOBLESSEETLAGUERREIndicationsbibliographiquescomplémentaires

MartinAURELL,LanoblesseenOccident(Ve-XVesiècle),Paris,A.Colin,1996(rééd.2002).PhilippeCONTAMINE,LanoblesseauroyaumedeFrancedePhilippeleBelàLouisXII.Essaidesynthèse,

Paris,PUF,1997.La noblesse en question (XIIIe-XVe siècle) dans Cahiers de recherche médiévale et humaniste, 13

(2006)(http://crm.revues.org/741). Toutlenuméroestutileetenparticulierlescontributionssuivantes:

-PhilippeContamine,«Noblessefrançaise,nobilityetgentryanglaisesàlafinduMoyenÂge»,p.106-131(avecuneimportantebibliographiesurlanoblesseanglaise).

-XavierHélary,«Servir?Lanoblessefrançaisefaceauxsollicitationsmilitairesduroi (findurègnedeSaint-Louis,findurègnedePhilippeleBel»,p.21-40.

-JacquesPaviot,«NoblesseetcroisadeàlafinduMoyenÂge»,p.69-84.IntroductionAccroche -Citation

-Partird’uncas,unepetitebiographie(ainsidecelledeGeoffroydeCharny,trouvéedansunecopie),dansunesortedeprocédérelevantdelamicro-histoire,etpointerdansceparcoursindividuelchoisipoursonexemplaritétouteslesproblématiquesquecelarévèleàuneéchelleplusgénérale.Définirlanoblesse Le terme de «noblesse», dont on note les premières acceptions françaises auXIIesiècle,vientdulatinclassiquenobilitasquidésignaitunedispositionmoraleparticulière,une forme d’excellence et de supériorité sociale qui donnait lieu à une renomméeparticulière. L’idée de noblesse est donc fondatrice d’une forme de distinction et d’uneconsciencede supériorité sociale.Comme l’onmontré,pour leMoyenÂge,deshistorienscomme Karl Ferdinand Werner Paravicini (Naissance de la noblesse. L’essor des élitespolitiques en Europe, Paris, Fayard, 1998), la réalité sociale de la noblesse a été produiteautour de cet idéal, principalement à l’époque carolingienne: grâce à des pratiquesculturelles valorisant le lignage (memoria notamment), un petit groupe d’aristocratesconcentrant en ses mains l’essentiel des moyens de domination (du pouvoir) à réussi àconstituerungroupespécifique,unestratesupérieureaniméeparuneidéologiedusangetdesréseauxfamiliaux.

Aveclamiseenplacedelasociétéféodale,l’ancragedupouvoirdansladominationde la terre, la noblesse tend à être associée à la part de l’aristocratie qui détient un fief.«Noblesse, fief, seigneurie: les trois notions apparaissent dès lors étroitement mêlés».Ainsi,commeledisaitMarcBlochdansLasociétéféodale:«Touteclassedominanten’estpas une noblesse. Pour mériter ce nom, elle doit, semble-t-il, réunir deux conditions:d’abord la possession d’un statut juridique qui confirme et matérialise la supériorité àlaquelleelleprétend;ensecondlieu,quecestatutseperpétueparlesang».

L’associationdelanoblesseàlaguerreestuneconceptionpartagée,auMoyenÂge,quifaitdonctoutelapertinencedusujet.Pourautant,laguerreàlafinduMoyenÂgeestun

Page 2: La noblesse et la guerre - menrvablog.files.wordpress.comCorrection dissertation – A. Destemberg 1 LA NOBLESSE ET LA GUERRE Indications bibliographiques complémentaires Martin AURELL,

Correctiondissertation–A.Destemberg

2

phénomènesocialplusglobalquelanoblesse:selonlesestimationsdePhilippeContamine,auxXIVe-XVesiècle,lanoblesseduroyaumedeFrancedevaitreprésenterenviron1,5à2%de la population totale; elle est beaucoupplus restreinte enAngleterre, oùon l’estimeà0,3%delapopulation1.Surtout,ilfautprendregardedenepastraiterlanoblessecommeungroupesocialmonolithe,carcommelesoulignePhilippeContaminedanssestravaux, ilconvient de bien distinguer ce qui relève de l’«idée» de noblesse, dont les basesidéologiques reposent justement sur une certaine permanence historique, et la réalitésocialede lanoblessequiest façonnéepardesdynamiquesdepromotionoud’extinction,dontilrésulteunconstantrenouvellement.Enoutre,sil’onpeutreconnaîtreàlanoblesse,entantquegroupesocial,unecertainesolidaritépolitique,uneconscienceetdespratiquesculturellescommunes,ilfautaussinoterqu’ilexiste,auseindecemilieu,unehiérarchiequidistinguelesgrandsetprincesdesang–ceuxquiappartiennentàlafamiliadessouverainset possèdent les grands fiefs, ceux que l’ont nomme parfois les barons –, des simpleschevaliersoupetits châtelains2. Cettedistinctionestparticulièrement forteenAngleterre,ou la couronne n’accorde pas la même valeur politique aux barons et aux simpleschevaliers:cettehiérarchieseretrouvedansl’organisationetlaconduitedelaguerre.Définirlaguerre

D’un point de vue étymologique [je reprends ici des éléments abordés l’annéedernière],leterme«guerre»estuntermemédiévaltirantsonoriginedufrancique–cettelanguegermaniqueparléeparlespeupladesfranques–werra.DèsleIXesiècle,letermeestintégréauvocabulairelatinsoussaformewerra,gwerraouguerraettantàsesubstitueraulatin classiquebellum, pourdésignerune luttearmée. Il estattestéen français vers1100,sous sa forme guerre, dans la fameuse Chanson de Roland, et sous les formeswerre ouwierredanslesdialectesseptentrionauxcommelepicard,werraenhautallemand,etwyrreouwarenvieilanglaisàpartirdumilieuduXIIesiècle.Maisau-delàdel’aspectétymologique,définirlaguerreàlafinduMoyenÂgen’estpaschosefacilecardansl’historiographieelle-même nombreux sont les auteurs à tenter de procéder à une typologie des guerresmédiévales,mais rares sont ceux qui s’essaient à proposer une véritable définition de cequ’onentendpar«guerre»à cettepériode.Onpeut,pourdesquestionsde commodité,contourner la frilosité des historiens enusant d’unedéfinition courante (celle duTLF) quidéfinilaguerrecommedes«rapportsconflictuelsquiserèglentparuneluttearmée,envuededéfendreun territoire, undroit oude les conquérir, oude faire triompherune idée.»Cettedéfinitionlargedoittoutefoisêtrecomplétéeparplusieursnotionsquiappartiennent,à la finduMoyenÂge, au registre sémantiquede la guerre: ainsi de ceque l’onnomme«guerre commune» ou guerre «en soymesme», qui désigne ce que nous nommerionsaujourd’huiuneguerrecivile,ouencore les«guerresprivées»ou«faides»,qui sontdesconflits – affrontements armés, pillages, viols, rapts – qui découle desmécanismes de lavengeancepropreàunesociétéàhonneurcommelasociétémédiévale.Laguerre,àlafindu Moyen Âge, n’est donc pas que la «guerre d’États». Ainsi, note Ph.Contamine, «la

1Estimations vers 1300: en France, 320 000 individus nobles pour une population totale de 16 millionsd’habitants;enAngleterre,16000individusnoblespour2DanslesroyaumesdeFranceetd’Angleterre,onnote3grandesstratesauseindelanoblesse:1.Lesgrands,appelésprincesenFrance (duc)oubarons (earlsou lords)enAngleterre;2. Les seigneurs,que l’onnommecomtes,vicomtes,siresenFranceouchevaliers(knights)enAngleterre,quiconstituentlatroupedechevaliersbannerets;3.Lesgentilshommes(écuyers,damoiseauxou(e)squires),moinsétablismaispossédantuntitredenoblesse,auxquelsonpeutajouterlesgentlemenanglais,issusd’unenoblesserécente.

Page 3: La noblesse et la guerre - menrvablog.files.wordpress.comCorrection dissertation – A. Destemberg 1 LA NOBLESSE ET LA GUERRE Indications bibliographiques complémentaires Martin AURELL,

Correctiondissertation–A.Destemberg

3

guerre est une activité normale, attendue. Chacun doit s’y préparer, il s’agit d’unapprentissageuniversel,enfonctiondescoutumesdupeupleauquelonappartient».

Cadrechronologiqueetgéographique

L’ampleurduphénomèneguerrier,dans lesdernièresdécenniesduXIIIe siècle,pritassurémentuntournouveau;non,quelaguerrefutabsentedespériodesprécédentes,loins’en faut,mais les conflits semultiplièrentet s’intensifièrent considérablement,marquantune rupture avec un XIIIesiècle globalement pacifique. Ph. Contamine note que le «beauXIIIesiècle» (J. Le Goff) de la croissance économique et démographique ne connut quequelques conflits épisodiques, circonscrits et finalement superficiels: certaines régions,commelaBretagne,entre1250et1300,furentpresqueenétatdepaix3.Aucontraire, lescampagnes galloises et écossaises du roi d’Angleterre Édouard Ier, dans les années 1270-1280,ouencorelescampagnesdeFlandreducapétienPhilippeleBel,danslesannées1290,marquentuneruptureetpréfigurent«lesgrandesguerresdynastiquesetnationalesde lafinduMoyenÂge»4.Ainsi,sejustifiedonccettebornechronologique: laguerreconduitàdes transformations fondamentales dans tous les domaines. Sur les plans économique etsocial,elleconcerneunepartiebienplusimportantedelapopulationqu’auparavant,etpasseulementdufaitd’uneaugmentationdunombredecombattants.AuxXIVeetXVesiècles,dans certains espaces et durant certaines périodes, la majorité de la population,combattanteounon,estimpliquéedanslaguerre,économiquementenparticulier,etcelaestaussimarquédansleschampsculturelestreligieux.S’ilestanachroniqueetinadéquatedeparlerde«guerre totale»– l’intensitédesconflitset leurs rythmessontextrêmementvariables,certaineszonessonttrèspeutouchéesparlesguerres,d’autresbeaucoupplus–,on peut cependant, à la suite de Philippe Contamine, parler de «guerre intégrée» pourinsister sur «l’omniprésence de la guerre dans la société et dans la vie médiévales», la«symbiose constante» et le «profit mutuel» entre la guerre et les institutionsecclésiastiquesetétatiques5.

Enfin, on pourra noter, à partir des années 1480, avec la chute des ambitionsbourguignonnes du Téméraire, un déplacement géographique des grands conflits versl’Italie,quidevientàpartirdesannées1490lechampdebatailledel’Europe.

D’unpointdevuemilitaire,engrossissantunpeu letrait,nouspouvonsdireque lapériodedébuteaumomentoùlemodèledelaguerrechevaleresqueatteintsonsommet,etsetermineparledébutdel’èredesarméespermanentes.Problématiqueethistoriographie

[Un problématique est une hypothèse que l’on va ensuite confirmer ou infirmerdurantledéveloppementdupropos,quidoitêtreunedémonstration.Ilfautdoncéviterlaformulation de questions (trop scolaire), demême qu’il ne faut pas se contenter d’êtreévasif:parexemple,évoquerune«mutation»n’estpassuffisant(l’histoireenestfaite),ilfautprésenter celle-ci de façon suffisammentprécisepourqu’elledevienne l’objetd’unedémonstration.]

3SeulelaguerreprivéeentreJeanleRouxetOlivierdeClisson(1254-1261)futunpeulongue.4Ph.Contamine,LaguerreauMoyenÂge,Paris,Puf,1980(rééd.2003),p.157-159.5Lui-mêmeladéfinitparrapportàl’Église:«Ilrestequelechristianismeetlaguerre,l’Égliseetlesguerriers,loin de semontrer antithétiques, faisaient au total bonménage, vivaient en état de symbiose constante etprofitaientdeleurappuimutuel»(Contamine,Laguerre,p.468).

Page 4: La noblesse et la guerre - menrvablog.files.wordpress.comCorrection dissertation – A. Destemberg 1 LA NOBLESSE ET LA GUERRE Indications bibliographiques complémentaires Martin AURELL,

Correctiondissertation–A.Destemberg

4

Poserlaquestiondesliensréciproquesentrecesdeuxnotionsquesontlanoblesseet la guerre, c’est inviter la réflexion à aborder sansdétour la questionde la «révolutionmilitaire» durant la période de la Guerre de Cent-Ans. Le paradigme de «révolutionmilitaire»aété forgépardeshistoriensanglo-saxons,àpartirdumilieudesannées1950par l’historien MichaelRoberts pour l’époque moderne, suivi par des historiens commeGeoffreyParkerouencore JohnKeegan,dans lesannées1980-1990: selon les tenantsdecetteidée,lestransformationsrapidesdel’artdelaguerredesXVIe-XVIIesiècles–laruptureétantplacéetantôtvers1600ou1560,tantôtvers1500–auraientconstituéunevéritablerévolution ayant eu un profond impact sur la société: en simplifiant quelque peu,l’apparition des mousquetaires rendait obsolète l’organisation militaire fondée sur lachevalerie,etavecladévaluationdelachevalerieseseraientlesfondementsmêmesdelasociété d’ordresmédiévale qui serait ébranlée6.Mais au début des années 1990, certainshistoriensmédiévistes–enparticulierCliffordRogers–ontsoutenuqu’enfait,certainesdestransformations repérées par les modernistes remontaient à la fin du Moyen Âge etinvitèrent à faire «remonter» le concept de révolutionmilitaire aux XIVe et XVesiècles7.Poureux,ilyaenfaitunedoublerévolutionmilitairedurantcettepériode:la«révolutionde l’infanterie»et la«révolutionde l’artillerie».Lapremière,quimarquerait ledébutdureculstratégiquedelachevalerieauprofitdeseffectifsgrandissantd’hommeàpieds,seraitenfaitamorcéedès1300,tandisquelasecondeseraitinitiéevers1380,aumomentoùlespremières pièces d’artillerie devinrent couramment utilisées sur les champs de bataille.CitonsCliffordRogers(articleimportant):

«LesarméesquiontdominéleschampsdebatailleeuropéensdumilieuduXIesiècleaudébut du XIVeétaient essentiellement composées de guerriers-aristocrates féodaux, quidevaientunservicemilitairepour leursterrestenuesenfief. Ilsconstituaientunecavalerielourdementcuirassée,descombattantsdechocs,comptantsur lepouvoirdumuscleetdel’acier […]. Ils combattaient plus souventpour capturer quepour tuer. Les arméesqui ontconquis les premiers empires globaux européens, d’un autre côté, différaient de cettedescriptionenchaquepoint.Ellesprovenaientdelapopulationcommune(bienquesouventmenéespardesaristocrates);ellesservaientcontrepaiement;ellescombattaientd’abordàpied,en formations rapprochéescomptantplus sur lapuissancede feuquesur l’actiondechoc;etellescombattaientpourtuer»8.

Le schéma ici défendu est celui d’une mutation de la guerre, qui n’est plus seulementl’activité spécifique d’une catégorie sociale, en l’occurrence la noblesse, mais l’affaire delargespansdelasociétémédiévale.Unegénéralisationdesacteursquiaboutiàuneculturedeguerredifférenteetqui progressivement s’éloignerait dumodèlenobiliaire. Il ne s’agitpas icid’abordercepointde façon technique (tactiqueoustratégique)–quoiquecertainsaspectsserontamenésàêtreabordés–maisuniquementsiilscontribuentàuneapprochesociale de ce phénomène de mutation de la guerre. Car c’est là le paradoxe de cetteassociationguerre/noblesseàlafinduMoyenÂge:undécalageentreuneculturenobiliairede la guerre, fondatrice de sa domination sociale et politique, et les évolutions d’une 6G.Parker,TheMilitaryRevolution:MilitaryInnovationandtheRiseoftheWest,Cambridge,1988;J.Keegan,AHistoryofWarfare,NewYork,AlfredA.Knopf,1993(rééd.VintageBook,1994).7C. Rogers, «TheMilitary Revolutions of theHundred Years’War», Journal ofMilitaryHistory, 57/2, 1993,p.241-278.VoiraussiA.AytonetJ.L.Priceéd.,TheMedievalMilitaryRevolution:State,SocietyandMilitaryChangeinMedievalandEarlyModernEurope,LondresetNewYork,1998.UnebrèvesynthèsesurcetaspectdansHOOPERNicholasetBENNETTMatthew,TheCambridge IllustratedAtlas.Warfare:TheMiddleAges (768-1487),Cambridge,CambridgeUniversityPress,1996,p.152-153.8C.Rogers,«ThemilitaryrevolutionsoftheHundredYears’War»,art.cit.,p.243.

Page 5: La noblesse et la guerre - menrvablog.files.wordpress.comCorrection dissertation – A. Destemberg 1 LA NOBLESSE ET LA GUERRE Indications bibliographiques complémentaires Martin AURELL,

Correctiondissertation–A.Destemberg

5

pratiqueguerrièrequis’éloignedeplusenplusdecesmodèlesvalorisés.Cequ’ilfautmettreen valeur, c’est la tension ressentie par la noblesse elle-même entre des aspirationsidéologiquesquisontaussiunepragmatiquesocialeetpolitique–leurdominationetleursprivilègesnesontlàqueparcequ’ilspossèdentthéoriquementlaforcequ’ilexercepourleprofitcommun–etlesévolutionspratiquesd’uneguerrequidevientprogressivementuneguerred’État,oùlanoblessecherchesaplace.Defait,laguerre,d’unsystèmeélitistefaisantse distinguer une catégorie réduite de combattants qui exercent, par ce fait, la réalité dupouvoir, devient affaire de tous, une activité «normale et universelle» comme le ditPh.Contamine, reléguantde fait l’activiténobiliaireàuneactivitécommune,dominéeparlesÉtatsroyauxouprinciers,etainsilanoblesseaurangdesujetroyal.LaguerreàlafinduMoyenÂgeestàlafoislajustificationdelanoblesseetunemenacepoursonassisesocialeetpolitique.Sources

Ilconvientenfind’évoquerladocumentationdisponiblepourtraiter laquestion,enesquissant une typologie adaptée au attendu du sujet lui-même. On peut s’appuyer surl’esquissetypologiquequefournitPh.Contamine[cf.Coursn°1]eninsistantsurlefaitquelafinduXIIIe siècle,etde façonengros croissante jusqu’à la finduXVeetau-delà, voitunecroissanceetunediversificationdeladocumentation9.Annonceduplan [Éviter lesplansconstruitssurunbalancementdupropos,dutype I/portrait idéalpuis III/ nuance du I: cela amène à proposer en I une analyse caricaturale, et en III àrevenir sur des points traités précédemment, au risque de la répétition. Il faut doncnuanceràchaqueétapedudéveloppementpourproposerl’analyselapluséquilibrée.Demême,lesplanschronologiquesmesemblenttrèsrisquéssurcesujet,danslamesureoùlesévolutionsàpointersontdiffusesdans le tempsetdans l’espace,nesontparfoispassynchronesd’unendroitàl’autre,oulinéairedansletemps.Mieuxvautprivilégierunplanthématiqueenprenantgarded’introduiredanschaquepartiedesconsidérationsd’ordrechronologique].

9Contamine,LaguerreauMoyenÂge,p.232etsuiv.

Page 6: La noblesse et la guerre - menrvablog.files.wordpress.comCorrection dissertation – A. Destemberg 1 LA NOBLESSE ET LA GUERRE Indications bibliographiques complémentaires Martin AURELL,

Correctiondissertation–A.Destemberg

6

I. Lesfondementsguerriersdelaculturenobiliaire

A. L’ordredesbellatores

Survivance de la tripartition fonctionnelle. L’«imaginaire féodal» (G.Duby) de latripartition fonctionnelle forgé entre les IXe et XIe siècle reste vif à la fin de la périodemédiévale,suffisammentvifpourêtreconsidérécommeunenormesociale–reproduiteoucontestée –, particulièrement active dans l’idéologie nobiliaire. C’est la mission desbellatores, ceuxquipossèdent les armes, c’est-à-dire lepouvoirmilitaire,qued’assurer lapaix par la défense des deux autres ordres (oratores et laboratores). Par assimilation, lanoblesse se considère comme l’ordre de ceux qui combattent, forgeant ce quePh.Contamine nomme «le lien organiqueentre la noblesse et la guerre». La littératurenobiliaire – dont le rôle dans la reproduction idéologique de cette catégorie sociale estfondamentalàlafinduMoyenÂge–regorgedecitationsexaltantlavocationdelanoblesseau service des armes. Ainsile chroniqueur Georges Chastellain, auteur de Lemort du royCharlesVII,dansunpoèmequ’ilprêteàJeandeBueil(1406-1477),unremarquablechefdeguerre baptisé «le fléau des anglais» ou le «lyon des frontières» – et qui relata sonexpériencemilitairesouslaformed’unroman,LeJouvencelrédigévers1466–écrit:«Pourvestirferetenarmescombattre/Dieuetnatureontnoblesseordonnee».Etilajouteplusloin: «Et honneur fait auxnobles genseslisre /Mort sansbargains [profit] pour la chosepublique». Les exemples de ce type sont nombreux qui placent les notions de service etd’honneuraufondementducomportementnoble.

Apprentissage des armes. Cette identité militaire devait donc se traduire parl’acquisition, dès le plus jeune âge, du «mestier d’armes». Dès l’âge de 11-12 ans, ouenviron, les jeunesnobles sontplacésdans l’entourage familial, souventauprèsde l’onclematernel,commepage:ils’yfamiliarisentaveclemaniementdeschevaux,maisaussiceluidesarmesauxquelsontleurdonneponctuellementaccèspours’entraîneràlaquintaineoùà la chasse. Le jeune duc Jean de Berry, frère du roi Charles V, avait ainsi reçu, pour ses12ans un équipement complet pour la chasse, cette activité nobiliaire par excellence,conçuecommeuneexaltationdesvaleursguerrières.Dansl’encyclopédienéoplatonicienne,PlacidesetTimeo,rédigéepeuavant1304–ils’agitd’undialogueentreunmaître,Timeo,dunomd’undialoguedePlatonetun jeuneprince,Placide– lemaîtreexpliqueque toutnobledoitavoirapprisàmaîtriserl’«escremie»,c’est-à-direl’artdel’arbalète,del’arc,dujavelot,delamasse,duglaive,delalance,del’épée,ducouteau,etc.

Defaçongénérale,laformationthéoriqueàlaguerrepassaitparunsavoirlivresquefortementprésentdanslesbibliothèquesnobiliaires:LesfaitsdesRomains,quireprenaientdestexteshistoriquesdeJulesCésar,Suétone,Saluste,Lucain,etc,traduitsenfrançais(onen a conservé des dizaines demanuscrits, témoignant de sa réelle diffusion), des traitésmilitaires comme le célèbre De re militari de Végèce (v.380-390), ou des ouvrages plusrécentstelsL’Arbredesbataillesd’HonoretBouvet,rédigéen1386-1387,ouencoreLeLivredesfaisd’armesetdechevaleriedeChristinedePizan(1410).Lesrécitscontemporainsdeguerreontégalementungrandsuccès,dontlesfameusesChroniquesdeJeanFroissartquiapparaissent comme une inépuisable réserve de récits de guerre, attentivement lue etdiffusée, autant qu’une célébration de la geste nobiliaire. Comme le souligne PhilippeContamine: «Froissart entend fournir aux jeunes gentilshommes, aux écuyers débutantdanslemétierdesarmes,qu’ilssoientrichesoupauvres,“matereetexemple”,ilveutleur

Page 7: La noblesse et la guerre - menrvablog.files.wordpress.comCorrection dissertation – A. Destemberg 1 LA NOBLESSE ET LA GUERRE Indications bibliographiques complémentaires Martin AURELL,

Correctiondissertation–A.Destemberg

7

procurerdesmodèles,deshérospours’yréférerous’ycomparer»10.Decepointedevuedelacultureetdel’idéologienobiliaire,lesmécanismessontlesmêmesdesdeuxcôtésdelaManche.

Privilèges.C’estcefondementidéologiqueguerrierquijustifie,encoreauXIVesiècle,lesprivilèges,notammentfiscaux,dontbénéficielanoblesse.Lorsqu’àlafinduXIIIesiècleleroyaume de France vit l’instauration d’une fiscalité nouvelle destinée dans son principe àfinancerlesguerresduroi,ilfutconsidéré,dansleprolongementdecetteidéologieetd’unepratique enracinées de longue date, que les nobles n’avaient normalement pas à payerl’impôt pour la guerre. Puisqu’il appartenait statutairement aux nobles et auxgentilshommes,aussibienenraisondeleurspersonnesqu’enraisondeleursfiefs,deservirle roi dans ses guerres, ils étaient théoriquement exemptés d’un impôt qui devint trèsfréquentàpartirdesannées1340etquasimentannuelàpartirdesannées1370.RappelonscequedisaitlejuristeJacquesd’Ableiges,dansleGrandcoutumierdeFrance(1385-1389):«Lesnoblessontpersonnessimplement franches, lesquellesdedroictsontquitteet fransdetouteservitudesdepayscommedetailles, impositions,gabellesetautressubsides.Carles nobles ont esté esleus et ordonnés pour tenir et garder le pays et pour deffendre lessubjectsetlachosepublique».Ainsidès1303,leroiPhilippeleBelavaitimposéunelourdefiscalitéauxnoblesquineserendraientpasounes’étaientpasrendusàl’ost;enAngleterre,est instaurée dès 1242, ladistraint of knighthood, qui oblige les gentilshommes ayant unrevenusuffisantàpayerunefortetaxes’ilsnesontpasadoubés11.Ilnefaudraitpasnonplusidéaliserlasituation:lapressionfiscale,enraisondelaguerresefittellequedèslemilieudu XIVe siècle, tous les nobles furentmis à contribution, bien que de façonmoindre parrapport aux autres ordres. Les ordonnances françaises de 1347 et 1356 imposèrent lesnobles,avecunrecorddeprélèvementde15%deleursrevenusen1356,viteramenéà5%après la contestation de l’année suivante. Si les nobles furent globalement privilégiés, envertu de leur contribution par «l’impôt du sang», ils ne furent pas oubliés de la fiscalitéroyale.

Dérogeance ou anoblissement par les armes. Néanmoins, la justification de leursprivilèges,quiétaientaufondementdeleuridentitésociale,résidaitbiendansleurfonctionguerrière.LevieuxcoutumierdePoictou,misenformeen1417déclarait:«Ungnoblequiuse de fait de marchandise ou de labourage ou en autre manière vit d’art mécaniquerousturierement,communementetnotoirementsansaucunementseportercommenoble,exerceroufrequenterlesarmesetfaitdenoblesse,nejoyrapasdeprivilegenoble».Iln’estpas rare que les villes soumises à la fiscalité royale, cherchent à prélever des nobles quinotoirement ne prennent jamais les armes. Si le fait de ne pas combattre n’a jamaisvéritablementétéunmotifcommunémentreconnude«dérogeance»àlanoblesse–iln’yavait d’ailleurs en Angleterre aucun véritable critère juridique de «dérogeance» –, celarestaitunmotifdedéshonneurpuissant.

Inversement, les exemples sont nombreux, principalement à partir des premièresdécennies du XIVe siècle – mais on trouve quelques cas isolés dès les années 1280 –d’accession à la noblesse pour faits de guerre glorieux. Jean de Bueil, dans le Jouvencel(1466), précise qu’il n’y a pas meilleur moyen d’accéder à la noblesse que de porter«harnois blanc[…] en compagnie des nobles du royaume». Il suffit d’évoquer la carrière

10Contamine Ph., «Froissart: artmilitaire, pratique, et conception de la guerre», dans Froissart: historien,Pagesd’histoiremilitairemédiévale(XIVe-XVesiècles),Paris,2005[1981],p.250-265.11Philippe Contamine, La noblesse au royaume de France, p. 26: 50% du revenu annuel pour un nobledisposantde50livréesdeterre.

Page 8: La noblesse et la guerre - menrvablog.files.wordpress.comCorrection dissertation – A. Destemberg 1 LA NOBLESSE ET LA GUERRE Indications bibliographiques complémentaires Martin AURELL,

Correctiondissertation–A.Destemberg

8

d’un Robert Knolles († 1407), issu d’une famille paysanne, qui fut l’un des plus fameuxcapitainesd’ÉdouardIII,etquiachevasavierichedeterresetd’unefortuneconsidérable[cf.fiche dans le manuel Atlande]. La période de guerre vit le plus grand nombred’anoblissementsparlettresroyales:de1à5lettresd’anoblissementparanenmoyenneàlafinduXIIIeetdébutXIVesiècle,onpasseàunemoyennede10sousPhilippeVI,avecunrecord de 15 à 20 lettres/an sous Charles V et Charles VI pour un total de 850anoblissements durant ces deux règnes. Ce sont les services militaires qui constituent lapremièrecaused’anoblissement (hommesd’armesde l’ordonnance,capitainedeplaceoud’artillerie).

Héraldique et pratiques funéraires. Deux derniers aspects peuvent enfin êtreévoqués:l’héraldiqueetlespratiquesfunéraires.

Rappelonstoutd’abordquel’apparitiondel’héraldiqueestintimementliéeàlaguerre– elle est née, au XIIesiècle, de la nécessité de pouvoir distinguer les combattants sur lechampdebataille,etprenaitplacesurlesbannièresetlesécus12.ÀlafinduMoyenÂge,lesblasons et autres emblèmes constituent le signe distinctif de l’aristocratie: comme le ditMaurice Keen, «l’héraldique […], alors qu’elle était à l’origine l’apanage de la hautearistocratie,envintavecletempsàdevenirl’emblèmedelafiertédelanaissance,del’étatetdelaculturedelanoblessedanssonsenslepluslarge.Envérité,alorsqu’auMoyenÂgetardif les rangs de la noblesse s’étendirent au-delà des chevaliers – écuyers, simplesgentlemen, hommes d’armes […] – le droit de porter des armoiries en vint finalement àremplacer l’entrée en chevalerie comme la clé pour intégrer le cercle privilégié duchevaleresque»13. Dans l’Angleterre du XVesiècle, effectivement, l’enregistrement sur lesrouleauxd’armesofficielsenvientàconstituerlapreuvedelanoblesse.Ilyad’ailleursdestentativesde réglementation: en1416,parexemple,HenriV tentade restreindre leportd’armoiriesàceuxquiavaientdesdroits trèsanciensouquiyétaientautoriséspar le roi,sansquecelan’eutl’effetescompté.L’importancedel’héraldiqueestégalementsoulignéepar les procès, parfois retentissants, opposant des hommes qui s’accusent en généralmutuellementdeporteràtortdesarmoiries14.Derrièrelesquerellesdeblasons,lesenjeuxsont évidemment majeurs, impliquant des questions de patrimoine et de titre. Maisl’héraldiqueagiticicommeuncatalyseurextrêmementfort.

Cet imaginaire se perçoit également dans un développement considérable desmonuments funéraires, plus précoce en Angleterre, dès le XIIIesiècle, plutôt au cours duXIVesiècleenFrance15.Cephénomènedoitavanttoutêtrereliéauxtransformationssocialesetreligieusesdelapériode.Pourlesindividusconcernés,ils’agitd’abord,toutenaffirmantsa foi, de se faire reconnaître dans l’ordre social, d’affirmer sa place et son prestige, demanièrepermanente,faceàl’éternité.Lesmonumentssonttrèsvariés,desplusmodestes–unesimpleplate-tombe–auxplusextravagants–devéritablechapellesfunéraires.Toutes,

12Ontrouveraunebonneintroduction,récente,surl’héraldique,parLaurentHablot,ainsiquedesliensutiles,surlesitedeMénestrel:http://www.menestrel.fr/spip.php?rubrique428&lang=fr.13KeenM.,Chivalry,NewHaven,1984,p.128.14LeprocèsanglaislepluscélèbreestsansdouteceluiquiopposaReginaldGreydeRuthinàEdwardHastingsaudébutduXVesiècle.15Defait,lesétudessurcesquestionsportentsurtoutsurl’Angleterre:KempB.,«EnglishChurchMonumentsduringthePeriodoftheHundredYearsWar»,dansArms,armiesandfortificationsintheHundredYearsWar,éd.A.CurryetM.Hughes,Woodbridge,1994,p.195-211;ainsiquelerecueilHeraldry,PageantryandSocialDisplayinMedievalEngland,éd.P.CossetM.Keen,Woodbridge,2002,dontN.Saul,«BoldasBrass:SecularDisplay in English Medieval Brasses», p. 169-194. On trouvera de très nombreuses photographies demonumentssurlesitehttp://effigiesandbrasses.com/.

Page 9: La noblesse et la guerre - menrvablog.files.wordpress.comCorrection dissertation – A. Destemberg 1 LA NOBLESSE ET LA GUERRE Indications bibliographiques complémentaires Martin AURELL,

Correctiondissertation–A.Destemberg

9

ou presque, font figurer une effigie, gravée ou en ronde bosse, parfois rehaussées depeinturesoudeplaquesdemétalgravées(lesbrassesdelaitonanglaises).Danscecadre,lesmonumentsdescombattants,issusdelanoblessemoyenneetpetite,adoptentlesmêmesconventionsiconographiques,quecesoitenAngleterreouàChâlons-sur-Saône,étudiéparSylvette Guilbert16: représentés en pieds et en priant, lesmains jointes sur la poitrine –parfoisaccompagnésdeleurfemme–,ilsportentarmesetarmuresetsontaccompagnésdeleursattributshéraldiques[cf.exempledesirHughHastings(†1347)étudiéparFrédériqueLachaud17].

B. LemiroirchevaleresqueLa culture chevaleresque est dominante dans les milieux nobiliaires, même s’il

convient de noter que noblesse et chevalerie ne sont pas synonymes: la chevalerie eststatut qui s’acquière, quand la noblesse est principalement une qualité qui s’hérite.Toutefois, les XIVe-XVesiècles sont marqués par un profond investissement de l’idéalchevaleresqueparlanoblesseaupointdetendreàunecertaineconfusion(volontaire)desdeux.Lemode de vie noble tend à se confondre avec la culture chevaleresque:MartinAurell parle de syntonie entre les deux notions.Or les valeurs chevaleresques sont avanttoutfondéessurlaprouesseguerrièreetsurl’honneurqui,s’ilestbafoué,doitêtrevengé.Les traités de chevalerie produits durant notre période entretienne la confusion entrenoblesseetchevalerie,telLivredechevalerie(v.1351)18deGeoffroydeCharny.GeoffroydeCharnyestunchevalierfrançaisprochedeJeanleBon,gardedel’oriflammeroyal(c’estencet office qu’ilmeurt à Poitiers le 19 septembre 1356), et probablement à l’origine de lafondationdel’ordredel’Étoile–nousyreviendrontdansuninstant.C’estàcetteoccasion,qu’il rédige ce traité de chevalerie tout entier consacré à la quête et à la défense del’honneur: c’est selon lui par la quête de l’honneur, que «viennent connaissance [larenommée],avancementd’état[lespromotions],profit,richessesetaccroissementdetoutbien[lafortune]».L’auteurnemasquepaslesprincipesdedéfensedelalignée,desamis,deshéritagesoulaquêtedesprofits,maislesconditionneàdesprincipesdevieascétiques,valorisantlamodération,commerefuserlescomportementsdangereuxoudégradants(tropmanger, tropboire, trop jouer, tropaimer la chasseet le luxe), éviter l’orgueil, lemépris,respecterl’honneurdesadame.Pourlui,onpeutobtenirlesalutdanslaguerre,sil’onestfidèleàcesprincipesetàsonseigneur.

Cemodèleestentretenuparune littérature courtoise et des romans de chevaleriequi puisent dans les modèles mythiques. En effet, aux XIVe et XVesiècles, les romans dechevalerieconnaissenttoujoursungrandsuccès.Troiscorpus,constituésprincipalementauxXIIe-XIIIe siècles, dominent toujours l’imaginaire chevaleresque: ce que l’on nomme la

16GuilbertSylvette,«Combattantspourl’éternité.ReprésentationsdecombattantssurlespierrestombalesdeChâlons-sur-Marne»,dansLeCombattantauMoyenÂge,Actesdu18econgrèsdelaSHMESP,Montpellier,1987,Nantes,1991,p.267-278[http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/issue/shmes_1261-9078_1991_act_18_1].17 Lachaud F., «La représentation des liens personnels sur les tombeaux anglais du XIVesiècle», dans Lienspersonnels,réseaux,solidaritésenFranceetdanslesîlesBritanniques(XIe-XXesiècle),éd.D.Bates,V.Gazeauetalii,Paris,2006,p.126-151. 18GeoffroydeCharny,[Lelivredechevalerie]TheBookofChilvalryofGeoffroydeCharny,éd.[textefrançais]ettrad.anglaiseR.W.KaeuperetE.Kennedy,Philadelphie,1996.VoirP.Contamine,«GeoffroydeCharny(débutduXIVesiècle-1356),“Leplusprudhommeetleplusvaillantdetouslesautres”»,dansPagesd’histoiremilitairemédiévale(XIVe-XVesiècles),Paris,2005[1992],p.171-184.

Page 10: La noblesse et la guerre - menrvablog.files.wordpress.comCorrection dissertation – A. Destemberg 1 LA NOBLESSE ET LA GUERRE Indications bibliographiques complémentaires Martin AURELL,

Correctiondissertation–A.Destemberg

10

«matièredeRome», regroupant lesgestesde l’Antiquité, leshauts faitsd’Alexandre– leRomand’Alexandre–,d’ÉnéeetdelaguerredeTroie;la«matièredeFrance»,regroupantprincipalementlagestedeCharlemagne;enfin,la«matièredeBretagne»,autourducyclearthurien.Lagestearthurienne,estencorelargementexploitéeparlesroisanglaisauxXIVe-XVesiècles, qui s’appuient dessus pour justifier un certain «impérialisme» anglais, maisaussipourmaintenirunecohésionsocialeautourduroi.Àcettefin,ÉdouardIerencourageladiffusion des romans arthuriens, notamment par des lectures en cour: il s’agit autant dedivertir,qued’inculquer l’idéalchevaleresquedanscequ’iladepluspur– lacourtoisie, laprouesse, la largesse, etc. Arthur est employé par les rois anglais pour souder l’élitearistocratiqueautourdel’idéalchevaleresque,parlamiseenavantd’unmodèled’harmoniesociale fondée sur le lien entre le roi et son aristocratie, symbolisé par la Table ronde.ÉdouardIII,parexemple,organisaenjanvier1344unegrandefêteàWindsoroùilannoncelafondationd’unordredelatableronde(avecunbâtimentpourl’abriter,quicommenceàêtre construit). Finalement, l’ordre chevaleresque d’Édouard, fondé quelques années plustard,en1348,s’appelal’ordredelaJarretière,maislesliensavecArthurrestenttrèsforts.

De fait, leshabitudeschevaleresquessontconsidéréescomme lemodedevienobleparexcellence:cesontd’abord lestournois,exaltationsde laprouesseetrépétitionde laguerre,mais aussi l’idéal de croisade. Le terme générique de tournoi recouvre en réalitétroisgrandstypesd’affrontementsselonJulietBarkeretRichardBarber:lesmêlées,c’est-à-dire les tournois proprement dits, «combat disputé par deux équipes de chevaliers, soitdanslanature[pasaprèsleXIIIesiècle],soitàl’intérieurd’unespaceclos:lalice».Cetyped’affrontementdisparaîtàlafinduXIVesiècle;lestournoisd’entraînement,oubéhourds,surlesquels on dispose de peu d’informations, «probablement parce qu’il s’agissait d’unévénement improvisé, sans cérémonies, contrastant avec l’organisation beaucoup pluspousséedutournoi»;lesjoutes,apparuesàlafinduXIIesiècleetopposantdeuxpersonnes.AuXVesiècle,une formesophistiquéede jouteapparaît, lepasd’arme.Audépart, il s’agitd’un«passageoulieudéfenduparunchevalierqu’onnepouvaitfranchirsanscombattre»[cf. développements dans le Cours n°4]. La plupart de ces événements théâtralisésconcernaientavanttoutlanoblesse,surtoutenFranceetenAngleterre,etconstituaientunmoment de valorisation de l’aristocratie.Mais dans certaines régions, la participation estbeaucoup plus large: c’est particulièrement le cas des Pays-Bas, où les tournois urbainsrevêtent une grande importance dès la seconde moitié du XIIIesiècle et ce d’autant plusqu’ilssontgénéralementorganisésdemanièrerégulière,chaqueannée.

Croisade. La perte définitive de la Terre sainte en 1291 n’a pas altéré l’idéal decroisade qui anime la noblesse durant notre période (cf. Jacques Paviot, «Noblesse etcroisadeàlafinduMoyenÂge»,Cahiersderecherchemédiévaleethumaniste,13(2006),p.69-84),toujoursvéhiculéparlesrécitsanciensquipeuplentlesbibliothèquesnobiliaires.Les terres où l’ont se croise sont toutefois autres: l’Europe de l’Est et duNord, avec descroisadesenHongrie (1314,1325,1332,1335,1352et1354),Pologne (1325,1340,1343,1351, 1354, 1355, 1363 et 1369), la Prusse où les nobles occidentaux vont rejoindreponctuellement l’ordre Teutonique combattant les Lituaniens, jusqu’à la défaite deTannenberg (1410); enMéditerranéeorientale, dont la fameuse croisadedeNicopolis en1396, pour laquelle il ne manqua aucun représentant des grandes familles françaises, àRhodes(1440et1444)ouChypre(1426).Ledésird’userdesarmespourlafoi,d’allierquêted’honneurguerrieretdusalutchrétienpersiste:ilsuffitdementionnerlevœucollectifdedépartàlacroisadeprononcéparleducdeBourgogne,PhilippeleBon,etl’ensembledeseschevaliersde laToisond’or, lorsdubanquetdeFaisanen1454.Ouencore leparcoursdu

Page 11: La noblesse et la guerre - menrvablog.files.wordpress.comCorrection dissertation – A. Destemberg 1 LA NOBLESSE ET LA GUERRE Indications bibliographiques complémentaires Martin AURELL,

Correctiondissertation–A.Destemberg

11

maréchaldeBoucicaut(JeanII leMeingre,1366-1421)quiréalisapar3fois le«voyageenPrusse»entre1382et1391, fut frustréque le roiCharlesVne l’autorisepasàpartirà lacroisadedeBarbarie,dirigéeparleducLouisdeBourbonen1390,puissuivitlefuturducdeBourgogne, Jean sans Peur, en 1396 dans son «voyage de Hongrie», puis la croisade deNicopolis contre les Turcs, enfin à Constantinople en 1399 à la demande de Charles VI, àChypreen1403.

Reculdesadoubements.Ilfauttoutefois,encoreunefoisnepasidéaliserlavigueurdel’idéalchevaleresqueauseindelanoblesse.Peut-onparlerdedéclin,néanmoins,commeJohanHuizinga,danssoncélèbrelivreL’automneduMoyenÂge,paruen1919,danslequelilsoutenaitl’idéequ’auxXIVeetXVesiècles,onétaitfaceàune«illusiondelachevalerie»,nerésistantplusàlaréalitésociale,maistrouvantrefugedansuneculturecompensatoirefaitede littérature,de fêtesetde jeux,célébrant toujoursun idéaldeviehéroïquequin’auraitplusfaitillusionendehorsdelapetitecastequisereconnaissaitenelle19.Sansentrerdanslesdébatsquiopposent leshistoriens (MauriceKeen, JulietetdeMalcolmValevoientunmaintiende la chevalerie quandNigel Saul et PhilippeContamineosent parler dedéclin),intéressons nous aux chiffres de l’adoubement, cette entrée en chevalerie par un ritemilitaire:vers1300onpeutestimerqu’1/3desnoblesfrançaissontchevaliers, ilsnesontplusd’15%vers1500.Rappelonsqu’enAngleterre,ladistraintofknighthood,instauréedès1242, obligeait les gentilshommes ayant un revenu suffisant à payer une forte taxe s’ilspersistaient à refuser l’adoubement. Pourtant, en 1436, un recensement des revenusnobiliaires montre que l’on dénombrait seulement 933 chevaliers, pour 1200 écuyers et1600gentlemen20. En1474, seuls21,5%desnoblesbourguignons sontadoubés.De façonpratique,lacrisedesressourcesnobiliairesfutunparamètreessentiel,détournantnombredereprésentantsde lapetiteetmoyennenoblessedes lourdesdépensesquereprésentaitun adoubement. Néanmoins, si l’on voit dans la chevalerie une phénomène culturelfondateurdeladominationnobiliaire,dont lesromanssontunvecteuressentiel,forceestdeconstaterquelesXIVeetXVesièclesmarquentplutôtunsuccèsdelachevalerie,dontlesprouessessontdiffuséesau-delàdelaseulearistocratieguerrière.

C. Ledroitdeguerre:uneculturecommunedelaviolence?

L’historienHowardKaminskyparled’un«droitàfairelaguerre»quiseraitunprincipe

intrinsèque de la culture nobiliaire. Il s’agit en fait d’une autonomie que revendique lesnoblesàuserdelaforceselondesraisonsquileurssontpropresetquivisentàmanifesterleur culture nobiliaire: ce sont d’abord lesguerres privées. JacquesdeHemricourt (1333-1403),notaire-secrétairepourl’échevinagedeLiègedanslesannées1350-1370,rédigeainsiunedoubleœuvreintituléeleTraitédesguerresetleMiroirdesnobles,produitundiscourspro-nobiliairedanslequellafaideconstituelepropredelanoblesse,uneexpressiondesonidentité, contre une législation urbaine qui cherche à rendre illégitimede telles pratiquesviolentes de la part de son aristocratie nobiliaire. Cette tendance est globalementgénéralisable:unetensionentreuneculturenobiliairepourlaquellelefaitsdeguerreestunfondement identitaire, et une culture d’État – au sens large, concernant tout type degouvernementfondésurlapratiquedudroitetsonadministration–quitendaitàconsidérerà la fois comme illégitime toute guerrequi n’était pas étatique, notammentparcequ’elledétournait les ressources militaires d’un usage au profit de l’État. De fait, durant notre 19HuizingaJ.,L’automneduMoyenÂge,trad.J.Bastin,Paris,1932,rééd.1975[1919],p.108.20HarrisG.,ShapingtheNation:England1360-1461,Oxford,OxfordUniversityPress,2006,p.138

Page 12: La noblesse et la guerre - menrvablog.files.wordpress.comCorrection dissertation – A. Destemberg 1 LA NOBLESSE ET LA GUERRE Indications bibliographiques complémentaires Martin AURELL,

Correctiondissertation–A.Destemberg

12

période,lapratiquedesguerresseigneurialesetprivées,toujoursimportante,aussibienenFrance qu’en Angleterre ou dans les marges de l’Empire, constitua autant une forme demanifestationidentitairedelaculturedeguerrenobiliaire,qu’uneformederésistanceàlacultured’Étatdelapartdecettenoblesse.

L’historienneJustineFirnhaber-Bakerquis’estpenchéattentivementsurcesquestionsdeguerresprivées(faidesproprementdites,fondéessurunsystèmedeviolencecycliqueetvindicatoire)ouguerresseigneuriales(luttespolitiquesderevendicationsd’unedominationterritoriale, à propos d’un héritage, de la possession d’un château, du mariage d’unehéritière,d’undroitàexercerlajusticeouàcollecterdestaxes,etc)enarecenséplusieursdizainesdanslesuddelaFranceentre1300et140021.

EnAngleterre,lesguerresprivéessontégalementfréquentesdurantnotrepériode,enparticulierenpériodedecrise.Unexemplecélèbreestceluidelaguerreendémiqueentreles Percy et les Neville au XVesiècle, issu d’une rivalité séculaire entre ces deux grandesfamilles du nord du pays pour le contrôle de la région22. Il faut noter que la violencenobiliaire n’est jamais complètement endiguée et participe finalement de la structurationsociale,etceciàplusforteraisondanslesMarchesoùl’attitudedupouvoirroyalàl’égardde ces conflits pouvait être ambiguë, la royauté n’ayant pas toujours intérêt à lesrestreindre.EnIrlande,parexemple,leproblèmedesguerresprivéesdesmagnats,estliéengrandepartieàleurpuissancemilitaire,indispensabledupointdevuedelacouronne,pourlaluttecontrelesIrlandais.Celle-cin’adoncpasvraimentlechoix,mêmesidansleprincipe,laguerreprivéeestinterditedanslesterritoiresdominésparlacouronne.Cettedernièreacependant toujours cherché à limiter les effets pervers de la puissance militaire desmagnats, en la détournant notamment vers des objectifs extérieurs. À la fin du XIIIe et audébutduXIVesiècle,enparticulier,lesmagnatsserventsouventcontrelesÉcossais,voiresurlecontinent.Maiscettepolitiquen’estpassanseffetspervers.Car l’absencedesmagnatsd’Irlande permet aussi aux Irlandais de reconquérir certains territoires et de contribuer àl’instabilitépolitiquedel’île.C’estaussipourcetteraisonqueleseffortsdelacouronnepourlimiter les guerres privées entre anglo-irlandais ne sont pas constants. Pourtant, enAngleterre, la guerre privée est théoriquement interdite depuis l’arrivée des Normands,même si en réalité, le pouvoir royal a longtemps laissé faire. Au milieu du XIVesiècle,cependant, lepointdevuedupouvoir royalévolue:unstatut royald’Édouard IIIde1352assimile la guerre privée à une trahison23. ÉdouardIII veut alors concentrer toutes lesénergiespourlaguerrecontinentaleetagitdoncpourconstituerunmonopoleétatiquedel’usage de la violence guerrière. La persistance des guerres privées au XVesiècle, enparticulierdurant laguerrecivile,montrecependantàquelpointcettemonopolisationestloind’êtreentière.

EnFrance,lespremièresinterdictionsdesguerresprivéessonténoncéesen1258parSaintLouis:influencéparlesprincipesdelapaixdeDieu,ilconféraitparunéditledroitauParlementde jugertoutnoblequiseseraitadonnéàcettepratique.Cette interdictionfutrepriseparPhilippeleBelquisacontentedelarépéter,maisenfaisantévoluerlediscoursdejustification: laréférenceausacrétendàs’effacerpourêtresubstituéparlesnécessité

21Firnhaber-BakerJ.,«SeigneurialwarandroyalpowerinlatermedievalsouthernFrance»,PastandPresent,208,2010,p.37-76;Firnhaber-Baker J.,«FromGod’speace to theKing’sorder: latemedieval limitationonnon-royalwarfare»,EssaysinMedievalStudies,23,2006,p.19-30.22A.Pollard,«Percies,NevillesandtheWarsoftheRoses»,HistoryToday,43/9,septembre1993[en ligne:http://www.historytoday.com/anthony-pollard/percies-nevilles-and-wars-roses].23Cf.J.Bellamy,TheLawofTreasoninEnglandintheLaterMiddleAges,Cambridge,1970.

Page 13: La noblesse et la guerre - menrvablog.files.wordpress.comCorrection dissertation – A. Destemberg 1 LA NOBLESSE ET LA GUERRE Indications bibliographiques complémentaires Martin AURELL,

Correctiondissertation–A.Destemberg

13

dubiencommunduroyaume.À lafindesonrègne,Philippe leBelappuie lapratiquedes«asseurements»,c’est-à-diredespromessesdeconduitepacifiqueentredeuxadversaires,enregistréesdevant la courde justiceduParlement.RichardW.Kaeuperamontréque larépressiondesexactionsdesseigneursdanslecadredelaguerreprivéeavaitétél’unedesactivités lesplus importanteduParlement sous le règnedePhilippeV24. Sous le règnedeJean leBon, lagénéralisationde l’interdictionest liéeà lanécessitéde réguler laviolenceprégnantedansleroyaume.L’effortdéveloppéparlaroyautécontrelesforteressesprivées,considéréescommedesmenacesintérieures,estàreplacerdanscecontexte:depuisSaint-Louis,leroin’hésitaitpasàfairedémantelerleschâteauxdeceuxquiavaitétécondamnésparleParlementpourlapratiquedelaguerreprivée.Aveclamiseendéfenseduroyaume,au XIVesiècle, dans le contexte de la guerre de Cent Ans, les forteresses devinrentessentiellescontreunennemidésormaisextérieur.CharlesVimposadoncquelescapitainesrégionauxs’emparentdesforteressesdontlespropriétairessemontreraientrécalcitrantsàlaparticipationàlaguerreduroi.

Commel’asoulignéHowardKaminsky,lesseigneursfrançaisontlargementrésistéet

ont réitéré à de nombreuses reprises leur droit à faire la guerre, par exemple durant lesliguesnobiliairesde1314-131625.

Lesliguesnobiliairesetlesguerrescivilesconstituentdesécheveauxhistoriquesqu’ilest bien difficile de dénouer avec clarté, tant les causes et modalités sont multiples etimbriquées.Soulignonsd’emblée,quelesdeuxguerrescivileslesplusimportantesdenotrepériode – les plus longues en tout cas – sont la guerre entreArmagnacs et Bourguignonsd’une part et la guerre des Roses d’autre part, se sont accompagnées demanifestationspropresauxguerresprivées.Mais,danslaperspectivequiestici lanôtre,ilestintéressantdelessituerdansuneformedemanifestationviolentederésistancedelaculturenobiliaireauprogrèsdel’État.

L’exempledelaliguedesbaronsde1314-1315estdecepointdevuesignificative.Elleprendsonoriginedans la tentativederépressiond’uneguerreprivéeentre lescomtesdeFoixetd’Armagnac:PhilippeleBelrappelleenjuillet1314l’interdictiondesguerresprivées,puisenoctobrel’interdictiondestournois,tandisqu’ilobtientdel’assembléedesÉtats,enaoût, la levée d’une aide financière exceptionnelle pour la guerre du roi (fiancée par unetaxe de 6d./livre sur toute transaction financière). L’ensemble de ces ingrédients,caractéristique de la monopolisation par l’État des ressources guerrières, conduit à laconstitutiondeliguesnobiliairesquifontplierleroi,quisupprimelataxe.Autreexemple–àdéfautdepouvoir lesdéveloppertous–à l’autreextrémitédenotrepériode, laguerreduBienpublic(1463-1465)26.LouisXIavait inaugurésonrègne,en1461,parunesuppressiondesprivilègesfiscauxdelanoblesse,notamment,etunediminutiondespensions.Leprieurdu couvent de Sainte-Catherine-de-la-Couture, dans son journal, résumait ainsi lesrevendicationsdeceuxquiavaientprislesarmescontreleroien1465,lorsdelaguerredu

24RichardW.Kaeuper,Guerre,justiceetordrepublic…,p.221-258.25Kaminsky 2009. Sur les ligues nobiliaires, voir E. Brown, «Reform and resistance to royal authority infourteenthcenturyFrance: theLeaguesof1314-1315»,Parliaments,EstatesandRepresentation, t.1,1981,p.109-137.26Cf. J. Krynen, «La rébellion du Bien public (1465) », dansOrdnung und Aufruhr imMittelalter, dir.M. T.Fögen, Ius commune, Sonderhefte, 70, 1995, p. 81-97;M. Rimboud, «La paix du bien public : démesure etmarchandages(août-novembre1465)»,dansLaguerre, laviolenceet lesgensauMoyenÂge,t. I :Guerreetviolence,dir.P.ContamineetO.Guyotjeannin,Paris,1996,p.333-344.

Page 14: La noblesse et la guerre - menrvablog.files.wordpress.comCorrection dissertation – A. Destemberg 1 LA NOBLESSE ET LA GUERRE Indications bibliographiques complémentaires Martin AURELL,

Correctiondissertation–A.Destemberg

14

Bien public: «Que les nobles soeint remis en preeminences, prerogatives, honneurs etsoientmaintenusenicellesetentouteslibertésetfranchises».

Ces deux exemples illustrent parfaitement le fait que cette culture guerrière de lanoblesseapumals’accommoderdelatentativedel’Étatroyaldes’arrogerlemonopoledel’usage des armes: commedans l’opposition entreArmagnacs et Bourguignons, il existaituneconfrontationpolitiqueentrelespartisansd’unÉtatsfort,fondésurunefiscalitéetunejusticeefficaceet reposant sur la sujétionde tous, faceàdespartisansd’unÉtat restantféodal, au sein duquel l’administration étatique serait réduite et ainsi ses financesmoinsgourmandes, et où les relais de l’autorité resteraient une noblesse autonome dans sesdomaines,sansirruptionsdesofficiersdejusticesoudefinancesroyaux.Onestlà,aucœurdel’idéededéveloppementdel’Étatmoderne.II.Lanoblesseàl’épreuveduservicedesarmes

Disonsleenpréambule:traditionnellement,laplacedelanoblessedanslaguerreestà cheval. Elle constitue le cavalerie, peuplée de chevaliers et d’écuyers, l’essentiel des«hommesd’armes»,quand leshommesdepiedssont trèsmajoritairementconstituésdenon-nobles. Des nuances peuvent néanmoins être introduites: il n’est pas impossible detrouverdesnon-noblesparmi leshommesd’arme,demêmequecertainsnobles, souventinsuffisamment fortunépouracquérir l’équipementde l’hommed’arme,serventparmi lesarbalétriersouarchers.Cetteprécautionétantposée, l’associationhommed’arme=nobleresteglobalementvalide.

A. Lerecrutementnobiliaire

Système féodal.Pardéfinition, lesystèmeféodalderecrutementmilitaire,fondésurla possession d’un fief, puisait principalement dans les contingents nobiliaires: c’étaitl’essencedusystème.Danscesystèmeféodal, laprincipaleobligationenmatièremilitaireétait le service d’ost (writ): il s’agissait d’un service dû par le vassal à son seigneur, unservice armé gratuit à la seule charge du vassal. Sa pratique s’était toutefois vueréglementée au cours du XIIIe siècle: en Angleterre, en Écosse comme en France(Établissements de Saint Louis, vers 1270), les vassaux furent astreints au service d’ostdurant seulement 40jours par an, la prolongationdu service n’étant renduepossible queparlevolontariatduvassalouunerémunérationduseigneuràpartirdu41ejour.Unrachatétaittoutefoispossible:c’estcequ’onappellel’écuage,unecontributionfinancièrevenantse substituer à un service actif, déjà particulièrement fréquent au XIIIesiècle. Lorsque lesvassaux –notamment les vassaux royaux – étaient des évêquesoudes villes, ils devaientcontribuerenfinançantdeshommesd’armes.

Il convient toutefoisdeporterun regardnuancé sur cetaspect car lanoblessen’estpasunblocmonolithe: dès ledébutdenotrepériode,XavierHélary rappelle au sujetduservice militaire du roi que «tous les nobles ne réagissaient pas de la même façon auxdemandesduroi.Leurdegrédeproximitéavecleroiconditionnaitleurréaction.Lesvassauxdirects,petitsetmoyens, servaient,degréoude force,parcequ’ils le voulaientouparceque lebailli l’exigeait.Certainsd’entreeuxétaientpensionnésduroi,avec lesfiefs-rentes.Leshautsbaronsservaienteuxaussi,parcequeleurhonneurétaitenjeu,etaussileurplace

Page 15: La noblesse et la guerre - menrvablog.files.wordpress.comCorrection dissertation – A. Destemberg 1 LA NOBLESSE ET LA GUERRE Indications bibliographiques complémentaires Martin AURELL,

Correctiondissertation–A.Destemberg

15

danslasociétépolitique.Pourceuxquin’étaientnidehautsbaronsnilesvassauxdirectsduroi,ouquandl’obligationdeservirétaitabsente,danslecasdescroisadesparexemple,leschosesétaientpluscomplexes»27.

DèslasecondemoitiéduXIIIesiècle,leserviced’ostsemontredoncdemoinsenmoinsadaptéauxguerresduroi:lourdàactiver–ilexistaitunemultitudedevariationduserviceféodal, certains vassaux ne devant ½ ou ¼ du service normal – et peu efficace – lescontingentséteintsouventpetits,peuexpérimentés–,troplimitédansletempsetparfoismême limitégéographiquement– lesvassauxétantdemoinsenmoins tenusdeservirendehorsdeleurrégiond’origine28.Defait,audébutdenotrepériode,leroiyrecourtdéjàdemoins en moins ou en l’assortissant, au moins en partie, d’une solde. Lors des guerresgalloises,parexemple, lesarméesd’Édouard Iersontmixtes,unepartie issuede l’ost,uneautrepartiesoldée:encoreàcettepériode, laplupart lesgrandsnoblesmettentunpointd’honneurà refuser lessoldesetcombattentà leursdépens29.Parexemple,audébutdesguerres écossaises et notamment pour l’expédition de 1300, 23 bannerets sur 87 sontsoldés.Mais la dernière levée d’ost en Angleterre a lieu en 1327: à cette date, la hautenoblesses’estelleaussiconvertieàlasolde.EnFrance,l’évolutionestsimilaire.En1272,laconvocationdel’ostparPhilippeIII–pourmeneruneexpéditioncontrelecomtedeFoix–estconnuparl’existencedelistesétudiéesparPh.Contamine:surles2750chevalierqueleroipouvaitespérer30, seuls672sesontprésentés,etauseindecesderniersprêtde40%étaientdeschevaliersremplaçantlevassalconvoqué31.LeroideFranceessaya,en1274,demettreenplaceunsystèmed’amendes,maissonefficacitéfutdemoindremesure:aveclescampagnesdePhilippeleBelenFlandre,lerecrutementstrictementféodalestdéjàdevenuminoritaire.Ilfauttoutefoissegarderdeparlerdedisparitiondeceprincipeféodal:ilresteemployétoutelapériode,enBrabantnotamment.

Latransformationduserviceféodalenservicesoldéaboutiàlamiseenplace,danslesannées1280-1290,enAngleterrecommeenFrance(sousPhilippeleBel),ausystèmedelasemoncedesnobles. Il s’agit toujoursd’unserviceobligatoire,quiconcernetoutnobleetpossesseurdefief,âgéentre15et60ans,qu’ilsoitounonvassaldirectduroi.Justifiéparlanécessitéd’allégeanceauroi(enAngleterre,onlenommewritquantopotentiuspoteritis)etdedéfenseduroyaume(enFrance),sonnon-respectpouvaitconduireà laconfiscationdufiefetàlasaisieducorps;maisencontrepartie–etc’estcequifaitdifférercesystèmeduservice féodal classique –, les nobles recevaient une solde dès leur premier jourd’engagement. En Angleterre, les statuts de Winchester (1285) imposèrent ainsi que lesnobles ayant des revenus supérieurs à 40£ à servir comme chevalier, et ceux ayant unrevenusupérieurà20£commehommesd’arme.Pourenrenforcer l’efficacité,Édouard IIétablit, en1324,quedans chaque comté, les sheriffs dressentdes listesdes chevaliers ethommesd’armedisponibles.Maiscesystèmeconnaîtrapidementlesmêmestraversqueleservice féodal: en 1342, Philippe VI autorisa ceux qui étaient convoqués à racheter leservice.Lesroisanglaisabandonnefinalementrapidementcesystème:ladernièresemonce 27XavierHélary,«Servir?Lanoblessefrançaisefaceauxsollicitationsmilitairesduroi(findurègnedeSaint-Louis, fin du règne de Philippe le Bel», Cahiers de recherches médiévales, 13(2006), p.21-40.[http://crm.revues.org/745]28Ainsi,àpartirde1272,lesToulousainsrevendiquentdeneservirqu’àl’intérieurducomtédeToulouse;en1315,c’estautourdeChampenoisd’avoirlemêmetypederéclamation:Contamine[1992],p.181.29Cequin’apasempêchélesguerresgalloisesdecoûtertrèscheràÉdouardIer[chapitre6].30Ph.Contamine (Francia, 4 (1976), p.255-285)estime entre 5 et 10000 le nombre de chevaliers dans leroyaumedeFranceen1300.31Contamine[1992],p.179-181.

Page 16: La noblesse et la guerre - menrvablog.files.wordpress.comCorrection dissertation – A. Destemberg 1 LA NOBLESSE ET LA GUERRE Indications bibliographiques complémentaires Martin AURELL,

Correctiondissertation–A.Destemberg

16

anglaisedatede138532.En revanche,elleperdureenFrance jusqu’à la finde lapériode:Charles VII et Louis XI, alors même qu’ils mettent en place une armée permanente,recourentencoreàlasemoncedesnobles.

Enfin, il convient d’évoquer la persistance du volontariat, qui apparaît en partiecommeuntraitdelaclassechevaleresque:commeleditPh.Contamine,cesontfinalementtoujours les mêmes milieux qui fournissent l’essentiel de la cavalerie lourde, et si lesmodalitésdeserviceschangentcertainstraitsdelamentalitéféodalerestent33.

Contractualisation. La tendance majeure de la période est celle de lacontractualisationdesrecrutements:descombattants,volontairesouobligés,sontretenusà gages, selon un principe d’accord entre eux et le seigneur recruteur. Ces accords sontgénéralementformalisésparundocument,quel’onnommelettrederetenueenFranceetendentureenAngleterre.Lescontratsderetenuesontemployéspar leroiautantqueparlesseigneursetnesontpasseulementutiliséspourlescampagnesroyales,maissontaussiàlabasedesarméesprivées.Lespremierscontratsd’endenturessontattestésdèslesannées1270etutilisées lorsdecampagnesgalloisesd’ÉdouardIer,mais leprincipeestpeuutilisélorsdescampagnesd’ÉdouardIII,avantdedevenir,auXIVesiècle,lanormedanslesarméesroyalesd’HenriVqui sontentièrementorganiséespar le systèmed’endenture. En France,leslettresderetenueapparaissentdanslesannées1340etsegénéralisentdansladeuxièmemoitié du XIVesiècle. Plus tardive que les endentures anglaises elles sont aussi un peudifférentes:commelesoulignePh.Contamine,«leslettresderetenuefrançaises[…]n’ontpasl’apparenced’uncontrat,leursclausessontmoinsprécises,etsurtoutellesnefixentpasla duréede l’engagement: celui-ci se limite à la seule duréeduprêt, c’est-à-dire, dans lameilleuredeshypothèses,àunmois»34.

Ils’agitdecontratsgénéralementtemporaires–laduréeàvieexistecependant–denatureréciproque(ousynallagmatique)engageantchacunedespartiesàdesdroitsetdesobligations l’une vis-à-vis de l’autre. Le retainer voit ses obligations de service fixéespréalablement,laduréeetlanaturedescampagnesauxquellesildoitparticiper,lenombreet l’équipement des hommes qui doivent constituer sa «retenue» – on y revient. Encontrepartie, le lord s’engageà lui verserunesoldedont lemontantest fixé–etvariableselon que l’on soit en temps de guerre ou en temps de paix–, des avantages en nature(nourriture),etfixeaussiledédommagementpourleschevauxperdus(restor)etlapartdubutinetdesrançonsquireviennentàsonretainer.Cepaiementestqualifiédefee,c’est-à-direunfief,mêmesicelan’apasgrandchoseàvoiravecunfief:c’estengénéralunerenteperçuesurundomainedu lord,maisquin’estverséequependant laduréeducontrat.Lepaiementestainsitrèsvariable,selonlanatureduserviceaccompli,maisl’argentestlabasepremière,lamatérialisationdesliensde«féodalitébâtarde».Pourautant,certainsréflexesdelaféodalitén’ontpasdisparus:ainsi,legoodlordship(«bonneseigneurie»)–quiprévoitqueleseigneurapporteaussiprotectionfaceàlajustice,facilitel’accèsauxofficesouàune

32Cf.N.B.Lewis,«Thefeudalsummonsof1385»,EnglishHistoricalReview,100,1985,p.729-746.33Cf. P. Contamine: «C’est pourquoi on ne saurait conclure de la seule désagrégation de l’auxilium féodaltraditionnel, de plus en plusmarginalmême quand il s’agit d’une petite opération, à la faillite de la classechevaleresque au sens large: en France et en Angleterre, vers 1300, ce sont toujours les mêmes milieux,imprégnés des mêmes réflexes et de la mêmementalité, qui fournissent l’essentiel de la cavalerie lourde,même si lesmodalités de leur service et les bases juridiques etmorales des obligations auxquelles ils sonttenussesontassezlargementmodifiés»(Laguerre,p.204).34Contamine1972,p.64.

Page 17: La noblesse et la guerre - menrvablog.files.wordpress.comCorrection dissertation – A. Destemberg 1 LA NOBLESSE ET LA GUERRE Indications bibliographiques complémentaires Martin AURELL,

Correctiondissertation–A.Destemberg

17

terre –, est un aspect essentiel de cette «féodalité bâtarde», au point que certainesendenturesneprévoientmêmepasderétributionenargentauretainer,maisseulementcegoodlordship(etlesendenturessansfeesemultiplientauXVesiècle)35.Cesretenuesontdestailles très variables: le plus souvent, les grand magnats ont des retenues importantes,pouvantallerjusqu’àplusieurscentainesdepersonnes.Maislaplupartdutempsils’agitdequelques dizaines de personnes, voirmoins pour les seigneurs demoindre importance36.Cette diversité se retrouve dans les structures des armées en campagne: en 1359, parexemple, dans l’armée anglaise, la retenue du prince de Galles comptait environ1500personnes – une armée dans l’armée – côtoyant de nombreuses retenues d’unedizainedepersonnesentout37.

Des soldes représentatives de la hiérarchie. Dans les armées du roi de France,commedansceuxdeBourgogne,l’échelledesgagesreflétaitlahiérarchiesocialeautantquemilitaire, avec le schéma global suivant: le chevaliers banneret étaient lemieux payés –noterqu’ilaaussiunedomesticitéàentretenir–,soitledoubled’unsimplechevalier,quatrefoisplusqu’unécuyerousimplehommed’armeet20foisplusqu’unhommedepieds.

Solde

journalièreChevalierbanneret

Chevalier Écuyerouhommed’arme

Hommedepieds

Archer

France38 1294 20s.t. 10s.t. 5s.t. 1s.t.

1315-1320 15s.t. 1s.t. 1340 6s.-7s.6d. 2s.t. 1351 40s.t. 20s.t. 10s.t. 2s.6d. 1369 40s.t. 20s.t. 10s.t. 5à10s.t.1410 3s.4d.

1440-1470 2s.8d. Angleterre

XIVe-XVes. 2s.st.(soit12s.t.)

1s.st.(soit6s.t.)

6d.st.(soit3s.t.)

3d.st.(soit1s.6d.

t.)Bourgogne

XVes. 40s.t. 20s.t. 10s.t. 5s.t.

Effectifs: Il ne faut donc pas trop vite associer installation d’un système derecrutementcontractuel,àpartirduXIVesiècle,etreculmassifdurôlede lanoblesse:ducôtéfrançaisPh.Contaminenoteaucontraireque lapériode1340-1380vitsansdouteun

35Cette notion degood lordship a été fort bien analysée par RosemaryHorrox dans son livreRichardIII: AStudyinService,Cambridge,1989.36Ainsi,mais celle de JeandeGandest exceptionnelle: 170 retainers par endenture en tempsdepaix, 500personnes en tant de guerre – cela est considérable. Les retenues«militaires» de Thomasde Lancastre audébutduXIVesiècle,oud’HenrideGrosmont,lebeau-pèredeJeandeGand,tournentautourde50chevaliers.CelledeNeville,àvoirsesobligations,compterait5-6personnesentempsdepaix,etunevingtaineentempsde guerre (sauf pour la guerre d’Écosse, àmoins qu’il ne recrute son armée au-delà de sa retenue). Et l’ontrouvedesretenuesencorepluspetitesauserviced’importantsgentlemen(mêmesicelaestplusrare).37Ayton1994,p.31.38Àtitredecomparaison,lesalairejournalierd’unouvrierqualifiéestde1s.6d.t.en1320,3s.6d.t.en1350etautourde4s.t.entre1380et1470.

Page 18: La noblesse et la guerre - menrvablog.files.wordpress.comCorrection dissertation – A. Destemberg 1 LA NOBLESSE ET LA GUERRE Indications bibliographiques complémentaires Martin AURELL,

Correctiondissertation–A.Destemberg

18

investissementnobiliairemassifdans lesguerresduroi: ildénombre30000noblesgagésdurant les guerres de Philippe de Valois; entre 1386, ils sont encore entre 10 et 20 000,mobilisésparlasemonce.

Deux nuances à apporter donc: 1/ l’armée du roi de France a toujours été pluspourvue en chevaliers que l’armée anglaise, elle même plus conséquente que l’arméeécossaise, exemple: à Bannockburn (1314), l’armée d’Édouard II comptait entre 1300 et2000 hommes d’armes pour probablement un peu plus de 10 000 hommes de pied, soitmoins de 20%, quand celle de Robert Bruce comptait 500 hommes d’armepour environ5000piétons,soit10%environ;àCrécy(1346),ondénombrecôtéfrançais12000hommesd’arme,pourautantdepiétons(50%),faceà2800hommesd’armeanglaispouruneeffectiftotal de 13500 combattant, soit 20%; à Poitiers (1356), les proportions sont plus fortesencore avec des contingents de Jean le Bon composés de 8 000 hommes d’arme pour3000hommes de pieds, soit 2/3 de cavaliers sans doute nobles; côté anglais, 3 000hommesd’armepour3000piétons(50/50).2/Parlasuite,lepourcentagedenoblesdanscescontingentstendàreculercarlesystèmedesretenuespermetdes’associerlesservicesdepluslargescatégoriessocialesquelesystèmeféodaleclassique;mais,si lapartglobaledelanoblesseestenretrait,la«féodalitébâtarde»seconstruitprincipalementauprofitdelanoblesseguerrière,c’estellequiconstituelesretenuelesplus importantesetquifournide fait les contingents. Dans tous les cas, la noblesse reste au sommet de la hiérarchiemilitaireetlesbatailles,retenuesoulances,quistructurentlastratégiemilitairesontelles-mêmes structurées autour de capitaines qui sont issus de la noblesse. Sans doute, est-cecependant une période de valorisation de la petite et moyenne noblesse: c’est ce quemontre la prosopographie réalisée par Ph. Contamine des capitaines des armées deCharlesV39. Cela estmoins vrai en Angleterre où l’on note un recul plus important de lacontribution noble à la guerre, au point que Nigel Saul n’hésite pas à parler de«civilianisation» de la noblesse, c’est-à-dire du développement de carrières civiles audétrimentdescarrièresmilitaires.

Enfin,lorsdelamiseenplacedesarméesdemétier,àpartirdumilieuduXVesiècle,

onnoteunretourmassifdelanoblessedanslesrangsdesarméespermanentes.Sil’onencroit les chiffres fournis par Ph. Contamine dans les années 1460-1470, les compagniesd’ordonnancessontcomposéesquasiintégralementdenoblesdontà30%issusdelahautenoblesse,proportionquitendàs’accroitredanslesdécenniessuivantes.Lesfrancs-archers,créésenavril1448,parCharlesVII,qui jouèrentunrôle importantdans lareconquête,enparticulierenNormandie,sontengrandemajoritédesnobles:en1465,60%descapitainesdesfrancs-archerssontdesnobles,77%en1475.

B. Combattrenoblement,unmodèledésuet?

Il faut iciaborder lesévolutionsdans lesfaçonsdefaire laguerre, leschangementsde stratégiemilitaire et leur impact sur une conception chevaleresque de faire la guerre.Comme le souligne Nigel Saul: «L’essence de la chevalerie médiévale se trouvait dansl’ensemble des valeurs humaines gouvernant la conduite de la guerre et fondées sur leprincipedel’auto-préservationparmileschevaliers.Jugéeàcetteaune,onpeutdirequela

39Contamine1972,t.2,p.590-591.

Page 19: La noblesse et la guerre - menrvablog.files.wordpress.comCorrection dissertation – A. Destemberg 1 LA NOBLESSE ET LA GUERRE Indications bibliographiques complémentaires Martin AURELL,

Correctiondissertation–A.Destemberg

19

chevalerie a commencé à décliner plus tôt que l’on ne le suppose parfois. Les premierssignesd’unebaissed’unrespectmutuelentreleschevaliersdanslaguerresetrouventàlafinduXIIIeetauXIVesiècles,etnonauXVe,périodelaplussouventassociéeaudéclin»40.Ledéclindelaguerrechevaleresque,cellequiexaltelesvaleursnobiliaires,selitdanslereculdurôlestratégiquedelacavalerie/chevalerie.Ilsuffitderappelerlechocquefutlabataillede Courtrai (1302) qui vit la fine fleure de la chevalerie française taillée en pièce par lesmilicesurbainesbrugeoisesetleurspiques(goedendag).MêmeenAngleterre,unechansonpleurait:«Icisontdétruitsdansunefosselescomtesetlesbaronsettousleschevaliers.[…]Hélas, pauvre France! Maintenant il t’es possible de voir l’ignominie, puisque quelquesfoulonst’ontassagie».LachroniquedelabataillerédigéeparleprêtrebrabançonLodewijkVanVelthemvers 1310 raconteque lorsqueRobert d’Artois fut pris il s’écria: «Je suis lecomted’Artois!Prenez-moi, jevousdonneraibeaucoupd’argent!».Commepersonnenerépondait il insista: «N’y a-t-il pas un noble homme qui veuilleme prendre?», il se vitrépondreparlesflamands:«Iln’yapasicid’hommenoblequipuissetecomprendre»,etilfut exécuté, et la langue arrachée ajoute le chroniqueur, dans un geste qui achève ledéshonneur. Enfin, les 700 éperons d’or récupérés par les Flamands sur les chevaliersfrançais, offert et exposé à l’église Notre-Dame de Courtrai, finissaient de marquer ladéfianceenverscettearistocratiemilitaire. Cette «révolution de l’infanterie» – Bannockburn (1314), Crécy (1346) –s’accompagnerait d’une dévalorisation de la guerre de type chevaleresque et ainsi d’unenégationsde lavaleursocialede lanoblesse: labellechargedecavalerie,où leshommesd’armecuirassésmettentenvaleurleurtémérité,n’aplusl’importancestratégiqued’avant.Lerôleprépondérantdesarmesdetrait,notammentdu longbowanglais,puisplustarddel’artillerie à poudre, dont le principe est d’éliminer l’adversaire à distance, contrevenait àl’esprit de la confrontation corps à corps, de la mêlée dans laquelle s’engageaient leschevaliers.

Il n’empêcheque lanoblesseaégalement su s’adapterà cesévolutions,qui virentfinalement un moindre usage de la bataille rangée, par rapport à la chevauchée, parexemple. La noblesse anglaise, notamment, affectionnait le principe de la chevauchée etfurentnombreuxàaccompagnercellesd’ÉdouardIIIen1346et1359,cellesduPrincenoiren1355-1356,cellesdeRobertKnollesetJohnChandosen1369-1370,cellesduLancastreJeandeGanden1373ouencoreducomtedeBuckinghamen1380.Ellesrassemblaientdesmilliersd’hommes,dontdenombreuxnoblesquivoyaientdanscetypedeguerrel’aventureetlebutinquelabataillerangéen’apporteplusnécessairement.

C. Souffrancesdeguerre

Pour certains historiens, la férocité des combats s’expliquerait en partie par laparticipation croissante des non-nobles et des mercenaires dans les armées qui auraient«modifié l’atmosphère général de la guerre» et alimenté une haine de classe qui auraitfavorisélesmassacres.Ilfautaussiajouterquel’interdictionquifutparfoisfaitedeprendreà rançon, comme ce fut le cas à Crécy ou à Azincourt, favorisa également lamortaliténobiliaire.Enrevanche, lemeilleuréquipementmilitaireet lapositiondecavalierexposaitmoinslesnoblesquelesfantassinsnon-nobles.S’iln’estpasfaciled’avoirdeschiffresfiablespour lapériodemédiévale,nouspouvonsparfoisavoirdesordresdegrandeur.ÀCourtrai, 40Ibid.,p.348.

Page 20: La noblesse et la guerre - menrvablog.files.wordpress.comCorrection dissertation – A. Destemberg 1 LA NOBLESSE ET LA GUERRE Indications bibliographiques complémentaires Martin AURELL,

Correctiondissertation–A.Destemberg

20

sur les 2 à 3000 hommes constituant la cavalerie, c’est la quasi totalité qui périt dans labataille.ÀCrécy,surles12000hommesd’armeprésentscôtéfrançais, leshérautsd’armedénombrèrent 1542 chevaliers et écuyersmorts, pour probablement 300 seulement côtéanglais. Dans les grandes défaites de Poitiers et Azincourt, la chevalerie française se vitamputerde40à50%deseseffectifs.ÀPoitiers,surles8000hommesd’arme,2445sonttuéset1981prisonniers.CommeàCourtrai,c’estlanoblessequiestdécapitéeàAzincourt:parmiles3000morts,lesdeuxfrèresdeJeansansPeur,AntoineducdeBrabantetPhilippecomtedeNevers;Jeanducd’Alençon,leconnétableCharlesd’AlbretducdeBourgogne,parexemple. Il convient de rapporter cela à la proportion de nobles dans la société tardo-médiévale:lesmortsnoblessurlechampdebataillereprésentebienplusqueles1à2%deleur poids global (encore faut-il préciser que les 1 à 2 % ne sont pas constitués que deshommesenâgedesebattre).Celaaboutitparfoisàdesextinctionsdecertainesbranches.

Extinction.Certeslaguerren’estpasleseulélémentexplicatifdecertainesextinctionsdebranchesnobiliaires,maiselleycontribuacertainement.Lesétudesportantsurl’emprisenobiliairesconvergentpoursoutenir leconstatd’uneérosionfortedes«gentilhommesdesang», comme leditFroissart, c’est-à-dire lesanciennesmaisons: sur les215 lignéesquecomptait le comté de Forez au XIIIe siècle, il n’en reste que 149 en 1300, et 69 en 1400.Ph.Contamine note que le premier quart du XVe siècle fut un temps d’érosionparticulièrementfort.Aufinal,silaproportiondenoblen’aquepeudiminuéedurantcettepériode,celaestd’aborddûàunecertainemobilitésocialemaisquin’estpasàl’avantaged’une identité guerrière immédiate: ascension sociale demarchands parmi la gentry, oud’unenoblessed’administrationroyale(justiceetfinance).EnBeauce,àlafinduXVesiècle,parexemple, les¾desterresétaientdétenuespardesfamillesnoblesquin’existaientpasaudébutdusiècle.

Lesnoblesconstituaientenoutrelesprincipauxproduitsd’unvéritable«marchéauxprisonniers». Seuls les hommes d’armes ayant au minimum le rang de chevaliers oud’écuyersétaient concernés.À labatailledePoitiers (1356) ce sontquelques1981noblesqui sontprisonniers.De façongénérale,une rançonnedevaitpasdépasser5ou6 fois lerevenu annuel du prisonnier si elle voulait être acquittée: mais dans les faits certainesrançons pouvaient être exorbitantes et exerçait une forte pression financière sur lesdomainesduprisonnier.Michael Jonesaproposéuneétudesur lesprisonniersanglaisauXVesiècle41: parmi les nombreux exemples présentés, citons celui de Thomas Rempston,capturéàPatayen1429.C’étaitundesprincipauxcapitainesduducdeBedford,maissesbiens propres étaient fort maigres: 60£ par an, alors que la rançon exigée se monta à3000£.Rempstonrestaencaptivitéjusqu’en1435.Lepoidspouvaits’avérerd’autantpluslourdque leprisonniern’avaitpasuniquement la rançonàpayer,maisaussi lesdépenseseffectuéesdurantsacaptivité.Ilétaitdoncindispensabledetrouverunesolutionrapideafind’écourter la captivité le plus possible. Les rançons étaient parfois ruineuses pour lesfamilles,quandonnepouvaitpascontournerleproblèmeparunéchangedeprisonniers,unsystèmedecaution,oul’aideduroiouduseigneur.

41JonesM.K.,«Ransombrokerageinthefifteenthcentury»,dansGuerreetsociétéenFrance,enAngleterreetenBourgogne,XIVe-XVesiècle,éd.P.Contamine,C.Giry-DeloisonetM.Keen,Lille,1991,p.221-235.

Page 21: La noblesse et la guerre - menrvablog.files.wordpress.comCorrection dissertation – A. Destemberg 1 LA NOBLESSE ET LA GUERRE Indications bibliographiques complémentaires Martin AURELL,

Correctiondissertation–A.Destemberg

21

III. Laguerrefacteurdecrisedelanoblesse?CitonsànouveauPh.Contamine:«On l’oubliesansdoute trop : lesnobles furent les

premièresvictimesdelaguerredeCentansetdesévénementsdetoutenaturequesuscitace formidable conflit : seigneuries et châteaux ravagés, morts au combat, ruineusescaptivités,coûteusesmisesendéfensedeleursrésidences,confiscationsmassivesdeleursfiefsenfonctiondescirconstancespolitiquesetmilitaires,sourdehostilitédeleurssujetsetdépendants. La tâche de la noblesse française, dans un climat hostile dès lors qu’onl’accusait,nonsansraison,d’êtreincapablederemplircorrectementsonofficemilitaire,futd’aborddesurvie.»42.

A. Inefficacitémilitaire:lanoblessecontestéeLesaccusationsquifurentportéescontrelanoblessenelefurentpasuniquementdu

côtéfrançais,mêmesi lacritiquede lanoblessefrançaisefutprobablement laplusviveettenace.Celle-cialieunotammentdurantlespériodesd’accumulationdesdéfaitescuisantesdelachevalerie,aprèslabatailledePoitiers(1356)oucelled’Azincourt(1415).

Le poème polémique anonyme rédigé immédiatement après la défaite de Poitiersintitulé laComplaintede labatailledePoitiersestà luiseulunréquisitoirede lanoblesse,pointant sa faillite dans sa mission militaire à défendre le royaume et le roi: «De leurgrande trahison, en quoi ont tant mépris / Que Ieur gentillesse [i.e. noblesse] a perduhonneuretprix./Ilssedisentêtrenésdenobleparenté./HéDieu!D’oùleurvient-ilsifaussevolonté/Qued’aucunbienfaitfairenesontentalentés[i.e.capables];/C’estparleurgrandorgueilqu’ilssontainsitentés.»Lestermesquis’accumulentpointentleurlâcheté,lapertedeleurhonneur, leurpéchéd’orgueil, leur laideurmalgréleurobsessiondel’apparenceetdu luxe. Plus grave, il dénonce la convoitise qui les conduisit à tricher aumoment de lamontre,cetteétapedurecrutementmilitaireoù lesmaréchauxroyauxviennentpasserenrevue les hommesdes suites nobiliaires engagées, pour les rémunérer. Pour l’auteur celaapparaîtcommedelafélonie,d’autantquenombredenoblesavaienteneffetfuilechampdebataille,etn’onpaspuempêcherqueleroisoitcapturé.Ilestmêmereprésentatifd’unecrainte du complot, l’idée d’une connivence nobiliaire des deux côtés de laManche, quiaurait conduit à ce que des nobles français donnent des informations à l’ennemi anglais.Nobleslâches,parjures,félons:leréquisitoireestimplacable.Iln’estpasleseul;ladéfaitedePoitiersa inspiréune large littératuredepamphlétairedès sondéroulement: ainsi,defaçonstrictementcontemporainedelaComplainte,leTragicumArgumentumdeFrançoisdeMonte-Belluna (1357) qui pointe les mêmes relâchement des mœurs et trahisons43, lachroniquedeJeandeVenette44,toujoursdansl’oppositionrhétoriqueentrevaillanceduroietlâchetédesautrescombattants,ouencoreunpoèmedeGuillaumedeMachautintituléLeconfort d’ami, qui oppose l’honneur des combattants à la honte des fuyards 45 . Leschroniques ultérieures (Jean Froissart, Jean le Bel), reprenant à l’envi le récit de cettebataille,s’écartentpeudecettevisioninitiale,aupointdedevenirunvéritableexemplum.

42Ph. Contamine, «Noblesse française, nobility et gentry anglaises à la fin du Moyen Âge», Cahiers derecherchemédiévaleethumaniste,13(2006),p.119.43Vernet (A.), «Le Tragicum argumentum de miserabili statu regni Francie de François de Monte-Belluna(1357)»,Annuaire-bulletindelaSHF,1962-1963(1964),p.103-163.44ContinuationdelachroniquedeGuillaumedeNangisde1300à1368,éd.H.Geraud,Paris,1843,p.238-241.45ŒuvresdeGuillaumedeMachaut,éd.E.Hoepffner,t.3,Paris,1921,p.1-141.

Page 22: La noblesse et la guerre - menrvablog.files.wordpress.comCorrection dissertation – A. Destemberg 1 LA NOBLESSE ET LA GUERRE Indications bibliographiques complémentaires Martin AURELL,

Correctiondissertation–A.Destemberg

22

Faceà ladéfaillancenobiliaire,certainsdecestextes invoquentJacquesBonhomme,présentécomme levraidéfenseurduroyaume, tandisque lesnoblesont trahi le roiet leroyaume:une figurepopulairequiapparaît commeune revendicationà sedéfendre sansrecoursàunenoblessequinejoueplussonrôle46.LetonestlemêmechezlechroniqueurJeandeVenettequi,avecplusderecul,associelarévoltesdesJacquesouJacquerieàcettecontestation anti-nobiliaire. Le 14 mai 1358, une ordonnance du duc de Normandie (ledauphinCharles)prévoitlamiseendéfensedeschâteauxetlesdestructiondesforteressesinutilesouruinéesafinquedesroutiersnes’yétablissentpas.SelonRaymondCazelles,Parisetlesvillesdesonobédienceontcontribuéaudéclenchementdelarévolteenfaisantcroireque cette ordonnance était dirigée contre les paysans et allait renforcer l’oppressionseigneuriale47.Lapopulationpaysanneserévolteet le28mai1358,àSaint-Leud’Esserentauborddel’Oise,RaouldeClermontesttuéavecsescompagnonsalorsqu’ilprocèdeàdesréquisitionspourgarnirlechâteau.Celadéclencheunepériodederévoltecourte(jusqu’au10 juin), mais très violente: les régions touchées sont le Beauvaisis, le Vexin oriental(Pontoise,Méru),lepaysdeFranceetlesuddeParis(LaFerté,Arpajon,Corbeil).Lescénarioestpartout lemême: lesnobleset leurs famillessonttuéset leschâteauxbrûlés,pardeslaboureurs,artisansdevillages,voirequelquesnotablesetcurés.Lemouvements’organiseet se donne un chef, Guillaume Carle, se rapproche de Compiègne puis d’Ermenonville.Quant aux villes, elles abandonnent très rapidement les Jacques, effrayées, peut-être parl’ampleurdesravages.CesdernierssontfinalementécrasésàMellole9juinparCharlesdeNavarre, qui fut à la tête d’une répression implacable.Mais l’année d’après, un nouveauhérosdelaluttepopulaireanti-nobiliaireapparaît:GuillaumeLaloue,ditleGrandFerré,uncapitainequesesontdonné lespaysansetqui,en1359,a faitdes ravagesdans les rangsanglo-navarrais dans les environs de Compiègne. La violence de leurs actions frappe leschroniqueurcommeJeandeVenettecarilsrefusentnotammentd’agircommelesnoblesetdemettreàrançonlesprisonniers,mêmenobles48. Sans atteindre ce degré de violence, le sentiment antinobiliaire est comparable aulendemaind’Azincourt,quandAlainChartierécritdanssonQuadriloge invectif:«Ah!Ah!peuloyaux,/fugitifs, lâches,déloyaux./Vouslaissâtestouslesroyaux/etleurtournâtesledos / et vous en retournâtes». Par ailleurs, les révoltes anti-nobiliaires causées par desdéfaitesmilitairesn’ontpaslieuquedansleroyaumedeFrance:larévoltedestravailleursanglais(1381),menéeparWatTyler–quiestavanttoutunerévoltesocialeetanti-fiscale–n’estpasétrangèreàuncertainsentimentantinobiliaire,àunmomentoùlareconquêteduroyaumedeFranceparCharlesVmet l’Angleterre faceàune sériededéfaites.Ainsi, l’onprêteauprêtre JohnBall laphrase suivante:«QuandAdambêchait,quandÈve filait,quiétaitdoncgentilhomme?». Àlacriseidéologiques’ajouteunecrisesocialedelanoblesse,largementcauséeparlaguerre. 46F. Autrand, «La déconfiture. La bataille de Poitiers (1356) à travers quelques textes français des XIVe etXV

esiècles»,dansGuerreetsociétéenFrance,enAngleterreetenBourgogne,XIVe-XVesiècle,éd.P.Contamine,Ch.Giry-DeloisonetM.H.Keen,Lille,1991,p.93-121,p.99.47VoirnotammentR.Cazelles,«LaJacqueriefut-elleunmouvementpaysan?»,Comptes-rendusdesséancesdel'AcadémiedesInscriptionsetBelles-Lettres,122/3,1978,p.654-666[enligne:http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/crai_0065-0536_1978_num_122_3_13514].48Ph.Contamine,Histoiremilitaire,op.cit.,p.141-142.Voiraussi,pourunrécitcirconstanciéde l’épisode J.Favier, La guerre de Cent Ans, Paris, 1980, p. 266-268. Et on recommande la lecture de l’épisode dans lachroniquedeJeandeVenette.

Page 23: La noblesse et la guerre - menrvablog.files.wordpress.comCorrection dissertation – A. Destemberg 1 LA NOBLESSE ET LA GUERRE Indications bibliographiques complémentaires Martin AURELL,

Correctiondissertation–A.Destemberg

23

B. Crisedesrevenusnobiliaires?

Dans son Quadriloge invectif, Alain Chartier met dans la bouche d’un chevalier laplaintesuivante:«Nousnepouvonspasvivreduventetnosrevenusnesuffisentàsoutenirles frais de guerre» et il ajoute à propos des bourgeois: «Ils ont nos châteaux etmaintenantilscrientcontrenous».Laguerreajouéunepartnonnégligeabledanslacrisedes revenus seigneuriaux: la dévastation régulière des champs, la fuite des paysans seréfugiant vers les villes, une pression fiscale croissante au point de devenir contre-productive.Ilyaiciunenuanceforteàfaireentrelescascontinentaux(royaumedeFrance,Bourgogne), théâtrede laguerre,et l’Angleterre.EnNormandie,étudiéeparGuyBois, lesrevenusdelaterrechutentde2/3entre1300et1450.Iln’estpasrarequedesnoblessoientobligés de céder certaines de leur seigneurie à des prêteurs, issus du monde de lamarchandise.

Rappelonsenoutrequelecoûtdel’équipementmilitaireétaitdeplusenplusélevéetquecertainsonteu leplusgrandmalà réunir l’argentnécessaire, contractantparfoisdesdettesauprèsdemarchands:MichaelPrestwichciteainsi l’exempledeWilliamdeFerrersqui, en 1297, dut emprunter 200£ à unmarchand, enmettant sonmanoir en gage, pourparticiper à l’expédition de Flandres49. Enmoyenne, il faut compter autour de 80 £ pouréquiper un chevalier. Les prix des montures étaient par ailleurs extrêmement variables,pouvantatteindredesprixastronomiqueencasdefortedemandeentempsdeguerre:sileprixvariaitentre15£et40£enmoyenneaucoursdelapériode,selonPhilippeContamine,en 1359, le prixmoyen desmontures de chevaliers bannerets est de 206 livres tournois,celuidesmonturesdeschevaliersbacheliersde109livrestournois,celuidesmonturesdesécuyers de 57 livres tournois50. Il faut ajouter à cela que chaque cavalier disposait deplusieurs chevaux: aumilieuduXIVe siècle, la norme s’imposede requérir 2 chevauxparhomme d’arme ou écuyer, 3 pour les simples chevaliers et parfois plus encore pour leschevaliersbannerets.Ilfautnoterqu’àlafinduXVesiècle,entre½et2/3(selonlesrégions)desnoblesontdesrevenusannuelsinférieursà50£annuelles.

Aides.C’estunedesraisonspourlaquelleÉdouardIIImitenplace,en1345,leregard,uneprimedestinéeàcouvrir leprixde l’équipement(6d.st. Jusqu’en1370,puis12d.st.après). Demême, la perte d’un cheval était parfois compensée par la pratique du restor,c’est-à-dire le remboursement d’une monture perdue sur le champ de bataille parl’employeur: au début du XIVe siècle, il fut fixé à 25 £ en France, tandis qu’il s’agit d’unremboursementintégralenBourgogne;maiscettepratiquedisparudanstroisièmetiersduXIVesiècle51, car cela coûtait très cher aux seigneurs, sans être pour autant tout à faitefficace52.Malgrél’augmentationdessoldesdanslesarméesfrançaises,quidoublententrelafinduXIIIeetlemilieuduXIVesiècle(alorsquelesgagesdanslesarméesanglaises,toutaulongdesXIVe-XVesiècles,etbourguignonneauXVesiècle,sontremarquablementstables)leshaussesducoûtdelaguerrenesontpasabsorbées.D’autantqu’aucoursduXVesiècle, 49Prestwich[2006],p.85.50Ph.Contamine,Guerre,ÉtatetsociétéàlafinduMoyenÂge.ÉtudessurlesarméesdesroisdeFrance,1337-1494,Paris,1972,réimp.2004,p.656.51EnAngleterreen1372-1373,enFranceen1375-1380etenBourgogneàl’extrêmefinduXIVesiècle.52En 1340, par exemple, il aurait coûté environ 10000 livres au duc Eudes de Bourgogne. Mais certainshommesd’armesn’étaientenfaitjamaisremboursés.Ilacependantfallumettreenplacedesmécanismesdecompensations.EnAngleterre,parexemple, lapartdubutinréservéeauroiestpasséede lamoitiédutotaldesprisesàuntiers.

Page 24: La noblesse et la guerre - menrvablog.files.wordpress.comCorrection dissertation – A. Destemberg 1 LA NOBLESSE ET LA GUERRE Indications bibliographiques complémentaires Martin AURELL,

Correctiondissertation–A.Destemberg

24

faceàlaprofessionnalisationdesarméesetàladiminutiondelaprésencechevaleresque–cequineveutpasdirenoble,onl’avu–danslesrangs,lessoldessevoienthomogénéisées.C’estCharlesVIIqui instaure lepremier, en1438-1440,une solde identiquepour tous leshommesd’arme,suividesarméesanglaisesetbourguignonnesdanslesannées1470.Onaalorsuneformedenégationdelahiérarchie.

Autre sollicitation des ressources nobiliaires, comme le souligne Ph. Contamine, lamiseendéfenseduroyaume:dèslesannées1310,aunorddel’Angleterrepourfairefaceaux incursionsécossaises; initiéenFranceparCharlesV (alorsdauphin),par l’ordonnancedu 14 mai 1358, et en Bourgogne, par Philippe le Hardi (par ordonnance de 1367) quiprévoyaient lamiseendéfensedeschâteauxet lesdestructiondes forteresses inutilesouruinées afin que des routiers ne s’y établissent pas. Les seigneurs ont l’obligation demaintenir leurs propres défenses en état et le pouvoir royal mit en place de véritablesenquêtesd’inspectionpar lesquellesdesofficiers royauxétaientchargésdevérifier lebonétatdes fortifications,d’ordonner les réparations,voirededétruirecertaines fortificationsobsolètes. Ces enquêtes, dont il reste quelques comptes rendus, ont permis aussi decartographierdanscertainscas ladéfensed’unterritoire.C’est lecasparexemplepour lebailliage de Melun en 1358, étudié par Philippe Contamine 53 . Dans une zone de30kilomètres sur 40, le réseau est assez dense. Il n’est pas constitué uniquement dechâteaux:onpeutdénombrer6châteaux,maisaussi4hôtelsfortifiés,5tours,12fortset28églises.

Inversement,JohnLydgatepointaitlefaitque,notammentenAngleterre,l’aristocratiemilitaire – «chevalerie» ou noblesse– était la catégorie sociale la plus directementconcernéeparleséventuelsprofitsde laguerre.Malgrécequ’enditcetémoin,leconstatdressépar leshistoriensest loind’êtreunivoque54.Lesmotivationsdescombattants–quirisquentleurvie–àcommencerparlesnobles,sontenpartiedenaturesocio-économique:celaestparticulièrementvraipourlescadets,quicherchaientparlaguerreàseconstituerun patrimoine, mais aussi pour certains seigneurs de la petite et moyenne noblesse, enFrancenotamment,ayantàsubir ladépressionéconomiquegrandissanteauXIVesiècle,etpour lesquels les soldesont constituéunapportnonnégligeabledans leurs revenus.Celaétant, il est indéniable que certains nobles se sont enrichis grâce à la guerre –et passeulementenAngleterre.Lespossibilitésd’enrichissementétaientdeplusieursordres:- Les soldes versées par l’employeur –prince, noble de statut supérieur– étaient

généralementcorrectes,mêmesiellesétaientavanttoutconçues,surtoutdansunpremiertemps,pourcouvrirlesfraisengagésparlesnobles;ellesavaientleméritedeconstituerunesourcerelativementstablederevenus.Ainsi,àproposdessoldesdescompagniesd’ordonnancedeLouisXI,PhilippeContaminen’hésitepasàparlerd’unevéritable«subventiondelanoblesse»55.

- Ladistributiondeterresconquisesdanscertainscasprécis,surlemodèleféodal:cefutnotammentl’unedesstratégiesd’HenriV,notammentenNormandie. 53Ph.Contamine,Guerre,ÉtatetsociétéàlafinduMoyenÂge.ÉtudessurlesarméesdesroisdeFrance,1337-1494,Paris,1972,réimp.2004,t.1,p.6-11.54Contamine [2006.] Sur la noblesse française, voir aussi Contamine [1997]. Sur la noblesse anglaise, ontrouvera beaucoup d’éléments dans les synthèses de Michael Prestwitch (Plantagenet England) et GeraldHarriss (Shaping the Nation). Voir aussi A. Ayton, Knights andWarhorses: Military Service and the EnglishAristocracyunderEdwardIII,Woodbridge,1994.55Ph.Contamine(dir.),Histoiremilitairede laFrance,1,Desoriginesà1715,Paris,PUF,1992 ;2eéd.,1997,p.221.

Page 25: La noblesse et la guerre - menrvablog.files.wordpress.comCorrection dissertation – A. Destemberg 1 LA NOBLESSE ET LA GUERRE Indications bibliographiques complémentaires Martin AURELL,

Correctiondissertation–A.Destemberg

25

- La répartition des butins, de plus en plus minutieusement réglementée durant lapériode,commelemontrel’ordonnanceanglaisede1385.- Les rançons, enfin qui sont considérées comme des voies d’enrichissement

honorablesetpourlesquellesilexistaitunevéritableéconomie.Ilexistebiendesexemplesdecombattantsissusdelapetiteoumoyennenoblessequi

se sont considérablement enrichis par la carrièremilitaire: ils ne sont pas rares du côtéanglais et l’on peut citer par exemple John Fastolf (1380-1459), issu d’une famille de lagentry deNorfolk, qui entre au service du duc de Clarence dès 21 ans, qu’il accompagnedans les campagnes d’Irlande, adoubé en 1416, il participe à la campagne d’Henri V enNormandie, devient capitaine de Fécamp, puis lieutenant de Normandie. S’illustrant à labataille de Verneuil (1424), il gagne 20 000marcs d’argent de la rançon des prisonniers.Capitaine d’Honfleur et de Caen, il regagne l’Angleterre en 1439 où il achève sa vie enprofitantdesa fortune,desesnombreuses résidences,dont lechâteaudeCaster,dans leNorfolk.

Pour un certain nombre de nobles, principalement issus de la petite noblesse, la

guerrerestaitmême,auXVesiècle,l’uniquehorizond’ascensionfinancière,etceciaupointdedérogerauserviceduroioude l’idéalchevaleresque.Onadéjàévoquéàquelpoint lanoblesseanglaiseaffectionnaitlaguerre«guerroyante»,leschevauchéesetcoupsdemain,pluslucratifs.Ilnefautpasnonplusoublierquelaplupartdesgrandschefsdesroutiersoudes écorcheurs étaient des nobles. Ces «aventureurs», comme les nomme Froissart,«commencièrentàcourirlepays,àvendreprisonniersetàrançonner,etàpourveirleurfortde viandes, de vin et de sel, de fer et d’acier». Ainsi desGrandes compagnies, dont laformation résulte de la démobilisation de nombreux combattants anglais sur le territoirefrançais,aprèslapaixdeBrétignyde1360.Cesontquelques12000hommesqui,jusqu’en1365, sillonnèrent lesespacesde lavalléeduRhôneetde l’Auvergne,et secomportèrentcomme de véritables prédateurs dans les territoires qu’ils traversaient jusque dans lesannées1390,etlarééditionouexécutiondequelquescélèbrescapitaines:MérigotMarchès(1355-1391),exécutéàParisen juillet1391,était issud’unefamillenobleduLimousinquiavait des droits seigneuriaux depuis le XIIIe siècle sur plusieurs seigneuries de l’Est deLimoges.Ayantchoisiderejoindreleroianglais,sesbiensfurentconfisquésparCharlesVen1378, et dès l’année suivante on le retrouve à la tête d’une troupe qui rençonnait lescampagnes avoisinantes de ses anciennes terres. Nous possédons la transcription de soninterrogatoire devant la cour du Châtelet de Paris, de laquelle s’inspire Froissart quand ildonnelaparoleàMérigotMarchèsetluifaitdire:«Toutestoitnotreourançonnéànotrevolonté.Tous les joursnousavionsnouvelargent. […]Etquantnouschevauchions,tout lepays trembloit devant nous». Racontant comment les paysans en étaient réduits à leurlivrerleurrécoltesetbétails,ilajoute:«Nousestionsétofféscommeroys.[…]Parmafoy,cestevieestoitbonneetbelle».

Lesparcoursdeceuxquefurentnommés,defaçonpéjorative,les«Écorcheurs»,qui,après la paix d’Arras de 1435 et jusque dans les années 1444-1445, ravagèrent de leurpropreinitiativelescampagnessousdominationanglaiseoubourguignonne,etcommirentdes exactions en Lorraine et Alsace notamment (destruction de quelques 110 villagesalsaciensrienquepourlemoisdemars1439)sontcomparables: ils’agissaitdecapitainesfrançaisdontlesplusconnussontRobertdeSarrebrückouPotondeXantrailles,sontnoblesetd’ancienscompagnonsdeJeanned’Arc.RobertdeSarrebrück(v.1400-v.1462)étaitissude labranchecadettede lapuissante lignée lorrainedesSarrebrück-Commercy;Potonde

Page 26: La noblesse et la guerre - menrvablog.files.wordpress.comCorrection dissertation – A. Destemberg 1 LA NOBLESSE ET LA GUERRE Indications bibliographiques complémentaires Martin AURELL,

Correctiondissertation–A.Destemberg

26

Xantraillesétaitunvassaldirectducomted’Armagnac,faitgrandécuyerdeFranceen1429parCharlesVII.Ceshommesdeguerresredoutablesfurentenpartieréintégrésauxarméesprofessionnelles de Charles VII au sein desquelles ils jouèrent un rôle décisif dans lareconquêteduroyaume:PotondeXantrailles,futl’undesartisansdelavictoiredeCastillon(17juillet1453)etfutmêmenomméparleroimaréchaldeFranceen1454.

C. Ladomesticationdelanoblesseàl’Étatroyal?

Dans le cadre de la genèse de l’Étatmoderne, les rois et les princes souhaitent en

effet,enquelquesorte,apprivoiserlachevalerie,nonseulementpourmieuxcontrôlerleurturbulentenoblesse,maisaussipourl’intégrerdansuneidéologiequel’onpeutcommenceràqualifierdenationale.Cettedomesticationdelanoblesseprenddesformesquel’onadéjàévoquéetque l’onsecontenteradeciterbrièvement: régulationde laviolencenobiliaire(guerreprivée,exactions)auprofitdesseulesguerreslégitimes,cellesduroi;redistributiondelafiscalitéroyaleauprofitdelanoblessemilitairequidevientdèslorsliéeauxsuccèsdesguerres royales.Globalement, le résultat futplusdifficileàobtenirducôtéde lanoblessefrançaise dont la conscience était d’exister à côté du roi, mais de ne pas dépendredirectement de lui: d’où des révoltes, déjà évoquées. En Angleterre, la noblesse estgénétiquement issued’investitureroyale,depuis l’installationdeGuillaume leConquérant,sa fidélité au roi est donc acquise.Mais dans tous les cas, il s’agissait bien demettre lanoblesseauserviceduroietduroyaumeetdetenterde fairede lachevalerieun facteurd’unitépolitique.

Troisexemplespeuventêtreicimobiliséspourévoquerceprocessusdedomesticationde la noblesse: la lutte contre les guerres privées [déjà évoquée], la régulation destournois, et – expression la plus importante de cette récupération et de cettetransformationdel’idéologiechevaleresqueàlafinduMoyenÂge–lafondation,àpartirdumilieuduXIVesiècle,desordreschevaleresques56.

Lespremiersordresapparaissentdès lesannées1330,maisendehorsdenotreairegéographique: lemodèleestcastillan,avec la fondationde l’ordrede laBanda (RubanouÉcharpeselonlestraducteurs)parAlphonseXIen1330–cettefondationmarquaitenfaitunmomentdepacificationdanslarelationentrenoblesseetmonarchieenCastille57.L’exemplecastillanestbientôtsuivipard’autressouverains,danslecontexteplusmilitairedelaGuerrede Cent Ans: ÉdouardIII fonde l’ordre de la Jarretière en 1348, et Jean le Bon celui del’Étoile en 1351. Ce dernier, dans le contexte de la déconfiture de Poitiers, constitue un

56Boulton D’Arcy J. D., The Knights of the Crown: theMonarchical Orders of Knighthood in LaterMedievalEurope,1325-1520,Woodbridge,2eéd.,2000(1èreéd.1987).57Eneffet,entrelafindurègned’AlphonseX(†1284)etledébutdurègned’AlphonseXI(†1350),soitentrelafinduXIIIesiècleetlepremiertiersduXIVesiècle,cetterelationavaitétédominéeparleconflit,déclenchéparle refus opposé par la noblesse aux prétentions uniformisatrices et impériales formulées par AlphonseX,notammentdanssoncélèbrerecueildelois,lesSietePartidas.Cerefuss’estdoubléparlasuiteparlavolontémanifestéeparcettehautenoblessedecontrôler leprocessusdecentralisationmonarchique.Mais le règned’AlphonseXIaconstituéunmomentdeclarificationpolitique,oùs’estimposéleseulpatronageroyal.Entre1328 et 1330, un moment d’équilibre est atteint, qui permet au roi de prendre directement en main cepatronage, après un couronnement où il a assumé pleinement les valeurs chevaleresques en se faisantdirectement adouber par saint Jacques de Compostelle (une statue animée en réalité) et en adoubant lespremiers chevaliersde l’ordre.Certainsde ces chevaliersadoubéspar le roiontenoutre reçu l’autorisationd’enadouberd’autres.

Page 27: La noblesse et la guerre - menrvablog.files.wordpress.comCorrection dissertation – A. Destemberg 1 LA NOBLESSE ET LA GUERRE Indications bibliographiques complémentaires Martin AURELL,

Correctiondissertation–A.Destemberg

27

échecretentissant.L’ordredelaJarretière,enrevanche,connaîtunsuccèsmajeur58:autourdu roi et du culte de saintGeorge, devenu un véritable saint Anglais59, et de sa fameusedevise«honnisoitquimalypense»,cetordreconstituaunoutildelégitimationefficaceetde d’adhésion de l’aristocratie à l’action guerrière royale60. Dans la seconde moitié duXIVesiècleetdanslapremièremoitiéduXVe,lesordresdechevalerieprospèrent,l’idéeétantrécupérée par des princes qui entendaient bien affirmer leur pouvoir face aux royautés:l’ordredel’Écud’orfondéen1367parleducdeBourbonouencoreceluidel’HerminecrééparleducdeBretagneen1381.

Maisl’exempleleplussignificatifd’unordreprincier,estsansdouteceluidelaToisond’Or,fondéeparleducdeBourgognePhilippeleBonen1429,àl’occasiondesonmariageavec Isabelle du Portugal61. La relation que nous en a laissé un témoin, Jean Lefèvre, ditToisond’Or,conseilleretchancelierduduc,montrequecetordreestconçucommemoyend’organisation de la cour bourguignonne, elle même pensée comme un instrumentd’unificationpolitiqueetd’intégrationdelanoblesseauprojetducal62.Cerôleintégrateuretunificateur passe avant tout par la fidélité au prince, symbolisée par la prestation dusermentfaitepartousleschevaliers:ils’agitdoncd’unefraternitéchevaleresque,fondéessurlesprincipesdelarenomméeetdelamémoiredeshautsfaits,auservicedelapolitiqueprincière.Ainsi, la listedes24chevaliersfondateursdel’ordre,montreunereprésentationseigneurialedetouslesterritoiresdelaprincipauté–delaBourgogne«historique»commedes Pays-Bas, du royaume de France comme de la terre d’Empire. Selon le chroniqueurbourguignonGeorgesChastellain(†1475)–lui-mêmechevalierdelaToisond’Oren1473–,la fondationde l’ordrede laToisond’oraenpartie constituéune réponseà l’ordrede laJarretièreanglais,leducdeBedfordayantpressédanslesannées1420Philipped’adhéreràcedernieretPhilippes’yétantrefusé(«PouréviterlesAnglaisetleurordre,ilcréalesienpropre,laToisond’Or»,notelechroniqueur).Etd’ailleurs,Philippeainclusdanslesstatutsl’interdiction expresse d’adhérer à tout autre ordre chevaleresque que celui de la Toison,souspeined’exclusion.L’Ordreestdoncpourleducautantuninstrumentd’unificationdesanoblesse fragmentée qu’un instrument d’autonomisation face à ses alliés comme à sesennemis.Conclusion [Ellenedoitpasêtreoubliéenibâclée:ilfautrappelerlaproblématiquededépartpuis,aprèsavoirreprislesconclusionsintermédiaires,répondreàcelle-ci,enpointantleslimiteshistoriographiquesetenouvrantdesperspectives,enévitantabsoluementdetomberdansdesgénéralités.]

58CollinsH. E.,TheOrder of theGarter, 1348-1461: Chivalry and Politics in LateMedieval England, Oxford,2000.59J.Good,ThecultofStGeorgesinMedievalEngland,Woodbridge,2009.60LacréationdecetordreauraitétédécidéeparleroiÉdouardIII lorsd'unbalàCalais,oùildansaitavecsamaîtresse,lacomtessedeSalisbury.Celle-ciayant,endansant,faittombersajarretière,leroi,galamment,laramassa sous les moqueries des danseurs, la mit à son genou et coupa court aux railleries par ces mots:«Messieurs, honni soit qui mal y pense. Ceux qui rient maintenant seront très honorés d'en porter unesemblable, car ce ruban sera mis en tel honneur que les railleurs eux-mêmes le chercheront avecempressement.»61CockshawP.etVandenBergen-PantensC. (dir.),L’ordrede laToisond’ordePhilippe leBonàPhilippe leBeau(1430-1505):idéalourefletd’unesociété?,Turnhout-Bruxelles,1996.62VoirW.Paravicini,«Structureet fonctionnementde lacourbourguignonneauXVesiècle»,Publicationsducentreeuropéend'étudesbourguignonnes,28(1988),p.67-74.

Page 28: La noblesse et la guerre - menrvablog.files.wordpress.comCorrection dissertation – A. Destemberg 1 LA NOBLESSE ET LA GUERRE Indications bibliographiques complémentaires Martin AURELL,

Correctiondissertation–A.Destemberg

28

Consignescomplémentaires,inspiréesdelalecturedescopies:

- MoyenÂge(majuscules,pasdetiret)- Soulignerlestermeslatins(ouanglais)etlestitresd’œuvres.Lesguillemetssont

réservésauxcitations.- Bannirl’usagedufuturenhistoire- Pasde«etc.»oudepointsdesuspensions:lecorrecteurn’estpaslàpourdeviner

maisvérifierquevoussavez.- Pasdeponctuation(,)endébutdeligne,demêmepasderetouràlaligneenCharles

etV,parexemple.- Lesexemplesdoiventêtredéveloppésendeuxphrases,pasévoquésdefaçon

allusiveentreparenthèses;exempleslesplusvariéspossibles(passeulementdesexemplesfrançaisouanglais,n’oubliezpasles«marges»).

- Bannirlesmauvaisusagesdelalangue,troprépandusdanslelangagecomme,telsles«suiteà»,«impacter»,etc.

- Attention,ànepasselaisseremporterparl’enthousiasmeetproposerdelongsdéveloppementshors-sujet(notammentsurlestechniquesmilitairesoul’armement,quandcen’estpaslesujet).

- Inversement,nepas«tournerautourdupot»:ilfautguidervotrecorrecteurauseindevotreraisonnementetpréciserd’emblée(àchaqueparagraphe)cequevousvoulezmontrer,parunephraseintroductive.