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2 Bulletin Juridique des Collectivités Locales n° 1/17 C C CHRONIQUE La loi relative à la création, à l’architecture et au patrimoine et les collectivités territoriales La loi relative à la création, à l’architecture et au patri- moine du 7 juillet 2016 (loi CAP), adoptée sous les aus- pices de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles de l’Unesco (20 octobre 2005) se structure autour de deux grands chantiers, le droit de la création d’un côté, le droit de l’architecture et du patrimoine de l’autre, tous deux trai- tés distinctement même si l’on peut apercevoir quelques passerelles (en ce sens et sur l’ensemble du texte, mois- son législative, communication, commerce électronique, février 2017). Sur ce double versant, que change la loi pour les collectivités territoriales ? C’est sous cette pers- pective singulière que sera entreprise cette étude. La culture fait partie des compétences partagées au sens de l’article L. 1111-4 du code général des collecti- vités territoriales (CGCT). Communes, départements, régions et collectivités à statut particulier ont vocation à les exercer en contrepoint ou aux côtés de l’État. Le nou- veau texte fournit de ce point de vue une assise légale au cadre d’intervention des collectivités publiques en matière de politique culturelle, précisant, dans le respect du prin- cipe de libre administration, les modalités d’implication de l’État et des collectivités territoriales, notamment dans le cadre de partenariats. La volonté de rénovation de la politique culturelle dite « de service public » en concerta- tion avec les différents acteurs publics est annoncée dès les premiers articles. La loi apporte également un certain nombre de nouveautés quant aux contours des protec- tions patrimoniales. Les changements se manifestent donc tant du point de vue des politiques de création (I) que de celui des politiques patrimoniales (II). I. Les politiques publiques de création Au premier abord, on pourrait penser que les dispo- sitions relatives à la liberté de création ont un impact moindre, avant tout attachées à renforcer la condition des auteurs et artistes. Mais en réalité, un certain nombre d’entre elles a trait aux modalités d’intervention des col- lectivités territoriales, notamment dans leurs modes d’ar- ticulation avec les politiques étatiques (B). Placées sous le signe de la liberté de création, elles suivent une certaine direction de travail (A). A. Liberté de création et politique de création artistique : les lignes directrices L’ambition annoncée est tout en clarifiant les modes et périmètres d’intervention des collectivités territoriales et le rôle de l’État (2), de consolider le service public culturel dans les territoires (1). 1. L’affirmation du service public culturel en territoire L’article 3 de la loi du 7 juillet 2016 donne le ton, visant ensemble l’État au travers de ses services centraux et déconcentrés, les collectivités territoriales et leurs grou- pements […], dans la définition et la mise en œuvre d’une « politique de service public » conduite « dans le respect des droits culturels » . Cette mention des droits culturels est quelque peu trompeuse, en ce qu’elle renvoie dans une acception large aux droits collectifs telle que l’entend par exemple la déclaration de Fribourg (7 mai 2007) 1 . La culture y est définie comme rassemblant « les valeurs, les croyances, les convictions, les langues, les savoirs et les arts, les traditions, institutions et modes de vie par les- quels une personne ou un groupe exprime son humanité et les significations qu’il donne à son existence et à son développement » . Les droits culturels, dans la loi CAP, désignent, dans un sens plus resserré, l’ensemble des politiques et mesures culturelles que les États peuvent adopter au titre de la protection et de la promotion de la diversité des expressions culturelles, au sens de la Convention Unesco de 2005. Fortement inspirée par ce 1 V. sur cette nouvelle catégorie de droits de l’homme, analyse des droits cultu- rels, P. Meyer-Bisch, Droits fondamentaux, n° 7, janvier 2008-décembre 2009.

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2 Bulletin Juridique des Collectivités Locales n° 1/17

CC ChronIqUE La loi relative à la création, à l’architecture et au patrimoine et les collectivités territoriales

La loi relative à la création, à l’architecture et au patri-moine du 7  juillet 2016 (loi CAP), adoptée sous les aus-pices de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles de l’Unesco (20  octobre 2005) se structure autour de deux grands chantiers, le droit de la création d’un côté, le droit de l’architecture et du patrimoine de l’autre, tous deux trai-tés distinctement même si l’on peut apercevoir quelques passerelles (en ce sens et sur l’ensemble du texte, mois-son législative, communication, commerce électronique, février 2017). Sur ce double versant, que change la loi pour les collectivités territoriales ? C’est sous cette pers-pective singulière que sera entreprise cette étude.

La culture fait partie des compétences partagées au sens de l’article L.  1111-4 du code général des collecti-vités territoriales (CGCT). Communes, départements, régions et collectivités à statut particulier ont vocation à les exercer en contrepoint ou aux côtés de l’État. Le nou-veau texte fournit de ce point de vue une assise légale au cadre d’intervention des collectivités publiques en matière de politique culturelle, précisant, dans le respect du prin-cipe de libre administration, les modalités d’implication de l’État et des collectivités territoriales, notamment dans le cadre de partenariats. La volonté de rénovation de la politique culturelle dite « de service public » en concerta-tion avec les différents acteurs publics est annoncée dès les premiers articles. La loi apporte également un certain nombre de nouveautés quant aux contours des protec-tions patrimoniales. Les changements se manifestent donc tant du point de vue des politiques de création (I) que de celui des politiques patrimoniales (II).

I. Les politiques publiques de création

Au premier abord, on pourrait penser que les dispo-sitions relatives à la liberté de création ont un impact moindre, avant tout attachées à renforcer la condition des auteurs et artistes. Mais en réalité, un certain nombre d’entre elles a trait aux modalités d’intervention des col-lectivités territoriales, notamment dans leurs modes d’ar-ticulation avec les politiques étatiques (B). Placées sous le signe de la liberté de création, elles suivent une certaine direction de travail (A).

A. Liberté de création et politique de création artistique : les lignes directrices

L’ambition annoncée est tout en clarifiant les modes et périmètres d’intervention des collectivités territoriales et le rôle de l’État (2), de consolider le service public culturel dans les territoires (1).

1. L’affirmation du service public culturel en territoireL’article 3 de la loi du 7 juillet 2016 donne le ton, visant

ensemble l’État au travers de ses services centraux et déconcentrés, les collectivités territoriales et leurs grou-pements […], dans la définition et la mise en œuvre d’une « politique de service public » conduite « dans le respect des droits culturels ». Cette mention des droits culturels est quelque peu trompeuse, en ce qu’elle renvoie dans une acception large aux droits collectifs telle que l’entend par exemple la déclaration de Fribourg (7 mai 2007) 1. La culture y est définie comme rassemblant « les valeurs, les croyances, les convictions, les langues, les savoirs et les arts, les traditions, institutions et modes de vie par les-quels une personne ou un groupe exprime son humanité et les significations qu’il donne à son existence et à son développement  ». Les droits culturels, dans la loi CAP, désignent, dans un sens plus resserré, l’ensemble des politiques et mesures culturelles que les États peuvent adopter au titre de la protection et de la promotion de la diversité des expressions culturelles, au sens de la Convention Unesco de 2005. Fortement inspirée par ce

1 V. sur cette nouvelle catégorie de droits de l’homme, analyse des droits cultu-rels, P. Meyer-Bisch, Droits fondamentaux, n° 7, janvier 2008-décembre 2009.

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texte, en forme programmatique, la loi décline l’ensemble des objectifs qui sous-tendent le dispositif, prenant pour point de départ la liberté fondamentale de créer. Après en avoir posé le principe, en forme de rappel, elle pré-cise que « dans l’exercice de leurs compétences, l’État et les collectivités territoriales […] veillent au respect de la liberté de programmation artistique ». Si l’on peut discu-ter de la force normative de cet énoncé, il n’en reste pas moins qu’il porte l’idée d’un engagement plus soutenu de l’ensemble des collectivités publiques en matière de poli-tique de la création, ce que confirme notamment l’inser-tion obligatoire d’au moins une commission thématique dédiée à la culture dans chaque conférence territoriale (art. L. 1111-9-1 du CGCT). Il est vrai que, dès avant les premières lois de décentralisation, les collectivités, avaient investi et dépensé dans le champ des activités culturelles. Mais en des temps de coupes budgétaires ou la culture est plus exposée que d’autres secteurs, une déclaration de volonté politique était sans aucun doute opportune. Plus concrètement, l’apport de ce texte est non seule-ment d’imprimer aux politiques culturelles publiques une certaine direction de travail avec en « chef de file » l’État, mais aussi de rationaliser l’action publique en ce domaine de compétences partagées.

2. Le rôle de l’état et l’articulation des compétencesSous cette perspective, l’ensemble des ressorts mobi-

lisés est fortement marqué par la réaffirmation du rôle régalien de l’État en matière de droit de la culture ce, évi-demment, dans le respect du principe de libre administra-tion des collectivités. Le recours à la technique du label en est un des signes forts. Elle est partout dans le texte, au service de la création, du patrimoine et de l’architecture. Renvoyant à un ressort sinon négocié du moins élaboré sur une base volontaire, elle place l’État en surplomb puisque c’est lui qui décide de leur attribution. Le renforcement du contrôle scientifique et technique de l’État en consti-tue un autre des marqueurs, adossé à l’outil contractuel. La notion de projet scientifique, artistique, culturel, diver-sement nommé selon le secteur considéré (structures de diffusion et de création), fleurit tout au long des disposi-tifs dans lesquels l’État est présent. Il impose par le biais de ce contrat de projet un certain nombre d’obligations et soumet par conséquent les opérateurs au contrôle de l’État. Ce n’est pas que le recours à cette technique soit nouveau dans la formalisation des rapports État/collec-tivité 2. Simplement, elle déploie ici une nouvelle rationa-lité, plus étroitement connectée à des objectifs culturels. On peut en ce sens soutenir que la loi de 2016 est l’une des premiers textes de droit de la culture voulu et conçu comme tel.

Quant à l’action coordonnée entre l’État et les collec-tivités territoriales, la perspective est inédite et intéres-sante à plusieurs titres. La toile de fond des mutations territoriales imposait des compromis, au regard des champs respectifs de compétence. Elle ouvre aussi des

2 En ce sens, Une ambition partagée ? La coopération entre le ministère de la Culture et les collectivités territoriales (1959-2009), P. Poirrier, R. Rizzardo, dir., Comité d’histoire du ministère de la Culture 2009.

perspectives de concertation et de coordination des poli-tiques publiques. Sous ce rapport et parmi les objectifs que doit poursuivre la politique en faveur de la création, l’article 3 insiste sur la nécessité « d’entretenir et favori-ser le dialogue et la concertation entre l’État, l’ensemble des collectivités publiques concernées, les organisations professionnelles, le secteur associatif, les acteurs du mécénat et l’ensemble des structures culturelles et leurs publics ». Le souci de coordination de l’action publique est assurément très présent au travers d’un certain nombre des leviers mobilisés. On sera plus circonspect quant à la reconnaissance du rôle de la société civile, qui reste à l’état de vague consigne. Décidément, le principe de participation n’a guère de consistance juridique dans ce domaine de la culture. Ce double signal du rôle de l’État et de la nécessité d’une action conjuguée des collectivités est perceptible tout au long du texte.

B. L’articulation des politiques publiques étatiques et territoriales

La question de l’articulation des compétences concerne plusieurs des missions exercées aux différents niveaux de l’État et des collectivités territoriales : de la diffusion cultu-relle, à la création sans oublier l’enseignement.

1. Mission de diffusion culturelle en territoireLa loi nouvelle s’attelle à la question des institutions

culturelles en territoire et à leur labelisation par l’État, qui touche très directement à la conduite de politiques locales. Plusieurs raisons motivaient une politique raison-née de labelisation, d’une part, la dispersion et le nombre des labels existants attribués à des structures de réfé-rence nationale (dix dans le secteur du spectacle vivant 3), d’autre part, la déficience des moyens d’intervention et de contrôle de l’activité due à l’inégale charge juridique des labels et parfois à leur ineffectivité. Ces structures en général financées conjointement par l’État et les collectivi-tés territoriales peuvent désormais être reconnues au plan national, selon deux modalités toutes deux reliées à l’ac-complissement d’une activité ou d’un projet dit « d’intérêt général  ». Dans le premier cas, le ministre de la Culture attribue le label « aux structures, aux personnes morales de droit public ou de droit privé ou aux services en régie de collectivités territoriales qui en font la demande et dont le projet artistique et culturel présente un intérêt général pour la création artistique dans les domaines du spectacle vivant ou des arts plastiques ». Dans l’attribution du label, les collectivités territoriales sont associées au processus de recrutement, étant entendu que l’instance de gouver-nance de la structure labelisée valide la nomination qui fait l’objet d’un agrément du ministre chargé de la culture. Le système, plaçant l’État en position dominante, a sans doute pour but de mettre à distance des nominations

3 Par exemple, les centres dramatiques nationaux, régis par le décret n° 72-904 du 2 octobre 1972, les centres dramatiques régionaux, les scènes nationales, les centres chorégraphiques nationaux, sans compter les opéras et orchestres, (v. étude d’impact, p. 20), circulaire du 31 août 2010, modifiée le 22 février 2013, pour les centres d’art, la circulaire du 9 mars 2001.

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plus politiques ou opportunistes que culturelles ou pro-fessionnelles. Quoique la loi ne soit guère explicite, la loi semble bien réserver le label aux structures de référence nationale. Dans le second cas, il est fait état d’un conven-tionnement qui peut s’inscrire dans la durée. Cette fois-ci, l’avis des collectivités territoriales concernées est requis. L’établissement d’un cahier des missions et des charges permet de préciser les contours des obligations de ces structures labelisées ou conventionnées.

Toujours en matière de diffusion culturelle, la loi CAP s’intéresse à la collectivité, employeur public. D’une façon générale, le législateur entend renforcer le statut des auteurs et artistes, direction de travail à laquelle déroge à certains égards le service public. Les collectivités ter-ritoriales qui engagent des artistes pour une mission répondant à un besoin permanent sont soumises aux règles applicables aux agents contractuels de la fonction publique. Les règles du code du travail sont par consé-quent écartées, disposition qui neutralise l’évolution de la jurisprudence récente du tribunal des conflits 4. L’idée est ici de soulager financièrement la charge des collectivités qui emploient des artistes, chanteurs et danseurs (au total 1248 artistes selon l’étude d’impact) et consacrent une part du budget culturel au profit de maison d’opéras ou d’orchestres permanents.

2. Mission de création et mise en valeur du patrimoineDans une configuration assez proche de celles des

structures de spectacle vivant et d’art contemporain, la loi encadre le label des centres culturels de rencontre  5. Fruit d’une initiative associative, relayée par l’État, le label « centre culturel de rencontre » concerne des institutions développant des activités de création et de rencontre dans des lieux prestigieux (la chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon, Abbaye de Royaumont, Abbaye royale de Fontevraut, en tout 24 sites français.) et assurant leur entretien et leur conservation 6. Il est délivré par l’État « à toute personne morale de droit public ou de droit privé à but non lucratif […] qui occupe de manière permanente un site patrimonial ouvert au public qu’elle contribue à entre-tenir ou à restaurer et qui met en œuvre, sur ce site, un projet culturel d’intérêt général en partenariat avec l’État, une ou plusieurs collectivités territoriales ou un groupe-ment de collectivités territoriales ». Si, en substance, la loi reprend la même définition contenue dans le projet initial, le nouveau texte semble bien donner un pouvoir d’inter-vention des tutelles plus important dans la délimitation du projet, qui doit être conçu « en partenariat avec l’État, une ou plusieurs collectivités territoriales ou un groupement de collectivités territoriales ».

Les Fonds régionaux d’art contemporain (FRAC), ins-titutions d’entre-deux du patrimoine et de la création peuvent également bénéficier d’un label. Créées au début des années 1980, les FRAC, financés par la région et

4 TC 6  juin 2011, n° 3792, écartant la solution dégagée par TC 25 mars 1996, n° 03000.

5 Auparavant régis par l’arrêté du 5 juillet 1996.6 Arrêté du 5 juillet 1996.

par l’État, ont pour mission d’acquérir des œuvres dans tous les champs de la création contemporaine. Acheter pour diffuser, tel est l’esprit de ce levier de financement de la création. Dans les grandes lignes, la loi en reprend les termes. Le nouveau label, en réalité, se distingue des labels évoqués plus haut, renvoyant en réalité davantage à la technique de la servitude d’utilité publique. Son attri-bution au bénéfice de personnes morales de droit privé influence en effet très fortement le statut des biens de ces collections, aligné en partie sur celui des musées de France privés. Les FRAC doivent inscrire dans leurs statuts une clause d’affectation irrévocable des biens acquis par dons et legs ou avec le concours de l’État ou d’une collectivité territoriale, à la présentation du public. Ces biens ne sont pas inaliénables mais ils ne peuvent être cédés à titre onéreux ou gratuit qu’à des personnes publiques ou aux personnes morales de droit privé à but non lucratif qui s’engagent à maintenir leur affectation. On pourra s’étonner de ce que les FRAC prennent place dans le code du patrimoine, dès lors qu’il s’agit de mécanismes d’aide à la création contemporaine. Sans aucun doute, la constitution de collections depuis maintenant plus de trente ans, a rapproché leur activité de celle des musées. C’est aussi ce que signalent la possibilité d’acquérir des œuvres d’artistes décédés, ou encore l’introduction d’un avis de la Commission scientifique nationale des col-lections en cas de cession des biens appartenant aux collections des personnes gestionnaires de FRAC. Les conditions de présentation et de conservation au public seront précisées par décret en Conseil d’État. Le contenu obigationnel devrait par conséquent se renforcer sur ce volet de la conservation.

Enfin, l’article 88 de la loi CAP, pris au titre de la promo-tion de la qualité architecturale institue une possibilité d’ex-périmentation législative, durant sept années en matière de construction d’équipements publics et de logements sociaux « dès lors que leur sont substitués des résultats à atteindre similaires aux objectifs sous-jacents aux dites règles ». La solution est étendue aux projets soumis à per-mis de construire autres que ceux mentionnés ci-dessus, pour lesquels l’État et les collectivités territoriales peuvent autoriser des maîtres ou locataires d’ouvrages à déroger aux règles en principe applicables. Comme le rappelle l’étude d’impact, l’objectif de cette mesure est de « stimu-ler la créativité des architectes en permettant aux projets architecturaux particulièrement créatifs et innovants » de bénéficier de possibles dérogations.

3. Mission d’enseignement artistiqueLe chapitre VI de la loi est consacré à l’enseignement

dans le champ de la création artistique, en particulier dans les domaines du spectacle vivant et des arts plastiques, conservatoires et écoles d’art. Il s’agit d’harmoniser les politiques publiques en la matière, en vue de garantir « une véritable égalité d’accès aux enseignements artistiques, à l’apprentissage des arts et de la culture ». Ce sont essen-tiellement les compétences de la région qui évoluent avec la possibilité qui leur est donnée d’adopter « un schéma régional de développement des enseignements artis-tiques dans les domaines de la musique, de la danse et de l’art dramatique », en concertation avec les collectivi-

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tés concernées et après avis de la conférence territoriale de l’action publique. Ce schéma a pour objet d’en définir les principes d’organisation, prenant en compte dans cet exercice les schémas départementaux. L’État transfère en outre aux régions qui participent au financement de l’enseignement artistique dans les domaines du spec-tacle vivant (musique, danse, art dramatique) préparant à l’entrée des établissements d’enseignement les concours financiers qu’il accorde à ces structures sur le territoire de ces régions, ce par convention (art. 216-2-1 du code de l’éducation). De ce point de vue et sous l’objectif annoncé « d’améliorer les conditions d’accès aux écoles supérieures d’enseignement artistique » dans un but « de diversification sociale », le texte institue un agrément ad hoc des formations dispensées par des établissements relevant des collectivités territoriales qui assurent une préparation à l’entrée dans les établissements d’ensei-gnement supérieur (art. L. 7595 du code de l’éducation). L’idée est de « revaloriser le service public assuré par les collectivités territoriales  » fortement concurrencé par le secteur privé (en ce sens, étude d’impact, p. 68). Enfin la technique de l’accréditation est aussi utilisée en matière d’enseignement supérieur de la création artistique dans le domaine du spectacle vivant et des arts plastiques, pour la délivrance des diplômes nationaux. Elle est consentie par arrêté conjoint des ministères chargés de l’enseigne-ment supérieur et de la culture (art. L. 759-3 du code de l’éducation). Pour la première fois et d’une façon très lisible apparaît la fonction de recherche en matière d’enseigne-ment artistique. Dans le système, l’État a par conséquent la maîtrise des agréments et accréditations, procède (comme auparavant) au classement des établissements en catégories selon leurs missions et leur rayonnement et définit un « schéma national d’orientation pédagogique dans le domaine de l’enseignement public spécialisé  » (art. L. 216-2 du code de l’éducation).

On le voit, au travers des différents dispositifs, sous la perspective annoncée d’harmoniser les politiques publiques en matière de création, l’État est tour à tour en posture d’autorité, de coordination, de coopération.

II. Les politiques patrimoniales

Quant au volet patrimonial, le matériau est dense et divers, dans le champ des musées, de l’archéologie, des monuments historiques. Façonnant de nouveaux outils, la loi modifie quelque peu les modes sur lesquels est conçu un certain nombre de protections en territoire notamment dans les relations État/collectivité territoriale (A). Ce fai-sant, elle apporte aussi des nouveautés dans la fonction de garde du patrimoine (B).

A. Les relations État/collectivité dans la protection du patrimoine

Une même tendance traverse l’ensemble de ces sec-teurs, le renforcement du rôle de l’État que ce soit au tra-vers du contrôle scientifique et technique (1) ou encore des processus de protections patrimoniales en codécision (2).

1. Le renforcement du contrôle scientifique et technique de l’État

Il est perceptible dans l’ensemble des secteurs patri-moniaux. Historiquement, le terme apparaît d’abord dans le domaine des archives. Sous des dénominations autres, la notion est cependant déjà présente dans d’autres secteurs. La loi de 1913 sur les monuments historiques évoquait la surveillance de l’État, terme également utilisé en archéologie pour les fouilles autorisées par l’État. Le contrôle scientifique et technique est aujourd’hui un terme partagé dans tous les champs patrimoniaux (46 occur-rences dans le seul code du patrimoine). Quoiqu’il ne soit pas précisément défini, il semble bien couvrir très large-ment tous actes touchant à la protection du patrimoine étant entendu que le périmètre varie selon le dispositif. Centré sur la conservation pour les monuments histo-riques, le contrôle s’exerce notamment sur la vérification de l’état et de la situation du bien, sur les travaux exercés, notamment en matière de restauration, sur leur conformité à l’autorisation donnée, finalement toutes interventions «  qui ne compromettent pas la conservation en vue de leur transmission aux générations futures » 7. Le ressort de l’archéologie, des archives ou des musées est de nature différente puisqu’à la mission de conservation se joignent des finalités autres : recherche scientifique, régime d’ac-cès, mise à disposition du public. L’on peut par consé-quent circonscrire cette notion à l’ensemble des modalités de contrôle de l’administration sur les missions patrimo-niales. Dans les rapports entre l’État et les collectivités territoriales, le CST s’adresse tout à la fois à la collectivité propriétaire d’un monument classé ou inscrit ou d’une col-lection de musée et à la collectivité investie d’une mis-sion de service public patrimonial. Pour autant, d’un point

7 Pour un examen détaillé des types d’actes relevant du CST, Origine portée, législation relative au contrôle scientifique et technique sur les monuments his-toriques, fiche pratique du ministère de la culture, réalisée par la DRAC Marti-nique.

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de vue procédural et opératoire, les ressorts du code du patrimoine ne précisent pas toujours très clairement la façon dont il doit s’exercer. C’est un des points auxquels s’attache la loi de 2016, et ce dans plusieurs des secteurs, avec comme outil d’appui, l’élaboration d’un projet scien-tifique et culturel. Par exemple, l’article L. 441-2 du code du patrmoine (CP) qui définit les missions permanentes des musées de France prescrit qu’ils doivent désormais «  établir un projet scientifique et culturel qui précise la manière dont sont remplies ces missions  » lequel doit inclure un volet éducatif. En matière d’archéologie pré-ventive, la loi réaffirme le rôle de l’État, qui notamment «  assure le contrôle scientifique et technique des opé-rations  ». En écho, les articles L. 522-7 et L. 522-8 pré-cisent dans quels termes les services des collectivités territoriales peuvent être habilités par l’État à réaliser des opérations de diagnostic et de fouilles d’archéologie préventives, en principe sur le territoire de la collectivité territoriale dont ils dépendent. Ces services étaient aupa-ravant soumis à agrément, sans grande précision sur le contenu des obligations souscrites. L’habilitation instruite à la demande des collectivités territoriales est au contraire plus exigeante dans la nouvelle loi quant aux garanties du service concerné. Elle est délivrée sur la base d’un dos-sier établissant leur capacité scientifique et technique et leur organisation administrative, qui comprend en outre un « projet de convention avec l’État fixant les modalités de sa participation à l’exploitation scientifique des opéra-tions d’archéologie préventive » (art. L. 522-8 du CP). De même les fouilles autorisées par l’État sont subordonnées à l’élaboration d’un projet scientifique. La préoccupation de la collecte et de l’exploitation scientifique des résultats jusqu’alors peu cadrée dans les textes est un des objectifs dominants dans les modifications relatives à l’archéologie. Comme observé à propos du recours à la technique du label, le levier du contrat permet non seulement de pré-ciser, mais encore de renforcer la charge juridique des obligations des collectivités vis-à-vis de l’État et ainsi de donner une consistance plus nette à la notion de contrôle scientifique et technique.

2. Les processus de codécision, l’état en surplombLa création des sites patrimoniaux remarquables – Le

droit du patrimoine architectural, urbain et paysager souf-frait « d’une complexité excessive » due à la « stratification normative  » et au cloisonnement des régimes de pro-tection (étude d’impact). À cela s’ajoutait le phénomène d’empilement de servitudes de sources diverses, ce que certains ont appelé le mille-feuille patrimonial. Il fallait une mise en ordre. C’est la raison d’être de cette nouvelle catégorie des sites patrimoniaux remarquables, servitude d’utilité publique qui regroupe sous un même chapeau les secteurs sauvegardés, les zones de protection du patri-moine architectural, urbain et paysager  8, et les aires de

8 Premier outil de cogestion patrimoniale introduit par les lois de décentra-lisation en 1983, enrichi d’un volet paysager en 1993, sur cet outil de grand intérêt, Patrimoine architectural, urbain et paysager, enjeux juridiques et dyna-miques territoriales, L’Harmattan, col. droit du patrimoine culturel et naturel (dir. M. Cornu, M.-A. Feraud, J. Fromageau, 2003.

valorisation de l’architecture et du patrimoine qui avaient vocation à se substituer aux ZPPAUP  9. Aux termes de l’article L. 631-1 du CP, « sont classés au titre des sites patrimoniaux remarquables les villes, villages ou quartiers dont la conservation, la restauration, la réhabilitation ou la mise en valeur présente, au point de vue historique, archi-tectural, archéologique, artistique ou paysager, un intérêt public », technique d’identification classique dans le droit du patrimoine, reliant les termes clés de conservation et d’intérêt public culturel. En principe, la décision de clas-sement, après enquête publique et avis de la Commission nationale de l’architecture et du patrimoine, résulte d’un processus de codécision puisque le classement se fait «  sur proposition ou accord de l’autorité compétente en matière d’urbanisme, de document en tenant lieu ou de carte communale et le cas échéant, consultation de la ou des communes concernées ». L’on pourrait alors estimer que, dans la mise en œuvre de ce nouvel outil de pro-tection, les rapports État/collectivité ne changent guère. Sinon, que, à défaut d’accord des autorités compétentes au niveau local, la possibilité est ici ouverte d’un classe-ment d’office. Par ailleurs, dans l’élaboration des anciens dispositifs, le processus avait été déconcentré entre les mains du représentant de l’État en département (préfet de département pour les secteurs sauvegardés) et en région (préfet de région pour les ZPPAUP et AVAP). Elle est ici reprise en mains par l‘État, en forme de recentralisation du pouvoir de décision, marquant doublement « la volonté d’unifier les procédures et de garder la main sur un outil générant un système de réduction d’impôts » 10.

Du point de vue des instruments de gestion de ces sites, le texte prévoit en outre l’établissement d’un plan de sauvegarde et de mise en valeur au sens du code de l’urbanisme tel qu’il est prévu pour les secteurs sauve-gardés ou d’un plan de valorisation de l’architecture et du patrimoine défini dans le code du patrimoine 11. Ces deux instruments définissent et précisent les objectifs et règles en matière de conservation, restauration, mise en valeur, sur fond de diagnostic des éléments patrimoniaux et pay-sagers couverts par le plan. Les collectivités territoriales concernées sont évidemment impliquées dans l’élabo-ration, la révision et la modification de ces plans, qui se réalise en concertation avec l’architecte des bâtiments de France. L’État apporte son assistance technique et finan-cière à l’autorité compétente, ce qui devrait encourager la création de SPR  12 (art. L. 631-3-I). Chaque site patrimo-nial remarquable est doté d’une commission locale com-posée de représentants locaux, de l’État, des communes concernées et des associations de protection du patri-moine, instance consultée dans l’élaboration, la révision ou la modification des plans de gestion avec éventuelle-ment une force de proposition (art. L. 631-3-I. du CP).

9 Créées par la loi Grenelle II du 12 juillet 2010.10 A. de Lajartre, « Loi patrimoine et gestion du patrimoine culturel par les collec-

tivités : tout change… ou pas », AJ Collectivités territoriales 2016, p. 616.11 Les documents applicables avant la loi restent en vigueur, le PSMV pour les

secteurs sauvegardés et les règlements d’AVAP et des ZPPAUP jusqu’à ce que s’y substituent les PVAP, ibid.

12 En ce sens, A. de Lajartre.

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Le régime de travaux est unifié, sans changements majeurs et un certain nombre d’articulations avec d’autres ressorts de protection sont opportunément mises en place. En particulier, les servitudes dérivant de la quali-fication de sites patrimoniaux remarquables ne sont pas applicables aux immeubles ou parties d’immeubles pro-tégés au titre des monuments historiques (inscrits ou classés). Lorsque cohabitent une protection au titre des abords, des sites et une protection au titre des sites patri-moniaux remarquables, la dernière neutralise le jeu des deux premières (art. L. 632-3 du CP).

Le processus de délimitation des abords obéit à une logique finalement assez voisine, le périmètre étant créé par décision de l’autorité administrative, sur proposition de l’architecte des bâtiments de France, après consul-tations diverses et accord de l’autorité compétente en matière de plan local d’urbanisme. Mais à nouveau, la délimitation peut en être décidée d’office par l’État (art. L. 621-31 du CP). On peut en l’occurrence se demander pour quelle raison, compte tenu de l’évolution de la notion même d’abords vers une protection d’ensemble patrimo-nial, avoir conservé ici un régime propre. Sans doute faut-il voir ici un degré moindre de protection relativement aux SPR.

Enfin, on peut signaler ici l’introduction dans le code du patrimoine d’un dispositif dédié aux éléments proté-gés au titre du patrimoine mondial en vertu de la Conven-tion Unesco de 1972. Outre les compétences qu’exerce chaque collectivité publique, la création d’une zone tam-pon « incluant son environnement immédiat, les perspec-tives visuelles importantes et d’autres aires ou attributs ayant un rôle fonctionnel important en tant que soutien apporté au bien et à sa protection » (art. L. 612-1 du CP) est délimitée en concertation avec les collectivités terri-toriales concernées puis arrêtée par l’autorité adminis-trative. Un plan de gestion est élaboré conjointement par l’État et les collectivités territoriales, puis arrêté par l’auto-rité administrative.

Au fil de ces différents dispositifs, se manifeste par conséquent une volonté étatique forte dans le champ de la protection du patrimoine.

B. Les collectivités territoriales propriétaires/gardiens culturels

Les dispositifs de protection d’éléments patrimoniaux concernent aussi les collectivités territoriales, en tant que propriétaires supportant un certain nombre de sujétions. La loi CAP est de ce point de vue, chargée en nouveau-tés, qu’il s’agisse des secteurs classiquement investis (les musées, les monuments historiques ou encore l’ar-chéologie) ou de l’apparition d’une nouvelle catégorie  : les domaines nationaux. Nous nous concentrerons ici sur quelques-unes des innovations du texte, notamment l’évolution de la propriété publique archéologique qui manifeste un recul des droits des collectivités territoriales au profit de l’État et la création de nouveaux outils et figures propriétaires marquées par un renforcement de la charge de protection (2).

1. Le patrimoine archéologique et propriété des biens mobiliers et immobiliers, retour vers la propriété étatiqueLa loi n°  2001-44 du 17  janvier 2001 avait institué un

mécanisme d’attribution des gisements immobiliers fondé sur le statut de bien sans maître au sens de l’article 713 du code civil. Neutralisant l’effet acquisitif de l’article 552 du code civil en vertu duquel la propriété d’un terrain emporte la propriété du dessous, la loi avait pour effet d’investir l’État de la propriété du bien. Le système avait pour fina-lité de contourner le possible grief d’expropriation. En l’absence de maître, l’État ne pouvait être contraint d’in-demniser le propriétaire évincé, du moins était-ce le calcul du législateur. Mais la modification de l’article 713 intro-duite par la loi du 13 août 2004 avait perturbé le système imaginé, en reconnaissant à la commune la propriété des biens sans maîtres trouvés sur son territoire. La loi nou-velle institue une propriété étatique sur les biens archéo-logiques immobiliers, dès leur mise au jour à la suite d’opérations archéologiques ou en cas de découverte fortuite. La technique de dévolution ne joue cependant que pour les terrains acquis après la publication de la loi du 17 janvier 2001, dans le droit fil de l’arrêt Vilhonneur 13. L’État reprend ainsi la main sur le sous-sol archéologique, dans l’idée qu’il s’agit d’un bien commun.

Les solutions, en matière mobilière sont voisines, avec cependant des règles qui ménagent une possibilité de propriété des collectivités territoriales. Les articles 552 et 716 du code civil ne sont pas applicables aux biens archéologiques mobiliers mis à jour au cours d’opérations archéologiques ou découverts fortuitement. Le système est à nouveau plus tranché que précédemment. Ces biens sont présumés appartenir à l’État pour les premiers, à compter de leur mise au jour, pour les seconds dès lors que leur est reconnu un intérêt scientifique justifiant leur conservation. Comme en matière immobilière, l’éviction du propriétaire et de l’inventeur ne joue que pour les ter-rains acquis postérieurement à la publication de la loi du 17 janvier 2001.

La loi, en outre, prévoit une possibilité de transfert de propriété à titre gratuit qui peut bénéficier aux collectivi-tés territoriales puisqu’elle s’adresse «  à toute personne publique qui s’engage à en assurer la conservation et l’ac-cessibilité sous le contrôle scientifique et technique des services chargés de l’archéologie ». Où l’on voit à nouveau refleurir la maîtrise de l’État sur la question patrimoniale avec une innovation intéressante dès lors que dans la mécanique de transfert, l’État oblige la personne béné-ficiaire en termes de conservation, selon une technique voisine de celle qu’avait imaginée le législateur des monu-ments historiques 14.

13 CE 24 avril 2012, req. n° 346952, qui considérait que le mécanisme de dévolu-tion à l’État sans compensation portait atteinte au droit du propriétaire ayant acquis son terrain avant l’entrée en vigueur de la loi de 2001.

14 Qui prévoit, en cas d’expropriation d’un bien suite à la négligence du proprié-taire, une possible cession de gré à gré à une personne en précisant dans un cahier des charges les modalités de d’utilisation et de conservation, art. L. 621-21 du CP.

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2. Nouveaux outils, nouvelles figures propriétaires, le renforcement de la charge de protectionLa tendance est au renforcement de la protection. Elle

se manifeste dans de nombreux ressorts, celui de la cir-culation des œuvres, de la conservation des archives, des collections et des monuments emblématiques. Nous n’entrerons pas dans le détail des protections, par exemple les nouvelles servitudes des monuments histo-riques concernant les ensembles (mobiliers, mixtes, col-lections archéologiques, ressorts de grand intérêt pour assurer l’indivisibilité de certaines universalités) ou les rares articles concernant les archives 15. Nous évoquerons quelques-unes des innovations symptomatiques de ce mouvement de renforcement de la charge de protection.

La lutte contre le trafic illicite, nouveaux outils de restitutionOutre les règles générales relatives à la circulation des biens

culturels, la loi contient un dispositif original qui permet à une personne publique propriétaire d’un bien culturel apparte-nant au domaine public mobilier d’agir en nullité de la vente, lorsqu’il lui est apporté la preuve qu’il a été volé ou illicitement exporté après l’entrée en vigueur, à l’égard de l’État d’origine et de la France de la convention Unesco du 14  novembre 1970 16. Elle peut aussi demander au juge d’ordonner la res-titution du bien à l’État d’origine ou au propriétaire légitime s’il en fait la demande. La personne publique propriétaire a droit au remboursement du prix d’acquisition par le vendeur. Ce dispositif ne se substitue pas à toute autre voie de droit, en particulier les actions en revendications exercées par des tiers. Simplement, il permet de surmonter les écueils d’une restitution volontaire à un État tiers, opération exigeant un déclassement du bien du domaine public. Le domaine public mobilier se définit par référence aux biens présentant un inté-rêt d’histoire, d’art, d’archéologie, de science ou de technique appartenant à une personne publique. Il suppose par consé-quent que soit démontrée la perte d’intérêt public. Ce n’était pas le cas dans l’affaire des fresques funéraires du musée du Louvre restituées à l’Égypte sur un mode volontaire, et la pro-cédure de déclassement avait pu être critiquée. Cette nou-velle règle (sorte d’amendement Tetiky) permet, par exception ce type de restitution, à la condition que la situation illégale se soit constituée après l’entrée en vigueur de la convention de 1970 (la France l’a ratifiée en 1997).

Les domaines nationauxUne figure tout à fait inédite fait son entrée dans les

catégories du droit du patrimoine : les domaines nationaux définis comme « des ensembles immobiliers présentant un lien exceptionnel avec l’histoire de la Nation et dont l’État est, au moins pour partie, propriétaire  ». La référence à l’Histoire nationale et la filiation évidente avec le domaine

15 Le dispositif inclut notamment plus lisiblement le volet numérique avec la pos-sibilité de mutualiser leur conservation entre services publics d’archives (art. L. 212-4-1 du CP). Le texte revient par ailleurs sur les modalités de dépôt des archives des communes (art. L. 212-11, L. 212-12).

16 Convention concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’im-portation, l’exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels, Pars, Unesco.

de la Couronne attestée notamment par la dénomination choisie nous ramènent ici à une conception de l’intérêt public que la notion contemporaine de patrimoine avait sérieusement fait évoluer notamment à partir des années soixante-dix. « Ces biens ont vocation à être conservés et restaurés par l’État dans le respect de leur caractère his-torique, artistique, paysager et écologique. » On notera ici l’association tout à fait inédite entre le culturel et le naturel dans le code du patrimoine. La délimitation des domaines nationaux relève exclusivement de l’État – on le conçoit dès lors qu’il endosse une responsabilité y compris finan-cière – sachant que des collectivités territoriales sont concernées en tant que propriétaires de ces domaines. L’un des effets majeurs est de renforcer le statut de ces biens. Ceux d’entre eux qui appartiennent à l’État, sont inaliénables et imprescriptibles. Ils sont classés de plein droit au titre des monuments historiques et sont par ail-leurs déclarés inconstructibles. Pour les autres, ils sont simplement inscrits au titre des monuments historiques Mais ce régime, en apparence radical, souffre un certain nombre d’exceptions. L’inconstructibilité peut être écar-tée pour les « bâtiments ou structures nécessaires à leur entretien ou à leur visite par le public ou s’inscrivant dans un projet de restitution architecturale, de création artis-tique ou de mise en valeur  ». La franchise est large. En outre la cession de ces biens peut être réalisée au profit d’une autre personne publique, l’opération ne remettant pas en cause le statut d’inconstructibilité, mais écornant évidemment celui d’inaliénabilité et d’imprescriptibilité sauf à ce que ces éléments relèvent du domaine public immobilier de l’acquéreur public. Il faut aussi souligner l’introduction d’un droit à l’image exercé par le gestion-naire du domaine en question, en forme de consolidation de la jurisprudence Chambord 17 ou affaire Josse 18.

Avec l’introduction de cette nouvelle catégorie, on pour-rait être tenté de penser que l’on franchit une nouvelle étape dans la reconnaissance de la propriété culturelle. Quel que soit le propriétaire, privé ou public, le domaine national peut être classé et placé sous la garde de l’État. Mais il semble plutôt que la notion n’est pas été tout à fait pensée comme telle, davantage portée par l’actualité de certains dossiers dans lesquelles les associations de défense du patrimoine sont « montées au créneau législa-tif ». La réalité multipropriétaire de certains d’entre eux a très certainement conduit le législateur à en moduler les règles.

Les musées et la conservation des œuvresSur le modèle du droit des monuments historiques, la

loi permet à l’État d’obliger le propriétaire de collections musées de France à réaliser des travaux lorsque leur intégrité «  est gravement compromise par l’inexécution ou la mauvaise exécution de travaux de conservation ou d’entretien  ». Il peut également imposer des travaux d’office. Dans les deux cas, la part de dépense suppor-tée par l’État ne peut être inférieure à 50 %. Le pouvoir de contrôle scientifique des restaurations est également

17 CAA Nantes 16 décembre 2015, n° 12NT01190.18 CE 23 décembre 2016, n° 378879.

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renforcé (art.L. 452-2 du CP). Les instances scientifiques consultées aux termes de l’article L. 452-1 du CP peuvent assortir leur avis de prescriptions motivées. Lorsque les travaux sont réalisés alors qu’un avis défavorable a été émis par l’instance scientifique ou qu’ils ne sont pas réali-sés conformément à ses prescriptions, le ministre chargé de la culture peut mettre en demeure le propriétaire de les interrompre et ordonner toute mesure conservatoire utile afin d’assurer la préservation du bien. Enfin, parmi les nouveaux labels, la loi introduit le pôle de référence, nouvelle modalité de gestion des collections des musées de France décidée par l’État. Ils ont vocation à « rassem-bler, conserver et valoriser des collections publiques non présentées dans le musée de France qui en est proprié-taire, selon des thématiques précises définies préalable-ment dans un projet scientifique et culturel ». On peut se demander quel est le besoin de ce nouvel habit juridique, survenu à la faveur d’un amendement au cours des débats parlementaires. Les conditions posées par le texte moti-vées par la nature particulière des collections ressemblent fort à une création opportuniste destinée à habiller le pro-jet d’une collectivité territoriale (art. 69 loi CAP).

Que l’on se tourne vers le droit de la création ou vers le droit du patrimoine, on observe plusieurs tendances se dégagent  : assurément la présence plus marquée de l’État, la volonté de rationalisation de l’action publique (qui ne va pas toujours au bout de la logique initiée) et de coordination. On peut aussi mettre au crédit quelques nouveautés qui cependant pour un certain nombre sont dans le fil des politiques culturelles engagées depuis le début du xxe siècle pour le patrimoine, la deuxième moitié du xxe siècle pour la création. Ce premier texte de droit de la culture revendiqué comme tel, en ce sens, en consolide les assises. ■

Marie CORNUdirectrice de recherches CNRS (Institut

des Sciences sociales du Politique, UMR 7220, ENS Saclay, Université Nanterre, CNRS)