la liberte absolue dans la revolte - artaud_ antonin

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Studio CInéma - 100 rue de la Folie Méricourt 75011 Paris - Le loft 100 Accueil Principal & Théâtre - 55 rue des Alouettes 75019 Paris 01 42 00 06 79 www.acting-international.com Synthèse par Robert Cordier Directeur d'Acting International Directors Unit de l'Actors Studio, New York Antonin Artaud Artaud: citations Nos Méthodes & Techniques La liberté absolue dans la révolte PAS DE MAGOUILLES : " Artaud, c'était pur. C'était le cri de l'homme excédé par lui-même. C'était le grand soubresaut hurlant et morveux de ceci ou de cela gainé, ganté dans l'horreur de notre chair, et qui s'impatiente déchirant le gant, se déchire, à mourir. Ainsi Van Gogh, sous prétexte de peinture, explosait le monde et sa propre oreille tombait à ses pieds. Antonin Artaud s'est à bon escient suicidé sa vie durant, sans une heure de répit, sans se préoccuper de disciples, d'imitateurs, pour notre salut. " -- Jacques AUDIBERTI LE THEATRE ET LA SCIENCE Le théâtre vrai m'est toujours apparu comme l'exercice d'un acte dangereux et terrible où d'ailleurs aussi bien l'idée de théâtre et de spectacle s'élimine que celle de toute science, de toute religion et de tout art. L'acte dont je parle vise à la transformation organique et physique vraie du corps humain. Pourquoi ? Parce que le théâtre n'est pas cette parade scénique où l'on développe virtuellement et symboliquement un mythe mais ce creuset de feu et de viande vraie où anatomiquement, par piétinement d'os, de membres et syllabes, se refont les corps, et se présente physiquement et au naturel l'acte mythique de faire un corps. (…) Antonin ARTAUD, 1947 Ce texte au bas duquel Artaud a noté : " …parfois j'y ai comme frôlé l'ouverture deMon ton de cœur. " Ainsi, il fallait qu'Antonin Artaud pense selon son corps, pour savoir qu'il ne suffit Pas de penser selon son cerveau Mais il faut lire le texte entier in " ŒUVRES " Quarto/Gallimard, éditeur antonin artaud

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Page 1: La Liberte Absolue Dans La Revolte - Artaud_ Antonin

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Synthèse par Robert CordierDirecteur d'Acting InternationalDirectors Unit de l'Actors Studio, New York

Antonin Artaud

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La liberté absolue dans la révolte

PAS DE MAGOUILLES : " Artaud, c'était pur. C'était le cri de l'homme excédé par lui-même. C'était le grand soubresaut hurlant et morveux de ceci ou de cela gainé, ganté dans l'horreur de notre chair, et qui s'impatiente déchirant le gant, se déchire, à mourir. Ainsi Van Gogh, sous prétexte de peinture, explosait le monde et sa propre oreille tombait à ses pieds.

Antonin Artaud s'est à bon escient suicidé sa vie durant, sans une heure de répit, sans se préoccuper de disciples, d'imitateurs, pour notre salut. " -- Jacques AUDIBERTI

LE THEATRE ET LA SCIENCE

Le théâtre vrai m'est toujours apparu comme l'exercice d'un acte dangereux et terrible où d'ailleurs aussi bien l'idée de théâtre et de spectacle s'élimine que celle de toute science, de toute religion et de tout art.

L'acte dont je parle vise à la transformation organique et physique vraie du corps humain. Pourquoi ? Parce que le théâtre n'est pas cette parade scénique où l'on développe virtuellement et symboliquement un mythe mais ce creuset de feu et de viande vraie où anatomiquement, par piétinement d'os, de membres et syllabes, se refont les corps, et se présente physiquement et au naturel l'acte mythique de faire un corps.(…) Antonin ARTAUD, 1947

Ce texte au bas duquel Artaud a noté : " …parfois j'y ai comme frôlé l'ouverture deMon ton de cœur. "

Ainsi, il fallait qu'Antonin Artaud pense selon son corps, pour savoir qu'il ne suffit Pas de penser selon son cerveauMais il faut lire le texte entier in " ŒUVRES " Quarto/Gallimard, éditeur

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Page 2: La Liberte Absolue Dans La Revolte - Artaud_ Antonin

L' ETRE INTEGRAL DE POESIELA MACHINE DE SOUFFLE. LE THEATRE C'EST LA LIBERTE, LA LIBERTE, LA LIBERTE. LA LIBERTE SANS TRIADE. LA LIBERTE ABSOLUE DANS LA REVOLTE.

" Savez-vous au juste ce que c'est que la cruauté ? " Hein ? Et le théâtre de la cruauté ? "'Cruauté' quand j'ai prononcé ce mot, a tout de suite voulu dire 'sang' pour tout le monde. Mais, 'Théâtre de la cruauté' veut dire théâtre difficile et cruel d'abord pour moi-même. "

En 1923 Artaud, acteur alors si beau & puis décorateur à L'Atelier de Charles Dullin, écrit à Jacques Rivière, directeur de la " sacro-sainte N.R.F " qui refuse de publier ses poèmes du Pèse-nerfs : " Je souffre d'une effroyable maladie de l'esprit. Ma pensée m'abandonne à tous les degrés. " Et cependant cet acteur-là, ce "petit poète a l'imagination stupéfiée, " a allumé d'un jet de mots de sang avec le Théâtre de la Cruauté " cette harmonieuse discorde, " les feux du théâtre nouveau. Carbonisant les formes éculées de l'effort scénique, il l'incite et le lance, remis tout à neuf, dans une"certaine direction" décisive. Puis, 'l'homme' s'engage dans une longue ascèse à la conquête de sa liberté de poète. Sa vie durant, voyant envoûté, il a relevé les feuilles de température du Fabuleux Invalide et du Cinématographe et pris les plus beaux clichés mentaux, hallucinants, certes, mais tellement justes de leurs futures éternités. Capitalement du ciel de son esprit, des enfers de sa viande et sexualité ; d'une prose au rasoir aux mots bourrés de gris-gris, écrits pour les analphabètes, celui qui disait, " Je suis un génital inné, à y regarder de près cela veut dire que je ne me suis jamais réalisé ", se " refait ", retrouvant dans le Feu et y faisant un corps, qui nous signale du bûcher, & " per non morire " la vie du vrai théâtre en un chef-d'œuvre sans pareil, " Le Théâtre et son Double, " une série de textes qui proclament une révolte qui se confond à la fois avec sa nature et sa présence magnétique, qui " entraînait avec elle un paysage de roman noir, transpercé d'éclairs. " --André BRETON

" Viendront d'autres horribles travailleurs; ils commenceront par les horizons où l'autre s'est affaissé. " Antonin Artaud, le gentil Artaud de Dullin, chez qui il pensa retrouver un moment " une mystique oubliée de la mise en scène, " l'amoureux insurgé du " péché du désir " de Génica Athanasiou, l'Antigone de Cocteau " au visage de lait et aux yeux de topaze ", qu'il exhorte de " cesser de penser avec son sexe, " fut le seul de notre métier, qui posséda alors et à jamais l'impensable courage d' " howler " " présent " à la consigne désespérée de Rimbaud. L'horrible travailleur annoncé par Jean-Arthur, c'est lui : cet Art-Aud qui osa oser digérer en son œuvre, celle de l'enfant géant et tellement considérable de Charleville pour en poursuivre par le théâtre--et pour qu'il soit dans la révolte qui eut lieu-- la ligne rouge et absolue d'Une Saison en Enfer. Se jetant dans le précipice de soi-même, sans évaluer ni regarder les possibles conséquences, sans faire d'étapes, ni de haltes, au final il rendit clair ceci : " la vérité doit circuler non d'esprit à esprit mais de corps à corps. " C'est que pour dire oui aux choses, à la nature, à la tendresse et à l'amour, il lui fallait d'abord faire reconnaître " la haute mesure d'équité sans secret. "

Antonin Artaud

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Le vrai théâtre date d'avant Eschyleet dans Eschyle il est déjà encastré, il est mort dans une réalité soit-disant fabuleuse, mais où tout le con de l'histoire, science, rite, intelligence, esprit, famille, société, dieu, genèse, nativité,étale, là, à plein hymen sa membrane soit-disant barbare bonne à être copulée par toute la horde de l'humanité.

Machine force éructante de feux,le corps premier ne connaît rien,ni famille ni société, ni père ni mère,ni genèse hantée par les sbires des institutions, des entités.Il ne connaît rien. Il éructe. Des poings. Des pieds. De la langue. Des dents.C'est un barattement de squelettes barbaressans fin ni commencement,un effroyable concassement ardent.Et c'est cela le Théâtre de la Cruauté.Que lui importent des passions racontées.Qu'importe l'amour à qui a le mors aux dents.La mort aux dents.

C'est un théâtre sans spectateurs, ni scènes, avec uniquement des acteurs.Des acteurs qui n'aient pas froid aux Yeux.Quand j'en aurai trouvé 10 ou 15 alorsj'inaugurerai Le Théâtre de la Cruauté. " -- ARTAUD 47 - 48

Antonin Artaud en l'éternité de son théâtre qui n'eut pas lieu, en " la matérialisation corporelle et réelle d'un être intégral de poésie ", en son exemple d'acteur qui jouant en poète " fait gicler le phonème quand le mot n'en peut plus ", par son présent infini et l'œuvre la plus décisive qu'on ait rêvé, pensée et vécue dangereusement à l'arme blanche d'un " athlétisme affectif imparable, " écrite toute entière en acteur, aux mains de qui se noie reste à jamais un poème sacré.

" Avec moi c'est l'absolu ou rien, " dit-il.Avec Antonin, " ça a été l'absolu ".

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Comment pas d'être et un corps ?Mais c'est encore plus fini que le fini !Le théâtre était une mécanique naturaliste étrange qui avait été instaurée pour faire taire tout ce qui s'imagine être, parce que ça n'existe pas.

Passer de corps en corps, ni mot ni parole, le geste, attitude, son, cri, soupirinsufflation profonde qui inspire à l'homme l'oubli,l'oubli de quoi que ce soit qui pourrit être autour du simple corps.Le corps humain.Mais qui a dit que c'était un être et qu'il existât ? Il vit. Cela ne lui suffit-il pas ?Je gagnerai le néant avant toi, dieu, disait le corps à l'esprit, parce que je vis.Et qu'est-ce que c'est qu'un corps ?Qu'appelle-t-on corps ?On appelle corps tout ce qui est fait sur le modèle de l'homme, qui est un corps, et qui n'a jamais dit ou pu croire que ce corps était le fini, était fini.A-t-il déjà cessé de vivre, d'avancer,jusqu'où ira-t-il non pas dans l'éternité, mais dans le temps illimité.Et cela qui l'a jamais dit jusqu'où il irait ? Personne.Jusqu'à présent encore personne. Le corps humain n'est jamais achevé.C'est lui qui parle, lui qui frappe, lui qui marche, lui qui vit.Où est l'esprit,qui l'a jamais vu sauf pour vous le faire croire, à vous les corps ?Il est devant le corps, autour de lui,comme une bête, une maladie.

Ainsi donc le corps est un état illimité qui a besoin qu'on le préserve,qu'on préserve son infini.Et le théâtre a été fait pour cela.Pour mettre le corps en état d'action active efficace, effective,pour faire rendre au corps son registre organique entier, dans le dynamisme et l'harmonie.Pour ne pas faire oublier qu corps qu'il est de la dynamite en activité.Mais cela qui le sait encore dans un monde où le corps humain ne sert plus qu'à manger, à dormir, à chier et à forniquer.Quand le corps humain s'est accompli dans le coït il a tout dit,Alors que le coït de la sexualité n'a été fait que pour faire oublier un corps par l'éréthisme de l'orgasme qui est une bombe, une torpille aimantée devant laquelle la bombe atomique de Bikini n'a plus et n'est plus que la science et la consistance d'un vieux pet rentré.

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"Ainsi, acteur né, fut-il notre Ghandi. Un tempérament démonstratif. Comme M. Jésus de Nazareth. Mais, tout en risquant sa peau, sans y être obligé, " écrit le grand Audiberti.

Pour parler clair, disons ici, qu'avec le naufrage de son amour pour Génica la vie privée d'Artaud tourne au désastre. Hanté par le sexe à mesure même qu'il en hurle son exécration, il refuse sa sexualité qu'il estime alors être le contraire de l'exaltation spirituelle dans laquelle il est : " Je suis géant (…) je suis un sommet où les plus hautes mâtures prennent des seins en guise de voiles, pendant que les femmes sentent leurs sexes devenir durs comme des galets. " Pour lui, refuser le sexe et le désir, c'est jeter à la poubelle tous compromis avec un monde effroyable, haineux, frustrant et bourré d'insatisfaction où l'on ne peut agir que sous couvert d'imposture, de cynisme, de pur mépris ou de duplicité. Il ne veut pas, comme son ami Jouvet, hurler nécessairement avec les loups., beurrer son persil. Peu lui chaut cette drogue, la gloire. " L'amour est oblique… la vie est oblique… la pensée est oblique…tout est oblique. " Refusant de tomber sous le joug de qui que soit, fusse-ce même Charles Dullin dont il disait parfois " Ce soir j'irai tuer Dullin " ou encore la femme de sa vie, Génica, ou d'aucune contingence, Artaud l'insurgé du corps et de l'âme ne se courbera jamais, mais par là même, il s'exclut de cette sexualité qui le fascine tant. " Géant, la tête dans le ciel, il n'est en fin de compte que solitaire, hors du monde. " Pour celui qui voulait rebâtir son âme et son corps en un feu de joie créatif, qui tant voulait que la sexualité soit extase, c'est l'échec. Un échec après l'autre ! Mais, dans cette chaîne d'échecs matériels, de factures à régler, d'acteurs engagés pour " Les Cenci " et qu'il faut payer cash, ou d'incompréhensions qui décidèrent de son destin , l'Artaud génie tragique, l'Artaud prophète incontournable, survolté et magique naîtra, d'une plongée dans les abîmes. " La vraie vie est ailleurs ! "Mais où ? Dans le Vide ? Qu'à cela ne tienne, son théâtre sacré surgira de cet ailleurs qui est le Vide. Son œuvre qui est un suicide qui a duré, qui aura duré toute sa vie et qui dure dans l'amour de la beauté infracassable d'un temps sempiternel, au cœur d'un monde qu'il savait effroyable. Parions franc : un tel amour ne vaut-il pas une éternité ?

Cependant, pour que ce suicide ait une telle force d'âme et d'amour des corps à rebâtir : Il fallait d'abord avoir envie de vivre Et non de mourir Ou d'être mort

A ce besoin effréné d'agir pour effectuer rien moins qu'un renouveau du monde, un changement de société, une totale transformation spirituelle du monde et du théâtre qui deviendrait par l'alchimie du souffle et du cri, par la charge affective des phrases, l'action intentionnelle des gestes et des intonations, une métaphysique magique et dionysiaque, à cet appétit féroce de créer des acteurs d'un type nouveau, brûlant d'énergie créatrice et révoltés dans la mouvance puis le dépassement de Dullin.

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A ce besoin vital qu'il avait de vivre, non plus dans un corps qu'il subit, mais dans et pour l'action du théâtre et du cinéma personne ne répondit ; ni ses amis du métier, ni les surréalistes qui, Breton en tête, le renièrent en le couvrant d'insultes ; ni les snobs, ni les bourgeois, ces " âmes de singes ", ne lui permirent satisfaction. A " … ce corps [qui] est un fait : moi, " on ne fit pas accueil, ni ne lui donna-t-on l'espace où jouer : Jouvet ('Nobody's perfect !') ni les autres ne l'engagèrent pour une durée sérieuse, mis à part Dullin tout au début, ou Dreyer dans " Jeanne d'Arc ", ou Abel Gance, qui lui offrit Marat dans son " Napoléon ", on ne lui proposa qu'apparitions &… " peanuts. " Hélas !Artaud ne fit pas carrière, mais est-ce vraiment tragique ? En 1931 il déclare à Jouvet : " Je suis beaucoup moins fou qu'on ne croit, je ne le serai plus du tout du jour où j'aurai quelques responsabilités importantes et que je me trouverai à même de déployer toute mon activité dans un sens intéressant. " Mais, " sur la mer calmée, nulle fumée… " rien de chez Rien ne vint à son appel, ni sol, ni ciel. Bientôt, il ne cherchera même plus à faire son métier d'acteur. Antonin Artaud ne se tu pas pour autant, ni ne ferma boutique. Là où il était il n'y avait plus à penser, " le corps est sain quand il ne pense pas. " Il fouetta son innéité, se fit mal à la gueule, fit sang et sévit plus haut, plus fort, au plus profond en rédigeant à la volée " Le Théâtre et son Double ", son ouvrage capital (si souvent mal compris) où il émet ses " coups de gueule et de dés " et force la porte du mystère abouché avec le vent neuf de la réalité, qui est énorme. Cet ouvrage intenable et absolument nécessaire, qui tout en élaborant les structures de son théâtre projette une transformation culturelle qui " commence par une idée renouvelée de l'homme ", ce brûlot qui innerve à jamais la vie de ceux qui le " lisent " et le " pigent vraiment, " selon son sens métaphysique, les remettant à l'endroit, et radicalement, deviendra un appel infini, au meilleur de l'homme en jeu.

Traduit dans le monde entier, il eut et continue à avoir une influence énigmatique sur un nombre non quantifiable de metteurs en scène, théoriciens et acteurs de théâtre et de cinéma. Ainsi, s'il avait en fait décidé en 1930 de mettre la clé sous la porte du Théâtre Alfred Jarry, sur lequel il avait tant compté et qui fit un bide fracassant, il n'en avait pas pour autant abandonné l'idée de révolutionner 'l'idée même de théâtre.' Le premier manifeste, le Théâtre de la Cruauté qui sort dans la prestigieuse NRF en octobre 1932 ni va pas par quatre chemins : ça met le feu à la baraque et carrément: " Ni l'Humour, ni la Poésie, ni l'Imagination, ne veulent rien dire, si par une destruction anarchique, productive d'une prodigieuse volée de formes qui seront tout le spectacle, il ne parviennent à remettre en cause organiquement l'homme. " Refaire sur la scène de théâtre un nouveau corps à l'homme, lui ramener son " magnétisme nerveux ", sa " densité voltaïque ", l'organicité et la force d'une "vie passionnée et convulsive ".

Non pour parler clair, alors que la vie s'en allait, que le bateau Europe et autres affreux rafiots du théâtre psychologique & de la soumission au texte, dérivaient en perdition il fallait donner un fameux coup de jeune et de cruauté à ce théâtre occidental qui faisait eau de tous ses signes épuisés rebattus et de sa tradition éculée. Il était temps, il était grand temps de retrouver les sources magiques d'un théâtre sacré et vital, celui d'un extrême déploiement poétique, musical et plastique de l'espace de jeu et du regard, celui du geste roi. En bref " toute une stéréophonie de la chair profonde : l'articulation du corps véritable. "

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Comme chez les Balinais, " ces métaphysiciens du désordre naturel " il fallait que tout vibre et crache -lumières, gestes absolus, images telles les hallucinations visuelles des tableaux de Bosch, couleurs et objets de jeu-- que la chair et le sang et les nerfs se réincarnent à nouveau au théâtre en un langage corporalisé et physique, halluciné, agissant : la cruauté, " cette force qui articule la masse et le signe " car " tout ce qui agit est une cruauté. C'est sur cette idée d'action poussée à bout, et extrême que le théâtre doit se renouveler. " Car, " dit Antonin Artaud, " dans l'état de dégénérescence où nous sommes, c'est par la peau qu'on fera rentrer la métaphysique dans les esprits. " Et d'ajouter capitalement : " On ne peut continuer à prostituer l'idée de théâtre qui ne vaut que par une liaison magique, atroce, avec la réalité et avec le danger. " Danger !! le mot estlâché, il va faire mouche, avec celui de double et ceux de geste, et de corps. Et en plus clair encore, il ajoute : " Il s'agit donc, pour le théâtre, de créer une métaphysique de la parole, du geste, de l'expression, en vue de l'arracher à son piétinement psychologique et humain. […]

Mes idées qui touchent à la Création, au Devenir, au Chaos, et sont toutes d'ordre cosmique, fournissent une première notion d'un domaine dont le théâtre s'est totalement déshabitué. Elles peuvent créer une sorte d'équation passionnante entre l'Homme, la Société, la Nature et les Objets.

Ce fou qui parle, du bleu du ciel mental et de l'enfer des nerfs, cet " Artaud le Momo," poète à en mourir est l'homme le plus conscient qui fut. Ni apaisant, ni poétiquement correct 'vivre' avec lui est périlleux, et peut-être ne le faut-il pas. Même si sa vie fut exemplaire, l'exemple est inimitable, il ne faut pas le suivre, ni surtout le copier en matière de théâtre. Pourtant, ne pas 'l'entendre' équivaut à signer un pacte avec la mort dans l'art. La flamme dévorante en lui & qui d'ailleurs le dévora, en brûla d'autres qui s'écrasèrent ou bien firent œuvre, non pas en le suivant, mais en développant leurs propres visions et pensées à l'intérieur d'une voie ouverte en fonction du Vide et de l'Absurde qu'Artaud portait en lui. Comme par exemple : Brecht, qui le rejoint dans son opposition à lui, en un désir partagé d'une " totale transformation spirituelle " qui imposerait " la totale transformation du théâtre. " Genet, Adamov, Ionesco & Dhomme, Cage, Weingarten, Beckett, Blin, Vauthier, Grotowski, Le Living, Cordier, Shepard, Brook, Chaikin, Koltès, Kane… tant d'autres.

LE CORPS HUMAIN. " Le théâtre c'est la liberté, la liberté, la liberté, la liberté sans triade.L'intelligence est un conLe génie est un con.La science n'est pas, elle n'entre pas dans le savoir, le savoir n'entre pas dans la conscience, la conscience n'entre pas dans l'existence, l'existence n'entre pas dans le corps. Partout où il n'y a pasquelque chose qui se sente comme un être, (et au diable l'être : c'est le fini), il n' y a que le corps.