la lettre de la bibliothèque n°45

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D’un Japon hétérogène Directeur de la publication Sawako Takeuchi Rédaction Chisato Sugita Pascale Doderisse Racha Abazied Cécile Collardey Conception graphique et maquette La Graphisterie.fr Impression Imprimerie Moutot Dépôt légal : 2 e trimestre 2014 ISSN 1291-2441 Bibliothèque Maison de la culture du Japon à Paris 101 bis, quai Branly 75740 Paris cedex 15 Tél. 01 44 37 95 50 Fax 01 44 37 95 58 www.mcjp.fr Ouverture Du mardi au samedi de 13h à 18h Nocturne le jeudi jusqu’à 20h Fermeture Les dimanches, lundis et jours fériés et tout le mois d’août 4 n° 45 - Printemps 2014 La lettre de la bibliothèque 1 Q uel est le point com- mun entre l’Américain Hideo Levy, la Chinoise Yang Yi, le Suisse David Zoppetti et l’Iranienne Shirin Nezammafi ? C’est très simple : tous écrivent aussi bien dans leur langue natale qu’en japonais et pas- sent fréquemment d’une culture à l’autre, véritables passerelles vivantes entre l’archipel japonais et d’autres aires culturelles. Un autre point commun ? Aucun d’entre eux n’est traduit en France ! Les éditeurs n’en voient pas encore l’importance, n’y reconnaissant pas les signes de « la » culture japonaise. Pourtant, ces écrivains ont tous rem- porté de nombreux prix, y compris le prix Akutagawa – le plus prestigieux – attribué à Yang Yi en 2008. Autant dire qu’ils sont reconnus dans l’espa- ce littéraire japonais : la plupart est d’ailleurs aujourd’hui intégrée dans la catégorie des « littératures trans- frontalières » (ekkyô bungaku), assez largement utilisée par la critique japonaise. On pourrait y ajouter les Japonaises Mizumura Minae, qui utilise l’an- glais et le français, ou Tawada Yôko, écrivant aussi bien en japonais qu’en allemand, la seule traduite en fran- çais pour le moment. Tous représen- tent l’émergence et l’affirmation, depuis une vingtaine d’années, d’une littérature de langue japo- naise qui déconstruit le lien uni- voque entre la langue et la nation, et développe un espace hybride où communiquent plusieurs cultures, dans une cohabitation de deux – voire de plusieurs – langues de référence et une constante réin- vention de soi prenant pour base un dynamisme identitaire. Pourtant, de nombreux pays conti- nuent à privilégier une représenta- tion uniforme de la société japonaise, comme si elle était constituée sur le modèle d’un conglomérat conscien- cieux, formé de particules complé- mentaires. Le Japon y est doté d’une sorte d’homogénéité native, parfois contradictoire certes mais qui se résout toujours en une harmonie quasi-miraculeuse, comme dans l’un des stéréotypes les plus assénés sur le pays, qui consiste à le présenter comme un « mélange de tradition et de modernité ». Mais un mélange de tradition et de modernité, en vérité, quel pays n’en est pas un ? Les auteurs dont je viens de parler dessinent de nouvelles formes de créativité, d’appar- tenance et d’identité, mais aussi l’image d’un autre Japon, pluriel, anarchique, hétérogène, qui se pense aussi et même davan- tage en termes d’échanges et d’hybri- dation, c’est-à-dire d’interactions culturelles et identitaires, dévoilant l’extraordinaire archaïsme des réfé- rences à une pureté originelle dans la construction des identités. Ils invi- tent à tenir compte des migrations, anciennes et nouvelles, de la multi- plication des lieux d’appartenance, d’une époque où les identités collec- tives et individuelles ne peuvent plus être fixées par des a priori spatiaux et temporels, mais se pensent sur un mode dynamique, en termes d’inte- ractions, d’adaptations, de réappro- priations. Tendre l’oreille à ces textes permet- trait de remplacer une vision tou- jours assez monolithique et orienta- liste du Japon par la restitution de ses contradictions sociales et de ses ambiguïtés politiques, ainsi que de son dynamisme créateur. Les tradui- re, les lire, les comprendre aiderait à une meilleure perception du Japon mais aussi, à travers lui, des muta- tions interculturelles très profondes qui sont à l’œuvre de nos jours dans le monde entier. C’est rien moins qu’un éclairage nouveau sur le japonisme qu’offre cette collection de fac-similés éditée sous l’égide de la chercheuse Brigitte Koyama-Richard, spécialiste de littérature comparée et d’histoire de l’art. Le japonisme est, en effet, surtout connu à travers ses déclinaisons dans le monde des arts, bien que la scène littéraire ait aussi reflété l’engouement de l’époque pour le Japon. Émile Zola, Guy de Maupassant, Edmond de Goncourt évoquèrent le pays, tandis que Judith Gautier et Pierre Loti allèrent jusqu’à en faire le cadre de romans. Mais, dans l’ombre de ces grands noms, des ouvrages japonisants plus modestes dans la lignée des romans de voyage et d’aventure connurent aussi un succès d’estime. Tombés pour la plupart dans l’oubli, ils renaissent aujourd’hui avec cette publication – textes au charme désuet, non exempts de clichés, mais toujours témoins précieux d’une époque – et nous dévoilent le Japon au miroir de la France de la fin du 19 e au début du 20 e siècle. La collection est organisée en trois périodes, que nous essaierons d’explorer tour à tour sur plusieurs numéros. La première période, des années 1880 à la fin du 19 e siècle, est sans conteste l’âge d’or du japonisme. L’Occident se passionne pour les expositions universelles et notamment pour les arts du Japon. Certains passeurs de culture, comme le marchand d’art éclairé Hayashi Tadamasa (1853-1906), tentent inlassablement de faire découvrir le « vrai Japon ». Pourtant, ainsi que le rappellent les textes de cette période, le pays n’en reste pas moins un monde onirique, où se mélangent souvent éléments japonais et chinois… et agace quand il semble s’occi- dentaliser ou s’affranchir des clichés dans lesquels on le fige. Promenades à travers le Japon : la vengeance du bonze (1881) Romancier et voyageur, Eugène Parès a laissé de nombreux romans sur la Bretagne et sur des destinations lointaines. Récit de voyage et intrigue policière se mêlent pour faire défiler paysages nippons et personnages de grande bravoure, tels que le lecteur les attend, dans un tableau du pays quelque peu fantaisiste et excessif. Autour d’un lycée japonais (1886) Réédité à plusieurs reprises, ce roman d’aventures, illustré par Félix Régamey, brosse à grands traits l’histoire du Japon et ses coutumes à l’aide d’une intrigue simple : le séjour au Japon d’un géographe français et de sa famille. Plus documenté, l’ouvrage fit partie des livres distingués par le ministère de l’Instruction publique. L’auteur, André Laurie, journaliste, écrivain et Communard, qui a laissé de nombreux livres pour la jeunesse, reste surtout connu pour sa participation à certains romans de Jules Verne. La rose du Japon (1884) C’est un Japon féodal que Gabrielle d’Arvor choisit comme cadre pour narrer l’histoire d’amour d’une belle métisse nippo-portugaise et d’un gentilhomme français. L’auteur laisse libre cours à son imagination et nous convie à la découverte d’un Japon très éloigné de la réalité tenant des Mille et une nuits par de nombreux aspects. Arc-en-ciel (1895) Officier de la marine, Jean Dargène a, lui, bien posé le pied au Japon : paysage, habitants, temples semblent croqués sur le vif dans ce livre, dédié à son ami Pierre Loti. L’intrigue, un complot au moment de la Restauration de Meiji avec de multiples personnages, permet à l’auteur de retracer l’histoire de l’Archipel et du christianisme dans le pays. P. D. Zoom sur... Le Japon dans la littérature française (1) Brigitte Koyama-Richard (éd.) Série 1 : 1880-1899 ; série 2 : 1900-1910 ; série 3 : 1910-1929 (13 vol.) Tokyo : Edition Synapse, 2010-2012 Michaël Ferrier Écrivain, professeur à l’université Chûô

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La lettre de la bibliothèque de la MCJP

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Page 1: La lettre de la bibliothèque N°45

D’un Japon hétérogène

Directeur de la publicationSawako Takeuchi

RédactionChisato Sugita

Pascale DoderisseRacha Abazied

Cécile CollardeyConception graphique

et maquetteLa Graphisterie.fr

ImpressionImprimerie Moutot

Dépôt légal : 2e trimestre 2014

ISSN 1291-2441

BibliothèqueMaison de la culture

du Japon à Paris101 bis, quai Branly

75740 Paris cedex 15Tél. 01 44 37 95 50Fax 01 44 37 95 58

www.mcjp.fr

OuvertureDu mardi au samedi

de 13h à 18hNocturne le jeudi jusqu’à 20h

FermetureLes dimanches,

lundis et jours fériéset tout le mois d’août

4

n° 45 - Printemps 2014

La lettre de la bibliothèque

1

Quel est le point com-mun entre l’AméricainHideo Levy, la ChinoiseYang Yi, le Suisse DavidZoppetti et l’Iranienne

Shirin Nezammafi ? C’est très simple : tous écrivent aussi bien dans leurlangue natale qu’en japonais et pas-sent fréquemment d’une culture àl’autre, véritables passerelles vivantesentre l’archipel japonais et d’autresaires culturelles.

Un autre point commun ? Aucund’entre eux n’est traduit en France !Les éditeurs n’en voient pas encorel’importance, n’y reconnaissant pasles signes de « la » culture japonaise.Pourtant, ces écrivains ont tous rem-porté de nombreux prix, y compris leprix Akutagawa – le plus prestigieux –attribué à Yang Yi en 2008. Autantdire qu’ils sont reconnus dans l’espa-ce littéraire japonais : la plupart estd’ailleurs aujourd’hui intégrée dansla catégorie des « littératures trans-frontalières » (ekkyô bungaku), assezlargement utilisée par la critiquejaponaise.

On pourrait y ajouter les JaponaisesMizumura Minae, qui utilise l’an-glais et le français, ou Tawada Yôko,écrivant aussi bien en japonais qu’enallemand, la seule traduite en fran-çais pour le moment. Tous représen-tent l’émergence et l’affirmation,

depuis une vingtaine d’années,d’une littérature de langue japo-naise qui déconstruit le lien uni-voque entre la langue et lanation, et développe un espace

hybride où communiquent plusieurscultures, dans une cohabitation dedeux – voire de plusieurs – languesde référence et une constante réin-vention de soi prenant pour base undynamisme identitaire.

Pourtant, de nombreux pays conti-nuent à privilégier une représenta-tion uniforme de la société japonaise,comme si elle était constituée sur lemodèle d’un conglomérat conscien-cieux, formé de particules complé-mentaires. Le Japon y est doté d’unesorte d’homogénéité native, parfoiscontradictoire certes mais qui serésout toujours en une harmoniequasi-miraculeuse, comme dans l’undes stéréotypes les plus assénés surle pays, qui consiste à le présentercomme un « mélange de tradition etde modernité ». Mais un mélange detradition et de modernité, en vérité,quel pays n’en est pas un ?

Les auteurs dont je viens deparler dessinent de nouvellesformes de créativité, d’appar-

tenance et d’identité, maisaussi l’image d’un autre Japon,

pluriel, anarchique, hétérogène,qui se pense aussi et même davan-tage en termes d’échanges et d’hybri-dation, c’est-à-dire d’interactionsculturelles et identitaires, dévoilantl’extraordinaire archaïsme des réfé-rences à une pureté originelle dansla construction des identités. Ils invi-tent à tenir compte des migrations,anciennes et nouvelles, de la multi-plication des lieux d’appartenance,d’une époque où les identités collec-tives et individuelles ne peuvent plusêtre fixées par des a priori spatiaux ettemporels, mais se pensent sur unmode dynamique, en termes d’inte-ractions, d’adaptations, de réappro-priations.

Tendre l’oreille à ces textes permet-trait de remplacer une vision tou-jours assez monolithique et orienta-liste du Japon par la restitution deses contradictions sociales et de sesambiguïtés politiques, ainsi que deson dynamisme créateur. Les tradui-re, les lire, les comprendre aiderait àune meilleure perception du Japonmais aussi, à travers lui, des muta-tions interculturelles très profondesqui sont à l’œuvre de nos jours dansle monde entier. ■

C’est rien moins qu’un éclairage nouveau sur le japonisme qu’offre cette collectionde fac-similés éditée sous l’égide de la chercheuse Brigitte Koyama-Richard, spécialistede littérature comparée et d’histoire de l’art.

Le japonisme est, en effet, surtout connu à travers ses déclinaisons dans lemonde des arts, bien que la scène littéraire ait aussi reflété l’engouement de l’époquepour le Japon. Émile Zola, Guy de Maupassant, Edmond de Goncourt évoquèrent lepays, tandis que Judith Gautier et Pierre Loti allèrent jusqu’à en faire le cadre deromans. Mais, dans l’ombre de ces grands noms, des ouvrages japonisants plusmodestes dans la lignée des romans de voyage et d’aventure connurent aussi un succèsd’estime. Tombés pour la plupart dans l’oubli, ils renaissent aujourd’hui avec cettepublication – textes au charme désuet, non exempts de clichés, mais toujourstémoins précieux d’une époque – et nous dévoilent le Japon au miroir de la Francede la fin du 19e au début du 20e siècle.

La collection est organisée en trois périodes, que nous essaierons d’explorertour à tour sur plusieurs numéros. La première période, des années 1880 à la fin du19e siècle, est sans conteste l’âge d’or du japonisme. L’Occident se passionne pour lesexpositions universelles et notamment pour les arts du Japon. Certains passeurs deculture, comme le marchand d’art éclairé Hayashi Tadamasa (1853-1906), tententinlassablement de faire découvrir le « vrai Japon ». Pourtant, ainsi que le rappellentles textes de cette période, le pays n’en reste pas moins un monde onirique, où semélangent souvent éléments japonais et chinois… et agace quand il semble s’occi-dentaliser ou s’affranchir des clichés dans lesquels on le fige.

■ Promenades à travers le Japon : la vengeance du bonze (1881)Romancier et voyageur, Eugène Parès a laissé de nombreux romans sur la Bretagne etsur des destinations lointaines. Récit de voyage et intrigue policière se mêlent pourfaire défiler paysages nippons et personnages de grande bravoure, tels que le lecteurles attend, dans un tableau du pays quelque peu fantaisiste et excessif.

■ Autour d’un lycée japonais (1886)Réédité à plusieurs reprises, ce roman d’aventures, illustré par Félix Régamey, brosse àgrands traits l’histoire du Japon et ses coutumes à l’aide d’une intrigue simple : leséjour au Japon d’un géographe français et de sa famille. Plus documenté, l’ouvrage fitpartie des livres distingués par le ministère de l’Instruction publique. L’auteur, AndréLaurie, journaliste, écrivain et Communard, qui a laissé de nombreux livres pour lajeunesse, reste surtout connu pour sa participation à certains romans de Jules Verne.

■ La rose du Japon (1884)C’est un Japon féodal que Gabrielle d’Arvor choisit comme cadre pour narrer l’histoired’amour d’une belle métisse nippo-portugaise et d’un gentilhomme français. L’auteurlaisse libre cours à son imagination et nous convie à la découverte d’un Japon trèséloigné de la réalité tenant des Mille et une nuits par de nombreux aspects.

■ Arc-en-ciel (1895)Officier de la marine, Jean Dargène a, lui, bien posé le pied au Japon : paysage, habitants,temples semblent croqués sur le vif dans ce livre, dédié à son ami Pierre Loti. L’intrigue,un complot au moment de la Restauration de Meiji avec de multiples personnages,permet à l’auteur de retracer l’histoire de l’Archipel et du christianisme dans le pays.

P. D.

Zoomsur...

Le Japon dans la littérature française (1)

Brigitte Koyama-Richard (éd.)Série 1 : 1880-1899 ; série 2 : 1900-1910 ; série 3 : 1910-1929 (13 vol.)Tokyo : Edition Synapse, 2010-2012

Michaël FerrierÉcrivain, professeur à l’université Chûô

Page 2: La lettre de la bibliothèque N°45

Art

KEISAILe maître du dessin abrégé : Tous les albums de style ryakugaIntro. et présent. de Matthi Forrer

Paris : Hazan, 2013. 280p.

Formé au dessin d’estampes dans lapure tradition ukiyo-e, l’artisteKuwagata Keisai (1764-1824) connaît dujour au lendemain la célébrité en tantque créateur d’un style nouveau, leryakugashiki ou « méthode de dessinsabrégés », qui saisit l’essence deschoses en à peine quelques coups decrayon. Stupéfiants d’épure et de

vivacité, ces dessins sont regroupés dans des albums conçuscomme des encyclopédies ou des manuels d’initiation audessin et brassent une grande diversité de sujets —métiers,passe-temps, flore, faune, proverbes… À l’instar de Hokusaidans ses manga, de nombreux artistes reprendront la formulede ces albums et s’inspireront de ce nouveau style graphique.Cinq reproductions d’albums reliées à la façon japonaise sontréunies dans ce coffret, accompagnées d’un livret qui nous endévoile toutes les clés culturelles et artistiques.

Littérature

EKUNI KaoriDans la barque de DieuTrad. par Patrick Honoré

Arles : Éd Philippe Picquier, 2014. 202p.

Yôko vit dans le souvenir de son seulamour, avec qui elle a eu sa fille uniqueSôko. L’homme est parti avant lanaissance de celle-ci, en affirmant qu’il laretrouverait, où qu’elle soit. Depuis, Yôkodéménage tous les ans, remettant sondestin entre les mains du hasard et selaissant porter, elle et sa fille, par cequ’elle nomme « la barque de Dieu ».

Mais le jour où cette dernière devenue adolescente luiannonce qu’elle veut entrer en pension, Yôko sent sa fragileembarcation menacée. Derrière ce récit de vie quotidienne, telun journal tenu tour à tour par la mère et par la fille, sedessine l’histoire subtile des rapports entre les deuxhéroïnes : la mère, rêveuse, romantique et détachée, la petitefille au caractère éveillé qui se construit peu à peu, confrontéeà cette vie dont elle cherche à comprendre le sens. Unehistoire tendre et absurde dont la fluidité de l’écriture nousmène comme dans une barque au fil de l’eau !

YOSHIMURA AkiraMourir pour la patrieTrad. par Sophie Refle

Arles : Actes Sud, Coll. « Lettres japonaises », 2014. 173p.

Le 25 mars 1945, à Okinawa, Shinichi a 14 ans lorsqu’il est enrôlé dans l’arméerégulière pour défendre le Japon impérial.Shinichi est heureux de participer à l’effortde guerre et n’a que très peu consciencede ce qui l’attend. Sa mission, enattendant de pouvoir accomplir son rêvede se sacrifier sur « le véritable champ debataille », consiste à transporter lesblessés à l’hôpital souterrain de l’armée

de terre, qui se trouve à Haebaru…L’attente se fait de plus en plus longue et oppressante pour lejeune homme qui tentera vaille que vaille de se séparer deson groupe afin de rejoindre ceux qu’il considère comme lesvrais et justes héros. Magnifique hommage au courage d’un enfant, à sa bellenaïveté, à sa résistance et à son engagement farouche faceaux affres de la guerre et de l’Histoire.

MEDORUMA ShunL’âme de Kôtarô contemplait la merTrad. de Myriam Dartois-Ako, Véronique Perrin, Corinne Quentin

Paris : Zulma, 2014. 280p.

Couronné par le prix Akutagawa,Medoruma Shun (1960-…) se voit enfintraduit en français à travers ces sixnouvelles ancrées dans l’universd’Okinawa d’où il est originaire. Si lanature luxuriante de l’île est bienprésente et offre un cocon rassurant auxrêves des enfants, la violence deshommes —réelle avec les viols, ou mise

en scène dans des combats sanglants de boxe et de coqs—éloigne vite toute image idyllique. Les légendes, les âmesamicales des disparus, que seuls ceux frappés du don dedouble vue aperçoivent, apparaissent également comme deprécieux recours pour affronter le monde des adultes.

TENDÔ ArataL’homme qui pleurait les mortsTrad. par Corinne Atlan

Paris : Seuil, 2014. 606p.

Shizuto, un jeune homme solitaire eténigmatique, parcourt le Japon pour« pleurer les morts », ceux que l’onefface vite des mémoires. Trois voix, quis’entremêlent et se répondent, narrentpar bribes son périple : sa mère Junko,atteinte d’un cancer en phase terminale,qui le suit en pensée ; Yukiyo, meurtrièrede son mari et flanquée d’un fantôme,

qui croise son chemin ; un journaliste cynique, Makino, quifait son beurre de faits divers sanglants. Peu à peu, les côtésles plus sombres de la société japonaise émergent, tandis queles liens entre les vivants et les morts sont questionnés, entresuspense et fantastique.Tendo Arata, né en 1960, a remporté avec ce livre le prix Naoki.

Architecture

Philippe BONNIN, NISHIDA Masatsugu, INAGA Shigemi (dir.)Vocabulaire de la spatialité japonaisePréf. d’Augustin Berque

Paris : CNRS éditions, 2014. 605p.

Cet ouvrage est le fruit d’un travail delongue haleine réalisé par le réseaufranco-japonais Japarchi, qui depuisune demi-douzaine d’années s’emploieà examiner cette question essentiellede la spatialité japonaise. Rédigé parune soixantaine de spécialistes duJapon, l’ouvrage rassemble 199 noticesexpliquant autant de notions et deconcepts relatifs à la culture japonaise

de l’espace et à l’architecture, à toutes les échelles où cette« spatialité » se déploie : du corps au mobilier, de la maison auquartier, de la ville au territoire de l’Archipel.Chacune de ces notices invite à découvrir, à mieuxcomprendre ou à visiter sur le terrain les lieux et lesmonuments, les réalisations ou les dispositifs exemplaires,grâce notamment à une importante iconographie.

ITÔ Toyô L’architecture du jour d’aprèsBruxelles : Les impressions nouvelles, 2014. 183p.

Comment construire après un événementaussi destructeur que la catastrophe demars 2011 ? Telle est la question que posele grand architecte Itô Tôyô (prix Pritzker2013), à l’œuvre dans la ville sinistrée deKamaishi peu après le tsunami. Ilremarque d’emblée une dichotomie entreles priorités sécuritaires dans les plans dereconstruction publics et les besoins

réels des habitants qui s’exprimeront au cours d’atelierscollectifs. Naîtront alors de nouveaux concepts d’habitat etd’urbanisme pensés pour réhabiliter l’harmonie entre la vieindividuelle, la vie communautaire et l’environnement, tels queles « maisons pour tous ». Dans ce témoignage simple etsincère, l’architecte revient sur sa carrière dévoilant soncheminement et l’évolution de sa création. Un livre pertinentqui oblige à repenser l’architecture actuelle, ayant souventtendance à répondre aux pressions capitalistes plutôt qu’auxbesoins de la société.

Histoire

Olivier ANSARTUne modernité indigène : Ruptures et innovations dans les théoriespolitiques japonaises du XVIIe siècleParis : Les Belle Lettres, Coll. « Japon », 2014. 290p.

De 1603 à 1868, le Japon est dirigé par leclan militaire des Tokugawa et sesshôgun. L’orthodoxie néo-confucéenne luisert de doctrine officielle. Au XVIIIe sièclecependant, des intellectuelsentreprennent de reconsidérer tout lefonctionnement de la société, formulentdes théories politiques innovantes,

valorisent la compétition, la responsabilité individuelle… Cet ouvrage montre comment des idées aussi « modernes »,semblables à celles qui circulaient alors en Occident, ont puémerger dans une société largement féodale. Il décrit etanalyse les théories politiques et conceptions novatrices enformation à l’époque qui ne disposaient alors pour s’exprimerque de vocables limités, hérités d’une langue aux influencesbouddhistes, confucéennes, taoïstes, shintô, etc., restéelongtemps sans contacts approfondis avec l’Occident.

Christine LÉVY (dir.)Genre et modernité au Japon : la revue Seitô et la femme nouvelleRennes : Presses Universitaires de Rennes, 2014. 352p.

La revue Seitô (« les bas bleus »),parue de septembre 1911 à février1916, fut la première revue littérairecréée « par les femmes pour lesfemmes », sous l’impulsion deHiratsuka Raichô (1886-1971). Jeunefille de bonne famille, adepte de laméditation zen, ce personnageétonnant par son intelligence et sonindépendance d’esprit devintl’emblème de « la femme nouvelle » :

celle qui veut s’affranchir du carcan de l’éducation instaurée àl’ère Meiji dont l’objectif est de faire des femmes « de bonnesépouses et des mères avisées ». Cet ouvrage rassemble etcommente une sélection d’articles et d’échanges publiés dansSeitô sur des sujets polémiques tels que l’amour libre,l’avortement, la contraception, la prostitution, la virginité, etc.On est saisi par la fraîcheur et la familiarité des débats quianiment ces Japonaises du début du XXe siècle et enchantépar leur intelligence, la clarté et la profondeur de leursréflexions. Une étude passionnante sur un pan méconnu duféminisme au Japon.

Regards sur le fonds

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