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police des sans-abriLe vagabond, le sans-aveu, le mendiant, le clochard, le sans-logis, le sans-abri,plus récemment le SDF et même le "beatnik" sont autant de figuresde l'exclusion qui se dessinent au fil du temps. Mais celles-ci racontent aussi,à travers la qualification de ces situations en délits, les rapports entre la policeet les pauvres et, plus globalement, entre la société et les pauvres.Aujourd'huiencore, une oscillation permanente entre coercition et solidarité.

Julien Damon - responsable du bureau de la Recherche à la CNAFffy ette contribution, assise sur des données originalesI Tfcoupures de presse, statistiques,jurisprudence, notes

des services de police), porte sur les relations compli-quées entre la police et les sans-abri. À un niveau plusgénéral, il s'agit de quelques informationset réflexionsrapides sur les liens, les oppositions et parfoisles conju-gaisons entre politiques de répression et politiquesd'assistance.Notre propos ici est une illustrationde cesoscillations fondamentales de l'actionpublique à desti-nation des pauvres, entre l'assistance et le châtiment,entre l'appréhension et la compréhension (1).

Le déclin historique de la pression pénaleLes sans-abri, envisagés jusqu'au début du XXe siècleessentiellement sous la figure du vagabondet du sans-aveu, ont longtemps été la cible principale des inter-ventions répressives de l'État (2). Après des sièclesd'orientations surtout punitives de la part des pouvoirspublics, notamment avec l'inscription, dès l'origine audébut du XIXe siècle, des délits de vagabondage et demendicité dans le Code pénal, les SDF sont devenus,très récemment, sous la figure de l'exclu, la cible em-blématique des interventions de l'État en matière delutte contre l'exclusion. Alors que l'errance, la grandepauvreté, le vagabondageet la mendicité ont été trèslongtemps considérés comme des fléaux sociaux, ils'agit, depuis l'après-guerre, de problèmes sociaux (3).La tendance du XXe siècle, avec l'affirmationdes droitsde l'homme, du droit au travail et du droit au logement,126

il a,maINFORMATIONS SOCIALESN° 92

"

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aura été à la décriminalisation du vagabondage et dela mendicitéet à l'affirmationde droits sociaux pour lesvagabonds et les mendiants. Depuis la Libération, unnouvel environnementjuridique s'est affirmé sur un ré-pertoirebeaucoup plus hospitalier.À côté de la créationde la Sécurité sociale, le système d'assistance que l'onauraitvoulu faire disparaîtreavecla généralisationdesassurances obligatoires s'est en fait consolidé. Le vaga-bond et le mendiant passent alors peu à peu du droitpénal au droit social. Vagabondageetmendicitérestentdes délitsmais l'évolution de la législationprivilégie lesmesures d'aide et de reclassement. Dans les années30, le vagabondage des mineurs avait déjà été dépé-nalisé. Dès les années 50, les délits de vagabondageetde mendicité ont globalement été considérés commesurannés. Sur toute cette période, qui va jusqu'au dé-but des années 70, on constate un affaiblissement dela pressionpénale concernantles vagabondset les men-diants. Le graphique 1 ("Délits de vagabondage et demendicité") présente l'évolution de l'utilisation des dé-

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les pratiques de prise en charge publique restaient lar-gementaxées sur la coercition.Si les condamnationsontfortementdécru, l'attentionpolicièrea déclinéà un ryth-me moins rapide.Les sans-logis étaient alors repérés, notammentdepuisl'appel de l'abbéPierre en 1954, commeun problèmedelogementà construire. Une réponsepubliquemassivead'ailleurs été entreprise dans ce domaine. Cependant,les autres dimensions de la question des sans-abri,comme la mendicité ou l'errance visible de personnesaux comportements jugés déviants, n'étaient pas dis-tinguées comme un problème social d'importance. Enfait, la principale activité de prise en charge spécifiquedes sans-abri après 1945 a consisté en opérations poli-cières de contrôle et de répression des mendiants et desvagabonds (4).L'innovation institutionnelle la plus marquante aucours des années 50 et 60 fut la création, à Paris, d'une

l'brigade de police spécialementen charge des sans-abri.Après l'hiver 1953-1954 est ainsi créée, par la préfec- Iture de police de Paris, une équipe de ramassage des Ivagabonds (ERV) qui deviendra, après 1968, la brigade Id'assistance aux personnes sans abri (BAPSA) (5) dont fles grands bus bleus et gris qui sillonnent encore au- 1

jourd'hui la capitale sont familiers des Parisiens. Les"bleus" (baptisés ainsi en raison de la couleur de leuruniforme), souvent honnis mais parfois appréciés dessans-abri, comptent toujours en 2001 parmi les princi- -

paux acteurs de la prise en charge des SDF à Paris. Avec '

une réputation plutôt défavorable dans l'opinion pu-blique et parmi les populations sans abri - notoriétédont la négativitémérite d'être fortement relativisée -,les policiers de la BAPSA recueillent les sans-abri dansParis pour les accompagner vers le Centre d'héberge-ment et d'assistance aux personnes sans abri (CHAPSA)àNanterre, qui peut les accueillir pour la nuit. Ce centrede Nanterre, ouMaison de Nanterre, est l'héritierdu dé-pôt de mendicité édifié à la fin du siècle dernier (6). Tan-tôt présentée comme "un havre pour les clochards" (LeMonde, 6 août 1987), tantôt comme un "scandale" (LeMonde, 13 mars 1982), la Maison de Nanterre est en-core aujourd'hui au cœur d'imbroglios politiques et decontradictions démocratiques. Tristement célèbre etprogressivementréformé, ce lieu d'accueil reste quoti-diennement opérationnelet nécessaire.Néanmoins, durant les années 50 et 60, les élus et lesfonctionnaires de police parisiens ont constamment

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demandé des moyens supplémentaires pour lutter plusefficacementcontre la présence des clochardset des men-diants. Dans le Bulletin municipal officiel pari-sien du 26 mars 1957, des conseillers de Paris se fontl'écho de pétitions d'habitantsconcernant le nombre declochards. Les conseillers rappellent qu'ils ont plusieursfois demandéau préfet de police de "chasser les clochardsqui étalent sans vergogne leur crasse et leurgouaille, plusprécisémentdu côté du plateau de Beaubourg, leur quar-tier général". Le 10 avril 1959, Paris-Journal considè-re que "laguerre aux clochardsest déclarée". En premièrepage de Combat (21 octobre 1963), un journaliste s'in-terroge : "Les clochards ? Parure ou plaie de la capitale."Le journal reprend des analyses de la préfecture de po-lice selon lesquelles "oisifs par définition, les clochardssont dans leur quasi-totalitédes alcooliques notoires.Leurcomportement ne peut qu'inquiéter la population. Ilsconstituent un exemple déplorablepour lajeunesse et unecause permanente de trouble".La lecture de Liaisons, le magazine d'information dela préfecture de police, est instructive (7). Les équipesspécialisées de la police se donnent le double objectifdeprotéger les clochards d'eux-mêmes et de "contribuer àla propretéde la voiepublique" (8). Il s'agit de répondreaux protestations et courriers reçus au sujet de ces"épaves". "Le clochard isolé, mais surtout en bande, estun spectacle intolérable dans la capitale. Sans pudeur,sans hygiène, fervent de la bouteille, ne cherchantplusdans la vie que l'oubli de l'ivresse et d'orgies approxima-tives, il choque les passants, scandalise les enfants, ettransporte une vermine dangereuse pour la santé pu-blique " (9).L'objectifdes forces de police n'était pas seulement ré-pressif. Il s'agissait, d'une part, de "débarrasser la voiepublique de ces indésirables",d'autre part, de "prendre àleur égard les mesures sanitaires et médicales nécessaires"(10). En tout état de cause, il est conclu que "l'action dela police s'exerce moins contre eux quepour eux" (11).Aumilieu des années 60, la répressionva se concentrersur une catégorie particulière d'errants, les beatniks.Alors que les clochards sont présentés, même par la po-lice, comme des individus relativement inoffensifs, de"nouveauxclochards"sont repérés. Plusjeunes, souventétrangers ou simplementdépourvus de papiers d'iden-tité, ils sont plus précisément ciblés comme objet de larépression. Dans l'édition du 14 septembre 1964 deParis-Journal, titré "Offensive de police contre les néo-

Le commissaireMaigret

Simenon est assurément l'un desplus prolifiques parmi les écri-vains du siècle. Certes, il a explo-ré d'autres domaines que celui duquai des Orfèvres mais il demeureessentiellement le géniteur de ce

commissaire entré dans la légende lecommissaire Maigret.Maigret n'est pas la seule figure à

avoir régalé de ses exploits les ama-teurs de romans policiers. Pour n'en ci-ter que deux autres tout aussicélèbres : Hercule Poirot, le BelgeSherlock Holmes, l'Anglais. Mais notreMaigret national se distingue par uneespèce de densité que rien ne sembleentamer pas de petits affleurementsde ridicule, comme parfois chez Poirot,aucune excentricité il ne se droguepas, ne joue pas du violon commeHolmes. On serait presque tenté de di-

re - si l'on ne creusait pas plus pro-fond - que c'est la simplicité même ducommissaire, le dépouillement de toutaccessoire superflu qui ont fait de lui

une sorte de mythe. Tel on l'attend, telon le retrouve bourrant son inévitablepipe ; son goût du petit vin blanc bu aucomptoir et des nourritures qui tien-nent bien au corps ; sa vêture sans ap-prêt de petit-bourgeoisà l'aise, sa vieconjugale tissée de discrète tendresseet de connivence.Il est bien remarquable que les troisacteurs, et non des moindres, qui l'ontincarné à l'écran n'ont rien pu, ou rienvoulu, changer au personnage c'estMaigret que l'on a sous les yeux. SiMaigret n'était qu'une figure banale depolicier, un peu rude, il n'aurait pas ac-quis cette dimension emblématique.Letalent de son créateur est de n'avoir ja-mais caché l'être humain derrière lestratège et l'inquisiteur, d'avoir ména-gé des contrastes, des alternancesentre les moments où le dégoût et labouderie l'envahissent et des phasesoù il se restaure dans une sorte de sé-

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clochardsétrangers",le journalistedistingue le "clochardclassique, celui que les ponts de Paris ont toujours connuet qui fait plus ou moinspartie du paysage de la capita-le" et repère "une race nouvellede clochards",plus jeune,récemment entrée en France, habillée de façon dé-braillée. La préfecture de police lance alors des opéra-tions "anti-beatniks", interpellant ces individus, pourdifférents motifs dont notamment "vagabondage" et"étrangers en situation irrégulière"(12).A partir de la fin des années 60, l'orientation de l'actionpublique va très nettement commencer à s'infléchirdans un sens assistanciel avec, notamment, le déve-loppement des financements accordés aux centresd'hébergement et de réadaptation sociale (CHRS).Jusqu'aux années 70, il n'existait, sur le volet assis-tanciel, aucune mesure spécifique d'ampleur notable.L'État et les collectivités locales consacraient desbudgets extrêmement réduits, pour ne pas dire négli-geables, aux problèmes quotidiens des indigents sanslogement. Les œuvres privées, généralement confes-sionnelles, géraient des services d'accueil financés trèsmajoritairementpar des dons et donations.Comment expliquer ce changement d'appréciation ?Sans entrer dans le détail, on peut considérer, d'abord,les revendications de liberté de la fin des années 60,ainsi que les fortes critiques en direction des institu-tions "disciplinaires" (prisons et asiles psychiatriques),ensuite les débuts de la crise économique dans les an-nées 70, enfin les évolutions plus générales des travauxet des mesures de prise en charge des handicaps et desinadaptations...Autant de facteurs qui permettent decomprendre pourquoi les mendiants et les vagabondsont glissé vers la sphère de l'assistance, en quittantpro-gressivement (mais pas définitivement) celle de la ré-pression.Les services de police ont pris en comptece tournant desappréciations sur les vagabonds. En témoigne une im-portante note (pour notre sujet) du directeur de la Sé-curité publique au ministère de l'Intérieur. En date du22 juillet 1969, cette note de service invite les respon-sables policiers à faire remonter au niveau central lemaximumd'informations sur les clochards et les vaga-bonds. Le préfet signataire écritqu'une "nouvelleconcep-tion, procédant du souci de reconsidérer la situation es-sentiellement pénale faite actuellement aux vagabondspour la replacer dans un contexte médico-social, tendraità favoriser la mise en œuvre d'un système approprié de

rénité. Mais qu'on ne s'y trompe pas :

notre homme, quelle que soit son hu-meur, demeure d'une constante rigueurdans la poursuite de ses quêtes. Saméthode fascine parce qu'elle est unalliage de logique etd'intuition. Il traque rarement le détailinsolite, mais son œil aigu ne laisserien échapper. Il lui faut sentir le poidsdes choses, leur densité, leur frémisse-ment, leur odeur... Cette capacité às'imprégnerd'une atmosphère est unepièce maîtresse de son talent. Il saisitles discordances dans un décor, y décè-le l'amorce d'une piste...Mais ce talent n'a rien d'une nébuleuseintuition. Il est étayé par une minutieu-se technique. Rien n'est laissé auhasard l'agencement des horaires,les lieux où les protagonistes serencontrent, leurs tentatives pourégarer la suspicion, etc. Maigret balisele parcours de ses enquêtes avec unsoin méticuleux. Certes, tout bon au-teur de policier en fait autant, avec plusou moins de réussite. Mais Maigret sedistingue par la qualité exceptionnellede ses rapports à autrui, la finesseexemplaire de ses analyses psycholo-giques. Il a des êtres une perceptionqu'une longue pratique et un don innéont mené à un niveau de compréhen-sion quasi divinatoire : une inflexion dela voix, un tressaillement de paupières,autant de signaux dont aucun ne luiéchappe. Les relations au sein de la fa-mille constituent pour lui des indica-teurs essentiels le mépris des prochesqui poussera le médecin à la marginali-sation, la faille qui se creuse entre desépoux mal assortis, le chagrin long-temps enfoui qui conduira un jour à unacte irréparable...Insensible, Maigret ? Certes pas. Il don-ne rarement à voir ses émotions etc'est le plaisir du lecteur de les devi-ner, de découvrir que ce commissaired'une redoutable efficacité est aussi unhumaniste.

Paule Paillet

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prévention et ouvrirait aux sujets récupérables des pers-pectives de réinsertiondans la communauté" (13).L'évolution de la qualificationjuridique des mendiantset des vagabondsconduità leur disparition du Code pé-nal. Juridiquement la qualificationde délinquant s'ef-face dans lajurisprudence, notamment en ce qui concer-ne la mendicité. En 1988, la cour d'appel de Rennes arendu un arrêt relaxant deux hommes poursuivispourmendicité sur la voie publique, jugeant que "eu égardaucontexte économiqueet aux difficultés rencontrées dans larecherche d'un emploi, il n'est pas établi qu'un chômeuren fin de droits ait délibérémentchoisi ce mode d'assis-tance" (14).Aujourd'hui,cibles de dispositifs essentiellement assis-tanciels, les SDF n'en restent pas moins en contact avecla police.

La dimension coercitivede la prise en charge des SDF

On souhaite maintenant insister sur le fait que touteétude sur la prise en charge des SDF, généralement en-visagée sur le seul registre des mesures sociales, nepeut faire l'impassesur l'aspectrépressifde cette actionpublique. Par ailleurs, nous souhaitons souligner le té-lescopage qui peut s'observer concrètement entre lespratiques de répression et les politiquesde solidarité.L'oscillationpermanente entre la coercitionet la solida-rité est loin d'être anecdotique. À une époque où la prio-rité est à la lutte contre les exclusions, les arrêtés mu-nicipaux anti-mendicité sontbien une pratique coercitive.Il ne s'agit ici pas de conférerà ces dispositions une impor-tance exagérée, mais bien deconsidérer qu'elles ne sontpas secondaires. Elles tra-duisent la nécessité, pour lesdécideurs locaux, de compo-ser sur un axe aux extrêmesduquel on trouve, d'un côté,l'hospitalité sans limite et,de l'autre, la pure répression(15).Par prise en charge des SDF,on pourrait en fait entendre seulementce qui relève despolitiques sociales. Ce serait faire une erreur importan-te. Les fonctionnaires de police, les agents des services

entre l'hospitalité

sans limite et la

pure répression

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de sécurité (notamment pour les gestionnaires d'es-paces publics) et les gardiens des centres d'héberge-ment comptent parmi les personnes avec lesquelles lesSDF sont le plus souvent en contact. Gendarmes, poli-ciers, salariés des sociétés de gardiennage sont autantd'acteurs de la prise en charge. Les agents de police peu-vent prendre des mesures coercitivesvisantà repousserles sans-abri. Ils peuvent également détourner lesmoyens dont ils disposent pour aider les personnes endifficulté. En fait, la police parisienne, avec une missiond'abord répressive, a même toujours participé pendantles périodes hivernales à des opérationsparticulièresvi-sant à recueillir et à héberger les sans-abri (16).Si on reprend le graphique 2 concernant le nombre dedécisions de justice rendues depuis 1940 au titre des

délits de vagabondage etde mendicité, on ne peutqu'être frappé par le faitqu'un sommet est atteinten 1954, lorsque le pro-blème des sans-abri esten place avec force surl'agenda politique, sur unvolet assistanciel.Un élé-ment d'explication à cephénomène est de consi-dérer qu'une partie de cesdécisions était rendueafin d'aider les prévenusà passerunmoment sousun toit ou à prendrecontact avec des institu-tions qui pourraient leurapporter un peu plus destabilité. Les témoi-gnages abondent concer-nant des vagabonds quise présentaient, notam-

ment en hiver, pour bénéficier quelque temps d'un loge-ment. Cette observation se confirme partiellementquand on remarque que c'est au cours des années quiont suivi les hivers les plus froids (1955-1956, 1957-1958, 1959-1960, 1962-1963, 1969-1970) que lenombre de décisions a connu des pics.Cette observation se renforceencore si on considèrenonplus le nombre de condamnations prononcées par lajustice, mais le nombre d'infractionsconstatées par la132

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police (graphique 2). On remarque un affaiblissementdu nombre de ces constats parallèle à la décroissancede la pressionpénale. Ainsi, le nombre de décisions dejustice tendvers 0 depuis le milieudes années 80, alorsque l'activité policière reste, en moyenne, à hauteur de2 000 infractions par an.Pour partie, mais pour par-tie seulement, cette activité,qu'on ne peut pas considérercomme résiduelle, était liée àdes utilisations détournéesde la loi qui consistaient àprotéger quelques sans-abrirepérés comme étant en dan-ger, ou qui s'étant d'eux-mêmes présentés pour pou-voir être hébergés dans unecellule.Des exemples très récentsdans les deux dernières dé-cennies corroborent encore ce propos. En septembre1986, un clochard a ainsi été condamné à trois mois deprison ferme après avoir commis un menu larcin, "pourpouvoir aller en prison" (AFP, 29 septembre 1986). Enjanvier 1987, un vagabond a été condamné à deuxmoisde prison afin, selon les réquisitions du procureur, delui assurer "un abripour les deuxplus mauvais mois dela saison" (AFP, 13 janvier 1987). Un an plus tard, surle même registre mais sans aller jusqu'à l'emprisonne-ment ferme, le procureur de la République à Chambé-ly, promis à un certain avenirmédiatique,Éric deMont-golfier, s'est lancé dans une expérience originale en uti-lisant le délit de vagabondage pour condamner un SDFà trois ans de mise à l'épreuve, ce qui doit permettred'exercer sur les personnes concernées un contrôle judi-ciaire bénéfique (Le Monde, 15 janvier 1988). Il n'estpas utile de multiplier les exemples. Signalons seule-ment que, depuis la disparition des délits de vagabon-dage et de mendicité, des phénomènes analogues sontrepérables. Pendant l'hiver 1997-1998, un SDF s'estprésenté aux portes d'une gendarmeriepour pouvoir al-ler en prison. Face au refus des gendarmes, il s'est ac-cusé de vols imaginaires et a fini par détruire l'inter-phone de la gendarmerie.Il a été alors condamné à unan ferme pour déprédation de matériel, ce qui est cer-tainement une lourde sentence (17). En août 1997, unautre SDF, épuisé, s'est rendu au commissariatde Be-

un menu larcin

pour aller

en prison

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sançon pour y demander de l'aide, tout en avouant demultiples larcins. Il a été condamné à quatre mois deprison ferme (AFP, 28 août 1997). En juillet 1998, c'estun SDF de 25 ans qui a utilisé la manière forte pour ten-ter de réintégrer la maison d'arrêt de Strasbourg (Der-nières Nouvelles d'Alsace, 22 millet 1998).

À partir de ces observations,on peut dire que les délits devagabondageet de mendicitéavaient l'utilité, paradoxalecertainement, depermettre de prendre encharge quelques SDF, sur unmode assistanciel. Repéréesdans la rue en train de gre-lotter, ces personnes pou-vaient être emmenées versdes hébergements, mêmesans leur consentement.Cer-tains sans-abri faisaienteux-mêmes la demanded'incrimi-

nation pour vagabondageou mendicité afin de passerun moment à l'abri. Cette utilisation détournée du Co-de pénal ne doit pas être célébrée. Les deux délits res-taient liberticides et leur application très arbitraire.Par ailleurs, nos observations ne valent certainementque pour un nombre limité de cas, la grande majoritédes infractions et des condamnations relevant surtoutd'une logiquerépressive. De plus, l'incarcérationet l'em-prisonnement comme mode de gestion de l'errance nesont que des réponses extrêmement palliatives pourquelques individus en danger. Elles sont, plus généra-lement, des options d'actionaux conséquences plus né-fastes que bénéfiques pour les personnes qui passentainsi par la prison. C'est ce qu'ont pu observer des cher-cheurs canadiens (18). La conclusionest très probable-ment valable dans le cas français.Néanmoins, depuis que les délits ont été rayés de lacarte pénale, les acteurs de la prise en charge se trou-vent un peu embarrassés. Enjanvier 1997, des maires,en premier lieu celui de Longjumeau, ont considéréqu'en période de grand froid, l'hébergementdevait pou-voir être imposé aux sans-abri, parfois contre leur gré.Les arrêtés municipauxpris alors pour contraindre lessans-abri à s'abriter ont provoqué un débat aussi en-flammé que celui qui peut entourer en été les arrêtésanti-mendicité(19).

reperees1dans la rueen train

de grelotter...

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Au-delà des débats se pose bien concrètementen hiverle problème de mesures contraignantes pour aider despersonnesen danger. Mais quels leviers juridiques uti-liser ? Certains plaident pour l'évocation de la non-as-sistance à personne en danger, au risque d'abus liber-ticides et d'hébergementscontraints abusifs. On le voit,rien n'est simple... et rien n'est encore réglé autour dece sujet sensible et compliqué.

La BAPSA aujourd'huiS'il existe une police spécifiquedes sans-abri, c'est biende la BAPSAqu'il s'agit encore aujourd'hui.En un demi-siècle, le rôle de la BAPSAa considérablementévolué, dela répression à l'assistance. Toutefois, ces deux figuresd'action continuent à se conjuguer plus ou moins har-monieusementet ce, pour ce qui relève des fondementsmêmes des activités de ces policiers particuliers. Laquestion fondamentale- valable d'ailleurs pour toutel'actionpubliqueen directiondes sans-abri - est de sa-voir si les mesures développées ne visent pas simple-ment à cacher ce que la ville ne souhaite pas voir. À cetégard, il convient de rappeler que, si les vitres des busde la BAPSA sont teintées, c'est bien pour que les pas-sants ne puissent voir le tris-te spectacle du transport destrès pauvres. Les agents decette brigade peuvent doncavoir légitimement le senti-ment d'appartenirà un orga-nisme de type "poubelle" dela société urbaine. Le termeest fort, mais il rappelle éga-lement que la police dessans-abri est aussi unepauvrepolice,bien moinsva-lorisée (c'est un euphémis-me) que d'autres services.Avec toutes ses ambiva-lences, mais égalementavec une reconnaissance en re-crudescence, la BAPSAn'a cependantplus grand-chose àvoir avec ce qu'elle était à l'origine.À sa création, les as-sociations humanitaires étaient peu nombreuses. Deplus, jusqu'en 1994, les délits de vagabondage et demendicité autorisaient la BAPSAà transporterd'autori-té les sans-abri à Nanterre. Aujourd'hui, ce délit n'exis-te plus, la BAPSA n'y conduit donc que les volontaires,d'où la nécessité d'établir un dialogue. Depuis 1993,

le triste spectacledu transport

des très pauvres

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cette brigade policière particulière s'est fortementorien-tée vers la prévention avec, par exemple, des renfortsd'appelés du contingent effectuant des missions d'as-sistance et de contact. Devenue récemment servicecomplémentairespécialisé de la police urbaine de proxi-mité, la BAPSA, avec tout le lot de mythes qui peut l'ac-compagner, joue un rôle spécifique.Tous les jours, une dizaine de véhicules sillonnent Pa-ris. Après avoir été une sorte de brigade punitive pourdes agents à problème, les policiers de cette brigadesont désormais des volontaires pour cette mission de"police humanitaire"(l'expression est utilisée par la pré-fecture de police). Ils connaissent presque toutes lesbouches de chaleur de la capitale et repèrent de loin lescartons susceptibles d'abriter un corps recroquevillépar

le froid. Le dialogue s'établit souventsans agressivité. Les "bleus", on l'adit, n'ont cependant pas toujours bon-ne presse. Il n'est pas rare d'entendredes récits d'exactions et de violences.Cependant, en témoignent parexemple les files d'attente pour mon-ter dans les bus, le service proposén'est pas toujours rejeté. Au contrairemême, il est assurémentapprécié parcertaines personnes en très grandedifficulté (autant que faire se peutdans de telles situations). À bien deségards, dans le secteur de la prise encharge des SDF, la BAPSAtient une pla-ce à part. Alors que le tissu associatifs'est considérablement renforcé, ce

service de police permetd'accueilliret recueillir ceux qui,pour diverses raisons, ne trouvent pas ou refusent desplaces dans des centres d'hébergement. Si on peut re-pérer une certaine "compétition" des services pour sa-voir qui sera réellement le plus performant dans la pri-se en charge des "plus pauvres parmi les plus pauvres"ou des "exclus des exclus", il n'est probablement pasfaux de dire que la BAPSAjoue là un rôle certes particu-lier mais essentiel.Elle joue ce rôle à côté du SAMU social de la ville de Pa-ris qui a vu le jour au cours de l'hiver 1993-1994. Ce dis-positif, très connu, est d'ailleurs né du constat del'insuffisance du système de recueil des SDF et de cri-tiques légitimes des méthodes alors encore empreintesde trop forte coercitionde la part des fonctionnaires de136

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la BAPSA. Soulignonsmême que la préfecture de policede Paris était, à l'origine, un des premiers partenairesdu projet de créationd'un SAMU social.Parmi les intérêts que l'on peut trouver à la BAPSA, l'in-formation statistique n'est pas des moindres. Le gra-phique 3 ("Statistiques d'activités de la BAPSA") ras-semble les données éparsesque nous avons pu collation-ner au sujet de l'activité decette brigade. Ces chiffres,établis par la préfecture depolice, sont intéressants carla collecte est certainementparmi les plus rigoureuses.Comme toute statistique po-licière, ils nous renseignentbeaucoup plus sur l'activitédes policiers que sur lenombre de personnes concer-nées. Cependant, il estimnortant de relever nlu-

A - csieurs points. Tout d'abord, la BAPSA recueille une pro-portion très faible (et même en diminution) de femmes(jamais plus de 9 % depuis 1960, 6,5 % en 1999). Laproportion d'étrangers a fortement augmenté ces der-nières années (40 % à la fin des années 90), montrantla prégnance des problèmes des sans-papiers et desdemandeurs d'asile, notamment en provenance despays de l'Est. L'âge des personnes concernées, depuisdix ans, ne connaît pas d'évolution notable avec unemoyenne juste supérieure à quarante ans. Relevonsaussi la chute du nombre de prises en charge et dunombre total de personnes différentes prises en char-ge. Cette baisseest le signe de l'importanceactuelle desservices pour sans-abri. La BAPSA fait moins de chiffrecar les sans-abri peuvent bénéficier d'autres services.Au total, la question principale pour l'action publiquecontemporaine en direction des SDF est probablementcel-le de la coordination et de la simplification du systèmedeprise en charge.

Une question de justiceLa question essentielle qui se pose avec la "police dessans-abri", au cœur d'ailleurs de la thématique et despolémiques contemporaines sur les "incivilités", est desavoir s'il faut cibler des situations ou des populations,s'il faut se concentrer sur des comportements singuliers

coordonner lessystèmes de prise

en charge

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ou sur des groupes particuliers d'individus, s'il faut pri-vilégier des réponses spéciales ou bien réformerdes po-litiques générales. Il s'agit ici d'une problématiquecru-ciale pour les évolutions de la police comme des poli-tiques sociales. Aux États-Unis d'où - qu'on s'en félici-te ou qu'on le critique - sont importées beaucoupd'idées, ces thèmes sont débattus de manière vive et ri-goureuse pour ce qui concerne la police des sans-abri ou,plutôt, les polices car le pluriel s'impose tant les initia-tives et les législationslocales diffèrent (20).Dans le cas français, avec les SDF, et la compassion oul'exaspération qu'ils peuvent susciter, l'orientation laplus "universelle" est certainement de ne pas prendre '

de mesures répressives spécifiques de type arrêté anti-mendicité ou bien de créer des brigadesmobiles spécia-lisées, mais de traiter les problèmes avec les règles quiconcernent tout le monde. Une bonne formule est d'in-diquer que les SDF ne doivent pas être traités (aumoinssur le volet répressif) pour ce qu'ils sont, mais pour cequ'ils font. Toutefois, cette formule tout comme cetteorientationn'ont rien de simples car il y a naturellementune corrélationentre ce qu'on fait et ce qu'on est ou, plusprécisément, entre ce qu'on fait et la situationdans la-quelle on se trouve.Ces dilemmes à la fois théoriques et concrets ne sedépassent pas simplement, car la problématiquedes liens entre police et sans-abri, entre les forces desécurité et les plus démunis est, au sens le plus completdu terme, une question de justice.

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1 - La référence obligée est ici Bronislaw Geremek, La potenceou la pitié. L'Europe et lespauvres du MoyenÂgeà nosjours, Galli-mard, 1987 (1978). Sur cet auteur, on consultera la "fiche cuisine" dans"La pensée de... " proposée dans ce numéro d'Informationssociales.2 - Philippe Robert, Le citoyen, le crimeet FÉtat, Droz, 1999. I

3 - Alexandre Vexliard, "La disparition du vagabondage comme fléau I

social universel",Revuede sociologie, n° 1,1963,p. 53-79. I

4 - Relayant un ordre donnépar le préfet de police de Parispour pour-chasser les mendiants et les camelots, Le Matin du 23 septembre 1949affirme dans un titre que "La chasse aux mendiantsest ouverte".5-À ne pas confondre, pour les férus des comptes de la protectionsociale,avec le budget annexe des prestations sociales agricoles, égalementconnu sous l'acronymeBAPSA.

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6-Ce centre n'étaitpas seulement décrit par la police comme un lieu dedétention, mais aussi comme un endroit de repos et de rééducation. Cf."Nanterre. Uneœuvre de charité. Un acte de vigilance",Policeparisienne,n° 5, février1936 (notons que, déjà, des bus ramassaientalors sporadique-ment les «clochards»); "Un espoir de s'en sortir... Le foyer de réinsertionsociale de la Maisonde Nanterre", Liaisons, n°239, novembre 1978.7- Quelques articles de cettepublicationméritentd'être signalés : "Une né-cessité : l'actioncontre les clochards"(octobre1963); "Pourla salubritépu-blique : clochardset vagabonds"(septembre 1964) ; "Pour la salubritépu-blique : vagabondset clochards"(mars 1969) ; "Le vagabondageà Paris"(n°160,juin 1969); "Les sans-abrià Paris"(n°202,octobre 1973). La lecturede ces documents,édifiante et parfoissurprenante,en apprend beaucoupsur les idées en voguealors concernant les SDF. Relevons que le ton de cet-te publication a bien changé. Aujourd'hui, quand ony parle de sans-abri,c'est avec des accents beaucoupplus sympathiques et avec des termesem-pruntés à la rhétoriquegénérale de la lutte contre l'exclusion.8-Liaisons,janvier 1964.9-Liaisons,novembre 1967.10-Liaisons, septembre1964.11-Liaisons, septembre1964.12-Cf. à ce sujet les analysesparues dans Liaisons: "Les Parisiens dé-couvrent un animal inconnu : le beatnik"(septembre1964), "Pour la pro-preté des rues : opération anti-beatniks"(septembre1965). Les beatnikssont identifiés comme des néo-clochards.13- Cette note ouvrira une importante activité policière de recueil d'in-formations. En octobre 1970, une étude, non diffusée, fera la synthèse deces renseignements.Il en ressort en particulier une estimation nationale,très faible, de la populationdes vagabonds et des clochards : 7161 indivi-dus dont 11% de femmes.14- VoirAfP (3 mars 1988) et, surtout, le texte de l'arrêt avec les commen-taires de DanièleMayer, in RecueilDallozSirey, vol. 2,1989, p. 29-32. Voir,du même auteur, une importante chroniquejuridique sur la police et lessans-abri, "Devoirs de lapolice à l'égard des sans-abri. (Aproposd'une nuitpassée au poste de police)", in RecueilDallozSirey, vol. 1,1983,p. 209-210.15-On n'entrepas ici dans l'analyse de ces arrêtés et on se permet de ren-voyer à ce sujet à deux précédentes contributions aux Informationsso-cùù«: "Lagrandepauvreté.La tentation d'une rue aseptisée"(n°60,1997),"Les servitudes d'aisance" (n°85,2000).16-Voir le rappel qui estfait à ce sujet dans "Les clochardsà Paris", Liai-sons, novembre1967. Voirégalementles initiativesprisesplus récemment,comme la demandefaite à toutes lespatrouillesdepolice d'être vigilantespendant les périodes hivernales (AFP, 15janvier1987).17-Pour les éléments de ce récit, cf. AFP(1919 décembre 1997), Le Figaro(20 décembre 1997), CharlieHebdo (24 décembre1997).18- Danielle Laberge, Daphné Morin, "L'incarcérationcomme mode degestion de l'itinérance",Revueinternationale de criminologieet depoli-ce technique, vol. L, n° 1,1997,p. 38-53 ; Pierre Landreville,Danielle La-berge, Daphné Morin, "La criminalisation et l'incarcération des per-sonnes itinérantes", Nouvellespratiques sociales, vol. 11, n° 1,1998,p. 69-81.19-LesFrançaisse sont déclarésglobalementfavorablesà l'hébergementcontraint dans un sondage CsAlLa Croix, avec 54% de pour et 39 % decontre (La Croix,11janvier1997). Quelquesjoursplus tard, la mêmeques-tion a été posée aux SDF, sondés ainsi pour la deuxième fois depuis 1994.La réponse est presque exactementla même que celle des Français :55 %pour et 36 % contre.20 - Au sujet de la police des sans-abri aux Etats-Unis, cf.Martin L. Forst (dir.), The Police and the Homeless.Creating a New Partnership Between Law Enforcementand Social Service Agencies in the Deve-lopment ofEffective Policies and Programs, Springfield,Charles C. Thomas Publisher, 1997. Cf. notre recensiondans Les cahiers de la Sécurité intérieure, n° 32, 1998.

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