ii. 2. l'exhibition des structures en évaluation

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L'évaluation comme gestion 137 II. 2. L'exhibition des structures en évaluation dans la conception, le système d'idées, l'épistémé de La gestion le mode de pensée, la r éfér ence théor ique, le modèle nomade du str uctur alisme avec ses syntagmes, ses écoles, ses mouvements, ses trois motifs, ses modèles locaux l'évaluation comme gestion la cybernétique le structuralisme la reproduction la maîtrise par les objectifs l'intervention et la prise de décision la mise à jour des dispositifs le systémisme

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L'évaluation comme gestion

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II. 2.L'exhibition des structures en évaluation

dans la conception, le système d'idées, l 'épistémé de La gestion

le mode de pensée, la r éfér ence théor ique,le modèle nomade du str uctur al isme

avec ses syntagmes, ses écoles, ses mouvements,ses tr ois motifs, ses modèles locaux

l'évaluat ion comme gest ion

l a cyber nét i que

l e s t r uctur al i s me

la reproduction

l a maî t r i s e par l es object i f s

l'intervention et la prise de décision

la mise à jour des dispositifs

l e s ys témi s me

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II. 2. Le structuralisme en évaluation

Champ d'étude :Dans ce modèle, les recherches mettent en actes les

théorèmes structuralistes : volonté scientiste et dépassement duvisible (1). Ce mouvement, suspecté très tôt de vouloir révolutionnerla vision du monde, ne donne pas souvent lieu, en évaluation, à desréférences explicites, il est de ce fait peu identifié comme tel. Cen’est pas telle ou telle théorie attachée à un auteur qui va êtreutilisée en évaluation, mais davantage un « climat » (le -isme) (2).

Le travail structuraliste se caractérise par la mise à jourd'invariants pouvant rendre compte d'universaux (3). Ceci consisteà dévoiler une structure : un ensemble fini d’éléments (lesinvariants) couplés, connectés, réglés par des liens stables,enclenchés entre eux : la comparaison entre la structure et l esquelette ou la charpente est sous-jacente. Mais existe aussil'image du moteur, de la mécanique cachée sous le capot (4). Lastructure est un schéma, une organisation prototypique, une trame,un scénario, du virtuel : dans les objets rencontrés, la structures’actualise et ne se reproduit pas, elle est sujette à des variationslocales. La pensée « modale » consiste à reconnaître le schémadans l’objet actualisé et remonter de l’un à l’autre (cf. l aréversibilité, chez Piaget). La structure est interprétation,reconstruction logique du fonctionnement.

La structure ainsi pensée et donnée à voir, exhibée,explique, par le jeu interne de ses forces (5) (désignées justement parle terme de "mécanismes"), le fonctionnement de l'objet étudié, lesmodifications qu'elle opère sur cet objet. La structure «  traite  »l’énergie (ou l’actant) qui la remplit, elle est créatrice demouvement, d’évolution : elle est productive.

L'intérêt accru pour le fonctionnement provoque la recherchedes mécanismes ou des structures dynamiques de l'évaluation,lesquelles remplissent des fonctions (produisent desmodifications). Identifier la fonction des structures évaluées v aredéfinir la notion d’objectif. L’idée est, somme toute, de voir l astructure pour mieux fonctionner et, en ce sens, on est bien dans l agestion.

(1) Dossé, F. Histoire du structuralisme, La découverte, Paris, 1991, deuxtomes(2) quoique les travaux d’analyse structurale des récits puissent servir defaçon exemplaire, semble-t-il, à comprendre ce qui est appelé structure enévaluation (le schéma narratif, par exemple)(3)en lien direct avec "le schème structural» de Berthelot (L'intelligence du

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social, PUF), p. 70 : "...les caractéristiques particulières de l’élément aimportent aussi peu que celles de l’élément b qui va lui être associé .L'essentiel est que l'un et l'autre soient insérés dans un systèmed'oppositions (...) Dans un code donné, un terme a prend une significationpar rapport aux termes auxquels il s'oppose, qui peuvent se substituer à luimais non s'y associer, et à ceux auxquels il s'associe et qui ne peuvent sesubstituer à lui. (...) Ce schème atteint ainsi une architecture formelle dusens ".(4) ce qui devient, sans rupture, la notion de système dans le courantcybernétique. La notion de structure n’est pas nettement distinguée de cellede système qui finira par s’imposer (cf. l’oeuvre de Piaget).(5) rapports de symétries, d’oppositions

BONNIOL, J-J. , GENTHON, M. & ROGER, M "L'évaluation en psychologie :approches théoriques et conditions méthodologiques", AESCE n°6, 1986, p.12/18 :

(...) Semblant suivre alors le constat de Cardinet (1979) sur "un élargissementdésormais bien marqué des conceptions scientifiques" vers un cadre conceptuel de lacompréhension, aidé des cadres structuraliste et fonctionnaliste, (qui) peut rendremieux compte de la réalité humaine que le cadre positiviste", un troisièmemouvement s'est donc opéré, qui, à partir d'une méthodologie de coopération clarifiéeentre chercheurs et évaluateurs, s'intéresse à l'étude des structures de l'évaluation.

La problématique initiale est issue de la théorie génétique de l'intelligenceconçue par Piaget et reprise en particulier par Vermersh (1979-1980). C'est à partir decette théorie que les critères d'évaluation utilisés implicitement ou explicitement partout évaluateur ont été définis comme les éléments majeurs du cadre conceptuel quidevrait permettre les décentrations nécessaires à un fonctionnement des mécanismescognitifs dégagé des causes de déformations perceptives. La genèse du fonctionnementde ces mécanismes, leur construction et leur maîtrise progressive par l'apprentiévaluateur ont été étudiées chez des élèves placés en situation d'évaluation formativeet d'évaluation sommative (cf. Bonniol, 1981), pour reprendre la distinction opéréepar Scriven (1967), distinction déjà évoquée par Tyler (1952) comme "moyend'améliorer le programme éducationnel et de guider la formation individuelle de chaqueapprenti".

Il apparaît que ces mécanismes cognitifs de l'évaluation sont ceux de la"fonction constituante" qui engendre chez l'élève la "réversibilité" nécessaire auxrégulations précorrectives, et qui engendre chez l'examinateur la "réversibilité"nécessaire, d'une part à la définition des tâches à proposer aux élèves, d'autre part à la"fonction constituée" de l'évaluation. Les déterminants du fonctionnement de cesmécanismes sont alors les critères d'évaluation qui deviennent critères de réussite destâches quand le lien de causalité qui les relie aux objectifs d'évaluation est explicite,que ce lien soit médiatisé par les objectifs pédagogiques de la tâche (dans l'évaluationformative) ou que cette médiation ne soit pas nécessaire (dans l'évaluationsommative).

Ces recherches ont donc mis en évidence des éléments relatifs aufonctionnement des structures de l'évaluation, mais cette étude s'est faiteindépendamment du contexte, en particulier socio-affectif et institutionnel, dans lequelces mécanismes fonctionnent. (...)

Cardinet, J; L'élargissement de l'évaluation, IRDP, 1979Bonniol, J-J; "Au sujet de l'articulation entre problèmes pédagogiques et problématiquesde recherche en psychologie de l'éducation", Bulletin de psychologie XXXV, 353, 1-5,1981Vermersh, P. "Peut-on utiliser les données de la psychologie génétique pour analyser le

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fonctionnement cognitif des adultes ? " Cahiers de psychologie n°22, 1979Bonniol, J-J. "Influence de l'explicitation des critères utilisés sur le fonctionnement desmécanismes de l'évaluation d'une production scolaire, Bulletin de psychologie XXXV,353, 1-5, 1981Scriven, M. The methodology of evaluation, AERA, Monograph séries on curriculumévaluation, 1, 1967Tyler, Basic principes of curriculum and instruction, Chicago, 1967Cf. Piaget 1961

BONNIOL, J-J. , GENTHON, M. & ROGER, M

CARDINET, J., "Evaluation interne, externe ou négociée?", conférence de 1987,Hommage à Jean Cardinet, Fribourg, Delval, 1990, p. 139/156 :

(...) Le modèle des sciences compréhensivesLe débat sur le mode d'explication à privilégier se poursuit dans les sciences

sociales depuis leur création, mais semble s'approcher d'une conclusion, si l'on encroit Boudon (1979), qui pense que la majorité des chercheurs en sciences sociales serallient aujourd'hui à la position de Max Weber et de Kurt Lewin, contre celle deDurkheim ou celle des phénoménologues.

L'explication d'un phénomène consiste à en rendre compte à partir d'autrechose. S'il semble difficile de dégager des lois qui déterminent le comportement desindividus même après qu'ils en aient pris conscience, et si l'explication historiquepèche par son caractère contingent, puisqu'un événement ne se reproduit jamaisidentiquement, il est possible, par contre, d'isoler dans le flux historique desstructures qui se répètent. Il s'agit bien alors d'une nouvelle sorte de lois, mais dontle déterminisme repose sur les actions intentionnelles des participants, dont on peutrendre compte, par conséquent, en termes de signification subjective. Boudon etBourricaud (1986) en donnent pour exemple la "stratégie d'exit" de Hirschman, c'est-à-dire la tendance des individus à préférer une solution personnelle à leurs problèmes,tant qu'ils aperçoivent une issue possible, plutôt que de lutter pour une solutiongénérale, mais impliquant une action collective à long terme. Ce "schéma structurel"peut expliquer l'absence de mouvement révolutionnaire aux Etat-Unis, aussi bien quele développement d'un réseau d'écoles privées dans les pays européens à structuresscolaires centralisées.

Ce modèle a donc valeur générale et c'est ce qui le rend scientifique.Pourtant il repose sur la compréhension de la situation de chaque individu et

non sur l'analyse de variables de type objectif. En même temps, il suppose uneconvergence des représentations personnelles qui expliquent l'émergence decomportements communs.

La gestion du système scolaire, dans ce cadre de pensée nécessite au départ uneffort de compréhension de la position de tous les intéressés, une démarched'identification aux autres qui fasse apparaître comme justifiés leurs points de vuerespectifs, mais ensuite aussi la poursuite de négociations pour faire converger cesreprésentations différentes et pour aboutir à un comportement social commun.L'objet privilégié de la prise d'information reste donc, comme dans l'approchephénoménologique, les représentations des acteurs.

Au travers de ces points de vue divers, cependant, certaines structurespermanentes sont examinées, que se soient les stratégies de résolution de problèmes,s'il s'agit d'apprécier le travail des élèves, les stratégies de transformation socialesefficaces, s'il s'agit d'intervenir au niveau d'une école, ou les politiques éducativessous-jacentes, s'il s'agit d'évaluer un curriculum d'ensemble.

L'évaluation a nécessairement, dans ce cas, des référentiels multiples, parcequ'elle prend comme cadre la réunion des référentiels individuels des acteurs. .(...)

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Boudon, R. La logique du social, Paris, Hachette, 1979Boudon, R. & Bourricaud, F. Dictionnaire critique de la sociologie, Paris, PUF, 1986, 2°ed.

CARDINET, J.

II. 2. L'exhibition des structures

2.1. Le chaînage de la reproduction

Champ d'étude :

Ce modèle structuraliste fonctionne à partir de l’idée de"reproduction des inégalités sociales" (1). L'Ecole, par exemple, estétudiée comme une structure remplissant cette fonction, dont il fautdévoiler les mécanismes, les règles de fonctionnement, lesprocédures de fabrication repérables parce que récurrentes. L’élèveen général, le maître en général, désincarnés, sont des invariantsde la structure scolaire et obéissent à des règles qu’on met à jour.

(1) A partir des travaux de Bourdieu et Passeron

DE KETELE J-M., "En guise de conclusion", L'évaluation : approche descriptiveou prescriptive ? , Bruxelles, De Boeck, 1986, p. 248/271 :

(...) 2.2.1. Le modèle de la reproduction socialeEn partant du modèle plus général de la reproduction sociale de Bourdieu et

Passeron (1970), Perrenoud (1979) s'emploie à démontrer les mécanismes par lesquelsles pratiques évaluatives contribuent à la fonction de reproduction par la fabrication del'excellence scolaire.

On peut synthétiser la pensée de l'auteur par quelques idées-clées.

(1) En tant que sociologue, Perrenoud part d'une toute autre définition del'évaluation :

"Je dirai simplement que pour le sociologue, elle se définit avant tout commele jugement social de déviance ou de conformité à une norme d'excellence scolaire -qu'elle ne soit pas une opération purement intuitive, qu'elle se fonde sur uneinstrumentation technique et des fondements psychométriques plus ou moinsrigoureux la distingue des jugements plus intuitifs que chacun de nous portequotidiennement sur la compétence ou le talent d'autrui. Cet appareillage technique etces apparences de rationalité ne devraient pas marquer le fait qu'il n'y a pasd'évaluation sans rapport social ni communication et qu'elle produit d'autant plus deconséquences que l'évaluateur exerce un pouvoir sur l'évalué." (Perrenoud, 1979, p 20et 21).

(2) Il existe une association entre formation et origine sociale. "A 18 ou 20ans, les individus d'une même génération n'ont pas la même formation." (Perrenoud,1979, p 21). De par sa fonction d'orientation/sélection, l'évaluation réellementpratiquée participe pour une bonne part à ce processus générateur d'inégalité.

(3) L'exclusion d'une fraction des élèves de certaines filières de formation ditesnobles (celles qui conduisent aux fonctions professionnelles socialement valorisées)est le fondement du mécanisme d'orientation/sélection joué par l'évaluation. Ceci

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engendre un effet amplificateur "d'autant plus fort que la structure en arbre du réseauscolaire est plus ramifiée, et compte donc de nombreux paliers de sélection oud'orientation." (Perrenoud, 1979, p 25).

(4) Deux conditions doivent être réunies pour traduire ces inégalités quiprivilégient certaines classes sociales et défavorisent d'autres :

- "il faut d'abord que les enfants de certaines classes sociales se concentrentdans certaines écoles, dans certains quartiers, dans certaines régions;

- "il faut ensuite que la qualité moyenne de l'enseignement dispensé varie enfonction de la composition sociale du public." (Perrenoud, 1979, p 28).

A nouveau, l'analyse des pratiques montre que l'évaluation joue un rôleimportant. En effet, les maîtres modulent leur évaluation de telle sorte que lesrésultats de leurs élèves se distribuent sur le modèle de la loi normale, la moyenne decelle-ci étant fonction du niveau du groupe-classe considéré.

(5) "Toute inégalité de traitement pédagogique touche toujours de près ou deloin à l'évaluation, dans la mesure où ... les évaluations formalisées ne sont jamaisindépendantes des évaluations informelles, implicites, fugitives qui se forment au gréde l'interaction en classe ou en réfléchissant à son propos... dans la mesure aussi oùle comportement du maître est influencé par l'évaluation informelle autant que parl'évaluation formelle, en particulier lorsqu'il renvoie à chaque élève une image de savaleur scolaire."(Perrenoud, 1979, p 37 et 38).

(6) Les élèves d'origine sociale différente sont inégaux devant l'évaluation carils "disposent inégalement des stratégies requises pour esquiver une question,précipiter ou différer une interrogation orale, s'arranger pour être malade lors d'uneépreuve écrite embarrassante, obtenir des éclaircissements complémentaires sur lesconsignes, gagner quelques minutes sur le temps imparti, etc..." (Perrenoud, 1979, p39). (...)

L'approche par les représentations sociales :Une des approches qui a contribué à élargir la problématique de l'évaluation

nous a été fournie par Gilly.Celui-ci considère que l'évaluation menée par l'enseignant est déterminée par

son système général de représentations, lui-même influencé par les normes socialesgénérales (les valeurs morales, les modèles généraux concernant l'enfant, les rôles...),par les normes scolaires institutionnelles (les objectifs, le fonctionnement del'école...) et par des idéologies diverses (politiques, syndicales, religieuses...).

Ceci implique que lorsque le maître évalue, il va "reconstruire en partie l'élèvecar les attitudes générales, attentes de rôles et modèles de comportements quicaractérisent ce système représentationnel définissent un cadre signifiantd'appréhension à la fois sélectif, organisateur et interprétant" (2).

De nombreux arguments expérimentaux peuvent être avancés à l'appui de cettethèse, et plus particulièrement de l'influence des normes sociales générales surl'organisation de la représentation de l'élève par le maître (...) . Cette thèse rejointcelle des sociologues, car elle indique que l'évaluation traduit et sert l'idéologiedominante de l'institution sociale à laquelle appartient l'enseignant.

L'enseignement qu'en tire Gilly est que "rien d'essentiel ne peut être vraimentchangé, dans les interactions maîtres-élèves et la pratique quotidienne de la classe,sans changement de l'institution et de la conception dominante du rôle professionnelqui y est associée".(...)

(1) Perrenoud, P. "Des différences culturelles aux inégalités scolaires : l'évaluation et lanorme dans un enseignement différencié", Allal, L. & al. L'évaluation formative dans unenseignement différencié, Berne, Peter Lang, 1979(2) Gilly, M. "L'élève vu par le maître : influences socio-normatives dans l'exercice du rôle

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professionnel", dans L'évaluation approche descriptive ou prescriptive ?; De Ketele, J-M.De Boeck, 1986, p.71/ 91

DE KETELE J-M.

Face à ce déterminisme fonctionnel, comme pris dans unengrenage, l'évaluateur va chercher à assouplir l'inexorable,notamment par le recours à l'intuition. A son tour, cette intuition,parce qu'elle cherche à équilibrer les forces en présence, devient undes mécanisme de la reproduction.

WEISS J. "La subjectivité blanchie ?" dans De Ketele, J-M., L'évaluationapproche descriptive ou prescriptive ?, Bruxelles, De Boeck, 1986, p.91/105 :

(...) Aucun enseignant ne reste insensible aux contradictions qui peuventsurgir des écarts observés entre les performances des élèves à des épreuves de contrôleet l'intuition qu'il possède de ses compétences. Ph. Perrenoud (1984) décrit cinqformes d'intervention correctrice adoptées par les maîtres pour ajuster les scoresobtenus à des épreuves de contrôle à la hiérarchie d'excellence établie dans leur classe.Lorsqu'ils le font, c'est avec le sentiment de corriger une erreur, "de réparer uneinjustice". L'évaluation formelle est donc "en partie sous le contrôle de l'évaluationinformelle faite au jour le jour et qui engendre, dans l'esprit du maître, des hiérarchiesintuitives assez stables" (Perrenoud, 1984, p.157).

(..) en évaluant de la sorte, les enseignants cherchent donc à atteindre uneévaluation objective, mieux adaptée à la situation et à la personnalité de chaque élève(...)

Hadorn parle dans ce cas d'une "évaluation globale interactive". Pour lui,l'évaluation même dans sa fonction certificative, n'est pas que mesure mais égalementintervention pédagogique, au sens large, et moyen de communication remplissantainsi une fonction d'encouragement ou d'avertissement. Ainsi situées dans leurcontexte scolaire et social, et légitimées par lui, les appréciations intuitives desenseignants se trouvent ainsi, selon certains, blanchies de l'accusation d'injustice.(...)

Perrenoud, P. La fabrication de l'excellence scolaire dans l'enseignement primaire : ducurriculum aux pratiques d'évaluation. Vers une analyse de la réussite, de l'échec et desinégalités comme réalités construites par le système scolaire, Genève, Droz, 1984

WEISS J.

De même, l'organisation des groupes évalués influence l efonctionnement cognitif des membres du groupe. La résolution desproblèmes est comprise dans une structure sociale, dans unenclenchement de facteurs, suffisamment stables pour êtreidentifiables, régissant les sujets.

CARDINET, J. Les modèles de l'évaluation scolaire, Neuchâtel, IRDP, 1986, (...) 5.1. L'origine de la psychologie sociale de l'éducationLa recherche doctorale de Perret-Clermont (1979) sur les effets cognitifs des

interactions sociales entre enfants a été le point de départ d'une série d'autres travauxdans plusieurs pays d'Europe, présentés en partie dans l'ouvrage collectif de Mugny(1985). La question initiale était d'explorer les mécanismes de l'interaction de l'enfantavec le réel social, relations que Piaget avait laissées dans l'ombre. En étudiant laconservation des liquides, Perret-Clermont a montré d'abord que les discussions engroupes avaient un effet positif sur le développement logique des enfants. Encomposant les groupes de façon systématique, elle a pu mettre en évidence les

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processus en jeu. Des groupes homogènes, soit non-conservants, n'évoluent pas dansleur conception à la suite de l'expérience. Mais il suffit que soit présent un enfantconservant parmi d'autres qui ne le sont pas pour que tout le groupe progressedurablement vers la conservation. Enfin, des enfants qui sont dans un stadeintermédiaire, s'ils peuvent discuter ensemble, développent par eux-mêmes un modede raisonnement conservant, les différences qu'ils perçoivent entre leurs conceptionsrespectives suffisant à créer chez eux un conflit cognitif mobilisateur.

Poursuivant ensuite l'étude des conditions sociales favorables à la perception età la résolution d'un conflit cognitif, d'autres chercheurs, comme Mugny et Doize(1983) ont montré qu'il fallait une certaine correspondance entre la structure logiquedu problème à résoudre et la structure sociale du groupe. Par exemple, un problème departage égal est mieux réussi par un enfant s'il discute avec un camarade plutôtqu'avec un adulte. Une mise en scène du problème soulignant que chacun mérite lamême récompense facilite aussi la découverte d'une solution conservante : pressionssociales et cognitives vont alors dans le même sens. (...)

Perret-Clermont, A.N. La construction de l'intelligence dans l'interaction sociale, Berne,Peter Lang, 1979Mugny, , G. Psychologie sociale et développement cognitif, Berne, Peter Lang, 1985Mugny, G. & Doize, W. Le marquage social dans le développement cognitif, Cahier depsychologie cognitive, 198, Vol 3, p. 89/106

CARDINET, J.

DE KETELE J-M. "L'évaluation conjuguée en paradigmes», Revue française dePédagogie, n°103, 1993, p.59/80 :

Le paradigme sociologiqueCe paradigme s'inscrit dans la lignée des travaux de sociologues qui se sont

intéressés au rôle que l'école jouait dans les mécanismes de reproduction sociale.Ainsi, Bourdieu et Passeron (1964, 1970) considèrent l'école comme le moyen delégitimer les inégalités culturelles ; Baudelot et Establet (1971, 1975) voient l'écolecomme un appareil qui permet d'ajuster la structure des diplômes à la structure declasse de la société ; Boudon (1973) analyse l'école comme le lieu où s'effectuent deschoix d'acteurs socialement situés, visant à maintenir ou améliorer leur positionsociale d'origine.

Dans ce processus de reproduction sociale, l'évaluation joue un rôle important.Ainsi, déjà en 1966, Bourdieu écrivait : "Pour que soient favorisés les plus favoriséset défavorisés les plus défavorisés, il faut et il suffit que l'école ignore dans le contenude l'enseignement transmis, dans les méthodes et les techniques de transmission etdans les critères de jugement, les inégalités culturelles entre les enfants des différentesclasses sociale : autrement dit, en traitant tous les enseignés, si inégaux soient-ils enfait, comme égaux en droits et en devoirs, le système scolaire est conduit à donner enfait sa sanction aux inégalités initiales devant la culture." (p 366)

Dans son livre "La fabrication de l'excellence scolaire", Perrenoud (1984)montre comment l'évaluation contribue à fabriquer l'excellence, qui n'est pas uneréalité intrinsèque à l'élève, mais est une représentation au même titre que la folie oula délinquance. Ainsi, l'évaluation scolaire met en évidence certaines différences plutôtque d'autres et, à partir d'inégalités réelles identiques, elle ne fabrique pas les mêmeshiérarchies formelles. Ces mécanismes de sélection et de déformation ne sont passimplement le fait de l'administration d'épreuves scolaires (le choix des moments depassation, le choix des questions, leur pondération, les critères de correction,l'utilisation des résultats, ...). En effet, d'une part, les évaluations formalisées ne sontjamais indépendantes des évaluations informelles, implicites, fugitives qui se formentau gré des interactions en classe ; d'autre part, le comportement du maître est

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influencé par l'évaluation informelle autant que par l'évaluation formelle, enparticulier lorsqu'il renvoie à chaque élève une image de sa valeur scolaire. Ainsi trèscurieusement, l'évaluation tend à rendre plus visible certaines différences quiexistaient au départ et en même temps on observe "une certaine indifférence auxdifférences" (Perrenoud, 1979, p.44) de par l'application d'un enseignementindifférencié à des élèves différents, ce qui contribue à maintenir ou à accentuer lesinégalités culturelles. (...)

Bourdieu P et Passeron, J-C. Les héritiers, Paris, ed de Minuit, 1964Bourdieu, P. et Passeron, J-C, La reproduction, éléments pour une théorie du systèmed'enseignement, Paris, Ed de Minuit, 1970Baudelot , C. et Establet, R. L'école capitaliste en France, Paris, Maspéro, 1971Baudelot , C. et Establet, R. L'école primaire divise, Paris, Maspéro, 1975Boudon, R. L'inégalité des chances, Paris, Armand Colin, 1973Bourdieu P. "L'école conservatrice, l'inégalité sociale devant l'école et devant la culture",Revue française de sociologie, 3, p.325/347, 1966Perrenoud, P. La fabrication de l'excellence scolaire dans l'enseignement primaire : ducurriculum aux pratiques d'évaluation. Vers une analyse de la réussite, de l'échec et desinégalités comme réalités construites par le système scolaire. Genève, Droz, 1984Perrenoud, P. "Des différences culturelles aux inégalités scolaires : l'évaluation et la normedans un enseignement différencié", dans Allal, L et all. L'évaluation formative dans unenseignement différencié, Berne, Peter lang, 1979

DE KETELE J-M.

II. 2. L'exhibition des structures

2.1. L'évaluation dans la reproduction,point de vue des détracteurs

Sans nier l'intérêt que peut constituer la mise à jourd'invariants, la critique porte sur leurs effets : montrer qu'unélément existe et qu'il est producteur, laisse entendre qu'il est,sinon universel, au moins inéluctable. Le problème est alors celuide la possibilité de concevoir ou de greffer, sur ces constats, desprocessus de changement. La description laisse-t-elle un champlibre à l'évolution, à l'organisation nouvelle, au sujet ? Le sens estréduit au remplissage d’une structure préexistante. Les structuressont des surnormes qui nous agissent, nous déterminent.

GENTHON, M, "Apprentisssage, évaluation, recherche : genèse des interactionscomplexes comme ouvertures régulatrices", synthèse présentée en vue del'habilitation à diriger des recherches, Université de Provence, 1993 :

(...) Rôle de la recherche dans les conceptions de l'évaluationOn peut bien sûr faire référence aux anciennes approches de la psychologie qui

se préoccupaient des performances des sujets, de leurs comportements observables,inscription dans le courant behavioriste qui s'intéressait aux réponses effectives dusujet ("sorties de la boîte noire") pour décrire son fonctionnement en situation. Dansle même temps et plus largement, la description prévalait dans les modèles proposés,paradigme descriptif en termes d'états permettant de produire des typologies. Onobtenait ainsi des "patterns" types dans lesquels on pouvait classer les sujets.

Cette tendance à une approche psychologique statique (cf. psychologieconstitutionnaliste) produisait des constats qui, bien qu'appuyés sur des modèles

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explicatifs, n'en ont pas moins constitué des bilans qui figent les phénomènes et lessujets. Mais la sociologie a elle-même fortement contribué à ce courant. Un desexemples les plus marquants est celui de Bourdieu et Passeron (1964) qui,développant le modèle de la reproduction sociale, ont inscrit le poids de certainesconstantes dans une telle vision déterministe que les pratiques de transformation,telles que la formation, ne pouvaient que s'en trouver écrasées et impuissantes àconcevoir des possibilités d'action. Leur modèle, pour n'en être pas moins importantet sans doute signifiant, est cependant de l'ordre du constat écrasant. Les seulespratiques, alors fiables, ne pouvaient qu'être celles qui allaient dans le sens du modèle(...). Bien sûr, ces résultats ont contribué, par ailleurs, à une forte remise en causesociétale, mais qui différait d'autant les engagements possibles dans le champ del'action pratique. Force est de constater que ce modèle illustre assez bien tout uncourant de la sociologie classique, encore vivant aujourd'hui, qui s'intéresse plus àfournir des constats qu'à participer au changement. Mais la sociologie, comme lapsychologie, a aussi ses nouvelles tendances, plus concordantes avec l'étude desprocessus de changement et à visée plus compréhensive, comme l'approche génétiqueou l'éthnométhodologie.(...)

Genthon M,

II. 2. L'exhibition des structures

2.1. L'évaluation comme reproduction,figure de l'évaluateur

L'évaluateur structuraliste, dans ce syntagme de l areproduction, est un révélateur des mécanismes qu'il dévoile, il ditles règles et les règlements, il risque d'être compris comme unprophète. Le poids du constat proféré arrime sa parole dans untemps hors du temps, celui de l'éternel recommencement, de l afatalité. Le sens est confondu avec la fonction que remplit l astructure, il est révélé.

BERGER, G. "Du contrôle des apprentissages à l'évaluation des pratiques etdes institutions éducatives", Rencontres d'Automne - Académie de Nancy-Metz-Novembre 1986

(...) Dans le champ des Sciences Sociales, nous venons de vivre unchangement de paradigme scientifique : pendant très longtemps (un certain nombre detravaux célèbres en sont le témoignage) on a fonctionné à partir d'un modèle quej'appellerai grossièrement causaliste-linéaire, qui consiste à dire qu'il existe un certainnombre de déterminants des effets de l'éducation. Ces déterminants peuvent être (etc'est le modèle fin XIXe siècle) les compétences intellectuelles des élèves ; cesdéterminants peuvent être (et c'est le modèle Bourdieu-Passeron) les caractéristiquessocio-culturelles de ces mêmes élèves : les résultats de l'action éducative sont, enréalité, les effets de ces facteurs ; l'action éducative n'étant qu'une sorte de mise enscène de ces facteurs, incapable de les modifier de façon significative.

Or, je crois que ce modèle est profondément contesté aujourd'hui : on considèrequ'il n'existe pas de relation directe entre déterminants et déterminés, entre conditionssocio-culturelles et résultats scolaires, mais que le vecteur de cette détermination sesitue au niveau des pratiques des acteurs ; ce sont les pratiques des acteurs, desinstitutions éducatives, des enseignants, qui donnent leur sens aux déterminants que jeviens d'évoquer. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de facteurs socio-culturels, celasignifie qu'un facteur socio-culturel par lui-même n'a pas de signification en terme

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scolaire, il crée un certain nombre de conditions, un certain nombre de difficultés,mais l'appartenance à telle classe ou à tel groupe minoritaire n'est pas en soi unhandicap dans le champ scolaire. Ce sont les pratiques éducatives qui font que telfacteur devient handicap ou au contraire se trouve neutralisé.

Un exemple : la situation de bilinguisme n'est pas en elle-même unphénomène qui détermine l'échec scolaire, mais elle joue de façon tout-à-fait différenteen fonction des rapports culturels hiérarchiques entre les langues, le fait qu'il y a uneculture dominante et une culture dominée, la manière dont l'enfant va vivre sonrapport à sa langue d'origine, et même la façon dont le maître perçoit le rapport del'enfant à sa langue d'origine, c'est tout cela qui est le vecteur du phénomène dedétermination.

A partir du moment où l'on considère que c'est la pratique sociale qui donneson sens à un déterminant social, cela veut dire que le problème de l'évaluation ne seconfond plus avec une simple manière de lire la causalité. Les phénomènes deredoublement, par exemple, ne sont pas liés mécaniquement à l'appartenance à ungroupe social ; il existe des stratégies de groupe qui ne sont pas de simplesphénomènes de détermination.

Les travaux de Robert Ballion montrent que, peut-être, on a vu trop vite desphénomènes d'échec différenciés dans des groupes sociaux différents ; ce qui est leplus significatif, c'est que les groupes sociaux dominants disposent de stratégies desubstitution en cas d'échec, qui vont de la discussion avec l'enfant le soir même quandil y a difficulté, au cours particulier, en passant par le choix de l'école et parfois leredoublement... Ballion montre qu'une des fonctions de certaines grandes écoles decommerce est d'accueillir les enfants des classes dominantes qui n'ont pas pu suivreles voies royales du type médecine ou Polytechnique ; la voie HEC, par exemple,leur permet d'accéder à des salaires ou des positions sociales équivalents à ce qu'ilsauraient atteint s'ils avaient été les plus brillants sujets.

Les travaux de l'équipe Derouet à l'INRP, qui travaille sur des pratiquesd'établissements, tendent à démontrer qu'à partir de modèles quasi identiques du pointde vue ethnologique avec des enseignants qui ont des formations parallèles mais despratiques extrêmement différentes, on constate des résultats différents qui tiennent àune sorte de culture locale qu'il s'agit de comprendre, d'analyser et d'évaluer le caséchéant.

On a là un troisième élément important qui oblige à situer l'explication desphénomènes sociaux non pas par un rapport linéaire entre des causes et des effets,mais dans un rapport vectorisé, porté par un certain nombre de pratiquesdéterminées.(...)

BERGER, G.

PERRENOUD, P. "L'évaluation codifiée et le jeu avec les règles : aspects d'unesociologie des pratiques", dans De Ketele, J-M., L'évaluation approchedescriptive ou prescriptive ?, Bruxelles, De Boeck, 1986, p. 11/29 :

(...) 1. L'évaluation codifiée :Tout professionnel évalue de façon plus ou moins intuitive les résultats de son

action. Mais lorsqu'il n'est pas à son compte, il ne peut évaluer à sa guise :l'organisation qui l'emploie cherche à contrôler ses critères et ses méthodes. Il en vade la sorte dans les écoles : les maîtres sont des salariés agissant sur délégation del'autorité scolaire. Dès lors l'évaluation ne relève plus de leur libre arbitre. Leurspratiques sont partiellement codifiées par l'organisation. Cette codification portesurtout sur l'évaluation formelle, c'est-à-dire cette évaluation que l'organisation prendà son compte moralement et juridiquement, celle qui compte lorsqu'il s'agit de déciderde la réussite ou de l'échec (...).

Puisqu'elle en assume la responsabilité vis-à-vis des parents, du niveau

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supérieur de la hiérarchie, des instances politiques ou de l'opinion publique, l'autoritéscolaire a d'excellentes raisons de codifier l'évaluation formelle. Elle assure du mêmecoup qu'elle rendra les services attendus quant à la gestion des flux d'élèves et aucontrôle du travail des maîtres. (...)

D'un système scolaire ou d'un ordre d'enseignement à l'autre, les règlesgouvernant l'évaluation diffèrent. (...) Mais on ne trouvera aucun système scolairelaissant aux maîtres la latitude d'évaluer ce qu'ils veulent, quand ils le veulent,comme ils le veulent. Chacun exige des maîtres un minimum d'évaluation formellerespectant des formes et des échéances censées s'imposer à toutes les classes d'unmême degré. On ne peut donc comprendre les pratiques d'évaluation en ignorant leurcodification au sein de l'organisation scolaire.

L'école ne se borne pas à codifier l'évaluation formelle, publique, officielle.C'est bien sûr son enjeu majeur, puisqu'il s'agit de la légitimité des hiérarchiesd'excellence, et, au-delà, de la sélection. Mais l'organisation scolaire cherche aussi àcontrôler la démarche didactique des maîtres et la façon dont leur évaluationpersonnelle s'y articule. (...)

La teneur des règles, leur origine, la façon dont elles sont énoncées et portées àla connaissance des maîtres mériteraient de longues analyses. Ce qui m'importe ici,c'est simplement de rappeler cette évidence : lorsqu'il évalue, le maître n'est pasautonome. Il n'est pas censé évaluer en fonction de ses seuls besoins pédagogiques oude sa seule philosophie de l'évaluation. L'organisation lui demande, en bref, de seconformer à des règles censées garantir :

- soit l'adéquation de l'évaluation à ses fonctions à l'échelle du système : fonderles décisions de sélection, d'orientation, de certification à l'issue d'un cycle d'études ;informer les parents, les inciter à mieux contrôler le travail scolaire de leurs enfants,les préparer à certaines décisions ; contrôler jusqu'à un certain point le respect du pland'études et le rendement des maîtres ou des établissements ;

-soit l'efficacité ou la régulation de l'enseignement à l'échelle de la classe :l'une des justifications traditionnellement apportées aux modèles d'évaluation est queles enseignants en ont besoin pour savoir où en sont leurs élèves, pour contrôler leurtravail et prévenir leur indiscipline, pour moduler le rythme de progression dans leprogramme, éventuellement, pour individualiser leur enseignement.

Je n'amorcerai pas ici l'analyse des fonctions réelles et des fonctions supposéesde l'évaluation à l'échelle du système d'enseignement ou de la salle de classe. Jenoterai simplement que l'évaluation codifiée est en général polyvalente, instrument àla fois de sélection, de régulation, de pronostic, de certification, de contrôle.(...)

Analyser les pratiques d'évaluation, c'est donc partir des règles officielles etofficieuses dont elles sont l'objet. Mais c'est aussi prendre en compte le jeu avec lesrègles et à l'intérieur des règles.

2. Interpréter et adapter les règles :Si l'observateur des pratiques ne peut ignorer les règles, il ne peut davantage

faire comme si tous les maîtres en comprenaient et en respectaient l'esprit et la lettre,pour les appliquer ensuite scrupuleusement. Certains maîtres prennent des libertésavec les règles parce qu'ils les connaissent mal : seuls les enseignants débutants seréfèrent fréquemment aux textes censés régir leurs pratiques. Les enseignantsexpérimentés se fient à leur mémoire ou à l'avis de leurs collègues. Le détail decertaines procédures ou de certaines règles nouvelles échappent donc à une partie desintéressés, quand bien même elles ont été portées à leur connaissance par écrit.

Même lorsqu'ils connaissent les règles, les enseignants sont loin d'êtretoujours convaincus qu'elles sont excellentes. (...) La transgression des règles porteen général sur des points mineurs. (...) Beaucoup de maîtres appliquent les règles parroutine, non parce qu'ils y adhèrent profondément, mais parce qu'ils ne croient pas

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L'évaluation comme gestion

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assez fermement à un autre système d'évaluation (...). Même si elle impose des règlesfort contraignantes quant aux domaines et aux procédures d'évaluation (moments,types d'épreuves, modes de notation), l'organisation laisse aux maîtres une assezgrande latitude en ce qui concerne les normes d'excellence et les niveaux d'exigence.(...)

Même si tous les maîtres évaluaient tout ce qu'ils ont enseigné et rien que cequ'ils ont enseigné, ils n'évalueraient pas la même chose parce qu'ils n'enseignent pasla même chose.

3. Un flou fonctionnel :(...) Si l'organisation scolaire ne codifie pas normes et exigences autant qu'elle

le pourrait, c'est parce que le flou qu'elle laisse subsister est fonctionnel tant pour lesmaîtres que pour le système. J'ai essayé ailleurs (Perrenoud, 1984, chp VI) de montrerque l'école, si elle se donnait les moyens de mesurer avec précision la réalisation deses objectifs, serait déchirée entre deux attitudes aussi intenables l'une que l'autre :

- soit fixer des objectifs ambitieux et reconnaître qu'ils ne sont maîtrisés quepar une fraction minoritaire des élèves, donnant ainsi des armes à tous ceux quidénoncent l'inefficacité de la machine scolaire ;

- soit fixer des objectifs effectivement atteignables par la majorité des élèves etse voir reprocher de niveler par le bas, de sacrifier les élites, avec le reflux probablevers des écoles d'excellence ou l'enseignement privé.

La seule alternative serait de transformer l'organisation de la scolarité et lefonctionnement de l'enseignement de sorte qu'une majorité d'élèves atteigne desobjectifs ambitieux. Sans doute serait-ce au prix d'une autre évaluation, plusindividualisée, plus formative. Mais il y faudrait au préalable une autre pédagogie etune autre organisation de la scolarité, donc une volonté politique et les moyens de lamettre en oeuvre. Ce qui nous amène au débat, que je ne peux rouvrir ici, sur lesfonctions des inégalités sociales et à la question de savoir jusqu'à quel point l'écolefabrique de l'inégalité sociale à son corps défendant ou parce qu'elle est faite pour ça.(...)

Perrenoud, P. La fabrication de l'excellence scolaire dans l'enseignement primaire : ducurriculum aux pratiques d'évaluation. Vers une analyse de la réussite, de l'échec et desinégalités comme réalités construites par le système scolaire. Genève, Droz, 1984

PERRENOUD, P.

II. 2 L'exhibition des structures

2. Evaluation et intervention :l'aide à la décision

Champ d'étude :

L'évaluation est ici considérée comme une aide à la prise dedécision. Il s’agit de dévoiler les structures pour qu’on les prennenten compte. Ce dévoilement de l'organisationnel qui se présentecomme une "simple" description, un "diagnostic" est souventnommé évaluation de "systèmes". Mais la notion de systèmeaccompagne toute l'évolution du courant structuraliste, en

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continuum avec celle de structure, pour s'en dégagerprogressivement. (1)

L'évaluation est assimilée à la prise d'indices, à uneanalyse pour effectuer des choix. Le versant procédural prédomineainsi qu'une volonté de gestion du possible.

Petit à petit, l'évaluation comme intervention sur lesstructures va céder la place à l'étude des interventions quellesqu'elles soient : l'organisation visitée par l'évaluation n'est alorsplus qu'un lieu, un support qui sera abordé avec l'un ou l'autre desmodèles de l'évaluation : sous le terme d'audit, par exemple (2).Peut être ainsi activé sous le terme d'intervention, le modèle del'évaluation comme recherche des effets, (3) ou l'évaluation-remédiation (4) ou tout autre syntagme de l'évaluation (5.)

(1) Lerbet, G. De la structure au système, UMFREO, 1986(2) Lecointe, M. "L'audit des formations, : contrôles, évaluations etpilotage", Colloque de Carcassonne, Les évaluations, PUM, 1992, p .197/205(3) Ourliac, G. "Argos", Colloque de Carcassonne, Les évaluations, PUM,1992, p. 217/234(4) Hugon, M-A., "Un exemple de recherche-action évaluative" Colloque deCarcassonne, Les évaluations, PUM, 1992, p. 191/195(5) Aubégny & Charpentier, Evaluation et développement desétablissements d'enseignement, Université d'été de Romorantin UniversitéF. Rabelais, Tours, 1991

DE KETELE, J-M. & ROEGIERS, X. «Le recueil d'informations, l'évaluation, lecontrôle, la mesure, la recherche : serviteurs et maîtres", Les évaluations,colloque international francophone, Carcassonne, 9-10-11 mai 1991,AFIRSE/PUM Toulouse le Mirail, 1992, p.143/161 :

(...) De nombreux experts en évaluation insistent beaucoup sur le fait que leprocessus est le serviteur de la prise de décision : toute évaluation devrait être penséeen fonction d'un type de décision à prendre ; l'évaluation permet de fonder et de validerune prise de décision.

Dans cette optique, nous définirons le processus évaluatif comme suit :évaluer signifie :-recueillir un ensemble d'informations suffisamment pertinentes, valides et

fiables ;-et examiner le degré d'adéquation entre cet ensemble d'informations et un

ensemble de critères adéquats aux objectifs fixés au départ ou ajustés en cours de route-en vue de prendre une décision (De Ketele, 1991).(...) Nous venons de voir qu'en fonction d'objectifs fixés, celui qui oriente

l'apprentissage dans le champ éducatif ou commandite l'évaluation doit prendre desdécisions. Pour être adéquate, la prise de décision se fondera donc sur une évaluation,plus ou moins importante et complexe selon la nature de la décision à prendre.

A son tour, l'évaluation suppose un recueil d'informations pertinentes. Nouspouvons donc situer le recueil d'informations comme une étape d'un processusd'évaluation, dont on a fixé des critères opérationnels valides, et devant déboucher surdes conclusions.(...)

De Ketele & Roegiers

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PELLETIER, L. "La notion d'évaluation", Education permanente, n°9, 1971,p.7/19 :

(...) L'amélioration du statut opératoireL'effort pour rendre plus utiles les efforts d'évaluation nous semble dominé

actuellement par les orientations suivantes :1 - On est devenu très attentif aux évaluations de caractère global, impliquant

donc une variété considérable d'actions ou de micro-actions interreliées entre elles,dont il faut rendre compte individuellement ainsi que dans leurs relations réciproquesde dépendance et de fonctionnement.

2 - On attache une importance considérable au lien qui relie l'évaluation auprocessus de décision. Sans doute sous l'influence de la recherche opérationnelle, maisplus encore à cause des nécessités qui assaillent de toutes parts les preneurs dedécision et qui les obligent à faire des choix fréquents, rapides et les moins arbitrairespossibles, sur la base de données d'évaluation pertinentes à la prise de décision.

3 - On est influencé de plus en plus par le langage des planifications et desagents de développement ainsi que par leurs techniques d'actions, en même temps quel'on hérite de toutes les difficultés que ceux-ci rencontrent pour adapter leursméthodologies à la situation réelle, notamment tout ce qui concerne le statut du non-rationnel dans la prévision et l'établissement des plans d'action.

4 - L'attention mise autrefois sur l'acte d'évaluer ou sur une évaluation précise(avec telle méthodologie, tel instrument, tel résultat) tend à se déplacer pourconsidérer davantage le processus d'évaluation, qui est continu, qui s'articule avec lesautres dimensions et qui doit accompagner l'action (de formation) tout au long de sondéroulement. On sent davantage le besoin de proposer des évaluations linéaires et nonplus seulement des évaluations ponctuelles (14) ou à développer des étudeslongitudinales et dynamiques d'évaluation plus que des coupes transversales oustatiques.

5 - Une tendance très forte qui se fait jour est celle de subordonner l'évaluationà l'action de formation, en ce sens que l'on affirme de plus en plus que c'est le typed'action de formation qui détermine le type d'évaluation requis et non pas lecontraire(15) . Cette option mène à une multiplicité des procédures d'évaluationcomme aussi à un effort de précision pour identifier les types différents d'action deformation.

Classification des modèles d'évaluationRobert Stake a proposé récemment (16) une classification des modèles

d'évaluation d'actions de formation qui jette un peu plus de lumière sur l'état actuel del'entreprise de clarification théorique de l'évaluation, qui nous apparaît assezbourdonnante dans les milieux américains et canadiens.

a) Le modèle d'"accréditation", le plus ancien, qui évalue non pas des candidatsmais une institution à partir de critères portant sur les ressources humaines etmatérielles de l'institution et les moyens mis en oeuvre. Il n'évalue pas les résultatsde la formation.

b) Le modèle de Ralph Tyler : il est centré sur les résultats de la formation etporte sur les changements observés dans la clientèle en formation. Il consisteessentiellement à mesurer à l'aide d'indices pertinents les comportements éducatifsacquis ou réalisés au cours d'une action de formation avec les comportements éducatifsdésirés (objectifs).

c) Modèle à objectifs multiples. Ce modèle est un développement du modèle deTyler, en ce sens qu'il reconnaît qu'une action de formation comporte habituellementdes objectifs multiples et qu'ils sont différents selon les divers types de personnesdans l'action (étudiants, professeurs, animateurs, institution). On peut aussi, à

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l'intérieur de ce modèle, examiner l'action de formation dans sa préparation, sondéroulement et ses résultats et y déterminer des objectifs de phase que l'on peutconfronter avec ce qui s'est réellement passé.

d) Le modèle décisionnel. Ce modèle, qui représente l'acquisition la plusrécente dans le développement d'une théorie de l'évaluation, met l'accent sur le rapportentre les données d'évaluation recueillies et les responsables décisionnels. Il tend àcombler le fossé maintes fois signalé dans les recherches d'évaluation entrel'évaluation et la planification d'une action. A cause de cette optique, il insiste nonseulement sur les résultats de l'action, mais s'intéresse aussi aux différentes étapes del'action de formation (élaboration, mise en marche, phases de développement) pour envoir la cohérence.

Scriven (17) a proposé à l'intérieur de cette orientation une distinction qui tendà devenir classique. Selon lui, l'évaluation jouerait deux rôles (18) qui amèneraient àdistinguer deux types d'évaluation.

1) Summative évaluation : que l'on pourrait traduire par évaluation final etexterne. Elle consiste dans une appréciation d'ensemble des changements survenusdans une action de formation pour le bénéfice de l'équipe décisionnelle extérieure àl'opération et qui doit se prononcer sur elle.

2) Formative évaluation : que l'on pourrait traduire par évaluation axée sur leprocessus et interne. Elle consiste dans une appréciation globale ou sectorielle deschangements en cours dans une action de formation pour les personnes qui ont laresponsabilité de conduire l'action et qui doivent l'orienter, l'améliorer, la mener àbonne fin, durant le temps où elle se développe.

Cette distinction est très riche et elle ne commence, à notre avis, qu'à êtreexplorée. Ce qu'elle a de plus original, à notre avis, vient du statut qu'elle donne àl'évaluation axée sur le processus. Cette sorte d'évaluation comporte des démarchesassez différentes de la première. Elle épouse beaucoup plus les contours même del'action, elle oblige à tenir compte d'une foule de détails dont l'agencement esttoujours significatif pour porter un jugement. Si l'on nous permet une comparaison,disons que l'armateur qui doit décider s'il enverra ou non un navire pour chercher unecargaison de blé, évalue la situation par quelques indices précis mais très généraux,alors que le capitaine du navire qui doit faire le voyage passe tout le voyage à évaluersa performance et ses résultats possibles ; il en est de même pour le pilote,l'ingénieur mécanicien, le chargé de l'approvisionnement, le responsable duchargement, etc... à l'un ou l'autre moment de l'opération. L'évaluation axée sur leprocessus est une évaluation continue, comportant des milliers de sous-évaluations etde sous-décisions qui s'enchaînent et se nuancent les unes les autres. (...)

(14) On définit souvent l'évaluation comme "la comparaison de la performance parrapport à une norme", comme le fondement d'une décision, comme un mode spécifique demesure, comme un bilan d'activités, comme une comparaison entre des programmesfondamentalement et comme un procès. Ces acceptions sont essentiellement statiques.L'évaluation est un processus continu, utilisé tout au long du déroulement d'un programmeet appliqué à tous les éléments. Allen Herzog et Léonard Denton, A Model for theEvaluation of an Action-Research Program, papier présenté à la Huitième ConférenceCanadienne de recherche en éducation.(15) Il est important (...) de souligner qu'on ne peut élaborer un plan d'enquête qui soitvalable universellement pas plus qu'on ne peut faire des programmes de formationutilisables en toutes circonstances. Si ces programmes sont taillés sur mesure en fonctionde situations sociales concrètes, l'évaluation doit, à partir d'un cadre théorique général,s'adapter pour répondre spécifiquement à chaque cas particulier. Pierre Paquet et PaulBélanger, Evaluation du séminaire d'été de l'Institut coopératif Desjardins, Institutcanadien d'éducation des adultes, Montréal, juin 1970.(16) Robert E. Stake, CIRCE, University of Illinois, document interne, octobre 1969.

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Nous nous sommes inspirés largement pour cette dernière section de l'étude de PierrePaquet et de Paul Bélanger, citée plus haut et de Gene V. Glass, The Growth of EvaluationMethodology, Laboratory of Educational Research, University of Colorado, EvaluationWorkshop of the Adult Education Research Conference, Minneapolis, March 1970.(17) Michael Scriven, 1967.(18) Cf. Howard Russel, Symposium in Evaluation, March 1970.

PELLETIER, L.

Le structuralisme, bien que dénigré, reste un mode depensée extrêmement puissant. On peut le voir à l'oeuvre si ondébarrasse certains discours de "l'imagerie systémique" (1) qu'ilsaffichent pour considérer que, ce dont on y parle, ce ne sont pasd'interrelations processuelles mais bien encore de liens réglésde transformations à l'intérieur de ce qu'il faudrait alorsappeler structure et non pas système. La nuance tourne autour duterme « processus » : dans le structuralisme, est appeléprocessus le déroulement orienté dans le temps, c’est-à-dire l etraitement (inexorable) que la structure fait subir aux élémentsinvariants, c’est exactement ce qu’on désignera ailleurs par« procédures ».

(1) Lerbet, G. De la structure au système, Maurecourt, UMFREO, 1986

DE KETELE J-M. "L'évaluation conjuguée en paradigmes", Revue françaisede Pédagogie, n°103, 1993, p59/80 :

(...) Le paradigme de l'évaluation au service de la décisionLe modèle CIPP de StufflebeamLe modèle de Stufflebeam est sans doute le modèle le plus mondialement

connu. Contrairement au modèle tylérien, il n'est pas centré sur les objectifs mais surla décision en situation. Le but de l'évaluation n'est pas de prouver mais d'améliorer,c'est-à-dire prendre des décisions adéquates ("not to prove, but to improve",Stufflebeam et Shinkfield, 1985, p.151). Et ce n'est pas simplement, selon lesauteurs, en mesurant l'écart entre performances et objectifs que l'on se met enposition de prendre de bonnes décisions.

Le modèle CIPP (Context, Input, Processus, Product) fut donc développé.L'évaluation du contexte cherche à définir le contexte institutionnel, à

identifier les opportunités de répondre aux besoins, à diagnostiquer les problèmessous-tendant les besoins, à juger si les objectifs proposés permettent de répondresuffisamment aux besoins analysés. Pour mener à bien une telle évaluation, lesévaluateurs recourent à des outils variés, tels l'analyse systémique, des enquêtes, desanalyses de documents, des entretiens, des tests diagnostiques et la technique Delphi.Une telle évaluation permet de fonder les prises de décision concernant le type desituation à aménager pour la formation, les finalités et les objectifs de la formation,le type d'informations à recueillir pour évaluer les résultats.

L'évaluation des imputs (ou "intrants" comme disent les québécois) permetd'identifier les capacités du système, de circonscrire les stratégies alternatives, deprévoir les démarches à implanter et les ressources matérielles, financières ethumaines nécessaires. Les évaluations recourent à des outils, telles les réunionsd'équipes, la consultation d'inventaires, des visites, des techniques de planification,des études de fiabilité, des simulations.

L'évaluation permettra de fonder les prises de décision concernant le choix des

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ressources et des stratégies ainsi que le type d'informations à recueillir pour évaluer lafaçon dont la stratégie prévue a été implantée.

L'évaluation du processus vise à identifier et même prédire dans certains cas lesdysfonctionnements par rapport au dispositif prévu, à fournir les informationsnécessaires pour les décisions préprogrammées et à prendre pendant le processus deformation, enfin à enregistrer et à porter un jugement sur les événements et activitésde formation. Carnets de bord, méthodes des incidents critiques, réunion d'équipes,entretiens, analyse des représentations des acteurs de la formation, analyse desproductions seront les outils privilégiés d'une telle évaluation. Celle-ci permet defonder les prises de décision concernant les étapes prévues, les modifications àentreprendre et le type d'informations à recueillir et à conserver pour l'interprétationdes résultats de la formation.

L'évaluation du produit consiste à rassembler les descriptions et jugementsconcernant les résultats, à les mettre en relation avec les objectifs, le contexte, lesimputs et le processus, enfin à les interpréter en termes de jugement de valeur.L'évaluateur recourra à deux types d'outils, les outils préconisés par le modèle tylérienmais aussi toutes les formes d'outils susceptibles de récolter les jugements des acteursconcernant les résultats de la formation. Ces deux types d'informations seront soumisà une analyse - non seulement quantitative -mais aussi qualitative. Le rapport finald'évaluation consignera les jugements de valeur en distinguant les effets positifs etnégatifs par rapport aux résultats prévus, voire les résultats imprévus.

Un des grands mérites du modèle de Stufflebeam est d'être un modèle global.Mais c'est aussi sa principale limite. Le modèle est essentiellement pensé en termesd'évaluation globale des formations et non en termes d'évaluation des agents enformation, comme le font les enseignants en classe (cf. la distinction de Barbier,1985). Cependant, bien des composantes du modèle peuvent inspirer judicieusementl'évaluation qui se déroule dans le monde microscopique de la classe. (...)

Stufflebeam, S.L. et Shinkfield, A.J. Systematic evaluation, Boston, Kluwen et NijhoffPublishin, 1985Barbier, J-M. L'évaluation en formation, Paris, PUF, 1985

DE KETELE J-M

DE KETELE J-M., "L'évaluation du savoir-être", L'évaluation : approchedescriptive ou prescriptive ?, Bruxelles, De Boeck, 1986, p179/208 :

(...) A bien des égards, le modèle de Stufflebeam est intéressant pour leproblème de l'évaluation du Savoir Etre (SE). L'évaluation du contexte permettrad'identifier les objectifs du SE en tenant compte non seulement des priorités jugéespar les décideurs, mais aussi des besoins du public cible. L'évaluation des inputsmettra en évidence les SE (des personnes en formation et des formateurs) sur lesquelsla formation pourra compter ou qu'elle devra éveiller pour réussir. Elle fera aussil'inventaire des situations et des ressources sur lesquelles les formateurs pourrontcompter pour installer les SE désirés. L'évaluation du processus permettra larégulation. Au niveau de l'évaluation des produits, le modèle de Stufflebeam permetde répondre à certaines critiques du modèle tylérien en complétant les outils classiquesde l'évaluation par le recours aux jugements, eux-mêmes mis en relation avec lesobjectifs, le contexte, les imputs et le processus mis en oeuvre. Cela résoudra-t-ill'évaluation certificative du SE ?

Un des grands mérites du modèle de Stufflebeam est d'être un modèle global.Mais c'est aussi, aux yeux de certains, sa limite principale. Le modèle estessentiellement pensé en termes d'évaluation globale des formations et non en termed'évaluation des agents en formation comme le font les enseignants en classe (cfr. ladistinction de Barbier, 1985). Il est pensé en termes macroscopiques alors que le

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monde de la classe est microscopique. Ce qui intéresse l'enseignant, c'est de savoircomment il va répondre à la demande qui lui est faite de certifier le SE des étudiantsdont il est censé avoir assuré la formation.

Au terme d'une formation, une enseignante en exercice écrivait ceci :"Appliquer à la lettre, l'évaluation telle qu'il (l'animateur de la formation) la préconiserequiert une énergie, une disponibilité, une puissance de travail, une imagination enmême temps qu'une rigueur logique assez peu communes ! Je m'essouffle rien qu'àlire ces écrits qui ne provoquent pas toujours sur moi l'effet stimulant souhaité parl'auteur. Il m'arrive de me sentir accablée. Faut-il vraiment faire tout cela pour évaluervalablement ? Devant l'énormité de la tâche, la tentation me vient de laisser tomberles bras ou de prêter une oreille bienveillante aux chants de sirène d'un Rogers".Mais, l'enseignante se reprend et ajoute : "Le mauvais esprit que je suis ne peut sedéfendre d'une idée gênante : Et si l'attitude de Rogers était une dérobade ? Unedémission ? Les rapports humains sont tellement plus agréables quand on peut sedispenser de juger ! ...Ne le dit-il pas lui-même ? (...) A la différence de Rogers, jecrois beaucoup à la paresse naturelle de l'homme ! S'il n'est pas confronté à desépreuves, je doute qu'il devienne naturellement chercheur actif" (Moussiaux, 1985,mémoire inédit). (...)

Stufflebeam, S.L. et Shinkfield, A.J. Systematic evaluation, Boston, Kluwen et NijhoffPublishin, 1985Barbier, J-M. L'évaluation en formation, Paris, PUF, 1985

DE KETELE J-M.,

Au nom du réalisme, l'évaluation pour la prise de décisionfait bon ménage avec les pratiques de direction et de gestion desressources humaines. L'autre, assimilé à un élément remplissant l astructure qui le précède, sans épaisseur, est réifié, objet de contrôleet de manipulation. Le monde relève d'une gestion du probable. Lesens est confondu avec la cohérence de l’algorithme de résolutiondes problèmes.

RIBEROLLES, A. Evaluer, évoluer, vers un nouveau dialogue en ressourceshumaines, Editions d'organisation, Paris, 1992, p. 12/13 :

(...) Lorsque nous utiliserons les termes "évaluation" ou "appréciation", nousferons donc référence à ce qui se passe pendant la carrière de l'individu déjà intégrédans une entreprise donnée.

Le thème de l'évaluation en cours de carrière s'inscrit dans un contexte de mode: il est de bon ton pour les dirigeants de s'intéresser à leurs salariés, de les laissers'exprimer sous peine d'être traités de conservateurs ou encore de patrons rétrogrades.Mais l'évaluation, ce n'est pas seulement une mode. C'est aussi une technique qui,sous une appellation presque négative, est en fait reliée à beaucoup d'autres élémentsqui font partie des "recettes" de réussite de l'entreprise post-industrielle.

- L'évaluation, c'est ce qui permet de gérer les salariés individuellement,- L'évaluation, c'est aussi obtenir de meilleurs résultats en collaborant avec des

hommes et des femmes qui mettent leur énergie au service de l'entreprise.-Enfin, l'évaluation, c'est un pas vers la gestion prévisionnelle des métiers,

pratique qui permet aux organisations d'aborder l'avenir avec plus de sérénité.Il n'est donc pas étonnant que l'évaluation, qui se situe au coeur du trio

gagnant "Homme-performance-avenir" soit considérée comme une solution adéquatepour aborder la nouvelle configuration du marché mondial. Or, elle pose un certainnombre de problèmes :

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L'évaluation comme gestio

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-problème technique : est-on capable de réaliser une évaluation objective,dispose-t-on pour cela d'outils adéquats qui mesurent bien ce que l'on souhaitemesurer?...

-problème de mise en oeuvre : existe-t-il des praticiens compétents dans ethors de l'entreprise, les supérieurs hiérarchiques sont-ils capables de mener desévaluations, se sentent-ils à l'aise dans cette situation ?

-problème déontologique : que mesure-t-on, quels critères répondent auxbesoins de l'organisation, où sont les limites, où est la frontière entre indiscrétion etaide à la vie professionnelle ?

-problème fonctionnel : quelle est la fonction réelle de l'évaluation, s'agit-il desélectionner les personnes, de prendre en compte les désirs individuels de chacun,d'assurer le bien être social ou d'échanger des informations de qualité ? Entre lafonction instrumentale de l'entreprise, qui vise à améliorer l'organisation quotidienneet sa fonction de régulation sociale, où se situe l'appréciation ?

Personne ne semble avoir de réponses claires face à toutes ces questions.Celles-ci sont pourtant cruciales car il se cache derrière cette situation un doubleproblème, celui d'une sélection plus ou moins voilée, opérée sur des critèrescontestables, et celui du partage du pouvoir. (...)

RIBEROLLES, A.

CARDINET, J., "Evaluation interne, externe ou négociée ?", conférence de1987, Hommage à Jean Cardinet, Fribourg, Delval, 1990, p. 139/156 :

(...) Gestion de l'écoleHuberman et Miles (1986) illustrent bien ce qui caractérise la troisième

conception de l'évaluation du fonctionnement d'une école. La première approche(technologiste) conduit à s'attendre à ce que les enseignants acceptent d'emblée unnouveau curriculum dont la supériorité aurait été scientifiquement éprouvée : touteautre attitude serait jugée irrationnelle, voire irresponsable. La deuxième approche(historique) conduit à reconnaître les innombrables facteurs qui freinent ou quifacilitent ce changement, comme le rôle de telle personnalité ou de tel élément ducontexte social. Le gestionnaire est alors moins naïf que le technocrate précédent,mais il n'a encore que son bon sens pour guider son action. Les recherches de cesdeux auteurs, par contre, mettent en évidence des styles de direction qui, tout en étant"compréhensible" de l'intérieur, offrent une régularité suffisante dans la sociétéoccidentale actuelle pour fonder des stratégies d'innovation.

Etudiant toute une série d'expériences de transformations scolaires, Hubermanet Miles ont mis en évidence que la qualité technique de l'amélioration proposéen'était pas, et de loin, la raison principale de son acceptation par les enseignants. Desmotifs plus personnels avaient presqu'autant d'importance, comme le désir denouveauté, le besoin d'élargir sa gamme de compétences, l'espoir d'améliorer sesconditions de travail, etc.

Surtout, c'était la pression de la direction qui, dans 62 % des cas, était donnéecomme facteur déterminant du changement.

Il n'est pas étonnant, par conséquent, que le style de direction le plus fructueuxsoit une combinaison de fermeté persévérante et de soutien efficace (notamment parl'assouplissement d'autres contraintes institutionnelles qui gênent la réalisation duprojet, l'appui donné au travail d'équipe, l'aménagement des horaires, etc.).

Sans exigences de la part de l'autorité, au contraire, les enseignants secontentent de choisir dans l'innovation proposée quelques techniques compatiblesavec leur conception personnelle, qui reste donc inchangée.

Quant à la simple pression administrative, elle se heurte à la résistance passivedu corps enseignant.

La conclusion est claire et logique : les directeurs, comme les enseignants,

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L'évaluation comme gestion

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jugent la transformation envisagée en fonction de l'ensemble de leurs préoccupations,et non seulement sur ses seuls mérites pédagogiques. Un changement n'estacceptable, par conséquent, que si ses inconvénients sont compensés pour chacun pard'autres avantages. La négociation est inévitable et c'est aussi la seule chance deprogrès, car on constate que la volonté de domination de l'un ou l'autre partenairen'aboutit qu'à l'immobilisation de l'ensemble.(...)

Huberman, M. & Miles, M. "Rethinking the quest for school improvement : somefindings from the DESSI study", 1986Ann Liebermann, Rethinking school improvement, New York, Teachers college press,1986, p. 61/81

CARDINET, J.

Conseil scientifique de l'évaluation - L'évaluation, de l'expertise à laresponsabilité, rapport annuel sur l'évaluation des pratiques d'évaluation despolitiques publiques, La documentation française, 1992, p. 9/17 :

(...) 1. La nature de l'évaluationPartir de la pratique pour l'apprécier et la clarifier :Le décret précité (22 Janvier 1990) précise que l'évaluation d'une politique

publique à pour objet "de rechercher si les moyens juridiques, administratifs oufinanciers mis en oeuvre permettent de produire les effets attendus de cette politique etd'atteindre les objectifs qui lui sont assignés". Cette définition s'applique auxévaluations réalisées dans le cadre de la procédure du Comité interministériel del'évaluation. Le conseil scientifique s'est efforcé de rester fidèle à son esprit dans lesavis qu'il a rendus au titre de l'article 8 du décret, moyennant une interprétation souplerendue inévitable par la difficulté d'identifier de manière non ambiguë les objectifs etmoyens propres de certaines politiques.

On remarquera cependant que les pratiques qualifiées d'évaluation ne concernentpas seulement des politiques mais aussi des programmes, le fonctionnementd'établissements ou de services, ou encore des champs de pratiques professionnellesspécialisées. La définition de l'évaluation comme "appréciation portée sur l'efficacitéd'un programme, d'une politique ou d'une action publique à la suite de la recherche,scientifiquement exigeante de leur effets réels, au regard des objectifs (affichés ouimplicites) et des moyens mis en oeuvre", proposée par le manuel de vérification de laCour des comptes, est plus compréhensive sur ce point.

Il reste que les évaluations n'ont pas toujours pour objectif premier d'apprécierl'efficacité des politiques du point de vue de la société. Certaines évaluations peuventavoir d'autres objectifs que ceux mentionnés dans ces définitions, par exempleapporter des connaissances directement utiles aux responsables administratifs sur lesconditions de mise en oeuvre d'une politique et sur la cohérence interne des moyens etressources engagées. Elles peuvent encore, plus largement, fournir des éléments deréflexion sur le sens et les effets d'un ensemble d'actions et permettre d'en préciser lesobjectifs.

L'analyse des pratiques françaises et étrangères permet de caractériser lesdifférents éléments qui constituent l'évaluation : celle ci apparaît comme l'activité derassemblement, d'analyse et d'interprétation de l'information concernant la mise enoeuvre et l'impact de mesures visant à agir sur une situation sociale ainsi que lapréparation de mesures nouvelles. Elle peut être menée à différentes fonctions :

- juger la valeur des mesures actuelles, déterminer à qui (quels groupes) ellesbénéficient directement ou indirectement, à quoi (quelle situation souhaitée ou non)elles servent, et ce qui peut éclairer l'utilité de les modifier ou d'adopter de nouvellesmesures ;

- améliorer ou modifier les critères selon lesquels des ressources sont allouées à

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L'évaluation comme gestio

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différents traits de mesures ;- accroître l'efficacité de la gestion des ressources allouées, ressources

financières et humaines, et aussi, institutionnelles et juridiques ;- permettre aux différents protagonistes de l'action publique d'acquérir une vue

plus complète et plus riche de l'ensemble dans lequel ils interviennent et du rôle qu'ilsy remplissent, des marges d'adaptation dont ils disposent et des contraintesparticulières auxquelles ils sont soumis ;

- créer ou améliorer les conditions dans lesquelles les autorités publiques sontmises à même de rendre des comptes à leurs mandants et aux citoyens.

L'évaluation suppose avant tout un changement dans le regard porté sur l'actiondes pouvoirs publics : il s'agit dans chaque cas de considérer l'ensemble formé par lesrelations des pouvoirs publics avec leur partenaires ainsi que le contexte de cesrelations. (...)

Concurremment avec les expertises et les contrôles internes ou externescommandés et maîtrisés par chaque acteur, l'évaluation, sans remplacer jamais lemoment du choix politique, contribue à l'instruire et à l'éclairer. C'est pourquoi lesdémarches d'évaluation exigent un degré important de formalisation et de précisiondans leur méthodes, dispositifs et finalités.

L'évaluation a trois dimensions que l'on ne retrouve pas toujours formaliséesdans les diverses opérations d'évaluation répondant à telle préoccupation dans tellesituation spécifique, mais qui sont toujours plus ou moins sous jacentes et fontl'objet de choix implicites ou explicites de la part des évaluateurs :

1) une dimension cognitive supposant :i) l'observation possible "d'impacts" ou "d'effets" sur un "terrain",ii) l'imputation hypothétique de ces "effets" à tel ou tel ensemble de "causes"

dont certaines tiennent à la "perturbation" introduite par l'action publique dans l'état desociété antérieur, ce qui rend crucial le choix de la période (ou séquence temporelle)sur laquelle portera l'évaluation pour que celle-ci prenne un sens,

iii) l'enquête sur les processus divers (mécanismes juridiques ou économiquesimpersonnels, jeux d'acteurs) par lesquels une action publique se construit et sedéroule.

2) Une telle dimension instrumentale supposant l'insertion de l'évaluation dansune séquence d'actions visant pratiquement à rendre possible l'amendement, lamodification ou la suppression des mesures évaluées.

3) Une dimension normative supposant la prise en compte de "valeurs deréférence" affichées par les auteurs et/ou les protagonistes des actions publiquesconsidérées ou déduites par l'analyste à partir des pratiques effectivement suivies et descritères explicites qu'il choisit pour décrypter. Cette dimension fait l'objetd'interprétations diverses :

- Certaines évaluations cherchent à en savoir le moins possible sur la"rhétorique du programme de politique publique" afin de se concentrer sur "ce qui sepasse" dans un monde où les intentions et les justifications sont toujours présuméesdéformer la réalité des processus.

- D'autres se limitent à une démarche "clinique" : les valeurs contenues dans lesobjectifs affichés sont prises en compte soit comme standard arbitraire ("l'objectif")destiné à mesurer si l'action publique a servi ou non ces valeurs, soit comme objetd'analyse permettant de reconstituer et d'interpréter la théorie sociale impliquée parl'action publique et ainsi d'en déceler les objectifs structurants.

- Enfin certaines évaluations prennent parti sur la valeur des objectifs eux-mêmes, en particulier dans les cas ou un objectif apparaît irréaliste, ou bien quandplusieurs objectifs apparaissent contradictoires. (...)

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L'adaptation aux situations particulières n'exclut pas une démarche rigoureuse :Ce que l'on entend par méthodes d'évaluation désigne en fait deux niveaux

d'intervention se rapportant à des tâches de nature très différente : d'une part le travaildu commanditaire dans la conception du projet d'évaluation et la mise en place d'undispositif de pilotage, et d'autre part la mise en oeuvre des procédures et techniquespermettant d'identifier, rassembler et traiter les informations nécessaires à partir d'unensemble de questions et d'hypothèses convenablement formulées pour être testées etconfrontées à des hypothèses alternatives.

La diversité des outils scientifiques qui peuvent être utilisés est à la mesure dela diversité des situations d'évaluation. (...)

Toute méthode d'acquisition de connaissances sur la réalité sociale peut êtremise à profit dans le cadre de l'évaluation, des plus formalisées et quantitatives(méthodes économiques et statistiques) aux méthodes ethnologiques orientées vers lediagnostic qualitatif. Il va de soi que l'on ne saurait confondre rigueur et quantification: la mesure n'est utile que lorsqu'on est sûr de la signification de ce que l'on veutmesurer ; d'autre part, il est toujours nécessaire de s'interroger sur la représentativitédes informations recueillies au moyen de monographies ou études de cas avant de lesinterpréter. Le conseil scientifique insiste sur le fait que deux écueils doivent êtreévités : une perspective "scientiste" qui limiterait l'évaluation à la recherche depreuves quasi absolues, comme dans certaines sciences expérimentales, et unscepticisme excessif qui conduirait à nier que certaines questions puissent recevoir desréponses rigoureuses. En l'absence de milieu professionnel les ayant intégrées, ladiversité des traditions disciplinaires mobilisées par l'évaluation produit un éclectismede fait, qui conduit à admettre que pour un même type de question, on puisse utiliserune pluralité d'approches sans tenter de les confronter, de les articuler, ou de les référerprécisément à des finalités différentes de l'évaluation. Il demeure cependant possiblepour chaque évaluation particulière de justifier des conclusions d'ensemble qui ne selimitent pas à une juxtaposition de propositions sans liens les unes avec les autres.(...)

Préparer l'évaluation par un effort de diagnostic préalable :Dans le corps du rapport sont développés plus longuement les différents

éléments qui constituent un projet d'évaluation : description de l'action à évaluer,exposé des motifs -diagnostic initial et finalités- problématique d'ensemble ethypothèses, questions précises auxquelles l'évaluation cherche à répondre, dispositifd'évaluation, informations nécessaires, méthodes d'investigation et choix des terrains.Trois points méritent d'être particulièrement soulignés :

- Le projet de réaliser une évaluation est en général motivé par un diagnostic,plus ou moins précis et explicite, des problèmes que pose la politique à évaluer, qu'ilsaient trait à sa conception générale, à sa mise en oeuvre ou à ses résultats. Il estimportant que ce diagnostic soit explicité pour que l'évaluation ne s'égare pas dansl'examen de questions qui apparaîtront comme secondaires pour le décideur, même si,de toute évidence, l'évaluation a normalement pour effet de modifier ce diagnostic etde déplacer les questions de départ ;

- La réalisation d'une évaluation fournit à l'administration l'occasion demobiliser sa mémoire.(...)

- Le dispositif d'évaluation doit identifier les principaux protagonistes del'évaluation et préciser d'entrée les règles régissant leurs rapports : le commanditaire,les décideurs et leurs partenaires publics éventuels (collectivités locales), les acteurs deterrains, les chargés d'études, les publics cibles de la politique, et l'instanced'évaluation. Il est indispensable, au moins dans certains cas, de préciser l'utilisation

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L'évaluation comme gestio

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qui sera faite des informations collectées pour obtenir la participation active de ceuxqui détiennent ces informations.

On insistera sur le fait que l'implication du (ou des) commanditaires dansl'élaboration du projet conditionne largement la pertinence des réponses, et doncl'utilité de l'évaluation pour la société.(...)

2. L'évaluation dans son contexteUn ancrage insuffisant dans les processus décisionnels et l'agenda politique :Toute évaluation vise plus ou moins explicitement à accroître la rationalité de

la décision publique. Dès l'origine de l'évaluation aux Etats-Unis, le schémafondamental est celui d'une mise à l'épreuve "scientifique" des politiques, considéréescomme des "théories d'action" (hypothèse de relation causale entre des moyens et deseffets sur la société), dans le but de les rendre plus "rationnelles". Sans renier cetteambition constitutive de l'évaluation, l'expérience et la réflexion ont conduit à unevision plus complexe des rapports entre évaluation et décision, pour au moins deuxraisons. La première est que les politiques ont toujours des dimensions symboliquesqui participent de la mobilisation et de l'animation de la société et ne relèvent doncpas entièrement d'une rationalité fin/moyens. La seconde, est que les processus réelsde décision mettent souvent en jeu une pluralité d'acteurs porteurs d'intérêts et depoints de vue contradictoires. C'est pourquoi l'utilité sociale réelle de l'évaluationréside quelquefois dans l'influence diffuse sur les représentations que partagent cesdifférents acteurs, et qui sous tendent les décisions publiques.

Mais l'évaluation peut aussi viser des formes d'interventions qui ne relèvent pasdirectement du processus de décision mais seulement de pratiques d'organisation. Dansce cas, comme nous l'expliciterons plus loin, l'évaluation sert d'abord à préciser desimputations et à développer l'apprentissage. On entend par imputation le faitd'attribuer avec un minimum de sécurité des résultats à des ensembles d'actions ou decomportements bien identifiés. On ne se dissimulera pas la difficulté technique del'opération, accrue par le phénomène de la causalité complexe qui rend leraisonnement linéaire (une cause au moment T - un effet au moment T + n) illusoire:l'imputation demeure cependant une exigence de la démocratie et une sujétionnaturelle de l'exercice de responsabilités administratives ou politiques. L'effetd'apprentissage, retombée interne immédiate de l'évaluation, peut résulter de laconfrontation des acteurs de la politique, ou simplement des fonctionnaires chargés dela mettre en oeuvre, au résultat de leur action et à une meilleure connaissance desprocessus auxquels ils participent.

Ces différents effets ou usages de l'évaluation ont une importance variableselon la stratégie du commanditaire, la nature des questions posées, et le moment ouintervient l'évaluation dans le cycle de vie d'une politique publique: l'évaluation aposteriori est généralement associée à l'idée de bilan en vue de décisions futures, maisl'information rétrospective peut également être utilisée dans la phase de mise en placed'une politique, dans le cadre d'évaluations concomitantes destinées à comprendre etaméliorer une politique au cours de sa mise en oeuvre.

Il ressort de ces quelques réflexions que l'impact de l'évaluation sur lesdécisions et le management public, et donc son utilité sociale, ne sauraient découlerseulement de la qualité scientifique des travaux et de la pertinence de ses conclusions :le type d'efficacité que l'on peut en attendre est lié à son intégration à l'universculturel et aux standards professionnels des responsables publics. (...)

L'évaluation s'intègre dans une démarche globale de rationalisation de la gestionadministrative:

L'évaluation est complémentaire d'autres démarches qui visent à rendre plus

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efficace la gestion publique. Les outils et méthodes issues du management desentreprises privées tels que l'analyse de gestion, dûment adaptés aux spécificités del'administration, fournissent l'occasion d'un apprentissage de la mesure, du diagnostic,de l'élaboration d'indicateurs quantitatifs et qualitatifs qui pourront être utilisés pourévaluer les politiques. Ces indicateurs ne résument pas l'évaluation, qui fait appel auxressources des sciences sociales et économiques dans le but de comprendre plusglobalement la politique et ses effets, mais ils lui donnent des points d'appui, desrepères. De plus leur élaboration développe chez les fonctionnaires l'habitude decollecter des informations sur le résultat de leur action.

Au-delà des techniques de gestion, l'évaluation est liée à une approche pluspragmatique de l'action publique. Les décideurs doivent se préoccuper davantage desprocessus concrets de mise en oeuvre des politiques, processus (désignés par le termeanglais " d'implementation" sans équivalent en français) qui ne se réduisent jamais àune simple "mise en vigueur", application mécanique d'une décision complète dansses principes et dans les modalités les plus détaillées de son application. Cet aller-retour entre la définition des priorités et les conditions qui président à leur applicationn'est pas seulement un gage de réalisme (avoir les moyens de ses ambitions) maisaussi un changement de perspective : un objectif ne peut être opérationnel et concretque s'il est issu des logiques d'action des acteurs. Toutes ces considérations pourraientparaître évidentes et il est difficile d'imaginer un pays dont l’administration serait peusensible aux problèmes de gestion...Il faut pourtant rappeler qu'il en a été de mêmedans les entreprises à la grande époque de la planification stratégique. Il existe unedifficulté réelle dans le fait de réfléchir simultanément aux objectifs pertinents et auxcontraintes de leur mise en oeuvre.

Cette culture de "l'implementation" se traduit d'ores et déjà dansl'administration par une plus grande écoute des services opérationnels. Les servicespublics découvrent le caractère artificiel de l'opposition entre le moment de la décisionet celui de la mise en oeuvre. Les exécutants, les agents en contact avec les usagers,disposant seuls d'une information immédiate sur les situations concrètes et contraintsde s'y adapter, même lorsqu'ils agissent dans le strict respect des règles, sont en faitles véritables producteurs des services publics. De ce fait, une meilleurecompréhension de ce type de situation modifie l'attitude de l'administration vis-à-visdes administrés: les rapports d'autorité cèdent peu à peu le pas à des rapports departenariat. Les fonctions des uns et des autres sont certes distinctes, mais dans toutepolitique publique, tout service public, aux côtés ou en face des autorités publiques, ily a des entreprises, des associations, des citoyens, qui sont des partenaires actifs et passeulement des administrés au sens purement passif du terme. (...)

Conseil scientifique de l'évaluation,

CARDINET, J. "Des modèles d'évaluation institutionnelle", Communication aucolloque de l'AMDEE, Evaluation et fonctionnement des systèmes deformation, prépublication, CRPP, Genève, 1994, p. 23/27

La littérature scientifique abonde en propositions, naturellementcontradictoires, sur la façon d'évaluer des institutions ou des innovations éducatives.Pour éviter de se perdre dans cette profusion de méthodes et pour choisir uneméthodologie de façon rationnelle, il faut des points de repères. La typologieprésentée tient compte de l'épistémologie choisie, de l'unicité ou non des échelles devaleurs, de l'aboutissement visé pour l'étude d'évaluation (des connaissances ou desdécisions) et de la méthode suivie (comparative ou non). Les écoles anglo-saxonnesles plus représentatives trouvent place dans les dix catégories que cette typologiedétermine. Les points de repère proposés permettent de choisir le modèleméthodologique correspondant le mieux à une situation donnée. Cette typologiedevrait donc réduire l'influence des préférences subjectives et des modes passagères

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dans le choix d'une démarche d'évaluation, tout en élargissant l'éventail despossibilités offertes aux évaluateurs.

1. Les étapes du développement de l'évaluation des institutionsL'évaluation n'a été conceptualisée comme activité spécifique, distincte de la

recherche, que très progressivement. En conséquence, ses méthodes ne se sontdifférenciées que lentement, depuis un cadre de référence expérimental vers uneépistémologie subjectiviste et intersubjectiviste, depuis une centration sur des savoirsvers un souci de fonder des décisions. L'idée moderne qu'il est possible de gérerrationnellement les institutions sociales a motivé ces développements. Il en estrésulté cependant une certaine confusion, puisque des méthodes très différentes ont étéproposées successivement pour atteindre le même but.

2. Vue d'ensemble de la typologie proposée(...) Quatre dimensions sont proposées pour classer les méthodes d'évaluation

des institutions ou des innovations éducatives : épistémologie, échelle de valeurs(unique ou non), aboutissement envisagé, et approche comparative ou non. L'ordre deleur prise en compte est important, car certains choix en impliquent d'autres.

2.1 EpistémologieL'évaluation ayant longtemps été assimilée au jugement, on pensait que la

mise en évidence objective des faits et de leurs causes était son fondement nécessaire :d'où l'emploi de méthodes analogues à celles des sciences de la nature. C'était oublierque l'Histoire et les sciences humaines en général visent aussi à l'objectivité, mais ens'appuyant sur des méthodes interprétatives toutes différentes (s'attachant aux raisonsplutôt qu'aux causes, par exemple). Les sciences sociales développent maintenant unetroisième épistémologie, en poursuivant des lois découlant de points de vuesubjectifs, par exemple.

2.2 Echelle de valeurToute évaluation suppose un référentiel, ce par rapport à quoi on juge l'objet

étudié. Classiquement, le problème du choix du référentiel ne se posait pas, puisquec'étaient les valeurs du décideur qui faisaient foi. Mais avec le développement de ladémocratie, les besoins de groupes divers ont dû être pris en compte. Dès lors, ildevenait impossible d'enfermer l'évaluation dans un algorithme cybernétique. Ardoinodirait qu'on devait dépasser le contrôle pour accepter l'évaluation.

2.3 Aboutissement viséL'évaluation peut viser la mise à disposition de connaissances (que chacun peut

utiliser pour porter un jugement d'après son échelle de valeurs), ou bien elle peut viser àfonder les choix d'un décideur dans l'institution. Les démarches utilisées serontdifférentes dans ces deux cas.

2.4 Démarche comparative ou non comparativeClassiquement, c'est en comparant l'utilité de décisions différentes que la

théorie de la décision peut s'appliquer. Mais cette démarche comparative n'a de sensque si les diverses possibilités peuvent être classées sur une même échelle unilinéaire.Si les valeurs des acteurs sociaux sont différentes, il n'est plus possible de postulerune hiérarchie de préférences commune. C'est pourquoi la démarche est nécessairementnon comparative lorsque les valeurs sont multiples.

De même, on ne peut pas envisager que les divers acteurs soient d'accord sur lamême échelle de valeurs si les faits eux-mêmes ne sont pas perçus de la même façon

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par eux. Il ne peut donc pas exister d'approche comparative pour des épistémologiessubjectivistes ou intersubjectivistes, mais seulement dans un cadre de penséeobjectiviste.

C'est pourquoi le nombre des catégories possibles se limite à dix. Uneépistémologie objectiviste appelle une démarche systématique, formalisée, tandis queles autres demandent une démarche sans hypothèse préalable, plus inductive.

3. Les dix types de modèles d'évaluationDu côté le plus proche de la recherche classique se trouvent le études

expérimentales. Grâce à l'utilisation d'un groupe de contrôle et d'une méthodologiestatistique, la méthode expérimentale permet d'isoler l'effet de certains facteurs, ceuxnotamment dont on veut évaluer l'influence.

Si la création d'un groupe de contrôle identique en tout points au groupeexpérimental, sauf pour la variable étudiée, paraît impossible, on peut néanmoinssuivre de près le fonctionnement de l'institution et vérifier qu'elle atteint bien sesobjectifs, comme Ralf Tyler l'avait suggéré. Ce contrôle peut être confié à un auditeurexterne, censé recueillir les informations pertinentes pour une évaluation objective.

Si une décision à prendre est le motif principal qui amène un décideur à faireappel à un évaluateur, ce seront les valeurs de ce décideur que seront seules prises encompte. Dans ce cas, la méthodologie peut être aussi bien comparative que noncomparative. La méthode comparative est celle qui est le plus souvent utilisée par larecherche opérationnelle. Il s'agit de voir qu'elle décision semble la plus prometteuse,même si l'on sait ne pas maîtriser tous les aspects de la situation et qu'on ne peutjouer que sur des probabilités.

Lorsqu'on veut limiter le contrôle à des aspects précis, comme lorsqu'il s'agitde rendre compte de la bonne utilisation des crédits reçus par l'institution, une analysecomptable peut suffire.

Si l'on aborde le cas d'échelles de valeurs multiples, on peut se contenter,comme Scriven, de prendre des informations sur un très large éventail de variables, defaçon à pouvoir apporter aux parties intéressées des informations pertinentes sur tousles aspects de la situation. C'est un des aspects de la méthodologie "sans objectifsprédéfinis" de Scriven.

Si au contraire une instance de décision centralisée doit faire des choix, entenant compte des valeurs, comme c'est le cas pour les responsables politiques, onpeut suivre les principes de la méthodologie décisionnelle de Stufflebeam.

Les deux cas suivants correspondent à une épistémologie subjectiviste : ils'agit pour l'évaluateur de répondre aux demandes d'information des différentspartenaires de l'institution, sans mettre en avant de valeurs ou d'exigencespersonnelles. L'évaluation est seulement "répondante", selon l'expression de Stake. Sil'évaluateur est sollicité de prendre position lui même, il se trouve dans la situationdu critique littéraire ou de cinéma, qui apporte son expertise pour aider les autres àmieux percevoir certains aspects de la réalité. C'est l'évaluation "de connaisseur". Lesdeux derniers cas impliquent des groupes qui ont des points de vue différents devant laréalité, soit qu'ils la perçoivent différemment, soit que leurs valeurs soient différentes.S'il suffit de faciliter le rapprochement des points de vue et la discussion des solutionsde comportement à élaborer, un évaluateur qui fait choisir un référentiel et desindicateurs pertinents appliquera une méthode d'évaluation négociée. S'il s'agit d'allerjusqu'à une décision, la méthode qui simule un procès en justice, avec des avocats del'accusation et de la défense, permettra de confronter et d'approfondir les points de vuecontradictoires : ce sera une évaluation judiciaire.

4. Le choix du modèle approprié à chaque situation

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Il semble que jusqu'ici chaque évaluateur ait proposé surtout la méthode qui luiconvenait le mieux, ou celle qui était compatible avec des exigences particulières del'institution relativement aux délais, coûts, etc. Le choix se faisait sans rapport avecle problème réellement à traiter.

La typologie proposée permettrait d'examiner si le problème posé exige uncadre de pensée objectiviste, ou si le degré de satisfaction des pensées ne suffirait pas àfonder un jugement (épistémologies subjectiviste et intersubjectiviste). Lorsque le butest d'améliorer le fonctionnement d'une institution, ces derniers cadres de penséesemblent les plus appropriés pour rapprocher des échelles de valeurs multiples etguider vers des conclusions acceptables par tous.

L'aboutissement visé et la façon dont les décisions doivent être prises peuventencore déterminer la branche suivante de l'arbre logique et justifier le choix d'unmodèle d'évaluation particulier, peut-être imprévu au départ.

Cardinet, J.

II. 2. L'exhibition des structures

2.2. l'évaluation comme aide à la décision dans lesorganisations,

point de vue des détracteurs

Cette évaluation est avant tout stratégique. Elle entre dansle calcul, la rationalisation des démarches en vue de fonder leurefficacité ou leur rentabilité. Elle suppose une vision de l'hommecomme détenteur du pouvoir d'effectuer des choix de manièrelogique, sinon objective. On remplace le décret appelé jugement devaleur dans l'évaluation-mesure par la logique au service de laprise de décision, on confond le processus d'évaluation avecl'analyse des situations, le relevé d'indices. L'évaluation, ainsiconçue, est l'instrument privilégié au service du contrôle social.

GILLET, P. "L'évaluation, saisie d'imaginaire ou pour une pratique raisonnablede la rationalité en évaluation", Colloque Evaluer l'évaluation, Actes desrencontres internationales de Dijon, INRAP, 1986

(...) L'évaluation n'a de sens que par rapport à la décision : conclure, clore,closure, test de closure. C'est la motivation d'achèvement. Elle appartient à l'universde la satisfaction. Je pense à ces jouets logiques pour exercer les tout-petits :encastrements, emboîtements, puzzles, constructions ; les pièces prennent place dansun évidement géométrique préétabli ; l'enfant joue moins qu'il ne jauge ; son gestes'ajuste sur un acquiescement des choses. Il y a comme un archétype de l'évaluation :quand on décide, on joue contre une réalité complexe, on calcule des risques et deschances ; quand on évalue, on se place à l'intérieur des calculs et on n'a plus qu'àvérifier la congruence des résultats obtenus avec ceux qui étaient attendus, encastrer lerésultat dans l'alvéole prédécoupé de la décision. D'où l'idée, pondéreuse, d'uneanticipation de l'évaluation sur la décision. Fonction de raison, ce serait le volantrationnel de la décision, lesté de poids et mesures, mais c'est aussi une fonction deplaisir logique, jouissance d'achèvement, fruition de congruence.

Les fausses jumelles :Mais c'est aussi une fonction de puissance : décider est hasardeux, mais il est

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toujours possible de ne rien décider, attendre et voir ; qui pourrait cependant, et quoi,être dérobé à l'évaluation ? En droit, tout du moins. Retournement : ne rien décider,serait-ce attendre et voir ? Alors, voir fera que, malgré qu'on en ait, il y aura eudécision : l'évaluation boucle, mais aussi elle enveloppe, rien ne lui échappe. Toutpeut toujours être évalué, oui : l'évaluation enveloppe.

Je m'explique : si l'évaluation ferme le cycle de l'action, elle peut toujourss'évader du bouclage et, portée sur une orbite externe et concentrique, reprendrel'enfilade : décision - mise en oeuvre - évaluation, dans une visée englobante ; uneaction de formation peut être évaluée d'un point de vue interne : les formés ont-ilsatteints les objectifs pédagogiques du stage ?

Mais ce circuit peut être absorbé dans une évaluation d'un degré supérieur : quevaut cette action mesurée aux objectifs de l'organisme commanditaire ? Autrementdit, les objectifs de formation du stage correspondent-ils à des objectifs opératoires del'organisme demandeur ? Mais les objectifs de cet organisme répondent-ils à unepolitique pertinente eu égard au contexte ? etc.

L'évaluation dispose ainsi de positions de recul et, une fois un résultat obtenu,reconstitue alentour un autre plan de questionnement. Il y a dans l'évaluation cemouvement potentiel d'une propagation indéfinie, annexant toujours davantaged'éléments, mais aussi, à l'intérieur de chacune de ces ondes concentriques, atteignantdes objectifs de plus en plus ténus. Où est la limite, en extension ou en discernement?

Sur quoi fonder une réfutation puisque ce mouvement évolutif permet desurpasser la prise en ramenant tout jugement disqualifiant sous sa juridiction propre ?

Si la réfutabilité constitue le critère de démarcation entre science et idéologie,je ne puis m'empêcher de pressentir dans une pratique idéologique, cette nouvelleutopie éducative. Ou alors, sensible à ce rappel de Stufflebeam : "la science del'information a démontré que la transmission de l'extrant provenant d'une source,suivie de la récupération intégrale au point de réception, exige un canal detransmission de capacité infinie". On décide d'arrêter, de limiter la recherched'information en extension et en finesse : on rouvre alors, au coeur de l'évaluation, unespace de décision et donc d'incertitude : "quoi évaluer, comment, quelle importanceconférer aux divers objets d'évaluation? ". Question corrélative : "Et si c'est là où nesont pas tendus les filets que passeront les informations les plus intéressantes ? (...)

GILLET, P.

RIBEROLLES, A. Evaluer, évoluer, vers un nouveau dialogue en ressourceshumaines, Editions d'organisation, Paris, 1992, p.103/113 :

Les fonctions de l'évaluation (...)Répondre à une logique industrielle :(..) l'efficacité et la rapidité sont tout de même les premières fonctions

pratiques recherchées par l'entreprise. Elles permettent une gestion de masse. (...)L'utilisation d'outils standards et particulièrement d'outils informatiques permet dedisposer de résultats quasi immédiats. Ceux-ci servent théoriquement de base à desprises de décisions concernant la rémunération, la formation, la promotion... Dans lesfaits, nous avons constaté que l'exploitation de ces résultats n'est pas simple, selon leniveau où la décision se prend.(...)

Surveiller les acteurs de l'évaluation :(...) la mise en oeuvre de l'évaluation ne se fait pas sans mal car les managers

n'aiment pas porter de jugements hasardeux et délicats sur la personnalité, lepotentiel, la conduite des subordonnés, de peur d'être à leur tour jugés sur leurscapacités de discernement "psychologiques" (...).Tous les outils d'évaluationremplissent ce même rôle de protection de l'évaluateur. Il est difficile pour un chef

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L'évaluation comme gestio

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d'apprécier son personnel : il faut sans cesse considérer ses subordonnés comme despersonnes, essayer de voir les choses dans leur propre optique, réfléchir à leurmotivation et tout cela se solde souvent par un échec décourageant. Il n'est pasétonnant de s'en remettre à des techniques apparaissant comme capables de remplacerces décisions délicates par de lointaines batteries de tests, neutres, impersonnelles, quirévèlent si un individu est bon ou pas.

Voiler la sélection :(...) -Il est clair que l'évaluation sert à détecter les cadres à problèmes et à

résultats insuffisants ;-en ce qui concerne les cadres "moyens", c'est-à-dire la majorité en nombre,

l'évaluation tente de réguler la vitesse de progression de chacun, en favorisant lesmeilleurs ; concrètement, la progression se fait assez empiriquement, sans volontéréfléchie ;

-en revanche, dès que l'on arrive dans la tranche des cadres dits "à hautpotentiel", on s'aperçoit que ce pronostic est établi une fois pour toutes, pratiquementdès l'embauche. (...) Les "hauts potentiels" sont plus ou moins hors systèmeclassique d'évaluation.

Obtenir l'adhésion sociale :(...) les outils permettent également, en arrondissant les angles et voilant la

sélection, d'aboutir à l'adhésion au moins partielle de tous les acteurs autour de lanotion d'objectivité, ce qui est essentiel pour la bonne marche du processus.(...)

Vers l'idée du contrôle social(..) L'évaluation part d'une idée généreuse, tant du côté de l'entreprise que du

salarié. Mais lorsqu'on observe les pratiques en entreprise en matière d'évaluation, ons'aperçoit qu'elles se réduisent essentiellement à l'entretien annuel et aux comités decarrière qui lui sont rattachés. (...) Finalement, il n'y a pas assez de neutralité pourque le système marche et les parties concernées ne se sont pas données suffisammentde moyens. (...) L'évaluation reste au service de l'organisation, pas de l'individu. (...)Nous sommes en plein contrôle social (...)

RIBEROLLES, A

On assiste au glissement de la théorisation de l'interventionsur les structures des organisations à la préconisation de types dedirection, ce sont les théories du manégement (de manéger, dresserle cheval, comme le rappelle Ardoino). L’évaluateur survalorisele bilan, il est davantage une aide au décideur qu’une aide à l adécision.

ARDOINO, J. & BERGER, G. D'une évaluation en miettes à une évaluation enactes, le cas des universités, Paris, RIRELF, 1989, p. 125/127 :

1. Leurres et malheurs de l'évaluationPour qui veut bien l'entendre, l'expérience la plus banale de la quotidienneté (1)

est déjà riche d'enseignements, à condition, toutefois, de savoir l'interpréter.Paradoxalement plus les besoins, quand ce ne sont les exigences, d'évaluations'affirment un peu partout, plus les moyens mis en oeuvre pour assurer une tellefonction s'abîment du fait de la raideur des démarches qui les supportent. (...)

Nous sommes entrés dans l'ère du "pilotage social" (3) qui requiert, tout à lafois, contrôle et évaluation. Démocratie et consumérisme se conjuguent égalementpour attendre des producteurs économiques comme des responsables politiques une

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L'évaluation comme gestion

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plus grande clarté dans les pratiques sociales. Cette attente parfaitement légitime selaissera malheureusement trop souvent confondre avec le fantasme de la transparence.Aujourd'hui un médecin, un avocat, un savant, un universitaire, un dignitaire ou unnotable, ne bénéficient plus de l'immunité conférée jadis par un statut (4) Ils setrouvent donc sommés, à leur tour de rendre des comptes, de donner une justificationde leurs décisions comme de leurs actes. En principe du moins, la fonction critique aconquis droit de cité dans nos sociétés. En revanche, à la faveur d'un engourdissementmédiatique, les progrès de «l’anesthésie sociale» sont, aussi, patents dans tous lesdomaines. Tout se passe, en fait, comme si, tout en souhaitant une meilleure analysede la valeur des institutions et pratiques, on se déchargeait simultanément desdifficultés qu'elle comporte naturellement sur des appareils et des professionnelscommis à cet effet. La machinerie, même symbolique (Lewis Mumford), est ainsivolontiers investie de la mission de remédier aux aléas de la subjectivité. En dépit deleurs propres errements les multiples sondages ponctuant l'actualité politique neremplissent-il pas très exactement cette fonction alors que la désertion des urnes,autrement significative et méritant évaluation, loin d'être considérée comme unsymptôme intéressant est réputée tout bonnement incivique en des termes plusmoraux.

Les risques sont alors que, d'une part, sous couvert d'évaluation, on généralise,en fait, des procédures de contrôle social aboutissant au renforcement des règles deconformité, et donc à une survalorisation des modèles qui servent de référent auxquestions de contrôle, et que, d'autre part, l'instance évaluatrice se sentant, elle-même,légitimée développe des discours protecteurs, fondés sur l'intention d'objectivité et dedistance qui aboutissent à une dénégation de fait du sens profond de l'évaluation.

En d'autres termes, on doit être extrêmement attentif à l’éventualité de voirl'attitude critique à l'égard des pratiques sociales et de toutes formes d'auto-légitimation se solder, au nom de l'équité, par une sacralisation d'un modèle descientificité s'articulant sur l'objectivité (plus ou moins confondue avec l'anonymat)et sur la distanciation. Il nous semble que l'interprétation de la distance scientifique enterme d'extériorité (et de distance temporelle) risquerait d'aboutir à se transformer endistance bureaucratique et fantasmatique proche de la dimension kafkaïenne du procès,et cela d'une manière tout à fait indépendante de l'intention réelle des juges.

L'évaluation n'est pas et ne peut être science, ce qui ne veut pas dire qu'elle nedoit pas tendre à la rigueur et qu'elle ne doit pas mettre en jeu des procéduresvérifiables. Mais c'est son inscription dans un procès réflexif, en reprise permanentedans le processus même qui a donné lieu à l'évaluation, qui conditionne sa validité.

Un autre facteur nous semble de nature à pouvoir éclairer le mouvement quinous intéresse. C'est la prise en compte, pour la compréhension des organisations,dans la gestion de toutes les formes de productions, matérielles ou symboliques, de lafonction de "management". Nous entendons par là la reconnaissance de la nécessitépratique pour toute institution de ne pas se référer seulement à des modèles statiquesde division du travail, de distribution hiérarchique du pouvoir et de l'information, maisde s'assurer, au jour le jour, du prélèvement et du traitement des informationsnécessaires pour garantir la réalisation des objectifs qu'elle s'est donnée et de la bonneexécution des tâches qui conditionnent cette réalisation.

Cette perspective managériale, fonctionnaliste, est d'ailleurs le corrélât normalde l'obligation de rendre compte dont nous venons de souligner l'émergence. Elles'inscrit, désormais, dans le champ des théories de l'organisation. Il était donc tout àfait naturel de considérer l'université comme une organisation parmi les autres. Danscette perspective opérationnelle, gérer suppose que soient construits des dispositifspermanents de prises d'information en vue de processus de décision, eux-mêmespermanents.

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Mais un tel modèle, pour être réellement fonctionnel, suppose trois conditionsinstitutionnelles et scientifiques.

Dans les situations auxquelles nous avons été associés, l'évaluation est autantla condition de l'opérationnalité des commanditaires de l'évaluation que de l'évalué.Pour que la prise d’information soit significative, il faut donc qu'elle porte autant surle centre (le ministère) que sur les organes périphériques (les universités). Dans ce cas,l'indépendance du CNE, liée au souci intellectuel d'objectivité, autant qu'au respect del'autonomie des universités, risque d'invalider la fonctionnalité du système. A moinsque le Comité National d'Evaluation ne devienne l'informateur légitime du Ministère,auquel cas son indépendance deviendrait un leurre. Le seul moyen d'échapper à cedilemme - nous nous sommes efforcés de le montrer, en prenant en particulier le"contre-exemple" de Louvain La Neuve, est de faire en sorte que la totalité dudispositif soit "en évaluation".

Le processus d'évaluation ne saurait s'arrêter, et surtout ne saurait être leprivilège ou l'obligation d'une seule instance. La prise d'information et la recherche desens doivent être vraies de tous les instants, et de tous les niveaux. De ce point de vuele choix d'un modèle de discontinuité institutionnelle introduit une série decontradictions. A partir du moment où l'expert ne rend compte qu'à l'instance qui l'acommissionné, entre les inévitables simplifications et l'allongement desdiscontinuités temporelles, la fonction instituante de l'évaluation est mobilisée auprofit d'instances hiérarchiques. L'évaluation devient inévitablement contrôle (et celaquels qu'en aient été les modes "sur le terrain") et elle perd son opérationnalitéspécifique, sans compter le fait qu'elle cesse d'apparaître comme étant de laresponsabilité de chacun des acteurs. Après une incursion dans des modèles"d'entreprise du troisième type", la démarche utilisée entraîne un retour àl'organisation taylorienne et hiérarchique dans laquelle l'évaluation, au lieu d'être unmoment structurant du processus de production, redevient démarche en bout de chaîne,effectuée par un agent délégué par la "maîtrise".

La troisième condition est davantage d'ordre théorique et scientifique. Lapoursuite d'une efficacité plus grande et en même temps de la responsabilisation dechacun des acteurs, qui légitime le choix de l'évaluation par opposition au contrôlebureaucratique, souvent symbolisé par le modèle de l'inspection, repose surl'inscription de l'évaluation dans la temporalité même de l'action. L'existenced'instances extérieures, la venue d'experts, la proposition d'échéances, tout en n'allantpas de soi, peut éclairer, susciter, responsabiliser l'évaluation.

Mais que l'évaluation soit dans le temps (alors que le contrôle - avec lafonction de regard et d'inspection qui le caractérise - peut être ponctuel même etsurtout quand on l'appelle continu) suppose qu'il y ait une "durée" de l'évaluation etentraîne la conséquence que l'évaluation n'a réellement de sens que dans le temps oùelle s'effectue. En dehors de ce temps elle fournit des repères, des indicateurs possiblesen vue d'une évaluation à opérer, mais elle n'a plus ni la même fonctionnalité, ni lamême signification.

(...) C'est pourquoi, sur le strict plan à la fois méthodologique etépistémologique, nous considérons qu'on se trouve davantage dans la situation d'uncontrôle-programmatique, articulé sur un référentiel a priori et donc aboutissant, plusou moins implicitement, à la construction d'un modèle beaucoup plus qu'à uneévaluation en actes du projet des universités et de leurs composantes.

(1)Nous avons pu montrer l’insuffisance d’une telle ambition dans l’ouvrage auquell’un de nous a contribué sur la reconnaissance des acquis, dans le cadre d’un contrat avec laDélégation à la Formation professionnelle. G. Berger et N. Meyer : La reconnaissance desacquis, université de >Paris VIII, 1988

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L'évaluation comme gestion

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ARDOINO, J. & BERGER, G. "L'évaluation comme interprétation", Pour n°107,1986, p. 120/127 :

Pas de label "évaluateur" :Bien qu'on puisse comprendre le contrôle comme une gigantesque

manifestation de l'imaginaire scientifique", les processus de contrôle n'ont rien à faireni de l'imaginaire ni de l'inconscient. Par contre l'évaluation, par définition mêmemultiréférentielle, est inévitablement amenée à prendre en charge la dimension del'inconscient. Qu'en conclure quant à la formation des évaluateurs ?

Celle des contrôleurs ne pose guère problème. Il s'agit d'assurer l'apprentissagele plus rigoureux et performant possible d'un certain nombre de dispositifs et deprocédures. La formation de l'évaluateur suppose, elle, de développer des capacitésd'analyse multiréférentielle des situations. Même s'il existe des individus mieux armésque d'autres pour aider une équipe à évaluer et si certains effectuent ce travail envéritables "hommes de l'art", l'évaluation ne peut, en aucun cas, devenir uneprofession banalisée. Le label "évaluateur» est un non-sens. La professionnalisationqui tend à se développer aujourd'hui représente une profonde erreur, antinomique avecle principe même de l'évaluation. Ce ne sont pas les qualités de l'évaluateur qui sontici en cause ,mais sa fonction même. Toute évaluation, en tant que processus, doitêtre partagée et appropriée par un groupe ou un collectif. Elle pose doncinéluctablement la question de sa divulgation: à qui et à quoi sert-elle ? Qui en profite?

Pour le contrôle, tout est clair. On trouve d'un côté le centre , lescommanditaires , le sommet de la hiérarchie, de l'autre la périphérie, la base , lescontrôlés. Par contre, l'évaluation ne se situe jamais là où on lui assigne résidence,mais aux marges du dispositif, dans les creux, le non-dit du discours. Que penser alorsdes rituels formalisés d'un grand nombre de formateurs? Cette fameuse "dernièreséance", spectacle des fins de stage (donc de règne)! Comme l'a montré René Lourau àpropos de l'analyse institutionnelle, c'est le plus souvent dans les actions minoritaireset marginales que se nichent les éléments les plus riches pour une évaluation, ceuxque justement d'aucuns récusent comme pervers. Encore faut-il savoir les lire (cf.également les réflexions de S. Moscovici sur les minorités actives). Ceci ne signifiepas que les professionnels n'aient rien à voir avec l'évaluation, mais qu'il n'existe pasd'évaluateur professionnel, dans le sens où le véritable évaluateur est celui qui décidepar son action propre. L'élève qui abandonne l'école au bout d'un processus d'auto-évaluation, comme celui qui prend une décision en fonction de jugements qui lui ontété soumis par d'autres.

Il peut donc seulement exister une professionnalisation d'acteurs sociaux quiaient pour métier de provoquer le retour du sens, de susciter des dispositifs deréflexion (au sens étymologique du terme) et de critique (au sens de recherche devaleur). Ceci n'implique pas forcément la présence d'un évaluateur "patenté". cela nel'exclut pas non plus. Des processus d'auto-évaluation peuvent se centrer surl'inattendu comme miroir révélateur d'un certain nombre de pratiques. L'évaluateurn'est plus alors ce personnage extérieur qui élaborerait une synthèse d'éléments deréflexion et de jugements différents, car il n'existe pas un point de vue de tous lespoints de vue. Il est là pour aider à changer de référant, à construire un autre universde sens. Il est surtout là pour se faire oublier, au profit des dispositifs mis en place etdes processus ainsi générés, au sein des ensembles humains concernés.

ARDOINO, J. & BERGER,

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II. 2. L'exhibition des structures

2.3. L'aide à la décision dans les organisations,figure de l'évaluateur produite

On part du principe que l’état des choses est à changer : del’entreprise de nettoyage (les écuries d’Augias), à la délivrance deProméthée, les exploits d’Hercule se déclinent chez l’évaluateurintervenant dans les organisations. Mais il est aussi l’abeillefécondante. Plus on se place du côté du bilan, de l’inspecteur, pluson pense que le changement se provoque et plus on dogmatise.

Tantôt, l’évaluateur endosse la livrée du conseiller duprince. Il devient, par le moyen du conflit entre quantitatif etqualitatif (1) , "auditeur" ( 2 ) . S'installe alors la confusionsoigneusement entretenue entre la recherche, l'expertise, l eConseil, l'Inspection et la consultance. Il y va de la préservationde l'énigme comme ferment du sens (la Pythie) soit, mais aussi del'utilisation mercantile de cette énigme pour prendre le pouvoirsur l'Autre ou conforter ceux qui l'ont déjà pris. L'évaluateur a descomptes à régler avec le Pouvoir.

Tantôt l'évaluateur se présente bien volontiers comme celuiqui sait, qui voit plus loin (Tirésias), au delà des apparences danslesquelles s'engluent les Décideurs. L'évaluateur à des contes àdire sur le Savoir.

Le beau nom de "médiateur", hautement polysémique,permet au sphinx-évaluateur de renaître Consultant et departiciper au changement par d'autres moyens que ceux de l aquantification et de la mesure.

(1) Cf. De Landsheere G. La recherche en éducation dans le monde, PUF,Paris, 1986, chapitre III : Le grand débat quantitatif-qualitatif après lesannées 1960(2) Aubégny, J. "L'audit participatif d'établissement", Evaluation etdéveloppement des établissements d'enseignement, Université d'été deRomorantin, de 1990, Université F. Rabelais, 1991, p. 62/ 70

ARDOINO, J & FERRASSE, J "L'évaluation des composantes universitaires dansle cadre institutionnel du CNE", Colloque de Carcassonne, Les évaluations,PUM, 1992, p.235/246

(...) Rappelons que s'il existe bien évidemment des liens entre la recherche etl'évaluation, celle-ci ne peut jamais par elle-même être confondue avec la rechercheou avec une recherche. Le questionnement ne constitue pas par lui-même uneinvestigation scientifique. Il est tout au plus proto-scientifique. Comme le disaitdéjà il y a quinze ans Jean-Claude Filloux, être en recherche et faire une recherchen'est pas du tout la même chose. L'étude n'est pas, non plus la recherche. Lespratiques évaluatives dont certaines porteront finalement davantage sur le contrôle quesur l'évaluation à proprement parler, peuvent faire appel de façon segmentaire à tel outel dispositif ou procédure scientifiquement élaboré ou validé mais, globalement, ladémarche évaluative n'est pas par elle-même heuristique. Sa finalité est l'optimisationde l'action et l'aide à la décision, tandis que la recherche a pour visée la production deconnaissances, la mise en relation avec les connaissances déjà établies. En ce sens,

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l'expert n'est jamais non plus un chercheur. Il applique à un objet précis, ou bien unquestionnement déterminé, ou bien des connaissances en général élaborées pard'autres, ou par lui-même dans une période antérieure, dont il détient la somme pourun point précis à un moment donné. L'expert ne se confond pas davantage avec leconsultant qui intervient également auprès de clients dans une intention d'aide auchangement mais le fait à travers un jeu de relations plus complexes inscrites dansune temporalité beaucoup plus longue.A ce rapide inventaire des rôles et fonctions générales qu'il faut alors vouloirdistinguer pour des raisons de clarté, de pertinence et d'adaptation de l'action, nousajouterons une modalité de conduite particulière de l'évaluateur des universités, quisera progressivement définie dans cette communication. Nous dirons rapidement ici,pour présenter cette conduite, qu'elle est attachées à la spécificité du fait qu'il s'agitd'une évaluation opérée par des pairs spécialistes des Sciences de l'éducation, qui ontdonc par ailleurs une pratique de la recherche et donc des préoccupationsépistémologiques, théoriques et méthodologiques. (...)

ARDOINO & FERRASSE

BEC, J, GRANIER, F. & SINGERY, J. Le consultant et le changement dans lafonction publique, L'Harmattan, 1993 :

(...) Démarche globale d'intervention. Six principes de baseNous avons déjà insisté dans le point I sur les six principes qui fondent la

spécificité des démarches "consultant", principes que nous rappelons dans le tableauN°1

La démarche consultant : six principes

. elle doit être initiée par une demande et un demandeur; . elle doit reposer sur une logique d'extériorité et d'autonomie et non sur une relationhiérarchique ou fonctionnelle entre le consultant et le demandeur; . elle doit s'organiser autour d'objectifs opérationnels précis;. elle doit s'appuyer sur un dispositif d'intervention spécifique souvent parallèle auxstructures de l'organisation (groupes de travail, groupe de pilotage, réunion,...). Cedispositif d'intervention définit les rôles de chaque acteur, les modalités de travail et,surtout, les modalités de pilotage, de régulation et d'évaluation de l'intervention ;.elle doit reposer sur un contrat précis et formalisé entre le demandeur et le consultant,contrat qui reprend l'ensemble des points précédents et clarifie les différentes modalités del'intervention.

Tableau n°1: Spécificité de la démarche consultant

La pertinence de ces six principes apparaît plus clairement si on le réfère à cequi devrait constituer l'objectif général de toute intervention : aider un système clientqui en a fait la demande à progresser dans la compréhension et la résolution decertains problèmes. (1)

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point d'équilibre à trouver dans le cadre de chaque intervention.

Pôle "recherche" (comprendre et faire comprendre)

Pôle "animation"(impliquer et autonomiser)

Pôle "expertise"(aboutir à des actions et des solutions)

Les trois pôles de la démarche consultant

Le respect des six principes énoncés conditionne, d'après nous, l'atteinte de cetobjectif dans de bonnes conditions d'efficacité et de validité, ce qui suppose que leconsultant parvienne à bien équilibrer trois contraintes méthodologiques:

- comprendre le fonctionnement du système client et faire comprendre cefonctionnement au client lui-même;

- impliquer le système client et développer son autonomie;- faire travailler le système client à la conception et à la mise en oeuvre

d'actions de changement.Le lecteur aura reconnu dans ces trois contraintes à équilibrer les trois pôles de

la démarche consultant (cf. schéma).

Une démarche de référence en sept phasesAfin de mieux satisfaire aux principes et aux contraintes que nous venons de

présenter le consultant aura souvent intérêt à positionner son intervention par rapportà une démarche de référence que l'on peut caractériser en sept phases:

- phase de pré-diagnostic visant à clarifier autant que nécessaire la demande, lecontexte, le dispositif et les orientations de l'intervention. Cette phase se traduit parla rédaction d'un document formalisant et contractualisant ces différents éléments(contrat d'intervention ou cahier des charges selon les différentes terminologies) ;

- phase de diagnostic visant à dégager et clarifier les caractéristiques les pluspertinentes du système client et de son fonctionnement (cf. plus loin);

- phase de communication des résultats du diagnostic au système client, visantà faciliter l'appropriation de ces résultats et leur pleine exploitation ; - phase deconception de plusieurs pistes et scénarios d'action, visant à élargir le champ des"solutions" et "améliorations" envisageables ;

- phase de mise en oeuvre, de suivi et de régulation du plan d'action visant àfaciliter et piloter la réalisation du plan d'action ;

- phase d'évaluation finale visant non seulement à évaluer l'atteinte desobjectifs, mais aussi l'impact global de l'intervention et, au-delà, les enseignementsque l'on peut tirer de cette intervention.

Bien évidemment, le consultant devra adapter et moduler cette démarche deréférence en fonction des contextes et des demandes auxquels il est confronté. Ilpourra, par exemple, se focaliser sur une ou quelques phases, ou, au contraire, lesparcourir toutes.

Il nous a semblé, de ce point de vue, intéressant de résumer dans le tableau N°2les grandes catégories de demandes qu'un consultant est amené à traiter ainsi que lesquelques précautions méthodologiques à prendre pour certaines d'entre elles.

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(...) Le consultant aura intérêt, dans la plupart des cas, à ne pas s'en tenir à unesimple réponse à la demande : il devra, au contraire, s'efforcer d'évaluer et de discuteravec le système client les éléments de connaissance et les hypothèses sur lesquels sefonde cette demande, afin de mieux apprécier l'opportunité et la faisabilité de sonintervention.

Une démarche non linéaire basée sur des anticipations et des rétroactionsLe fait de parler en termes de démarche et de phases risque de connoter, dans

l'esprit du lecteur, l'idée d'un processus d'intervention linéaire.Une telle conception nous paraît des plus dangereuses, dans la mesure où elle

ne permet pas au consultant d'adapter suffisamment son intervention au problèmetraité et au contexte spécifique dans lequel il intervient.

Cette adaptation implique au contraire, selon nous, que le consultant procèdecontinuellement par anticipations et rétroactions :

- anticiper l'impact qu'une action risque d'avoir sur les actions suivantes :- revenir sur les résultats et le contenu d'une action terminée, en fonction des

résultats obtenus lors des actions suivantes ;- modifier le programme d'une action, en fonction des résultats relatifs à une

action antérieure...

Contenu de la demande Remarques méthodologiques

Ensemble des 7 phasesDemande assez rare.Attention à la lourdeur et à la cohérenceglobale d'une intervention qui risque de se"diluer" avec le temps

Diagnostic et conceptiond'un plan d'action

Demande la plus fréquente sousdifférentes formes : audits, analyse debesoin, études d'opportunités...Attention à bien définir dès le démarragede l'intervention ce qu'on entend par pland'action (simples pistes d'action, projetg loba l , a c t i ons déta i l lées et opérationnalisées...)

Conception d'actions ou d'un plan d'actionsur la base d’études déjà réalisées(diagnostic ou analyse de besoin).

Essayer de tester la validité et la fiabilitédu diagnostic antérieur.

Mettre en oeuvre et réaliser un pland'action ou des actions plus ponctuellesdont le principe a déjà été arrêté.

Essayer de dégager et d'évaluer leséléments de diagnostic, le critères dechoix et les hypothèses qui ont présidé àla décision de mise en oeuvre

Evaluation finale.

Clarifier les objectifs, les attenteset les enjeux relatifs à l'évaluation

Tableau N° 2 Les grandes catégories de demande et leur traitement méthodologique

Comme on le voit, ces mécanismes d'anticipation et de rétroaction contribuentà relativiser le découpage de la démarche globale en phases : lors de la conception etde la réalisation de chaque phase, le consultant doit tenir compte du contenu et desmodalités des autres phases, précédentes comme suivantes.

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Une démarche articulant continuellement compréhension et actionS'il nous paraît dangereux de concevoir la démarche du consultant en termes

trop linéaires, il serait, selon nous, tout aussi risqué d'y voir un clivage trop marquéentre deux registres:

- le registre de la compréhension du système et de son fonctionnement, avecles phases de pré-diagnostic, de diagnostic et d'évaluation ;

- le registre de l'action sur le système avec les autres phases.On pourrait également exprimer cette distinction en parlant de constats d'un

côté et d'actions visant un changement du système de l'autre.Certes de telles oppositions correspondent à une certaine réalité, dans la mesure

où les phases que nous avons proposées renvoient bien à des objectifs et à desdominantes qui s'expriment tantôt en termes de compréhension et tantôt en termesd'action.

Mais, au delà de ces dominantes, le consultant doit être conscient du fait qu'ilfonctionne toujours et en même temps sur ces deux registres. Il doit donc gérer sonintervention en fonction de cette bipolarité :

- faire un diagnostic, ou même un pré-diagnostic, c'est aussi, selon nous, agirsur le système et déclencher des changements dans ce système. Il n'y a pas de"simples constats". Faire des entretiens, animer des réunions, clarifier des situations,les évaluer,...tout ceci ne peut qu'induire de multiples impacts et donc créer unedynamique d'action et de changement ;

- inversement, lancer et réaliser une action, un changement, agir sur lesystème, c'est aussi, d'une certaine façon, se donner un moyen pour mieuxcomprendre le système et son fonctionnement. A l'instar de l'expérimentaliste quiagit sur certaines variables pour mesurer des effets et des relations, le consultantpourra analyser les actions menées et leur déroulement dans un but de meilleurecompréhension du système et de ses mécanismes de fonctionnement.

Une dimension temporelle essentielleDéclenchée par la demande du client, l'intervention du consultant doit s'inscrire

dans un horizon temporel délimité : échéances finales, échéances intermédiaires,...Seule cette délimitation temporelle pourra permettre d'organiser les différentesphases de l'intervention. Elle constituera également ce qu'il faut bien appeler unmoyen de pression : le consultant pourra et devra souvent utiliser cette limitetemporelle pour clarifier les enjeux et les risques inhérents à certains retards, contre-ordres ou délais d'application.

axe du changement

nouvelle orientation induite parl'intervention

trajectoire d'évolutionde l'organisation

axe du tempsmoment del'intervention

Notons enfin que cette délimitation temporelle sous-tend l'ensemble dudispositif contractuel : qui fait quoi, à quel moment, sur quelle période, quelles sont

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les échéances finales et intermédiaires...Mais l'efficacité et la qualité de l'intervention ne dépendent pas uniquement de

cette organisation temporelle. Elles dépendent aussi du moment choisi pourintervenir : l'intervention doit se situer "à un moment favorable" dans l'histoire del'institution cliente. Accepter une intervention qui se situerait à un moment nepermettant ni de recueillir l'adhésion des acteurs concernés, ni de mettre en place lesactions nécessaires, conduirait le consultant et son client à l'échec.

D'une façon plus générale, le consultant ne devra jamais perdre de vue quecontrairement à ce qu'une certaine idéologie du changement laisse entendre, lesorganisations sont continuellement en changement aucune organisation n'esttotalement stable et "immobile".

Dans ces conditions, l'intervention du consultant consistera moins à"introduire " ou "faciliter" le changement qu'à le modifier : toute intervention s'inscritdans une trajectoire ou une tendance d'évolution et de changement que l'interventionva contribuer à renforcer, freiner, orienter, réorienter, etc.(Cf. schéma).

Comme l'illustre ce schéma le consultant devra parvenir à concevoir avecl'institution cliente un dispositif d'intervention qui lui permette d'induire, malgré ougrâce au caractère ponctuel de son action, une "réorientation" de la dynamique del'institution cliente.

Une démarche basée sur un principe d'extérioritéQu'il soit interne ou externe, que sa mission soit ponctuelle ou stable, le

consultant doit concevoir et organiser sa démarche comme une démarche externe àl'institution cliente.

Ce principe général d'extériorité se traduit, pour le consultant, par un certainnombre de règles :

- il devra travailler du début à la fin de son intervention comme s'il neconnaissait rien du fonctionnement de l'institution cliente, hormis les données qu'ilrecueille. D'un strict point de vue épistémologique, cette règle pourrait semblerdénoter un empirisme des plus utopiques. Il convient en fait de ne voir là qu'unesimple orientation de travail : le consultant doit s'efforcer de limiter et de contrôlerl'utilisation qu'il fait de sa connaissance a priori de l'institution cliente ;

- il devra se montrer très vigilant quand aux risques de s'approprierl'intervention demandée par le client : du début à la fin, cette intervention doit resterl'intervention de l'institution cliente et non celle du consultant. La pratique duconsultant et les caractéristiques du dispositif d'intervention devront respecter cetterègle et mettre l'institution cliente en position de pouvoir assumer la responsabilitéet la maîtrise "politique" de l'intervention ;

- travaillant "de l'extérieur" et "sous la responsabilité" du client, le consultantdevra avoir le souci d'élaborer avec l'institution cliente et parfois de négocier avec elleles différentes modalités de son intervention. Loin de chercher à imposer ses analyseset ses positions, il devra les confronter à celles de son client et organiser cetteconfrontation de sorte qu'elle contribue à l'enrichissement des deux parties. Plusqu'une négociation, c'est donc un travail de synthèse qu'il s'agira de mener. Ceci estparticulièrement net en ce qui concerne l'élaboration du cahier des charges, la mise aupoint du diagnostic et la conception du plan d'action ;

- l'ensemble de la démarche et du dispositif d'intervention doit, comme nousl'avons souvent signalé, favoriser l'implication du système client, quelle que soit laforme que prend cette implication : validations, propositions, décisions, exploitationdes résultats...;

- d'une façon plus globale, le consultant devra veiller à respecter la culture de

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L'évaluation comme gestio

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l'institution cliente. Ce respect implique que le consultant ne projette pas sa cultureou celle de sa propre institution sur celle de l'institution cliente. Ce risque serad'autant plus grand que le consultant sera ou se croira proche de son client.

III. 2 La phase de pré-diagnostic : quelques orientations méthodologiques

Située au tout début de l'intervention, la phase de pré-diagnostic constitue unephase importante, dans la mesure où elle conditionne, pour une large part, la suite dela démarche (objectifs de l'intervention, pistes et axes de travail, choixméthodologiques,...).

Certes, les résultats du diagnostic pourront permettre, dans certains cas, detester la validité du pré-diagnostic et, s'il y a lieu, de remédier à certainesinsuffisances de cette phase.

Mais, même lorsqu'elles sont en partie "corrigées" dans les phases ultérieures,les erreurs de pré-diagnostic sont toujours coûteuses en temps perdu, en crédibilitédégradée et en difficultés relationnelles avec le système client.

Or, de façon paradoxale, cette phase est fréquemment sous-estimée par lesconsultants qui n'y investissent pas toujours toute la rigueur méthodologique qu'ellerequiert.

Le recueil de données, en particulier, devra être soigneusement réfléchi, dans lamesure où il ne peut être que très limité, puisque l'intervention ne débute vraimentqu'après le pré-diagnostic, avec la négociation du contrat d'intervention.

Nous nous intéresserons plus spécialement à trois composantes du pré-diagnostic :

- l'analyse de la demande et du contexte initial d'intervention ;- la définition des objectifs de l'interprétation ;- la conception du dispositif d'intervention.

L'analyse de la demande et du contexte initial d'interventionA travers les premiers contacts qu'il noue avec le système client, le consultant

devra essayer de clarifier un certain nombre de points qui conditionnent la suite deson intervention :

- nature de la demande et différences dans les formulations exprimées par lesdifférents acteurs ;

- pourquoi cette demande "maintenant", dans quel processus et dans quelledynamique elle s'inscrit ;

- qui est à l'origine de la demande, qui la soutient, qui freine et qui risque debloquer le déroulement de l'intervention ;

- sur quels faits ou constats, sur quelles hypothèses, sur quels éléments dediagnostic repose la demande ;

- à travers quel recueil de données pourrait-on, si nécessaire, tester et affiner ceséléments de diagnostic, ces hypothèses et ces constats...

- quels sont les risques et les enjeux de l'intervention demandée ;- pourquoi s'adresser à un consultant, quelles sont les attentes explicites et

implicites par rapport à son intervention ;- y-a-t-il déjà eu antérieurement des actions menées pour essayer de résoudre le

problème sous-jacent à la demande ;- quelles seront les contraintes à respecter ;- est-il pertinent et opportun d'intervenir ;...

La définition des objectifs de l'interventionLa complexité des problèmes traités et des démarches d'intervention fait que le

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L'évaluation comme gestion

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consultant doit se montrer particulièrement vigilant quant aux objectifs opérationnelsde son intervention :

- sur quels objectifs s'engage-t-il ?- quels "produits" devra-t-il "rendre" à l'entreprise (rapport diagnostic, procédure

de feed-back, rapport et dispositif de discussion d'un projet de changement,...) ?- quels sont les critères d'évaluation ?- à partir de quoi pourra-t-on estimer si ces critères sont respectés ?Ce travail de clarification des objectifs de l'intervention doit, pour être efficace,

éviter un certain nombre de risques :- risque de négocier avec l'entreprise des objectifs trop ambitieux (danger

"d'utopie") ou non pertinents par rapport à la demande et à la situation ;- risque de se limiter à des objectifs confus ou mal opérationnalisés dont

l'atteinte ou la non-atteinte ne pourra être évaluée ;- risque de s'enfermer dans un système d'objectifs trop rigide ne permettant pas

une réorientation suffisamment souple et rapide de l'intervention ;- risque d'arrêter trop tôt l'ensemble des objectifs opérationnels alors que le

consultant ne dispose pas encore des données et des informations nécessaires à cettedécision.

Comme pour la plupart des composantes de son intervention, le consultantdevra avoir ici le souci :

- de travailler en étroite collaboration avec l'institution cliente;- de recueillir des données fiables ;- de mettre en place un dispositif d'intervention souple permettant de

repréciser, redéfinir ou ré-opérationnaliser continuellement les objectifs del'intervention au fur et à mesure qu'il progresse dans le travail d'analyse.

La conception du dispositif d'interventionNous entendrons par dispositif d'intervention l'ensemble des éléments

organisationnels que le consultant formalise et met en place pour opérationnaliser sadémarche :

- définition et répartition des tâches à réaliser ;- procédures de fonctionnement et de travail ;- outils, supports,...;- plannings ;- interlocuteurs du consultant ;- instances de travail en groupe;...Le consultant devra veiller à ce que le dispositif mis en place permette une

prise en charge efficace de sept fonctions :- fonction de communication entre le consultant et le système client, mais

aussi à l'intérieur du système client (diffusion des informations relatives àl'intervention par exemple) ;

- fonction de validation et d'enrichissement des orientations, des démarches etdes résultats du consultant ;

- fonction de décision ;- fonction de régulation, de relance et de ré-orientation de l'intervention ;- fonction d'exploitation des résultats et des propositions d'action du

consultant- fonction de transfert de compétences et de capitalisation des acquis ;- fonction d'évaluation en cours et en fin d'intervention.Certains types de dispositifs sont parfois présentés comme "meilleures que

d'autres". Ainsi, par exemple, les groupes de pilotage en ce qu'il est convenud'appeler les dispositifs participatifs sont souvent considérés comme des solutions de

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référence. Or il n'existe pas, selon nous, de dispositif "standard" ou de normes en lamatière. Le consultant devra, au contraire, s'efforcer de dégager, pour chaque cas, ledispositif le mieux adapté aux objectifs et au contexte de l'intervention.(...)

(1) Le terme de problème n'est pas pris ici dans son acception restrictive dedysfonctionnement ou de difficulté, mais dans sa signification la plus large de "question àrésoudre" (d'après le Dictionnaire Robert)

Bec, J., Granier, F. & Singery, J.

BERNARD, M. "L'audit de la formation : de la conception à la pratique",Education permanente n°91, 1987, p.9/20.

(...) L'audit, de quoi parle-t-on ?Un premier constat s'impose. A propos de l'audit, il y a des définitions très

variées, confuses qui posent incontestablement un grave problème de terminologie.Cette situation révèle que l'audit nécessite d'urgence une démarche épistémologiqueapprofondie. Voici sept exemples de ce flou, de cette confusion qui n'empêche pasl'audit d'être un marché florissant. Parfois, quasi bric-à-brac de pratiques, d'outilsdivers à des fins variées, l'audit charrie alors du confus et, à ce titre, littéralement, ilmystifie, il charrie... Dans un manuel récent de gestion, les auteurs le définissentainsi : "L'audit est, dans les grandes organisations, l'oeil et l'oreille du Maître (...). Ilexamine l'exactitude des comptes mais aussi l'application des règlements etprocédures, la mise en oeuvre des objectifs (1)". Un document de l'OCDE (2) indiqueque "l'audit est une fonction qui consiste à déterminer et vérifier si -et dans quellemesure- les textes, directives et manuels, les procédures et circuits de l'organisationsont conformes aux normes et critères déterminés à l'avance". On comprend que, dansune telle perspective, l'audit soit parfois défini comme le "contrôle des contrôles" etprésenté en priorité comme une "mesure des écarts".

Il reste qu'en passant du domaine des comptes à celui du social, dufonctionnement des organisations, l'audit s'est modifié, complété. John Humble, dansson livre (3), donne cette définition : "Examen systémique des forces et faiblessespour définir un plan d'amélioration auquel on fait participer les partenaires". Mais, parailleurs, alors que certains indiquent que l'audit est "l'ensemble des techniquespermettant d'analyser et d'évaluer les méthodes de l'entreprise", d'autres minimisent ouévacuent l'aspect évaluation et valorisent l'écoute. Ainsi dans le livre "L'audit de laformation professionnelle" (4), les trois auteurs écrivent : "L'audit est une pratiqued'écoute dans un environnement incertain (...) parler d'audit et non plus d'évaluation,cela s'explique par le contexte actuel de transition de profondes transformationséconomiques, sociales, industrielles et culturelles. Savoir écouter et savoir observerdevient plus important que savoir évaluer ou savoir mesurer la conformité auxnormes déjà établies". Enfin, pour d'autres, l'audit est une “démarche d'écoute”introduisant à “une stratégie du changement" ; c'est encore "la phase initiale d'uneintervention intégrant ensuite conseil, formation et autres prestations de services".Dans une telle perspective, pour certains cabinets, l'audit consiste à prescrire à partird'une consultation, les produits et services provenant du savoir-faire déclaré auprès desclients.

Cette confusion nécessite un bref rappel des deux origines du terme d'audit : - l'origine anglo-saxonne : auditer, c'est vérifier. c'est à partir de cette origine

que la Commission de terminologie de l'Office de la langue française au Québec a faitpublier, en 1980, un avis de recommandation qui privilégie le terme de vérification etécarte celui d'audit

- l'origine latine : auditer, c'est entendre, percevoir par les oreilles et aussiécouter, accepter et aussi accorder une audience. Au III° siècle avant Jésus Christ, lesgouverneurs romains nommaient des personnes chargées de vérifier les documents

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écrits, peu nombreux à l'époque. Mais ces mêmes personnes assuraient en plus desentretiens, des discussions pour mieux rendre compte des conditions de réalisation,pour faciliter la compréhension et la signification des pratiques. Ces deux originessont à prendre en considération pour essayer de situer et de caractériser la notiond'audit. (...)

Alors, quelle définition retenir, même à titre provisoire ? Voici la définitionque nous proposons. L'audit est une procédure construite et négociée visant, à unmoment donné, un examen systématique d'une situation définie et articulée à soncontexte en vue de l'identifier, de la caractériser, de la vérifier et de la signifier, etd'engager l'émergence d'orientations et de scénarios ouverts.

Dans cette perspective, il y a cinq démarches complémentaires etinterdépendantes :-conformité : prescrit / réalisé

-efficacité : objectifs / résultats-efficience :ressources / résultats- pertinence : en référence au projet- cohérence : en référence au contexte.Pour cela, les lectures se positionnent entre deux pôles : le contrôle et

l'évaluation. Cette proposition prend en considération la double origine du mot audit.il en résulte l'exigence d'une double lecture itérative : contrôle <--> évaluation.L'origine de la notion, les évolutions historiques sont prioritaires pour poser lesbases d'une définition et d'une clarification. L'approche en référence aux demandespour situer l'audit est dangereuse. Selon les champs concernés, les auditeurs, lesdemandeurs, elle aboutit à la confusion. Le schéma 1 "l'espace de l'audit", indique lesquatre pôles entre lesquels se situe l'audit.

Contrôle évaluation

Actionaide à la décision

Etude

recherche

Schéma 1 L'espace de l 'audit

-> pôle contrôle : l'audit vise à vérifier et à contrôler. Mais ce n'est passeulement un contrôle des contrôles. Il y a aussi un questionnement sur les écarts, surles référents concernés, sur les pratiques de contrôle.

-> pôle évaluation : l'audit s'inscrit aussi dans une perspective d'évaluation. Ilvise à faire surgir du sens. Cependant, cette perspective reste inachevée. On n'en finitjamais d'évaluer.

-> pôle étude : l'audit est une démarche rigoureuse, exigeante. Il existe enpermanence un souci de travail scientifique. Mais les problèmes abordés, lesinformations retenues (saisie - traitement - interprétation) nécessitent à la foisbeaucoup de rigueur et de lucidité sur le déroulement de la procédure. Il en résulte, enparticulier, la nécessité d'une déontologie.

-> pôle action : par sa contribution, l'audit constitue une aide à la décision. Il

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ne se confond pas avec l'intervention, le conseil, même si son déroulement interfèresur les suites.

Quelles relations établir en particulier entre contrôle, évaluation et audit ? .Par mode, par usure du mot, la notion de contrôle est remplacée souvent par

celle d'évaluation, surtout dans le domaine de l'éducation et de la formation. Il enrésulte fréquemment non seulement une modification mais une confusion despratiques, quelque chose qui n'est ni du contrôle, ni de l'évaluation. Notre conceptionde l'audit s'appuie sur trois prémisses complémentaires :

- le contrôle et l'évaluation renvoient à deux logiques, deux perspectivesdifférentes ;

-l'audit est une procédure construite et négociée basée sur une lecture plurielleet itérative entre contrôle et évaluation ;

- cette lecture plurielle ne peut faire l'économie de contradictions,d'inachèvement, de relatif. L'audit est cependant un passage qui peut être déterminantpour le trajet du projet : cela dans le temps, dans l'espace, pour les acteurs et pour lesnécessaires évolutions du développement. Il y a donc une visée prospective qu'il nefaut pas minimiser, voire évacuer.

contrôle

contrôle évaluation

contrôle du contrôleRégulation, amélioration des procédures et des résultats

contrôle de l'évaluationVérification des outils et des méthodes pour le questionnement sur le sens

Evaluation du contrôleQuestionnement sur les écarts constatés et le référent

évaluationEvaluation de l'évaluation"Réflexivité" sur le processus, les partenaires concernés, l'inachèvement de la démarche

contrôlecontrôle

évaluation

évaluation

Schéma 3 L'interaction contrôle-évaluation

(...) Il s'agit donc de deux logiques différentes. Et dans celle de l'évaluation,plusieurs niveaux de sens sont à appréhender, à décrypter et à signifier.

Par le schéma 3 est mise en valeur l'interaction contrôle-évaluation. Les quatreapproches se heurtent à des discontinuités qui laissent inexplorées certaines zones.

Dans le schéma 4 le cheminement de l'audit comprend plus précisément sixzones sensibles où des problèmes guettent l'auditeur. Plus le pôle évaluation estintégré dans la démarche, plus ces problèmes sont délicats. Et la résolution estd'autant plus pertinente qu'il y a approche à plusieurs.

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I. Situer et articulerprojet de l'entreprise (visé-programme réalisé)pratiques professionnelles et ressources humainesformation

II. Ancrage de l'auditdemande -laquelle -de quoi -pourquoi -quand -traitementcommande -formulation écrite -diffusioncontrat - formulation écrite - diffusion

III. Passage de l'audit aux pratiquesRapport, recommandations scénariossuivi, prolongement

RéférentielsConstructionUtilisationDiffusionInterprestations

V. Coopération avec les agents concernésuniquement : relation -auditeu(s) -demandeur(s)Comité de pilotage réduitExtension à l'ensemble des personnes concernées

VI. Les auditeursFormation et supervisionEthique et déontologie

Schéma 4. Le cheminement de l'audit appliqué à la fomation : zones critiques

Enfin, le schéma 5 suggère une double face de la démarche d'audit. Elle révèleque la conduite d'un audit ne peut évacuer le type de relation avec les partenairesconcernés... et au-delà, le type de commandement, d'autorité, suscité, appelé, valorisé.(...)

“Inducatif” Educatif

Audit

Contrôle Evaluation

Conception et mise en oeuvre auditeur(s) - partenaires

La démarche spécifique d’un audit est fonction de l’articulation de cette double face. Exemple :- dominante contrôle et aspect “inducatif” (conformité avec l’existant - conduction dans le commandement, l’autorité imposés ;- dominante contrôle <--> évaluation et aspect éducatif (conduction dans une autre forme de commandement et d’autorité et, en particulier, appropriation progressive de capacités d’analyse)

: au-delà une zone d’écoute et d’analyse non couverte pas l’audit

Conception et mise en oeuvre audit--> champ concerné

Schéma 5 La double face d’une démarche d’audit

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(1) DOPE Economica, p. 587(2) Méthodes et procédures d’évaluation de l’aide, OCDE, 1986, P. 70(3) John Humble, L’audit social au service d’un management de survie, Dalloz, 1975(4) Guy Le Bortef, Paul Apouy, François Viallet, L’audit de la formation professionnelle,Paris, éditions d’organisation, 1985, p. 26/27

Bernard, M.

BONNIOL, J-J., "Les racines du consultant", Définir la fonction consultantdans la fonction publique, Actes de l'université d'été de Sophia Antipolis, CRDPNice, 1988

(...) Ce que je souhaiterais faire, c'est essayer de rechercher l'identité oul'altérité, en tous cas, pas la neutralité du consultant, à travers les origines et à traversla Fonction Publique ; puis, dans un second temps, essayer de voir, non seulementdans quels processus il s'inscrit, en quoi ce métier, cette fonction diffère de quelquesautres, qui sont en interconnexion ou en interface avec celui-là ou celle-là :inspecteur, évaluateur, formateur, soignant. Et puis, tâcher de discerner comment sedéfinit le Consultant par rapport aux trois fonctions impossibles selon Platon : cellede gouvernant ou d'autorité ; celle de l'enseignant ou du formateur ; celle du soignantpuisque consultant et consulter c'est du vocabulaire aussi, et peut-être aujourd'hui,d'abord, de la médecine.

Les origines de la fonction :Je ne crois pas qu'on puisse travailler sur un mot et sur un concept sans se

poser la question de l'origine, des déterminations les plus anciennes. On peut leschercher dans différentes directions (...) mais j'ai pensé que notre tradition était avanttout dans les mythes d'Argos et d'Athènes, alors bien sûr, je vais vous parler de laPythie de Delphes et de Tirésias.(...) La Pythie, prophétesse d'Apollon et double dudieu - Apollon et la Pythie, c'est la même chose - et le dieu dit "je" par la bouche dela Pythie, son alter ego. Alors, les simples particuliers mais aussi les ambassadesofficielles et les organisateurs de la Cité viennent l'interroger. Et qu'est-ce qu'elle faitquand on l'interroge ? Elle dit la solution.

Apollon, Phoebus, c'est l'éclatant, le pur et aussi le simple, il est le médecinqui soigne le mal, il est l'oracle qui en connaît les causes et les effets. Cette solidaritédu médecin et de l'oracle, Platon l'a soulignée en constatant que médecins etprophètes, avec les mêmes procédures, dirions-nous comme le Dieu, obtiennent lesmêmes effets : la guérison et la purification des corps et des âmes. Cette omnisciencedu dieu oraculaire, c'est sur le modèle d'une visée juste et immédiate, de loin, quePindare l'a construite. Platon explique d'ailleurs Apollon par le terme grec qui signifie"le simple".

Le consultant est fils de la Pythie mais il est fils aussi de Tirésias.Tirésias, c'est tout le contraire. Ce qui le caractérise, c'est qu'il est toujours là

et qu'il repart. Fils d'une nymphe, il n'a pas la vue ordinaire puisqu'il est aveugle, iln'a pas la vue de l'illusion, de la tromperie : aveugle, il est voyant, androgyne, ilpasse par les deux sexes, il a tous les attributs : il a les règles (...) et il a le phallus.L'androgynie était expliquée d'ailleurs par une fonction de médiation. Le consultant,c'est le médiateur.

Tirésias n'est ni pur, ni simple : représentant de Dyonisos, il considère que laplus grande démence -au début de la tragédie, il ne cesse de traiter le roi de fou- la plusgrande démence, c'est de vouloir une cité parfaitement raisonnable et de ne pas faireplace à l'irrationnel, à l'inattendu, aux forces sauvages dionysiaques, c'est-à-dire, endéfinitive, au sacré, même dans sa forme la plus imprévisible mais aussi la plusquotidienne.(...)

Tirésias, dans sa fonction, cherche à établir une relation, des relations entre le

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monde des dieux et celui des hommes, entre les hommes et les femmes, il estimpliqué dans la gestion des rapports importants du monde ; entre les générations,puisque sa vie s'étend sur sept générations, (gestion du temps) et même entre lesvivants et les morts puisqu'il garde son esprit même chez les morts (gestion de laprésence/absence). C'est le médiateur.

La médiation, c'est donc la fonction par laquelle, dans une première approche,je définirai le Consultant. (...)

Je ne crois pas que le consultant en tant que tel puisse jamais s'ériger enévaluateur-auteur de bilans, ou alors il fait autre chose. La fonction consultant, c'estde dire "ce que je pense" ; de dire "ce que je crois, puisqu'on me le demande", sansprétendre dire le vrai, sans prétendre dire la somme.

Celui qui nous intéresse le plus, ici, c'est le Consultant, le régulateur externe,celui qui a son idée, son référentiel, qui admet parfaitement qu'il y ait décalage entreson référentiel et celui des décideurs (d'ailleurs, c'est pour cela qu’il a été demandé)(...).

BONNIOL, J-J.

II. 2. L'exhibition des structures

2.3. La mise à jour des dispositifs d'évaluation

Champ d'étude :Ce mouvement s'attache à l'étude des dispositifs

pédagogiques, de formation, d'apprentissage ou d'évaluation,c'est-à-dire de leurs structures. Le dispositif ainsi conçu n'est pasun descriptif d'une action particulière, il doit être interprété,comme une partition musicale, il n'est pas un guide, une notice demontage : il doit être actualisé par celui qui l'utilise.

De la mise à jour du schéma (car le structuralisme utilise defaçon préférentielle la schématisation, qu'on appelle facilementun modèle) de situations construites dont on montre les principesorganisationnels, on glisse dans un second courant à la recherchedes conditions à réunir par la mise en ordre dynamique d'élémentsessentiels (des principes organisateurs de la structure évaluée)pour qu'ils assurent la réussite) (1).

(1). C'est cet objectif de "réussite pour tous" commun à ces deux courants,qui va induire que certaines études de dispositifs se feront dans le cadre del'évaluation dite "formatrice".

VIAL, M. "Conceptions du temps et images de la régulation en évaluation",colloque AFIRSE de Caen Education, Temps et sociétés, CERSE, 1993, tome 2,p.159/166 :

(...) La régulation structurale consiste à décider d'aménagements successifspour organiser les activités de la formation. Il y a deux conceptions de cette recherchedu "bon" dispositif : la mise à jour d'invariants fondamentaux et de principesorganisateurs de dispositifs souples, du dispositif contenant de possibles variations :des bifurcations. Le formateur partage le pouvoir de l'aménagement du dispositif enproposant des structures équivalentes que les formés choisissent ou en les associant à

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la construction du dispositif par des choix de tâches, de barèmes, de modalitésd'évaluation : c'est l'évaluation négociée. L'objet du compromis recherché est ledispositif de l'apprentissage.

Sont travaillés les cadres d'actions, les conditions de réalisation permettant delier les actes et de leur donner du sens. Compte tenu des exigences de l'institutionquel parcours choisir ? Quel objet mettre en chantier ? Quelles règles se donner ?

Le formé est partie prenante du fonctionnement de l'organisationnel. L'élève,par exemple, est mis en "management participatif" : il participe à l'institution derègles. (...)

VIAL, M.

AMIGUES, R., "Conditions de réussite et dispositif pédagogique", UNESCO etMEN, Perspectives de réussite, au-delà des insuccès scolaires, Bordeaux,CNDP, 1984

La motivation des élèves, l'utilisation ou la réutilisation de notionsantérieurement apprises par ces derniers sont, de l'avis même des enseignants, deuxcauses d'insuccés scolaire directement liées aux modalités d'enseignement etd'évaluation. Le but de cette communication est d'analyser la situation pédagogique dupoint de vue des conditions de réalisation des tâches proposées aux élèves et du pointde vue de la conception du dispositif pédagogique qu’il génère. (...)

I - Situation pédagogique et résolution de problème(...) Le défaut dans l'organisation des conditions de réalisation des tâches et

celles d'exécution, tout particulièrement, relèvent, de mon point de vue, de deuxcauses non indépendantes. La première est imputable à la conception que l'on peutavoir de l'apprentissage qui structure, par les conditions proposées, la représentationque les élèves ont des opérations requises par la discipline. On rejoint sur ce point lanotion d'"obstacle didactique", proposé par G. Brouseau (1976), qui par exempledétourne les élèves "d'un comportement de preuve" dans l'élaboration des explicationsd'un problème de combinatoire (Balacheff, N. 1981).

La seconde cause réside, toujours selon l'analyse rudimentaire présentée, dansle fait que les capacités ou les habiletés qui fondent la pratique des experts ne sontjamais enseignées, dans l'enseignement général du moins.(...)

Le dispositif pédagogique opérationnel proposé maintenant est plus général. Ilvise à préciser le rôle de l'exercice dans un dispositif qui tient compte simultanémentde la "logique de la discipline" et de la "logique de l'apprenant".

II Le dispositif pédagogique opérationnel (D.P.O)

Le D.P.O est le résultat de l'élaboration et de l'articulation de plusieursniveaux de conception. La spécification de chaque niveau précise les contenus dudispositif d'apprentissage, proposé aux élèves. En d'autres termes, on parlerait deprogrammation ou de progression pédagogique qui tiendrait compte à la fois de lacohérence des notions présentées et du niveau d'intégration des connaissances desélèves.

2.1 Le niveau logique de la discipline :Les programmes et les instructions permettent à l'enseignant d'organiser dans

le temps les contenus à acquérir. A charge pour lui de traduire ces objectifs.générauxen termes d'objectifs pédagogiques, à savoir : ce que les élèves doivent être capablesde réaliser dans un temps donné (une année, un trimestre) et sous l'effet de tellemodalité d'enseignement. La première traduction s'opère donc en termes de capacités àdévelopper chez les élèves ou d'Actions Disciplinaires (cf. Tableau en dernière page).Il est clair que ces capacités ne peuvent pas être formées de manière directe et

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immédiate. Aussi une seconde traduction en termes d'opérations s'avère nécessaire :repérer les opérations qui soient simultanément propres à l'action que l'on veut formeret pertinentes à la logique de la discipline. Ces opérations doivent être ensuiteorganisées dans un dispositif de telle sorte qu'elles correspondent à la procédurerequise par la discipline. Ce dispositif assure le passage de la logique de la discipline àcelle de la tâche. On passe ainsi du domaine du savoir à celui des savoir-faire àacquérir.

2.2. Le niveau de la logique de tâche comprend la logique d'exécution de latâche et le type d'exercice :

-la logique d'exécution correspond à l'organisation temporelle des opérationsdéfinies par l'expert qu'est l'enseignant. On parle de "démarche", de "raisonnement".Autrement dit, la logique d'exécution est l'ensemble organisé des opérations prescritespar l'enseignant.

L'élève, pour sa part, doit découvrir les opérations à mettre en oeuvre etélaborer leur organisation, c'est, pour lui, l'objet même de l'apprentissage.L'intériorisation du dispositif proposé est rendu possible par l'exercice qui contient leséléments matériels ou symboliques organisés selon la logique d'exécution. L'exerciceconstitue ainsi le support de l'activité de l'élève. Par la manipulation des éléments dela tâche proposée, l'élève s'exerce à acquérir la procédure définie. Dans ce sens,l'exercice assure le guidage matériel de l'élève dans la réalisation de la tâche. Leguidage peut être soutenu plus longtemps encore par une programmation desexercices qui correspond à la formation de l'Action ou des capacités définies, c'estl'objet des séquences élaborées par les didacticiens, par exemple.

La genèse du dispositif pédagogique opérationnel repose sur une conceptionpsycho-pédagogique du guidage de l'action et de l'acquisition des connaissances, dontje voudrais proposer quelques points de repères.

a) l'acquisition de connaissances vise une double appropriation par l'élève : ildoit s'approprier conjointement les outils d'élaboration des procédures et lesconditions dans lesquelles cette dernière se déroule. C'est la raison pour laquelle j'aitenté de montrer l'importance des conditions de réalisation proposées aux élèves et durôle déterminant de la conception de l'exercice.

b) l'accès au contenu n'est pas direct, il se réalise par l'intermédiaire de la tâche(logique d'exécution et type d'exercice). Connaître par coeur la règle de l'accord duparticipe passé ne garantit ni son utilisation correcte, ni l'identification pertinente dessituations où elle doit être employée... L'énoncé en termes de contenu ne contient passon mode d'utilisation. Si celui-ci est sous entendu pour l'expert, il reste à découvrirpour l'apprenant.

c) le développement de méta-connaissances telles que l'analyse de la tâche, lareprésentation du processus de réalisation, facilite les apprentissages. En référence à lanotion de méta-cognition de Flavell, Melot et N'Guyen Xuan (1981) désignent parconnaissances déclaratives les contenus (ou ensemble de savoirs) et par connaissanceprocédurales les modes d'utilisation (ensemble de savoir-faire) de ces derniers. Ainsi,dans cette conception, les connaissances procédurales (savoir comment, savoirpourquoi) "opèrent sur les connaissances déclaratives pour les sélectionner, lestransformer, les augmenter" (Melot, N'Guyen Xuan, 1981).

d) le guidage dans l'apprentissage centré sur le mode d'utilisation desconnaissances et les procédures d'exécution ne revient pas "à mâcher" le travail desélèves. C'est au contraire élaborer un dispositif pédagogique pour que la compétencerequise par la discipline d'enseignement soit exercée par les élèves. Dans cesconditions, la "bonne réponse" est moins importante que la façon dont l'élève s'yprend pour réaliser le but de la tâche. Aussi, l'objet d'évaluation n'est pas la réponse

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L'évaluation comme gestio

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finale mais le processus de réalisation.e) la conception d'un dispositif pédagogique susceptible de favoriser la réussite

des élèves doit organiser les conditions pour que l'activité de l'élève soit placée sousson propre contrôle.

J'ai tenté de montrer que les conditions d’insuccès résidaient dans la conceptiondes tâches proposées aux élèves :

- les erreurs constatées dans la définition de la tâche procèdent d'uneorientation de l'action défectueuse ;

- la régulation de l'action (ajustement au plan d'action et son exécution)est compromise ;

- le contrôle assuré par l'élève ou par l'enseignant s'avère incomplet etinefficace

- l'acquisition des contenus et des capacités reste incertaine.Par opposition à la précarité des modalités pédagogiques "habituelles",

le dispositif présenté insiste sur la nécessité de clarifier la conception et la gestion desdispositifs pédagogiques présentés aux élèves. Mais au-delà des conditions d’insuccès,le dispositif proposé sous entend la conception d'une évaluation plus efficace. C'estsur ce dernier point que je voudrais terminer.

III Conditions d'insuccès et accès à la réussite :Le dispositif d'évaluation pertinent à ce dispositif pédagogique est celui de

l'évaluation formative. L'évaluation formative comprend 3 volets : le guidage, l'auto-évaluation et l'auto-correction des élèves. C'est le seul dispositif d'évaluation, à maconnaissance, qui permette d'augmenter la capacité d'autocontrôle de l'élève.

Je voudrais rapidement évoquer, à partir de la notion d'auto-contrôle, lacohérence des résultats de recherches menées dans le domaine de l'évaluationformative. Les études réalisées portaient sur des facettes différentes des dispositifsd'évaluation formative :

- les effets des fonctions de l'évaluation formative sur l'amélioration desrésultats scolaires (Bonniol, Amigues, 1981)

- ou encore sur la pratique de l'auto-évaluation et de l'auto-correction des élèves(Bonniol, Amigues, Guignard, Genthon, 1979).

Du point de vue de l'auto-contrôle on dirait que le dispositif d'évaluationformative favorisant l'analyse de la tâche par l'élève accroît le contrôle qu'il exerce surson propre processus d'apprentissage. Au regard des résultats (que je ne peux pasdétailler ici) on pourrait avancer que l'auto-contrôle est le moteur de la dynamique desacquisitions scolaires, une source de motivation et de résultats.

Une autre étude (Genthon, 1982) rend compte des effets positifs de transfert del'évaluation formative. Ici le transfert n'est pas synonyme de résultat survenant à lasuite d'une série d'exercices d'entraînement. Mais le transfert doit être considérécomme le type de relation que le sujet instaure, à la suite d'une élaboration bien sûr,entre son activité et le résultat atteint, ce qui expliquerait la réussite scolaire et lesprogrès cognitifs des élèves. Mais cela permet de mieux comprendre aussi l'effet del'évaluation formative sur la valorisation de l'image de soi des élèves et lamodification de la représentation des partenaires (Genthon, ibid).(...)

Amigues, R. Guignard-Andreucci, C. , A propos d'une recherche sur l'évaluation formativeen situation éducative, Bulletin de Psychologie. 1981-1982, XXXV. 353, 1-5, 167-172.Balacheff, M., Etude de l'élaboration d'explication par des élèves de 3ème, à propos d'unproblème combinatoire, Rapport de recherche, I.M.A.G. , 1981.Bonniol, J.J. , Amigues R., Dispositifs d'auto-évaluation des élèves et réussite scolaire,Communication au Colloque INRP Réussir à l'Ecole, Février 1981, Istres.Bonniol, J.J., Amigues, R. , Guignard, C., Genthon, M., Dispositif d'évaluation

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L'évaluation comme gestion

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formative, d'auto-évaluation et d'auto-correction, Rapport de recherche, 1979Evaluation formative et formation par l'évaluation, Collège, n°2, Marseille, 1984Brousseau, G., Les obstacles épistémologiques et les problèmes de mathématiques in Laproblématique de l'enseignement des mathématiques, Actes de la 28ème rencontres CIAEN,Vanhamme, Louvain le neuve, 1976.Genthon, M., Evaluation formative et formation des élèves, Thèse de 3ème cycle, Aix-en-Provence, 1982.Melot, A.M. , Nguyen-Xuan, A., La connaissance des phénomènes psychologiques, in ,Savoirs et savoir-faire chez l'enfant, Mardaga, 1981, 204-259.

AMIGUES, R.

L'évaluateur, quand il exhibe le dispositif d'évaluation,préconise non seulement le renforcement des réussites, l avalorisation des démarches, les comportements adéquats auxnormes et pertinents aux objectifs, mais il est aussi le garant desapprentissages, celui qui suscite le transport/transfert de savoirs(et donc de critères) en organisant (en établissant et en régulant) lesstructures de formation, de fonctionnement.

On retrouve alors l'imbrication entre les problématiquesd'apprentissage et les problématiques d'évaluation, L'évaluationest considérée comme étant au service de la transformation visée,pour laquelle l'évaluateur intervient sur la structure pratiquechoisie.

G E N T H O N , M. “Construire des situations d’apprentissage”, Cahierspédagogiques n° 281, 1990, p. 12/14 :

(...) Conditions favorables :Dans les conditions favorables aux transferts d’acquisitions, Cavanaugh &

Borowski (1979) font intervenir deux éléments. Un entraînement centré sur lesstratégies à mettre en oeuvre (procédures) et la connaissance dont le sujet dispose surles opérations nécessaires à la réalisation des tâches. On peut ajouter à ces conditionsles consignes données au sujet (non seulement les opérations mais les objectifsd’apprentissage et de formation et les critères), la nature et la diversité des objetsd’apprentissage (performances, stratégies, processus) et l’organisation des situationsproposées (outils, situations, activités) (Genthon, 1983).

Outils métacognitifs :Enfin, lorsqu’on s’intéresse au transfert d’apprentissage, il convient de faire

acquérir (et de faire travailler les sujets sur) des outils métacognitifs, de gestion, decontrôle et d’évaluation de leurs propres activités. Pourront alors se transférer aumoins trois éléments : l’élaboration des bases d’orientation de l’action rationnelles, lacapacité à faire fonctionner des boucles de régulation et les opérations d’évaluation etd’auto-évaluation, objets centraux d’apprentissage correspondant à des objectifs deformation définis en termes de transfert d’acquisitions.

Conclusion :L’apprentissage est un processus individuel d’appropriation, de changement,

d’acquisition. Il paraît alors nécessaire de conduire le sujet en apprentissage à évaluerses propres apprentissages et ses propres processus, c’est-à-dire de le conduire à desauto-évaluations qui lui faciliteront l’accès au sens de ce qu’il fait et qui favoriserontles régulations nécessaires. Le formateur, le pédagogue est un “passeur” (Bonniol,1987) car il est médiateur entre les variables de l’individu et les variables de lasituation : “il travaille à son inutilité”.

GENTHON, M.

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BONNIOL, J-J. "L'impasse ou la passe", conférence d'ouverture de l'Universitéd'été d'Evaluation de Marseilleveyre, Marseille, 1986

(...) Dispositif d'évaluation et formation :Il y a du morphisme entre les dispositifs d'évaluation que l'on gère et que l'on

régule et les dispositifs pédagogiques, les dispositifs d'apprentissage, de formation.La distinction majeure entre le professeur et le formateur, cette référence, et

peut être ce saut, nous la retrouvons entre l'évaluateur-examinateur et l'évaluateur-régulateur (ou correcteur) ; nous la retrouvons complètement en passant d'uneévaluation sommative, bilan d'une évaluation descriptive, d'une évaluation qui sedonne comme objectif "Not to prouve but to improve". L'évaluation-régulation gardecomme modèle de référence la légalité, non plus seulement celle des objectifs maisaussi celle des manières de parvenir à ces objectifs. (...)

Le problème n'est plus d'éliminer le doute ... comme dans l'évaluationdescriptive où il fallait faire un bilan exact, précis exhaustif, utilisant tous les critèresrelatifs aux résultats attendus.

Dans l'évaluation régulation ces critères ne seront plus seulement ceux desrésultats attendus ; ils seront encore ceux des procédures utilisées par l'élève et , peut-être, par l'enseignant et le formateur, de telle sorte que l'objectif soit atteint. Cescritères, dans l'évaluation-régulation, apparaissent tout à fait fondamentaux et moteurscar ils permettent que ceux relatifs aux résultats soient mieux maîtrisés et, que cesrésultats soient, de la sorte, plus conformes aux objectifs fixées.

Conformité, légalité, il y a aussi dans l'évaluation-régulation l'idée d'unediscipline de la régulation, avec son cortège attendu de quiproquos, de malentendus, defaux sens.

L'évaluation régulation n'est pas le bilan intermédiaire ! Car tout bilanintermédiaire a droit de cité et il relève de l'évaluation sommative : il peut porter surles résultats ou sur les procédures ou sur les méthodes de l'élève : c'est un bilan ; sonobjectif est celui de l'évaluation sommative c'est-à-dire de prendre les mesures les plusjustes, de faire le bilan le plus complet de façon à avoir un bon contrôle, c'est-à-direun "bon compte".

La régulation qui peut être effectuée après un tel bilan sommatif ne sera alorsqu'une conséquence du bilan, elle ne sera pas l'objectif de l'évaluation. Si larégulation est l'objectif recherché :

- elle exclut que soient maîtrisés les seuls critères relatifs au bon bilan ;- elle exclut que tous les critères de résultats soient utilisés ;- elle exclut qu'il n'y ait que les critères relatifs aux résultats qui soient

utilisés.Il n'y a pas de moment pour la régulation. Peut-être même la formation se

confond-elle parfois, souvent, au mieux toujours avec la régulation ; avec le jeumultiple d'évaluations, de boucles d'évaluation-régulation qui sont en interaction :celle de l'élève, celle du groupe auquel il appartient, avec qui il travaille, celle de laclasse qui comporte ces groupes, celle de l'enseignant, celle du formateur, celle duresponsable, celle du financeur ; jeu complexe de boucles de régulation où chacun,pour ce qui le concerne, peut tirer fruits et bénéfices des évaluations multiples,menées à partir de référents, de modèles de référence qui sont différents puisqu'ilsdépendent des fonctions, des places, des statuts, des intérêts, des objectifs spécifiquesde ceux qui sont sujets de l'évaluation.

Appropriation, conscientisation, mais aussi création, c'est le troisième niveaude l'évaluation : on va toucher là les rapports entre ce qui est de l'ordre de laNormalité et ce qui est de l'ordre du Vivant.

Alors que réguler ?... des méthodes et des techniques : sûrement !Aussi des stratégies, des algorithmes de résolution de problèmes et, peut-être,

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justement ce qui est de l'ordre du vivant.La motivation par exemple, celle des élèves, celles des collègues qui peuvent

avoir d'autres soucis, d'autres problèmes, tout autant légitimes les uns que les autresmais peut-être différents de ceux que leur impose l'institution, les programmes, lesprofesseurs etc. ... on parle ainsi de motivation, de capacité d'attention ... Il faudraitdonc parler aussi d'une évaluation qui permette de réguler les processus, de réguler cequi est de l'ordre du vivant. Régulation de l'attention, de l'attente du niveau d'attente,de l'attente des autres, bien sûr ! Mais aussi de la sienne propre : “Qu'est-ce que je mecrois capable de faire aujourd'hui ? N'y a-t-il pas là, besoin de régulation, surtout si jene me crois capable de rien aujourd'hui ?”

Ce concept de soi, d'estime de soi, ce niveau d'attente on peut l'appeler avecl'Ecole Belge, niveau d'expectation : attention à l'autre ; tension vers ; capacité deconcentrer son attention, son énergie, de la polariser à un moment comme, parexemple, d'être tout entier à un moment, dans le bout des doigts, dans la flèche, dansl'arc dans la cible, d'être tout entier dans le tir à l'arc.

Arriver à réguler les processus doit donc être, même si cela reste encoreaujourd'hui hypothétique et intuitif, par manque de travaux sur ce projet, notretroisième niveau d'évaluation et ce malgré, là encore, le cortège impressionnant desmalentendus, des quiproquos, des faux sens.

Aucun d'entre nous jamais ne pourra réguler le processus d'un autre. Nouspouvons participer à la régulation qu'un sujet en apprentissage peut faire desméthodes qu'il adopte, des procédures qu'il emploie, des techniques qu'il choisit parmid'autres. On peut en discuter avec lui, lui indiquer où est l'erreur et, à partir de là,passer le relais à l'autorégulation.

Mais n'a-t-on pas alors, participé d'une certaine façon qu'à une régulationdirecte sur les procédures ? On ne participe jamais à une régulation directe sur lesprocessus d'un autre ; rapportons nous au mal que nous avons à participer à unerégulation directe de nos propres processus. C'est généralement à travers lesprocédures que l'on infère les régulations nécessaires des processus des autres.

Mais sachons là, que tout ce que nous pouvons faire c'est dire et, peut-être,questionner, sans attendre d'ailleurs la réponse. La régulation du processus n'appellepas, de la part du sujet, une réponse aux questions qu'on lui pose, une réponse à celuiqui pose la question. La moindre velléité de réponse doit nous amener à dire : "jen'attends pas de réponse ; j'attends que tu te poses la question ... et ta réponse sera labonne".

L'affaire nous échappe totalement. La formation n'est-elle pas réussieseulement à partir du moment où elle nous échappe, et où chacun peut faire dansd'autres objectifs que ceux qui sont circonscrits et définis en objectifs de résultats et deprocédures par la formation ; au-delà, par conséquent, de ce que ces objectifs disent.La formation est réussie s'il y a appropriation et prise de conscience, quandl'utilisation qui est faite de la formation échappe au formateur. Admettrons-nous quece troisième niveau de l'évaluation, que le deuxième étage de la régulation, a échappéaussi au formateur ?

Cela nous conduit donc à la nécessité Absolue d'organiser à travers desdispositifs, des situations d'évaluation, qui ne seront jamais seulement des résultats etdes procédures, mais d'organiser les possibilités et de renforcer les possibilités d'uneauto-évaluation qui ne se contente pas de porter sur des moyens, sur des objets, surdes outils et des instruments, mais qui puisse porter sur le coeur du générateur, surl'élan, sur le mouvement, sur le vivant.

Le plan de référence n'est alors plus même.(...)BONNIOL, J-J.

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Vial, M. Un dispositif d'évaluation formatrice en expression écrite au collège,Marseille, CRDP, 1987 :

(...) Rationalisation d'outils didactiques et dispositif pédagogiqueAu cours de cette année d'expérimentation, nous est apparue la nécessité de

distinguer la notion de dispositif de tâche, de celle de dispositif de classe. Une tâcheappartient à un secteur d'activité de la discipline et réagit en fonction de ce secteur ;une classe est composée de plusieurs secteurs d'activité. Le dispositif pédagogiquemis en action pour une tâche peut être ou non pertinent au dispositif de classe, et saréussite en dépend.

1. Phase d'orientation de l'actiontravail sur les représentations (et du but et des procédures pour l'atteindre) et sur lamotivation de l'élève. Construction de la carte d'étude.

1. Communication del'objectif dela tâche

2. Pré-acquisexplicitationdes termes del'objectif

3. Analyse detâches faitesa) explicitationdes critères :verbalisation,recueil sur la'fiche-commode"

b)formalisationdes critères.Elaboration,organisationde la carted'étude

c) repéragedes critèresde la cartedans desdevoirs àerreurs

4. Plan deformationindividuela) choix d'entréedans la carteb) listed'objectifsd'apprentissage

2. Phase d'exécution de l'actionMise à l'épreuve de la carte d'étude et gestion des erreurs

5. réalisationssuccessives.Essaisd'expressionécrite.

6. Réalisation de la tâcheentière mais centrationsur quelques critères :contrats personnals - auto-évaluation

7. réajustementsdu plan deformation, ajoutsd'objectifsd'apprentissage surles critères nonréalisés.

8. Réinvestissements desréussites antèrieures et dubénéfice des tâches deremédiation.Contrôle continu

3. Phase de contrôle de l'actionApprentissage à l'évaluation d'un produit

9. Utilisation defiches pourl'auto-correctionexplicitant lesattentes detraitement d'unsupport précis

1O. Hiérarchiessuccessives descritères à l'ocassiondes divers contrôles.Barème étalon etbarème modulé,différencié

11. Gestion desrésultats.Remédiation deserreurs.Modifications dela carte

12. Gradation descontrôles : degénéralisation autransfert, dusupport canoniqueau supportcomplexe.

4. Tâche suivanteDifférenciation des entrées dans le dispositif

13. Evaluation dudispositifd'apprentissage.Plan de formationdifférencié pourréaliser la tâchesuivante

14. Tâche complexe suivante,apprentissage commencé dès lepremier contrôle de la tâche 1.stratégies d'apprentissagedifférenciées. Régulations enfonction des résultats.

15. Choix : reprendre àl'étape 1 ou 3 ou 4 avecune carte donnée parl'enseignant ou 5 ou 9 .Constitution d'équipespar choix d'entrée.

Un dispositif pédagogique en évaluation formatrice

S'il était encore possible en PPO de penser ne monter qu'un ou deuxapprentissages avec pré-test, fiches programmées par items, fiches de soutien pour les

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L'évaluation comme gestion

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items échoués et puis contrôle final reprenant la totalité des items (ce qui était ledispositif habituel), en évaluation formatrice il apparaît impossible de ne pas penserla totalité de la classe selon des hypothèses de travail dont nous avons ici brossé untableau, et de ne proposer qu'une tâche par-ci, par-là. L'évaluation formatrice par lesrenversements de perspectives didactiques qu'elle suppose, induit une attitude à longterme cohérente.

La cohérence des dispositifs d'apprentissage semble bien assurer la maîtrised'objectifs fondamentaux pour lesquels on n'a plus besoin de monter desapprentissages spécifiques : l'on se demandait comment nous avions réussi àresponsabiliser nos élèves par rapport à la situation d'apprenant sans faire de cetteresponsabilisation l'objectif pédagogique d'une ou de plusieurs séquences, sans avoirprévu d'apprentissage opérationnel ; il semble que c'est la conduite même de la classe,l'organisation générale, le contrat pédagogique global, le dispositif de la classe en unmot, qui assure la réalisation de cette responsabilisation.

A vouloir gérer précisément les objectifs pédagogiques les uns après les autres,on risque toujours de morceler les situations d'apprentissage, d’énumérer les objectifssans qu'ils ne se combinent jamais. Ce qui est vrai au niveau d'une tâche, au niveaudes objectifs d'apprentissage est vrai aussi pour une année-classe : en mettant en placeun dispositif d'apprentissage complexe, on gère d'autres objectifs (et notamment lessocio-affectifs) parce qu'ils deviennent des moyens indispensables pour atteindre lesobjectifs cognitifs déclarés. Mettant en place un contrat pédagogique centré surl'apprenant, on travaille sur la combinaison d'objectifs divers et on assure leurréalisation plus sûrement que si l'on ne fait que programmer sur un parcours linéaireou même ramifié.

Ainsi de la carte d'étude : elle ne prend son sens et sa valeur que dans lalogique pédagogique ; c'est dire que le dispositif pédagogique entier, en dernier ressort,assure sa pertinence. C'est parce qu'elle n'est qu'une organisation d'éléments pour quechacun bâtisse sa base d'orientation rationnelle que la CE peut se permettre d'être, ensoi, dans une certaine mesure (qu'il faudrait quantifier ou définir) incomplète, mallibellée, voire fausse. C'est que l'évaluation formatrice renvoie aux stratégiesd'apprentissage des élèves réels que l'on a avec soi ; non plus à "Comment faire, moi,enseignant, pour qu'ils sachent (faire) ? " mais à : "Comment faisons-nous, eux etmoi, et comment puis-je les aider pour qu'ils sachent comment ils font ?". Là est lerenversement de perspective.

VIAL, M.

CARDINET, J., "Evaluation interne, externe ou négociée?", conférence de 1987,Hommage à Jean Cardinet, Fribourg, Delval, 1990, p. 139/156

(...) Appliquant les conceptions de Bonniol (1986), des enseignantsfrançais ont essayé de conduire leurs élèves à une prise en charge personnelle de lagestion de leur apprentissage. Pour cela, ils ont mis au point une démarchepédagogique où les élèves apprennent à s'auto-évaluer, mais guidés par l'enseignant,qui précise au départ les objectifs à atteindre, les critères à prendre en compte et lesindicateurs permettant de déterminer si la performance est, ou non, satisfaisante(Nunziati, 1984).

Concrètement, Vial (1987) montre comment constituer d'abord une"carte d'étude" avec la classe, en analysant des travaux déjà corrigés, pour y repérer cequi est attendu de l'élève et les erreurs à éviter. Les élèves ayant ainsi intériorisé lanorme d'évaluation rédigent ensuite leur "plan de formation" individuel, base de leurs"contrats de travail" successifs avec l'enseignant. Les prérequis peuvent alors êtrecomplétés, si nécessaire ; les exercices d’entraînement peuvent être centrés sur lesopérations qui posent le plus de problèmes à l'élève ; les notions que ce dernier a lesentiment de mal dominer suscitent de sa part une recherche documentaire appropriée.

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La discussion maître-élèves amène à confronter la logique de la matièreet celle de l'apprenant, comme à introduire au moment voulu le métalangagenécessaire pour parler des opérations à effectuer. Ce travail d'exploration en communpermet de modifier, chaque fois que cela paraît utile, la carte d'étude collective et lesplans de formation individuels, qui sont ainsi "négociés", au sens où ils sont lerésultat d'interactions multiples, l'enseignant apprenant à découvrir ce qui est possiblepour les élèves et ce qui fait obstacle pour certains, les élèves essayant de sereprésenter ce qui est attendu d'eux et le chemin pour y parvenir; (...)

Bonniol, J.J. "Recherches et formations : pour une problématique de l'évaluationformative", De Ketele, J-M. L’évaluation, approche descriptive ou prescriptive?;,Bruxelles, De Boeck, 1986, p. 119/133Nunziati, G. "Evaluation formative et réussite des élèves", Collège n°2,1984, p.18/23Vial, M. Un dispositif d'évaluation formatrice en expression écrite au collège, Marseille,CRDP, 1987

CARDINET, J.

VIAL, M. Instrumenter l'auto-évaluation - Contribution à la pensée complexedes faits d'éducation, Thèse de l'Université de Provence en Sciences del'éducation, Aix-Marseille I, 1991

(...) le dispositif pédagogique n'est pas une réalité neuve, créée de toutespièces par une pédagogie qui rêverait de devenir scientifique "par la vertu d'un discourspédagogique qui s'autorise de la science pour énoncer des règles auxquelles le praticiendevra se soumettre" (FERRY, 1983 p.14). Comme pour l'évaluation formative(BLOOM, 1972), le mot est venu après la chose : toute séance de formation eststructurée selon des principes organisateurs, le dispositif-document ne faitqu'expliciter le dispositif-vécu.

Or, la panoplie institutionnelle du formateur et de l'enseignant contient desoutils qui s'apparentent au dispositif-document, ce sont par exemple les plans deformation des formateurs d'adultes, les fiches de préparation qu'on exige desinstituteurs, les classeurs personnels de l'enseignant de Collège. Mais il n'est pas rarequ'on restreigne alors le document à la seule prévision des cours, et que la focalisationsoit avant tout didactique. Quand le déroulement pédagogique est exigé, c'est celuiprévu, rarement celui effectivement fait, presque jamais celui régulé pour uneréalisation à venir.

Distinguons donc le dispositif vécu dans l'activité, présent dans le réelscolaire, l'ordre des tâches faites ayant un sens, que ce sens soit conscient et évalué ouintuitif et jamais analysé : une dimension du vécu de l'enseignement. Puis ledocument, l'instrument qui pourrait être un outil d'auto-formation de l'enseignant etun outil de formation des enseignants d'abord.

Quand on confond ces deux réalités, en formation notamment, on parleexclusivement du document, on centre la formation sur sa construction, sa rédactionou on se contente de donner des recettes techniques de présentation du document. C'estla même situation qu'en évaluation pour les fameuses "grilles de critères" : on formeles enseignants à les fabriquer et on fonctionne comme si la grille mise enapplication allait résoudre les problèmes de l'activité. En fait, la grille de critèresmasque les problèmes de l'auto-évaluation dont on économise ainsi l'apprentissagedans la formation des maîtres, et quand ceux-ci l'appliquent, elle contrarie l'auto-évaluation de l'élève qu'elle réduit à l'exécution d'un ordre ; de même le dispositifcontrarie la conduite de la classe dont il est un moule idéal, préétabli et fixe.D'ailleurs très vite, les instituteurs par exemple, ne les fabriquent plus - que pourl'inspecteur.

Pour nous, le terme de "dispositif" désigne le déroulement des actespédagogiques prévus, réalisés puis révisés pour une autre effectuation à venir, que ce

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déroulement soit concerté, référencé à des théories ou non, improvisé, subi,rationalisé ou non. Toute séquence pédagogique contient un ou des dispositifs. Chezle même enseignant, on peut distinguer le dispositif annuel (confondu chez lesinstituteurs avec la progression annuelle des contenus), un dispositif annuel parsecteur d'activité, puis un dispositif par tâche occupant une partie seulement del'année. Ces trois types de dispositifs sont souvent pris les uns pour les autres. Pourclarifier, on peut appeler "projet pédagogique" le dispositif annuel, décrit commel'articulation des autres dispositifs (GONET, A. com. or. Université d'été deTechnologie de Marseilleveyre, 1988). Les dispositifs de secteurs s'obtiennent pararticulation des différentes tâches traitées dans leur dispositif de tâche.

La difficulté essentielle concernant la mise en circulation de dispositifs-documents est qu'ils soient suffisamment explicites pour que leurs principesorganisateurs soient compréhensibles mais suffisamment souples pour quel'enseignant les régule en fonction de son terrain.

Nous avons cherché quels renseignements seraient utiles à un enseignant quidésirerait monter ce dispositif dans sa classe. Il s'agit donc d'un document classabledans la rubrique des outils pédagogiques

Nous sommes arrivé à un ensemble d'indications contenues dans un schémadétaillé suivi en annexe des fiches employées et accompagné d'un texte comportantdes compléments d'ordre didactique, pédagogique et évaluatif.

Le schéma détaillé (schéma 1, ci-dessous, un extrait)comporte donc la chronologie des actions faites par l'enseignant et par l'élève, enclasse et à la maison (quatre axes : prof en classe ou à la maison et élève en classe ouà la maison.). Sont mises en regard les actions tenues par l'enseignant et l'élève enclasse, au centre du document, pour mettre en relief les interrelations formatives. Ladisposition des vignettes donne l'ordre d'effectuation des actions. Pour clarifier encorele trajet on a ajouté des flèches noires. Ce schéma peut être inscrit dans le sens de lalargeur des feuilles que l'on colle alors pour obtenir une seule bande donnant à voirquand on la déroule la totalité du dispositif. On peut ajouter des feuilles de papiercalque par dessus pour noter les aménagements apportés dans une réalisationparticulière. Des astérisques renvoient aux fiches données en annexes du document. Cedispositif a été proposé à un enseignant qui a provoqué par ses questions l'ajoutd'autres renseignements : il a fallu accompagner le schéma d'un texte pour situer ledispositif dans la discipline et faire passer "l'esprit" dans lequel ces actions devaientêtre faites, ce qui est le rôle des Compléments joints ((...).

Après avoir explicité toutes les actions conduites par les partenaires, on peutfaire le schéma 2 (ci-après)pour donner la vision d'ensemble du dispositif, c'estune sorte de résumé du dispositif. Ce second document peut permettre de chercher àévaluer le dispositif en distinguant ce qui est de l'ordre de la pédagogie, de ladidactique et de l'évaluation. Il est donc davantage un outil de formation ou d'auto-formation que le premier qui lui est un outil de description, de compte-rendu. (...)

Nous avons pu mettre en place des cycles didactiques, autour de tâchesporteuses des apprentissages pour lesquels on appelle tous les secteurs de la disciplineau fur et à mesure qu'on découvre la nécessité des outils didactiques. Ces cyclesdidactiques ne s'astreignent pas à suivre les principes qui définissent la dite "pédagogiede projet" (socialisation des produits et réécritures). Le principe organisateur de cescycles est la recherche des outils nécessaires à la fabrication du produit dans le cadred'un contrat de production scolaire, ce qui nécessite la communication du référentdidactique pluri-référencé et ce qui passe par la fabrication provisoire et révisée d'outilsopératoires dont le champ d'exercice doit être à chaque fois précisé et exploré pouréviter que l'élève ne les confonde avec des vérités générales scientifiques. Le passagedes outils d'analyse aux opérateurs de synthèse se fait non seulement par l'exhibition

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de critères, mais par la pratique du caractère temporaire et transitionnel de ces critères,sous forme d'énoncés hypothétiques à tester, suppositions pour la vérificationdesquelles l'élève doit pleinement exister comme évaluateur et non commeexécutant.(...)

.

Prof à la maison

Profen classe

Elève enclasse

Elève à lamaison

Propose livret"gérer la norme dela langue". Donnela couverture (cfdoc 1)

Confectionne lelivret : feuillesdoubles reliéespar papier collant*

Impose (mais dédramatise)les tâches :1. "Dictée", 2."Corriger des erreurs dansun texte donné" (Doc 2)

Ecrit sous la dictéeCorrige le mêmetexte comportantdes erreurs

Note ces deuxproduits selonle barème affiché

Entoure les erreurs----------------Corrige les erreursd'usage : motsmarqués d'C dansun triangle = àreporter dans lecarnet répertoire -orthographe àapprendre

Rend lesdeuxtâchescorrigées

Reporteles motssignalésdans sonrépertoire

Apprendles mots

Donne la tâche 3 :"expliquer un texte"et les consignes(doc3) *

Note tâche 3selon respectdes consignesEtoure leserreurs delangue

Répond auxquestions sur letexte

Rend la tâcheDicte un corrigé

Nous avons mis à jour pour rendre compte et réguler la mise en place de cescycles, l'outil dispositif, les schémas du Procès de formation, organigrammes des

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L'évaluation comme gestion

195

actes réalisés dans la classe et à la maison par l'enseignant et l'élève. Mais, pourcommuniquer l'état d'esprit, les options pédagogiques et les objectifs poursuivis,nous avons dû adjoindre au schéma des compléments d'ordre pédagogique, didactiqueet évaluatif. Ces compléments adressés aux enseignants risquent toujours dedévelopper un discours de la séduction ou de cette persuasion qui masque uneautorisation dogmatique. Néanmoins, l'écriture du document-dispositif peut être unmoyen de formation et d'auto-formation, un outil permettant l'évaluation de séquencesou de secteurs d'activités qui vaut davantage par les questions qu'il permet de se poserque par l'imposition de techniques d'ingénierie pédagogique. (...)

S ecteur : gérer l a l angue en s i tuation de communicationDispositif pédagogique opérationnelOrganigramme détaillé

Les renvoient aux compléments*

Prof. àla maison

Prof. enclasse

Elève enclasse

Elève àla maison

Propose livret"gérer la normede la langue".Donne couver-ture (Doc. 1).

Confectionne lelivret : feuillesdoubles reliéespar papier col-lant. *

Impose (maisdédramatise) lestâches1. dictée2. corriger unedes erreurs dansun texte donné(Doc. 2).

Note ces deuxtâches selon lesbarêmes affi-chés

Entoure leserreurs

Corrige les er-reurs d'usage :mots marquésd'un C dans 1triangle = à re-porter dans lecarnet répertoi-re, orthographeà apprendre.

. Ecrit sous ladictée.

. Corrige le mê-me texte compor-tant des erreurs

Note la tâche 3selon le respectdes consignes

Entoure les er-reurs de langue

Rend ces deuxtâches

Reporte les motsC dans le réper-toire.

Apprend lesmots

Donne tâche 3(expliquer un *texte) et consi-gnes (Doc. 3).

Rend la tâcheDicte un corrigé

Répond auxquestions surle texte

schéma 2 pour évaluer le dispositif

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L'évaluation comme gestio

196

Bloom, B-S. Learning for mastery. Evaluation comment, UCLA/CSEIP, 1968, vol1, n°2, p. 1/12. Republié dans Bloom et al., Handbook on formative andsummative evaluation of student learning, New York, Mc Graw Hill, 1971. Traduiten français : Apprendre pour maîtriser, Lausanne, Payot, 1972Ferry, G. Le trajet de formation, Paris, Dunod, 1983Chiss, J-L. Etudes de linguistique appliquée n°48, p.55/56, cité dans Manesse D."Sur l'enseignement de la grammaire en 6°", le français aujourd'hui n° 85, 1989,p.24

VIAL, M.

II. 2. L'exhibition des structures

2.3. L'évaluation comme mise à jours des dispositifs,point de vue des détracteurs

L'évaluation supporte la même critique que le mouvementstructuraliste en son entier : la récurrence est prise comme le critèrede l'essentiel, la répétition est le signe de l'important, de l avaleur. La structure est une mécanique fonctionnelle : il n'y a pasd'interrogation sur le sens créé par la structure (le sens est confonduavec la fonction). Tout ce qui est de l'ordre du singulier est rejetécomme non signifiant (1) : il n'y a pas de "praxis" (2). La bonnestructure devrait servir la démocratie, le bon dispositif doitdonner une bonne formation, quels qu'en soient ses utilisateurs :l'individu vient seulement "remplir" le schéma, la structure.

Le discours structuraliste en évaluation se donne commedénonciation ou prescription. C'est "l'an-historisme" dustructuralisme qui est remis en question : la "négation du sujet" dansla durée, la perte de la singularité de la personne. On a tendance àne pas prendre en compte les variations dues à la temporalité et àla rationalité limitée des acteurs : la structure cache l'acteur auprofit des principes d'actions organisées, dans une volontérationalisante.

En somme, ce management participatif des règles ne résistepas à l'idée que le structurel ne recouvre pas la totalité del'organisationnel, (3). Le structuralisme a ouvert la voie à l'analysedes fonctions mais il a buté sur l'examen des éléments de l amécanique fonctionnelle -- laquelle n'est en définitive qu'unechaîne produisant des transformations. Les éléments sont encorepensés comme régis par des relations stables, voire prédéterminées(comme par nature). Les éléments sont encore ceci ou cela, il n’estpas question d’être ceci et cela, pour accepter d’être pris dans unestructure. L'idée que les relations peuvent modifier la nature mêmedes éléments a rendu insuffisant le niveau structural.

1 Gillet, P. Pour une pédagogique , opus cité2 Imbert F., Pour une praxis pédagogique, opus cité3 Morin, E. La méthode, 4 tomes

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L'évaluation comme gestion

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VIAL, M. "Conceptions du temps et images de la régulation en évaluation",colloque AFIRSE de Caen Education, Temps et sociétés, p. 159/166, tome 2,1993

(...) II . La régulation des structures : la régulation comme aménagement.(...) Le formé (...) participe à l'institution de règles. Nécessairement

structurantes, ces règles institutionnelles mettent en scènes des cadres symboliques etsont utiles, certes, au développement de la personne (scolaire). Un aménagement ducadre d'exercice rejaillit sur le fonctionnement des sujets mais pas automatiquementdans le sens d'une ouverture, ce peut être simplement, parce qu'elles sont des règles etpas des Lois, une façon d'organiser des sutures (13). La reconnaissance des Lois dansla formation et de leur nécessité pour construire la personne (14) permettent de penserque les situations de médiations favorisent un travail de régulation dont rien negarantit ipso facto qu'il est hors du temps gestionnaire (15) .

Donc on ne peut pas dire qu'une participation à l'érection de règles, même dansle temps médiatisé par le travail commun sur les structures, va favoriser la formationdes personnes (professionnelles). Nécessaires mais non suffisantes, ces régulations-aménagement de la structure, ce management participatif des règles appelle une miseen jeu avec d'autres types de régulations (16) .(...)

8 Bonniol J-J. "Sur les régulations du fonctionnement cognitif de l'élève", Recherchessur l'évaluation des résultats scolaires, Strasbourg, 19909 Amigues, R. "Conditions de réussite et dispositif pédagogique", 198410 Vial, M. Un dispositif en évaluation formatrice, Marseille, CRDP, 198711 Cardinet, J. "Evaluation interne, externe ou négociée?", conférence de 198712 La régulation aménagement des règles de vie et d'exercice du groupe de formation estreliée à la Pédagogie Institutionnelle et au courant des "méthodes actives".13 Imbert, F. Pour une praxis pédagogique, Matrice, 198514 Imbert, F. Vers une clinique du pédagogique, Matrice, 199215 Gillet, P. Pour une pédagogique ou l'enseignant-praticien, Paris, PUF, 198716 Le structurel ne recouvre pas l'organisationnel, la vision systémique est aussinécessaire, Morin E. La méthode, 1981

VIAL, M.

II. 2. L'exhibition des structures

Figure de l'évaluateur produite

L'évaluateur dans le modèle structuraliste est un architectequi survalorise l'instrumentation, son discours est dans unerationalité instrumentale, les enseignants, par exemple, devraientsavoir communiquer les dispositifs, les écrire, les analyser pourpouvoir assurer la mise à distance nécessaire à la bonne tenue del'évaluation. Si l'évaluateur risque de s'abuser sur le pouvoir desrégulations du dispositif, c'est parce qu'il survalorisel'organisationnel et qu'il le réduit au structurel, aux schémas, sousl'effet d'une volonté gestionnaire au service d'une visée demaîtrise.

Car l'évaluateur est celui qui parle la bonne structure,appelée "évaluation formative", ou "formatrice", celle qui doitfaire réussir les élèves, pour une réussite obligatoire, parl'instrumentation des agents ; une entreprise d'intégration de

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L'évaluation comme gestio

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savoirs sous le label évaluation, sans soupçonner que le projet relèved'une problématique de l'apprentissage, confondu avecl'acquisition de normes.

AMIGUES, R. & GUIGNARD-ANDREUCCI, C. "A propos d'une recherche surl'évaluation formative en situation éducative", Bulletin de psychologie, XXXV,n°353, 1-5, p.167/172, 1981 :

L'objet de ce texte est de rendre compte des conditions de réalisation d'uneexpérience menée sur le terrain et de susciter une réflexion sur les problèmes poséspar une étude chargée d'engendrer puis de contrôler les effets de modifications depratiques éducatives.

A la demande d'une équipe de professeurs de classes techniques d'un lycéed'enseignement général, l'expérience était destinée à expérimenter des procéduresd'amélioration des performances d'élèves appartenant à la filière la plus "dévalorisée"de l'établissement (séries AB3 et G, classes de seconde, première et terminale).

La focalisation sur les conditions de production et d'évaluation des tâchesscolaires par les enseignants nous a semblé être "l'angle d'attaque" le plus pertinentpour l'installation de la recherche et pour l'action immédiate des praticiens. Enmenant une analyse préalable de l'état de fonctionnement initial des enseignants etdes élèves, nous avons utilisé une démarche comparable à celle qui esthabituellement employée en psychologie du travail. Cette analyse débouchant sur undiagnostic, nous permit de préciser "Les données du problème et les interventions lesplus appropriées pour le résoudre" (Leplat, 1971, p. 114) dont la formation desprofesseurs à la pédagogie par objectif et à l'évaluation a été la modalité essentielle.

(...) Dans un second temps, nous présenterons brièvement le cadre dans lequelces constats ont été problématisés pour engendrer une transformation des procéduresd'évaluation traditionnelles. Enfin, nous proposerons à la discussion quelquesréflexions sur l'activité de recherche intégrée à une action de changement.(...)

II - Le dispositif d'évaluation formative et l'optimisation des réalisations destâches scolaires

A la suite de Scriven (1967) qui fut le premier à utiliser cette terminologie,nous entendons par évaluation formative l'évaluation continue et interne qui a pourbut de transmettre à l'élève des informations en retour qu'il peut utiliser pouroptimaliser ses stratégies d'apprentissage ; mais l'une des fonctions qui la définissentest aussi de permettre des modifications du dispositif pédagogique de façon à accroîtrel'efficacité des procédures proposées pour faire atteindre les objectifs.

De sorte que l'évaluation formative n'est pas indépendante du fait pédagogiqueet de la conception des exercices scolaires. Aussi nous préférons utiliser le terme dedispositif d'évaluation formative qui met l'accent sur les différents éléments et sur lesliens qui unissent ces éléments dans cet ensemble.

Il convient alors d'analyser l'articulation d'une pédagogie par objectifs avecune méthode de travail.

2.1 - La définition des objectifs pédagogiques :L'évaluation de l'action éducative est de plus en plus ressentie comme

indispensable par les enseignants. On conçoit que des professionnels, quel que soitleur secteur d'activité, souhaitent avoir les moyens d'évaluer l'efficacité de leuraction. Or il est à remarquer que les enseignants sont souvent, encore à l'heureactuelle, des professionnels démunis "d'outils" de contrôle ou du moins, parmi lescatégories professionnelles, dont les problèmes d'évaluation sont probablement lesplus difficiles.

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L'évaluation comme gestion

199

Grâce à l'influence décisive de Ralph Tyler (1949), il est depuis longtempsadmis que pour l'évaluation scolaire soit moins "intuitive" et plus objectivable, ilconvient de définir les objectifs pédagogiques. La définition des objectifs est en effetessentielle dans la mesure où les "instruments" d'évaluation doivent correspondre auxobjectifs définis, et où les résultats obtenus doivent être interprétés en fonction desobjectifs poursuivis.

Ce primat des objectifs est nécessaire dans la mesure où la pédagogie parobjectifs permet à l'action éducative de disposer d'un faisceau d'objectifs quidéterminent les stratégies mises en oeuvre dans l'action pédagogique.

Toutefois, si la définition des objectifs est essentielle, elle n'est passuffisante. En effet, il faut aussi que la méthode de travail des enseignants tiennecompte de ces objectifs. Car des actions ne constituent en rien une garantie quant ausuccès de l'entreprise.

En effet, certains auteurs (Bruner et Orison, 1973 ; Glaser, 1973) privilégiantl'étude des processus indiquent que la façon dont l'enfant apprend est plus importanteque ce qu'il apprend. Cardinet (1975) remarque, toujours à propos de l'élève, que "sonmode d'acquisition prépare en effet ses méthodes d'apprentissage ultérieures" etpoursuit en notant que "c'est dans ce domaine que se situe l'essentiel de la formationque peut donner l'école" (ibid. p. 9). Dominicé (1976, p. 90) écrit, toujours dans lemême sens, que la "mise en place d'une méthode de travail est même parfois plusformatrice que le contenu auquel elle conduit".

La liaison entre objectifs pédagogiques et dispositifs de production utiliséspour témoigner de leur maîtrise constitue le cadre articulé nécessaire aufonctionnement du dispositif d'évaluation formative.(...)

Il importe de remarquer ici l'intérêt que présente une telle modification desituation pour le chercheur en psychologie qui s'intéresse aux processuspsychologiques dans leur évolution en situation naturelle.

Ce dispositif d'évaluation formative contribue ainsi à préciser lescomportements à atteindre et les dimensions sur lesquelles ces comportements serontjugés. C'est ainsi minimiser les erreurs imputables à une mauvaise interprétation desconsignes ou à une évaluation erronée du travail à réaliser.

On peut par ailleurs comme Leplat et Petit (1962) penser que "laconnaissance des critères d'évaluation du travail a une influence sur la performancedans la mesure où elle permet à l'opérateur d'exercer un auto-contrôle sur son travailen utilisant comme signal pour guider les opérations ultérieures, l'écart entre ce qu'ila déjà obtenu et ce qu'il sait être la norme.".

Il nous semblait intéressant de reprendre à la suite de Fassina et Petit (1968),cette hypothèse, jusqu'à présent éprouvée dans des formations professionnellestechniques, pour la transposer à un domaine où les moyens métriques d'évaluationsont moins évidents et où par conséquent les critères sont plus difficilementmaîtrisables en termes d'indicateurs simples à repérer, par rapport auxquels leprocessus de décision est évident.

La reprise de cette hypothèse s'est accompagnée d'un prolongement. Nousavons en effet introduit dans le dispositif d'évaluation formative, l’auto-évaluation etl'autocorrection des élèves.

2.3. L’auto-évaluation et l'autocorrection des élèves :Ces deux termes ont été introduits pour deux raisons : l'une pouvant

correspondre à une précaution supplémentaire pour pallier l'éventuelle insuffisance del'explicitation de l'objectif et des critères d'évaluation par les enseignants. L'autreplus déterminante, selon nous, parce que nous pensions que l’auto-évaluation d'unepart (c'est-à-dire la manipulation des critères par les élèves et les mises en rapport

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objectif-critère-opérations à réaliser) et l'autocorrection d'autre part (c'est-à-direl'analyse des erreurs à partir des divers référents et la correction des erreurs par lesélèves) contribueraient au fur et à mesure du déroulement de l'action à préciserdavantage les comportements à atteindre et par conséquent les stratégies à mettre enoeuvre.

L'action des élèves selon cette double perspective pourrait donner lieu à unediminution de l'incertitude quant au but à atteindre et aux opérations à effectuer, etdonc à une augmentation de la vraisemblance des réponses. Autrement dit uneamélioration des résultats scolaire serait alors attendue.

Ce dernier point fait apparaître clairement que nous plaçons la recherche,contrairement à la situation d'évaluation sommative, dans le cadre où une maîtrisedes objectifs pédagogiques (Bloom, 1972) par les élèves est possible.

L'aspect positif de l'évaluation sert l'élève dans son apprentissage, soncaractère informatif permet une analyse des erreurs et contribue à la redéfinition"permanente" de l'objectif atteint par l'élève qui exerce ainsi un rôle actif. Du pointde vue de la pratique pédagogique c'est aller à l'encontre du laconisme des consigneset du fonctionnement implicite qui semblent être de rigueur dans la situationéducative habituelle.(...)

Leplat, J. "La psychologie du travail", Reuchlin, M. Traité de psychologie appliquée, p .104/160, 1971Scriven, M. "The methodology of evaluation," Stake, Robert (ed), AERA Monographseries on evaluation, 1, Chicago, Rand Mc Nally, 1967Tyler, R. Basic principes of curriculum and instruction, Chicago, University press, 1949Bruner, J.S. & Orlson, D.R. "Apprentissage par expérience médiatisée", Perspectives, 3 ,1, p; 21/42, 1973Glaser, R. "Intelligence, learning and the new aptitudes", Leedhaw, J. Aspects o feducational technology, VII, Bath, Pittman publishing, p. 29/45, 1973Dominice, P. "Evaluation et formation, la fonction de régulation de l'évaluation dans lecadre de l'éducation des adultes"", Thèse 3° cycle, Genève, 1976Cardinet, J. L'élargissement de l'évaluation, IRDP, Neuchatel, 1975Leplat, J. & Petit, R. "Un aspect pédagogique du principe de la connaissance desrésultats", Bulletin du CERP, XI, n°4, p. 303/306, 1962Fassina A. & Petit, R. "Connaissance des critères d'évaluation du travail et réussite enatelier dans des formations professionnelles aux métiers de la mécanique", Bulletin duCERP, XVII, n°3, p. 115/130, 1968Bloom, B.S. Apprendre pour maîtriser, Paris, Payot, 1972 Amigues, R.

VIAL, M. Instrumenter l'auto-évaluation - Contribution à la pensée complexedes faits d'éducation, Thèse de l'Université de Provence en Sciences del'éducation, Aix-Marseille I, 1991 :

(...) Parler du dispositif, c'est se mettre dans la même position que de parlerdu projet. Ardoino (1987) a distingué nettement le projet-visée du projetprogrammatique, il nous faut faire le même type de distinction entre le dispositif-document, qui relate ce qui se passe dans un cours, par exemple ou dans n'importequelle situation de formation, ou ce qui va s'y passer, et le dispositif-vécu,effectivement mis en place avec ou sans l'aide du dispositif-document. On confondsouvent le dispositif, vécu, réel (existant, qu'on le veuille ou non, qu'on le sache ounon), avec le document sur lequel, au mieux, est relaté ce dispositif réel. Nous disons"au mieux" car il ne faudrait jamais oublier qu'il y a des décalages entre ce que ledocument nomme et ce qui est fait.

Un des effets de cette confusion est qu'on en arrive à croire que le dispositif-document, ne serait qu'un outil de technologie de l'éducation tiré de la panoplie del'ingénierie pédagogique : qu'on pourrait le commercialiser, le donner en modèle

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L'évaluation comme gestion

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d'action, comme du matériel en kit, pour que les enseignants par exemple, simplesexécutants, le réalisent. On voit le danger qu'une telle volonté d'instrumentationexterne représente : non pas tant dans les pratiques car un enseignant ne prend jamaistel quel un instrument, il l'adapte (et c'est parfois, mais pas toujours, dans l'autre sensdu mot exécuter qu'il faut l'entendre), le risque réside bien davantage dans l'image del'enseignant que véhiculent ces technocrates de l'éducation : un enseignant transparent,simple applicateur du matériel des autres. C'est en définitive dans la représentation del'éducation qu'ont ceux qui promulguent de tels outils que réside le danger.

Car il faut bien dire que la mise en circulation de dispositifs est aujourd'huiincontournable, sous l'effet de ce phénomène social, de cette attitude gestionnaire ouattitude du management qu'invoque Berger pour expliquer l'exigence d'évaluation : "enliaison avec un certain nombre de modèles plus ou moins issus du monde del'entreprise, en liaison avec la crise économique mais aussi avec une crise idéologiqueportant sur la notion de croissance et de progrès, nous sommes devenus économes.Nous nous posons davantage de problèmes sur nos pratiques en terme de gestion. Làencore, il n'est pas de gestion des ressources, de management de ces moyens, s'il n'y apas une capacité permanente d'analyse, d'évaluation des constructions des dispositifs àpartir desquels on agit. La notion de management conduit à celle de dispositif"(Berger, 1986).

On peut seulement regretter qu'il n'y ait pas davantage de dispositifs encirculation pour que les enseignants puissent choisir là comme ailleurs enconnaissance de cause, c'est dire que ce genre de document ne peut être donné que dansun esprit de formation (des enseignants par exemple) et pas d'application. La mise encirculation de ces dispositifs-documents pourrait alors participer de cette"réassurance" que Chartier appelle pour les instituteurs : "Une formation quiremplirait ses objectifs ne serait-ce pas celle qui permettrait aux instituteurs d'élargirconstamment leur espace de décision dans la classe ? Certains instituteurs yparviennent d'eux-mêmes ; ce sont ceux qui s'autorisent des choses que les autrescroient "infaisables". Ils ont un plaisir fabuleux, jusqu'à la veille de leur retraite, àessayer des formules neuves, si ce n'est pour accroître leur efficacité objective (on nepeut faire réussir tout le monde tout le temps), du moins pour redonner sens à desgestes qui deviennent aveugles au fil du temps. Pourquoi sont-ils seulement uneminorité ? La formation a un rôle à jouer, décisif, qui commence bien par ce rôle deréassurance." (Chartier, 1990).

Ardoino, J. "Finalement, il n'est jamais de pédagogie sans projet", Education permanenten° 87, (2), 1986 p.153/158Berger, G. "Du contrôle des apprentissages à l'évaluation des pratiques et des institutionséducatives", Rencontres d'automne, Académie de Nancy-Metz, 1986, p.75/87Chartier, A-M. "Vingt ans de formation d'instituteurs : regard sur l'invention d'un métier",Education permanente n°102, 1990, p.21/34

VIAL, M.

Lectures complémentairesà propos de l'exhibition des structures

Ardoino, J. & Berger, G. D'une évaluation en miettes à une évaluation enactes, le cas des universités, Paris, RIRELF, 1989

Ardoino, J. "Les postures (ou impostures) respectives du chercheur, del'expert et du consultant", Les nouvelles formes de la recherche enéducation, Colloque international francophone d'Alençon, Paris,

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202

Matrice ANDSHA, 1990, p.22/34 et Participation à la table ronde,p.345/355

Garcia-Debanc, C. L'élève et la production d'écrits, Centre d'analysesyntaxique de l'université de Metz, 1990, cf. chapitre "Un dispositifcohérent pour l'enseignement du français", p 200

Gonet, A & De Cesare, M. Education manuelle et technique - cycled'observation, Educalivre, 1983

Gonet, A & Corriol, A. Le projet pédagogique en technologie, CRDP Marseille,1994

Les évaluations, Colloque international francophone Carcassonne, 9-10-11mai 1991 PUM-AFIRSE , 1992, p.235/246 : l'ensemble de l'atelier 3"Les institutions évaluatives, l'institution évaluée", p. 2O6/ 27

Nadeau, P. "L'évaluation institutionnelle", Aubégny & Charpentier, Evaluationet développement des établissements d'enseignements, Universitéd'été de Romorantin de 1990, Université F. Rabelais, 1991, p. 72/ 78

Perrenoud, P. "Touche pas à mon évaluation !", Mesure et évaluation enéducation n°1 et 2, Vol 16, 19993, p. 107/132