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The Project Gutenberg EBook of Histoire de la Révolutionfrançaise, VII.by Adolphe Thiers

This eBook is for the use of anyone anywhere at no costand withalmost no restrictions whatsoever. You may copy it, giveit away orre-use it under the terms of the Project Gutenberg Licenseincludedwith this eBook or online at www.gutenberg.net

Title: Histoire de la Révolution française, VII.

Author: Adolphe Thiers

Release Date: April 8, 2004 [EBook #11964]

Language: French

*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA RVOLUTIONFRANAISE, VII. ***

Produced by Carlo Traverso, Tonya Allen, WilelminaMallière and PGDistributed Proofreaders. This file was produced fromimagesgenerously made available by the Bibliothèque nationale deFrance(BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr.

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HISTOIRE

DE LA

RÉVOLUTION

FRANÇAISE

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PAR M. A. THIERS

TOME SEPTIÈME

MDCCCXXXIX

CONVENTION NATIONALE.

CHAPITRE XXVI.CHAPITRE XXVII.CHAPITRE XXVIII.CHAPITRE XXIX.CHAPITRE XXX.CHAPITRE XXXI.

TABLE DES CHAPITRES CONTENUS DANS LETOME SEPTIÈME.

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CHAPITRE XXVI.CONTINUATION DE LA GUERRE SUR LERHIN. PRISE DE NIMÈGUE PAR LESFRANÇAIS.—POLITIQUE EXTÉRIEUREDE LA FRANCE. PLUSIEURSPUISSANCES DEMANDENT A TRAITER.—DÉCRET D'AMNISTIE POUR LAVENDÉE.—CONQUÊTE DE LAHOLLANDE PAR PICHEGRU. PRISED'UTRECHT, D'AMSTERDAM ET DESPRINCIPALES VILLES; OCCUPATIONDES SEPT PROVINCES-UNIES.NOUVELLE ORGANISATION POLITIQUEDE LA HOLLANDE.—VICTOIRES AUXPYRÉNÉES.—FIN DE LA CAMPAGNE DE1794.—LA PRUSSE ET PLUSIEURSAUTRES PUISSANCES COALISÉESDEMANDENT LA PAIX. PREMIÈRESNÉGOCIATIONS.—ÉTAT DE LA VENDÉE

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ET DE LA BRETAGNE. PUISAYE ENANGLETERRE. MESURES DE HOCHEPOUR LA PACIFICATION DE LAVENDÉE. NÉGOCIATIONS AVEC LESCHEFS VENDÉENS.

Les armées françaises, maîtresses de toute la rive gauchedu Rhin, et prêtes à déboucher sur la rive droite,menaçaient la Hollande et l'Allemagne: fallait-il les porteren avant ou les faire entrer dans leurs cantonnemens? telleétait la question qui s'offrait.

Malgré leurs triomphes, malgré leur séjour dans la richeBelgique, elles étaient dans le plus grand dénuement. Lepays qu'elles occupaient, foulé pendant trois ans pard'innombrables légions, était entièrement épuisé. Auxmaux de la guerre s'étaient joints ceux de l'administrationfrançaise, qui avait introduit à sa suite les assignats, lemaximum et les réquisitions. Des municipalitésprovisoires, huit administrations intermédiaires, et uneadministration centrale établie à Bruxelles, gouvernaient lacontrée en attendant son sort définitif. Quatre-vingtsmillions avaient été frappés sur le clergé, les abbayes, lesnobles, les corporations. Les assignats avaient été mis encirculation forcée; les prix de Lille avaient servi àdéterminer le maximum dans toute la Belgique. Les

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denrées, les marchandises utiles aux armées étaientsoumises à la réquisition. Ces règlemens n'avaient pas faitcesser la disette. Les marchands, les fermiers cachaienttout ce qu'ils possédaient; et tout manquait à l'officiercomme au soldat.

Levée en masse l'année précédente, équipée sur-le-champ, transportée en hâte à Hondschoote, Watignies,Landau, l'armée entière n'avait plus rien reçu del'administration que de la poudre et des projectiles. Depuislong-temps elle ne campait plus sous toile; elle bivouaquaitsous des branches d'arbre, malgré le commencement d'unhiver déjà très rigoureux. Beaucoup de soldats, manquantde souliers, s'enveloppaient les pieds avec des tresses depaille, ou se couvraient avec des nattes en place decapotes. Les officiers, payés en assignats, voyaient leursappointemens se réduire quelquefois à huit ou dix francseffectifs par mois; ceux qui recevaient quelques secours deleurs familles n'en pouvaient guère faire usage, car toutétait requis d'avance par l'administration française. Ilsétaient soumis au régime du soldat, marchant à pied,portant le sac sur le dos, mangeant le pain de munition, etvivant des hasards de la guerre.

L'administration semblait épuisée par l'effort extraordinairequ'elle avait fait pour lever et armer douze cent millehommes. La nouvelle organisation du pouvoir, faible etdivisée, n'était pas propre à lui rendre le nerf et l'activiténécessaires. Ainsi tout aurait commandé de faire entrer

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l'armée en quartiers d'hiver, et de la récompenser de sesvictoires et de ses vertus militaires par du repos etd'abondantes fournitures.

Cependant nous étions devant la place de Nimègue, qui,placée sur le Wahal (c'est le nom du Rhin près de sonembouchure), en commandait les deux rives, et pouvaitservir de tête de pont à l'ennemi pour déboucher à lacampagne suivante sur la rive gauche. Il était doncimportant de s'emparer de cette place avant d'hiverner;mais l'attaque en était très difficile. L'armée anglaise,rangée sur la rive droite, y campait au nombre de trente-huit mille hommes; un pont de bateaux lui fournissait lemoyen de communiquer avec la place et de la ravitailler.Outre ses fortifications, Nimègue était précédée par uncamp retranché garni de troupes. Il aurait donc fallu, pourrendre l'investissement complet, jeter sur la rive droite unearmée qui aurait eu à courir les chances du passage etd'une bataille, et qui, en cas de défaite, n'aurait eu aucunmoyen de retraite. On ne pouvait donc agir que par la rivegauche, et on était réduit à attaquer le camp retranchésans un grand espoir de succès.

Cependant les généraux français étaient décidés àessayer une de ces attaques brusques et hardies quivenaient de leur ouvrir en si peu de temps les places deMaëstricht et Venloo. Les coalisés, sentant l'importance deNimègue, s'étaient réunis à Arnheim pour concerter lesmoyens de la défendre. Il avait été convenu qu'un corps

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autrichien, sous les ordres du général Wernek, passerait àla solde anglaise, et formerait la gauche du duc d'York pourla défense de la Hollande. Tandis que le duc d'York, avecses Anglais et ses Hanovriens, resterait sur la rive droitedevant le pont de Nimègue, et renouvellerait les forces dela place, le général Wernek devait tenter du côté de Wesel,fort au-dessus de Nimègue, un mouvement singulier, queles militaires expérimentés ont jugé l'un des plus absurdesque la coalition ait imaginés pendant toutes cescampagnes. Ce corps, profitant d'une île que forme le Rhinvers Buderich, devait passer sur la rive gauche, et essayerune pointe entre l'armée de Sambre-et-Meuse et celle duNord. Ainsi vingt mille hommes allaient être jetés au-delàd'un grand fleuve entre deux armées victorieuses, dequatre-vingt à cent mille hommes chacune, pour voir queleffet ils produiraient sur elles: on devait les renforcersuivant l'événement. On conçoit que ce mouvement,exécuté avec les armées coalisées réunies, pût devenirgrand et décisif; mais essayé avec vingt mille hommes, iln'était qu'une tentative puérile et peut-être désastreusepour le corps qui en serait chargé.

Néanmoins, croyant sauver Nimègue par ces moyens, lescoalisés firent d'une part avancer le corps de Wernek versBuderich, et de l'autre exécuter des sorties par la garnisonde Nimègue. Les Français repoussèrent les sorties, et,comme à Maëstricht et Venloo, ouvrirent la tranchée à uneproximité de la place encore inusitée à la guerre. Unhasard heureux accéléra leurs travaux. Les deux extrémités

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de l'arc qu'ils décrivaient autour de Nimègue aboutissaientau Wahal; ils essayaient de tirer de ces extrémités sur lepont. Quelques-uns de leurs projectiles atteignirentplusieurs pontons, et mirent en péril les communications dela garnison avec l'armée anglaise. Les Anglais, qui étaientdans la place, surpris de cet événement imprévu,rétablirent les pontons, et se hâtèrent de rejoindre le grosde leur armée sur l'autre rive, abandonnant à elle-même lagarnison, composée de trois mille Hollandais. A peine lesrépublicains se furent-ils aperçus de l'évacuation, qu'ilsredoublèrent le feu. Le gouverneur, épouvanté, fit part auprince d'Orange de sa position, et obtint la permission dese retirer dès qu'il jugerait le péril assez grand. A peineeut-il reçu cette autorisation, qu'il repassa le Wahal de sapersonne. Le désordre se mit dans la garnison; une partierendit les armes; une autre, ayant voulu se sauver sur unpont volant, fut arrêtée par les Français, qui coupèrent lescâbles, et vint échouer dans une île où elle fut faiteprisonnière.

Le 18 brumaire (8 novembre), les Français entrèrent dansNimègue, et se trouvèrent maîtres de cette placeimportante, grâce à leur témérité et à la terreurqu'inspiraient leurs armes. Pendant ce temps, lesAutrichiens, commandés par Wernek, avaient essayé dedéboucher de Wesel; mais l'impétueux Vandamme,fondant sur eux au moment où ils mettaient le pied au-delàdu Rhin, les avait rejetés sur la rive droite, et ils étaient fortheureux de n'avoir pas obtenu plus de succès, car ils

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auraient couru la chance d'être détruits, s'ils se fussentavancés davantage.

Le moment était enfin arrivé d'entrer dans lescantonnemens, puisqu'on était maître de tous les pointsimportans sur le Rhin. Sans doute, conquérir la Hollande,s'assurer ainsi la navigation de trois grands fleuves,l'Escaut, la Meuse et le Rhin; priver l'Angleterre de sa pluspuissante alliance maritime, menacer l'Allemagne sur sesflancs, interrompre les communications de nos ennemis ducontinent avec ceux de l'Océan, ou du moins les obliger àfaire le long circuit de Hambourg; nous ouvrir enfin la plusriche contrée du monde, et la plus désirable pour nousdans l'état où se trouvait notre commerce, était un butdigne d'exciter l'ambition de notre gouvernement et de nosarmées; mais comment oser tenter cette conquête de laHollande, presque impossible en tout temps, mais surtoutinexécutable dans la saison des pluies? Située àl'embouchure de plusieurs fleuves, la Hollande ne consistequ'en quelques lambeaux de terre jetés entre les eaux deces fleuves et celles de l'Océan. Son sol, partout inférieurau lit de eaux, est sans cesse menacé par la mer, le Rhin,la Meuse, l'Escaut, et coupé en outre par de petits brasdétachés des fleuves, et par une multitude de canauxartificiels. Ces bas-fonds si menacés sont couverts dejardins, de villes manufacturières et d'arsenaux. A chaquepas que veut y faire une armée, elle trouve ou de grandsfleuves, dont les rives sont des digues élevées et chargéesde canons, ou des bras de rivières et des canaux, tous

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défendus par l'art des fortifications, ou enfin des places quisont les plus fortes de l'Europe. Ces grandes manoeuvres,qui souvent déconcertent la défense méthodique enrendant les siéges inutiles, sont donc impossibles au milieud'un pays coupé et défendu par des lignes innombrables.Si une armée parvient cependant à vaincre tant d'obstacleset à s'avancer en Hollande, ses habitans, par un acted'héroïsme dont ils donnèrent l'exemple sous Louis XIV,n'ont qu'à percer leurs digues, et peuvent engloutir avecleur pays l'armée assez téméraire pour y pénétrer. Il leurreste leurs vaisseaux, avec lesquels ils peuvent, comme lesAthéniens, s'enfuir avec leurs principales dépouilles, etattendre des temps meilleurs, ou aller dans les Indeshabiter un vaste empire qui leur appartient. Toutes cesdifficultés deviennent bien plus grandes encore dans lasaison des inondations, et une alliance maritime telle quecelle de l'Angleterre les rend insurmontables.

Il est vrai que l'esprit d'indépendance qui travaillait lesHollandais à cette époque, leur haine du stathoudérat, leuraversion contre l'Angleterre et la Prusse, la connaissancequ'ils avaient de leurs intérêts véritables, leursressentimens de la révolution si malheureusement étoufféeen 1787, donnaient la certitude aux armées françaisesd'être vivement désirées. On devait croire que lesHollandais s'opposeraient à ce qu'on perçât les digues, etqu'on ruinât le pays pour une cause qu'ils détestaient. Maisl'armée du prince d'Orange, celle du duc d'York lescomprimaient encore, et réunies, elles suffisaient pour

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empêcher le passage des innombrables lignes qu'il fallaitemporter en leur présence. Si donc une surprise étaittéméraire du temps de Dumouriez, elle était presque folle àla fin de 1794.

Néanmoins le comité de salut public, excité par lesréfugiés hollandais, songeait sérieusement à pousser unepointe au-delà du Wahal. Pichegru, presque aussi maltraitéque ses soldats, qui étaient couverts de gale et devermine, était allé à Bruxelles se faire guérir d'une maladiecutanée. Moreau et Régnier l'avaient remplacé: tous deuxconseillaient le repos et les quartiers d'hiver. Le généralhollandais Daendels, réfugié hollandais, militaire intrépide,proposait avec instance une première tentative sur l'île deBommel, sauf à ne pas poursuivre si cette attaque neréussissait pas. La Meuse et le Wahal, coulantparallèlement vers la mer, se joignent un moment fort au-dessous de Nimègue, se séparent de nouveau, et seréunissent encore à Wondrichem, un peu au-dessus deGorcum. Le terrain compris entre leurs deux bras forme cequ'on appelle l'île de Bommel. Malgré l'avis de Moreau etRégnier, une attaque fut tentée sur cette île par trois pointsdifférens: elle ne réussit pas, et fut abandonnée sur-le-champ avec une grande bonne foi, surtout de la part deDaendels, qui s'empressa d'en avouer l'impossibilité dèsqu'il l'eut reconnue.

Alors, c'est-à-dire vers le milieu de frimaire(commencement de décembre), on donna à l'armée les

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quartiers d'hiver dont elle avait tant besoin, et on établit unepartie des cantonnemens autour de Breda pour en formerle blocus. Cette place et celle de Grave ne s'étaient pasrendues, mais le défaut de communications pendant ladurée de l'hiver devait certainement les obliger à se rendre.

C'est dans cette position que l'armée croyait voir s'acheverla saison; et certes, elle avait assez fait pour être fière desa gloire et de ses services. Mais un hasard presquemiraculeux lui réservait de nouvelles destinées: le froid,déjà très vif, augmenta bientôt au point de faire espérerque peut-être les grands fleuves seraient gelés. Pichegruquitta Bruxelles, et n'acheva pas de se faire guérir, afind'être prêt à saisir l'occasion de nouvelles conquêtes, si lasaison la lui offrait. En effet, l'hiver devint bientôt plus rude,et s'annonça comme le plus rigoureux du siècle. Déjà laMeuse et le Wahal charriaient et leurs bords étaient pris.Le 3 nivôse (23 décembre), la Meuse fut entièrementgelée, et de manière à pouvoir porter du canon. Le généralWalmoden, à qui le duc d'York avait laissé lecommandement en partant pour l'Angleterre, et qu'il avaitcondamné ainsi à n'essuyer que des désastres, se vit dansla position la plus difficile. La Meuse étant glacée, son frontse trouvait découvert; et le Wahal charriant, menaçantmême d'emporter tous les ponts, sa retraite étaitcompromise. Bientôt même il apprit que le pont d'Arnheimvenait d'être emporté; il se hâta de faire filer sur sesderrières ses bagages et sa grosse cavalerie, et lui-mêmedirigea sa retraite sur Deventer, vers les bords de l'Yssel.

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Pichegru, profitant de l'occasion que lui offrait la fortune desurmonter des obstacles ordinairement invincibles, seprépara à franchir la Meuse sur la glace. Il se disposa à lapasser sur trois points, et à s'emparer de l'île de Bommel,tandis que la division qui bloquait Breda attaquerait leslignes qui entouraient cette place. Ces braves Français,exposés presque sans vêtemens au plus rude hiver dusiècle, marchant avec des souliers auxquels il ne restaitque l'empeigne, sortirent aussitôt de leurs quartiers, etrenoncèrent gaiement au repos dont ils commençaient àpeine à jouir. Le 8 nivôse (28 décembre), par un froid dedix-sept degrés, ils se présentèrent sur trois points, àCrèvecoeur, Empel et le fort Saint-André; ils franchirent laglace avec leur artillerie, surprirent les Hollandais, presqueengourdis par le froid, et les défirent complètement. Tandisqu'ils s'emparaient de l'île de Bommel, celle de leursdivisions qui assiégeait Breda en attaqua les lignes, et lesemporta. Les Hollandais, assaillis sur tous les points, seretirèrent en désordre, les uns vers le quartier-général duprince d'Orange, qui s'était toujours tenu à Gorcum, lesautres à Thiel. Dans le désordre de leur retraite, ils nesongèrent pas même à défendre les passages du Wahal,qui n'était pas entièrement gelé. Pichegru, maître de l'île deBommel, dans laquelle il avait pénétré en passant sur lesglaces de la Meuse, franchit le Wahal sur différens points,mais n'osa pas s'aventurer au-delà du fleuve, la glacen'étant pas assez forte pour porter du canon. Dans cettesituation, le sort de la Hollande était désespéré si la geléecontinuait, et tout annonçait que le froid durerait. Le prince

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d'Orange avec ses Hollandais découragés à Gorcum,Walmoden avec ses Anglais en pleine retraite surDeventer, ne pouvaient tenir contre un vainqueurformidable, qui leur était de beaucoup supérieur en forces,et qui venait d'enfoncer le centre de leur ligne. La situationpolitique n'était pas moins alarmante que la situationmilitaire. Les Hollandais, pleins d'espérance et de joie envoyant s'approcher les Français, commençaient à s'agiter.Le parti orangiste était de beaucoup trop faible pourimposer au parti républicain. Partout les ennemis de lapuissance stathoudérienne lui reprochaient d'avoir aboli leslibertés du pays, d'avoir enfermé ou banni les meilleurs etles plus généreux patriotes, d'avoir surtout sacrifié laHollande à l'Angleterre, en l'entraînant dans une alliancecontraire à tous ses intérêts commerciaux et maritimes. Ilsse réunissaient secrètement en comités révolutionnaires,prêts à se soulever au premier signal, à destituer lesautorités, et à en nommer d'autres. La province de Frise,dont les états étaient assemblés, osa déclarer qu'ellevoulait se séparer du stathouder; les citoyens d'Amsterdamfirent une pétition aux autorités de la province, danslaquelle ils déclaraient qu'ils étaient prêts à s'opposer àtout préparatif de défense, et qu'ils ne souffriraient jamaissurtout qu'on voulût percer les digues. Dans cette situationdésespérée, le stathouder songea à négocier, et adressades envoyés au quartier-général de Pichegru, pourdemander une trève, et offrir pour conditions de paix laneutralité et une indemnité des frais de la guerre. Legénéral français et les représentans refusèrent la trève; et,

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quant aux offres de paix, en référèrent aussitôt au comitéde salut public. Déjà l'Espagne, menacée par Dugommier,que nous avons laissé descendant des Pyrénées, et parMoncey, qui, maître du Guipuscoa, s'avançait surPampelune, avait fait des propositions d'accommodement.Les représentans envoyés en Vendée, pour examiner siune pacification était possible, avaient réponduaffirmativement et demandé un décret d'amnistie. Quelquesecret que soit un gouvernement, toujours les négociationsde ce genre transpirent: elles transpirent même avec desministres absolus, inamovibles; comment seraient-ellesrestées secrètes avec des comités renouvelés par quarttous les mois? On savait dans le public que la Hollande,l'Espagne, faisaient des propositions; on ajoutait que laPrusse, revenue de ses illusions, et reconnaissant la fautequ'elle avait faite de s'allier à la maison d'Autriche,demandait à traiter; on savait par tous les journaux del'Europe qu'à la diète de Ratisbonne plusieurs états del'Empire, fatigués d'une guerre qui les touchait peu, avaientdemandé l'ouverture d'une négociation: tout disposait doncles esprits à la paix; et de même qu'ils étaient revenus desidées de terreur révolutionnaire à des sentimens declémence, ils passaient maintenant des idées de guerre àcelles d'une réconciliation générale avec l'Europe. Onrecueillait les moindres circonstances pour en tirer desconjectures. Les malheureux enfans de Louis XVI, privésde tous leurs parens, et séparés l'un de l'autre dans laprison du Temple, avaient vu leur sort un peu améliorédepuis le 9 thermidor. Le cordonnier Simon, gardien du

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jeune prince, avait péri comme complice de Robespierre.On lui avait substitué trois gardiens, dont un seul changeaitchaque jour, et qui montraient au jeune prince plusd'humanité. On tirait de ces changemens opérés auTemple de vastes conséquences. Le travail projeté sur lesmoyens de retirer les assignats donnait lieu aussi à degrandes conjectures. Les royalistes, qui se montraientdéjà, et dont le nombre s'augmentait de ces incertains quiabandonnent toujours un parti qui commence à faiblir,disaient avec malice qu'on allait faire la paix. Ne pouvantplus dire aux républicains: Vos armées seront battues, cequi avait été répété trop souvent sans succès, et ce quidevenait trop niais, ils leur disaient: On va les arrêter dansla victoire; la paix est signée; on n'aura pas le Rhin; lacondition de la paix sera le rétablissement de Louis XVIIsur le trône, la rentrée des émigrés, l'abolition desassignats, la restitution des biens nationaux. On conçoitcombien de tels bruits devaient irriter les patriotes. Ceux-ci, déjà effrayés des poursuites dirigées contre eux,voyaient avec désespoir le but qu'ils avaient poursuivi avectant d'effort, compromis par le gouvernement. A quoidestinez-vous le jeune Capet? disaient-ils; qu'allez-vousfaire des assignats? Nos armées n'auront-elles versé tantde sang que pour être arrêtées au milieu de leursvictoires? n'auront-elles pas la satisfaction de donner à leurpatrie la ligne du Rhin et des Alpes? L'Europe a vouludémembrer la France; la juste représaille de la Francevictorieuse sur l'Europe doit être de conquérir les provincesqui complètent son sol. Que va-t-on faire pour la Vendée?

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Va-t-on pardonner aux rebelles quand on immole lespatriotes? «Il vaudrait mieux, s'écria un membre de laMontagne dans un transport d'indignation, être Charetteque député à la convention.»

On conçoit combien tous ces sujets de division, joints àceux que la politique intérieure fournissait déjà, devaientagiter les esprits. Le comité de salut public, se voyantpressé entre les deux partis, se crut obligé de s'expliquer: ilvint déclarer à deux reprises différentes, une première foispar l'organe de Carnot, une autre fois par celui de Merlin(de Douai), que les armées avaient reçu ordre depoursuivre leurs triomphes, et de n'entendre lespropositions de paix qu'au milieu des capitales ennemies.

Les propositions de la Hollande lui parurent en effet troptardives pour être acceptées, et il ne crut pas devoirconsentir à négocier à l'instant où on allait être maître dupays. Abattre la puissance stathoudérienne, relever larépublique hollandaise, lui sembla digne de la républiquefrançaise. On s'exposa, à la vérité, à voir toutes lescolonies de la Hollande et même une partie de sa marine,devenir la proie des Anglais, qui déclareraient s'enemparer au nom du stathouder; mais les considérationspolitiques devaient l'emporter. La France ne pouvait pas nepas abattre le stathoudérat; cette conquête de la Hollandeajoutait au merveilleux de ses victoires, intimidaitdavantage l'Europe, compromettait surtout les flancs de laPrusse, obligeait cette puissance à traiter sur-le-champ, et

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par-dessus tout rassurait les patriotes français. Enconséquence Pichegru eut ordre de ne plus s'arrêter. LaPrusse, l'Empire, n'avaient encore fait aucune ouverture, eton n'eut rien à leur répondre. Quant à l'Espagne, quipromettait de reconnaître la république et de lui payer desindemnités, à condition qu'on ferait vers les Pyrénées unpetit état à Louis XVII, elle fut écoutée avec mépris etindignation, et ordre fut donné aux deux généraux françaisde s'avancer sans relâche. Quant à la Vendée, un décretd'amnistie fut rendu: il portait que tous les rebelles, sansdistinction de grade, qui poseraient les armes dansl'intervalle d'un mois, ne seraient pas poursuivis pour le faitde leur insurrection.

Le général Canclaux, destitué à cause de sa modération,fut replacé à la tête de l'armée dite de l'Ouest, quicomprenait la Vendée. Le jeune Hoche, qui avait déjà lecommandement de l'armée des côtes de Brest, reçut enoutre celui de l'armée des côtes de Cherbourg: personnen'était plus capable que ces deux généraux de pacifier lepays, par le mélange de la prudence et de l'énergie.

Pichegru, qui avait reçu ordre de poursuivre sa marchevictorieuse, attendait que la surface du Wahal fûtentièrement prise. Notre armée longeait le fleuve; elle étaitrépandue sur ses bords vers Millingen, Nimègue, et tout lelong de l'île de Bommel, dont nous étions maîtres.Walmoden, voyant que Pichegru, vers Bommel, n'avaitlaissé que quelques avant-postes sur la rive droite, les

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replia, et commença un mouvement offensif. Il proposait auprince d'Orange de se joindre à lui, pour former de leursdeux armées réunies une masse imposante, qui pût arrêterpar une bataille l'ennemi qu'on ne pouvait plus contenirmaintenant par la ligne des fleuves. Le prince d'Orange,tenant à ne pas découvrir la route d'Amsterdam, ne voulutjamais quitter Gorcum. Walmoden songea à se placer surla ligne de retraite, qu'il avait tracée d'avance du Wahal à làLinge, de la Linge au Leck, du Leck à l'Yssel, par Thiel,Arnheim et Deventer.

Tandis que les républicains attendaient la gelée avec laplus vive impatience, la place de Grave, défendue avec uncourage héroïque par le commandant Debons, se renditpresque réduite en cendres. C'était la principale desplaces que les Hollandais possédaient au-delà de laMeuse, et la seule qui n'eût pas cédé à l'ascendant de nosarmes. Les Français y entrèrent le 9 nivôse (29 décembre).Enfin, le 19 nivôse (8 janvier 1795), le Wahal se trouvasolidement gelé. La division Souham le franchit versBommel; la brigade Dewinther, détachée du corps deMacdonald, le traversa vers Thiel. A Nimègue et au-dessus, le passage n'était pas aussi facile, parce que leWahal n'était pas entièrement pris. Néanmoins le 21 (10),la droite des Français le passa au-dessus de Nimègue, etMacdonald, appuyé par elle, passa à Nimègue même dansdes bateaux. En voyant ce mouvement général, l'armée deWalmoden se retira. Une bataille seule aurait pu la sauver;mais dans l'état de division et de découragement où se

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trouvaient les coalisés, une bataille n'aurait peut-êtreamené qu'un désastre. Walmoden exécuta un changementde front en arrière, en se portant sur la ligne de l'Yssel, afinde gagner le Hanovre par les provinces de la terre ferme.Conformément au plan de retraite qu'il s'était tracé, ilabandonna ainsi les provinces d'Utrecht et de la Gueldreaux Français. Le prince d'Orange resta vers la mer, c'est-à-dire à Gorcum. N'espérant plus rien, il abandonna sonarmée, se présenta aux états réunis à La Haye, leurdéclara qu'il avait essayé tout ce qui était en son pouvoirpour la défense du pays, et qu'il ne lui restait plus rien àfaire. Il engagea les représentans à ne pas résisterdavantage au vainqueur, pour ne pas amener de plusgrands malheurs. Il s'embarqua aussitôt après pourl'Angleterre.

Dès cet instant, les vainqueurs n'avaient plus qu'à serépandre comme un torrent dans toute la Hollande. Le 28nivôse (17 janvier), la brigade Salm entra à Utrecht, et legénéral Vandamme à Arnheim. Les états de Hollandedécidèrent qu'on ne résisterait plus aux Français, et quedes commissaires iraient leur ouvrir les places dont ilscroiraient avoir besoin pour leur sûreté. De toutes parts, lescomités secrets qui s'étaient formés manifestaient leurexistence, chassaient les autorités établies, et ennommaient spontanément de nouvelles. Les Françaisétaient reçus à bras ouverts et comme des libérateurs: onleur apportait les vivres, les vêtemens dont ils manquaient.A Amsterdam, où ils n'étaient pas entrés encore, et où on

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les attendait avec impatience, la plus grande fermentationrégnait: La bourgeoisie, irritée contre les orangistes,voulait que la garnison sortît de la ville, que la régence sedémît de son autorité, et qu'on rendit leurs armes auxcitoyens. Pichegru, qui approchait, envoya un aide-de-camp pour engager les autorités municipales à maintenir lecalme et à empêcher les désordres. Le 1er pluviôse enfin(20 janvier), Pichegru, accompagné des représentansLacoste, Bellegarde et Joubert, fit son entrée dansAmsterdam. Les habitans accoururent à sa rencontre,portant en triomphe les patriotes persécutés et criant, vivela république française! vive Pichegru! vive la liberté!!! Ilsadmiraient ces braves gens, qui, à moitié nus, venaient debraver un pareil hiver et de remporter tant de victoires. Lessoldats français donnèrent dans cette occasion le plus belexemple d'ordre et de discipline. Privés de vivres et devêtemens, exposés à la glace et à la neige, au milieu del'une des plus riches capitales de l'Europe, ils attendirentpendant plusieurs heures, autour de leurs armes rangéesen faisceaux, que les magistrats eussent pourvu à leursbesoins et à leurs logemens. Tandis que les républicainsentraient d'un côté, les orangistes et les émigrés françaisfuyaient de l'autre. La mer était couverte d'embarcationschargées de fugitifs et de dépouilles de toute espèce.

Le même jour, 1er pluviôse, la division Bonnaud, qui venaitla veille de s'emparer de Gertruydemberg, traversa leBiesbos gelé, et entra dans la ville de Dordrecht, où elletrouva six cents pièces de canon, dix mille fusils, et des

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magasins de vivres et des munitions pour une armée detrente mille hommes. Cette division traversa ensuiteRotterdam pour entrer à La Haye, où siégeaient les états.Ainsi, la droite vers l'Yssel, le centre vers Amsterdam, lagauche vers La Haye, prenaient successivementpossession de toutes les provinces. Le merveilleux lui-même vint s'ajouter à cette opération de guerre déjà siextraordinaire. Une partie de la flotte hollandaise mouillaitprès du Texel. Pichegru, qui ne voulait pas qu'elle eût letemps de se détacher des glaces et de faire voile versl'Angleterre, envoya des divisions de cavalerie et plusieursbatteries d'artillerie légère vers la Nord-Hollande. LeZuyderzée était gelé: nos escadrons traversèrent au galopces plaines de glace, et l'on vit des hussards et desartilleurs à cheval sommer comme une place forte cesvaisseaux devenus immobiles. Les vaisseaux hollandaisse rendirent à ces assaillans d'une espèce si nouvelle.

A la gauche, il ne restait plus qu'à s'emparer de la provincede Zélande, qui se compose des îles placées àl'embouchure de l'Escaut et de la Meuse; et à la droite, desprovinces de l'Over-Yssel, Drenthe, Frise et Groningue, quijoignent la Hollande au Hanovre. La province de Zélande,forte de sa position inaccessible, proposa une capitulationun peu fière, par laquelle elle demandait à ne pas recevoirde garnison dans ses principales places, à ne pas êtresoumise à des contributions, à ne pas recevoird'assignats, à conserver ses vaisseaux et ses propriétéspubliques et particulières, en un mot à ne subir aucun des

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inconvéniens de la guerre. Elle demandait aussi pour lesémigrés français la faculté de se retirer sains et saufs. Lesreprésentans acceptèrent quelques-uns des articles de lacapitulation, ne prirent aucun engagement quant auxautres, disant qu'il fallait en référer au comité de salutpublic; et sans plus d'explications, ils entrèrent dans laprovince, fort contens d'éviter les dangers d'une attaque devive force, et de conserver les escadres, qui auraient puêtre livrées à l'Angleterre. Tandis que ces choses sepassaient à la gauche, la droite franchissant l'Yssel,chassait les Anglais devant elle, et les rejetait jusqu'au-delàde l'Ems. Les provinces de Frise, de Drenthe et deGroningue, se trouvèrent ainsi conquises, et les septProvinces-Unies soumises aux armes victorieuses de larépublique.

Cette conquête, due à la saison, à la constance admirablede nos soldats, à leur heureux tempérament pour résister àtoutes les souffrances, beaucoup plus qu'à l'habileté de nosgénéraux, excita en Europe un étonnement mêlé de terreur,et en France un enthousiasme extraordinaire. Carnot, ayantdirigé les opérations des armées pendant la campagnedes Pays-Bas, était le premier et véritable auteur dessuccès. Pichegru, et surtout Jourdan, l'avaient secondé àmerveille pendant cette suite sanglante de combats. Maisdepuis qu'on avait passé de la Belgique en Hollande, toutétait dû aux soldats et à la saison. Néanmoins Pichegru,général de l'armée, eut toute la gloire de cette conquêtemerveilleuse, et son nom, porté sur les ailes de la

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renommée, circula dans toute l'Europe comme celui dupremier général français.

Ce n'était pas tout d'avoir conquis la Hollande, il fallait s'yconduire avec prudence et politique. D'abord il importait dene pas fouler le pays, pour ne point indisposer les habitans.Après ce soin, il restait à imprimer à la Hollande unedirection politique, et on allait se trouver entre deuxopinions contraires. Les uns voulaient qu'on rendît cetteconquête utile à la liberté, en révolutionnant la Hollande; lesautres voulaient qu'on n'affichât pas un trop grand esprit deprosélytisme, afin de ne pas alarmer de nouveau l'Europeprête à se réconcilier avec la France.

Le premier soin des représentans fut de publier uneproclamation, dans laquelle ils déclaraient qu'ilsrespecteraient toutes les propriétés particulières, exceptécependant celles du stathouder; que ce dernier étant leseul ennemi de la république française, ses propriétésétaient dues aux vainqueurs en dédommagement des fraisde la guerre; que les Français entraient en amis de lanation batave, non point pour lui imposer ni un culte, ni uneforme de gouvernement quelconques, mais pour l'affranchirde ses oppresseurs, et lui rendre les moyens d'exprimerson voeu. Cette proclamation, suivie de véritables effets,produisit l'impression la plus favorable. Partout lesautorités furent renouvelées sous l'influence française. Onexclut des états quelques membres qui n'y avaient étéintroduits que par l'influence stathoudérienne; on choisit

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pour président Petter Paulus, ministre de la marine avant lerenversement du parti républicain en 1787, hommedistingué et très attaché à son pays. Cette assembléeabolit le stathoudérat à perpétuité, et proclama lasouveraineté du peuple. Elle vint en informer lesreprésentans, et leur faire hommage en quelque sorte desa résolution. Elle se mit à travailler ensuite à uneconstitution, et confia à une administration provisoire lesaffaires du pays. Sur les quatre-vingts ou quatre-vingt-dixvaisseaux composant la marine militaire de Hollande,cinquante étaient demeurés dans les ports et furentconservés à la république batave; les autres avaient étéssaisis par les Anglais. L'armée hollandaise, dissoutedepuis le départ du prince d'Orange, dut se réorganiser surun nouveau pied, et sous les ordres du général Daendels.Quant à la fameuse banque d'Amsterdam, le mystère desa caisse fut enfin dévoilé. Avait-elle continué à êtrebanque de dépôt, ou bien était-elle devenue banque,d'escompte en prêtant, soit à la compagnie des Indes, soitau gouvernement, soit aux provinces? Telle était laquestion qu'on s'adressait depuis long-temps, et quidiminuait singulièrement le crédit de cette banque célèbre.Il fut constaté qu'elle avait prêté pour huit à dix millions deflorins environ sur les obligations de la compagnie desIndes, de la chambre des emprunts, de la province deFrise et de la ville d'Amsterdam. C'était là une violation deses statuts. On prétendit que, du reste, il n'y avait pas dedéficit, parce que ces obligations représentaient desvaleurs certaines. Mais il fallait que la compagnie, la

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chambre des emprunts, le gouvernement, pussent payer,pour que les obligations acceptées par la banque nedonnassent pas lieu à déficit.

Cependant, tandis que les Hollandais songeaient à réglerl'état de leur pays, il fallait pourvoir aux besoins de l'arméefrançaise, qui manquait de tout. Les représentant firent endraps, en souliers, en vêtemens de toute espèce, en vivreset munitions, une réquisition au gouvernement provisoire, àlaquelle il se chargea de satisfaire. Cette réquisition, sansêtre excessive, était suffisante pour équiper l'armée et lanourrir. Le gouvernement hollandais invita les villes à fournirchacune leur part de cette réquisition, leur disant avecraison qu'il fallait se hâter de satisfaire un vainqueurgénéreux, qui demandait au lieu de prendre, et quin'exigeait tout juste que ce que réclamaient ses besoins.Les villes montrèrent le plus grand empressement, et lesobjets mis en réquisition furent fournis exactement. On fitensuite un arrangement pour la circulation des assignats.Les soldats ne recevant leur solde qu'en papier, il fallaitque ce papier eût cours de monnaie pour qu'ils pussentpayer ce qu'ils prenaient. Le gouvernement hollandaisrendit une décision à cet égard. Les boutiquiers et lespetits marchands étaient obligés de recevoir les assignatsde la main des soldats français, au taux de neuf sous pourfranc; ils ne pouvaient vendre pour plus de dix francs aumême soldat; ils devaient ensuite, à la fin de chaquesemaine, se présenter aux municipalités, qui retiraient lesassignats au taux d'après lequel ils avaient été reçus.

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Grâce à ces divers arrangemens, l'armée, qui avait souffertsi long-temps, se trouva enfin dans l'abondance, etcommença à goûter le fruit de ses victoires.

Nos triomphes si surprenans en Hollande n'étaient pasmoins éclatans en Espagne. Là, grâce au climat, lesopérations avaient pu continuer. Dugommier, quittant lesHautes-Pyrénées, s'était porté en présence de la ligneennemie, et avait attaqué sur trois points la longue chaînedes positions prises par le général La Union. Le braveDugommier fut tué d'un boulet de canon à l'attaque ducentre. La gauche n'avait pas été heureuse; mais sa droite,grâce à la bravoure et à l'énergie d'Augereau, avait obtenuune victoire complète. Le commandement avait été donnéà Pérignon, qui recommença l'attaque le 30 brumaire (20novembre), et remporta un succès décisif. L'ennemi avaitfui en désordre, et nous avait laissé le camp retranché deFiguières. La terreur même s'emparant des Espagnols, lecommandant de Figuières nous avait ouvert la place le 9frimaire, et nous étions entrés ainsi dans l'une despremières forteresses de l'Europe. Telle était notreposition en Catalogne. Vers les Pyrénées occidentales,nous avions pris Fontarabie, Saint-Sébastien, Tolosa, etnous occupions toute la province de Guipuscoa. Moncey,qui remplaçait le général Muller, avait franchi lesmontagnes, et s'était porté jusqu'aux portes de Pampelune.Cependant, croyant sa position trop hasardée, il étaitrevenu sur ses pas, et, appuyé sur des positions plussûres, il attendait le retour de la belle saison pour pénétrer

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dans les Castilles. L'hiver donc n'avait pu arrêter le coursde cette immortelle campagne, et elle venait de s'achever,au milieu de la saison des neiges et des frimas, enpluviôse, c'est-à-dire en janvier et février. Si la bellecampagne de 93 nous avait sauvés de l'invasion par ledéblocus de Dunkerque, de Maubeuge et de Landau, cellede 94 venait de nous ouvrir la carrière des conquêtes, ennous donnant la Belgique, la Hollande, les pays comprisentre Meuse et Rhin, le Palatinat, la ligne des grandesAlpes, la ligne des Pyrénées, et plusieurs places enCatalogne et en Biscaye. Plus tard on verra de plusgrandes merveilles encore; mais ces deux campagnesresteront dans l'histoire comme les plus nationales, les pluslégitimes et les plus honorables pour la France.

La coalition ne pouvait résister à tant et de si rudessecousses. Le cabinet anglais, qui, par les fautes du ducd'York, n'avait perdu que les états de ses alliés; qui, sousprétexte de les rendre au stathouder, venait de gagnerquarante ou cinquante vaisseaux, et qui allait s'emparersous le même prétexte des colonies hollandaises; lecabinet anglais pouvait n'être pas pressé de terminer laguerre; il tremblait au contraire de la voir finir par ladissolution de la coalition; mais la Prusse, qui apercevaitles Français sur les bords du Rhin et de l'Ems, et qui voyaitle torrent prêt à se déborder sur elle, la Prusse n'hésitaplus; elle envoya sur-le-champ au quartier-général dePichegru un commissaire pour stipuler une trève, etpromettre d'ouvrir immédiatement des négociations de

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paix. Le lieu choisi pour ces négociations fut Bâle, où larépublique française avait un agent qui s'était attiré unegrande considération auprès des Suisses, par seslumières et sa modération. Le prétexte employé pourchoisir ce lieu fut qu'on pourrait y traiter avec plus de secretet de repos qu'à Paris même, où fermentaient encore tropde passions, et où se croisaient une multitude d'intriguesétrangères; mais ce n'était point là le motif véritable. Touten faisant des avances de paix à cette république qu'ons'était promis d'anéantir par une seule marche militaire, onvoulait dissimuler l'aveu d'une défaite, et on aimait mieuxvenir chercher la paix en pays neutre qu'au milieu de Paris.Le comité de salut public, moins altier que sonprédécesseur, et sentant la nécessité de détacher laPrusse de la coalition, consentit à revêtir son agent à Bâlede pouvoirs suffisans pour traiter. La Prusse envoya lebaron de Goltz, et les pouvoirs furent échangés à Bâle le 3pluviôse an III (22 janvier 1795).

L'Empire avait tout autant d'envie de se retirer de lacoalition que la Prusse. La plupart de ses membres,incapables de fournir le quintuple contingent et lessubsides votés sous l'influence de l'Autriche, s'étaientlaissé inutilement presser, pendant toute la campagne, detenir leurs engagemens. Excepté ceux qui avaient leursétats compromis au-delà du Rhin, et qui voyaient bien quela république ne les leur rendrait pas, à moins d'y êtreforcée, tous désiraient la paix. La Bavière, la Suède pour leduché de Holstein, l'électeur de Mayence, et plusieurs

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autres états, avaient dit qu'il était temps de mettre fin parune paix acceptable à une guerre ruineuse; que l'empiregermanique n'avait eu pour but que le maintien desstipulations de 1648, et n'avait pris fait et cause que pourceux de ses états voisins de l'Alsace et de la Lorraine; qu'ilsongeait à sa conservation et non à son agrandissement;que jamais son intention n'avait été ni pu être de se mêlerdu gouvernement intérieur de la France; que cettedéclaration pacifique devait être faite au plus tôt, pourmettre un terme aux maux qui affligeaient l'humanité; que laSuède, garante des stipulations de 1648, et heureusementrestée neutre au milieu de cette guerre universelle, pourraitse charger de la médiation. La majorité des votes avaitaccueilli cette proposition. L'électeur de Trèves, privé deses états, l'envoyé impérial pour la Bohême et l'Autriche,avaient déclaré seuls que sans doute il fallait rechercher lapaix, mais qu'elle n'était guère possible avec un pays sansgouvernement. Enfin, le 25 décembre, la diète avait publiéprovisoirement un conclusum tendant à la paix, sauf àdécider ensuite par qui la proposition serait faite. Le sensd u conclusum était que, tout en faisant les préparatifsd'une nouvelle campagne, on n'en devait pas moins fairedes ouvertures de paix; que sans doute la France, touchéedes maux de l'humanité, convaincue qu'on ne voulait passe mêler de ses affaires intérieures, consentirait à desconditions honorables pour les deux partis.

Ainsi, quiconque avait commis des fautes songeait à lesréparer, s'il en était temps encore. L'Autriche, quoique

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épuisée par ses efforts, avait trop perdu en perdant lesPays-Bas, pour songer à poser les armes. L'Espagneaurait voulu se retirer; mais, engagée dans les intriguesanglaises, et retenue par une fausse honte dans la causede l'émigration française, elle n'osait pas encore demanderla paix.

Le découragement qui s'emparait des ennemis extérieursde la république gagnait aussi ses ennemis intérieurs. LesVendéens, divisés, épuisés, n'étaient pas éloignés de lapaix; pour les décider, il n'y avait qu'à la leur proposeradroitement, et la leur faire espérer sincère. Les forces deStofflet, Sapinaud et Charette, étaient singulièrementréduites. Ce n'était plus que par contrainte qu'ils faisaientmarcher leurs paysans. Ceux-ci, fatigués de carnage, etsurtout ruinés par les dévastations, auraient volontiersabandonné cette horrible guerre. Il ne restait d'entièrementdévoués aux chefs que quelques hommes d'untempérament tout à fait militaire, des contrebandiers, desdéserteurs, des braconniers, pour lesquels les combats etle pillage étaient devenus un besoin, et qui se seraientennuyés des travaux agricoles; mais ceux-là étaient peunombreux; ils composaient la troupe d'élite, constammentréunie, mais très insuffisante pour soutenir les effortsrépublicains. Ce n'était qu'avec la plus grande peine qu'onpouvait, les jours d'expédition, arracher les paysans à leurschamps. Ainsi les trois chefs vendéens n'avaient presqueplus de forces. Malheureusement pour eux, ils n'étaient pasmême unis. On a vu que Stofflet, Sapinaud et Charette,

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avaient fait à Jalais des conventions qui n'étaient qu'unajournement de leurs rivalités. Bientôt Stofflet, inspiré parl'ambitieux abbé Bernier, avait voulu organiser son arméeà part, et se donner des finances, une administration, toutce qui constitue enfin une puissance régulière; et, dans cebut, il voulait fabriquer un papier-monnaie. Charette, jalouxde Stofflet, s'était vivement opposé à ses desseins.Secondé de Sapinaud, dont il disposait, il avait somméStofflet de renoncer à son projet, et de comparaître devantle conseil commun institué par les conventions de Jalais.Stofflet refusa de répondre. Sur son refus, Charette déclarales conventions de Jalais annulées. C'était en quelquesorte le dépouiller de son commandement, car c'était àJalais qu'ils s'étaient réciproquement reconnu leurs titres.La brouille était donc complète, et ne leur permettait pasde remédier à l'épuisement par le bon accord. Quoique lesagens royalistes de Paris eussent mission de liercorrespondance avec Charette, et de lui faire arriver leslettres du régent, rien n'était encore parvenu à ce chef.

La division de Scépeaux, entre la Loire et la Vilaine,présentait le même spectacle. En Bretagne, il est vrai,l'énergie était moins relâchée: une longue guerre n'avaitpoint épuisé les habitans. La chouannerie était unbrigandage lucratif, qui ne fatiguait nullement ceux qui s'ylivraient, et d'ailleurs un chef unique, et d'une persévérancesans égale, était là pour ranimer l'ardeur prête à s'éteindre.Mais ce chef, qui, comme on l'a vu, n'attendait pour partirque d'avoir achevé l'organisation de la Bretagne, venait de

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se rendre à Londres, afin d'entrer en communication avecle cabinet anglais et les princes français. Puisaye avaitlaissé, pour le remplacer auprès du comité central, enqualité de major-général, un sieur Desotteux, se disantbaron de Cormatin. Les émigrés, si abondans dans lescours de l'Europe, étaient fort rares en Vendée, enBretagne, partout où l'on faisait cette pénible guerre civile.Ils affectaient un grand mépris pour ce genre de service, etappelaient cela chouanner. Par cette raison, les sujetsmanquaient, et Puisaye avait pris cet aventurier qui venaitde se parer du titre de baron de Cormatin, parce que safemme avait hérité en Bourgogne d'une petite baronnie dece nom. Il avait été tour à tour chaud révolutionnaire, officierde Bouillé, puis chevalier du poignard, et enfin il avaitémigré, cherchant partout un rôle. C'était un énergumène,parlant et gesticulant avec une grande vivacité, et capabledes plus subits changemens. Tel est l'homme que Puisaye,sans le connaître assez, laissa en Bretagne.

Puisaye avait eu soin d'organiser une correspondance parles îles de Jersey; mais son absence se prolongeait,souvent ses lettres n'arrivaient pas; Cormatin n'étaitnullement capable de suppléer à sa présence, et deranimer les courages; les chefs s'impatientaient où sedécourageaient, et ils voyaient les haines, calmées par laclémence de la convention, se relâcher autour d'eux, et lesélémens de la guerre civile se dissoudre. La présence d'ungénéral comme Hoche était peu propre à les encourager;de sorte que la Bretagne, quoique moins épuisée que la

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Vendée, était tout aussi disposée à recevoir une paixadroitement offerte.

Canclaux et Hoche étaient tous deux fort capables de lafaire réussir. On a déjà vu agir Canclaux dans la premièreguerre de la Vendée: il avait laissé dans le pays unegrande réputation de modération et d'habileté. L'arméequ'on lui donnait à commander était considérablementaffaiblie par les renforts continuels envoyés aux Pyrénéeset sur le Rhin, et, de plus, entièrement désorganisée par unsi long séjour dans les mêmes lieux. Par le désordreordinaire des guerres civiles, l'indiscipline l'avait gagnée,et il s'en était suivi le pillage, la débauche, l'ivrognerie, lesmaladies. C'était la seconde rechute de cette arméedepuis le commencement de cette guerre funeste. Surquarante-six mille hommes dont elle se composait, quinzeou dix-huit étaient dans les hôpitaux; les trente mille restantétaient mal armés et la moitié gardait les places: ainsiquinze mille tout au plus étaient disponibles. Canclaux se fitdonner vingt mille hommes, dont quatorze mille pris àl'armée de Brest, et six à celle de Cherbourg. Avec cerenfort il doubla tous les postes, fit reprendre le camp deSorinières près de Nantes, récemment enlevé parCharette, et se porta en forces sur le Layon, qui formait laligne défensive de Stofflet dans le Haut-Anjou. Après avoirpris cette attitude imposante, il répandit en quantité lesdécrets et la proclamation de la convention, et envoya desémissaires dans tout le pays.

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Hoche, habitué à la grande guerre, doué de qualitéssupérieures pour la faire, se voyait avec désespoircondamné à une guerre civile sans générosité, sanscombinaisons, sans gloire. Il avait d'abord demandé sonremplacement; mais il s'était résigné bientôt à servir sonpays dans un poste désagréable et trop obscur pour sestalens. Il allait être récompensé de cette résignation entrouvant, sur le théâtre même qu'il voulait quitter, l'occasionde déployer les qualités d'un homme d'état autant quecelles d'un général. Son armée était entièrement affaibliepar les renforts envoyés à Canclaux; il avait à peinequarante mille hommes mal organisés pour garder un payscoupé, montagneux, boisé, et plus de trois cent cinquantelieues de côtes depuis Cherbourg jusqu'à Brest. On luipromit douze mille hommes tirés du Nord. Il demandaitsurtout des soldats habitués à la discipline, et il se mitaussitôt à corriger les siens des habitudes contractéesdans la guerre civile. «Il faut, disait-il, ne mettre en tête denos colonnes que des hommes disciplinés, qui puissent semontrer aussi vaillans que modérés, et être desmédiateurs autant que des soldats.» Il les avait formés enune multitude de petits camps, et il leur recommandait dese répandre par troupes de quarante et cinquante, dechercher à acquérir la connaissance des lieux, des'habituer à cette guerre de surprises, de lutter d'artificeavec les chouans, de parler aux paysans, de se lier aveceux, de les rassurer, de s'attirer leur amitié et même leurconcours. «Ne perdons jamais de vue, écrivait-il à sesofficiers, que la politique doit avoir beaucoup de part à

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cette guerre. Employons tour à tour l'humanité, la vertu, laprobité, la force, la ruse, et toujours la dignité qui convient àdes républicains.» En peu de temps il avait donné à cettearmée un autre aspect et une autre attitude; l'ordreindispensable à la pacification y était revenu. C'est lui qui,mêlant envers ses soldats l'indulgence à la sévérité,écrivait ces paroles charmantes à l'un de ses lieutenansqui se plaignait trop amèrement de quelques excèsd'ivrognerie. «Eh! mon ami, si les soldats étaientphilosophes, ils ne se battraient pas!... Corrigeonscependant les ivrognes, si l'ivresse les fait manquer à leurdevoir.» Il avait conçu les idées les plus justes sur le pays,et sur la manière de le pacifier. «Il faut des prêtres à cespaysans, écrivait-il, laissons-les-leur, puisqu'ils en veulent.Beaucoup ont souffert, et soupirent après leur retour à lavie agricole; qu'on leur donne quelques secours pourréparer leurs fermes. Quant à ceux qui ont pris l'habitudede la guerre, les rejeter dans leur pays est impossible, ils letroubleraient de leur oisiveté et de leur inquiétude. Il faut enformer des légions et les enrôler dans les armées de larépublique. Ils feront d'excellens soldats d'avant-garde; etleur haine de la coalition, qui ne les a pas secourus, nousgarantit leur fidélité. D'ailleurs que leur importe la cause? illeur faut la guerre. Souvenez-vous, ajoutait-il, des bandesde Duguesclin allant détrôner Pierre-le-Cruel, et durégiment levé par Villars dans les Cévennes.» Tel était lejeune général appelé à pacifier ces malheureusescontrées.

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Les décrets de la convention répandus à profusion enVendée et en Bretagne, l'élargissement des suspects, soità Nantes, soit à Rennes, la grâce accordée à madame deBonchamp, qui fut sauvée par un décret de la mortprononcée contre elle, l'annulation de toutes lescondamnations non exécutées, la liberté accordée àl'exercice des cultes, la défense de dévaster les églises,l'élargissement des prêtres, la punition de Carrier et de sescomplices, commencèrent à produire l'effet qu'on enattendait dans les deux pays, et disposèrent les esprits àprofiter de l'amnistie commune promise aux chefs et auxsoldats. Les haines s'apaisaient, et le courage avec elles.Les représentans en mission à Nantes eurent desentrevues avec la soeur de Charette, et lui firent parvenir,par son intermédiaire, le décret de la convention. Il étaitdans ce moment réduit aux abois. Quoique doué d'uneopiniâtreté sans pareille, il ne pouvait pas se passerd'espérance, et il n'en voyait luire d'aucun côté. La cour deVérone, où il jouissait de tant d'admiration, comme on l'a vuplus haut, ne faisait cependant rien pour lui. Le régentvenait de lui écrire une lettre dans laquelle il le nommaitlieutenant-général, et l'appelait le second fondateur de lamonarchie. Mais, confiée aux agens de Paris, cette lettre,qui aurait pu du moins alimenter sa vanité, ne lui était pasencore parvenue. Il avait, pour la première fois, demandédes secours à l'Angleterre, et envoyé son jeune aide-de-camp, La Roberie, à Londres; mais il n'en avait pas denouvelles. Ainsi pas un mot de récompense oud'encouragement, ni de ces princes auxquels il se

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dévouait, ni de ces puissances dont il secondait lapolitique. Il consentit donc à une entrevue avec Canclaux etles représentans du peuple.

A Rennes, le rapprochement désiré fut encore amené parla soeur de l'un des chefs. Le nommé Botidoux, l'un desprincipaux chouans du Morbihan, avait appris que sasoeur, qui était à Rennes, venait d'être enfermée à causede lui. On l'engagea à s'y rendre pour obtenir sonélargissement. Le représentant Boursault lui rendit sasoeur, le combla de caresses, le rassura sur l'intention dugouvernement, et parvint à le convaincre de la sincérité dudécret d'amnistie. Botidoux s'engagea à écrire au nomméBois-Hardi, jeune chouan intrépide, qui commandait ladivision des Côtes-du-Nord, et qui passait pour le plusredoutable des révoltés. «Quelles sont vos espérances? luiécrivit-il. Les armées républicaines sont maîtresses duRhin. La Prusse demande la paix. Vous ne pouvez comptersur la parole de l'Angleterre; vous ne pouvez compter surdes chefs qui ne vous écrivent que d'outre-mer, ou qui vousont abandonné sous prétexte d'aller chercher des secours;vous ne pouvez plus faire qu'une guerre d'assassinats.»Bois-Hardi, embarrassé de cette lettre, et ne pouvantquitter les Côtes-du-Nord, où des hostilités encore assezactives exigeaient sa présence, engagea le comité centralà se rendre auprès de lui, pour répondre à Botidoux. Lecomité, à la tête duquel se trouvait Cormatin, commemajor-général de Puisaye, se rendit auprès de Bois-Hardi.Il y avait dans l'armée républicaine un jeune général, hardi,

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brave, plein d'esprit naturel, et surtout de cette finessequ'on dit être particulière à la profession qu'il avait autrefoisexercée, celle de maquignon: c'était le général Humbert.«Il était, dit Puisaye, du nombre de ceux qui n'ont que tropprouvé qu'une année de pratique à la guerre suppléeavantageusement à tous les apprentissages d'esplanade.»Il écrivit une lettre dont le style et l'orthographe furentdénoncés au comité de salut public, mais qui était telle qu'ille fallait pour toucher Bois-Hardi et Cormatin. Il y eut uneentrevue. Bois-Hardi montra la facilité d'un jeune militairecourageux, point haineux, et se battant par caractère plutôtque par fanatisme; toutefois il ne s'engagea à rien, etlaissa faire Cormatin. Ce dernier, avec son inconséquencehabituelle, tout flatté d'être appelé à traiter avec lesgénéraux de la puissante république française, accueillittoutes les ouvertures de Humbert, et demanda à être misen rapport avec les généraux Hoche et Canclaux, et avecles représentans. Des entrevues furent convenues, le jouret le lieu fixés. Le comité central fit des reproches àCormatin pour s'être trop avancé. Celui-ci, joignant laduplicité à l'inconséquence, assura le comité qu'il ne voulaitpas trahir sa cause; qu'en acceptant une entrevue, il voulaitobserver de près les ennemis communs, juger leurs forceset leurs dispositions. Il donna surtout deux raisonsimportantes selon lui: premièrement, on n'avait jamais vuCharette, on ne s'était jamais concerté avec lui; endemandant à le voir sous prétexte de rendre la négociationcommune à la Vendée comme à la Bretagne, il pourraitl'entretenir des projets de Puisaye, et l'engager à y

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concourir. Secondement, Puisaye, compagnon d'enfancede Canclaux, lui avait écrit une lettre capable de le toucher,et renfermant les offres les plus brillantes pour le gagner àla monarchie. Sous prétexte d'une entrevue, Cormatin luiremettrait la lettre, et achèverait l'ouvrage de Puisaye.Affectant ainsi le rôle de diplomate habile auprès de sescollègues, Cormatin obtint l'autorisation d'aller entamer unenégociation simulée avec les républicains, pour seconcerter avec Charette et séduire Canclaux. Il écrivit àPuisaye dans ce sens, et partit, la tête pleine des idées lesplus contraires; tantôt fier de tromper les républicains, decomploter sous leurs yeux, de leur enlever un général;tantôt enorgueilli d'être le médiateur des insurgés auprèsdes représentans de la république, et prêt, dans cetteagitation d'idées, à être dupe en voulant faire des dupes. Ilvit Hoche; il lui demanda d'abord une trève provisoire, etexigea ensuite la faculté de visiter tous les chefs dechouans l'un après l'autre, pour leur inspirer des vuespacifiques, de voir Canclaux, et surtout Charette, pour seconcerter avec ce dernier, disant que les Bretons nepouvaient se séparer des Vendéens. Hoche et lesreprésentans lui accordèrent ce qu'il demandait; mais ils luidonnèrent Humbert pour l'accompagner et assister à toutesles entrevues. Cormatin, au comble de ses voeux, écrivaitau comité central et à Puisaye que ses artificesréussissaient, que les républicains étaient ses dupes, qu'ilallait raffermir les chouans, donner le mot à Charette,l'engager seulement à temporiser en attendant la grandeexpédition, et enfin séduire Canclaux. Il se mit ainsi à

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parcourir la Bretagne, voyant partout les chefs, les étonnantpar des paroles de paix et par cette trève singulière. Tousne comprenaient pas ses finesses, et se relâchaient deleur courage. La cessation des hostilités faisait aimer lerepos et la paix, et, sans qu'il s'en doutât, Cormatinavançait la pacification. Lui-même commençait à y êtreporté; et, tandis qu'il voulait duper les républicains, c'étaientles républicains qui, sans le vouloir, le trompaient lui-même. Pendant ce temps, on avait fixé avec Charette lejour et le lieu de l'entrevue. C'était près de Nantes.Cormatin devait s'y rendre, et là devaient commencer lesnégociations. Cormatin, tous les jours plus embarrassédes engagemens qu'il prenait avec les républicains,commençait à écrire plus rarement au comité central, et lecomité, voyant la tournure qu'allaient prendre les choses,écrivait à Puisaye en nivôse: «Hâtez-vous d'arriver. Lescourages sont ébranlés; les républicains séduisent leschefs. Il faut venir, ne fût-ce qu'avec douze mille hommes,avec de l'argent, des prêtres et des émigrés. Arrivez avantla fin de janvier (pluviôse).» Ainsi, tandis que l'émigration etles puissances fondaient tant d'espérances sur Charette etsur la Bretagne, une négociation allait pacifier ces deuxcontrées. En pluviôse (janvier-février), la république traitaitdonc à Bâle avec l'une des principales puissances, et àNantes avec les royalistes, qui l'avaient jusqu'ici combattueet méconnue.

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CHAPITRE XXVII.

RÉOUVERTURE DES SALONS, DESSPECTACLES, DES RÉUNIONSSAVANTES; ÉTABLISSEMENT DESÉCOLES PRIMAIRES, NORMALE, DEDROIT ET DE MÉDECINE; DÉCRETSRELATIFS AU COMMERCE, AL'INDUSTRIE, A L'ADMINISTRATION DELA JUSTICE ET DES CULTES.—DISETTEDES SUBSISTANCES DANS L'HIVER DEL'AN III.—DESTRUCTION DES BUSTESDE MARAT.—ABOLITION DU MAXIMUMET DES RÉQUISITIONS.—SYSTÈMESDIVERS SUR LES MOYENS DE RETIRERLES ASSIGNATS.—AUGMENTATION DELA DISETTE A PARIS.—RÉINTÉGRATIONDES DÉPUTÉS GIRONDINS.—SCÈNESTUMULTUEUSES A L'OCCASION DE LA

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DISETTE; AGITATION DESRÉVOLUTIONNAIRES; INSURRECTIONDU 12 GERMINAL; DÉTAILS DE CETTEJOURNÉE.—DÉPORTATION DEBARRÈRE, BILLAUD-VARENNES ETCOLLOT-D'HERBOIS.—ARRESTATIONDE PLUSIEURS DÉPUTÉSMONTAGNARDS.—TROUBLES DANSLES VILLES.—DÉSARMEMENT DESPATRIOTES.

Les jacobins étaient dispersés, les principaux agens ouchefs du gouvernement révolutionnaire poursuivis, Carriermis à mort, plusieurs autres députés recherchés pour leursmissions; enfin Billaud-Varennes, Collot-d'Herbois, Barrèreet Vadier étaient mis en état de prévention, et destinés àêtre traduits bientôt devant le tribunal de leurs collègues.Mais tandis que la France cherchait ainsi à se venger deshommes qui avaient exigé d'elle des efforts douloureux, etl'avaient condamnée à un régime terrible, elle revenait avecpassion aux plaisirs, aux douceurs des arts et de lacivilisation, dont ces hommes la privèrent un instant. Nousavons déjà vu avec quelle ardeur on se préparait à jouir decet hiver, avec quel goût singulier et nouveau les femmes

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avaient cherché à se parer, avec quel empressement on serendait aux concerts de la rue Feydeau. Maintenant tousles spectacles étaient rouverts. Les acteurs de la ComédieFrançaise étaient sortis de prison: Larive, Saint-Prix, Molé,Dazincourt, Saint-Phal, mesdemoiselles Contat, Devienne,avaient reparu sur la scène. On se portait aux spectaclesavec fureur. On y applaudissait tous les passages quipouvaient faire allusion à la terreur; on y chantait l'air duRéveil du peuple; on y proscrivait la Marseillaise. Dansles loges paraissaient les beautés du temps, femmes ouamies des thermidoriens; dans le parterre, la jeunessedorée de Fréron semblait narguer par ses plaisirs, par saparure et par son goût, ces terroristes sanguinaires,grossiers, qui, disait-on, avaient voulu chasser toutecivilisation. Les bals étaient suivis avec le mêmeempressement. On en vit un où il n'était personne qui n'eûtperdu des parens dans la révolution: on l'appela le bal desvictimes. Les lieux publics consacrés aux arts étaient aussirouverts. La convention, qui avec toutes les passions a eutoutes les grandes idées, avait ordonné la formation d'unmusée, où l'on réunissait aux tableaux que possédait déjàla France ceux que nous procurait la conquête. Déjà on yavait transporté ceux de l'école flamande conquis enBelgique. Le Lycée, où La Harpe avait célébré toutrécemment la philosophie et la liberté en bonnet rouge, leLycée, fermé pendant la terreur, venait d'être rendu aupublic, grâce aux bienfaits de la convention, qui avait faitune partie des frais de l'établissement, et qui avaitdistribué quelques centaines de cartes aux jeunes gens de

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distribué quelques centaines de cartes aux jeunes gens dechaque section. Là, on entendait La Harpe déclamercontre l'anarchie, la terreur, l'avilissement de la langue, lephilosophisme, et tout ce qu'il avait vanté autrefois, avantque cette liberté, qu'il célébrait sans la connaître, eûteffrayé sa petite âme. La convention avait accordé despensions à presque tous les gens de lettres, à tous lessavans, sans aucune distinction d'opinions. Elle venait dedécréter les écoles primaires, où le peuple devaitapprendre les élémens de la langue parlée et écrite, lesrègles du calcul, les principes de l'arpentage, et quelquesnotions pratiques sur les principaux phénomènes de lanature; les écoles centrales, destinées aux classes plusélevées, et où la jeunesse devait apprendre lesmathématiques, la physique, la chimie, l'histoire naturelle,l'hygiène, les arts et métiers, les arts du dessin, les belles-lettres, les langues anciennes, les langues vivantes les plusappropriées aux localités, la grammaire générale, lalogique et l'analyse, l'histoire, l'économie politique, lesélémens de législation, le tout dans l'ordre le mieuxapproprié au développement de l'esprit; l'école normale, oùdevaient se former, sous les savans et les littérateurs lesplus célèbres, de jeunes professeurs, qui ensuite iraientrépandre dans toute la France l'instruction puisée au foyerdes lumières; enfin les écoles spéciales de médecine, dedroit, d'art vétérinaire. Outre ce vaste système d'éducationdestiné à répandre, à propager cette civilisation qu'onaccusait si injustement la révolution d'avoir bannie; laconvention vota des encouragemens pour des travaux de

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toute espèce. L'établissement de diverses manufacturesvenait d'être ordonné. On avait donné aux Suissesexpatriés pour cause de troubles, des domaines nationauxà Besançon, afin d'y former une manufacture d'horlogerie.La convention avait demandé en outre à ses comités desprojets de canaux, des plans de banque, et un systèmed'avances pour certaines provinces ruinées par la guerre.Elle avait adouci quelques lois qui pouvaient nuire àl'agriculture et au commerce. Une foule de cultivateurs etd'ouvriers avaient quitté l'Alsace, lorsqu'elle fut évacuée parWurmser, Lyon pendant le siège, et tout le Midi depuis lesrigueurs exercées contre le fédéralisme. Elle les distinguades émigrés, et rendit une loi par laquelle les laboureurs,les ouvriers sortis de France depuis le 1er mai 1798, etdisposés à y rentrer avant le 1er germinal, ne seraient pasconsidérés comme émigrés. La loi des suspects, dont ondemandait le rapport, fut maintenue; mais elle n'était plusredoutable qu'aux patriotes, qui étaient devenus lessuspects du jour. Le tribunal révolutionnaire venait d'êtreentièrement recomposé, et ramené à la forme destribunaux criminels ordinaires: il y avait juges, jurés etdéfenseurs. On ne pouvait plus juger sur pièces écrites etsans entendre les témoins. La loi qui permettait la misehors des débats, et qui avait été rendue contre Danton,était rapportée. Les administrations de district devaientcesser d'être permanentes, excepté dans les villes au-dessus de cinquante mille ames. Enfin le grand intérêt duculte était réglé par une loi nouvelle. Cette loi rappelaitqu'en vertu de la déclaration des droits, tous les cultes

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étaient libres; mais elle déclarait que l'état n'en salariaitplus aucun, et n'en permettait plus la célébration publique.Chaque secte pouvait construire, louer des édifices, et selivrer aux pratiques de son culte dans l'intérieur de cesédifices. Enfin, pour remplacer les anciennes cérémoniesde la religion catholique, et celles de la Raison, laconvention venait de faire un plan de fêtes décadaires. Elleavait combiné la danse, la musique et les exhortationsmorales, de manière à rendre profitables les plaisirs dupeuple, et à produire sur son imagination des impressionsà la fois utiles et agréables. Ainsi, distraite du soinpressant de se défendre, la révolution dépouillait sesformes violentes, et revenait à sa mission véritable, cellede favoriser les arts, l'industrie, les lumières et lacivilisation.

Mais tandis qu'on voyait les lois cruelles disparaître, leshautes classes se recomposer et se livrer aux plaisirs, lesclasses inférieures souffraient d'une affreuse disette, etd'un froid presque inconnu dans nos climats. Cet hiver del'an III, qui nous avait permis de traverser à pied sec lesfleuves et les bras de mer de la Hollande, nous faisaitpayer cher cette conquête, en condamnant le peuple desvilles et des campagnes à de rudes souffrances. C'étaitsans contredit le plus rigoureux du siècle: il surpassaitencore celui qui précéda l'ouverture des états-généraux en1789. Les subsistances manquaient par différentescauses. La principale était l'insuffisance de la récolte.Quoiqu'elle se fût annoncée très belle, la sécheresse, puis

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les brouillards, avaient trompé toutes les espérances. Lebattage avait été négligé, comme dans les annéesprécédentes, soit par le défaut de bras, soit par lamauvaise volonté des fermiers. Les assignats baissanttous les jours, et étant tombés récemment au dixième deleur valeur, le maximum était devenu plus oppressif, et larépugnance à y obéir, les efforts pour s'y soustraire plusgrands. Les fermiers faisaient partout de faussesdéclarations, et étaient aidés dans leurs mensonges parles municipalités qui venaient, comme on sait, d'êtrerenouvelées. Composées presque toutes d'hommesmodérés, elles secondaient volontiers la désobéissanceaux lois révolutionnaires; enfin tous les ressorts de l'autoritéétant relâchés, et le gouvernement ayant cessé de fairepeur, les réquisitions pour l'approvisionnement des arméeset des grandes communes n'étaient plus obéies. Ainsi, lesystème extraordinaire des approvisionnemens, destiné àsuppléer au commerce, se trouvait désorganisé bien avantque le commerce eût repris son mouvement naturel. Ladisette devait être plus sensible encore dans les grandescommunes, toujours plus difficiles à approvisionner. Parisétait menacé d'une famine plus cruelle qu'aucune de cellesdont on avait eu peur dans le cours de la révolution. Auxcauses générales se réunissaient des causes toutesparticulières. Par la suppression de la communeconspiratrice du 9 thermidor, le soin d'alimenter Paris avaitété transmis de la commune à la commission decommerce et d'approvisionnement: il était résulté de cechangement une interruption dans les services. Les ordres

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avaient été donnés fort tard, et avec une précipitationdangereuse. Les moyens de transport manquaient; tous leschevaux, comme on l'a vu, avaient été crevés, et outre ladifficulté de réunir des quantités suffisantes de blé, il y avaitencore celle de le transporter à Paris. Les lenteurs, lespillages sur les routes, tous les accidens ordinaires desdisettes, déjouaient les efforts de la commission. A ladisette des subsistances se joignait celle des bois dechauffage et du charbon. Le canal de Briare avait étédesséché pendant tout l'été. Les charbons de terre n'étantpas arrivés, les usines avaient consumé tout le charbon debois. Les coupes de bois avaient été tardivementordonnées, et les entrepreneurs de flottage, vexés par lesautorités locales, étaient entièrement découragés. Lescharbons, le bois manquaient donc, et, par cet affreuxhiver, cette disette de combustible était aussi funeste quecelle des grains.

Ainsi, une souffrance cruelle dans les basses classescontrastait avec les plaisirs nouveaux auxquels se livraientles classes élevées. Les révolutionnaires, irrités contre legouvernement, suivaient l'exemple de tous les partis battus,et se servaient des maux publics comme d'autantd'argumens contre les chefs actuels de l'état. Ilscontribuaient même à augmenter ces maux, en contrariantles ordres de l'administration. «N'envoyez pas vos blés àParis, disaient-ils aux fermiers; le gouvernement est contre-révolutionnaire, il fait rentrer les émigrés, il ne veut pasmettre en vigueur la constitution, il laisse pourrir les grains

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dans les magasins de la commission de commerce; il veutaffamer le peuple pour l'obliger à se jeter dans les bras dela royauté.» Ils engageaient ainsi les possesseurs degrains à les garder. Ils quittaient leurs communes pour serendre dans les grandes villes où ils étaient inconnus, ethors de la portée de ceux qu'ils avaient persécutés. Là, ilsrépandaient le trouble. A Marseille, ils venaient de faire denouvelles violences aux représentans, qu'ils avaient obligésà suspendre les procédures commencées contre lesprétendus complices de la terreur. Il avait fallu mettre la villeen état de siége. C'est à Paris surtout qu'ils s'amassaienten grand nombre, et qu'ils étaient plus turbulens. Ilsrevenaient toujours au même sujet, la souffrance du peuple,et la mettaient en comparaison avec le luxe des nouveauxmeneurs de la convention. Madame Tallien était la femmedu jour qu'ils accusaient le plus, car à toutes les époqueson en avait accusé une: c'était la perfide enchanteresse àlaquelle ils reprochaient, comme autrefois à madameRolland, et plus anciennement à Marie-Antoinette, tous lesmaux du peuple. Son nom, prononcé plusieurs fois à laconvention, avait paru ne pas émouvoir Tallien. Enfin, il pritun jour la parole pour la venger de tant d'outrages; il laprésenta comme un modèle de dévouement et de courage,comme une des victimes que Robespierre avait destinéesà l'échafaud, et il déclara qu'elle était devenue son épouse.Barras, Legendre, Fréron, se joignirent à lui, ils s'écrièrentqu'il était temps enfin de s'expliquer; ils échangèrent desinjures avec la Montagne, et la convention se vit obligée,comme à l'ordinaire, de mettre fin à la discussion par

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l'ordre du jour. Une autre fois, Duhem dit au députéClausel, membre du comité de sûreté générale, qu'ill'assassinerait. Le tumulte fut épouvantable, et l'ordre dujour vint encore terminer cette nouvelle scène.

L'infatigable Duhem découvrit un écrit intitulé le Spectateurde la Révolution, dans lequel se trouvait un dialogue surles deux gouvernemens monarchique et républicain. Cedialogue donnait une préférence évidente augouvernement monarchique, et engageait, même d'unemanière assez ouverte, le peuple français à y revenir.Duhem dénonça cet écrit avec indignation, comme l'un dessymptômes de la conspiration royaliste. La convention,faisant droit à cette réclamation, envoya l'auteur au tribunalrévolutionnaire; mais Duhem s'étant permis de dire que leroyalisme et l'aristocratie triomphaient, elle l'envoya lui-même pour trois jours à l'Abbaye, comme ayant insultél'assemblée. Ces scènes avaient ému tout Paris. Dans lessections on voulait faire des adresses sur ce qui venaitd'arriver, et on se battait pour la rédaction, chacun voulantque ces adresses fussent écrites dans son sens. Jamais larévolution n'avait présenté un spectacle aussi agité. Jadisles jacobins, tout-puissans, n'avaient trouvé aucunerésistance capable de produire une véritable lutte. Ilsavaient tout chassé devant eux, et étaient demeurésvainqueurs; vainqueurs bruyans et colères, mais uniques.Aujourd'hui un parti puissant venait de s'élever; et quoiqu'ilfût moins violent, il suppléait par la masse à la violence, etpouvait lutter à chance égale. On fit des adresses en tous

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sens. Quelques jacobins, réunis dans les cafés, vers lesquartiers populeux de Saint-Denis, du Temple, de Saint-Antoine, tinrent des propos comme ils avaient coutumed'en tenir. Ils menacèrent d'aller attaquer au Palais-Royal,aux spectacles, à la convention même, les nouveauxconspirateurs. De leur côté, les jeunes gens faisaient unbruit épouvantable dans le parterre des théâtres. Ils sepromirent de faire un outrage sensible aux jacobins. Lebuste de Marat était dans tous les lieux publics, etparticulièrement dans les salles de spectacle. Au théâtreFeydeau, des jeunes gens s'élancèrent au balcon, et,montant sur les épaules les uns des autres, renversèrent lebuste du saint, le brisèrent, et le remplacèrent aussitôt parcelui de Rousseau. La police fit de vains efforts pourempêcher cette scène. Des applaudissemens universelscouvrirent l'action de ces jeunes gens. Des couronnesfurent jetées sur le théâtre pour en couronner le buste deRousseau; des vers, préparés pour cette circonstance,furent débités; on cria: A bas les terroristes! à bas Marat! àbas ce monstre sanguinaire qui demandait trois centmille têtes! Vive l'auteur d'Émile, du Contrat social, de laNouvelle Héloïse! Cette scène se répéta le lendemaindans les spectacles et dans tous les lieux publics. On seprécipita dans les halles, on barbouilla de sang le buste deMarat, et on le précipita ensuite dans la boue. Des enfansfirent dans le quartier Montmartre une procession, et aprèsavoir porté un buste de Marat jusqu'au bord d'un égout, l'yprécipitèrent. L'opinion se prononça avec une violence

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extrême; la haine et le dégoût de Marat étaient dans tousles coeurs, même chez la plupart des montagnards; caraucun d'eux n'avait pu suivre dans ses écarts la pensée dece maniaque audacieux. Mais le nom de Marat étantconsacré, le poignard de Corday lui ayant valu une espècede culte, on craignait de toucher à ses autels comme àceux de la liberté elle-même. On a vu que pendant lesdernières sans-culottides, c'est-à-dire quatre moisauparavant, il avait été mis au Panthéon à la place deMirabeau. Les comités s'empressèrent d'accueillir cesignal, et proposèrent à la convention de décréter qu'aucunindividu ne pourrait être porté au Panthéon avant un délaide vingt ans, et que le buste ou portrait d'aucun citoyen nepourrait être exposé dans les lieux publics. On ajouta quetout décret contraire était rapporté. En conséquence Marat,introduit au Panthéon, en fut chassé seulement aprèsquatre mois. Telle est l'instabilité des révolutions! ondécerne, on retire l'immortalité; et l'impopularité menaceles chefs de parti au-delà même de la mort! Dès cet instantcommença la longue infamie qui a poursuivi Marat, et qu'ila partagée avec Robespierre. Tous deux, divinisésnaguère par le fanatisme, jugés aujourd'hui par la douleur,furent voués à une longue exécration.

Les jacobins, irrités de cet outrage fait à une des plusgrandes renommées révolutionnaires, s'assemblèrent aufaubourg Saint-Antoine, et jurèrent de venger la mémoirede Marat. Ils prirent son buste, le portèrent en triomphedans tous les quartiers qu'ils dominaient, et, armés

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jusqu'aux dents, menacèrent d'égorger quiconque viendraittroubler cette fête sinistre. Les jeunes gens avaient enviede fondre sur ce cortège; ils s'encourageaient à l'attaquer,et une bataille s'en serait suivie infailliblement, si lescomités n'avaient fait fermer le club des Quinze-Vingts,défendu les processions de ce genre, et dispersé lesattroupemens. A la séance du 20 nivôse (9 janvier), lesbustes de Marat et de Lepelletier furent enlevés de laconvention, ainsi que les deux belles peintures danslesquelles David les avait représentés mourans. Lestribunes, qui étaient partagées, firent éclater des criscontraires: les unes applaudirent, les autres poussèrentd'affreux murmures. Dans ces dernières se trouvaient deces femmes qu'on appelait furies de guillotine: on les fitsortir. L'assemblée applaudit, et la Montagne, morne etsilencieuse, en voyant enlever ces célèbres tableaux, crutvoir s'anéantir la révolution et la république.

La convention venait d'enlever aux deux partis uneoccasion d'en venir aux mains; mais la lutte n'était retardéeque de quelques jours. Les ressentimens étaient siprofonds, et les souffrances du peuple si grandes, qu'ondevait s'attendre à quelqu'une de ces scènes violentes quiavaient ensanglanté la révolution. Dans l'incertitude de cequi allait arriver, on discutait toutes les questions quefaisait naître la situation commerciale et financière du pays;questions malheureuses, qu'on prenait et reprenait àchaque instant, pour les traiter et les résoudre d'unemanière différente, suivant les changemens qu'avaient

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subis les idées.

Deux mois auparavant on avait modifié le maximum, enrendant le prix des grains variable suivant les localités; onavait modifié les réquisitions, en les rendant spéciales,limitées, régulières, et on avait ajourné les questionsrelatives au séquestre, au numéraire et aux assignats.Aujourd'hui tout ménagement pour les créationsrévolutionnaires avait disparu. Ce n'était plus une simplemodification qu'on demandait, c'était l'abolition même dusystème d'urgence établi pendant la terreur. Lesadversaires de ce système donnaient d'excellentesraisons. Tout n'étant pas maximé, disaient-ils, le maximumétait absurde et inique. Le fermier payant 30 francs un socqu'il payait jadis 50 sous, 700 francs un domestique qu'ilpayait 100, et 10 francs le journalier qu'il payait 50 sous, nepourrait jamais donner ses denrées au même prixqu'autrefois. Les matières premières apportées del'étranger ayant été affranchies récemment du maximum,pour rendre quelque activité au commerce, il était absurdede les y soumettre ouvrées; car elles seraient payées huitou dix fois moins qu'à l'état brut. Ces exemples n'étaientpas les seuls: on en pouvait citer mille du même genre. Lemaximum exposant ainsi le marchand, le manufacturier, lefermier, à des pertes inévitables, ils ne voudraient jamais lesubir; les uns abandonneraient les boutiques ou lafabrication, les autres enfouiraient leur blé ou le feraientconsommer dans les basses-cours, parce qu'ilstrouveraient plus d'avantages à vendre de la volaille ou des

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cochons engraissés. De manière ou d'autre, il fallait si onvoulait que les marchés fussent approvisionnés, que lesprix fussent libres; car jamais personne ne voudraittravailler pour perdre. Du reste, ajoutaient les adversairesdu système révolutionnaire, le maximum n'avait jamais étéexécuté; ceux qui voulaient trouver à acheter se résignaientà payer d'après le prix réel, et non d'après le prix légal.Toute la question se réduisait donc à ces mots: payer cherou n'avoir rien. Vainement voudrait-on suppléer à l'activitéspontanée de l'industrie et du commerce par lesréquisitions, c'est-à-dire par l'action du gouvernement. Ungouvernement commerçant était une monstruosité ridicule.Cette commission des approvisionnemens, qui faisait tantde bruit de ses opérations, sait-on ce qu'elle avait apportéen France de blé étranger? De quoi nourrir la Francependant cinq jours. Il fallait donc en revenir à l'activitéindividuelle, c'est-à-dire au commerce libre, et ne s'en fierqu'à lui. Lorsque le maximum serait supprimé, et que lenégociant pourrait retrouver le prix du fret, des assurances,de l'intérêt de ses capitaux, et son juste bénéfice, il feraitvenir des denrées de tous les points du globe. Les grandescommunes surtout, qui n'étaient pas comme celle de Parisapprovisionnées aux frais de l'état, ne pouvaient recourirqu'au commerce, et seraient affamées si on ne lui rendaitsa liberté.

En principe ces raisonnemens étaient justes; il n'en étaitpas moins vrai que la transition du commerce forcé aucommerce libre devait être dangereuse dans un moment

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d'aussi grande crise. En attendant que la liberté des prixeût réveillé l'industrie individuelle, et approvisionné lesmarchés, le renchérissement de toutes choses allait êtreextraordinaire. C'était un inconvénient très passager pourtoutes les marchandises qui n'étaient pas de premièrenécessité, ce n'était qu'une interruption momentanéejusqu'à l'époque où la concurrence ferait tomber les prix;mais pour les subsistances qui n'admettent pasd'interruption, comment se ferait la transition? En attendantque la faculté de vendre les blés à prix libre eût faitexpédier des vaisseaux en Crimée, en Pologne, enAfrique, en Amérique, et obligé par la concurrence lesfermiers à livrer leurs grains, comment vivrait le peuple desvilles sans maximum et sans réquisitions? Encore valait-ilmieux du mauvais pain, produit avec les pénibles efforts del'administration, avec d'incroyables tiraillemens, que ladisette absolue. Sans doute, il fallait sortir de ce systèmeforcé le plus tôt possible, mais avec de grandsménagemens, et sans un sot emportement.

Quant aux reproches de M. Boissy-d'Anglas à lacommission des approvisionnemens, ils étaient aussiinjustes que ridicules. Ses importations, disait-il, n'auraientpu nourrir la France que pendant cinq jours. D'abord onniait le calcul; mais peu importait. Ce n'est jamais que lepeu qui manque à un pays, autrement il serait impossibled'y suppléer; mais n'était-ce pas un service immense qued'avoir fourni ce peu? Se figure-t-on le désespoir d'unecontrée privée de pain pendant cinq jours? Encore si cette

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privation eût été également répartie, elle aurait pu n'êtrepas mortelle; mais tandis que les campagnes auraientregorgé de blé, on aurait vu les grandes villes, et surtout lacapitale, en manquer, non pas seulement pendant cinqjours, mais pendant dix, vingt, cinquante, et unbouleversement s'ensuivre. Du reste, la commission decommerce et des approvisionnemens, dirigée par Lindet,ne s'était pas bornée seulement à tirer des denrées dudehors, mais elle avait encore fait transporter les grains,les fourrages, les marchandises qui existaient en France,des campagnes aux frontières ou dans les grandescommunes; et le commerce, effrayé par la guerre et lesfureurs politiques, n'aurait jamais fait cela spontanément. Ilavait fallu y suppléer par la volonté du gouvernement, etcette volonté, énergique, extraordinaire, méritait lareconnaissance et l'admiration de la France, malgré lescris de ces petits hommes qui, pendant les dangers de lapatrie, n'avaient su que se cacher.

La question fut résolue d'assaut en quelque sorte. On abolitle maximum et les réquisitions d'entraînement, comme onavait rappelé les soixante-treize, comme on avait décrétéBillaud, Collot et Barrère. Cependant on laissa subsisterquelques restes du système des réquisitions. Celles quiavaient pour but d'approvisionner les grandes communesdevaient avoir leur effet encore un mois. Le gouvernementconservait le droit de préhension, c'est-à-dire la faculté deprendre les denrées d'autorité, en les payant au prix desmarchés. La fameuse commission perdit une partie de son

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titre; elle ne s'appela plus commission de commerce etdes approvisionnemens, mais seulement commission desapprovisionnemens. Ses cinq directeurs furent réduits àtrois; ses dix mille employés à quelques centaines. Lesystème de l'entreprise fut avec raison substitué à celui dela régie; et, en passant, on s'éleva contre Pache, pour sacréation du comité des marchés. Les charrois furentdonnés à des entrepreneurs. La manufacture d'armes deParis, qui avait rendu des services coûteux, maisimmenses, fut dissoute. On le pouvait alors sansinconvénient. La fabrication des armes fut remise àl'entreprise. Les ouvriers, qui voyaient bien qu'ils allaientêtre moins payés, poussèrent quelques murmures; excitésmême par les jacobins, ils menaçaient d'un mouvement;mais ils furent contenus, et renvoyés dans leurs communes.

La question du séquestre, ajournée précédemment, parcequ'on craignait, en rétablissant la circulation des valeurs,de fournir des alimens à l'émigration, et de faire renaîtrel'agiotage sur le papier étranger, cette question fut reprise,et cette fois résolue à l'avantage de la liberté ducommerce. Le séquestre fut levé; on restitua aussi auxnégocians étrangers les valeurs séquestrées, au risque dene pas obtenir la même restitution en faveur des Français.Enfin la libre circulation du numéraire fut rétablie après unevive discussion. On l'avait interdite autrefois pourempêcher les émigrés d'emporter le numéraire de laFrance; on la permit de nouveau sur le motif que, lesmoyens de retour nous manquant, Lyon ne pouvant plus

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fournir 60 millions manufacturés, Nîmes 20, Sedan 10, lecommerce serait impossible si on ne permettait pas depayer en matières d'or ou d'argent les achats faits àl'extérieur. D'ailleurs on pensa que le numéraire étantenfoui, et ne voulant pas sortir, à cause du papier-monnaie,la faculté de payer à l'étranger les objets d'importationl'engagerait à se montrer, et lui rendrait son mouvement.On prit, en outre, des précautions assez puériles pourl'empêcher d'aller alimenter les émigrés. Quiconque faisaitsortir une valeur métallique était tenu de faire rentrer unevaleur égale en marchandises.

Enfin on s'occupa de la difficile question des assignats. Il yen avait à peu près 7 milliards 5 ou 600 millions encirculation réelle; il en restait dans les caisses 5 ou 600millions; la somme fabriquée s'élevait donc à 8 milliards.Le gage restant en biens de première et seconde origine,tels que bois, terres, châteaux, hôtels, maisons, mobilier,s'élevait à plus de 15 milliards, d'après l'évaluation actuelleen assignats. Le gage était donc bien suffisant. Cependantl'assignat perdait les neuf dixièmes ou les onze douzièmesde sa valeur, suivant la nature des objets contre lesquels onl'échangeait. Ainsi l'état qui recevait l'impôt en assignats, lerentier, le fonctionnaire public, le propriétaire de maisonsou de terres, le créancier d'un capital, tous ceux enfin quirecevaient ou leurs appointemens, ou leurs revenus, ouleurs salaires, ou leurs remboursemens en papier, faisaientdes pertes toujours plus énormes; le désordre qui enrésultait devenait chaque jour plus grand. Cambon proposa

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d'augmenter les appointemens des fonctionnaires publicset le revenu des rentiers. Après avoir combattu saproposition, on se vit obligé de l'adopter pour lesfonctionnaires publics, qui ne pouvaient plus vivre. Maisc'était là un bien faible palliatif pour un mal immense; c'étaitsoulager une classe sur mille. Pour les soulager toutes, ilfallait rétablir le juste rapport des valeurs; mais comment yparvenir?

On aimait à faire encore les rêves de l'année précédente;on recherchait la cause de la dépréciation des assignats,et les moyens de les relever. D'abord, tout en avouant queleur grande quantité était une cause d'avilissement, oncherchait aussi à prouver qu'elle n'était pas la plus grande,pour se disculper de l'excessive émission. En preuve, ondisait qu'au moment de la défection de Dumouriez, dusoulèvement de la Vendée, et de la prise de Valenciennes,les assignats, circulant en quantité beaucoup moindrequ'après le déblocus de Dunkerque, de Maubeuge et deLandau, perdaient néanmoins davantage; ce qui était vrai,et ce qui prouvait que les défaites et les victoires influaientsur le cours du papier-monnaie; vérité sans douteincontestable. Mais aujourd'hui, ventôse an III (mars 1795),la victoire était complète sur tous les points, la confiancedans les ventes était établie, les biens nationaux étaientdevenus l'objet d'une espèce d'agiotage, une foule despéculateurs achetaient pour profiter sur les reventes ousur la division, et cependant le discrédit des assignats étaitquatre ou cinq fois plus grand que l'année précédente. La

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quantité des émissions était donc la cause véritable de ladépréciation du papier, et sa rentrée le seul moyen derelever sa valeur.

Le seul moyen de le faire rentrer, c'était de vendre lesbiens; mais quel était le moyen de les vendre? Questionséternelles, qu'on se proposait chaque année. La cause quiavait empêché d'acheter les biens, les annéesprécédentes, c'était la répugnance, le préjugé, surtout ledéfaut de confiance dans la solidité des acquisitions.Aujourd'hui c'en était une autre. Qu'on se figure commentse font les acquisitions d'immeubles, dans le coursordinaire des choses. Le commerçant, le manufacturier,l'agriculteur, le capitaliste, avec des produits ou desrevenus lentement accumulés, achètent la terre de l'individuqui s'est appauvri, ou qui vend pour changer sa propriétécontre une autre. Une terre s'échange ainsi toujours oucontre une autre, ou contre des capitaux mobiliersaccumulés par le travail. L'acheteur de la terre vient sereposer sur son sein; le vendeur va faire valoir les capitauxmobiliers qu'il en reçoit en paiement, et succéder au rôlelaborieux de celui qui les exploitait. Tel est le roulementinsensible de la propriété immobilière. Mais qu'on se figuretout un tiers du territoire, composé de propriétéssomptueuses et peu divisées, de parcs, de châteaux,d'hôtels, mis en vente tout à la fois, dans le moment mêmeoù les propriétaires et les commerçans, les capitalistes lesplus riches étaient dispersés, et on comprendra si lepaiement en était possible. Ce n'étaient pas quelques

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bourgeois ou fermiers échappés à la proscription quipouvaient faire cette acquisition, et surtout la payer. On dirasans doute que la masse des assignats en circulation étaitsuffisante pour solder les biens; mais cette masse étaitillusoire, si chaque porteur d'assignats était obligé d'enemployer huit ou dix fois davantage pour se procurer lesmêmes objets qu'autrefois.

La difficulté consistait donc à fournir aux acquéreurs nonpas la volonté d'acheter, mais la faculté de payer. Aussitous les moyens proposés portaient-ils sur une basefausse, car ils supposaient tous cette faculté. Ces moyensétaient ou forcés ou volontaires. Les premiers consistaientdans la démonétisation et l'emprunt forcé. Ladémonétisation changeait le papier de monnaie en simpledélégation sur les biens. Elle était tyrannique; car,lorsqu'elle atteignait l'assignat dans les mains de l'ouvrierou de l'individu qui avait tout juste de quoi vivre, ellechangeait le morceau de pain en terre, et affamait leporteur de cet assignat. Le seul bruit, en effet, qu'ondémonétiserait certaine partie du papier les avait faitbaisser rapidement, et on fut obligé de décréter qu'on nedémonétiserait pas. L'emprunt forcé n'était pas moinstyrannique; il consistait aussi à changer forcémentl'assignat de monnaie en valeur sur les terres. La seuledifférence, c'est que l'emprunt forcé portait sur les classesélevées et riches, et n'opérait la conversion que pour elles;mais elles avaient tant souffert, qu'il était bien difficile deleur faire acheter des biens-fonds, sans les mettre dans de

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cruels embarras. D'ailleurs, depuis la réaction, ellescommençaient à se défendre contre tout retour aux moyensrévolutionnaires.

Il ne restait donc plus que les moyens volontaires. On enproposa de toute espèce. Cambon imagina une loterie:elle devait se composer de quatre millions de lots, de 1000francs chaque; ce qui faisait une mise de quatre milliardsde la part du public. L'état ajoutait 391 millions, quiservaient à faire de gros lots, de manière qu'il y avaitquatre lots de 500,000 fr., trente-six de 250,000, trois centsoixante de 100,000. Les moins heureux retrouvaient leurslots primitifs de 1,000 francs; mais les uns et les autres, aulieu d'avoir des assignats, n'avaient qu'un bon sur les biensnationaux, rapportant trois pour cent d'intérêt. Ainsi, onsupposait que l'appât d'un lot considérable feraitrechercher ce placement en bons sur les biens nationaux,et que quatre milliards d'assignats quitteraient ainsi laqualité de monnaie, pour prendre celle de contrats sur lesterres, moyennant une prime de 391 millions. C'estsupposer toujours qu'on pouvait faire ce placement. Thirionconseilla un autre moyen, celui d'une tontine. Mais cemoyen, bon pour ménager un petit capital d'économie àquelques survivans, était beaucoup trop lent et tropinsuffisant par rapport à la masse énorme des assignats.Johannot proposa une espèce de banque territoriale, danslaquelle on déposerait des assignats, pour avoir des bonsrapportant trois pour cent d'intérêt, bons qu'on échangeraità volonté pour des assignats. C'était toujours le même plan

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de changer le papier-monnaie en simples valeurs enterres. Ici, la seule différence consistait à laisser à cesvaleurs la faculté de reprendre la forme de monnaiecirculante. Il est évident que la véritable difficulté n'était pasvaincue. Tous les moyens imaginés pour retirer le papier etle relever étaient donc illusoires; il fallait s'avancer encorelong-temps dans cette carrière, émettant des assignats,qui baisseraient davantage: au terme il y avait une solutionforcée. Malheureusement, on ne sait jamais prévoir lessacrifices nécessaires, et en diminuer l'étendue en lesfaisant d'avance. Cette prévoyance et ce courage onttoujours manqué aux nations dans les crises financières.

A ces prétendus moyens de retirer les assignatss'enjoignaient d'autres, heureusement plus réels, mais fortinsuffisans. Le mobilier des émigrés, assez facile à vendre,s'élevait à 200 millions. Les transactions à l'amiable, pourles intérêts des émigrés dans les sociétés de commerce,pouvaient produire 100 millions; la part dans leurshéritages, 500 millions. Mais, dans le premier cas, onretirait des capitaux au commerce; dans le second, ondevait percevoir une partie des valeurs en terres. Oncomptait offrir une prime à ceux qui achèveraient leurspaiemens pour les biens déjà acquis, et on espérait fairerentrer ainsi 800 millions. On allait mettre enfin en loterieles grandes maisons sises à Paris, et non louées. C'étaitun milliard encore. Dans le cas d'un plein succès, tout ceque nous venons d'énumérer aurait pu faire rentrer deuxmilliards 600 millions; cependant on eût été fort heureux de

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retirer 1500 millions sur le tout; d'ailleurs, cette sommeallait ressortir par une autre voie. On venait de décréter unemesure fort sage et fort humaine: c'était la liquidation descréanciers des émigrés. On avait résolu d'abord de faireune liquidation individuelle pour chaque émigré. Commebeaucoup d'entre eux étaient insolvables, la républiquen'aurait payé leur passif que jusqu'à concurrence de l'actif.Mais cette liquidation individuelle présentait des longueursinterminables; il fallait ouvrir un compte à chaque émigré, yporter ses biens-fonds, son mobilier, balancer le tout avecses dettes; et les malheureux créanciers, presque tousdomestiques, ouvriers, marchands, auraient attendu vingtet trente ans leur paiement. Cambon fit décider que lescréanciers des émigrés deviendraient créanciers de l'état,et seraient payés sur-le-champ, excepté ceux dont lesdébiteurs étaient notoirement insolvables. La républiquepouvait perdre ainsi quelques millions; mais elle soulageaitdes maux très grands, et faisait un bien immense. Lerévolutionnaire Cambon était l'auteur de cette idée sihumaine.

Mais, tandis qu'on discutait ces questions si malheureuses,on était ramené sans cesse à des soins encore pluspressans, la subsistance de Paris, qui allait manquer tout àfait. On était à la fin de ventôse (milieu de mars). L'abolitiondu maximum n'avait pas encore pu ranimer le commerce,et les grains n'arrivaient pas. Une foule de députésrépandus autour de Paris, faisaient des réquisitions quin'étaient pas obéies. Quoiqu'elles fussent autorisées

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encore pour l'approvisionnement des grandes communes,et qu'on les payât au prix des marchés, les fermiersdisaient qu'elles étaient abolies, et ne voulaient pas obéir.Mais ce n'était pas là le plus grand obstacle. Les rivières,les canaux étaient entièrement gelés; pas un bateau nepouvait arriver. Les routes, couvertes de glaces, étaientimpraticables; il fallait, pour rendre le roulage possible, lessabler vingt lieues à la ronde. Pendant le trajet, lescharrettes étaient pillées par le peuple affamé, dont lesjacobins excitaient le courroux en disant que legouvernement était contre-révolutionnaire, qu'il laissaitpourrir les grains à Paris, et qu'il voulait rétablir la royauté.Pendant que les arrivages diminuaient, la consommationaugmentait, comme il arrive toujours en pareil cas. La peurde manquer faisait que chacun s'approvisionnait pourplusieurs jours. On délivrait, comme autrefois, le pain sur laprésentation des cartes; mais chacun exagérait sesbesoins. Pour favoriser leurs laitières, leursblanchisseuses, ou des gens de la campagne qui leurapportaient des légumes et de la volaille, les habitans deParis leur donnaient du pain, qui était préféré à l'argent, vula disette qui affligeait les environs autant que Paris même.Les boulangers revendaient même de la pâte aux gens dela campagne, et, de quinze cents sacs, la consommations'était ainsi élevée à dix-neuf cents. L'abolition dumaximum avait fait monter le prix de tous les comestiblesà un taux extraordinaire; pour les faire baisser, legouvernement avait déposé chez les charcutiers, lesépiciers, les boutiquiers, des vivres et des marchandises,

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afin de les donner à bas prix, et de ramener un peu le bonmarché. Mais les dépositaires abusaient du dépôt, etvendaient plus cher qu'on n'était convenu avec eux.

Les comités étaient chaque jour dans les plus grandesalarmes, et attendaient avec une vive anxiété les dix-neufcents sacs de farine devenus indispensables. Boissy-d'Anglas, chargé des subsistances, venait faire sans cessede nouveaux rapports, pour tranquilliser le public, et tâcherde lui procurer une sécurité que le gouvernement n'avaitpas lui-même. Dans cette situation, on se prodiguait lesinjures d'usage. «Voilà, disait la Montagne, l'effet del'abolition du maximum!—Voilà, répondait le côté droit,l'effet inévitable de vos mesures révolutionnaires!» Chacunalors proposait comme remède l'accomplissement desvoeux de son parti, et demandait les mesures souvent lesplus étrangères au pénible sujet dont il s'agissait.«Punissez tous les coupables, disait le côté droit, répareztoutes les injustices, révisez toutes les lois tyranniques;rapportez la loi des suspects.—Non, répondaient lesmontagnards: renouvelez vos comités de gouvernement,rendez-leur l'énergie révolutionnaire, cessez de poursuivreles meilleurs patriotes et de relever l'aristocratie.» Telsétaient les moyens proposés pour le soulagement de lamisère publique.

Ce sont toujours de pareils momens que les partischoisissent pour en venir aux mains, et pour faire triompherleurs désirs. Le rapport tant attendu sur Billaud-Varennes,

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Collot-d'Herbois, Barrère et Vadier, fut présenté àl'assemblée. La commission des vingt-un conclut àl'accusation, et demanda l'arrestation provisoire:l'arrestation fut votée sur-le-champ à une immensemajorité. Il fut décrété que les quatre membres inculpésseraient entendus par l'assemblée, et qu'une discussionsolennelle serait ouverte sur la proposition de les mettre enaccusation. A peine cette décision était-elle rendue, qu'onproposa de réintégrer dans le sein de l'assemblée lesdéputés proscrits, que deux mois auparavant on avaitdéchargés de toute poursuite, mais auxquels on avaitinterdit le retour au milieu de leurs collègues. Sieyès, quiavait gardé un silence de cinq années, qui depuis lespremiers mois de l'assemblée constituante s'était caché aucentre pour faire oublier sa réputation et son génie, etauquel la dictature avait pardonné comme à un caractèreinsociable, incapable de conspirer, cessant d'êtredangereux dès qu'il cessait d'écrire, Sieyès sortit de salongue nullité, et dit que, puisque le règne des loisparaissait revenir, il allait reprendre la parole. Tant quel'outrage fait à la représentation nationale n'était pasréparé, le règne des lois, suivant lui, n'était pas rétabli.«Toute votre histoire, dit-il à la convention, se partage endeux époques: depuis le 21 septembre, jour de votreréunion, jusqu'au 31 mai, oppression de la convention parle peuple égaré; depuis le 31 mai jusqu'aujourd'hui,oppression du peuple par la convention tyrannisée. Dès cejour vous prouverez que vous êtes devenus libres enrappelant vos collègues. Une pareille mesure ne peut pas

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même être discutée; elle est de plein droit.» Lesmontagnards se soulevèrent à cette manière de raisonner.«Tout ce que vous avez fait est donc nul! s'écria Cambon.Ces immenses travaux, cette multitude de lois, tous cesdécrets qui composent le gouvernement actuel sont doncnuls! et le salut de la France, opéré par votre courage etvos efforts, tout cela est nul!» Sieyès dit qu'on l'avait malcompris. On décida néanmoins la réintégration desdéputés qui avaient échappé à l'échafaud. Ces fameuxproscrits Isnard, Henri Larivière, Louvet, Larévellière-Lépeaux, Doulcet de Pontecoulant rentrèrent au milieu desapplaudissemens. «Pourquoi, s'écria Chénier, ne s'est-ilpas trouvé de caverne assez profonde pour soustraire auxbourreaux l'éloquence de Vergniaud et le génie deCondorcet!»

Les montagnards furent indignés. Plusieurs thermidoriensmême, épouvantés de voir rentrer dans l'assemblée leschefs d'une faction qui avait opposé au systèmerévolutionnaire une résistance si dangereuse, retournèrentà la Montagne. Thuriot, ce thermidorien si ennemi deRobespierre, qui avait été soustrait par miracle au sort dePhilippeau; Lesage-Senault, esprit sage, mais ennemiprononcé de toute contre-révolution; Lecointre enfin,l'adversaire si opiniâtre de Billaud, Collot et Barrère,Lecointre qui avait été déclaré calomniateur cinq moisauparavant, pour avoir dénoncé les sept membres restansdes anciens comités, vinrent se replacer au côté gauche.«Vous ne savez pas ce que vous faites, dit Thuriot à ses

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collègues; ces hommes ne vous le pardonneront jamais.»Lecointre proposa une distinction. «Rappelez, dit-il, lesdéputés proscrits, mais examinez quels sont ceux qui ontpris les armes contre leur patrie en soulevant lesdépartemens, et ceux-là ne les rappelez pas au milieu devous.» Tous, en effet, avaient pris les armes. Louvetn'hésita pas à en convenir, et proposa de déclarer que lesdépartemens qui s'étaient soulevés en juin 93 avaient bienmérité de la patrie. Ici Tallien se leva, effrayé de lahardiesse des girondins, et repoussa les deux propositionsde Lecointre et de Louvet. Elles furent toutes deux misesau néant. Tandis qu'on venait de réintégrer les girondinsproscrits, on déféra à l'examen du comité de sûretégénérale, Pache, Bouchotte et Garat.

De telles résolutions n'étaient pas faites pour calmer lesesprits. La disette croissante obligea enfin de prendre unemesure qu'on différait depuis plusieurs jours, et qui devaitporter l'irritation au comble, c'était de mettre les habitansde Paris à la ration. Boissy-d'Anglas se présenta àl'assemblée le 25 ventôse (16 mars), et proposa pouréviter les gaspillages et pour assurer à chacun une partsuffisante de subsistances, de réduire chaque individu àune certaine quantité de pain. Le nombre d'individuscomposant chaque famille devait être indiqué sur la carte,et il ne devait plus être accordé chaque jour qu'une livre depain par tête. A cette condition, on pouvait promettre que laville ne manquerait pas de subsistances. Le montagnardRomme proposa de porter la ration des ouvriers à une livre

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et demie. Les hautes classes, dit-il, avaient les moyens dese procurer de la viande, du riz, des légumes; mais le baspeuple pouvant tout au plus acheter le pain, devait en avoirdavantage. On admit la proposition de Romme, et lesthermidoriens regrettèrent de ne l'avoir pas faite eux-mêmes, pour se donner l'appui du peuple et le retirer à laMontagne.

A peine ce décret était-il rendu, qu'il excita une extrêmefermentation dans les quartiers populeux de Paris. Lesrévolutionnaires s'efforcèrent d'en aggraver l'effet, etn'appelèrent plus Boissy-d'Anglas que Boissy-famine. Lesurlendemain 27 ventôse (18 mars), jour où, pour lapremière fois, le décret fut mis à exécution, il s'éleva ungrand tumulte dans les faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marceau. Il avait été distribué aux six cent trente-six millehabitans de la capitale dix-huit cent quatre-vingt-dix-septsacs de farine. Trois cent vingt-quatre mille citoyensavaient reçu la demi-livre de plus, destinée aux ouvrierstravaillant de leurs mains. Néanmoins il parut si nouveau aupeuple des faubourgs d'être réduit à la ration, qu'il enmurmura. Quelques femmes, habituées des clubs, ettoujours promptes à se soulever, s'ameutèrent dans lasection de l'Observatoire. Les agitateurs ordinaires de lasection se joignirent à elles. Ils voulaient aller faire unepétition à la convention; mais il fallait pour cela uneassemblée de toute la section, et il n'était permis de seréunir que le décadi. Néanmoins on entoura le comité civil,et on lui demanda avec menaces les clefs de la salle des

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séances, et sur son refus on exigea qu'il détachât un deses membres pour accompagner le rassemblementjusqu'à la convention. Le comité y consentit, et donna un deses membres pour régulariser le mouvement et empêcherdes désordres. La même chose se passait au mêmeinstant dans la section du Finistère. Un rassemblement s'yétait formé, et il vint se réunir à celui de l'Observatoire. Lesdeux se confondirent, et marchèrent ensemble vers laconvention. L'un des meneurs se chargea de porter laparole, et fut introduit avec quelques pétitionnaires à labarre. Le reste du rassemblement demeura aux portes,faisant un bruit affreux. «Le pain nous manque, dit l'orateurde la députation; nous sommes prêts à regretter tous lessacrifices que nous avons faits pour la révolution.» A cesmots l'assemblée, remplie d'indignation, l'interrompitbrusquement, et une foule de membres se levèrent pourréprimer l'inconvenance de ce langage. «Du pain! dupain!» s'écrièrent les pétitionnaires en frappant sur labarre. A cette insolente réponse, l'assemblée voulait qu'onles fit sortir de la salle. Pourtant le calme se rétablit,l'orateur acheva sa harangue, et dit que jusqu'à ce qu'oneût satisfait aux besoins du peuple, ils ne crieraient queVive la république! Le président Thibaudeau répondit avecfermeté à ce discours séditieux, et sans inviter lespétitionnaires à la séance, les renvoya à leurs travaux. Lecomité de sûreté générale, qui avait déjà réuni quelquesbataillons des sections, fit dégager les portes del'assemblée, et dispersa le rassemblement.

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Cette scène produisit une grande impression sur lesesprits. Les menaces journalières des jacobins répandusdans les sections des faubourgs; leurs placardsincendiaires où ils annonçaient une insurrection sous huitjours, si les patriotes n'étaient pas déchargés de toutepoursuite, et si la constitution de 93 n'était pas mise envigueur; leurs conciliabules presque publics tenus dans lescafés des faubourgs; enfin ce dernier essai d'unmouvement, révélèrent à la convention l'intention d'unnouveau 31 mai. Le côté droit, les girondins rentrés, lesthermidoriens, tous également menacés, songèrent àprendre des mesures pour prévenir une nouvelle attaquecontre la représentation nationale. Sieyès, qui venait dereparaître sur la scène et d'entrer au comité de salut public,proposa aux comités réunis une espèce de loi martiale,destinée à prévenir de nouvelles violences contre laconvention. Ce projet de loi déclarait séditieux toutrassemblement où l'on proposerait d'attaquer lespropriétés publiques ou particulières, de rétablir la royauté,de renverser la république et la constitution de 93, de serendre au Temple ou à la convention, etc. Tout membred'un pareil rassemblement était passible de la déportation.Si, après trois sommations des magistrats, lerassemblement ne se dissipait pas, la force devait êtreemployée; toutes les sections voisines, en attendant laréunion de la force publique, devaient envoyer leurspropres bataillons. L'insulte faite à un représentant dupeuple était punie de la déportation; l'outrage avecviolence, de la peine de mort. Une seule cloche devait

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rester dans Paris, et être placée au pavillon de l'Unité. Siun rassemblement marchait sur la convention, cette clochedevait sonner le tocsin sur-le-champ. A ce signal, toutes lessections étaient tenues de se réunir, et de marcher ausecours de la représentation nationale. Si la conventionétait dissoute ou gênée dans sa liberté, il était enjoint àtous les membres qui pourraient s'échapper, de partir sur-le-champ de Paris, et de se rendre à Châlons-sur-Marne.Tous les suppléans, tous les députés en congé et enmission avaient ordre de se réunir à eux. Les générauxdevaient aussitôt leur envoyer des troupes de la frontière,et la nouvelle convention formée à Châlons, seuledépositaire de l'autorité légitime, devait marcher sur Paris,délivrer la portion opprimée de la représentation nationale,et punir les auteurs de l'attentat.

Les comités accueillirent ce projet avec empressement.Sieyès fut chargé d'en faire le rapport, et de le présenter leplus tôt possible à l'assemblée. Les révolutionnaires, deleur côté, enhardis par le dernier mouvement, trouvant dansla disette une occasion des plus favorables, voyant ledanger croître pour leur parti, et le moment fatals'approcher pour Billaud, Collot, Barrère et Vadier,s'agitèrent avec plus de violence, et songèrentsérieusement à combiner une sédition. Le club électoral etla société populaire des Quinze-Vingts avaient étédissous. Les révolutionnaires, privés de ce lieu de refuge,s'étaient répandus dans les assemblées de section, qui setenaient tous les décadis: ils occupaient les faubourgs

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Saint-Antoine et Saint-Marceau, les quartiers du Temple etde la Cité. Ils se voyaient dans les cafés placés au centrede ces différens quartiers; ils projetaient un mouvement,mais sans avoir ni un plan ni des chefs bien avoués. Il setrouvait parmi eux plusieurs hommes compromis, ou dansles comités révolutionnaires, ou dans différentes fonctions,qui avaient beaucoup d'influence sur la multitude; maisaucun d'eux n'avait une supériorité décidée. Ils sebalançaient les uns les autres, s'entendaient assez mal, etn'avaient surtout aucune communication avec les députésde la Montagne.

Les anciens meneurs populaires, toujours alliés soit àDanton, soit à Robespierre, aux chefs du gouvernement,leur avaient servi d'intermédiaires pour donner le motd'ordre à la populace. Mais les uns et les autres avaientpéri. Les nouveaux meneurs étaient étrangers auxnouveaux chefs de la Montagne: ils n'avaient de communavec eux que leurs dangers et leur attachement à la mêmecause. D'ailleurs les députés montagnards, restés enminorité dans les assemblées, et accusés sans cesse deconspirer pour recouvrer le pouvoir, comme il arrive à tousles partis battus, étaient réduits à se justifier chaque jour, etobligés de protester qu'ils ne conspiraient pas. Le résultatordinaire d'une telle position est d'inspirer le désir de voirconspirer les autres et la répugnance à conspirer soi-même. Aussi les montagnards disaient chaque jour: Lepeuple se soulèvera; il faut qu'il se soulève; mais ilsn'auraient pas osé se concerter avec lui pour amener ce

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soulèvement. On citait bien des propos imprudens deDuhem et de Maribon-Montaut dans un café; l'un et l'autreavaient assez peu de réserve et de mesure pour les avoirproférés. On répétait des déclamations de LéonardBourdon à la société sectionnaire de la rue du Vert-Bois:elles étaient vraisemblables de sa part; mais aucun d'euxne correspondait avec les patriotes. Quant à Billaud, Collot,Barrère, plus intéressés que d'autres à un mouvement, ilscraignaient, en y prenant part, d'aggraver leur position, déjàfort périlleuse.

Les patriotes marchaient donc tout seuls, sans beaucoupd'ensemble, comme il arrive toujours lorsqu'il n'y a plus dechefs assez marquans. Ils couraient les uns chez les autres,se donnaient le mot de rue à rue, de quartier à quartier, ets'avertissaient que telle ou telle section allait faire unepétition ou essayer un mouvement. Au commencementd'une révolution, lorsqu'un parti est à son début, qu'il a tousses chefs, que le succès et la nouveauté entraînent lesmasses à sa suite, qu'il déconcerte ses adversaires parl'audace de ses attaques, il supplée à l'ensemble, à l'ordre,par l'entraînement: au contraire, lorsqu'il est une fois réduità se défendre, qu'il est privé d'impulsion, connu de sesadversaires, il aurait plus que jamais besoin de ladiscipline. Mais cette discipline, presque toujoursimpossible, le devient tout à fait lorsque les chefs influensont disparu. Telle était la position du parti patriote enventôse an III (fin mars): ce n'était plus le torrent du 14 juillet,des 5 et 6 octobre, du 10 août, du 31 mai; c'était la réunion

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de quelques hommes aguerris par de longues discordes,sérieusement compromis, pleins d'énergie et d'opiniâtreté,mais plus capables de combattre avec désespoir que devaincre.

Suivant l'ancienne coutume de faire précéder toutmouvement par une pétition impérieuse et pourtantmesurée, les sections de Montreuil et des Quinze-Vingts,compromises dans le faubourg Antoine, en rédigèrent uneanalogue à toutes celles qui avaient été faites avant lesgrandes insurrections. Il fut convenu qu'elle seraitprésentée le 1er germinal (21 mars). C'était ce jour mêmeque les comités avaient résolu de proposer la loi degrande police, imaginée par Sieyès. Outre la députationqui devait présenter la pétition, une réunion de patriotesavait eu soin de se rendre vers les Tuileries; ils y étaientaccourus en foule, et, comme de coutume, ils formaientdes groupes nombreux dont le cri était: Vive la convention!vive les jacobins! à bas les aristocrates! Les jeunes gensà cheveux retroussés, à collet noir, avaient débordé aussidu Palais-Royal aux Tuileries, et formaient des groupesopposés criant: Vive la convention! à bas les terroristes!Les pétitionnaires furent introduits à la barre: le langage deleur pétition était extrêmement mesuré. Ils rappelèrent lessouffrances du peuple, sans y mettre aucune amertume; ilscombattirent les accusations dirigées contre les patriotes,sans récriminer contre leurs adversaires. Ils firentremarquer seulement que, dans ces accusations, onméconnaissait et les services passés des patriotes, et la

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position dans laquelle ils s'étaient trouvés; ils avouèrent, dureste, que des excès avaient été commis, mais en ajoutantque les partis, quels qu'ils fussent, étaient composés pardes hommes, et non par des dieux. «Les sections desQuinze-Vingts et de Montreuil, dirent-ils, ne viennent doncvous demander pour mesures générales ni déportation, nieffusion de sang contre tel ou tel parti, moyens quiconfondent la simple erreur avec le crime; elles ne voientdans les Français que des frères, diversement organisés, ilest vrai, mais tous membres de la même famille. Ellesviennent vous demander d'user d'un moyen qui est dansvos mains, et qui est le seul efficace pour terminer nostempêtes politiques: c'est la constitution de 93. Organisezdès aujourd'hui cette constitution populaire, que le peuplefrançais a acceptée et juré de défendre. Elle concilieratous les intérêts, calmera tous les esprits, et vous conduiraau terme de vos travaux.»

Cette proposition insidieuse renfermait tout ce que lesrévolutionnaires désiraient dans le moment. Ils pensaient,en effet, que la constitution, en expulsant la convention,ramènerait à la législature, au pouvoir exécutif et auxadministrations municipales, leurs chefs et eux-mêmes.C'était là une erreur grave; mais ils l'espéraient ainsi, et ilspensaient que, sans énoncer des voeux dangereux, telsque l'élargissement des patriotes, la suspension de toutesles procédures, la formation d'une nouvelle commune àParis, ils en trouveraient l'accomplissement dans la seulemise en vigueur de la constitution. Si la convention se

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refusait à leur demande, si elle ne s'expliquait pasnettement, et ne fixait pas une époque prochaine, elleavouait qu'elle ne voulait pas la constitution de 93. Leprésident Thibaudeau leur fit une réponse très ferme, quifinissait par ces mots aussi sévères que peu flatteurs: «Laconvention n'a jamais attribué les pétitions insidieuses quilui ont été faites aux robustes et sincères défenseurs de laliberté qu'a produits le faubourg Antoine.» A peine leprésident avait-il achevé, que le député Chasles se hâte demonter à la tribune, pour demander que la déclaration desdroits soit exposée dans la salle de la convention, commele veut l'un des articles de la constitution. Tallien leremplace à la tribune. «Je demande, dit-il, à ces hommesqui se montrent aujourd'hui défenseurs si ardens de laconstitution, à ceux qui semblent avoir adopté le mot deralliement d'une secte qui s'éleva à la fin de la constituante,la constitution, rien que la constitution; je leur demande sice ne sont pas eux qui l'ont renfermée dans une boîte?»Des applaudissemens d'une part, des murmures, des crisde l'autre, interrompent Tallien; il reprend au milieu dutumulte: «Rien, continua-t-il, ne m'empêchera de dire monopinion lorsque je suis au milieu des représentans dupeuple. Nous voulons tous la constitution avec ungouvernement ferme, avec le gouvernement qu'elleprescrit; et il ne faut pas que quelques membres fassentcroire au peuple qu'il est dans cette assemblée desmembres qui ne veulent pas la constitution. Il fautaujourd'hui même prendre des mesures pour les empêcherde calomnier la majorité respectable et pure de la

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convention.» Oui! oui! s'écrie-t-on de toutes parts. «Cetteconstitution, ajoute Tallien, qu'ils ont fait suivre, non pas deslois qui devaient la compléter et en rendre l'exécutionpossible, mais du gouvernement révolutionnaire, cetteconstitution, il faut la faire marcher et lui donner la vie. Maisnous n'aurons pas l'imprudence de vouloir l'exécuter sanslois organiques, afin de la livrer incomplète et sans défenseà tous les ennemis de la république. C'est pourquoi jedemande qu'il soit fait incessamment un rapport sur lesmoyens d'exécuter la constitution, et qu'il soit décrété, dèsà présent, qu'il n'y aura aucun intermédiaire entre legouvernement actuel et le gouvernement définitif.» Talliendescend de la tribune au milieu des marques universellesde satisfaction de l'assemblée, que sa réponse venait detirer d'embarras. La confection des lois organiques était unprétexte heureux pour différer la promulgation de laconstitution, et pour fournir un moyen de la modifier. C'étaitl'occasion d'une nouvelle révision, comme celle que l'on fitsubir à la constitution de 91. Le député Miaulle,montagnard assez modéré, approuve l'avis de Tallien, etadmet, comme lui, qu'il ne faut pas précipiter l'exécution dela constitution; mais il soutient qu'il n'y a aucun inconvénientà lui donner de la publicité, et il demande qu'elle soitgravée sur des tables de marbre, et exposée dans les lieuxpublics. Thibaudeau, effrayé d'une telle publicité donnée àune constitution faite dans un moment de déliredémagogique, cède le fauteuil à Clausel, et monte à latribune. «Législateurs, s'écrie-t-il, nous ne devons pasressembler à ces prêtres de l'antiquité, qui avaient deux

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manières de s'exprimer, l'une secrète, l'autre ostensible. Ilfaut avoir le courage de dire ce que nous pensons sur cetteconstitution; et dût-elle me frapper de mort, comme elle ena frappé, l'année dernière, ceux qui ont voulu faire desobservations contre elle, je parlerai.» Après une longueinterruption, produite par des applaudissemens,Thibaudeau soutient hardiment qu'il y aurait du danger àpublier une constitution qui, certainement, n'est pas connuede ceux qui la vantent si fort. «Une constitutiondémocratique, dit-il, n'est pas celle où le peuple exerce lui-même tous les pouvoirs....» Non! non! s'écrient une foulede voix.... «C'est, reprend Thibaudeau, celle où, par unesage distribution de tous les pouvoirs, le peuple jouit de laliberté, de l'égalité et du repos. Or, je ne vois pas cela dansune constitution qui, à côté de la représentation nationale,placerait une commune usurpatrice ou des jacobinsfactieux; qui ne donnerait pas à la représentation nationalela direction de la force armée dans le lieu où elle siége, etla priverait ainsi des moyens de se défendre et demaintenir sa dignité; qui accorderait à une fraction dupeuple le droit d'insurrection partielle, et la faculté debouleverser l'état. Vainement on nous dit qu'une loiorganique corrigera tous ces inconvéniens. Une simple loipeut être changée par la législature, et des dispositionsaussi importantes que celles qui seront renfermées dansces lois organiques doivent être immuables comme laconstitution elle-même. D'ailleurs, les lois organiques ne sefont pas en quinze jours, même en un mois; et, enattendant, je demande qu'il ne soit donné aucune publicité

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à la constitution, qu'une grande vigueur soit imprimée augouvernement, et que, s'il le faut même, de nouvellesattributions soient données au comité de salut public.»Thibaudeau descend de la tribune au milieu desapplaudissemens décernés à la hardiesse de sadéclaration. On propose aussitôt de fermer la discussion;le président met la clôture aux voix, et l'assemblée presqueentière se lève pour la prononcer. Les montagnards irritésdisent qu'on n'a pas eu le temps d'entendre les paroles duprésident, qu'on ne sait ce qui a été proposé: on ne lesécoute pas; et on passe outre. Legendre demande alors laformation d'une commission de onze membres, pours'occuper sans relâche des lois organiques dont laconstitution doit être accompagnée. Cette idée est aussitôtadoptée. Les comités annoncent dans ce moment qu'ilsont un rapport important à faire, et Sieyès monte à latribune pour présenter sa loi de grande police.

Pendant que ces différentes scènes se passaient dansl'intérieur de l'assemblée, le plus grand tumulte régnait audehors. Les patriotes du faubourg, qui n'avaient pas puentrer dans la salle, étaient répandus sur le Carrousel etdans le jardin des Tuileries; ils attendaient avecimpatience, et en poussant leurs cris accoutumés, que lerésultat de la démarche tentée auprès de la convention fûtconnu. Quelques-uns d'entre eux, descendus des tribunes,étaient venus rapporter aux autres ce qui se passait, et,leur faisant un récit infidèle, ils avaient dit que lespétitionnaires avaient été maltraités. Alors le tumulte s'était

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augmenté parmi eux; les uns étaient accourus vers lesfaubourgs, pour annoncer que leurs envoyés étaientmaltraités à la convention; les autres avaient parcouru lejardin, repoussant devant eux les jeunes gens qu'ilsrencontraient; ils en avaient même saisi trois, et les avaientjetés dans le grand bassin des Tuileries. Le comité desûreté générale, en voyant ces désordres, avait fait battrele rappel pour convoquer les sections voisines. Cependantle danger était pressant; il fallait du temps pour que lessections fussent convoquées et réunies. Le comité étaitentouré d'une foule de jeunes gens, accourus au nombrede mille ou douze cents, armés de cannes, et disposés àfondre sur les groupes de patriotes, qui n'avaient pasencore rencontré de résistance. Il accepte leur secours, etles autorise à faire la police du jardin. Ils se précipitentalors sur les groupes où l'on criait vive les jacobins! lesdispersent après une mêlée assez longue, en refoulentmême une partie vers la salle de la convention. Quelques-uns des patriotes remontent dans les tribunes, et yrépandent, par leur arrivée précipitée, une espèce detrouble. Dans ce moment, Sieyès achevait son rapport surla loi de grande police. On demandait l'ajournement, et ons'écriait à la Montagne: «C'est une loi de sang! c'est la loimartiale! on veut faire partir la convention de Paris.» A cescris se mêle le bruit des fugitifs arrivant du jardin. Il semanifeste alors une grande agitation. Les royalistesassassinent les patriotes! s'écrie une voix. On entend dutumulte aux portes; le président se couvre. Une grandemajorité de l'assemblée dit que le danger prévu par la loi

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de Sieyès se réalise, qu'il faut la voter sur-le-champ. «Auxvoix! aux voix! s'écrie-t-on.» On met la loi aux voix, et elleest aussitôt adoptée par l'immense majorité, au bruit desplus vifs applaudissemens. Les membres de l'extrémitégauche refusent de prendre part à la délibération. Enfin lecalme se rétablit peu à peu, et on commence à pouvoirentendre les orateurs. «On a trompé la convention!» s'écrieDuhem. Clausel, qui entre, vient, dit-il, rassurerl'assemblée. «Nous n'avons pas besoin d'être rassurés,»répondent plusieurs voix. Clausel continue, et dit que lesbons citoyens sont venus faire un rempart de leurs corps àla représentation nationale. On applaudit. «C'est toi, lui ditRuamps, qui as provoqué ces rassemblemens pour fairepasser une loi atroce.» Clausel veut répliquer, mais il nepeut se faire entendre. On attaque alors la loi qui venaitd'être votée avec tant de précipitation. «La loi est rendue,dit le président; on n'y peut plus revenir.—On conspire iciavec le dehors, dit Tallien; n'importe, il faut rouvrir ladiscussion sur le projet, et prouver que la convention saitdélibérer même au milieu des égorgeurs.» On adopte laproposition de Tallien, et on remet le projet de Sieyès endélibération. La discussion s'engage alors avec plus decalme. Tandis qu'on délibère dans l'intérieur de la salle, latranquillité se rétablit au dehors. Les jeunes gens,victorieux des jacobins, demandent à se présenter àl'assemblée; ils sont introduits par députation, et viennentprotester de leurs intentions patriotiques et de leurdévouement à la représentation nationale. Ils se retirentaprès avoir été vivement applaudis. La convention,

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persistant à discuter la loi de police sans désemparer, lavote article par article, et se sépare enfin à dix heures dusoir.

Cette journée laissa les deux partis convaincus del'approche d'un grand événement. Les patriotes, repousséspar la clôture dans la convention, battus à coups de cannedans le jardin des Tuileries, vinrent porter leur colère dansles faubourgs, et y exciter le peuple à un mouvement.L'assemblée vit bien qu'elle allait être attaquée, et songeaà faire usage de la loi tutélaire qu'elle venait de rendre.

Le lendemain devait amener une discussion tout aussigrave que celle du jour: en effet, Billaud, Collot, Barrère etVadier, devaient être entendus pour la première foisdevant la convention. Une foule de patriotes et de femmesétaient accourus de bonne heure pour remplir les tribunes.Les jeunes gens, plus prompts, les avaient devancés, etavaient empêché les femmes d'entrer. Ils les avaientcongédiées assez rudement, et il en était résulté quelquesrixes autour de la salle. Cependant de nombreusespatrouilles, répandues aux environs, avaient maintenu latranquillité publique; les tribunes s'étaient remplies sansbeaucoup de trouble, et depuis huit heures du matin jusqu'àmidi, le temps avait été employé à chanter des airspatriotiques. D'un côté on chantait le Réveil du peuple, del'autre la Marseillaise, en attendant que les députésvinssent prendre leurs places. Enfin le président se plaçaau fauteuil, au milieu des cris de Vive la convention!, vive

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la république! Les prévenus vinrent s'asseoir à la barre, eton attendit la discussion avec le plus grand silence.

Robert Lindet demanda aussitôt la parole pour une motiond'ordre. On se doutait que cet homme irréprochable, quel'on n'avait pas osé accuser avec les autres membres ducomité de salut public, allait défendre ses ancienscollègues. Il était beau à lui de le faire, car il était encoreplus étranger que Carnot et Prieur (de la Côte-d'Or) auxmesures politiques de l'ancien comité de salut public. Iln'avait accepté le soin des approvisionnemens et destransports qu'à la condition de rester étranger à toutes lesopérations de ses collègues, de ne jamais délibérer aveceux, et d'occuper même avec ses bureaux un autre local. Ilavait refusé la solidarité avant le danger; le danger arrivé, ilvenait la réclamer généreusement. On pensait bien queCarnot et Prieur (de la Côte-d'Or) allaient suivre cetexemple: aussi plusieurs voix de la droite s'élevèrent à lafois pour s'opposer à ce que Robert Lindet fût entendu.—La parole est aux prévenus, s'écrie-t-on; ils doivent laprendre avant leurs accusateurs et leurs défenseurs. «Hier,dit Bourdon (de l'Oise) on a tramé un complot pour sauverles accusés; les bons citoyens l'ont déjoué. Aujourd'hui ona recours à d'autres moyens, on réveille les scrupulesd'hommes honnêtes, que l'accusation a séparés de leurscollègues; on veut les engager à s'associer aux coupablespour retarder la justice par de nouveaux obstacles.» RobertLindet répondit que c'était tout le gouvernement qu'onvoulait juger, qu'il en avait été membre, que par conséquent

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il ne devait pas consentir à être séparé de ses collègues,et qu'il demandait sa part de responsabilité. On osedifficilement résister à un acte de courage et degénérosité. Robert Lindet obtint la parole; il retraça fortlonguement les immenses travaux du comité de salutpublic; il prouva son activité, sa prévoyance, ses éminensservices, et fit sentir que l'excitation de zèle produite par lalutte avait seule causé les excès reprochés à certainsmembres de ce gouvernement. Ce discours, de six heures,ne fut pas entendu sans beaucoup d'interruptions. Desingrats, oubliant déjà les services des hommes aujourd'huiaccusés, trouvaient que cette énumération était longue;quelques membres même eurent l'indécence de dire qu'ilfallait imprimer ce discours aux frais de Lindet, parce qu'ilcoûterait trop à la république. Les girondins se soulevèrenten entendant parler de l'insurrection fédéraliste, et desmaux qu'elle avait causés. Chaque parti trouva à seplaindre. Enfin on s'ajourna au lendemain, en se promettantde ne plus souffrir de ces longues dépositions en faveurdes accusés. Cependant Carnot et Prieur (de la Côte-d'Or)voulaient être entendus à leur tour; ils voulaient, commeLindet, prêter un secours généreux à leurs collègues, et sejustifier en même temps d'une foule d'accusations qui nepouvaient porter sur Billaud, Collot et Barrère, sans lesatteindre eux-mêmes. Les signatures de Carnot et dePrieur (de la Côte-d'Or) se trouvaient en effet sur les ordresles plus reprochés aux accusés. Carnot, dont la réputationétait immense, dont on disait en France et en Europe qu'ilavait organisé la victoire, dont les luttes courageuses avec

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Saint-Just et Robespierre étaient connues, Carnot nepouvait être écouté qu'avec égard et une sorte de respect.Il obtint la parole. «Il m'appartient à moi, dit-il, de justifier lecomité de salut public, moi qui osai le premier attaquer enface Robespierre et Saint-Just;» et il aurait pu ajouter: Moiqui osai les attaquer, lorsque vous respectiez leursmoindres ordres, et que vous décrétiez à leur gré tous lessupplices qu'ils vous demandaient. Il expliqua d'abordcomment sa signature et celle de ses collègues les plusétrangers aux actes politiques du comité se trouvaientnéanmoins au bas des ordres les plus sanguinaires.«Accablés, dit-il, de soins immenses, ayant jusqu'à trois etquatre cents affaires à régler par jour, n'ayant pas souventle temps d'aller manger, nous étions convenus de nousprêter les signatures. Nous signions une multitude depièces sans les lire. Je signais des mises en accusation,et mes collègues signaient des ordres de mouvement, desplans d'attaque, sans que ni les uns ni les autres nouseussions le temps de nous expliquer. La nécessité de cetteoeuvre immense avait exigé cette dictature individuelle,qu'on s'était réciproquement accordée à chacun. Jamais,sans cela, le travail n'eût été achevé. L'ordre d'arrêter l'unde mes meilleurs employés à la guerre, ordre pour lequelj'attaquai Saint-Just et Robespierre, et les dénonçaicomme des usurpateurs, cet ordre, je l'avais signé sans lesavoir. Ainsi notre signature ne prouve rien, et ne peutnullement devenir la preuve de notre participation aux actesreprochés à l'ancien gouvernement.» Carnot s'attachaensuite à justifier ses collègues accusés. Tout en

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convenant, sans le dire expressément, qu'ils avaient faitpartie des hommes passionnés et violens du comité, ilassura qu'ils s'étaient élevés des premiers contre letriumvirat, et que l'indomptable caractère de Billaud-Varennes avait été le plus grand obstacle que Robespierreeût rencontré sur ses pas. Prieur (de la Côte-d'Or), qui,dans la fabrication des munitions et des armes, avait rendud'aussi grands services que Carnot, et qui avait donné lesmêmes signatures, et de la même manière, répéta ladéclaration de Carnot, et demanda, comme lui et Lindet, àpartager la responsabilité qui pesait sur les accusés.

Ici la convention se trouvait replongée dans les embarrasd'une discussion déjà entamée plusieurs fois, et qui n'avaitjamais abouti qu'à une affreuse confusion. Cet exemple,donné par trois hommes jouissant d'une considérationuniverselle, et venant se déclarer solidaires de l'anciengouvernement, cet exemple n'était-il pas un avertissementpour elle? Ne signifiait-il pas que tout le monde avait étéplus ou moins complice des anciens comités, et qu'elledevait elle-même venir demander des fers, comme Lindet,Carnot et Prieur? En effet, elle n'avait elle-même attaqué latyrannie qu'après les trois hommes qu'elle voulait puniraujourd'hui comme ses complices; et, quant à leurspassions, elle les avait toutes partagées; elle était mêmeplus coupable qu'eux si elle ne les avait pas ressenties, carelle en avait sanctionné tous les excès.

Aussi la discussion devint-elle, pendant les journées des 4,

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5 et 6 germinal[1], une mêlée épouvantable. A chaqueinstant le nom d'un nouveau membre se trouvaitcompromis; il demandait à se justifier, il récriminait à sontour, et on se jetait, de part et d'autre, dans desdiscussions aussi longues que dangereuses. On décrétaalors que les accusés et les membres de la commissionauraient seuls la parole pour discuter les faits, article pararticle, et il fut défendu à tout député de chercher à sejustifier si son nom était prononcé. On eut beau rendre cedécret, à chaque instant la discussion redevint générale, etil n'y eut pas un acte qu'on ne se rejetât les uns aux autresavec une affreuse violence. L'émotion qui existait depuisles jours précédens ne fit que s'accroître; il n'y avait qu'unmot dans les faubourgs: il faut se porter à la conventionpour demander du pain, la constitution de 93 et la libertédes patriotes. Par malheur, la quantité de farine nécessairepour fournir les dix-huit cents sacs n'étant pas arrivée àParis dans la journée du 6, on ne distribua, dans la matinéedu 7, que la moitié de la ration, en promettant pour la fin dujour l'autre moitié. Les femmes de la section desGravilliers, quartier du Temple, refusèrent la demi-rationqu'on voulait leur donner, et s'assemblèrent en tumulte dansla rue du Vert-Bois. Quelques-unes, qui avaient le mot,s'efforcèrent de former un rassemblement, et, entraînantavec elles toutes les femmes qu'elles rencontraient,marchèrent vers la convention. Pendant qu'elles prenaientcette route, les meneurs coururent chez le président de lasection, s'emparèrent violemment de sa sonnette et desclefs de la salle des séances, et allèrent former une

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clefs de la salle des séances, et allèrent former uneassemblée illégale. Ils nommèrent un président,composèrent un bureau, et lurent à plusieurs reprisesl'article de la déclaration des droits, qui proclamaitl'insurrection comme un droit et un devoir. Les femmes,pendant ce temps, avaient continué leur marche vers laconvention, et faisaient un grand bruit à ses portes. Ellesvoulaient être introduites en masse: on n'en laissa entrerque vingt. L'une d'elles prit hardiment la parole, et seplaignit de ce qu'elles n'avaient reçu qu'une demi-livre depain. Le président ayant voulu leur répondre, elles crièrent:Du pain! du pain! Elles interrompirent, par les mêmes cris,les explications que Boissy-d'Anglas voulait donner sur ladistribution du matin. Enfin on les fit sortir, et on reprit ladiscussion sur les accusés. Le comité de sûreté généralefit ramener ces femmes par des patrouilles, et envoya l'unde ses membres pour dissoudre l'assemblée illégalementformée dans la section des Gravilliers. Ceux qui lacomposaient refusèrent d'abord d'accéder aux invitationsdu représentant envoyé vers eux; mais en voyant la force,ils se dissipèrent. Dans la nuit, les principaux instigateursfurent arrêtés et conduits en prison.

C'était la troisième tentative du mouvement: le 27 ventôseon s'était agité à cause de la ration, le 1er germinal àcause de la pétition des Quinze-Vingts, et le 7 à caused'une distribution de pain insuffisante. On craignit unmouvement général pour le décadi, jour d'oisiveté etd'assemblée dans les sections. Pour prévenir les dangersd'une réunion de nuit, il fut décidé que les assemblées de

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section se tiendraient de une heure à quatre. Ce n'était làqu'une mesure fort insignifiante, et qui ne pouvait prévenirle combat. On sentait bien que la cause principale de cessoulèvemens était l'accusation portée contre les anciensmembres du comité de salut public et l'incarcération despatriotes. Beaucoup de députés voulaient renoncer à despoursuites qui, fussent-elles justes, étaient certainementdangereuses. Rouzet imagina un moyen qui dispensait derendre un jugement sur les accusés, et qui en même tempssauvait leur tête: c'était l'ostracisme. Quand un citoyenaurait fait de son nom un sujet de discorde, il proposait dele bannir pour un temps. Sa proposition ne fut pas écoutée.Merlin (de Thionville), thermidorien ardent et citoyenintrépide, commença lui-même à penser qu'il vaudrait peut-être mieux éviter la lutte. Il proposa donc de convoquer lesassemblées primaires, de mettre sur-le-champ laconstitution en vigueur, et de renvoyer le jugement desprévenus à la prochaine législature. Merlin (de Douai)appuya fortement cet avis. Guyton-Morveau en ouvrit unplus ferme. «La procédure que nous faisons, dit-il, est unscandale: où faudra-t-il s'arrêter, si on poursuit tous ceuxqui ont fait des motions plus sanguinaires que celles qu'onreproche aux prévenus? On ne sait, en vérité, si nousachevons ou si nous recommençons la révolution.» On futjustement épouvanté de l'idée d'abandonner, dans unmoment pareil, l'autorité à une nouvelle assemblée; on nevoulait pas non plus donner à la France une constitutionaussi absurde que celle de 93; on déclara donc qu'il n'yavait pas lieu à délibérer sur la proposition des deux

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Merlin. Quant à la procédure commencée, trop devengeances en souhaitaient la continuation, pour qu'elle fûtabandonnée; seulement on décida que l'assemblée, afinde pouvoir vaquer à ses autres soins, ne s'occuperait del'audition des prévenus que tous les jours impairs.

Une telle décision n'était pas faite pour calmer lespatriotes. Le jour de décadi[2] fut employé à s'exciterréciproquement. Les assemblées de section furent trèstumultueuses; cependant le mouvement redouté n'eut paslieu. Dans la section des Quinze-Vingts on fit une nouvellepétition, plus hardie que la première, et qu'on devaitprésenter le lendemain. Elle fut lue, en effet, à la barre de laconvention. «Pourquoi, disait-elle, Paris est-il sansmunicipalité? pourquoi les sociétés populaires sont-ellesfermées? que sont devenues nos moissons? pourquoi lesassignats sont-ils tous les jours plus avilis? pourquoi lesjeunes gens du Palais-Royal peuvent-ils seulss'assembler? pourquoi les patriotes se trouvent-ils seulsdans les prisons? Le peuple enfin veut être libre. Il sait que,lorsqu'il est opprimé, l'insurrection est le premier de sesdevoirs.» La pétition fut écoutée au milieu des murmuresd'une grande partie de l'assemblée, et desapplaudissemens de la Montagne. Le président Pelet (dela Lozère) reçut très rudement les pétitionnaires et lescongédia. La seule satisfaction accordée fut d'envoyer auxsections la liste des patriotes détenus, pour qu'ellespussent juger s'il y en avait qui méritassent d'être réclamés.

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Le reste de la journée du 11 se passa en agitations dansles faubourgs. On se dit de tous côtés qu'il fallait lelendemain se rendre à la convention, pour lui demander denouveau tout ce qu'on n'avait pas pu obtenir encore. Cetavis fut transmis de bouche en bouche dans tous lesquartiers occupés par les patriotes. Les meneurs dechaque section, sans avoir un but bien déterminé, voulaientexciter un rassemblement universel, et pousser vers laconvention la masse entière du peuple. Le lendemain, eneffet, 12 germinal (1er avril), des femmes, des enfans sesoulevèrent dans la section de la Cité, et se réunirent auxportes des boulangers, empêchant ceux qui s'y trouvaientd'accepter la ration, et tâchant d'entraîner tout le mondevers les Tuileries. Les meneurs répandirent en mêmetemps toutes sortes de bruits; ils dirent que la conventionallait partir pour Châlons, et abandonner le peuple de Parisà sa misère; qu'on avait désarmé dans la nuit la sectiondes Gravilliers; que les jeunes gens étaient rassemblés aunombre de trente mille au Champ-de-Mars, et qu'avec leursecours on allait désarmer les sections patriotes. Ilsforcèrent les autorités de la section de la Cité de donnerses tambours; ils s'en emparèrent, et se mirent à battre lagénérale dans toutes les rues. L'incendie s'étendit avecrapidité: la population du Temple et du faubourg Saint-Antoine se leva, et, suivant les quais et le boulevart, seporta vers les Tuileries. Des femmes, des enfans, deshommes ivres, composaient ce rassemblementformidable; ces derniers étaient armés de bâtons, etportaient ces mots écrits sur leurs chapeaux: Du pain et la

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constitution de 93.

Dans ce moment la convention écoutait un rapport deBoissy-d'Anglas sur les divers systèmes adoptés enmatière de subsistances. Elle n'avait auprès d'elle que sagarde ordinaire; le rassemblement était parvenu jusqu'àses portes; il inondait le Carrousel, les Tuileries, etobstruait toutes les avenues, de manière que lesnombreuses patrouilles répandues dans Paris nepouvaient venir au secours de la représentation nationale.La foule s'introduit dans le salon de la Liberté, quiprécédait la salle des séances, et veut pénétrer jusqu'ausein même de l'assemblée. Les huissiers et la garde fonteffort pour l'arrêter; des hommes, armés de bâtons, seprécipitent, dispersent tout ce qui veut résister, se ruentcontre les portes, les enfoncent, et débordent enfin, commeun torrent, dans le milieu de l'assemblée, en poussant descris, en agitant leurs chapeaux, et en soulevant un nuagede poussière. Du pain! du pain! la constitution de 93! telssont les mots vociférés par cette foule aveugle. Lesdéputés ne quittent point leurs sièges, et montrent un calmeimposant. Tout à coup l'un d'eux se lève, et crie: Vive larépublique! Tous l'imitent, et la foule pousse aussi le mêmecri, mais elle ajoute: Du pain! la constitution de 93! Lesmembres seuls du côté gauche font éclater quelquesapplaudissemens, et ne semblent pas attristés de voir lapopulace au milieu d'eux. Cette multitude, à laquelle, onn'avait tracé aucun plan, dont les meneurs ne voulaient seservir que pour intimider la convention, se répand parmi les

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députés, va s'asseoir à côté d'eux, mais sans oser sepermettre aucune violence à leur égard. Legendre veutprendre la parole. «Si jamais, dit-il, la malveillance....» Onne le laisse pas continuer. «A bas! à bas! s'écrie lamultitude, nous n'avons pas de pain.» Merlin (de Thionville),toujours aussi courageux qu'à Mayence ou dans laVendée, quitte sa place, descend au milieu de la populace,parle à plusieurs de ces hommes, les embrasse, en estembrassé, et les engage à respecter la convention.... «A taplace! lui crient quelques montagnards.—Ma place, répondMerlin, est au milieu du peuple. Ces hommes viennent dem'assurer qu'ils n'ont aucune mauvaise intention; qu'ils neveulent point imposer à la convention par leur nombre; que,loin de là, ils la défendront, et qu'ils ne sont ici que pour luifaire connaître l'urgence de leurs besoins.—Oui, oui,s'écrie-t-on encore dans la foule, nous voulons du pain.»

Dans ce moment, on entend des cris dans le salon de laLiberté: c'est un nouveau flot populaire qui déborde sur lepremier: c'est une seconde irruption d'hommes, defemmes et d'enfans, criant tous à la fois: Du pain! dupain!... Legendre veut recommencer ce qu'il allait dire; onl'interrompt encore en criant: A bas!

Les montagnards sentaient bien que, dans cet état, laconvention, opprimée, avilie, étouffée, ne pouvait niécouter, ni parler, ni délibérer, et que le but même del'insurrection était manqué, puisque les décrets désirés nepouvaient être rendus. Gaston et Duroi, tous deux siégeant

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à gauche, se lèvent, et se plaignent de l'état où l'on a réduitl'assemblée. Gaston s'approche du peuple: «Mes amis,dit-il, vous voulez du pain, la liberté des patriotes et laconstitution; mais pour cela il faut délibérer, et on ne le peutpas si vous restez ici.» Le bruit empêche que Gaston soitentendu. André Dumont, qui a remplacé le président aufauteuil, veut en vain donner les mêmes raisons à la foule; iln'est pas écouté. Le montagnard Huguet parvient seul àfaire entendre quelques mots: «Le peuple qui est ici, dit-il,n'est pas en insurrection; il vient demander une chose juste:c'est l'élargissement des patriotes. Peuple, n'abandonnepas tes droits.» Dans ce moment, un homme monte à labarre, en traversant la foule qui s'ouvre devant lui; c'est lenommé Vanec, qui commandait la section de la Cité àl'époque du 31 mai. «Représentans, dit-il, vous voyezdevant vous les hommes du 14 juillet, du 10 août, et encoredu 31 mai....» Ici les tribunes, la populace et la Montagneapplaudissent à outrance. «Ces hommes, continue Vanec,ont juré de vivre libres ou de mourir. Vos divisionsdéchirent la patrie, elle ne doit plus souffrir de vos haines.Rendez la liberté aux patriotes, et le pain au peuple.Faites-nous justice de l'armée de Fréron, et de cesmessieurs à bâtons. Et toi, Montagne sainte, ajoutel'orateur en se tournant vers les bancs de gauche, toi qui astant combattu pour la république, les hommes du 14 juillet,du 10 août et du 31 mai te réclament dans ce moment etde crise; tu les trouveras toujours prêts à te soutenir,toujours prêts à verser leur sang pour la patrie!» Des cris,des applaudissemens accompagnent les dernières

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paroles de Vanec. Une voix de l'assemblée sembles'élever contre lui, mais on la distingue à peine. Ondemande que celui qui a quelque chose à dire contreVanec se fasse entendre. «Oui, oui, s'écrie Duhem, qu'il ledise tout haut.» Les orateurs de plusieurs sections sesuccèdent à la barre, et, en termes plus mesurés,demandent les mêmes choses que celle de la Cité. Leprésident Dumont répond avec fermeté que la conventions'occupera des voeux et des besoins du peuple aussitôtqu'elle pourra reprendre ses travaux. «Qu'elle le fasse toutde suite, répondent plusieurs voix; nous avons besoin depain.» Le tumulte dure ainsi pendant plusieurs heures. Leprésident est en butte à des interpellations de touteespèce. «Le royalisme est au fauteuil, lui dit Choudieu.—Nos ennemis excitent l'orage, répond Dumont, ils ignorentque la foudre va tomber sur leurs têtes.—Oui, répliqueRuamps, la foudre c'est votre jeunesse du Palais-Royal.—Du pain! du pain! répètent des femmes en furie.»

Cependant on entend sonner le tocsin du Pavillon del'Unité. Les comités, en effet, exécutant la loi de grandepolice, faisaient réunir les sections. Plusieurs avaient prisles armes, et marchaient sur la convention. Lesmontagnards sentaient bien qu'il fallait se hâter de convertiren décrets les voeux des patriotes; mais pour cela il étaitnécessaire de dégager un peu l'assemblée, et de la laisserrespirer. «Président, s'écrie Duhem, engage donc les bonscitoyens à sortir, pour que nous puissions délibérer.» Ils'adresse aussi au peuple. «Le tocsin a sonné, lui dit-il, la

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générale a battu dans les sections; si vous ne nous laissezpas délibérer, la patrie est perdue.» Choudieu veut prendreune femme par le bras pour la faire sortir: «Nous sommeschez nous, lui répond-elle avec colère.» Choudieuinterpelle le président, et lui dit que, s'il ne sait pas remplirson devoir, et faire évacuer la salle, il n'a qu'à céder laplace à un autre. Il parle, de nouveau à la foule: «On voustend un piége, lui dit-il; retirez-vous, pour que nouspuissions accomplir vos voeux.» Le peuple, voyant lesmarques d'impatience données par toute la Montagne, sedispose à se retirer. L'exemple donné, on le suit peu à peu;la grande affluence diminue dans l'intérieur de la salle, etcommence aussi à diminuer au dehors. Les groupes dejeunes gens n'auraient rien pu aujourd'hui contre ce peupleimmense; mais les bataillons nombreux des sectionsfidèles à la convention arrivaient déjà de toutes parts, et lamultitude se retirait devant eux. Vers le soir, l'intérieur etl'extérieur de la salle se trouvent dégagés, et la tranquillitéest rétablie dans la convention.

A peine l'assemblée est-elle délivrée, que l'on demande lacontinuation du rapport de Boissy-d'Anglas, qui avait étéinterrompu par l'irruption de la populace. L'assembléen'était pas encore bien rassurée, et voulait prouver que,devenue libre, son premier soin était de s'occuper dessubsistances du peuple. A la suite de son rapport, Boissypropose de prendre dans les sections de Paris une forcearmée pour protéger aux environs l'arrivage des grains. Ledécret est rendu. Prieur (de la Marne) propose de

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commencer la distribution du pain par les ouvriers; cetteproposition est encore adoptée. La soirée était déjà fortavancée; une force considérable était réunie autour de laconvention. Quelques factieux, qui résistaient encore,s'étaient réunis les uns dans la section des Quinze-Vingts,les autres dans celle de la Cité. Ces derniers s'étaientemparés de l'église de Notre-Dame, et s'y étaient pourainsi dire retranchés. Néanmoins on n'avait plus aucunecrainte, et l'assemblée pouvait punir les attentats du jour.

Isabeau se présente au nom des comités, rapporte lesévénemens de la journée, la manière dont lesrassemblemens s'étaient formés, la direction qu'ils avaientreçue, et les mesures que les comités avaient prises pourles dissiper, conformément à la loi du 1er germinal. Ilrapporte que le député Auguis, chargé de parcourirdifférens quartiers de Paris, a été arrêté par les factieux, etblessé; que Pénière, envoyé pour le dégager, a été atteintd'un coup de feu. A ce récit, on pousse des crisd'indignation; on demande vengeance. Isabeau propose,1° de déclarer qu'en ce jour la liberté des séances de laconvention a été violée; 2° de charger les comitésd'instruire contre les auteurs de cet attentat. A cetteproposition, les montagnards, voyant quel avantage on vatirer contre eux d'une tentative manquée, poussent desmurmures. Les trois quarts de l'assemblée se lèvent endemandant à aller aux voix. On dit de tout côté que c'est un20 juin contre la représentation nationale, qu'aujourd'hui ona envahi la salle de l'assemblée, comme on envahit au 20

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juin le palais du roi, et que, si la convention ne sévit, onpréparera bientôt contre elle un 10 août. Sergent, députéde la Montagne, veut imputer ce mouvement aux feuillans,aux Lameth, aux Duport, qui, de Londres, tâchent, dit-il, depousser les patriotes à des excès imprudens. On luirépond qu'il divague. Thibaudeau, qui, pendant cettescène, s'était retiré de l'assemblée, indigné qu'il était del'attentat commis contre elle, s'élance à la tribune. «Elle estlà, dit-il en montrant le côté gauche, la minorité quiconspire. Je déclare que je me suis absenté pendantquatre heures, parce que je ne voyais plus ici lareprésentation nationale. J'y reviens maintenant, et j'appuiele projet de décret. Le temps de la faiblesse est passé:c'est la faiblesse de la représentation nationale qui l'atoujours compromise, et qui a encouragé une factioncriminelle. Le salut de la patrie est aujourd'hui dans vosmains: vous la perdrez si vous êtes faibles.» On adopte ledécret au milieu des applaudissemens; et ces accès decolère et de vengeance, qui se réveillent au souvenir desdangers qu'on a courus, commencent à éclater de toutesparts. André Dumont, qui avait occupé le fauteuil au milieude cette scène orageuse, s'élance à la tribune; il se plaintdes menaces, des insultes dont il a été l'objet; il rappelleque Chasles et Choudieu, en le montrant au peuple, ont ditque le royalisme était au fauteuil; que Foussedoire avaitproposé la veille, dans un groupe, de désarmer la gardenationale. Foussedoire lui donne un démenti; une foule dedéputés assurent cependant l'avoir entendu. «Au reste,reprend Dumont, je méprise tous ces ennemis qui ont voulu

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diriger les poignards contre moi; ce sont les chefs qu'il fautfrapper. On a voulu sauver aujourd'hui les Billaud, lesCollot, les Barrère; je ne vous proposerai pas de lesenvoyer à la mort, car ils ne sont pas jugés, et le temps desassassinats est passé, mais de les bannir du territoirequ'ils infectent et agitent par des séditions. Je vouspropose pour cette nuit même la déportation des quatreprévenus dont vous agitez la cause depuis plusieurs jours.»Cette proposition est accueillie par de vifsapplaudissemens. Les membres de la Montagnedemandent l'appel nominal, et plusieurs d'entre eux vont aubureau en signer la demande. «C'est le dernier effort, ditBourdon, d'une minorité dont la trahison est confondue. Jevous propose, en outre, l'arrestation de Choudieu, Chasleset Foussedoire.» Les deux propositions sont décrétées.On termine ainsi par la déportation le long procès deBillaud, Collot, Barrère et Vadier. Choudieu, Chasles etFoussedoire, sont frappés d'arrestation. On ne se bornepas là; on rappelle que Huguet a pris la parole pendantl'envahissement de la salle, et s'est écrié: Peuple! n'oubliepas tes droits! que Léonard Bourdon présidait la sociétépopulaire de la rue du Vert-Bois, et qu'il a poussé àl'insurrection par ses déclamations continuelles; queDuhem a encouragé ouvertement les révoltés pendantl'irruption de la populace; que les jours précédens il a étévu au café Payen, à la section des Invalides, buvant avecles principaux chefs des terroristes, et les encourageant àl'insurrection; en conséquence on décrète d'arrestationHuguet, Léonard Bourdon et Duhem. Beaucoup d'autres

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sont encore dénoncés; dans le nombre se trouve Amar, lemembre le plus abhorré de l'ancien comité de sûretégénérale, et réputé le plus dangereux des montagnards. Laconvention fait encore arrêter ce dernier. Pour éloigner deParis ces prétendus chefs de la conspiration, on demandequ'ils soient détenus au château de Ham. La propositionest décrétée, et il est décidé en outre qu'ils y seront traduitssur-le-champ. On propose ensuite de déclarer la capitaleen état de siége, en attendant que le danger soitentièrement passé. Le général Pichegru était dans cemoment à Paris, et dans tout l'éclat de sa gloire. On lenomme général de la force armée pendant tout le tempsque durera le péril; on lui adjoint les députés Barras etMerlin (de Thionville). Il était six heures du matin, 13germinal (2 avril); l'assemblée, accablée de fatigue, sesépare, se confiant dans les mesures qu'elle a prises.

Les comités se mirent en mesure de faire exécuter sansretard les décrets qui venaient d'être rendus. Le matinmême on enferma dans des voitures les quatre déportés,quoique l'un d'eux, Barrère, fût extrêmement malade, et onles achemina sur la route d'Orléans, pour les envoyer àBrest. On mit la même promptitude à faire partir les septdéputés condamnés à être détenus au château de Ham.Les voitures devaient traverser les Champs-Elysées; lespatriotes le savaient, et une foule d'entre eux s'étaientportés sur leur passage pour les arrêter. Quand les voituresarrivèrent précédées par la gendarmerie, un nombreuxrassemblement se forma autour d'elles. Les uns disaient

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que c'était la convention qui se retirait à Châlons,emportant les fonds de la trésorerie; les autres disaient aucontraire que c'étaient les députés patriotes injustementenlevés du sein de la convention, et qu'on n'avait pas ledroit d'arracher à leurs fonctions. On dispersa lagendarmerie, et on conduisit les voitures au comité civil dela section des Champs-Elysées. Dans le même instant unautre rassemblement fondit sur le poste qui gardait labarrière de l'Étoile, s'empara des canons et les braqua surl'avenue. Le chef de la gendarmerie voulut en vainparlementer avec les séditieux; il fut assailli et obligé des'enfuir. Il courut au Gros-Caillou demander des secours;mais les canonniers de la section menacèrent de faire feusur lui s'il ne se retirait. Dans ce moment, arrivaientplusieurs bataillons des sections et quelques centaines dejeunes gens commandés par Pichegru, et tout fiers demarcher sous les ordres d'un général aussi célèbre. Lesinsurgés tirèrent deux coups de canon, et firent unefusillade assez vive. Raffet, qui ce jour-là commandait lessections, reçut un coup de feu à bout portant; Pichegru lui-même courut de grands dangers, et fut deux fois couché enjoue. Cependant sa présence, et l'assurance qu'ilcommuniqua à ceux qu'il commandait, décidèrent lesuccès. Les insurgés furent mis en fuite, et les voiturespartirent sans obstacle.

Il restait à dissiper le rassemblement de la section desQuinze-Vingts, auquel s'était réuni celui qui s'était formé àl'église Notre-Dame. Là, les factieux s'étaient érigés en

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assemblée permanente, et délibéraient une nouvelleinsurrection. Pichegru s'y rendit, fit évacuer la salle de lasection, et acheva de rétablir la tranquillité publique.

Le lendemain il se présenta à la convention et lui déclaraque les décrets étaient exécutés. Des applaudissemensunanimes accueillirent le conquérant de la Hollande, quivenait, par sa présence à Paris, de rendre un nouveauservice. «Le vainqueur des tyrans, lui répondit le président,ne pouvait manquer de triompher des factieux.» Il reçutl'accolade fraternelle, les honneurs de la séance, et restaexposé, pendant plusieurs heures, aux regards del'assemblée et du public, qui se fixaient de toutes parts surlui seul. On ne recherchait pas la cause de ses conquêtes,on ne faisait pas dans ses exploits la part des accidensheureux; on était frappé des résultats, et on admirait uneaussi brillante carrière.

Cette audacieuse tentative des jacobins, qu'on ne pouvaitmieux caractériser qu'en l'appelant un 20 juin, excita contreeux un redoublement d'irritation, et provoqua de nouvellesmesures répressives. Une enquête sévère fut ordonnéepour découvrir tous les fils de la conspiration qu'onattribuait faussement aux membres de la Montagne. Ceux-ci étaient sans communication avec les agitateurspopulaires, et leurs relations avec eux se bornaient àquelques rencontres de café, à quelques encouragemensen paroles; néanmoins le comité de sûreté générale futchargé de faire un rapport.

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On supposait la conspiration d'autant plus étendue qu'il yavait eu aussi des mouvemens dans tous les pays baignéspar le Rhône et la Méditerranée, à Lyon, Avignon, Marseilleet Toulon. Déjà on avait dénoncé les patriotes commequittant les communes où ils s'étaient signalés par desexcès, et se réunissant en armes dans les principalesvilles, soit pour y fuir les regards de leurs concitoyens, soitpour se rallier à leurs pareils et y faire corps avec eux. Onprétendait qu'ils parcouraient les bords du Rhône, qu'ilscirculaient en bandes nombreuses dans les environsd'Avignon, de Nîmes, d'Arles, dans les plaines de la Crau,et qu'ils y commettaient des brigandages contre leshabitans réputés royalistes. On leur imputait la mort d'unriche particulier, magistrat à Avignon, qu'on avaitassassiné et dépouillé. A Marseille, ils étaient à peinecontenus par la présence des représentans et par lesmesures qu'on avait prises en mettant la ville en état desiége. A Toulon, ils s'étaient réunis en grand nombre, et yformaient un rassemblement de plusieurs mille individus, àpeu près comme avaient fait les fédéralistes à l'arrivée dugénéral Carteaux. Ils y dominaient la ville par leur réunionavec les employés de la marine, qui presque tous avaientété choisis par Robespierre le jeune après la reprise de laplace. Ils avaient beaucoup de partisans dans les ouvriersde l'arsenal, dont le nombre s'élevait à plus de douze mille;et tous ces hommes réunis étaient capables des plusgrands excès. Dans ce moment l'escadre, entièrementréparée, était prête à mettre à la voile; le représentantLetourneur se trouvait à bord de l'amiral; des troupes de

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débarquement avaient été mises sur les vaisseaux, et ondisait l'expédition destinée pour la Corse. Lesrévolutionnaires, profitant du moment où il ne restait dans laplace qu'une faible garnison peu sûre, et dans laquelle ilscomptaient beaucoup de partisans, avaient formé unsoulèvement, et, dans les bras même des troisreprésentans Mariette, Ritter et Cambon, avaient égorgésept prisonniers prévenus d'émigration. Dans les derniersjours de ventôse (mars), ils renouvelèrent les mêmesdésordres. Vingt prisonniers, faits sur une frégate ennemie,étaient dans l'un des forts; ils soutenaient que c'étaient desémigrés, et qu'on voulait leur faire grâce. Ils soulevèrent lesdouze mille ouvriers de l'arsenal, entourèrent lesreprésentans, faillirent les égorger, et furent heureusementcontenus par un bataillon qui fut mis à terre par l'escadre.

Ces faits, coïncidant avec ceux de Paris, ajoutèrent auxcraintes du gouvernement, et redoublèrent sa sévérité.Déjà il avait été enjoint à tous les membres desadministrations municipales, des comités révolutionnaires,des commissions populaires ou militaires, à tous lesemployés enfin destitués depuis le 9 thermidor, de quitterles villes où ils s'étaient rendus, et de rentrer dans leurscommunes respectives. Un décret plus sévère encore futporté contre eux. Ils s'étaient emparés des armesdistribuées dans les momens de danger; on décréta quetous ceux qui étaient connus en France pour avoircontribué à la vaste tyrannie abolie le 9 thermidor, seraientdésarmés. C'était à chaque assemblée municipale, ou à

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chaque assemblée de section, qu'appartenait ladésignation des complices de cette tyrannie, et le soin deles désarmer. On conçoit à quelles poursuitesdangereuses allait les exposer ce décret, dans un momentoù ils venaient d'exciter une haine si violente.

On ne s'en tint pas là: on voulut leur enlever les prétenduschefs qu'ils avaient sur les bancs de la Montagne. Quoiqueles trois principaux eussent été condamnés à ladéportation, que sept autres, savoir: Choudieu, Chasles,Foussedoire, Léonard Bourdon, Huguet, Duhem et Amar,eussent été envoyés au château de Ham, on crut qu'il enrestait encore d'aussi redoutables. Cambon, le dictateurdes finances, et l'adversaire inexorable des thermidoriens,auxquels il ne pardonnait pas d'avoir osé attaquer saprobité, parut au moins incommode; on le supposa mêmedangereux. On prétendit que le matin du 12 il avait dit auxcommis de la trésorerie: «Vous êtes ici trois cents, et encas de péril vous pourrez résister;» paroles qu'il étaitcapable d'avoir proférées, et qui prouvaient sa conformitéde sentimens, mais non sa complicité avec les jacobins.Thuriot, autrefois thermidorien, mais redevenu montagnarddepuis la rentrée des soixante-treize et des vingt-deux, etdéputé très influent, fut aussi considéré comme chef de lafaction. On rangea dans la même catégorie Crassous, quiavait été l'un des soutiens les plus énergiques desjacobins; Lesage-Senault, qui avait contribué à faire fermerleur club, mais qui depuis s'était effrayé de la réaction;Lecointre (de Versailles), adversaire déclaré de Billaud,

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Collot et Barrère, et revenu à la Montagne depuis la rentréedes girondins; Maignet, l'incendiaire du Midi; Hentz, leterrible proconsul de la Vendée; Levasseur (de la Sarthe),l'un de ceux qui avaient contribué à la mort de Philippeau;et Granet (de Marseille), accusé d'être l'instigateur desrévolutionnaires du Midi. C'est Tallien qui les désigna, etqui, après en avoir fait le choix à la tribune même del'assemblée, demanda qu'ils fussent arrêtés comme leurssept collègues, et envoyés à Ham avec eux. Le voeu deTallien fut accompli, et ils furent condamnés à subir cettedétention.

Ainsi ce mouvement des patriotes leur valut d'êtrepoursuivis, désarmés dans toute la France, renvoyés dansleurs communes, et de perdre une vingtaine demontagnards, dont les uns furent déportés et les autresrenfermés. Chaque mouvement d'un parti qui n'est pasassez fort pour vaincre ne fait que hâter sa perte.

Après avoir frappé les individus, les thermidoriensattaquèrent les choses: la commission des sept, chargéede faire un rapport sur les lois organiques de laconstitution, déclara, sans aucune retenue, que laconstitution était si générale, qu'elle était à refaire. Onnomma alors une commission de onze membres, pourprésenter un nouveau plan. Malheureusement les victoiresde leurs adversaires, loin de faire rentrer lesrévolutionnaires dans l'ordre, allaient les exciter davantage,et provoquer de leur part de nouveaux et dangereux efforts.

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NOTES:

[1]

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24, 25 et 26 mars.

[2]

10 germinal.

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CHAPITRE XXVIII.

CONTINUATION DES NÉGOCIATIONS DEBÂLE.—TRAITÉ DE PAIX AVEC LAHOLLANDE.—CONDITIONS DE CETRAITÉ.—AUTRE TRAITÉ DE PAIX AVECLA PRUSSE.—POLITIQUE DEL'AUTRICHE ET DES AUTRES ÉTATS DEL'EMPIRE.—PAIX AVEC LA TOSCANE.—NÉGOCIATIONS AVEC LA VENDÉE ETLA BRETAGNE.—SOUMISSION DECHARETTE ET AUTRES CHEFS.—STOFFLET CONTINUE LA GUERRE.—POLITIQUE DE HOCHE POUR LAPACIFICATION DE L'OUEST.—INTRIGUES DES AGENS ROYALISTES.—PAIX SIMULÉE DES CHEFS INSURGÉSDANS LA BRETAGNE.—PREMIÈREPACIFICATION DE LA VENDÉE.—ÉTAT

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DE L'AUTRICHE ET DE L'ANGLETERRE;PLANS DE PITT, DISCUSSIONS DUPARLEMENT ANGLAIS.—PRÉPARATIFSDE LA COALITION POUR UNENOUVELLE CAMPAGNE.

Pendant ces tristes événemens, les négociationscommencées à Bâle avaient été interrompues un momentpar la mort du baron de Goltz. Aussitôt les bruits les plusfâcheux se répandirent. Un jour on disait: Les puissancesne traiteront jamais avec une république sans cessemenacée par les factions; elles la laisseront périr dans lesconvulsions de l'anarchie, sans la combattre et sans lareconnaître. Un autre jour on prétendait tout le contraire: Lapaix, disait-on, est faite avec l'Espagne, les arméesfrançaises n'iront pas plus loin; on traite avec l'Angleterre,on traite avec la Russie, mais aux dépens de la Suède etdu Danemark, qui vont être sacrifiés à l'ambition de Pitt etde Catherine, et qui seront ainsi récompensés de leuramitié pour la France. On voit que la malveillance, diversedans ses dires, imaginait toujours le contraire de ce quiconvenait à la république; elle supposait des ruptures oùl'on désirait la paix, et la paix où l'on désirait des victoires.Une autre fois enfin elle tâcha de faire croire que toute paixétait à jamais impossible, et qu'il y avait à ce sujet uneprotestation déposée au comité de salut public par lamajorité des membres de la convention. C'était une

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nouvelle saillie de Duhem qui avait donné lieu à ce bruit. Ilprétendait que c'était une duperie de traiter avec une seulepuissance, et qu'il ne fallait accorder la paix à aucune, tantqu'elles ne viendraient pas la demander toutes ensemble. Ilavait déposé une note sur ce sujet au comité de salutpublic, et c'est là ce qui fit supposer une prétendueprotestation.

Les patriotes, de leur côté, répandaient des bruits nonmoins fâcheux. Ils disaient que la Prusse traînait lesnégociations en longueur, pour faire comprendre laHollande dans un traité commun avec elle, pour laconserver ainsi sous son influence, et sauver lestathoudérat. Ils se plaignaient de ce que le sort de cetterépublique restait si long-temps incertain, de ce que lesFrançais n'y jouissaient d'aucun des avantages de laconquête, de ce que les assignats n'y étaient reçus qu'àmoitié prix et seulement des soldats, de ce que lesnégocians hollandais avaient écrit aux négocians belges etfrançais qu'ils étaient prêts à rentrer en affaires avec eux,mais à condition d'être payés d'avance et en valeursmétalliques; de ce que les Hollandais avaient laissé partirle stathouder emportant tout ce qu'il avait voulu, et envoyé àLondres ou transporté sur les vaisseaux de la compagniedes Indes une partie de leurs richesses. Beaucoup dedifficultés s'étaient élevées en effet en Hollande, soit àcause des conditions de la paix, soit à cause de l'exaltationdu parti patriote. Le comité de salut public y avait dépêchédeux de ses membres, capables par leur influence de

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terminer tous les différends. Dans l'intérêt de lanégociation, il avait demandé à la convention la faculté dene désigner ni leur nom ni l'objet de leur mission.L'assemblée y avait consenti, et ils étaient partis sur-le-champ.

Il était naturel que de si grands événemens, que de si hautsintérêts excitassent des espérances, des craintes et desdires si contraires. Mais, malgré toutes ces rumeurs, lesconférences continuaient avec succès; le comte deHardenberg avait remplacé à Bâle le baron de Goltz, et lesconditions allaient être arrêtées de part et d'autre.

A peine ces négociations avaient-elles été entamées quel'empire des faits s'était fait sentir, et avait exigé desmodifications aux pouvoirs du comité de salut public. Ungouvernement tout ouvert, qui ne pourrait rien cacher, riendécider par lui-même, rien faire sans une délibérationpublique, serait incapable de négocier un traité avecaucune puissance, même la plus franche. Il faut, pourtraiter, signer des suspensions d'armes, neutraliser desterritoires; il faut surtout du secret, car une puissancenégocie quelquefois long-temps avant qu'il lui convienne del'avouer; ce n'est pas tout: il y a souvent des articles quidoivent demeurer ignorés. Si une puissance promet, parexemple, d'unir ses forces à celles d'une autre; si ellestipule ou la jonction d'une armée ou celle d'une escadre,ou un concours quelconque de moyens, ce secret devientde la plus grande importance. Comment le comité de salut

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public, renouvelé par quart chaque mois, obligé de rendrecompte de tout, et n'ayant plus la vigueur et la hardiesse del'ancien comité qui savait tout prendre sur lui-même,comment aurait-il pu négocier, surtout avec despuissances honteuses de leurs fautes, n'avouant qu'avecpeine leur défaite, et tenant toutes, ou à laisser desconditions cachées ou à ne publier leur transaction quelorsqu'elle serait signée? La nécessité où il s'était trouvéd'envoyer deux de ses membres en Hollande, sans faireconnaître ni leur nom, ni leur mission, était une premièrepreuve du besoin de secret dans les opérationsdiplomatiques. Il présenta en conséquence un décret qui luiattribuait les pouvoirs indispensablement nécessaires pourtraiter, et qui fut la cause de nouvelles rumeurs.

C'est un spectacle curieux, pour la théorie desgouvernemens, que celui d'une démocratie, surmontantson indiscrète curiosité, sa défiance à l'égard du pouvoir,et subjuguée par la nécessité, accordant à quelquesindividus la faculté de stipuler même des conditionssecrètes. C'est ce que fit la convention nationale. Elleconféra au comité de salut public le pouvoir de stipulermême des armistices, de neutraliser des territoires, denégocier des traités, d'en arrêter les conditions, de lesrédiger, de les signer même, et elle ne se réserva que cequi lui appartenait véritablement, c'est-à-dire la ratification.Elle fit plus: elle autorisa le comité à signer des articlessecrets, sous la seule condition que ces articles necontiendraient rien de dérogatoire aux articles patens, et

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seraient publiés dès que l'intérêt du secret n'existerait plus.Muni de ces pouvoirs, le comité poursuivit et conduisit àterme les négociations commencées avec différentespuissances.

La paix avec la Hollande fut enfin signée sous l'influence deRewbell, et surtout de Sieyès, qui étaient les deuxmembres du comité récemment envoyés en Hollande. Lespatriotes hollandais firent au célèbre auteur de la premièredéclaration des droits un accueil brillant, et eurent pour luiune déférence qui termina bien des difficultés. Lesconditions de la paix, signée à La Haye le 27 floréal an III(16 mai), furent les suivantes: La république françaisereconnaissait la république des Provinces-Unies commepuissance libre et indépendante, lui garantissait sonindépendance et l'abolition du stathoudérat. Il y avait entreles deux républiques alliance offensive et défensivependant toute la durée de la guerre actuelle. Cette allianceoffensive et défensive devait être perpétuelle entre les deuxrépubliques dans tous les cas de guerre contrel'Angleterre. Celle des Provinces-Unies mettaitactuellement à la disposition de la France douze vaisseauxde ligne et dix-huit frégates, qui devaient être employésprincipalement dans les mers d'Allemagne, du Nord et dela Baltique. Elle donnait en outre pour auxiliaire à la Francela moitié de son armée de terre, qui, à la vérité, étaitréduite à presque rien, et devait être réorganisée en entier.Quant aux démarcations de territoire, elles étaient fixéescomme il suit: la France gardait toute la Flandre

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hollandaise, de manière qu'elle complétait ainsi sonterritoire du côté de la mer, et l'étendait jusqu'aux bouchesdes fleuves; du côté de la Meuse et du Rhin, elle avait lapossession de Venloo et Maëstricht, et tous les payscompris au midi de Venloo, de l'un et de l'autre côté de laMeuse. Ainsi la république renonçait sur ce point às'étendre jusqu'au Rhin, ce qui était raisonnable. De cecôté, en effet, le Rhin, la Meuse, l'Escaut, se mêlenttellement, qu'il n'y a plus de limite claire. Lequel de cesbras d'eau doit-il être considéré comme le Rhin? on ne lesait, et tout est convention à cet égard. D'ailleurs, de cecôté aucune hostilité ne menace la France que celle de laHollande, hostilité fort peu redoutable, et qui n'exige pas laprotection d'une grande limite. Enfin, le territoire indiquépar la nature à la Hollande, consistant dans les terrainsd'alluvions transportés à l'embouchure des fleuves, il auraitfallu que la France, pour s'étendre jusqu'à l'un desprincipaux cours d'eau, s'emparât des trois quarts aumoins de ces terrains, et réduisît presque à rien larépublique qu'elle venait d'affranchir. Le Rhin ne devientlimite pour la France, à l'égard de l'Allemagne, qu'auxenvirons de Wesel, et la possession des deux rives de laMeuse, au sud de Venloo, laissait cette question intacte.De plus, la république française se réservait la faculté, encas de guerre du côté du Rhin ou de la Zélande, de mettregarnison dans les places de Grave, Bois-le-Duc et Berg-op-Zoom. Le port de Flessingue demeurait commun. Ainsitoutes les précautions étaient prises. La navigation duRhin, de la Meuse, de l'Escaut, du Hondt et de toutes leurs

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branches, était à jamais déclarée libre. Outre cesavantages, une indemnité de 100 millions de florins étaitpayée par la Hollande. Pour dédommager cette dernièrede ses sacrifices, la France lui promettait, à la pacificationgénérale, des indemnités de territoire, prises sur les paysconquis, et dans le site le plus convenable à la bonnedémarcation des limites réciproques.

Ce traité reposait sur les bases les plus raisonnables; levainqueur s'y montrait aussi généreux qu'habile. Vainementa-t-on dit qu'en attachant la Hollande à son alliance, laFrance l'exposait à perdre la moitié de ses vaisseauxdétenus dans les ports de l'Angleterre, et surtout sescolonies livrées sans défense à l'ambition de Pitt. LaHollande, laissée neutre, n'aurait ni recouvré sesvaisseaux, ni conservé ses colonies, et Pitt aurait trouvéencore le prétexte de s'en emparer pour le compte dustathouder. La conservation seule du stathoudérat, sanssauver d'une manière certaine ni les vaisseaux, ni lescolonies hollandaises, aurait du moins ôté tout prétexte àl'ambition anglaise; mais le maintien du stathoudérat, avecles principes politiques de la France, avec les promessesfaites aux patriotes bataves, avec l'esprit qui les animait,avec les espérances qu'ils avaient conçues en nousouvrant leurs portes, était-il possible, convenable,honorable même?

Les conditions avec la Prusse étaient plus faciles à régler.Bischoffverder venait d'être enfermé. Le roi de Prusse,

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délivré des mystiques, avait conçu une ambition toutenouvelle. Il ne parlait plus de sauver les principes de l'ordregénéral; il voulait maintenant se faire le médiateur de lapacification universelle. Le traité fut signé avec lui à Bâle,le 16 germinal (5 avril 1795). Il fut convenu d'abord qu'il yaurait paix, amitié et bonne intelligence entre sa majesté leroi de Prusse et la république française; que les troupes decette dernière abandonneraient la partie des étatsprussiens qu'elles occupaient sur la rive droite du Rhin;qu'elles continueraient à occuper les provincesprussiennes situées sur la rive gauche, et que le sortdéfinitif de ces provinces ne serait fixé qu'à la pacificationgénérale. Il était bien évident, d'après cette dernièrecondition, que la république, sans s'expliquer encorepositivement, songeait à se donner la limite du Rhin, maisque, jusqu'à de nouvelles victoires sur les armées del'Empire et sur l'Autriche, elle ajournait la solution desdifficultés que cette grande détermination devait fairenaître. Alors seulement elle pourrait ou évincer les uns, oudonner des indemnités aux autres. La république françaises'engageait à recevoir la médiation du roi de Prusse poursa réconciliation avec les princes et les états de l'empiregermanique; elle s'engageait même pendant trois mois àne pas traiter en ennemis ceux de ces princes de la rivedroite en faveur de qui sa majesté prussiennes'intéresserait. C'était le moyen assuré d'amener toutl'Empire à demander la paix par l'intermédiaire de laPrusse.

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En effet, aussitôt que ce traité fut signé, le cabinet de Berlinfit solennellement annoncer sa détermination à l'Empire, etles motifs qui l'avaient dirigé. Il déclara à la diète qu'il offraitses bons offices à l'Empire s'il désirait la paix, et, si lamajorité des états la refusait, à ceux d'entre eux quiseraient obligés de traiter isolément pour leur sûretépersonnelle. De son côté, l'Autriche adressa des réflexionstrès amères à la diète; elle dit qu'elle désirait la paix autantque personne, mais qu'elle la croyait impossible; qu'ellechoisirait le moment convenable pour en traiter, et que lesétats de l'Empire trouveraient beaucoup plus d'avantages àse confier à l'antique foi autrichienne qu'à des puissancesparjures qui avaient manqué à tous leurs engagemens. Ladiète, pour paraître se préparer à la guerre, tout endemandant la paix, décréta pour cette campagne lequintuple contingent, et stipula que les états qui nepourraient fournir des soldats auraient la faculté de s'endispenser en donnant 240 florins par homme. En mêmetemps elle décida que l'Autriche, venant de se lier avecl'Angleterre pour la continuation de la guerre, ne pouvaitêtre médiatrice de la paix, et résolut de confier cettemédiation à la Prusse. Il ne resta plus à déterminer que laforme et la composition de la députation.

Malgré ce vif désir de traiter, l'Empire ne le pouvait guèreen masse; car il devait exiger, pour ses membresdépouillés de leurs états, des restitutions que la Francen'aurait pu faire sans renoncer à la ligne du Rhin. Mais ilétait évident que, dans cette impossibilité de traiter

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collectivement, chaque prince se jetterait dans les bras dela Prusse, et ferait, par cet intermédiaire, sa paixparticulière.

Ainsi, la république commençait à désarmer ses ennemis,et à les forcer à la paix. Il n'y avait de bien résolus à laguerre que ceux qui avaient fait de grandes pertes, et quin'espéraient pas recouvrer par des négociations ce qu'ilsvenaient de perdre par les armes. Telles devaient être lesdispositions des princes de la rive gauche du Rhindépouillés de leurs états, de l'Autriche privée des Pays-Bas, du Piémont évincé de la Savoie et de Nice. Ceux, aucontraire, qui avaient eu le bon esprit de garder laneutralité, s'applaudissaient chaque jour, et de leursagesse, et des avantages qu'elle leur valait. La Suède etle Danemark allaient envoyer des ambassadeurs auprèsde la convention. La Suisse, qui était devenue l'entrepôt ducommerce du continent, persistait dans ses sagesintentions, et adressait, par l'organe de M. Ochs, à l'envoyéBarthélemy ces belles paroles: «Il faut une Suisse à laFrance, et une France à la Suisse. Il est, en effet, permisde supposer que, sans la confédération helvétique, lesdébris des anciens royaumes de Lorraine, de Bourgogneet d'Arles, n'eussent point été réunis à la dominationfrançaise; et il est difficile de croire que, sans la puissantediversion et l'intervention décidée de la France, on ne fûtpas enfin parvenu à étouffer la liberté helvétique dans sonberceau.» La neutralité de la Suisse venait en effet derendre un service éminent à la France, et avait contribué à

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la sauver. A ces pensées M. Ochs en ajoutait d'autres nonmoins élevées. «On admirera peut-être un jour, disait-il, cesentiment de justice naturelle qui, nous faisant abhorrertoute influence étrangère dans le choix de nos formes degouvernement, nous interdisait par-là même de nous érigeren juges du mode d'administration publique choisi par nosvoisins. Nos pères n'ont censuré ni les grands feudatairesde l'empire germanique pour avoir ravalé la puissanceimpériale, ni l'autorité royale de France pour avoircomprimé les grands feudataires. Ils ont vusuccessivement les états-généraux représenter la nationfrançaise; les Richelieu, les Mazarin se saisir du pouvoirabsolu; Louis XIV déployer à lui seul la puissance entièrede la nation; et les parlemens prétendre partager, au nomdu peuple, l'autorité publique; mais jamais on ne lesentendit, d'une voix téméraire, s'arroger le droit de rappelerle gouvernement français à telle ou telle période de sonhistoire. Le bonheur de la France fut leur voeu, son unitéleur espoir, l'intégrité de son territoire leur appui.»

Ces principes si élevés et si justes étaient la critiquesévère de la politique de l'Europe, et les résultats que laSuisse en recueillait étaient une assez frappantedémonstration de leur sagesse. L'Autriche, jalouse de soncommerce, voulait le gêner par un cordon; mais la Suisseréclama auprès du Wurtemberg et des états voisins, etobtint justice.

Les puissances italiennes souhaitaient la paix, celles du

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moins que leur imprudence pouvait exposer un jour à defâcheux résultats. Le Piémont, quoique épuisé, avait assezperdu pour désirer encore de recourir aux armes. Mais laToscane, entraînée malgré elle à sortir de sa neutralité, parl'ambassadeur anglais qui, la menaçant d'une escadre, nelui avait donné que douze heures pour se décider, laToscane était impatiente de revenir à son rôle, surtoutdepuis que les Français étaient aux portes de Gênes. Enconséquence, le grand-duc avait ouvert une négociationqui venait de se terminer par un traité le plus aisé de tous àconclure. La bonne intelligence et l'amitié étaient rétabliesentre les deux états; et le grand-duc restituait à larépublique les blés qui, dans ses ports, avaient été enlevésaux Français au moment de la déclaration de guerre.Même avant la négociation, il avait fait cette restitution deson propre mouvement. Ce traité, avantageux à la Francepour le commerce du Midi, et surtout pour celui des grains,fut conclu le 21 pluviôse (9 février).

Venise, qui avait rappelé son envoyé de France, annonçaqu'elle allait en désigner un autre, et le faire partir pourParis. Le pape, de son côté, regrettait les outrages faitsaux Français.

La cour de Naples, égarée par les passions d'une reineinsensée et les intrigues de l'Angleterre, était loin desonger à négocier, et faisait de ridicules promesses desecours à la coalition.

L'Espagne avait toujours besoin de la paix, et semblait

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attendre d'y être forcée par de nouveaux échecs.

Une négociation, non moins importante peut-être à causede l'effet moral qu'elle devait produire, était celle qu'onavait entamée à Nantes avec les provinces insurgées. Ona vu comment les chefs de la Vendée, divisés entre eux,presque abandonnés de leurs paysans, suivis à peine dequelques guerroyeurs déterminés, pressés de toutes partspar les généraux républicains, réduits à choisir entre uneamnistie ou une destruction complète, avaient été amenésà traiter de la paix; on a vu comment Charette avaitaccepté une entrevue près de Nantes; comment leprétendu baron de Cormatin, major-général de Puisaye,s'était présenté pour être le médiateur de la Bretagne;comment il voyageait avec Humbert, balancé entre le désirde tromper les républicains, de se concerter avecCharette, de séduire Canclaux, et l'ambition d'être lepacificateur de ces célèbres contrées. Le rendez-vouscommun était à Nantes; les entrevues devaient commencerau château de la Jaunaye, à une lieue de cette ville, le 24pluviôse (12 février).

Cormatin, arrivé à Nantes, avait voulu faire parvenir àCanclaux la lettre de Puisaye; mais cet homme, qui voulaittromper les républicains, ne sut pas même leur soustrairela connaissance de cette lettre si dangereuse. Elle futconnue et publiée, et lui obligé de déclarer que la lettreétait supposée, qu'il n'en était point le porteur, et qu'il venaitsincèrement négocier la paix. Il se trouva par-là plus

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engagé que jamais. Ce rôle de diplomate habile, trompantles républicains, donnant le mot à Charette, et séduisantCanclaux, lui échappait; il ne lui restait plus que celui depacificateur. Il vit Charette, et le trouva réduit, par saposition, à traiter momentanément avec l'ennemi. Dès cetinstant, Cormatin n'hésita plus à travailler à la paix. Il futconvenu que cette paix serait simulée, et qu'en attendantl'exécution des promesses de l'Angleterre, on paraîtrait sesoumettre à la république. Pour le moment, on songea àobtenir les meilleures conditions possibles. Cormatin etCharette, dès que les conférences furent ouvertes, remirentune note dans laquelle ils demandaient la liberté descultes, des pensions alimentaires pour tous lesecclésiastiques de la Vendée, l'exemption de servicemilitaire et d'impôt pendant dix ans, afin de réparer lesmaux de la guerre, des indemnités pour toutes lesdévastations, l'acquittement des engagemens contractéspar les chefs pour les besoins de leurs armées, lerétablissement des anciennes divisions territoriales dupays et de son ancien mode d'administration, la formationde gardes territoriales sous les ordres des générauxactuels, l'éloignement de toutes les armées républicaines,l'exclusion de tous les habitans de la Vendée qui étaientsortis du pays comme patriotes, et dont les royalistesavaient pris les biens, enfin une amnistie commune auxémigrés comme aux Vendéens. De pareilles demandesétaient absurdes, et ne pouvaient être admises. Lesreprésentans accordèrent la liberté des cultes, desindemnités pour ceux dont les chaumières avaient été

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dévastées, l'exemption de service pour les jeunes gens dela présente réquisition, afin de repeupler les campagnes, laformation des gardes territoriales, sous les ordres desadministrations, au nombre de deux mille hommesseulement; l'acquittement des bons signés par lesgénéraux, jusqu'à la concurrence de deux millions. Mais ilsrefusèrent le rétablissement des anciennes divisionsterritoriales et des anciennes administrations, l'exemptiond'impôt pendant dix ans, l'éloignement des arméesrépublicaines, l'amnistie pour les émigrés, et ils exigèrentla rentrée dans leurs biens des Vendéens patriotes. Ilsstipulèrent, de plus, que toutes ces concessions seraientrenfermées, non dans un traité, mais dans des arrêtésrendus par les représentans en mission; et que, de leurcôté, les généraux vendéens signeraient une déclarationpar laquelle ils reconnaîtraient la république, etpromettraient de se soumettre à ses lois. Une dernièreconférence fut fixée pour le 29 pluviôse (17 février), car latrève finissait le 30.

On demanda, avant de conclure la paix, que Stofflet fûtappelé à ces conférences. Plusieurs officiers royalistes ledésiraient, parce qu'ils pensaient qu'on ne devait pastraiter sans lui; les représentans le souhaitaient aussi,parce qu'ils auraient voulu comprendre dans une mêmetransaction toute la Vendée. Stofflet était dans ce momentdirigé par l'ambitieux abbé Bernier, lequel était peudisposé à une paix qui allait le priver de toute soninfluence; d'ailleurs Stofflet n'aimait pas à jouer le second

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rôle, et il voyait avec humeur toute cette négociationcommencée et conduite sans lui. Cependant il consentit àse rendre aux conférences; il vint à la Jaunaye avec ungrand nombre de ses officiers.

Le tumulte fut grand, les partisans de la paix et ceux de laguerre étaient fort échauffés les uns contre les autres. Lespremiers se groupaient autour de Charette; ils alléguaientque ceux qui voulaient continuer la guerre étaient ceux-làmême qui n'allaient jamais au combat; que le pays étaitruiné et réduit aux abois; que les puissances n'avaient rienfait, et probablement ne feraient rien pour eux; ils sedisaient aussi tout bas à l'oreille, qu'il fallait du resteattendre, gagner du temps au moyen d'une paix simulée, etque, si l'Angleterre tenait jamais ses promesses, on seraittout prêt à se lever. Les partisans de la guerre disaient, aucontraire, qu'on ne leur offrait la paix que pour lesdésarmer, violer ensuite toutes les promesses et lesimmoler impunément; que poser les armes un instant,c'était amollir les courages, et rendre impossible touteinsurrection à venir; que puisque la république traitait,c'était une preuve qu'elle-même était réduite à la dernièreextrémité; qu'il suffisait d'attendre, et de déployer encore unpeu de constance, pour voir arriver le moment où l'onpourrait tenter de grandes choses avec le secours despuissances; qu'il était indigne de chevaliers français designer un traité avec l'intention secrète de ne pasl'exécuter, et que du reste on n'avait pas le droit dereconnaître la république, car c'était méconnaître les droits

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des princes pour lesquels on s'était battu si long-temps. Il yeut plusieurs conférences fort animées, et dans lesquelleson montra de part et d'autre beaucoup d'irritation. Unmoment même il y eut des menaces fort vives de la partdes partisans de Charette aux partisans de Stofflet, et onfaillit en venir aux mains. Cormatin n'était pas le moinsardent des partisans de la paix; sa faconde, son agitationde corps et d'esprit, sa qualité de représentant de l'arméede Bretagne, avaient attiré sur lui l'attention.Malheureusement pour lui, il était suivi du nommé Solilhac,que le comité central de la Bretagne lui avait donné pourl'accompagner. Solilhac, étonné de voir Cormatin jouer unrôle si différent de celui dont on l'avait chargé, lui fitremarquer qu'il s'éloignait de ses instructions, et qu'on nel'avait pas envoyé pour traiter de la paix. Cormatin fut fortembarrassé; Stofflet et les partisans de la guerretriomphèrent, en apprenant que la Bretagne songeait plutôtà se ménager un délai et à se concerter avec la Vendéequ'à se soumettre; ils déclarèrent que jamais ils neposeraient les armes, puisque la Bretagne était décidée àles soutenir.

Le 29 pluviôse au matin (17 février), le conseil de l'arméede l'Anjou se réunit dans une salle particulière du châteaude la Jaunaye, pour prendre une détermination définitive.Les chefs de division de Stofflet tirèrent leurs sabres, etjurèrent de couper le cou au premier qui parlerait de paix;ils décidèrent entre eux la guerre. Charette, Sapinaud etleurs officiers décidèrent la paix dans une autre salle. A

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midi on devait se réunir sous une tente élevée dans laplaine, avec les représentans du peuple. Stofflet, n'osantleur déclarer en face la détermination qu'il avait prise, leurenvoya dire qu'il n'acceptait pas leurs propositions. Lesreprésentans laissèrent à une distance convenue ledétachement qui les accompagnait, et se rendirent sous latente. Charette laissa ses Vendéens à la même distance,et ne vint au rendez-vous qu'avec ses principaux officiers.Pendant ce temps on vit Stofflet monter à cheval, avecquelques forcenés qui l'accompagnaient, et partir au galopen agitant son chapeau, et criant vive le roi! Sous la tenteoù Charette et Sapinaud conféraient avec lesreprésentans, on n'avait plus à discuter, car l'ultimatum desreprésentans était accepté d'avance. On signaréciproquement les déclarations convenues. Charette,Sapinaud, Cormatin et les autres officiers signèrent leursoumission aux lois de la république; les représentansdonnèrent les arrêtés contenant les conditions accordéesaux chefs vendéens. La plus grande politesse régna depart et d'autre, et tout sembla faire espérer uneréconciliation sincère.

Les représentans, qui voulaient donner un grand éclat à lasoumission de Charette, lui préparèrent à Nantes uneréception magnifique. La joie la plus vive régnait dans cetteville toute patriote. On se flattait de toucher enfin au termede cette affreuse guerre civile; on s'applaudissait de voir unhomme aussi distingué que Charette rentrer dans le seinde la république, et peut-être consacrer son épée à la

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servir. Le jour désigné pour son entrée solennelle, la gardenationale et l'armée de l'Ouest furent mises sous lesarmes. Tous les habitans, pleins de joie et de curiosité,accouraient pour voir et pour fêter ce chef célèbre. On lereçut aux cris de vive la république! vive Charette! Il avaitson costume de général vendéen, et portait la cocardetricolore. Charette était dur, défiant, rusé, intrépide; toutcela se retrouvait dans ses traits et dans sa personne. Unetaille moyenne, un oeil petit et vif, un nez relevé à la tartare,une large bouche, lui donnaient l'expression la plussingulière et la plus convenable à son caractère. Enaccourant au devant de lui, chacun chercha à deviner sessentimens. Les royalistes crurent voir l'embarras et leremords sur son visage. Les républicains le trouvèrentjoyeux et presque enivré de son triomphe. Il devait l'être,malgré l'embarras de sa position; car ses ennemis luiprocuraient la plus belle et la première récompense qu'ileût encore reçue de ses exploits.

À peine cette paix fut-elle signée, qu'on songea à réduireStofflet, et à faire accepter aux chouans les conditionsaccordées à Charette. Celui-ci parut sincère dans sestémoignages; il répandit des proclamations dans le pays,pour faire rentrer tout le monde dans le devoir. Leshabitans furent extrêmement joyeux de cette paix. Leshommes tout à fait voués à la guerre furent organisés engardes territoriales, et on en laissa le commandement àCharette pour faire la police de la contrée. C'était l'idée deHoche, qu'on défigura pour satisfaire les chefs vendéens,

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qui, ayant à la fois des arrière-pensées et des défiances,voulaient conserver sous leurs ordres les hommes les plusaguerris. Charette promit même son secours contreStofflet, si celui-ci, pressé dans la Haute-Vendée, venait sereplier sur le Marais.

Aussitôt le général Canclaux fut envoyé à la poursuite deStofflet. Ne laissant qu'un corps d'observation autour dupays de Charette, il porta la plus grande partie de sestroupes sur le Layon. Stofflet, voulant imposer par un coupd'éclat, fit une tentative sur Chalonne, qui fut vivementrepoussée et se retira sur Saint-Florent. Il déclara Charettetraître à la cause de la royauté, et fit prononcer contre luiune sentence de mort. Les représentans, qui savaientqu'une pareille guerre devait se terminer, non seulement enemployant les armes, mais en desintéressant lesambitieux, en donnant des secours aux hommes sansressources, avaient aussi répandu l'argent. Le comité desalut public leur avait ouvert un crédit sur ses fonds secrets.Ils donnèrent 60,000 francs en numéraire et 365,000 enassignats à divers officiers de Stofflet. Son major-généralTrotouin reçut 100,000 fr., dont moitié en argent, moitié enassignats, et se détacha de lui. Il écrivit une lettre adresséeaux officiers de l'armée d'Anjou, pour les engager à la paix,en leur donnant les raisons les plus capables de lesébranler.

Tandis qu'on employait ces moyens sur l'armée d'Anjou,les représentans pacificateurs de la Vendée s'étaient

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rendus en Bretagne, pour amener les chouans à unesemblable transaction. Cormatin les avait suivis; il étaitmaintenant tout à fait engagé dans le système de la paix; etil avait l'ambition de faire, à Rennes, l'entrée triomphaleque Charette avait faite à Nantes. Malgré la trève,beaucoup d'actes de brigandage avaient été commis parles chouans. Ceux-ci n'étant pour la plupart que desbandits sans attachement à aucune cause, se souciant fortpeu des vues politiques qui engageaient leurs chefs àsigner une suspension d'armes, ne prenaient aucun soinde l'observer, et ne songeaient qu'à butiner. Quelquesreprésentans, voyant la conduite des Bretons,commençaient à se défier de leurs intentions, et pensaientdéjà qu'il fallait renoncer à la paix. Boursault était le plusprononcé dans ce sens. Le représentant Bollet, aucontraire, zélé pacificateur, croyait que, malgré quelquesactes d'hostilité, un accommodement était possible, et qu'ilne fallait employer que la douceur. Hoche, courant decantonnemens en cantonnemens, à des distances dequatre-vingts lieues, n'ayant jamais aucun moment derepos, placé entre les représentans qui voulaient la guerreet ceux qui voulaient la paix, entre les jacobins des villes,qui l'accusaient de faiblesse et de trahison, et lesroyalistes, qui l'accusaient de barbarie, Hoche étaitabreuvé de dégoûts sans se refroidir néanmoins dans sonzèle. «Vous me souhaitez encore une campagne desVosges, écrivait-il à un de ses amis; comment voulez-vousfaire une pareille campagne contre des chouans, etpresque sans armée?» Ce jeune capitaine voyait ses

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talens consumés dans une guerre ingrate, tandis que desgénéraux, tous inférieurs à lui, s'immortalisaient enHollande, sur le Rhin, à la tête des plus belles armées de larépublique. Cependant il continuait sa tâche avec ardeur etune profonde connaissance des hommes et de sasituation. On a vu qu'il avait déjà donné les conseils les plussages, par exemple, d'indemniser les insurgés restéspaysans, et d'enrôler ceux que la guerre avait faits soldats.Une plus grande habitude du pays lui avait fait découvrir lesvéritables moyens d'en apaiser les habitans, et de lesrattacher à la république. «Il faut, disait-il, continuer detraiter avec les chefs des chouans; leur bonne foi est fortdouteuse, mais il faut en avoir avec eux. On gagnera, ainsipar la confiance ceux qui ne demandent qu'à être rassurés.Il faudra gagner par des grades ceux qui sont ambitieux;par de l'argent ceux qui ont des besoins; on les diviseraainsi entre eux, et on chargera de la police ceux dont onsera sûr, en leur confiant les gardes territoriales, dont onvient de souffrir l'institution. Du reste, il faudra distribuervingt-cinq mille hommes en plusieurs camps, pour surveillertout le pays; placer autour des côtes un service dechaloupes canonnières qui seront dans un mouvementcontinuel; faire transporter les arsenaux, les armes et lesmunitions, des villes ouvertes, dans les forts et les placesdéfendues. Quant aux habitans, il faudra se servir auprèsd'eux des prêtres, et donner quelques secours aux plusindigens. Si l'on parvient à répandre la confiance par lemoyen des prêtres, la chouannerie tombera sur-le-champ.—Répandez, écrivait il à ses officiers-généraux, le 27

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ventôse, répandez la loi salutaire que la convention vient derendre sur la liberté des cultes; prêchez vous-mêmes latolérance religieuse. Les prêtres, certains qu'on ne lestroublera plus dans l'exercice de leur ministère, deviendrontvos amis, ne fût-ce que pour être tranquilles. Leur caractèreles porte à la paix; voyez-les, dites-leur que la continuationde la guerre les exposera à être chagrinés, non par lesrépublicains, qui respectent les opinions religieuses, maispar les chouans, qui ne reconnaissent ni Dieu ni loi, etveulent dominer et piller sans cesse. Il en est parmi eux depauvres, et en général ils sont très intéressés; ne négligezpas de leur offrir quelques secours, mais sans ostentation,et avec toute la délicatesse dont vous êtes capables. Pareux vous connaîtrez toutes les manoeuvres de leur parti, etvous obtiendrez qu'ils retiennent leurs paysans dans leurscampagnes, et les empêchent de se battre. Vous sentezqu'il faut, pour parvenir à ce but, la douceur, l'aménité, lafranchise. Engagez quelques officiers et soldats à assisterrespectueusement à quelques-unes de leurs cérémonies,mais en ayant soin de ne jamais les troubler. La patrieattend de vous le plus grand dévouement; tous les moyenssont bons pour la servir, lorsqu'ils s'accordent avec les lois,l'honneur et la dignité républicaine.» Hoche ajoutait à cesavis celui de ne rien prendre dans le pays pour la nourrituredes armées, pendant quelque temps au moins. Quant auxprojets des Anglais, il voulait pour les prévenir, qu'ons'emparât de Jersey et de Guernesey, et qu'on établît unechouannerie en Angleterre pour les occuper chez eux. Ilsongeait aussi à l'Irlande; mais il écrivait qu'il s'en

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expliquerait verbalement avec le comité de salut public.

Ces moyens choisis avec un grand sens, et employés enplus d'un endroit avec beaucoup d'adresse, avaient déjàparfaitement réussi. La Bretagne était tout à fait divisée;tous les chouans qui s'étaient montrés à Rennes avaientété caressés, payés, rassurés, et décidés à déposer lesarmes. Les autres, plus opiniâtres, comptant sur Stofflet etsur Puisaye, voulaient persister à faire la guerre. Cormatincontinuait de courir des uns aux autres pour les amener àLa Prévalaye, et les engager à traiter. Malgré l'ardeur quecet aventurier montrait à pacifier le pays, Hoche, qui avaitentrevu son caractère et sa vanité, se défiait de lui, et sedoutait qu'il manquerait de parole aux républicains commeil avait fait aux royalistes. Il l'observait avec grande attentionpour s'assurer s'il travaillait sincèrement et sans arrière-pensée à l'oeuvre d'une réconciliation.

De singulières intrigues vinrent se combiner avec toutesces circonstances, pour amener la pacification tant désiréepar les républicains. On a vu précédemment Puisaye àLondres, tâchant de faire concourir le cabinet anglais à sesprojets; on a vu les trois princes français sur le continent,l'un attendant un rôle à Arnheim, l'autre se battant sur leRhin; le troisième, en sa qualité de régent, correspondantde Vérone avec tous les cabinets, et entretenant uneagence secrète à Paris. Puisaye avait conduit ses projetsen homme aussi actif qu'habile. Sans passer parl'intermédiaire du vieux duc d'Harcourt, inutile

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ambassadeur du régent à Londres, il s'adressadirectement aux ministres anglais. Pitt, invisible d'ordinairepour cette émigration qui pullulait dans les rues deLondres, et l'assiégeait de projets et de demandes desecours, accueillit sur-le-champ l'organisateur de laBretagne, l'aboucha avec le ministre de la guerre Vindham,qui était un ardent ami de la monarchie et voulait lamaintenir ou la rétablir partout. Les projets de Puisaye,mûrement examinés, furent adoptés en entier. L'Angleterrepromit une armée, une escadre, de l'argent, des armes,des munitions immenses, pour descendre sur les côtes deFrance; mais on exigea de Puisaye le secret à l'égard deses compatriotes, et surtout du vieux duc d'Harcourt,envoyé du régent. Puisaye ne demandait pas mieux que detout faire à lui seul; il fut impénétrable pour le ducd'Harcourt, pour tous les autres agens des princes àLondres, et surtout pour les agens de Paris, quicorrespondaient avec le secrétaire même du ducd'Harcourt. Puisaye écrivit seulement au comte d'Artoispour lui demander des pouvoirs extraordinaires, et lui offrirde venir se mettre à la tête de l'expédition. Le princeenvoya les pouvoirs, et promit de venir commander de sapersonne. Bientôt les projets de Puisaye furentsoupçonnés, malgré ses efforts pour les cacher. Tous lesémigrés repoussés par Pitt, et éconduits par Puisaye,furent unanimes. Puisaye, suivant eux, était un intrigantvendu au perfide Pitt, et méditant des projets fort suspects.Cette opinion, répandue à Londres, s'établit bientôt àVérone chez les conseillers du régent. Déjà, dans cette

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petite cour, l'on se défiait beaucoup de l'Angleterre depuisl'affaire de Toulon; on concevait surtout des inquiétudesdès qu'elle voulait se servir de l'un des princes. Cette foison ne manqua pas de demander avec une espèced'anxiété ce qu'elle voulait faire de M. le comte d'Artois,pourquoi le nom de Monsieur n'était pas compris dans sesprojets, si elle croyait pouvoir se passer de lui, etc. Lesagens de Paris, qui tenaient leur mission du régent, etpartageaient ses idées sur l'Angleterre, n'ayant pu obteniraucune communication de Puisaye, répétèrent les mêmespropos sur l'entreprise qui se préparait à Londres. Un autremotif les engageait surtout à la désapprouver. Le régentsongeait à recourir à l'Espagne, et voulait s'y fairetransporter, pour être plus voisin de la Vendée et deCharette, qui était son héros. De leur côté, les agens deParis s'étaient mis en rapport avec un émissaire del'Espagne, qui les avait engagés à se servir de cettepuissance, et leur avait promis qu'elle ferait pour Monsieuret pour Charette ce que l'Angleterre projetait pour le comted'Artois et pour Puisaye. Mais il fallait attendre qu'on pûttransporter Monsieur des Alpes aux Pyrénées, par laMéditerranée, et préparer une expédition considérable.Les intrigans de Paris étaient donc tout à fait portés pourl'Espagne. Ils prétendaient qu'elle effarouchait moins lesFrançais que l'Angleterre, parce qu'elle avait des intérêtsmoins opposés; que d'ailleurs elle avait déjà gagné Tallien,par sa femme, fille du banquier espagnol Cabarrus; ilsosaient même dire qu'on était sûr de Hoche, tantl'imposture leur coûtait peu pour donner de l'importance à

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leurs projets! Mais l'Espagne, ses vaisseaux, ses troupes,n'étaient rien suivant eux au prix des beaux plans qu'ilsprétendaient nouer dans l'intérieur. Placés au sein de lacapitale, ils voyaient se manifester un mouvementd'indignation prononcé contre le système révolutionnaire. Ilfallait, disaient-ils, exciter ce mouvement, et tâcher de lefaire tourner au profit du royalisme; mais pour cela lesroyalistes devaient se montrer le moins redoutablespossible, car la Montagne se fortifiait de toutes les craintsqu'inspirait la contre-révolution. Il suffirait d'une victoire deCharette, d'une descente des émigrés en Bretagne, pourrendre au parti révolutionnaire la force qu'il avait perdue, etdépopulariser les thermidoriens dont on avait besoin.Charette venait de faire la paix; mais il fallait qu'il se tîntprêt à reprendre les armes; il fallait que l'Anjou, que laBretagne, parussent ainsi se soumettre pour un temps; quependant ce temps on séduisît les chefs du gouvernement etles généraux, qu'on laissât les armées passer le Rhin, ets'engager en Allemagne, puis, que tout à coup on surprît laconvention endormie, et qu'on proclamât la royauté dans laVendée, dans la Bretagne, à Paris même. Une expéditionde l'Espagne, portant le régent, et concourant avec cesmouvemens simultanés, pourrait alors décider la victoirede la royauté. Quant à l'Angleterre, on ne devait luidemander que son argent (car il en fallait à ces messieurs),et la tromper ensuite. Ainsi, chacun des mille agensemployés pour la contre-révolution rêvait à sa manière,imaginant des moyens suivant sa position, et voulait être lerestaurateur principal de la monarchie. Le mensonge,

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l'intrigue, étaient les seules ressources de la plupart, etl'argent leur principale prétention.

Avec de telles idées, l'agence de Paris, du genre de celleque Puisaye préparait en Angleterre, devait chercher àécarter pour le moment toute entreprise, à pacifier lesprovinces insurgées, et à y faire signer une paix simulée. Ala faveur de la trève accordée aux chouans, Lemaître,Brottier et Laville-Heurnois venaient de se ménager descommunications avec les provinces insurgées. Le régentles avait chargés de faire parvenir des lettres à Charette;ils les confièrent à un ancien officier de marine, Duverne dePresle, privé de son état et cherchant un emploi. Ils luidonnèrent en même temps la commission de contribuer àla pacification, en conseillant aux insurgés de temporiser,d'attendre des secours de l'Espagne, et un mouvement del'intérieur. Cet envoyé se rendit à Rennes, d'où il fit parvenirles lettres du régent à Charette, et conseilla ensuite à toutle monde une soumission momentanée. D'autres encorefurent chargés du même soin par les agens de Paris, etbientôt les idées de paix, déjà très répandues en Bretagne,se propagèrent encore davantage. On dit partout qu'il fallaitposer les armes, que l'Angleterre trompait les royalistes;que l'on devait tout attendre de la convention, qu'elle allaitrétablir elle-même la monarchie, et que, dans le traité signéavec Charette, se trouvaient des articles secrets portant lacondition de reconnaître bientôt pour roi le jeune orphelindu Temple, Louis XVII. Cormatin, dont la position étaitdevenue fort embarrassante, qui avait manqué aux ordres

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de Puisaye et du comité central, trouva, dans le systèmedes agens de Paris, une excuse et un encouragement poursa conduite. Il paraît même qu'on lui fit espérer lecommandement de la Bretagne à la place de Puisaye. Aforce de soin il parvint à réunir les principaux chouans à LaPrévalaye, et les conférences commencèrent.

Dans cet intervalle, MM. de Tinténiac et de La Roberievenaient d'être envoyés de Londres par Puisaye, lepremier pour apporter aux chouans de la poudre, del'argent, et la nouvelle d'une prochaine expédition, lesecond pour faire parvenir à son oncle Charette l'invitationde se tenir prêt à seconder la descente en Bretagne, etenfin tous deux pour faire rompre les négociations. Ilsavaient cherché à débarquer avec quelques émigrés versles côtes du nord; les chouans avertis, étant accourus àleur rencontre, avaient eu un engagement avec lesrépublicains, et avaient été battus. MM. de La Roberie etde Tinténiac s'étaient sauvés par miracle; mais la trèveétait compromise, et Hoche, qui commençait à se méfierdes chouans, qui soupçonnait la bonne foi de Cormatin,voulait le faire arrêter. Cormatin protesta de sa bonne foiauprès des représentans, et obtint que la trève ne seraitpas rompue. Les conférences continuèrent à La Prévalaye.Un agent de Stofflet vint y prendre part. Stofflet, battu,poursuivi, réduit à l'extrémité, privé de toutes sesressources par la découverte du petit arsenal qu'il avaitdans un bois, demandait enfin à être admis à traiter, etvenait d'envoyer un représentant à La Prévalaye. C'était le

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général Beauvais. Les conférences furent extrêmementvives, comme elles l'avaient été à la Jaunaye. Le généralBeauvais y soutint encore le système de la guerre, malgréla triste position du chef qui l'envoyait, et prétendit queCormatin, ayant signé la paix de la Jaunaye, et reconnu larépublique, avait perdu le commandement dont Puisayel'avait revêtu, et ne pouvait plus délibérer. M. de Tinténiac,parvenu malgré tous les dangers au lieu des conférences,voulut les rompre au nom de Puisaye, et retourner aussitôtà Londres; mais Cormatin et les partisans de la paix l'enempêchèrent. Cormatin décida enfin la majorité à unetransaction, en lui donnant pour raison qu'on gagnerait dutemps par une soumission apparente, et qu'on endormiraitla surveillance des républicains. Les conditions étaient lesmêmes que celles accordées à Charette: liberté descultes, indemnités à ceux dont les propriétés avaient étédévastées, exemption de la réquisition, institution desgardes territoriales. Il y avait une condition de plus dans letraité actuel: c'était un million et demi pour les principauxchefs, dont Cormatin devait avoir sa part. Pour ne pascesser un instant, dit le général Beauvais, de faire acte demauvaise foi, Cormatin, au moment de signer, mit le sabreà la main, jura de reprendre les armes à la premièreoccasion, et recommanda à chacun de conserver jusqu'ànouvel ordre l'organisation établie, et le respect dû à tousles chefs.

Les chefs royalistes se transportèrent ensuite à LaMabilaye, à une lieue de Rennes, pour signer le traité dans

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une réunion solennelle avec les représentans. Beaucoupd'entre eux ne voulaient pas s'y rendre; mais Cormatin les yentraîna. La réunion eut lieu avec les mêmes formalitésqu'à la Jaunaye. Les chouans avaient demandé que Hochene s'y trouvât pas, à cause de son extrême défiance: on yconsentit. Le 1er floréal (20 avril), les représentansdonnèrent les mêmes arrêtés qu'à la Jaunaye, et leschouans signèrent une déclaration par laquelle ilsreconnaissaient la république et se soumettaient à ses lois.

Le lendemain, Cormatin fit son entrée à Rennes, commeCharette à Nantes. Le mouvement qu'il s'était donné,l'importance qu'il s'était arrogée, le faisaient considérercomme le chef des royalistes bretons. On lui attribuait tout,et les exploits de cette foule de chouans inconnus, quiavaient mystérieusement parcouru la Bretagne, et cettepaix qu'on désirait depuis si long-temps. Il reçut uneespèce de triomphe. Applaudi par les habitans, caressépar les femmes, pourvu d'une forte somme d'assignats, ilrecueillait tous les profits et tous les honneurs de la guerre,comme s'il l'avait long-temps soutenue. Il n'était cependantdébarqué en Bretagne que pour jouer ce singulier rôle.Néanmoins il n'osait plus écrire à Puisaye; il ne sehasardait pas à sortir de Rennes, ni à s'enfoncer dans lepays, de peur d'y être fusillé par les mécontens. Lesprincipaux chefs retournèrent dans leurs divisions,écrivirent à Puisaye qu'on les avait trompés, qu'il n'avaitqu'à venir, et qu'au premier signal ils se lèveraient pourvoler à sa rencontre. Quelques jours après, Stofflet, se

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voyant abandonné, signa la paix à Saint-Florent, auxmêmes conditions.

Tandis que les deux Vendées et la Bretagne sesoumettaient, Charette venait enfin de recevoir pour lapremière fois une lettre du régent; elle était datée du 1erfévrier. Ce prince l'appelait le second fondateur de lamonarchie, lui parlait de sa reconnaissance, de sonadmiration, de son désir de le rejoindre, et le nommaitlieutenant-général. Ces témoignages arrivaient un peu tard.Charette, tout ému, répondit aussitôt au régent que la lettredont il venait d'être honoré transportait son âme de joie;que son dévouement et sa fidélité seraient toujours lesmêmes; que la nécessité seule l'avait obligé de céder,mais que sa soumission n'était qu'apparente; que, lorsqueles parties seraient mieux liées, il reprendrait les armes, etserait prêt à mourir sous les yeux de son prince, et pour laplus belle des causes.

Telle fut cette première pacification des provincesinsurgées. Comme l'avait deviné Hoche, elle n'étaitqu'apparente; mais, comme il l'avait senti aussi, on pouvaitla rendre funeste aux chefs vendéens, en habituant le paysau repos, aux lois de la république, et en calmant ouoccupant d'une autre manière cette ardeur de combattrequi animait quelques hommes. Malgré les assurances deCharette au régent, et des chouans à Puisaye, toute ardeurdevait s'éteindre dans les ames après quelques mois decalme. Ces menées n'étaient plus que des actes de

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mauvaise foi, excusables sans doute dans l'aveuglementdes guerres civiles, mais qui ôtent à ceux qui se lespermettent le droit de se plaindre des sévérités de leursadversaires. Les représentans et les généraux républicainsmirent le plus grand scrupule à faire exécuter les conditionsaccordées. Il est sans doute inutile de montrer l'absurditédu bruit répandu alors, et même répété depuis, que lestraités signés renfermaient des articles secrets, portant lapromesse de mettre Louis XVII sur le trône; comme si desreprésentans avaient pu être assez fous pour prendre detels engagemens! comme s'il eût été possible qu'on voulutsacrifier à quelques partisans une république qu'onpersistait à maintenir contre toute l'Europe! Du reste, aucundes chefs, en écrivant aux princes ou aux divers agensroyalistes, n'a jamais osé avancer une telle absurdité.Charette mis plus tard en jugement pour avoir violé lesconditions faites avec lui, n'osa pas non plus faire valoircette excuse puissante de la non-exécution d'un articlesecret. Puisaye, dans ses mémoires, a jugé l'assertionaussi niaise que fausse; et on ne la rappellerait point ici, sielle n'avait été reproduite dans une foule de Mémoires.

Cette paix n'avait pas seulement pour résultat d'amener ledésarmement de la contrée; concourant avec celle de laPrusse, de la Hollande et de la Toscane, et avec lesintentions manifestées par plusieurs autres états, elle eutencore l'avantage de produire un effet moral très grand. Onvit la république reconnue à la fois par ses ennemis dudedans et du dehors, par la coalition et par le parti royaliste

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lui-même.

Il ne restait plus, parmi les ennemis décidés de la France,que l'Autriche et l'Angleterre. La Russie était trop éloignéepour être dangereuse; l'Empire était prêt à se désunir, etincapable de soutenir la guerre; le Piémont était épuisé;l'Espagne, partageant peu les chimériques espérancesdes intrigans royalistes, soupirait après la paix; et la colèrede la cour de Naples était aussi impuissante que ridicule.Pitt, malgré les triomphes inouis de la république française,malgré une campagne sans exemple dans les annales dela guerre, n'était point ébranlé; et sa ferme intelligenceavait compris que tant de victoires, funestes au continent,n'étaient nullement dommageables pour l'Angleterre. Lestathouder, les princes d'Allemagne, l'Autriche, le Piémont,l'Espagne, avaient perdu à cette guerre une partie de leursétats; mais l'Angleterre avait acquis sur les mers unesupériorité incontestable; elle dominait la Méditerranée etl'Océan; elle avait saisi une moitié des flottes hollandaises;elle forçait la marine de l'Espagne à s'épuiser contre cellede la France; elle travaillait à s'emparer de nos colonies,elle allait occuper toutes celles des Hollandais, et assurer àjamais son empire dans l'Inde. Il lui fallait pour cela encorequelque temps de guerre et d'aberrations politiques chezles puissances du continent. Il lui importait donc d'exciterles hostilités en donnant des secours à l'Autriche, enréveillant le zèle de l'Espagne, en préparant de nouveauxdésordres dans les provinces méridionales de la France.Tant pis pour les puissances belligérantes, si elles étaient

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battues dans une nouvelle campagne: l'Angleterre n'avaitrien à craindre; elle continuait ses progrès sur les mers,dans l'Inde et l'Amérique. Si, au contraire, les puissancesétaient victorieuses, elle y gagnait de replacer dans lesmains de l'Autriche les Pays-Bas qu'elle craignait surtoutde voir dans les mains de la France. Tels étaient lescalculs meurtriers, mais profonds, du ministre anglais.

Malgré les pertes que l'Angleterre avait essuyées, soit parles prises, soit par les défaites du duc d'York, soit par lesdépenses énormes qu'elle avait faites pour fournir del'argent à la Prusse et au Piémont, elle possédait encoredes ressources plus grandes que ne le croyaient et lesAnglais et Pitt lui-même. Il est vrai qu'elle se plaignaitamèrement des prises nombreuses, de la disette et de lacherté de tous les objets de consommation. Les navires decommerce anglais, ayant seuls continué à circuler sur lesmers, étaient naturellement plus exposés à être pris par lescorsaires que ceux des autres nations. Les assurances,qui étaient devenues alors un grand objet de spéculation,les rendaient téméraires, et souvent ils n'attendaient pasd'être convoyés: c'est là ce qui procurait tant d'avantages ànos corsaires. Quant à la disette, elle était générale danstoute l'Europe. Sur le Rhin, autour de Francfort, le boisseaude seigle coûtait 15 florins. L'énorme consommation desarmées, la multitude des bras enlevés à l'agriculture, lesdésordres de la malheureuse Pologne, qui n'avait presquepas fourni de grains cette année, avaient amené cettedisette extraordinaire. D'ailleurs les transports par la

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Baltique en Angleterre étaient devenus presqueimpossibles, depuis que les Français étaient maîtres de laHollande. C'est dans le Nouveau-Monde que l'Europe avaitété obligée d'aller s'approvisionner; elle vivait en cemoment de la surabondance des produits de ces terresvierges que les Américains du nord venaient de livrer àl'agriculture. Mais les transports étaient coûteux, et le prixdu pain était monté en Angleterre à un taux excessif. Celuide la viande n'était pas moins élevé. Les laines d'Espagnen'arrivaient plus depuis que les Français occupaient lesports de la Biscaye, et la fabrication des draps allait êtreinterrompue. Aussi, pendant qu'elle était en travail de sagrandeur future, l'Angleterre souffrait cruellement. Lesouvriers se révoltaient dans toutes les villesmanufacturières, le peuple demandait la paix à grands cris,et il arrivait au parlement des pétitions couvertes de milliersde signatures, implorant la fin de cette guerre désastreuse.L'Irlande, agitée pour des concessions qu'on venait de luiretirer, allait ajouter de nouveaux embarras à ceux dont legouvernement était déjà chargé.

A travers ces circonstances pénibles, Pitt voyait des motifset des moyens de continuer la guerre. D'abord elle flattaitles passions de sa cour, elle flattait même celles du peupleanglais, qui avait contre la France un fonds de haine qu'onpouvait toujours ranimer au milieu des plus cruellessouffrances. Ensuite, malgré les pertes du commerce,pertes qui prouvaient d'ailleurs que les Anglais continuaientseuls à parcourir les mers, Pitt voyait ce commerce

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augmenté, depuis deux ans, de la jouissance exclusive detous les débouchés de l'Inde et de l'Amérique. Il avaitreconnu que les exportations s'étaient singulièrementaccrues depuis le commencement de la guerre; et ilpouvait entrevoir déjà l'avenir de sa nation. Il trouvait, dansles emprunts, des ressources dont la fécondité l'étonnaitlui-même. Les fonds ne baissaient pas; la perte de laHollande les avait peu affectés, parce que, l'événementétant prévu, une énorme quantité de capitaux s'était portéed'Amsterdam à Londres. Le commerce hollandais,quoique patriote, se défiait néanmoins des événemens, etavait cherché à mettre ses richesses en sûreté, en lestransportant en Angleterre. Pitt avait parlé d'un nouvelemprunt considérable, et, malgré la guerre, il avait vu lesoffres se multiplier. L'expérience a prouvé depuis, que laguerre, interdisant les spéculations commerciales, et nepermettant plus que les spéculations sur les fonds publics,facilite les emprunts, loin de les rendre plus difficiles. Celadoit arriver encore plus naturellement dans un pays qui,n'ayant pas de frontières, ne voit jamais dans la guerre unequestion d'existence, mais seulement une question decommerce et de débouchés. Pitt résolut donc, au moyendes riches capitaux de sa nation, de fournir des fonds àl'Autriche, d'augmenter sa marine, de réorganiser sonarmée de terre pour la porter dans l'Inde ou l'Amérique, etde donner aux insurgés français des secoursconsidérables. Il fit avec l'Autriche un traité de subsides,semblable à celui qu'il avait fait l'année précédente avec laPrusse. Cette puissance avait des soldats, et elle

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promettait de tenir au moins deux cent mille hommeseffectifs sur pied; mais elle manquait d'argent; elle nepouvait plus ouvrir d'emprunts ni en Suisse, ni à Francfort,ni en Hollande. L'Angleterre s'engagea, non pas à luifournir des fonds, mais à garantir l'emprunt qu'elle allaitouvrir à Londres. Garantir les dettes d'une puissancecomme l'Autriche, c'était presque s'engager à les payer;mais l'opération, sous cette forme, était plus aisée àjustifier devant le parlement. L'emprunt était de 4 millions600,000 livres sterling (115 millions de francs), l'intérêt à 5pour 100. Pitt ouvrit en même temps un emprunt de 18millions sterling pour le compte de l'Angleterre, à 4 pour100. L'empressement des capitalistes fut extrême, etcomme l'emprunt autrichien était garanti par legouvernement anglais, et qu'il portait un plus haut intérêt, ilsexigèrent que, pour deux tiers pris dans l'emprunt anglais,on leur donnât un tiers dans l'emprunt autrichien. Pitt, aprèss'être ainsi assuré de l'Autriche, chercha à réveiller le zèlede l'Espagne, mais il le trouva éteint. Il prit à sa solde lesrégimens émigrés de Condé, et il dit à Puisaye que, lapacification de la Vendée diminuant la confiancequ'inspiraient les provinces insurgées, il lui donnerait uneescadre, le matériel d'une armée, et les émigrésenrégimentés, mais point de soldats anglais; et que si,comme on l'écrivait de Bretagne, les dispositions desroyalistes n'étaient pas changées, et si l'expéditionréussissait, il tâcherait de la rendre décisive, en y envoyantune armée. Il résolut ensuite de porter sa marine de quatre-vingt mille marins à cent mille. Il imagina pour cela une

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espèce de conscription. Chaque vaisseau marchand étaittenu de fournir un matelot par sept hommes d'équipage:c'était une dette que le commerce devait acquitter pour laprotection qu'il recevait de la marine militaire. L'agricultureet l'industrie manufacturière devaient également dessecours à la marine, qui leur assurait des débouchés; enconséquence chaque paroisse était obligée de fourniraussi un matelot. Pitt s'assura ainsi le moyen de donner àla marine anglaise un développement extraordinaire. Lesvaisseaux anglais étaient très inférieurs pour laconstruction aux vaisseaux français; mais l'immensesupériorité du nombre, l'excellence des équipages, etl'habileté des officiers de mer, ne rendaient pas la rivalitépossible.

Avec tous ces moyens réunis, Pitt se présenta auparlement. L'opposition était augmentée cette année devingt membres à peu près. Les partisans de la paix et de larévolution française étaient plus animés que jamais, et ilsavaient des faits puissans à opposer au ministre. Lelangage que Pitt prêta à la couronne, et qu'il tint lui-mêmependant cette session, l'une des plus mémorables duparlement anglais par l'importance des questions et parl'éloquence de Fox et de Sheridan, fut infiniment adroit. Ilconvint que la France avait obtenu des triomphes inouis;mais ces triomphes, loin de décourager ses ennemis,disait-il, devaient au contraire leur donner plus d'opiniâtretéet de constance. C'était toujours à l'Angleterre que laFrance en voulait; c'était sa constitution, sa prospérité

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qu'elle cherchait à détruire; il était à la fois peu prudent etpeu honorable de céder devant une haine aussiredoutable. Dans le moment surtout, déposer les armesserait, disait-il, une faiblesse désastreuse. La France,n'ayant plus que l'Autriche et l'Empire à combattre, lesaccablerait; fidèle alors à sa haine, elle reviendrait, libre deses ennemis du continent, se jeter sur l'Angleterre, quiseule désormais dans cette lutte aurait à soutenir un chocterrible. On devait donc profiter du moment où plusieurspuissances luttaient encore, pour attaquer de concertl'ennemi commun, pour faire rentrer la France dans seslimites, pour lui enlever les Pays-Bas et la Hollande, pourrefouler dans son sein et ses armées, et son commerce, etses principes funestes. Du reste, il ne fallait plus qu'uneffort, un seul pour l'accabler. Elle avait vaincu, sans doute,mais en s'épuisant, en employant des moyens barbares,qui s'étaient usés par leur violence même. Le maximum,les réquisitions, les assignats, la terreur, s'étaient usésdans les mains des chefs de la France. Tous ces chefsétaient tombés pour avoir voulu vaincre à ce prix. Ainsi,ajoutait-il, encore une campagne, et l'Europe, l'Angleterre,étaient vengées et préservées d'une révolution sanglante.D'ailleurs, quand même on ne voudrait pas se rendre à cesraisons d'honneur, de sûreté, de politique, et faire la paix,cette paix ne serait pas plus possible. Les démagoguesfrançais la repousseraient avec cet orgueil féroce qu'ilsavaient montré, même avant d'être victorieux. Et pourtraiter avec eux, où les trouverait-on? où chercher legouvernement, à travers ces factions sanglantes, se

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poussant les unes les autres au pouvoir, et endisparaissant aussi vite qu'elles y étaient arrivées?Comment espérer des conditions solides en stipulant avecces dépositaires si fugitifs d'une autorité toujoursdisputée? Il était donc peu honorable, imprudent,impossible, de négocier. L'Angleterre avait encored'immenses ressources; ses exportations étaientsingulièrement augmentées; son commerce essuyait desprises qui prouvaient sa hardiesse et son activité; samarine devenait formidable, et ses riches capitauxvenaient s'offrir d'eux-mêmes en abondance augouvernement, pour continuer cette guerre juste etnécessaire.

C'était là le nom que Pitt avait donné à cette guerre dèsl'origine, et qu'il affectait de lui conserver. On voit qu'aumilieu de ces raisons de tribune, il ne pouvait pas donnerles véritables, qu'il ne pouvait pas dire à travers quellesvoies machiavéliques il voulait conduire l'Angleterre au plushaut point de puissance. On n'avoue pas à la face dumonde une telle ambition.

Aussi l'opposition répondait-elle victorieusement. On nenous demandait, disaient Fox et Sheridan, qu'unecampagne, à la session dernière; on avait déjà plusieursplaces fortes; on devait en partir au printemps pouranéantir la France. Cependant voyez quels résultats! LesFrançais ont conquis la Flandre, la Hollande, toute la rivegauche du Rhin, excepté Mayence, une partie du Piémont,

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la plus grande partie de la Catalogne, toute la Navarre.Qu'on cherche une semblable campagne dans les annalesde l'Europe! On convient qu'ils ont pris quelques places,montrez-nous donc une guerre où autant de places aientété emportées en une seule campagne! Si les Français,luttant contre l'Europe entière, ont eu de pareils succès,quels avantages n'auront-ils pas contre l'Autriche etl'Angleterre presque seules? car les autres puissances, oune peuvent plus nous seconder, ou viennent de traiter. Ondit qu'ils sont épuisés, que les assignats, leur seuleressource, ont perdu toute leur valeur, que leurgouvernement aujourd'hui a cessé d'avoir son ancienneénergie. Mais les Américains avaient vu leur papier-monnaie tomber à quatre-vingt-dix pour cent de perte, et ilsn'ont pas succombé. Mais ce gouvernement, quand il étaiténergique, on nous le disait barbare; aujourd'hui qu'il estdevenu humain et modéré, on le trouve sans force. On nousparle de nos ressources, de nos riches capitaux; mais lepeuple périt de misère et ne peut payer ni la viande ni lepain; il demande la paix à grands cris. Ces richessesmerveilleuses qu'on semble créer par enchantement sont-elles réelles? Crée-t-on des trésors avec du papier? Tousces systèmes de finance cachent quelque affreuse erreur,quelque vide immense qui apparaîtra tout à coup. Nousallons donnant nos richesses aux puissances de l'Europe:déjà nous les avons prodiguées au Piémont, à la Prusse;nous allons encore les livrer à l'Autriche. Qui nous garantitque cette puissance sera plus fidèle à ses engagemensque la Prusse? Qui nous garantit qu'elle ne sera point

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parjure à ses promesses, et ne traitera pas après avoirreçu notre or? Nous excitons une guerre civile infâme; nousarmons des Français contre leur patrie, et cependant, ànotre honte, ces Français, reconnaissant leur erreur et lasagesse de leur nouveau gouvernement, viennent demettre bas les armes. Irons-nous rallumer les cendreséteintes de la Vendée, pour y réveiller un affreux incendie?On nous parle des principes barbares de la France; cesprincipes ont-ils rien de plus antisocial que notre conduite àl'égard des provinces insurgées? Tous les moyens de laguerre sont donc ou douteux ou coupables ... La paix, dit-on, est impossible; la France hait l'Angleterre; mais quandla violence des Français contre nous s'est-elle déclarée?N'est-ce pas lorsque nous avons montré la coupableintention de leur ravir leur liberté, d'intervenir dans le choixde leur gouvernement, d'exciter la guerre civile chez eux?La paix, dit-on, répandrait la contagion de leurs principes.Mais la Suisse, la Suède, le Danemark, les États-Unis,sont en paix avec eux; leur constitution est-elle détruite? Lapaix, ajoute-t-on encore, est impossible avec ungouvernement chancelant et toujours renouvelé. Mais laPrusse, la Toscane, ont trouvé avec qui traiter; la Suisse, laSuède, le Danemark, les États-Unis, savent avec quis'entendre dans leurs rapports avec la France, et nous nepourrions pas négocier avec elle! Il fallait donc qu'on nousdît en commençant la guerre, que nous ne ferions pas lapaix avant qu'une certaine forme de gouvernement fûtrétablie chez nos ennemis, avant que la république fûtabolie chez eux, avant qu'ils eussent subi les institutions

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qu'il nous plaisait de leur donner.

A travers ce choc de raison et d'éloquence, Pitt,poursuivant sa marche, sans jamais donner ses véritablesmotifs, obtint ce qu'il voulut: emprunts, conscriptionmaritime, suspension de l'habeas corpus. Avec sestrésors, sa marine, les 200 mille hommes de l'Autriche, etle courage désespéré des insurgés français, il résolut defaire cette année une nouvelle campagne, certain dedominer au moins sur les mers, si la victoire sur lecontinent restait à la nation enthousiaste qu'il combattait.

Ces négociations, ces conflits d'opinions en Europe, cespréparatifs de guerre, prouvent de quelle importance notrepatrie était alors dans le monde. A cette époque on vitarriver tous à la fois les ambassadeurs de Suède, deDanemark, de Hollande, de Prusse, de Toscane, deVenise et d'Amérique. A leur arrivée à Paris, ils allaientvisiter le président de la convention, qu'ils trouvaient logéquelquefois à un troisième ou quatrième étage, et dontl'accueil simple et poli avait remplacé les anciennesréceptions de cour. Ils étaient ensuite introduits dans cettesalle fameuse, où siégeait sur de simples banquettes, etdans le costume le plus modeste, cette assemblée qui, parsa puissance et la grandeur de ses passions, ne paraissaitplus ridicule, mais terrible. Ils avaient un fauteuil vis-à-viscelui du président; ils parlaient assis; le président leurrépondait de même, en les appelant par les titres contenusdans leurs pouvoirs. Il leur donnait ensuite l'accolade

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fraternelle, et les proclamait représentans de la puissancequi les envoyait. Ils pouvaient, dans une tribune réservée,assister à ces discussions orageuses, qui inspiraientautant de curiosité que d'effroi aux étrangers. Tel était lecérémonial employé à l'égard des ambassadeurs despuissances. La simplicité convenait à une républiquerecevant sans faste, mais avec décence et avec égards,les envoyés des rois vaincus par elle. Le nom de Françaisétait beau alors, il était ennobli par les plus belles victoireset les plus pures de toutes, celles qu'un peuple remportepour défendre son existence et sa liberté.

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CHAPITRE XXIX.

REDOUBLEMENT DE HAINE ET DEVIOLENCE DES PARTIS APRÈS LE 12GERMINAL.—CONSPIRATIONNOUVELLE DES PATRIOTES.—MASSACRE DANS LES PRISONS, ALYON, PAR LES RÉACTEURS.—DÉCRETS NOUVEAUX CONTRE LESÉMIGRÉS ET SUR L'EXERCICE DUCULTE.—MODIFICATION DANS LESATTRIBUTIONS DES COMITÉS.—QUESTIONS FINANCIÈRES.—BAISSECROISSANTE DU PAPIER-MONNAIE.—AGIOTAGE.—DIVERS PROJETS ETDISCUSSIONS SUR LA RÉDUCTION DESASSIGNATS.—MESURE IMPORTANTEDÉCRÉTÉE POUR FACILITER LA VENTEDES BIENS NATIONAUX.—

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INSURRECTION DESRÉVOLUTIONNAIRES DU 1er PRAIRIALAN III.—ENVAHISSEMENT DE LACONVENTION.—ASSASSINAT DUREPRÉSENTANT FÉRAUD.—PRINCIPAUX ÉVÉNEMENS DE CETTEJOURNÉE ET DES JOURS SUIVANS.—SUITE DE LA JOURNÉE DE PRAIRIAL.—ARRESTATION DE DIVERS MEMBRESDES ANCIENS COMITÉS,CONDAMNATION ET SUPPLICE DESREPRÉSENTANS ROMME, GOUJON,DUQUESNOY, DUROI, SOUBRANY,BOURBOTTE ET AUTRES, COMPROMISDANS L'INSURRECTION.—DÉSARMEMENT DES PATRIOTES ETDESTRUCTION DE CE PARTI.—NOUVELLES DISCUSSIONS SUR LAVENTE DES BIENS NATIONAUX.—ÉCHELLE DE RÉDUCTION ADOPTÉEPOUR LES ASSIGNATS.

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Les événemens de germinal avaient eu pour les deuxpartis qui divisaient la France la conséquence ordinaired'une action incertaine: ces deux partis en étaient devenusplus violens et plus acharnés à se détruire. Dans tout leMidi, et particulièrement à Avignon, Marseille et Toulon, lesrévolutionnaires, plus menaçans et plus audacieux quejamais, échappant à tous les efforts qu'on faisait pour lesdésarmer ou les ramener dans leurs communes,continuaient à demander la liberté des patriotes, la mort detous les émigrés rentrés, et la constitution de 93. Ilscorrespondaient avec les partisans qu'ils avaient danstoutes les provinces; ils les appelaient à eux, et lesengageaient à se réunir sur deux points principaux, Toulon,pour le Midi, Paris pour le Nord. Quand ils seraient assezen force à Toulon, ils soulèveraient, disaient-ils, lesdépartemens, et s'avanceraient pour se joindre à leursfrères du Nord. C'était absolument le projet desfédéralistes en 93.

Leurs adversaires, soit royalistes, soit girondins, étaientaussi devenus plus hardis depuis que le gouvernement,attaqué en germinal, avait donné le signal despersécutions. Maîtres des administrations, ils faisaient unterrible usage des décrets rendus contre les patriotes. Ilsles enfermaient comme complices de Robespierre, oucomme ayant manié les deniers publics sans en avoirrendu compte; ils les désarmaient comme ayant participé àla tyrannie abolie le 9 thermidor, ou bien enfin ils lespourchassaient de lieu en lieu comme ayant quitté leurs

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communes. C'était dans le Midi surtout que les hostilitéscontre ces malheureux patriotes étaient le plus actives, carla violence provoque toujours une violence égale. Dans ledépartement du Rhône, la réaction se préparait terrible.Les royalistes, obligés de fuir la cruelle énergie de 93,revenaient à travers la Suisse, passaient la frontière,rentraient dans Lyon avec de faux passeports, y parlaientdu roi, de la religion, de la prospérité passée, et seservaient du souvenir des mitraillades pour ramener à lamonarchie une cité toute républicaine. Ainsi, les royalistess'appuyaient à Lyon comme les patriotes à Toulon. Ondisait Précy revenu et caché dans la ville, dont il avait, parsa vaillance, causé tous les malheurs. Une foule d'émigrés,accourus à Bâle, à Berne, à Lausanne, se montraient plusprésomptueux que jamais. Ils parlaient de leur rentréeprochaine, ils disaient que leurs amis gouvernaient; quebientôt on allait remettre sur le trône le fils de Louis XVI, lesrappeler eux-mêmes, et leur rendre leurs biens; que dureste, excepté quelques terroristes et quelques chefsmilitaires qu'il faudrait punir, tout le monde contribueraitavec empressement à cette restauration. A Lausanne, oùtoute la jeunesse était enthousiaste de la révolutionfrançaise, on les molestait et on les forçait à se taire.Ailleurs on les laissait dire; on dédaignait leurs vanteries,auxquelles on était assez habitué depuis six ans; mais onse méfiait de quelques-uns d'entre eux, qui étaientpensionnés par la police autrichienne pour épier dans lesauberges les propos imprudens des voyageurs. C'estencore de ce côté, c'est-à-dire vers Lyon, que s'étaient

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formées des compagnies qui, sous les noms decompagnies du Soleil, et compagnies de Jésus, devaientparcourir les campagnes, ou pénétrer dans les villes, etégorger les patriotes retirés dans leurs terres ou détenusdans les prisons. Les prêtres déportés rentraient aussi parcette frontière, et s'étaient déjà répandus dans toutes lesprovinces de l'Est; ils déclaraient nul tout ce qu'avaient faitles prêtres assermentés; ils rebaptisaient les enfans,remariaient les époux, et inspiraient au peuple la haine etle mépris du gouvernement. Ils avaient soin cependant dese tenir près de la frontière, afin de la repasser au premiersignal. Ceux qui n'avaient pas été frappés de déportation,et qui jouissaient en France d'une pension alimentaire, etde la permission d'exercer leur culte, n'abusaient pasmoins que les prêtres déportés de la tolérance dugouvernement. Mécontens de dire la messe dans desmaisons ou louées ou prêtées, ils ameutaient le peuple, etle portaient à s'emparer des églises, qui étaient devenuesla propriété des communes. Une foule de scènesfâcheuses avaient eu lieu pour ce sujet, et il avait falluemployer la force pour faire respecter les décrets. A Paris,les journalistes vendus au royalisme, et poussés parLemaître, écrivaient avec plus de hardiesse que jamaiscontre la révolution, et prêchaient presque ouvertement lamonarchie. L'auteur du Spectateur, Lacroix, avait étéacquitté des poursuites dirigées contre lui, et depuis, latourbe des libellistes ne craignait plus le tribunalrévolutionnaire.

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Ainsi, les deux partis étaient en présence, tout prêts à unengagement décisif. Les révolutionnaires, résolus à porterle coup dont le 12 germinal n'avait été que la menace,conspiraient ouvertement. Ils tramaient des complots danschaque quartier, depuis qu'ils avaient perdu les chefsprincipaux, qui seuls méditaient des desseins pour tout leparti. Il se forma une réunion chez un nommé Lagrelet, ruede Bretagne: on y agitait le projet d'exciter plusieursrassemblemens, à la tête desquels on mettrait Cambon,Maribon-Montaut et Thuriot; de diriger les uns sur lesprisons pour délivrer les patriotes, les autres sur lescomités pour les enlever, d'autres, enfin sur la conventionpour lui arracher des décrets. Une fois maîtres de laconvention, les conspirateurs voulaient lui faire réintégrerles députés détenus, annuler la condamnation portéecontre Billaud-Varennes, Collot-d'Herbois et Barrère;exclure les soixante-treize, et proclamer sur-le-champ laconstitution de 93. Tout était déjà préparé, jusqu'aux pincespour ouvrir les prisons, aux cartes de ralliement pourreconnaître les conjurés, à une pièce d'étoffe pour pendre àla fenêtre de la maison d'où partiraient tous les ordres. Onsaisit une lettre cachée dans un pain, et adressée à unprisonnier, dans laquelle on lui disait: «Le jour où vousrecevrez des oeufs moitié blancs moitié rouges, vous voustiendrez prêts.» Le jour fixé était le 1er floréal. L'un desconjurés trahit le secret, et livra les détails du projet aucomité de sûreté générale. Ce comité fit arrêter aussitôttous les chefs désignés, ce qui malheureusement nedésorganisait pas les projets des patriotes; car tout le

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monde était chef aujourd'hui chez eux, et on conspirait enmille endroits à la fois. Rovère, digne autrefois du nom deterroriste sous l'ancien comité de salut public, et aujourd'huiforcené réacteur, vint faire sur ce complot un rapport à laconvention, et chargea beaucoup les députés qui devaientêtre mis à la tête des rassemblemens. Ces députés étaientétrangers au complot, et on avait disposé de leurs noms àleur insu, parce qu'on en avait besoin, et que l'on comptaitsur leurs dispositions. Déjà condamnés par un décret àêtre détenus à Ham, ils n'avaient pas obéi, et s'étaientsoustraits à leur condamnation. Rovère fit décider parl'assemblée que, s'ils ne se constituaient pas prisonnierssur-le-champ, ils seraient déportés par le fait seul de leurdésobéissance. Ce projet avorté indiquait assez unprochain événement.

Dès que les journaux eurent fait connaître ce nouveaucomplot des patriotes, une grande agitation se manifesta àLyon, et il y eut contre eux un redoublement de fureur. Onjugeait dans ce moment à Lyon un fameux dénonciateurterroriste, poursuivi en vertu du décret rendu contre lescomplices de Robespierre. Les journaux venaient d'arriveret de faire connaître le rapport de Rovère sur le complot du29 germinal. Les Lyonnais commencèrent à s'agiter; laplupart avaient à déplorer ou la ruine de leur fortune ou lamort de leurs parens. Ils s'ameutèrent autour de la salle dutribunal. Le représentant Boisset monta à cheval; onl'entoura, et chacun se mit à lui énumérer ses griefs contrel'homme en jugement. Les promoteurs de désordre, les

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membres des compagnies du Soleil et de Jésus profitèrentde cette émotion, fomentèrent le tumulte, se portèrent auxprisons, les envahirent, et égorgèrent soixante-dix ouquatre-vingts prisonniers, réputés terroristes, et jetèrentleurs cadavres dans le Rhône. La garde nationale fitquelques efforts pour empêcher ce massacre, mais nemontra peut-être pas le zèle qu'elle eût déployé si moins deressentimens l'avaient animée contre les victimes de cettejournée.

Ainsi, à peine le complot jacobin du 29 germinal avait étéconnu, que les contre-révolutionnaires y avaient répondupar le massacre du 5 floréal (24 avril) à Lyon. Lesrépublicains sincères, tout en blâmant les projets desterroristes, furent cependant alarmés de ceux des contre-révolutionnaires. Jusqu'ici ils n'avaient été occupés qu'àempêcher une nouvelle terreur, et ne s'étaient pointeffrayés du royalisme: le royalisme, en effet, paraissait siéloigné après les exécutions du tribunal révolutionnaire etles victoires de nos armées! Mais quand ils le virent,chassé en quelque sorte de la Vendée, rentrer par Lyon,former des compagnies d'assassins, pousser des prêtresperturbateurs jusqu'au milieu de la France, et dicter à Parismême des écrits tout pleins des fureurs de l'émigration, ilsse ravisèrent, et crurent qu'aux mesures rigoureuses prisescontre les suppôts de la terreur, il fallait en ajouter d'autrescontre les partisans de la royauté. D'abord, pour laissersans prétexte ceux qui avaient souffert des excès commis,et qui en exigeaient la vengeance, ils firent enjoindre aux

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tribunaux de mettre plus d'activité à poursuivre les individusprévenus de dilapidations, d'abus d'autorité, d'actesoppressifs. Ils cherchèrent ensuite les mesures les pluscapables de réprimer les royalistes. Chénier, connu parses talens littéraires et ses opinions franchementrépublicaines, fut chargé d'un rapport sur ce sujet. Il traçaun tableau énergique de la France, des deux partis qui s'endisputaient l'empire, et surtout des menées ourdies parl'émigration et le clergé, et il proposa de faire traduire sur-le-champ tout émigré rentré devant les tribunaux, pour luiappliquer la loi; de considérer comme émigré tout déportéqui, étant rentré en France, y serait encore dans un mois;de punir de six mois de prison quiconque violerait la loi surles cultes et voudrait s'emparer de force des églises; decondamner au bannissement tout écrivain qui provoqueraità l'avilissement de la représentation nationale ou au retourde la royauté; enfin, d'obliger toutes les autorités chargéesdu désarmement des terroristes, de donner les motifs dedésarmement. Toutes ces mesures furent accueillies,excepté deux qui suscitèrent quelques observations.Thibaudeau trouva imprudent de punir de six mois deprison les infracteurs de la loi sur les cultes; il dit avecraison que les églises n'étaient bonnes qu'à un seul usage,celui des cérémonies religieuses; que le peuple, assezdévot pour assister à la messe dans des réunionsparticulières, se verrait toujours privé avec un violent regretdes édifices où elle était célébrée autrefois; qu'endéclarant le gouvernement étranger pour jamais aux fraisde tous les cultes, on aurait pu rendre les églises aux

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catholiques, pour éviter des plaintes, des émeutes, et peut-être une Vendée générale. Les observations deThibaudeau ne furent pas accueillies; car en rendant leséglises aux catholiques, même à la charge par eux de lesentretenir, on craignait de rendre à l'ancien clergé despompes qui étaient une partie de sa puissance. Tallien, quiétait devenu journaliste avec Fréron, et qui, soit par cetteraison, soit par une affectation de justice, voulait protégerl'indépendance de la presse, s'opposa au bannissementdes écrivains. Il soutint que la disposition était arbitraire, etlaissait une latitude trop grande aux sévérités contre lapresse. Il avait raison; mais, dans cet état de guerreouverte avec le royalisme, il importait peut-être que laconvention se déclarât fortement contre ces libellistes, quis'empressaient de ramener sitôt la France aux idéesmonarchiques. Louvet, ce girondin si fougueux, dont lesméfiances avaient fait tant de mal à son parti, mais quiétait un des hommes les plus sincères de l'assemblée, sehâta de répondre à Tallien, et conjura tous les amis de larépublique d'oublier leurs dissidences et leurs griefsréciproques, et de s'unir contre l'ennemi le plus ancien, leseul véritable qu'ils eussent tous, c'est-à-dire la royauté. Letémoignage de Louvet en faveur des mesures violentesétait le moins suspect de tous, car il avait bravé la pluscruelle proscription pour combattre le système des moyensrévolutionnaires. Toute l'assemblée applaudit à sa noble etfranche déclaration, vota l'impression et l'envoi de sondiscours à toute France, et adopta l'article, à la grandeconfusion de Tallien, qui avait si mal pris le moment pour

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soutenir une maxime juste et vraie.

Ainsi, tandis que la convention avait ordonné la poursuite,le désarmement des patriotes, et leur retour dans leurscommunes, elle venait en même temps de renouveler leslois contre les émigrés et les prêtres déportés, d'instituerdes peines contre l'ouverture des églises et contre lespamphlets royalistes; mais des lois pénales sont de faiblesgaranties contre des partis prêts à fondre l'un sur l'autre. Ledéputé Thibaudeau pensa que l'organisation des comitésde gouvernement depuis le 9 thermidor était trop faible ettrop relâchée. Cette organisation, établie au moment où ladictature venait d'être renversée, n'avait été imaginée quedans la peur d'une nouvelle tyrannie. Aussi à une tensionexcessive de tous les ressorts avait succédé unrelâchement extrême. On avait restitué à chaque comitéson influence particulière, pour détruire l'influence tropdominante du comité de salut public, et il était résulté decet état de choses des tiraillemens, des lenteurs, et unaffaiblissement complet du gouvernement. En effet, si destroubles survenaient dans un département, la hiérarchievoulait qu'on écrivît au comité de sûreté générale; celui-ciappelait le comité de salut public, et dans certains cascelui de législation; il fallait attendre que ces comitésfussent complets pour se réunir, et ensuite qu'ils eussent letemps de conférer. Les réunions devenaient ainsi presqueimpossibles, et trop nombreuses pour agir. Fallait-ilenvoyer seulement vingt hommes de garde, le comité desûreté générale, chargé de la police, était obligé de

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s'adresser au comité militaire. On sentait maintenant queltort on avait eu de s'effrayer si fort de la tyrannie de l'anciencomité de salut public, et de se précautionner contre undanger désormais chimérique. Un gouvernement ainsiorganisé ne pouvait que très-faiblement résister auxfactions, et ne leur opposer qu'une autorité impuissante. Ledéputé Thibaudeau proposa donc une simplification dugouvernement; il demanda que les attributions de tous lescomités fussent réduites à la simple proposition des lois, etque les mesures d'exécution appartinssent exclusivementau comité de salut public; que celui-ci réunît la police à sesautres fonctions; que par conséquent le comité de sûretégénérale fût aboli; qu'enfin le comité de salut public, chargéainsi de tout le gouvernement, fût porté à vingt-quatremembres pour suffire à l'étendue de sa nouvelle tâche. Lespoltrons de l'assemblée, toujours prompts à s'armer contreles dangers impossibles, se récrièrent contre ce projet, etdirent qu'il renouvelait l'ancienne dictature. La carrièreouverte aux esprits, chacun fit sa proposition. Ceux quiavaient la manie de revenir aux voies constitutionnelles, àla division des pouvoirs, proposèrent de créer un pouvoirexécutif hors de l'assemblée, pour séparer l'exécution de laloi de son vote; d'autres imaginèrent de prendre lesmembres de ce pouvoir dans l'assemblée même, mais deleur interdire, pendant la durée de leurs fonctions, le votelégislatif. Après de longues divagations, l'assemblée sentitque, n'ayant plus que deux ou trois mois à exister, c'est-à-dire à peine le temps nécessaire pour achever laconstitution, il était ridicule de perdre ses momens à faire

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une constitution provisoire, et surtout de renoncer à ladictature dans un instant où on avait plus besoin de forceque jamais. En conséquence on rejeta toutes lespropositions tendantes à la division des pouvoirs; mais onavait trop peur du projet de Thibaudeau pour l'adopter: onse contenta de dégager un peu plus la marche descomités. On décida qu'ils seraient réduits à la simpleproposition des lois; que le comité de salut public auraitseul les mesures d'exécution, mais que la police resteraitau comité de sûreté générale; que les réunions de comitésn'auraient lieu que par envoi de commissaires; et enfin,pour se garantir toujours davantage de ce redoutablecomité de salut public qui faisait tant de peur, on décidaqu'il serait privé de l'initiative des lois, et qu'il ne pourraitjamais faire de propositions tendantes à procéder contreun député.

Pendant qu'on prenait ces moyens pour rendre un peud'énergie au gouvernement, on continuait à s'occuper desquestions financières, dont la discussion avait étéinterrompue par les événemens du mois de germinal.L'abolition du maximum, des réquisitions, du séquestre,de tout l'appareil des moyens forcés, en rendant les chosesà leur mouvement naturel, avait rendu encore plus rapide lachute des assignats. Les ventes n'étant plus forcées, lesprix étant redevenus libres, les marchandises avaientrenchéri d'une manière extraordinaire, et par conséquentl'assignat avait baissé à proportion. Les communicationsau dehors étant rétablies, l'assignat était entré de nouveau

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en comparaison avec les valeurs étrangères, et soninfériorité s'était rapidement manifestée par la baissetoujours croissante du change. Ainsi la chute du papier-monnaie était complète sous tous les rapports, et, suivantla loi ordinaire des vitesses, la rapidité de cette chutes'augmentait de sa rapidité même. Tout changement tropbrusque dans les valeurs amène les spéculationshasardeuses, c'est-à-dire l'agiotage; et comme cechangement n'a jamais lieu que par l'effet d'un désordre oupolitique ou financier, que par conséquent la productionsouffre, que l'industrie et le commerce sont ralentis, cegenre de spéculations est presque le seul qui reste; alors,au lieu de fabriquer ou de transporter de nouvellesmarchandises, on se hâte de spéculer sur les variations deprix de celles qui existent. Au lieu de produire, on parie surce qui est produit. L'agiotage, qui était devenu si grand auxmois d'avril, mai et juin 1793, lorsque la défection deDumouriez, le soulèvement de la Vendée et la coalitionfédéraliste déterminèrent une baisse si considérable dansles assignats, venait de reparaître plus actif que jamais engerminal, floréal et prairial an III (avril et mai 95). Ainsi, auxhorreurs de la disette se joignait le scandale d'un jeueffréné, qui contribuait encore à augmenter lerenchérissement des marchandises et la dépréciation dupapier. Le procédé des joueurs était le même qu'en 93, lemême qu'il est toujours. Ils achetaient des marchandisesqui, haussant par rapport à l'assignat avec une rapiditésingulière, augmentaient de prix dans leurs mains, et leurprocuraient en peu d'instans des profits considérables.

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Tous les voeux et tous les efforts tendaient ainsi à la chutedu papier. Il y avait des objets qui étaient vendus etrevendus des milliers de fois, sans changer de place. Onspéculait même, suivant l'usage, sur ce qu'on n'avait pas.On achetait une marchandise d'un vendeur qui ne lapossédait point, mais qui devait la livrer à un terme fixe: auterme échu, le vendeur ne la livrait pas, mais il payait ladifférence du prix d'achat au prix du jour, si la marchandiseavait haussé; il recevait cette différence si la marchandiseavait baissé. C'est au Palais-Royal, déjà si coupable auxyeux du peuple comme renfermant la jeunesse dorée, quese rassemblaient les agioteurs. On ne pouvait le traversersans être poursuivi par des marchands qui portaient à lamain des étoffes, des tabatières d'or, des vases d'argent,de riches quincailleries. C'est au café de Chartres que seréunissaient tous les spéculateurs sur les matièresmétalliques. Quoique l'or et l'argent ne fussent plusconsidérés comme marchandise, et que depuis 93 il y eûtdéfense, sous des peines très-sévères, de les vendrecontre des assignats, le commerce ne s'en faisait pasmoins d'une manière presque ouverte. Le louis se vendait160 livres en papier, et dans l'espace d'une heure on lefaisait varier de 160 à 200, et même 210 livres.

Ainsi une disette affreuse de pain, un manque absolu demoyens de chauffage par un froid qui était rigoureuxencore au milieu du printemps, un renchérissementexcessif de toutes les marchandises, l'impossibilité d'yatteindre avec un papier qui perdait tous les jours; au

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milieu de ces maux un agiotage effréné, accélérant ladépréciation des assignats par ses spéculations, etdonnant le spectacle d'un jeu scandaleux, et quelquefois defortunes subites à côté de la misère générale, tel était levaste sujet de griefs offert aux patriotes pour soulever lepeuple. Il importait, et pour soulager les malheurs publics,et pour empêcher un soulèvement, de faire disparaître detels griefs; mais c'était là l'éternelle difficulté.

Le moyen jugé indispensable, comme on l'a vu, était derelever les assignats en les retirant; mais pour les retirer ilfallait vendre les biens, et on ne voulait pas s'apercevoir duvéritable obstacle, la difficulté de fournir aux acquéreurs lafaculté de payer un tiers du territoire. On avait rejeté lesmoyens violens, c'est-à-dire la démonétisation et l'empruntforcé; on hésitait entre les deux moyens volontaires, c'est-à-dire, entre une loterie et une banque. La proscription deCambon décida la préférence en faveur du projetJohannot, qui avait proposé la banque. Mais en attendantqu'on pût faire réussir ce moyen chimérique, qui, même enréussissant, ne pouvait jamais ramener les assignats aupair de l'argent, le plus grand mal, celui d'une différenceentre la valeur nominale et la valeur réelle, existait toujours.Ainsi le créancier de l'état ou des particuliers recevaitl'assignat au pair, et ne pouvait le placer que pour undixième tout au plus. Les propriétaires qui avaient afferméleurs terres ne recevaient que le dixième du fermage. Onavait vu des fermiers acquitter le prix de leur bail avec unsac de blé, un cochon engraissé, ou un cheval. Le trésor

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surtout faisait une perte qui contribuait à la ruine desfinances, et par suite, du papier lui-même. Il recevait ducontribuable l'assignat à sa valeur nominale, et touchait parmois une cinquantaine de millions, qui en valaient cinq toutau plus. Pour suppléer à ce déficit, et pour couvrir lesdépenses extraordinaires de la guerre, il était obligéd'émettre jusqu'à huit cents millions d'assignats par mois, àcause de leur grande dépréciation. La première chose àfaire en attendant l'effet des prétendues mesures quidevaient les retirer et les relever, c'était de rétablir lerapport entre leur valeur nominale et leur valeur réelle, demanière que la république, le créancier de l'état, lepropriétaire des terres, les capitalistes, tous les individusenfin payés en papier, ne fussent pas ruinés. Johannotproposa de revenir aux métaux pour mesure des valeurs.On devait constater, jour par jour, le taux des assignats parrapport à l'or ou à l'argent, et ne les plus recevoir qu'à cetaux. Celui auquel il était dû 1,000 francs recevait 10,000francs en assignats, si les assignats ne valaient plus que ledixième des métaux. L'impôt, les fermages, les revenus detoute espèce, la propriété des biens nationaux, seraientpayés en argent ou en assignats au cours. On s'opposa àce choix de l'argent pour terme commun de toutes lesvaleurs, d'abord par une ancienne haine pour les métaux,qu'on accusait d'avoir tué le papier, ensuite parce que lesAnglais en ayant beaucoup, pourraient, disait-on, les fairevarier à leur gré, et seraient ainsi maîtres du cours desassignats. Ces raisons étaient fort misérables; mais ellesdécidèrent la convention à rejeter les métaux pour mesure

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des valeurs. Alors Jean-Bon-Saint-André proposad'adopter le blé, qui était chez tous les peuples la valeuressentielle à laquelle toutes les autres devaient serapporter. Ainsi, on calculerait la quantité de blé quepouvait procurer la somme due, à l'époque où latransaction avait eu lieu, et on paierait en assignats lavaleur suffisante pour acheter aujourd'hui la même quantitéde blé. Ainsi, celui qui devait ou une rente, ou un fermage,ou une contribution de 1,000 francs à une époque où 1,000francs représentaient cent quintaux de blé, donnerait lavaleur actuelle de cent quintaux de blé en assignats. Maison fit une objection. Les malheurs de la guerre et les pertesde l'agriculture avaient fait hausser considérablement le blépar rapport à toutes les autres denrées ou marchandises, ilvalait quatre fois davantage. Il aurait dû, d'après le coursactuel des assignats, ne coûter que dix fois le prix de 1790,c'est-à-dire 100 fr. le quintal; et il en coûtait cependant 400.Celui qui devait 1,000 francs en 1790, devrait aujourd'hui10,000 francs d'assignats en payant d'après le taux del'argent, et 40,000 francs en payant d'après le taux du blé; ildonnerait ainsi une valeur quatre fois trop grande. On nesavait donc pas quelle mesure adopter pour les valeurs. Ledéputé Raffron proposa, à partir du 30 du mois, de fairebaisser les assignats d'un pour cent par jour. On se récriasur-le-champ que c'était une banqueroute, comme si cen'en était pas une que de réduire les assignats au cours del'argent ou du blé, c'est-à-dire de leur faire perdre tout àcoup quatre-vingt-dix pour cent. Bourdon, qui parlait sanscesse de finances sans les entendre, fit décréter qu'on

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refuserait d'écouter toute proposition tendante à labanqueroute.

Cependant la réduction de l'assignat au cours avait uninconvénient des plus graves. Si dans tous les paiemens,soit de l'impôt, soit des fermages, soit des créanceséchues, soit des biens nationaux, on ne prenait plusl'assignat qu'aux taux où il descendait chaque jour, labaisse n'avait plus de terme, car plus rien ne l'arrêtait.Dans l'état actuel, en effet, l'assignat pouvant servir encorepar sa valeur nominale au paiement de l'impôt, desfermages, de toutes les sommes échues, avait un emploiqui donnait encore une certaine réalité à sa valeur; mais sipartout il n'était reçu qu'au taux du jour, il devait baisserindéfiniment et sans mesure. L'assignat émis aujourd'huipour 1,000 fr. pouvait ne plus valoir le lendemain que 100francs, qu'un franc, qu'un centime; il ne ruinerait pluspersonne, il est vrai, ni les particuliers ni l'état; car tous nele prendraient que pour ce qu'il vaudrait; mais sa valeur,n'étant forcée nulle part, allait s'abîmer sur-le-champ. Il n'yavait pas de raison pour qu'un milliard nominal ne tombâtpas à un franc réel, et alors la ressource du papier-monnaie, indispensable encore au gouvernement, allait luimanquer tout à fait.

Dubois-Crancé, trouvant tous ces projets dangereux,s'opposa à la réduction des assignats au cours, etnégligeant les souffrances de ceux qui étaient ruinés par lepaiement en papier, proposa seulement d'exiger l'impôt

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foncier en nature. L'état pouvait s'assurer ainsi le moyen denourrir les armées et les grandes communes, et s'éviterune émission de 3 à 4 milliards de papier, qu'il dépensaitpour se procurer des denrées. Ce projet, qui parutséduisant d'abord, fut écarté ensuite après un mûr examen:il fallut en chercher un autre.

Mais dans l'intervalle, le mal s'accroissait chaque jour; desrévoltes éclataient de toutes parts à cause de la disettedes subsistances et du bois de chauffage; on voyait auPalais-Royal du pain mis en vente à 22 francs la livre; desmariniers, à l'un des passages de la Seine, avaient voulufaire payer jusqu'à 40 mille francs un service qui se payaitautrefois cent francs. Une espèce de désespoir s'emparades esprits; on se récria qu'il fallait sortir de cet état, ettrouver des mesures à tout prix. Dans cette situationcruelle, Bourdon (de l'Oise), financier fort ignorant, quitraitait toutes ces questions en énergumène, trouva, sansdoute par hasard, le seul moyen convenable pour sortird'embarras. Réduire les assignats au cours était difficile,comme on a vu, car on ne savait s'il fallait prendre l'argentou le blé pour mesure, et d'ailleurs c'était leur enlever sur-le-champ toute valeur, et les exposer à une dépréciationsans terme. Les relever en les absorbant était tout aussidifficile, car il fallait vendre les biens, et le placement d'uneaussi grande quantité de propriétés immobilières étaitpresque impossible.

Cependant il y avait un moyen de vendre les biens, c'était

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de les mettre à la portée des acheteurs, en n'exigeantd'eux que la valeur qu'on pouvait en donner dans l'état de lafortune publique. Les biens se vendaient actuellement auxenchères; il en résultait que les offres se proportionnaient àla dépréciation du papier, et qu'il fallait donner enassignats cinq à six fois le prix de 1790. Ce n'était encore,il est vrai, que la moitié de la valeur des terres à cetteépoque; mais c'était encore beaucoup trop pouraujourd'hui, car la terre ne valait en réalité pas la moitié,pas le quart de ce qu'elle avait valu en 1790. Il n'y a riend'absolu dans la valeur. En Amérique, dans les vastescontinens, les terres valent peu, parce que leur masse estde beaucoup supérieure à celle des capitaux mobiliers. Ilen était pour ainsi dire de même en France en 1795. Ilfallait donc ne pas s'en tenir à la valeur fictive de 1790,mais à celle que l'on pouvait en trouver en 1795, car unechose ne vaut réellement que ce qu'elle peut être payée.

En conséquence, Bourdon (de l'Oise) proposa d'adjugerles biens, sans enchères et par simple procès-verbal, àcelui qui en offrirait trois fois en assignats l'estimation de1790. Entre deux concurrens, la préférence devait êtreaccordée à celui qui s'était présenté le premier. Ainsi unbien estimé 100,000 francs, en 1790, devait être payé300,000 francs en assignats. Les assignats étant tombésau quinzième de leur valeur, 300,000 francs nereprésentaient en réalité que 20,000 francs effectifs; onpayait donc avec 20,000 francs un bien qui, en 1790, envalait 100,000. Ce n'était pas perdre les quatre

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cinquièmes, puisque véritablement il était impossibled'obtenir plus. D'ailleurs le sacrifice eût-il été réel, on nedevait pas hésiter, car les avantages étaient immenses.

D'abord on évitait l'inconvénient de la réduction au cours,qui détruisait le papier. On a vu, en effet, que l'assignatréduit au cours dans le paiement de toutes choses, mêmedes biens, n'avait plus de valeur fixée nulle part, et qu'iltombait dans le néant. Mais en lui conservant la faculté depayer les biens, il avait une valeur fixe, car il représentaitune certaine quantité de terre; pouvant toujours la procurer,il en aurait toujours la valeur, et ne périrait pas plus qu'elle.On évitait donc l'anéantissement du papier. Mais il y amieux: il est constant, et ce qui arriva deux mois après leprouva, que tous les biens auraient pu être achetés sur-le-champ, à la condition de les payer trois fois la valeur de1790. Tous les assignats ou presque tous auraient donc purentrer; ceux qui seraient restés dehors auraient recouvréleur valeur; l'état aurait pu en émettre encore, et faire unnouvel usage de cette ressource. Il est vrai qu'en n'exigeantque trois fois l'estimation de 1790, il était obligé de donnerbien plus de terre pour retirer la masse circulante dupapier; mais il devait lui en rester encore pour suffire à denouveaux besoins extraordinaires. D'ailleurs, l'impôt, réduitmaintenant à rien parce qu'il était payé en assignats avilis,recouvrait sa valeur si l'assignat était ou absorbé ou relevé.Les biens, livrés sur-le-champ à l'industrie individuelle,allaient commencer à produire pour les particuliers et pourle trésor; enfin, la plus épouvantable catastrophe était finie,

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car le juste rapport des valeurs se trouvait rétabli.

Le projet de Bourdon (de l'Oise) fut adopté, et on seprépara sur-le-champ à le mettre à exécution; mais l'orageformé depuis long-temps, et dont le 12 germinal n'avait étéqu'un avant-coureur, était devenu plus menaçant quejamais; il était arrêté sur l'horizon, et allait éclater. Les deuxpartis aux prises agissaient chacun à leur manière. Lescontre-révolutionnaires, dominant dans certaines sections,faisaient rédiger des pétitions contre les mesures dontChénier avait été le rapporteur, et particulièrement contrela disposition qui punissait du bannissement l'abus que lesroyalistes faisaient de la presse. De leur côté les patriotes,réduits aux abois, méditaient un projet désespéré. Lesupplice de Fouquier-Tinville, condamné avec plusieursjurés du tribunal révolutionnaire, pour la manière dont ilavait exercé ses fonctions, avait poussé leur irritation aucomble. Quoique découverts dans leur projet du 29germinal, et déjoués récemment dans une secondetentative qu'ils firent pour mettre toutes les sections enpermanence, sous le prétexte de la disette, ils n'enconspiraient pas moins dans les différens quartierspopuleux. Ils avaient fini par former un comité centrald'insurrection, qui résidait entre les quartiers Saint-Denis etMontmartre, dans la rue Mauconseil. Il était composéd'anciens membres des comités révolutionnaires, et dedivers individus de la même espèce, presque tousinconnus hors de leur quartier. Le plan d'insurrection étaitsuffisamment indiqué par tous les événemens du même

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genre: mettre les femmes en avant, les faire suivre par unrassemblement immense, entourer la convention d'une tellemultitude qu'elle ne pût être secourue, l'obliger de rejeterles soixante-treize, de rappeler Billaud, Collot et Barrère,d'élargir les députés détenus à Ham, et tous les patriotesrenfermés, de mettre la constitution de 93 en vigueur, et dedonner une nouvelle commune à Paris, de recourir denouveau à tous les moyens révolutionnaires, au maximum,aux réquisitions, etc..., tel était le plan des patriotes. Ils lerédigèrent en un manifeste composé de onze articles, etpublié au nom du peuple souverain rentré dans sesdroits. Ils le firent imprimer le 30 floréal au soir (19 mai), etrépandre dans Paris. Il était enjoint aux habitans de lacapitale de se rendre en masse à la convention, en portantsur leurs chapeaux ces mots: Du pain et la constitution de93. Toute la nuit du 30 floréal au 1er prairial (20 mai) sepassa en agitations, en cris, en menaces. Les femmescouraient les rues en disant qu'il fallait marcher lelendemain sur la convention, qu'elle n'avait tué Robespierreque pour se mettre à sa place, qu'elle affamait le peuple,protégeait les marchands qui suçaient le sang du pauvre,et envoyait à la mort tous les patriotes. Elless'encourageaient à marcher les premières, parce que,disaient-elles, la force armée n'oserait pas tirer sur desfemmes.

Dès le lendemain[3], en effet, à la pointe du jour, le tumulteétait général dans les faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marceau, dans le quartier du Temple, dans les rues Saint-

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Denis, Saint-Martin, et surtout dans la Cité. Les patriotesfaisaient retentir toutes les cloches dont ils pouvaientdisposer, ils battaient la générale, et tiraient le canon. Dansle même instant le tocsin sonnait au pavillon de l'Unité, parordre du comité de sûreté générale, et les sections seréunissaient; mais celles qui se trouvaient dans le complots'étaient formées de grand matin, et marchaient déjà enarmes, bien avant que les autres eussent été averties. Lerassemblement, grossissant toujours s'avançait peu à peuvers les Tuileries. Une foule de femmes, mêlées à deshommes ivres, et criant: Du pain et la constitution de 93!des troupes de bandits armés de piques, de sabres etd'armes de toute espèce, des flots de la plus vile populace,enfin quelques bataillons des sections régulièrementarmés, formaient ce rassemblement, et marchaient sansordre vers le but indiqué à tous, la convention. Vers les dixheures, ils étaient arrivés aux Tuileries, ils assiégeaient lasalle de l'assemblée, et en fermaient toutes les issues.

Les députés, accourus en toute hâte, étaient à leur poste.Les membres de la Montagne, qui étaient sanscommunication avec cet obscur comité d'insurrection,n'avaient pas été avertis, et, comme leurs collègues, neconnaissaient le mouvement que par les cris de lapopulace et les retentissemens du tocsin. Ils étaient mêmeen défiance, craignant que le comité de sûreté généralen'eût tendu un piége aux patriotes, et ne les eût soulevéspour avoir occasion de sévir contre eux. L'assemblée àpeine réunie, le député Isambeau vint lui lire le manifeste

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de l'insurrection. Les tribunes, occupées de grand matinpar les patriotes, retentirent aussitôt de bruyansapplaudissemens. En voyant la convention ainsi entourée,un membre s'écria qu'elle saurait mourir à son poste.Aussitôt tous les députés se levèrent en répétant: Oui! oui!Une tribune, mieux composée que les autres, applauditcette déclaration. Dans ce moment, on entendait croître lebruit, on entendait gronder les flots de la populace; lesdéputés se succédaient à la tribune, et présentaientdifférentes réflexions. Tout à coup on voit fondre un essaimde femmes dans les tribunes; elles s'y précipitent en foulantaux pieds ceux qui les occupent, et en criant: Du pain! dupain! Le président Vernier se couvre, et leur commande lesilence; mais elles continuent à crier: Du pain! du pain! Lesunes montrent le poing à l'assemblée, les autres rient de sadétresse. Une foule de membres se lèvent pour prendre laparole: ils ne peuvent se faire entendre. Ils demandent quele président fasse respecter la convention; le président nepeut y réussir. André Dumont, qui avait présidé avecfermeté le 12 germinal, succède à Vernier, et occupe lefauteuil. Le tumulte continue; les cris du pain! du pain! sontrépétés par les femmes qui ont fait irruption dans lestribunes. André Dumont déclare qu'il va les faire sortir: onle couvre de huées d'un côté, d'applaudissemens del'autre. Dans ce moment, on entend des coups violensdonnés dans la porte qui est à la gauche du bureau, et lebruit d'une multitude qui fait effort pour l'enfoncer. Les aisde la porte crient, et des plâtras tombent. Le président,

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dans cette situation périlleuse, s'adresse à un général quis'était présenté à la barre avec une troupe de jeunes gens,pour faire, au nom de la section de Bon-Conseil, unepétition fort sage: «Général, lui dit-il, je vous somme deveiller sur la représentation nationale, et je vous nommecommandant provisoire de la force armée.» L'assembléeconfirme cette nomination par ses applaudissemens. Legénéral déclare qu'il mourra à son poste, et sort pour serendre au lieu du combat. Dans ce moment, le bruit qui sefaisait à l'une des portes cesse; un peu de calme serétablit. André Dumont, s'adressant aux tribunes, enjoint àtous les bons citoyens qui les occupent d'en sortir, etdéclare qu'on va employer la force pour les faire évacuer.Beaucoup de citoyens sortent; mais les femmes restent, enpoussant les mêmes cris. Quelques instans après, legénéral, chargé par le président de veiller sur laconvention, rentre avec une escorte de fusiliers et plusieursjeunes gens qui s'étaient munis de fouets de poste. Ilsescaladent les tribunes, et en font sortir les femmes en leschassant à coups de fouet. Elles fuient en poussant descris épouvantables, et aux grands applaudissemens d'unepartie des assistans.

A peine les tribunes sont-elles évacuées, que le bruit à laporte de gauche redouble. La foule est revenue à lacharge; elle attaque de nouveau la porte, qui cède à laviolence, éclate et se brise. Les membres de la conventionse retirent sur les bancs supérieurs; la gendarmerie formeune haie autour d'eux pour les protéger. Aussitôt des

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citoyens armés des sections accourent dans la salle par laporte de droite, pour chasser la populace. Ils la refoulentd'abord, et s'emparent de quelques femmes; mais ils sontbientôt ramenés à leur tour par la populace victorieuse.Heureusement la section de Grenelle, accourue lapremière au secours de la convention, arrive dans cemoment, et vient fournir un utile renfort. Le député Auguisest à sa tête, le sabre à la main. En avant! s'écrie-t-il.... Onse serre, on avance, on croise les baïonnettes, et onrepousse sans blessures la multitude des assaillans quicède à la vue du fer. On saisit par le collet l'un des révoltés,on le traîne au pied du bureau, on le fouille, et on lui trouveles poches pleines de pain. Il était deux heures. Un peu decalme se rétablit dans l'assemblée; on déclare que lasection de Grenelle a bien mérité de la patrie. Tous lesambassadeurs des puissances s'étaient rendus à latribune qui leur était réservée, et assistaient à cette scène,comme pour partager en quelque sorte les dangers de laconvention. On décrète qu'il sera fait mention au bulletin deleur courageux dévouement.

Cependant la foule augmentait autour de la salle. A peinedeux ou trois sections avaient-elles eu le temps d'accourir,et de se jeter dans le Palais-National; mais elles nepouvaient résister à la masse toujours croissante desassaillans. D'autres venaient d'arriver; mais elles nepouvaient pénétrer dans l'intérieur; elles étaient sanscommunication avec les comités; elles n'avaient pasd'ordre, et ne savaient quel usage faire de leurs armes. En

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cet instant la foule fait un nouvel effort sur le salon de laLiberté, et pénètre jusqu'à la porte brisée. Les cris auxarmes! se renouvellent; la force armée qui se trouvait dansl'intérieur de la salle accourt vers la porte menacée; leprésident se couvre, l'assemblée demeure calme. Alorsdes deux côtés on se joint; le combat s'engage devant laporte même; les défenseurs de la convention croisent labaïonnette; de leur côté les assaillans font feu, et les ballesviennent frapper les murs de la salle. Les députés se lèventen criant: Vive la république! De nouveaux détachemensaccourent, traversent de droite à gauche, et viennentsoutenir l'attaque. Les coups de feu redoublent: on charge,on se mêle, on sabre. Mais une foule immense, placéederrière les assaillans, les pousse, les porte malgré eux surles baïonnettes, renverse tous les obstacles qu'on luioppose, et fait irruption dans l'assemblée. Un jeune député,plein de courage et de dévouement, Féraud, récemmentarrivé de l'armée du Rhin, et courant depuis quinze joursautour de Paris pour hâter l'arrivage des subsistances, voleau-devant de la foule, et la conjure de ne pas pénétrer plusavant. «Tuez-moi, s'écrie-t-il en découvrant sa poitrine;vous n'entrerez qu'après avoir passé sur mon corps.» Eneffet, il se couche à terre pour essayer de les arrêter; maisces furieux, sans l'écouter, passent sur son corps etcourent vers le bureau. Il était trois heures. Des femmesivres, des hommes armés de sabres, de piques, de fusils,portant sur leurs chapeaux ces mots: Du pain, laconstitution de 93, remplissent la salle; les uns vont

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occuper les banquettes inférieures, abandonnées par lesdéputés, les autres remplissent le parquet, quelques-unsse placent devant le bureau, ou montent par les petitsescaliers qui conduisent au fauteuil du président. Un jeuneofficier des sections, nommé Mally, placé sur les degrés dubureau, arrache à l'un de ces hommes l'écriteau qu'il portaitsur son chapeau. On tire aussitôt sur lui, et il tombe blesséde plusieurs coups de feu. Dans ce moment, toutes lesbaïonnettes, toutes les piques se dirigent sur le président;on enferme sa tête dans une haie de fer. C'est Boissy-d'Anglas, qui a succédé à André Dumont; il demeureimmobile et calme. Féraud, qui s'était relevé, accourt aupied de la tribune, s'arrache les cheveux, se frappe lapoitrine de douleur, et, en voyant le danger du président,s'élance pour aller le couvrir de son corps. L'un deshommes à piques veut le retenir par l'habit; un officier, pourdégager Féraud, assène un coup de poing à l'homme quile retenait; ce dernier répond au coup de poing par un coupde pistolet qui atteint Féraud à l'épaule. L'infortuné jeunehomme tombe, on l'entraîne, on le foule aux pieds, onl'emporte hors de la salle, et on livre son cadavre à lapopulace.

Boissy-d'Anglas demeure calme et impassible au milieude cette épouvantable scène; les baïonnettes et les piquesenvironnent encore sa tête. Alors commence une scène deconfusion impossible à décrire. Chacun veut parler, et crieen vain pour se faire entendre. Les tambours battent pourrétablir le silence; mais la foule, s'amusant de ce chaos,

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vocifère, frappe des pieds, trépigne de plaisir en voyantl'état auquel est réduite cette assemblée souveraine. Cen'est point ainsi que s'était fait le 31 mai, lorsque le partirévolutionnaire, ayant à sa tête la commune, l'état-majordes sections, et un grand nombre de députés, pourrecevoir et donner le mot d'ordre, entoura la conventiond'une foule muette et armée, et, l'enfermant sans l'envahir,lui fit rendre, avec une dignité apparente, les décrets qu'ildésirait obtenir. Ici, pas moyen de se faire entendre, nid'arracher au moins la sanction apparente des voeux despatriotes. Un canonnier, entouré de fusiliers, monte à latribune pour lire le plan d'insurrection. La lecture est àchaque instant interrompue par des cris, des injures, et parle roulement du tambour. Un homme veut prendre la parole,et s'adresser à la multitude. «Mes amis, dit-il, noussommes tous ici pour la même cause. Le danger presse, ilfaut des décrets: laissez vos représentans les rendre.» Abas! à bas! lui crie-t-on pour toute réponse. Le députéRhul, vieillard d'un aspect vénérable, et montagnard zélé,veut dire quelques mots de sa place, pour essayerd'obtenir du silence, mais on l'interrompt par de nouvellesvociférations. Romme, homme austère, étranger àl'insurrection, comme toute la Montagne, mais désirant queles mesures demandées par le peuple fussent adoptées,et voyant avec peine que cette épouvantable confusionallait être sans résultat comme celle du 12 germinal,Romme demande la parole; Duroi la demande aussi pourle même motif: ni l'un ni l'autre ne peuvent l'obtenir. Letumulte recommence, et dure encore plus d'une heure.

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Pendant cette scène on apporte une tête au bout d'unebaïonnette: on la regarde avec effroi, on ne peut lareconnaître. Les uns disent que c'est celle de Fréron,d'autres disent que c'est celle de Féraud. C'était celle deFéraud, en effet, que des brigands avaient coupée, et qu'ilsavaient placée au bout d'une baïonnette. Ils la promènentdans la salle, au milieu des hurlemens de la multitude. Lafureur contre le président Boissy-d'Anglas recommence; ilest de nouveau en péril; on entoure sa tête de baïonnettes,on le couche en joue de tous côtés, mille morts lemenacent.

Il était déjà sept heures du soir; on tremblait dansl'assemblée, on craignait que cette foule, où se trouvaientdes scélérats, ne se portât aux dernières extrémités, etn'égorgeât les représentans du peuple, au milieu del'obscurité de la nuit. Plusieurs membres du centreengageaient certains montagnards à parler pour exhorterla multitude à se dissiper. Vernier essaie de dire auxrévoltés qu'il est tard, qu'ils doivent songer à se retirer,qu'ils vont exposer le peuple à manquer de pain, entroublant les arrivages. «C'est de la tactique, répond lafoule; il y a trois mois que vous nous dites cela.» Alorsplusieurs voix s'élèvent successivement du sein de lamultitude: celle-ci demande la liberté des patriotes et desdéputés arrêtés; celle-là, la constitution de 93; unetroisième, l'arrestation de tous les émigrés; une fouled'autres, la permanence des sections, le rétablissement dela commune, un commandant de la force armée

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parisienne, des visites domiciliaires pour rechercher lessubsistances cachées, les assignats au pair, etc. L'un deces hommes, qui parvient à se faire entendre quelquesinstans, veut qu'on nomme sur-le-champ le commandant dela force armée parisienne, et qu'on choisisse Soubrany.Enfin, un dernier, ne sachant que demander, s'écrie:L'arrestation des coquins et des lâches! et, pendant unedemi-heure, il répète par intervalles: L'arrestation descoquins et des lâches!

L'un des meneurs, sentant enfin la nécessité de déciderquelque chose, propose de faire descendre les députésdes hautes banquettes, où ils sont placés, pour les réunirau milieu de la salle et les faire délibérer. Aussitôt onadopte la proposition, on les pousse hors de leurs siéges,on les fait descendre, on les parque, comme un troupeau,dans l'espace qui sépare la tribune des banquettesinférieures. Des hommes les entourent, et les enferment enfaisant la chaîne avec leurs piques. Vernier remplace aufauteuil Boissy-d'Anglas, accablé de fatigues après sixheures d'une présidence aussi périlleuse. Il est neufheures. Une espèce de délibération s'organise; onconvient que le peuple restera couvert, et que les députésseuls lèveront leurs chapeaux en signe d'approbation oud'improbation. Les montagnards commencent à espérerqu'on pourra rendre les décrets, et se disposent à prendrela parole. Romme, qui l'avait déjà prise une fois, demandequ'on ordonne par un décret l'élargissement des patriotes.Duroi dit que, depuis le 9 thermidor, les ennemis de la

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patrie ont exercé une réaction funeste; que les députésarrêtés au 12 germinal l'ont été illégalement, et qu'il fautprononcer leur rappel. On oblige le président à mettre cesdifférentes propositions aux voix; on lève les chapeaux, oncrie: Adopté, adopté, au milieu d'un bruit épouvantable,sans qu'on puisse distinguer si les députés ont réellementdonné leur vote. Goujon succède à Romme et Duroi, et ditqu'il faut assurer l'exécution des décrets; que les comitésne paraissent point, qu'il importe de savoir ce qu'ils font,qu'il faut les appeler pour leur demander compte de leursopérations, et les remplacer par une commissionextraordinaire. C'était là en effet qu'était le péril de lajournée. Si les comités étaient restés libres d'agir, ilspouvaient venir délivrer la convention de ses oppresseurs.Albitte aîné trouve que l'on ne met pas assez d'ordre dansla délibération, que le bureau n'est pas formé, qu'il en fautformer un. On le compose aussitôt. Bourbotte demandel'arrestation des journalistes. Une voix inconnue s'élève, etdit que, pour prouver que les patriotes ne sont pas descannibales, il faut abolir la peine de mort. «Oui, oui, s'écrie-t-on, excepté pour les émigrés et les fabricateurs de fauxassignats.» On adopte cette proposition dans la mêmeforme que les précédentes. Duquesnoy revient à laproposition de Goujon, redemande la suspension descomités et la nomination d'une commission extraordinairede quatre membres. On désigne sur-le-champ Bourbotte,Prieur (de la Marne), Duroi et Duquesnoy lui-même. Cesquatre députés acceptent les fonctions qui leur sontconfiées. Quelque périlleuses qu'elles soient, ils sauront,

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disent-ils, les remplir, et mourir à leur poste. Ils sortent pourse rendre auprès des comités, et s'emparer de tous lespouvoirs. C'était là le difficile, et toute la journée dépendaitdu résultat de cette opération.

Il était neuf heures; ni le comité insurrecteur, ni les comitésdu gouvernement ne paraissaient avoir agi pendant cettelongue et terrible journée. Tout ce qu'avait su faire le comitéinsurrecteur, c'était de lancer le peuple sur la convention;mais, comme nous l'avons dit, des chefs obscurs, tels qu'ilen reste aux derniers jours d'un parti, n'ayant à leurdisposition ni la commune, ni l'état-major des sections, niun commandant de la force armée, ni des députés,n'avaient pu diriger l'insurrection avec la mesure et lavigueur qui pouvaient la faire réussir. Ils avaient lancé desfurieux, qui avaient commis des excès affreux, mais quin'avaient rien fait de ce qu'il fallait faire. Aucundétachement ne fut envoyé pour suspendre et paralyser lescomités, pour ouvrir les prisons, et délivrer les hommesénergiques dont le secours eût été si précieux. On s'étaitemparé seulement de l'arsenal, que la gendarmerie destribunaux, toute composée de la milice de Fouquier-Tinville, livra aux premiers venus. Pendant ce temps, aucontraire, les comités du gouvernement, entourés etdéfendus par la jeunesse dorée, avaient employé tousleurs efforts à réunir les sections. Ce n'était pas facile avecle tumulte qui régnait, avec l'effroi qui s'était emparé debeaucoup d'entre elles, et la mauvaise volonté quemanifestaient même quelques-unes. D'abord ils en avaient

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réuni deux ou trois, dont l'effort, comme on l'a vu, avait étérepoussé par les assaillans. Ils étaient parvenus ensuite àen convoquer un plus grand nombre, grâce au zèle de lasection Lepelletier, autrefois des Filles-Saint-Thomas, et ilsse disposaient vers la nuit à saisir le moment où le peuple,fatigué, commencerait à devenir moins nombreux, pourfondre sur les révoltés et délivrer la convention. Prévoyantbien que, pendant cette longue oppression, on lui auraitarraché les décrets qu'elle ne voulait pas rendre, ils avaientpris un arrêté par lequel ils ne reconnaissaient pas pourauthentiques les décrets rendus pendant cette journée.Ces dispositions faites, Legendre, Auguis, Chénier,Delecloi, Bergoeng et Kervélégan s'étaient rendus à la têtede forts détachemens, auprès de la convention. Arrivés là,ils étaient convenus de laisser les portes ouvertes, afin quele peuple, pressé d'un côté, pût sortir de l'autre. Legendreet Delecloi s'étaient chargés ensuite de pénétrer dans lasalle, de monter à la tribune au milieu de tous les dangers,et de sommer les révoltés de se retirer. «S'ils ne cèdentpas, dirent-ils à leurs collègues, chargez, et ne craignezrien pour nous. Dussions-nous périr dans la mêlée,avancez toujours.»

Legendre et Delecloi pénétrèrent en effet dans la salle, àl'instant où les quatre députés nommés pour former lacommission extraordinaire allaient sortir. Legendre monteà la tribune, à travers les insultes et les coups, et prend laparole au milieu des huées: «J'invite l'assemblée, dit-il, àrester ferme, et les citoyens qui sont ici à sortir.—A bas! à

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bas!» s'écrie-t-on. Legendre et Delecloi sont obligés de seretirer. Duquesnoy s'adresse alors à ses collègues de lacommission extraordinaire, et les engage à le suivre, afinde suspendre les comités qui, comme on le voit, dit-il, sontcontraires aux opérations de l'assemblée. Soubrany lesinvite aussi à se hâter. Ils sortent alors tous les quatre, maisils rencontrent le détachement à la tête duquel marchent lesreprésentans Legendre, Kervélégan et Auguis, et lecommandant de la garde nationale, Raffet. Prieur (de laMarne) demande à Raffet s'il a reçu du président l'ordred'entrer. «Je ne te dois aucun compte,» lui répond Raffet,et il avance. On somme alors la multitude de se retirer; leprésident l'y invite au nom de la loi: elle répond par deshuées. Aussitôt on baisse les baïonnettes, et on entre; lafoule désarmée cède, mais des hommes armés qui s'ytrouvaient mêlés résistent un moment; ils sont repoussés,et fuient en criant: «A nous sans-culottes!» Une partie despatriotes revient à ce cri, et charge avec violence ledétachement qui avait pénétré. Ils ont un instant l'avantage;le député Kervélégan est blessé à la main; lesmontagnards Bourbotte, Peyssard, Gaston, crient victoire.Mais le pas de charge retentit dans la salle extérieure; unrenfort considérable arrive, fond de nouveau sur lesinsurgés, les repousse, les sabre, les poursuit à coups debaïonnettes. Ils fuient, se pressent aux portes, ouescaladent les tribunes et se sauvent par les fenêtres. Lasalle est enfin évacuée: il était minuit.

La convention, délivrée des assaillans qui ont porté la

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violence et la mort dans son sein, met quelques instans àse remettre. Le calme se rétablit enfin. «Il est donc vrai,s'écrie un membre, que cette assemblée, berceau de larépublique, a manqué encore une fois d'en devenir letombeau! Heureusement le crime des conspirateurs estencore avorté. Mais, représentans, vous ne sériez pasdignes de la nation, si vous ne la vengiez d'une manièreéclatante.» On applaudit de toutes parts, et, comme au 12germinal, la nuit est employée à punir les attentats du jour;mais des faits autrement graves appellent des mesuresbien autrement sévères. Le premier soin est de rapporterles décrets proposés et rendus par les révoltés.«Rapporter n'est pas le mot, dit-on à Legendre qui avaitfait cette proposition. La convention n'a pas voté, n'a paspu voter, tandis qu'on égorgeait l'un de ses membres. Toutce qui a été fait n'est pas à elle, mais aux brigands quil'opprimaient, et à quelques représentans coupables quis'étaient rendus leurs complices.» On déclare donc tout cequi s'est fait comme non avenu. Les secrétaires brûlent lesminutes des décrets portés par les séditieux. On chercheensuite des yeux les députés qui ont pris la parole pendantcette séance terrible; on les montre au doigt, on lesinterpelle avec véhémence. «Il n'y a plus, s'écrieThibaudeau, il n'y a plus d'espoir de conciliation entre nouset une minorité factieuse. Puisque le glaive est tiré, il faut lacombattre, et profiter des circonstances pour ramener àjamais la paix et la sécurité dans le sein de cetteassemblée. Je demande que vous décrétiez sur-le-champl'arrestation de ces députés qui, trahissant tous leurs

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devoirs, ont voulu réaliser les voeux de la révolte, et les ontrédigés en lois. Je demande que les comités proposentsur-le-champ les mesures les plus sévères contre cesmandataires infidèles à leur patrie et à leurs sermens.»

Alors on les désigne: c'est Rhul, Romme et Duroi, qui ontdemandé du silence pour faire ouvrir la délibération; c'estAlbitte, qui a fait nommer un bureau; c'est Goujon etDuquesnoy, qui ont demandé la suspension des comités,et la formation d'une commission extraordinaire de quatremembres; c'est Bourbotte et Prieur (de la Marne), qui ontaccepté, avec Duroi et Duquesnoy, d'être les membres decette commission; c'est Soubrany, que les rebelles ontnommé commandant de l'armée parisienne; c'estPeyssard, qui a crié victoire pendant l'action. Duroi,Goujon, veulent parler: on les en empêche, on les traited'assassins, on les décrète sur-le-champ, et on demandequ'ils ne puissent pas s'enfuir, comme la plupart de ceuxqui ont été décrétés le 12 germinal. Le président les faitentourer par la gendarmerie, et conduire à la barre. Oncherche Romme, qui tarde à se montrer; Bourdon lesignale du doigt; il est traîné à la barre avec ses collègues.Les vengeances ne s'arrêtent pas là; on veut atteindreencore tous les montagnards qui se sont signalés par desmissions extraordinaires dans les départemens. «Jedemande, s'écrie une voix, l'arrestation de Lecarpentier,bourreau de la Manche.... De Pinet aîné, s'écrie une autrevoix, bourreau des habitans de la Biscaye.... De Borie,s'écrie une troisième, dévastateur du Midi, et de Fayau, l'un

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des exterminateurs de la Vendée.» Ces propositions sontdécrétées aux cris de vive la convention! vive larépublique! «Il ne faut plus de demi-mesures, dit Tallien. Lebut du mouvement d'aujourd'hui était de rétablir lesjacobins et surtout la commune; il faut détruire ce qui enreste; il faut arrêter et Pache et Bouchotte. Ce n'est là quele prélude des mesures que le comité vous proposera.Vengeance, citoyens, vengeance contre les assassins deleurs collègues et de la représentation nationale! Profitonsde la maladresse de ces hommes qui se croient les égauxde ceux qui ont abattu le trône, et cherchent à rivaliser aveceux; de ces hommes qui veulent faire des révolutions, et nesavent faire que des révoltes. Profitons de leurmaladresse, hâtons-nous de les frapper et de mettre ainsiun terme à la révolution.» On applaudit, on adopte laproposition de Tallien. Dans cet entraînement de lavengeance, des voix dénoncent Robert Lindet, que sesvertus et ses services ont jusqu'ici protégé contre lesfureurs de la réaction. Lehardi demande l'arrestation de cemonstre; mais tant de voix contraires se font entendre pourvanter la douceur de Lindet, pour rappeler qu'il a sauvé descommunes et des départemens entiers, que l'ordre du jourest adopté. Après ces mesures, on ordonne de nouveau ledésarmement des terroristes; on décrète que le quintidiprochain (dimanche 24 mai), les sections s'assemblerontet procéderont sur-le-champ au désarmement desassassins, des buveurs de sang, des voleurs et desagens de la tyrannie qui précéda le 9 thermidor; on les

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autorise même à faire arrêter ceux qu'elles croiront devoirtraduire devant les tribunaux. On décide en même tempsque, jusqu'à nouvel ordre, les femmes ne seront plusadmises dans les tribunes. Il était trois heures du matin.Les comités faisant annoncer que tout est tranquille dansParis, on suspend la séance jusqu'à dix heures.

Telle avait été cette révolte du 1er prairial. Aucune journéede la révolution n'avait présenté un spectacle si terrible. Si,au 31 mai et au 9 thermidor, des canons furent braqués surla convention, cependant le lieu de ses séances n'avait pasencore été envahi, ensanglanté par un combat, traversépar les balles, et souillé par l'assassinat d'un représentantdu peuple. Les révolutionnaires, cette fois, avaient agi avecla maladresse et la violence d'un parti battu depuislongtemps, sans complices dans le gouvernement dont ilest exclu, privé de ses chefs, et dirigé par des hommesobscurs, compromis et désespérés. Sans savoir se servirde la Montagne, sans l'avertir même du mouvement, ilsavaient compromis et exposé à l'échafaud des députésintègres, étrangers aux excès de la terreur, attachés auxpatriotes par effroi de la réaction, et n'ayant pris la paroleque pour empêcher de plus grands malheurs, et pour hâterl'accomplissement de quelques voeux qu'ils partageaient.

Cependant les révoltés, voyant le sort qui les attendait tous,et habitués d'ailleurs aux luttes révolutionnaires, n'étaientpas gens à se disperser tout d'un coup. Ils se réunirent lelendemain à la commune, s'y proclamèrent en insurrection

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permanente, et tâchèrent de rassembler autour d'eux lessections qui leur étaient dévouées. Cependant, pensantque la commune n'était pas un bon poste, quoiqu'elle fûtplacée entre le quartier du Temple et la Cité, ils préférèrentétablir le centre de l'insurrection dans le faubourg Saint-Antoine. Ils s'y transportèrent dans le milieu du jour, et sepréparèrent à renouveler la tentative de la veille. Cette fois,ils tâchèrent d'agir avec plus d'ordre et de mesure. Ils firentpartir trois bataillons parfaitement armés et organisés:c'étaient ceux des sections des Quinze-Vingts, deMontreuil et de Popincourt, tous trois composés d'ouvriersrobustes, et dirigés par des chefs intrépides. Cesbataillons s'avancèrent seuls, sans le concours de peuplequi les accompagnait la veille, rencontrèrent des sectionsfidèles à la convention, mais qui n'étaient pas en force pourles arrêter, et vinrent, dans l'après-midi, se ranger avecleurs canons devant le Palais-National. Aussitôt lessections Lepelletier, la Butte-des-Moulins et autres seplacèrent en face pour protéger la convention. Cependantsi le combat venait à s'engager, il était douteux, d'aprèsl'état des choses, que la victoire restât aux défenseurs dela représentation nationale. Par surcroît de malheur, lescanonniers, qui dans toutes les sections étaient desouvriers et de chauds révolutionnaires, abandonnèrent lessections rangées devant le palais, et allèrent se joindreavec leurs pièces aux canonniers de Popincourt, deMontreuil et des Quinze-Vingts. Le cri aux armes! se fitentendre, on chargea les fusils de part et d'autre, et toutsembla se préparer pour un combat sanglant. Le roulement

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sourd des canons retentit jusque dans l'assemblée.Beaucoup de membres se levèrent pour parler.«Représentans, s'écrie Legendre, soyez calmes etdemeurez à votre poste. La nature nous a tous condamnésà mort: un peu plus tôt, un peu plus tard, peu importe. Debons citoyens sont prêts à vous défendre. En attendant, laplus belle motion est de garder le silence.» L'assembléese replaça tout entière sur ses siéges, et montra ce calmeimposant qu'elle avait déployé au 9 thermidor, et tantd'autres fois dans le cours de son orageuse session.Pendant ce temps, les deux troupes opposées étaient enprésence, dans l'attitude la plus menaçante. Avant d'envenir aux mains, quelques individus s'écrièrent qu'il étaitaffreux à de bons citoyens de s'égorger les uns les autres,qu'il fallait au moins s'expliquer et essayer de s'entendre.On sortit des rangs, on exposa ses griefs. Des membresdes comités, qui étaient présens, s'introduisirent dans lesbataillons des sections ennemies, leur parlèrent; et voyantqu'on pouvait obtenir beaucoup par les moyens deconciliation, ils firent demander à l'assemblée douze deses membres, pour venir fraterniser. L'assemblée, quivoyait une espèce de faiblesse dans cette démarche, étaitpeu disposée à y consentir; cependant on lui dit que sescomités la croyaient utile pour empêcher l'effusion du sang.Les douze membres furent envoyés et se présentèrent auxtrois sections. Bientôt on rompit les rangs de part etd'autre; on se mêla. L'homme peu cultivé et d'une classeinférieure est toujours sensible aux démonstrationsamicales de l'homme que son costume, son langage, ses

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manières, placent au-dessus de lui. Les soldats des troisbataillons ennemis furent touchés, et déclarèrent qu'ils nevoulaient ni verser le sang de leurs concitoyens, ni manqueraux égards dus à la convention nationale. Cependant lesmeneurs insistèrent pour faire entendre leur pétition. Legénéral Dubois, commandant la cavalerie des sections, etles douze représentans envoyés pour fraterniser,consentirent à introduire à la barre une députation des troisbataillons.

Ils la présentèrent en effet, et demandèrent la parole pourles pétitionnaires. Quelques députés voulaient la leurrefuser; on la leur accorda cependant. «Nous sommeschargés de vous demander, dit l'orateur de la troupe, laconstitution de 93 et la liberté des patriotes.» A ces mots,les tribunes se mirent à huer, et à crier: à bas les jacobins!Le président imposa silence aux interrupteurs. L'orateurcontinua, et dit que les citoyens réunis devant la conventionétaient prêts à se retirer dans le sein de leurs familles,mais qu'ils mourraient plutôt que d'abandonner leur poste,si les réclamations du peuple n'étaient pas écoutées. Leprésident répondit avec fermeté aux pétitionnaires, que laconvention venait de rendre un décret sur les subsistances,et qu'il allait le leur lire. Il le lut en effet; il ajouta ensuitequ'elle examinerait leurs propositions, et jugerait dans sasagesse ce qu'elle devait décider. Il les invita ensuite auxhonneurs de la séance.

Pendant ce temps, les trois sections ennemies étaient

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toujours confondues avec les autres. On leur dit que leurspétitionnaires venaient d'être reçus, que leurs propositionsseraient examinées, qu'il fallait attendre la décision de laconvention. Il était onze heures; les trois bataillons sevoyaient entourés de l'immense majorité des habitans de lacapitale; l'heure d'ailleurs était fort avancée, surtout pourdes ouvriers, et ils prirent le parti de se retirer dans leursfaubourgs.

Cette seconde tentative n'avait donc pas mieux réussi auxpatriotes; ils n'en restèrent pas moins rassemblés dans lesfaubourgs, conservant leur attitude hostile, et ne sedésistant point encore des demandes qu'ils avaient faites.La convention, dès le 3 au matin, rendit plusieurs décretsque réclamait la circonstance. Pour mettre plus d'unité etd'énergie dans l'emploi de ces moyens, elle donna ladirection de la force armée à trois représentans, Gilet,Aubry et Delmas, et les autorisa à employer la voie desarmes pour assurer la tranquillité publique; elle punit de sixmois de prison quiconque battrait le tambour sans ordre, etde mort quiconque battrait la générale sans y être autorisépar les représentans du peuple. Elle ordonna la formationd'une commission militaire, pour juger et faire exécuter sur-le-champ tous les prisonniers faits aux rebelles pendant lajournée du 1er prairial. Elle convertit en décret d'accusationle décret d'arrestation rendu contre Duquesnoy, Duroi,Bourbotte, Prieur (de la Marne), Romme, Soubrany,Goujon, Albitte aîné, Peyssard, Lecarpentier (de laManche), Pinet aîné, Borie et Fayau. Elle rendit la même

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décision à l'égard des députés arrêtés les 12 et 16germinal, et enjoignit à ses comités de lui présenter unrapport sur le tribunal qui devrait juger les uns et les autres.

Les trois représentans se hâtèrent de réunir à Paris lestroupes qui étaient répandues dans les environs pourprotéger l'arrivage des grains; ils firent rester sous lesarmes les sections dévouées à la convention, ets'entourèrent des nombreux jeunes gens qui n'avaient pasquitté les comités pendant toute l'insurrection. Lacommission militaire entra en exercice le jour même; lepremier individu qu'elle jugea fut l'assassin de Féraud, quiavait été arrêté la veille; elle le condamna à mort, etordonna son exécution pour l'après-midi même du 3. Onconduisit en effet le condamné à l'échafaud: mais lespatriotes étaient avertis; quelques-uns des plus déterminéss'étaient réunis autour du lieu du supplice, ils fondirent surl'échafaud, dispersèrent la gendarmerie, délivrèrent lepatient, et le conduisirent dans le faubourg. Dès la nuitmême, ils appelèrent à eux tous les patriotes qui étaientdans Paris, et se préparèrent à se retrancher dans lefaubourg Saint-Antoine. Ils se mirent sous les armes,braquèrent leurs canons sur la place de la Bastille, etattendirent ainsi les conséquences de cette actionaudacieuse.

Aussitôt que cet événement fut connu de la convention, elledécréta que le faubourg Antoine serait sommé de remettrele condamné, de rendre ses armes et ses canons, et, qu'en

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cas de refus, il serait aussitôt bombardé. Dans ce moment,en effet, les forces qui étaient réunies permettaient à laconvention de prendre un langage plus impérieux. Les troisreprésentans étaient parvenus à rassembler trois ou quatremille hommes de troupes de ligne; ils avaient plus de vingtmille hommes des sections armées, à qui la crainte de voirrenaître la terreur donnait beaucoup de courage, et enfin latroupe dévouée des jeunes gens. Sur-le-champ ilsconfièrent au général Menou le commandement de cesforces réunies, et se préparèrent à marcher sur lefaubourg. Ce jour même, 4 prairial (23 mai), tandis que lesreprésentans s'avançaient, la jeunesse dorée avait voulufaire une bravade, et s'était portée la première vers la rueSaint-Antoine. Mille ou douze cents individus composaientcette troupe téméraire. Les patriotes les laissèrents'engager sans leur opposer de résistance, et lesenveloppèrent ensuite de toutes parts. Bientôt ces jeunesgens virent sur leurs derrières les redoutables bataillons dufaubourg, ils aperçurent aux fenêtres une multitude defemmes irritées, prêtes à faire pleuvoir sur eux une grêlede pierres, et ils crurent qu'ils allaient payer cher leurimprudente bravade. Heureusement pour eux, la forcearmée s'approchait; d'ailleurs les habitans du faubourg nevoulurent pas les égorger; ils les laissèrent sortir de leurquartier, après en avoir châtié quelques-uns. Dans cemoment, le général Menou s'avança avec vingt millehommes; il fit occuper toutes les issues du faubourg, etsurtout celles qui communiquaient avec les sectionspatriotes. Il fit braquer les canons et sommer les révoltés.

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Une députation se présenta, et vint recevoir son ultimatum,qui consistait à exiger la remise des armes et de l'assassinde Féraud. Les manufacturiers et tous les gens paisibles etriches du faubourg, craignant un bombardement,s'empressèrent d'user de leur influence sur la population, etdécidèrent les trois sections à rendre leurs armes. En effet,celles de Popincourt, des Quinze-Vingts et de Montreuilremirent leurs canons, et promirent de chercher lecoupable, qui avait été enlevé. Le général Menou revinttriomphant avec les canons du faubourg, et dès cet instantla convention n'eut plus rien à craindre du parti patriote.Abattu pour toujours, il ne figure plus désormais que pouressuyer des vengeances.

La commission militaire commença sur-le-champ à jugertous les prisonniers qu'on avait pu saisir; elle condamna àmort des gendarmes qui s'étaient rangés avec les rebelles,des ouvriers, des marchands, membres des comitésrévolutionnaires, saisis en flagrant délit le 1er prairial. Danstoutes les sections, le désarmement des patriotes etl'arrestation des individus les plus signalés commencèrent;et, comme un jour ne suffisait pas pour cette opération, lapermanence fut accordée aux sections pour la continuer.

Mais ce n'était pas seulement à Paris que le désespoirdes patriotes faisait explosion. Il éclatait dans le Midi pardes événemens non moins malheureux. On les a vusréfugiés à Toulon au nombre de sept à huit mille, entourerplusieurs fois les représentans, leur arracher des

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prisonniers accusés d'émigration, et tâcher d'entraînerdans leur révolte les ouvriers de l'arsenal, la garnison et leséquipages des vaisseaux. L'escadre était prête à mettre àla voile, et ils voulaient l'en empêcher. Les équipages desvaisseaux arrivés de Brest, et réunis à la division de Toulonpour l'expédition qu'on méditait, leur étaient tout à faitopposés; mais ils pouvaient compter sur les marinsappartenant au port de Toulon. Ils choisirent pour agir àpeu près les mêmes époques que les patriotes de Paris.Le représentant Charbonnier, qui avait demandé un congé,était accusé de les diriger secrètement. Ils s'insurgèrent le25 floréal (14 mai), marchèrent sur la commune de Souliès,s'emparèrent de quinze émigrés prisonniers, revinrenttriomphans à Toulon, et consentirent cependant à lesrendre aux représentans. Mais, les jours suivans, ils serévoltèrent de nouveau, soulevèrent les ouvriers del'arsenal, s'emparèrent des armes qu'il renfermait, etentourèrent le représentant Brunel, pour lui faire ordonnerl'élargissement des patriotes. Le représentant Nion, quiétait sur la flotte, accourut; mais la sédition étaitvictorieuse. Les deux représentans furent obligés de signerl'ordre d'élargissement. Brunel, désespéré d'avoir cédé, sebrûla la cervelle; Nion se réfugia sur la flotte. Alors lesrévoltés songèrent à marcher sur Marseille, pour soulever,disaient-ils, tout le Midi. Mais les représentans en missionà Marseille firent placer une compagnie d'artillerie sur laroute, et prirent toutes les précautions pour empêcherl'exécution de leurs projets. Le 1er prairial ils étaientmaîtres dans Toulon, sans pouvoir, il est vrai, s'étendre plus

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loin, et tâchaient de gagner les équipages de l'escadre,dont une partie résistait, tandis que l'autre, toute composéede marins provençaux, paraissait décidée à se réunir àeux.

Le rapport de ces événemens fut fait à la convention le 8prairial; il ne pouvait manquer de provoquer un nouveaudéchaînement contre les montagnards et les patriotes. Ondit que les événemens de Toulon et de Paris étaientconcertés; on accusa les députés montagnards d'en êtreles organisateurs secrets, et on se livra contre eux à denouvelles fureurs. Sur-le-champ on ordonna l'arrestation deCharbonnier, Escudier, Ricord et Salicetti, accusés tousquatre d'agiter le Midi. Les députés mis en accusation le1er prairial, et dont les juges n'étaient pas encore choisis,furent en butte à un nouveau redoublement de sévérité.Sans aucun égard pour leur qualité de représentans dupeuple, on les déféra à la commission militaire chargée dejuger les fauteurs et complices de l'insurrection du 1erprairial. Il n'y eut d'excepté que le vieux Rhul, dont plusieursmembres attestèrent la sagesse et les vertus. On envoyaau tribunal d'Eure-et-Loir l'ex-maire Pache, son gendreAudouin, l'ancien ministre Bouchotte, ses adjointsDaubigny et Hassenfratz; enfin les trois agens principauxde la police de Robespierre, Héron, Marchand etClémence. Il semblait que la déportation prononcée contreBillaud, Collot et Barrère, eût acquis force de chose jugée;point du tout. Dans ces jours de rigueur on trouva la peinetrop douce: on décida qu'il fallait les juger de nouveau et

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les envoyer devant le tribunal de la Charente-Inférieure,pour leur faire subir la mort, destinée à tous les chefs de larévolution. Jusqu'ici les membres restans des ancienscomités paraissaient pardonnés; les éclatans services deCarnot, de Robert Lindet et de Prieur (de la Côte-d'Or),avaient semblé les protéger contre leurs ennemis: ils furentdénoncés avec une affreuse violence par le girondin HenriLarivière. Robert Lindet, quoique défendu par une foule demembres qui connaissaient et son mérite et ses services,fut néanmoins frappé d'arrestation. Carnot a organisé lavictoire, s'écrièrent une foule de voix; les réacteurs furieuxn'osèrent pas décréter le vainqueur de la coalition. On nedit rien sur Prieur (de la Côte-d'Or). Quant aux membres del'ancien comité de sûreté générale, qui n'étaient pasencore arrêtés, ils le furent tous. David, que son génie avaitfait absoudre, fut arrêté avec Jagot, Élie Lacoste,Lavicomterie, Dubarran et Bernard (de Saintes). On ne fitd'exception que pour Louis (du Bas-Rhin), dont l'humanitéétait trop connue. Enfin le rapport déjà ordonné contre tousceux qui avaient rempli des missions, et qu'on appelait lesproconsuls, fut demandé sur-le-champ. On commença àprocéder contre d'Artigoyte, Mallarmé, Javognes, Sergent,Monestier, Lejeune, Allard, Lacoste et Baudot. On sepréparait à passer successivement en revue tous ceux quiavaient été chargés de missions quelconques. Ainsi aucundes chefs de ce gouvernement qui avait sauvé la Francen'était pardonné: membres des comités, députés enmission, subissaient la loi commune. On épargnait le seulCarnot, que l'estime des armées commandait de ménager;

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mais on frappait Lindet, citoyen tout aussi utile et plusgénéreux, mais que des victoires ne protégeaient pascontre la lâcheté des réacteurs.

Certes, il n'était pas besoin de tels sacrifices poursatisfaire les mânes du jeune Féraud; il suffisait deshonneurs touchans rendus à sa mémoire. La conventiondécréta pour lui une séance funèbre. La salle fut décoréeen noir; tous les représentans s'y rendirent en grandcostume et en deuil. Une musique douce et lugubre ouvritla séance; Louvet prononça ensuite l'éloge du jeunereprésentant, si dévoué, si courageux, si tôt enlevé à sonpays. Un monument fut voté pour immortaliser sonhéroïsme. On profita de cette occasion pour ordonner unefête commémorative en l'honneur des girondins. Rienn'était plus juste. Des victimes aussi illustres, quoiqu'elleseussent compromis leur pays, méritaient des hommages;mais il suffisait de jeter des fleurs sur leurs tombes, il n'yfallait pas du sang. Cependant on en répandit des flots; caraucun parti, même celui qui prend l'humanité pour devise,n'est sage dans sa vengeance. Il semblait en effet que, noncontente de ses pertes, la convention voulût elle-même y enajouter de nouvelles. Les députés accusés, traduitsd'abord au château du Taureau pour prévenir toutetentative en leur faveur, furent amenés à Paris, et leurprocès instruit avec la plus grande activité. Le vieux Rhul,qu'on avait seul excepté du décret d'accusation, ne voulaitpas de ce pardon; il croyait la liberté perdue, et il se donnala mort d'un coup de poignard. Émus par tant de scènes

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funèbres, Louvet, Legendre, Fréron, demandèrent le renvoià leurs juges naturels des députés traduits devant lacommission; mais Révère, ancien terroriste, devenuroyaliste fougueux, Bourdon (de l'Oise), implacable commeun homme qui avait eu peur, insistèrent pour le décret, et lefirent maintenir.

Les députés furent traduits devant la commission le 29prairial (17 juin). Malgré les recherches les plussoigneuses, on n'avait découvert aucun fait qui prouvât leurconnivence secrète avec les révoltés. Il était difficile eneffet qu'on en découvrît, car ils ignoraient le mouvement; ilsne se connaissaient même pas les uns les autres;Bourbotte seul connaissait Goujon, pour l'avoir rencontrédans une mission aux armées. Il était prouvé seulementque, l'insurrection accomplie, ils avaient voulu fairelégaliser quelques-uns des voeux du peuple. Ils furentnéanmoins condamnés, car une commission militaire, àlaquelle un gouvernement envoie des accusés importans,ne sait jamais les lui renvoyer absous. Il n'y eut d'acquittéque Forestier. On l'avait joint aux condamnés, quoiqu'iln'eût pas fait une seule motion pendant la fameuse séance.Peyssard, qui avait seulement poussé un cri pendant lecombat, fut condamné à la déportation. Romme, Goujon,Duquesnoy, Duroi, Bourbotte, Soubrany, furent condamnesà mort. Romme était un homme simple et austère; Goujonétait jeune, beau, et doué de qualités heureuses;Bourbotte, aussi jeune que Goujon, joignait à un rarecourage l'éducation la plus soignée; Soubrany était un

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ancien noble, sincèrement dévoué à la cause de larévolution. A l'instant où on leur prononça leur arrêt, ilsremirent au greffier des lettres, des cachets et des portraitsdestinés à leurs familles. On les fit retirer ensuite pour lesdéposer dans une salle particulière avant de les conduire àl'échafaud. Ils s'étaient promis de n'y pas arriver. Il ne leurrestait qu'un couteau et une paire de ciseaux, qu'ils avaientcachés dans la doublure de leurs vêtemens. Endescendant l'escalier, Romme se frappe le premier, etcraignant de se manquer, se frappe plusieurs fois encore,au coeur, au cou, au visage. Il transmet le couteau àGoujon, qui, d'une main assurée, se porte un coup mortel,et tombe sans vie. Des mains de Goujon, l'arme libératricepasse à celles de Duquesnoy, Duroi, Bourbotte etSoubrany. Malheureusement Duroi, Bourbotte, Soubrany,ne réussissent pas à se porter des atteintes mortelles; ilssont traînés tout sanglans à l'échafaud. Soubrany, noyédans son sang, conservait néanmoins, malgré sesdouleurs, le calme et l'attitude fière qu'on avait toujoursremarqués en lui. Duroi était désespéré de s'être manqué:«Jouissez, s'écriait-il, jouissez de votre triomphe,messieurs les royalistes.» Bourbotte avait conservé toutela sérénité de la jeunesse; il parlait avec une imperturbabletranquillité au peuple. A l'instant où il allait recevoir le coupfatal, on s'aperçut que le couteau n'avait pas été remonté; ilfallut disposer l'instrument: il employa ce temps à proférerencore quelques paroles. Il assurait que nul ne mourait plusdévoué à son pays, plus attaché à son bonheur et à saliberté. Il y avait peu de spectateurs à cette exécution: le

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temps du fanatisme politique était passé; on ne tuait plusavec cette fureur qui autrefois rendait insensible. Tous lescoeurs furent soulevés en apprenant les détails de cesupplice, et les thermidoriens en recueillirent une honteméritée. Ainsi, dans cette longue succession d'idéescontraires, toutes eurent leurs victimes; les idées même declémence, d'humanité, de réconciliation, eurent leursholocaustes; car, dans les révolutions, aucune ne peutrester pure de sang humain.

Le parti montagnard se trouvait ainsi entièrement détruit.Les patriotes venaient d'être vaincus à Toulon. Après uncombat assez sanglant, livré sur la route de Marseille, ilsavaient été obligés de rendre les armes, et de livrer laplace sur laquelle ils espéraient s'appuyer pour soulever laFrance. Ils n'étaient donc plus un obstacle, et, commed'usage, leur chute amena encore celle de quelquesinstitutions révolutionnaires. Le célèbre tribunal, presqueréduit, depuis la loi du 8 nivôse, à un tribunal ordinaire, futdéfinitivement aboli. Tous les accusés furent rendus auxtribunaux criminels jugeant d'après la procédure de 1791;les conspirateurs seuls devaient être jugés d'après laprocédure du 8 nivôse, et sans recours en cassation. Lemot révolutionnaire, appliqué aux institutions et auxétablissemens, fut supprimé. Les gardes nationales furentréorganisées sur l'ancien pied; les ouvriers, lesdomestiques, les citoyens peu aisés, le peuple enfin, enfurent exclus; et le soin de la tranquillité publique se trouvaainsi confié de nouveau à la classe qui avait le plus

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d'intérêt à la maintenir. A Paris, la garde nationale,organisée par bataillons, par brigades, et commandéealternativement par chaque chef de brigade, fut mise sousles ordres du comité militaire. Enfin la concession la plusdésirée par les catholiques, la restitution des églises, leurfut accordée; on les leur rendit, à la charge par eux de lesentretenir à leurs frais. Du reste, cette mesure, quoiqu'ellefût un résultat de la réaction, était appuyée par les espritsles plus sages. On la regardait comme propre à calmer lescatholiques, qui ne croiraient pas avoir recouvré la libertédu culte tant qu'ils n'auraient pas leurs anciens édificespour en célébrer les cérémonies.

Les discussions de finance, interrompues par lesévénemens de prairial, étaient toujours les plus urgentes etles plus pénibles. L'assemblée y était revenue aussitôt quele calme avait été rétabli; elle avait de nouveau décrétéqu'il n'y aurait qu'un seul pain, afin d'ôter au peuplel'occasion d'accuser le luxe des riches; elle avait ordonnédes recensemens de grains, pour assurer le superflu dechaque département à l'approvisionnement des armées etdes grandes communes; enfin elle avait rapporté le décretqui permettait le libre commerce de l'or et de l'argent. Ainsil'urgence des circonstances l'avait ramenée à quelques-unes de ces mesures révolutionnaires contre lesquelles onétait si fort déchaîné. L'agiotage avait été porté au dernierdegré de fureur. Il n'y avait plus de boulangers, debouchers, d'épiciers en titre; tout le monde achetait etrevendait du pain, de la viande, des épices, des huiles, etc.

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Les greniers et les caves étaient remplis de marchandiseset de comestibles, sur lesquels tout le monde spéculait. Onvendait, au Palais-Royal, du pain blanc à 25 ou 30 francs lalivre. Les regrattiers se précipitaient sur les marchés, etachetaient les fruits et les légumes qu'apportaient les gensde la campagne, pour les faire renchérir sur-le-champ. Onallait acheter d'avance les récoltes en vert et pendant parracine, ou les troupeaux de bestiaux, pour spéculer ensuitesur l'augmentation des prix. La convention défendit auxmarchands regrattiers de se présenter dans les marchésavant une certaine heure. Elle fut obligée de décréter queles bouchers patentés pourraient seuls acheter desbestiaux; que les récoltes ne pourraient être achetéesavant la moisson. Ainsi tout était bouleversé; tous lesindividus, même les plus étrangers aux spéculations decommerce, étaient à l'affût de chaque variation del'assignat pour faire subir la perte à autrui, et recueillir eux-mêmes la plus-value d'une denrée ou d'une marchandise.

On a vu qu'entre les deux projets de réduire l'assignat aucours, ou de percevoir l'impôt en nature, la convention avaitpréféré celui qui consistait à vendre les biens sansenchères, et trois fois la valeur de 1790. C'était, comme ona dit, le seul moyen de les vendre, car l'enchère faisaittoujours monter les biens à proportion de la baisse del'assignat, c'est-à-dire à un prix auquel le public ne pouvaitpas atteindre. Aussitôt la loi rendue, la quantité dessoumissions fut extraordinaire. Dès qu'on sut qu'il suffisaitde se présenter le premier pour ne payer les biens que

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trois fois la valeur de 1790, en assignats, on accourut detoutes parts. Pour certains biens on vit jusqu'à plusieurscentaines de soumissions; à Charenton, il en fut fait troiscent soixante pour un domaine provenant des Pères de laMerci; il en fut fait jusqu'à cinq cents pour un autre. Onencombrait les hôtels des districts. De simples commis,des gens sans fortune, mais dans les mains desquels setrouvaient momentanément des sommes d'assignats,couraient soumissionner les biens. Comme ils n'étaienttenus de payer sur-le-champ qu'un sixième, et le reste dansplusieurs mois, ils achetaient avec des sommes minimesdes biens considérables, pour les revendre avec bénéficeà ceux qui s'étaient moins hâtés. Grâce à cetempressement, des domaines que les administrateurs nesavaient pas être devenus propriétés nationales, étaientsignalés comme tels. Le plan de Bourdon (de l'Oise) avaitdonc un plein succès, et on pouvait espérer que bientôt unegrande partie des biens serait vendue, et que les assignatsseraient ou retirés ou relevés. Il est vrai que la républiquefaisait, sur ces ventes, des pertes qui, à les calculernumériquement, étaient considérables. L'estimation de1790, fondée sur le revenu apparent, était souventinexacte, car les biens du clergé et tous ceux de l'ordre deMalte étaient loués à très bas prix; les fermiers payaient lesurplus du prix en pots-de-vin, qui s'élevaient souvent àquatre fois le prix du bail. Une terre afferméeostensiblement 1,000 francs en rapportait en réalité 4,000;d'après l'estimation de 1790, cette terre était portée à25,000 francs de valeur, elle devait être payée 75,000 fr.

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en assignats, qui ne valaient en réalité que 7,500 fr. AHonfleur, des magasins à sel, dont la construction avaitcoûté plus de 400,000 livres, allaient se vendre en réalité22,500 livres. D'après ce calcul, la perte était grande; maisil fallait s'y résigner, sauf à la rendre moindre en exigeantquatre ou cinq fois la valeur de 1790, au lieu de trois foisseulement.

Rewbell et une foule de députés ne comprirent pas cela; ilsne virent que la perte apparente. Ils prétendirent qu'ongaspillait les trésors de la république, et qu'on la privait deses ressources. Il s'éleva des cris de toutes parts. Ceux quin'entendaient pas la question, et ceux qui voyaientdisparaître avec peine les biens des émigrés, secoalisèrent pour faire suspendre le décret. Balland etBourdon (de l'Oise) le défendirent avec chaleur; ils nesurent pas donner la raison essentielle, c'est qu'il ne fallaitpas demander des biens plus que les acheteurs n'enpouvaient donner, mais ils dirent, ce qui était vrai, que laperte numérique n'était pas aussi grande qu'elle leparaissait en effet; que 75,000 francs en assignats nevalaient que 7,500 francs en numéraire, mais que lenuméraire avait deux fois plus de valeur qu'autrefois, et que7,500 francs représentaient certainement 15 ou 20,000francs de 1790; ils dirent que la perte actuelle étaitbalancée par l'avantage qu'on avait de terminer sur-le-champ cette catastrophe financière, de retirer ou de releverles assignats, de faire cesser l'agiotage sur lesmarchandises en appelant le papier sur les terres, de livrer

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immédiatement la masse des biens nationaux à l'industrieindividuelle, et enfin d'ôter toute espérance aux émigrés.

On suspendit néanmoins le décret. On ordonna auxadministrations de continuer à recevoir les soumissions,pour que tous les biens nationaux fussent ainsi dénoncéspar l'intérêt individuel, et que l'on pût en dresser un état plusexact. Quelques jours après, on rapporta tout-à-fait ledécret, et on décida que les biens continueraient à êtrevendus aux enchères.

Ainsi, après avoir entrevu le moyen de faire, cesser lacrise, on l'abandonna, et on retomba dans l'épouvantabledétresse d'où on aurait pu sortir. Cependant, puisqu'on nefaisait rien pour relever les assignats, on ne pouvait pasrester dans l'affreux mensonge de la valeur nominale, quiruinait la république et les particuliers payés en papier. Ilfallait revenir à la proposition, déjà faite, de réduire lesassignats. On avait rejeté la proposition de les réduire aucours de l'argent, parce que les Anglais, disait-on,regorgeant de numéraire, seraient maîtres du cours; onn'avait pas voulu les réduire au cours du blé, parce que leprix des grains avait considérablement augmenté; on avaitrefusé de prendre le temps pour échelle, et de réduirechaque mois le papier d'une certaine valeur, parce quec'était, disait-on, le démonétiser et faire banqueroute.Toutes ces raisons étaient frivoles; car, soit qu'on choisîtl'argent, le blé, ou le temps, pour déterminer la réduction dupapier, on le démonétisait également. La banqueroute ne

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consistait pas à réduire la valeur de l'assignat entreparticuliers, car cette réduction avait déjà eu lieu de fait, etla reconnaître, ce n'était qu'empêcher les vols; labanqueroute eut consisté plutôt dans le rétablissement dela vente des biens aux enchères. Ce que la républiqueavait promis, en effet, ce n'était pas que les assignatsvalussent telle ou telle somme entre particuliers (cela nedépendait pas d'elle), mais qu'ils procurassent tellequantité de biens; or, en établissant l'enchère, l'assignat neprocurait plus une certaine quantité de biens; il devenaitimpuissant à l'égard des biens comme à l'égard desdenrées; il subissait la même baisse par l'effet de laconcurrence.

On chercha une autre mesure que l'argent, le blé ou letemps, pour réduire l'assignat; on choisit la quantité desémissions. Il est vrai, en principe, que l'augmentation dunuméraire en circulation fait augmenterproportionnellement le prix de tous les objets. Or, si unobjet avait valu un franc, lorsqu'il y avait deux milliards denuméraire en circulation, il devait valoir deux francs lorsqu'ily avait quatre milliards de numéraire, trois lorsqu'il y enavait six, quatre lorsqu'il y en avait huit, cinq lorsqu'il y enavait dix. En supposant que la circulation actuelle desassignats s'élevât à dix milliards, il fallait payer aujourd'huicinq fois plus que lorsqu'il n'y avait que 2 milliards. Onétablit une échelle de proportion, à partir de l'époque où iln'y avait que 2 milliards d'assignats en circulation, et ondécida que, dans tout paiement fait en assignats, on

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ajouterait un quart en sus par chaque 500 millions ajoutés àla circulation. Ainsi, une somme de 2,000 francs stipuléelorsqu'il y avait 2 milliards en circulation, serait payée,lorsqu'il y en avait 2 milliards 500 millions, 2,500 francs;lorsqu'il y en avait 3 milliards, elle serait payée 3,000francs; aujourd'hui enfin qu'il y en avait 10 milliards, elledevrait être payée 10,000 francs.

Ceux qui regardaient la démonétisation comme unebanqueroute n'auraient pas dû être rassurés par cettemesure, car, au lieu de démonétiser dans la proportion del'argent, du blé ou du temps, on démonétisait dans celledes émissions, ce qui revenait au même, à un inconvénientprès qui se trouvait de plus ici. Grâce à la nouvelle échelle,chaque émission allait diminuer d'une quantité certaine etconnue la valeur de l'assignat. En émettant 500 millions,l'état allait enlever au porteur de l'assignat un quart, uncinquième, un sixième, etc., de ce qu'il possédait.

Cependant cette échelle, qui avait ses inconvéniens aussibien que toutes les autres réductions au cours de l'argentou du blé, aurait dû être au moins appliquée à toutes lestransactions; mais on ne l'osa pas: on l'appliqua d'abord àl'impôt et à son arriéré. On promit de l'appliquer auxfonctionnaires publics, quand le nombre en aurait étéréduit, et aux rentiers de l'état, quand les premièresrentrées de l'impôt, d'après la nouvelle échelle,permettraient de les payer sur le même pied. On n'osa pasfaire profiter de l'échelle les créanciers de toute espèce,

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les propriétaires de maisons de ville ou de campagne, lespropriétaires d'usines, etc. Il n'y eut de favorisés que lespropriétaires de fonds territoriaux. Les fermiers, faisant surles denrées des profits excessifs, et ne payant, au moyendes assignats, que le dixième ou le douzième du prix deleur bail, furent contraints d'acquitter leur fermage d'aprèsl'échelle nouvelle. Ils devaient fournir une quantitéd'assignats proportionnée à la quantité émise depuis lemoment où leur bail avait été passé.

Telles furent les mesures par lesquelles on essaya dediminuer l'agiotage, et de faire cesser le désordre desvaleurs. Elles consistèrent, comme on voit, à défendre auxspéculateurs de devancer les consommateurs dans l'achatdes comestibles et des denrées, et à proportionner lespaiemens en assignats à la quantité de papier encirculation.

La clôture des Jacobins en brumaire avait commencé laruine des patriotes, l'événement du 12 germinal l'avaitavancée, mais celui de prairial l'acheva. La masse descitoyens qui leur étaient opposés, non par royalisme, maispar crainte d'une nouvelle terreur, étaient plus déchaînésque jamais, et les poursuivaient avec la dernière rigueur.On enfermait, on désarmait tous les hommes qui avaientservi chaudement la révolution. On exerçait, à leur égard,des actes aussi arbitraires qu'envers les anciens suspects.Les prisons se remplissaient comme avant le 9 thermidor,mais elles se remplissaient de révolutionnaires. Le nombre

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des détenus ne s'élevait pas, comme alors, à près de centmille individus, mais à vingt ou vingt-cinq mille. Lesroyalistes triomphaient. Le désarmement oul'emprisonnement des patriotes, le supplice des députésmontagnards, la procédure commencée contre une fouled'autres, la suppression du tribunal révolutionnaire, larestitution des églises au culte catholique, la recompositiondes gardes nationales, étaient autant de mesures qui lesremplissaient de joie et d'espérance. Ils se flattaient quebientôt ils obligeraient la révolution à se détruire elle-même, et qu'on verrait la république enfermer ou mettre àmort tous les hommes qui l'avaient fondée. Pour accélérerce mouvement, ils intriguaient dans les sections, ils lesexcitaient contre les révolutionnaires, et les portaient auxderniers excès. Une foule d'émigrés rentraient, ou avec defaux passeports, ou sous prétexte de demander leurradiation. Les administrations locales, renouvelées depuisle 9 thermidor, et remplies d'hommes ou faibles ouennemis de la république, se prêtaient à tous lesmensonges officieux qu'on exigeait d'elles; tout ce quitendait à adoucir le sort de ce qu'on appelait les victimesde la terreur leur semblait permis, et elles fournissaientainsi à une foule d'ennemis de leur pays le moyen d'yrentrer pour le déchirer. A Lyon et dans tout le Midi, lesagens royalistes continuaient à reparaître secrètement; lescompagnies de Jésus et du Soleil avaient commis denouveaux massacres. Dix mille fusils, destinés à l'arméedes Alpes, avaient été inutilement distribués à la gardenationale de Lyon; elle ne s'en était pas servie, et avait

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laissé égorger, le 25 prairial (13 juin), une foule depatriotes. La Saône et le Rhône avaient de nouveau roulédes cadavres. A Nîmes, Avignon, Marseille, les mêmesmassacres eurent lieu. Dans cette dernière ville on s'étaitporté au fort Saint-Jean, et on y avait renouvelé les horreursde septembre contre les prisonniers.

Le parti dominant de la convention, composé desthermidoriens et des girondins, tout en se défendant contreles révolutionnaires, suivait de l'oeil les royalistes, et sentaitla nécessité de les comprimer. Il fit décréter sur-le-champque la ville de Lyon serait désarmée par un détachementde l'armée des Alpes, et que les autorités, qui avaientlaissé massacrer les patriotes, seraient destituées. Il futenjoint en même temps aux comités civils des sections, deréviser les listes de détention, et d'ordonner l'élargissementde ceux qui étaient enfermés sans des motifs suffisans.Aussitôt les sections, excitées par les intrigans royalistes,se soulevèrent; elles vinrent adresser des pétitionsmenaçantes à la convention, et dirent que le comité desûreté générale élargissait les terroristes, et leur rendaitdes armes. Les sections de Lepelletier et du Théâtre-Français (Odéon), toujours les plus ardentes contre lesrévolutionnaires, demandèrent si on voulait relever lafaction abattue, et si c'était pour faire oublier le terrorismequ'on venait parler de royalisme à la France.

A ces pétitions, souvent peu respectueuses, les intéressésau désordre ajoutaient les bruits les plus capables d'agiter

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les esprits. C'était Toulon qui avait été livré aux Anglais;c'étaient le prince de Condé et les Autrichiens qui allaiententrer par la Franche-Comté, tandis que les Anglaispénétreraient par l'Ouest; c'était Pichegru qui était mort;c'étaient les subsistances qui allaient manquer parce qu'onvoulait les rendre au commerce libre; c'était enfin uneréunion des comités qui, effrayés des dangers publics,avaient délibéré de rétablir le régime de la terreur. Lesjournaux voués au royalisme excitaient, fomentaient tousces bruits; et, au milieu de cette agitation générale, onpouvait dire véritablement que le règne de l'anarchie étaitvenu. Les thermidoriens et les contre-révolutionnaires setrompaient quand ils appelaient anarchie le régime quiavait précédé le 9 thermidor: ce régime avait été unedictature épouvantable; mais l'anarchie avait commencédepuis que deux factions, à peu près égales en forces, secombattaient sans que le gouvernement fût assez fort pourles vaincre.

NOTES:

[3]

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1er prairial an III (mercredi 20 mai).

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CHAPITRE XXX.

SITUATION DES ARMÉES AU NORD ETSUR LE RHIN, AUX ALPES ET AUXPYRÉNÉES VERS LE MILIEU DE L'AN III.—PREMIERS PROJETS DE TRAHISONDE PICHEGRU.—ÉTAT DE LA VENDÉEET DE LA BRETAGNE.—INTRIGUES ETPLANS DES ROYALISTES.—RENOUVELLEMENT DES HOSTILITÉSSUR QUELQUES POINTS DES PAYSPACIFIÉS.—EXPÉDITION DE QUIBERON.—DESTRUCTION DE L'ARMÉEROYALISTE PAR HOCHE.—CAUSE DUPEU DE SUCCÈS DE CETTE TENTATIVE.—PAIX AVEC L'ESPAGNE.—PASSAGEDU RHIN PAR LES ARMÉESFRANÇAISES.

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La situation des armées avait peu changé, et quoique unemoitié de la belle saison fût écoulée, il ne s'était passéaucun événement important. Moreau avait reçu lecommandement de l'armée du Nord, campée en Hollande;Jourdan, celui de l'armée de Sambre-et-Meuse, placée surle Rhin, vers Cologne; Pichegru, celui de l'armée du Rhin,cantonnée depuis Mayence jusqu'à Strasbourg. Lestroupes étaient dans une pénurie qui n'avait fait ques'augmenter par le relâchement de tous les ressorts dugouvernement, et par la ruine du papier-monnaie. Jourdann'avait pas un équipage de pont pour passer le Rhin, ni uncheval pour traîner son artillerie et ses bagages. Kléber,devant Mayence, n'avait pas le quart du matérielnécessaire pour assiéger cette place. Les soldatsdésertaient tous à l'intérieur. La plupart croyaient avoirassez fait pour la république, en portant ses drapeauxvictorieux jusqu'au Rhin. Le gouvernement ne savait pas lesnourrir; il ne savait ni occuper ni réchauffer leur ardeur parde grandes opérations. Il n'osait pas ramener par la forceceux qui désertaient leurs drapeaux. On savait que lesjeunes gens de la première réquisition, rentrés dansl'intérieur, n'étaient ni recherchés ni punis; à Paris même ilsétaient dans la faveur des comités, dont ils formaientsouvent la milice volontaire. Aussi le nombre desdésertions était considérable; les armées avaient perdu lequart de leur effectif, et on sentait partout ce relâchementgénéral qui détache le soldat du service, mécontente leschefs, et met leur fidélité en péril. Le député Aubry, chargé,au comité de salut public, du personnel de l'armée, y avait

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opéré une véritable réaction contre tous les officierspatriotes, en faveur de ceux qui n'avaient pas servi dansles deux grandes années de 93 et 94.

Si les Autrichiens n'avaient pas été si démoralisés, c'eûtété le moment pour eux de se venger de leurs revers; maisils se réorganisaient lentement au-delà du Rhin, et ilsn'osaient rien faire pour empêcher les deux seulesopérations tentées par les armées françaises, le siége deLuxembourg et celui de Mayence. Ces deux places étaientles seuls points que la coalition conservât sur la rivegauche du Rhin. La chute de Luxembourg achevait laconquête des Pays-Bas, et la rendait définitive; celle deMayence privait les impériaux d'une tête de pont, qui leurpermettait toujours de franchir le Rhin en sûreté.Luxembourg, bloqué pendant tout l'hiver et le printemps, serendit par famine, le 6 messidor (24 juin). Mayence nepouvait tomber que par un siége, mais le matérielmanquait; il fallait investir la place sur les deux rives, et,pour cela, il était nécessaire que Jourdan ou Pichegrufranchissent le Rhin; opération difficile en présence desAutrichiens, et impossible sans des équipages de pont.Ainsi, nos armées, quoique victorieuses, étaient arrêtéespar le Rhin, qu'elles ne pouvaient traverser faute demoyens, et se ressentaient, comme toutes les parties dugouvernement, de la faiblesse de l'administration actuelle.

Sur la frontière des Alpes, notre situation était moinssatisfaisante encore. Sur le Rhin, du moins, nous avions

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fait l'importante conquête du Luxembourg; tandis que ducôté de la frontière d'Italie nous avions reculé. Kellermanncommandait les deux armées des Alpes; elles étaient dansle même état de pénurie que toutes les autres; et, outre ladésertion, elles avaient encore été affaiblies par diversdétachemens. Le gouvernement avait imaginé un coup demain ridicule sur Rome. Voulant venger l'assassinat deBasseville, il avait mis dix mille hommes sur l'escadre deToulon, réparée entièrement par les soins de l'anciencomité de salut public; il voulait les envoyer à l'embouchuredu Tibre, pour aller frapper une contribution sur la citépapale, et revenir promptement ensuite sur leursvaisseaux. Heureusement un combat naval livré contre lordHotam, après lequel les deux escadres s'étaient retiréeségalement maltraitées, empêcha l'exécution de ce projet.On rendit à l'armée d'Italie la division qu'on en avait tirée;mais il fallait en même temps envoyer un corps à Toulon,pour combattre les terroristes, un autre à Lyon, pourdésarmer la garde nationale, qui avait laissé égorger lespatriotes. De cette manière, les deux armées des Alpes setrouvaient privées d'une partie de leurs forces en présencedes Piémontais et des Autrichiens, renforcés de dix millehommes venus du Tyrol. Le général Devins, profitant dumoment où Kellermann venait de détacher une de sesdivisions sur Toulon, avait attaqué sa droite vers Gênes.Kellermann, ne pouvant résister à un effort supérieur, avaitété obligé de se replier. Occupant toujours avec son centrele col de Tende, sur les Alpes, il avait cessé de s'étendrepar sa droite jusqu'à Gênes, et avait pris position derrière

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la ligne de Borghetto. On devait craindre de ne pouvoirbientôt plus communiquer avec Gênes, dont le commercedes grains allait rencontrer de grands obstacles dès que larivière du Ponant serait occupée par l'ennemi.

En Espagne, rien de décisif n'avait été exécuté. Notrearmée des Pyrénées orientales occupait toujours laCatalogne jusqu'aux bords de la Fluvia. D'inutiles combatsavaient été livrés sur les bords de cette rivière, sanspouvoir prendre position au-delà. Aux Pyrénéesoccidentales, Moncey organisait son armée dévorée demaladies, pour rentrer dans le Guipuscoa et s'avancer enNavarre.

Quoique nos armées n'eussent rien perdu, excepté enItalie, qu'elles eussent même conquis l'une des premièresplaces de l'Europe, elles étaient, comme on voit, maladministrées, faiblement conduites, et se ressentaient del'anarchie générale qui régnait dans toutes les parties del'administration.

C'était donc un moment favorable, non pour les vaincre, carle péril leur eût rendu leur énergie, mais pour faire destentatives sur leur fidélité, et pour essayer des projets decontre-révolution. On a vu les royalistes et les cabinetsétrangers concerter diverses entreprises sur les provincesinsurgées; on a vu Puisaye et l'Angleterre s'occuper d'unplan de descente en Bretagne; l'agence de Paris etl'Espagne projeter une expédition dans la Vendée.L'émigration songeait en même temps à pénétrer en

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France par un autre point. Elle voulait nous attaquer parl'Est, tandis que les expéditions tentées par l'Espagne etl'Angleterre s'effectueraient dans l'Ouest. Le prince deCondé avait son quartier-général sur le Rhin, où ilcommandait un corps de deux mille cinq cents fantassinset de quinze cents cavaliers. Il devait être ordonné à tousles émigrés courant sur le continent de se réunir à lui, souspeine de n'être pas soufferts par les puissances sur leurterritoire; son corps se trouverait ainsi augmenté de tousles émigrés restés inutiles; et laissant les Autrichiensoccupés sur le Rhin à contenir les armées républicaines, iltâcherait de pénétrer par la Franche-Comté, et de marchersur Paris, tandis que le comte d'Artois, avec les insurgésde l'Ouest, s'en approcherait de son côté. Si on neréussissait pas, on avait l'espoir d'obtenir au moins unecapitulation comme celle des Vendéens; on avait lesmêmes raisons pour la demander. «Nous sommes,diraient les émigrés qui auraient concouru à cetteexpédition, des Français qui avons eu recours à la guerrecivile, mais en France, et sans mêler des étrangers dansnos rangs.» C'était même, disaient les partisans de ceprojet, le seul moyen pour les émigrés de rentrer enFrance, soit par la contre-révolution, soit par une amnistie.

Le gouvernement anglais, qui avait pris le corps de Condéà sa solde, et qui désirait fort une diversion vers l'Est,tandis qu'il opérerait par l'Ouest, insistait pour que le princede Condé fît une tentative, n'importe laquelle. Il lui faisaitpromettre, par son ambassadeur en Suisse, Wickam, des

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secours en argent, et les moyens nécessaires pour formerde nouveaux régimens. Le prince intrépide ne demandaitpas mieux que d'avoir une entreprise à tenter; il était tout àfait incapable de diriger une affaire, ou une bataille, mais ilétait prêt à marcher tête baissée sur le danger, dès qu'onle lui aurait indiqué.

On lui suggéra l'idée de faire une tentative de séductionauprès de Pichegru, qui commandait l'armée du Rhin. Leterrible comité de salut public n'effrayait plus les généraux,et n'avait plus l'oeil ouvert et la main levée sur eux: larépublique, payant ses officiers en assignats, leur donnait àpeine de quoi satisfaire à leurs besoins les plus pressans:les désordres élevés dans son sein mettaient sonexistence en doute, et alarmaient les ambitieux quicraignaient de perdre par sa chute les hautes dignitésqu'ils avaient acquises. On savait que Pichegru aimait lesfemmes et la débauche; que les 4,000 francs qu'il recevaitpar mois, en assignats, valant à peine 200 francs sur lafrontière, ne pouvaient lui suffire, et qu'il était dégoûté deservir un gouvernement chancelant. On se souvenait qu'engerminal il avait prêté main-forte contre les patriotes, auxChamps-Elysées. Toutes ces circonstances firent penserque Pichegru serait peut-être accessible à des offresbrillantes. En conséquence, le prince s'adressa pourl'exécution de ce projet à M. de Montgaillard, et celui-ci àun libraire de Neuchâtel, M. Fauche-Borel, qui, sujet d'unerépublique sage et heureuse, allait se faire le serviteurobscur d'une dynastie sous laquelle il n'était pas né. Ce M.

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Fauche-Borel se rendit à Altkirch, où était le quartier-général de Pichegru. Après l'avoir suivi dans plusieursrevues, il finit par attirer son attention à force de s'attacherà ses pas; enfin il osa l'aborder dans un corridor: il lui parlad'abord d'un manuscrit qu'il voulait lui dédier, et Pichegruayant en quelque sorte provoqué ses confidences, il finitpar s'expliquer. Pichegru lui demanda une lettre du princede Condé lui-même, pour savoir à qui il avait affaire.Fauche-Borel retourna auprès de M. de Montgaillard, celui-ci auprès du prince. Il fallut passer une nuit entière pourfaire écrire au prince une lettre de huit lignes. Tantôt il nevoulait pas qualifier Pichegru de général, car il craignait dereconnaître la république; tantôt il ne voulait pas mettre sesarmes sur l'enveloppe. Enfin la lettre écrite, Fauche-Borelretourna auprès de Pichegru, qui, ayant vu l'écriture duprince, entra aussitôt en pourparlers. On lui offrait, pour lui,le grade de maréchal, le gouvernement de l'Alsace, unmillion en argent, le château et le parc de Chambord enpropriété, avec douze pièces de canon prises sur lesAutrichiens, une pension de 200,000 francs de rente,réversible à sa femme et à ses enfans. On lui offrait, pourson armée, la conservation de tous les grades, unepension pour les commandans de place qui se rendraient,et l'exemption d'impôt, pendant quinze ans, pour les villesqui ouvriraient leurs portes. Mais on demandait quePichegru arborât le drapeau blanc, qu'il livrât la placed'Huningue au prince de Condé, et qu'il marchât avec luisur Paris. Pichegru était trop fin pour accueillir de pareillespropositions. Il ne voulait pas livrer Huningue et arborer le

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drapeau blanc dans son armée: c'était beaucoup trops'engager et se compromettre. Il demandait qu'on luilaissât passer le Rhin avec un corps d'élite; là il promettaitd'arborer le drapeau blanc; de prendre avec lui le corps deCondé, et de marcher ensuite sur Paris. On ne voit pas ceque son projet pouvait y gagner; car il était aussi difficile deséduire l'armée au-delà qu'en-deçà du Rhin; mais il necourait pas le danger de livrer une place, d'être surpris enla livrant, et de n'avoir aucune excuse à donner à satrahison. Au contraire, en se transportant au-delà du Rhin, ilétait encore maître de ne pas consommer la trahison, s'ilne s'entendait pas avec le prince et les Autrichiens; ou, s'ilétait découvert trop tôt, il pouvait profiter du passageobtenu pour exécuter les opérations que lui commandaitson gouvernement, et dire ensuite qu'il n'avait écouté lespropositions de l'ennemi que pour en profiter contre lui.Dans l'un et l'autre cas, il se réservait le moyen de trahir oula république ou le prince avec lequel il traitait. Fauche-Borel retourna auprès de ceux qui l'envoyaient; mais on lerenvoya de nouveau pour qu'il insistât sur les mêmespropositions; il alla et revint ainsi plusieurs fois, sanspouvoir terminer le différend, qui consistait toujours en ceque le prince voulait obtenir Huningue, et Pichegru lepassage du Rhin. Ni l'un ni l'autre ne voulait faire l'avanced'un si grand avantage. Le motif qui empêchait surtout leprince de consentir à ce qu'on lui demandait, c'était lanécessité de recourir aux Autrichiens pour obtenirl'autorisation de livrer le passage; il désirait agir sans leurconcours, et avoir à lui seul l'honneur de la contre-

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révolution. Cependant il paraît qu'il fut obligé d'en référer auconseil aulique; et dans cet intervalle, Pichegru, surveillépar les représentans, fut obligé de suspendre sescorrespondances et sa trahison.

Pendant que ceci se passait à l'armée, les agens del'intérieur, Lemaître, Brottier, Despomelles, Laville-Heurnois, Duverne de Presle et autres, continuaient leursintrigues. Le jeune prince, fils de Louis XVI, était mort d'unetumeur au genou, provenant d'un vice scrofuleux. Lesagens royalistes avaient dit qu'il était mort empoisonné, ets'étaient empressés de rechercher les ouvrages sur lecérémonial du sacre, pour les envoyer à Vérone. Le régentétait devenu roi pour eux, et s'appelait Louis XVIII. Lecomte d'Artois était devenu Monsieur.

La pacification n'avait été qu'apparente dans les paysinsurgés. Les habitans, qui commençaient à jouir d'un peude repos et de sécurité, étaient, il est vrai, disposés àdemeurer en paix, mais les chefs et les hommes aguerrisqui les entouraient n'attendaient que l'occasion dereprendre les armes. Charette, ayant à sa disposition cesgardes territoriales ou s'étaient réunis tous ceux qui avaientle goût décidé de la guerre, ne songeait, sous prétexte defaire la police du pays, qu'à préparer un noyau d'arméepour rentrer en campagne. Il ne quittait plus son camp deBelleville, et y recevait continuellement les envoyésroyalistes. L'agence de Paris lui avait fait parvenir unelettre de Vérone, en réponse à la lettre où il cherchait à

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excuser la pacification. Le prétendant le dispensaitd'excuses, lui continuait sa confiance et sa faveur, lenommait lieutenant-général, et lui annonçait les prochainssecours de l'Espagne. Les agens de Paris, enchérissantsur les expressions du prince, flattaient l'ambition deCharette de la plus grande perspective: ils lui promettaientle commandement de tous les pays royalistes, et uneexpédition considérable qui devait partir des ports del'Espagne, apporter des secours et les princes français.Quant à celle qui se préparait en Angleterre, ilsparaissaient n'y pas croire. Les Anglais, disaient-ils,avaient toujours promis et toujours trompé; il fallait du restese servir de leurs moyens si on pouvait, mais s'en servirdans un tout autre but que celui qu'ils se proposaient; ilfallait faire aborder en Vendée les secours destinés à laBretagne, et soumettre cette contrée à Charette, qui avaitseul la confiance du roi actuel. De telles idées devaientflatter à la fois et l'ambition de Charette, et sa haine contreStofflet, et sa jalousie contre l'importance récente dePuisaye, et son ressentiment contre l'Angleterre, qu'ilaccusait de n'avoir jamais rien fait pour lui.

Quant à Stofflet, il avait moins de disposition que Charetteà reprendre les armes, quoiqu'il eût montré beaucoup plusde répugnance à les déposer. Son pays était plus sensibleque les autres aux avantages de la paix, et montrait ungrand éloignement pour la guerre. Lui-même étaitprofondément blessé des préférences données à Charette.Il avait tout autant mérité ce grade de lieutenant-général

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qu'on donnait à son rival, et il était fort dégoûté parl'injustice dont il se croyait l'objet.

La Bretagne, organisée comme auparavant, était toutedisposée à un soulèvement. Les chefs de chouans avaientobtenu, comme les chefs vendéens, l'organisation de leursmeilleurs soldats en compagnies régulières, sous leprétexte d'assurer la police du pays. Chacun des chefss'était formé une compagnie de chasseurs, portant l'habitet le pantalon verts, le gilet rouge, et composée deschouans les plus intrépides. Cormatin, continuant son rôle,se donnait une importance ridicule. Il avait établi à LaPrévalaye ce qu'il appelait son quartier-général; il envoyaitpubliquement des ordres, datés de ce quartier, à tous leschefs de chouans; il se transportait de divisions endivisions pour organiser les compagnies de chasseurs; ilaffectait de réprimer les infractions à la trève, quand il y enavait de commises, et semblait être véritablement legouverneur de la Bretagne. Il venait souvent à Rennes avecson uniforme de chouan, qui était devenu à la mode: là, ilrecueillait dans les cercles les témoignages de laconsidération des habitans et les caresses des femmes,qui croyaient voir en lui un personnage important et le chefdu parti royaliste.

Secrètement, il continuait de disposer les chouans à laguerre, et de correspondre avec les agens royalistes. Sonrôle, à l'égard de Puisaye, était embarrassant; il lui avaitdésobéi, il avait trompé sa confiance, et dès lors il ne lui

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était resté d'autre ressource que de se jeter dans les brasdes agens de Paris, qui lui faisaient espérer lecommandement de la Bretagne, et l'avaient mis dans leursprojets avec l'Espagne. Cette puissance promettait1,500,000 francs par mois, à condition qu'on agirait sansl'Angleterre. Rien ne convenait mieux à Cormatin qu'un planqui le ferait rompre avec l'Angleterre et Puisaye. Deuxautres officiers, que Puisaye avait envoyés de Londres enBretagne, MM. de la Vieuville et Dandigné, étaient entrésaussi dans le système des agens de Paris et s'étaientpersuadé que l'Angleterre voulait tromper, comme àToulon, se servir des royalistes pour avoir un port, fairecombattre des Français contre des Français, mais nedonner aucun secours réel, capable de relever le parti desprinces et d'assurer leur triomphe. Tandis qu'une partie deschefs bretons abondait dans ces idées, ceux du Morbihan,du Finistère, des Côtes-du-Nord, liés depuis long-temps àPuisaye, habitués à servir sous lui, organisés par sessoins, et étrangers aux intrigans de Paris, lui étaientdemeurés attachés, appelaient Cormatin un traître, etécrivaient à Londres qu'ils étaient prêts à reprendre lesarmes. Ils faisaient des préparatifs, achetaient desmunitions et de l'étoffe pour se faire des collets noirs,embauchaient les soldats républicains, et les entraînaient àdéserter. Ils y réussissaient, parce que, maîtres du pays, ilsavaient des subsistances en abondance, et que les soldatsrépublicains, mal nourris et n'ayant que des assignats poursuppléer à la ration, étaient obligés pour vivred'abandonner leurs drapeaux. D'ailleurs, on avait eu

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l'imprudence de laisser beaucoup de Bretons dans lesrégimens qui servaient contre les pays royalistes, et il étaittout naturel qu'ils se missent dans les rangs de leurscompatriotes.

Hoche, toujours vigilant, observait avec attention l'état dupays; il voyait les patriotes poursuivis sous le prétexte de laloi du désarmement, les royalistes pleins de jactance, lessubsistances resserrées par les fermiers, les routes peusûres, les voitures publiques obligées de partir en convoispour se faire escorter, les chouans formant desconciliabules secrets, des communications se renouvelantfréquemment avec les îles Jersey, et il avait écrit au comitéet aux représentans que la pacification était une insigneduperie, que la république était jouée, que tout annonçaitune reprise d'armes prochaine. Il avait employé le temps àformer des colonnes mobiles, et à les distribuer dans toutle pays, pour y assurer la tranquillité, et fondre sur lepremier rassemblement qui se formerait. Mais le nombrede ses troupes était insuffisant pour la surface de lacontrée et l'immense étendue des côtes. À chaque instantla crainte d'un mouvement dans une partie du pays, oul'apparition des flottes anglaises sur les côtes, exigeait laprésence de ses colonnes, et les épuisait en coursescontinuelles. Pour suffire à un pareil service, il fallait de sapart et de celle de l'armée une résignation plus méritoirecent fois que le courage de braver la mort.Malheureusement ses soldats se dédommageaient deleurs fatigues par des excès; il en était désolé, et il avait

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autant de peine à les réprimer qu'à surveiller l'ennemi.

Bientôt il eut occasion de saisir Cormatin en flagrant délit.On intercepta des dépêches de lui à divers chefs dechouans, et on acquit la preuve matérielle de ses secrètesmenées. Instruit qu'il devait se trouver un jour de foire àRennes avec une foule de chouans déguisés, et craignantqu'il ne voulût faire une tentative sur l'arsenal, Hoche le fitarrêter le 6 prairial au soir, et mit ainsi un terme à son rôle.Les différens chefs se recrièrent aussitôt, et se plaignirentde ce qu'on violait la trève. Hoche fit imprimer en réponseles lettres de Cormatin, et l'envoya avec ses complicesdans les prisons de Cherbourg; en même temps il tinttoutes ses colonnes prêtes à fondre sur les premiersrebelles qui se montreraient. Dans le Morbihan, le chevalierDesilz, s'étant soulevé, fut attaqué aussitôt par le généralJosnet, qui lui détruisit trois cents hommes, et le mit endéroute complète; ce chef périt dans l'action. Dans lesCôtes-du-Nord, Bois-Hardi se souleva aussi; son corps futdispersé, lui-même fut pris et tué. Les soldats, furieuxcontre la mauvaise foi de ce jeune chef, qui était le plusredoutable du pays, lui coupèrent la tête et la portèrent aubout d'une baïonnette. Hoche, indigné de ce défaut degénérosité, écrivit la lettre la plus noble à ses soldats, et fitrechercher les coupables pour les punir. Cette destructionsi prompte des deux chefs qui avaient voulu se soulever enimposa aux autres, ils restèrent immobiles, attendant avecimpatience l'arrivée de cette expédition qu'on leurannonçait depuis si long-temps. Leur cri était: Vive le roi,

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l'Angleterre et Bonchamps!

Dans ce moment, de grands préparatifs se faisaient àLondres. Puisaye s'était parfaitement entendu avec lesministres anglais. On ne lui accordait plus tout ce qu'on luiavait promis d'abord, parce que la pacification diminuait laconfiance; mais on lui accordait les régimens émigrés, etun matériel considérable pour tenter le débarquement; onlui promettait de plus toutes les ressources de lamonarchie, si l'expédition avait un commencement desuccès. L'intérêt seul de l'Angleterre devait faire croire àces promesses; car, chassée du continent depuis laconquête de la Hollande, elle recouvrait un champ debataille, elle transportait ce champ de bataille au coeurmême de la France, et composait ses armées avec desFrançais. Voici les moyens qu'on donnait à Puisaye. Lesrégimens émigrés du continent étaient, depuis lacampagne présente, passés au service de l'Angleterre;ceux qui formaient le corps de Condé devaient, comme onl'a vu, rester sur le Rhin; les autres, qui n'étaient plus quedes débris, devaient s'embarquer aux bouches de l'Elbe, etse transporter en Bretagne. Outre ces anciens régimensqui portaient la cocarde noire, et qui étaient fort dégoûtésdu service infructueux et meurtrier auquel ils avaient étéemployés par les puissances, l'Angleterre avait consenti àformer neuf régimens nouveaux qui seraient à sa solde,mais qui porteraient la cocarde blanche, afin que leurdestination parût plus française. La difficulté consistait àles recruter; car si dans le premier moment de ferveur les

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émigrés avaient consenti à servir comme soldats, ils ne levoulaient plus aujourd'hui. On songea à prendre sur lecontinent des déserteurs ou des prisonniers français. Desdéserteurs, on n'en trouva pas, car le vainqueur ne désertepas au vaincu: on se replia sur les prisonniers français. Lecomte d'Hervilly ayant trouvé à Londres des réfugiéstoulonnais qui avaient formé un régiment, les enrôla dans lesien, et parvint ainsi à le porter à onze ou douze centshommes, c'est-à-dire à plus des deux tiers du complet. Lecomte d'Hector composa le sien de marins qui avaientémigré, et le porta à six cents hommes. Le comte duDresnay trouva dans les prisons des Bretons enrôlésmalgré eux lors de la première réquisition, et faitsprisonniers pendant la guerre: il en recueillit quatre ou cinqcents. Mais ce fut là tout ce qu'on put réunir de Françaispour servir dans ces régimens à cocarde blanche. Ainsi,sur les neuf, trois seulement étaient formés, dont un auxdeux tiers du complet, et deux au tiers seulement. Il y avaitencore à Londres le lieutenant-colonel Rothalier, quicommandait quatre cents canonniers toulonnais. On enforma un régiment d'artillerie: on y joignit quelquesingénieurs français, dont on composa un corps du génie.Quant à la foule des émigrés, qui ne voulaient plus servirque dans leurs anciens grades, et qui ne trouvaient pas desoldats pour se composer des régimens, on résolut d'enformer des cadres qu'on remplirait en Bretagne avec lesinsurgés. Là, les hommes ne manquant pas, et les officiersinstruits étant rares, ils devaient trouver leur emploi naturel.On les envoya à Jersey pour les y organiser et les tenir

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prêts à suivre la descente. En même temps qu'il se formaitdes troupes, Puisaye cherchait à se donner des finances.L'Angleterre lui promit d'abord du numéraire en assezgrande quantité; mais il voulut se procurer des assignats.En conséquence, il se fit autoriser par les princes à enfabriquer trois milliards de faux; il y employa lesecclésiastiques oisifs qui n'étaient pas bons à porterl'épée. L'évêque de Lyon, jugeant cette mesure autrementque ne faisaient Puisaye et les princes, défendit auxecclésiastiques d'y prendre part. Puisaye eut recours alorsà d'autres employés, et fabriqua la somme qu'il avait leprojet d'emporter. Il voulait aussi un évêque qui remplît lerôle du légat de pape auprès des pays catholiques. Il sesouvenait qu'un intrigant, le prétendu évêque d'Agra, en sedonnant ce titre usurpé dans la première Vendée, avait eusur l'esprit des paysans une influence extraordinaire; il priten conséquence avec lui l'évêque de Dol, qui avait unecommission de Rome. Il se fit donner ensuite par le comted'Artois les pouvoirs nécessaires pour commanderl'expédition et nommer à tous les grades en attendant sonarrivée. Le ministère anglais, de son côté, lui confia ladirection de l'expédition; mais, se défiant de sa témérité etde son extrême ardeur à toucher terre, il chargea le comted'Hervilly de commander les régimens émigrés jusqu'aumoment où la descente serait opérée.

Toutes les dispositions étant faites, on embarqua sur uneescadre le régiment d'Hervilly, les deux régimens d'Hectoret du Dresnay, portant tous la cocarde blanche, les quatre

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cents artilleurs toulonnais, commandés par Rothalier, et unrégiment émigré d'ancienne formation, celui de La Châtre,connu sous le nom de Loyal-Émigrant, et réduit, par laguerre sur le continent, à quatre cents hommes. Onréservait ce valeureux reste pour les actions décisives. Onplaça sur cette escadre des vivres pour une armée de sixmille hommes pendant trois mois, cent chevaux de selle etde trait, dix-sept mille uniformes complets d'infanterie,quatre mille de cavalerie, vingt-sept mille fusils, dix piècesde campagne, six cents barils de poudre. On donna àPuisaye dix mille louis en or et des lettres de crédit surl'Angleterre, pour ajouter à ses faux assignats des moyensde finance plus assurés. L'escadre qui portait cetteexpédition se composait de trois vaisseaux de ligne de 74canons, de deux frégates de 44, de quatre vaisseaux de30 à 36, de plusieurs chaloupes canonnières et vaisseauxde transport. Elle était commandée par le commodoreWaren, l'un des officiers les plus distingués et les plusbraves de la marine anglaise. C'était la première division. Ilétait convenu qu'aussitôt après son départ, une autredivision navale irait prendre à Jersey les émigrésorganisés en cadres; qu'elle croiserait quelque tempsdevant Saint-Malo, où Puisaye avait pratiqué desintelligences et que des traîtres avaient promis de lui livrer;et qu'après cette croisière, si Saint-Malo n'était pas livré,elle viendrait rejoindre Puisaye et lui amener les cadres. Enmême temps des vaisseaux de transport devaient aller àl'embouchure de l'Elbe prendre les régimens émigrés àcocarde noire, pour les transporter auprès de Puisaye. On

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pensait que ces divers détachemens arriveraient presqueen même temps que lui. Si tout ce qu'il avait dit se réalisait,si le débarquement s'opérait sans difficulté, si une partiede la Bretagne accourait au-devant de lui, s'il pouvaitprendre une position solide sur les côtes de France, soitqu'on lui livrât Saint-Malo, Lorient, le Port-Louis, ou un portquelconque, alors une nouvelle expédition, portant unearmée anglaise, de nouveaux secours en matériel, et lecomte d'Artois, devait sur-le-champ mettre à la voile. LordMoira était parti en effet pour aller chercher le prince sur lecontinent.

Il n'y avait qu'un reproche à faire à ces dispositions, c'étaitde diviser l'expédition en plusieurs détachemens, maissurtout de ne pas mettre le prince français à la tête dupremier.

L'expédition mit à la voile vers la fin de prairial (mi-juin).Puisaye emmenait avec lui l'évêque de Dol, un clergénombreux, et quarante gentilshommes portant tous un nomillustre, et servant comme simples volontaires. Le point dedébarquement était un mystère, excepté pour Puisaye, lecommodore Waren, et MM. de Tinténiac et d'Allègre, quePuisaye avait expédiés pour annoncer son arrivée.

Après avoir longuement délibéré, on avait préféré le Sudde la Bretagne au nord, et on s'était décidé pour la baie deQuiberon, qui était une des meilleures et des plus sûres ducontinent, et que les Anglais connaissaient à merveille,parce qu'ils y avaient mouillé très long-temps. Tandis que

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l'expédition faisait voile, Sidney Smith, lord Cornwalis,faisaient des menaces sur toutes les côtes, pour tromperles armées républicaines sur le véritable point dedébarquement; et lord Bridport, avec l'escadre qui était enstation aux îles d'Ouessant, protégeait le convoi. La marinefrançaise de l'Océan était peu redoutable depuis lamalheureuse croisière du dernier hiver, pendant laquelle laflotte de Brest avait horriblement souffert du mauvaistemps. Cependant Villaret-Joyeuse avait reçu ordre desortir avec neuf vaisseaux de ligne mouillés à Brest, pouraller rallier une division bloquée à Belle-Isle. Il partit, et,après avoir rallié cette division, et donné la chasse àquelques vaisseaux anglais, il revenait vers Brest, lorqu'ilessuya un coup de vent qui dispersa son escadre. Il perditdu temps à la réunir de nouveau, et, dans cet intervalle, ilrencontra l'expédition destinée pour les côtes de France. Ilétait supérieur en nombre, et il pouvait l'enlever tout entière;mais le Commodore Waren, apercevant le danger, secouvrit de toutes ses voiles, et plaça son convoi au loin, demanière à figurer une seconde ligne; en même temps ilenvoya deux cotres à la recherche de la grande escadrede lord Bridport. Villaret, ne croyant pas pouvoir combattreavec avantage, reprit sa marche sur Brest, suivant lesinstructions qu'il avait reçues. Mais lord Bridport arrivadans cet instant, et attaqua aussitôt la flotte républicaine.C'était le 5 messidor (23 juin). Villaret, voulant se formersur l'Alexandre, qui était un mauvais marcheur, perdit untemps irréparable à manoeuvrer. La confusion se mit danssa ligne: il perdit trois vaisseaux, l'Alexandre, le

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Formidable et le Tigre, et, sans pouvoir regagner Brest, futobligé de se jeter dans Lorient.

L'expédition ayant ainsi signalé son début par une victoirenavale, fit voile vers la baie de Quiberon. Une division del'escadre alla sommer la garnison de Belle-Isle, au nom duroi de France; mais elle ne reçut du général Boucret qu'uneréponse énergique et des coups de canon. Le convoi vintmouiller dans la baie même de Quiberon, le 7 messidor(25 juin). Puisaye, d'après les renseignemens qu'il s'étaitprocurés, savait qu'il y avait peu de troupes sur la côte; ilvoulait, dans son ardeur, descendre sur-le-champ à terre.Le comte d'Hervilly, qui était brave, capable de biendiscipliner un régiment, mais incapable de bien diriger uneopération, et surtout fort chatouilleux en fait d'autorité et dedevoir, dit qu'il commandait les troupes, qu'il répondait deleur salut au gouvernement anglais, et qu'il ne leshasarderait pas sur une côte ennemie et inconnue, avantd'avoir fait une reconnaissance. Il perdit un jour entier àpromener une lunette sur la côte; et, quoiqu'il n'eût pasaperçu un soldat, il refusa cependant de mettre les troupesà terre. Puisaye et le commodore Waren ayant décidé ladescente, d'Hervilly y consentit enfin, et, le 9 messidor (27juin), ces Français imprudens et aveugles descendirentpleins de joie sur cette terre où ils apportaient la guerrecivile, et où ils devaient trouver un si triste sort.

La baie dans laquelle ils avaient abordé est formée, d'uncôté, par le rivage de la Bretagne, de l'autre par une

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presqu'île, large de près d'une lieue, et longue de deux:c'est la fameuse presqu'île de Quiberon. Elle se joint à laterre par une langue de sable étroite, longue d'une lieue, etnommée la Falaise. Le fort Penthièvre, placé entre lapresqu'île et la Falaise, défend l'approche du côté de laterre. Il y avait dans ce fort sept cents hommes de garnison.La baie, formée par cette presqu'île et la côte, offre auxvaisseaux l'une des rades les plus sûres et les mieuxabritées du continent.

L'expédition avait débarqué dans le fond de la baie, auvillage de Carnac. A l'instant où elle arrivait, divers chefs,Dubois-Berthelot, d'Allègre, George Cadoudal, Mercier,avertis par Tinténiac, accoururent avec leurs troupes,dispersèrent quelques détachemens qui gardaient la côte,les replièrent dans l'intérieur, et se rendirent au rivage. Ilsamenaient quatre ou cinq mille hommes aguerris, mais malarmés, mal vêtus, n'allant point en rang, et ressemblantplutôt à des pillards qu'à des soldats. A ces chouanss'étaient réunis les paysans du voisinage, criant vive le roi!et apportant des oeufs, des volailles, des vivres de touteespèce, à cette armée libératrice qui venait leur rendre leurprince et leur religion. Puisaye, plein de joie à cet aspect,comptait déjà que toute la Bretagne allait s'insurger. Lesémigrés qui l'accompagnaient éprouvaient d'autresimpressions. Ayant vécu dans les cours, ou servi dans lesplus belles armées de l'Europe, ils voyaient avec dégoût, etavec peu de confiance, les soldats qu'on allait leur donnerà commander. Déjà les railleries, les plaintes

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commençaient à circuler. On apporta des caisses de fusilset d'habits; les chouans fondirent dessus; des sergens durégiment d'Hervilly voulurent rétablir l'ordre; une rixes'engagea, et, sans Puisaye, elle aurait pu avoir des suitesfunestes. Ces premières circonstances étaient peupropres à établir la confiance entre les insurgés et lestroupes régulières, qui, venant d'Angleterre et appartenantà cette puissance, étaient à ce titre un peu suspectes auxchouans. Cependant on arma les bandes qui arrivaient, etdont le nombre s'éleva à dix mille hommes en deux jours.On leur livra des habits rouges et des fusils, et Puisayevoulut ensuite leur donner des chefs. Il manquait d'officiers,car les quarante gentilshommes volontaires qui l'avaientsuivi étaient fort insuffisans; il n'avait pas encore les cadresà sa disposition, car, suivant le plan convenu, ils croisaientencore devant Saint-Malo; il voulait donc prendre quelquesofficiers dans les régimens, où ils étaient en grand nombre,les distribuer parmi les chouans, marcher ensuiterapidement sur Vannes et sur Rennes, ne pas donner letemps aux républicains de se reconnaître, soulever toute lacontrée, et venir prendre position derrière l'importante lignede Mayenne. Là, maître de quarante lieues de pays, ayantsoulevé toute la population, Puisaye pensait qu'il seraittemps d'organiser les troupes irrégulières. D'Hervilly,brave, mais vétilleux, méthodiste, et méprisant ceschouans irréguliers, refusa ces officiers. Au lieu de lesdonner aux chouans, il voulait choisir parmi ceux-ci deshommes pour compléter les régimens, et puis, s'avanceren faisant des reconnaissances et en choisissant des

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positions. Ce n'était pas là le plan de Puisaye. Il essaya dese servir de son autorité; d'Hervilly la nia, en disant que lecommandement des troupes régulières lui appartenait, qu'ilrépondait de leur salut au gouvernement anglais, et qu'il nedevait pas les compromettre. Puisaye lui représenta qu'iln'avait ce commandement que pendant la traversée, maisqu'arrivé sur le sol de la Bretagne, lui, Puisaye, était le chefsuprême, et le maître des opérations. Il envoya sur-le-champ un cotre à Londres, pour faire expliquer lespouvoirs; et, en attendant, il conjura d'Hervilly de ne pasfaire manquer l'entreprise par des divisions funestes.D'Hervilly était brave et plein de bonne foi, mais il était peupropre à la guerre civile, et il avait une répugnanceprononcée pour ces insurgés déguenillés. Tous lesémigrés, du reste, pensaient avec lui qu'ils n'étaient pasfaits pour chouanner; que Puisaye les compromettait enles amenant en Bretagne; que c'était en Vendée qu'il auraitfallu descendre, et que là ils auraient trouvé l'illustreCharette, et sans doute d'autres soldats.

Plusieurs jours s'étaient perdus en démêlés de ce genre.On distribua les chouans en trois corps, pour leur faireprendre des positions avancées, de manière à occuper lesroutes de Lorient à Hennebon et à Aurai. Tinténiac, avec uncorps de deux mille cinq cents chouans, fut placé à gaucheà Landevant; Dubois-Berthelot, à droite vers Aurai, avecune force à peu près égale. Le comte de Vauban, l'un desquarante gentilshommes volontaires qui avaient suiviPuisaye, et l'un de ceux que leur réputation, leur mérite,

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plaçaient au premier rang, fut chargé d'occuper uneposition centrale à Mendon, avec quatre mille chouans, demanière à pouvoir secourir Tinténiac ou Dubois-Berthelot. Ilavait le commandement de toute cette ligne, défendue parneuf à dix mille hommes, et avancée à quatre ou cinqlieues dans l'intérieur. Les chouans, qui se virent placés là,demandèrent aussitôt pourquoi on ne mettait pas destroupes de ligne avec eux; ils comptaient beaucoup plussur ces troupes que sur eux-mêmes; ils étaient venus pourse ranger autour d'elles, les suivre, les appuyer, mais ilscomptaient qu'elles s'avanceraient les premières pourrecevoir le redoutable choc des républicains. Vaubandemanda seulement quatre cents hommes, soit pourrésister, en cas de besoin, à une première attaque, soitpour rassurer ses chouans, leur donner l'exemple, et leurprouver qu'on ne voulait pas les exposer seuls. D'Hervillyrefusa d'abord, puis fit attendre, et enfin envoya cedétachement.

On était débarqué depuis cinq jours, et on ne s'était avancéqu'à trois ou quatre lieues dans les terres. Puisaye était fortmécontent; cependant il dévorait ces contrariétés, espérantvaincre les lenteurs et les obstacles que lui opposaient sescompagnons d'armes. Pensant qu'à tout événement il fallaits'assurer un point d'appui, il proposa à d'Hervilly des'emparer de la presqu'île, en surprenant le fort Penthièvre.Une fois maîtres de ce fort, qui fermait la presqu'île du côtéde la terre, appuyés des deux côtés par les escadresanglaises, ils avaient une position inexpugnable; et cette

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presqu'île, large d'une lieue, longue de deux, devenait alorsun pied à terre aussi sûr et plus commode que celui deSaint-Malo, Brest ou Lorient. Les Anglais pourraient ydéposer tout ce qu'ils avaient promis en hommes et enmunitions. Cette mesure de sûreté était de nature à plaireà d'Hervilly; il y consentit, mais il voulait une attaquerégulière sur le fort Penthièvre. Puisaye ne l'écouta pas, etprojeta une attaque de vive force; le commodore Waren,plein de zèle, offrit de la seconder de tous les feux de sonescadre. On commença à canonner, le 1er juillet (13messidor), et on fixa l'attaque décisive pour le 3 (15messidor). Pendant qu'on en faisait les préparatifs,Puisaye envoya des émissaires par toute la Bretagne, afind'aller réveiller Scépeaux, Charette, Stofflet, et tous leschefs des provinces insurgées.

La nouvelle du débarquement s'était répandue avec unesingulière rapidité; elle parcourut en deux jours toute laBretagne, et en quelques jours toute la France. Lesroyalistes pleins de joie, les révolutionnaires de courroux,croyaient voir déjà les émigrés à Paris. La conventionenvoya sur-le-champ deux commissaires extraordinairesauprès de Hoche; elle fit choix de Blad et de Tallien. Laprésence de ce dernier sur le point menacé devait prouverque les thermidoriens étaient aussi opposés au royalismequ'à la terreur. Hoche, plein de calme et d'énergie, écrivitsur-le-champ au comité de salut public, pour le rassurer.«Du calme, lui dit-il, de l'activité, des vivres dont nousmanquons, et les douze mille hommes que vous m'avez

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promis depuis si long-temps.» Aussitôt il donna des ordresà son chef d'état-major; il fit placer le général Chabot entreBrest et Lorient, avec un corps de quatre mille hommes,pour voler au secours de celui de ces deux ports qui seraitmenacé: «Veillez surtout, lui dit-il, veillez sur Brest; aubesoin, enfermez-vous dans la place, et défendez-vousjusqu'à la mort.» Il écrivit à Aubert-Dubayet, quicommandait les côtes de Cherbourg, de faire filer destroupes sur le nord de la Bretagne, afin de garder Saint-Malo et la côte. Pour garantir le midi, il pria Canclaux, quiveillait toujours sur Charette et Stofflet, de lui envoyer parNantes et Vannes le général Lemoine avec des secours. Ilfit ensuite rassembler toutes ses troupes sur Rennes,Ploërmel et Vannes, et les échelonna sur ces trois pointspour garder ses derrières. Enfin il s'avança lui-même surAurai avec tout ce qu'il put réunir sous sa main. Le 14messidor (2 juillet), il était déjà de sa personne à Aurai,avec trois à quatre mille hommes.

La Bretagne était ainsi enveloppée tout entière. Icidevaient se dissiper les illusions que la premièreinsurrection de la Vendée avait fait naître. Parce qu'en 93les paysans de la Vendée, ne rencontrant devant eux quedes gardes nationales composées de bourgeois qui nesavaient pas manier un fusil, avaient pu s'emparer de toutle Poitou et de l'Anjou, et former ensuite dans leurs ravinset leurs bruyères un établissement difficile à détruire, ons'imagina que la Bretagne se soulèverait au premier signalde l'Angleterre. Mais les Bretons étaient loin d'avoir l'ardeur

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des premiers Vendéens; quelques bandits seulement,sous le nom de chouans, étaient fortement résolus à laguerre, ou, pour mieux dire, au pillage; et de plus, un jeunecapitaine, dont la vivacité égalait le génie, disposant detroupes aguerries, contenait toute une population d'unemain ferme et assurée. La Bretagne pouvait-elle sesoulever au milieu de pareilles circonstances, à moins quel'armée qui venait la soutenir ne s'avançât rapidement, aulieu de tâtonner sur le rivage de l'Océan?

Ce n'était pas tout: une partie des chouans qui étaient sousl'influence des agens royalistes de Paris, attendaient pourse réunir à Puisaye qu'un prince parût avec lui. Le cri deces agens et de tous ceux qui partageaient leurs intriguesfut que l'expédition était insuffisante et fallacieuse, et quel'Angleterre venait en Bretagne répéter les événemens deToulon. On ne disait plus qu'elle voulait donner la couronneau comte d'Artois, puisqu'il n'y était pas, mais au ducd'York; on écrivit qu'il ne fallait pas seconder l'expédition,mais l'obliger à se rembarquer pour aller descendreauprès de Charette. Celui-ci ne demandait pas mieux. Ilrépondit aux instances des agens de Puisaye, qu'il avaitenvoyé M. de Scépeaux à Paris, pour réclamer l'exécutiond'un des articles de son traité; qu'il lui fallait donc attendrele retour de cet officier pour ne pas l'exposer à être arrêtéen reprenant les armes. Quant à Stofflet, qui était bienmieux disposé pour Puisaye, il fit répondre que si on luiassurait le grade de lieutenant-général, il allait marcher sur-le-champ, et faire une diversion sur les derrières des

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républicains.

Ainsi tout se réunissait contre Puisaye, et des vuesopposées aux siennes chez les royalistes de l'intérieur, etdes jalousies entre les chefs vendéens, et enfin unadversaire habile, disposant de forces bien organisées, etsuffisantes pour contenir ce que les Bretons avaient dezèle royaliste.

C'était le 15 messidor (3 juillet) que Puisaye avait résolud'attaquer le fort Penthièvre. Les soldats qui le gardaientmanquaient de pain depuis trois jours. Menacés d'unassaut de vive force, foudroyés par le feu des vaisseaux,mal commandés, ils se rendirent, et livrèrent le fort àPuisaye. Mais dans ce même moment, Hoche, établi àAurai, faisait attaquer tous les postes avancés deschouans, pour rétablir la communication d'Aurai àHennebon et Lorient. Il avait ordonné une attaquesimultanée sur Landevant et vers le poste d'Aurai. Leschouans de Tinténiac, vigoureusement abordés par lesrépublicains, ne tinrent pas contre des troupes de ligne.Vauban, qui était placé intermédiairement à Mendon,accourut avec une partie de sa réserve au secours deTinténiac; mais il trouva la bande de celui-ci dispersée, etcelle qu'il amenait se rompit en voyant la déroute; il futobligé de s'enfuir, et de traverser même à la nage deuxpetits bras de mer, pour venir rejoindre le reste de seschouans à Mendon. A sa droite, Dubois-Berthelot avait étérepoussé: il voyait ainsi les républicains s'avancer à sa

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droite et à sa gauche, et il allait se trouver en flèche aumilieu d'eux. C'est dans ce moment que les quatre centshommes de ligne qu'il avait demandés lui auraient étéd'une grande utilité pour soutenir ses chouans et lesramener au combat; mais d'Hervilly venait de les rappelerpour l'attaque du fort. Cependant il rendit un peu decourage à ses soldats, et les décida à profiter del'occasion pour tomber sur les derrières des républicains,qui s'engageaient très avant à la poursuite des fuyards. Ilse rejeta alors sur sa gauche, et fondit sur un village où lesrépublicains venaient d'entrer en courant après leschouans. Ils ne s'attendaient pas à cette brusque attaque,et furent obligés de se replier. Vauban se reporta ensuitevers sa position de Mendon; mais il s'y trouva seul, toutavait fui autour de lui, et il fut obligé de se retirer aussi,mais avec ordre, et après un acte de vigueur qui avaitmodéré la rapidité de l'ennemi.

Les chouans étaient indignés d'avoir été exposés seulsaux coups des républicains; ils se plaignaient amèrementde ce qu'on leur avait enlevé les quatre cents hommes deligne. Puisaye en fit des reproches à d'Hervilly; celui-cirépondit qu'il les avait rappelés pour l'attaque du fort. Cesplaintes réciproques ne réparèrent rien, et on resta de partet d'autre fort irrité. Cependant on était maître du FortPenthièvre. Puisaye fit débarquer dans la presqu'île tout lematériel envoyé par les Anglais; il y fixa son quartier-général, y transporta toutes les troupes, et résolut de s'yétablir solidement. Il donna des ordres aux ingénieurs pour

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perfectionner la défense du fort, et y ajouter des travauxavancés. On y arbora le drapeau blanc à côté du drapeauanglais, en signe d'alliance entre les rois de France etd'Angleterre. Enfin on décida que chaque régimentfournirait à la garnison un détachement proportionné à saforce. D'Hervilly, qui était fort jaloux de compléter le sien, etde le compléter avec de bonnes troupes, proposa auxrépublicains qu'on avait fait prisonniers de passer à sonservice, et de former un troisième bataillon dans sonrégiment. L'argent, les vivres dont ils avaient manqué, larépugnance à rester prisonniers, l'espérance de pouvoirrepasser bientôt du côté de Hoche, les décidèrent, et ilsfurent enrôlés dans le corps de d'Hervilly.

Puisaye, qui songeait toujours à marcher en avant, et quine s'était arrêté à prendre la presqu'île que pour s'assurerune position sur les côtes, parla vivement à d'Hervilly, luidonna les meilleures raisons pour l'engager à seconderses vues, le menaça même de demander sonremplacement s'il persistait à s'y refuser. D'Hervilly parut unmoment se prêter à ses projets. Les chouans, selonPuisaye, n'avaient besoin que d'être soutenus pourdéployer de la bravoure; il fallait distribuer les troupes deligne sur leur front et sur leurs derrières, les placer ainsi aumilieu, et avec douze ou treize mille hommes, dont troismille à peu près de ligne, on pourrait passer sur le corpsde Hoche, qui n'avait guère plus de cinq à six millehommes dans le moment. D'Hervilly consentit à ce plan.Dans cet instant, Vauban, qui sentait sa position très

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hasardée, ayant perdu celle qu'il occupait d'abord,demandait des ordres et des secours. D'Hervilly lui envoyaun ordre rédigé de la manière la plus pédantesque, danslequel il lui enjoignait de se replier sur Carnac, et luiprescrivait des mouvemens tels qu'on n'aurait pu les faireexécuter par les troupes les plus manoeuvrières del'Europe.

Le 5 juillet (17 messidor), Puisaye sortit de la presqu'îlepour passer une revue des chouans, et d'Hervilly en sortitaussi avec son régiment, pour se préparer à exécuter leprojet, formé la veille, de marcher en avant. Puisaye netrouva que la tristesse, le découragement et l'humeur chezces hommes qui, quelques jours auparavant, étaient pleinsd'enthousiasme. Ils disaient qu'on voulait les exposer seuls,et les sacrifier aux troupes de ligne. Puisaye les apaisa lemieux qu'il put, et tâcha de leur rendre quelque courage.D'Hervilly, de son côté, en voyant ces soldats vêtus derouge, et qui portaient si maladroitement l'uniforme et lefusil à baïonnette, dit qu'il n'y avait rien à faire avec depareilles troupes, et fit rentrer son régiment. Puisaye lerencontra dans cet instant, et lui demanda si c'était ainsiqu'il exécutait le plan convenu. D'Hervilly répondit quejamais il ne se hasarderait à marcher avec de pareilssoldats; qu'il n'y avait plus qu'à se rembarquer ou às'enfermer dans la presqu'île, pour y attendre de nouveauxordres de Londres; ce qui, dans sa pensée, signifiaitl'ordre de descendre en Vendée.

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Le lendemain, 6 juillet (18 messidor), Vauban futsecrètement averti qu'il serait attaqué sur toute sa ligne parles républicains. Il se voyait dans une situation des plusdangereuses. Sa gauche s'appuyait à un poste dit deSainte-Barbe, qui communiquait avec la presqu'île; maisson centre et sa droite longeaient la côte de Carnac, etn'avaient que la mer pour retraite. Ainsi, s'il était vivementattaqué, sa droite et son centre pouvaient être jetés à lamer; sa gauche seule se sauvait par Sainte-Barbe àQuiberon. Ses chouans, découragés, étaient incapablesde tenir; il n'avait donc d'autre parti à prendre que dereplier son centre et sa droite sur sa gauche, et de filer parla Falaise dans la presqu'île. Mais il s'enfermait alors danscette langue de terre sans pouvoir en sortir; car le poste deSainte-Barbe, qu'on abandonnait, sans défense du côté dela terre, était inexpugnable du côté de la Falaise, et ladominait tout entière. Ainsi, ce projet de retraite n'était rienmoins que la détermination de se renfermer dans lapresqu'île de Quiberon. Vauban demanda donc dessecours pour n'être pas réduit à se retirer. D'Hervilly luienvoya un nouvel ordre, rédigé dans tout l'appareil du stylemilitaire, et contenant l'injonction de tenir à Carnac jusqu'àla dernière extrémité. Puisaye somma aussitôt d'Hervillyd'envoyer des troupes; ce qu'il promit.

Le lendemain 7 juillet (19 messidor), à la pointe du jour, lesrépublicains s'avancent en colonnes profondes, et viennentattaquer les dix mille chouans sur toute la ligne. Ceux-ciregardent sur la Falaise et ne voient pas arriver les troupes

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régulières. Alors ils entrent en fureur contre les émigrés quine viennent pas à leur secours. Le jeune GeorgeCadoudal, dont les soldats refusent de se battre, lessupplie de ne pas se débander; mais ils ne veulent pasl'entendre. George, furieux à son tour, s'écrie que cesscélérats d'Anglais et d'émigrés ne sont venus que pourperdre la Bretagne, et que la mer aurait dû les anéantiravant de les transporter sur la côte. Vauban ordonne alorsà sa droite et à son centre de se replier sur sa gauche,pour les sauver par la Falaise dans la presqu'île. Leschouans s'y précipitent aveuglément; la plupart sont suivisde leurs familles, qui fuient la vengeance des républicains.Des femmes, des enfans, des vieillards, emportant leursdépouilles, et mêlés à plusieurs mille chouans en habitrouge, couvrent cette langue de sable étroite et longue,baignée des deux côtés par les flots, et déjà labourée parles balles et les boulets. Vauban, s'entourant alors de tousles chefs, s'efforce de réunir les hommes les plus braves,les engage à ne pas se perdre par une fuite précipitée, etles conjure, pour leur salut et pour leur honneur, de faire uneretraite en bon ordre. Ils feront rougir, leur dit-il, cette troupede ligne qui les laisse seuls exposés à tout le péril. Peu àpeu il les rassure, et les décide à tourner la face à l'ennemi,à supporter son feu et à y répondre. Alors, grâce à lafermeté des chefs, la retraite commence à se faire aveccalme; on dispute le terrain pied à pied. Cependant onn'est pas sûr encore de résister à une charge vigoureuse,et de n'être pas jeté dans la mer; mais heureusement lebrave commodore Waren, s'embossant avec ses

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vaisseaux et ses chaloupes canonnières, vient foudroyerles républicains des deux côtés de la Falaise, et lesempêche pour ce jour-là de pousser plus loin leursavantages.

Les fugitifs se pressent pour entrer dans le fort, mais onleur en dispute un moment l'entrée; ils se précipitent alorssur les palissades, les arrachent, et fondent pêle-mêledans la presqu'île. Dans cet instant, d'Hervilly arrivait enfinavec son régiment; Vauban le rencontre, et dans unmouvement de colère, lui dit qu'il lui demandera compte desa conduite devant un conseil de guerre. Les chouans serépandent dans l'étendue de la presqu'île, où se trouvaientplusieurs villages et quelques hameaux. Tous les logemensétaient pris par les régimens; il s'engage des rixes; enfinles chouans se couchent à terre; on leur donne une demi-ration de riz, qu'ils mangent en nature, n'ayant rien pour lafaire cuire.

Ainsi cette expédition, qui devait bientôt porter le drapeaudes Bourbons et des Anglais jusqu'aux bords de laMayenne, était maintenant resserrée dans cette presqu'île,longue de deux lieues. On avait douze ou quinze millebouches de plus à nourrir, et on n'avait à leur donner nilogement, ni bois à brûler, ni ustensiles pour préparer leursalimens. Cette presqu'île, défendue par un fort à sonextrémité, bordée des deux côtés par les escadresanglaises, pouvait opposer une résistance invincible; maiselle devenait tout à coup très faible par le défaut de vivres.

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On n'en avait apporté, en effet, que pour nourrir six millehommes pendant trois mois, et on en avait dix-huit ou vingtmille à faire vivre. Sortir de cette position par une attaquesubite sur Sainte-Barbe, n'était guère possible; car lesrépublicains, pleins d'ardeur, retranchaient ce poste demanière à le rendre inexpugnable du côté de la presqu'île.Tandis que la confusion, les haines et l'abattementrégnaient dans cet informe rassemblement de chouans etd'émigrés, dans le camp de Hoche, au contraire, soldats etofficiers travaillaient avec zèle à élever des retranchemens.«Je voyais, dit Puisaye, les officiers eux-mêmes, enchemise, et distingués seulement par leur hausse-col,manier la pioche, et hâter les travaux de leurs soldats.»

Cependant Puisaye décida pour la nuit même une sortie,afin d'interrompre les travaux; mais l'obscurité, le canon del'ennemi, jetèrent la confusion dans les rangs; il fallutrentrer. Les chouans, désespérés, se plaignaient d'avoirété trompés; ils regrettaient leur ancien genre de guerre, etdemandaient qu'on les rendît à leurs forêts. Ils mouraient defaim. D'Hervilly, pour les forcer à s'enrôler dans lesrégimens, avait ordonné qu'on ne distribuât que demi-ration aux troupes irrégulières: ils se révoltèrent. Puisaye, àl'insu duquel l'ordre avait été rendu, le fit révoquer, et laration entière fut accordée.

Ce qui distinguait Puisaye, outre son esprit, c'était unepersévérance à toute épreuve; il ne se découragea pas. Ileut l'idée de choisir l'élite des chouans; de les débarquer

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en deux troupes, pour parcourir le pays sur les derrières deHoche, pour soulever les chefs dont on n'avait pas denouvelles, et les porter en masse sur le camp de Sainte-Barbe, de manière à le prendre à revers, tandis que lestroupes de la presqu'île l'attaqueraient de front. Il sedélivrait ainsi de six à huit mille bouches, les employaitutilement, réveillait le zèle singulièrement amorti des chefsbretons, et préparait une attaque sur les derrières du campde Sainte-Barbe. Le projet arrêté, il fit le meilleur choixpossible dans les chouans, en donna quatre mille àTinténiac, avec trois intrépides chefs, George, Mercier etd'Allègre, et trois mille à MM. Jean-Jean et Lantivy.Tinténiac devait être débarqué à Sarzeau, près del'embouchure de la Vilaine; Jean-Jean et Lantivy, près deQuimper. Tous deux devaient, après un circuit assez long,se réunir à Baud le 14 juillet (26 messidor), et marcher, le16 au matin, sur les derrières du camp de Sainte-Barbe. Al'instant où ils allaient partir, les chefs des chouans vinrenttrouver Puisaye, et supplier leur ancien chef de partir aveceux, lui disant que ces traîtres d'Anglais allaient le perdre: iln'était pas possible que Puisaye acceptât. Ils partirent, etfurent débarqués heureusement. Puisaye écrivit aussitôt àLondres, pour dire que tout pouvait être réparé, mais qu'ilfallait sur-le-champ envoyer des vivres, des munitions, destroupes, et le prince français.

Pendant que ces événemens se passaient dans lapresqu'île, Hoche avait déjà réuni de huit à dix millehommes à Sainte-Barbe. Aubert-Dubayet lui faisait arriver,

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des côtes de Cherbourg, des troupes pour garder le nordde la Bretagne; Canclaux lui avait envoyé de Nantes unrenfort considérable, sous les ordres du général Lemoine.Les représentans avaient déjoué toutes les menées quitendaient à livrer Lorient et Saint-Malo. Les affaires desrépublicains s'amélioraient donc chaque jour. Pendant cetemps, Lemaître et Brothier, par leurs intrigues,contribuaient encore de toutes leurs forces à contrarierl'expédition. Ils avaient écrit sur-le-champ en Bretagne pourla désapprouver. L'expédition, suivant eux, avait un butdangereux, puisque le prince n'y était pas, et personne nedevait la seconder. En conséquence, des agens s'étaientrépandus, et avaient signifié l'ordre, au nom du roi, de nefaire aucun mouvement; ils avaient averti Charette depersister dans son inaction. D'après leur ancien systèmede profiter des secours de l'Angleterre et de la tromper, ilsavaient improvisé sur les lieux mêmes un plan. Mêlés dansl'intrigue qui devait livrer Saint-Malo à Puisaye, ils voulaientappeler dans cette place les cadres émigrés qui croisaientsur la flotte anglaise, et prendre possession du port, aunom de Louis XVIII, tandis que Puisaye agissait àQuiberon, peut-être, disaient-ils, pour le duc d'York.L'intrigue de Saint-Malo ayant manqué, ils se replièrent surSaint-Brieuc, retinrent devant cette côte l'escadre quiportait les cadres émigrés, et envoyèrent sur-le-champ desémissaires à Tinténiac et à Lantivy, qu'ils savaientdébarqués, pour leur enjoindre de se porter sur Saint-Brieuc. Leur but était ainsi de former dans le nord de laBretagne une contre-expédition, plus sûre, suivant eux, que

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celle de Puisaye dans le midi.

Tinténiac avait débarqué heureusement, et après avoirenlevé plusieurs postes républicains, était arrivé à Elven.Là il trouva l'injonction, au nom du roi, de se rendre àCoëtlogon, afin d'y recevoir de nouveaux ordres. Il objectaen vain la commission de Puisaye, la nécessité de ne pasfaire manquer son plan, en s'éloignant du lieu marqué.Cependant il céda, espérant, au moyen d'une marcheforcée, se retrouver sur les derrières de Sainte-Barbe le16. Jean-Jean et Lantivy, débarqués aussi heureusement,se disposaient à marcher vers Baud, lorsqu'ils trouvèrentde leur côté l'ordre de marcher sur Saint-Brieuc.

Dans cet intervalle, Hoche, inquiété sur ses derrières, futobligé de faire de nouveaux détachemens pour arrêter lesbandes dont il avait appris la marche; mais il laissa dansSainte-Barbe une force suffisante pour résister à uneattaque de vive force. Il était fort inquiété par les chaloupescanonnières anglaises, qui foudroyaient ses troupes dèsqu'elles paraissaient sur la Falaise, et ne comptait guèreque sur la famine pour réduire les émigrés.

Puisaye, de son côté, se préparait à la journée du 16 (28messidor). Le 15, une nouvelle division navale arriva dansla baie; c'était celle qui était allée chercher aux bouches del'Elbe les régimens émigrés passés à la solde del'Angleterre, et connus sous le nom de régimens à cocardenoire. Elle apportait les légions de Salm, Damas, Béon etPérigord, réduites en tout à onze cents hommes par les

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pertes de la campagne, et commandées par un officierdistingué, M. de Sombreuil. Cette escadre apportait denouveaux secours en vivres et munitions; elle annonçaittrois mille Anglais amenés par lord Graham, et laprochaine arrivée du comte d'Artois avec des forces plusconsidérables. Une lettre du ministère anglais disait àPuisaye que les cadres étaient retenus sur la côte du nordpar les agens royalistes de l'intérieur, qui voulaient,disaient-ils, lui livrer un port. Une autre dépêche, arrivée enmême temps, terminait le différend élevé entre d'Hervilly etPuisaye, donnait à ce dernier le commandement absolu del'expédition, et lui conférait, de plus, le titre de lieutenant-général au service de l'Angleterre.

Puisaye, libre de commander, prépara tout pour la journéedu lendemain. Il aurait bien voulu différer l'attaque projetée,pour donner à la division de Sombreuil le temps dedébarquer; mais, tout étant fixé pour le 16, et ce jour ayantété indiqué à Tinténiac, il ne pouvait pas retarder. Le 15 ausoir, il ordonna à Vauban d'aller débarquer à Carnac avecdouze cents chouans, pour faire une diversion surl'extrémité du camp de Sainte-Barbe, et pour se lier auxchouans qui allaient l'attaquer par derrière. Les bateauxfurent préparés fort tard, et Vauban ne put s'embarquer quedans le milieu de la nuit. Il avait ordre de tirer une fusée s'ilparvenait à débarquer, et d'en tirer une seconde s'il neréussissait pas à tenir le rivage.

Le 16 juillet (28 messidor), à la pointe du jour, Puisaye

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sortit de la presqu'île avec tout ce qu'il avait de troupes. Ilmarchait en colonnes. Le brave régiment de Loyal-Émigrant était en tête avec les artilleurs de Rothalier; sur ladroite s'avançaient les régimens de Royal-Marine et de duDresnay, avec six cents chouans commandés par le ducde Levis. Le régiment d'Hervilly, et mille chouanscommandés par le chevalier de Saint-Pierre, occupaient lagauche. Ces corps réunis formaient à peu près quatre millehommes. Tandis qu'ils s'avançaient sur la Falaise, ilsaperçurent une première fusée lancée par le comte deVauban; ils n'en virent pas une seconde, et ils crurent queVauban avait réussi. Ils continuèrent leur marche; onentendit alors comme un bruit lointain de mousqueterie:«C'est Tinténiac, s'écrie Puisaye; en avant!» Alors onsonne la charge, et on marche sur les retranchemens desrépublicains. L'avant-garde de Hoche, commandée parHumbert, était placée devant les hauteurs de Sainte-Barbe.A l'approche de l'ennemi, elle se replie, et rentre dans leslignes. Les assaillans s'avancent pleins de joie, tout à coupun corps de cavalerie qui était resté déployé fait unmouvement, et démasque des batteries formidables. Unfeu de mousqueterie et d'artillerie accueille les émigrés; lamitraille, les boulets et les obus pleuvent sur eux. A ladroite, les régimens de Royal-Marine et de du Dresnayperdent des rangs entiers sans s'ébranler; le duc de Levisest blessé grièvement à la tête de ses chouans; à gauche,le régiment d'Hervilly s'avance bravement sous le feu.Cependant cette fusillade qu'on avait cru entendre sur lesderrières et sur les côtés a cessé de retentir. Tinténiac ni

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Vauban n'ont donc pas attaqué, et il n'y a pas d'espoird'enlever le camp. Dans ce moment, l'armée républicaine,infanterie et cavalerie, sort de ses retranchemens; Puisaye,voyant qu'il n'y a plus qu'à se faire égorger, prescrit àd'Hervilly de donner à droite l'ordre de la retraite, tandisque lui-même la fera exécuter à gauche. Dans ce moment,d'Hervilly, qui bravait le feu avec le plus grand courage,reçoit un biscaïen au milieu de la poitrine. Il charge un aide-de-camp de porter l'ordre de la retraite; l'aide-de-camp estemporté par un boulet de canon: n'étant pas avertis, lerégiment de d'Hervilly et les mille chouans du chevalier deSaint-Pierre continuent de s'avancer sous ce feuépouvantable. Tandis qu'on sonne la retraite à gauche, onsonne la charge à droite. La confusion et le carnage sontépouvantables. Alors la cavalerie républicaine fond surl'armée émigrée, et la ramène en désordre sur la Falaise.Les canons de Rothalier, engagés dans le sable, sontenlevés. Après avoir fait des prodiges de courage, toutel'armée fuit vers le fort Penthièvre; les républicains lapoursuivent en toute hâte, et vont entrer dans le fort avecelle; mais un secours inespéré la soustrait à la poursuitedes vainqueurs. Vauban, qui devait être à Carnac, est àl'extrémité de la Falaise avec ses chouans; le commodoreWaren est avec lui. Tous deux, montés sur les chaloupescanonnières, et dirigeant sur la Falaise un feu violent,arrêtent les républicains et sauvent encore une fois lamalheureuse armée de Quiberon.

Ainsi Tinténiac n'avait pas paru; Vauban, débarqué trop

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tard, n'avait pu surprendre les républicains, avait étéensuite mal secondé par ses chouans, qui trempaient leursfusils dans l'eau pour ne pas se battre, et s'était replié prèsdu fort; sa seconde fusée, lancée en plein jour, n'avait pasété aperçue; et c'est ainsi que Puisaye, trompé dans toutesses combinaisons, venait d'essuyer cette désastreusedéfaite. Tous les régimens avaient fait d'affreuses pertes:celui de Royal-Marine, sur soixante-douze officiers, enavait perdu cinquante-trois; les autres avaient fait despertes à proportion.

Il faut convenir que Puisaye avait mis beaucoup deprécipitation à attaquer le camp. Quatre mille hommesallant en attaquer dix mille solidement retranchés, devaients'assurer, d'une manière certaine, que toutes les attaquespréparées sur les derrières et sur les flancs étaient prêtesà s'effectuer. Il ne suffisait pas d'un rendez-vous donné àdes corps qui avaient tant d'obstacles à vaincre, pourcroire qu'ils seraient arrivés au point et à l'heure indiqués; ilfallait convenir d'un signal, d'un moyen quelconque des'assurer de l'exécution du plan. En cela, Puisaye, quoiquetrompé par le bruit d'une mousqueterie lointaine, n'avaitpas agi avec assez de précaution. Du reste, il avait payéde sa personne, et suffisamment répondu à ceux quiaffectaient de suspecter sa bravoure parce qu'ils nepouvaient pas nier son esprit.

Il est facile de comprendre pourquoi Tinténiac n'avait pointparu. Il avait trouvé à Elven l'ordre de se rendre à

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Coëtlogon; il avait cédé à cet ordre étrange, dans l'espoirde regagner le temps perdu par une marche forcé. ACoëtlogon, il avait trouvé des femmes chargées de luitransmettre l'ordre de marcher sur Saint-Brieuc. C'étaientles agens opposés à Puisaye, qui, usant du nom du roi, aunom duquel ils parlaient toujours, voulaient faire concourirles corps détachés par Puisaye à la contre-expéditionqu'ils méditaient sur Saint-Malo ou sur Saint-Brieuc. Tandisque l'on conférait sur cet ordre, le château de Coëtlogonétait attaqué par les détachemens que Hoche avait lancésà la poursuite de Tinténiac; celui-ci était accouru, et étaittombé mort, frappé d'une balle au front. Son successeur aucommandement avait consenti à marcher sur Saint-Brieuc.De leur côté, MM. de Lantivy et Jean-Jean, débarqués auxenvirons de Quimper, avaient trouvé des ordressemblables; les chefs s'étaient divisés, et, voyant ce conflitd'ordres et de projets, leurs soldats, déjà mécontens,s'étaient dispersés. C'est ainsi qu'aucun des corpsenvoyés par Puisaye, pour faire diversion, n'était arrivé aurendez-vous. L'agence de Paris, avec ses projets, avaitaussi privé Puisaye des cadres qu'elle retenait sur la côtedu nord, des deux détachemens qu'elle avait empêchés dese rendre à Baud le 14, et enfin du concours de tous leschefs auxquels elle avait signifié l'ordre de ne faire aucunmouvement.

Renfermé dans Quiberon, Puisaye n'avait donc plus aucunespoir d'en sortir pour marcher en avant; il ne lui restaitqu'à se rembarquer, avant d'y être forcé par la famine, pour

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aller essayer une descente plus heureuse sur une autrepartie de la côte, c'est-à-dire en Vendée. La plupart desémigrés ne demandaient pas mieux; le nom de Charetteleur faisait espérer en Vendée un grand général à la têted'une belle armée. Ils étaient charmés d'ailleurs de voir lacontre-révolution opérée par tout autre que Puisaye.

Pendant ce temps, Hoche examinait cette presqu'île, etcherchait le moyen d'y pénétrer. Elle était défendue en têtepar le fort Penthièvre, et sur les bords par les escadresanglaises. Il ne fallait pas songer à y débarquer dans desbateaux; prendre le fort au moyen d'un siége régulier étaittout aussi impossible, car on ne pouvait y arriver que par laFalaise, toujours balayée par le feu des chaloupescanonnières. Les républicains, en effet, n'y pouvaient pasfaire une reconnaissance sans être mitraillés. Il n'y avaitqu'une surprise de nuit ou la famine qui pussent donner lapresqu'île à Hoche. Une circonstance le détermina à tenterune surprise, quelque périlleuse qu'elle fût. Les prisonniers,qu'on avait enrôlés presque malgré eux dans les régimensémigrés, auraient pu être retenus tout au plus par lesuccès; mais leur intérêt le plus pressant, à défaut depatriotisme, les engageait à passer du côté d'un ennemivictorieux, qui allait les traiter comme déserteurs s'il lesprenait les armes à la main. Ils se rendaient en foule aucamp de Hoche, pendant la nuit, disant qu'ils ne s'étaientenrôlés que pour sortir des prisons, ou pour n'y pas êtreenvoyés. Ils lui indiquèrent un moyen de pénétrer dans lapresqu'île. Un rocher était placé à la gauche du fort

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Penthièvre; on pouvait, en entrant dans l'eau jusqu'à lapoitrine, faire le circuit de ce rocher; on trouvait ensuite unsentier qui conduisait au sommet du fort. Les transfugesavaient assuré, au nom de leurs camarades composant lagarnison, qu'ils aideraient à en ouvrir les portes.

Hoche n'hésita pas malgré le danger d'une pareilletentative. Il forma son plan d'après les indications qu'il avaitobtenues, et résolut de s'emparer de la presqu'île, pourenlever toute l'expédition avant qu'elle eût le temps deremonter sur ses vaisseaux. Le 20 juillet au soir (2thermidor), le ciel était sombre; Puisaye et Vauban avaientordonné des patrouilles pour se garantir d'une attaquenocturne. «Avec un temps pareil, dirent-ils aux officiers,faites-vous tirer des coups de fusil par les sentinellesennemies.» Tout leur paraissant tranquille, ils allèrent secoucher en pleine sécurité.

Les préparatifs étaient faits dans le camp républicain. Apeu près vers minuit, Hoche s'ébranle avec son armée. Leciel était chargé de nuages; un vent très-violent soulevaitles vagues et couvrait de sourds mugissemens le bruit desarmes et des soldats. Hoche dispose ses troupes encolonnes sur la Falaise; il donne ensuite trois centsgrenadiers à l'adjudant-général Ménage, jeune républicaind'un courage héroïque. Il lui ordonne de filer à sa droite,d'entrer dans l'eau avec ses grenadiers, de tourner lerocher sur lequel s'appuient les murs, de gravir le sentier, etde tâcher de s'introduire ainsi dans le fort. Ces

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dispositions faites, on marche dans le plus grand silence;des patrouilles auxquelles on avait donné des uniformesrouges enlevés sur les morts dans la journée du 16, etayant le mot d'ordre, trompent les sentinelles avancées. Onapproche sans être reconnu. Ménage entre dans la meravec ses trois cents grenadiers; le bruit du vent couvrecelui qu'ils font en agitant les eaux. Quelques-uns tombentet se relèvent, d'autres sont engloutis dans les abîmes.Enfin, de rochers en rochers, ils arrivent à la suite de leurintrépide chef, et parviennent à gravir le sentier qui conduitau fort. Pendant ce temps, Hoche est arrivé jusque sous lesmurs avec ses colonnes. Mais tout à coup les sentinellesreconnaissent une des fausses patrouilles; ellesaperçoivent dans l'obscurité une ombre longue etmouvante; sur-le-champ elles font feu; l'alarme est donnée.Les canonniers toulonnais accourent à leurs pièces, et fontpleuvoir la mitraille sur les troupes de Hoche; le désordres'y met, elles se confondent, et sont prêtes à s'enfuir. Maisdans ce moment Ménage arrive au sommet du fort; lessoldats complices des assaillans accourent sur lescréneaux, présentent la crosse de leurs fusils auxrépublicains, et les introduisent. Tous ensemble fondentalors sur le reste de la garnison, égorgent ceux quirésistent, et arborent aussitôt le pavillon tricolore. Hoche,au milieu du désordre que les batteries ennemies ont jetédans ses colonnes, ne s'ébranle pas un instant; il court àchaque chef, le ramène à son poste, fait rentrer chacun àson rang, et rallie son armée sous cette épouvantable pluiede feu. L'obscurité commençant à devenir moins épaisse,

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il aperçoit le pavillon républicain sur le sommet du fort:«Quoi? dit-il à ses soldats, vous reculerez lorsque déjà voscamarades ont placé leur drapeau sur les murs ennemis!»Il les entraîne sur les ouvrages avancés où campaient unepartie des chouans; on y pénètre de toutes parts, et on serend enfin maître du fort.

Dans ce moment, Vauban, Puisaye, éveillés par le feu,accouraient au lieu du désastre; mais il n'était plus temps.Ils voient fuir pêle-mêle les chouans, les officiersabandonnés par leurs soldats, et les restes de la garnisondemeurés fidèles. Hoche ne s'arrête pas à la prise du fort;il rallie une partie de ses colonnes, et s'avance dans lapresqu'île avant que l'armée d'expédition puisse serembarquer. Puisaye, Vauban, tous les chefs, se retirentvers l'intérieur, où restaient encore le régiment d'Hervilly,les débris des régimens de du Dresnay, de Royal-Marine,de Loyal-Émigrant, et la légion de Sombreuil, débarquéedepuis deux jours, et forte de onze cents hommes. Enprenant une bonne position, et il y en avait plus d'une dansla presqu'île, en l'occupant avec les trois mille hommes detroupes réglées qu'on avait encore, on pouvait donner àl'escadre le temps de recueillir les malheureux émigrés. Lefeu des chaloupes canonnières aurait protégél'embarquement; mais le désordre régnait dans les esprits;les chouans se précipitaient dans la mer avec leursfamilles, pour entrer dans quelques bateaux de pêcheursqui étaient sur la rive, et gagner l'escadre que le mauvaistemps tenait fort éloignée. Les troupes, éparpillées dans la

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presqu'île, couraient ça et là, ne sachant où se rallier.D'Hervilly, capable de défendre vigoureusement uneposition, et connaissant très bien les lieux, étaitmortellement blessé; Sombreuil, qui lui avait succédé, neconnaissait pas le terrain, ne savait où s'appuyer, où seretirer, et, quoique brave, paraissait, dans cettecirconstance, avoir perdu la présence d'esprit nécessaire.Puisaye, arrivé auprès de Sombreuil, lui indique uneposition. Sombreuil lui demande s'il a envoyé à l'escadrepour la faire approcher; Puisaye répond qu'il a envoyé unpilote habile et dévoué; mais le temps est mauvais, lepilote n'arrive pas assez vite au gré des malheureuxmenacés d'être jetés à la mer. Les colonnes républicainesapprochent; Sombreuil insiste de nouveau. «L'escadre est-elle avertie?» demande-t-il à Puisaye. Ce dernier acceptealors la commission de voler à bord pour faire approcher lecommodore, commission qu'il convenait mieux de donnerà un autre, car il devait être le dernier à se tirer du péril.Une raison le décida, la nécessité d'enlever sacorrespondance, qui aurait compromis toute la Bretagne sielle était tombée dans les mains des républicains. Il étaitsans doute aussi pressant de la sauver que de sauverl'armée elle-même; mais Puisaye pouvait la faire porter àbord sans y aller lui-même. Il part, et arrive au bord ducommodore en même temps que le pilote qu'il avaitenvoyé. L'éloignement, l'obscurité, le mauvais temps,avaient empêché qu'on pût, de l'escadre, apercevoir ledésastre. Le brave amiral Waren, qui pendant l'expéditionavait secondé les émigrés de tous ses moyens, fait force

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de voiles, arrive enfin avec ses vaisseaux à la portée ducanon, à l'instant où Hoche, à la tête de sept centsgrenadiers, pressait la légion de Sombreuil, et allait luifaire perdre terre. Quel spectacle présentait en cet instantcette côte malheureuse! La mer agitée permettait à peineaux embarcations d'approcher du rivage; une multitude dechouans, de soldats fugitifs, entraient dans l'eau jusqu'à lahauteur du cou pour joindre les embarcations, et senoyaient pour y arriver plus tôt; un millier de malheureuxémigrés, placés entre la mer et les baïonnettes desrépublicains, étaient réduits à se jeter ou dans les flots ousur le fer ennemi, et souffraient autant du feu de l'escadreanglaise que les républicains eux-mêmes. Quelquesembarcations étaient arrivées, mais sur un autre point. Dece côté, il n'y avait qu'une goëlette qui faisait un feuépouvantable, et qui suspendit un instant la marche desrépublicains. Quelques grenadiers crièrent, dit-on, auxémigrés: «Rendez-vous, on ne vous fera rien.» Ce motcourut de rangs en rangs. Sombreuil voulut s'approcherpour parlementer avec le général Humbert; mais le feuempêchait de s'avancer. Aussitôt un officier émigré se jetaà la nage pour aller faire cesser le feu. Hoche ne voulaitpas une capitulation; il connaissait trop bien les lois contreles émigrés pour oser s'engager, et il était incapable depromettre ce qu'il ne pouvait pas tenir. Il a assuré, dans unelettre publiée dans toute l'Europe, qu'il n'entendit aucunedes promesses attribuées au général Humbert, et qu'il neles aurait pas autorisées. Quelques-uns de ses soldatspurent crier: Rendez-vous! mais il n'offrit rien, ne promit

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rien. Il s'avança, et les émigrés, n'ayant plus d'autreressource que de se rendre ou de se faire tuer, eurentl'espoir qu'on les traiterait peut-être comme les Vendéens.Ils mirent bas les armes. Aucune capitulation, mêmeverbale, n'eut lieu avec Hoche. Vauban, qui était présent,avoue qu'il n'y eut aucune convention faite, et il conseillamême à Sombreuil de ne pas se rendre sur la vagueespérance qu'inspiraient les cris de quelques soldats.

Beaucoup d'émigrés se percèrent de leurs épées; d'autresse jetèrent dans les flots pour rejoindre les embarcations.Le commodore Waren fit tous ses efforts pour vaincre lesobstacles que présentait la mer, et pour sauver le plusgrand nombre possible de ces malheureux. Il y en avait unefoule qui, en voyant approcher les chaloupes, étaient entrésdans l'eau jusqu'au cou; du rivage on tirait sur leurs têtes.Quelquefois ils s'élançaient sur ces chaloupes déjàsurchargées, et ceux qui étaient dedans, craignant d'êtresubmergés, leur coupaient les mains à coups de sabre.

Il faut quitter ces scènes d'horreur, où des malheurs affreuxpunissaient de grandes fautes. Plus d'une cause avaitcontribué à empêcher le succès de cette expédition.D'abord, on avait trop présumé de la Bretagne. Un peuplevraiment disposé à s'insurger éclate, comme firent lesVendéens en mai 1793, va chercher des chefs, les supplie,les force de se mettre à sa tête, mais n'attend pas qu'onl'organise, ne souffre pas deux ans d'oppression pour sesoulever quand l'oppression est finie. Serait-il dans les

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meilleures dispositions, un surveillant comme Hochel'empêcherait de les manifester. Il y avait donc beaucoupd'illusions dans Puisaye. Cependant on aurait pu tirer partide ce peuple, et trouver dans son sein beaucoupd'hommes disposés à combattre, si une expéditionconsidérable s'était avancée jusqu'à Rennes, et eût chassédevant elle l'armée qui comprimait le pays. Pour cela, ilaurait fallu que les chefs des insurgés fussent d'accordavec Puisaye, Puisaye avec l'agence de Paris; que lesinstructions les plus contraires ne fussent pas envoyéesaux chefs des chouans; que les uns ne reçussent pasl'ordre de demeurer immobiles, que les autres ne fussentpas dirigés sur des points opposés à ceux que désignaitPuisaye; que les émigrés comprissent mieux la guerrequ'ils allaient faire, et méprisassent un peu moins cespaysans qui se dévouaient à leur cause; il aurait fallu queles Anglais se méfiassent moins de Puisaye, ne luiadjoignissent pas un second chef, lui eussent donné à lafois tous les moyens qu'ils lui destinaient, et tenté cetteexpédition avec toutes leurs forces réunies; il fallait surtoutun grand prince à la tête de l'expédition; il ne le fallait pasmême grand, il fallait seulement qu'il fût le premier à mettrele pied sur le rivage. A son aspect, tous les obstacless'évanouissaient. Cette division des chefs vendéens entreeux, des chefs vendéens avec le chef breton, du chefbreton avec les agens de Paris, des chouans avec lesémigrés, de l'Espagne avec l'Angleterre, cette division detous les élémens de l'entreprise cessait à l'instant même. Al'aspect du prince, tout l'enthousiasme de la contrée se

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réveillait, tout le monde se soumettait à ses ordres, etconcourait à l'entreprise. Hoche pouvait être enveloppé, et,malgré ses talens et sa vigueur, il eût été obligé de reculerdevant une influence toute-puissante dans ces pays. Sansdoute il restait derrière lui ces vaillantes armées qui avaientvaincu l'Europe; mais l'Autriche pouvait les occuper sur leRhin, et les empêcher de faire de grands détachemens; legouvernement n'avait plus l'énergie du grand comité, et larévolution eût couru de grands périls. Dépossédée vingtans plus tôt, ses bienfaits n'auraient pas eu le temps de seconsolider; des efforts inouïs, des victoires immortelles,des torrens de sang, tout restait sans fruit pour la France;ou si du moins il n'était pas donné à une poignée de fugitifsde soumettre à leur joug une brave nation, ils auraient missa régénération en péril, et quant à eux, ils n'auraient pasperdu leur cause sans la défendre, et ils auraient honoréleur prétention par leur énergie.

Tout fut imputé à Puisaye et à l'Angleterre par les brouillonsqui composaient le parti royaliste. Puisaye était, à lesentendre, un traître vendu à Pitt pour renouveler les scènesde Toulon. Cependant il était constant que Puisaye avaitfait ce qu'il avait pu. Il était absurde de supposer quel'Angleterre ne voulût pas réussir; ses propres précautionsà l'égard de Puisaye, le choix qu'elle fit elle-même ded'Hervilly pour empêcher que les corps émigrés ne fussenttrop compromis, et enfin le zèle que le commodore Warenmit à sauver les malheureux restés dans la presqu'île,prouvent que, malgré son génie politique, elle n'avait pas

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médité le crime hideux et lâche qu'on lui attribuait. Justice àtous, même aux implacables ennemis de notre révolution etde notre patrie!

Le commodore Waren alla débarquer à l'île d'Houat lesmalheureux restes de l'expédition; il attendit là de nouveauxordres de Londres et l'arrivée du comte d'Artois, qui étaitabord du Lord Moira, pour savoir ce qu'il faudrait faire. Ledésespoir régnait dans cette petite île: les émigrés, leschouans dans la plus grande misère, et atteints d'unemaladie contagieuse, se livraient aux récriminations, etaccusaient amèrement Puisaye. Le désespoir était bienplus grand encore à Aurai et à Vannes, où avaient ététransportés les mille émigrés pris les armes à la main.Hoche, après les avoir vaincus, s'était soustrait à cespectacle douloureux, pour courir à la poursuite de labande de Tinténiac, appelée l'armée rouge. Le sort desprisonniers ne le regardait plus: que pouvait-il pour eux?Les lois existaient, il ne pouvait les annuler. Il en référa aucomité de salut public et à Tallien. Tallien partit sur-le-champ, et arriva à Paris la veille de l'anniversaire du 9thermidor. Le lendemain on célébrait, suivant le nouveaumode adopté, une fête dans le sein même de l'assemblée,en commémoration de la chute de Robespierre. Tous lesreprésentans siégeaient en costume; un nombreuxorchestre exécutait des airs patriotiques; des choeurschantaient les hymnes de Chénier. Courtois lut un rapportsur la journée du 9 thermidor. Tallien lut ensuite un autrerapport sur l'affaire de Quiberon. On remarqua chez lui

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l'intention de se procurer un double triomphe; néanmoinson applaudit vivement ses services de l'année dernière etceux qu'il venait de rendre dans le moment. Sa présence,en effet, n'avait pas été inutile à Hoche. Il y eut, le mêmejour, un banquet chez Tallien; les principaux girondins s'yétaient réunis aux thermidoriens; Louvet, Lanjuinais yassistaient. Lanjuinais porta un toast au 9 thermidor, et auxdéputés courageux qui avaient abattu la tyrannie; Tallien enporta un second aux soixante-treize, aux vingt-deux, auxdéputés victimes de la terreur; Louvet ajouta ces mots: Et àleur union intime avec les hommes du 9 thermidor.

Ils avaient grand besoin, en effet, de se réunir pourcombattre, à efforts communs, les adversaires de touteespèce soulevés contre la république. La joie fut grande,surtout en songeant au danger qu'on aurait couru sil'expédition de l'Ouest avait pu concourir avec celle que leprince de Condé avait préparée vers l'Est.

Il fallait décider du sort des prisonniers. Beaucoup desollicitations furent adressées aux comités; mais, dans lasituation présente, les sauver était impossible. Lesrépublicains disaient que le gouvernement voulait rappelerles émigrés, leur rendre leurs biens, et conséquemmentrétablir la royauté; les royalistes, toujours présomptueux,soutenaient la même chose; ils disaient que leurs amisgouvernaient, et ils devenaient d'autant plus audacieuxqu'ils espéraient davantage. Témoigner la moindreindulgence dans cette occasion, c'était justifier les craintes

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des uns, les folles espérances des autres; c'était mettre lesrépublicains au désespoir, et encourager les royalistes auxplus hardies tentatives. Le comité de salut public ordonnal'application des lois, et certes il n'y avait pas demontagnards dans son sein; mais il sentait l'impossibilitéde faire autrement. Une commission, réunie à Vannes, futchargée de distinguer les prisonniers enrôlés malgré euxdes véritables émigrés. Ces derniers furent fusillés. Lessoldats en firent échapper le plus qu'ils purent. Beaucoupde braves gens périrent; mais ils ne devaient pas êtreétonnés de leur sort, après avoir porté la guerre dans leurpays, et avoir été pris les armes à la main. Moins menacéepar des ennemis de toute espèce, et surtout par leurspropres complices, la république aurait pu leur faire grâce:elle ne le pouvait pas dans les circonstances présentes. M.de Sombreuil, quoique brave officier, céda au moment dela mort à un mouvement peu digne de son courage. Il écrivitune lettre au commodore Waren, où il accusait Puisayeavec la violence du désespoir. Il chargea Hoche de la faireparvenir au commodore. Quoiqu'elle renfermât uneassertion fausse, Hoche, respectant la volonté d'unmourant, l'adressa au commodore; mais il répondit par unelettre à l'assertion de Sombreuil, et la démentit: «J'étais,dit-il, à la tête des sept cents grenadiers de Humbert, etj'assure qu'il n'a été fait aucune capitulation.» Tous lescontemporains auxquels le caractère du jeune général aété connu l'ont jugé incapable de mentir. Des témoinsoculaires confirment d'ailleurs son assertion. La lettre deSombreuil nuisit singulièrement à l'émigration et à Puisaye,

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et on l'a trouvée même si peu honorable pour la mémoirede son auteur, qu'on a prétendu que c'étaient lesrépublicains qui l'avaient supposée; imputation tout à faitdigne des misérables contes qu'on faisait chez lesémigrés.

Pendant que le parti royaliste venait d'essuyer à Quiberonun si rude échec, il s'en préparait un autre pour lui enEspagne. Moncey était rentré de nouveau dans la Biscaye,avait pris Bilbao et Vittoria, et serrait de près Pampelune.Le favori qui gouvernait la cour, après n'avoir pas voulud'abord d'une ouverture de paix faite par le gouvernementau commencement de la campagne, parce qu'il n'en futpas l'intermédiaire, se décida à négocier, et envoya à Bâlele chevalier d'Yriarte. La paix fut signée à Bâle avecl'envoyé de la république, Barthélemy, le 24 messidor (12juillet), au moment même des désastres de Quiberon. Lesconditions étaient la restitution de toutes les conquêtes quela France avait faites sur l'Espagne, et en équivalent lacession en notre faveur de la partie espagnole de Saint-Domingue. La France faisait ici de grandes concessionspour un avantage bien illusoire, car Saint-Domingue n'étaitdéjà plus à personne; mais ces concessions étaientdictées par la plus sage politique. La France ne pouvaitrien désirer au delà des Pyrénées; elle n'avait aucun intérêtà affaiblir l'Espagne: elle aurait dû, au contraire, s'il eût étépossible, rendre à cette puissance les forces qu'elle avaitperdues dans une entreprise à contresens des intérêts desdeux nations.

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Cette paix fut accueillie avec la joie la plus vive par tout cequi aimait la France et la république. C'était encore unepuissance détachée de la coalition, c'était un Bourbon quireconnaissait la république, et c'étaient deux arméesdisponibles à transporter sur les Alpes, dans l'Ouest et surle Rhin. Les royalistes furent au désespoir. Les agens deParis surtout craignaient qu'on ne divulguât leurs intrigues,ils redoutaient une communication de leurs lettres écritesen Espagne. L'Angleterre y aurait vu tout ce qu'ils disaientd'elle; et, quoique cette puissance fût hautement décriéepour l'affaire de Quiberon, c'était la seule désormais quipût donner de l'argent: il fallait la ménager, sauf à latromper ensuite, si c'était possible[4].

Un autre succès non moins important fut remporté par lesarmées de Jourdan et de Pichegru. Après bien deslenteurs, il avait été enfin décidé qu'on passerait le Rhin.Les armées française et autrichienne se trouvaient enprésence sur les deux rives du fleuve, depuis Bâle jusqu'àDusseldorf. La position défensive des Autrichiens devenaitexcellente sur le Rhin. Les forteresses de Dusseldorf etd'Ehrenbreitstein couvraient leur droite; Mayence,Manheim, Philisbourg leur centre et leur gauche; le Neckeret le Mein, prenant leur source non loin du Danube, etcoulant presque parallèlement vers le Rhin, formaient deuximportantes lignes de communication entre les étatshéréditaires, apportaient les subsistances en quantité, etcouvraient les deux flancs de l'armée qui voudrait agirconcentriquement vers Mayence. Le plan à suivre sur ce

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champ de bataille est le même pour les Autrichiens et pourles Français: les uns et les autres (de l'avis d'un grandcapitaine et d'un célèbre critique) doivent tendre à agirconcentriquement entre le Mein et le Necker. Les arméesfrançaises de Jourdan et de Pichegru auraient dû s'efforcerde passer le Rhin vers Mayence, à peu de distance l'unede l'autre, se réunir ensuite dans la vallée du Mein, séparerClerfayt de Wurmser, et remonter entre le Necker et leMein, en tâchant de battre alternativement les deuxgénéraux autrichiens. De même les généraux autrichiensdevaient chercher à se concentrer pour déboucher parMayence sur la rive gauche, et tomber ou sur Jourdan ousur Pichegru. S'ils étaient prévenus, si le Rhin était passésur un point, ils devaient se concentrer entre le Necker et leMein, empêcher la réunion des deux armées françaises, etprofiter d'un moment pour tomber sur l'une ou sur l'autre.Les généraux autrichiens avaient tout l'avantage pourprendre l'initiative, car ils occupaient Mayence et pouvaientdéboucher, quand il leur plairait, sur la rive gauche.

Les Français prirent l'initiative. Après bien des lenteurs, lesbarques hollandaises étaient enfin arrivées à la hauteur deDusseldorf, et Jourdan se prépara à franchir le Rhin. Le 20fructidor (6 septembre), il passa à Eichelcamp, Dusseldorfet Neuwied, par une manoeuvre très hardie; il s'avança parla route de Dusseldorf à Francfort, entre la ligne de laneutralité prussienne et le Rhin, et arriva vers la Lahn lequatrième jour complémentaire (20 septembre). Au mêmeinstant, Pichegru avait ordre d'essayer le passage sur le

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Haut-Rhin, et de sommer Manheim. Cette ville florissante,menacée d'un bombardement, se rendit contre touteattente le quatrième jour complémentaire (20 septembre).Dès cet instant tous les avantages étaient pour lesFrançais. Pichegru, basé sur Manheim, devait y attirertoute son armée, et se joindre à Jourdan dans la vallée duMein. On pouvait alors séparer les deux générauxautrichiens, et agir concentriquement entre le Mein et leNecker. Il importait surtout de tirer Jourdan de sa positionentre la ligne de neutralité et le Rhin, car son armée,n'ayant pas les moyens de transport nécessaires pour sesvivres, et ne pouvant traiter le pays en ennemi, allait bientôtmanquer du nécessaire si elle ne marchait pas en avant.

Ainsi, dans ce moment, tout était succès pour larépublique. Paix avec l'Espagne, destruction del'expédition faite par l'Angleterre sur les côtes de Bretagne,passage du Rhin, et offensive heureuse en Allemagne, elleavait tous les avantages à la fois. C'était à ses généraux età son gouvernement à profiter de tant d'événemensheureux.

NOTES:

[4]

Le tome V de Puisaye contient la preuve de toutcela.

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CHAPITRE XXXI.MENÉES DU PARTI ROYALISTE DANSLES SECTIONS.—RENTRÉE DESÉMIGRÉS, PERSÉCUTION DESPATRIOTES.—CONSTITUTIONDIRECTORIALE, DITE DE L'AN III, ETDÉCRETS DES 5 ET 13 FRUCTIDOR.—ACCEPTATION DE LA CONSTITUTIONET DES DÉCRETS PAR LESASSEMBLÉES PRIMAIRES DE LAFRANCE.—RÉVOLTE DES SECTIONS DEPARIS CONTRE LES DÉCRETS DEFRUCTIDOR ET CONTRE LACONVENTION. JOURNÉE DU 13VENDÉMIAIRE. DÉFAITE DES SECTIONSINSURGÉES.—CLÔTURE DE LACONVENTION NATIONALE.

Battu sur les frontières, et abandonné par la cour

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d'Espagne, sur laquelle il comptait le plus, le parti royalistefut réduit à intriguer dans l'intérieur; et il faut convenir que,dans le moment, Paris offrait un champ vaste à sesintrigues. L'oeuvre de la constitution avançait; le momentoù la convention déposerait ses pouvoirs, où la France seréunirait pour élire de nouveaux représentans, où uneassemblée toute neuve remplacerait celle qui avait régnési long-temps, était plus favorable qu'aucun autre auxmenées contre-révolutionnaires.

Les passions les plus vives fermentaient dans les sectionsde Paris. On n'y était pas royaliste, mais on servait leroyalisme sans s'en douter. On s'était attaché à combattreles terroristes; on s'était animé par la lutte, on voulaitpersécuter aussi, et on s'irritait contre la convention, qui nevoulait pas laisser pousser la persécution trop loin. On étaittoujours prêt à se souvenir que la terreur était sortie de sonsein; on lui demandait une constitution et des lois, et la finde sa longue dictature. La plupart des hommes quiréclamaient tout cela ne songeaient guère aux Bourbons.C'était le riche tiers-état de 89, c'étaient des négocians,des marchands, des propriétaires, des avocats, desécrivains, qui voulaient enfin l'établissement des lois et lajouissance de leurs droits; c'étaient des jeunes genssincèrement républicains, mais aveuglés par leur ardeurcontre le système révolutionnaire; c'étaient beaucoupd'ambitieux, écrivains de journaux ou orateurs de sections,qui, pour prendre aussi leur place, désiraient que laconvention se retirât devant eux; les royalistes se cachaient

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derrière cette masse. On comptait parmi ceux-ci quelquesémigrés, quelques prêtres rentrés, quelques créatures del'ancienne cour, qui avaient perdu des places, et beaucoupd'indifférens et de poltrons qui redoutaient une libertéorageuse. Ces derniers n'allaient pas dans les sections;mais les premiers y étaient assidus, et employaient tousles moyens pour les agiter. L'instruction donnée par lesagens royalistes à leurs affidés était de prendre le langagedes sectionnaires, de réclamer les mêmes choses, dedemander comme eux la punition des terroristes,l'achèvement de la constitution, le procès des députésmontagnards; mais à demander tout cela avec plus deviolence, de manière à compromettre les sections avec laconvention, et à provoquer de nouveaux mouvemens; cartout mouvement était une chance, et pouvait du moinsdégoûter d'une république si tumultueuse.

De telles menées n'étaient heureusement possibles qu'àParis, car c'est toujours la ville de France la plus agitée;c'est celle où l'on discute le plus chaudement sur lesintérêts publics, où l'on a le goût et la prétention d'influer surle gouvernement, et où commence toujours l'opposition.Excepté Lyon, Marseille et Toulon, où l'on s'égorgeait, lereste de la France prenait à ces agitations politiquesinfiniment moins de part que les sections de Paris.

A tout ce qu'ils disaient ou faisaient dire dans les sections,les intrigans au service du royalisme ajoutaient despamphlets et des articles de journaux. Ils mentaient ensuite

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selon leur usage, se donnaient une importance qu'ilsn'avaient pas, et écrivaient à l'étranger qu'ils avaient séduitles principaux chefs du gouvernement. C'est avec cesmensonges qu'ils se procuraient de l'argent, et qu'ilsvenaient d'obtenir quelques mille livres sterling del'Angleterre. Il est constant néanmoins que, s'ils n'avaientgagné ni Tallien, ni Hoche, comme ils le disaient, ilsavaient réussi pourtant auprès de quelques conventionnels,deux ou trois, peut-être. On nommait Rovère et Saladin,deux fougueux révolutionnaires, devenus maintenant defougueux réacteurs. On croit aussi qu'ils avaient touché, pardes moyens plus délicats, quelques-uns de ces députésd'opinion moyenne, qui se sentaient quelque penchant pourune monarchie représentative, c'est-à-dire pour unBourbon, soi-disant lié par des lois à l'anglaise. APichegru, on avait offert un château, des canons et del'argent; à quelques législateurs ou membres des comités,on avait pu dire: «La France est trop grande pour êtrerépublique; elle serait bien plus heureuse avec un roi, desministres responsables, des pairs héréditaires et desdéputés.» Cette idée, sans être suggérée, devaitnaturellement venir à plus d'un personnage, surtout à ceuxqui étaient propres à remplir les fonctions de députés oude pairs héréditaires. On regardait alors comme royalistessecrets MM. Lanjuinais et Boissy-d'Anglas, Henri Larivière,Lesage (d'Eure-et-Loir).

On voit que les moyens de l'agence n'étaient pas très-puissans; mais ils suffisaient pour troubler la tranquillité

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publique, pour inquiéter les esprits, pour rappeler surtout àla mémoire des Français, ces Bourbons, les seuls ennemisqu'eut encore la république, et que ses armes n'eussent puvaincre, car on ne détruit pas les souvenirs avec desbaïonnettes.

Parmi les soixante-treize, il y avait plus d'un monarchien;mais en général ils étaient républicains; les girondinsl'étaient tous, ou presque tous. Cependant les journaux dela contre-révolution les louaient avec affectation, et avaientainsi réussi à les rendre suspects aux thermidoriens. Pourse défendre de ces éloges, les soixante-treize et les vingt-deux protestaient de leur attachement à la république; carpersonne alors n'eût osé parler froidement de cetterépublique. Quelle affreuse contradiction, en effet, si on nel'eût pas aimée, que d'avoir sacrifié tant de trésors, tant desang à son établissement! que d'avoir immolé des milliersde Français soit dans la guerre civile, soit dans la guerreétrangère! Il fallait donc bien l'aimer, ou du moins le dire!Cependant, malgré ces protestations, les thermidoriensétaient en défiance; ils ne comptaient que sur M. Daunou,dont on connaissait la probité et les principes sévères, etsur Louvet, dont l'âme ardente était restée républicaine.Celui-ci, en effet, après avoir perdu tant d'illustres amis,couru tant de dangers, ne comprenait pas que ce pût êtreen vain; il ne comprenait pas que tant de belles vieseussent été détruites pour aboutir à la royauté; il s'était toutà fait rattaché aux thermidoriens. Les thermidoriens serattachaient eux-mêmes de jour en jour aux montagnards, à

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cette masse de républicains inébranlables, dont ils avaientsacrifié un assez grand nombre.

Ils voulaient provoquer d'abord des mesures contre larentrée des émigrés, qui continuaient de reparaître enfoule, les uns avec de faux passeports et sous des nomssupposés, les autres sous le prétexte de venir demanderleur radiation. Presque tous présentaient de faux certificatsde résidence, disaient n'être pas sortis de France, et s'êtreseulement cachés, ou n'avoir été poursuivis qu'à l'occasiondes événemens du 31 mai. Sous le prétexte de solliciterauprès du comité de sûreté générale, ils remplissaientParis, et quelques-uns contribuaient aux agitations dessections. Parmi les personnages les plus marquans rentrésà Paris, était madame de Staël, qui venait de reparaître enFrance à la suite de son mari, ambassadeur de Suède.Elle avait ouvert son salon, où elle satisfaisait le besoin dedéployer ses facultés brillantes. Une république était loinde déplaire à la hardiesse de son esprit, mais elle ne l'eûtacceptée qu'à condition d'y voir briller ses amis proscrits, àcondition de n'y plus voir ces révolutionnaires qui passaientsans doute pour des hommes énergiques, mais grossierset dépourvus d'esprit. On voulait bien en effet recevoir deleurs mains la république sauvée, mais en les excluant bienvite de la tribune et du gouvernement. Des étrangers dedistinction, tous les ambassadeurs des puissances, lesgens de lettres les plus renommés par leur esprit, seréunissaient chez madame de Staël. Ce n'était plus lesalon de madame Tallien, c'était le sien qui maintenant

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attirait toute l'attention, et on pouvait mesurer par là lechangement que la société française avait subi depuis sixmois. On disait que madame de Staël intercédait pour desémigrés; on prétendait qu'elle voulait faire rappelerNarbonne, Jaucourt et plusieurs autres. Legendre ladénonça formellement à la tribune. On se plaignit dans lesjournaux, de l'influence que voulaient exercer les coteriesformées autour des ambassadeurs étrangers, enfin ondemanda la suspension des radiations. Les thermidoriensfirent décréter de plus, que tout émigré rentré pourdemander sa radiation, serait tenu de retourner dans sacommune, et d'y attendre la décision du comité de sûretégénérale[5]. On espérait, par ce moyen, délivrer la capitaled'une foule d'intrigans qui contribuaient à l'agiter.

Les thermidoriens voulaient en même temps arrêter lespersécutions dont les patriotes étaient l'objet; ils avaientfait élargir par le comité de sûreté générale, Pache,Bourbotte, le fameux Héron, et un grand nombre d'autres. Ilfaut convenir qu'ils auraient pu mieux choisir que ce dernierpour rendre justice aux patriotes. Des sections avaient déjàfait des pétitions, comme on l'a vu, au sujet de cesélargissemens; elles en firent de nouvelles. Les comitésrépondirent qu'il faudrait enfin juger les patriotes renfermés,et ne pas les détenir plus long-temps s'ils étaient innocens.Proposer leur jugement, c'était proposer leurélargissement, car leurs délits étaient pour la plupart deces délits politiques, insaisissables de leur nature. Exceptéquelques membres des comités révolutionnaires, signalés

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par des excès atroces, la plupart ne pouvaient êtrelégalement condamnés. Plusieurs sections vinrentdemander qu'on leur accordât quelques jours depermanence, pour motiver l'arrestation et le désarmementde ceux qu'elles avaient enfermés; elles dirent que dans lepremier moment elles n'avaient pu ni rechercher lespreuves, ni donner des motifs; mais elles offraient de lesfournir. On n'écouta pas ces propositions, qui cachaient ledésir de s'assembler et d'obtenir la permanence; et ondemanda aux comités un projet pour mettre en jugementles patriotes détenus.

Une violente dispute s'éleva sur ce projet. Les uns voulaientenvoyer les patriotes par devant les tribunaux desdépartemens; les autres, se défiant des passions locales,s'opposaient à ce mode de jugement, et voulaient qu'onchoisît dans la convention une commission de douzemembres, pour faire le triage des détenus, pour élargirceux contre lesquels ne s'élevaient pas des chargessuffisantes, et traduire les autres devant les tribunauxcriminels. Ils disaient que cette commission, étrangère auxhaines qui fermentaient dans les départemens, feraitmeilleure justice, et ne confondrait pas les patriotescompromis par l'ardeur de leur zèle, avec les hommescoupables qui avaient pris part aux cruautés de la tyranniedécemvirale. Tous les ennemis opiniâtres des patriotes sesoulevèrent à l'idée de cette commission, qui allait agircomme le comité de sûreté générale renouvelé après le 9thermidor, c'est-à-dire élargir en masse. Ils demandèrent

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comment cette commission de douze membres pourraitjuger vingt ou vingt-cinq mille affaires. On répondit toutsimplement qu'elle ferait comme le comité de sûretégénérale, qui en avait jugé quatre-vingt ou cent mille, lorsde l'ouverture des prisons. Mais c'était justement de cettemanière de juger qu'on ne voulait pas. Après plusieursjours de débats, entremêlés de pétitions plus hardies lesunes que les autres, on décida enfin que les patriotesseraient jugés par les tribunaux des départemens, et onrenvoya le décret aux comités pour en modifier certainesdispositions secondaires. Il fallut consentir aussi à lacontinuation du rapport sur les députés compromis dansleurs missions. On décréta d'arrestation[6] Lequinio, Lanot,Lefiot, Dupin, Bô, Piorry, Maxieu, Chaudron-Rousseau,Laplanche, Fouché; et on commença le procès de Lebon.Dans cet instant, la convention avait autant de sesmembres en prison qu'au temps de la terreur. Ainsi lespartisans de la clémence n'avaient rien à regretter, etavaient rendu le mal pour le mal.

La constitution avait été présentée par la commission desonze; elle fut discutée pendant les trois mois de messidor,thermidor et fructidor an III, et fut successivement décrétéeavec peu de changemens. Ses auteurs étaient Lesage,Daunou, Boissy-d'Anglas, Creuzé-Latouche, Berlier,Louvet, Larévellière-Lépeaux, Lanjuinais, Durand-Maillane,Baudin (des Ardennes) et Thibaudeau. Sieyès n'avait pasvoulu faire partie de cette commission; car en fait deconstitution, il était encore plus absolu que sur tout le reste.

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Les constitutions étaient l'objet des réflexions de toute savie; elles étaient sa vocation particulière. Il en avait unetoute prête dans sa tête; et il n'était pas homme à en fairele sacrifice. Il vint la proposer en son nom et sansl'intermédiaire de la commission. L'assemblée, par égardpour son génie, voulut bien l'écouter, mais n'adopta passon projet. On la verra reparaître plus tard, et il sera tempsalors de faire connaître cette conception, remarquabledans l'histoire de l'esprit humain. Celle qui fut adoptée étaitanalogue aux progrès qu'avaient faits les esprits. En 91, onétait à la fois si novice et si bienveillant, qu'on n'avait paspu concevoir l'existence d'un corps aristocratiquecontrôlant les volontés de la représentation nationale, et onavait cependant admis, conservé avec respect, et presqueavec amour, le pouvoir royal. Pourtant, en y réfléchissantmieux, on aurait vu qu'un corps aristocratique est de tousles pays, et même qu'il convient plus particulièrement auxrépubliques; qu'un grand état se passe très-bien d'un roi,mais jamais d'un sénat. En 1795, on venait de voir à quelsdésordres est exposée une assemblée unique, onconsentit à l'établissement d'un corps législatif partagé endeux assemblées. On était alors moins irrité contrel'aristocratie que contre la royauté, parce qu'en effet onredoutait davantage la dernière. Aussi mit-on plus de soinà s'en défendre dans la composition d'un pouvoir exécutif. Ily avait dans la commission un parti monarchique, composéde Lesage, Lanjuinais, Durand-Maillane et Boissy-d'Anglas. Ce parti proposait un président; on n'en voulutpas. «Peut-être un jour, dit Louvet, on vous nommerait un

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Bourbon.» Baudin (des Ardennes) et Daunou proposaientdeux consuls; d'autres en demandaient trois. On préféracinq directeurs délibérant à la majorité. On ne donna à cepouvoir exécutif aucun des attributs essentiels de laroyauté, comme l'inviolabilité, la sanction des lois, lepouvoir judiciaire, le droit de paix et de guerre. Il avait lasimple inviolabilité des députés, la promulgation etl'exécution des lois, la direction, mais non le vote de laguerre, la négociation, mais non la ratification des traités.

Telles furent les bases sur lesquelles reposa la constitutiondirectoriale. En conséquence on décréta:

Un conseil, dit des Cinq-Cents, composé de cinq centsmembres, âgés de trente ans au moins, ayant seuls laproposition des lois, se renouvelant par tiers tous les ans;

Un conseil, dit des Anciens, composé de deux centcinquante membres, âgés de quarante ans au moins, tousou veufs ou mariés, ayant la sanction des lois, serenouvelant aussi par tiers;

Enfin un directoire exécutif, composé de cinq membres,délibérant à la majorité, se renouvelant tous les ans parcinquième, ayant des ministres responsables, promulgantles lois et les faisant exécuter, ayant la disposition desforces de terre et de mer, les relations extérieures, lafaculté de repousser les premières hostilités, mais nepouvant faire la guerre sans le consentement du corpslégislatif; négociant les traités et les soumettant à la

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ratification du corps législatif, sauf les articles secrets qu'ilavait la faculté de stipuler s'ils n'étaient pas destructifs desarticles patens.

Tous ces pouvoirs étaient nommés de la manière suivante:

Tous les citoyens âgés de vingt-un ans se réunissaient dedroit en assemblée primaire tous les premiers du mois deprairial, et nommaient des assemblées électorales. Cesassemblées électorales se réunissaient tous les 20 deprairial, et nommaient les deux conseils. Les deux conseilsnommaient le directoire. On avait pensé que le pouvoirexécutif, étant nommé par le pouvoir législatif, en seraitplus dépendant; on fut déterminé aussi par une raison tiréedes circonstances. La république n'étant pas encore dansles habitudes de la France, et étant plutôt une opinion deshommes éclairés ou compromis dans la révolution qu'unsentiment général, on ne voulut pas confier la compositiondu pouvoir exécutif aux masses. On pensait donc que,dans les premières années surtout, les auteurs de larévolution, devant dominer naturellement dans le corpslégislatif, choisiraient des directeurs capables de défendreleur ouvrage.

Le pouvoir judiciaire fut confié à des juges électifs. Oninstitua des juges de paix. On établit un tribunal civil pardépartement, jugeant en première instance les causes dudépartement, et en appel celles des départemens voisins.On ajouta une cour criminelle composée de cinq membreset d'un jury.

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On n'admit point d'assemblées communales, mais desadministrations municipales et départementalescomposées de trois ou cinq membres et davantage,suivant la population; elles devaient être formées par lavoie d'élection. L'expérience fit adopter des dispositionsaccessoires et d'une grande importance. Ainsi le corpslégislatif désignait lui-même sa résidence, et pouvait setransporter dans la commune qu'il lui plaisait de choisir.Aucune loi ne pouvait être discutée sans trois lecturespréalables, à moins qu'elle ne fût qualifiée de mesured'urgence, et reconnue telle par le conseil des anciens.C'était un moyen de prévenir ces résolutions si rapides etsi tôt rapportées, que la convention avait prises si souvent.Enfin, toute société se qualifiant de populaire, tenant desséances publiques, ayant un bureau, des tribunes, desaffiliations, était interdite. La presse était entièrement libre.Les émigrés étaient expulsés à jamais du territoire de larépublique; les biens nationaux irrévocablement acquis auxacheteurs. Tous les cultes furent déclarés libres, quoiquenon reconnus, ni salariés par l'état.

Telle fut la constitution par laquelle on espérait maintenir laFrance en république. Il se présentait une questionimportante: la constituante, par ostentation dedésintéressement, s'était exclue du corps législatif qui laremplaça; la convention ferait-elle de même? Il faut enconvenir, une pareille détermination eût été une grandeimprudence. Chez un peuple mobile, qui, après avoir vécuquatorze siècles sous la monarchie, l'avait renversée dans

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quatorze siècles sous la monarchie, l'avait renversée dansun moment d'enthousiasme, la république n'était pastellement dans les moeurs, qu'on pût en abandonnerl'établissement au seul cours des choses. La révolution nepouvait être bien défendue que par ses auteurs. Laconvention était composée en grande partie deconstituants et de membres de la législative; elle réunissaitles hommes qui avaient aboli l'ancienne constitutionféodale le 14 juillet et le 4 août 1789, qui avaient renverséle trône au 10 août, qui avaient, le 21 janvier, immolé lechef de la dynastie des Bourbons, et qui, pendant trois ans,avaient fait contre l'Europe des efforts inouis pour soutenirleur ouvrage; eux seuls étaient capables de bien défendrela révolution, consacrée dans la constitution directoriale.Aussi, ne se targuant pas d'un vain désintéressement, ilsdécrétèrent, le 5 fructidor (22 août), que le nouveau corpslégislatif se composerait des deux tiers de la convention, etqu'il ne serait nommé qu'un nouveau tiers. La question étaitde savoir si la convention désignerait elle-même les deuxtiers à conserver, ou si elle laisserait ce soin auxassemblées électorales. Après une dispute épouvantable,il fut convenu, le 13 fructidor (30 août), que les assembléesélectorales seraient chargées de ce choix. On décida queles assemblées primaires se réuniraient le 20 fructidor (6septembre) pour accepter la constitution et les deuxdécrets des 5 et 13 fructidor. On décréta, en outre,qu'après avoir émis leur vote sur la constitution et lesdécrets, les assemblées primaires se réuniraient denouveau, et feraient actuellement, c'est-à-dire en l'an III(1795), les élections du 1er prairial de l'année suivante. La

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(1795), les élections du 1er prairial de l'année suivante. Laconvention annonçait par là qu'elle allait déposer ladictature, et mettre la constitution en activité. Elle décrétaaussi que les armées, quoique privées ordinairement dudroit de délibérer, se réuniraient cependant sur le champde bataille qu'elles occuperaient dans le moment, pourvoter la constitution. Il fallait, disait-on, que ceux quidevaient la défendre pussent la consentir. C'était intéresserles armées à la révolution par leur vote même.

A peine ces résolutions furent-elles prises, que lesennemis si nombreux et si divers de la convention s'enmontrèrent désolés. Peu importait la constitution à laplupart d'entre eux. Toute constitution leur convenait, pourvuqu'elle donnât lieu à un renouvellement général de tous lesmembres du gouvernement. Les royalistes voulaient cerenouvellement pour amener du trouble, pour réunir le plusgrand nombre possible d'hommes de leur choix, et pour seservir de la république même au profit de la royauté; ils levoulaient surtout pour écarter les conventionnels, siintéressés à combattre la contre-révolution, et pour appelerdes hommes nouveaux, inexpérimentés, non compromis,et plus aisés à séduire. Beaucoup de gens de lettres,d'écrivains, d'hommes inconnus, empressés de s'élancerdans la carrière politique, non par esprit de contre-révolution, mais par ambition personnelle, désiraient aussice renouvellement complet, pour avoir un plus grandnombre de places à occuper. Les uns et les autres serépandirent dans les sections, et les excitèrent contre lesdécrets. La convention, disaient-ils, voulait se perpétuer au

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pouvoir; elle parlait des droits du peuple, et cependant elleen ajournait indéfiniment l'exercice; elle lui commandait seschoix, elle ne lui permettait pas de préférer les hommes quiétaient restés purs de crimes; elle voulait conserverforcément une majorité composée d'hommes qui avaientcouvert la France d'échafauds. Ainsi, ajoutaient-ils, lanouvelle législature ne serait pas purgée de tous lesterroristes; ainsi la France ne serait pas entièrementrassurée sur son avenir, et n'aurait pas la certitude de nejamais voir renaître un régime affreux. Ces déclamationsagissaient sur un grand nombre d'esprits: toute labourgeoisie des sections, qui voulait bien les nouvellesinstitutions telles qu'on les lui donnait, mais qui avait unepeur excessive du retour de la terreur; des hommessincères, mais irréfléchis, qui rêvaient une république sanstache, et qui souhaitaient placer au pouvoir une générationnouvelle et pure; des jeunes gens, épris de ces mêmeschimères, beaucoup d'imaginations avides de nouveauté,voyaient avec le plus vif regret la convention se perpétuerainsi pendant deux ou trois ans. La cohue des journalistesse souleva. Une foule d'hommes, qui avaient rang dans lalittérature, ou qui avaient figuré dans les anciennesassemblées, parurent aux tribunes des sections. MM.Suard, Morellet, Lacretelle jeune, Fiévée, Vaublaric,Pastoret, Dupont de Nemours, Quatremère de Quincy,Delalot, le fougueux converti La Harpe, le général Miranda,échappé des prisons où l'avait fait enfermer sa conduite àNerwinde, l'espagnol Marchenna, soustrait à la proscriptionde ses amis les girondins, le chef de l'agence royaliste

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Lemaître, se signalèrent par des pamphlets ou desdiscours véhémens dans les sections: le déchaînement futuniversel.

Le plan à suivre était tout simple, c'était d'accepter laconstitution et de rejeter les décrets. C'est ce qu'onproposa de faire à Paris, et ce qu'on engagea toutes lessections de la France à faire aussi. Mais les intrigans quiagitaient les sections, et qui voulaient pousser l'oppositionjusqu'à l'insurrection, désiraient un plan plus étendu. Ilsvoulaient que les assemblées primaires, après avoiraccepté la constitution et rejeté les décrets des 5 et 13fructidor, se constituassent en permanence; qu'ellesdéclarassent les pouvoirs de la convention expirés, et lesassemblées électorales libres de choisir leurs députéspartout où il leur plairait de les prendre; enfin, qu'elles neconsentissent à se séparer qu'après l'installation dunouveau corps législatif. Les agens de Lemaître firentparvenir ce plan dans les environs de Paris; ils écrivirent enNormandie, où l'on intriguait beaucoup pour le régime de91; en Bretagne, dans la Gironde, partout où ils avaientdes relations. L'une de leurs lettres fut saisie, et publiée àla tribune. La convention vit sans effroi les préparatifs qu'onfaisait contre elle, et attendit avec calme la décision desassemblées primaires de toute la France, certaine que lamajorité se prononcerait en sa faveur. Cependant,soupçonnant l'intention d'une nouvelle journée, elle fitavancer quelques troupes, et les réunit dans le camp desSablons, sous Paris.

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La section Lepelletier, autrefois Saint-Thomas, ne pouvaitmanquer de se distinguer ici; elle vint, avec celles du Mail,de la Butte-des-Moulins, des Champs-Elysées, du Théâtre-Français (l'Odéon), adresser des pétitions à l'assemblée.Elles s'accordaient toutes à demander si les Parisiensavaient démérité, si on se défiait d'eux, puisqu'on appelaitdes troupes; elles se plaignaient de la prétendue violencefaite à leurs choix, et se servaient de ces expressionsinsolentes: «Méritez nos choix, et ne les commandez pas.»La convention répondit d'une manière ferme à toutes cesadresses, et se borna à dire qu'elle attendait avec respectla manifestation de la volonté nationale, qu'elle s'ysoumettrait dès qu'elle serait connue, et qu'elle obligeraittout le monde à s'y soumettre.

Ce qu'on voulait surtout, c'était établir un point central pourcommuniquer avec toutes les sections, pour leur donnerune impulsion commune, et pour organiser ainsi la révolte.On avait eu assez d'exemples sous les yeux, pour savoirque c'était là le premier besoin. La section Lepelletiers'institua centre; elle avait droit à cet honneur, car elle avaittoujours été la plus ardente. Elle commença par publier unacte de garantie aussi maladroit qu'inutile. Les pouvoirs ducorps constituant, disait-elle, cessaient en présence dupeuple souverain; les assemblées primairesreprésentaient le peuple souverain; elles avaient le droitd'exprimer une opinion quelconque sur la constitution et surles décrets; elles étaient sous la sauvegarde les unes desautres; elles se devaient la garantie réciproque de leur

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indépendance. Personne ne niait cela, sauf unemodification qu'il fallait ajouter à ces maximes; c'est que lecorps constituant conservait ses pouvoirs jusqu'à ce que ladécision de la majorité fût connue. Du reste, ces vainesgénéralités n'étaient qu'un moyen pour arriver à une autremesure. La section Lepelletier proposa aux quarante-huitsections de Paris de désigner chacune un commissaire,pour exprimer les sentimens des citoyens de la capitale surla constitution et les décrets. Ici commençait l'infraction auxlois; car il était défendu aux assemblées primaires decommuniquer entre elles, de s'envoyer des commissairesou des adresses. La convention cassa l'arrêté, et déclaraqu'elle considérerait son exécution comme un attentat à lasûreté publique.

Les sections n'étant pas encore assez enhardies cédèrent,et se mirent à recueillir les votes sur la constitution et lesdécrets. Elles commencèrent par chasser, sans aucuneforme légale, les patriotes qui venaient voter dans leur sein.Dans les unes, on les mit tout simplement à la porte de lasalle; dans les autres, on leur signifia, par des placards,qu'ils eussent à rester chez eux, car s'ils paraissaient à lasection on les en chasserait ignominieusement. Lesindividus privés ainsi d'exercer leurs droits étaient fortnombreux; ils accoururent à la convention pour réclamercontre la violence qui leur était faite. La conventiondésapprouva la conduite des sections, mais refusad'intervenir, pour ne point paraître recruter des votes, etpour que l'abus même prouvât la liberté de la délibération.

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Les patriotes, chassés de leurs sections, s'étaient réfugiésdans les tribunes de la convention; ils les occupaient engrand nombre, et tous les jours ils demandaient auxcomités de leur rendre leurs armes, assurant qu'ils étaientprêts à les employer à la défense de la république.

Toutes les sections de Paris, excepté celle des Quinze-Vingts, acceptèrent la constitution, et rejetèrent les décrets.Il n'en fut point de même dans le reste de la France.L'opposition, comme il arrive toujours, était moins ardentedans les provinces que dans la capitale. Les royalistes, lesintrigans, les ambitieux, qui avaient intérêt à presser lerenouvellement du corps législatif et du gouvernement,n'étaient nombreux qu'à Paris; aussi, dans les provinces,les assemblées furent-elles calmes, quoique parfaitementlibres; elles adoptèrent la constitution à la presqueunanimité, et les décrets à une grande majorité. Quant auxarmées, elles reçurent la constitution avec enthousiasmedans la Bretagne et la Vendée, aux Alpes et sur le Rhin.Les camps, changés en assemblées primaires, retentirentd'acclamations. Ils étaient pleins d'hommes dévoués à larévolution, et qui lui étaient attachés par les sacrificesmêmes qu'ils avaient faits pour elle. Ce déchaînementqu'on montrait à Paris contre le gouvernementrévolutionnaire était tout à fait inconnu dans les armées.Les réquisitionnaires de 1793, dont elles étaient remplies,conservaient le plus grand souvenir de ce fameux comité,qui les avait bien mieux conduits et nourris que le nouveaugouvernement. Arrachés à la vie privée, habitués à braver

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les fatigues et la mort, nourris de gloire et d'illusions, ilsavaient encore cet enthousiasme qui, dans l'intérieur de laFrance, commençait à se dissiper; ils étaient fiers de sedire soldats d'une république défendue par eux contre tousles rois de l'Europe, et qui, en quelque sorte, était leurouvrage. Ils juraient avec sincérité de ne pas la laisserpérir. L'armée de Sambre-et-Meuse, que commandaitJourdan, partageait les nobles sentimens de son bravechef. C'était elle qui avait vaincu à Watignies et débloquéMaubeuge; c'était elle qui avait vaincu à Fleurus et donnéla Belgique à la France; c'était elle enfin, qui, par lesvictoires de l'Ourthe et de la Roër, venait de lui assurer laligne du Rhin. Cette armée, qui avait le mieux mérité de larépublique, lui était aussi le plus attachée. Elle venait depasser le Rhin; elle s'arrêta sur le champ de bataille, et onvit soixante mille hommes accepter à la fois la nouvelleconstitution républicaine.

Ces nouvelles, arrivant successivement à Paris,réjouissaient la convention et attristaient fort lessectionnaires. Chaque jour, ils venaient présenter desadresses, où ils déclaraient le vote de leur assemblée, etannonçaient avec une joie insultante que la constitutionétait acceptée et les décrets rejetés. Les patriotesamassés dans les tribunes murmuraient; mais dans lemême instant on lisait des procès-verbaux envoyés desdépartemens, qui, presque tous, annonçaient l'acceptationet de la constitution et des décrets. Alors les patrioteséclataient en applaudissemens furibonds, et narguaient de

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leurs éclats de joie les pétitionnaires des sections assis àla barre. Les derniers jours de fructidor se passèrent enscènes de ce genre. Enfin le 1er vendémiaire de l'an IV (23septembre 1795), le résultat général des votes futproclamé.

La constitution était acceptée à la presque unanimité desvotans, et les décrets à une immense majorité. Quelquesmille voix cependant s'étaient prononcées contre lesdécrets, et ça et là quelques-unes avaient osé demanderun roi: c'était une preuve suffisante que la plus parfaiteliberté avait régné dans les assemblées primaires. Cemême jour, la constitution et les décrets furentsolennellement déclarés par la convention lois de l'état.Cette déclaration fut suivie d'applaudissemens prolongés.La convention décréta ensuite que les assembléesprimaires qui n'avaient pas encore nommé leurs électeurs,devraient achever cette nomination avant le 10vendémiaire (2 octobre); que les assemblées électoralesse formeraient le 20, et devraient finir leurs opérations auplus tard le 29 (21 octobre); qu'enfin le nouveau corpslégislatif se réunirait le 15 brumaire (6 novembre).

Cette nouvelle fut un coup de foudre pour les sectionnaires.Ils avaient espéré jusqu'au dernier moment que la Francedonnerait un vote semblable à celui de Paris, et qu'ilsseraient délivrés de ce qu'ils appelaient les deux tiers;mais le dernier décret ne leur permettait plus aucun espoir.Affectant de ne pas croire à une loyale supputation des

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votes, ils envoyèrent des commissaires au comité desdécrets, pour vérifier les procès-verbaux. Cette injurieusedémarche ne fut point mal accueillie. On consentit à leurmontrer les procès-verbaux et à leur laisser faire le comptedes votes; ils le trouvèrent exact. Dès lors ils n'eurent plusmême cette malheureuse objection d'une erreur de calculou d'un mensonge; il ne leur resta plus que l'insurrection.Mais c'était un parti violent, et il n'était pas aisé de s'yrésoudre. Les ambitieux qui désiraient éloigner leshommes de la révolution, pour prendre leur place dans legouvernement républicain; les jeunes gens qui voulaientétaler leur courage, et qui avaient même servi pour laplupart; les royalistes enfin qui n'avaient d'autre ressourcequ'une attaque de vive force, pouvaient s'exposervolontiers à la chance d'un combat; mais cette massed'hommes paisibles, entraînés à figurer dans les sectionspar peur des terroristes plutôt que par courage politique,n'étaient pas faciles à décider. D'abord l'insurrection neconvenait pas à leurs principes; comment, en effet, desennemis de l'anarchie pouvaient-ils attaquer le pouvoirétabli et reconnu? Les partis, il est vrai, craignent peu lescontradictions: mais comment des bourgeois, qui n'étaientjamais sortis de leurs comptoirs ou de leurs maisons,oseraient-ils attaquer des troupes de ligne, armées decanons? Cependant les intrigans royalistes, les ambitieux,se jetèrent dans les sections, parlèrent d'intérêt public etd'honneur; ils dirent qu'il n'y avait pas de sûreté à êtregouverné encore par des conventionnels; qu'on resteraittoujours exposé au terrorisme, que du reste il était honteux

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de reculer et de se laisser soumettre. On s'adressa à lavanité. Les jeunes gens qui revenaient des armées firentgrand bruit, entraînèrent les timides, les empêchèrent demanifester leurs craintes, et tout se prépara pour un coupd'éclat. Des groupes de jeunes gens parcouraient les ruesen criant: A bas les deux tiers! Lorsque les soldats de laconvention voulaient les disperser et les empêcher deproférer des cris séditieux, ils ripostaient à coups de fusil. Ily eut différentes émeutes, le plusieurs coups de feu aumilieu même du Palais-Royal.

Lemaître et ses collègues, voyant le succès de leursprojets, avaient fait venir à Paris plusieurs chefs dechouans et un certain nombre d'émigrés; ils les tenaientcachés, et n'attendaient que le premier signal pour les faireparaître. Ils avaient réussi à provoquer des mouvemens àOrléans, à Chartres, à Dreux, à Verneuil et à Nonancourt. AChartres, un représentant, Letellier, n'ayant pu empêcherune émeute, s'était brûlé la cervelle. Quoique cesmouvemens eussent été réprimés, un succès à Parispouvait entraîner un mouvement général. Rien ne fut oubliépour le fomenter, et bientôt le succès des conspirateursparut complet.

Le projet de l'insurrection n'était pas encore résolu; maisles honnêtes bourgeois de Paris se laissaient peu à peuentraîner par des jeunes gens et des intrigans. Bientôt ilsallaient, de bravades en bravades, se trouver engagésirrévocablement. La section Lepelletier était toujours la plus

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agitée. Ce qu'il fallait, avant de songer à aucune tentative,c'était, comme nous l'avons dit, établir une directioncentrale. On en cherchait depuis longtemps le moyen. Onpensa que l'assemblée des électeurs, nommée par toutesles assemblées primaires de Paris, pourrait devenir cetteautorité centrale; mais, d'après le dernier décret, cetteassemblée ne devait pas se réunir avant le 20; et on nevoulait pas attendre aussi longtemps. La sectionLepelletier imagina alors un arrêté, fondé sur un motifassez singulier. La constitution, disait-elle, ne mettait quevingt jours d'intervalle entre la réunion des assembléesprimaires et celle des assemblées électorales. Lesassemblées primaires s'étaient réunies cette fois le 20fructidor, les assemblées électorales devaient donc seréunir le 10 vendémiaire. La convention n'avait fixé cetteréunion que pour le 20; mais c'était évidemment pourretarder encore la mise en activité de la constitution et lepartage du pouvoir avec le nouveau tiers. En conséquence,pour sauvegarder les droits de citoyens, la sectionLepelletier arrêtait que les électeurs déjà nommés seréuniraient sur-le-champ; elle communiqua l'arrêté auxautres sections pour le leur faire approuver. Il le fut parplusieurs d'entre elles. La réunion fut fixée pour le 11, auThéâtre-Français (salle de l'Odéon).

Le 11 vendémiaire (3 octobre), une partie des électeurs serassembla dans la salle du théâtre, sous la protection dequelques bataillons de la garde nationale. Une multitude decurieux accoururent sur la place de l'Odéon, et formèrent

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bientôt un rassemblement considérable. Les comités desûreté générale et de salut public, les trois représentansqui depuis le 4 prairial avaient conservé la direction de laforce armée, étaient toujours réunis dans les occasionsimportantes. Ils coururent à la convention lui dénoncer cettepremière démarche, qui dénotait évidemment un projetd'insurrection. La convention était assemblée pour célébrerune fête funèbre dans la salle de ses séances, en l'honneurdes malheureux girondins. On voulait remettre la fête;Tallien s'y opposa; il dit qu'il ne serait pas digne del'assemblée de l'interrompre, et qu'elle devait vaquer à sestravaux accoutumés, au milieu de tous les périls. On renditun décret portant l'ordre de se séparer, à toute réuniond'électeurs, formée ou d'une manière illégale, ou avant leterme prescrit, ou pour un objet étranger à ses fonctionsélectorales. Pour ouvrir une issue à ceux qui auraient enviede reculer, on ajouta au décret que tous ceux qui, entraînésà des démarches illégales, rentreraient immédiatementdans le devoir, seraient exempts de poursuites. Sur-le-champ des officiers de police, escortés seulement de sixdragons, furent envoyés sur la place de l'Odéon pour fairela proclamation du décret. Les comités voulaient autantque possible éviter l'emploi de la force. La foule s'étaitaugmentée à l'Odéon, surtout vers la nuit. L'intérieur duthéâtre était mal éclairé; une multitude de sectionnairesoccupaient les loges; ceux qui prenaient une part active àl'événement se promenaient sur le théâtre avec agitation.On n'osait rien délibérer, rien décider. En apprenantl'arrivée des officiers de police chargés de lire le décret, on

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courut sur la place de l'Odéon. Déjà la foule les avaitentourés; on se précipita sur eux, on éteignit les torchesqu'ils portaient, et on obligea les dragons à s'enfuir. Onrentra alors dans la salle du théâtre, en s'applaudissant dece succès; on fit des discours, on se promit avec sermentde résister à la tyrannie; mais aucune mesure ne fut prisepour appuyer la démarche décisive qu'on venait de faire.La nuit s'avançait: beaucoup de curieux et de sectionnairesse retiraient; la salle commença à se dégarnir, et finit parêtre abandonnée tout à fait à l'approche de la force armée,qui arriva bientôt. En effet, les comités avaient ordonné augénéral Menou, nommé, depuis le 4 prairial, général del'armée de l'intérieur, de faire avancer une colonne ducamp des Sablons. La colonne arriva avec deux pièces decanon, et ne trouva plus personne ni sur la place, ni dans lasalle de l'Odéon.

Cette scène, quoique sans résultat, causa néanmoins unegrande émotion. Les sectionnaires venaient d'essayerleurs forces, et avaient pris quelque courage, comme ilarrive toujours après une première incartade. Laconvention et ses partisans avaient vu avec effroi lesévénemens de cette journée, et, plus prompts à croire auxrésolutions de leurs adversaires, que leurs adversaires àles former, ils n'avaient plus douté de l'insurrection. Lespatriotes, mécontens de la convention, qui les avait sirudement traités, mais pleins de leur ardeur accoutumée,sentirent qu'il fallait immoler leurs ressentimens à leurcause; et, dans la nuit même, ils accoururent en foule

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auprès des comités pour offrir leurs bras et demander desarmes. Les uns étaient sortis la veille des prisons, lesautres venaient d'être exclus des assemblées primaires:tous avaient les plus grands motifs de zèle. A eux sejoignaient une foule d'officiers, rayés des rôles de l'arméepar le réacteur Aubry. Les thermidoriens, dominant toujoursdans les comités, et entièrement revenus à la Montagne,n'hésitèrent pas à accueillir les offres des patriotes, et leuravis fut appuyé par plus d'un girondin. Louvet, dans desréunions qui avaient lieu chez un ami commun desgirondins et des thermidoriens, avait déjà proposé deréarmer les faubourgs, de rouvrir même les jacobins, saufà les fermer ensuite si cela devenait encore nécessaire.On n'hésita donc pas à délivrer des armes à tous lescitoyens qui se présentèrent; on leur donna pour officiersles militaires qui étaient à Paris sans emploi. Le vieux etbrave général Berruyer fut chargé de les commander. Cetarmement se fit dans la matinée même du 12. Le bruit s'enrépandit sur-le-champ dans tous les quartiers. Ce fut unexcellent prétexte pour les agitateurs des sections, quicherchaient à compromettre les paisibles citoyens deParis. La convention voulait, disaient-ils, recommencer laterreur; elle venait de réarmer les terroristes; elle allait leslancer sur les honnêtes gens; les propriétés, les personnes,n'étaient plus en sûreté; il fallait courir aux armes pour sedéfendre. En effet, les sections de Lepelletier, de la Butte-des-Moulins, du Contrat-Social, du Théâtre-Français, duLuxembourg, de la rue Poissonnière, de Brutus, duTemple, se déclarèrent en rébellion, firent battre la

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générale dans leurs quartiers, et enjoignirent à tous lescitoyens de la garde nationale de se rendre à leursbataillons, pour veiller à la sûreté publique, menacée parles terroristes. La section Lepelletier se constitua aussitôten permanence, et devint le centre de toutes les intriguescontre-révolutionnaires. Les tambours et les proclamateursdes sections se répandirent dans Paris avec une singulièreaudace, et donnèrent le signal du soulèvement. Lescitoyens, ainsi excités par les bruits qu'on répandait, serendirent en armes à leurs sections, prêts à céder à toutesles suggestions d'une jeunesse imprudente et d'une factionperfide.

La convention se déclara aussitôt en permanence, etsomma ses comités de veiller à la sûreté publique et àl'exécution de ses décrets. Elle rapporta la loi qui ordonnaitle désarmement des patriotes, et légalisa ainsi lesmesures prises par ses comités; mais elle fit en mêmetemps une proclamation pour calmer les habitans de Paris,et pour les rassurer sur les intentions et le patriotisme deshommes auxquels on venait de rendre leurs armes.

Les comités, voyant que la section Lepelletier devenait lefoyer de toutes les intrigues, et serait peut-être bientôt lequartier-général des rebelles, arrêtèrent que la sectionserait entourée et désarmée le jour même. Menou reçut denouveau l'ordre de quitter les Sablons avec un corps detroupes et des canons. Ce général Menou, bon officier,citoyen doux et modéré, avait eu pendant la révolution

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l'existence la plus pénible et la plus agitée. Chargé decombattre dans la Vendée, il avait été en butte à toutes lesvexations du parti Ronsin. Traduit à Paris, menacé d'unjugement, il n'avait dû la vie qu'au 9 thermidor. Nommégénéral de l'armée de l'intérieur au 4 prairial, et chargé demarcher sur les faubourgs, il avait eu alors à combattre deshommes qui étaient ses ennemis naturels, qui étaientd'ailleurs poursuivis par l'opinion, qui enfin, dans leurénergie, ménageaient trop peu la vie des autres pour qu'onse fit scrupule de sacrifier la leur; mais aujourd'hui c'était labrillante population de la capitale, c'était la jeunesse desmeilleures familles, c'était la classe enfin qui faisaitl'opinion, qu'il lui fallait mitrailler si elle persistait dans sonimprudence. Il était donc dans une cruelle perplexité,comme il arrive toujours à l'homme faible, qui ne sait nirenoncer à sa place, ni se résoudre à une commissionrigoureuse. Il fit marcher ses colonnes fort tard; il laissa lessections proclamer tout ce qu'elles voulurent pendant lajournée du 12; il se mit ensuite à parlementer secrètementavec quelques-uns de leurs chefs, au lieu d'agir; il déclaramême aux trois représentans chargés de diriger la forcearmée, qu'il ne voulait pas avoir sous ses ordres lebataillon des patriotes. Les représentans lui répondirentque ce bataillon était sous les ordres du général Berruyerseul. Ils le pressèrent d'agir, sans dénoncer encore auxdeux comités ses hésitations et sa mollesse. Ils virentd'ailleurs la même répugnance chez plus d'un officier, etentre autres chez les deux généraux de brigade Despierreet Debar, qui, prétextant une maladie, ne se trouvaient pas

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à leur poste. Enfin, vers la nuit, Menou s'avança avec lereprésentant Laporte sur la section Lepelletier. Ellesiégeait au couvent des Filles-Saint-Thomas, qui a étéremplacé depuis par le bel édifice de la Bourse. On s'yrendait par la rue Vivienne. Menou entassa son infanterie,sa cavalerie, ses canons, dans cette rue, et se mit dansune position où il aurait combattu avec peine, enveloppépar la multitude des sectionnaires qui fermaient toutes lesissues, et qui remplissaient les fenêtres des maisons.Menou fit rouler ses canons jusqu'à la porte du couvent, etentra avec le représentant Laporte et un bataillon dans lasalle même de la section. Les membres de la section, aulieu d'être formés en assemblée délibérante, étaientarmés, rangés en ligne, ayant leur président en tête: c'étaitM. Delalot. Le général et le représentant les sommèrent derendre leurs armes; ils s'y refusèrent. Le président Delalot,voyant l'hésitation avec laquelle on faisait cette sommation,y répondit avec chaleur, parla aux soldats de Menou avecà-propos et présence d'esprit, et déclara qu'il faudrait envenir aux dernières extrémités pour arracher les armes à lasection. Combattre dans cet espace étroit, ou se retirerpour foudroyer la salle à coups de canon, était unealternative douloureuse. Cependant, si Menou eût parléavec fermeté, et braqué son artillerie, il est douteux que larésolution des sectionnaires se fût maintenue jusqu'aubout. Menou et Laporte aimèrent mieux une capitulation; ilspromirent de faire retirer les troupes conventionnelles, àcondition que la section se séparerait sur-le-champ; ellepromit ou feignit de le promettre. Une partie du bataillon

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défila comme pour se retirer. Menou, de son côté, sortitavec sa troupe, et fit rebrousser chemin à ses colonnes quieurent peine à traverser la foule amassée dans lesquartiers environnans. Tandis qu'il avait la faiblesse decéder devant la fermeté de la section Lepelletier, celle-ciétait rentrée dans le lieu de ses séances, et, fière d'avoirrésisté, s'enhardissait davantage dans sa rébellion. Lebruit se répandit sur-le-champ que les décrets n'étaient pasexécutés, que l'insurrection restait victorieuse; que lestroupes revenaient sans avoir fait triompher l'autorité de laconvention. Une foule de témoins de cette scène coururentaux tribunes de l'assemblée, qui était en permanence,avertirent les députés, et on entendit crier de tous côtés:Nous sommes trahis! nous sommes trahis! à la barre legénéral Menou! On somma les comités de venir donnerdes explications.

Dans ce moment, les comités, avertis de ce qui venait dese passer, étaient dans la plus grande agitation. On voulaitarrêter Menou, et le juger sur-le-champ. Cependant cela neremédiait à rien; il fallait suppléer à ce qu'il n'avait pas fait.Mais quarante membres, discutant des mesuresd'exécution, étaient peu propres à s'entendre et à agir avecla vigueur et la précision nécessaires. Trois représentans,chargés de diriger la force armée, n'étaient pas non plusune autorité assez énergique. On songea à nommer unchef comme dans toutes les occasions décisives; et danscet instant, qui rappelait tous les dangers de thermidor, onsongea au député Barras, qui, en sa qualité de général de

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brigade, avait reçu le commandement dans cette journéefameuse, et s'en était acquitté avec toute l'énergiedésirable. Le député Barras avait une grande taille, unevoix forte; il ne pouvait pas faire de longs discours, mais ilexcellait à improviser quelques phrases énergiques etvéhémentes, qui donnaient de lui l'idée d'un homme résoluet dévoué. On le nomma général de l'armée de l'intérieur,et on lui donna comme adjoints les trois représentanschargés avant lui de diriger la force armée. Unecirconstance rendait ce choix fort heureux. Barras avaitauprès de lui un officier très capable de commander, et iln'aurait pas eu la petitesse d'esprit de vouloir écarter unhomme plus habile que lui. Tous les députés, envoyés enmission à l'armée d'Italie, connaissaient le jeune officierd'artillerie qui avait décidé la prise de Toulon, et fait tomberSaorgio et les lignes de la Roya. Ce jeune officier, devenugénéral de brigade, avait été destitué par Aubry, et setrouvait à Paris en non-activité, réduit presque àl'indigence. Il avait été introduit chez madame Tallien, quil'accueillit avec sa bonté accoutumée, et qui mêmesollicitait pour lui. Sa taille était grêle et peu élevée, sesjoues caves et livides; mais ses beaux traits, ses yeux fixeset perçans, son langage ferme et original, attiraientl'attention. Souvent il parlait d'un théâtre de guerre décisif,où la république trouverait des victoires et la paix: c'étaitl'Italie. Il y revenait constamment. Aussi, lorsque les lignesde l'Apennin furent perdues sous Kellermann, on l'appelaau comité pour lui demander son avis. On lui confia dèslors la rédaction des dépêches, et il demeura attaché à la

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direction des opérations militaires. Barras songea à lui le12 vendémiaire dans la nuit; il le demanda pourcommandant en second, ce qui fut accordé.

Les deux choix, soumis à la convention dans la nuit même,furent approuvés sur-le-champ. Barras confia le soin desdispositions militaires au jeune général, qui à l'instant sechargea de tout, et se mit à donner des ordres avec uneextrême activité. La générale avait continué de battre danstous les quartiers. Des émissaires étaient allés de touscôtés vanter la résistance et le succès de la sectionLepelletier, exagérer ses dangers, persuader que cesdangers étaient communs à toutes les sections, les piquerd'honneur, les exciter à égaler les grenadiers du quartierSaint-Thomas. On était accouru de toutes parts, et uncomité central et militaire s'était formé enfin dans la sectionLepelletier, sous la présidence du journaliste Richer-Serizy.Le projet d'une insurrection était arrêté: les bataillons seformaient, tous les hommes irrésolus étaient entraînés, et labourgeoisie tout entière de Paris, égarée par un faux pointd'honneur, allait jouer un rôle qui convenait peu à seshabitudes et à ses intérêts.

Il n'était plus temps de songer à marcher sur la sectionLepelletier pour étouffer l'insurrection dans sa naissance.La convention avait environ cinq mille hommes de troupesde ligne. Si toutes les sections déployaient le même zèle,elles pouvaient réunir quarante mille hommes, bien arméset bien organisés; et ce n'était pas avec cinq mille hommes

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que la convention pouvait marcher contre quarante mille, àtravers les rues d'une grande capitale. On pouvait tout auplus espérer de défendre la convention, et d'en faire uncamp bien retranché. C'est à quoi songea le généralBonaparte. Les sections étaient sans canons; elles lesavaient toutes déposés lors du 4 prairial; et les plusardentes aujourd'hui furent alors les premières à donner cetexemple, pour assurer le désarmement du faubourg Saint-Antoine. C'était un grand avantage pour la convention. Leparc entier se trouvait au camp des Sablons. Bonaparteordonna sur-le-champ au chef d'escadron Murat d'aller lechercher à la tête de trois cents chevaux. Ce chefd'escadron arriva au moment même où un bataillon de lasection Lepelletier venait pour s'emparer du parc; ildevança ce bataillon, fit atteler les pièces, et les amenaaux Tuileries. Bonaparte s'occupa ensuite d'armer toutesles issues. Il avait cinq mille soldats de ligne, une troupe depatriotes qui, depuis la veille, s'était élevée à environquinze cents, quelques gendarmes des tribunaux,désarmés en prairial et réarmés dans cette occasion, enfinla légion de police et quelques invalides, le tout faisant àpeu près huit mille hommes. Il distribua son artillerie et sestroupes dans des rues cul-de-sac Dauphin, l'Échelle,Rohan, Saint-Nicaise, au Pont-Neuf, Pont-Royal, Pont-Louis XVI, sur les places Louis XV et Vendôme, sur tousles points enfin où la convention était accessible. Il plaçason corps de cavalerie et une partie de son infanterie enréserve au Carrousel et dans le jardin des Tuileries. Ilordonna que tous les vivres qui étaient dans Paris fussent

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transportés aux Tuileries, qu'il y fût établi un dépôt demunitions et une ambulance pour les blessés; il envoya undétachement s'emparer du dépôt de Meudon, et enoccuper les hauteurs, pour s'y retirer avec la convention encas d'échec; il fit intercepter la route de Saint-Germain,pour empêcher qu'on n'amenât des canons aux révoltés, ettransporter des caisses d'armes au faubourg Saint-Antoine, pour armer la section des Quinze-Vingts, qui avaitseule voté pour les décrets, et dont Fréron était alléréveiller le zèle. Ces dispositions étaient achevées dans lamatinée du 13. Ordre fut donné aux troupes républicainesd'attendre l'agression et de ne pas la provoquer.

Dans cet intervalle de temps, le comité d'insurrection établià la section Lepelletier avait fait aussi ses dispositions. Ilavait mis les comités de gouvernement hors la loi, et crééune espèce de tribunal pour juger ceux qui résisteraient àla souveraineté des sections. Plusieurs généraux étaientvenus lui offrir leurs services: un Vendéen connu sous lenom de comte de Maulevrier, et un jeune émigré, appeléLafond, sortirent de leur retraite pour diriger le mouvement.Les généraux Duhoux et Danican, qui avaient commandéles armées républicaines en Vendée, s'étaient joints à eux.Danican était un esprit inquiet, plus propre à déclamerdans un club qu'à commander une armée; il avait été amide Hoche, qui le gourmandait souvent pour sesinconséquences. Destitué, il était à Paris, fort mécontentdu gouvernement, et prêt à entrer dans les plus mauvaisprojets; il fut fait général en chef des sections. Le parti étant

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pris de se battre, tous les citoyens se trouvant engagésmalgré eux, on forma une espèce de plan. Les sections dufaubourg Saint-Germain, sous les ordres du comte deMaulevrier, devaient partir de l'Odéon pour attaquer lesTuileries par les ponts; les sections de la rive droitedevaient attaquer par la rue Saint-Honoré et par toutes lesrues transversales qui aboutissent de la rue Saint-Honoréaux Tuileries. Un détachement, sous les ordres du jeuneLafond, devait s'emparer du Pont-Neuf, afin de mettre encommunication les deux divisions de l'armée sectionnaire.On plaça en tête des colonnes les jeunes gens qui avaientservi dans les armées, et qui étaient les plus capables debraver le feu. Sur les quarante mille hommes de la gardenationale, vingt ou vingt-sept mille hommes au plus étaientprésens sous les armes. Il y avait une manoeuvrebeaucoup plus sûre que celle de se présenter en colonnesprofondes au feu des batteries; c'était de faire desbarricades dans les rues, d'enfermer ainsi l'assemblée etses troupes dans les Tuileries, de s'emparer des maisonsenvironnantes, de diriger de là un feu meurtrier, de tuer unà un les défenseurs de la convention, et de les réduirebientôt ainsi par la faim et les balles. Mais lessectionnaires ne songeaient qu'à un coup de main, etcroyaient, par une seule charge, arriver jusqu'au palais ets'en faire ouvrir les portes.

Dans la matinée même, la section Poissonnière arrêta leschevaux de l'artillerie et les armes, dirigées vers la sectiondes Quinze-Vingts; celle du Mont-Blanc enleva les

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subsistances destinées aux Tuileries; un détachement dela section Lepelletier s'empara de la trésorerie. Le jeuneLafond, à la tête de plusieurs compagnies, se porta vers lePont-Neuf, tandis que d'autres bataillons venaient par larue Dauphine. Le général Carteaux était chargé de garderce pont avec quatre cents hommes et quatre pièces decanon. Ne voulant pas engager le combat, il se retira sur lequai du Louvre. Les bataillons des sections vinrent partoutse ranger à quelques pas des postes de la convention, etassez près pour s'entretenir avec les sentinelles.

Les troupes de la convention auraient eu un grandavantage à prendre l'initiative, et probablement, en faisantune attaque brusque, elles auraient mis le désordre parmiles assaillans; mais il avait été recommandé aux générauxd'attendre l'agression. En conséquence, malgré les actesd'hostilité déjà commis, malgré l'enlèvement des chevauxde l'artillerie, malgré la saisie des subsistances destinéesà la convention, et des armes envoyées aux Quinze-Vingts,malgré la mort d'un hussard d'ordonnance, tué dans la rueSaint-Honoré, on persista encore à ne pas attaquer.

La matinée s'était écoulée en préparatifs de la part dessections, en attente de la part de l'armée conventionnelle,lorsque Danican, avant de commencer le combat, crutdevoir envoyer un parlementaire aux comités pour leur offrirdes conditions. Barras et Bonaparte parcouraient lespostes, lorsque le parlementaire leur fut amené les yeuxbandés, comme dans une place de guerre. Ils le firent

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conduire devant les comités. Le parlementaire s'exprimad'une manière fort menaçante, et offrit la paix, à conditionqu'on désarmerait les patriotes, et que les décrets des 5 et13 fructidor seraient rapportés. De telles conditionsn'étaient pas acceptables, et d'ailleurs il n'y en avait point àécouter. Cependant les comités, tout en délibérant de nepas répondre, résolurent de nommer vingt-quatre députéspour aller fraterniser avec les sections, moyen qui avaitsouvent réussi, car la parole touche beaucoup lorsqu'on estprêt à en venir aux mains, et on se prête volontiers à unarrangement qui dispense de s'égorger. CependantDanican, ne recevant pas de réponse, ordonna l'attaque.On entendit des coups de feu; Bonaparte fit apporter huitcents fusils et gibernes dans une des salles de laconvention, pour en armer les représentans eux-mêmes,qui serviraient, en cas de besoin, comme un corps deréserve. Cette précaution fit sentir toute l'étendue du péril.Chaque député courut prendre sa place, et, suivant l'usagedans les momens de danger, l'assemblée attendit dans leplus profond silence le résultat de ce combat, le premiercombat en règle qu'elle eût encore livré contre les factionsrévoltées.

Il était quatre heures et demie; Bonaparte, accompagné deBarras, monte à cheval dans la cour des Tuileries, et courtau poste du cul-de-sac Dauphin, faisant face à l'égliseSaint-Roch. Les bataillons sectionnaires remplissaient larue Saint-Honoré, et venaient aboutir jusqu'à l'entrée du cul-de-sac. Un de leurs meilleurs bataillons s'était posté sur les

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degrés de l'église Saint-Roch, et il était placé là d'unemanière avantageuse pour tirailler sur les canonnièreconventionnels. Bonaparte, qui savait apprécier lapuissance des premiers coups, fait sur-le-champ avancerses pièces, et ordonne une première décharge. Lessectionnaires répondent par un feu de mousqueterie très-vif; mais Bonaparte, les couvrant de mitraille, les oblige àse replier sur les degrés de l'église Saint-Roch; ildébouche sur-le-champ dans la rue Saint-Honoré, et lancesur l'église même une troupe de patriotes qui se battaient àses côtés avec la plus grande valeur, et qui avaient decruelles injures à venger. Les sectionnaires, après une viverésistance, sont délogés. Bonaparte, tournant aussitôt sespièces à droite et à gauche, fait tirer dans toute la longueurde la rue Saint-Honoré. Les assaillans fuient aussitôt detoutes parts, et se retirent dans le plus grand désordre.Bonaparte laisse alors à un officier le soin de continuer lefeu et d'achever la défaite; il remonte vers le Carrousel, etcourt aux autres postes. Partout il fait tirer à mitraille, et voitpartout fuir ces malheureux sectionnaires imprudemmentexposés en colonnes profondes aux effets de l'artillerie.Les sectionnaires, quoique ayant en tête de leurs colonnesdes hommes fort braves, fuient en toute hâte vers lequartier-général des Filles-Saint-Thomas. Danican et leschefs reconnaissent alors la faute qu'ils ont faite enmarchant sur les pièces, au lieu de se barricader et de seloger dans les maisons voisines des Tuileries. Cependantils ne perdent pas courage, et se décident à un nouveleffort. Ils imaginent de se joindre aux colonnes qui viennent

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du faubourg Saint-Germain, pour faire une attaquecommune sur les ponts. En effet, ils rallient six à huit millehommes, les dirigent vers le Pont-Neuf, où était postéLafond avec sa troupe, et se réunissent aux bataillonsvenant de la rue Dauphine, sous le commandement ducomte Maulevrier. Tous ensemble s'avancent en colonneserrée, du Pont-Neuf sur le Pont-Royal, en suivant le quaiVoltaire. Bonaparte, présent partout où le danger l'exige,est accouru sur les lieux. Il place plusieurs batteries sur lequai des Tuileries, qui est parallèle au quai Voltaire; il faitavancer les canons placés à la tête du Pont-Royal, et lesfait pointer de manière à enfiler le quai par lequel arriventles assaillans. Ces mesures prises, il laisse approcher lessectionnaires; puis tout-à-coup il ordonne le feu. Lamitraille part du pont, et prend les sectionnaires de front;elle part en même temps du quai des Tuileries, et les prenden écharpe; elle porte la terreur et la mort dans leurs rangs.Le jeune Lafond, plein de bravoure, rallie autour de lui seshommes les plus fermes, et marche de nouveau sur le pont,pour s'emparer des pièces. Un feu redoublé emporte sacolonne. Il veut en vain la ramener une dernière fois, elle fuitet se disperse sous les coups d'une artillerie bien dirigée.

A six heures, le combat, commencé à quatre heures etdemie, était achevé. Bonaparte alors, qui avait mis uneimpitoyable énergie dans l'action, et qui avait tiré sur lapopulation de la capitale comme sur des bataillonsautrichiens, ordonne de charger les canons à poudre, pourachever de chasser la révolte devant lui. Quelques

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sectionnaires s'étaient retranchés à la place Vendôme,dans l'église Saint-Roch et dans le Palais-Royal; il faitdéboucher ses troupes par toutes les issues de la rueSaint-Honoré, et détache un corps qui, partant de la placeLouis XV, traverse la rue Royale et longe les boulevarts. Ilbalaie ainsi la place Vendôme, dégage l'église Saint-Roch, investit le Palais-Royal, et le bloque pour éviter uncombat de nuit.

Le lendemain matin, quelques coups de fusil suffirent pourfaire évacuer le Palais-Royal et la section Lepelletier, oùles rebelles avaient formé le projet de se retrancher.Bonaparte fit enlever quelques barricades formées près dela barrière des Sergens, et arrêter un détachement quivenait de Saint-Germain amener des canons auxsectionnaires. La tranquillité fut entièrement rétablie dansla journée du 14. Les morts furent enlevés sur-le-champpour faire disparaître toutes les traces de ce combat. Il yavait eu, de part et d'autre, trois à quatre cents morts oublessés.

Cette victoire causa une grande joie à tous les amissincères de la république, qui n'avaient pu s'empêcher dereconnaître dans ce mouvement l'influence du royalisme;elle rendit à la convention menacée, c'est-à-dire à larévolution et à ses auteurs, l'autorité dont ils avaient besoinpour l'établissement des institutions nouvelles. Cependantl'avis unanime fut de ne point user sévèrement de lavictoire. Un reproche était tout prêt contre la convention; on

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allait dire qu'elle n'avait combattu qu'au profit du terrorisme,et pour le rétablir. Il importait qu'on ne pût pas lui imputer leprojet de verser du sang. D'ailleurs les sectionnairesprouvaient qu'ils étaient de médiocres conspirateurs, etqu'ils étaient loin d'avoir l'énergie des patriotes; ils s'étaienthâtés de rentrer dans leurs maisons, satisfaits d'en êtrequittes à si bon marché, et tout fiers d'avoir bravé un instantces canons qui avaient si souvent rompu les lignes deBrunswick et de Cobourg. Pourvu qu'on les laissâts'applaudir chez eux de leur courage, ils n'étaient plusguère dangereux. En conséquence, la convention secontenta de destituer l'état-major de la garde nationale, dedissoudre les compagnies de grenadiers et de chasseurs,qui étaient les mieux organisées et qui renfermaientpresque tous les jeunes gens à cadenettes, de mettre àl'avenir la garde nationale sous les ordres du généralcommandant l'armée de l'intérieur, d'ordonner ledésarmement de la section Lepelletier et de celle duThéâtre-Français, et de former trois commissions pourjuger les chefs de la rébellion, qui, du reste, avaientpresque tous disparu.

Les compagnies de grenadiers et de chasseurs selaissèrent dissoudre; les deux sections Lepelletier et duThéâtre-Français remirent leurs armes sans résistance;chacun se soumit. Les comités, entrant dans ces vues declémence, laissèrent s'évader tous les coupables, ousouffrirent qu'ils restassent dans Paris, où ils se cachaientà peine. Les commissions ne prononcèrent que des

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jugemens par contumace. Un seul des chefs fut arrêté:c'était le jeune Lafond. Il avait inspiré quelque intérêt parson courage; on voulait le sauver, mais il s'obstina àdéclarer sa qualité d'émigré, à avouer sa rébellion, et on neput lui faire grâce. La tolérance fut telle, que l'un desmembres de la commission formée à la sectionLepelletier, M. de Castellane, rencontrant la nuit unepatrouille qui lui criait qui vive! répondit: Castellane,contumace! Les suites du 13 vendémiaire ne furent doncpoint sanglantes, et la capitale n'en fut nullement attristée.Les coupables se retiraient ou se promenaient librement,et les salons n'étaient occupés que du récit des exploitsqu'ils osaient avouer. Sans punir ceux qui l'avaientattaquée, la convention se contentait de récompenser ceuxqui l'avaient défendue; elle déclara qu'ils avaient bienmérité de la patrie; elle leur vota des secours, et fit unaccueil brillant à Barras et à Bonaparte. Barras, déjàcélèbre depuis le 9 thermidor, le devint beaucoup plusencore par la journée de vendémiaire; on lui attribua lesalut de la convention. Cependant il ne craignit pas de fairepart d'une portion de sa gloire à son jeune lieutenant.«C'est le général Bonaparte, dit-il, dont les dispositionspromptes et savantes ont sauvé cette enceinte.» Onapplaudit ces paroles. Le commandement de l'armée del'intérieur fut confirmé à Barras, et le commandement ensecond à Bonaparte.

Les intrigans royalistes éprouvèrent un singulier mécompteen voyant l'issue de l'insurrection du 13. Ils se hâtèrent

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d'écrire à Vérone qu'ils avaient été trompés par tout lemonde; que l'argent avait manqué; que là où il fallait del'or, on avait à peine du vieux linge; que les députésmonarchiens, ceux desquels ils avaient des promesses,les avaient trompés, et avaient joué un jeu infâme; quec'était une race jacobinaire à laquelle il ne fallait pas sefier; que malheureusement on n'avait pas assezcompromis et engagé ceux qui voulaient servir la cause;que les royalistes de Paris à collet noir, à collet vert et àcadenettes, qui étalaient leurs fanfaronnades aux foyersdes spectacles, étaient allés, au premier coup de fusil, secacher sous le lit des femmes qui les souffraient.

Lemaître, leur chef, venait d'être arrêté avec d'autresinstigateurs de la section Lepelletier. On avait saisi chez luiune quantité de papiers: les royalistes craignaient que cespapiers ne trahissent le secret du complot, et surtout queLemaître ne parlât lui-même. Cependant ils ne perdirentpas courage; leurs affidés continuèrent d'agir auprès dessectionnaires. L'espèce d'impunité dont ceux-ci jouissaientles avait enhardis. Puisque la convention, quoiquevictorieuse, n'osait pas les frapper, elle reconnaissait doncque l'opinion était pour eux; elle n'était donc pas sûre de lajustice de sa cause, puisqu'elle hésitait. Quoique vaincus,ils étaient plus fiers et plus hauts qu'elle, et ils reparurentdans les assemblées électorales, pour y faire des électionsconformes à leurs voeux. Les assemblées devaient seformer le 20 vendémiaire, et durer jusqu'au 30; le nouveaucorps législatif devait être réuni le 5 brumaire. A Paris, les

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corps législatif devait être réuni le 5 brumaire. A Paris, lesagens royalistes firent nommer le conventionnel Saladin,qu'ils avaient déjà gagné. Dans quelques départemens, ilsprovoquèrent des rixes; on vit des assemblées électoralesfaire scission, et se partager en deux.

Ces menées, ce retour de hardiesse contribuèrent à irriterbeaucoup les patriotes qui avaient vu, dans la journée du13, se réaliser tous leurs pronostics; ils étaient fiers à lafois d'avoir deviné juste, et d'avoir vaincu par leur couragele danger qu'ils avaient si bien prévu. Ils voulaient que lavictoire ne fût pas inutile pour eux, qu'elle amenât dessévérités contre leurs adversaires, et des réparations pourleurs amis détenus dans les prisons; ils firent des pétitions,dans lesquelles ils demandaient l'élargissement desdétenus, la destitution des officiers nommés par Aubry, lerétablissement dans leurs grades de ceux qui avaient étédestitués, le jugement des députés enfermés, et leurréintégration sur les listes électorales, s'ils étaientinnocens. La Montagne, appuyée par les tribunes toutesremplies de patriotes, applaudissait à ces demandes, etréclamait avec énergie leur adoption. Tallien, qui s'étaitrapproché d'elle, et qui était le chef civil du parti dominant,comme Barras en était le chef militaire, Tallien tâchait de lacontenir; il fit écarter la dernière demande relative à laréintégration sur les listes des députés détenus, commecontraire aux décrets des 5 et 13 fructidor. Ces décrets, eneffet, déclaraient inéligibles les députés actuellementsuspendus de leurs fonctions. Cependant la Montagnen'était pas plus facile à contenir que les sectionnaires; et

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les derniers jours de cette assemblée, qui n'avait plusqu'une décade à siéger, semblaient ne pouvoir pas sepasser sans orage.

Les nouvelles des frontières contribuaient aussi àaugmenter l'agitation, en excitant les défiances despatriotes et les espérances inextinguibles des royalistes.On a vu que Jourdan avait passé le Rhin à Dusseldorf, ets'était avancé sur la Sieg; que Pichegru était entré dansManheim, et avait jeté une division au-delà du Rhin. Desévénemens aussi heureux n'avaient inspiré aucune grandepensée à ce Pichegru tant vanté, et il avait prouvé ici ou saperfidie ou son incapacité. D'après les analogiesordinaires, c'est à son incapacité qu'il faudrait attribuer sesfautes; car, même avec le désir de trahir, on ne refusejamais l'occasion de grandes victoires; elles serventtoujours à se mettre à plus haut prix. Cependant descontemporains dignes de foi ont pensé qu'il fallait attribuerses fausses manoeuvres à sa trahison; il est ainsi le seulgénéral connu dans l'histoire qui se soit fait battrevolontairement. Ce n'est pas un corps seulement qu'ildevait jeter au-delà de Manheim, mais toute son armée,pour s'emparer d'Heidelberg, qui est le point essentiel oùse croisent les routes pour aller du Haut-Rhin dans lesvallées du Necker et du Mein. C'était s'emparer ainsi dupoint par lequel Wurmser aurait pu se joindre à Clerfayt;c'était séparer pour jamais ces deux généraux; c'étaits'assurer la position par laquelle on pouvait se joindre àJourdan, et former avec lui une masse qui aurait accablé

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successivement Clerfayt et Wurmser. Clerfayt, sentant ledanger, quitta les bords du Mein pour courir à Heidelberg;mais son lieutenant Kwasdanovich, aidé de Wurmser, étaitparvenu à déloger d'Heidelberg la division que Pichegru yavait laissée. Pichegru était renfermé dans Manheim; etClerfayt, ne craignant plus pour ses communications avecWurmser, avait marché aussitôt sur Jourdan. Celui-ci, serréentre le Rhin et la ligne de neutralité, ne pouvant pas y vivrecomme en pays ennemi, et n'ayant aucun service organisépour tirer ses ressources des Pays-Bas, se trouvait, dèsqu'il ne pouvait ni marcher en avant, ni se réunir à Pichegru,dans une position des plus critiques. Clerfayt d'ailleurs, nerespectant pas la neutralité, s'était placé de manière àtourner sa gauche et à le jeter dans le Rhin. Jourdan nepouvait donc pas tenir là. Il fut résolu par les représentans,et de l'avis de tous les généraux, qu'il se replierait surMayence pour en faire le blocus sur la rive droite. Maiscette position ne valait pas mieux que la précédente; elle lelaissait dans la même pénurie; elle l'exposait aux coups deClerfayt dans une situation désavantageuse; elle le mettaitdans le cas de perdre sa route vers Dusseldorf; enconséquence on finit par décider qu'il battrait en retraitepour regagner le Bas-Rhin, ce qu'il fit en bon ordre, et sansêtre inquiété par Clerfayt, qui, nourrissant un grand projet,revint sur le Mein pour s'approcher de Mayence.

A cette nouvelle de la marche rétrograde de l'armée deSambre-et-Meuse, se joignaient des bruits fâcheux surl'armée d'Italie. Schérer y était arrivé avec deux belles

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divisions des Pyrénées orientales, devenues disponiblespar la paix avec l'Espagne: néanmoins on disait que cegénéral ne se croyait pas sûr de sa position, et qu'ildemandait en matériel et en approvisionnemens dessecours qu'on ne pouvait lui fournir, et sans lesquels ilmenaçait de faire un mouvement rétrograde. Enfin onparlait d'une seconde expédition anglaise qui portait lecomte d'Artois et de nouvelles troupes de débarquement.

Ces nouvelles, qui sans doute n'avaient rien de menaçantpour l'existence de la république, qui était toujoursmaîtresse du cours du Rhin, qui avait deux armées de plusà envoyer, l'une en Italie, l'autre en Vendée, qui venaitd'apprendre par l'évènement de Quiberon à compter surHoche, et à ne pas craindre les expéditions des émigrés;ces nouvelles n'en contribuèrent pas moins à réveiller lesroyalistes terrifiés par vendémiaire, et à irriter les patriotespeu satisfaits de la manière dont on avait usé de la victoire.La découverte de la correspondance de Lemaître produisitsurtout le plus fâcheux effet. On y vit tout entier le complotque l'on soupçonnait depuis long-temps; on y acquit lacertitude de l'existence d'une agence secrète établie àParis, communiquant avec Vérone, avec la Vendée, avectoutes les provinces de la France, y excitant desmouvemens contre-révolutionnaires, et ayant desintelligences avec plusieurs membres de la convention etdes comités. La vanterie même de ces misérables agens,qui se flattaient d'avoir gagné tantôt des généraux, tantôtdes députés, qui disaient avoir eu des liaisons avec les

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monarchiens et les thermidoriens, contribua à exciterdavantage les soupçons, et à les faire planer sur la têtedes députés du côté droit.

Déjà on désignait Rovère et Saladin, et on s'était procurécontre eux des preuves convaincantes. Ce dernier avaitpublié une brochure contre les décrets des 5 et 13fructidor, et venait d'en être récompensé par les suffragesdes électeurs parisiens. On signalait encore commecomplices secrets de l'agence royaliste, Lesage (d'Eure-et-Loir), La Rivière, Boissy-d'Anglas et Lanjuinais. Leursilence dans les journées des 11, 12 et 13 vendémiaire lesavait fort compromis. Les journaux contre-révolutionnaires,en les louant avec affectation, contribuaient à lescompromettre davantage encore. Ces mêmes journaux,qui louaient si fort les soixante-treize, accablaientd'outrages les thermidoriens. Il était difficile qu'une rupturene s'ensuivît pas. Les soixante-treize et les thermidorienscontinuaient toujours de se réunir chez un ami commun,mais il y avait entre eux de l'humeur et peu de confiance.Vers les derniers jours de la session, on parla, dans cetteréunion, des nouvelles élections, des intrigues du royalismepour les corrompre, et du silence de Boissy, Lanjuinais, LaRivière et Lesage, pendant les scènes de vendémiaire.Legendre, avec sa pétulance ordinaire, reprocha cesilence aux quatre députés qui étaient présents. Ceux-ciessayèrent de se justifier. Lanjuinais laissa échapper lemot fort étrange de massacre du 13 vendémiaire, etprouva ainsi ou un grand désordre d'idées ou des

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sentimens bien peu républicains. Tallien, à ce mot, entradans une violente colère, et voulut sortir, en disant qu'il nepouvait pas rester plus long-temps avec des royalistes, etqu'il allait les dénoncer à la convention. On l'entoura, on lecalma, et on tâcha de pallier le mot de Lanjuinais.Néanmoins on se sépara tout-à-fait brouillé.

Cependant l'agitation allait croissant dans Paris, lesméfiances s'augmentaient de toutes parts, les soupçonsde royalisme s'étendaient sur tout le monde. Talliendemanda que la convention se formât en comité secret, etil dénonça formellement Lesage, La Rivière, Boissy-d'Anglas et Lanjuinais. Ses preuves n'étaient passuffisantes, elles ne reposaient que sur des inductions plusou moins probables, et l'accusation ne fut point appuyée.Louvet quoique attaché aux thermidoriens, n'appuya pascependant l'accusation contre les quatre députés, quiétaient ses amis; mais il accusa Rovère et Saladin, etpeignit à grands traits leur conduite. Il retraça leursvariations du plus fougueux terrorisme au plus fougueuxroyalisme, et fit décréter leur arrestation. On arrêta aussiLhomond, compromis par Lemaître, et Aubry, auteur de laréaction militaire.

Les adversaires de Tallien demandèrent en représaille lapublication d'une lettre du prétendant au duc d'Harcourt, où,parlant de ce qu'on lui mandait de Paris, il disait: Je nepuis croire que Tallien soit un royaliste de la bonneespèce. On doit se souvenir que les agens de Paris se

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flattaient d'avoir gagné Tallien et Hoche. Leurs vanterieshabituelles, et leurs calomnies à l'égard de Hoche, suffisentpour justifier Tallien. Cette lettre fit peu d'effet, car Tallien,depuis Quiberon, et depuis sa conduite en vendémiaire,loin de passer pour royaliste, était considéré comme unterroriste sanguinaire. Ainsi, des hommes qui auraient dûs'entendre pour sauver à efforts communs une révolutionqui était leur ouvrage, se défiaient les uns des autres, et selaissaient compromettre, sinon gagner par le royalisme.Grâce aux calomnies des royalistes, les derniers jours decette illustre assemblée finissaient comme ils avaientcommencé, dans le trouble et les orages.

Tallien demanda enfin la nomination d'une commission decinq membres, chargée de proposer des mesuresefficaces pour sauver la révolution pendant la transitiond'un gouvernement à l'autre. La convention nomma Tallien,Dubois-Crancé, Florent Guyot, Roux (de la Marne), et Pons(de Verdun). Le but de cette commission était de prévenirles manoeuvres des royalistes dans les élections, et derassurer les républicains sur la composition du nouveaugouvernement. La Montagne, pleine d'ardeur, ets'imaginant que cette commission allait réaliser tous sesvoeux, crut un instant et répandit le bruit qu'on allait annulertoutes les élections, et suspendre pour quelque tempsencore la mise en activité de la constitution. Elle s'étaitpersuadé, en effet, que le moment n'était pas venud'abandonner la république à elle-même, que les royalistesn'étaient pas assez abattus, et qu'il fallait continuer quelque

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temps encore le gouvernement révolutionnaire pour lesabattre. Les contre-révolutionnaires affectèrent derépandre les mêmes bruits. Le député Thibaudeau, quijusque-là n'avait marché ni avec la Montagne, ni avec lesthermidoriens, ni avec les monarchiens, mais qui avait parunéanmoins un républicain sincère, et sur lequel trente-deuxdépartemens venaient de fixer leur choix, car on avaitl'avantage en le nommant de ne se déclarer pour aucunparti, le député Thibaudeau ne devait pas naturellement sedéfier de l'état des esprits autant que les thermidoriens. Ilcroyait que Tallien et son parti calomniaient la nation envoulant prendre tant de précautions contre elle; il supposamême que Tallien avait des projets personnels, qu'il voulaitse placer à la tête de la Montagne, et se donner unedictature, sous le prétexte de préserver la république desroyalistes. Il dénonça d'une manière virulente et amère ceprétendu projet de dictature, et fit contre Tallien une sortieimprévue, dont tous les républicains furent surpris, car ilsn'en comprenaient pas le motif. Cette sortie mêmecompromit Thibaudeau dans l'esprit des plus défians, et luifit supposer des intentions qu'il n'avait pas. Quoiqu'ilrappelât qu'il était régicide, on savait bien par les lettressaisies[7], que la mort de Louis XVI pouvait être rachetéepar de grands services rendus à ses héritiers, et cettequalité ne paraissait plus une garantie complète. Aussi,quoique ferme républicain, sa sortie contre Tallien lui nuisitdans l'esprit des patriotes, et lui valut de la part desroyalistes, des éloges extraordinaires. On l'appela Barre-

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de-fer.

La convention passa à l'ordre du jour, et attendit le rapportde Tallien au nom de la commission des cinq. Le résultatdes travaux de cette commission fut un projet de décret quicontenait les mesures suivantes:

Exclusion de toutes fonctions civiles, municipales,législatives, judiciaires et militaires, des émigrés et parensd'émigrés, jusqu'à la paix générale;

Permission de quitter la France, en emportant leurs biens,à tous ceux qui ne voudraient pas vivre sous les lois de larépublique;

Destitution de tous les officiers qui n'avaient pas servipendant le régime révolutionnaire, c'est-à-dire depuis le 10août, et qui avaient été remplacés depuis le 15 germinal,c'est-à-dire depuis le travail d'Aubry.

Ces dispositions furent adoptées.

La convention décréta ensuite d'une manière solennelle laréunion de la Belgique à la France, et sa division endépartemens. Enfin le 4 brumaire, au moment de seséparer, elle voulut terminer par un grand acte de clémencesa longue et orageuse carrière. Elle décréta que la peinede mort serait abolie dans la république française, à daterde la paix générale; elle changea le nom de la place de laRévolution en celui de place de la Concorde; enfin elleprononça une amnistie pour tous les faits relatifs à la

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révolution, excepté pour la révolte du 13 vendémiaire.C'était mettre en liberté les hommes de tous les partis,excepté Lemaître, qui était le seul des conspirateurs devendémiaire contre lequel il existât des preuvessuffisantes. La déportation prononcée contre Billaud-Varennes, Collot-d'Herbois et Barrère, qui avait étérévoquée pour les faire juger de nouveau, c'est-à-dire pourles faire condamner à mort, fut confirmée. Barrère, qui seuln'était pas encore embarqué, dut l'être. Toutes les prisonsdurent s'ouvrir. Il était deux heures et demie, 4 brumaire anIV (26 octobre 1795); le président de la conventionprononça ces mots: «La convention nationale déclare quesa mission est remplie, et que sa session est terminée.»Les cris mille fois répétés de Vive la république!accompagnèrent ces dernières paroles.

Ainsi se termina la longue et mémorable session de laconvention nationale. L'assemblée constituante avait eul'ancienne organisation féodale à détruire, et uneorganisation nouvelle à fonder: l'assemblée législative avaiteu cette organisation à essayer, en présence du roi laissédans la constitution. Après un essai de quelques mois, ellereconnut et déclara l'incompatibilité du roi avec lesinstitutions nouvelles, et sa complicité avec l'Europeconjurée; elle suspendit le roi et la constitution, et se démit.La convention trouva donc un roi détrôné, une constitutionannulée, la guerre déclarée à l'Europe, et pour touteressource, une administration entièrement détruite, unpapier monnaie discrédité, de vieux cadres de régimens

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usés et vidés. Ainsi, ce n'était point la liberté qu'elle avait àproclamer en présence d'un trône affaibli et méprisé, c'étaitla liberté qu'elle avait à défendre contre l'Europe entière, etcette tâche était bien autre! Sans s'épouvanter un instant,elle proclama la république à la face des arméesennemies; puis elle immola le roi pour se fermer touteretraite; elle s'empara ensuite de tous les pouvoirs, et seconstitua en dictature. Des voix s'élevèrent dans son sein,qui parlaient d'humanité quand elle ne voulait entendreparler que d'énergie, elle les étouffa. Bientôt cette dictaturequ'elle s'était arrogée sur la France par le besoin de laconservation commune, douze membres se l'arrogèrent surelle, par la même raison et par le même besoin. Des Alpesà la mer, des Pyrénées au Rhin, ces douze dictateurss'emparèrent de tout, hommes et choses, etcommencèrent avec les nations de l'Europe la lutte la plusterrible et la plus grande dont l'histoire fasse mention. Pourrester directeurs suprêmes de cette oeuvre immense, ilsimmolèrent alternativement tous les partis; et, suivant lacondition humaine, ils eurent les excès de leurs qualités.Ces qualités étaient la force et l'énergie, l'excès fut lacruauté. Ils versèrent des torrens de sang, jusqu'à ce que,devenus inutiles par la victoire, et odieux par l'abus de laforce, ils succombèrent. La convention reprit alors pour ellela dictature, et commença peu à peu à relâcher les ressortsde son administration terrible. Rassurée par la victoire, elleécouta l'humanité, et se livra à son esprit de régénération.Tout ce qu'il y a de bon et de grand, elle le souhaita, etl'essaya pendant une année; mais les partis, écrasés sous

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une autorité impitoyable, renaquirent sous une autoritéclémente. Deux factions, dans lesquelles se confondaient,sous des nuances infinies, les amis et les ennemis de larévolution, l'attaquèrent tour à tour. Elle vainquit les uns engerminal et prairial, les autres en vendémiaire, et jusqu'audernier jour se montra héroïque au milieu des dangers. Ellerédigea enfin une constitution républicaine, et, après troisans de lutte avec l'Europe, avec les factions, avec elle-même, sanglante et mutilée, elle se démit, et transmit laFrance au directoire.

Son souvenir est demeuré terrible; mais pour elle il n'y aqu'un fait à alléguer, un seul, et tous les reproches tombentdevant ce fait immense: elle nous a sauvés de l'invasionétrangère! Les précédentes assemblées lui avaient léguéla France compromise, elle légua la France sauvée audirectoire et à l'empire. Si en 1793 l'émigration fût rentréeen France, il ne restait pas trace des oeuvres de laconstituante et des bienfaits de la révolution; au lieu de cesadmirables institutions civiles, de ces magnifiques exploitsqui signalèrent la constituante, la convention, le directoire,le consulat et l'empire, nous avions l'anarchie sanglante etbasse que nous voyons aujourd'hui au-delà des Pyrénées.En repoussant l'invasion des rois conjurés contre notrerépublique, la convention a assuré à la révolution uneaction non interrompue de trente années sur le sol de laFrance, et a donné à ses oeuvres le temps de seconsolider, et d'acquérir cette force qui leur fait braverl'impuissante colère des ennemis de l'humanité.

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Aux hommes qui s'appellent avec orgueil patriotes de 89,la convention pourra toujours dire: «Vous aviez provoqué lalutte, c'est moi qui l'ai soutenue et terminée.»

NOTES:

[5]

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Décret du 18 août.

[6]

Décrets des 8 et 9 août.

[7]

Moniteur de l'an IV, pag. 150, lettre ded'Entraigues à Lemaître, datée du 10 octobre1795.

FIN DU TOME SEPTIÈME.

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TABLE DES CHAPITRESCONTENUS DANS LE TOME

SEPTIÈME.

CHAPITRE XXVI.

Continuation de la guerre sur le Rhin. Prise de Nimèguepar les Français.—Politique extérieure de la France.Plusieurs puissances demandent à traiter.—Décretsd'amnistie pour la Vendée.—Conquête de la Hollande parPichegru. Prise d'Utrecht, d'Amsterdam et des principalesvilles; occupation des sept Provinces-Unies. Nouvelleorganisation politique de la Hollande.—Victoires auxPyrénées.—Fin de la campagne de 1794.—La Prusse etplusieurs autres puissances coalisées demandent la paix.Premières négociations.—État de la Vendée et de laBretagne. Puisaye en Angleterre.—Mesures de Hochepour la pacification de la Vendée. Négociations avec leschefs vendéens.

CHAPITRE XXVII.

Réouverture des salons, des spectacles, des réunions

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savantes; établissement des écoles primaires, normale, dedroit et de médecine; décrets relatifs au commerce, àl'industrie, à l'administration de la justice et des cultes.—Disette des subsistances dans l'hiver de l'an III.—Destruction des bustes de Marat.—Abolition du maximumet des réquisitions.—Systèmes divers sur les moyens deretirer les assignats.—Augmentation de la disette à Paris.—Réintégration des députés girondins.—Scènestumultueuses à l'occasion de la disette; agitation desrévolutionnaires; insurrection du 12 germinal; détails decette journée.—Déportation de Barrère, Billaud-Varenneset Collot-d'Herbois.—Arrestation de plusieurs députésmontagnards—Troubles dans les villes.—Désarmementdes patriotes

CHAPITRE XXVIII.

Continuation des négociations de Bâle.—Traité de paixavec la Hollande.—Condition de ce traité.—Autre traité depaix avec la Prusse.—Politique de l'Autriche et des autresétats de l'Empire.—Paix avec la Toscane.—Négociationsavec la Vendée et la Bretagne.—Soumission de Charetteet autres chefs.—Stofflet continue la guerre.—Politique deHoche pour la pacification de l'ouest.—Intrigues des agensroyalistes.—Paix simulée des chefs insurgés dans laBretagne. Première pacification de la Vendée.—État del'Autriche et de l'Angleterre; plans de Pitt, discussions duparlement anglais.—Préparatifs de la coalition pour une

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nouvelle campagne

CHAPITRE XXIX.

Redoublement de haine et de violence des partis après le12 germinal.—Conspiration nouvelle des patriotes.—Massacre dans les prisons, à Lyon, par les réacteurs.—Décrets nouveaux contre les émigrés et sur l'exercice duculte. Modifications dans les attributions des comités.—Questions financières. Baisse croissante du papier-monnaie. Agiotage. Divers projets et discussions sur laréduction des assignats. Mesure importante décrétée pourfaciliter la vente des biens nationaux.—Insurrection desrévolutionnaires du 1er prairial an III. Envahissement de laconvention. Assassinat du représentant Féraud. Principauxévénemens de cette journée et des jours suivans.—Suitesde la journée de prairial. Arrestation de divers membresdes anciens comités. Condamnation et supplice desréprésentans Romme, Goujon, Duquesnoy, Duroi,Soubrany, Bourbotte, et autres compromis dansl'insurrection.—Désarmement des patriotes et destructionde ce parti.—Nouvelles discussions sur la vente des biensnationaux. Echelle de réduction adoptée pour les assignats

CHAPITRE XXX.

Situation des armées au nord et sur le Rhin, aux Alpes et

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aux Pyrénées vers le milieu de l'an III.—Premiers projets detrahison de Pichegru.—Etat de la Vendée et de laBretagne. Intrigues et plans des royalistes. Renouvellementdes hostilités sur quelques points des pays pacifiés.—Expédition de Quiberon. Destruction de l'armée royalistepar Hoche. Cause du peu de succès de cette tentative.—Paix avec l'Espagne.—Passage du Rhin par les arméesfrançaises

CHAPITRE XXXI.

Menées du parti royaliste dans les sections.—Rentrée desémigrés. Persécutions des patriotes.—Constitutiondirectoriale, dite de l'an III, et décrets des 5 et 13 fructidor.—Acceptation de la constitution et des décrets par lesassemblées primaires de la France.—Révolte dessections de Paris contre les décrets de fructidor et contrela convention. Journée du 13 vendémiaire; défaite dessections insurgées.—Clôture de la convention nationale

FIN DE LA TABLE.

End of the Project Gutenberg EBook of Histoire de la

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Révolution française,VII., by Adolphe Thiers

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