hikam.pdf

Upload: mohtouazi8714

Post on 04-Jun-2018

216 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

  • 8/13/2019 Hikam.pdf

    1/14

    1

    Introduction (extraits) dEric Geoffroy la traduction franaise

    du commentaire des HikamdIbn At Allh par le cheikh

    Muhammad Sad Ramadn al-Bt :Paroles Subl imes, d. Sagesse dOrient, Paris, 2011.

    Les HikamdIbn At' Allh ont failli tre une rvlation, et si l'on pouvaitaccomplir la prire en rcitant un autre texte que le Coran, ce serait avec les

    HikamMuhammad al-Bannn (juriste malkite de Fs, m. 1780)1

    Les Sagesses(Hikam) dIbn At' Allh (m. 1309) constituent assurment,au fil des sicles, le recueil d'aphorismes spirituels le plus connu, le plus mdit,et le plus comment. Elles ont t traduites dans de nombreuses langues,islamiques dont le turc et le malais - et occidentales

    2. Elles proposent en

    effet sous forme de sentences lapidaires, dans un style libre mais usant souventde la prose rime, une pdagogie initiatique s'adressant directement l'me

    humaine. La psychologie spirituelle quy distille lauteur reste d'une tonnanteactualit pour tout chercheur de vrit. L'enseignement coranique etmuhammadien s'y trouve tellement intrioris et implicite quil ncessite peu derfrences formelles dans le corps du texte. Les Sagesses, uvre de la fin duXIIIe sicle, parlent tout humain contemporain parce qu'elles manent d'unevision universelle de l'islam et de sa spiritualit. Qu'on en juge par ces quelqueschantillons : Diminue tes sources de joie, tu diminueras tes motifs detristesse ; Scruter les dfauts cachs en toi vaut mieux que chercher

    percevoir les mystres qui te sont voils ; Sachant qu'existe en toi une

    tendance la lassitude, il varia pour toi les formes des pratiques religieuses ; Dieu veut te rendre insatisfait de tout pour que rien ne te distraie de Lui ; Rien ne te mne autant que l'illusion !

    Le propos des Hikam est pour l'essentiel d'amener l'homme connatreson me, prolongeant ainsi une parole qui est parfois attribue au Prophte : Celui qui se connat soi-mme connait son Seigneur . Ce n'est donc pas unsoufisme thorique ou la formulation par trop mtaphysique qui est mis en

    1Ibn Ajba,qz al-himam f sharh al-hikam, Beyrouth, 1988, p. 4.2En franais : P. Nwyia, Ibn At' Allh et la naissance de la confrrie shdhilite, Beyrouth,1990 (rd.); A. Buret,Hikam - Paroles de sagesse, Milan, 1999.

  • 8/13/2019 Hikam.pdf

    2/14

    2

    oeuvre ici, mais une cole de vie au quotidien, pour chaque instant. Lobjectifpremier est de librer son me charnelle, son ego (nafs), - le plus grand ennemi, selon le Prophte - de ses prtentions, de ses illusions, de ses projections... Si tu hsites entre deux choses, choisis la plus dplaisante ton me et suis-la ;

    en effet, ne lui dplat que ce qui est juste , crit Ibn At' Allh. Seuls cettedsentification, ce dconditionnement de ce que nous croyons faussementtre, permettront lme de connatre sa vraie nature spirituelle, de se dlivrerdu vice intrieur , comme le rappelle le cheikh al-Bt3, et ainsi de seconcentrer sur Dieu seul.

    1. Ibn At' AllhIssu dun milieu de juristes (fuqah) malkites dAlexandrie, le jeune

    Ahmad Tj al-dn Ibn At Allh se forme dabord en droit musulman et dansles diverses sciences religieuses. Chez certains juristes de son poque, lesrticences sont parfois nombreuses l'gard de la mystique, et le jeune hommenourrit tout d'abord de forts prjugs contre le tasawwuf, ce soufisme auquel ilreproche, sans le connatre, de ne pas respecter la lettre de la Loi. Sa rencontre, l'ge de dix-sept ans, avec le cheikh Ab l-Abbs al-Murs le bouleversetotalement : Murs lui apprend la ralit cache de la vie, de lislam, de lui-mme... Il le prend comme disciple dans la Voie soufie, mais lui enjoint parailleurs de poursuivre sa formation en sciences islamiques formelles. Ce soucidharmonie entre exotrisme (zhir) et sotrisme (btin) caractrise laspiritualit de lislam : lhomme est limage de Dieu, qui Se dcrit commetant la fois lApparent et le Cach, lExtrieur et lIntrieur (Coran 57: 3).

    Dans son livre Latif al-minan4, Ibn At Allh s'attarde sur cetteconversion la mystique car, pour lui, elle a valeur d'exemple et peut clairerl'tre qui se cherche :

    J'ai t son [al-Murs] disciple assidu durant douze ans, et j'attesteque je n'ai jamais entendu de sa bouche la moindre parole qui contredise la Loi,ou qui ressemble aux propos que les calomniateurs lui attribuaient.

    La raison de ma rencontre avec lui fut la suivante. [] Je me dis moi-mme : Pourquoi n'irais-tu pas voir cet homme ? Celui qui dtient lavrit a des signes qui le manifestent. J'allai donc une de ses sances, et letrouvai en train de parler des diffrents instants spirituels que Dieu ademand l'homme d'exprimenter. Il y a d'abord la soumission (islm),disait-il, puis la foi (mn) et enfin la recherche de l'excellence (ihsn). Tu peuxgalement formuler cela ainsi : le premier instant est l'acte d'adoration

    3Al-Bt,Al-hikam al-atiyya li-Ibn At Allh al-Sakandar, Damas, 2007, I, p. 16.4Texte traduit en franais par E. Geoffroy sous le titreLa sagesse des matres soufis, Grasset,Paris, 1998.

  • 8/13/2019 Hikam.pdf

    3/14

    3

    (ibda), le deuxime la servitude (ubdiyya) et le troisime la servitudeabsolue (ubda). Tu peux encore dire comme ceci : le premier est la Loi(shara), le deuxime la Ralit (haqqa), et le troisime la ralisation intrieure(tahaqquq) de cette Ralit. Il poursuivait toujours en ponctuant son discours

    de : Si tu veux, tupeux dire ainsi, Si tu veux, tu peux formuler cela ainsi...Mon esprit en fut totalement bloui. Je compris que cet homme puisait sascience dans l'Ocan divin...

    C'est ainsi que Dieu chassa de moi la rprobation que jenourrissais jusqu'alors pour ce cheikh. Je revins la maison dans la soire, maisquelque chose en moi m'empcha de me retrouver en famille comme je le faisaishabituellement. J'prouvais un sentiment trange que je ne savais dfinir. Je merfugiai dans la solitude, pour contempler le ciel, les astres et toutes lesmerveilles que Dieu, dans Sa Toute-Puissance, a cres. Cette mditationm'amena retourner chez le cheikh. Ds que je fus introduit auprs de lui, il seleva et me fit un accueil si chaleureux que j'en fus gn; je ne me sentais pasdigne d'tre reu d'une telle faon. Les premiers mots que je lui adressai furent :

    - Matre, je t'aime !- Que Dieu t'aime comme tu m'aimes !, poursuivit-il.Puis je lui fis part de mes proccupations et de mes peines. Voici ce

    qu'il me dit :- Dans sa relation avec Dieu, le fidle exprimente quatre tats

    (ahwl), pas un de plus : la faveur, l'preuve, l'obissance et la dsobissance. SiDieu t'octroie Sa faveur, Il exige de toi l'action de grce. S'Il te soumet

    l'preuve, Il te demande d'tre endurant. Gotes-tu l'obissance, Il veut que tureconnaisses le bienfait qu'Il t'a par l accord. Si par contre tu es dans ladsobissance, Il exige de toi que tu demandes pardon.

    Lorsque je quittai le cheikh, ce fut comme si mon dsarroi et matristesse taient un habit dont je me serais dvtu. Quelque temps plus tard, je lerevis et il me demanda comment j'allais.

    - J'ai beau traquer en moi le moindre trouble, je n'en trouve pas latrace, lui dis-je. []

    - Persvre !, me rpondit-il, car ainsi tu feras autorit dans les deux

    voies5.Par les deux voies, il entendait celle de la Loi - ou de la science

    exotrique -, et celle de la Ralit - ou de la science sotrique6.

    Ce souci d'harmonie entre exotrisme et sotrisme va se concrtiser auCaire, capitale de lempire mamelouk et grande mtropole de lislam, o IbnAt' Allh va enseigner conjointement le droit musulman et le soufisme, dans lamadrasa Mansriyya, mais surtout l'universit al-Azhar. Ses sermons

    5Littralement : Tu deviendras mufti dans les deux voies .6La sagesse des matres soufis, op. cit., p. 141-143.

  • 8/13/2019 Hikam.pdf

    4/14

    4

    spirituels attirent beaucoup de fidles, mais sa renomme grandissante lui vientsurtout de son uvre crite. Dsign par Murs comme son successeur, il devienten 1287 le troisime matre de la voie Shdhiliyya, fonde par le Marocain Abl-Hasan al-Shdhil (m. 1258)7. Il couche alors sur papier lenseignement oral

    de Murs et de Shadhil ; sa fonction lautorise toutefois donner sa propreteinte cet enseignement. Dot dun sens aigu de la pdagogie spirituelle, il saitdistiller la mtaphysique soufie dans un discours simple et imag. Chez lui, la

    parole et lcrit sinspirent mutuellement. Il sagit de dlivrer une ducationislamique nourrie de la Sunna, en impressionnant les mes , comme le diracet autre cheikh shdhil, Ahmad Zarrq (m. 1493)8.

    Parmi les textes majeurs dIbn At' Allh figurent les Latif al-minan, Les touches subtiles de la grce , testament spirituel du matre9. Il ydveloppe dabord la doctrine de la saintet en islam ( Il est plus difficile de

    connatre le saint que de connatre Dieu , disait Murs), en expliquant que lessaints musulmans sont les hritiers de tous les prophtes, et bien sr du

    prophte Muhammad. Ainsi, La Ralit muhammadienne est semblable ausoleil, et la lumire du coeur de chaque saint autant de lunes. La lune, tu lesais, claire parce que la lumire du soleil se pose sur elle et qu'elle la rflchit.Le soleil illumine donc de jour, mais aussi de nuit par l'intermdiaire de la clartlunaire : il ne se couche jamais ! Tu peux ainsi comprendre que le rayonnementdes saints est permanent, vu que la lumire de l'Envoy de Dieu irradieconstamment sur eux10! Un autre texte fondamental dIbn At' Allh est al-

    Tanwr f isqt al-tadbr( De l'abandon de la volont propre )11. Il traite de lancessit de se dpouiller d'une volont individuelle illusoire, ce qui ne contreditaucunement la qute quotidienne de la subsistance et l'obligation de travaillerdans la socit ; il s'agit l de deux niveaux totalement diffrents, et vrai direcomplmentaires. Ibn At' Allh fait de l'abandon de la volont propre (tark al-tadbr) le principe mme de toute progression spirituelle. On en trouve l'chodirect dans lune des premires Sagesses/Hikam: Dleste-toi du gouvernementde toi-mme : ce dont un Autre se charge pour toi, ne ten occupe pas!12

    Se partageant jusqu la fin de sa vie entre l'enseignement, ladirection spirituelle et la rdaction de son uvre, Ibn At' Allh utilise sarenomme pour dfendre le soufisme contre ses censeurs. Il se fait ainsi le porte-

    7Sur la Shdhiliyya, voir l'ouvrage collectif dirig par E. Geoffroy, Une voie soufie dans lemonde : la Shdhiliyya, Maisonneuve et Larose, Paris, 2005.8A. Zarrq, Qaw'id al-tasawwuf, Damas, 1968, p. 101.9Traduit en franais sous le titreLa sagesse des matres soufis, op. cit.10Ibid., p. 34.

    11Traduit en franais par A. Penot aux ditions Alif, Lyon, 1997.12Hikman4.

  • 8/13/2019 Hikam.pdf

    5/14

    5

    parole des soufis auprs du sultan Mansr al-Ljn, lorsquIbn Taymiyya (m.1328) attaque, en 1306, certaines doctrines ou pratiques qui ont cours dans lesmilieux soufis. Ibn Taymiyya est pourtant soufi lui-mme, et se vante d'trerattach au cheikh Abd al-Qdir al-Jln13. Mais il rejette par exemple la

    possibilit de l'intercession (shafa) du Prophte en ce monde, et nul doute quel'insistance d'Ibn At' Allh valider, dans les Latif al-minan, cetteintercession n'a d'autre dessein que de contrer le cheikh syrien. Le savantchafite Taq al-Dn al-Subk (m. 1355), qui fut le disciple d'Ibn At' Allh,rfuta d'ailleurs Ibn Taymiyya sur ce point et sur d'autres 14.

    Ibn At' Allh meurt au Caire lge de cinquante ans, et estenterr dans le cimetire de la Qarfa, au pied du Mont Muqattam. Maintsoulmas ou soufis ont voulu reposer ses cts. Son sanctuaire, restaur souslgide du shaykh al-Azhar Abd al-Halm Mahmd (m. 1978), lui-mme

    shdhil, fait toujours l'objet de visites pieuses, et des sances dinvocation(dhikr) sy tiennent rgulirement. Son oeuvre, porteuse d'une grande spiritualittout en se voulant accessible au commun des croyants, se diffuse ds son vivant,et atteint rapidement le Proche-Orient et le Maghreb, puis le reste du mondemusulman. Ses Hikam en particulier circulent entre toutes les mains auMaroc quelques dcennies aprs sa mort15.

    Chronologie :

    1259 : naissance dIbn At Allh Alexandrie.1275 : il fait la rencontre de son futur matre, Ab l-Abbs al-Murs,Andalou qui a suivi Ab l-Hasan al-Shdhil Alexandrie.

    1287 : alors quil est dj tabli au Caire, il succde Murs la tte de laconfrrie Shdhiliyya.

    1309: il meurt au Caire.

    2. La spiritualit des HikamdIbn At AllhLes Hikam constituent la premire uvre dIbn At Allh; il n'avait

    que trente-cinq ans lorsqu'il les composa, et il les cite souvent dans sesouvrages postrieurs. Lorsqu'il les prsenta son matre, le cheikh Ab l-Abbs al-Murs, celui-ci lui dit : Mon fils, tu y as rassembl ce quoi vise

    13On en trouvera les rfrences dans Eric Geoffroy,Le soufisme en gypte et en Syrie sousles derniers Mamelouks et les premiers Ottomans : orientations spirituelles et enjeuxculturels, IFEAD, Damas, 1995, p. 42-43.14Cf. al-Ras'il al-subkiyya f l-radd al Ibn Taymiyya, Beyrouth, 1983.15 De l'aveu d'Ibn Abbd (m. 1390) ; cf. P. Nwyia, Ibn Abbd de Ronda, Imprimeriecatholique, Beyrouth, 1961, p. 205.

  • 8/13/2019 Hikam.pdf

    6/14

    6

    lIhy [ulm al-dn, de Ghazl], et davantage ! Il est ici pertinent desouligner que pour al-Shdhil et al-Murs, al-Ghazl avait atteint un degrspirituel lev, celui de la station de la vridicit (siddqiyya)16. Ibn AtAllh s'inscrit donc dans le sillage de celui qui, surnomm la preuve de

    l'islam , parvint rtablir l'harmonie entre l'orthodoxie sunnite et le soufisme.LesHikamrespirent donc cette orthodoxie foncire, non celle du conformismereligieux mais celle d'une spiritualit radicale, celle qui reflte la servitudeontologique (ubdiyya) de l'tre humain. Quels en sont les principaux traits ?

    L'essence de l'enseignement dIbn At Allh et de sa voiespirituelle rside sans doute dans la concentration sur Dieu seul (al-jam al

    Allh). Le Nom divinAllh, qui totalise et synthtise tous les autres Noms, doitfaire l'objet de la mditation du novice ; il est le support par excellence de toutecontemplation. La personne qui s'adonne au dhikr doit donc viter d'tre

    distraite dans sa contemplation, ft-ce par des phnomnes ou des plaisirsspirituels. Pour autant, il faut persvrer mme dans la distraction : N'abandonne pas l'invocation (dhikr) pour la raison que tu n'y es pas prsent Dieu, nous dit Ibn At Allh. En effet, plus grave est l'absence complte dela mention de Dieu que sa mention sans participation du coeur. Peut-tre Dieutlvera-t-il de cette invocation discrte des invocations avec concentration,

    puis l'invocation avec prsence du coeur ; enfin l'invocation avec absencede tout ce qui n'est pas l'Invoqu. Et cela n'est gure difficile pourDieu1718. Ibn At Allh prouve une mfiance extrme l'gard des

    faveurs surnaturelles et autres signes extrieurs : le vrai miracle (karma)rside dans la rectitude intrieure (istiqma). D'ailleurs, parfois est favorisde charisme qui n'a pas encore la rectitude parfaite !19 Lauteur des Hikamrevient plusieurs reprises sur cette mise en garde : Comment interromprait-Il pour toi le cours habituel des choses, alors que tu n'as rien chang tesmauvaises habitudes ?20. Il se dfie galement de tout matrialismereligieux, de tout ritualisme auto-complaisant : Les oeuvres sont des formesfiges : elles sont animes par le secret de l'intention pure21.

    S'il veut se raliser spirituellement, l'homme doit acqurir un

    parfait dtachement l'gard du monde. Mais l'ascse (zuhd) est prilleusepour la vie spirituelle. En effet, en mortifiant son ego et en renonant aumonde, l'homme accorde ceux-ci une place indue; il tombe donc sous le coupde l' associationnisme (shirk) subtil, puisqu'il ne peut les vacuer de sa

    16La sagesse des matres soufis, op. cit., p. 124.17Coran 14 : 20.18Hikma 44.19Hikma166.

    20Hikma119.21Hikma10.

  • 8/13/2019 Hikam.pdf

    7/14

    7

    conscience : Tu glorifies le monde en cherchant t'en dtacher ! , avertissaital-Shdhil. Pour Ibn At' Allh, les asctes font preuve d'aveuglement sur le

    plan spirituel : Les dvots et les asctes s'effarouchent de toute chose, parceque tout les rend absents Dieu. S'ils Le voyaient en toute chose, ils ne

    s'effaroucheraient de rien !22C'est donc en s'en remettant totalement Dieu et Sa grce que lemystique parvient se dlivrer de son ego, et donc accder la Prsencedivine. Cet abandon confiant en Dieu (tawakkul) est rig en vertucardinale par Ibn At Allh. Rien n'est possible sans la grce divine, et c'estsur ce constat que s'ouvrent les Hikam : Le signe que l'on compte sur ses

    propres oeuvres cest d'esprer moins [en la misricorde divine] quand il y achute !23. Il revient donc l'homme, en retour, de pratiquer sans cessel'action de grce (al-shukr), de manifester Dieu sa gratitude pour tous les

    dons qu'il reoit. L'action de grce n'est pas seulement le premier devoir quiincombe l'tre humain; elle lui permet galement d'instaurer une relation, unchange privilgi avec Dieu : Qui ne rend pas grce Dieu pour Ses

    bienfaits s'expose en tre priv ; qui Lui en est reconnaissant les entrave sonprofit24!

    La pauvret en Dieu (faqr) ne consiste donc pas s'affubler dequelque oripeau ou marquer son appartenance telle ou telle confrrie ; elleest une attitude intrieure. Laspirant na pas se couper du monde lorsqu'ils'engage dans la Voie : c'est dans les modalits de la vie ordinaire quil doit

    atteindre la ralisation spirituelle. Lorsque Ibn At' Allh devint le discipledal-Murs, il dsira abandonner l'tude de la science exotrique, mais sonmatre l'en empcha. Il en retint visiblement la leon : Ne demande pas Dieu de te sortir d'un tat pour qu'Il t'utilise dans un autre. S'Il te voulait, Il seservirait de toi sans te changer d'tat25 . La sagesse commande d'tre l'coute de Dieu, de pressentir Sa volont : Chercher le dnuement, quandDieu timpose l'usage de la socit, est une recherche de soi dguise. Maisc'est manquer d'ambition spirituelle que de frquenter la socit quand Dieutimpose le dnuement!26

    La sobrit spirituelle dIbn At Allh apparat dans laprfrence qu'il accorde au resserrement (qabd) par rapport la dilatation (bast). Il s'agit l d'un corrlatif d'opposition majeur de la psychologie soufie;il succde gnralement celui de la crainte et de l'esprance. Pour lauteur des

    Hikam, le resserrement maintient constamment l'tre humain dans la servitude

    22Hikma107.23Hikma1.24Hikma59.

    25Hikma18.26Hikma2.

  • 8/13/2019 Hikam.pdf

    8/14

    8

    ontologique qui est la sienne, et rduit donc la part de son ego. Dans une de sesSagesses, il affirme que Dieu t'octroie parfois dans la nuit du resserrement

    plus que tu ne peux obtenir dans la lumire du jour de la dilatation 27. Eneffet, une certaine intimit que lhomme gote avec Dieu peut l'amener se

    relcher, se dilater dans sa relation avec Lui. Le resserrement a pour butd'empcher une telle dsinvolture. noter que cette doctrine/exprience a sansdoute influenc le thme de la Nuit obscure , telle quexprime par lemystique chrtien espagnol saint Jean de la Croix XVIesicle).

    Il faut encore observer comment Ibn At' Allh cultive leparadoxe, la contradiction apparente, dans ce monde de la dualit qu'il fautconstamment dpasser pour rintgrer l'Unicit (Tawhd). C'est la cl de l'veilspirituel : Il se peut qu'en te comblant, Dieu te prive ; il se peut aussi quen te

    privant, Il te comble : si, en te privant, Il t'ouvre la porte de la perception, alors

    la privation devient un don28 ; Dsobissance engendrant humilit etindigence vaut mieux qu'obissance inspirant fiert et orgueil !29 ; L'avnement des tribulations [sur le cheminement spirituel] est festivit pourles novices ; parfois tu acquerras par les tribulations un surcrot [de grce] quetu ne trouveras ni dans le jeune ni de la prire30 ; Qui se proclame humbleest le vrai orgueilleux31, etc.

    En dfinitive, l'enseignement spirituel, porteur d'veil, bousculetoujours le mental et ses conceptions bornes. Il doit aboutir, d'une manire oud'une autre, ce que les soufis appellent la grande perplexit (hayra).

    L'me humaine, dcontenance, n'a ds lors d'autre chappatoire que dechercher une solution verticale : Lui demander quelque chose cest lesuspecter, scrie Ibn At Allh, Le chercher cest tre absent de Lui,chercher quelqu'un d'autre c'est manquer de pudeur envers Lui, et demanderquelque chose quelqu'un d'autre cest tre trs loin de Lui 32!

    Un mot, maintenant, sur la doctrine mtaphysique qui transparat dansles Hikam. Elle semble en apparence bien proche de celle de l' unicit del'tre (wahdat al-wujd) : cette expression, soulignons-le, reflte la doctrinedu Grand Matre (al-Shaykh al-Akbar) Ibn Arab (m. 1240), mais lui-

    mme ne la jamais employe : elle provient dabord dIbn Taymiyya, quilutilise dans un but polmique bien sr, puis de disciples ultrieurs dIbnArab qui en ont systmatis lusage. Quoi quil en soit, partir de la fin duVII

    e/XIII

    esicle, cette doctrine exerce une influence qui ira toujours croissante.

    27P. Nwyia, op. cit., p.147.28Hikma77.29Hikma89.30Hikma162-163.

    31Hikma219.32Hikma20.

  • 8/13/2019 Hikam.pdf

    9/14

    9

    Il faut donc la traduire en termes acceptables, et Ibn At' Allh montre ici sacapacit distiller l'enseignement sotrique soufi.

    Schmatiquement, selon cette doctrine, l'tre (al-wujd) n'appartient qu'Dieu seul. En manifestant les cratures, Dieu a dot celles-ci d'une existence

    qui n'a qu'une valeur relative, voire nulle. Certes les choses sontpotentiellement amenes l'existence du fait qu'elles sont contenues de touteternit dans la Science divine, mais cette existence est fondamentalementillusoire; plus prcisment, c'est le sentiment que partagent les hommes d'avoirun tre propre, autonome, et les sparant de l'tre de Dieu qui constitue leleurre suprme ! Plusieurs Hikam vont en ce sens : Voici la preuve de Satoute-puissance : Il se voile toi par ce qui n'a pas d'tre en-dehors de Lui33 ; Ce n'est pas un tre existant avec Dieu qui te Le voile - car rien n'existe avecLui - mais cest ton illusion que quelque chose existe avec Lui!34. Dans

    labsolu, les voiles sont une illusion, mais, dvidence, ils ont leur raison dtreen ce monde.Pourtant, dans lesHikam, Ibn At' Allh se montre extrmement prudent

    quant la doctrine/exprience de lunicit de ltre, car ses Sagesses , la diffrence d'oeuvres plus litistes telles que les Latif al-minan, taientdestines un public large, non initi. Il manie cet effet plusieurs registres delangage. Chacun, du simple croyant qu'il faut difier au soufi averti, dudtracteur qu'il faut convaincre au disciple de l'ordre shdhil, peut ainsi retirerun profit correspondant ses propres aptitudes. Un shdhil plus tardif,

    le savant Jall al-dn al-Suyt (m. 1505) en tmoigne : Quand les Shdhilisemploient le mot wahda [cest--dire wahdat al-wujd], ils dsignent en fait letawhd au sens commun35. Cest que, comme lont toujours enseign lessoufis et notamment Ghazl, le tawhd peut tre apprhend selon unemultitude de degrs, qui sont fonction de la ralisation spirituelle de chacun.

    3. La hirarchie des niveaux de discoursDe fait, les diffrents commentateurs distinguent plusieurs degrs

    denseignement dans les Hikam. Ahmad Zarrq, par exemple, ce juristesoufi, appel le jaugeur des soufis (muhtasib al-sfiyya), en dgagequatre : le discours pieux et le sermon (al-tadhkr wa l-waz), destin aucommun des croyants ; le discours concernant les statuts exotriques (ahkm),destin galement tous ; puis celui qui voque les tats spirituels (ahwl),lequel sadresse aux cheminants sur la Voie spirituelle (al-murdn), mais qui

    33Hikma15.34Hikma129.35Ta'yd al-haqqa al-aliyya wa tashyd al-tarqa al-shdhiliyya,Le Caire, 1934, p. 80. Enfranais, le titre donne ceci : La confirmation de la haute vrit par l'dification de la voieShdhiliyya .

  • 8/13/2019 Hikam.pdf

    10/14

    10

    peut susciter par ailleurs lveil spirituel chez autrui; et enfin le discours surles ralits spirituelles (haqiq), qui concerne exclusivement lesgnostiques (rifn) et les tres raliss (al-muhaqqiqn)36.

    Un autre commentateur majeur, le Marocain Ibn Ajba (m. 1809),

    reprend sa manire ces quatre niveaux, en tablissant des correspondancesavec les ouvrages spirituels du patrimoine : le discours pieux et le sermon serait puis chez des auteurs anciens tels que Ibn al-Jawz, al-Muhsib, al-Qushayr, etc. Le deuxime degr de discours est cette fois dcrit comme la

    purification des uvres et la correction des tats spirituels, et sadresse auxtres la dmarche sincre et aux novices sur la Voie soufie (al-mubtadinmin al-slikn) ; la matire en est puise chez Ghazl et Suhraward (deBagdad, m. 1234). Le troisime degr concerne la ralisation des tats et desstations spirituels (tahqq al-ahwl wa l-maqmt), et est ddi aux disciples

    confirms, ceux qui souvrent la gnose. Selon Ibn Ajba, ce niveau dediscours est le plus rpandu dans lesHikam. Il puise dans les ouvrages les plusaccessibles dIbn Arab,et dal-Bn, sotriste mort en 1225. Enfin, lequatrime niveau, qui vise les connaissances spirituelles et les sciencesinspires (al-marif wa l-ulum al-ilhmiyya), trouve son commentaire dansdeux ouvrages dIbn At Allh dj mentionns: al-Tanwr f isqt al-tadbr( De l'abandon de la volont propre ), et Latif al-minan ( Les touchessubtiles de la grce )37.

    Le cheikh al-Bt, quant lui, distingue trois niveaux de discoursou axes : celui de lattestation de lUnicit (al-tawhd), destin dceler, traquer, lidoltrie subtile (al-man al-khafiyya lil-shirk) ; celui des nobles vertus et de la purification de lme (al-akhlq, tazkiyat al-nafs) ; letroisime, enfin, concerne le cheminement spirituel et ses diverses rgles (al-sulk wa ahkmu-hu al-mukhtalifa)38.

    Tout ce qui prcde nous montre quel point lauteur des Hikamappliquele principe muhammadien en vertu duquel il faut parler aux gens selon leurdegr dentendement. Sur le modle de Junayd de Bagdad (m. 911), Ibn AtAllh sait filtrer le passage des ralits intrieures vers le grand jour. Tantt ilfaut ouvrir la comprhension du sens sotrique, tantt il faut en sceller la

    possibilit mme. Sans Sa [Dieu] manifestation dans les cratures, expliquenotre auteur, aucune delle neserait visible. Mais si Ses attributs apparaissaient,les cratures svanouiraient39 . Paul Nwyia parle cet gard de la fonctiondialectique la fois voilante et dvoilante des Noms divins40.

    36A. Zarrq, Sharh hikam Ibn At Allh, Tripoli, 1969, p. 26-27.37Ibn Ajba,qz al-himam f sharh al-hikam, op. cit., p. 10-11.38Al-Bt,Al-hikam al-atiyya li-Ibn At Allh al-Sakandar, op. cit., I, p. 10.39Hikma n 130.40P. Nwyia,Ibn At Allh et la naissance de la confrrie shdhilite, op. cit., p. 271.

  • 8/13/2019 Hikam.pdf

    11/14

    11

    Ibn At Allh partage encore avec Junayd le got de laudace danslexprience spirituelle (Junayd est le premier grand explorateur du thme delUnicit / Tawhddans lhistoire du soufisme), mais cette propension sassortitdu souci de dissimuler lessentiel de lexprience. De celle-ci, trs peu de choses

    filtrent, car la pudeur empche ces hommes de lintrieur de dvoiler ce qui, leurs yeux, nest pas du domaine de lexpression : Dans une vie obscureensevelis-toi : ce qui pousse avant d'tre mis en terre ne parvient pas maturit41, avertit Ibn At Allh.

    Chez lui, la tonalit dominante est donc dviter tout sotrisme gratuit,toute complaisance dans une langue litiste. Son enseignement oral, daprs cequon en sait, ne maniait pas une langue technique sophistique. Dune faongnrale, son langage tait conome en termes soufis, pour privilgier lemploidimages, de situations psychologiques concrtes, qui facilitent laccs la

    comprhension. Dans son uvre, Ibn At Allh a voulu traduire la ralisationspirituelle en termes accessibles. Cest pourquoi luvre et l'enseignement deShdhilis tels quIbn At Allh ont largement dbord le cadre confrriquetroit, et mme les seuls milieux soufis, pour inspirer toute la spiritualitislamique. Il suffit de citer al-Busr, auteur de la clbre Burda, et al-Jazl, qui l'on doit lesDalil al-khayrt.

    En vrit, le principe muhammadien en vertu duquel il faut parler auxgens selon leur degr dentendement se fonde sur la Misricorde (al-rahma),qui prodigue chaque me ce quelle peut supporter. Les Hikam sont bienissues de ce trsor de sagesse que constitue lenseignement du Prophte ; ellessont en cela un des modes dexpression de la Sunnaprophtique.

    4. Le genre des Hikam avant et aprs Ibn At AllhL'exprience spirituelle, en gnral et, en l'occurrence, dans le cadre

    islamique, se transmet de faon privilgie dans des formules brves, dessentences allusives, des apophtegmes, car ce genre de formulation rendmieux compte de l'instantanit de l'exprience qu'une prose cherchant dvelopper rationnellement la traduction de cette exprience dans le mental

    humain. Dans la plupart des cas, une telle exprience est ineffable, et seules lesformes potiques et sapientielle cest--dire dveloppant une sagesse

    permettent de l'effleurer. En outre, l'enseignement spirituel, initiatique, nes'adresse pas au mental mais au trfonds de l'me, pour ldifier, la toucher,voire lbranler.

    On compte parmi les grands auteurs de Hikamcheikh Arsln de Damas (m.entre 1160 et 1165), qui a compos une Eptre sur l'Unicit divine (Rislat al-

    41Hikma11.

  • 8/13/2019 Hikam.pdf

    12/14

    12

    tawhd)42. Mais l'on peut citer plus srement lIrakien Ahmad al-Rif (m.1183), matre ponyme de la tarqaRifiyya, Ibn Arab (m. 1240), et surtout leMaghrbin Ab Madyan al-Ghawth (m. 1197)43, dont le ton est proche de notreauteur gyptien : Il y a trois sortes de gelier, dit-il : lme charnelle, le caprice

    et la passion ; Contemple Sa contemplation ton gard et non ta proprecontemplation de Lui ; Vouloir obtenir quelque chose des cratures, c'estdouter du Crateur ; Celui qui se pare de l'phmre nest quun illusionn ; Veille te dfaire de tout : c'est ainsi que tu connatras tout par Lui , etc. AuXXesicle, le cheikh algrien Ahmad al-Alw (m. 1934) a rdig des Hikamqui voquent parfois, elles aussi, celles dIbn At Allh : Nabandonne paston ego en le combattant : accompagne-le plutt et enquiers-toi de ce quilrecle ; Les vices de lme ne sont l que pour cacher les lumires du Trs-Saint ; La sagesse est semblable la dispense (rukhsa) : on ne peut en faire

    usage quen cas de besoin ; Le Rel [Dieu] nest ni proche ni lointain44...Chez tous ces auteurs, on retrouve le mme souci d'aller l'essentiel, de toucherle trfonds de l'me, sans s'embarrasser de discours dogmatiques ou dedveloppements intellectuels par lesquels lme peut toujours trouver des faux-fuyants et ainsi rester insensible ladresse qui lui est faite.

    5. Style et structure des Hikam propos du style desHikam, Paul Nwyia crit : Imitant le style chaudet elliptique de certaines sourates coraniques, les Hikam offraient leur

    mditation [il s'agit des milieux soufis du Maghreb] un texte dont le rythme etla concision incisive avaient un pouvoir d'incantation irrsistible. Apprises parcoeur et inlassablement rptes, ces Sentences devinrent l'expression familirede loraison shdhilite. Conjuguant lassonance (al-saja) et lallitration(al-jins), lesHikamsynthtisent, selon lavis de beaucoup, lenseignement dela spiritualit islamique : la densit de lexpression ny a dgale quelconomie des mots employs, que ceux-ci relvent de la terminologie soufie

    ou non. A cet gard, ce recueil illustre le style allusif (ishr) propre ladiscipline du soufisme.

    42Prsente, commente et traduite par E. Geoffroy dans Jihd et Contemplation, Albouraq,Paris, 2003. Cette ptre a bnfici galement de nombreux commentaires venant de oulmaset de soufis. C'est P. Nwyia qui la range parmi le genre des Hikam ; cf.Ibn At' Allh et lanaissance de la confrrie shdhilite, op. cit., p. 68-71.43SesHikamont t commentes par le cheikh Ahmad al-Alw dans un ouvrage intitulAl-

    Mawdd al-ghaythiyya al-nshia an al-hikam al-ghawthiyya (Mostaganem, 1989). Cetouvrage a t traduit par Manuel Chabry sous le titre : Sagesse cleste - Trait de soufisme,d. La Caravane, Cugnaux, 2007.44CesHikamont t publies dans un recueil intitul al-Munjt, Mostaganem, 1986.

  • 8/13/2019 Hikam.pdf

    13/14

    13

    Certains auteurs ont considr que les Hikam ne rpondaient pas unordre logique, comme si leur recueil ntait que lassemblage dinspirations oudtats spirituels fulgurants qui auraient t par la suite assembls. Toutefois,des lecteurs aviss tels quAhmad Zarrq et le shaykh al-AzharAbd al-Halm

    Mahmd (m. 1978) y ont relev au contraire une cohrence interne, unecomplmentarit intrinsque entre les diverses sapiences: celles-cisclairent en fait les unes par les autres45. Dvidence, des thmes ressortent,conformment aux niveaux de discours voqus plus haut, mais il y a bien unetexture unique, et simpose une conomie spirituelle tenant compte des

    besoins de lme [] ainsi que des difficults de plus en plus subtiles quipeuvent surgir au long de la Voie46.

    Lon se doute bien, cependant, quune uvre aussi dense - malgr saparcimonie au niveau formel - aussi riche pour la vie de lme, a ncessit des

    commentaires. Le premier a t ralis par Ibn Abbd de Ronda (m. 1390), ledeuxime par al-Zarrq, le troisime par Ibn Ajba appartenant tous trois lcole shdhilie -, etc. Dans les annes 1980, M. A. Haykal notait quil y auraiteu en tout vingt-cinq commentaires (sharh). Celui du cheikh al-Bt serait alorsle vingt-sixime

    6. Lorthodoxie foncire des HikamDe lavis de tous les commentateurs et observateurs, les Hikam sontimprgnes, souvent de manire implicite, de lesprit du Coran et de la Sunnadu

    Prophte. Et cest bien sr cette conformit au modle sunnite qui se dgage desapprciations portes sur leur auteur. Al-Dhahab (m. 1348), par exemple, peususpect de grande sympathie pour les soufis, crit propos d'Ibn At Allh : Jai constat que le cheikh Tj al-Dn al-Friq, son retour dgypte, vouaitune grande admiration son [il sagit dIbn At Allh] art du sermon et delallusion spirituelle. Assis sur une chaire dans la mosque dal-Azhar, il tenaitdes propos qui apaisaient les mes. Il mlait les paroles des soufis aux traditionsdes Anciens et toutes sortes de sciences. Ses disciples taient nombreux. Onsentait en le voyant un homme de bien47. Suyt notait de son ct quil nyavait pas la moindre dviation dans le soufisme d'Ibn At Allh48, et Ibn

    45Muhammad Abd al-Maqsd Haykal, introduction ldition arabe du commentaire desHikampar Ibn Abbd, Le Caire, 1988, p. 38.46Titus Burckhardt, introduction la traduction franaise de A. Buret,Hikam - Paroles de

    sagesse, op. cit., p. 10.47D. Gril, Lenseignement dIbn At Allh al-Iskandar, daprs le tmoignage de sondisciple Rfi Ibn Shfi, dans E. Geoffroy, Une voie soufie dans le monde : la Shdhiliyya,op. cit., p. 103.48Muhammad Abd al-Maqsd Haykal, introduction, op. cit., p. 15.

  • 8/13/2019 Hikam.pdf

    14/14

    14

    Ajba souligne que la mthode que suit celui-ci sinscrit dans le pur Tawhddelislam49. Cette orthodoxie foncire explique que les Hikam aient reu un telaccueil dans le milieu des ulam, quelles aient t enseignes dans les grandesinstitutions de lislam sunnite, et commentes par des cheikhs dal-Azhar

    comme Abd Allh al-Sharqw (m. 1812) ou Abd al-Majd al-Sharbn (m.1929). Elles ont t adoptes comme manuels d'enseignement soufi laQarawiyn comme al-Azhar, Tunis comme Damas , crit Paul Nwyia50.

    49Ibn Ajba,qz al-himam, op. cit., p. 11.50P. Nwyia,Ibn At' Allh et la naissance de la confrrie shdhilite, op. cit., p. 36.