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Les efforts de la France pour relever le défi de l'hépatite C On peut aisément comprendre la perplexité des Français quant à l'efficacité du traitement de l'hépatite C (HCV) dans ce pays. En novembre 2012, le premier indice Euro Hépatite publié par Consumer Health Powerhouse, un fournisseur de données sanitaires comparatives nationales, a classé la France au premier rang en matière de traitement de l'hépatite, en lui attribuant 872 points sur un maximum de 1 000. Toutefois, en mars 2013, l'association francaise de patients SOS Hépatites a publié une enquête montrant que 80 % des personnes se considéraient comme mal informées sur leur état de santé, et que même si un tiers des gens pensaient avoir eu un comportement risquant de les exposer au virus, une majorité d'entre eux n'avait jamais fait le test. En réalité, l'indice et l'enquête mettent en évidence différents aspects de la lutte contre cette maladie en France. D'une part, le pays s'est positionné comme chef de file incontesté dans ce domaine depuis près de deux décennies. D'autre part, comme le rapport Hepatitis Index le fait remarquer, des questions de fond demeurent. Sur les quelque 220 000 personnes suspectées d'avoir contracté le VHC en France, environ 90 000 restent non diagnostiquées et un nombre similaire n'a reçu aucun traitement. Ces résultats ne sont pas faute d'efforts. L'expérience française de la lutte contre l'hépatite C est davantage révélatrice de certaines difficultés auxquelles de nombreux pays sont susceptibles de faire face lorsqu'ils cherchent à suivre la même voie. AVEC LE SOUTIEN DE Avant l'identification du virus en 1989, la transmission se produisait le plus souvent dans l'environnement médical par le biais de sang infecté et d'équipements contaminés. Bien qu'il s'agisse toujours d'un facteur présent dans de nombreux pays en développement, ce type de transmission a, dans le monde développé et notamment en France, en grande partie cessé. Dans les pays développés, le VHC est désormais propagé principalement par l'échange d'aiguilles entre consommateurs de drogue. Toutefois, compte tenu de la longue période qui précède l'apparition des symptômes, il est possible qu'un grand nombre d'individus appartenant à la population générale aient été contaminés avant 1989 à leur insu. Le virus de l'hépatite C (VHC) se transmet en grande partie par contact avec le sang. Dans 15 à 30 % des cas, les défenses naturelles de l'organisme peuvent éliminer la maladie, mais les autres personnes infectées développent une hépatite C chronique. Pour la plupart, elles ne présentent au départ aucun symptôme apparent, une situation qui peut durer pendant de nombreuses années. Toutefois, au bout du compte, environ 60 à 70 % des porteurs du VHC développent une pathologie chronique du foie. Une minorité – estimée entre 20 et 30 %, même si pour les personnes infectées lorsqu'elles sont plus jeunes et en meilleure santé, ce chiffre peut baisser jusqu'à 10 % – développe une cirrhose du foie, qui apparaît généralement deux ou trois décennies après la première infection. Ces patients présentent également un risque plus élevé que la normale de développer un carcinome hépatocellulaire, la forme la plus commune du cancer du foie. Hépatite C : bref descriptif Les efforts de la France pour relever le défi de l'hépatite C © The Economist Intelligence Unit Limited 2014

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Les efforts de la France pour relever le défi de l'hépatite C

On peut aisément comprendre la perplexité des Français quant à l'efficacité du traitement de l'hépatite C (HCV) dans ce pays. En novembre 2012, le premier indice Euro Hépatite publié par Consumer Health Powerhouse, un fournisseur de données sanitaires comparatives nationales, a classé la France au premier rang en matière de traitement de l'hépatite, en lui attribuant 872 points sur un maximum de 1 000. Toutefois, en mars 2013, l'association francaise de patients SOS Hépatites a publié une enquête montrant que 80 % des personnes se considéraient comme mal informées sur leur état de santé, et que même si un tiers des gens pensaient avoir eu un comportement risquant de les exposer au virus, une majorité d'entre eux n'avait jamais fait le test.

En réalité, l'indice et l'enquête mettent en évidence différents aspects de la lutte contre cette maladie en France. D'une part, le pays s'est positionné comme chef de file incontesté dans ce domaine depuis près de deux décennies. D'autre part, comme le rapport Hepatitis Index le fait remarquer, des questions de fond demeurent. Sur les quelque 220 000 personnes suspectées d'avoir contracté le VHC en France, environ 90 000 restent non diagnostiquées et un nombre similaire n'a reçu aucun traitement. Ces résultats ne sont pas faute d'efforts. L'expérience française de la lutte contre l'hépatite C est davantage révélatrice de certaines difficultés auxquelles de nombreux pays sont susceptibles de faire face lorsqu'ils cherchent à suivre la même voie.

AVEC LE SOUTIEN DE

Avant l'identification du virus en 1989, la transmission se produisait le plus souvent dans l'environnement médical par le biais de sang infecté et d'équipements contaminés. Bien qu'il s'agisse toujours d'un facteur présent dans de nombreux pays en développement, ce type de transmission a, dans le monde développé et notamment en France, en grande partie cessé. Dans les pays développés, le VHC est désormais propagé principalement par l'échange d'aiguilles entre consommateurs de drogue. Toutefois, compte tenu de la longue période qui précède l'apparition des symptômes, il est possible qu'un grand nombre d'individus appartenant à la population générale aient été contaminés avant 1989 à leur insu.

Le virus de l'hépatite C (VHC) se transmet en grande partie par contact avec le sang. Dans 15 à 30 % des cas, les défenses naturelles de l'organisme peuvent éliminer la maladie, mais les autres personnes infectées développent une hépatite C chronique. Pour la plupart, elles ne présentent au départ aucun symptôme apparent, une situation qui peut durer pendant de nombreuses années. Toutefois, au bout du compte, environ 60 à 70 % des porteurs du VHC développent une pathologie chronique du foie. Une minorité – estimée entre 20 et 30 %, même si pour les personnes infectées lorsqu'elles sont plus jeunes et en meilleure santé, ce chiffre peut baisser jusqu'à 10 % – développe une cirrhose du foie, qui apparaît généralement deux ou trois décennies après la première infection. Ces patients présentent également un risque plus élevé que la normale de développer un carcinome hépatocellulaire, la forme la plus commune du cancer du foie.

Hépatite C : bref descriptif

Les efforts de la France pour relever le défi de l'hépatite C

© The Economist Intelligence Unit Limited 2014

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Les efforts de la France pour relever le défi de l'hépatite C

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Vingt ans d'efforts

Le virus de l'hépatite C n'a été isolé qu'en 1989 et il a fallu attendre 1991 pour concevoir un test. La France a alors réagi rapidement. En 1992, un rapport commandé par le gouvernement indiquait que la maladie constituait un problème de santé publique sérieux.1 En 1994, afin de mieux comprendre l'ampleur du défi à relever, l'État a mené un sondage national dont il est ressorti que la prévalence du VHC au sein de la population était légèrement supérieure à 1 %. En 1996, il a établi un réseau de 31 centres de référence dans les hôpitaux destinés à fournir des soins spécialisés.

En 1999, le ministère de la Santé a lancé un ambitieux plan national de trois ans visant, entre autres, à tester 75 % de la population et à traiter 80 % des personnes atteintes de la maladie. Ce plan a été bien loin d'atteindre ses objectifs : en 2005, par exemple, seules 16 % des personnes identifiées comme porteuses de la maladie avaient été traitées. Pourtant, ce chiffre était encore supérieur d'un tiers aux taux de traitement de n'importe quel autre pays européen, et plus de deux fois supérieur à la moyenne2.

Par la suite, un plan de suivi a été mis en place pendant la période 2002-2005 afin de poursuivre ce travail, tout en luttant en parallèle contre l'hépatite B. Parmi ses objectifs figuraient une meilleure prévention, en particulier auprès de la population devenue la principale source d'incidence nouvelle, dont les toxicomanes. Étaient également prévus un dépistage plus large, la diffusion des connaissances médicales parmi la population générale et les professionnels de santé non spécialisés et enfin, une recherche plus active sur le virus. Là encore, les objectifs fixés étaient ambitieux : identification de 100 % des personnes infectées et baisse de 30 % de la mortalité due au VHC. Et à nouveau, les résultats ont été inférieurs à ceux escomptés. En 2004, une enquête nationale de prévalence menée dans le cadre du plan a révélé qu'au sein de la population, seules 57 % des personnes porteuses du VHC étaient au courant de leur maladie.

Une fois terminé, le plan n'a pas été renouvelé, mais la preuve que les hépatites B et C sont restées des problèmes significatifs provoquant environ 4 000 décès par an en France, ainsi que la proportion toujours faible de cas dépistés, ont conduit à l'adoption d'un plan pour la période 2009-2012. Ce programme, bien qu'ayant des objectifs généraux très semblables au précédent, évitait en grande partie de fixer de nouveaux buts quantitatifs pour le VHC, hormis l'augmentation à 80 % du nombre de dépistages positifs aux anticorps anti-VHC. Aucune procédure n'avait cependant été prévue pour mesurer ce résultat et la plupart des estimations ont suggéré qu'il n'a pas été atteint. Dans la foulée du plan de 2002-2005, l'édition suivante s'est axée encore davantage sur les populations marginalisées, dont les détenus, qui constituent avec les toxicomanes un motif de réelle préoccupation. Ce plan a pris fin en 2012 et aucun autre n'a été annoncé depuis.

Points forts et faiblesses

Les efforts de la France pour lutter contre l'hépatite C ont donné des résultats indéniables qui ne devraient pas être sous-estimés au simple prétexte qu'ils ne répondent pas à des objectifs peut-être trop optimistes. En 2001, 670 personnes en France sont décédées uniquement des complications du VHC, et sur 2 163 décès, il s'est agi d'un facteur contributif, selon le Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès (CépiDc). En 2010, ces chiffres avaient chuté à 520 et 1 949 respectivement, alors même que l'âge moyen des personnes touchées par le VHC, et donc la probabilité de maladies en phase terminale potentiellement mortelles, avaient augmenté.

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De même, la prévalence au sein de la population semble être à la baisse. La proportion des personnes de 20 à 59 ans ayant des anticorps anti-VHC dans leur sang a chuté de 1,05 % en 1994 à 0,71 % en 2004, dernière année pour laquelle des chiffres nationaux sont disponibles. Le nombre d'individus adultes de moins de 80 ans atteints en 2004 était de 0,84 %. Au cours de la même décennie, la proportion de porteurs du VHC informés de leur état est passée de 24 à 57 %. Un manque de données rend difficile l'estimation de la progression de la prévalence depuis lors.

Dans l'ensemble, et notamment en comparaison avec d'autres pays, les efforts de la France à ce jour ont été « très efficaces », selon le Dr Jean-Michel Pawlotsky, directeur du Centre national de référence des hépatites virales B, C et D. De même, le Dr Pascal Melin, président de SOS Hépatites, quoique généralement plus critique à l'égard des politiques gouvernementales, note que « nous avons été en avance et les premiers en Europe à faire beaucoup ».

Selon eux, la plus grande réussite est la mise à disposition d'un traitement. Selon le Dr Pawlotsky, « toute personne ayant besoin d'un traitement peut y avoir accès ». Entre 2004 et 2010, la France enregistrait les taux de traitement les plus élevés d'Europe, bien qu'au terme de cette période, 6,7 % des personnes infectées seulement aient reçu un traitement chaque année. Les données publiées sur les personnes traitées depuis ne sont pas encore disponibles, mais leur nombre a probablement augmenté avec l'introduction de nouveaux médicaments. Dans le même temps, l'indice Euro Hépatite, citant les données fournies par les services de santé nationaux, classe les résultats médicaux de la France en matière de lutte contre l'hépatite comme les plus élevés d'Europe.

Le Dr Pawlotsky commente ainsi ce résultat : « nous avons traité une grande partie [des personnes atteintes du VHC] et guéri tous les patients "faciles" ». D'autres voient les choses un peu différemment. Tout en notant que la France était en avance sur ses voisins dans ce domaine, une déclaration publique faite en janvier 2013 par quatre experts français, dont le Dr Melin, estimait que seuls 51 000 patients avaient reçu un traitement, soit une minorité de ceux diagnostiqués, même si les taux de guérison évoluent actuellement autour de 80 %. La disparité entre les deux points de vue s'explique en partie par la complexité des médicaments actuels, en particulier pour les patients toxicomanes. Pour de nombreuses personnes appartenant à cette catégorie, les thérapies actuelles sont physiquement et psychologiquement trop lourdes pour être suivies jusqu'à leur terme, car elles peuvent durer 48 semaines.

En ce qui concerne l'avenir, le système de santé français est confronté à des choix stratégiques s'il souhaite s'appuyer sur sa riche expérience en matière de traitement. Le premier choix, qui n'est en aucune manière propre à ce pays, consiste à déterminer s'il y a lieu de renforcer immédiatement l'incitation au traitement, ou bien d'attendre l'arrivée de nouveaux médicaments qui promettent, dans un avenir proche, d'obtenir des résultats au moins aussi bons qu'avec les médicaments actuels, moyennant des effets secondaires réduits et une posologie plus courte. Les Dr Melin et Pawlotsky incarnent respectivement les deux positions au sein de ce débat. Pour le premier, il est scandaleux que les patients et les médecins aient à attendre : « Si vous avez des patients qui présentent un certain problème et que 80 % peuvent être guéris, il n'y a pas de raison de dire "on attend un an" ». Le Dr Pawlotsky rétorque que, sauf pour les cas d'urgence, « la plupart des patients peuvent attendre un an, le temps que de nouveaux médicaments soient mis sur le marché. Si j'étais un patient et qu'on me donnait le choix entre 12 et 48 semaines, j'attendrais », en particulier vu les difficultés causées par les effets indésirables.

Il s'agit ici, par nature, d'un problème temporaire. Le choix du prestataire de soins chargé d'administrer le traitement contre le VHC relève d'une pertinence à plus long terme. Le dernier plan d'action était censé donner davantage de responsabilités aux médecins généralistes, ou tout du moins aux hépatologues, afin d'alléger le coût

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de la prise en charge et favoriser une participation plus active de ces professionnels de la santé. Ces praticiens sont essentiels pour un dépistage efficace mais, d'après le Dr Melin, ils ne testent actuellement pas le VHC de façon systématique, surtout chez les patients qui ont été exposés à la maladie il y a plusieurs dizaines d'années. L'avènement de médicaments qui nécessitent encore l'expertise de spécialistes pour fournir et contrôler le traitement a empêché ce changement. Le Dr Melin et ses collègues se sont, du reste, plaints publiquement que le nombre limité d'experts restreignait en pratique la disponibilité des médicaments.

Selon l'indice Euro Hépatite, la France est moins efficace que certains autres pays en termes de prévention. Ceci dépend en partie des modes de transmission de la maladie que l'on considère. Le Dr Pawlotsky souligne qu'en ce qui concerne les principaux vecteurs antérieurs de la maladie, « la transmission par voie de transfusion sanguine est proche de zéro et les procédures médicales et chirurgicales sont bien contrôlées. On peut toujours améliorer les choses, mais la prévention en France est très bonne. »

Les statistiques lui donnent raison. Déjà en 2003, le risque d'infection par l'hépatite C lors d'une transfusion sanguine était tombé à un sur dix millions, soit un nouveau cas tous les quatre ans en France. De même, selon une étude menée en 2010 sur les patients hémodialysés, le nombre d'infections par ce biais était probablement devenu nul. Il en résulte un vieillissement de la population touchée par l'hépatite C dans la mesure où moins de nouveaux cas sont enregistrés.

L'occurrence de ces nouveaux cas a désormais tendance à concerner des populations difficiles à cibler, notamment les toxicomanes. Le Dr Melin estime que les pouvoirs publics ne se mettent pas suffisamment à la portée de ces individus. À titre d'exemple, alors que les programmes d'échange de seringues sont disponibles dans certains grands centres urbains, ils ne sont pas autorisés dans les prisons françaises où la prévalence du VHC est de 12 % chez les femmes et de 5 % chez les hommes, soit des proportions bien supérieures aux niveaux nationaux. L'auto-évaluation gouvernementale du plan national de 2009-2012 tend à aller dans ce sens5. Elle constate que : « le plan n'a pas suffisamment promu les stratégies d'information des usagers de drogues par leurs pairs, en particulier les actions de terrain au plus près des usagers les plus marginalisés ». Concernant le milieu carcéral, l'évaluation estime que si le niveau d'accès aux soins (environ 50 % des personnes diagnostiquées) est bon, l'accès à la prévention reste pour sa part insuffisant.

Un autre relatif point faible fréquemment cité en ce qui concerne les efforts de la France pour lutter contre l'hépatite C est le dépistage. La dépendance du système de soins vis-à-vis d'une approche fondée sur le risque permet ici, d'après le Dr Pawlotsky, « de trouver ce qui est facile à trouver », mais sans aller plus loin. Les dispositions actuelles sont de moins en moins efficaces. Bien que le nombre de personnes dépistées ait augmenté au fil des ans, la proportion de personnes pour lesquelles ce dépistage est positif a plongé. Dans le même temps, même si le nombre total de décès liés au VHC a chuté, le nombre de décès dus à un cancer du foie à titre d'affection secondaire a connu une hausse constante, selon les données du projet Charge mondiale de morbidité de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS). Les complications sont de plus en plus courantes, puisque les patients ayant été infectés avant la découverte du virus en connaissent de plus en plus les phases ultérieures. Le Dr Melin est donc favorable au dépistage universel du VHC de la même manière que les Français le font déjà pour le VIH et les Américains ont commencé à le recommander, au moins parmi les personnes nées avant 1965.

Le dernier problème qui entrave les efforts de la France est le manque surprenant de données. Bien que les plans aient tous été soutenus par d'importantes recherches sur la façon dont le VHC affecte la population, certaines informations sont soit datées, la dernière enquête nationale ayant été réalisée en 2004, soit tout simplement indisponibles. Pour certaines mesures telles que la prévalence globale, alors que l'estimation type fait état de

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220 000 personnes infectées, l'enquête dont provient ce chiffre annonce en réalité une fourchette de 168 000 et 296 000 cas avec une probabilité de 95 %. En d'autres termes, l'estimation actuelle de 90 000 cas non diagnostiqués pourrait se révéler erronée à hauteur de plusieurs dizaines de milliers de personnes. L'évaluation officielle du dernier plan national note qu'en dépit du nombre de recherches menées sur le terrain, le dispositif existant de surveillance de la santé publique ne produit pas certaines informations essentielles, telles que l'évolution de la prévalence, l'incidence, le pourcentage de dépistage, ou la manière dont les cas identifiés sont gérés, autant de données essentielles pour évaluer l'efficacité des politiques. Il n'y a pas non plus en France d'études plus étendues sur le coût de la maladie qui s'intéressent à l'impact du VHC sur la société dans son ensemble, alors qu'elles existent dans un certain nombre d'autres pays.

Les leçons à en tirer

Les progrès notables du système de santé français et son taux de réussite relative très élevé dans le traitement de l'hépatite C proviennent finalement des initiatives d'un gouvernement qui prend de l'avance là où d'autres pays sont absents. Comme le souligne le Dr Pawlotsky, la force de la réponse française résulte d'une « décision politique obligeant à dépister et à donner accès aux traitements. Cela a été fait uniquement en France et en Écosse parce qu'il y existe une vision politique. La leçon de l'expérience française est que si vous décidez d'aborder le problème et d'allouer les ressources, tout est possible ».

Toutefois, la manière dont le système de santé français a choisi de s'attaquer au VHC montre aussi les limites d'une approche qui met l'accent sur le dépistage et le traitement fondés sur le risque. Cette approche concerne les cas « plus faciles à trouver », mais avec une proportion croissante de personnes ayant contracté la pathologie avant 1989 et susceptibles de développer des complications dans un avenir proche. Compte tenu du grand nombre d'individus exposés à leur insu à des risques d'infection plusieurs dizaines d'années auparavant, les responsables de la santé publique doivent envisager d'effectuer un repérage à plus grande échelle. Ainsi que le formule le Dr Pawlotsky : « les traitements excellents deviennent inutiles lorsqu'il n'y a pas de patients à traiter ». En outre, si l'on regarde vers l'avenir, la prévention est encore plus importante que le traitement. Le Dr Melin estime que l'accent mis sur ce dernier a été utilisé comme une excuse pour porter une attention moindre sur la prévention.

L'avenir des efforts de la France en matière de lutte contre le VHC n'est pas clair pour le moment. Les autorités ne sont jusqu'à présent pas parvenues à annoncer un nouveau plan national et le Dr Melin comprend que, plutôt que d'être abordé comme un problème en soi, le traitement de l'hépatite C pourrait plutôt être englobé dans un plan cadre prospectif visant à traiter les problèmes de toxicomanie. Il est convaincu que ce serait une erreur, tout comme le Dr Pawlotsky, qui explique : « Nous devons disposer d'un autre plan. Faut de quoi, cela voudrait dire que nous abandonnons. La situation du VHC est en train de changer avec l'arrivée de toutes les nouvelles thérapies et la France, après avoir identifié la plupart des patients, doit maintenant faire face aux cas difficiles à traiter ». Le problème sera celui du financement et donc, de la volonté politique.

Le plus grand danger pourrait bien venir de là. La décision de réagir de manière agressive à la menace du VHC n'a pas été prise en vase clos. Au début des années 1990, le scandale lié à l'affaire du sang contaminé par le VIH a éclaté alors que les autorités prenaient à peine conscience de leur ignorance sur l'ampleur de l'hépatite C au sein de la population au travers du système de santé. Aujourd'hui, souligne le Dr Melin, il y a eu « une évolution du VHC qui est passé des patients transfusés aux personnes infectées suite à la consommation de drogues », ce qui a fait que les responsables politiques se sont moins intéressés à cette maladie. La façon dont les autorités françaises réagiront à ce changement déterminera si le pays restera un chef de file en matière de lutte contre le défi que représente l'hépatite C.

1 Max Micoud, éd., Rapport sur l’état de l’hépatite C en France, 1992.

2 B Lettmeier et al, "Market uptake of new antiviral drugs for the treatment of hepatitis C", Journal of Hepatology, 2008.

4 Dominique Larrey et al, "Guérison de l’hépatite C : la France est en tête, mais elle peut et doit mieux faire !", Huffington Post (édition française), http://www.huffingtonpost.fr/dominique-larrey/traitement-hepatite-c-france_b_2477378.html

3 Homie Razavi, "HCV treatment rate in select European countries, 2004-2010", 48th International Liver Congress, Amsterdam abstract 51, 2013.

5 Haut Conseil de la santé publique, "Évaluation du Plan national de lutte contre les hépatites B et C 2009-2012", avril 2013.