femme-objet · femme ou tous les clichés sur les femmes, puis d’inverser, pour créer un petit...

27
FEMME-OBJET Campagne de l’association WAX Science, 2014 Étude réalisée par Lilas Cuby de Borville, Zélia Robin et Cleo Smits — avril 2017 Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne — Master 1 Direction de projets ou établissements culturels Source : Association What About Xperiencing Science

Upload: others

Post on 03-Jul-2020

2 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

FEMME-OBJET

Campagne de l’association WAX Science, 2014Étude réalisée par Lilas Cuby de Borville, Zélia Robin et Cleo Smits — avril 2017

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne — Master 1 Direction de projets ou établissements culturels

Source : Association What About Xperiencing Science

2Femme-Objet — 2017 — Conception

ENTRETIEN CONCEPTION

Flora Vincent (F.V), co-fondatrice de l’association WAX Science et Alice Clair (A.C), graphiste et membre de l’association WAX Science, interviewées en avril 2017.

Le commanditaire et son projet

Qui était le commanditaire du projet ?

F.V : En fait il n’y a pas eu vraiment de commanditaire au sens classique pour ce projet, car c’était une participation à un concours lancé en 2014 par Najat Vallaud-Belkacem, qui était Ministre des Droits des femmes à l’époque. Le concours s’appelait Egalitée. Le but c’était la promotion de l’égalité hommes-femmes. C’était très large, ça n’avait rien à voir avec la science. Ça pouvait tout aussi bien être sensibilisation violence faites aux femmes, inégalité profession-nel, inégalité en sciences. Mais au sein de WAX Sciences, c’était un seul projet sur mille autres, qui consistaient aussi à faire prendre conscience des inégalités hommes-femmes aux gens, par exemple en leur don-nant l’opportunité de compter les ratios hommes-femmes dans leur environnement quotidien, via l’application It Counts. En réunion, au cinéma, dans un jury… N’importe quoi. Alice a travail-lé sur tout le design de cette application, qui est en fonctionnement.

C’est donc le concours qui a motivé cette campagne ?

F.V : Oui, voilà. On y a participé, parce qu’à l’époque on fonctionnait beaucoup avec les concours. C’était une occasion très motivante pour bosser sur un projet. Comme on était tous que des bénévoles, on n’était pas forcément tout le temps motivés et il nous fallait des dead-lines et les concours c’était un bon moyen pour être un peu créatif rapidement. D’ailleurs c’était un peu la frange extrême égalité hommes-femmes de l’association, parce qu’il y avait vraiment rien avoir avec les sciences.

Objectifs du commanditaire

Quelles étaient vos intentions de communication ?

F.V : En général à WAX ce qu’on fait c’est vraiment de la pure sensibilisation. Le gros chapeau de WAX c’est sensibiliser, c’est faire prendre conscience. A.C : Oui, et ici toute la campagne jouait sur ce décalage d’inverser l’idée des femmes et des objets et de prendre les objets et de leur attribuer toutes les choses qu’on pourrait dire à une femme ou tous les clichés sur les femmes, puis d’inverser, pour créer un petit décalage qui fait un peu sourire ou qui interpelle. On voulait un visuel au centre très léché, très mignon, très bien fait, sur un joli fond de couleur.

3Femme-Objet — 2017 — Conception

Est-ce qu’il y a des spécificités propres à WAX que vous avez suivi pour la conception de ces visuels ?

A.C : En fait WAX utilise les mêmes méthodes qu’une boîte de communication le ferait, sauf que l’objectif n’est pas de vendre des petits pois mais de promouvoir un message d’utilité pu-blique. Mais le positionnement, la réflexion et les méthodes mises en place sont les mêmes. Mais j’ai plus de liberté en travaillant avec WAX plutôt qu’avec ces agences: il n’y a pas ce côté contraint, où il ne faut pas dire certaines choses…

Quels effets attendiez-vous sur les destinataires ?

F.V : On cherchait surtout à interpeller l’attention dans un premier temps, pour susciter une ré-flexion ensuite sur le problème des inégalités hommes-femmes. Donc ça se fait avec ce double enjeu de lecture où d’abord tu vois l’objet, tu te demandes ce que c’est, puis tu lis la phrase, et il y a une espèce de violence dans le message que tu n’as pas du tout dans le graphisme qui est vraiment un joli visuel .

Concepteur et réalisateur

Pourquoi le sujet de ce concours vous a parlé ? Comment vous pourriez définir l’identité de WAX ?

F.V : En gros, nos principaux axes à WAX c’est soit que les sciences c’est chouette soit que les inégalités hommes-femmes ce n’est pas cool. Après on fait un mixe des deux et c’est l’iné-galité des femmes en sciences. Donc on a un peu les deux gros pôles quoi et après tous nos outils peuvent se placer sur un gradient... On a des outils qui sont purement pour sensibiliser à la science et on ne parle même pas d’égalité hommes-femmes, on parle juste de sciences. Par exemple là on va lancer un kit qui s’appelle le kit du génie génétique et donc c’est un kit avec des ressources, des affiches, des jeux, etc. où ne parle que de science et d’ingénierie du génome. On a fait tout un autre, par exemple là sur sensibilisation au SIDA. Ça fait trois ans qu’on fait ça au Solidays tous les ans, c’est un kit où on ne parle que de sciences dedans et on essaye de l’expliquer aux gens qu’on rencontre pendant le festival par exemple. On a un gros stand, on parle de vulgarisation scientifique et là-dedans, il y a aussi des affiches : on pense que les affiches ça reste un bon moyen de véhiculer un message. Vous vous avez vu cette campagne là, mais en fait, il y en a plein d’autres, il faudra qu’on vous montre tout, parce que tout n’est pas sur le site, en plus. Il y a un tas d’autres affiches même pour parler de sciences, et qui sont un peu provoc’, drôle… Par exemple il y avait tout une série d’affiche qu’on avait fait sur « Les découvreuses anonymes » : ça c’est une campagne qui vise à redonner de la visi-bilité aux femmes scientifiques et l’idée c’est qu’on a pris sept femmes scientifiques majeures - et bien sûr pas Marie Curie parce que l’idée c’est de dire qu’il existe d’autre femmes dans la science que Marie Curie. A chaque fois l’affiche est un recto et un verso : le recto c’est une illustration graphique faite par Adrien, qui est graphiste chez Wax, et qui est censée interpeller: c’est une question, c’est un peu intriguant, on se demande ce qu’il se passe… et quand on retourne la feuille, de l’autre côté il y a la découverte scientifique associé avec la scientifique et sa biographie. Et ça, par contre, ça a beaucoup tourné.

4Femme-Objet — 2017 — Conception

Alice, tu es graphiste à côté de WAX, quel était ton rôle dans ce projet ?

A.C : Oui, pour cette campagne ça c’est un travail bénévole que j’ai commencé avec la co-fon-datrice de l’asso. Et on a fait ça dans le cadre de notre dernière année d’études. C’était chouette parce que c’était un moyen d’avoir un client, mais en même temps bénévole, donc on a le truc en main et il y a une idée de reconstruction, de travailler ensemble et tout ça. C’était du coup la possibilité pour nous de tester des choses de manière libre mais avec en tête des contraintes financières, l’idée d’un client privé qui a des objectifs de rentabilité... Il avait beaucoup d’en-thousiasme et l’idée c’était qu’on pouvait explorer à fond. Donc c’était hyper stimulant et c’était un bon moyen de se faire la main sur pleins de choses.

Conception

Vous aviez une sorte de cahier des charges ou une feuille de route ?

F.V : Je pense qu’au début la feuille de route était d’essayer de gagner le concours, après la feuille de route c’est surtout devenu « on s’en fout, on se marre et puis ça serait toujours une ressource qu’on aurait derrière », parce que - nous on ne faisait pas ça en one shot. On savait que derrière on allait les garder et que ça allait faire partie de notre batterie d’outils et que dans tous les cas ce n’était pas du temps perdu, qu’on gagne le concours ou pas.

Avez-vous eu des contraintes spécifiques à respecter ?

F.V : A part la contrainte de temps d’un mois, pas vraiment, mais ça ce n’était pas évident. Comme d’habitude, on s’y est pris très en avance pour lancer le truc, mais après il ne s’est rien passé pendant trois semaines, et puis une semaine avant il a fallu se dépêcher. Mais ça m’aurait étonné qu’on s’y prenne à l’avance de toute façon. Mais non, il n’y avait pas vraiment de contraintes particulières.

Contexte de création

Avez-vous fait plusieurs propositions autour du thème du concours ?

F.V : Oui. À l’époque, Adrien, le graphiste, avait aussi fait une vidéo qui s’appelait Presque. La vidéo ce n’était que des petites séquences de « presque » - donc un mec qui court et qui a presque le métro, un mec qui court et qui arrive presque à mettre la balle dans le panier - c’était très drôle et puis à la fin, il y avait « inégalité salariale, 27%... », des chiffres sur l’inégalité hommes-femmes, et ensuite ça disait « L’égalité hommes-femmes : on y est presque ». Je crois qu’on avait aussi fait un texte. On aimait bien la dynamique du concours, on voulait s’en servir pour faire quelque chose de collectif, transversal, en ayant tous les mêmes deadlines.

Y a-t-il eu des désaccords ?

AC : Non, pas que je me souvienne… Principalement parce que ça concernait vraiment qu’une

5Femme-Objet — 2017 — Conception

petite partie de l’équipe de WAX- les gens ont jamais été contre qu’on fasse cette campagne, on avait demandé s’ils étaient d’accord et il n’y avait pas de problèmes. Il y a eu quelques al-lers-retours entre nous, sur le choix des sujets, le graphisme, etc. Mais à cause de la contrainte de temps, l’autre graphiste, Adrien, et moi, on a surtout bossé dans notre coin sans demander en permanence un retour du reste de l’équipe… Donc effectivement, peu de désaccords dans ces conditions.

Comment s’est déroulée la concertation en interne, avec le reste de l’association ? Est-ce qu’il y a eu des difficultés pour vous mettre d’accord ensemble ?

F.V : Ah ben non, en fait on n’a pas du tout concerté tout le monde. On a dû dire, comme d’ha-bitude, « On va se retrouver tel jour, qui veut venir ? » ; après c’est ces gens-là qui sont dans la boucle, et puis il faut qu’on aille vite alors… VoilàA.C : et puis à WAX on travaille quand même en petits groupes et de manière assez auto-nome… Chacun s’occupe de son projet, le mène à bien, puis le montre à tout le monde, mais… Voilà. Autant certains trucs soulèvent des débats, autant là non, je ne crois pas qu’on l’ait for-cément vraiment montré en fait…F.V : Non non, parce qu’on n’avait pas le temps.

Donc il n’y a eu pas de discussions en interne sur ces visuels ?

F.V : Si, mais entre nous quoi… En très petit comité.

Création

Comment se sont faits les choix visuels dans votre création des affiches?

A.C : En fait on a commencé par une qui était peut-être la plus évidente, c’était la jupe, je crois. La jupe et en dessous il y avait écrit ‘salope’ - parce que c’est une jupe courte.F.V : À la base, dans le concours, il était explicitement marqué qu’il ne fallait faire qu’une af-fiche, mais il était aussi explicitement marqué que les vainqueurs pouvait être diffusés par JC Decaux dans tout Paris. Donc je crois qu’à l’époque on s’était dit que c’était mieux de faire sept affiches. On s’en fichait de n’en faire qu’une, nous ce qui nous faisait marrer c’était surtout juste de faire le concours, de participer, de se mettre en condition. Mais je pense que si on en avait fait qu’une, peut-être qu’on aurait eu une chance de gagner, alors que là du coup ça fait un peu comme si on n’arrivait pas à se réfréner, on va en faire sept.AC : Il y a peut-être aussi un moment où s’est dit que si on n’en faisait qu’une les gens ne comprendraient pas. L’idée de série était intéressante car ça nous permettait d’aborder le tra-vail, l’intimité du couple, la rue… Du coup on pouvait aborder l’inégalité hommes-femmes dans différents aspects de la vie qui aurait été difficile à résumer sur une seule affiche, en fait.

Et ces choix au niveau de la création de ces visuels, comment les avez-vous mis en re-lation avec la signification que vous vouliez véhiculer ?

F.V : L’idée était de jouer sur les différents thèmes, et de prendre toutes les situations de la vie

6Femme-Objet — 2017 — Conception

quotidienne où femme est confrontée à tous ces stéréotypes - au boulot, à la maison, etc. Et c’est venu assez naturellement.A.C : Oui, c’est pour ça qu’on a placé au centre de l’affiche des objets simples et innocents -disons- qu’on voit tous les jours… Mais en les rattachant aux expressions machistes, on leur attribue une force et une gravité inattendue. Ils sont mis en valeur par leur place dans la com-position et le fond coloré, donc on ne regarde qu’eux d’abord, puis la phrase.D’ailleurs l’affiche qui a gagné, c’était exactement le même principe. Il y avait une affiche avec une gourde et en dessous il y avait marqué « Ceci n’est pas une femme ».

Comment ont été conçus les textes ?

A.C : On a fait tout un travail pour chercher les expressions, comme la « promotion canapé », la longueur de la jupe, etc. Pour trouver des trucs assez identifiables pour pouvoir les utiliser graphiquement.

La signification du moment

Avez-vous voulu créer un choc visuel ?

A.C : Exactement... c’était un peu l’enjeu, ouais. C’est un peu là-dessus qu’on a travaillé, d’ail-leurs la première piste qu’on avait, c’était Adrien qui l’avait fait, et il est parti sur un truc assez trash graphiquement pour coller au message qui était assez trash, et après en discutant on s’est dit que c’est peut-être plus marrant d’instaurer cet espèce de décalage justement pour en faire un peu un choc à la deuxième lecture. C’était le même concept à chaque fois, c’était aussi avec les objets mais il avait pris un parti pris plus direct. Finalement on trouvait marrant qu’il y ait un décalage comme ça entre un message qui porte une certaine violence et des visuels attrayants qui sont légers et sympas à regarder.

Diffusion

Quel impact les conditions de diffusion (éventuelle) ont eu sur la création des affiches ?

A.C : Il y avait seulement des consignes au niveau du format, mais c’était assez libre malgré tout. Il y avait trois formats de diffusion possible: on pouvait participer soit en faisant des af-fiches, soit en faisant un texte, soit en faisant une vidéo. En dehors de ces trois grandes caté-gories, c’était hyper large. Le thème c’était vraiment juste « Egalité ». Mais la majorité des gens qui ont participé ont fait des trucs sur la violence faite aux femmes. Le thème c’était égalité hommes-femmes.

Réception

Selon vous, vos visuels comportent-ils des défauts qui puissent entraver la compréhen-sion par le public ?

7Femme-Objet — 2017 — Conception

F.V : Oui, peut-être cette petite phrase en dessous, qui fonctionne un peu comme un leitmo-tiv: « Les objets ne sont pas les femmes et inversement. » En plus c’est un peu tordu comme phrase avec le recul. Avec le recul je pense qu’on aurait pu enlever « l’inverse non plus », je pense que ça suffisait, juste « les objets ne sont pas des femmes »... c’était un peu appuyé.

Et ils s’adressent aussi à un public de jeunes de 11-15 ans par exemple ?

F.V : Oui oui, entre autres, en fait on n’a pas ciblé de public précis mais on considère qu’une campagne comme ça pourrait être vue par des adultes comme par des jeunes, oui. Même s’ils ne comprendraient pas tout, ça peut stimuler une curiosité et les éveiller aussi à ces probléma-tiques. A.C : Et l’avantage des choix graphiques pour ces affiches c’est que les images sont vraiment visibles par tout le monde justement, puisque le « choc » - disons - passe autrement que par l’image seule.

Alors ce n’est pas complètement compréhensible pour des adolescents ?

F.V : Pas complètement, non… À plusieurs reprises on a eu peur que les gens, les jeunes comme les adultes, ne comprennent pas. Ce qui est sûr c’est que si on avait eu plus de temps, on serait peut-être revenu sur certaines affiches, on aurait ajouté des éléments… Parce que, oui, je sais qu’il y en a certaines où ce n’est pas forcément clair…A.C : Oui, par exemple avec la promo canapé : pour associer le canapé, le boulot et tout ça…F.V : Oui mais y’a quand même marqué « Alors, t’as été promue ? »A.C : Oui mais pour nous, parce qu’on connait ces codes. Quand on fait du graphisme on est habitué à ça, surtout quand on fait le visuel soi-même : on connaît toute la réflexion qui a mené à ça et c’est toujours un peu le saut dans le vide quand tu le montres à d’autres gens et parfois ils n’ont pas du tout compris le concept

Retours

Quels retours avez-vous eu sur le document ?

F.V : On n’en a presque pas eu en fait. On a seulement montré un peu les visuels à l’équipe, mais parfois quand l’affiche était déjà lancée donc c’était trop tard. Ce n’était pas par non-res-pect de la parole des autres, mais parfois la contrainte de temps fait qu’on passe certaines étapes comme celle de la consultation. Mais il me semble que les quelques retours qu’on a eu avaient été plutôt positifs…

Éducation à l’image et aux médias

En tant que graphiste, est-ce que, Alice, tu trouves important de développer l’éducation à l’image ?

A.C : Ben oui, c’est carrément important parce que je me rends compte à quel point les images

8Femme-Objet — 2017 — Conception

sont puissantes, surtout au niveau du message inconscient. Même moi qui connais bien et qui baigne là-dedans, je suis avertie et pourtant je me fais quand même piéger. Donc avoir les outils pour comprendre « pourquoi est-ce qu’il a mis cette couleur-là ? Pourquoi cette typo-là ? Pourquoi cette image et pourquoi ici ? », c’est hyper intéressant. Ça permet de décoder les pe-tites arnaques du quotidien. Et puis il y a cette espèce d’immédiateté de l’affiche, par rapport à un texte ou une vidéo, qui est très puissante. Ce n’est pas pour rien que toutes les dictatures du monde ont utilisé l’affiche de propagande pour diffuser leur idéologie… Enfin voilà, ça prouve qu’il y a une espèce d’immédiateté de l’image qui va au-delà du niveau d’éducation, du milieu. Il y a cette espèce de force de l’image qui fait que c’est un outil hyper puissant qu’il faut savoir utiliser quand on est graphiste, pour moi, et savoir recevoir ce contenu en tant que public, et en décoder les messages subliminaux.

Et vous trouvez ça important d’avoir un discours auprès des collégiens pour accompa-gner ces images ?

A.C : Oui, je trouve que c’est important que quelqu’un soit là pour décoder et déconstruire l’image, parce que ce n’est pas si facile. Je pense qu’en mettant les enfants devant une image, oui ils sont capables de la décoder un minimum, mais c’est quand même beaucoup mieux de leur donner quelques outils d’analyse, ou au moi une grille de lecture : qu’est-ce qu’on regarde dans une image, les couleurs, les polices, les typographies… Il faut toujours se demander : qu’est-ce qu’on essaie de me dire ? Qu’est-ce qu’on attend de moi ? Est-ce que c’est bien ou non ? Est-ce que je devrais me laisser faire ou bien est-ce que ça vaut le coup de se poser la question ? Parce que, c’est vrai, c’est embêtant de se poser la question à chaque fois, et on a tendance à être plutôt passifs devant les images… Donc voilà, ça reste très important et inté-ressant de développer ça, oui.Et puis c’est là où en effet moi je trouve la com’ intéressante, c’est qu’il y a toujours des moyens de dire sans être brutal et sans être dans les termes, mots, ou éléments de langage qui font blo-quer. On peut amener les gens à réfléchir d’eux-mêmes et à se dire d’eux-mêmes « Ah bah oui ! ». Comme toutes ces jeunes filles à un moment qui disaient « Je ne suis pas féministe, parce que... » En fait, elles se plantaient complètement dans ce qu’elles disaient, c’était à côté de la plaque, mais c’est juste qu’elles avaient cette vision hyper caricaturale de « Si je suis féministe ça veut dire qu’il faut que je foute un coup de pied dans les c*** de mon mec, et que j’arrête de me raser, de me maquiller ». Et ça veut dire qu’il y a des femmes qui ont été très clivantes sur ces sujets-là, et que du coup il y a une incompréhension.

9Femme-Objet — 2017 — Diffusion

ENTRETIEN DIFFUSION

Flora Vincent (F.V), co-fondatrice de l’association WAX Science et Alice Clair (A.C), graphiste et membre de l’association WAX Science, interviewées en avril 2017.

Le diffuseur

Puisqu’ici le diffuseur est en quelque sorte WAX Science, pouvez-vous nous présenter l’association ?

F.V : J’ai co-fondé l’association WAX Sciences (What About Xperiencing Science) en 2013 avec une autre fille qui s’appelle Aude Bernheim. Les deux grandes missions c’était la promo-tion des sciences et la promotion de mixité en science, et le but c’était de faire ça en dévelop-pant et en diffusant des outils qu’on souhaitait les plus innovants possibles avec un contenu un peu décalé. Notre première action, par exemple, c’était de faire un site, et la seconde ça a été de commencer à faire des expos. L’idée, par exemple sur le site internet, c’était de donner du contenu toujours avec une cible 15-25 ans, mais du contenu vraiment ludique et décalé sur les sciences. Ça pouvait être l’art et la science, ça pouvait être les expériences à faire chez soi, ça pouvait être toute une série sur la vie sexuelle des animaux.

Donc l’idée c’était de dire que les sciences ne sont pas quelque chose de rébarbatif qui se li-mite au domaine scolaire. Dès le début, il y a eu une grosse volonté de se baser sur les outils du numérique parce que ça permet une diffusion sans frontières, aussi parce que ça ne coûte pas cher, et surtout, en partant du principe qu’il y a plus de 13 500 sites qui sont construit tous les jours, on s’est dit qu’il fallait vraiment faire la différence. Et c’est pour ça que ce site est as-socié avec des graphistes bénévoles - donc Adrien et Alice - qui était dans notre entourage. Si on veut que ça parle au plus grand monde il faut que le contenu et la forme soient excellents. Ce n’est pas juste une affaire de faire de la bonne vulgarisation scientifique, derrière il y a un vrai boulot pour rendre ça visuellement attrayant et accessible. On a fait beaucoup d’actions et de campagnes qui sont visibles sur notre site.

Le plan média

C’est intéressant que l’affiche ait été faite dans ce contexte là et que la diffusion, elle, n’ait pas été faite de manière... optimale. Pourquoi ce choix ?

F.V : On a rarement fait quoi que ce soit comme outils, que ce soit des affiches, des kits, des expos, en se disant qu’il nous fallait un plan de communication. En fait, le but c’est quand même toujours de diffuser les choses et de les rendre accessibles au plus grand nombre mais on n’a jamais créé un produit avec une campagne de com’. On n’est pas des communicants, on n’est pas une agence de com’. On a des graphistes, on a des scientifiques, mais c’est vrai que

10Femme-Objet — 2017 — Diffusion

le truc qui nous a toujours manqué c’était des vrais personnes qui font de la communication... Mais c’est parce ce n’était pas le truc qui nous intéressait le plus. Maintenant on commence à en avoir. Dans l’association maintenant on a des services civiques, des stagiaires, donc c’est différent. Mais ça n’a jamais été une priorité. On créait et on se demandait simplement si c’était des documents de qualité. Dans ce cas, il faut encore le diffuser aux bonnes personnes, parce que ça fonctionne par le bouche à oreille.

Et à côté du concours, vous avez établi un plan média pour la diffusion des affiches ?

F.V : Non, la seule diffusion ça a été dans le cadre du concours en fait. D’ailleurs je suis contente que vous ayez trouvé les affiches, oui, parce qu’on n’a jamais pris le temps, comme pour beaucoup de nos outils, de les diffuser correctement. Or elles sont toujours là, elles sont toujours chouettes…

Donc le concours a été une occasion de diffusion de la campagne ?

F.V : Oui, on avait été présélectionné donc on était venues à la cérémonie. Il y avait Najat Vallaud-Belkacem, Christiane Taubira, beaucoup de monde. Il y avait des acteurs de l’égalité hommes-femmes sur plein de plans différents : des présidents d’associations de lutte contre les discriminations hommes-femmes, il y avait des gens du Ministère, de l’Education Nationale... Il me semble que c’était à la NUMA (NB : non, à la Gaîté Lyrique apparemment) et il y avait un cocktail après avec plein de jeunes, c’était marrant, ils avaient quand même bien réussi à diffu-ser. Les dix premières affiches étaient exposées, dont la nôtre. Après par contre on n’a pas été exposé plus que ça. Mais je crois que ça avait circulé au ministère, comme ressource.

Donc vous n’avez établi aucun objectif concernant la diffusion, au-delà du concours ?

F.V : Non, c’est vrai, mais on a toujours était très clair sur nos outils : c’est open-access, c’est libre, donc n’importe qui peut s’en servir, voilà l’idée. On demande simplement aux personnes de prendre une photo s’ils les utilisent, histoire qu’on sache un peu qui fait quoi avec. Mais en soit je n’ai absolument aucun problème si une association égalité hommes-femmes «pure et dure» se l’approprie et l’emmène avec elle dans des collèges.Je sais que ç’a été imprimé deux, trois fois, mais je n’en sais pas plus…A.C : On a quand même publié la campagne dans notre newsletter; et puis on est passé au projet suivant... Mais elle est encore là, et moi je considère que c’est des outils à ressortir quand on veut, effectivement.F.V : Et puis, aussi, on l’avait traduite en anglais, et diffusé à fond sur les réseaux sociaux. Mais il faut savoir qu’à l’époque, le réseau été moins développé qu’aujourd’hui. Donc on s’est quand même époumonées pour la diffuser au maximum, même si on n’a pas du tout établi de plan mé-dia. C’est vrai qu’aujourd’hui si on la relançait sur ces réseaux et les nouveaux, on toucherait plus de personnes déjà. Ca vaudrait peut-être le coup de refaire une campagne de com’ sur ce projet… Mais je pense qu’elle a un peu moins de valeur ajoutée aujourd’hui qu’il y a deux ans, parce qu’on voit plus de visuels comme ça.

11Femme-Objet — 2017 — Diffusion

La signification du document Qu’est-ce que les images racontent, qu’elle est la signification ?

F.V : Je les ai vues assez tard, mais quand j’ai vu le produit final j’ai trouvé que c’était com-plètement dans nos lignes. C’était un peu dans l’extrême mais c’était exactement le genre de choses que j’avais imaginé au moment où on avait décidé de participer au concours. On peut dire simplement que c’est un truc qui fait marrer, que nous avions pris du plaisir à faire – parce que ça c’était important : comme on n’a pas d’enjeux spécifique avec un projet comme ça, c’est important d’aimer ce qu’on fait. Et bien sûr, l’objectif est de susciter des réactions, ça nous est égal que ce soit positif ou négatif: le principal c’est vraiment que les gens réagissent en fait. D’où le côté un peu provoc’ ici.

Selon vous, qu’est-ce qui fait la réussite de ces images ?

F.V : Il y a deux ans, d’abord, elles étaient originales. C’était le début de ce côté très graphique, épuré, et maintenant on en voit un peu plus. C’était aussi le gros boum de l’égalité hommes-femmes. C’était, je crois, le début d’une énorme dynamique, et on a su être réactifs là-dessus. Pleins d’autres personnes ont proposé des trucs très bien aussi mais mon original… Et puis le fait de bosser avec des graphistes ça a permis de faire des trucs très chouettes dès le début.

Que penses-tu du rapport entre les textes et les images ?

F.V : Je trouve bien les grosses « punchlines », mais la phrase en dessous, « Les objets ne sont pas des femmes... et l’inverse non plus »… Je me suis toujours dit en la lisant que ça ne me donnait pas envie d’essayer de comprendre les détails. La phrase n’est pas très compliquée à comprendre mais c’est embêtant de faire la gymnastique à chaque fois, même si tu comprends très vite ou on veut en arriver. Je pense que « l’inverse non plus », on aurait pu s’en passer, ou même être encore plus direct et simplement dire « Les femmes ne sont pas des objets. »

Réception

A votre avis, est-ce que le contexte du concours a eu un impact sur l’interprétation que les gens pourraient en avoir ?

F.V : Non non, c’est très clair qu’il s’agit une campagne pour l’égalité hommes-femmes, donc on n’a pas besoin d’expliquer d’où vient la campagne pour que les gens comprennent.

Vous savez comment la campagne a été perçue dans les rares endroits où elle a été dif-fusée ?

F.V : Oui, parce que malgré qu’on n’ait pas organisé de diffusion de ces affiches, on les a quand même affiché dans le centre de recherche où sont nos locaux par exemple. Trois- cent étudiants viennent régulièrement dans cet institut. Il y a eu du vandalisme sur les affiches, et puis des critiques typiques comme: «les hommes aussi sont persécutés, ça ne sert à rien de

12Femme-Objet — 2017 — Diffusion

stigmatiser…» Mais il y a eu aussi des gens qui ont répondu sur la même affiche, ils la défi-guraient mais ce n’est pas grave, ça crée du dialogue. Les gens disent «Oh la la, c’est encore WAX qui a mis des affiches féministes partout…», alors qu’on se bat depuis quatre ans pour expliquer qu’on ne fait pas que ça. Mais du coup ça veut dire que ça suscite quand même un peu de réactions, et c’est le but.

C’est le féminisme qui a suscité tant de réactions ?

F.V : Oui toujours. Au début, on avait beaucoup de mal à assumer qu’on était féministe. Et au bout d’un moment on s’est dit que c’était idiot : « On est tellement féministe il faut qu’on arrête de faire semblant de ne pas l’être. »Même moi dans mon entourage, tout le monde au début disait « Argh Flora est devenue fémi-niste ! C’est horrible, elle va devenir une grosse intégriste, en plus elle va devenir lesbienne ! » Et en fait ce qui est cool, c’est que même à mon échelle, dans ma propre famille, j’ai un peu changé l’image que les gens avaient de ce que c’était que le féminisme. Je n’ai pas changé, je suis toujours la même. C’est juste que les gens comprennent qu’être féministe, ce n’est pas forcément poser mes seins sur une urne pour dire que je ne suis pas d’accord. Ce n’est plus ça aujourd’hui. Il y a un spectre hyper large de ce que c’est que d’être féministe, et nous on est quelque part dans ce spectre-là, qui est peut-être un peu plus modéré que ce qui se faisait avant. Mais clairement on est féministe donc il y a un moment où il faut arrêter de se voiler la face. Maintenant par exemple, on a envie de faire une sorte de kit sur les gender studies, pour expliquer un peu, pas vraiment pour «dédiaboliser» mais... Je pense que c’est un peu comme le changement climatique, les gens en ont tellement entendu parler qu’ils n’en peuvent plus.

Et les gens de l’association ?

F.V : Tous les gens de l’association trouvaient ça marrant, certains trouvaient ça un peu limite mais marrant quand même, c’est WAX, quoi !Et puis, un autre exemple de retour, c’est celui de ma famille qui m’ont dit, en gros, « Oh c’est un peu trop, vous étiez pas obligés d’aller aussi loin. » Et pourtant mes parents ne sont pas des gros conservateurs mais ils ont trouvé ça un peu violent.

Donc vous n’avez pas cherché d’autres retours ?

A.C : Ben si, nous le but c’est quand même que notre affiche elle soit diffusée : on n’est pas ravis de faire seulement le concours et que les affiches restent dans le placard: le but c’est que ça sorte ! Mais c’est une question de moyens humains et de temps, et c’est bien le problème. Là c’est différent, y’a plus de monde dans l’association et plus de gens qui y travaillent comme permanents, donc ça permet de vraiment faire quelque chose maintenant... Parce que, c’est vrai, cette campagne a été sous-sous-sous-utilisée. Mais il n’est jamais trop tard !

La réception et les 11-15 ans

Est-ce que le public ado constitue un public envisageable pour ces affiches ?

13Femme-Objet — 2017 — Diffusion

F.V : Oui mais pas forcément pour être diffusé dans les collèges. Je dirais que c’est à la dis-crétion des profs. Pour moi, il faudrait qu’ils prennent celles qui ne sont pas trop trash. Mais peut-être que je suis trop naïve sur les collèges, ce qui s’y dit, et les problématiques qui y sont abordées...A.C : En tout cas des choses comme la promotion canapé ou la plante verte, je ne crois pas que ça parle aux collégiens, je pense qu’ils ne sont pas au courant de ces concepts de potiche, je ne sais pas si c’est des références qu’ils ont. Mais ça peut être bien d’en parler, oui.Oui d’ailleurs personnellement, la promotion canapé on ne l’avait pas comprise tout de suite, ça ne fait effectivement pas partie des références qu’on a...F.V : Oui alors que, parmi toutes les affiches, c’est la seule qui a servi après au Ministère: on l’a aperçu dans le bureau de Najat Vallaud-Belkacem ! Ce n’est pas étonnant, parce que dans le monde de la politique aussi ces inégalités constituent un vrai problème. Et je sais que dans le milieu de l’égalité professionnelle également, dans lequel on gravite un peu parfois, là c’est leur affiche préférée. Et ce sont vraiment des associations importantes qui font la promotion de l’égalité des femmes dans le milieu des entreprises, où la promotion canapé a un gros succès. C’est rigolo parce qu’en fonction des cercles, ce ne sont pas tout à fait les mêmes affiches qui sont mises en avant.

Publicité sociale et bénévolat

Qu’est-ce qui vous a motivé à travailler bénévolement pour cette campagne ?

F.V : D’abord, comme je vous disais, la dynamique de concours collait très bien avec la moti-vation donc on avait besoin et le fait qu’un tel cadre laisse libre court à la créativité Et puis le thème était dans la ligne de notre association; même si cette campagne correspond en fait à une frange marginale de l’asso, plus tournée vers le féminisme que vers la science. Mais quand on laisse parler les Femen qu’il y a en nous, voilà ce qu’on fait ! Mais le reste du temps, dans ce qu’on fait on vise surtout plutôt à créer un environnement qui ne soit pas stéréotypé. C’est ce qui nous paraît important, plus qu’autre chose, et c’est aussi ce qui nous paraît le plus violent.

Éducation à l’image et aux médias

En général, vous trouvez important de développer l’éducation aux images à l’école ?

F.V : Oui, pour moi travailler le regard à l’image c’est un truc super important parce que ça développe l’esprit critique. Et susciter l’esprit critique ça peut se faire de pleins de manières différentes : par une approche drôle, ou au contraire violente…. Et notre approche à nous ici c’était d’encourager un côté décalé, de susciter la curiosité, de pousser les gens à se poser une question. Là en l’occurrence, ces affiches-là c’était pour susciter le questionnement avec un décalage un peu trash. Avec les Découvreuses anonymes, on cherche à susciter surtout la curiosité, et on le fait avec simplement une question et un joli graphisme, voilà.Et puis on s’est rendu compte assez vite avec Alice en bossant sur la promotion des sciences, à quel point les médias étaient puissants en termes de message véhiculé, qui sont souvent des idées reçues. Dans leurs interviews, dans leur présentation, c’est aussi une idée plus gé-nérale qui passe; et - c’est tout bête mais - le fait d’interviewer toujours des experts et pas des

14Femme-Objet — 2017 — Diffusion

expertes, et ben ça joue beaucoup. Le schéma du mec en blouse blanche qui passe à la tv et tout ça, c’est toujours le même et ça crée un environnement qui n’est pas anodin. L’éducation à l’image pourrait rendre les jeunes avisés par rapport à ça, justement.Et quand on était invitées à faire des interventions en milieu scolaire, beaucoup de profs nous disaient « Ah non, ça nous intéresse pas l’égalité hommes-femmes, donc on voudrait vraiment que vous ne parliez que de sciences. ». Du coup, nous on respectait ça mais on faisait un gros effort pour faire des présentations qui n’étaient pas stéréotypées. Donc on n’allait pas dans les classes pour dire « Attention, c’est naze, l’égalité n’existe pas ! », mais à côté de ça on était quand même deux nanas qui viennent parler de science, et dans nos exemples il y avait tou-jours un grand scientifique et une grande scientifique… Enfin voilà, ça passe par ça aussi. D’où l’importance de l’éducation à l’image à mon avis, oui.

Vous n’avez pas cherché à diffuser ces affiches en milieu scolaire, dans les collèges par exemple ?

F.V : Pas trop non. D’une part, parce qu’on est surtout contactés pour faire des ateliers de sensibilisation sur les stéréotypes mais dans la science seulement. Souvent, on y va avec le kit des «Découvreuses anonymes», par exemple, et on parle de sciences, de stéréotypes de genres dans la science, à travers des ateliers. Et on ne montre celles-là que rarement parce que «salope» ça ne va pas par exemple, ou alors on ne leur montre qu’une partie. Mais c’est utile, c’est sûr, parce qu’en allant dans les collèges on a assisté parfois à des élèves qui nous disaient qu’ils ne pensaient pas du tout qu’il y avait encore des inégalités, et là on se dit que c’est bien d’avoir mis le doigt dessus. Parfois par contre les gens peuvent se bloquer, et là c’est anti-productif d’avoir un discours ouvertement féministe. Il vaut mieux y aller par un contenu non stéréotypé… Tout est une question de communication !

Et qu’est-ce que les collégiens comprennent ou ne comprennent pas ?

F.V : La promotion canapé ils ne comprennent pas forcément, ils n’en sont pas encore là. Et puis on se demande aussi si ça ne revient pas un peu à courir le risque de véhiculer précisé-ment ces stéréotypes là en les montrant, puisqu’ils ne les connaissent souvent pas forcément. Donc on n’a pas envie d’injecter ces éléments de langage trop tôt dans leurs esprits. C’est peut-être une campagne qui s’adresse plus à notre génération, c’est-à-dire des gens qui sont déjà au courant et qui peuvent prendre du recul. En tout cas pour certaines des affiches.

15Femme-Objet — 2017 — Réception

Première présentation des documents

Dans un premier temps, nous montrons aux collégiens les trois images, durant quelques se-condes. Puis, nous leur demandons d’écrire leurs premières impressions sur un papier, sans explication ou discussion préalable. Dans un second temps, nous leur présentons à nouveau les images, qui se trouveront devant eux pour le reste de l’échange.

Les écarts de compréhension

Maintenant que vous avez à nouveau l’image sous les yeux, la comprenez-vous de la même manière que la première fois ou la lisez-vous autrement ?

S : Oui, c’est plus clair.Y : Moi je ne comprends toujours pas trop, non. Pourquoi un balai à WC là ?

A ton avis ? Lis la phrase en-dessous à voix haute peut-être…

Y : Ah, c’est genre la maman c’est un balai ? C’est bizarre…A : Ben, c’est pour critiquer qu’on compare les femmes à des objets Y : Donc c’est pour dire qu’on parle aux femmes comme on parle aux objets ?

Qu’est-ce que vous aviez compris, ou pas compris, la première fois ?

A : Déjà, comme je n’avais pas lu le tout petit texte qui était en dessous je n’avais pas très bien compris, mais je savais que c’était pour dénoncer quelque chose, en voyant ce qui était écrit entre guillemets.S : Moi la chose que j’ai comprise tout de suite, c’est que c’était pour l’égalité hommes-femmes.

Selon vous, quelle est la signification de ces images ?

A : Je pense que ça dénonce le harcèlement des femmes au quotidien.S : La violence, pour celle-ci [Chérie, je suis rentré]. Et ça, je ne sais pas comment l’expliquer [T’es bonne]... Et ça c’est... les femmes qui font le ménage, enfin c’est les stéréotypes [Merci maman].Y : Ben ça dit que les femmes ne sont pas des objets. Mais en même temps c’est logique, enfin c’est normal...

ENTRETIEN RÉCEPTION — FOCUS GROUPE

Simon (S), Augustin (A) et Yseult (Y), élèves de 4e et viennent de trois collèges différents, à Paris et à Boulogne, interviewés en avril 2016.

16Femme-Objet — 2017 — Réception

Signification et compréhension

Dans un premier temps aviez-vous tout compris de cette image, de ce film ?

A et Y : Non, pas du tout.

C’est parce que vous avez d’abord vu les objets ?

Y : Oui, moi je trouvais que ce n’était pas évident que ça parle des femmes, en regardant rapi-dement comme ça. Justement, ce sont des objets donc bon… c’est bizarre.A : Oui moi d’abord les objets plutôt, mais en lisant les phrases entre guillemets j’ai penché plutôt pour les femmes...

Donc les phrases entre guillemets vous avez quand même eu le temps de les lire ?

S : Oui, juste celle-ci je n’avais pas eu le temps [Chérie, je suis rentré].

Maintenant vous pensez que vous avez tout compris, tout est clair ?

A : Oui moi je pense que j’ai tout compris.S: Oui mais je pense que « Les objets ne sont pas des femmes », ça pourrait être plus clair, mais je ne sais pas comment.

Cette phrase n’est pas claire ?

A : Si, ça va.S : Oui, enfin moyennement claire... Ça veut dire que les femmes ne sont pas des objets, c’est ça ?

C’est ça. Vous croyez que ça marcherait mieux, en disant ça plus simplement : « Les femmes ne sont pas des objets » ?

Y : Non, elle est quand même bien comme ça.S : Peut-être mais ça serait moins marquant parce qu’on voit ça un peu partout.

Pensez-vous que l’on peut comprendre le message des images au premier coup d’œil ?

S : Pas trop non.A : Sans s’attarder dessus, non je ne pense pas qu’on pourrait comprendre. Je pense qu’il faut prendre le temps de lire. Mais après, on en entend quand même beaucoup parler donc pour-quoi pas…Y : Non, il faut être intelligent pour comprendre quand même… Ce n’est pas clair, c’est trop compliqué.

Pourquoi compliqué ?

17Femme-Objet — 2017 — Réception

Y : Parce que ça parle de femmes mais ça ne montre pas de femmes donc ça ne marche pas trop…

Laquelle des trois images vous touche le plus ?

S : Celle sur la violence faite aux femmes, pour moi.A : Oui celle-là aussi.Y : Moi je ne sais pas trop, aucune ne me touche vraiment en fait...

Pensez-vous que le texte et les images vont bien ensemble ?

Tous : Oui.

Intentions et objectifs de communication

À votre avis, qui pourrait communiquer au travers de ces images ?

S et A : La mairie ?Y : Sûrement une association ou quelque chose comme ça…

A votre avis qui est visé comme public ?

S : Les adolescents...? Mais moins celle-là, plutôt les adultes... Celle-là, plutôt les adultes et celle-là plutôt les ados, donc en fait ça dépend…Y : Oui, tout le monde en fait.

Et plutôt des hommes ou des femmes ?

S : Des hommesY : Les deux à mon avis, mais surtout des hommes.

À votre avis, quel est le message ou la cause qu’ils veulent diffuser ?

A : Les femmes, le harcèlement, la violence... l’égalité hommes-femmes.S : Les femmes, enfin, l’égalité hommes-femmes.

À votre avis qu’est-ce qu’ils attendent comme réaction des « gens » ?

A : Du changement chez les personnes....S : De la réflexion.A : Oui de la réflexion et du changement chez les personnes... par exemple, chez les plus jeunes, pour qu’ils prennent conscience, et qu’ils changent.

Est-ce que c’est efficace, est-ce que ça marche ?

18Femme-Objet — 2017 — Réception

A et Y : Je pense que ça marche, oui.S : Les couleurs sont frappantes.A : Oui, l’objet attire l’œil et puis les phrases sont bien.

Impact et changement

Trouvez-vous que ces images sont bien faites ?

A : Oui, ça attire bien l’attention, ce sont des belles images, ça donne envie de regarder je trouve…S : Et puis, justement, on comprend avec le texte que ça parle quand même de femmes même s’il n’y en n’a pas en fait.Y : Moi, j’aime bien les couleurs, et il y a du contraste aussi, ça c’est bien… Mais on ne com-prend pas que ça parle de femmes, je trouve.

C’est facilement compréhensible pour des gens de votre âge ?

A : Oui je pense parce qu’on en entend parler souvent.S : Juste celle-là j’ai mis un peu plus de temps à comprendre [Chérie, je suis rentré]. A la sortie d’une école ça ne servirait pas à grand-chose mais sinon oui.A : Oui c’est vrai qu’en plus celui-là on ne voit pas bien le texte un peu long et moins le dessin... et puis on n’est pas mariés nous.

Donc si c’était affiché en dehors du collège, tout le monde pourrait comprendre ?

S : OuiA : Aussi, on en entend beaucoup parler donc je pense que les gens s’arrêteraient. Y : Ca dépend si les gens sont bêtes ou pas. Moi je pense qu’on ne regarde pas une affiche en passant comme ça… Enfin on passe devant mais, voilà, on se dit juste « Oh, un balai à chiotte ! » et voilà. On ne va pas se prendre la tête dessus. S : Oui mais quand même, les couleurs et tout, ça attire l’attention, on s’arrêterait devant sûre-ment.Y : Oui mais les gens n’ont pas forcément le temps ou envie de comprendre...

Mais si tu passais devant aurais-tu envie de t’arrêter pour lire ?

A : Oui c’est intrigant des objets comme ça et les textes par-dessus, je pense que je m’arrête-rais pour regarder.S : oui je pense parce que juste le titre ca m’aurait interpelé.

Y a-t-il des choses qu’on pourrait améliorer dans ces images ?

A : NonS : Ah, j’aurais peut-être mis la phrase entre guillemets en haut mais c’est tout.Y : Moi je trouve ça bizarre et pas clair les objets, ça serait mieux de mettre des vraies femmes

19Femme-Objet — 2017 — Réception

à la place.A : Non, le graphisme c’est bien, non ?Y : Moi je pense que si. Il faudrait des photos avec des femmes dessus pour comprendre le message, pas des objets. Parce que ça parle de femmes mais ça ne montre pas de femmes donc ça ne marche pas trop quoi…

Est-ce que cette image vous interpelle sur la cause dont il est question ?

S : Un peuA : Oui, c’est bien faitY : Pas trop en fait, parce que je ne suis pas un objet de toute façon, donc ça ne me concerne pas trop.

Pensez-vous que c’est utile de montrer ça ?

S : Oui.A : Oui je pense que c’est utile, si on affiche ça dans la rue, il y a plus de gens qui passent donc ça interpelle plus de monde qui pourrait être touché...Y : Pas trop. Enfin, c’est bon, ce n’est pas la peine. Il y a de moins en moins de discriminations donc ce n’est pas la peine de se battre encore plus quoi. Maintenant tout va bien.

À votre avis cette image, peut changer les opinions des gens, leurs comportements ?

S : Je pense, oui.Y : Je ne sais pas, ça dépend des gens…

Même ceux qui connaissent moins ces problèmes que vous ?

S : Oui je pense que ça pourrait quand même les toucher un peu...A : Ça aurait plus de mal à les atteindre mais je pense que ça pourrait marcher en réfléchissant un peu.

Par exemple, est-ce que vous pensez que quelqu’un qui tape sur sa femme va se dire, en voyant ça, qu’il doit arrêter ?

A : Je ne pense pas qu’en voyant ça il se dira « Ah mince, il faut que j’arrête ! », parce qu’il a déjà cette pensée dans sa tête de taper sa femme, mais…S : Oui c’est un peu bizarre de taper sur sa femme ! [rires des autres] Donc non, ça ne va pas le faire changer d’avis tout d’un coup comme ça devant une affiche.

D’accord. Et est-ce que vous pensez que quelqu’un qui interpelle les filles dans la rue pour leur dire « T’es bonne ! » ça pourrait le faire changer d’avis ?

S : Oui, je pense.A : Moi je pense que c’est aussi compliqué que pour le gars qui bat sa femme, mais par contre,

20Femme-Objet — 2017 — Réception

si d’autres gens voient l’affiche, là ça les pousserait peut-être à interpeller celui fait ça pour lui expliquer que ce n’est pas bien.

[Médiateurs désignant « Merci maman »] Et celle-ci ? Elle vous concerne peut-être un peu plus. Est-ce que si vous étiez dans ce cas vis-à-vis de votre maman, l’affiche vous pous-serait à changer ça ?

S : Les gens qui utilisent leur mère comme ça ils ne sont pas très bien élevés donc ce n’est pas… Enfin ça ne pourrait pas les faire changer d’avis.

À votre avis, est-ce que les jeunes de votre âge sont visés ?

A : Oui je pense. Il y a aussi des gens qui sont habitués à ça et donc qui le feront toute leur vie, même à 35 ans.S : Et aussi en crise d’adolescence on veut embêter les parents, donc ça concerne plus les ados peut-être.Y : Non, à mon avis ça a été fait pour des gens plus vieux, quand même, parce que nous on n’est pas concernées maintenant.

Vous ne vous sentez pas personnellement concernés ?

S : Non, pas trop.A : Si un peu…Y : Moi non… Je ne suis pas un objet.

À votre avis, est-ce que les jeunes de votre âge peuvent agir ? Est-ce que ça vous donne personnellement envie d’agir ?

S : Oui, c’est sûr qu’il faut faire un truc, mais on ne sait pas trop quoi…A : Oui, mais c’est déjà bien de connaitre ces problèmes à mon avis. Après agir carrément, ce n’est pas facile… Je ne sais pas.Y : On ne va pas faire de manifestations à 14 ans de toutes façons, donc non, on ne peut pas trop agir.

Par exemple si vous entendiez quelqu’un dire à une fille qu’elle est « bonne », vous pen-sez que vous ne pourriez rien faire ?

S : Ah ben ça dépend ! S’il fait 1,90 m… Moi je n’y vais pas hein ! [rires] Mais sinon, oui, on peut lui demander d’arrêter, lui dire que ça se fait pas du tout…Y : Moi je ne sais pas, ça m’est arrivé qu’on me dise ça mais… ça ne m’intéresse pas spécia-lement de me battre. Je préfère ne pas réagir...

C’est donc une chose que vous entendez parfois au collège ?

A : Ouais, j’ai dû l’entendre....S : Non moi je l’ai entendu dans une vidéo sur le droit des femmes, enfin sur les femmes et le

21Femme-Objet — 2017 — Réception

harcèlement de rue.Y : Non, pas au collège.

Et au niveau des questions que ça soulève, vous avez l’impression qu’on vous sensibi-lise à ça ?

Tous : Oui.

Simon, tu as écrit au début que tu avais déjà vu des visuels semblables, tu parlais du contenu, du message, ou seulement du graphisme ?

S : Plutôt le graphisme. Dans les centres sportifs, il y a des affiches comme ça. Mais le contenu aussi. Dessus il y avait une fille… Je crois que le texte c’était aussi « T’es bonne » ou un truc comme ça… Et le harcèlement de rue, est-ce que c’est un truc dont on vous parle au collège ?

S : Non, pas tellement.A : Moi oui. On a souvent des interventions, des gens qui viennent nous expliquer ce que c’est…Enfin la dernière fois ce n’était pas vraiment le thème des femmes mais c’était sur les homos, enfin contre l’homophobie…

À votre avis qu’est-ce que le « communiquant » pense que vous allez comprendre et penser de son image, de son film ?

Y : Je ne sais pas trop… Tout ça…?A : A mon avis, déjà, il espérait que dès la première seconde on soit interpellé, par l’image et le texte qu’il y a en-dessous.

Éducation à l’image et aux médias

Maintenant que vous les avez étudiées de plus près, est-ce que ça change votre manière de percevoir ces images ?

A : Oui.S : Oui, mais c’est assez simple aussi. Il n’y a pas besoin de beaucoup plus de réflexion.Y : Non, pas spécialement…

Vous trouvez que c’est intéressant d’en discuter en groupe ?

Y : Non, pas trop. Je ne sais pas si c’est vraiment la peine...S : Si, quand même. C’est toujours mieux de discuter avec des gens.A : Oui, je pense que c’est intéressant.

22Femme-Objet — 2017 — Réception

Pourquoi c’est intéressant?

S : Parce que ça nous fait réfléchir et tout…A : Et puis ça concerne plein de monde, alors c’est bien d’en discuter.

À votre avis, est-ce que cette discussion va influencer votre façon de regarder des images en général ?

Y : Pfff, c’est un peu compliqué...S : Ben c’est un peu long quand même à faire à chaque fois… [rires]. Mais oui ça serait inté-ressant de le faire pour toutes les images.A : Moi je le fais des fois, quand je vois des trucs comme ça je m’arrête pour regarder. Souvent je regarde juste le visuel, mais parfois… Oui, j’essaie de me poser quelques questions. Et est-ce que vous avez des cours d’éducation à l’image à l’école ?

Tous : Non.S : Enfin on avait de l’éducation civique jusqu’en 5e mais sinon non. Et on a étudié les droits des femmes, mais pas avec des images.

Est-ce que vous trouvez important de développer l’éducation aux images à l’école ?

A : Je pense que ça serait intéressant parce que ça peut faire réfléchir beaucoup de gens.Y : Oui, peut-être, mais ça doit être un peu chiant d’apprendre ça.S : Après en Histoire on analyse aussi des images parfois, et c’est un peu pareil. Mais ce n’est pas le même thème. C’est souvent des tableaux, et la prof nous demande ce qu’il y a au pre-mier plan, au deuxième plan…A : Et en dessin aussi, on fait ça dans mon collège.

Et selon vous, les adultes devraient savoir faire ça aussi ?

A : Oui, parce que ça concerne beaucoup les adultes aussi. Surtout là, le truc de la femme battue c’est une affiche qui parle plus aux adultes qu’à nous par exemple. Ça ferait réfléchir pas mal de monde si on s’attardait un peu plus sur des images comme ça.S : Et puis, ça permettrait d’être moins influencé par des images comme la pub par exemple.Y : Oui, tout le monde devrait savoir le, même si on n’est pas obligés de le faire à chaque fois non plus.

23Femme-Objet — 2017 — Médiation

Les images étudiées ont été conçues en 2014, par l’association WAX Science, dans le cadre du concours Égalitée 2014, organisé par Najat Vallaud-Belkacem, à l’époque Ministre des Droits des femmes. Pour ce concours, les jeunes de 16 à 25 ans étaient invités à soumettre, en vue de la journée internationale des Droits des femmes du 8 mars, des productions graphiques, filmiques ou textuelles portant sur le thème de l’égalité hommes-femmes.

L’association WAX Science a, pour l’occasion, produit un texte, un court-métrage intitulé « Presque », ainsi que 7 affiches sur le thème Femme-objet. Ces affiches ayant terminé parmi les dix productions graphiques finalistes, elles ont été exposées lors de la remise des prix par les membres du jury et par Najat Vallaud-Belkacem à la Gaîté Lyrique, le 7 mars 2014. Par la suite, les affiches ont été diffusées au sein du ministère, et ont été affichées par WAX Science au sein du Centre de Recherche Interdisciplinaire, où se trouvent les bureaux de l’association. Elles ont également été mises à disposition sur le site de WAX. Cependant, la campagne n’a jamais fait l’objet d’un réel travail de diffusion de la part de l’as-sociation.

WAX Science (What About Xperiencing Science) est une association loi 1901 née en mars 2013, dont le but est de promouvoir la science auprès des jeunes (15-25 ans), ainsi que la mixité dans les sciences, afin de les rendre plus accessibles et de sensibiliser aux questions de stéréotypes dans les métiers scientifiques, le tout en adoptant une posture éducative, visuelle, ludique et décalée. WAX Science, donc une association prolifique et protéiforme, travaillent la plupart du temps sur plusieurs de projets en même temps. L’association a été fondée par Aude Bernheim et Flora Vincent, alors jeunes ingénieures et étudiantes au Centre de Recherches Interdisciplinaire. Le visuel et l’aspect ludique étant au centre du projet de WAX dès sa création, l’association s’est dotée de deux jeunes designers graphiques occupant le poste de codirec-teurs artistiques. La création de l’association a donc été immédiatement suivie de la création d’un site internet, afin de permettre la diffusion des ressources et la mise en place d’une identité visuelle. WAX Science produit des kits graphiques et scientifiques sur divers sujets, et les membres de l’asso-ciation interviennent régulièrement dans des établissements scolaires ou des conférences, et animent des ateliers scientifiques ou concernant la théorie du genre et ses stéréotypes.

La campagne d’affiches Femme-objet est l’un des projets les plus féministes et désintéres-sés du travail scientifique que l’association ait pu produire. Les membres de l’association se considèrent évidemment comme des féministes, mais se précisent modérés et souhaitant se tenir à l’écart des discours clivants d’un certain type de féminisme qui effraie le public. L’éga-lité hommes-femmes est néanmoins une cause chère à l’association et à ses membres, qui

ANALYSE ET SYNTHÈSE DES MÉDIATEURS

24Femme-Objet — 2017 — Médiation

luttent pour une meilleure représentation des femmes dans la science et plus d’égalité dans le domaine de la recherche.

La décision de participer au concours a été une décision de groupe, bien que l’exécution du projet n’ait mobilisé qu’une poignée des membres de WAX. Cette participation au concours Égalitée 2014 a non seulement été motivée par le thème, en accord avec les missions de l’association, mais aussi par le fait de considérer cet « appel à projet » comme une façon in-téressante de produire de nouvelles ressources pour l’association, tout en abordant un thème jusqu’alors peu abordé seul, en dehors du domaine des sciences. Au sein de la très large ques-tion de l’égalité hommes-femmes, il a semblé aux concepteurs que l’objectivation de la femme était, dans notre société, le frein principal à cette égalité. Le sujet de la femme-objet s’est donc présenté comme une évidence, sur le plan graphique notamment, car cela permettait d’abor-der la question par métaphore, sans nécessiter un réalisme visuel jugé rébarbatif. La volonté principale des concepteurs a été que les affiches soient frappantes, tant par leur message, que par leur design graphique. Des objets de la vie quotidienne y sont représentés, soulignés par des phrases ou expressions misogynes, placées entre guillemets. Dans ces affiches, les objets quotidiens représentés sont en fait des métaphores de la femme, à qui l’on s’adresse comme à un objet, afin de mettre en lumière l’objectivation qui a lieu lorsque lui sont adressées de telles phrases. Ainsi, ces affiches tentent de dénoncer l’effet néfaste que produisent ces phrases, et de mon-trer, par exemple, que dire trivialement « T’es bonne » à une femme est une façon de la trans-former en un simple morceau de viande. Afin d’atténuer ces propos un peu violent, la violence visuelle a, quant à elle, été écartée. Les images, le trait et les typographies se veulent lisses, simples, colorés et presque joyeux. Le but étant que ces images puissent être diffusées au plus grand nombre, y compris auprès des jeunes, bien que WAX Science n’ait jamais été amenée à le faire. De fait, c’est la violence du propos et non celle des images qui est ici mise en valeur. Les forts contrastes de couleurs et les fonds unis de couleurs vives ont pour but non pas de choquer, mais d’attirer l’œil et d’obliger le regardeur à réfléchir et à faire le lien entre le propos et l’objet. En bas de chaque affiche, une phrase supplémentaire souligne et explicite le message : « Les objets ne sont pas des femmes. L’inverse non plus. »

Les affiches n’ayant jamais fait l’objet d’une campagne de diffusion, les réactions observées ont été celles, d’une part, du cercle proche de l’association et du cercle privé des concepteurs, et d’autre part, celles du jury du concours Égalitée. Au sein de l’association et du Centre de Recherche Interdisciplinaire, dans lequel les affiches ont été exposées, l’accueil a été plutôt positif, même si certaines personnes ont semblé considérer que le propos était peut-être trop violent et allait « un peu trop loin ». Au sein du cercle privé et familial des concepteurs, le même avis est ressorti, certaines per-sonnes jugeant que le message était inutilement choquant. Au contraire, dans le cadre du concours, les affiches ont été appréciées, non seulement pour leur propos direct et clair, mais aussi pour leur élégance graphique. Il nous a été rapporté que Najat Vallaud-Belkacem aurait accroché l’affiche sur le thème de la « promotion-canapé » dans son bureau, ce qui montre qu’il s’agissait pour elle d’un problème important dans le cadre des missions de son ministère.

25Femme-Objet — 2017 — Médiation

De plus, les affiches ayant été exposées parmi les dix productions finalistes, il semble que ni le message ni l’exécution graphique n’aient, dans ce contexte, semblé choquer. L’affiche gagnante du concours, représentait d’ailleurs elle aussi un objet et traitait elle aussi de l’objec-tivation des femmes, ce qui montre que ce thème et ce message ont été parmi ceux qui ont le plus touché le jury. Il est également intéressant de noter que, pour les médiateurs comme pour les collégiens interrogés, les images n’ont pas paru spécialement choquantes, certains des collégiens nous ayant même confié avoir déjà vu ce type de productions graphiques et ce type de messages dans des endroits qu’ils fréquentent régulièrement. Cependant, la totalité de la campagne n’était pas aisément compréhensible pour eux, cer-taines affiches faisant plutôt référence à des problématiques d’inégalités dans le « monde des adultes ». La diversité des références mobilisées pour la compréhension des différentes affiches confirme qu’à travers l’exercice de style que constituait le concours, WAX Science a souhaité produire une campagne à large spectre. La campagne n’a pas directement pour cibles les jeunes mais aborde, selon les souhaits de ses concepteurs, une variété d’âges et de situations quotidiennes dans lesquelles les stéréotypes ont la peau dure. La volonté de l’association étant avant tout de produire des outils de qualité, et non de les diffuser, cette variété de cibles potentielles est un atout, car elle permet aux différents utilisateurs de sélectionner les affiches qui sont le plus proches de leurs préoccupations, comme l’affiche « Promotion Canapé » dans le monde de l’entreprise. L’association met donc à disposition d’une multiplicité d’acteurs des outils gra-phiques diffusables librement, permettant ainsi une multiplicité de « sous-campagnes » dif-férentes. Dans une attitude assumée de libre partage des informations, caractéristique de la génération « millennials », WAX Science laisse donc sa « boîte à outils » à la discrétion des diffuseurs et de leurs combats.

26Femme-Objet — 2017 — Synthèse et tableau comparatif

01L’item et son contexte

La série d’affiches Femme-objet vise à sensibiliser le public sur l’objectification des femmes. Le design graphique est simple et consiste en un ensemble de fonds unis de couleurs vives avec au centre une représentation d’un objet en-dessous duquel sont écrites quelques lignes de texte en blanc. Entre guillemets figure une phrase ou expression misogyne en bas de la-quelle on lit la phrase « leitmotiv » suivante: « Les objets ne sont pas des femmes. L’inverse non plus. »

SYNTHÈSE ET TABLEAU COMPARATIF

02Communauté de production

Cette série d’affiches a été créée par l’association WAX Science (What About Xperiencing Science) dans le cadre du concours Égalitée 2014, organisé en vue de la journée interna-tionale des Droits des femmes par la Ministre des Droits des femmes à l’époque, Najat Val-laud-Belkacem. Ce concours représentait pour une partie des membres de l’association la possibilité de réaliser un projet ciblé sur l’égalité hommes-femmes, un thème jusqu’alors peu abordé seul, en dehors du domaine des sciences, dans leurs projets.

03Communauté de diffusion

En réponse à l’appel à projets de Égalitée 2014, WAX Science a produit un texte, un court- métrage et la série de 7 affiches Femme-objet. Celles-ci ont été parmi les dix finalistes exposées lors de la remise des prix au sein du ministère, puis affichées au sein du Centre de Recherches Interdisciplinaires (où se trouvent les bureaux de WAX Science) et partagées sur leur site internet. Au delà de cette communica-tion limitée, la campagne n’a jamais fait l’objet d’un réel travail de diffusion de la part de l’association.

04Communauté de réception

Après un premier visionnage rapide, les collégiens de notre focus group n’ont pas entièrement saisit le message des affiches, mais l’un d’entre eux a pensé qu’il s’agissait des droits des femmes et un autre a suggéré que les visuels dénonçaient quelque chose. Ils ont tous trouvé le design graphique saisis-sant. Après un deuxième visionnage, en prenant le temps de lire tout le texte dans chaque affiche, les collégiens ont pu comprendre le rapport entre les objets représentés et les phrases associées.

27Femme-Objet — 2017 — Synthèse et tableau comparatif

Item

s si

gnifi

ants

décl

arés

lors

de

l’ent

retie

nde

pro

duct

ion

LA

CO

MPO

SITI

ON

L’O

BJE

TR

EPR

ÉSEN

EXPR

ESSI

ON

SM

ISO

GYN

ES

TEXT

E

Com

posa

ntes

inte

rpré

tées

du

doc

umen

t vis

uel

inve

rsio

n d’

une

fem

me,

cib

le

de te

lles

phra

ses

clic

hées

, av

ec u

n ob

jet «

inno

cent

»,

du q

uotid

ien

• vi

suel

sim

ple

d’un

obj

et d

u qu

otid

ien

• Au

pre

mie

r cou

p d’

œil

on

s’at

tend

à v

oir u

ne p

ublic

ité.

• re

cher

che

parm

is le

s ex

pres

sion

s m

isog

ynes

les

plus

pop

ulai

res

• at

tent

ion

porté

e au

pot

en-

tiel v

isue

l qu’

elle

s pe

uven

t ap

porte

r

surp

rena

nt / é

trang

e de

voi

r un

e ph

rase

ou

expr

essi

on

si v

iole

ntes

sur

un

desi

gn

qui f

ait p

lutô

t pen

ser à

une

pu

blic

ité

envi

e de

com

mun

ique

r un

mes

sage

dire

ct p

our d

é-no

ncer

l’ob

ject

ifica

tion

des

fem

mes

et l

es e

xpre

ssio

ns

mis

ogyn

es

Le m

essa

ge p

arvi

ent d

irec-

tem

ent,

com

me

une

inte

rpel

-la

tion

au p

ublic

et f

onct

ionn

e co

mm

e un

e m

oral

e à

rete

nir.

Le d

esig

n es

t séd

uisa

nt e

t co

ntra

ste

avec

la v

iole

nce

du m

essa

ge.

• ob

jet p

rosa

ïque

pla

cé a

u ce

ntre

, sur

un

fond

col

oré

uni :

attir

e le

rega

rd e

t la

curio

sité

• te

xte :

déc

alag

e en

tre m

es-

sage

atte

ndu

et m

essa

ge

déliv

Item

s si

gnifi

ants

décl

arés

lors

de

l’ent

retie

n de

diff

usio

n

un v

isue

l « tr

ès lé

ché,

très

m

igno

n, tr

ès b

ien

fait,

sur

un

joli

fond

de

coul

eur »

.

déca

lage

vou

lu e

ntre

l’ob

jet

anod

in e

t une

exp

ress

ion

mis

ogyn

e ( e

x. p

lant

e ve

rte

pour

faire

réfé

renc

e à

l’exp

ress

ion

« fai

re p

lant

e ve

rte »

)

• co

nsta

t que

la c

ompr

éhen

-si

on n

’est

pas

évi

dent

e

• hé

sita

tion

à re

mpl

acer

par

la

form

ulat

ion

dire

cte :

« Les

fem

mes

ne

sont

pas

de

s ob

jets

. »

Une

form

e de

des

ign

( un

fond

de

coul

eur +

un o

b-je

t + te

xte

et «

pun

chlin

e » )

orig

inal

e et

« d

écal

ée »

qui

vise

à s

usci

ter l

e re

gard

.

Item

s si

gnifi

ants

décl

arés

lors

de

l’ent

retie

n de

réce

ptio

n

La m

étap

hore

de

l’obj

et

n’es

t pas

com

pris

e to

ut d

e su

ite, i

ls d

isen

t qu’

un te

mps

de

lect

ure

et d

e ré

flexi

on e

st

néce

ssai

re.

Lors

du

prem

ier v

isio

nnag

e,

le ra

ppor

t ent

re l’

expr

es-

sion

et l

’obj

et s

usci

te d

e la

co

nfus

ion.

conf

usio

n da

ns la

lect

ure ;

su

gges

tion

que

la fo

rmul

a-tio

n n’

est p

as c

ompl

ètem

ent

clai

re

Un

desi

gn q

ui ra

ppel

le

d’au

tres

affic

hes

pour

cam

-pa

gnes

/ ass

ocia

tions

qu’

ils

ont d

éjà

vu.

Item

s si

gnifi

ants

méd

iésp

ar le

méd

iate

ur

Des

ign

de l’

obje

t des

siné

gr

aphi

quem

ent c

ontre

un

fond

uni

de

coul

eur r

appe

lle

une

cam

pagn

e pu

blic

itaire

.

Le p

lace

men

t des

exp

res-

sion

s en

tre g

uille

met

s fa

it pe

nser

que

le te

xte

est

adre

ssé

à l’o

bjet

, et d

onc

que

l’obj

et re

mpl

ace

une

fem

me.

néce

ssité

d’e

ffect

uer u

ne

« gym

nast

ique

inte

llec-

tuel

le »

en re

tour

nant

une

ph

rase

con

nue :

« L

es fe

mm

es n

e so

nt p

as

des

obje

ts. »

pou

r abo

utir

à ce

lle-c

i et l

a co

mpr

endr

e.

Visu

els

frapp

ants

, cer

tain

s ob

jets

( ja

mbo

n, ta

mpo

n )

sont

rend

us s

urpr

enan

ts p

ar

la c

ompo

sitio

n, a

lors

qu’

il s’

agit

d’ob

jets

du

quot

idie

n.