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BABELAO Electronic Journal for Ancient and Oriental Studies 2 (2013) A. FOURNET, Eléments de morphologie et de syntaxe de la langue hourrite (p. 3-52) A. TOUROVETS, When the Historical Events are Hidden in a Story (p. 53-68) F. BOUZID-ADLER, Anthroponymie iranienne dans la plaine hyrcanienne (p. 69-86) C.-B. AMPHOUX, Les lieux de rédaction des lettres de Paul d’après la tradition manuscrite (p. 87-104) A. KAPLAN, Expertise paléographique du ms. Syr Bagdad 210 en vue de sa datation (p. 105-121) M a T. ORTEGA-MONASTERIO, Un solo manuscrito en dos bibliotecas: el comentario de Raši a la Biblia (p. 123-139) T. DURANT, Some Aspects of the Religious Organization of St. Thomas Christians during the Pre-colonial Period (p. 141-157) E. GOGIASHVILI, About Georgian Fairytales (p. 159-171) ACADÉMIE BELGE POUR L’ETUDE DES LANGUES ANCIENNES ET ORIENTALES (ABELAO) UNIVERSITÉ CATHOLIQUE DE LOUVAIN

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  • BABELAO

    Electronic Journal for Ancient and

    Oriental Studies

    2 (2013)

    A. FOURNET, Elments de morphologie et de syntaxe de la langue hourrite (p. 3-52)

    A. TOUROVETS, When the Historical Events are Hidden in a Story (p. 53-68)

    F. BOUZID-ADLER, Anthroponymie iranienne dans la plaine hyrcanienne (p. 69-86)

    C.-B. AMPHOUX, Les lieux de rdaction des lettres de Paul daprs la tradition manuscrite (p. 87-104)

    A. KAPLAN, Expertise palographique du ms. Syr Bagdad 210 en vue de sa datation (p. 105-121)

    Ma T. ORTEGA-MONASTERIO, Un solo manuscrito en dos bibliotecas: el comentario de Rai a la Biblia (p. 123-139)

    T. DURANT, Some Aspects of the Religious Organization of St. Thomas Christians during the Pre-colonial Period (p. 141-157)

    E. GOGIASHVILI, About Georgian Fairytales (p. 159-171)

    ACADMIE BELGE POUR LETUDE DES LANGUES ANCIENNES ET ORIENTALES (ABELAO)

    UNIVERSIT CATHOLIQUE DE LOUVAIN

  • BABELAO

    Electronic Journal for Ancient and

    Oriental Studies

    General Editor/Directeur

    Jean-Claude Haelewyck (Louvain-la-Neuve)

    Assistant Editors/Secrtaires

    Axel Van de Sande (Bruxelles), David Phillips (Louvain-la-Neuve)

    Editorial Committee/Comit de rdaction

    Alessandro Bausi (Hamburg), Anne Boudhors (Paris), Antoine Cavigneaux (Genve), Sabino Chial (Bose), Bernard Coulie (Louvain-la-Neuve), Alain Delattre (Bruxelles), Johannes Den Heijer (Louvain-la-Neuve), Didier Devauchelle (Lille), Jean-Charles Ducne (Bruxelles), James Keith Elliott (Leeds), Jean-Daniel Macchi (Genve), Michael Marx (Berlin), Claude Obsomer (Louvain-la-Neuve), Agns Ouzounian (Paris), Tamara Pataridz (Louvain-la-Neuve), Paul-Hubert Poirier (Laval, Qubec), Vronique Somers (Paris, Louvain-la-Neuve), David Taylor (Oxford), Anton Vojtenko (Moscou).

    ISSN: 2034-9491

  • BABELAO 2 (2013), p. 3-52

    ABELAO (Belgium)

    Elments de morphologie et de syntaxe de la langue hourrite

    Destins ltude des textes mittaniens et anatolo-hittites

    Par

    Arnaud Fournet La Garenne Colombes, France

    article a pour objectif central de dcrire la morphologie, les classes lexicales et la syntaxe de la langue hourrite, dans ce quelle a de mieux comprise, avec loptique particulire de

    faciliter ltude philologique des documents en langue hourrite dorigine mittannienne et anatolo-hittite. Le point de rfrence pris en compte pour la description est ltat de langue reflt dans la Lettre du Mittanni, un document assurment crit par des locu-teurs hourrites. La langue dcrite ci-dessous est dans une certaine mesure normalise, et elle gomme la variation observe dans les textes, tant dans les graphies que les formes. Elle sera appele hourrite classique normalis (HCN). Cette opration a pour but de fournir une rfrence universelle, aussi naturelle et fidle que pos-sible, avec laquelle on puisse lucider les formes rellement attestes, soit directement soit par cart. Ces carts, dont lorigine tient principalement au grand laps de temps qui spare les diff-rents documents, et peut-tre des variantes dialectales, sont galement dcrits.

    L

  • 4 A. FOURNET

    Les questions comparatives, tymologiques, historiques, pho-ntiques et graphmiques sont rduites au strict minimum et ne sont voques que dans la limite de leur pertinence par rapport lobjectif de dcrire une sorte de hourrite normalis et les carts pratiques cette norme. La partie thorique (.1 14) est suivie dun exemple de mise en oeuvre des principes grammaticaux.

    1. Introduction la problmatique hourrite

    1.1. Le hourrite est une langue, dsormais teinte, qui fut par-le en Anatolie et dans le nord de la Msopotamie. Elle est atteste sous forme crite pendant environ mille ans partir du dernier tiers du 3me millnaire jusquau milieu du 13me sicle avant J.C. Dans les textes francophones du dbut du 20me sicle on trouve la variante orthographique hurrite, dans laquelle le digraphe est not avec la seule lettre . Cette langue tait appele hurlili en hittite, [x r ] en alphabet ougaritique, ce qui se vocalise */xurrui/ en alphabet phontique international ou *h}urrui si lon adopte les conventions smitologiques. Le terme hourrite lui-mme, et ses variantes contemporaines : anglais hurrian, allemand hurritisch, italien hurrico, etc., pour la langue, et anglais Hurrian, allemand Hurriter, italien Hurrito, etc., pour les locuteurs hourrites, repose sur lauto-ethnonyme hurruhi, et sa variante , dapparence phontique archasante , o lon reconnat le suffixe -hi- grce auquel le hourrite forme des ethno-nymes. La base hurri est par exemple atteste dans les anctres hourrites (KBo I 3 Vo 27) figurant dans un trait conclu entre Hourrites et Hittites. En langue hattie, parle au nord-ouest des Hourrites, et qui est le substrat de la langue hittite, aussi appele nsite, lethnonyme des Hourrites se dit , dans lequel exprime en hatti le pluriel de la base lexicale .

    1.2. Lauto-ethnonyme hurruhi est crit dans la Lettre du Mittanni avec un signe cuniforme lecture multiple : hur ou har. Laroche1 semble mettre un doute quant la voyelle radicale de hurruhi et hurwuhi. Pourtant, quelque cinquante ans plus tt, Ungnad2 avait fait remarquer que ce signe, certes a priori am-bigu, semble dans les faits toujours dcompos hu-ur et jamais **ha-ar, confirmant ainsi la voyelle [u]. Un point dhistoriographie hourritologique est fourni par Gelb3 : the name of the [Hurrian]

    1 E. LAROCHE, Glossaire de la langue hourrite (= Revue Hittite et Asianique,

    34/35), Paris, 1980, p. 14. 2 A. UNGNAD, Hurriland und Mitanni , Zeitschrift fr Assyriologie und Vor-

    derasiatische Archologie 36 (1925), p. 101. 3 I.J. GELB, Hurrians and Subarians. Chicago (Illinois), 1944, p. 50-51. Le

    nom du peuple hourrite fut dabord lu Harri, lidentit suppose de ce nom avec celui des Aryens servant dappui cette lecture. Cependant il fut vite mon-

  • Elments de morphologie et de syntaxe de la langue hourrite 5

    people was at first read as Harri, the alleged identity of this name with Aryan serving as support for the reading. Soon, however, it was shown that the HAR-ri could not be Aryans, because their language was not Indo-European. Consequently the reading Harri was abandoned in favor of Hurri .

    1.3. Le hourrite est surtout connu comme tant la langue de ce qui fut autrefois le royaume du Mittanni4. Il est probable que la majeure partie des habitants du Mittanni parlaient hourrite et que cette rgion est leur foyer dorigine. La priode mittannienne, qui va denviron -1500 -1300, constitue lapoge de linfluence et de la prsence des Hourrites au Proche-Orient ancien. Au dbut du 2me millnaire avant J.C, le hourrite tait parl au sud-est de lAnatolie et dans la rgion du Zagros-Taurus au nord de la M-sopotamie. Puis au milieu du 2me millnaire linfluence hourrite crot et stend la Syrie et la Cilicie (Kizzuwatna). Aprs la conqute assyrienne des rgions peuples par les Hourrites, au nord de la Msopotamie, beaucoup dentre eux furent dports par Tukulti-Ninurta I (de -1244 -1208), qui avait besoin de main duvre pour btir sa nouvelle capitale. Ces vnements ont cer-tainement caus des torts considrables la perptuation de la langue hourrite. En consquence probable de ces faits tragiques il nexiste pas dattestation directe de la langue hourrite au 1er mill-naire avant J.C mais Gelb5 mentionne plusieurs noms de princes hourrites cette poque tardive, que les Assyriens durent com-battre dans les montagnes du nord(-est) de la Msopotamie.

    1.4. Le hourrite est apparent lourarten, une langue atteste au 1er millnaire avant J.C au nord-est du domaine hourrite, dans la zone o lon dcouvre plus tard le peuplement armnien. Quelques dizaines de mots armniens sont reconnaissables comme des survivances lexicales du substrat hourro-ourarten, qui existait avant que la langue armnienne, de filiation indo-europenne et proche du grec, ne fasse intrusion et ne conduise au remplacement de lourarten. Diakonov et Greppin ont beau-coup contribu inventorier ces mots substratiques en armnien6. Ces lexmes sont intressants car ils clairent la phonologie de lourarten, tant pour les voyelles que les consonnes, et aussi de faon indirecte la phontique implicite des signes cuniformes. Bien quil soit attest aprs le hourrite, lourarten ne descend pas de cette langue mais constitue une branche sur. La parent du hourrite et de lourarten est admise depuis les annes 1930. Elle est mentionne par Speiser, Gelb, etc. Elle a t dcrite et dtail-le dans les travaux de Diakonov sur cette question dans les

    tr que les HAR-ri ne pouvaient pas tre aryens car leur langue ntait pas indo-europenne. En consquence la lecture Harri fut abandonne en faveur de Hurri .

    4 Les raisons de prfrer cette graphie sont expliques plus loin. 5 GELB, op. cit. (n. 3), p. 81-83. 6 Voir en particulier les articles de GREPPIN dans la revue Aramazd.

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    annes 1950 et 1960. Le kassite est un troisime membre de cette famille7.

    1.5. La communis opinio des comparatistes ne reconnat pas dapparentement de plus haut niveau pour cette famille hourro-ourarto-kassite. Lcole comparatiste russe de Moscou promeut une connection avec les langues caucasiques , la suite des travaux de Diakonov et Starostin8. Un article rcent appliquant lapproche moscovite a t publi par Kassian9. La principale ob-jection cette hypothse est que le groupe gographique caucasique nest pas reconnu lui-mme comme un nud gn-tique valide par les spcialistes de ces langues. A mon sens il conviendrait de creuser lhypothse dune connection forte entre la famille hourro-ourarto-kassite et spcifiquement le nakh (een, ingu, batsbi). De bons comparanda existent entre le hourrite et le nakh. Jai galement propos de comparer le hourrite avec lindo-europen en collaboration avec A. Bomhard10. Cette hypothse doit tre dveloppe et approfondie. Dans ltat actuel du dossier, il est probable que les indo-europanistes ne sont pas disposs admettre cette parent.

    1.6. Certains mots hourrites attestent des emprunts qui ne sont pas intermdis par le smitique comme le mot hourrite tabiri forgeron, driv du verbe tab- couler, fondre (un mtal) et em-prunt en sumrien sous la forme tibira orfvre, travailleur de mtal, o le vocalisme i_i est sans doute une harmonisation du sumrien, qui se retrouve dans dautres mots. Il nest pas rare que le hourrite prsente des formes plus archaques que celles quon rencontre en Msopotamie : (1) hai-galli palais se laisse comparer au sumrien -gal maison grande. Plusieurs langues smitiques, dont lhbreu11 ou lougaritique hkl *hkallu, reposent galement sur un prototype *haykal plus ancien que la forme sumrienne conventionnelle -gal. En arabe classique on trouve haykalun grand difice, grand temple, de la mme origine sumrienne ; (2) zuwadatte un quart de kor < akkadien (SG.) stu (PL.) stte 10 q (8 ou 9 l). Le mot hourrite prsente la squence explicite *[uwa], qui peut tre postule comme prototype morphologique sous-jacent mais qui est reprsente par une voyelle longue contracte [] dans les langues smitiques historiques. Le hourrite confirme lexistence de la squence *[uwa] un stade prlittraire des langues smitiques.

    7 Cf. A. FOURNET, The Kassite Language in a Comparative Perspective

    with Hurrian and Urartian , The Macro-Comparative Journal 2/1 (2011), p. ? 8 Voir en particulier I.M. DIAKONOV S.A. STAROSTIN, Hurro-Urartian as

    an Eastern Caucasian Language, Mnchen, 1986. 9 A. KASSIAN, Hurro-Urartian from the lexicostatical viewpoint , Ugarit

    Forschungen 42 (2011), p. 383-450. 10 Voir A. FOURNET A.R. BOMHARD, The Indo-European Elements in Hur-

    rian, La Garenne Colombes-Charleston, 2010. 11 Cf. le mot heykal par exemple, avec vlaire spirante, dans la Bible h-

    braque (1 R 6,3).

  • Elments de morphologie et de syntaxe de la langue hourrite 7

    1.7. Il nexiste aucune raison de faire venir les Hourrites dun ailleurs hypothtique une date plus ou moins rcente, bien que divers auteurs mentionnent ou imaginent ce genre de migrations et prgrinations prhistoriques. Les plus proches parents du hourrite, savoir lourarten et le kassite, sont attests au nord-est et au sud-est de la zone o il est attest date historique. Tout porte croire que ces trois langues sont prsentes cet endroit depuis un horizon temporel insondable.

    1.8. Le corpus hourrite et mittannien est remarquable par la prsence inattendue de lexmes et danthroponymes dallure indo-iranienne archaque. Un point et un examen critique du corpus mittanni-aryen se trouvent dans Fournet (2012)12.

    2. Prsentation de la langue hourrite

    2.1. Quoi quil en soit de ses parents gntiques proches ou lointaines, sur un plan strictement typologique et synchronique, le hourrite est une langue de type agglutinant. De ce point de vue il se distingue nettement des langues indo-europennes, de type flexionnel avec un usage important de la composition, et des langues smitiques, o la morphologie repose principalement sur la combinaison de squelettes consonantiques fixes et de schmes vocaliques variables. En hourrite les mots sont forms partir dune base lexicale, dont le vocalisme est normalement fixe et immuable, et de suffixes, qui viennent se concatner la suite les uns des autres. En hourrite affixe veut dire suffixe. Il nexiste pas de prfixe, hormis des prothses vocaliques pour intgrer phon-tiquement des mots trangers, ni dinfixe, hormis des cas de mta-thse. La composition est marginale et rduite certaines formations, dcrites plus loin (9.6.). Sur le plan descriptif lapproche du structuralisme amricain base de morphmes segmentaux convient trs bien pour le hourrite. Les mots peu-vent tre trononns en morphmes, suffixs les uns aux autres dans un ordre qui est prdtermin lavance. Bien quil nait pas grand chose en commun avec le turc, le hourrite prsente un fonctionnement typologique similaire cette langue, avec cette simplification supplmentaire quil na quasiment pas dharmonie vocalique. (Cf. 10.5. -t- intensif).

    En rsum le hourrite est typologiquement une langue aggluti-nante suffixante et dpourvue dharmonie vocalique.

    2.2. Les morphmes du hourrite sont de deux types : des bases lexicales, qui sont normalement le premier lment de la chane, et ensuite des suffixes, qui viennent sajouter aux bases. Dcrire le

    12 A. FOURNET, La question des mots et noms mittanni-aryens, lgus par

    les Indo-Iraniens du Mittanni , Res Antiquae 9 (2013), paratre.

  • 8 A. FOURNET

    hourrite revient donc dcrire les diffrentes classes de bases lexicales, les suffixes, leurs fonctions smantiques ou syntaxiques, et les concatnations possibles de ces briques lmentaires. Tous les suffixes, ou peu sen faut, ne peuvent pas apparatre dans un nonc ou tre utiliss sils ne sont pas affixs une base13, et linverse il est rare quune base lexicale soit nue. Les bases lexi-cales et les suffixes sont des virtualits, postules pour les besoins de la grammaire et de la lexicographie. En pratique on rencontre des mots , savoir des concatnations plus ou moins longues de bases et de suffixes. Dans la suite on sefforcera de distinguer les mots, qui sont des objets susceptibles dtre intgrs en ltat dans une phrase, des bases et des suffixes, qui sont des briques lmentaires inacheves. Cest de cette faon que fonctionne une langue agglutinante, telle que le hourrite. Dans une large mesure, les suffixes ont une fonction ou un sens unique, mais il existe quelques morphmes tels que ni valeur multiple (Cf. 15.5.). Les bases ont normalement un vocalisme stable, mais certains suffixes ont des voyelles variables sans quon peroive quelle diffrence existerait entre les variantes.

    2.3. Les principales classes de bases lexicales sont les noms, les nombres, les pronoms personnels indpendants, les dictiques, les verbes, les adjectifs, les adverbes et les conjonctions. Les princi-paux types de suffixes sont des formants drivationnels, des marques de cas, des articles dfinis ou indfinis, des pronoms possessifs, des suffixes pronominaux pour la conjugaison verbale, des suffixes pronominaux mobiles, des ngations verbales, des temps et modes, des conjonctions enclitiques. Le hourrite na pas de genre grammatical. Aucune marque formelle ne permet de prvoir quun mot se rfre un tre masculin ou fminin. En gnral les formes distinguent le singulier du pluriel, mais le pro-cd pour exprimer le pluriel nest pas toujours le mme. Il ny a pas de duel, en dehors dun suffixe verbal particulier, ni de triel. Les bases et les suffixes ont normalement un gabarit phontique typique qui sera dcrit plus loin (9.3.).

    2.4. Le hourrite est une langue casuelle. La fonction des mots dans la phrase est indique par un jeu particulier de suffixes. De ce fait lordre des mots est assez libre et ne joue quasiment aucun rle pour indiquer la fonction syntaxique des mots dans la phrase, contrairement une langue comme le franais ou langlais. On peut distinguer deux types de cas : les cas grammaticaux, qui con-cernent le rle syntaxique des mots dans la phrase et nont pas de contenu smantique propre, et les cas locaux, qui quivalent aux prpositions du franais. Les principaux cas grammaticaux sont lAbsolutif, lErgatif, le Gnitif et le Datif. Les principaux cas lo-caux sont le Locatif, lAllatif, lAblatif, le Comitatif et lInstru-mental. Les cas sont similaires dans leur principe ceux des

    13 Dans le vocabulaire bloomfieldien ce sont des bound forms : des

    formes lies, et non des formes libres.

  • Elments de morphologie et de syntaxe de la langue hourrite 9

    langues casuelles telles que le latin, le grec, lallemand ou les langues slaves. En hourrite il nexiste quune seule dclinaison valide pour toutes les bases nominales et adjectivales et pour les formes nominales du verbe, savoir les participes.

    2.5. Le hourrite est une langue ergative, et non pas accusative. Cela signifie que le sujet dun verbe intransitif et lobjet dun verbe transitif ont la mme forme, alors que le sujet dun verbe transitif reoit une marque particulire. Dans le premier cas le mot est lAbsolutif et dans le second cas il est lErgatif. Le systme est donc dcal par rapport aux grandes langues de civilisation de lEurope ou mme les langues smitiques. Ces langues sont de type accusatif : le sujet dun verbe a toujours la mme forme, que le verbe soit transitif ou non, alors que cest lobjet dun verbe transitif qui est (ventuellement) diffrent et reoit une marque spcifique. Ce dcalage explique le recours une terminologie diffrente : Absolutif et Ergatif, au lieu de Nominatif et Accusatif. Le hourrite est une langue de type ergatif et cette particularit se retrouve dans le systme casuel, la conjugaison, la forme des suf-fixes de pronoms personnels et les suffixes drivationnels. En Europe le basque est la seule langue contemporaine ergative. Lergatif existe galement en sumrien, caucasique, etc.

    2.6. Lexemple de chane suffixale - de mot - qui suit illustre le fonctionnement agglutinant du hourrite et les difficults rcur-rentes que le lecteur de cette langue trouve sur son chemin. La tablette (KBo12 44 ii 6) contient une suite de signes cuniformes dont la translittration standard est . Comme son nom lindique il sagit dune tablette (Keilschrift) trouve Boazky, do la rfrence commenant par KBo. La lecture normalise de ce mot est ahuikkunniniwinnata. Un pre-mier point est que la graphie est dfective puisquon attendrait . Il manque deux signes qui sont souligns. Le deuxime point est que la syllabe wi est crite avec le signe bi. Il est frquent que les gmines graphiques soient crites simples et que les signes pour w, b et p soient presque en variante libre. Il faut prendre lhabitude de ces graphies dfectives et variables. Un autre cas dindtermination concerne les voyelles i et e, qui sont sans doute des phonmes en hourrite mais qui sont en variante graphique permanente lune de lautre. A lintrieur dun mme texte, dune ligne sur la suivante, le mme mot peut tre crit dune faon ou dune autre, sans quaucune motivation ne soit identifiable. Une autre difficult est que la segmentation en morphmes - bases et suffixes - na pratiquement aucun rapport avec la segmentation graphique en signes cuniformes.

    2.7. Lire un texte hourrite en cuniforme suppose donc trois tapes : (1) la translittration brute des signes en alphabet latin, (2) une premire concatnation des valeurs syllabiques en mots, (3) une resegmentation des mots en morphmes qui tienne compte de diffrents alas (gmines crites simples, indistinction des voyelles i/e, consonnes b, p, w en variation frquente). Lexemple de mise en uvre en fin darticle montre comment sy prendre.

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    2.8. La translittration standard ahuikkunniniwinnata se laisse analyser en morphmes de la faon suivante :

    1. ah- est une base lexicale de type adjectival : haut. Le mot ahi est un adjectif possible et la concatnation peut sarrter ce point.

    2. ahu est un adverbe qui signifie vers le haut. La finale u (9.14.) caractrise certains adverbiaux et noms valeur positionnelle et la concatnation peut sarrter ce point.

    3. Dans ah-u- on peut voir un suffixe dintensif -u- : trs haut. Le mot ahui est un adjectif possible et le mot ahuu est un adverbe possible.

    4. Dans ahuikk- le suffixe -ikk- nominalise la base suffixe ahu- trs haut : ahuikki est un mot possible quelque chose ou quelquun qui est trs haut et la concatnation peut sarrter ce point.

    5. Dans ahuikkunni le suffixe -(u)nni est typique des noms de professions : ahuikkunni dsigne une activit profes-sionnelle en relation avec le trs haut, et signifie prtre. La concatnation peut sarrter ce point et fournir une forme de citation qui peut figurer au dictionnaire en tant que nom commun.

    6. Dans ahuikkunnini le suffixe -ni est lArticle Dfini au Singulier : ahuikkunnini signifie le prtre au cas Abso-lutif. La concatnation peut sarrter ce point.

    7. Dans ahuikkunniniwi le suffixe -wi est la marque du cas Gnitif : ahuikkunniniwi signifie du prtre au cas Abso-lutif. La concatnation peut sarrter ce point et ce mot peut tre Complment du Nom dun autre mot.

    8. Dans ahuikkunnininna le suffixe -nna est lArticle Dfini Pluriel : ahuikkunnininna signifie ceux du prtre au cas Absolutif. La concatnation peut sarrter ce point et ce mot peut tre intgr dans une phrase en tant que sujet dun verbe intransitif ou objet dun verbe transitif.

    9. Dans ahuikkunniniwinnata le suffixe -ta combine une marque redondante du pluriel -- avec le suffixe du cas Al-latif : ahuikkunnininnata signifie /vers ceux du prtre. La concatnation peut sarrter ce point et ce mot peut tre intgr dans une phrase.

    Cette chane ahuikkunniniwinnata atteste dans un texte rel nest pas au maximum possible car on peut encore lui ajouter des pronoms enclitiques mobiles, par exemple -lla P3PL et des con-jonctions enclitiques, par exemple -an et. Par ailleurs une analyse alternative serait danalyser la base ahui- comme tant la graphie dfective de ahui hauteur, avec un suffixe formant des noms abstraits. Sur le plan smantique cette analyse alternative ne change pas le sens gnral, mais en bonne phontique ahii hau-teur est plus correct que *ahui.

  • Elments de morphologie et de syntaxe de la langue hourrite 11

    3. Les principaux documents crits en langue hourrite

    3.1. Le hourrite est une langue dont lexistence mme avait quasiment t perdue. Le premier document qui la fit sortir dun oubli millnaire est la lettre crite par le roi du Mittanni, Turatta, au pharaon gyptien, Amenophis III, connu dans la lettre par son nom royal Neb-Mat-Ra vocalis , dont une prononciation reconstitue serait donc *[nim-muu-ra]. Cette pice, trouve en 1887 et rfrence E24, est la seule crite en hourrite dans tout le corpus des lettres dEl-Amarna. Ecrite en syllabaire cuniforme, elle pouvait aisment tre oralise, mais il tait immdiatement manifeste quelle ntait pas crite dans la langue diplomatique de lpoque, savoir lakkadien, hormis lincipit entirement rdig dans cette langue et quelques emprunts. La Lettre du Mittanni resta longtemps le plus long document dis-ponible crit en langue hourrite. Ltude en est difficile la fois parce quil est monolingue hourrite et parce que les phrases sont souvent longues et leur structure complexe. Les parties les mieux conserves et les mieux comprises de ce document servent de rfrence linguistique la prsente description. La Lettre com-prend 4 tablettes et environ 450 lignes sont conserves. Elle a fait lobjet de diffrentes tudes, traduction partielle par Wilhelm14 et analyse dtaille par Dietrich & Mayer15. Ce livre rcent de Die-trich & Mayer ambitionnait dtre lanalyse dfinitive de la Lettre du Mittanni.

    3.2. Plus rcemment, en 1983 puis 1985, lors des campagnes de fouilles estivales, un lot de tablettes bilingues et des fragments a t mis au jour dans des temples Hattua (aujourdhui Boazky/Boazkale). Lautre langue, crite dans la colonne de droite, est le hittite. Cette trouvaille a fourni un clairage nouveau et exceptionnel sur le hourrite, puisque le hittite est mieux com-pris que ce dernier. La version originale est en hourrite (plutt archasant), sur la colonne de gauche, et la version hittite sur la droite en est une traduction. Il arrive parfois que le texte hittite traduise un commentaire sur le texte hourrite plus que le texte original lui-mme, ce qui laisse penser que des locuteurs hour-rites ont pu expliquer des scribes hittites la fois les mots du texte et leurs sens. Cest le cas des deux lignes KBo32.14 Vo I 3-4. Dans lensemble le dialecte hourrite attest dans la Bilingue est archaque, et en tout cas plus ancien que la traduction hittite, que les hittitologues, tels que Neu, saccordent dater vers -1400. La copie autographe de ces textes cuniformes a t publie en 1990

    14 Cf. W.L. MORAN, Les lettres dEl-Amarna. Correspondance diplomatique du

    pharaon, 1987, Paris, et The Amarna Letters, 1992, London Baltimore. 15 M. DIETRICH W. MAYER, Der hurritische Brief des Duratta von Mittanni an

    Amenh } otep III. Text Grammatik Kopie, 2010, Mnster.

  • 12 A. FOURNET

    par H. Otten et Chr. Rster dans le volume 32 des Keilschrifttexte aus Boghazki (KBo). Une analyse dtaille de ces tablettes a t publie par E. Neu en 1996 (StBoT35). Ce livre est fondamental pour ltude du hourrite et sa lecture est vivement recommen-dable. Ce lot de tablettes correspond une sorte danthologie de la littrature hourrite. Daprs la numrotation et les mentions figurant sur les tablettes il est probable que deux uvres ou deux collections sont mlanges16 : dune part une pope versifie en hourrite archaque : le Chant de la Libration (de la ville dEbla), et dautre part une srie dhistoires plus ou moins longues, dont cer-taines ne sont pas trs sages et peuvent tre aisment dvies dans une direction obscne. Le hittite traduit la version la plus sage. Neu les a qualifies de Paraboles mais il nest pas certain que ce libell soit le mieux adapt au contenu de certaines dentre elles.

    3.3. Il existe galement Boazky un grand nombre de ta-blettes et de fragments, dont certains traitent de mantique17.

    3.4. Le texte hourrite le plus ancien, dit Lion dUrke, date denviron -2300. Il sagit dune statuette de lion en bronze et dun galet en calcaire, conserv au Muse du Louvre et ayant servi de clou de fondation pour le temple dUrke. Le cuniforme en est encore presque pictographique. Il contient 25 lignes, graves sur le galet et mouls sur une tablette incorpore dans le lion en bronze. La langue est en partie similaire par son archasme la Bilingue de Boazky, quoiquencore plus ancienne. Leditio princeps a t publie en 1948 par Parrot & Nougayrol18. Un autre lion est conserv au Metropolitan Museum of Art de New York. Son inscription ne semble pas avoir jamais t publie.

    3.5. Un nombre considrable de mots et noms de personnes hourrites sont attests dans les textes msopotamiens et ougari-tiques. Une compilation complte de ces lments reste faire, mme si des compilations partielles existent.

    3.6. Les documents hourrites longs sont plutt rares. Il semble que mme dans les rgions majorit hourritophone, la plupart des textes officiels taient crits en akkadien, parce que lusage de lcrit tait dune certaine faon implicitement li la langue akka-dienne elle-mme, ce qui nest pas sans rappeler la situation du latin au moyen-ge en Europe19. Lakkadien joue le rle dhyper-

    16 Cf. E. NEU, Das hurritische Epos der Freilassung (Studien zu den Bogazkoy-

    Texten 32), 1996, Wiesbaden, p. 16-20. 17 Cf. S. DE MARTINO, Die mantischen Texte. Corpus der hurritischen Sprach-

    denkmler. I. Abteilung, Texte aus Boazky, vol. 7, Rome, 1992. 18 Un document de fondation hurrite , Revue dAssyriologie 42/1-2 (1948),

    p. 1-20. 19 Cf. G. WILHELM, Ltat actuel et les perspectives des tudes hourrites ,

    dans J.-M. DURAND (ed.), Amurru 1, Paris, 1996, p. 180. Ces textes montrent enfin quau Mit[t]anni, galement, on se servait comme langue administrative dun akkadien influenc par le hourrite, comme cest le cas au pays dArrapha. Lespoir de retrouver de nombreux textes en langue hourrite en provenance du

  • Elments de morphologie et de syntaxe de la langue hourrite 13

    langue culturelle pour le hourrite et de nombreux mots akkadiens sont utiliss en lieu et place de mots hourrites existants. Par exemple la base an- se rjouir, a priori hourrite, a pour synonyme pis- dorigine smitique. Dautres mots, tels que aimer, sont con-nus sous leur forme akkadienne tad- < *dad-, et on ne connat pas lquivalent hourrite qui devait certainement exister. La capitale du Mittanni ayant t probablement dtruite lors de la victoire assyrienne et sa localisation restant inconnue de nous les textes quelle renfermait peut-tre restent inaccessibles.

    4. Les systmes dcriture utiliss

    4.1. Le hourrite est attest dans plusieurs systmes dcriture, dont le principal est le cuniforme de lcole anatolienne. En rai-son mme de la diversit des systmes dcriture utiliss pour le hourrite, cela prit quelque temps au dbut du 20me sicle avant que lon sapert que le hurlili, le mittannien, le subaren, etc. ntaient en fait quune seule et mme langue. En 1932, Friedrich transcrivit la Lettre du Mittanni en la dcrivant comme tant un Subarische Text, mais dans son travail suivant (publi en 1939), il utilisa le terme dsormais usuel churritisch. Le nom hourrite, sans connotation gographique, sest impos pour dcrire spcialement la langue en tant que telle, ainsi que nous lavons not prcdemment. Lourarten est crit en cuniforme no-assyrien, ce qui explique quelques correspondances phonogra-phmiques inattendues entre lexmes hourrites et ourartens.

    4.2. La notion dcriture cuniforme est en partie trompeuse. Hormis le fait dutiliser largile pour confectionner des tablettes et dy imprimer des signes, qui est commun tous les sites et toutes les coles, parler du cuniforme au singulier est fictif. En pratique il existe plusieurs coles scribales qui font des signes un usage diffrent et il est ncessaire de distinguer ces pratiques, car la manire dencoder la phontique du hourrite avec le corpus de signes cuniformes nest pas la mme, et cela ne concerne pas que la forme des signes. Quatre systmes dcriture ont servi crire du hourrite : (1) le cuniforme de lcole anatolienne, et ses diverses variantes, (2) le cuniforme vieil-assyrien, (3) lalphabet ougaritique, et enfin (4) les hiroglyphes louvites (ou anatoliens).

    4.3. Aucun des systmes dcriture utiliss pour le hourrite ne donne une image vritablement directe et satisfaisante de la langue. Le cuniforme et le hiroglyphique louvite sont de type syllabique approximatif. Lalphabet ougaritique daspect cuni-

    coeur de lempire mitannien nest ainsi plus fond. [...] Il est donc possible que dans le royaume du Mit[t]anni, sous linfluence de la culture scribale akka-dienne dominante, la plupart de la littrature ait t compose en akkadien [NB : ce point de vue est peut-tre trop pessimiste].

  • 14 A. FOURNET

    forme suit une logique prcise mais dfective o seules les con-sonnes sont portes lcrit. La langue est donc dans une large mesure dduite par recoupements de ces diffrentes sources. Grce aux emprunts hourro-ourartens en armnien on dispose en outre dune photographie assez claire de la phonologie de lourarten, la langue sur du hourrite. Dun point de vue mtho-dologique, une distinction constante doit tre faite entre les lectures conventionelles des transcriptions cuniformes et la rali-t phontique ou phonologique sous-jacente. Et cela vaut pour le hourrite ou toute autre langue du Proche-Orient ancien crite dans ce systme. Nous navons pas denregistrements directs du hourrite et nous sommes mis dans la situation dlicate de recons-truire partir des donnes disponibles une image raisonnablement fiable de ce que ces langues ont pu tre pour de vrai . La mme problmatique se pose en hittite comme le soulignent Hoffner & Melchert20.

    4.4. Le hourrite est principalement attest en criture cuni-forme de lcole anatolienne. Les textes en alphabet ougaritique sont rares mais prcieux. Ils viennent sans surprise dOugarit (Rs amra) pour la plupart. Ils apportent un tmoignage phontique dune grande valeur sur le consonantisme hourrite. Contrairement aux usages akkadiens et hittites, les textes en hourrite mittannien contiennent assez peu de sumrogrammes. Les plus frquents dans la Lettre du Mittanni sont DINGIR dieu, KUR pays, ME Pluriel et on peut noter quils ont valeur de dterminatif smantique et ne sont jamais des segments lexicaux lire explici-tement, contrairement aux usages hittites. Il est galement probable pour des raisons phontiques que AR-r roi soit une sorte didogramme, quil faut lire *err avec une voyelle /e/, comme dans eri trne, et non pas /a/ comme en akkadien arru. La simplicit du cuniforme hourrite qui recourt surtout des signes syllabiques lmentaires du type Cv- ou -vC est un ar-chasme hrit de la premire phase dcriture cuniforme vieil-akkadienne. Cette simplicit se retrouve dans les colonnes de la Bilingue de Boazky crites en hourrite mais pas dans celles crites en hittite, qui utilisent plus abondamment les idogrammes sum-riens. Ce fait en soi indique que la version hourrite est plus ancienne que la traduction hittite.

    4.5. En toute rigueur, comme il existe plusieurs coles cuni-formes, il faudrait prciser dans la translittration laquelle elle se rfre. Dans le domaine hourro-ourarten, il en existe quatre : lcole vieil-assyrienne, qui distingue des signes avec sourdes et sonores, lcole anatolienne, qui distingue des simples et des g-mines graphiques, avec deux variantes hittite et mittannienne qui diffrent par quelques dtails intressants, et lcole no-assyrienne, qui sapplique lourarten. Dans lensemble ces

    20 H.A. HOFFNER JR. H.C. MELCHERT, A Grammar of the Hittite Language,

    Part I: Reference Grammar, Winona Lake (Indiana), 2008, p. 10.

  • Elments de morphologie et de syntaxe de la langue hourrite 15

    coles divergent surtout sur la valeur des signes relatifs aux frica-tives et affriques coronales, savoir les phonmes pour lesquels les langues smitiques divergent le plus entre elles. Les autres signes sont normalement identiques. En labsence de toute indica-tion il est possible de sappuyer sur certaines particularits du cuniforme lui-mme : un texte qui pratique la gmination gra-phique est anatolien, une abondance de sumrogrammes indique un texte anatolo-hittite, lemploi du signe au lieu de a est vieil-assyrien et se rencontre par exemple Urke et Qat[na. Il ne semble pas exister dtude palographique sur ces questions.

    4.6. Lcole anatolienne, qui recourt la gmination graphique pour noter lopposition sourde ~ sonore, est reprsente dans la Lettre du Mittanni, la plupart des villes de Syrie, les textes tardifs dArraphi et Nuzi, et Hattua. Lautre cole, utilise par les Assyriens entre -2300 et -1700, apparat Mari, en vieux babylo-nien (avant -1700), Arraphi et Nuzi (avant -1400), et aussi Kanesh avant -170021. Les consonnes finales et initiales ne sont jamais gmines et ne montrent donc aucune distinction explicite.

    On sait par le biais de lalphabet ougaritique que le hourrite nadmet que des sourdes linitiale mais que la distinction sourde ~ sonore est maintenue en finale de mot. La nature des traits phono-logiques que le systme graphique distingue par la gmina-tion reste controverse et discute. Concernant le hittite Hoffner-Melchert22 font observer que there is no consensus as to wheth-er the phonetic contrast in attested Hittite is one of voicing or of some other feature such as fortis vs. lenis or aspirated vs. unaspirated . Leur point de vue est nanmoins que for the sake of simplicity we here describe the contrast in stops as one of voicing, but we do not mean thereby to take a definitive stance on this issue 23. Cest le point de vue qui est retenu ici.

    4.7. Laroche24 considrait que la gmination graphique corres-pond une opposition phontique de voisement : Lcriture alphabtique de Rs amra apporte un prcieux concours; elle seule, en effet, permet de discriminer sans hsitation les sourdes et les sonores. Elle a confirm lopposition pertinente de p b, de t d, etc., que les syllabaires occidentaux reprsentent par lartifice de la gmination: -bb- ou -pp- = p, en face de -b- ou -p- = b, -tt- = t, etc. . Un exemple est le thonyme Teub aux cas Absolutif et

    21 Cf. E.A. SPEISER, Introduction to Hurrian (Annual of the American Schools

    of Oriental Research 20.), New Haven (CT), 1941, p. 40-41, et I.M. DIAKONOV, Jazyki drevnej perednej Aziji, Moscou, 1967, p. 120.

    22 H.A. HOFFNER Jr. H.C. MELCHERT, op. cit. (n. 20), p. 35 : Il ny a pas consensus sur la question de savoir si lopposition phontique en hittite repose sur le voisement ou sur quelque autre trait tel que fortis vs. lenis ou aspi-r vs. non aspir .

    23 IBID., p. 35 : Par simplicit nous dcrivons ici lopposition des occlu-sives comme tant le voisement, mais cela nentraine pas que nous prenons une position dfinitive sur cette question .

    24 LAROCHE, op. cit. (n. 1), p. 22.

  • 16 A. FOURNET

    Datif : Teub ~ Teuppe, respectivement crits : [t t b] ~ [t t p] en ougaritique. On peut noter que le hittite crit en ougaritique est cohrent avec le hourrite : scrit [t p l l m]. Laroche attribue le mrite de cette thorie Speiser : les nouveaux textes confirment largement la doctrine de Speiser, selon laquelle les sonores et les sourdes intervocaliques de lalphabet rpondent des graphies simples et gmines dans les syllabaires de Bo., RS et Mit. [Boazky, Rs amra et Mittan-ni] 25 Ce principe est en effet dcrit par Speiser26. En hittite il fut dcouvert par Sturtevant, daprs une suggestion originellement formule par Mudge27.

    4.8. Le hourrite crit en alphabet ougaritique nutilise que les lettres pour les sourdes et les sonores, lexclusion de toutes les emphatiques : h, h9, t[, z 9, , s9, q ne sont pas utilises. Cette situation est cohrente avec ladaptation des emphatiques de lakkadien sous forme de sonores en hourrite, notes simples en cuniforme de lcole anatolienne. Cela suggre que lakkadien et les dialectes smitiques msopotamiens avaient des emphatiques sonores.

    5. Approche de la phonologie hourrite

    5.1. Il est possible de reconstituer une image sans doute fiable de la phontique relle de la langue hourrite par recoupement entre les diffrentes sources. Certaines dentre elles comme larmnien ou lindo-iranien sont trs fiables. Dautres comme lindo-europen ou le protosmitique sont plus discutables, car elles intgrent elles-mmes une part dhypothses. Quoi quil en soit, dans une optique principalement philologique, la phontique reconstruite na pas rellement dimportance. La question est plus de dfinir une oralisation conventionnelle des translittrations. La phontique reconstruite intresse plutt les comparatistes.

    5.2. La prosodie du hourrite telle quelle se manifeste dans lcriture plene des voyelles na t que trs peu tudie. Il semble exister plusieurs types daccentuation et laccent semble pertinent et mobile28. Les ides dveloppes par Wilhelm sur cette question sont trs insuffisantes29.

    25 E. LAROCHE, Documents en langue hourrite provenant de Ras Sha-

    mra in C. SCHAEFFER (ed.), Ugaritica 5: nouveaux textes accadiens, hourrites, et ugaritiques des archives et bibliothques prives dUgarit, commentaires des textes historiques (Mission de Ras Shamra 16 = Institut franais de Beyrouth, Bibliothque ar-chologique et historique 80), Paris, 1968, p. 528.

    26 SPEISER, op. cit. (n. 21), p. 35-36. 27 Cf. HOFFNER MELCHERT, op. cit. (n. 20), p. 35. 28 Cf. FOURNET BOMHARD, op. cit. (n. 10), p. 15-17. 29 G. WILHELM, Hurrian , in R.D. WOODARD (ed.), The Ancient Languages

    of Asia Minor, Cambridge, 2008, p. 86, 3.4.

  • Elments de morphologie et de syntaxe de la langue hourrite 17

    5.3. Sur le plan graphmique le corpus de signes cuniformes comprend les types suivants :

    - des voyelles : a, i, e, u, . - des signes Cv, vC avec des labiales : p, b, m, w. - des signes Cv, vC avec des dentales : t, d, n. - des signes Cv, vC avec des vlaires : k, g, h. Le graphme

    est crit (h lunul) par les smitologues mais cette prcision est inutile en cuniforme hourrite, car il nexiste pas dautre fricative gutturale de ce type dans cette langue.

    - des signes Cv, vC avec des liquides r, l. Il peut tre utile de rouler le [r] pour le distinguer de la vlaire h.

    - un signe pour ya, qui est une ligature des signes , mais pas dautres signes Cv, vC impliquant /j/ yod. Les signes i et e notent sans doute la fois /i/ et /ji/, /e/ et /je/.

    Outre le fait que le hourrite semble prsenter une variabilit in-terne leve pour les voyelles i et e, le cuniforme lui-mme est ambigu et les signes r, l, n ne distinguent pas entre i et e. Les signes h et w valent pour les quatre voyelles a, e, i, u. Lcole anatolo-hittite a cr diffrentes ligatures de w, qui suppriment lambigut. Le signe h est ambigu, na jamais t dsambigus, et en gnral on lui assigne la mme voyelle que le signe qui prcde, ce qui parat raisonnable.

    5.4. Le systme ne permet pas de noter larrt glottal explici-tement. Lexistence de squences v et v en hourrite est probable en raison de nombreux hiatus. Il est possible que la diffrence entre u et soit que u u note [u] alors que note [u] et [w]. Le signe est utilis en akkadien pour allonger la voyelle u et ne comporte pas darrt glottal implicite.

    5.5. Le problme de fond concerne les trois sries de signes cuniformes translittrs avec z, s et . Implicitement ces graphies suggrent une prononciation respectivement sifflante : [z], [s], et chuintante : []. Il est certain que ces prononciations implicites sont fausses. A haute poque, lorsque lakkadien a t crit pour la premire fois, la srie-z tait affrique [dz], la srie-s tait utilise pour les fricatives latrales * hrites du protosmitique, et la srie- notait des sifflantes simples [s]. Cest ce que montrent toutes les langues non-smitiques, comme le hittite ou les mots de substrat hourro-ourartens en armnien. Les graphies z, s et propagent de faon abusive les reflets no-hbreux des phonmes protosmitiques *dz, * et *s dans tout le cuniforme, et par con-squent dans toutes les langues crites de cette faon. Ce problme nest pas (trop ?) gnant quand on reste lintrieur du domaine smitique mais il met la phontique des coronales de travers pour les autres langues : hourrite, hittite, etc.30

    30 Cf. L. KOGAN, Proto-Semitic Phonetics and Phonology , in S.

    WENINGER, The Semitic Languages: An International Handbook, Berlin, 2011, p. 54-150, en particulier 1.3.2.

  • 18 A. FOURNET

    5.6. Il faut donc grer une situation o la valeur implicite de trois sries de signes cuniformes, savoir les sries z, s et , sont assurment fausses. Certains hittitologues ont opt pour une sup-pression du haek sur la srie-, quils translittrent avec un simple s, tant donn que le hittite est le continuateur du s indo-europen. En hittite on ne rencontre normalement que les deux sries z et , et jamais la srie s. La suppression du haek ne pose pas de problme si lon ne fait que du hittite. Mais elle cre un problme pour le hourrite mittannien qui utilise les trois sries. En particulier le hourrite mittannien utilise de faon pertinente la srie-s relative aux fricatives latrales dans des emprunts qui en ont effectivement daprs le proto-smitique. Il semble difficile de rformer les translittrations traditionnelles sans crer en ricochet dautres problmes et dautres confusions. Dun point de vue pratique le plus simple est doraliser la srie-z avec des affriques [dz] , [ts] , la srie-s et la srie- avec [s] et [] tout en gardant lesprit que cette oralisation est fausse du point de vue de la phontique reconstruite.

    5.8. Il est possible que la srie- serve en hourrite noter deux sries de phonmes diffrents car le morphme est crit avec la lettre ougaritique t pour lErgatif mais pour le Pluriel. Le Pluriel est une sonore -vv-, alors que lErgatif est une sourde -vv-. Pour ltude des textes en cuniforme mittannien et anatolo-hittite ces questions phonographmiques nont pas dimportance.

    5.9. Le systme de phonmes le plus simple quon puisse attri-buer au hourrite est le suivant :

    Labiale Dentale Affrique Sifflante Vlaire Vlaire

    Sonore b d [dz] [z] g []

    Sourde p t [ts] [s] k [x]

    Nasale m, mm n, nn

    Liquide l, ll, r, rr

    Autre w y

    Inventaire minimal daprs Laroche (1980: 23-24)

    Ces phonmes sont crits de la faon suivante dans lcole ana-tolienne du cuniforme en usage au Mittanni et chez les Hittites :

    Labiale Dentale Affrique Sifflante Vlaire Vlaire

    Sonore b d z g h

    Sourde p(p) t(t) z(z) () k(k) h(h)

    Nasale m, mm n, nn

    Liquide l, ll, r, rr

    Autre w y

    Systme graphique du cuniforme anatolien

  • Elments de morphologie et de syntaxe de la langue hourrite 19

    5.10. La gmination graphique qui note les sourdes ne peut tre mise en uvre qu lintervocalique. A linitiale le hourrite semble avoir perdu le contraste entre les sourdes et les sonores que lourarten a conserv. Les seuls mots qui ont des sonores linitiale en hourrite ougaritique sont des mots smitiques. Les scribes ont rtabli la sonore dans les mots comme Daqita quils ont perus comme smitiques. En finale la marque contrastive de voisement existe daprs les donnes ougaritiques mais elle ne peut pas tre note explicitement en cuniforme.

    Les phonmes r, l, n et m peuvent tre crits gmins rr, ll, nn et mn, ce qui correspond une ralit phonologique. Il existe au moins un exemple en alphabet ougaritique de gmin. La gmination pour les autres phonmes est un artifice graphique.

    5.11. Aprs n et l, il arrive que soit crit z, cest--dire que la sifflante simple [s] est affrique [dz]. Par exemple itkalzi est soit le driv abstrait *itkal[i]i ou lintensif *itkal[u]i avec chte dune syllabe. Le dictique man- est aussi attest manz-.

    5.12. Le cas le plus problmatique est le phonme *b linitiale des mots, qui est reclass tantt en p tantt en w : ourarten baban montagne mais hourrite pabani ou wabani. Ce problme concerne tous les mots qui avaient une labiale sonore *b linitiale en pro-to-hourro-ourarten. Pour les mots avec alternance graphique initiale p/w on peut adopter comme translittration convention-nelle la lettre . Les autres sonores initiales se sont simplement assourdies et sont crites avec la sourde de mme articulation. Elles ne montrent pas dalternance graphique. Larticulation de b est trs spirante et peut mme aller jusqu y : abi, awi, ayi visage. De mme iwe, iye eau. Jai propos que le mot armnien ait joue drive de lhourro-ourarten abi visage.

    5.13. Lexistence dun arrt glottal // en hourrite est probable, mais reste difficile tablir de faon dfinitive. On peut ne pas tenir compte de cette question pour la philologie.

    Le cas de la gmine graphique ww est une question ouverte : sagit-il de [ww] ou de [w] ?

    5.14. En terme de voyelles le hourrite possde de faon cer-taine une opposition entre /a/, /u/ et la paire , . Les voyelles i et e alternent frquemment et la distinction est faible. Certains a suivis des consonnes r, l, n et h, passent e : talmi = telami grand, AN > (emprunt) eni dieu, akkadien arru > *rrie > errie, ere royaut, trne, akkadien maharu > meh- se prsen-ter devant (un dieu). Une explication possible est que la voyelle a accentue passe e quand elle est suivie des consonnes r, l, n et h. Ce phnomne peut tre indiqu avec : rri. Ce changement suggre que le hourrite avait un accent de hauteur (pitch). A noter aussi le cas du mot hourrite eari lion, qui se laisse rapprocher de *ari lion, avec une sorte de fracture de la voyelle [ea].

  • 20 A. FOURNET

    5.15. Il est possible que le hourrite ait eu un phone [] dans certaines syllabes inaccentues. Certains mots prsentent des al-ternances graphiques telles que Kumarbi = Kumurbi, Kuuh = Kuah, eb-ri = e-pir- = e-bar-, etc., ce qui laisse penser que le timbre de la voyelle est assez neutre. Cette suggestion remonte (au moins) Diakonov et, encore plus tt Speiser, qui avait voqu la possi-bilit de voyelle inorganique .

    6. Le fvo-hourrite

    6.1. Les tudes hourritologiques peuvent tre rparties en deux tendances : une tendance hittitologique et une autre laquelle je donne le nom de fvo-hourrite. La tendance hittitologique est celle quavaient adopte Thureau-Dangin, Speiser, Laroche, Neu, etc., et qui est prise comme rfrence ici. Dautres chercheurs, Bush, Campbell, Wilhelm, Wegner, Giorgeri, Girbal, etc., ont adopt une autre approche de la phontique reconstruite du hour-rite et ont considr comme valide lide que le hourrite aurait des phonmes f, v et aussi o.

    6.2. Lapproche fvo-hourrite postule lexistence de phonmes f, v et o en hourrite et considre que la gmination graphique cor-respond une gmination relle. Cette approche est, mon humble avis, errone sur chacun de ces points.

    6.3. La postulation de phonmes f et v en hourrite remonte Bork, un orientaliste trs cratif , au mauvais sens du terme. Cette invention surinterprte les graphies de la faon suivante : par exemple le mot montagne est attest , , . Lalternance p/w est prise pour lindication que la phontique sous-jacente serait *faban avec f initial, un phonme que le cuniforme ne peut pas noter directement. Lourarten baban, et le grec , montre que cette hypothse ne tient pas. Cette alternance est due au reclassement sans doute variable sui-vant les locuteurs de lancienne initiale sonore *b devenue impossible en hourrite, attest date historique. De mme le suf-fixe possessif P1SG, crit , est cens tre *-iff- dans cette approche fvo-hourrite. Le mot akkadien ped clment, dune racine smitique pdw (pdh en hbreu avec mater lectionis), est em-prunt en hourrite et crit peduwwa dans la Bilingue de Boazky. La phontique *peduffu est inadquate. Il y a aucune raison dinterprter la graphie comme tant lindication de -ff-. Il ny a aucune raison de postuler que les suf-fixes wi et wa seraient *vi et *va. Les donnes comparatives ourartennes et akkadiennes montrent que ces phonmes f et v sont des hypothses, dpourvues de fondement rel.

    6.4. Le fvo-hourrite postule galement que le hourrite aurait un phonme *o. Cette invention repose sur un seul texte : la Lettre du Mittanni. Dans sa thse de 1964 Bush a mis lide que les deux signes cuniformes gu et ku auraient t spcialiss par les scribes

  • Elments de morphologie et de syntaxe de la langue hourrite 21

    du Mittanni pour crire les syllabes ku/gu et *ko/*go respec-tivement31. Cette thorie postule que les signes u et seraient utili-ss pour distinguer *o et u respectivement par les scribes du Mittanni. Il convient de souligner que cette thorie nest valide que pour ce texte, et lui seul, et que ce systme graphique nest appliqu nulle part ailleurs. Lanalyse distributionnelle des signes lintrieur mme de la Lettre montre que cette hypothse ne tient pas. Par exemple on ne rencontre jamais ku linitiale des mots, mais seulement gu. Le mot u-u-mi-i-ni pays est un des rares mots deux voyelles plene en hourrite. Cette thorie le reconstruit *mini. Ce mot est certainement un emprunt indo-iranien : vieil indien bhm terre, monde, sol < *bhuHmiH ce qui est, daprs la racine indo-europenne *bhuH- tre, crotre. Le vocalisme du vieil in-dien [] montre que la phontique *mini na aucune validit. Ce mot a deux voyelles plene parce quil est emprunt et il repose sur *[mni]. Les mots de substrat en armnien indiquent que le pho-nme /u/ tait [u] lorsque bref mais [] lorsque long. Cette rpartition vaut pour lourarten mais elle sapplique - peut-tre aussi, voire certainement - au hourrite. Aucune base comparative ne permet de confirmer lexistence de deux phonmes /u/ et *o, qui pourraient en outre tre long et bref. Lhypothse que la Lettre du Mittanni serait le seul document o existerait une distinction entre /u/ et un hypothtique 5me phonme *o ne tient pas. La distinction suppose exister entre ki et gi dans la Lettre est aussi infonde que celle entre ku et gu. Le verbe (Mitt. II 16, 20, 22, 54, 63) est aussi crit (Mitt. II 103, 104). Il si-gnifie dposer et se rfre aux cadeaux envoys par Turatta. Il ny a quun seul verbe kib-, crit la fois et . Cette thorie est de fait rfute par le texte mme o elle prtend puiser sa source.

    6.5. Lapproche fvo-hourrite prtend aussi que la gmination graphique serait une gmination relle. Il apparat que le hourrite nadmet pas dautre gmine relle que nn, ll, rr et mm. Ce fait est tabli grce aux emprunts dorigine sumro-akkadienne dans les-quels des gmines relles sont adaptes en hourrite sous forme de prnasalises :

    - akkadien Araihu > hourrite Aranzah le Tigre, - sumrien kukkal > hourrite kungalli une sorte de mouton, - akkadien mas9s9ru protection > hourrite manzaduhli policier, - akkadien suluppu > hourrite zilumba datte (fruit), - akkadien t[abbihu > hourrite zambahu-nni boucher, - akkadien Purattu > hourrite Puranti lEuphrate, - sumrien Piriggal > hourrite Piringir une desse, lit. la grande

    lionne. Ce mot prsente en outre un rhotacisme du l qui nest pas dorigine hourrite (peut-tre hattie ?).

    31 F. BUSH, A Grammar of the Hurrian Language, Ph.D. dissertation, Brandeis

    University, Department of Mediterranean Studies, 1964, p. 22.

  • 22 A. FOURNET

    Il nexiste pas dexemple de gmine akkadienne qui soit ren-due par une gmine graphique en hourrite. Quelles soient labiales, dentales, vlaires, occlusives ou sifflantes, les gmines trangres -CC- sont dissimiles sous forme de prnasalises -nC-, -mC-, lorsquelles empruntes en hourrite.

    6.6. En rsum, les diffrentes hypothses sur lesquelles repose le fvo-hourrite : phonmes *f, *v, *o, gmines relles et non pas artifices graphiques, peuvent tre dmontres fausses. Bien quelle soit utilise par une majorit de hourritologues, et quelle semble mme tre de plus en plus employe depuis une dcennie ou une quinzaine dannes, elle doit tre tenue pour invalide. Il est en outre scandaleux et anti-scientifique dutiliser cette phontique fvo-hourrite sans prciser au moyen dun astrisque quelle est hypothtique, et de lutiliser en lieu et place de la translittration conventionnelle du cuniforme. On rencontre mme des auteurs qui translittrent de faon encore plus abusive le mot montagne au lieu de en propageant rebours dans le cuniforme cet ensemble de postulations douteuses, ce qui achve de crer la plus grande confusion sur la phontique et la phonologie du hourrite, et celles des signes cuniformes.

    6.7. Le plus simple pour reformater du fvo-hourrite est de remplacer *o par u, *f/*v par w, *ff par ww et linitiale *f par . Il est galement frquent que intervocalique soit crit * par les auteurs tendance fvo-hourrite. En rgle gnrale il nest plus possible de rcuprer les donnes cuniformes authentiques partir du formatage fvo-hourrite, les auteurs pratiquant le fvo-hourrite ne fournissant pas de translittration fidle la plupart du temps, bien que les moyens modernes de traitement de texte par ordinateur permettent de citer les sources directement en cuni-forme de plus en plus facilement. Voir lexemple en fin darticle.

    7. Bibliographie conseille

    La bibliographie conseille dpend naturellement des objectifs recherchs. Dans le domaine du comparatisme hourro-ourarten, on peut recommander :

    I.M. DIAKONOV, Jazyki drevnej perednej Aziji, Moskva, 1967.

    I.M. DIAKONOV, Hurritisch und Urartisch, Mnchen, 1971.

    Les noms de M. SALVINI et M.L. HAIKYAN semblent les au-teurs actuels les plus pertinents sur lourarten. Sur le kassite, on peut lire :

    T. SCHNEIDER, Kassitisch und Hurro-Urartisch, Ein Dis-kussionsbeitrag zu mglichen lexikalischen Isoglossen , Altori-entalische Forschungen 30 (2003), p. 372-381.

  • Elments de morphologie et de syntaxe de la langue hourrite 23

    A. FOURNET, The Kassite Language in a Comparative Pers-pective with Hurrian and Urartean , The Macro-Comparative Journal 2/1 (2011), p. 1-19.

    Sur la question du superstrat indo-iranien au proche-orient :

    M. MAYRHOFER, Die Indo-Arier im alten Vorderasien, Baden-Baden, 1966,

    M. MAYRHOFER, Die Arier im vorderen Orient, ein Mythos?, Wien, 1974.

    M. MAYRHOFER, Welches Material aus dem Indo-arischen von Mitanni verbleibt fr eine selektive Darstellung? , in E. NEU (ed.), Investigationes philologicae et comparativae: Gedenkschrift fr Heinz Kronasser, Wiesbaden, 1982, p. 72-90.

    A. FOURNET, La question des mots et noms mittanni-aryens, lgus par les Indo-Iraniens du Mittanni , Res Antiquae, 2013, ( paratre).

    Sur les mots de substrats en armnien :

    J.A.C. GREPPIN : Nombreux articles dans Aramazd.

    Les mots de substrat hourro-ourartens en kurde semblent une terra incognita. Mis part quelques approches faites par des ama-teurs sur internet, il ne semble pas exister de relev des mots kurdes pour lesquels une origine hourro-ourartenne soit rece-vable. Sur les questions relatives la problmatique dite euphratique, on peut consulter les articles dans le JIES.

    Sur le hourrite proprement dit, il faut lire les volumes des Studies on the Civilization and Culture of Nuzi and the Hurrians (SCCNH), en particulier le volume 10, un des plus linguistiques de la srie. Les ouvrages ou articles les plus intressants par ordre de parution :

    E. SPEISER, Introduction to Hurrian (Annual of the American Schools of Oriental Research 20), New Haven (CT), 1941. Ce livre est plus ou moins dpass mais il mrite toujours dtre lu pour le questionnement, plus que pour les rponses.

    I.J. GELB, Hurrians and Subarians, Chicago (IL), 1944.

    F. BUSH, A Grammar of the Hurrian Language, Ph.D. dissertation, Brandeis University, Department of Mediterranean Studies, 1964. La thse se prsente comme une continuation de Speiser (1941) mais elle sen carte ( mon humble avis pour le pire). Initiateur du fvo-hourrite.

    J. FRIEDRICH, Churritisch , in B. SPULER (ed.), Altklein-asiatische, Leiden, 1969, p. 1-30. Srieux mais plus ou moins dpass.

    E. LAROCHE, Glossaire de la langue hourrite (= Revue Hittite et Asia-nique 34/35), Paris, 1981. Toujours utile mme si une mise jour serait minemment opportune.

  • 24 A. FOURNET

    E. NEU, Das hurritische Epos der Freilassung (Studien zu den Bogazkoy-Texten 32), Wiesbaden, 1996. A lire en premier. Peut servir de manuel dapprentissage du hourrite, malgr quelques lacunes dans lanalyse et des erreurs de translittra-tion du cuniforme, ainsi quil apparatra en fin darticle.

    M. GIORGIERI, Schizzo grammaticale della Lingua Hurrica , dans La civilt dei Hurriti, La Parola del Passato, Vol. 55. Napoli, 2000, p. 171-277. Louvrage est une sorte de point g-nral, tendance encyclopdique, sur la question hourrite en langue italienne. Applique le fvo-hourrite.

    I. WEGNER, Hurritisch: eine Einfhrung, (2me d.), Wiesbaden, 2007. Le livre est surtout intressant pour sa deuxime partie consa-cre lanalyse de textes en hourrite. Applique le fvo-hourrite.

    G. WILHELM, Hurrian , in R.D. WOODARD (ed.), The Ancient Languages of Asia Minor, Cambridge, 2008, p. 81-104. Applique le fvo-hourrite.

    M. DIETRICH W. MAYER, Der hurritische Brief des Duratta von Mittanni an Amenh}otep III. Text Grammatik Kopie, Mnster, 2010. Translittration incohrente, mais nanmoins utile pour les donnes. Ne peut pas servir de manuel dapprentissage.

    8. Abrviations

    ABL. cas Ablatif ABS. cas Absolutif ALL. cas Allatif COM. cas Comitatif DAT. cas Datif DEF. Article dfini DESI forme Dsidrative ENC Conjonction enclitique ERG. cas Ergatif FUT temps verbal Futur GEN. cas Gnitif GER grondif HCN hourrite classique normalis INDI mode Indicatif INST. cas Instrumental INT Intransitif LOC. cas Locatif NEG Ngation verbale OPTA mode Optatif PART Participe PEM pronom enclitique mobile PL Pluriel PLI pronom libre indpendant POSS suffixe pronominal possessif

  • Elments de morphologie et de syntaxe de la langue hourrite 25

    PRES temps verbal Prsent PRET temps verbal Prtrit P1SG, P1PL 1re personne du singulier, du pluriel P2SG, P2PL 2me personne du singulier, du pluriel P3SG, P3PL 3me personne du singulier, du pluriel SG Singulier SPAI suffixe pronominal actif de lIndicatif SPOD suffixe pronominal de lOptatif et du Dsidratif TC translittration des signes cuniformes TRA Transitif

    9. La morphologie nominale

    9.1. Les bases et lexmes de type nominal peuvent tre classs en cinq grandes catgories :

    - des noms communs. Ils se terminent en -i, -e, qui est la marque du cas Absolutif en hourrite. Par exemple : ee terre, ha-wurni ciel, iwe, iye eau, erbi chien, nali chevreuil, umini pays, ardi ville, abani montagne, tahi homme, ate femme, abi, ayi visage, edi corps, uruni cul, derrire, uri pied, ummi main, etc. Quelques mots ont une finale -a, ce qui les trahit comme des em-prunts : iena pluie < akkadien zannatu.

    - les termes de parent. Ils se terminent normalement par -ai, mais il est frquent que -ai se monophtongue en -e, -i. Par exemple, attai pre, nera(i) mre, en(na)i frre, elai soeur, utki fils, alai fille, etc. Dans ces mots le -i final est mobile et peut slider devant certains suffixes possessifs : enniwwe mon frre mais ennab ton frre. Il semble exister une certaine variation dialectale dans llision ou le maintien du -i mobile.

    - les thonymes. Certains se terminent par une consonne : Teub, Hebat, Kuuh, ce qui est exceptionnel en hourrite, ou par la voyelle -a, qui a parfois mais pas toujours une origine smitique : auka, Dakita, etc. Kumarbi, Atabi ont une forme plus proche des noms ordinaires. Les thonymes se terminant pour une consonne se dclinent de faon particulirement alatoire. Cf. 9.13.

    - les noms propres. Le type de formation le plus rpandu et le plus frquent est la composition : Verbe+nom. Le verbe est sou-vent au Prtrit archaque finale -b, mais le -b peut tre omis. Exemples : Arib-Teub, Pudu-Hebat, etc. Dautres formations sont possibles avec des adjectifs et dautres temps que le Prtrit.

    - les nombres. Ces lexmes sapparentent aux noms communs mais sen distinguent par leur sens : ukki 1, ini 2, kig 3, tumni 4, neriya 5, etc. Certains nombres smitiques sont galement attests : -, ini, -, irwi, himzat, etc.

    9.2. Les diffrents types de suffixes se concatnent sur une base nominale dans un ordre prdtermin :

    - base nominale - suffixe drivationnel (0, 1 ou plus)

  • 26 A. FOURNET

    - suffixe pronominal possessif (0 ou 1) - article (in-)dfini (0 ou 1) - marque de cas (0 ou 1) - pronom enclitique mobile (0 ou 1) - conjonction enclitique (0 ou 1)

    Une chane suffixale telle que ahuikkunniniwi qui comporte un article -ni- et une marque de cas -wi- peut nouveau tre suffix par un article, ici -nna-, et une marque de cas, ici -ata. Cf. 2.8.

    9.3. En rgle gnrale, les bases nominales ont la forme CvC-, CvrC-, CvlC-, CvnC- ou vC. Les groupes docclusives sont trs rares : utki fils, itki sacr, Tupki. Lemprunt indo-iranien sapta sept est simplifi en atta *[sata] dans le Manuel questre de Kik-kuli. Le dialecte archaque mridional subaren semble plus tolrant que le hourrite mittannien vis--vis des groupes de con-sonnes : utki fils, Tupki sont anciens et subarens.

    Normalement linitiale ne peut pas tre sonore, ni tre r ou l. Les emprunts reoivent des prothses vocaliques : libittu > alipi brique crue, Raapu > Erep, akkadien zannatu > iena *[izena] pluie. Les emphatiques akkadiennes sont adaptes en sonores : q, s9, t [, deviennent respectivement g, z *[dz] et d. Ce phnomne jette un doute srieux sur les thories qui veulent que les emphatiques akkadiennes soient des sourdes glottalises.

    9.4. Les suffixes ont gnralement la forme -vC(v)- ou -vCC(v)-. La voyelle intercalaire des suffixes est gnralement stable mais certains suffixes ont des variantes. Par exemple le suffixe dErgatif est le plus souvent -i : erbini le chien (Erg.), mais Teub devient Teuba et Hebat Hebattu. Pour cette raison, il est plus simple de classer les suffixes dans lordre alphabtique de leur (premire) consonne.

    9.5. Les suffixes drivationnels les plus frquents pour les bases nominales sont les suivants :

    -vbi, -vwi : un suffixe possible bien que souvent la base nue ne soit pas atteste. Exemples : errewi agneau, karubi grenier, silo. Erbi chien est probablement un emprunt indo-iranien bas sur la racine *wl[p loup, renard.

    -(a)di : en gnral ce suffixe sajoute des bases intransitives. Exemples : keldi bonne sant < kel- tre en forme, tumnadi quartette, quarteron < tumni quatre. Rien nassre que kumdi tour repose sur un verbe non attest *kum- construire.

    -aga, -akka : forme des diminutifs. Exemples : atakka jeune femme, jeune fille < ate femme, tahakka, tahaga jeune homme < tahi homme. On peut noter quune finale -a ne prsuppose pas un rfrent fminin. La desse auka contient certainement une variante courte de ce suffixe. Cf. le suffixe -ui.

    -(u)hi : forme des adjectifs ethniques. Normalement la voyelle intercalaire pour ce suffixe est u. Les mots smitiques finale -a sont suffixs directement par -hi. Certains toponymes sont suf-fixs sans voyelle intercalaire, ce qui les signale comme trangers la langue hourrite. Exemples : Halbahi venant dAlep, Aleppois <

  • Elments de morphologie et de syntaxe de la langue hourrite 27

    Halba Alep, Tigrihi du Tigre < Tigri le Tigre, Hattuhi hittite, hatti < Hatti pays hatti, hittite.

    -(u)hhi : forme des adjectifs qualificatifs. Exemples : turuhhi masculin < tahi homme, atuhhi fminin < ate femme. Ce suffixe est proche du prcdent.

    -i, -e : la marque dAbsolutif est aussi un suffixe fonction nominalisante. Exemple : hani enfant < han- enfanter.

    -mi : forme des drivs de verbe (souvent valeur passive). Exemples : elami serment [ce qui est dit] < al- dire, crier, halmi chant, purami serviteur, esclave.

    -ni : (1) valeur particularisante. Exemples : idari le fait de maudire idarni (une) maldiction, dans dautres cas la base suffixe diffre peu de la base nue : attai = attani pre, hawur(ni) ciel, umini pays. NB : ne pas confondre avec -ni Article Dfini SG.

    -ni, -u(n)ni : (2) driv verbal concret (actif), sert souvent former des noms de professions. La base nest pas toujours attes-te ltat nu. Exemples : arini boulanger, arandarini cuisinier, wudarini laveur de vaisselle, haikkuni sourd < haikku il nentend pas. NB : ne pas confondre avec -ni Article Dfini SG.

    -and-, -und- : forme des adjectifs. Exemples : abi visage, devant > awandalli antrieur, uruni derrire, cul > urundalli postrieur.

    -ardi : forme des noms collectifs (anims). Exemples : alardi ensemble des filles < ali fille, attardi anctre(s) < attai pre, ardardi citoyen(s) (dune ville) < arde ville, elardi parentle fmi-nine < eli sur.

    -(u)i : intensif, augmentatif. Exemple : pedaru grand taureau (au cas Abs.), ne pas confondre avec pedari taureau (au cas Erg.). Cf. les suffixes -aga, -akka.

    -(i)e/-(i)i : forme des drivs abstraits partir de noms (ou dadjectifs). Exemple : erie, ere trone, royaut < rri roi.

    -(v)ki : forme des drivs, normalement sur base verbale. Exemples : tadaraki ami < tad- aimer, ummiluki apprenti < ummi main.

    9.6. Quelques suffixes longs sapparentent plus de la com-position qu de la suffixation. Ils sont frquemment utiliss avec des mots emprunts :

    -dan, daprs le verbe tan- faire. Endan prtre, daprs eni dieu (< sumrien AN ciel), abuldanni portier, daprs akkadien abullu porte.

    -uhli en charge de, responsable de, daprs ehli voir, veiller . Nombreux exemples en relation avec des emprunts akkadiens. Akkadien es9du rcolte > izaduhli rcolteur, akkadien hals9u forte-resse > halzuhli gouverneur, akkadien pilakku, pilaqqu que-nouille > pilakuh(u)li fileuse, akkadien sagullu troupeau > zugul-luhli ptre, gardien de troupeau.

    -arbu g de x annes : inarbu g de deux ans, kigarbu g de trois ans, tumnarbu g de quatre ans, neriyarbu g de cinq ans, etc.

  • 28 A. FOURNET

    9.7. Une base nominale, ventuellement augmente de suffixes drivationnels, peut recevoir des suffixes pronominaux possessifs. Ceux-ci ont ventuellement deux formes diffrentes, selon que la concatnation sarrte ce point ou se poursuit.

    P1SG P2SG P3SG

    En fin de mot -wwe -b -a

    Enchan -wwu- -be- -(y)i-

    Suffixes pronominaux possessifs (Singulier)

    Les suffixes du Pluriel sont partiellement dductibles des formes du Singulier par addition dun suffixe -a.

    P1PL P2PL P3PL

    En fin de mot -wwa

    -i -ya

    Enchan -u-

    Suffixes pronominaux possessifs (Pluriel)

    Lalternance vocalique de -wwe ~ -wwu- et -i ~ -u- est typique des pronoms. La voyelle finale de ces pronoms peut slider si le suffixe suivant est la conjonction enclitique -an et ou bien un pronom enclitique mobile. Exemples :

    (1) cas gnral dun nom commun se terminant par -i, -e. Le suffixe possessif sajoute la base, sauf pour P3SG o -a remplace -i, -e : umini pays: uminiwwe mon pays (Abs.), uminiwwuwa mon pays (Dat.), uminib ton pays (Abs.), umina son pays (Abs.) uminiwwa notre pays (Abs.), uminiya leur pays (Abs.), uminiyaa leur pays (Dat.).

    (2a) terme familial en -ai : le -i final est thoriquement mobile [Cf. attani le pre (Abs.)] mais se maintient : attaiwwe mon pre (Abs.), attaibu ton pre (Erg.), attaiwwa notre pre (Abs.).

    (2b) terme familial en -ai : dans le cas du mot enni frre, cer-taines formes reposent sur une base enna : enniwwe mon frre (Abs.), ennab ton frre (Abs.), enna son frre (Abs.).

    Bien distinguer : eni dieu (Abs.), enni le dieu (Abs.), ena son dieu (Abs.), enna les dieux (Abs.), enni le dieu (Erg.), enna son dieu (Erg), ennau les dieux (Erg), eninnau ses dieux (Erg).

    9.8. Aprs les suffixes drivationnels et les suffixes prono-minaux possessifs, un mot peut tre suffix par des Articles.

    SG Pl

    Abs. Indfini tahi tahilla

    Abs. Dfini tahini tahinna

    Articles Dfinis et Indfinis lAbsolutif

    Il faut noter que les suffixes -lla et -nna, qui fonctionnent ici comme articles, respectivement des et les, peuvent aussi tre

  • Elments de morphologie et de syntaxe de la langue hourrite 29

    des pronoms enclitiques mobiles (PEM). Normalement lArticle Dfini au Pluriel est -nna : ebri seigneur (Abs.), ebrinna les sei-gneurs (Abs.). Les marques de cas sajoutent aux articles -ni et -nna. Le suffixe -lla est lui-mme lAbsolutif et ne peut pas rece-voir de marque de cas.

    Une base nominale dote dun suffixe possessif ne prend pas larticle dfini au SG : *enniwwu-ni le mien frre est impossible, mais *enniww-lla est possible : ici -lla est un PEM P3PL. Enfin enniwwu-nna mes frres est sans doute possible mais non attest.

    Lorsque la dernire consonne de la base est r, l ou n, il se pro-duit diffrentes complications phontiques (assimilation, resyl-labication) : (1) nihari dot, niharri < *nihar(i)ni, (2) uhni mur, uhunni < *uh(u)n(i)ni, (3) eli sur, elli < *el(i)ni. Dans les em-prunts le -m de la mimation smitique et le -m de laccusatif indo-iranien sassimilent larticle, do -nni.

    9.9. Les suffixes de cas viennent ensuite. On peut distinguer deux types de suffixes : les cas grammaticaux, qui indiquent le rle des mots dans la phrase et les cas locaux, qui se traduisent sou-vent par des prpositions en franais. Les marques de cas sont largement stables et identiques pour les noms et les pronoms. Il nexiste en quelque sorte quune seule dclinaison.

    Les principaux cas grammaticaux sont :

    -i, -e cas Absolutif. Exemples : tahi homme, tahini lhomme. Cest la forme de citation au dictionnaire. La finale -i, -e a une valeur nominalisante (Cf. 9.5). Le cas Absolutif est utilis pour les sujets de verbes intransitifs ou passifs et les COD de verbes transitifs. Le cas Absolutif a aussi une valeur Locative.

    -(i), -(e) cas Ergatif. Exemple : tahini lhomme (Erg.). Cest la forme prise par le sujet des verbes transitifs. Cette marque semble omise quand le verbe est un verbe de parole : dire, par-ler, etc. mme lorsquun COD est prsent dans la phrase. Le cas Ergatif peut aussi tre utilis comme complment de moyen dans une phrase o le prdicat est un adjectif ou un participe.

    -wi, -we cas Gnitif. Exemple : tahiniwi de lhomme. Cest le cas des complments du nom. Au pluriel ce suffixe est -i, -e, sauf Nuzi qui prsente la forme rgulire -wi ou -we.

    -wa cas Datif. Exemple : tahiniwa lhomme. Au pluriel ce suffixe est -(v)a sauf Nuzi qui prsente la forme rgulire -wa. Ce cas a deux fonctions : le destinataire et le complment des noms positionnels : tahiniwa abi devant lhomme, litt. en face lhomme.

    -nna cas Equatif. Exemple : tahinna en tant quhomme. Ce cas peut aussi sanalyser comme tant un adjectif driv tahinn- humain, viril suivi dune marque prdicative -a.

    Les principaux cas locaux sont :

    -da cas Allatif. Exemples : ardinida vers la ville, au Pluriel ardinnata. Indique la direction dun dplacement. Ce cas semble pouvoir aussi exprimer le Datif.

  • 30 A. FOURNET

    -dan cas Ablatif. Exemple : ardinidan hors de, venant de la ville, au Pluriel ardinnatan. Exprime la provenance. NB: la ma-tire est exprime par le suffixe -uhhi : inniberuhhi en ivoire.

    -a cas Locatif. Exemple : hawurni(y)a dans le ciel. -i cas Locatif. Ressemble lAbsolutif utilis sans marque de

    cas supplmentaire. Exemple : epheni dans le four. -ae cas Instrumental. Exemple : urae avec le(s) pied(s). Ce cas

    semble neutraliser lopposition Singulier ~ Pluriel. -ura cas Comitatif. Exemple : tahinnaura avec les hommes.

    Les cas autres que les cas Absolutif et Ergatif sont obliques.

    9.10. Le Pluriel est exprim par -lla lABS. indtermin et par le suffixe prdsinentiel - dans les autres cas :

    SG PL

    Absolutif -, -i, -e -lla

    Ergatif - -u

    Gnitif -we, -wi -[w]e, -[w]i

    Datif -wa -[w]a

    Locatif -a, -i -a

    Allatif -da -ta

    Ablatif -dan -tan

    Comitatif -ra -ura

    Equatif -nna -unna Combinaison des marques de cas et du Pluriel

    Ces suffixes sont valides pour toutes les bases nominales et pronominales, et les dpendances syntaxiques (adjectifs, etc.).

    Dans le suffixe dERG. PL -u le premier -- PL est sonore et scrit avec une simple, mais le deuxime qui marque lERG. est sourd et scrit avec une gmine graphique -- en cas de suffixa-tion par un PEM, par exemple -a(nna) le, la ou une ENC, par exemple -an et.

    9.11. Normalement les suffixes de cas sajoutent aux bases au moyen dune voyelle intercalaire. Lorsque le nom est suffix par larticle -ni, -i sert de voyelle intercalaire et les suffixes de cas peu-vent sajouter directement, mais lINST. -ni-ae devient -nae, et au COM. -ni-ura devient -nura. Avec larticle Pluriel -nna, -a sert de voyelle intercalaire et les suffixes de cas peuvent sajouter direc-tement, mais lERG. est -nnau.

    Les pronoms et dictiques remplacent la finale -i, -e de lABS. par -u, auquel sajoutent les suffixes de cas obliques, mais lERG. est -i ou -e. Cette alternance i/u est typique des pronoms.

    Dans les noms se terminant par -a, comme par exemple auka, cette voyelle se maintient tous les cas : ERG. auka, GEN. aukawi, etc.

  • Elments de morphologie et de syntaxe de la langue hourrite 31

    9.12. Les dpendances dune base nominale - adjectifs, formes verbales suffixes par le relatif e - reoivent les mmes articles et marques de cas que celle-ci. Il y a donc accord formel.

    - ulbi-ni paban-ni lautre montagne (ABS. DEF) - niharriwi de la dot (GEN. DEF), niharriwi aruaueniwi de la

    dot, que j[e l]ai donne (GEN. DEF) o aruaue est une forme verbale aruau je lai donn(e), nominalise par le relatif -e. Une fois nominalise cette forme peut recevoir des articles et marques de cas, qui prcisent quel mot elle se rapporte.

    9.13. Les thonymes se terminant par une consonne doivent tre appris individuellement :

    (1) Teub a pour ERG. Teuba, GEN. Teuppi, DAT. Teuppa, et la base oblique est Teuba- pour les autres cas.

    (2) Hebat a pour ERG. Hebattu, GEN. Hebatti ou Hebatt(e)wi, les autres cas reposent sur Hebatte-.

    (3) Kuuh a pour ERG. Kuuhi, GEN. Kuubhi, DAT. Kuubha, et pour base oblique Kuuhu- pour les autres cas.

    (4) Anat a pour base suffixe Anata-.

    Certains thonymes sont utiliss avec larticle dfini -ni. Cela indique quils sont perus comme trangers ou composs : Ea-rri-ni, Piaaphi-ni, etc. Le thonyme Kumarbi reoit parfois larticle : Kumarbi-ni, mais il est gnralement nu. Il est mon avis impossible que ce mot soit un Gnitif, comme cela est parfois propos, car on ne voit pas comment les locuteurs pourraient utiliser une forme de Gnitif avec un sens Absolutif, voire pire lui rajouter un suffixe dErgatif. Il est possible que ce soit un compo-s kum-arbi g de kum [100?] annes (Cf. 9.6.). Cela expliquerait quil puisse recevoir larticle dfini. Le thonyme imegi est semble-t-il toujours utilis avec larticle.

    Normalement les thonymes sont prcds du signe DINGIR dieu, dans les textes cuniformes.

    9.14. Quelques formes nominales ont une finale -u. Elles ont normalement une valeur positionnelle : telu en haut, tapu en bas, uthuru sur le ct. Dautres sont plus adverbiales : kulu nouveau, inu combien, comment. Certaines conjonctions ont cette finale : panu- bien que, undu- alors, au moment o. Le suf-fixe -arbu g de x annes a aussi cette finale -u.

    9.15. Les nombres sapparentent aux formes nominales. Ils peuvent recevoir les mmes marques de cas : tumni-lla les quatre. Du fait de leur sens, les possibilits de suffixation sont rduites. Les principaux suffixes drivationnels pour les nombres sont :

    -di : tumnadi quartette, quarteron < tumni quatre, emanduhli dcurion < eman dix.

    -()i, -()e : forme les ordinaux, kike, kike (avec mtathse) troisime < kig trois. Il peut aussi se suffixer aux nombres smi-tiques : irwie traduit le mot akkadien ilqu impt et signifie litt. quatrime.

  • 32 A. FOURNET

    10. La morphologie verbale

    10.1. La morphologie verbale est complexe du fait du nombre de paramtres intervenant dans lanalyse en signifis lmentaires : pronoms personnels Sujet ou COD, diathses, temps, modes, forme affirmative ou ngative. A cela sajoutent des variantes et des archasmes. La documentation disponible natteste pas toutes les formes que le systme laisse entrevoir comme possibles. La morphologie verbale doit tre apprise en mme temps que les pronoms (Cf. 12), o elle puise une bonne partie de ses suffixes formatifs.

    Les bases verbales sont soumises aux mmes contraintes pho-notactiques que les noms (Cf. 9.3).

    La conjugaison est organise en trois diathses de base, qui sont parallles lopposition entre les cas Absolutif et Ergatif :

    - verbes de mouvement, dtat, adjectifs, un actant ( lABS.) - verbes intransitifs, un actant ( lABS.) - verbes transitifs, deux actants ( lABS. et lERG.).

    A la 3me personne il y a donc trois jeux de suffixes :

    - diathse1 : una il vient, avec finale -a. - diathse1 : mana il est, avec finale -a. - diathse1 : ura il est fort, avec finale -a. - diathse2 : anu il se rjouit, avec finale -u. - diathse3 : tadia il ou elle laime, avec finale -ia.

    Les verbes de mouvement, normalement intransitifs, peuvent tre mis la diathse transitive, avec le changement de sens qui convient au mouvement en question :

    - diathse1 : una il vient, avec finale -a. - diathse3 : unia il ou elle lapporte, avec finale -ia.

    Chaque diathse a sa propre expression de la ngation :

    - diathse1 : unukku il ne vient pas, avec finale -ukk-u. - diathse2 : anikki il ne se rjouit pas, avec finale -ikk-i. - diathse3 : tadia(m)ma il ou elle ne laime pas, avec une finale

    -ia(m)ma, combinant -ia et -(m)ma. La NEG dpend de la per-sonne et du temps pour cette diathse3.

    Concernant mana il est, outre manukku il nest pas, il existe une forme archaque manubur dont lanalyse en morphmes nest pas claire, bien que -ub- semble indiquer la ngation.

    10.2. Le mode Indicatif a 3 temps : Prsent, Prtrit, Futur. Puis viennent les modes Conditionnel, Optatif et Dsidratif qui nexistent quau Prsent. LImpratif nexiste quau Prsent.

    Il existe un infinitif de type nom daction en -umma, et un jeu complexe de participes, qui sont tantt des formes nominales, tantt des formes adjectivales. Cf. 10.12. et 11.7.

  • Elments de morphologie et de syntaxe de la langue hourrite 33

    10.3. Comme avec les noms, les suffixes se concatnent sur une base verbale dans un ordre prdtermin. On reconnat deux types de chanes suivant que le verbe implique un seul actant ou deux actants.

    Chane un seul actant : - base verbale - suffixes drivationnels (0, 1 ou plus) - marque de temps ou mode (1 seule) - ngation (le cas chant) - pronom enclitique mobile PEM

    Chane deux actants : - base verbale - suffixes drivationnels (0, 1 ou plus) - marque de temps ou mode (1 seule) - suffixe pronominal actif (1 seul) - ngation (le cas chant) - pluriel - pronom enclitique mobile PEM

    Les deux types de chanes diffrent donc par linsertion aprs la marque de temps ou de mode dun suffixe pronominal actif. Sinon lordre des lments est sensiblement le mme.

    Les PEM sont implicitement au cas ABS. Ils correspondent donc au sujet dans la chane intransitive un actant et au COD dans la chane transitive deux actants. Les suffixes pronomi-naux actifs sont implicitement lERG. et expriment donc le sujet dun verbe transitif.

    Normalement la concatnation est transparente et analytique, mais il existe quelques cas de suffixes pronominaux actifs plus ou moins fusionns avec la ngation, en une sorte damalgame. Dans une large mesure la morphologie ressemble une sorte de mca-no morphmique o une bonne partie des formes est presque prvisible. Toutes les formes ne sont pas attestes et ne permet-tent pas de vrifier que ce mcano existe effectivement.

    10.4. Les PEM peuvent tre suffixs un autre lment que le verbe, ce qui peut faussement suggrer que le verbe est la P3SG.

    - una il ou elle vient - unadilla nous venons - hennidilla una nous venons maintenant

    Le PEM -dilla P1PL ABS., bien que suffix ladverbe henni maintenant, est le sujet rel du verbe un-. La suffixation dporte des PEM est un phnomne typique du hourrite, qui peut tre une source de confusion : una a lapparence suffixale dune P3SG mais le PEM -dilla prsent sur un autre lment de la phrase in-dique quelle est la vraie personne du verbe : ici, P1PL.

    10.5. Les suffixes drivationnels les plus frquents pour les bases verbales sont les suivants :

    -ad- : (sumrien) SR chant > irad- chanter

  • 34 A. FOURNET

    -ud- valeur inversive (?) in-, r- (pas de variante -id-, -ad-) : zu-lud- dnouer, [Propos par M. Giorgieri, mais controvers]

    -(u)gar- duel, rciproquement : tad- > tadugar- saimer lun lautre, ugulgar- sagenouiller, plier les (deux) genoux

    -am- factitif : eman dix > emanam- dcupler -ah(h)- causatif -iser, -ifier (pas de -ihh-, -uhh-) : tal- lev, haut

    > talah- enlever, prendre, mel- loin (?) > melah- chasser, expul-ser

    -uh- sens peu clair : his- (akkadien) > hisuh- tre en colre -ih- sens peu clair : *ananihi menthe, pus9 (akkadien) > puzih-

    nettoyer, plonger dans leau -il- : al- parler, prter serment > alilan- crier, se lamenter, ulil-

    mourir ~ ulmi arme -ill- inchoatif [se mettre ] : idarill- se mettre maudire

    maintes reprises -ul- (?) parfois mdio-passif : agul- sculpter, arul- guider, me-

    ner, aruul- se dpcher -al- : itku sacr > itkal- purifier, consacrer, heal- tre nu ~

    (?) himi clair < *hi- tre visible (?) -an- parfois causatif (pas de variante -in-, -un-) : al- parler, pr-

    ter serment > alilan- crier, se lamenter, hab- (?) > haban- se dplacer, se rendre , ki- placer > kiban- apporter, uett- avoir faim > ulan- manger

    -ang- sens peu clair (pas de variante -ing-, -ung-) : pud- > pudang- annoncer

    -ar- normalement itratif (variante -ir-, -ur-) : id- maudire > idar- maudire maintes reprises, -ur- : aguri sculpture, -ir- : adir-ha tant en conflit

    -t- intensif, ce suffixe est harmonique et prend la voyelle qui prcde : an- > anat- se rjouir, hub- casser > hubut- rduire en miettes, zamalat- dtruire, dchirer

    -- intensif : hab- (?) > hapar- marcher en permanence, ha- entendre > haa- entendre bien, tap- bas (?) > tap-, tap- mettre bas, dtruire

    -imb- sens peu clair32, -upp- sens peu clair : tad- > tad-upp- aimer

    10.6. Principaux drivs nominaux de bases verbales :

    -mi driv normalement passif sur base transitive = ce que, ce-lui que : halmi chanson

    -ni driv normalement actif sur base transitive = ce qui, celui qui : wudarini laveur de vaisselle

    -di normalement sur base intransitive : keldi bonne sant -ihi normalement causatif actif = celui, ce qui fait faire :

    paihi envoyeur, commanditaire -ithi normalement causatif passif = celui, ce qui est fait faire :

    paithi envoy, embassadeur

    32 DIETRICH MAYER, op. cit. (n. 15), p. 159, proposent un sens intensif-

    duratif pour ce suffixe.

  • Elments de morphologie et de syntaxe de la langue hourrite 35

    -umma infinitif : ahi haut > ahulumma lvation, sacrifice

    10.7. Les marques de temps et modes sont les suivantes :

    - INDI PRES : non marqu, - INDI PRET : marqu par -u- - INDI FUT : marqu par -ed-, ou en variante par -id- - COND : marqu par -(e)wa-, -(i)wa- - OPTA : marqu par -e-, ou en variante par -i- - DESI : marqu par -el-, ou en variante par -il-

    Le suffixe -u- est omis dans les formes de Prtrit archaque : unab il est venu, ils sont venus et non pas **unuab, de mme tandib il fit, ils firent et non pas **tanduib. La finale -b nest pas compatible avec la marque