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ECHR CEDH Case Poirot v. France (29938/07) Lawyer : Me Elisabeth LasserontObservation applicant September 10th 2009

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Page 1: ECHR : Poirot v. France : Observation

COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME

CONSEIL DE L’EUROPE STRASBOURG, France

OBSERVATIONS DE MADAME POIROT SUR

LA REQUETE N°29938/07

POIROT contre FRANCE

DEVANT LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME

KUGLER - LASSERONT SCP d’Avocats

9 Rue Gambetta 88000 ÉPINAL

Tél . 03 29 29 50 00 Fax. 03 29 29 50 01

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III. LA PROCEDURE: Le 3 juillet 2007, Madame Marie Paule POIROT agissant en qualité de curatrice de sa fille Séréna POIROT a déposée une requête devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme. La requérante fait grief à l’ordonnance du 9 janvier 2007 rendue par le président de la Chambre de l’instruction sans débat contradictoire d’avoir :

- déclaré son appel non admis et

- par une décision insusceptible de recours ainsi d’avoir violé les dispositions de l’article 6.1 de la Convention européenne des droits de l’homme prescrivant le droit d’accès à un tribunal et le droit à un procès équitable. Par courrier en date du 20 mars 2009, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a transmis la requête au gouvernement français et l’a invité à présenter ses observations sur la recevabilité et le bien fondé de cette dernière en réponse à la question suivante :

« La non-admission de l’appel formé par la requérante, alors partie civile, contre l’ordonnance de requalification des faits et de renvoi devant le tribunal correctionnel, au motif que la déclaration d’appel ne faisait pas apparaître de manière non équivoque que le recours était exercé en application de l’article 186-3 du code de procédure pénale, a-t-elle porté atteinte au droit de la requérante à un procès équitable au sens de l’article 6§1 de la Convention ? »

Par courrier en date du 21 juillet 2009, la Cour a transmis les observations du gouvernement français et invité Madame POIROT à présenter ses observations en réponse et ses demandes de satisfaction équitable. Madame POIROT a l’honneur de présenter à la Cour les observations suivantes.

IV. SUR LA RECEVABILITE DE LA REQUETE

A. Sur l’application de l’article 6§1 de la Convent ion

Le gouvernement français soulève l’irrecevabilité de la requête au motif que la requérante revendique un droit de « vengeance privée » sans aucun lien avec la réparation de son préjudice et qui n’est pas garanti par la Convention.

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Il rappelle au soutien de son argumentation l’arrêt rendu par la Cour le 12 février 2004. La Cour a effectivement précisé, dans l’arrêt Perez contre France en date du 12 février 2004, les conditions dans lesquelles une plainte avec constitution de partie civile rentre dans le champ de l’application de l’article 6§1 de la Convention. C’est ainsi qu’elle précise l’applicabilité de l’article 6 puisque toute partie civile constituée est de plein droit partie à la procédure pour la défense de ses intérêts civils. Elle rappelle en outre la nécessité de préserver les droits des victimes et la place qui leur revient dans le cadre des procédures pénales. Elle précise ainsi que la Cour ne doit pas se désintéresser du sort des victimes et minorer leur droits notamment certains principes fondamentaux du procès pénal, au nombre desquels on compte « l’équilibre des droits des parties » et « la garantie des droits des victimes » (Cour EDH Perez contre France §72) La partie civile dispose dès lors de droits de caractère civil, garantissant l’équilibre entre les droits de l’ensemble des parties au procès et parmi lesquels figure celui de former appel d’une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel du juge d’instruction dès lors qu’elle estime que les faits dont elle a été victime sont de nature criminelle. En l’espèce, il convient en effet de rappeler à la Cour le cadre législatif national ayant conduit à l’adoption de l’article 186-3 du code de procédure pénale français et le droit pour les parties civiles de faire appel d’une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel rendue par le juge d’instruction. La loi française du 9 mars 2004 dite loi « Perben II » a en effet légalisé la pratique de la correctionnalisation qui consiste à retenir une qualification délictuelle à des faits susceptibles de recevoir une qualification criminelle. Cette correctionnalisation repose sur les articles 186-3 et 469, alinéa 4, du Code de procédure pénale. L’article 186-3 dispose que la personne mise en examen et la partie civile peuvent interjeter appel des ordonnances de renvoi devant le tribunal correctionnel dans le seul cas où elles estiment que les faits renvoyés constituent un crime qui aurait dû faire l'objet d'une ordonnance de mise en accusation devant la cour d'assises. Le principe général français selon lequel les ordonnances de renvoi devant le tribunal correctionnel ne sont pas susceptibles d'appel par les parties, n'est pas remis en cause. L'article 186-3 apporte seulement une exception à ce principe, lorsqu'une partie estime que le juge d'instruction a correctionnalisé des faits de nature criminelle et qu'elle s'y oppose. Ce droit d'appel a pour contrepartie l'interdiction pour les juridictions correctionnelles de revenir sur une telle correctionnalisation, si les parties ne l'ont pas contestée. En effet, l'article 469, alinéa 4, souligne qu'à défaut de contestation au moment du règlement, par la voie de l'appel ouverte par l'article 186-3, l'ensemble des parties sont

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considérées comme ayant accepté la correctionnalisation, qui ne peut plus être remise en cause. Le mécanisme découlant de ces deux articles est donc une réelle consécration légale de la pratique de la correctionnalisation. Cette consécration suppose toutefois l’accord de l’ensemble des parties au procès y compris celui de la partie civile. Depuis l’entrée en vigueur de l’article 124 de la loi no 2004-204 du 9 mars 2004, dite « loi Perben II », la victime qui s’est constituée partie civile et qui est assistée d’un avocat au cours de l’instruction ne peut ainsi plus contester la correctionnalisation de l’infraction dont elle tire préjudice que par la voie d’un appel devant la chambre de l’instruction. Ce droit a ainsi été créé afin d’assurer l’équilibre des droits des parties au procès pénal, notamment de préserver les droits des parties civiles. Or, le fait de soumettre la déclaration d’appel à une motivation non prévue par les textes, en imposant qu’il doit ressortir de manière non équivoque de l’acte d’appel que ce dernier est effectué en vertu de l’article 186-3 du code de procédure pénale ou a minima en exigeant l’indication d’un fondement légal alors que le droit d’appel des parties civiles est restreint à cette seule hypothèse, les juridictions françaises ont exigé un formalisme excessif portant nécessairement atteinte aux droits de la partie civile qui entrent dans le champ d’application de l’article 6§1 de la Convention. Madame POIROT a incontestablement subi une entrave disproportionnée et une atteinte à la substance même de son droit d’accès à un tribunal protégé par l’article 6 de la Convention. La requête de Madame POIROT est en conséquence recevable.

B. Sur la qualité de victime de la requérante Le gouvernement français estime que le jugement rendu par le tribunal correctionnel le 3 juillet 2007 qui a prononcé la relaxe du prévenu et débouté Madame POIROT de sa demande de dommages et intérêts a fait perdre à la requérante la qualité de victime, ce jugement n’ayant été frappé d’appel par aucune des parties. Il expose en outre que l’acquittement définitif du prévenu transforme le droit invoqué par la requérante en droit « théorique et illusoire » que la Cour se refuse à protéger.

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1. Sur la qualité de victime de la requérante Les requêtes devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme ne peuvent être introduites que par les personnes se prétendant victime d’une violation de leurs droits. Le requérant doit en conséquence établir qu’il a un intérêt juridique pour agir. La Cour précise ainsi que par victime, l’article 25 désigne la personne « directement concernée par l’acte ou l’omission litigieuse » (Adolf c Autriche 26 mars 1982 requête n° 8269/78) Cette qualité de victime ne peut se perdre que dans l’hypothèse où le requérant ne peut plus prétendre être lésé par une violation de la Convention, soit à la suite d’un changement de la législation litigieuse, soit dans certaines circonstances par la réparation qu’il a obtenu des tribunaux. La Cour précise ainsi que les conditions posées par les organes de la Convention pour qu'un requérant cesse d'être victime des violations qu'il allègue, au sens de l'article 34 de la Convention, supposent que les autorités nationales aient reconnu explicitement ou en substance, puis réparé, lesdites violations (voir, notamment, l'arrêt du 26 septembre 2000 Guisset c/ France - Requête no 33933/96). La perte de la qualité de victime ne peut ainsi résulter que d’actes pris par l’Etat défendeur par lesquels il reconnaît qu’il y a eu violation et en répare les conséquences, la reconnaissance devant être liée aux griefs dont la Cour est saisie (Cour EDH 6 avril 2000 Labita c/ Italie - Requête n° 26772/95) Tel n’est manifestement pas le cas en l’espèce. La qualité de victime de la Convention est une notion autonome distincte de celle de victime d’une infraction au sens du droit pénal français. Ainsi, la relaxe du prévenu dans la procédure pénale française n’a en l’espèce aucune incidence et n’est pas susceptible de faire perdre la qualité de victime de Mme POIROT au sens de l’article 34 de la Convention. Le gouvernement français n’a ni reconnu la violation alléguée, ni remédié à cette dernière de manière adéquate. Lorsque le juge d’instruction a rendu son ordonnance de requalification des faits et de renvoi devant le tribunal correctionnel, Madame POIROT avait la qualité de partie civile au procès. Elle disposait à ce titre du droit de former appel contre ladite ordonnance. La question portée devant la Cour est celle de la conformité à la Convention de l’irrecevabilité de cet appel prononcé par les juridictions françaises au motif que la

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déclaration d’appel ne faisait pas apparaître de manière non équivoque que le recours était exercé en application de l’article 186-3 du code de procédure pénale. La relaxe du prévenu par jugement du tribunal correctionnel est dès lors sans lien avec la violation de la Convention alléguée par la requérante.

2. Sur l’existence d’un droit concret et effectif La relaxe du prévenu ne saurait pas plus transformer le droit de la requérante en droit « théorique et illusoire » que la Cour se refuse à protéger. Dans l’arrêt Stepinska contre France du 15 juin 2004, invoqué par le gouvernement français à l’appui de son argumentation, la Cour a qualifié le droit de la requérante de théorique et illusoire dans la mesure où la situation juridique retenue ne prêtait pas à discussion (Cour EDH Stepinska contre France 15 juin 2004 requête n° 1814/02) Dans les circonstances particulières de la cause, le droit reconnu à la partie civile et dont a été privée la requérante est loin d’être sans réelle portée ni substance. Comme indiqué précédemment, la législation française a légalisé, par une loi du 9 mars 2004 dite Perben II, la pratique de la correctionnalisation judiciaire qui consiste à ne retenir, pour une infraction, qu’une qualification délictuelle là où il existe en réalité un crime. Cette correctionnalisation suppose toutefois l’accord de toutes les parties et notamment de la partie civile. La loi du 9 mars 2004 susvisée a ainsi introduit l’article 186-3 dans le code de procédure pénale français qui permet à la partie civile (comme au mis en examen) d’interjeter appel des ordonnances de renvoi devant le tribunal correctionnel lorsqu’elle estime que le juge d’instruction a correctionnalisé des faits de nature criminelle et qu’elle s’y oppose. Ainsi, la déclaration d’irrecevabilité au motif que la déclaration d’appel ne faisait pas apparaître de manière non équivoque que le recours était exercé en application de l’article 186-3 du code de procédure pénale, alors que cette circonstance n’est pas exigée par la loi, a ainsi pour conséquence de priver la partie civile du droit de présenter des observations qu’elle estime pertinentes pour ses droits en application du droit à un procès équitable garanti par l’article 6§1 du la Convention (pour le droit des parties au procès à présenter les observations qu’elles estiment pertinentes pour leur affaire voir notamment Cour EDH Dulaurans contre France requête n°34553/97) Or, en l’espèce, l’appel formé par la partie civile a en effet été déclaré non admis sans débat contradictoire et par une décision insusceptible de recours. La requête de Madame POIROT repose en conséquence sur un droit concret et effectif.

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C. Sur l’épuisement des voies de recours Ainsi qu’il a été précisé dans la requête, les décisions suivantes ont été rendues dans ce dossier :

� Ordonnance du juge d’instruction près le tribunal de grande instance d’EPINAL (Vosges, France) en date du 14 décembre 2006 à l’encontre de laquelle appel a été interjeté par déclaration au greffe en date du 22 décembre 2006

� Ordonnance du Président de la Chambre de l’instruction près la Cour

d’appel de NANCY (Meurthe et Moselle, France) en date du 9 janvier 2007 ayant déclaré l’appel du 22 décembre 2006 non admis et à l’encontre duquel un pourvoi a été inscrit le 15 janvier 2007

Il s’agit de la décision critiquée supra

� Ordonnance du Président de la chambre criminelle de la Cour de

cassation en date du 14 février 2007 ayant déclaré le pourvoi non admis L’arrêt rendu par le tribunal correctionnel ne porte aucunement sur la question du droit de la partie civile d’interjeter appel de l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel du juge d’instruction. Le gouvernement français ne saurait en conséquence raisonnablement soutenir qu’en l’absence d’appel du jugement du tribunal correctionnel en date du 3 juillet 2007 les voies de recours internes ne seraient pas épuisées. La décision du Président de la chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 14 février 2007 n’est plus susceptible de recours, la Cour de Cassation étant la plus haute juridiction dans l’ordre judiciaire. Toutes les voies de recours interne ont donc été épuisées sur le droit en débat devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme.

V. LA VIOLATION DE LA CONVENTION

1. Aux termes des dispositions de l’article 186-3 du code de procédure pénale français « la personne mise en examen et la partie civile peuvent interjeter appel des ordonnances prévues par le premier alinéa de l’article 179 dans le seul cas où elles estiment que les faits renvoyés devant le tribunal correctionnel constituent un crime qui aurait dû faire l’objet d’une ordonnance de mise en accusation devant la cour d’assises.»

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Madame POIROT a interjeté appel de l’ordonnance de requalification des faits de viol sur personne particulièrement vulnérable reprochés au mise en examen en agression sexuelle sur personne particulièrement vulnérable, estimant que les faits renvoyés devant le tribunal correctionnel constituaient un crime et auraient dû faire l’objet d’une ordonnance de mise en accusation devant la cour d’assises. L’article 186-3 du code de procédure pénale français, s’il restreint le droit d’appel de la partie civile à cette seule hypothèse ne prescrit en revanche, pour la déclaration d’appel, aucune forme spéciale. Aussi, et en l’absence de dispositions spécifiques, les textes généraux régissant l’exercice du droit d’appel, à savoir les articles 496 à 509 du code de procédure pénale français, sont applicables. Et l’article 502 du code de procédure pénale français prescrit que :

« la déclaration d’appel doit être faite au greffier de la juridiction qui a rendu la décision attaquée. Elle doit être signée par le greffier et par l’appelant lui-même ou par un avoué près la juridiction qui a statué ou par un avocat ou par un fondé de pouvoir spécial ; (…) Elle est inscrite sur un registre public à ce destiné et toute personne a le droit de s’en faire délivrer copie. »

Il s’évince de ce texte, qui est nécessairement d’interprétation stricte, que la déclaration d’appel n’a pas à être motivée, pas même par simple référence au texte fondant le droit de recours. C’est si vrai que l’article 504 du même code dispose qu’une requête contenant les moyens d’appel peut être remise dans les délais prévus pour la déclaration d’appel au greffe du tribunal. La motivation de la déclaration d’appel est en conséquence facultative. Aussi, en déclarant l’appel non admis, au visa du seul article 186-3 du code de procédure pénale français, en énonçant qu’il se déduit de ce texte que « ce motif doit ressortit de manière non équivoque de l’acte d’appel signé par l’appelant » et qu’en l’espèce la déclaration d’appel « ne comporte aucune indication à cet égard », le Président de la Chambre de l’instruction a violé les dispositions de cet article et porté atteinte au droit d’accès à un tribunal que la requérante tire de l’article 6.1 de la Convention Européenne des droits de l’homme. 2. De surcroît, cet appel a été déclaré non admis, sans débat contradictoire et par une décision insusceptible de recours. Il n’appartenait pourtant pas au Président de la Chambre de l’instruction, seul, de déclarer le pourvoi non admis à raison d’une motivation insuffisante de la déclaration d’appel.

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En effet, aux termes des dispositions de l’article 186 du code de procédure pénale français, « si le président de la chambre de l’instruction constate qu’il a été fait appel d’une ordonnance non visée aux alinéas 1 et 3 du présent article, il rend d’office une ordonnance de non admission de l’appel qui n’est pas susceptible de voie de recours. » Tout d’abord, ce pouvoir de contrôle a priori n’est pas prévu pour le contrôle des appels exercés en vertu de l’article 186-3 du code de procédure pénale français. Le mécanisme de la non-admission de l’appel n’a pas été envisagé par le législateur, s’agissant de la faculté, dérogatoire, accordée en cas d’appel d’une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel en raison d’une requalification. En second lieu, le pouvoir que tire le Président de la Chambre de l’instruction de cet article est strictement limité à la vérification de ce que l’auteur de l’appel est bien habilité à faire appel de l’ordonnance querellée. Il ne lui appartient pas en vertu de ce texte de vérifier le contenu même de la déclaration d’appel. Dès lors que l’appel entre dans le champ d’application de l’article 186-3 du code de procédure pénale français, s’agissant d’une requalification, le président de la chambre de l’instruction ne peut exercer un quelconque pouvoir d’admission : c’est à la chambre de l’instruction qu’il appartient de se prononcer, directement, sur l’appel, sans que celui-ci ait d’ailleurs à être motivé, comme rappelé supra. Aussi, l’ordonnance rendue par le Président de la Chambre de l’instruction le 9 janvier 2007 porte atteinte, dans sa substance même, au droit de la partie civile d’interjeter appel d’une ordonnance de requalification et ainsi au droit à un procès équitable prescrit par l’article 6.1 de la Convention européenne des droits de l’homme. En conclusion, Cette décision a privé la requérante du droit d’exercer un recours contre une décision, en l’espèce l’ordonnance du juge d’instruction du 14 décembre 2006, portant atteinte à ses intérêts civils. Le viol sur personne particulièrement vulnérable est en droit français puni d’une peine de 20 ans de réclusion criminelle (article 222-24 du code pénal français) Ce crime est jugé par la Cour d’Assises. Les agressions sexuelles autres que le viol sont punies de 7 ans d’emprisonnement et de 100000 € d’amende lorsqu’elles sont commises sur une personne particulièrement vulnérable. (article 222-29 du code pénal français) Ce délit est jugé par le tribunal correctionnel. Mademoiselle Séréna POIROT a été privée de la possibilité, dans le cadre d’un procès équitable et contradictoire, de contester la qualification des faits commis sur sa personne retenue par le juge d’instruction.

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Elle n’a pu du fait de la non-admission de son appel au terme d’une procédure non contradictoire et insusceptible de recours contester l’interprétation et l’application du droit interne, en l’espèce des dispositions des articles 186 et 186-3 du code de procédure pénale français. De surcroit, la requalification en délit n’est pas sans incidence sur l’issue du litige. En effet, rien ne dit que devant une juridiction comprenant un jury populaire, la décision sur le plan pénal ait été identique à celle du tribunal correctionnel. Le gouvernement français soutient que la non-admission de l’appel formé par la requérante contre l’ordonnance de requalification des faits et de renvoi devant le tribunal correctionnel, au motif que la déclaration d’appel ne faisait pas apparaître que le recours était exercé en application de l’article 186-3 du Code de Procédure Pénale, n’a pas porté atteinte au droit à un procès équitable au sens de l’article 6§1 de la Convention. Il rappelle que le droit au juge dont le droit d’accès constitue un aspect n’est pas absolu et que le respect des formes procédurales, si celles-ci sont prévisibles, ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit d’accès à un tribunal. Il soutient dès lors que les décisions des juridictions françaises ne sauraient encourir une critique utile, la chambre criminelle ayant jugé dès le 15 mars 2006 soit plus de neuf mois avant la déclaration d’appel de la requérante, que l’appel formé devait faire apparaître de manière non équivoque que le recours était exercé en application de l’article 186-3 de sorte que ce formalisme était prévisible. Il affirme enfin qu’il existait un rapport raisonnable de proportionnalité entre la formalité imposée et le but poursuivi, à savoir diminuer l’encombrement des juridictions par un « filtrage » des appels réalisé par le président de la chambre de l’instruction permettant de réduire les délais de procédure. Il convient toutefois de rappeler que ce formalisme n’est pas imposé dans le texte de la loi. Or, la Cour a précisé que d’une manière générale une interprétation déraisonnable d’un formalisme excessif par le juge interne d’une règle de procédure ou d’une formalité ayant entrainé l’irrecevabilité d’un recours constitue une violation du droit d’accès à un tribunal (Cour EDH 25 janvier 2000, Miragall contre Espagne – Cour EDH 16 novembre 2000 SA « Sotiris et Nikos Koutras Atee » c/ Grèce – Cour EDH 12 novembre 2002 Zvolska c/ République Tchèque) Il ressort ainsi de la jurisprudence de la Cour que le droit d'accès à un tribunal n'est pas absolu et se prête à des limitations implicitement admises, notamment quant aux conditions de recevabilité d'un recours, car il appelle de par sa nature même une réglementation par l'Etat, lequel jouit à cet égard d'une certaine marge d'appréciation. Toutefois, ces limitations ne sauraient restreindre l'accès ouvert à un justiciable de manière ou à un point tel que son droit à un tribunal s'en trouve atteint dans sa substance même.

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Or, l'interprétation particulièrement rigoureuse et éminemment critiquable sur le plan juridique faite par les juridictions françaises de la règle de procédure en cause impose une charge disproportionnée qui rompt le juste équilibre des droits des parties et porte atteinte aux droits des victimes. La non-admission de l’appel de la partie civile résulte en effet d’une décision prise sans débat contradictoire et insusceptible de recours qui prive incontestablement la partie de son droit d’accès à un tribunal. La formalité imposée était en outre loin d’être prévisible puisque seul l’article 186-3 peut fonder l’appel de l’ordonnance de renvoi correctionnalisant des faits pouvant être qualifiés de crime. Elle crée ainsi une entrave disproportionnée et une atteinte à la substance même du droit de la partie civile qui ne saurait être justifiée par le but poursuivi par les juridictions françaises, à savoir réduire les délais de procédure. La réduction de l’encombrement des juridictions ne peut en effet s’effectuer au détriment des droits des parties civiles en les privant d’un droit qui leur a été expressément reconnu en vue d’assurer l’équilibre des droits des parties au procès. Pour preuve, la Cour de Cassation française a opéré un revirement de jurisprudence par deux arrêts rendus le 10 décembre 2008 passé curieusement sous silence par le gouvernement français, par lesquels, reprenant la lettre du texte, elle considère que la loi n’exige pas, pour la recevabilité d’un tel appel, que soit mentionné l’objet du recours. Ainsi qu’il avait été soutenu à l’appui du pourvoi formé par Mme POIROT, la Cour de cassation précise que dès lors que seul l’article 186-3 du Code de Procédure Pénale peut fonder l’appel de l’ordonnance de renvoi correctionnalisant des faits pouvant être qualifiés de crime, l’acte ne doit porter mention ni de ce texte, ni de l’objet de cet appel. (Cass. Crim. 10 décembre 2008 n° de pourvoi 08-86.568 et 08-86.812) Par ce revirement les juridictions françaises reconnaissent ainsi le formalisme excessif portant atteinte à la substance même du droit de la partie civile de faire appel d’une ordonnance de renvoi dans l’hypothèse susvisée et la méconnaissance des obligations figurant dans l’article 6§1 de la Convention. Il convient en outre de préciser que deux revirements de jurisprudence en deux ans ne permettent pas de soutenir que la formalité imposée était prévisible. Il est en conséquence demandé à la Cour de déclarer la requête recevable et bien fondée.

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VII. PIECES JUSTIFICATIVES PRODUITES PIECE N°1 : plainte avec constitution de partie civ ile en date du 22 octobre 2001 PIECE N°2 : Ordonnance du juge d’instruction en dat e du 14 décembre 2006 PIECE N°3 : déclaration d’appel en date du 22 décem bre 2006 PIECE N°4 : ordonnance du président de la Chambre d e l’instruction du 9 janvier 2007 PIECE N°5 : pourvoi en cassation en date du 15 janv ier 2007 PIECE N°6 : Mémoire en vue de faire déclarer un pou rvoi immédiatement recevable PIECE N°7 : ordonnance du président de la chambre c riminelle de la Cour de Cassation en date du 14 février 2007 PIECE N°8 : article 186-3 du code de procédure péna le français PIECE N°9 : article 186 du code de procédure pénale français PIECES N°10 : article 496 à 509 du code de procédur e pénale français PIECE N°11 : pouvoir PIECE N°12 : note d’honoraires de la SCP MERLINGE B ACH WASSERMANN PIECE N°13 : décision de rejet du bureau d’aide jur idictionnelle en date du 19 février 2007 PIECE N°14 : arrêts de la chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 10 décembre 2008 n° de pourvoi 08-86.568 et 08-86.812)

VIII. DECLARATION ET SIGNATURE Je déclare en toute conscience et loyauté que les renseignements qui figurent à la présente sont exacts. Fait à EPINAL (Vosges, France) le 10 septembre 2009 Elisabeth LASSERONT Avocat