Diatorix et Marcus

Castor Poche Collection animée par

François Faucher et Martine Lang

Une production de l'Atelier du Père Castor

© 1989, Castor Poche Flammarion pour le texte et l 'illustration.

BERTRAND SOLET

Dia to r ix

et M a r c u s

illustrations de MICHEL RIU

Castor Poche Flammarion

Bertrand Solet, l 'auteur, est né à Paris, en 1933. Il est marié, père de trois garçons, et trois fois grand-père. Dans la journée, il est au bureau, le soir, il écrit des livres pour les jeunes. Il en a publié plus de vingt-cinq. Au-dessus de son bureau est suspendue une gravure représentant Don Quichotte.

Ber t rand Solet aime raconter des histoires de simples gens, de tous les temps et de tous les pays, de ces gens dont on parle peu d 'habitude : compagnons charpentiers, Tsiganes, Cosaques, jardiniers de Montreuil à l 'époque de la grande Révolution de 1789...

Aujourd'hui, remontant aux sources de notre histoire, il évoque la vie d 'un jeune Celte lors d'une des nombreuses révoltes qui ont marqué la Gaule du début de l 'occupation romaine. Du même auteur, dans la collection Castor Poche : La Flûte tsigane, n° 40. Debout, Cosaques ! (A paraître).

Michel Riu, l ' i l lustrateur, est né à Paris mais ses racines sont catalanes. Après quatre années d 'études de dessin à Bruxelles, il revient vivre en banlieue parisienne. S'il se consacre alors plus part iculièrement à la bande dessinée et fait paraî t re des albums dont il est le scénariste et le dessinateur, il illustre aussi des jeux de rôles et des romans pour enfants.

Diatorix et Marcus : En l'an 21 de notre ère, cela fait soixante-

treize ans que Vercingétorix s'est rendu au dic- ta teur Jules César. Non sans mal, les Romains tentent d ' imposer la paix en Gaule.

Diatorix, fils d 'un grand chef gaulois mort au combat, a été élevé par Titus Prolimus le Romain. Il a grandi au côté de Marcus qu'il estime comme un frère...

Mais aujourd'hui, Diatorix doit choisir son camp. Va-t'il épouser la fille de Titus Prolimus ou écouter l 'appel à la révolte que lance le druide, chef des Carnutes ?

Le pays s'agite. Les peuples celtes se rassem- blent, se soulèvent contre l 'occupation romaine et luttent pour leur liberté...

Les peuples celtes

Sous l'occupation romaine, la Gaule est partagée en province Narbonnaise (dans le Midi) et en Gaule « chevelue ». Cette dernière se divise en trois Gaules : celtique (Lyon), belge et aquitaine. Chacune des trois Gaules a un gouverneur romain secondé p a r des conseillers.

Les peuples celtes évoqués dans ce livre : • Le pays des Carnutes occupait approxima- tivement la plaine de la Beauce et de la Solo- gne. • Les Arvernes : peuple d'Auvergne, tribu de Vercingétorix. • Un des plus grands peuples gaulois, les Éduens, étaient installés au cœur de ta Gaule celtique, entre Loire et Saône. • Les Bituriges (ou « rois du monde ») : Berri- chons.

• Les Volques : peuple, installé de la Garonne au Rhône.

• Les Séquanes : peuple de Franche-Comté. • Les Andes ou Andecaves : Angevins.

• Les Vénètes : peuple du Morbihan, marins célèbres. • Les Pictons : Poitevins. • Peuples de cavaliers, les Trévires occu- paient la vaste région de la Meuse au Rhin. • Les Ménapes : peuple installé entre l'Escaut et la mer du Nord. • Le peuple gaulois des Turons occupait approximativement le département d'Indre- et-Loire (la Touraine). • Les Namnètes : peuple de l'estuaire de la Loire. • Les Senons : peuple fameux installé sur les rives de l'Yonne.

Lorsque notre histoire débute, cela fait juste soixante-treize années que Vercingéto- rix, dont le nom gaulois signifie « grand roi des guerriers », s'est rendu au dictateur Jules César.

Non sans mal, la paix romaine s'est impo- sée en Gaule. Des gouverneurs romains et leurs fonctionnaires surveillent les chefs de

tribus, la langue latine remplace peu à peu la langue celte, les dieux romains se mêlent aux vieilles divinités celtiques. Si les Romains construisent des routes pavées, des ponts et des maisons de pierre, ouvrent des écoles, en revanche, la Gaule leur sert de grenier à blé; ils en tirent de lourds impôts, et interdisent l'enseignement des

d r u i d e s eux-mêmes pourchassés car leur existence est la seule force qui puisse main- tenir un sentiment national au sein des nombreuses tribus trop souvent divisées. La Gaule sert aussi de rempart à Rome contre les invasions des Germains, habitants d'au- delà le Rhin; les Gaulois sont nombreux dans les légions romaines aux frontières, enrôlés de gré ou de force.

Nous sommes donc en l'an 21 de notre ère. Et ce jour-là...

1. Druide : sage de la société gauloise, à la fois prêtre, médecin, enseignant et juge.

1. Les loups

D e p u i s qu 'on les a lâchés à travers la campagne, les chiens courent sans arrêt, en tous sens, reniflant chaque motte de terre, fouillant chaque buisson rencontré, infatiga- bles sur leurs courtes pattes, le poil touffu crotté, geignants, gémissants.

Soudain, ils semblent s 'animer davantage encore, commencent à frétiller d'impa- tience; leur voix devient criarde, Diatorix ne s'y t rompe pas : « Ils ont senti la piste », songe-t-il.

En effet, les bêtes se lancent maintenant tout droit vers un point bien précis. Diatorix pousse son cheval à leur suite. Bientôt, il

agite son épieu en signe de victoire et hurle : - Les voilà! Les voilà!

Sa voix tremble d'excitation. A faible dis-

tance, une meute de loups a surgi d ' un repli de terrain; les chiens les ont levés, aboyant à tout rompre. Le jeune Celte, qui a d 'abord ralenti l'allure, repart au grand galop. - Viens!

Marcus se précipite à son tour, s'effor- çant de rejoindre son compagnon. Lui ne crie pas, mais le vif éclat de ses yeux dit sa joie de chasseur.

Les loups sentent vite le danger mortel approcher. Ils fuient d 'abord groupés, mais bientôt égaillés, chacun pour soi, dents pointues, gueules baveuses, carcasses grises encore amaigries par les rigueurs du dernier hiver. - J 'en tiens un!

Diatorix brandit l'épieu, frappe une pre- mière fois. La bête transpercée s'écroule sur le sol, inerte. Le jeune Celte est déjà passé, l 'arme à nouveau dressée, prête à s 'abattre sur une autre victime.

Marcus Prolimus n'est pas en reste. Lui aussi manie avec dextérité son outil de chasseur. Bientôt, une dizaine de cadavres

parsèment la plaine. Les chevaux n 'en peu- vent plus, laissant les derniers membres de la meute s'éloigner, disparaître. La chasse est terminée au grand mécontentement des chiens que les serviteurs s 'évertuent à ras- sembler.

Les deux jeunes gens s'immobilisent côte à côte, apaisent de leurs mains l 'encolure tremblante des chevaux. - Doucement, allez, doucement. . .

Ils respirent l'air frais du matin, repren- nent eux aussi haleine. Ce sont de solides

gaillards, bien bâtis, aux épaules larges, aux visages énergiques, l 'un blond : le Gaulois, l 'autre brun : le Romain.

- Ça fera toujours dix loups de moins à attaquer nos troupeaux, constate Marcus avec une satisfaction évidente. - Ce sont sans doute les derniers de la saison.

Oui, avec le retour du printemps les loups s'éloignent des domaines habités, s'enfon- cent dans les profondeurs des forêts où ils trouvent maintenant sans peine leur nourri- ture.

Les serviteurs de la suite s'affairent déjà à écorcher les bêtes abattues, les chiens bon- dissent autour d 'eux et de grands oiseaux

commencent à planer dans le ciel, mysté- rieusement avertis d 'un proche festin. - Est-ce qu 'on rentre? demande Marcus, mon père nous attend. Je crois qu'il désire nous parler de son voyage à C e n a b u m - Eh bien, rentrons!

Diatorix se tourne vers les domestiques : - Holà! vous autres, nous partons. Dépê- chez-vous d 'achever votre besogne et de nous rattraper.

Marcus siffle les chiens, et les deux jeunes hommes s'éloignent au petit trot de leurs chevaux.

Un pâle soleil éclaire la plaine brune et les nappes épaisses de la forêt, étendues de tous côtés. Ici est le pays du peuple des Carnutes, le cœur de la Gaule.

La forêt, justement, il faut en traverser une bonne surface pour arriver jusqu'aux terres cultivées du domaine. Un sentier la

coupe, tracé au fil des années par le pas des chevaux et des hommes martelant le sol et

empêchant la végétation de trop pousser à cette place.

Diatorix et Marcus vont, parlant et riant.

1. Voir carte p. 6.

I ls é v o q u e n t l a m é s a v e n t u r e s u r v e n u e l a

ve i l l e à S a b i n a , l a s œ u r d e M a r c u s : c e l l e - c i

a v a i t l i b é r é u n c h i e n e n f e r m é , e t l ' a n i m a l ,

a u l i e u d e m a n i f e s t e r s a r e c o n n a i s s a n c e ,

s ' é t a i t m i s à p o u r s u i v r e l a j e u n e fille e n

g r o n d a n t , p r ê t à m o r d r e .

- C ' e s t T i l o s le p o r c h e r q u i a a t t r a p é l a

b ê t e , p o u f f e M a r c u s , e t S a b i n a l u i c r i a i t :

« É l o i g n e - t o i , T i lo s , t u s e n s t r o p m a u v a i s ,

j ' a i m e e n c o r e m i e u x le c h i e n ! »

- C e q u i n ' e s t p a s t r è s a i m a b l e .

- T u lu i d i r a s c e l a t o i - m ê m e , e t b i e n t ô t ,

p u i s q u e m o n p è r e v e u t q u e t u l ' é p o u s e s . U n

m a r i a l e d r o i t d e t o u t d i r e à s a f e m m e , G a u l o i s .

A c e s m o t s , D i a t o r i x s e r e m b r u n i t . U n e

n o u v e l l e fo is , il s e d e m a n d e p o u r q u o i l e r i c h e T i t u s P r o l i m u s v e u t l u i d o n n e r s a fil le

e n m a r i a g e . B i e n s û r , il e s t d é j à , e t d e p u i s

l o n g t e m p s , c o m m e u n a u t r e e n f a n t d e l a

f a m i l l e ; b i e n s û r , il a i m e b e a u c o u p S a b i n a ,

e t S a b i n a a u s s i d o i t é p r o u v e r d e l ' a f f e c t i o n

p o u r lu i , m a i s c e l a n ' e x p l i q u e p a s t o u t ,

n o n . . . s û r e m e n t p a s .

D i a t o r i x , c e j o u r - l à , n ' a p a s l e l o i s i r d e s e

p o s e r d e s q u e s t i o n s t r o p l o n g t e m p s . V o i l à

u n m o m e n t q u e l e s c h i e n s s e s o n t m i s à

grogner, à manifester une inquiétude évi- dente. Les jeunes gens n 'ont prêté que peu d'attention à cette agitation, pensant qu'il s'agissait d 'une réaction au passage d 'un animal quelconque, reniflé dans les envi- rons.

Mais il s'agit d 'autre chose. Soudain, un arbre s 'abat sur le sentier juste devant Dia- torix. Son cheval hennit de surprise, se cabre à demi, manquant le désarçonner.

Et Diatorix lâche un cri de surprise et de terreur lorsque tombe sur sa tête un lourd filet de gladiateur dont les mailles l'enser- rent. - A moi!

Il tente de se libérer, se débat... Son épieu roule à terre, lui-même glisse de sa selle en dépit de ses efforts pour se retenir.

Quelques silhouettes patibulaires parais- sent, harnachées de cuir, de fer, coiffées de casques dépareillés, brandissant des glaives courts et des poignards. Heureusement, Marcus est toujours en selle, lui, son arme de chasse à la main. Bien que seul, il s 'élance avec courage vers les assaillants. Comme tout à l 'heure les loups, il attaque

les hommes, combien plus dangereux pour- tant. - Arrière! canailles!

Tel un poisson malhabile dans une nasse, Diatorix ne peut que se tortiller. Il voit à quelques pas son compagnon faire face à cinq ou six ennemis : Marcus ne pourra tenir longtemps, il le sait et appelle : - Sors de là! Diatorix, par Jupiter! - Facile à dire, le filet s'accroche, impossi- ble d'en trouver le bord!

Heureusement, de grands cris se font entendre. Ce sont les serviteurs accourant au galop, porteurs non seulement des peaux de loups encore chaudes, mais de lourds javelots. - A mort!

A leur vue, les assaillants fuient aussitôt, se perdent dans les fourrés, tels des san- gliers sauvages, sentant leur attaque man- quée. Un seul d'entre eux reste à terre, étourdi, blessé par le jeune Romain.

Les domestiques s'empressent, délivrant Diatorix, honteux de s'être laissé prendre : - Tu n'y peux rien, le console Marcus, si j'avais chevauché devant, c'est moi qui aurais été pris.

- Merci tout de même, frère, tu m'as sauvé la vie. - Bah! à charge de revanche... - Les domestiques disent que les brigands se font de plus en plus nombreux. Ils rôdent dans la forêt, prêts à tous les mauvais coups, ce sont des esclaves ou des gladia- teurs en fuite, des miséreux et des déser- teurs de l'armée, mercenaires venus de Ger- manie ou d'ailleurs.

- Et ils osent se montrer à quelques pieds de notre propriété! s'indigne Marcus. Pen- dant ce temps, les légionnaires romains se reposent, prennent du gras au ventre ! - Parles-en à ton père, réplique Diatorix, puisqu'il se rend justement à Cenabum, rien ne l'empêche de protester auprès des nota- bles, ou même auprès du conseiller du gouverneur

Le groupe se remet en marche, emme- nant le brigand blessé, traîné par les servi- teurs. Ces derniers ne manquent pas de lui

1. Le gouverneur est le représentant de Rome dans chaque province de l 'Empire romain. Il est aidé par des conseillers ou auxiliaires, et contrôle l 'assemblée des notables de chaque division administrative du territoire.

p r é d i r e s o n a v e n i r s o u s l e s p i r e s a u s p i c e s :

- T o n c o m p t e e s t b o n , le f o u e t t ' a t t e n d .

P e u t - ê t r e a u s s i l e s f a u v e s . A C e n a b u m ,

A u t r i c u m , o u a i l l e u r s . . .

- D e t o u t e f a ç o n , q u a n d t u s o r t i r a s d e s

m a i n s d e l ' i n t e n d a n t M a t e r n u s , t u a u r a s

d é j à c o m p r i s t a d o u l e u r . . .

L ' h o m m e b a i s s e l a t ê t e , le f l a n c e n s a n -

g l a n t é .

2. Au domaine

M a i s quelle mouche a piqué les porcs, ce matin-là? C'est à se le demander. Tilos a

beau s'affairer, crier, manier le bâton, les bêtes semblent animées d 'un farouche

esprit de contradiction. Tilos les pousse à droite, elles vont vers la gauche, Tilos veut qu'elles avancent, elles reculent...

C'en est devenu un véritable spectacle, suivi avec un plaisir évident par des enfants du domaine, quelques adultes aussi de pas- sage, ce qui n'est pas fait pour calmer le porcher Tilos : - Je vais vous faire voir qui commande! hurle-t-il.

Déclaration qui n'impressionne guère les

bêtes rudes et fortes, habituées à la vie en plein air, semblables davantage à leurs frè- res sangliers qu ' à des animaux d'élevage.

D'habi tude pourtant , Tilos sait les conduire, mais il y a des jours ainsi faits où tout va de travers... Et pour compléter ses ennuis, on dirait à présent un coup monté : un porc grognant passe derrière le porcher, un autre, devant, se retourne à demi, l'obli- geant à reculer d 'un pas. Tilos trébuche et s'étale en jurant dans la boue!

Les enfants crient de joie, et Varix le forgeron ne peut réprimer un sourire tandis qu'il approche : - Holà, Tilos, voilà qui ne va pas te rendre propre. - Je m ' en moque!

Le porcher se relève, furieux, ramasse son bâton.

- Eloignons-nous, lui glisse Varix redevenu sérieux, j 'ai à te parler. - S'éloigner, s'éloigner, je veux bien, moi. Mais mon troupeau.. .

Celui-ci tout à coup se décide, sans doute par pur hasard : un porc va en trottant vers les champs, les autres lui emboîtent le pas. Tilos pousse un soupir de soulagement, et les enfants s 'en vont, le spectacle terminé.

En l'an 21 de notre ère, cela fait soixante-treize ans que Vercingétorix s'est rendu au dictateur Jules César. Non sans mal, les Romains tentent d'imposer la paix en Gaule.

Diatorix, fils d'un grand chef gaulois mort au combat, a été élevé par Titus Prolimus le Romain. Il a grandi au côté de Marcus qu'il estime comme un frère...

Mais aujourd'hui, Diatorix doit choisir son camp. Va-t'il épouser la fille de Titus Prolimus ou écouter l'appel à la révolte que lance le druide, chef des Carnutes ?

Le pays s'agite. Les peuples celtes se rassem- blent, se soulèvent contre l'occupation romaine et luttent pour leur liberté...

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