deux microtoponymes anglo-normands du bessin: l'estrac, la gare (l. musset)

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Lucien Musset Deux microtoponymes anglo-normands du Bessin : l'estrac, la gare In: Cahier des Annales de Normandie n°26, 1995. Mélanges René Lepelley. pp. 269-275. Citer ce document / Cite this document : Musset Lucien. Deux microtoponymes anglo-normands du Bessin : l'estrac, la gare. In: Cahier des Annales de Normandie n°26, 1995. Mélanges René Lepelley. pp. 269-275. doi : 10.3406/annor.1995.2270 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/annor_0570-1600_1995_hos_26_1_2270

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Page 1: Deux Microtoponymes Anglo-normands Du Bessin: l'Estrac, La Gare (L. Musset)

Lucien Musset

Deux microtoponymes anglo-normands du Bessin : l'estrac, lagareIn: Cahier des Annales de Normandie n°26, 1995. Mélanges René Lepelley. pp. 269-275.

Citer ce document / Cite this document :

Musset Lucien. Deux microtoponymes anglo-normands du Bessin : l'estrac, la gare. In: Cahier des Annales de Normandie n°26,1995. Mélanges René Lepelley. pp. 269-275.

doi : 10.3406/annor.1995.2270

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/annor_0570-1600_1995_hos_26_1_2270

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DEUX MICROTOPONYMES

ANGLO-NORMANDS DU BESSIN :

L'ESTRAC, LA GARE

On sait depuis longtemps qu'une notable partie du vocabulaire microto- ponymique de la Normandie occidentale présente un singulier parallélisme avec des termes ruraux anglais, en majorité d'origine Scandinave ou anglo- scandinave. Il s'agit avant tout de mots relatifs à la forme et à la disposition des quartiers ou des sillons de terre labourée dans les pays d'openfield. Le fait est démontré depuis plus de cent-soixante ans pour le nom même du "quartier de terre", délie, en usage surtout dans la plaine de Caen — où il est encore vivant — et dans les régions adjacentes, mais aussi — avec une bien moindre fréquence — dans une notable partie du Cotentin septentrional ; l'idée remonte à F. Pluquet(1829)1.

Des faits parallèles ont depuis lors été mis en lumière par divers auteurs pour d'autres mots, ceux-là sortis de l'usage : vendinc "lieu où la charrue doit retourner"2, hovelland "extrémité des sillons d'un champ"3 et plus récemment par le signataire de ces lignes pour forlenc "faisceau de sillons parallèles d'une certaine dimension"4. Des remarques semblables pourraient être présentées pour la mesure de superficie d'un emploi général en Normandie depuis le début du Xle siècle, Y acre, et aussi pour divers vocables relatifs au milieu côtier, spécialement aux marais salants, comme fliet, die et hogue5. On pourrait également songer au cas de croûte "enclos proche de la maison" (cf. anglais croft). La localisation de ces mots — acre et les vocables côtiers exceptés — coïncide plus ou moins exactement avec celle de délie : dans les anciens diocèses de Bayeux et de Coutances, avec quelques extensions dans les zones limitrophes.

1 F. PLUQUET, Essai historique sur Bayeux, Caen, 1 829, in-8°, en particulier p. 398. 2 Sans compter des allusions épisodiques par l'abbé MASSELIN et L. TESNIERE

(Bulletin de la Soc. des Antiquaires de Normandie — cité désormais B.S.A.N. — XXVII, p. 274 et 276 et XXXIV, p. 434), il faut surtout tenir compte de la note du commandant H. NAVEL, B.S.A.N., XLIV, 1936, P. 434-436, qui évoque clairement l'origine possible du mot et les problèmes qui s'y rattachent.

3 Voir H. NAVEL, Ibidem et B.S.A.N., LI, 1 948-53, p. 1 65. 4 Voir L. MUSSET, B.S.A.N., LX, 1969-1991, p. 27-31 et l'esquisse cartographique

insérée par le même dans "Essai sur le peuplement de la Basse-Normandie. VUIe-XIle siècles", Caen, 1981, p. 161, fig. 1.

5 Se reporter à notre article d'ensemble "Pour l'étude des relations entre les colonies Scandinaves d'Angleterre et de Normandie", Mélanges de linguistique et de philologie Fernand Mossé in memoriam, Paris, 1959, p. 330-339 (surtout aux p. 332-338). Sur les vocables côtiers, cf., du même, "L'héritage maritime des Scandinaves (en Normandie). 2. Les sauniers", Heimdal,n° 17, 1975 p. 13-19.

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Sans reprendre l'ensemble de la question6, nous évoquerons ci-dessous deux cas qui relèvent de la même problématique, mais n'ont pas été encore étudiés : l'un tout à fait exceptionnel — dont nous ne connaissons à vrai dire que deux exemples — estrac, et l'autre passablement répandu, dont nous recenserons, par défaut, 26 exemples. Ils nous conduiront à des conclusions très voisines de celles suggérées par les termes précédemment cités, étoffant ainsi de manière significative le vocabulaire rural anglo-scandinave de la Basse-Normandie occidentale.

Estrac n'est, à notre connaissance, attesté qu'en deux endroits : sous cette forme à Villons-les-Buissons (Calvados, cant. Creully) et sous la forme les étraques à Saint-Germain-des-Vaux (Manche, cant. Beaumont-Hague)7, mais la première de ces attestations est remarquable tant par son ancienneté que par sa continuité : la "délie du long estrac" apparaît dès la seconde moitié du Xlle siècle dans le censier de Villons, inséré dans le cartulaire de la Trinité de Caen : apud longum estrac*, forme qui se retrouve à peu près identique (in lonc estrac) dans des chartes de 1233 et 12349, puis dans un compte de 1427- 142810, en 1501 et 1738" et enfin au cadastre de 1808 où le long étra est une pièce de terre rectangulaire sur la limite de Villons et de Cairon. On ne peut s'empêcher de rapprocher ces références de l'indication que donne A.H. Smith dans ses English place-names elements12 : vieil anglais straca, "a strip of land", le mot étant bien attesté en toponymie depuis le XI Ve siècle. Le doute ne paraît guère possible. Il faut noter que le terme semble relativement peu courant en Angleterre comme en Normandie : son transfert d'un pays à l'autre n'en est que plus significatif. Ni au Nord, ni au Sud de la Manche, il n'est devenu la dénomination usuelle des sillons.

Gara (dans les textes en français la gaire, la guerre ou la gare) est en revanche assez fréquent en Basse-Normandie ; le relevé qui suit — qui est loin d'être exhaustif — réunit 26 attestations médiévales pour le département du Calvados (entre 1220 et 1500). Y en a-t-il dans la Manche, où les destructions de 1944 ont nécessairement limité nos dépouillements, nous l'ignorons. Ce mot, toujours féminin, semble correspondre exactement à l'anglais moderne gore, très fréquent dans les documents, parfois sous les formes

6 Nos conclusions, accueillies d'abord avec réserve, sont maintenant largement admises par les spécialistes du milieu anglo-scandinave, notamment G. FELLOWS JENSEN, N. LUND et E. ROESDAHL. Ils suggèrent comme nous un lien entre cette gerbe de microtoponymes et la fixation au sud de la Manche connue par la chronique anglo-saxonne (version A) de l'armée danoise du jarl Thurketil, venue des Midlands anglais, en 919 "avec les hommes qui voulaient le suivre sous la protection du roi Edouard et avec son assistance" (le texte anglais ne précise pas quelle région de France fut affectée, mais il y a de fortes chances pour qu'il s'agisse de la Normandie occidentale).

7 F. GIRARD, Les noms de lieux du canton de Beaumont-Hague, multigraphié, Saint- Lô, 1972, p. 371, paragraphe 123 (d'après le cadastre).

8 Bibl. Nat. ms. latin 65 10, f° 82 v°. 9 Arch. Calvados H non coté, Trinité de Caen, Chartes. 10 Ibid, compte de 1427-28, f° s 64 v°, 153 v°, 154 r° et v°, 156 r° et v°, etc. 1 1 Arch, du Calvados, Trinité de Caen. 12 Londres, t. II, 1956, p. 161.

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dialectales gair ou geir dans les textes anciens13 et que les spécialistes rapprochent à la fois du vieil anglais galra et du vieux Scandinave geiri. Le sens précis du mot anglais, bien déterminé dès 1880 par G.S. Streatford14 était "the cornered section of land which has to be ploughed in a different direction from the rest", ou plus simplement "a triangular plot of land".

Ajoutons que le mot n'est pas sans analogue en Allemagne du Nord où existe le Flurname Gehre, Gere, parfois gare, "Keilfôrmiges Flurstiïcke"15, ni en Scandinavie : vieux norois geiri16, vieux danois g '—ri.

Le rapprochement soulève cependant deux difficultés apparentes. D'abord par son vocalisme : le v. angl. galra a très normalement donné en anglais moderne gore. Mais cette évolution phonétique est propre aux régions sises au Sud de la Humber. Plus au Nord, comme a bien voulu nous le préciser notre collègue André Crépin17, le moyen anglais a conservé un a long, et la voyelle a a existé jadis assez loin vers le Sud : en Nottinghamshire par exemple jusqu'en plein XHIe siècle. Or c'est du Nord de l'Angleterre ou des Midlands que semblent être venus les emprunts anglo-scandinaves identifiés en Normandie occidentale. Seconde difficulté : le mot est masculin en Angleterre, féminin en Normandie ; mais c'est aussi le cas du Scandinave deill (délie), qui a changé de genre, et d'autres emprunts comme v. nor. haugr (hogue) ou melr (miellé). L'obstacle n'est donc pas insurmontable18.

Malheureusement nous n'avons pas eu le loisir de vérifier sur les atlas cadastraux si les champs concernés, dans la mesure où ils ont conservé leur ancien nom, sont bien de forme triangulaire : il faudrait le faire afin de compléter la démonstration. Mais il est remarquable que gara se rencontre le plus souvent dans un contexte typique, où abondent les vocables anglo-scandinaves : par exemple à Longues on rencontre, outre delà, acra de hovellant, acra de subtus londam, le tout au début du XHIe siècle19.

L'aire de diffusion de gara, comme le montre la carte jointe, semble être l'une des plus restreintes de celles que concernent les divers vocables anglo- scandinaves, surtout si on la compare à celles de delà ou même deforlenc. Nous ne saurions dire pourquoi : serait-ce parce que ces pièces de terre triangulaires difficiles à labourer sont en soi assez peu nombreuses ? ou plutôt parce que le mot a cessé relativement tôt d'être compris par les paysans bas- normands, en raison de ses homonymes ?

13 Gillian FELLOWS JENSEN, "English Field Names and the Danish settlement", Festskrift til Kr Hald, Copenhague 1974, p. 44-55, à la page 48.

14 Cf. John GEIPEL, The Viking Legacy, Newton Abbot, 1971, p. 78. 15 A. LASCH, C. BORCHLING, Mittelniederdeutsches HandwôrterbucK I, 2, 1933, col.

75. 16 Harald LINDKVIST, Middle English Place-names of Scandinavian origin, Lund,

1912, p. 46-47. 17 Lettre du 19 juin 1976. 18 Sur ces changements de genre des emprunts Scandinaves en Normandie, voir

G. FELLOWS JENSEN, Namn och bygd, LXXVI, 1988, p. 131 (à propos de dalr/ dalle "vallée"). 19 Charte du fonds de Longues, Arch. Calvados, série de 1223 (concernant en réalité

Marigny, commune annexée à Longues en 1861).

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II y a en effet un dernier problème à soulever : celui des formes françaises, qui rendent l'identification des champs de ce nom cités au moyen âge fort délicate. Il va de soi que la forme la guerre, déjà signalée en 1829 par le perspicace Pluquet20 et dont on a des exemples depuis le XVe siècle, et de même la forme la gare, attestée depuis le XIHe siècle (n° 26 ci-dessous) prêtent à toutes sortes de confusions susceptibles d'égarer le chercheur, la première surtout, le nom la guerre ayant souvent été abusivement rapproché de noms de champ comme "la bataille" ou "ancienne place de guerre" qui paraissent se rapporter à tout autre chose, notamment aux emplacements coutumiers des duels judiciaires.

Reste à tenter un inventaire méthodique — évidemment partiel — des références médiévales connues. Toutes sont situées dans le département du Calvados. Elles seront classées selon un ordre géographique approximatif, de l'Ouest vers l'Est et le Sud-Est, en adoptant une présentation identique à celle suivie dans l'article sur forlenc, mais en s'appuyant sur une carte détaillée.

A) AU NORD-OUEST DU COURS DE LA SEULLES

1. CARDONVILLE, cant. Isigny. - 1316, es gares, Livre Pelut de Bayeux (Bibl. Munie, de Bayeux, ms. 3, f° 14 v°).- 2. FORMIGNY, cant. Trévières. - 1316, le prey de la gare, Ibid., f° 60 v°. 3. LONGUES, cant. Ryes. - 1316, en la gare, Ibid., f° 12 v°. 4. SAINT- VIGOR-LE-GRAND, cant. Bayeux. - 1357, Ung clos appelle la haulte gaire et la basse gaire, Cartul. de Saint-Nicolas de la Chesnaie, Bibl. Munie. Bayeux, ms. 1, p. 428. 5. SAINT-CÔME-DE-FRESNÉ, cant. Ryes. - 1245, les gares, Traduction du Cartul. de Cerisy. Bibl. Nat., n. acq. fr. 21, 659, p. 137. 6. MEUV AINES, cant. Ryes. - 1287, in territorio de Marrona, in delà de gara, Antiquus Cartularius Ecclesiae Bajocensis, v. Bourrienne, t. II, p. 312, n° 557.

7. SAINTE-CROIX-SUR-MER, cant. Ryes. - 1252, in vendinc de super garan (sic), Cartul. du Plessis Grimoult, Arch. Calvados, H non coté, t. III, f° 161 r°.

B) ENTRE LA SEULLES ET L'ORNE 8. LOUCELLES, cant. Tilly. - milieu du Xlle siècle, unam acram in gara, Arch. Calvados, H 1808 (fonds de Saint Etienne). 9. BROUAY, cant. Tilly. - 1336, en la dele de la gaire, Arch. Calvados, H 209 (fonds d'Ardenne).

20 Ouvr. cité (à la p. 1), p. 394-395.

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10. SAINTE-CROIX-GRAND-TONNE, cant. Tilly. - 1260, in gara, Cartul. de Cordillon, Arch. Calvados, dép. de Bayeux, n° 162, f° 46 v ; - 1320, en la gara, Douaire de la reine, Arch. Nat. P 1993, f° 6 v°. 11. FONTENAY-LE-PESNEL, cant. Tilly. - 1309, en dit terroir es gares, Cartul. du Plessis-Grimoult (n° 7), t. III, f° 137 v°. 12. SECQUEVILLE-EN-BESSIN, cant. Creully. - XHe siècle, V. virgas ad garant, Arch. Calvados, H non coté, Trinité de Caen, Registre de Mémoires et d'extraits, f° 66 r°. 13. DOUVRES-LA-DÉLIVRANDE, ch. 1. de cant. - 1465, en la délie de la gaire, Cartulaire du Plessis-Grimoult (cf. n° 7), t. III f° 133 v°. 14. CRESSERONS, cant. Douvres. - 1503, en la délie de la gaire, Arch. Calvados, H 263 (fonds d'Ardenne). 15. PLUMETOT, cant. Douvres. - 1 164/1206, apud garant, Arch. Calvados, H 7745, n° 30, f° 23 v° (fonds de Troarn ; - fin XHIe s., en la gayre, alias le bout des gardins, en vendingage, Arch. Calvados, H 1957 (2) (fonds de Saint- Etienne). 16. COLLEVILLE-MONTGOMERY, cant. Douvres. - v. 1220, in stricta gara acram, Terrier de P. de Thillay, éd. L. Delisle, Bibl. Ec. des Chartes, 1859. p. 269 (P 16). 17. MATHIEU, cant. Douvres. - 1220, campum meum de gara, Cartul. de Cordillon (cf. n° 10), P 43 v°. 18. SAINT-CONTEST, cant. Caen .- v. 1230, in gara, Terrier de P. de Thillay (cf. 16) p. 264, n° 8. 19. CARPIQUET, cant. Caen. - 1427, délie de la guère, la guaire, Arch. Calvados, H non coté, Trinité de Caen, compte de 1426, f° 98 r°, etc. ; - 1 875 : la heute guerre, Cadastre. 20. VERSON, cant. Évrecy. - XHIe -XVe s., in alta gara, in bassa gara, la gaire, V. Hunger, Histoire de Verson, Caen, 1908, in-4°, p. 72, 88, 100, 105, etc. 21. FEUGUEROLLES-SUR-ORNE, cant. Évrecy. - 1269, apud les gares, Arch. Calvados, H 5628 (fonds de Fontenay).

C) À L'EST DE L'ORNE

22. ROCQUANCOURT, cant. Bourguébus. - 1220, à la gare, Arch. Calvados H 1565 (fonds de Barbery) ; - XIXe s., délie de la guerre, cadastre B 240- B 285. 23. BILLY, cant. Bourguébus. - 1326, à la gaire, Domaine de la reine (cf. n° 10), f° 16 v°. 24. ACQUEVILLE, cant. Thury-Harcourt. - 1268, en la gare, Arch. Calvados H 1485 (fonds de Barbery). 25. SOULANGY, cant. Falaise. - 1246, portionem meam campi de gara, Cartul. de Saint-Evroul, Bibl. Nat. ms. lat. 11056, t. II, n° 758, f° 50 v° ; - 1249, Ibid, lat. 11055, n° 580. 26. VILLERS-CANIVET, cant. Falaise. - 1258, campus de la gare, Arch, du Calvados, H non coté, Villers-Canivet.

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Soit en tout 26 références21 dont 15 des Xlle et XHIe siècles. Signalons au passage que F. Pluquet avait relevé 3 cas dans le Bessin qui n'apparaissent pas dans notre inventaire22, des "délies de la guerre" situées respectivement à Aignerville (cant. Trévières), à Blagny (cant. Balleroy) et à Surrain (cant. Trévières). Un dépouillement méthodique des cadastres anciens que nous n'avons pas pu réaliser, allongerait à coup sûr cette liste de manière sensible.

Le vocalisme, dès les plus anciennes mentions, rend impossible de se prononcer en dernier ressort pour une racine anglaise (galra) ou une racine Scandinave (geiri), mais le parallélisme avec les autres microtoponymes signalés et spécialement avec furlong (exclusivement anglais), invite à adopter plutôt la première de ces dérivations. En tout cas le terme doit provenir d'un pays où un vocabulaire rural anglo-scandinave était usuel ; notons que par deux fois (n° 7 et 15) il se trouve associé dans des textes du XHIe siècle à vendinc ou à l'un de ses dérivés. Enfin, il y a sans doute lieu de rapprocher le seul exemple ancien d'un adjectif appliqué à gara - stricta gara, "la gara étroite" (n° 16) de dénominations anglaises comme bredgar, "la large gara", signalée en Kent23.

Au total, il apparaît que la zone d'emploi de gara peut être le réduit — ou la tête de pont — de l'établissement anglo-scandinave de 919 et des années suivantes, en tout cas c'est le secteur de plus grande densité de ce peuplement remarquable, celui qui usa aussi de hovelland, de vendinc ou de délie. Le Bessin côtier a évidemment tenu un rôle original dans l'implantation en Normandie des colons venus d'au-delà de la mer. Le Cotentin septentrional, bien qu'il ait subi, de plus loin, les mêmes influences, présente des caractères nettement différents : l'implantation anglo-danoise y fut moins dense et il y eut quelques éléments norvégiens ou celto-norvégiens à côté de la majorité originaire du Danemark ou du Danelaw24.

Lucien MUSSET Professeur émérite à l'Université de Caen

21 Et probablement 27, si l'on tient compte d'une référence de 1473, la guère, à Vaux- sur-Seulles, cant. Creully, que nous n'avons pu vérifier (d'après Arch. Calv., Trinité de Caen, non coté, inventaire de chartes, p. 1093, n° 1 12).

22 PLUQUET, loc. cit. 23 Allen MAWER, The chief elements in English place-names, Londres, 1924, p. 28. 24 En terminant, nous voudrions repousser une critique possible concernant la date

tardive de nos premières références : il n'en est pas d'antérieures à la fin du Xlle siècle, car, aux époques plus anciennes, sauf rarissimes exceptions, aucun nom de champ n'est mentionné dans les documents ; ensuite, ils restent rares dans les actes royaux avant la fin du XHIe siècle.