couverture : © 2014 by sourcebooks, inc./elsie lyons...
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Couverture:©2014bySourcebooks,Inc./ElsieLyons/EvgenyKarandaev/ShutterstockImagesCoveriCover
Traduitdel’anglais(États-Unis)parAxelleDemoulinetNicolasAncion
L’éditionoriginaledecetouvrageaparuenlangueanglaisechezSourcebooksFire,animprintofSourcebooks,Inc.,sousletitre:
THECELLAR
©NatashaPreston,2014,pourletexte.
©HachetteLivre,2017,pourlatraductionfrançaise.HachetteLivre,58rueJean-Bleuzeu,92170Vanves.
ISBN:978-2-01625466-0
SAMEDI24JUILLET2010
J’ai jeté un œil par la fenêtre de ma chambre, c’était une journée d’étémaussade, typiquement anglaise. Les épais nuages rendaient le ciel tropsombre pour un mois de juillet. Mais ce n’est pas ça qui allait gâcher masoirée.Pourfêterlafindel’annéescolaire,j’allaisassisteràunconcertdonnéparungroupedel’écoleetj’avaisbienl’intentiondem’éclater.—Tuparsàquelleheure?m’ademandéLewis.Ilestentrédansmachambreencoupdevent–commed’habitude–ets’est
installésurmonlit.Nousétionsensembledepuisplusd’unan,ilétaitdonctrèsàl’aisechezmoi.Parfois,jeregrettaisl’époqueoùLewisnem’expliquaitpasqu’ilallaitraccrocherletéléphoneparcequ’ildevaitfilerauxtoilettesoucelleoùilramassaitlescaleçonssalessurlesoldesachambreavantmonarrivée.Mamère avait raison : plus on reste longtemps avecunmec, plus il devientdégueu. Je n’aurais pourtant échangé Lewis pour rien au monde : c’estimportant d’accepter la personne qu’on aime telle qu’elle est, avec sondésordreettoutlereste.J’ai haussé les épaules, puis j’ai examiné mon reflet dans le miroir.Mes
cheveux ne ressemblaient à rien : ils étaient plats et ne se mettaient jamaiscomme je voulais.Même le look décoiffé, je n’y arrivais pas. Pourtant, lestutosdanslesmagazinessemblaientultrasimples.Tuparles.—Dansuneminute, ai-je enfin répondu en commençant àmebrosser les
cheveux.Tumetrouvescomment?Onditqueleplusattirant,c’estlaconfianceensoi.Mais,sionenmanque,
on se débrouille comment ? On ne peut pas faire semblant sans que ça seremarque.Jen’étaisnicanoncommeuntopmodelnisexycommeunefilledePlayboyetjen’avaispassuperconfianceenmoi.Engros,c’étaitmalbarréetj’avaisunechancededinguequeLewissoitmiroaupointdenepasvoirmes
défauts.Ilaesquisséundemi-sourireetalevélesyeuxaucielavecsonairquisous-
entendçayest,ellerecommence.Audébut,çal’embêtait,maisjecroisqu’auboutd’unmomentçaafiniparl’amuser.—Tu saisque je tevoisdans lemiroir ? lui ai-je lancéen le fusillantdu
regard.—Tuestrèsbelle,commetoujours.Tuessûrequetuneveuxpasquejete
dépose?J’aisoupiré.Encore!Le club où avait lieu le concert était à peine à deux
minutesdemarchedechezmoi.J’avaisparcourucetrajettellementdefoisquej’auraispum’yrendrelesyeuxbandés.—Non,merci.Çanemedérangepasd’yalleràpied.Toi,tuparsàquelle
heure?Ilahaussélesépaulesenfaisantlamouequej’adore.—Quandtonparesseuxdefrèreseraprêt.Tuessûreàcentpourcent?On
peuttedéposerenroute.—Jet’assurequeçava!Jefilemaintenant.SituattendsqueHenrysoitprêt,
tuenasencorepourunboutdetemps.—Tunedevraispastepromenertouteseulelesoir,Sum.J’aisoupirébruyammentetj’ailaissémabrosseàcheveuxretombersurla
commodeenbois.— Lewis, je me balade toute seule depuis des lustres. Pendant l’année,
j’allaisà l’écoleet jerentraisà lamaisonàpied tous les jours.Et je leferaiencorel’annéeprochaine.Jemesuistapotélesjambespourdonnerplusd’emphaseàmondiscours:—Ellesfonctionnentàmerveille.LeregarddeLewiss’estattardésurmescuissesetsonvisages’estéclairé.—Jevoisça.Jel’airepoussésurlelitensouriantetjemesuisassisesursesgenoux.—Tupeuxretirertoncostumedepetitamisurprotecteuretm’embrasser?Lewisarietsesyeuxbleussesontilluminésquandseslèvresonteffleuré
lesmiennes.Mêmeaprèsdix-huitmois,sesbaisersmefaisaientfondre.J’avaisonze ans quand j’ai commencé à m’intéresser à lui. Il revenait chez nouschaquesemaineavecHenryaprèsl’entraînementdefoot,pendantquesamèreétaitautravail.Audébut,jecroyaisquec’étaituneamourettestupide:j’avaisaussiflashésurUsheràcetteépoque.Maisquatreansplus tard,commemoncœurs’accéléraitencoreenlevoyant,j’aicomprisquec’étaitplusqueça.—Vousêtesdégueulasses!Jemesuisécartéed’unbondenreconnaissantlavoixgraveeténervantede
monfrère.J’ailevélesyeuxauciel.—Laferme,Henry.—Laferme,Summer,a-t-ilrépliqué.—M’enfiche,jefile.J’aiquittélesbrasdeLewis,jeluiaicolléundernierbaiseretjesuissortie
demachambre.—Imbécile,amarmonnéHenry.Imbécile immature, ai-jepensé.Ons’entendaitbien–parfois – et c’était le
meilleurgrandfrèrequejepuisseimaginer,maisilmerendaitdingue.J’étaissûrequ’onseprendraitlatêtejusqu’àlafindenosjours.—Summer,tuparsmaintenant?ademandémamandepuislacuisine.Non,j’ouvrelaportepourm’amuser!—Oui.—Soisprudente,chérie,m’acriépapa.—Promis.Salut!mesuis-jeempresséederépondreensortantavantqu’ils
nepuissentmeretenir.Ilsmetraitaientencorecommesij’étaisàl’écoleprimaireetquejen’avais
pasledroitdemebaladerseule.Notrevilleétaitsansdoute–non,sûrement–l’endroitleplusennuyeuxdelaterre.Ilnesepassaitjamaisriend’intéressant.Le truc le plus extraordinaire c’était il y a deux ans, quand la vieille
Mme Heinz – oui, comme le ketchup – avait disparu. Toute la ville s’étaitlancéesursapisteetelleavaitétéretrouvéedesheuresplustardaumilieud’untroupeaudemoutons:ellecherchaitsonmaridécédé.Jemesouviensencoredel’agitationparcequ’ilsepassaitenfinquelquechose.Jeme suismise àmarcher sur le trottoir que je connaissais par cœur, en
directiondusentierquilongeaitlecimetière.Lescimetières,cesontlesseulscoinsque je n’aimepasquand jemebalade sanspersonne. Ils sont flippantsdanscecas, c’est lapurevérité. Je jetaisdes regardsdiscretsautourdemoi.J’étaismalàl’aise,mêmeaprèsl’avoirdépassé.Nousavionsemménagédansce quartier quand j’avais cinq ans et jem’y étais toujours sentie en sécurité.J’avaispassémonenfanceàjouerdanslarueavecmescopainset,plustard,jetraînaisauparcouauclub.Jeconnaissaiscettevilleetseshabitantscommemapoche,maislecimetièremefichaittoujourslafrousse.J’ai serré ma veste et j’ai accéléré. Je verrais bientôt le club, après le
croisement.J’aiencorejetéunœilpar-dessusmonépauleetj’aipousséuncriétoufféen
voyantunesilhouettejaillird’unbuisson.—Désolé.Jet’aifaitpeur?
J’ailâchéunsoupirdesoulagementenreconnaissantlevieuxHaroldDane.J’aifaitnondelatête.—Çava.Ilahisséungrossacnoirquisemblaittrèslourdetl’ajetédanssapoubelle
enpoussantungrognement,commes’ilsoulevaitdeshaltères.Ilétaitmaigreet avait la peau flasque. On aurait dit qu’il allait se casser en deux s’il sepenchait.—Tuvasàladisco?Lemotm’afaitsourire.Disco!C’estsûrementcequ’ondisaitquandilétait
ado.—Oui,jevaisretrouvermescopainslà-bas.— Amuse-toi bien, mais surveille ton verre. On ne sait pas ce que les
garçons glissent dans les boissons des jolies filles de nos jours, m’a-t-ilconseilléensecouantlatêtecommesic’étaitlescandaledel’annéeetquetouslesmecsnepensaientqu’àdroguerlesnanaspourlesvioler.J’airietj’ailevélamainpourprendrecongé.—Jeseraiprudente.Bonnesoirée!—Bonnesoirée.Leclubétait visibledepuis lamaisondeHarold et jeme suisdétendueen
approchantdel’entrée.MafamilleetLewism’avaientrenduenerveuse:c’étaitridicule.Quand jesuisarrivéeà laporte,Kerrim’aattrapéepar lebras.J’aisursauté et mon cœur a repris son rythme normal quand mon cerveau aenregistrélevisagedemacopineetpasceluidumecdeScreamoudeFreddyKruger.Maréactionl’afaitrire.Sesyeuxpétillaientdebonnehumeur.—Désolée.T’aspasvuRachel?—Jen’aivupersonne,jeviensd’arriver.— Merde. Elle est partie après s’être disputée une fois de plus avec
l’imbécile,etsontéléphoneestcoupé!Ah,l’imbécile.Racheln’arrêtaitpasderompreavecsonpetitami,Jack,et
dese remettreavec lui. Jen’ai jamaiscompriscegenrede relation : sic’estpour se disputer quatre-vingt-dix pour cent du temps, mieux vaut laissertomber.—Ilfautqu’onlatrouve…Pourquoi? J’espérais une chouette soirée entre amis, j’avais pas envie de
couriraprèsunefillequiauraitdûlarguerdepuislongtempssonloserdemec.J’aisoupiréetjemesuisrésignée:—Bon,d’accord.Paroùest-cequ’elleestpartie?Kerrim’aregardéecommesij’étaisdébile.—Sijelesavais,Summer…
J’ailevélesyeuxauciel,jel’aitiréeparlamainetonestretournéesverslaroute.—Bon,jeprendsàgauche,toiàdroite.Kerrim’aréponduparunpetitsalutmilitaireets’estéloignéeversladroite.
Jesuispartieenriantdemoncôté.Rachelavaitintérêtànepasêtreloin.J’ai traversé le terraindesportpar lemilieupourrejoindre labarrièredu
fondetvoirsielleavaitprisleraccourciquimenaitchezelle.L’airestdevenuplus froid et je me suis frotté les bras. Même si Kerri m’avait dit que letéléphone de Rachel était coupé, j’ai tenté de l’appeler. Évidemment, je suistombée tout de suite sur lamessagerie. Si elle ne voulait parler à personne,pourquoiest-cequ’ons’entêtaitàlaretrouver?Jeluiailaisséunmessage,malàl’aise–jedétestelesmessageries–,etj’ai
franchi la barrière en direction de la rampe de skate au fond du parc. Lesnuages se sont déplacés en formant un tourbillon gris dans le ciel. C’étaitmoche, un peu flippant et assez joli enmême temps. Une brise fraîchem’afouetté le visage, et mes cheveux blond miel – comme dit Rachel, qui veutdevenircoiffeuse–,sesontrabattusdevantmesyeux,tandisqu’unfrissonmeparcouraitl’échine.—Lilas?ademandéderrièremoiunevoixgraveque jenereconnaissais
pas.Jeme suis retournéeet j’ai reculéenvoyant approcherungrand typeaux
cheveuxfoncés.Monestomacs’estnoué.Est-cequ’ils’étaitcachéderrièrelesarbres?Qu’est-cequ’ilfichaitlà?Ilétaitsiprèsquejedistinguaissonsouriretriomphant et sa coiffure impeccable malgré le vent. Combien de kilos delaqueest-cequ’ilavaitmis?Sijen’avaispasétéaussipaniquée,jeluiauraisdemandé quel produit il utilisait, parce qu’il avait l’air assez efficace pourdomptermescheveux.—Lilas,a-t-ilrépété.—Non,désolée.J’ai dégluti et fait un nouveau pas en arrière en examinant les alentours,
espérantqu’undemesamisseraittoutprès.—JenesuispasLilas,ai-jemarmonnéenmeredressantetenleregardant
droitdanslesyeuxpourmedonnerdel’assurance.Il était penché vers moi et me toisait de son regard d’une noirceur
effrayante.Ilasecouélatête.—Non,tuesLilas.—Jem’appelleSummer.Vousvoustrompezdepersonne.Quelmec chelou ! J’entendaismon pouls battre dansmes oreilles.Quelle
bêtisedeluiavoirdonnémonvraiprénom.Ilcontinuaitàmefixerensouriant.Çamerendaitdingue.Pourquoimeprenait-ilpourcetteLilas?J’espéraisjustequejeressemblaisàsafilleouuntrucdugenreetquecen’étaitpasunmalademental.J’ai encore reculé en cherchant un endroit par où je pourraism’enfuir au
besoin. Le parc était grand et j’étais toujours au fond, juste à la lisière desarbres.Personnenepouvaitnousvoir.Cettepenséeasuffiàmedonnerenviede pleurer. Pourquoi est-ce que jem’étais aventurée ici toute seule ? Jemeseraisbienhurlédessusd’avoirétéaussibête.—TuesLilas,arépétél’inconnu.Avantquejen’aieletempsderéagir,ilatendulesbrasetm’aattrapée.J’ai
voulucrier,maisilaplaquéunemainsurmabouche.Qu’est-cequ’ilfichait?Jemesuisdébattue tantque jepouvais.Ohnon, il vame tuer.Les larmes sesontmisesàcouler.Moncœurbattaitàtoutrompre.Jesentaisdespicotementsélectriquesauboutdemesdoigtsetmonestomacétaitnouéparlapeur.Jevaismourir.Ilvametuer.L’inconnum’atiréeavecunetelleforcequejemesuiscognéecontreluiet
que j’enaieu le soufflecoupé. Ilm’a retournéepourcollermondoscontresontorse.Samain,plaquéesurlebasdemonvisage,m’empêchaitderespirer.Je n’arrivais plus à bouger. Je ne savais pas si c’était parce qu’ilme serraitcommeunétauouparcequelapeurmetétanisait.Ilmemaintenaitdeforceetilpouvaitfairecequ’ilvoulait:j’étaisincapabledebougerlemoindremuscle.Ilm’apousséepourfranchirlabarrièreaufondduparcendirectionduterrainde sport. J’ai encore tenté d’appeler au secours, mais avec sa paume colléecontremabouche,aucunsonn’estsorti.Iln’arrêtaitpasdemurmurer«Lilas»enmetraînantversunecamionnetteblanche.Lesoiseauxvolaientau-dessusdenous pour se poser sur les branches. Autour demoi, lemonde continuait àtournernormalement.Ilfallaitquejeparvienneàm’enfuir.J’ai senti son bras s’enfoncer dansmon estomac.Dès qu’il a relâché son
emprisepourouvrirlaportearrièredelacamionnette,j’aiappeléàl’aide.—Laferme!m’a-t-ilordonnéenmepoussantàl’intérieurduvéhicule.Jemesuisdébattueetmatêteaheurtélaparoi.—Jevousenprie,laissez-moipartir.S’ilvousplaît.JenesuispasLilas.Par
pitié!Jelesuppliaisenserrantmatempemeurtrie.Jetremblaisdetoutmoncorps
etj’essayaisd’avalerunmaximumd’airpoursoulagermespoumons.Sesnarinesontfrémietsesyeuxsesontécarquillés.—Tusaignes.Nettoieçatoutdesuite,a-t-ilordonnéd’unevoixmenaçante
quim’afaittremblerencoreplus.
Il m’a tendu un mouchoir et du désinfectant.Quoi ? J’avais tellement latrouilleetj’étaistellementperduequej’arrivaisàpeineàbouger.—Nettoieçatoutdesuite!a-t-ilhurlé.J’aisursauté,puisj’aiportélemouchoiràmatempeetj’aiessuyélesang.
Mesmains tremblaient si fortque j’ai failli renverser legel antibactérienenpressant le flacon dans ma paume pour badigeonner la plaie. J’ai serré lamâchoire quand ça a commencé à piquer, puis j’ai grimacé de douleur.L’hommem’examinaitdeprèsen respirantbruyamment. Il semblaitdégoûté.Cegarsétaitdingue.Denouvelleslarmesontroulésurmesjoues,mebrouillantlavue.Ilapris
lemouchoirenfaisantbienattentiondenepastoucherlapartieensanglantée,ill’ajetédansunsacenplastiquequ’ilaglissédanssapoche.Puisils’estlavélesmains avec ledésinfectant. Je le regardais, horrifiée.Moncœurbattait sifort que j’ai cru quema poitrine allait exploser. Est-ce que cette scène étaitvraimententraindesepasser?— Donne-moi ton téléphone, Lilas, a-t-il exigé calmement en tendant la
paume.Jel’aisortidemapocheensanglotantetjeleluiaidonné.—C’estbien.Ilaclaquélaportière,melaissantdanslenoir.Non!J’aimartelélebattant
enhurlant.Quelquesinstantsplustard,j’aientendulegrondementdumoteuretla camionnette adémarré encahotant. Il roulait. Ilm’emmenaitquelquepart.Pourquoifaire?—Àl’aide!Jerépétaismesappelsentambourinantsurlaporteàcoupsdepoing.C’était
inutile, ellenebougeraitpas,mais il fallaitque j’essaie.Dèsque levéhiculetournait, je tombais et je me cognais contre la paroi, mais toujours je merelevais pour hurler et frapper de plus belle. Jeme suis bientôt retrouvée àbout de souffle. J’ai tenté de reprendre ma respiration, mais j’avaisl’impressionquel’airn’atteignaitplusmespoumons.L’inconnu continuait à rouler. À chaque instant qui passait, je sentaismes
espoirss’évaporer.J’allaismourir.Lacamionnettes’estenfinimmobiliséeetmoncorpss’estfigé.Çayest.C’esticiqu’ilvametuer.Au bout de quelques horribles secondes d’attente, consacrées à écouter le
bruit de ses pas dehors, la porte s’est ouverte. Je me suis mise à gémir. Jevoulaisdirequelquechose,maismavoixrefusaitd’obéir.Ilm’asouriets’estpenché à l’intérieur pourm’attraper par le bras avant que j’aie le temps dereculer.Nousétionsaumilieudenullepart.Unsentierenpierreaboutissaitàunegrossebâtisseenbriquesrougesencercléedehautsbuissonsetdegrands
arbres. Qui me trouverait ici ? Je ne reconnaissais rien. C’était une rue decampagne pareille à mille autres à l’extérieur de la ville. Je ne savais paspourquoiilm’avaitemmenéeici.Quandilm’atiréeetpousséeverslamaison,j’aivoulurésister,maisilétait
trop fort. J’ai hurlé pour appeler à l’aide et, cette fois, il m’a laissée faire.C’étaitencoreplusflippant:ilétaitconvaincuquepersonnenem’entendrait.J’airépétéJet’aime,Lewisdansmatêteenmepréparantàmourir…etàce
qu’il avait prévu deme faire subir avant.Mon cœur s’est serré. Qu’allait-ilm’infliger?Ilm’apousséedansunlongcouloir.J’aitentédetoutmémoriser– la couleur des murs, l’emplacement des portes – dans l’espoir dem’échapper, mais l’état de choc dans lequel je me trouvais m’empêchait deretenir quoi que ce soit. L’entrée m’a semblé étonnamment lumineuse etchaleureuse.Monsangs’estglacéetj’airessentiunedouleuraubraslàoùsesdoigtss’enfonçaientdansmapeau,formantquatrecratères.Ilm’aencorepousséeetjemesuiscognéecontreunmurvertmenthe.Jeme
suispelotonnéedansuncoinen tremblantde tousmesmembres,priantpourqu’ilchangemiraculeusementd’avisetmelaissepartir.Faiscequ’iltedit,mesuis-jeordonné.Si je restais calme et que j’arrivais à lui parler, je pourrais peut-être le
convaincredemelibéreretensuitem’enfuir.Avec un grognement, il a écarté une étagère qui lui arrivait à l’épaule,
révélantunepoignée.Ilaouvertuneporteenmétaldérobéeetj’aiétoufféuncriendécouvrantunescalierenboisquidescendaitversunsous-sol.Matêtes’est mise à tourner. C’était là en bas qu’il allait mettre à exécution sonhorrible programme. Jeme représentais une pièce sale etminable avec unetable d’opération, des plateaux couverts d’instruments pointus et un évierenvahiparlamoisissure.J’airetrouvémavoixetj’aihurlé,cettefoissansm’arrêter,mêmequandma
gorges’estmiseàbrûler.—Non,non!répétais-jeàpleinspoumons.Ma poitrine s’est soulevée dès que j’ai repris ma respiration. C’est un
cauchemar.Jevaismeréveiller.Jevaismeréveiller.D’une poigne de fer, il m’a tirée sans difficulté, malgré mes tentatives
désespéréespour luiéchapper.C’étaitcommesi jenepesais rienpour lui. Ilm’apousséecontreunmurauxbriquesapparentesàcôtédelaporte.Ilm’adenouveauempoignéeparlebras,enserrantplusfortencore,etm’abalancéeaubasdesmarches.Jesuisrestéeimmobileaprèslachute,paralyséeparlechoc.J’aiobservéleslieux,lesyeuxécarquillés.Jemetrouvaisdansunegrande
piècepeinted’untonbleuclairbientropjoyeuxpourlasalledetortured’un
malade.Unepetitecuisineétaitinstalléedanslefonddelapièce.Dansuncoin,uncanapéencuirmarronetunfauteuilfaisaientfaceàunetélé.Troisportesferméesencadraientlacuisine.J’étaisabasourdieetsoulagéeàlafois.Celaneressemblaitpasàunecave.C’étaittroppropre,tropbienrangé.J’ai
remarqué qu’une forte odeur de citronme piquait les narines. Quatre vasesétaient disposés bien en vue sur une desserte à côté d’une table de salle àmanger : le premier contenait des roses, le deuxième des violettes et letroisièmedesiris.Lequatrièmeétaitvide.Je me suis effondrée sur la dernière marche en me cramponnant au mur
pournepas tomber.Laportes’est referméeavecunclaquementquim’a faitfrissonner.J’étaispriseaupiège.J’ailaissééchapperuncridesurpriseetj’aibondi contre le mur en voyant trois jeunes femmes accourir au bas del’escalier.L’uned’elles,unejoliebrunequimefaisaitpenseràmamèrequandelleavaitunevingtained’années,m’aadresséunsourirechaleureuxettristeàlafoisenmetendantlamain:—Viens,Lilas.
SAMEDI24JUILLET2010
Elle a fait quelques pas vers moi, la main tendue, comme si elle croyaitvraimentquej’allaislasaisir.—Viens,Lilas,toutvabien.Je n’ai pas bougé. J’en étais incapable.Elle a encore avancé.Mon cœur a
paniquéetjemesuiscolléeaumur,prèsdesmarchespourtenterdefuir.Qu’est-cequ’ellesmevoulaient?—Je…jenesuispasLilas.Jevousenprie,dites-le-lui.JenesuispasLilas.
Ilfautquejesorted’ici.Parpitié…Jelessuppliaisenremontantlesescaliersàreculonspourrejoindrelaporte.
Là,jemesuistournéeetj’aitambourinésurlemétal,ignorantladouleurquimetransperçaitlepoignet.—Lilas,arrête!Laisse-moit’expliquer.Enregardantpar-dessusmonépaule, j’aivuquela jeunefemmebruneme
tendait de nouveau lamain. Elle ne comprenait pas que je ne veuille pas latoucher?Elledélirait,sielles’imaginaitquej’allaisluifaireconfiance.Jemesuisretournéeetj’aipousséunpetitcriendécouvrantàquelpointelle
était proche. Elle a levé lesmains, en signe de bienveillance, et a gravi unenouvellemarche.—Toutvabien,nousneteferonspasdemal.Deslarmesroulaientsurmesjouesetj’aifaitnondelatête.—S’ilteplaît,vienst’asseoir.Nousallonstoutt’expliquer.Ellem’indiquaitlecanapéencuir.Jel’airegardéenévaluantlespossibilités
quis’offraientàmoi.Ilfallaitquejecomprennecequisepassaitetquiellesétaient.J’aiposémamaindanslasienne.Moncorpss’estraidi.J’avaismalauxmusclesàforcedecontrôlermestremblements.Pourquoiest-cequejen’étaispasrestéeavecKerri?Jen’auraisjamaisdûmepromenerdansleparcseulele
soir.J’auraisdûécouterLewisquandilmefaisaitlaleçon.Jeletrouvaistropprotecteur. Il l’était, mais je n’aurais jamais cru qu’il avait raison. LongThorpeétaitunevilleoùilnesepassaitjamaisrien.Était.—Bon,Lilas…— Arrête de m’appeler Lilas. Je m’appelle Summer, ai-je rétorqué
sèchement.Je me fichais pas mal de savoir qui était Lilas ; je voulais juste qu’elles
comprennentquecen’étaitpasmoietqu’ellesmelaissentpartir.—Ma chérie, a repris doucement la fille qui m’avait aidée à descendre,
commesielleparlaitàunenfant.TuesLilasmaintenant.Net’obstinejamaisàluidirelecontraire.Jesuisrestéeinterloquéequelquessecondes,avantdedemander:— Qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce que tu veux dire ? Dis-lui de me
libérer,parpitié.J’ai avalé une bouffée d’oxygène. J’avais l’impression quemes poumons
avaientrétréci.—Pourquoiest-cequevousnem’écoutezpas?—Jesuisdésolée,tunepeuxpast’enaller.Aucunedenousnepeutpartir.
C’est moi qui suis ici depuis le plus longtemps… bientôt trois ans. Jem’appelleRose.Elleahaussélesépaules.—Avant c’était Shannen,mon nom.Voici Iris, qui était Becca. Et là c’est
Violette:c’étaitJennifer…avant.Qu’est-cequec’étaitquecebordel?C’étaitdelafolie.Elleétaitenfermée
icidepuistroisans?—A…avantquoi?ai-jebalbutié.—AvantTrèfle.J’aisecouélatêteenessayantdecomprendre.—C’estquiTrèfle?Lui?ÇadoitêtreletaréobsédéparLilas,ai-jepensé.— Je vous en prie, expliquez-moi ce qui se passe. Qu’est-ce qu’il vame
faire?—Nousdevonsl’appelerTrèfle.Situfaistoutcequ’ontedit,toutirabien,
d’accord?Ne lecontredis jamaisetne luidispas tonvrainom.TuesLilasmaintenant.Summern’existeplus.Ellem’asouri, l’airdes’excuser.Unsanglotétranglés’estéchappédema
gorgeetjemesuisretenuedevomir.Jenepeuxpasresterici.Elleaposélamainsurmonépauleetl’amasséedoucement.J’avaisenviedehurler,delarepousser,maisjen’enavaispasl’énergie.
—Çavaaller.—Je…jeveuxrentreràlamaison.JeveuxretrouverLewis.Etmesparentscasse-pieds,monfrèreénervantetmavieordinaire.Une des deux autres filles, celle qu’on m’avait présentée comme Iris, a
secouélatête.— Je suis vraiment désolée, Lilas. Tu devrais oublier Lewis. Crois-moi,
c’estplusfacilecommeça.L’oublier?Commentpourrais-jel’oublier?Mereprésentersonvisageétait
laseulechosequim’aidaitàtenir.Savoirqu’ilétaitlàetqu’ilallaitselanceràmarecherchem’empêchaitdem’effondrer.—Ilfautqu’ons’évade.Pourquoiest-cequevousn’essayezpas?D’uncoup,ellesonttouteslestroisfixélesolaumêmemoment,commesi
ellesavaientrépétélegeste.—Quoi?—Certainesontessayé,amurmuréRose.Monsangs’estglacé.—Qu’est-cequeçaveutdire?Jeconnaissaisdéjàlaréponse,maisj’avaisbesoindel’entendre.—TuesladeuxièmeLilasdepuisquejesuisici.C’estpourçaquetudois
faireexactementcequ’ontedit.S’enfuirn’estpasunepossibilité…essayerdeletuernonplus.Elle a légèrement agité la tête et s’est tue. J’avais l’impression qu’elle
voulaitendireplus.Quiavaittentédeletuer?Elles avaient abandonné tout espoir de s’évader : le renoncement se lisait
dansleursyeux.Maismoi,jenebaisseraispaslesbras.Jesortiraisdelàetjeretrouveraismafamille.JenepouvaispasimaginerdeneplusjamaisentendreLewismedirequ’ilm’aimaitoumon frèremecrierde sortir de la salledebains.—Attends,qu’est-cequetuveuxdirepartuesladeuxièmeLilas?Ellem’asaisilamainetmel’aserréedoucement.—Ilyenavaituneautre.Elleétaitarrivéeunmoisavantqu’ilnemetrouve.
Unsoir,elleatentédes’enprendreàlui,maisilétaitplusfortqu’elle,et…Elles’estinterrompueetaprisuneprofondeinspiration,avantd’ajouter:—Netenterien,d’accord?Mon cœur battait si fort dans ma poitrine que c’était douloureux. Je ne
voulaispasperdreespoir,maiscettefilleétaitlàdepuistroisans!J’aidéglutietj’aiposélaquestionquimeterrifiaitleplus:—Qu’est-cequ’ilattenddenous?— Je ne sais pas exactement, mais je crois qu’il cherche une famille. La
familleidéale.Ilchoisitdesfillesqu’iltrouveparfaites,commedesfleurs.J’ai cligné des yeux sous le choc de cette dernière bombe.Des fleurs ?
C’étaitpourçaqu’ilrebaptisaittoutlemondeavecdesnomsdefleurs.J’étaisbouchebée.Cetypeétaituntarédepremière.Elleapoursuivi:—Ilaimeleschosespures.Ilnesupportepasledésordreoulesmicrobes.Voilà pourquoi il avait été si dégoûté quand j’avais saigné et que la seule
odeur que je percevais dans ce sous-sol était ce parfum entêtant, presqueirritant,decitron.—Nous devons garder lamaison propre, rangée en permanence, et nous
doucher deux fois par jour. Il descend prendre le petit déjeuner avec nous àhuit heures précises. Nous devons être lavées, coiffées, maquillées et prêtespourl’accueillir.J’ailaissééchapperunrireforcé,convaincuequequelqu’unsemoquaitde
moi.Jedevaisêtredansuneémissiondetéléréalitéouunecaméracachée.—C’estquoisonproblème,putain?ai-jehurléenbondissantducanapé.J’avaislesjambesencoton.Rosen’apaseudedifficultéàmefairerasseoir.—Nejurejamaisdevantlui,Lilas.S’ilteplaît,écoutecequejet’explique.Il
nousapportedesfleursfraîchesavantmêmequelesautressoientfanées…Elle s’est tue et a tressailli en pensant à quelque chose… un mauvais
souvenir?Ellem’afixéedroitdanslesyeuxetaprisuneprofondeinspiration.—Quandiltomberaamoureuxdetoi,ilvoudratefairel’amour.Moncœuracessédebattre.J’aisecouéviolemmentlatêteetmesyeuxont
commencéàpiquer.J’aiànouveaubondiducanapéetcettefoisj’aitrouvélaforce d’esquiver sa main qui voulait me retenir. Pas question qu’ilm’approche.Jepréféraismourir.—Non!Oh,monDieu,ilfautquejesorted’ici.J’aifoncéversl’escalier,dontj’aigravilesmarchesquatreàquatre.— Lilas, Lilas. Chut, arrête, m’a implorée Rose d’un air désespéré en se
précipitantderrièremoi.Ellem’aagrippéeparlebras.—Ilfautquetutecalmes.Nouscroyonsqu’iln’entendpas,maisnousn’en
sommespascertaines,alorsilfautquetuarrêtes.J’ai été prise d’un haut-le-cœur et je me suis effondrée sur le sol en
sanglotant.CommeRosemesoutenaitàmoitié,jenemesuispasfaitmal,maisjem’enfichaisdetoutefaçon.—Jedois…jedoisrentreràlamaison,ai-jebalbutié.Mon corps tremblait sous l’effet de la panique. Je ne voulais pas qu’il
m’approche. Je n’avais jamais couché qu’avec Lewis et je voulais que celaresteainsi.L’idéequequelqu’und’autremetouchemefichaitlachairdepoule.Alors,imaginerquecedinguem’approchemerévulsait.—Jeteprometsquetoutirabien,maistudoisfairecequenoustedirons.
Nousvoulonst’aider,Lilas,m’aassuréRose.Celam’aprisquelquessecondes,maisjesuisparvenueàmecalmerunpeu.
Roseavaitraison:jedevaisfairecequ’ellesmediraient,letempsdetrouverunmoyendemetirerdelà.Jedevaisrestercalmeetgarderlesidéesclaires,élaborerunestratégie.Sortirdelàdevaitêtrefaisable.Rienn’étaitimpossible.Ilfallaitquejejouelejeu,jusqu’àtrouveruneidée…c’étaitunequestiondesurvie.Jeme suis relevée et j’ai laisséRoseme ramener jusqu’au canapé. Elle a
essuyémeslarmesavecunmouchoir.Quandelleaeuterminé,j’airouvertlesyeuxetj’airemarquéqu’ellesm’examinaientànouveautouteslestrois.Ellesdevaient sedemander si j’allais encorepéteruncâbleou rester sagecommeelles.—Çava,Lilas?m’ademandél’autrefille,Violette.C’étaitlapremièrefoisqu’ellem’adressaitlaparoleetc’étaitlaquestionla
plusdébiledumonde.J’aifaitnondelatête.Évidemmentqueçan’allaitpas.—Jesuisdésolée,a-t-elleajoutérefermantsamainsurlamienne.La porte de la cave s’est ouverte d’un coup. J’ai sursauté, puismon cœur
s’estemballéetmoncorpss’est remisà trembler. Il adescendu lesescalierstrèslentement,commes’ilcherchaitàcréeruneffetthéâtral,etestarrivédansla lumière. C’était la première fois que je pouvais vraiment l’examiner. J’aidégluti.Moncœurbattaitàcinqcentspulsationsàlaminute.Ilavaitdescheveuxbrunstrèscourtscoiffésdefaçonimpeccable.Pasune
mèchenedépassait. J’étais étonnéequ’il ait une telle forceparceque,mêmes’ilétaitgrand,iln’avaitpasl’airtrèsmusclé.IlportaitunjeanbiencoupéetunpullbleumarinesurunT-shirtblanc:unetenuetropclassiqueetnormalepourcequ’ilnousfaisaitsubir.Rosem’aprislamainetl’aserrée.—Bonjour,mesfleurs.Commentsepassel’installationdeLilas?Il me souriait chaleureusement, comme s’il ne m’avait pas kidnappée.
C’était quoi son problème, putain ? Comment pouvait-il jouer la comédieainsi?Violettes’est levéeets’estapprochéede lui.Elleasecoué la tête, lesyeux
plissés,bouillonnantd’uneragecontenue.—C’estmal,Trèfle,et tu lesais.Tuesallé trop loincettefois-ci.Elleest
tropjeune.Tudoislalaisserpartir.
Savoixétaitferme,maissesmainstremblanteslatrahissaient.Aprèstoutceque Rose m’avait raconté, j’étais certaine qu’elles étaient terrorisées ellesaussi. J’ai ressenti énormément de respect pour Violette d’oser prendre madéfense.Lesautresn’avaientclairementpasl’intentiondelefaire.Lesourireinsouciants’esteffacéduvisagedemonravisseuretjemesuis
figée–monpoulss’estaccéléré.Sonexpressionétaitsidureettenduequ’onaurait dit quelqu’un d’autre. Il avait l’air furieux et prêt à tuer. Il a attrapéViolette d’un geste si rapide que j’ai failli ne pas le voir et l’a tirée sansménagement.Violetteagrimacédedouleur.—Trèfle,jet’enprie,a-t-ellemurmuré.Jenevoulais pas regarder cequ’il faisait ou cequ’il allait lui faire,mais
mesyeuxétaient rivéssur lascène.Moncœurcognaitdansmapoitrineet leboutdemesdoigtsmepicotait.—Tun’esqu’unemerdeégoïste,a-t-ilgrondéenluidécochantunegifle.Unemerdeégoïste?Cesmotsétaienttellementétrangessortantdesabouche
qu’onauraitditqu’ilsprovenaientd’ailleurs.Çanecollaitpas.LeclaquementarésonnédanslapièceetVioletteasouffléentresesdentsen
setenantlajoue,maisellen’apasémislamoindreplainte.—Comment oses-tume parler comme ça après tout ce que j’ai fait pour
vous?Nousformonsunefamille,nel’oubliejamais.Monsangs’estglacé.Ilvoulaitquejefassepartiedesafamille.Ilallaitme
garderici.J’avaisdéjàunefamille,desparentsquejen’avaispasprislapeinedesaluercorrectementetunfrèreaveclequeljem’étaisdisputéejusteavantdepartir.Violette se tenait bien droite.Quelque chose en elle a changé. Son regard
s’estassombri,ellealevélementonetelleluiacrachéenpleinvisage.—Nous ne sommes pas une famille, taré, a-t-elle hurlé en dégageant son
bras.Lebruitquis’estéchappédelamâchoireserréedel’hommeétaitanimalet
guttural ; il n’avait rien d’humain. J’aurais dû m’enfuir, mais la peur meclouaitausol.IlapousséViolettesifortqu’elleesttombéeenlâchantuncri.—Enlevez-moiçatoutdesuite!a-t-ilrugienagitantlesbrascommeunfou
furieux.Mesyeuxsesontécarquillésd’horreur.C’estunaffreuxcauchemar, il faut
quetuteréveillestoutdesuite,mesuis-jeordonné.Maisjenemesuispasréveillée.Irisabondipourattraper lesmouchoirsetunflacondedésinfectantsur la
table à côté de moi. J’en avais remarqué plusieurs bouteilles : une sur un
rayonnage de la bibliothèque, une autre sur le comptoir de la cuisine, unetroisièmesurlemeubletélé.Irisaessuyélevisagedufouetluiatendulegeldésinfectant.Ilenafaitcoulersursamaintremblanteets’enestétalépartoutsur la figure. Rose et Iris ont échangé un regard. Je ne savais pas ce qu’ilsignifiait,maisjedevinaisquecelanemeplairaitpas.L’homme s’est tourné versViolette, qui, toujours à terre, s’est déplacée à
reculonsjusqu’àseretrouvercolléecontrelemur.J’aidégluti.Qu’allait-ilsepasser ? Rose et Iris se sont approchées et se sont mises à mes côtés,m’encadrantcommepourmeprotéger.Oh,monDieu.J’aiserrélespoingsentremblant.Cettescènenepouvaitpasêtreréelle.Lefoua incliné la têtesur lecôté,aplongé lamaindanssapocheetena
sortiuncouteau.Jemesuisfigée.Non!Ilallaitlatuer.Ilallaitlapoignardersous nos yeux. Pourquoi les autres ne réagissaient-elles pas ? Personne nefaisait rien. Est-ce que c’était ça le regard qu’elles avaient échangé ? Est-cequ’ellessavaientcequiallaitsepasser?—Hein?ai-jemurmuréenessayantenvaindedétournerlesyeux.Pourquoiest-cequ’onn’arrivejamaisàregarderailleursfaceàunspectacle
aussihorrible?Commesionétaitprogrammépoursefairedumal.—Non,Trèfle,jet’enprie.Jesuisdésolée,non,suppliaitVioletteentendant
lesmainsdevantelle,légèrementaccroupieensignedesoumission.Ilasecouélatête.Deprofondesexpirationss’échappaientdesespoumons.
D’oùj’étais,jenevoyaisquesonprofil,maisjedevinaisquesonexpressionétaitfroideetdétachée.—Tuasraison,Trèfle,jesuisdésolée.Nousformonsunefamille.Tuesma
famille, je l’avaisoubliépendantuneseconde.S’il teplaît,pardonne-moi. Jen’auraisjamaisdûdouterdetoi.Elles’estarrêtéeunesecondeavantdereprendre:—Tuas toujoursveillé surnous.Sans toi,nous serions sansdoute toutes
déjàmortes.Tunousassauvées.Tuconsacrestavieàprendresoindenousetjet’aitraitédefaçoninjuste.Jesuisvraimentdésolée.Il a incliné la tête et son regard s’est adouci. Il s’est redressé fièrement.
Qu’est-cequ’ilvenaitdesepasser?Était-ceainsiqueçamarchait?Onavaitunechancedes’ensortir,sionflattaitsonegotorduetsurdimensionné?J’airetenumonsouffle.Letempsasemblés’étirer.Leseulbruitvenaitdesa
respiration lourde et de celle deViolette.Rose et Iris attendaient sa réactionsansbouger,lesyeuxécarquillés.L’atmosphèreétaittendue.Rose a été la première à relâcher les épaules quand il a baissé le couteau
qu’iltenaitenmain.—Jetepardonne,Violette,a-t-ildéclaré.
Ilatournélestalonssansajouterunmot.Jel’airegardés’éloigner,lesyeuxcommedes soucoupes,paralyséepar lechocet la terreur.Mes lèvresétaientsèches et mon nez piquait à cause de l’odeur citronnée des produitsdésinfectants.Rose, Iris et Violette se sont assises sur le canapé sans unmot et se sont
donnélamain,tandisquejerestaisplantéecommeuneidiotedansl’espoirdemeréveillerenfin.
SAMEDI24JUILLET2010
—Qu’est-cequis’estpassé?ai-jechuchotéenregardant,dubasdel’escalier,lalourdeportedelacave.Elleétaitépaisse,commesielleavaitétérenforcée.— C’est ma faute, je n’aurais pas dû le remettre en question, a déclaré
Violette.Jemesuisretournée,horrifiéedecequejevenaisd’entendre.—Tafaute?Tuavaisparfaitementraison.Ilallaitvraimenttepoignarder?J’avaisenviequ’aumoinsuned’entreellesm’assurequenon.Leursilence
étaitrévélateur.— Viens t’asseoir, Lilas. Nous répondrons à toutes tes questions, m’a
promisRoseencaressantlamaintremblantedeViolette.Jen’étaispassûredevouloirsavoirquoiquecesoit.J’ai refoulémapeuret jemesuisperchéeauboutducanapé. Il était juste
assez largepournous ; il devait avoir été acheté exprès.Les coussinsm’ontparu étonnamment moelleux. Tout ici, à part le parfum de citron, étaitaccueillantetconfortable.Lesmurspeintsenbleupâle,lessurfacesetlatableen bois clair rendaient l’atmosphère chaleureuse. Si l’odeur du désinfectantn’avaitétésiforte, lapièceauraitpuêtrejolie.Elledétonnaitdanslamaisond’unpsychopathe.—Qu’est-cequetuveuxsavoir?m’ademandéRose.Sesyeuxbleusétaientaussiapaisantsquelateintedesmurs.—Ilallaitlapoignarder,non?Roseaacquiescéd’unsignedetête.J’aiprisuneprofondeinspiration.—Parcequ’elleessayaitdeprendremadéfense?Je parlais à Rose comme si nous étions seules : à la seconde où j’étais
arrivéeici,ellem’avaittendulamain,elleavaitprislesrênes.Unpeucommeunegrandesœur.—Exactement.J’aipassémalanguesurmeslèvressèches.—Ill’adéjàfait?LeregarddeRoses’estassombri,ilm’asembléplusfroid.—Oui.—Tul’asvufaire?—Oui.—Ellessontmortes?ai-jemurmuréd’unevoixàpeineaudible.Roseahochélatête,l’airtendu.—Iladéjàtué,oui.DerrièreRose, j’ai vuViolette se recroqueviller contre Iris. Il avait tué et
personne à l’extérieur n’était au courant ? Comment était-ce possible ? Jen’arrivaispasàlecroire.—Commentest-cequ’ils’entire?Unedisparition, ça se remarque, non ? Je n’avais jamais vuRose, Iris ou
Violetteaujournaltéléviséousurdesaffichesplacardéesenville.— Il choisit généralement des filles qui vivent dans la rue. Comme leur
disparitionpasseinaperçue, iln’yapasderecherches,m’aexpliquéRoseenreplaçantunemèchedesescheveuxfoncésderrièresonoreille.J’aifuguédechezmoi quand j’avais dix-huit ans. Notre famille n’était pas soudée et nosrelationsétaient…tendues.Monpère…Sesyeuxsesontassombrisetsesépaulesaffaissées.—…buvaitetilnenousaimaitpas.Elleétaitaccabléeparlatristesseetlaterreuràlafois.—Peu aprèsmondix-huitième anniversaire, j’ai quitté lamaison. Je n’en
pouvaisplus.Jevivaisdanslarueetdansdesaubergesdejeunessedepuisdixmois,quandTrèflem’atrouvée.Çafaitpresquetroisansquejesuisici.Elleahaussélesépaules,commesicen’étaitriend’êtreenferméedanscette
cave.J’étais abasourdie. Comment tenait-elle le coup ? J’aurais pété un câble
après trois semaines. Mon cœur s’est serré si fort que j’ai cru que j’allaism’effondrer.Cettesituationinsupportablen’étaitpastemporaire.— S’il te plaît, ne pleure pas, Lilas. On n’est pas si mal que ça ici, m’a
assuréRose.Jel’aifixéeavecdesyeuxronds.Est-cequ’elleavaitperdulatête?Qu’est-
ce qu’elle racontait ? Pas simal ? Il nous avait kidnappées ! Il nous gardaitenferméesdanssacave.Ilnousvioleraitquandil«tomberaitamoureux»et,si
nousosionsnousdéfendre, ilnous tuerait…Qu’est-cequeçaavaitdepas simal?—Nemeregardepascommeça.Jesaiscequetupenses,maissitufaisce
qu’ildit,toutirabien.Iltetraiterabien.Elleétaitfolleàlier.—Àpartquandilmeviolera,tuveuxdire?—N’appellepasçavioldevantlui,m’a-t-elleprévenue.Jeme suis détournée. Jen’en croyais pasmesoreilles.Commentpouvait-
elle trouver la situation acceptable ? Plus tordu, ce n’était pas possible. Etpourtant,ellecontinuaitàledéfendre.Ellenepouvaitpasavoirtoujourspensécomme ça depuis son kidnapping. À une époque, elle avait dû se dire quec’étaitdelafolieetledétesterautantquemoi.Combiendetempsavait-ilfalluàcetypepourluilaverlecerveau?Iris,VioletteetRosesesontlevéesaumêmemomentetsesontdirigéesde
façonparfaitementsynchroverslacuisine.Ellessesontmisesàparleràvoixbasse. Je ne distinguais pas leurs paroles, mais j’ai deviné à la façon dontViolette s’est tournée vers moi que j’étais le sujet de leur conversation. Çam’étaitégal.Jen’aimêmepastentédetendrel’oreille.Elles pouvaient raconter ce qu’elles voulaient, je n’accepterais jamais de
penserquecen’était«passimal»d’êtreenferméeiciouqueTrèflen’étaitpasunmalademental.Onmeretrouveraitbientôt.Moi,jenevivaispasdanslaruecommeelles.J’avaisunefamilleetdesamis,desgensquiremarqueraientmadisparition. Ils appelleraient la police et les recherches commenceraient.Quis’en rendrait compte en premier ?Mes parents en voyant que je n’étais pasrentrée?Lewisquandjenedécrocheraispasouquejenerépondraispasàsestextos?Est-cequ’ilessaieraitdemecontactercesoir?Quandnoussortionsséparémentavecnosamis,nousn’échangionsgénéralementpasdetextosavantde rentrerchacuncheznous.Sinousnousécrivions, c’était seulementunoudeuxmessages.J’aifermélesyeuxtrèsfortetj’aitentédechasserdemonespritl’imagede
Lewis.Jenemesentaismêmepascapabledepenseràmesparents.J’aiavalélagrosse boule qui m’obstruait la gorge et j’ai enfoncé les ongles dans mespaumes.Nepleurepas.—Tuesicidepuiscombiendetemps,Iris?ai-jedemandé.Ellem’aadresséundemi-sourireetafranchilesquelquespasquiséparaient
la tablede lacuisineducanapé.Elle s’estassiseàcôtédemoietaposéunemainsurmonpoingserré.—Unpeuplusd’unan.MonhistoireestsemblableàcelledeRose.Jevivais
danslaruequandilm’atrouvéeetj’avaisdix-huitans,moiaussi.
Elle était adulte. Était-ce pour cette raison que Violette s’était mise encolère ? De toute façon, nos âges n’avaient aucune importance. Elle neconnaissait pas le mien. Est-ce que j’avais l’air très jeune ? Est-ce que çacomptaitpourlui?—Pourquoiest-cequ’ilm’achoisie,alors?Çan’aaucunsens.Jenesuis
pasadultecommevous.S’il kidnappait même des jeunes femmes, l’âge n’avait sans doute pas
d’importance,tantqu’ilavaitsafamille.J’aisecouélatête,j’enrageais.—Mafamillevaselanceràmarecherche.Ilsnoustrouveront.—Peut-être,areconnuIrisavecunsourireforcé.Peu importe, elle n’était pas obligée de me croire. Je savais qu’ils ne
laisseraientpastomber.Jenepasseraispasdesannéesicicommeelles.J’ai sursauté en entendant la porte de la cave grincer. Mon cœur s’est
emballéetmonestomacs’estsoulevé.Ilétaitderetour.Jen’avaispourtantrienentendu avant le discret déclic de la poignée. Pourquoi ne l’avais-je pasentenduapprocherdubattant?L’airaquittémespoumons,commesi j’avaisreçuuncoupdepoingdansleventre.Lacaveétaitinsonorisée.Nous ne pouvions rien entendre de ce qui se passait au-delà de la porte
blindéeet,plusimportantpourlui,personnenepouvaitnousentendre.Rose s’est levée et s’est précipitée au pied de l’escalier pour l’attendre.
Comment pouvait-elle supporter sa présence ? Son air arrogant et son lookcoincésuffisaientàmedonnerenviedevomir.—Jevaiscommanderdespizzaspourledîner,a-t-ilannoncé.Nousavons
tousméritéunerécompenseetnousnousdevonsd’accueillirLilascommeilsedoitdanslafamille.Monestomacs’estànouveausoulevé.Ilestbonàenfermer. Il s’est tourné
versmoiensouriant.—Lilas,d’habitude,nousenprenonsdeuxaufromage,uneaupepperoniet
uneaupouletbarbecue.Est-cequeça teva?Sinon, jepeux teprendreautrechose,situpréfères?Je l’ai dévisagé, sous le choc. Est-ce qu’il était sérieusement en train de
discuterdumenu,justeaprèsm’avoirenlevéeetavoirmenacéVioletteavecuncouteau? Ilétaitnonseulement taré,maiscomplètement tordu.Jenevoulaispas lui parler. Jamais. Iris m’a décoché un coup de coude discret pour mepousseràluirépondre.J’aicédé.J’aiprisuneinspirationentremblantetj’aibalbutié:—Ça…çaira.Ilasourienmontrantsesdentstropblanchesettropbienalignées.Touten
lui était impeccable : sapeau, sescheveux, sesvêtements repassésavec soin,
sesmaudites dents. L’image du loup déguisé en agneau lui allait comme ungant.— C’est parfait, alors. Je savais que tu t’intégrerais à merveille. Je vais
passercommande.Çaneprendrapaslongtemps.Sansajouterunmot,ilaremontélentementlesmarches.Pendant tout le temps où il était resté en bas, la porte de la cave avait été
déverrouillée.Je l’ai regardé refermer le battant et j’ai entendu la clé tourner dans la
serrure,furieused’avoirratéuneoccasiondem’évader.—Hein?ai-jemarmonné.Mesyeuxpiquaientparceque j’avais été tropabasourdiepour clignerdes
paupières.C’était un cauchemar. Ça ne pouvait être que ça. Ce genre d’horreur ne
m’arrivaitpas.Ellesn’arrivaientàpersonnequejeconnaissais.Irism’asouri.—Toutvabiensepasser.J’aifermélesyeuxetj’airespiréprofondément.Çanesepasseraitbienque
sijesortaisd’iciavantqu’ilneposelamainsurmoi.
Jeme suis réveillée en sentant quelqu’unme secouer le bras d’une façonénervante qui m’était familière. J’ai ouvert les paupières en souriant,m’attendantàvoirLewismesourireenretour.Moncœurs’estserréquandj’aiaperçu les longs cheveux brun foncé de Rose et ses yeux bleus. Commentavais-jepum’endormir?J’ai poussé un petit cri en réalisant que tout ça n’était pas un horrible
cauchemaretjemesuiscolléecontrelecanapépourm’éloignerd’ellelepluspossible.—Jesuisdésoléedet’avoirfaitpeur,Lilas.Trèflevientd’arriveravecles
pizzas,m’a-t-ellemurmuré.Vienst’asseoiravecnous.J’ai cessé de respirer. J’avais l’impression qu’un éléphant s’était assis sur
ma poitrine. Je n’aurais jamais la force dem’installer à table avec lui et demanger.Maisavais-je lechoix?Roseaposé lamainsurmonépauleetm’apoussée.—Voilà,assieds-toiàcôtéd’Iris.Est-cequ’ildictaitmêmelesplacesàtable?
Jemesuisassise,tendue.Ilétaitjusteenfacedemoi,parfaitementàl’aise.Comme s’il ne m’avait pas kidnappée ! Pour lui, c’était comme si j’avaistoujoursétélà.Commesinousformionsvraimentunefamille.Ilycroyaitdurcommefer.Ildéliraitgrave.Latableétaitrecouverted’unenappeencotonblancimmaculésurlaquelle
était posé un vase de lilas roses fraîchement coupés. Les pizzas avaient étéretiréesde leurscartonsetposéessurdeuxlargesplats,departetd’autredubouquet,quidevaitcélébrermonarrivéeetmonnouveauprénom.—Sers-toi,jet’enprie,m’a-t-ilditenmontrantlanourriture.J’auraispréférémourir.Ildisaitçacommesij’étaisuneinvitéedemarque,
maissonregardglacéetlesouvenirencorefraisdansmonespritducouteauqu’il avait sorti de sa poche me hurlaient le contraire. Il voulait que nousmangionsenfamilleetjesavaisdequoiilétaitcapablesijerefusais.J’ai tendulebraset j’aisaisi lapart laplusprochedemoi,enretirantvite
mamain pour m’éloigner de lui. Il m’a adressé un sourire chaleureux. Sesyeuxbrillaientàprésent.J’aibaissélatêteversmonassietteenplastiqueetj’aipicorélapointedemonmorceau.Pendant que Rose, Violette et Iris discutaient de ce que nous cuisinerions
pour lesdînersdu restede la semaine, jeme suis forcéeàmangerquelquesbouchéesensilence.Lanourrituremeparaissaitétrange.Jen’avaisriencontrelapizza au fromage,mais celle-ci avait ungoûtdeplastiqueet jedevaismeretenirdevomiràchaquebouchéequejetentaisd’avaler.Rose a levé la main, ce qui a attiré mon attention, même si elle ne me
regardaitpas.—Oh,Trèfle, avant que j’oublie, notre stock de livres est à nouveau très
bas.Ilahochélatête.—Jevousenapporteraid’autres.—Merci.Elle a souri et a bu une gorgée d’eau. J’avais envie de lui hurler dessus.
Commentne réalisait-ellepasquec’était complètement tordu?Elle semblaitsuper à l’aise avec lui, son corps était légèrement tourné dans sa direction,tandis qu’Iris et Violette regardaient droit devant elles et que je tentais dedisparaîtredansledécor.—Merci pour votre compagnie ce soir, les filles. À demainmatin, a-t-il
déclaréenselevant.Passezunebonnesoirée.J’étais engourdie comme si j’étais restée toute la journée dans la neige.
J’étais raide etmesmouvementsmeparaissaient ralentis. Il s’est penché et adéposéunbaisersurlajouedeRose,puissurcelled’IrisetcelledeViolette.
Marespirations’estaccéléréesousl’effetdelapeur.Pasmoi.Pitié,pasmoi.J’entendais mon pouls battre dans mes oreilles et de la bile est remontéejusqu’àmagorge.Ilainclinélatêteversmoi,avantdetournerlestalonsetdes’enaller.J’aipousséungrossoupirdesoulagement.Jenepouvaispaslelaisserme
toucher.Ils’estarrêtéenhautdel’escalieretaouvert laporte.J’aigardélesyeuxrivéssurluijusqu’àcequ’ilverrouillederrièrelui.Jevoulaisêtresûrequ’ilétaitpartipourdebon.Rose et Iris se sont levées et ont rassemblé les assiettes et les couverts en
plastique pour faire la vaisselle. Il était seul et nous étions quatre. Nouspourrions le maîtriser si nous nous y mettions ensemble. Avaient-elles déjàessayéouavaient-ellestoujourseutroppeur?JenesavaispassiRoseseraitd’accord.—Viensregarderunfilmavecnous,m’aproposéIris.J’airelevélatêteetj’airéaliséqu’ellesavaientdéjàtoutrangéetqueRose
étaitmaintenantinstalléedevantlatélé.Jelesairejointessurlecanapéetj’aifixél’écransansrienenregistrer.J’ai
serrémes jambesdansmesbras et jeme suis enfoncéedans les coussins ententantdedisparaître.Plusriennemeparaissaitréel.Plusieursheuresontdûs’écoulerparcequeRoseaéteintlatéléetqu’elles
sesonttouteslevées.—Lilas ? a dit Violette d’une voix douce comme si elle s’adressait à un
enfant.Viens, nousdevonsnousdoucher et aller au lit. Jevais temontrer lasalledebains.Tupeuxyallerenpremier.Ellem’aconduitedanslasalled’eauetm’atenduunpyjama.Jen’aimême
pasdemandépourquelleraisonjedevaismelaveraulieudem’effondrersurunlit.Etàquiétaitcepyjama?Violettem’a laissée seule. Il n’y avait pas de verrou sur la porte. J’aurais
bienaiméqu’ilyenaitunpourm’enfermer,loindetous.J’aifaitcoulerl’eauetj’aiattenduqu’ellesoitchaude.Pourquoi est-ce que je faisais ça ?Parce qu’il te tuerait sans se poser de
question,sanslamoindrehésitation.Jemesuisdéshabillée,jemesuisglisséesousladoucheetjemesuiseffondréesurlebac.J’aiéclatéengrossanglots.Mespleurssontdevenushystériquesetj’avaisdumalàreprendremonsouffle.J’aiattrapémescheveuxetj’aifermélesyeux.Meslarmessesontmélangéesàl’eauchaude.Quand mes pleurs se sont taris, j’ai eu l’impression que ma tête allait
exploser.Jemesuisforcéeàsortirdeladoucheetàm’habiller.Pleurerneme
mèneraitàrienetjenevoulaispasplusd’attentionquejen’enrecevaisdéjà.Jemesuisemballéedans laserviettemoelleuse.Ellesentaitbon,commesiellesortait du sèche-linge. J’ai ouvert l’armoire de la salle d’eau. J’ai remarquéqu’il n’y avait pas de rasoirs : à leur place, il y avait deux boîtes roses debandes de cire. Rien sur les rayonnages ne pouvait causer de dégâts… àpersonne.J’ai refermé laportede l’armoire et j’ai commis l’erreurdeme regarder
dans lemiroir.Mesyeuxétaient injectésdesangetmespaupières tuméfiées.Onauraitditquejem’étaisbattue.Jemesuisdétournée,jenevoulaisplusvoirmamineaffreuse.Puis,j’aienfilélepyjamaquinem’appartenaitpas.—Tuesprêteàallertecoucher?m’ademandéRosequandjesuisrevenue
dansleséjour.J’airépondud’unhochementdetêteetj’aiserrélesbrasautourdemoi.—Bien,jevaistemontreroùtuvasdormir.Je l’ai suivie jusqu’à la chambreàcôtéde la salled’eau.Lesmursétaient
peints en rose pâle et les meubles étaient blancs. Il y avait quatre lits d’unepersonne avec des housses de couette roses et des oreillers assortis. Deslampesdechevetdelamêmecouleurétaientposéessurlestablesdenuit.Toutétait trop coordonné, comme si les lieux avaient été décorés pour desquadruplées.—Celui-ci,c’estletien,m’a-t-elleannoncéenpointantdudoigtlelitcontre
lemursurlagauche.Lemien.J’avaisunlit.J’étaiscenséeêtreàlamaison.J’étais trop fatiguée pour discuter. J’ai marché comme une somnambule
jusqu’àl’emplacementqueRosem’avait indiquéet jemesuisglisséesouslacouette. J’ai fermé les paupières en priant pour que le sommeil vienne vite,qu’ilm’emmèneloind’icietquejemeréveilledansmachambre.
DIMANCHE25JUILLET2010
Disparu. Je tournais et retournais cemot dansma tête.Lewis, on doit partir.Summeradisparu!C’estcequeHenrym’avaitdit.Ilétaitpâleenm’expliquantque personne n’avait aperçu sa sœur – ma petite amie – depuis plusieursheures.Il était presque trois heures dumatin à présent. Cela faisait quatre heures
qu’onlacherchait,envoitureetàpied.Summern’estpasdugenreàdisparaître.Leplusdetempsqu’elleajamais
passésansquepersonne lavoieou l’entende,ce sont lesdixminutesqu’ellemet pour se doucher. Je ne trouvais pas une seule raison pour expliquer undépartsansunmot.Mon frère, Theo, roulait au pas à travers les rues.Dans n’importe quelle
autre circonstance, je lui aurais crié d’accélérer ou deme laisser prendre levolant. Mais là, j’avais envie de lui dire de ralentir encore. Il faisait noircommedansunfouretlafaiblelueurdel’éclairagepublicatteignaitàpeinelesol. Nous aurions pu passer à côté d’elle mille fois parce qu’on n’y voyaitpresque rien.Mais iln’étaitpasquestionde rentrer à lamaison et de laissertomber, comme l’avaient suggéré mes parents. Attendre les bras croisésm’auraitrendufou.—Çava,Lewis?m’aredemandéTheo.Ilmeposaitlamêmequestionidiotetouteslesdixminutes.Qu’est-cequ’il
croyait?Putain,biensûrquenon.Çanevapasdutout!—Non,ai-jemarmonné.Oùétait-elle?Summern’avaitpaspris la fuite.Cen’étaitpassonstylede
fuirquoiquece soit.Elle avait unevolontéd’acier et elle était têtue commeunemule.Jenepouvaismêmepasvraimentmedisputeravecelleparceque,dans ces cas-là, elle s’asseyait sur mon lit et me disait de me calmer pour
qu’onpuisse separler et réglernotredifférend.Elleprenait lesproblèmesàbras-le-corps.C’étaità lafoiscequej’aimaisetcequejedétestaischezelle.Parfois, j’avais juste envie d’être fâché,mais elle s’arrangeait toujours pourqu’onseréconcilie.—Onvalaretrouver,Lewis.—Ouais.Je l’espérais plus que tout,mais j’avais un horrible pressentiment dont je
n’arrivaispasàmedébarrasser.—Ellepourraitêtren’importeoù,maintenant.Cela faisait plus de sept heures que personne ne l’avait croisée et depuis,
rien.Commesielles’étaitenvolée.—J’imaginemalSummerfuguer,m’arassuréTheo.Moncœurs’estserré.Jesais.—C’est bien ça quime fait peur.Elle ne fuguerait jamais…Ça veut dire
qu’elleadûêtreenlevée.—Nedispasdestrucscommeça,Lewis.Onnesaitencorerien.Ilavaitraison.Jen’enétaispassûr,maisjeconnaissaisSummer.—Tuveuxqu’oncontinueverslecentre-villeoutuveuxfairedemi-touret
repartirdansl’autresens?—Dansl’autredirection.D’après Kerri, Summer avait tourné à gauche après le club. Nous avions
déjàcherchélàenvenantjusqu’ici,maisundétailavaitpunouséchapper.Jeterundeuxièmecoupd’œilnepouvaitpasfairedemal.Etuntroisièmenonplus.Jevoulaisfouillerlesmoindresrecoinsdelavilledixfoispourêtrecertainden’avoirrienloupé.Lapolicequadrillait la zoneoùelle avait étévue ladernière fois,mais la
disparition remontait à moins de vingt-quatre heures, ils ne voulaient pasmettretropd’agentssurl’affaire.Çam’avaitrendufurieuxd’apprendrequ’illeurfallaitvingt-quatreheurespourprendreunedisparitionausérieux,alorsqu’ellepouvaitêtren’importeoù,entraindesubirdesatrocitésoujenesaisquelbordel.Quelquesvoisinsavaientlancéleurspropresrecherches.Ilsallaientdeporte
enporteenespérantquequelqu’unaitaperçuquelquechose.IlsconnaissaientSummer ; ils savaient qu’elle ne se serait jamais enfuie. Toutes mesconnaissances,àpartlamèredeSummer,lacherchaient.OnavaitconseilléàDawn de rester à la maison au cas où Summer rentrerait ou appellerait. Jen’auraispasvouluêtreàsaplace.J’ai sorti mon téléphone de ma poche et j’ai vérifié pour la millionième
fois : pas d’appel manqué. J’ai soupiré et j’ai appuyé sur la touche 2 : le
raccourcipourcomposerlenumérodeSummer.Çaasonné,commelesfoisprécédentes, et j’ai retenumon souffle. Je t’en prie,mon cœur, décroche. Savoix a empli l’habitacle, sa messagerie disait à tout le monde de laisser unmessage et que si c’était Channing Tatum, elle acceptait la demande enmariage.—Moncœur,jet’ensupplie,rappelle-moidanslasecondeoùtuentendsce
message. J’aibesoindesavoirque tuvasbien. Jedeviens fou, ici. Je t’aime,Sum.J’airaccrochéetj’aiserréleportabledansmonpoing.C’estgrave.Nousavonsrouléjusqu’aupetitmatin.J’étaistellementfatiguéquemesyeux
me piquaient. Dès que les magasins ont ouvert, Theo a acheté des boissonsénergisantesetdelanourriture.Jen’étaispasencorerentréàlamaisondepuisquenousavionsreçucecoupdefilà laboîtedenuit, jeportaisencoremonjeanetmonT-shirt.—Jevaism’arrêterici,onpourrafouillerleparcetlesterrainsderrièreà
pied,ai-jeexpliquéàTheo.Ilahochélatêteenenfournantlerestedesonsandwich.—T’essûrquetuneveuxrienmanger?J’ai fait non tandis que mon frère s’engageait sur le parking à côté de
l’église.—J’aipasfaim.Commençonsparleparc.Theoestsortidelavoitureets’estdirigéverslabarrière.Jel’aisuivietl’ai
rapidementdépassé.—Summer!ai-jeappelé.Ellen’étaitpaslà,c’étaitévident.Sielleyétait,onl’auraitretrouvéedepuis
longtemps.—Viens,Theo,ai-jelancépar-dessusmonépaule.Ilnesemblaitpasêtreaussipaniquéquemoi,mais,aprèstout,iln’étaitpas
amoureuxd’elle.Àchaqueminutequipassaitdepuissadisparition,j’étaisunpeuplusperdu.
Je me sentais super mal et mon cœur refusait de ralentir. Je ne savais pascommentjeréagiraiss’illuiétaitarrivéquelquechose.—Lewis,etlà-bas?J’airegardéladirectionqu’il indiquait.Unsentierenvahidehautesherbes
courait le long du parc et passait entre des hectares de terres cultivées et dechamps.Je lui ai fait signe que j’étais d’accord et je suis parti par là. Ça valait la
peinede tenter lecoup–aucunepistenepouvaitêtredélaissée.Leparcavaitétéfouilléavecsoin,maislesentierpassuffisamment,danslenoir.Mêmesije
nesavaispascequiétaitarrivéàSummer, jen’abandonneraispastantqu’onnel’auraitpasretrouvée.
—Riendeneuf?ai-jedemandéàDawnenfranchissant laporte.Denotrecôté,rien:paslamoindretrace.TousmesespoirsreposaientsurDawn.Elleasecouélatêteetamurmuré:—Non.Cepetitmotm’afaitl’effetd’uncoupdepoignard.Sesyeuxétaientinjectés
de sang parce qu’elle n’avait pas dormi et qu’elle avait pleuré. Je me suisimaginéSummerdanslemêmeétat,attendantqu’onlaretrouve.Lemaquillagede samère avait coulé en laissant des traces sous ses yeux et le longde sesjoues.—La police va commencer les fouilles sérieuses aujourd’hui. Ils vont la
trouver.Elleahochélatête,commesiellevoulaits’enconvaincreégalement.—Bon,j’yvais,aannoncéDaniel,lepèredeSummer.Ils’estarrêtéenmevoyant.—Oh,Lewis,Theo.Rien?Onafaitnon.Commesielles’étaitvolatilisée.Danielavaitlesépaulesbasseset,delapart
d’unhommed’habitudesifortetsipositif,çam’afaitcraindrelepire.—Jerevienstoutà l’heure,a-t-ilpréciséenposantunbaiserrapidesurla
jouedeDawn.Ilavaitl’airépuiséluiaussi.—Vousavezfaim?nousademandéDawnenregardantdanslevide.Votre
mamanestlàetcuisinequelquechose,jenesaispasquoi.—Merci,Dawn,aréponduTheo.Sionallaitdanslacuisine?Il a posé unemain dans son dos pour la diriger, comme si elle était une
vieilledamemalade.Jen’avaispasenviederester.Jevoulaisjustesavoirquelétaitleprogramme
etrepartir.Mangern’allaitpasramenerSummer.—Theo,Lewis,s’estexclaméenotremèreendéposantuntorchon.Asseyez-
vous.—Mercid’avoircuisiné,Emma,aditDawn.Mamèreluiasouritristement.Lapeurselisaitdanssesyeux.
—Je ne veux pasm’asseoir, ai-je protesté. Je veux juste savoir ce que jedoisfaire.Est-cequequelqu’unvaorganiserunefouilleenrègle?Lapolice devait avoir une stratégie, ils n’allaient pas simplement envoyer
toutlemondechercherauhasard?— Ils sont déjà venus, mon chéri, m’a expliqué ma mère. Ils vont
commencerparinspecteràfondlecoinoùilspensentqueSummeraétévuepourladernière…—Commentlesavent-ils?—Quoi?J’aipousséunsoupirdefrustration.—Oùelleaétévuepourladernièrefois.Mamèreahaussélesépaules.— Je ne sais pas exactement. Ils se basent sur une combinaison de
paramètres : la direction qu’elle a suivie, le chemin qu’une jeune filleemprunterait, combien de temps s’est écoulé avant que Kerri l’appelle etremarquequ’elle ne répondait pas.Avec tout ça, ils calculent quelle distanceelleapuparcourir.— En gros, ils se contentent de deviner ? Ils ne connaissent même pas
Summeretilsdécidentoùelleapualler?—Lewis,calme-toi,m’aordonnéTheo.—Non.C’estdesconneries!Les flics n’avaient pas la moindre idée d’où Summer se trouvait et,
maintenant,ellepouvaitêtren’importeoù.Jesuispartifurieux.Jenesavaispasoùj’allais,maisilfallaitquejesorte.
Ma petite amie avait disparu et je ne savais pas où elle était ni comment laretrouver.Etlapolicenesemblaitpassavoirparoùcommencernonplus.—Lewis!acriéTheo.Sespassesontrapprochés:ilmesuivait.—Attends-moi.Ilm’aattrapéparlebrasetm’atournéverslui.—Tunepeuxpaspartirencourantcommeça.Écoute, jevaisàlamairie,
c’estlàqueleséquipesderecherchessontbasées.Viensavecmoi,onpourraposertouteslesquestionsquetuveuxavantderecommencerlesrecherches.J’aisoupiréetaipassélamainsurmonvisage.—Theo,etsijamaiselleest……morte.—Necommencepas.Jesuissûrqu’ellevabien.—Tun’ensaisrien!Moncœurs’estemballé.
—Ça fait desheures et personnen’adenouvelles.Ellene s’enva jamaissans…—Lewis,arrête.Çan’aidepasSummer.Elleabesoindetoi,alorsarrêtetes
conneriesetfaisquelquechosepourl’aider.Il avait raison. J’ai hoché la tête.Mes yeux piquaient,mais je refusais de
pleurer.Jedevaisêtrefort.Jenelarécupéreraispasenm’écroulant.—Tuasraison.J’aisentiunpincementaucœuraumomentd’ajouter:—C’estjustequejenepeuxpaslaperdre.Mêmesiçaparaissaitcucul,maplusgrandepeurétaitdeperdreSummer…
den’importequellefaçon.Jel’aimais.—Allons-y.Theoasourietadéverrouillélesportièresdesavoiture.—Tiens.Ilm’atenduuntrucemballédansuneservietteenpapier.Unbagelaubacon.—Mange.Jemesuisinstallésurlesiègepassageretjemesuisforcéàmanger.Chaque
bouchéemedonnaitenviedegerber,maisTheoavait raison :Summer avaitbesoindemoietjedevaisêtrefort.Jeneserviraisàriensij’étaisuneépave.—Ellevabientucrois?Theoafaitouidelatête.—Elleirabien.Elle irabien. Il ne croyait pas qu’elle allait bien en cemoment,mais elle
iraitbienquandonlatrouverait?J’auraisdûdevineroùelleétait.Jel’aimais,j’auraisdûsavoircequiluiarrivait,non?Sum,oùes-tu?Theoamanœuvrépourserangerdansladernièreplacedestationnementà
lamairie.Leparkingétait complet.Est-ceque tout lemondeétaitvenupourdonneruncoupdemain?Lasalleprincipaleétaitbondée.Àl’avant,unelonguetableétaitcouvertede
cartes de la ville, de bouteilles d’eau et de gilets réfléchissants.D’où sortaittout ce matériel ? Une photo de Summer était punaisée sur un panneaud’affichage. La Terre s’est arrêtée de tourner. J’ai pris une profondeinspirationetjemesuisdirigéverslesagents.Au-dessusdelaphotodeSummer,ilétaitécrit:DISPARITIONINQUIÉTANTESUMMERROBINSON,16ANS
DIMANCHE25JUILLET2010
Jemesuisredresséeetj’aiessuyémeslarmesdureversdelamain.Jen’étaispaschezmoi;j’étaistoujoursdanslachambrerose.Pourquoiest-cequejenepouvaispas sortirdececauchemar?Toutceque jevoulais, c’était êtreà lamaison,avecmafamille,quimerendaitdinguelamoitiédutemps.Promis,jenemeplaindraisplus,mêmesiHenrycouraitpouroccuperlasalledebainsenpremierousimonpèrem’imposaituncouvre-feu.—Bonjour,Lilas,m’alancéRosedepuislelitenfacedumien.Bonjour,tuparles.Cettejournéen’avaitriendebondutout…c’étaitunrêve
horrible,dontjen’arrivaispasàm’extirper.J’ai tentédesourire,mais j’étais incapabledebouger les lèvres.Qu’est-ce
quiallaitsepasseràprésent?Qu’est-cequej’étaiscenséefaireaujourd’hui?J’auraisvouluposerlaquestionàRose,maisjen’étaispassûred’avoirenviede connaître la réponse. J’avais l’impression que les événements ne metouchaientpasvraiment,commesij’étaisdansunrêveoudansunfilm.Rosem’asourid’unaircompatissantetaouvertlaportedelagarde-robeà
côtédemonlit.— Tu peux emprunter des vêtements, jusqu’à ce que Trèfle t’apporte de
nouvellesaffaires.J’aiblêmi.Roseaposésur le litun jeanetunpullviolet tropgrands.J’ai
secouélatête.Commentest-cequ’ellepouvaits’attendreàcequejeporteleshabits d’une fille qui avait été assassinée ici ? Les vêtements de la premièreLilas?Pasquestion.—Non,ai-jemurmuré.Jenepeuxpas.Jerefusaisd’enfilerlesfringuesd’unemorte.—Nousn’avonsqueça.—Tuverras,ons’habitue,m’aassuréViolette.
Elleavaitlamêmetenueenmains.Nousétionstoutesassorties.Leshautsétaientlégèrementdifférents,maisde
lamêmecouleur.Onauraitditungrouped’amiesdébilesaulycéequicroientquec’estcooldejouerlesquadruplées.Encoreuneffortetonfiniraitparsefairedestressesetdiscuterdesbeauxmecs.—Bon,jevaismedoucher,aannoncéRoseenprenantsesvêtementsetune
serviette.Iris,Violette,vouspouvezexpliqueràLilas,s’ilvousplaît?M’expliquerquoi?Jen’avaisaucuneenviedelesavoir.EllesontattenduqueRosesoitpartie,puissesontassisessurmonlit.—L’organisationdelamatinée,acommencéIrisenrepoussantsescheveux
auburn, presque bruns. Nous devons nous doucher et être prêtes pour huitheures tous lesmatins. C’est à cemoment-là que Trèfle descend prendre lepetitdéjeuner.J’aisecouélatête,jen’encroyaispasmesoreilles.—Quoi?Ilfautsemettresursontrente-et-unpourlui?C’étaittropdinguepourêtrevrai.—Queltaré!Irisafroncélessourcils.—Cen’estpasexactementça.Ilaimequenoussoyonspropres,coifféeset
maquillées,habilléesde façon respectueuse. Ilveutquenous soignionsnotreapparence,pourluietpournous-mêmes.Mon estomac s’est noué. Je ne voulais pas ressembler à sa femme idéale.
Mon jean et mon T-shirt me plaisaient. Je n’aimais pas trop m’habiller defaçonhyperféminine,encoremoinspourplaireàunassassinmaladedanssatête.—Jen’aiaucuneenviedeme fairebellepour lui.Est-ceque tu t’entends,
putain?—Honnêtement,Lilas,moinonplus,jen’enaipasenvie.Maiscrois-moi,
çavautmieuxquel’autreoption.J’ai dégluti et j’ai fermé les yeux.Même si je connaissais la réponse, j’ai
posélaquestioncommeuneidiote:—C’estquoil’autreoption?—Ilvautmieuxquetunelesachespas,m’aassuréViolette.Moncœurs’est remisàcognerà toutevitesse.Pourquoiest-cequ’ilvalait
mieuxquejenelesachepas?—Jeveuxrentrerchezmoi.Des larmes ont ruisselé le long de mes joues et j’ai fermé très fort les
paupières:—JeveuxvoirLewisetmafamille.
—C’esttonpetitami?ademandéIris.J’aifaitouidelatêteenreniflantd’unefaçonpeuragoûtante.—Tul’aimes?—Oui.J’étais déjà amoureuse longtemps avant de sortir avec lui. Il était facile à
vivre etdrôle. Il était capablede stresserpourdesbêtises et semontrait trèsprotecteur envers les personnes auxquelles il tenait. On s’était disputéstellementdefoisparcequ’iln’aimaitpasquejemebaladeseule.Sijel’avaisécoutéplutôt quedememoquerde ses craintes et de lui répéterque riennepouvait arriver dans une ville aussi ennuyeuse que Long Thorpe, je seraispeut-êtreàlamaisonencemoment.Elleabaissélatêteetsescheveuxsontretombésdevantsonvisage.—Tuasdelachance.—Ilmeretrouvera,ai-jedéclaréd’untonconfiant.Lewis ne resterait pas les bras croisés. Il mettrait tout enœuvre pourme
retrouver.Etmafamilleaussi.Mamèreétaitunepropourretrouverdestrucs.Rien ne lui échappait… malheureusement pour Henry et sa pile de revuespornos.Violetteaesquisséunsourirepeuconvaincu.—Espérons-le.Violette n’était pas aussi détraquée que Rose. Quand elle parlait, on avait
l’impressionqu’elleavaitenviedesortird’ici.Maisest-cequeçavoulaitdirequ’elleétaitprêteàm’aideràaffrontercetarépourqu’onpuisses’échapper?J’avaisenviedeluiposerlaquestiontoutdesuite,maisilfallaitd’abordquej’en sache plus sur elle. Je devais être convaincue qu’elle voulait vraiments’enfuiravantd’aborderlesujet.Irisasoupiréavantdereveniràlaréalité.—Tudoislaissertescheveuxnaturels.Commesijepouvaispasseraumagasinm’acheterunecolo!— Il n’aime pas quand ils sont trop arrangés. Et tu dois temaquiller très
légèrement:vas-ymolloaveclemascara.J’avais envie devomir.Onmedisait à quoi je devais ressembler ?Onne
m’avaitjamaisparlécommeça.Roseestrevenuedanslachambreets’estmiseautravail.Ellearefaitsonlit
et a redonné forme aux oreillers. Je l’ai regardée passer les mains sur lahoussedecouette,pourl’aplanir.Jemesuisdemandésijeferaiscommeelledans troisans.Non.Iln’étaitpasquestionque jereste iciplusde trois jours.Onétaitàmarecherche.Lasituationn’étaitquetemporaire.Bientôt,lapolicenousdécouvrirait.J’enétaissûre.
J’aiprisuneprofondeinspiration,histoiredem’éclaircirlesidées,etjemesuis rendue dans la salle d’eau pourme doucher et me préparer. J’ai laissél’eauricochersurmoncorpspendantquelquesminutes,puisjesuissortie.Faceaumiroir embué, j’auraispresquepume fairecroireque j’étaisà la
maisonpourm’apprêteravantunrendez-vousavecLewisouunesoiréeavecdes copines. J’ai passé du mascara sur mes cils en me demandant quellequantité je devais mettre. Pas trop pour ne pas ressembler à une pute, maisassezpoursoulignermonregard.Est-cequ’ilmepuniraitparcequej’enavaismistropoutroppeu?Dingue.Laveille,monplusgrossouciétaitdedéciderqueltopporterpourallerauconcert.J’ai enfilé les vêtements que Rosem’avait donnés et jeme suis séché les
cheveux.Enmeregardantdanslemiroir,jemesuisàpeinereconnue.J’avaisl’airépuiséeetjemesentaiscomplètementcrevée.Lescernessousmesyeuxmedonnaientl’airbeaucoupplusâgéequeseizeans.J’aibaissélatêteetjemesuisretournée.Meregarderétaittropdéprimant.
Jen’étaisiciquedepuislaveilleausoiretjemesentaisdéjàdifférente:j’étaisdevenueLilas.Quandjesuissortiedelasalled’eau,Irisaprismasuite.C’étaitàsontourdesepréparer.Jemesuisarrêtéedanslapartiecuisineoùj’aivuRosefairefriredubacon
et des œufs. Elle s’activait avec efficacité et fredonnait en retournant lestranches.La scènem’a rappelémamère préparant un copieuxpetit déjeunerpour toute la famille le dimanche. Mon cœur s’est serré. Qu’est-ce que mamère faisait en ce moment ? Est-ce qu’elle me cherchait ? Est-ce qu’elleattendaitmonappelàcôtédutéléphoneouest-cequ’elleespéraitmonretour,enfixantlaported’entrée?Ellen’étaitpasoccupéeàcuisiner,c’étaitcertain.Jemouraisd’enviede rentrer. Je laisseraismamèremeserrerdanssesbrassanstenterdemedégageretsansleverlesyeuxauciel.Rose a pris une spatule en plastique pour retourner les œufs. Tous les
ustensiles avaient été choisis avec soin, comme le mobilier et tous lesaccessoires. Il n’y avait pas lemoindre objet pointu ou dangereux.Rien quenous puissions utiliser pour nous enfuir ou blesser notre ravisseur.La seulepossibilité qui me venait à l’esprit était un empoisonnement. Les produitsd’entretiennemanquaientpas.MaisildétecteraittoutdesuiteuneodeuraussifortequecelledelaJavel.Etmêmesinousparvenionsàluifaireabsorberdesproduits toxiques, rien ne garantirait qu’il expirerait dans cette cave. S’ilsuccombaitdanslamaison,nousfinirionsparmourirdefaim.L’opérationmeparaissaitimpossibletantquejen’avaispasRose,VioletteetIrisdemoncôté,mais je n’avais pas l’intention de renoncer. Il y avait unmoyen de sortir. Ildevaityenavoirun.Ilfallaitjustequejememontrepatienteetquejejouele
jeuletempsdemettreaupointunestratégie.Jemesuisrouléeenboulesurlecanapé.Nousnepouvionspasêtretrèsloin
de Long Thorpe – le trajet en camionnette n’avait pas été long. La policefiniraitpasvenirjeterunœilici.C’estcequ’ilsfaisaientencasdedisparition,non?Ilsallaientsonneràtouteslesportespourdemanderauxhabitantss’ilsn’avaientrienremarqué.J’avaisvuçaaujournaltélé.Uneportes’estouverte.J’aisursautéetmoncœurs’estànouveauemballé.
Mes épaules se sont détendues quand j’ai réalisé que ce n’était que la salled’eau.Irism’aadresséunpetitsourireavantd’alleraiderRoseàlapréparationdu petit-déjeuner. Je me suis demandé si Rose détestait être ici elle aussi etjouait juste très bien la comédie.Est-ce qu’elle avait peur de lui au point dedissimulersespensées,mêmeensonabsence,pourqu’ilnelesdécouvrepas,ouest-cequ’elleétaitvraimentconvaincuequecen’étaitpassimal?Ellesontposélesdeuxdernièresassiettessurlatableetontsouri.Lerepassentaitbonetj’étaismortedefaim,maislasimpleidéedemangermesoulevaitl’estomac.Legrincementdelaportedelacavearésonnédanstoutelapièceetjeme
suisfigée.Ilarrivait.J’airespiréàfondetj’aiserrélespoingspourempêchermesmainsdetrembler.Tiensbon.—Bonjour,lesfleurs,a-t-illancéavecunsourirechaleureuxendescendant
lesmarches.Il serrait dans une main un magnifique bouquet de lilas rose, les mêmes
fleursquesurlatabledelacuisine,maisdelatailledecellesdeRose,VioletteetIris.Jemesuiscolléecontreledossierducanapéquandils’estapproché.—C’estpourtoi,Lilas,a-t-ildéclaréenmetendantlebouquet.J’ai ressentidesdémangeaisonscommesi j’étaisattaquéepardesfourmis.
Nem’adressepaslaparole.Jeme suis tournéeversRose en la suppliant en silencedem’aider.Elle a
désigné les fleurs d’unmouvement rapide dumenton et j’ai compris que jedevaislesaccepter.Jouelejeu,Summer.Jemesuislevéeetj’aitendumamainentremblantpourprendrelelilas.—Merci,ai-jearticulécalmementenmecognantsurlebordducanapé.—Nesoispassi timide,Lilas.Nousformonsunefamille.Pourquoiest-ce
quetunemetspaslebouquetdansdel’eau?Ilafroncélessourcilsetsonregards’estassombri.—Jenevoudraispasquecelilasmeure,a-t-ilajouté.Lesautresfillesontrapidementdétournélesyeuxetsesontassises.Qu’est-
cequisepassait?Ellesétaientencoreplusbizarresquelaveille.Est-cequeçasignifiaitquelquechose?Pourqu’ilnesefâchepas,j’aiprislevasevideetjel’airemplid’eau.Ilétait
enplastiqueléger,maisimitaitparfaitementleverre.Sansleprendreenmain,onn’auraitjamaispuledeviner.J’aijetélebouquetdedansetj’aiposéletoutentre les iris grenat, les violettes aux couleurs vives et les roses blanches.Pourquoi des fleurs ? J’aurais voulu tout savoir sur lui pour planifier monévasionet,enmêmetemps,jenevoulaisriensavoirdutout.Jeme suis assise à lamêmeplaceque la veille – en facede lui. J’étais si
tenduequemesmusclesmefaisaientmal.Ladouleurphysiqueétaitbienvenue;ellemefaisaitpresqueoublierlasituation.—Mangeons,alors,aproposéViolette.Lanourrituregrassen’a rien faitpourapaisermonestomac. J’avaisenvie
devomir.Jesentaissesyeuxsurmoi.Ilm’observaitenpermanence.Était-ilentraindeprendreunedécision?Choisissait-ils’ilvoulaitmegarderounon?J’aipicoréunetranchedepaingrillé.Jamaisjenem’étaissentieexaminéedelasorte.Pourquoiest-cequ’ilnes’intéressaitàriend’autrequ’àmoi?Jeme suis concentrée surLewis. Penser à luim’a emportée loin, pendant
quelquesminutes.Jemesuisdemandécequ’ilfaisait.D’habitude,àcetteheure,ildormaitencore,maisjedoutaisquecesoitlecasaujourd’hui.Leweek-end,avantdefairequoiquecesoit,mesparentsbuvaientdeslitresdecafé.Avaient-ilspréparédesthermospourpartiràmarecherche?Jel’espérais,parcequemamèresesentaitmalsiellen’avaitpasavalésadosedecaféineetelleétaitd’unehumeurdechien.—Lilas?Unevoixm’atiréedemarêverie.Rose,VioletteetIrismefixaient.Etluiaussi.Jen’arrivaispasàdéchiffrer
leursexpressions.—Désolée,ai-jechuchotéenpiquantmanourritureavecmafourchetteen
plastiquepouravoirl’aird’ytoucher.Est-ce qu’ils attendaient une réponse précise ou est-ce qu’ils voulaient
simplementmerameneràlaréalité?Ilssesontremisàmanger.— Alors, Trèfle, qu’est-ce que tu as prévu de faire aujourd’hui ? lui a
demandéRosecommes’iln’yavaitriendeplusnormal.Commes’ilallaitrépondre:Oh,unpeudekidnapping,peut-êtreunmeurtre
oudeux,laroutine.Commentpouvait-elleluiposerunequestionpareilled’untonaussidétaché?Jen’étaismêmepassûrequ’elleaitencorepeurdelui.Illuiasourid’unairpresqueadmiratif.—Aprèsavoirrégléuneoudeuxchosespourmontravail,jesortirai.Il travaillait ? Oui, évidemment. Il devait bosser pour entretenir cinq
personnes.Pourtant,iln’avaitpasl’airtrèssociable.Etoùest-cequ’ilcomptaitaller?
—EtsituparlaisàLilasdetontravail?Elleal’airunpeuperdue.C’estparti.Faiscommesicen’étaitpasréeletqu’ilparlaitd’unfilm.Même
si j’avais envie deme replier surmoi-même et de retourner en pensée à lamaison,ilétaitcrucialderécolterunmaximumd’informations.Sesyeuxsesontposéssurmoietilasouri.J’aitentédenepasfroncerles
narinesdedégoût. Il avait l’airchaleureuxetamical. J’avaisdumalàcroirequec’étaitluiquim’avaitenlevéelaveilleetquiavaittuéunejeunefemmeàcoupsdecouteau.Sijel’avaiscroisédanslarue,jenemeseraispasretournéesurluietjenemeseraispasméfiéenonplus.Ilavaitl’airtellementnormal.—Jesuiscomptablepouruncabinetd’avocatsenville.J’ai réussi àme retenir de rire. Il travaillait pour des avocats ! C’était le
comble. L’autre facette de sa personnalité – son boulot – semblait ordinaire.Quisoupçonneraituncomptablepolietbienhabillédemenerunedoubleviesadique?Ildevaitprendreplaceàsonbureauchaquematin,papoteravecsescollègues et accomplir son travail avec zèle, avant de rejoindre les quatrejeunesfemmesemprisonnéesdanssonsous-sol.—Tudevraismanger,maintenant,Lilas.Ilnefaudraitpasquetumaigrisses.Ilm’afixéependantuneseconde,medéfiantdeluidésobéir.J’ai chassémapeur et j’ai découpé un petitmorceau d’œuf que j’ai placé
dansmabouche.Jenevoulaispasdéclenchersacolère,commeViolette,alorsjemesuisforcéeàavalerenpriantpournepasêtremalade.J’avaisenviedeperdredupoids,pourl’irriter,maisjeneleferaispas.Lanourritureaglissédansmagorgeetj’aieuunhaut-le-cœur.—Bon, les fleurs, jedoism’absenterpourmon travail.Passezunebonne
journéeetjevousverraiaudîner.Pouletrôticesoir,Rose.—Bien,Trèfle,a-t-elleréponduenhochantlatête.Il s’est levéetaembrassé Iris,VioletteetRosesur la joue.Pitié, pasmoi.
Moncœurbattaitàtoutrompre.—Aurevoir,Lilas.Il a gravi les marches et j’ai poussé un immense soupir de soulagement.
Qu’est-cequej’allaisfairequandilsedécideraitàm’embrassercommeelles?—BonDieu,Lewis,dépêche-toi,ai-jemarmonné.Ilavaitledondetoutarranger:ilm’apportaitmonplatpréféréquandjene
mesentaispasbien,ilm’aidaitàétudierl’examenquej’étaissûrederater,ilarrangeait les histoires avec Henry quand il m’avait dit un truc déplacé. Jesavaisqu’enespérantqu’ilmesortedelà,jepoussaislebouchonunpeuloin,maisçam’aidaitàendurercettehorreur.Irisahausséunsourcil.—Vousêtesensembledepuiscombiendetemps?
—Unpeuplusd’unanetdemi,maisjeleconnaisdepuisuneéternité.Elleasourietsesyeuxsesontilluminés.Elleavaitl’airvraimentintéressée.
Jemedemandaisquelleétaitsonhistoire.—Oùest-cequevousvousêtesrencontrés?—C’estuncopaindemonfrère.Ilsétaientdanslamêmeéquipedefoot.Au
début, ilme considérait comme la petite sœur deHenry, un peu peste,maisquandnousavonsmûri tous lesdeux, il a commencéàmeconsidérerd’uneautrefaçon.Heureusement.— J’espère que tu le retrouveras, m’a-t-elle dit avec sincérité avant de
s’éloigner.Moiaussi.
DIMANCHE4JANVIER2009
JesuisentréedanslachambredeHenryafindechoisirunfilmpourKerri,Rachel et moi. Mon frère jouait à la PlayStation avec Lewis, commed’habitude. J’ai soupiré en secouant la tête. Ils avaient l’air complètementabsorbéspar leurpartie, ils tiraient surquelque chose.Des zombies ?Quelsnazes!Lewisalevélesyeuxetm’alancéensouriant:—Salut,Sum.J’airessentiunfrissondans lecreuxduventre.Jemesuismordula lèvre.
Surtout,nedispasdeconneries.—Salut!Jetentaisd’avoirl’airindifférentealorsque,enpensée,jefaisaisdessauts
decabri.Lewismeplaisaitdepuisuneéternitéetj’avaisnotéque,cesdernierstemps, il ne me regardait plus de la même manière. C’est en tout casl’impressionquej’avais.J’espéraisjustenepasmefairedesidées…mêmesij’étaissûre,àpresquecentpourcent,quec’étaitlecas.Sesyeuxvertclairsesont illuminés,cequim’afaitfondre.Ils tranchaient
parrapportàsescheveuxfoncés,presquenoirs.Ilainclinélatêtesurlecôté.—Qu’est-cequ’onpeutfairepourtoi?Tupourraism’embrasser.—Lewis,onestmortsàcausedetoi,aglapiHenryenlefusillantduregard.Àenjugerparsaréactionexagérée,onauraitcruqu’ilvenaitvraimentdese
fairetuer.—Hein?
Lewiss’esttournéversl’écranquiannonçait«Gameover».OhmonDieu,ils’étaitfaitmassacrerparcequ’ilmeregardait.Bon,tutecalmesettuarrêtesdesourirecommeune imbécile. J’ai tentéde feindre l’indifférence.Commentest-cequejepouvaisnepasexploserdejoiealorsquec’étaitofficiellementleplusbeaujourdemavie?—Désolé,amarmonnéLewisenjetantlamanettesurlelit.—Qu’est-cequetuveux,Summer?aaboyéHenry,quirâlaittoujourspour
sonjeudébile–quelnul.JemesuisapprochéedesesDVDetjemesuismiseàlirelestitres.—Unfilmd’horreur.—Tun’aimespasça,m’arappeléLewis.Lesautrest’obligentàenvoir?—Ouais.KerrietRachelveulentpasser lasoiréeàsecacherderrièredes
coussins.Çacraint.Lesfilmsd’horreur,c’étaitvraimentatroce.Lewisaaffichéunlargesourire.Sesdentsparfaitementalignéesparaissaient
encore plus blanches à cause de son bronzage. Pourquoi est-ce qu’il était sicraquant?C’étaitinjuste.—Pourquoivousnevenezpasleregarderici?Henryaredressélatêted’uncoup,sourcilsfroncés.Oh,cetteidéeneplaisait
pasàmongrandfrère.—Qu’est-cequetufabriques?J’aiessayéd’effacerlesourireidiotquimefendaitlevisage,maiscen’était
pas possible cette fois. Lewis voulait qu’on regarde le film avec lui. Je nepouvaispasêtreplusheureuse.—Ilestnulcejeu,detoutefaçon,adécrétéLewisenhaussantlesépaules.Il s’ennuyait ou il avait envie depasser du temps avecmoi ?Lesgarçons
disenttoujoursquelesfillessontcompliquées,alorsquecesonteuxquisontdevraiesénigmes.—C’estbon ! Jevais leurdiredevenir ici,maisc’estmoiquichoisisce
qu’onregarde,aconcédéHenryavecunsoupirdedéfaite.Ilestsortidesachambre,engrommelantuneinsulte.Loser.Lewisatapotélematelasàcôtédeluisansarrêterdesourire.Monestomac
s’est noué. Il avait visiblement envie d’être avecmoi. Jeme suis approchéedoucement et je me suis installée sur le lit en essayant de masquer monenthousiasme.KerrietRachelontdébarquédanslachambre.Ellesavaientl’airraviesderegarderlefilmici.EllesétaientconvaincuesdepuislongtempsqueLewism’aimaitbienaussi.J’avaistellementenviequ’ellesaientraison.Je me suis rapprochée de Lewis pour leur laisser de la place, mais nous
étions serrés comme des sardines. Ça neme dérangeait pas du tout, vu que
j’étaiscolléecontreLewis.Jeregrettaismêmequemesparentsaientcédéauxcapricesdemonfrèreetneluiaientpasachetéunlitplusétroit.—Ohnon!J’ai râlé lorsque le titre du film est apparu.Massacre à la tronçonneuse.
Encorepirequecequej’imaginais!J’allaisflipperd’unboutàl’autreetmeridiculiser devant Lewis. Génial. Je n’avais même pas un oreiller derrièrelequelmecacher.J’airelevélesjambesetj’aiposélatêtesurmesgenoux.—Heu…Sum, ça n’amême pas encore commencé, a plaisanté Lewis en
cognantsonépaulecontrelamienne.Jeluiaibalancéuncoupdecoudeamicaletçal’afaitrire.Ducoindel’œil,
j’aivuKerrim’observerd’unairétonné.Ohnon,sielleditquoiquecesoit,jemeurs!Lefilmacommencé.Lemomentétaitvenudecachermesyeuxpournerien
apercevoir d’horrible. De tous ses films, il avait fallu quemon imbécile defrèrechoisissecelui-là.J’auraisdûmemontrercourageuse,maischaquefoisqu’untarésurgissaitdederrièreuneporte,jesursautais.Vers le milieu de la séance, j’ai osé lever le regard. Il ne se passait pas
grand-chose,mais nous en avions encore pour un bout de temps. Commentpeut-onaimercegenrededivertissement?C’estdégueu.Unbruitsoudainm’afaitsursauteretj’aiànouveauenfouimatêtedansmesgenoux.Tantpis.J’étaisunbébé,j’assumaisparfaitementcetitre.Je me suis raidie en sentant quelque chose frôler ma jambe. La main de
Lewis?J’aicesséuninstantderespirer.C’étaitlemeilleurmoyendemefaireoublierMassacreàlatronçonneuse.Aprèsça,meplanquernemarcheraitplus.Jen’osaispasregarderLewis,maisjesentaisqu’ilsouriait.Jen’arriveraisplusàmeconcentrersurl’écran,jepouvaissortirlatêtede
sacachette.Allez,regardeLewis.J’aitournélesyeuxversLewisetnosregardssesontcroisés.—Çava?a-t-ilarticuléensilence.J’aiapprouvédelatête.Jepréféraislespetitscerclesqu’ildécrivaitdubout
de l’index surma jambe.Waouh, je ressentais des picotements dès qu’ilmefrôlait.—Bouh!ahurléHenryàpleinspoumons.Moncœurabondihorsdemapoitrineetj’aisautéenl’airenlâchantuncri
strident.Putain!—C’estquoitonproblème?mesuis-jeemportée.Monfrèreétaitpliéendeuxderire,levisageenfoncédanslacouette.Lewis,
KerrietRacheln’étaientpasenreste,mêmes’ilsavaientsursautéaussi.—Sérieux,Henry,j’aifaillifaireunecrisecardiaque.
—T’eslareinedeschochottes,a-t-ilrépliquéenlevantlesyeuxauciel.Jel’aifusilléduregard.Lewisétaitsecouéderireàcôtédemoi.—Ooooh,c’étaittropdrôle,adéclaréLewisenreprenantsonsouffle.—Ouais,tordant,ai-jeironisé.Moncœurnes’enétaitpasencoreremis.Monfrèreétaitungrosrelou.Et
touslesautresaussi.MoncalvaireafinipararriveràsontermeetHenryestdescenduchercher
lacartedelapizzeriapourqu’onsecommandeàdîner,vuqu’aucundenousn’étaitcapabledecuisinersansmettrelefeuàlamaison.Heureusement,papaetmamannousavaientlaissédel’argent.Ilsétaientsortismangeraveclevieuxcopaindefacassommantdepapaetsafemmetoutaussirasoir.Ilsrentreraienttard.Kerriafaitsemblantdetousser.—J’aibesoind’unverred’eau.Rachel,tum’accompagnes?Ohnon.Bravoladiscrétion!Je luiai jetéunregardfurieux,auquelellea
réponduavecunsourireinnocent.Quelaterrem’engloutisse,parpitié.Ellessontpartiesetlesilences’estinstallédanslapièce.Jenetrouvaispas
lamoindre chose à dire. Toutes les répliques quime venaient à l’espritmesemblaientridicules.—Tunedisrien.Lewisavaitdécidéd’enfoncerlesportesouvertes.—Toinonplus.Ilaeuunpetitrireets’estdéplacépourêtrefaceàmoi.—Lefilmt’aplu?—Absolumentpas.—Bébé.J’ailevélesyeuxaucieletilaesquissésondemi-souriretellementcraquant.
J’aientenduHenry,RacheletKerridiscuteraubasdel’escalier.Jerâlaisqu’ilsreviennentsivite.Lewiss’estmordillélalèvre.—Çafaitlongtempsquej’aienviedefaireça.—Fairequoi?Il s’est penché et a collé sa bouche contre la mienne. Il ne s’est attardé
qu’uneseconde,maisj’aicruquemapoitrineallaitexploser.Ils’estécartéetm’a dévisagée. Oh mon Dieu, Lewis vient de m’embrasser ! J’étais sur unnuage, mais lui n’avait pas l’air bouleversé. Il a croisé les jambes et s’esttournéverslaporteaumomentoùlesautresrevenaient.—Qu’est-cequetuascommandécommepizza?ademandéLewis.
Jen’aipasentendularéponsedeHenry.Jememoquaispasmaldesavoircequ’ilavaitchoisi.J’aitentédecontenirl’énormesourirequimefaisaitmalàlamâchoire.J’ai embrassé Lewis, j’ai embrassé Lewis, j’ai embrassé Lewis ! Zut,
pourquoiest-cequelesautressontrevenusaussivite?
DIMANCHE25JUILLET2010
—Rangeons toutça !a suggéréRoseen frappantdanssesmains,commesielleproposaitl’activitélaplusamusantedumonde.Jemesuislevéepouraider,justepournepasresterinactive.Rosealavéles
casseroles,lescouvertsetlesassiettesenplastique,pendantquejelesessuyaisetqu’Irislesrangeaitdansleplacard.Nouslavionsetremettionsdel’ordreensilence, emplissant la pièce de cette odeur de citron qui me chatouillait lesnarines.J’avaisunmilliondequestionsàposer.Quand tout est redevenu impeccable, nous nous sommes assises sur le
canapé. Jeme suis rendu compte que jeme comportais comme elles et j’aiéclatéensanglots. Jemesuis rouléeenbouleet j’aihoquetési fortquemespoumonsontcommencéàbrûler.Çanepouvaitpasêtremavie!Jenem’étaisjamaissentieaussiseule.—Oh,Lilas,çavaaller,atentédemeréconforterVioletteenmefrottantle
dos.—N…non.Çan’irapas.J’aisanglotéencoreplusfort.Leslarmescoulaientlelongdemonvisageet
tombaientsurmesgenoux.—Chut,afaitRosed’untonapaisant.Respireàfond,calme-toi.Tun’espas
seule,Lilas.Si.—Noussommestoutesensemble,aajoutéIris.J’aiprisuneprofondeinspirationetj’aiessayédecontenirmeslarmes.—Commentpeut-il?J’aiessuyémesyeuxetmavisions’estéclaircie.—Ilsortcesoiraprèssontravail.Commentpeut-ilnousséquestreretêtre
normalavectouslesautres?
Roseasoupiré.—Ilnevapasaucafé,Lilas.—Arrêtedem’appelerLilas,mesuis-jeénervée.Roseafaitcommesijeneluiavaispasparléagressivement.Peut-êtreque
danssonmondeçanes’étaitpaspassé.—D’aprèscequejesais, iln’apasbeaucoupdecontacts.Ilpassepresque
toutsontempsiciouàsontravail.—Qu’est-ce qu’il fait ce soir alors ? ai-je insisté. Et comment sais-tu ce
qu’ilfabriquequandilestdehors?—C’estquelqu’und’assezhonnête.Si tu luiposesunequestion, il répond
franchement.Mais tu dois bien réfléchir à ce que tu lui demandes, a préciséRose.Trèflenesupportepascertainespersonneset,detempsentemps,il…Ellen’apasterminésaphrase.Ellefixaitlevide,lefrontplissé.—Il…?l’ai-jeencouragée.—Il…sedébarrassedeceuxquifontdumal.J’ensuisrestéebouchebée.—Illesassassine?Non,cen’étaitpaspossible.—Oui,mêmes’ilnevoitpasleschosesexactementsouscetangle.Pourlui
des femmes – les prostituées – font du mal… aux innocentes familles deshommesquirecourentàleursservices.J’étaischoquée.—Tut’entends?!Tuledéfends.—Non,pasdutout.—Si.Tuenparlescommesic’étaitacceptable.—Çanel’estpasetjeneledéfendspas.J’essaiejusted’expliquersonpoint
devue,c’esttout.—Etdoncilpassesessoiréesàéliminerdesprostituées?Çanepouvaitêtreréel.Ilracontaitpeut-êtreçapourleseffrayeretqu’elles
lui obéissent. Si des femmes qui faisaient le trottoir étaient assassinées, lesinfosenparleraienttoutdemême!Roseafroncélessourcils.—Tuenparlescommes’ilfaisaitçatouslessoirs.Cen’estpaslecas.Comment le sais-tu? Peu importe, c’était impossible, de toute façon. Il ne
pouvaitpaséliminerdesfillestouslesjourssanssefairechoper.Jen’arrivaispasà croireque jeparlaisd’unehorreurpareille avecun tel
calme.Est-cequejen’auraispasdûpéteruncâbleetm’acharnersurlaporte?Avais-jeraisondem’inquiéterdecequej’auraisdûpenser,ressentiroufaire?—Commentest-cequ’ils’entireàchaquefois?
—Cesontdesprostituées,Lilas.Laplupartontfuguéousontseulesdepuistoujours.C’étaitaberrant…Personneneremarquaitleurdisparition?— Pour lui, elles sont sales et représentent ce qui tourne de travers dans
l’humanité.RosearegardéIrisetViolette.—Nous sommes convaincues qu’il lui est arrivé quelque chose quand il
étaitplusjeune.Personnenesemetàavoirdesidéespareillessansavoirsubidetraumatisme.Maisonneluiajamaisposélaquestion.Évidemment.Paslapeinederisquersaviepourobtenirlaréponse.—Qu’est-cequ’ilenfait?Etcombienena-t-iléliminé?Cette histoireme semblait de plus en plus folle. C’était un personnage de
filmd’horreur.—Jenesaispas,aadmisViolette.—C’est dingue. C’est complètement hallucinant. Il faut qu’on sorte d’ici.
Ensemble,onpeutyarriver.Jelesais.Maisilfautqu’ons’ymettetoutes.—Non,Lilas,arépondusévèrementRose.Ellem’arappelémesprofsaulycée.—Onnepeutpas.Iln’yaaucunmoyendes’enfuir,ilfautquetutesortes
cetteidéedelatêtetoutdesuite.Tuneréalisespasdequoiilestcapable.Iln’aaucune notion de bien et demal. Il peut semontrer très…violent et sans lamoindrepitié.Unfrissonm’aparcouruequandj’aientenducettemiseengarde.Violentet
sanslamoindrepitié.J’avaisvucommentils’étaitcomportéavecViolette–sacolère était tellementdémesuréequ’il l’avaitmenacéede soncouteau.Est-cequeçapouvaitêtreencorepire?Jenevoulaispaslaissertomber,cen’étaitpasmongenre,maisj’étaisterrifiée.Rosearespiréàfondets’estlevée:—Bon,jevaisnettoyerlasalled’eau,puisonpourraregarderunfilm.J’aiséchémeslarmesenrepoussantlapeurquimenouaitleventre.—Jenepeuxpasresterici.Ilfautquejerentreàlamaison.Pourquoiest-ce
quevousnecomprenezpas?Irisasecouélatêteetm’aserrélamain.—J’aimeraisvraimentqueçasoitpossible,Lilas.Jet’enprie,nefaispasde
bêtises,a-t-elleajoutéavantdeseleveràsontour.Ses paroles m’ont trotté dans la tête. Ne fais pas de bêtises. Je me suis
immédiatement représentéune imagede luimemenaçant avecun couteau etj’aiétéparalyséed’effroi.—Quelfilmest-cequevousvoulez?ademandéRose.
Violetteahaussélesépaules.—Unevieillecomédieromantique.Est-ce que ça se passerait ainsi tous les soirs ? Un poids suffocant m’a
écrasélapoitrine.RoseamisunDVDetellessesontinstalléessurlecanapéprèsdemoi.Elles
onttrèsviteétéabsorbéesparcequisepassaitàl’écran.Commentarrivaient-ellesàs’intéresseràunfilm,alorsquenotreravisseurétaitentraindetraquerune pauvre fille ? Je me suis imaginé l’expression de frayeur mêléed’incompréhensiondesavictimesedébattantpourtenterdeluiéchapper.Dansmonesprit,sesyeuxétaientécarquillésd’horreur.Était-ilvraimentuntueurensérie ? Si ça se trouve, alors qu’il sortait simplement jouer au bingo, ilracontait ces horreurs afin de se rendre plus flippant à nos yeux, pour nousfaire paniquer et nous ôter toute envie de l’affronter. Impossible de savoirlaquelledecesdeuxversionsétaitlabonne,bienentendu.J’aichassélescénariodelaprostituéedematête.—Est-cequ’oncaptelatélé?Jemedemandaissionparlaitdemadisparitionaujournaltélévisé.Jedevais
fairelesgrostitres,maintenant.Irisasecouélatête:—Non.Évidemment. Nous étions coupés de tout et de tous. Nous dépendions
entièrement de lui. Comme je regrettais d’être sortie la veille ! J’aurais dûécouter les recommandations de Lewis et de ma famille, les laisser meconduireauconcert.Chaquefoisqu’ilsmerépétaientqu’iln’étaitpasprudentdemepromenerseuleà lanuit tombée, je lessuppliaisd’arrêterderacontern’importe quoi. Avec le recul, j’avais envie de me gifler d’avoir été aussiinconsciente.Jemesentaisinvincibleparcequej’étaisnaïveaupointdecroirequelesmalheursn’arrivaientqu’auxautres.Aprèsunmoment,Roses’estlevée.— Il faut qu’on prépare le dîner, a-t-elle annoncé en éteignant la télé. Tu
veuxnousaider,Lilas?Summer.Est-cequej’avaislechoix?—D’accord.Qu’est-cequ’ilyavaitd’autrepourpasser le temps?Toutétaitmieuxque
ruminer.Mêmesij’aimaisbienpenseràmafamilleparcequeçam’emmenaitloind’ici, il fallaitque jem’arrêtede tempsen tempsetque jemebougeunpeu, si je ne voulais pas me répéter en boucle qu’ils me manquaientaffreusement.J’auraisdonnén’importequoipourleurparler.
—Qu’est-cequejepeuxfaire?Ellesavaientdéjàsortitouslesingrédientsetremplissaientdeuxcasseroles
d’eau. Elles travaillaient en harmonie parfaite. On aurait dit une brigade decuisinièrestravaillantdansunrestaurant.—Tuveuxbienpelerlescarottesetlespommesdeterre?Irism’atendul’économe,quiétaitenplastique,sauflalameaucentre.Elle
n’avaitpasl’airparticulièrementtranchante,maisc’étaitunepossibilité.Était-ellecapabledecauserdesdégâts?Commejemesavaisobservéeparaumoinsl’uned’entreelles,j’aiempoignéunepatateetj’aicommencéàlapeler.—Vouspensezqu’onsortiraunjourd’ici?Roseasoupiré.Cen’étaitpasdelatristesse,maisdel’impatience.Elleétait
énervéecontremoi?—Non.—Tuenasenvie?Roseacarrémentignorémaquestion.—Violette,tupeuxmesortirunplatquivaaufour,s’ilteplaît?Donc, la réponse était non. J’avais pitié d’elle. Il lui avait vraiment tordu
l’esprit.Roseaposélepouletdansleplatetl’aenfourné.Mêmesiellefaisaitsemblant de ne pasm’avoir entendue, je savais qu’elle devait réfléchir àmaquestion. Comment aurait-il pu en être autrement ? Est-ce qu’elle réalisaitqu’elleavaitsubiunvéritablelavagedecerveau?Commej’avaisfinidepeleretdecouperlescarottesetlespommesdeterre,
je les ai jetées dans l’eau et j’ai allumé la cuisinière électrique. J’avaisofficiellementbattumonrecordentermesdecuisine.Mamèreauraitétéàlafois estomaquée et fière ; elle aurait peut-être même posé la main sur monfrontpours’assurerquejen’étaispasmalade.L’atmosphère avait changé ; on aurait pu la couper au couteau.C’étaitma
faute. Elles gardaient la tête baissée et se concentraient sur leurs tâches.Quelqu’un devait dire la vérité. Il fallait que Rose se rende compte – ou serendecompteànouveau–quecequ’ilfaisaitétaitmal.Je fixais l’eau dans la casserole. Quand elle est arrivée à ébullition, j’ai
secouélatête.Jevenaisdepréparerledînerdecemonstre,alorsquejen’avaismêmejamaisfaitçapourLewis.J’aisourienrepensantàlaseulefoisoùjeleluiavaisproposé.Ilavaitéclatéderireetavaitréponduqu’ilnevoulaitpasseretrouverempoisonné.J’avaislaréputationd’êtrenulleauxfourneaux.Lemoment oùTrèfle rentrerait approchait.Ça se devinait à leur façon de
s’agiter,devérifierquetoutétaitparfaitementpropreetrangé.Monpoulss’estaccéléré. Je ne voulais pas qu’il vienne ici,mais j’avais presque envie qu’ilarrivepourmettreuntermeàl’attenteangoissante.
J’ai hésité à faire semblant d’êtremalade,mais je n’avais pas envie qu’ilviennevoircommentj’allais.Mangeetrestedanstoncoinjusqu’àsondépart.J’allaisdevoirendurerçadeuxfoispar jourensemaineet six foisdurant leweek-end,jusqu’àcequ’onmeretrouve.Finalement,lesonquejeredoutaistantarésonnédanslapièce:laporteen
haut de l’escalier s’est ouverte.Mesmains tremblaient etmon cœurbattait àtoutrompre.Violettem’aadresséunrapidesourirepourmefairecomprendrequetoutiraitbien.Maisçanepouvaitpasaller.—Bonsoir,lesfleurs,a-t-illancéennousadressantunsourirecharmantet
parfaitementnormal.Voilà comment il s’en tirait. Il avait l’air tellement sympa qu’il inspirait
confiance…saufàcellesquiétaientenferméesici,évidemment.—Bonsoir,ont-ellesréponduenchœur.J’aifaitbonnefigureenégouttantleslégumes,toutengardantunœilsurle
nouveauvenu.—C’estpresqueprêt?—Oui,noussommesentraindeservir,aconfirméIris.J’aiapportédeuxassiettes,enlaissantlesautress’occuperdureste.Roselui
atendulasienneavecungrandsourire;onauraitditqu’elleprenaitplaisiràservircetaré.—Mangeons,alors,a-t-ildéclaréd’untonjoyeuxenplantantsafourchette
danssonpoulet.Je me suis forcée à avaler une bouchée. Je ne voulais surtout pas attirer
l’attention surmoi en nemangeant pas,mais je devais contenir des haut-le-cœur. Je gardais les yeux rivés sur mon assiette et je faisais semblant demanger. Je voulais me fondre dans le décor, ne pas être remarquée. J’étaisincapabledemedétendreensaprésence;j’étaistendueàunpointtelquemesmusclesétaientdouloureux.—Comments’estpasséetajournée,Trèfle?ademandéRose.—Trèsbienjusqu’ici,merci.J’aibientravaillé.Etvous?—Bien.Nousavonsregardéplusieurssuperfilms.Qu’est-cequenousaurionspufaired’autre?Ilaacquiescé.—Prévenez-moiquandvousenvoudrezd’autres.—Nousn’ymanqueronspas,merci.JemesuisdemandésiRoseserendaitcomptequ’ensaprésence,elleparlait
comme lui. Leurs échanges étaient tellement polis et cérémonieux que lasituationétaitzarbie.— Nous nous demandions si nous pourrions avoir d’autres tissus. Nous
aimerionsnousfabriquerdesrobesd’été.
J’ai immédiatement redressé la tête. Elles se faisaient des vêtements ? Ilfallaitdesciseauxpourcouperletissu!J’aicommencéàélaborerunplan.Ceserait idéal s’il mourait poignardé… de la même façon que lui tuait sesvictimes.—Vousm’apprendrez?suis-jeintervenue.Trèfleaeuunsourire triomphant,commesi jem’étaisenfinhabituéeàsa
façonde«vivre»demalade.—C’estune idéemerveilleuse,Lilas. Je suis sûrqueRose,Violetteet Iris
seraientraviesdet’apprendre.Pasvrai,lesfilles?—Biensûr,aapprouvéRose.L’espoirm’aremplied’énergie.Unplanétaitdéjàentraindeseformerdans
matête,presquetoutseul.J’airéussiàmangerunpeuetàluisourirepresquepoliment.J’allaisyarriver.Jepouvaisjouerlesgentillesfilles,etc’étaitplussimplemaintenant,parcequej’entrevoyaisunelumièreauboutdutunnel.Ilyavaitunmoyendesetirerd’ici.Unefoislerepasterminé,jem’attendaisàcequ’ilparte,maisilaprisRose
par lamainet l’aconduitedansunepièceoùjen’avais jamaismis lespieds.Commeelle se trouvait àmoitié sous l’escalier, ellenepouvait pas être trèsgrande.Unplacard,sansdoute.Quesepassait-il?—Oùest-cequ’ilsvont?Qu’est-cequ’ilyalà-dedans?ai-jedemandéen
regardantlaportequ’ilavaitferméesureux.Irisabaissélatêteets’estmordulalèvre.—C’estlàqu’il…a-t-ellemurmuré,lesyeuxremplisdelarmes.—Quoi?Làqu’il…Jeme suis interrompue en réalisant ce qu’elle essayait de dire.Mon sang
s’est glacé dans mes veines. La chambre où il nous viole. Rose et lui s’ytrouvaient en cemoment. Elle l’avait suivi de son plein gré, sans hésitation,sanslemoindresignededégoût.—Ilfautquejerentreàlamaison,ai-jemurmuré,pluspourmoi-mêmeque
pourelles.—Il fautque tuarrêtes,Lilas, a tranché Iris.Tune rentreraspaschez toi.
Plusvitetul’accepteras,plustavieserafacile.Crois-moi.Jet’enprie.Jen’entendaisquemonpoulsquibattaitde façonassourdissantedansmes
oreilles.Merde.—Non.Jemesuisassiseetj’aitentéderéalisercequisepassait.Roseétaitentrain
de se faire violer dans une pièce à unmètre demoi.Mais était-ce un viol ?Avait-elleenviedefairel’amouraveclui?Luiavait-illavélecerveauaupointqu’elleledésire?Unelarmearoulélelongdemajoue.
—Lilas?Irisaposélamainsurmonépauleetj’aisursauté.—Désolée.Çava?J’aifaitnondelatêteencontinuantàfixerlevide.J’étais désespérée. Un jour, il voudrait que j’aille moi aussi dans cette
chambre. Est-ce que j’y survivrais ? Je préférerais mourir plutôt que de lelaisserm’approcher.Mais si jemourais, je ne reverrais jamaisLewis etmafamille. Le choix était impossible. Me faire violer pour rester en vie dansl’espoir de retrouver ceux que j’aimais, ou…mourir sans leur avoir dit aurevoir,maissansavoirétésouilléeparcemonstre.Je ne sais pas combiende temps je suis restée prostrée, figée commeune
statue,pendantqueRoseetcetypeétaientdanscettepièce,maisçanem’apasparutrèslong.Laportes’estouverteetjemesuisrouléeenbouleenessuyantmeslarmes.—Bonnenuit,lesfleurs.—Bonnenuit,Trèfle,ontréponduIrisetVioletteàcôtédemoi.J’étaisincapabledeluiparlernimêmedeleregarder.Salopard!Taré!Roses’estassiseetaallumélatélécommesiderienn’était.Pasdelarmes,
rienpourlaisserdevinercequ’illuiavaitfaitsubir.Jen’aipasoséenparler.Jemesuiscolléecontre l’accoudoirducanapéet j’ai tournéla têtepourquemescheveux tombentdevantmonvisageetcachent les larmesque jeversaispourRose.Après le film, il était enfin assez tard pour aller se coucher. Je voulais
dormirauplusvite.J’avaisbesoindecetteéchappatoire.—Lilas,tuveuxtedoucherlapremière?m’ademandéRose.J’ai approuvéd’unsignede tête,mêmesi, en réalité, jen’avaismêmepas
enviedeprendreunedouche.Sansattendre,j’aiattrapémonpyjamasurmonmatelasetjesuisentréedans
lasalled’eau.Pourquoiest-cequejesuivaiscerituel?Madeuxièmedouchedelajournéeadurépluslongtemps.J’ailaissél’eauchauderuisselersurmoncorps et emporter la crasse dont j’avais l’impression d’être couverte. Mesentirais-jeànouveaupropreunjour?J’airefermélerobinetenbâillantet jemesuisséchéeàlahâte.Mêmes’il
n’étaitpasvraimenttard–seulementdixheuresdusoir–,j’étaisépuisée.Moncerveau surchauffé avait impérativement besoin d’une pause. Avoir hâte dedormir dans cet endroit horrible me paraissait étrange. En réalité, j’auraisaiméresterendormiependanttoutmonséjourdanscesous-sol.En allant vers la chambre, j’ai jeté unœil auxmarches quimenaient à la
porte. Comment allais-je réussir à sortir d’ici ? Je n’étais pas convaincue
comme elles que c’était impossible, mais je savais que je ne parviendraisjamais àm’enfuir suruncoupde tête. Jedevaismemontrerprudente,parcequesijerataismoncoup,ilmetueraitsanshésiter.Jemesuismiseaulitet j’airemonté lacouettesurmatête.Cettechambre
auraitétéjoliesiellen’avaitétésituéeaufonddel’enfer.J’aifermélesyeuxetj’aitentécommeuneidioted’entrerencontactavecLewis.Jepriaispourqu’ilm’entendeparmiracle.C’était évidemment impossible.Viens, s’il teplaît, lesuppliais-jedansmatête.Jemesuismiseàpleurerensilence.J’aiétéréveilléeparunbouménorme,suivid’uncristrident.Monsangs’est
glacé.Quesepassait-il?J’airejetélacouetteetj’aicourujusqu’àlaporte.JemesuiscognéecontreIris,quim’aattrapéeparlebrasetm’arepousséeversl’intérieurdelachambre.—Qu’est-cequec’est?ai-jesoufflé.—Resteici.Ilvoudravoirquelqu’un.IrisasuiviRoseetViolettehorsdelachambreetarefermélaportederrière
elle.J’étaisseule.Lalumièredemalampedechevetn’éclairaitquefaiblementla pièce. J’avais envie d’allumer les trois autres pour qu’il fasse plus clair,maislapeurmetétanisait.— Non, non, non ! a hurlé une voix de femme que je n’avais jamais
entendue.J’aifrissonnédeplusbelle.Quiétait-ce?—Laferme,aaboyéTrèfle.Sa voix a résonné avec une telle force que mon cœur a bondi dans ma
poitrine.Jel’avaisdéjàentendus’énerver,maiscettefoisc’étaitencorepire:ilsemblaitenproieàuneviolentecolère.Qu’est-ce qu’il faisait et à qui s’en prenait-il ? Le silence est tombé. J’ai
tournélatêtepourapprochermonoreilledelaporte.J’avaisenviedemieuxentendre,maisjen’osaispasbouger.Jegrelottais.Lanouvellevenueallait-ellerestericiaussi?Est-cequ’elletentaitdesedéfendre?J’aipassémalanguesurmeslèvressèchesenattendantquequelquechosese
passe.Jen’entendaisniIris,niViolette,niRose,jen’avaisaucuneidéedecequ’elles fabriquaient. Tout au fond demoi, une petite voixme chuchotait desortirpourvoircequisetramait.
Unbruit sourdm’a fait sursauteret jemesuis réfugiée sous lacouette, la
tête enfoncée dans l’oreiller. Exactement comme quand j’étais seule à lamaisonetque j’entendaisuncraquement, saufquecette fois levacarmeétaitbienréel.—Laferme!atonnédenouveauTrèfle.Il semblait tellement en colère que je l’imaginais les yeux écarquillés, le
visagelividederage.Leshoussesfraîchementlavéessentaientlalavande,commechezmagrand-
mère.Jemesuisrevuepetitefille,étendueaumilieudugrandlit,lacouettedeplumes moelleuse remontée jusque sous mon menton, occupée à humerl’odeurréconfortanteenm’endormant,tandisquemagrand-mèremelisaitunehistoire.Un cri gutturalm’a forcée à sortir dema rêverie,me rappelant enquellieujemetrouvais.Ilnepouvaitpasfairedemalàcettepauvrefille–pasdevantRose,Violette
etIris.Elledevaittenterdes’enfuir.Ilvoulaitcertainementqu’elleresteenbasetellerésistait.Toutiraitbiendèsqu’ils’eniraitetqu’elleresteraitseuleaveclesfilles.Une petite voix agaçante dans ma tête m’a fait remarquer que, s’il avait
vouluqu’elleresteenbas, ilauraitprévuunlitpourelle.Toutétaitorganisépourquatrepersonnes.Iln’yavaitpasdeplacepourelle.Ilallaitpeut-êtreluienfaire?Commequelquessecondesplustôt,unsilencepesants’estabattusurlesous-
sol.Jenelesupportaispas.C’étaithorribleden’avoiraucuneidéedecequisepassait,decequ’ilfaisaitet,surtout,d’oùilétait.Jenevoulaispasqu’ilentreici.Laisse-laicietva-t’en,l’ai-jeimploréensilence.Aprèsm’avoirjetéeaubas
del’escalieretavoirordonnéàRosedem’expliquercequim’attendait,ilétaitremonté sans attendre.Pourquoi ne s’en allait-il pas après avoir amené cettenouvellevictime?Jesuisrestéeparfaitementimmobile,l’oreilletendue.Marespirationétaitlourdeetsaccadée.J’aiessayédelacalmerpournerien
raterdecequisepassaitdel’autrecôtédubattant.J’ai collé mon visage plus fort contre l’oreiller. La tension était à son
comble.Mesbattementsdecœurétaientdouloureuxetmesmainstremblaient.J’ai entendu un autre boum encore plus violent que le premier, qui m’a
rappelé le jour oùHenry s’était penché trop en arrière sur sa chaise et étaittombé à la renverse. Nous étions tous montés en courant dans sa chambre,persuadés qu’il s’était évanoui ou un truc du genre. Qu’est-ce qui venait decauserunbruitpareil?Quelqu’unétaittombé?J’aiétoufféungémissement,tandisquemonesprittentaitdevisualisercequejevoulaisignorer.Toutallaitbien.Quelque chose était tombé. Dans une minute, j’entendrais la porte du
sous-sols’ouvriretserefermer,puislesfillesreviendraientavecl’inconnue.Mapoitrinesesoulevaitets’abaissaitdefaçonimpressionnante.Exactement
commejel’avaisprévu,laportedusous-sols’estouvertepuisreferméeavecun léger grincement. Les trois autres allaient revenir accompagnées d’unenouvelle prisonnière, avec laquelle l’une d’entre nous allait devoir partagersonlit.Laportede la chambre s’estouverte et jeme suis redressée.Violette était
seule.Ellem’aadresséunsourirequines’estpascommuniquéàsonregard.—Çava?m’a-t-elledemandé.—Non.Ettoi?Pour toute réponse, elle a détourné les yeux. Où étaient Rose, Iris et la
nouvelle?—Lilas,a finipardireViolette, tun’espascommeRoseet Iris.Ellesont
baissélesbras,pastoi.Etmoinonplus.J’aifroncélessourcils.Oùvoulait-elleenveniretquesepassait-il?—Quoi?Je n’avais écouté qu’à moitié, trop obnubilée par mes propres
interrogations.—Jenepeuxpluscontinuercommeça,a-t-elleavouéengrimpantdansson
lit.Ellem’atournéledosetatirélacouettepar-dessussatête.J’avais envie de lui demander ce qu’elle voulait dire et si elle allait bien,
maisj’aientendudesbruitsd’eauqu’onversaitetd’unsprayqu’onaspergeaitàdosemassive.Quelquessecondesplustard,l’odeurentêtantedudésinfectantaucitronestvenuemepiquerlesnarinesetmefairecoulerlesyeux.—Violette,qu’est-cequ’ellesfont?ai-jemurmuré.Aulieuderépondre,elleatirélacouetteencoreplushautetj’aivuqu’elle
étaitrouléeenbouleendessous.Qu’est-cequ’ellesfabriquent?
MERCREDI28JUILLET2010
Quatre jours. J’étais ici depuis quatre jours et chacun sans exception étaitpareil.Lematin,nousnousdouchionsetnousprenionslepetitdéjeuner.Puis,nouspassionslajournéeànettoyer,regarderdesfilmsetlire.Jen’avaisplusentendu parler du projet de confectionner des robes et je ne voulais pasaborder lesujet,depeurd’éveiller lessoupçons.Lasemaineétaitmieux–lemot est trop fort, rien n’était bien – que le week-end – parce qu’il ne nousrendaitvisitequedeuxfoisparjour.Ledimanche,ilemmenaitRosedanslapetitechambre;lemardi,c’étaitIris
et,apparemment,lemercredi–aujourd’hui–c’étaitViolette.Jesavaisquelemomentviendraitoùceseraitàmontouretj’hésitaisentreluicéderetresteren vie, et tenter de fuir quitte à risquermapeau.Lemoment d’intimité avecmoi était-il déjà fixé ?Les autres devaient savoir quel était le jour deLilas,maisjenevoulaispasqu’ellesmel’apprennent.Jenevoulaisriensavoir.Peut-être que j’arriverais à me déconnecter de la réalité assez longtemps poursurvivrejusqu’àcequ’onmeretrouve?J’avaisdumalàcroirequelaquestionmepréoccupaitvraiment.Jusqu’à présent, il n’avait manifesté aucun intérêt pourmoi en dehors de
quelqueséchangespolisetamicaux.J’espéraisdetoutmonêtrequeçaresteraitainsi.Irisavaitditqu’ilnesupportaitpasledésordre.Ilaimaitlesnombrespairs,
lesobjetsbienalignés.Personnen’avaitparlédecequis’étaitpassétroisjoursplus tôt. Jen’osaispasposerdequestions.Toutcedont j’étaiscertaine,c’estquenousn’étionstoujoursquequatre.La veille, Violette m’avait confié plus clairement qu’elle voulait s’enfuir.
Elleétaitvenuedanslachambrependantquejemepréparaispourlanuit.Roseet Iris nettoyaient une dernière fois les surfaces déjà impeccables. Violette
m’avait avoué qu’elle ne pouvait plus continuer comme ça. C’étaient lesmêmesmotsquelanuitoùils’étaitpasséquelquechose.Cette fois,quand jeluiavaisdemandécequ’ellevoulaitdire,ellem’avaitexpliquéqu’il«fallait»qu’ellesorted’ici.Ilfallait,pasqu’ellevoulait.Depuis, j’avais tentédeme retrouver seuleavecelle,maisc’étaitdifficile.
RoseetIrisn’étaientjamaisloin.Quandj’avaiscroiséVioletteensortantdelasalled’eaucematin,ellem’avaitchuchotéquenouspourrionsparlerquandlesdeuxautresprépareraientledéjeuner.J’étais dans le canapé,Rose et Iris sortaient unepoêlede l’armoire et des
ingrédients du frigo pour le repas demidi. Violette était dans la chambre àcoucher.Jenesavaispassij’étaiscenséelarejoindreousielleallaitvenirmechercher.Qu’est-cequiseraitleplusdiscret?Moncœurs’estemballéàl’idéedececonciliabule.J’avaisenvied’entendre
cequ’elleavaitàdire.J’espéraisqu’elleavaitunplanréalisable,maisj’avaisaussi peur qu’on nous surprenne et que ça mette à mal notre projet. Nousn’avions qu’une seule chance ; s’il devinait ce que nous préparions, ils’arrangerait pour que nous ne puissions jamais avoir de seconde chance.Nousnepouvionspasprendre le risquequ’ilmette enplacedesmesuresdesécurité encoreplus terribles ; je conservais l’espoir qu’il oublieun jourdeverrouillerlaporte.RoseetIrisdisposaientdufromagerâpésurdestranchesdepainetfaisaient
chaufferlapoêle.Descroque-monsieur?Laportedelachambres’estouverteetVioletteapassélatêtedehors.—Quelqu’unpeutm’aideràmecoiffer?a-t-elledemandéentirantsurses
longuesmèchesnoires.C’étaitunsignal.Jemesuislevée.—Jem’encharge,ai-jeannoncéenadressantunpetitsourireinnocentaux
deuxautres.Jevoulaisqu’ellespensentquej’essayaisdem’intégrerenrendantservice.Ellesn’ontpasréagietsesontànouveauconcentréessurleurpréparation.
Je me suis détendue ; elles ne soupçonnaient rien. Je suis entrée dans lachambre,j’airefermélebattantderrièremoietjem’ysuisadossée.Violetteanouésescheveuxenqueue-de-cheval.—C’estcesoir.Ons’évadecesoir.Mes yeux se sont écarquillés sous le choc. Je pensais qu’elle allait me
proposerunestratégiemûrementréfléchie,pas justeunplandustyle«allez,onfichelecamp».—Quoi?Cesoir?Elleadéglutietachuchoté,leregardperdudanslevide:
—Jenepeuxpluscontinuercommeça,Lilas.C’étaientexactementlesmêmesmotsqu’ellem’avaitdéjàdits.Savoixétait
chargéed’unesourdeémotionquim’afaitfrissonner.— Je n’arrive pas à nier la réalité comme elles, a-t-elle expliqué en
désignantdumenton–au-delàdelaporte–lacuisineoùsetrouvaientRoseetIris.Elles sontplus fortesquemoi ;elles fontçadepuisplus longtemps. Irisn’arrête pas de me répéter que je vais m’habituer à vivre ici, mais c’estinvivable. « Sois Violette », c’est son conseil. « Tout ce qui arrive, c’estViolettequi le subit, pas Jennifer. »Mais jen’y arrivepas. Jen’arrivepas àéteindreJennifer.Cesoir,ilfautquejeparte.Était-cepourcetteraisonqu’ellesn’arrêtaientpasdemerépéterd’accepter
d’êtreLilas?Est-cequ’ellesmepoussaientàabandonnerSummerpourquejesurvive à ce qui m’attendait ? C’était pour ça, en tout cas, qu’elles nes’appelaientjamaisparleursvraisprénoms.—Cesoir,a-t-ellerépété.Avantqu’ilnelavioleànouveau.—Combiendefoist’a-t-ilemmenéedanscettepièce?Elleafixélesoletaclignérapidementdesyeux.Puis,elles’estressaisieet
arelevélatête.—Trois. Ilacommencéavecmoivoilàquelquessemaines.Jene laisserai
pasunequatrièmearriver.—Depuiscombiendetempses-tuici?C’était laseuledes troisfillesaveclaquelle jen’avais jamaisdiscutédesa
vied’avantetellenem’avaitjamaisdivulguéd’informationsspontanément.—Unpeuplusdesixmois.J’avaisdoncenvironsixmois.—Jel’airencontrédevantchezTopShop.D’aprèsRose,c’estlàqu’ilena
abordé quelques autres aussi. C’est un endroit que les sans-abri fréquententparcequ’onpeuts’yréchauffer.J’aijouéavecmesdoigtsenmemordantlalèvre.Elleseconfiaitenfin.— Comment est-ce qu’il t’a… emmenée ici ? ai-je demandé, en espérant
qu’elleneserefermeraitpas.—Ilaproposédem’offriruncafédansunendroitouverttardenville.Nous
n’ysommesjamaisarrivés.Merde. Non seulement il kidnappait des filles, mais en plus il faisait
semblantdevenirenaideauxplusvulnérablespour lesconduire ici.Moi, ils’étaitcontentédem’attraper.—Jesuisdésolée.—Avant,jepensaisquevivredanslarue,seul,enayantpeuretfroid,étaitla
pirechoseaumonde.Elleaeuunpetitrireamer.—Commejemetrompais…J’avaisenviedesavoircommentelles’étaitretrouvéeàlarue,maissesyeux
sesontremplisdelarmesetelleaserrélespoings.Onauraitditqu’elleallaits’effondrer.—Commentcomptes-tut’enfuir?Sa posture a changé immédiatement. Elle s’est redressée et est devenue
sérieuse.—Ilnousfautlaclé.Illagardedanssapochegauche.Jel’aivul’ymettre
plusieursfoisquandildescendlesescaliers.Jevais luidonnerungroscoupsurlatêteavecunvase.Elleaeuunpetitriresardoniquequejen’aipascompris.Ilmemanquaitune
informationoualorsellecommençaitàpéterlesplombs.—J’aiça,aucasoùçanemarcheraitpas.Elle m’a montré une paire de ciseaux. Ils étaient très courts : les lames
n’étaient pas plus longues que mon pouce. Sans doute insuffisantes pourcouper du tissu, mais il ne voulait sûrement pas fournir d’instruments tropgrandsoutropaiguisés.Detoutefaçon,c’étaittoutcequenousavions.—D’accord,ai-jemurmuré.Jenelesentaispasdutout.Violetteselaissaitguiderparsesémotions,mais
jen’avaisjamaisétéviolée:jen’allaispaslajugernitenterdel’arrêter.— Reste au pied des marches. Quand il s’apprêtera à remonter, je
l’assommerai et toi tuprendras la clé.À la secondeoù il tomberapar terre,coursaussivitequetupourrasenhautdel’escalier.Jeseraijustederrièretoi.Çadoitmarcher.Jesuisàboutetjeneveuxpasnonplusquetusubissesça.Elleasecouélatête.—Normalement, il secontentedekidnapperdes femmesperdues,pasdes
enfants.J’aiplissé le front. Jenemeconsidéraispascommeuneenfant,maiselle,
clairement,si.Elledisaitçacommes’ilavaitfranchiunenouvellelimite,pireencore que l’enlèvement, le viol et la séquestration. J’étais unemineure auxyeuxdelaloi,maisjen’étaispasunegamine.Etcequisepassaiticiétaitmal,quelquesoitl’âgedesvictimes.J’aiprisuneprofondeinspiration.—D’accord,jecourraiouvrirlaporte.Elleaeuunsouriresibrefquej’aifaillinepasleremarquer.—C’estbien.Noussommesprêtesalors.Vraiment ? Je ne me sentais pas prête du tout. J’avais un horrible
pressentiment. Du genre que mon père me disait d’écouter quand je devaisprendreunedécision.C’estainsiquej’avaisdécidédechangeruneréponseàunexamenetquej’avaisévité l’échec.Maiscequiétaitenjeuétaitbienplusgrave,cettefois.— Retournons près d’elles. Elles auront bientôt fini et elles vont se
demanderpourquoiontraînetant.Violetteestsortiedelachambre.J’avaisenviedelaretenir.Onauraitdûau
moinspassersonplanenrevueunesecondefois.Discuterdecequipourraitmal tourner et de ce qu’on ferait dans ce cas. Il fallait envisager d’autresscénarios.SiRoseetIristentaientdenousarrêter,parexemple.Violettealaissélaporteouverteetjel’aivuesedirigerd’unpasassurévers
la cuisine. Elle a coupé les croque-monsieur queRose sortait de la poêle etposaitsurlaplanche.Ellejouaitmieuxlacomédiequ’ellenelepensait.
Jemesuissentiemaldèsjel’aivudescendrelesescaliers.SiVioletteavaitraison,laclédevaitêtreencemomentmêmedanssapochegauche.Lemoyendem’évaderétaitàmoinsd’unmètredemoi.Violettem’ajetéunregardetunrapide signe de tête. Je n’avais pas grand-chose à faire. C’était elle qui sechargeaitdel’assommeretdeluidéroberlaclé.Ensuite,dèsqu’ils’écroulait,jen’avaisqu’àcourirenhautdesmarches.Elle aurait dû me confier un plus grand rôle, mais elle connaissait notre
adversairemieuxquemoi.Avant,jepensaisêtrecapabledemeprotéger,maisc’était de la naïveté. J’avais pris la décision de suivre les instructions deViolette et dem’exécuter.Le nœud dansmon estomac prenait toute la place.J’étaisterrifiéeàl’idéequeleschosestournentmaletquejen’aieplusjamaisl’occasiondem’emparerdelaclé.Ils’estpostéàcôtédelatable,danslecoinlepluséloignédel’escalier,et
nousasaluéesensouriant.Jen’aieuaucunproblèmeàmeteniràl’écart: ilmedégoûtait.Jevoulaisresterleplusloinpossibledelui.Violette était appuyée contre le comptoir, la main près du manche d’une
poêle.Moncœurabondi.Pourvuqueçamarche.J’avaistellementenviederentreràlamaisonquej’ignoraistouslessignaux
mesignalantquec’étaittroprisqué.Trèfles’esttournéversRose.—Commentétaittajournée?
J’aicesséd’écouterleurconversationquandVioletteasaisilemanche.C’estparti. J’étais censée prendre la clé etmemettre à courir dès qu’elle l’auraitfrappé,maisilsetenaitentreelleetl’escalier.Ets’ilarrivaitàl’agripperalorsqu’elle tentait de fuir ? Il faudrait que je reste pour l’aider. Je pourrais luidonnerdescoupsdepieds’ilvoulaitserelever.Jetenteraislecoup,mêmesijen’étaispasforte.Ellerisquaittoutpournotreévasion;jevoulaispouvoirluiprêtermain-forteencasdebesoin.Avant que quiconque ait le temps de dire ouf et, surtout, que Rose et Iris
comprennentcequisepassait,Violettel’afrappéàl’arrièredelatêteaveclapoêle.Ilaplongéenavant.Personnen’afaitlemoindrebruit.Jem’attendaispourtantàcequeRoseet
Iriscrient,nefût-cequesousl’effetdelasurprise.TrèfleatitubésurdeuxpasetaretrouvésonéquilibrejusteaumomentoùViolettes’approchaitdelui.Illuiaattrapélebrasetl’aserrécommeunétau.Elleahurlé.
LesyeuxdeViolettesesontécarquillésd’horreurquandellea réaliséquesonprojetnesedéroulaitpascommeprévu.C’estpourçaqu’onauraitdûenvisager tous les scénarios possibles ! lui ai-je crié dans ma tête.Désormais, nous n’aurions plus lamoindre chance de nous approcher decettecléetilvérifieraitchaquefoisquelaporteétaitbienfermée.Jemesuiscolléecontre la rampeet j’ai enfoncémesonglesdans lebois.
Qu’est-ce que nous allions faire ? J’avais du mal à respirer, j’avaisl’impression deme noyer. Les larmesme sontmontées aux yeux quand j’aicomprisquejenerentreraispasàlamaison.—Trèfle,jesuisdésolée,jenesaispas…—Laferme,a-t-ilgrondéenpostillonnant.Ilarrivaitàrestercalmeetmaîtredelui-même,détendupresque,alorsque
savoixbouillonnaitderage.Qu’est-cequ’ilallaitfaire?L’imageducouteaudans sa poche m’est revenue à l’esprit. Il n’allait pas s’en servir, tout demême?C’étaitjustepournousfairepeur.Il l’a sorti, comme je le redoutais. La lame a brillé. J’ai dégluti. J’aurais
voulu fermer les yeux jusqu’à ce qu’il s’en aille, mais j’étais incapable dedétourner le regard. J’ai tentéde reculer lepluspossible et l’extrémitéde larampes’estenfoncéedansmondos.Violettealevésesmainstremblantesetasecouélatête.—Jet’enprie,nefaispasça.Jesuisdésolée.—Jet’aidéjàdonnéunesecondechance,cequejen’accordepasàlalégère.
Iln’yapasdetroisièmechance,Violette.Sontonétaitsicalmequ’unfrissonm’aparcourul’échine.Aucundesdeux
n’aplusriendit.IlafaitunpasenavantetaenfoncésonarmedansleventredeViolettesanslamoindrehésitation.Mes jambes se sont dérobées sousmoi et jeme suis écroulée sur le sol,
suspendueparunemainà la rampecommesic’étaitmabouéedesauvetage.
J’ai voulu crier,mais aucun sonn’est sorti quand j’ai ouvert la bouche.Deslarmescoulaientsurmonvisageetj’aiclignédesyeuxpouréclaircirmavue.C’estuncauchemar,c’estuncauchemar,merépétais-jeensilence.Réveille-toi.Réveille-toi!Violette a tenté en vain de respirer, puis elle s’est effondrée et n’a plus
bougé.Elleétaitmorte.Jen’avaisjamaisvudecadavressaufàlatélé.J’étaissous le choc et je n’arrivais pas à détacher le regard de son corps inanimé.C’étaitplusrapidequedansunfilm.Trèfles’esttournéversRoseetIris.—Nettoyez-moiçatoutdesuite.Puisilatournélestalons,aremontélesmarchesquatreàquatre,aouvertla
porteetl’averrouilléederrièrelui.Irism’arelevée,m’atraînéejusqu’aucanapéetaessayédemefaireasseoir.—Chut,restelà.Je ne risquais pas de partir. J’étais incapable de bouger d’un millimètre,
comme si tous mes membres étaient paralysés. La respiration haletante, lesyeuxhébétés,j’airegardéRoseetIrisrassemblerunseau,unbalaiàfrangesetundeuxièmeseauremplideproduitsd’entretien.— Oh, mon Dieu, elle est vraiment morte, a murmuré Iris d’une voix
dubitative.Rose lui a serré l’épaule, puis a passé les doigts sur le visage deViolette
pourluifermerlesyeux.—Vachercherlahoussemortuaire,Iris.Ma gorge est devenue sèche en entendant ces mots. Cette phrase s’est
immédiatementimpriméedansmamémoire,commesionl’avaitmarquéelàauferrouge.Ellesavaientdéjàfaitça.Une petite flaque de sang avait commencé à se former sous le corps. Je
n’arrivaispasàdétacherlesyeuxduliquiderougevif.RoseaprislamaindeVioletteetl’aembrassée.—Aurevoir,machérie.J’aiétéprised’unhaut-le-cœuretj’aicouruàlasalled’eau,lamainplaquée
surmabouche.Quandjesuisrevenue,Roseet Iris tentaientdesoulever lecorps. Iln’était
pasquestionque je leurproposemonaidepourglisseruncadavredansunehousse.Ellesontréussiàlaposeràl’ouverturedusacetonttirésurlescôtéspour remonter les bords. Même si déplacer Violette était difficile, elles nem’ontriendemandé.Jenesaispassiellesjugeaientquec’étaitencoretroptôtpourm’ycontraindreousiellesavaientdevinéquejerefuserais.Ellestravaillaientàl’unisson,sanslamoindrefaussenote,commesic’était
laroutine.Combiendefoisavaient-ellesdûnettoyerlestracesd’unmeurtre?Un frissonm’a parcouru tout le corps etmon sang s’est glacé.Devrais-je ànouveauassisteràcegenredescène?Mes yeux se sont posés sur le visage deViolette que j’apercevais encore.
Elle avait l’air sereine, comme si elle dormait.Rose a remonté la fermetureÉclairdelahousseetmesépaulessesontdétendues.J’étaissoulagéeetjelesairemerciéesmentalementd’avoirplacéunbouclierenplastiqueentrelevisagede Violette et moi. Mais je savais que je ne l’oublierais jamais. Mon cœurbattaitàtoutrompreetj’avaismalàlatête.—Aurevoir,amurmuréIrisenposantunemainsurlahousse,auniveaude
lapoitrinedeViolette.Je lesai regardées,horrifiée, remplir le seaud’eau.Ellesallaientnettoyer
lestraînéesdesangetferaientcommesiderienn’était.L’eauestrapidementdevenue rose en se mélangeant à l’hémoglobine. Ça m’a fait penser auxcocktailsdontmamèreraffoleetj’aiimaginéquec’étaitça.Monestomacs’estretournéquand Iris a levé le balai à franges pour le rincer.Un filet de sangs’écoulaitdeslamellesenmicrofibre.L’horribleodeurmétalliques’estmélangéeàcelledudésinfectantaucitron
etjemesuisretenuedevomir.Aussivitequ’ilétaitapparusurlesol,lesangavaitdisparu.Ellesétaientrapidesetminutieuses:ilnerestaitpaslamoindretrace.Combiendefoisont-ellesfaitcesgestes?S’il n’y avait pas eu dans un coin de la pièce cette housse mortuaire
contenant la dépouille de Violette, on n’aurait jamais deviné que quelqu’unvenaitd’êtreassassiné.C’étaitlascènelaplushorribleetlaplusterrifianteàlaquellej’avaisjamais
assistéetellesavaienttoutnettoyéaveclemêmedétachementques’ils’agissaitd’empreintes boueuses. Les manifestations de tristesse semblaient bien loindéjà.—Ilvarevenirchercherlecorpsaprèsavoirprissadouche,adéclaréIrisà
l’intentiondeRose.Lecorps.Violetten’étaitmêmeplusunepersonneàsesyeux.Est-cequecette
miseàdistance,enconsidérantqu’ilnes’agissaitqued’uncadavre,pasd’unepersonne,leurpermettaitdesupportercemeurtreetderestersicalmes?J’aitenté deme représenterViolette – son corps – sans nom et sans visage. J’aieffacétoutetracepersonnellejusqu’àcequ’ellenesoitplusqu’unmorceaudeviande : j’avais toujours envie dem’écrouler et de hurler jusqu’à perdre lesouffle.Jemesuisassiseencherchantàcontrôlerletremblementdemesmains.—Combiendepersonnesa-t-il…euh…vousvoyezcequejeveuxdire…?
ai-jechuchoté.…assassinées.Iris a détourné le regard. J’ai serré les dents. Violette n’était pas la
première;ilavaitdéjàtué.C’étaitcequej’avaisentendul’autrenuit.Jemesuisrouléeenboulesurlecanapéengémissant.— Huit depuis que je suis ici, a répondu Rose en baissant la tête. En
comptantViolette.
SAMEDI5MARS2005
La solitude est pire qu’une maladie mortelle. Chaque jour qui passe, ons’effaceunpeuplus.Depuisquatreans,j’avaisl’impressiond’agoniser:j’enavais assez. Jeme suis coiffé une dernière fois, j’ai glissémon portefeuilledansmapochearrièreetj’aiprismesclés.Lachambredesfillesétaitachevéedepuis trois jours. Il nemanquaitplusqu’unechosepourque tout soit prêt :leursvêtements.Enrouteverslegrandmagasin,jemesuisarrêtéchezlafleuristepasloin
delamaisonpouracheterunbouquetdetulipesjaunespourmaman.C’étaientsespréférées.Jen’aijamaisaimécesfleurs,maisleurbeauténaturelleetleurpuretémetouchent.— Bonjour, Colin, a lancé Mme Koop en me souriant de derrière le
comptoircouvertdefleurscoupées.Je lui ai rendu son sourire et j’ai inhalé l’enivrant mélange de parfums
végétaux.—Bonjour.—Commed’habitude?J’aiacquiescéd’unsignedetête.—S’ilvousplaît.—Jem’enoccupe.Elles’estretournéeetachoisiquelquestulipesauxcouleursvivesqu’ellea
nouéesavecunrubanjaune.—Commentallez-vous?—Trèsbien,merci.Etvous-même?—Oh, riendeneuf,a-t-elle réponduenm’adressantsonsourirematernel.
Çaferadixlivres,s’ilvousplaît.Jeluiaitenduunbillet.
—Merci.Bonnejournée.—Vousaussi,madameKoop.J’ai roulé jusqu’aucimetièreensouriant toutseul.Lesoleilbrillait,c’était
unemagnifiquejournéepourundébutdemars.Jerevivraisbientôt.Jenemenoieraisplusdanslesilenceetlevidedemamaison.Jesuisrestésurleparkinguneminuteetj’aicaressélespétalessoyeuxdes
tulipes. Aucun homme ne les avait altérées ou endommagées. Elles étaientpureset innocentes,cequiétaitraredanscemondehonteuxdecupiditéetdeplaisirégoïste.Lesméchantsétaientprotégésalorsquelesinnocentsrisquaientdetomberdanslagueuleduloup.J’avaisenviedemettrefinàça.Jevoulaisquema famille reste à l’abri dumal. J’empêcherai ça. Je les protégerai. Jesavaiscommentyparveniretj’étaisprêtàmettremonplanenaction.J’avaisl’impressiond’êtrelaseulepersonneaumondedisposéeàprendrelesmesuresquis’imposaient.Je suis sortide lavoitureet j’aiemprunté le sentier familier.La tombede
maman était au fond du cimetière, dans le coin droit. Il y avait une placeréservéepourmoiàcôtéd’elle, afinquenous soyons réunispour l’éternité.J’ai posé une couverture en patchwork sur le sol et je me suis agenouillédessus.J’aiadmiréencoreunefoislespétaleslissesetj’aisourienappréciantlapuretédesfleurs,laplusbellecréationdelanature.Puisj’aiposélebouquetsurlatombedemaman,àl’emplacementdesoncœur.— Tu me manques, ai-je dit à voix haute. J’espère que tu ne crois pas
qu’avoirlafamilledontj’aitoujoursrêvéaltéreramessentimentspourtoi.Jefixaislestulipes.—Jet’aimetrèsfortetjet’aimeraitoujours.Riennem’empêcheranidete
rendrevisitenidetefairepasserenpriorité.Jen’oublieraijamaistoutcequetum’as appris. Je te promets de continuer à essayer d’atteindre les objectifsquetuavaisfixéspourcemonde.Jeneleslaisseraipasgagner,maman,jetelepromets.Jemesuisretournéenentendantlerired’unefillette.Ellemarchaitauxcôtés
de ses parents et d’un garçon qui devait être son frère. Ses longs cheveuxblonds tombaient sur ses épaules comme une cascade dorée.C’était pour detelles enfants que je ne cesserais jamais de me battre. De jeunes innocentescommeellequi,dansquelquesannées,seraientsouilléesetirrécupérables.—Non,maman,jen’aimepluslesBackstreetBoys,ilssontnuls.J’aisourienentendantcetteremarquerempliedelégèreté.Ellenedevaitpas
avoir plus de dix ou onze ans. Il ne faudrait pas longtemps avant qu’elle nes’intéresse aux garçons et qu’elle soit en concurrence avec d’autres pourattirerl’attentiondel’éludesoncœur.
Samèreari.—Chérie,tuasachetéunposterd’euxhier.—Benoui.Ça,c’étaithier.Sesparentsontsecouélatêteensouriant,fiersetamusésàlafois.Legarçon
restait un peu en arrière, comme s’il était gêné demarcher à leurs côtés. Iltenaitsonportableenmainetpianotaitsurl’écran.Ils ont disparu aussi vite qu’ils étaient arrivés, en franchissant la barrière.
C’étaitexactementçaquejesouhaitais:unefamille.Saufque,contrairementàcesparents, jene laisseraispas lamienneêtre salie.Bientôt, leur joliepetitefilleseraitsouillée,commelesautres.Jeme suis redressé et j’ai ramassé la couverture. J’avais envie d’aller en
ville acheter les vêtements. J’ai ressenti une pointe de culpabilité à l’idéed’abandonnermamanpourallerfairedescoursespourd’autresfemmes,maisj’enavaisbesoin.Jenepouvaisplusresterseul.—Aurevoir,maman.Jereviendraitevoirbientôt.Je suis retourné àma voiture en scrutant les alentours pour apercevoir la
famille,mais ils étaient partis. J’avais le cœur serré pour cette pauvre petitefilleblonde.J’avaistrèssouventfaitdushoppingavecmaman,maiscetteexpérienceétait
trèsdifférente.J’étaistoutexcité.J’allaischoisirmoi-même.Je pouvais les habiller comme je le voulais : de façon respectueuse et
modeste,maisaussicontemporaine.Jesuisentrédanslegrandmagasinetlesfragrancesdesparfumsfémininsm’ontchatouillé lesnarines.J’aiaperçu lesétagèrescouvertesdeflaconscolorés.J’ai suivi les flèches jusqu’au rayon vêtements, en me demandant quelle
odeurauraientlesfilles.Auraient-ellestoujourschacuneleurpropreodeuroucelles-cisemélangeraient-ellesquandellesseraientensemble?Finiraient-ellesparsentirlemêmeparfum?Etmonodeurchangerait-ellepourintégrerlaleurou, à l’inverse, serait-ce la leur qui s’assimilerait à la mienne ? J’étaistellement survolté et impatient que j’avais du mal à marcher droit. J’auraisvouluquemondésirseréalisetoutdesuite.J’aieul’attentionattiréeparungroupedefillesquis’extasiaientsurlaphoto
d’unmannequin homme. Elles étaient trois, portaient des tenues demauvaisgoût,tropcourtesetdécolletées.Commentleursmèresleurpermettaient-ellesdequitter lamaisonainsi?Laplusbruyantearboraitunbronzageorangéetétait lourdementmaquillée.Lasociétéétait tombéebienbassi lesfemmesnevoyaient rien demal à se comporter et à s’habiller commedes petites putesrépugnantes.J’airavalémarageetj’aitournélestalons.Jemesuisarrêtéaurayonprêt-
à-porteretjemesuismisàchercherdestenuesparfaites.—Jepeuxvousaider?m’ademandéunevendeuse.Elle portait une jupe beaucoup trop courte et un top très décolleté. Pas
étonnant que la nouvelle génération de jeunes filles s’habille comme destraînées,silesemployéesdumagasins’habillentainsiellesaussi.J’aisouri.—Oui,s’ilvousplaît.Jecherchedesjupesetdescardigansassortis.Ellen’apasréussiàcachersasurprise—Ah,d’accord.Ehbien,nousavonsceci.Ellem’aindiquéunensemblefleuriàcôtédemoi.—Peut-êtrequelquechosed’unpeuplusmoderne.C’estpourma…fiancée.J’aiprisuneprofonde inspirationet j’ai fermé lesyeuxune secondepour
savourer cemot.Fiancée.Est-ceque je pourrais en avoir une ?Une fiancéenormale?Non,probablementpas.Personneàpartmamannecomprendraitcequej’essayaisdefaire,pastoutdesuite,maisjevoulaispartagermavieavecunefamille.—Biensûr.Lespiècesplusàlamodesontparici.Je l’ai suivie jusqu’au portant suivant. C’était parfait. Des couleurs pastel
roses, vertes et bleues. Elles conviendraient mieux à leur âge et leurdonneraientl’airtoutàfaitrespectable.—Jevaisprendrequatreexemplairesdecestrois-là.—Quatre?—Oui,s’ilvousplaît.Elleafroncélessourcilsenpassantlescintresenrevue.—Quelletaille?—38,jevousprie.38,c’étaitsain,pascommele36auquellesfillesaspirentdenosjours.—Ceseratout,monsieur?m’a-t-elledemandé,lesvêtementssurlesbras.J’aiacquiescé.—Oui,merci.J’avaiscommandéleursdessoussurInternet.Jen’avaisrienàfairedansun
magasindelingerie.J’aipayémesachatsenespèces.—Mercidevotreaide.—Pasdesouci.J’espèrequeçaplairaàvotrefiancée.—J’ensuiscertain.J’aiempoignélessacsetj’aiquittélemagasin.Je suis rentré directement à la maison. J’étais impatient de suspendre les
tenues et d’admirer mon œuvre terminée. J’ai déplacé la bibliothèque quim’arriveàlataillepourdégagerlepassageetouvrirlaportedelamaisondes
filles.Leurespaceétaitbeauet,mêmes’iln’étaitpasvaste,onytrouvaittoutcedont elles pouvaient avoir besoin ou souhaiter. C’était assez grand pourqu’elles vivent dans le confort et la chambre séparée en faisait un véritableappartement.J’étaisfierdecequej’avaiscrééàleurintention.Je suis entré dans la chambre à coucher et j’ai suspendu un ensemble de
chaque couleur dans les quatre garde-robes en souriant. J’avais consacrébeaucoupde temps à cette pièce pourm’assurer qu’elle soit parfaite. J’avaispris la bonne décision.Maman serait-elle de cet avis ? Voudrait-elle que jepartagemavieavecquelqu’und’autre?J’aisecouélatête.J’étaisallétroploinpourfairedemi-tour.J’avaisbienméritécequim’attendait.Leshoussesdecouetteétaientassortieset les litsbienalignés,deuxcontre
unmur se faisant face.Entre eux, j’avaisdisposédeux tablesdenuit etdeuxarmoiresàuneporte.Chacunedesfillesavaitsonespace.Unanplustôt,cettepièce n’était encore qu’une vieille cave remplie de caisses et demeubles aurebut. À présent, c’était un bel appartement prêt à accueillir quatre jeunesfemmesbellesetpures.J’airemontélesescaliers,refermélaportederrièremoi,l’aiverrouilléeet
j’ai remis l’étagère en place. Le battant était invisible, il était recouvert dumême papier peint que le mur. Impossible de distinguer le passage. Labibliothèquedissimulaitlapoignée.J’ai pris uneprofonde inspirationpour tenter deme calmer. Il ne faudrait
plus longtempsavantque j’aillechercherViolette.Jemesuisretournéet j’aivu quelque chose quim’a serré le cœur. Les tulipes dans le vase décoré encristal étaient fanées.Ma respiration s’est accélérée et le bout demes doigtss’estmisàpicoter.Lesfleursétaientmortes.C’étaitlaseulechosepuredanscemondeetellesétaientmortes.Unbrouillardrougem’aenglouti.J’étaisperdu.
JEUDI29JUILLET2010
—Iris,qu’est-cequec’estqueça?a-t-ilcraché.Sesnarines frémissaient et uneveinede son cou saillait. J’ai bondi face à
cettecrisesoudaine.Dequoiparlait-il ? J’ai regardéautourdemoi.Tout était impeccablement
rangé.Commetoujours.Jemesuistournéeversluipourchercherunindiceetjel’aivufixerlesirisfanésenhaletant.—Jesuisdésolée,Trèfle,jen’airienpufaire,amurmuréIris.Rienpufairepourquoi?Qu’est-cequisepassait?Illatoisaitd’unregard
sifroidquemoncœurs’estcongelé.Iln’allaittoutdemêmepaslatuer?—Je…jesuisdésolée,Trèfle.Ellessontmortes.La peur dans la voix d’Iris me terrifiait. Les fleurs étaient mortes.
Évidemment,bordel!Ellesétaientdansunvase,ausous-sol.Jen’arrivaispasàcroireàcettescène,c’étaitabsurde.Ils’estavancélentementversIrisenl’observantcommeunprédateur.—Tun’aspasprissoind’elles,a-t-ilgrondé.Prissoindesfleurs?Ilétaitvraimentfou.Irisatressaillietasecouélatête.—Si,maiselles…euh…—Nemarmonnepas!a-t-ilhurlé,nousfaisantsursauter.Tulesaslaissées
périr.—Non,pasdutout.Jelejure.Jesuisdésolée,Trèfle,a-t-ellechuchotéd’un
airsuppliant.Ilafaitunpasdanssadirectionetelles’estplaquéecontrelemur.Qu’est-ce
qu’ilfichait?Rosem’aprisedanssesbrasetm’aserrée.—Çavaaller,a-t-ellemurmurédiscrètement.
Vraiment?Ouallait-illatuerpourunehistoiredebouquetfané?Commentest-ce qu’il pouvait espérer que les iris ne flétrissent pas ? Je me suisrecroquevilléecontreRose.Irisalevélesmains.—Trèfle,jet’assurequej’aiprissoind’elles.Ellessontmortes,c’esttout.Ses narines ont à nouveau frémi. Il l’a giflée avecviolence. Iris a posé la
paumesursajoueengémissant.Je n’arrivais pas à croire à la scène qui se déroulait sous mes yeux.
Commentest-cequ’ilpouvaitsemettreencolèrepourunechosepareille?Çan’avaitaucunsens.Il a arraché les fleurs du vase et les a jetées par terre. Je me suis collée
contreRoseetj’aienfouilatêtedanssonépaule,enregardantcequisepassaitducoindel’œil.Justeaumomentoùj’aicruqu’ilallaitencores’enprendreàIris,ilatournélestalonsets’estenfuiencourant.C’estseulementquandj’aientendulaportedelacaveclaquerquejemesuisécartéedeRose.—Toutvabien,Iris,l’arassuréeRoseenluicaressantlebras.Irisahochélatêteenrespirantàfond.—Jevaisbien.Lilas,tutrembles.C’estfinimaintenant,jetelepromets.Je
n’airien.Moi,çan’allaitpasdutout.—Vienst’asseoir,m’a-t-ellesuggéréenéchangeantunregardavecRose.Elles allaient m’expliquer cette crise. Je me suis assise sur le canapé en
serrantlesjambescontremapoitrine.—Pourquoiest-cequ’ilafaitça?—Ilnesupportepasquelesfleursfanent,amurmuréIris.J’ai failli éclater de rire. Assassiner des femmes ne lui posait pas de
problèmes,maisiln’étaitpasquestionqu’unbouquetflétrisse!— Il ne supporte pas que les fleurs fanent, ai-je répété en réfléchissant à
chaquemot.Sérieux,queltaré!Irisasoupiré.— Je ne sais pas exactement pourquoi. Il dit que les fleurs sont belles et
pures.Quelanatureestbelleetpropre.Jecroisquec’estpourçaqu’ilfaittoutça.Elle a indiqué d’un geste de la main la prison dans laquelle nous étions
enfermées.—C’estsaconceptiond’unefamilleparfaiteetpure.—Enfermerquatrefillesetquatrebouquetsdansunecave?Irisaesquisséundemi-sourire.—Jenedispasquec’estlogique.Paspournous,entoutcas.Cen’estqu’une
hypothèse.—Jepensequ’elletient,arenchériRose.J’aisecouélatête.—Qu’est-cequinetournepasrondchezlui?Roses’estgrattélecuirchevelu.—Jenesaispas,Lilas.—Summer,ai-jecorrigésèchement.Roseatressaillietjem’ensuisvoulu.Cen’étaitpassafaute.—Désolée,jen’aimepasqu’onm’appellecommeça.— Tu es Lilas maintenant. J’essaie juste de t’aider. Si tu continues à
t’accrocher à qui tu étais avant, tu vas devenir folle.Accepte cette vie.C’estbeaucoupplusfacile,après.Rose s’est levée et s’est dirigée vers la chambre. J’ai baissé la tête. Je
n’accepteraisjamaiscettevie.Jamais.Dès que Rose est sortie de la chambre avec son pyjama pour aller se
doucher, j’aicourumejetersurmonlit.Jenevoulaisplusluiparlercesoir.Irism’asuivieets’estassiseauboutdemonmatelas.—Lilas,tudoisd’abordprendreunedouche.Jemesuisglisséesouslacouetteetjel’airemontéesurmatête.—Commentest-cequ’illesaura?Jem’entapedeladouche,c’estridicule.Je n’avais pas envie de me laver, merde ! Je voulais rentrer chez moi.
J’auraisaumoinsvouluqu’ellesaientuncomportementnormaletquecesoitunpeuplussupportabled’êtreenferméeiciavecelles.Violette avait été tuée sousmes yeux et ni Iris ni Rose n’y avaient fait la
moindreallusion, endehorsdupetit«au revoir»qu’ellesavaientprononcéjusteaprès.Soitelless’enfichaient,soitellesavaientvraimentréussiàrefouler toutes
leursémotions.Jen’enétaispascapable.Chaquefoisquejefermaislesyeux,je revoyais le corps sans vie de Violette allongé sur le sol. Je l’entendaisencore crier quand il la poignardait. Elle avait essayé de planifier notreévasion non seulement parce qu’elle n’en pouvait plus, mais aussi parcequ’elles’inquiétaitpourmoi.Ellenevoulaitpasque jevive lecalvairequ’illuiavaitimposétroisfois.J’étaisrongéeparlaculpabilité.J’auraisdûmemontrerplusforte,luidire
quenousdevionsnousemmurerpsychologiquement,devenirVioletteetLilasensemble, jusqu’àcequ’onnousretrouve.Elleseraitpeut-êtreencoreenvie.Elle me manquait beaucoup trop pour une quasi-inconnue, mais j’avaisl’impressiondelaconnaîtredepuisuneéternité.Ellem’avaitfaitconfianceetavaitpartagédeschosesavecmoidontellen’aimaitpasparler;elleavaittenté
dem’aideràfuir.Jemesentaistrèsseulesanselle.
VENDREDI30JUILLET2010
Je me suis réveillée dans le noir complet. La couette me recouvrait unepartie de la tête et j’avais trop chaud. Je l’ai repoussée en soupirant.La nuitprécédente,j’avaisrêvédeLewis.Ilétaiticiavecmoi,saufquenousn’étionspasenfermésetquejen’avaispaspeur.Nousétionstouslesdeuxétendussurle canapé et nous regardions un film. Il jouait avecmes cheveux, comme ill’avaitfaitunmilliondefois.Trèflen’étaitpaslà,maisRoseetIris,si.J’avaisenvied’interprétercerêvecommeunsignequeLewisnousretrouveraitetquenousallionsnousensortir.Jemesuisforcéeàmelever.Encontemplantlapetitechambreàlapropreté
maladive, avec ses meubles assortis, j’ai réalisé combien j’étais loin de lamaison.Machambreétaittoujoursendésordre.Quandjelarangeaisenfin,jeneretrouvaisplusrien.J’ai tentédecontenirmes larmes.J’enavaisassezdepleureretd’êtreépuisée.Çanememenaitàrien.Ilfallaitquejemeressaisisseetquejesoisfortesijevoulaisparveniràm’enfuir.Ilfallaitquejejoueàlafamilleparfaite.Laportes’estouverteetIrisestentrée.—Ah,tuesdebout,c’estbien.Ilfautque…—…jemedoucheetquejem’apprête,ai-jeterminéàsaplace.Oui,jesais.Iris m’a adressé un sourire artificiel et est repartie, sans doute afin de
nettoyerlacuisinepourlamillièmefoisdelamatinée.Jemesuisdemandécequ’ilferaits’ilarrivaitetquetoutétaitenpagaille,sinousavionsécrasédelanourrituresurlesmursetvidélespoubellesparterre.Violetteauraitdûêtreiciaussi,às’affairerpourquelepetitdéjeunersoitprêt.RoseetIrisnesemblaientmême pas remarquer son absence. Elles assumaient les tâches comme siViolette–Jennifer–n’avaitjamaisétéàleurscôtés.
Jesuissortiedelasalled’eauhabilléeetarrangéeselonlesinstructionsetjemesuisinstalléedanslecanapé.Commentn’étaient-ellespasencoredevenuesfolles?Desannéesàobéiraux instructionsdecemalade, jouraprès jour,etellesétaientencoresainesd’esprit.Jenepouvaispasimaginerdansquelétatje
seraisauboutdetroisanssijerestaiscoincéedanscesous-sol.—Jepeuxfairequelquechose?Roses’estretournéeetasourienm’apercevant.—Non,merci,nousavonsterminé.Pourquoineviens-tupasàtable?Ilne
vaplustarder.Elles’exprimaittoujoursd’untondétaché.Ouvrelesyeux,Rose.Je me suis assise et j’ai tripoté mes doigts en attendant. Les secondes
s’écoulaient à l’horloge. J’étais tendue. Il allait bientôt arriver, mais je nesavaispasexactementquand.Lebruitquejeredoutaistantarésonné.Lacléatourné dans la serrure et la porte s’est ouverte. Maintenant. J’ai retenu marespiration.Moncœurs’estaccéléré.—Bonjour,lesfleurs,nousa-t-illancéendescendantlesescaliers.— Bonjour, ont répondu Rose et Iris à l’unisson, comme s’il s’agissait
d’unerépliquedethéâtre.Voilà comment j’allais considérer ma situation à partir de maintenant :
j’avaisétéengagéedansunprojet théâtral. Ilsuffisaitque je joue lacomédiejusqu’àcequ’onnousretrouve.Ils’estarrêtéaubasdesmarchesetm’aobservée.—Bonjour,Lilas.Sontonétaitferme,ilmemettaitaudéfi.Ilvoulaitquejeluiréponde.Son
visagearougi,tandisqu’ilattendait.Jemesuislevée.Mesmainssesontmisesàtrembler.—Bonjour,ai-je réponduaveccalmeenmeforçantà regarderdroitdans
sesprunellesbrunesetfroides.Il a eu un sourire triomphant, puism’a examinée des pieds à la tête. Son
regard scrutateurme donnait la chair de poule. Je n’osais pas détourner lesyeuxetjenevoulaispasluioffrirlasatisfactiondememettremalàl’aise.Jenesavaismêmepassic’était cequ’il cherchait.Est-cequ’il enavaitquelquechoseàfairedecequejeressentais?Certainementpas.—Tuesunetrèsjoliejeunefemme,Lilas.Mon estomac s’est soulevé. J’ai serré les poings en enfonçant les ongles
dansmespaumes.Dupointdevuede la loi, j’étaisencoreuneenfant. Jemesuissentiesaleetvioléequandilm’ajaugéedespiedsàlatête.—Mangeons,a-t-ilfinipardire.Çasentdélicieusementbon,lesfilles.J’ai laissé échapper un soupir de soulagement quand son attention s’est
détournéedemoiet jemesuisassise.Çasentaiteffectivement trèsbon,maisj’étaisincapabled’avalerquoiquecesoit.Ilaposéquelquechoseauboutdelatable.Unjournal.Moncœurabondidansmapoitrine.Est-cequ’onyévoquaitma disparition ? Je mourais d’envie de l’attraper pour y jeter un œil, mais
j’étaistétanisée.Nousavonsmangépresqueensilence,répondantjustedetempsentempsà
une question de notre geôlier. Le journal m’attirait irrésistiblement. J’avaisenviedem’enemparerpoursavoircequisepassaitendehorsdecetteprison.—Ehbien,c’étaitexcellent.Merci.Jevousverraicesoiraudîner.IlestpartisansembrasserRoseouIris.J’étaiscontentepourelles,mêmesi
çasemblaitleurêtreégal.Ce n’est que quand il a verrouillé la porte derrière lui que j’ai attrapé le
journal. J’ai pousséunpetit cri de surprise envoyant lapremièrepage.Unephotodemois’yétalaitengrandformat.Elleavaitétéprisequelquessemainesplus tôt, lorsd’undînerorganisépour l’anniversairedematante.Lewisétaitégalement dessus,mais il avait été coupé pour que l’image soit centrée surmoi. J’aurais voulu qu’on l’ait laissée dans son intégralité pour quej’aperçoivesonvisage.Onnedevinaitplusqu’unpetitmorceaudesatête,pasassezpourvoirsonœil.Maisjedistinguaistoutdemêmesescheveuxnoirs.J’aipassé lamain sur l’endroitoù il aurait dû se trouver et j’ai fermé les
paupières. Des larmes coulaient le long de mon visage et tombaient sur lepapier avec un petit bruit. Contempler cette photo et lire le récit de madisparitionétaitpresqueinsupportable,maisaumoinsçavoulaitdirequ’onmecherchait.Cen’étaitplusqu’unequestiondetempsavantqu’onnemeretrouve.Maiscombiendejourspourrais-jetenir?Irisajetéunœilpar-dessusmonépaule.—C’estLewisavectoi?J’aifaitouidelatête.Jenemesentaispascapablederépondre.Elleaposé
unemainsurmonbrasetl’alégèrementserré.—Jesuisdésolée,Lilas.Summer.—Onregarderaunfilmcesoir,d’accord?Super,çanouschangera!Elleproposait ça commesi c’était la fête, alors
quenousn’avionsriend’autreàfaire.—OK.Irisasouri.—Trèfleapporteradupop-cornpourqu’onsefasseunesoiréecinéma.Apportera?Ilallaitresteravecnousici?J’aifaillim’étrangler.J’aihoché
la tête et je me suis approchée de la bibliothèque pour choisir un livre. Çam’occuperait l’esprit et ça me transporterait dans un autre monde, loin decelui-ci,pendantunmoment.J’aicommencéàlireLetempsn’estrienpourquelesheuress’écoulentplus
vite.Chaquesecondedanscesous-solsemblaitdureruneéternité.J’ai tourné
unepageduromanenmedemandantcombiendelivresjetermineraisavantdesortird’ici.Desdizaines?Descentaines?Desmilliers?—Lilas,nousdevonspréparerledîner,m’aannoncéRoseenposantlamain
surmonromanpourattirermonattention.J’airelevéla tête,stupéfaite.J’avaispassétoute la journéeplongéedansla
lecture.J’aisouri intérieurementenmepromettantdefairedemêmetouslesjoursjusqu’àcequemessauveteursfranchissentleseuildecetteprison.—D’accord.J’aiglisséunmarque-pagedans le livre et je l’ai replacé sur l’étagère.Si
j’avaisétéchezmoi,jel’auraisjetésurmonlit,maisletaréétaitmaniaquedel’ordreetdelapropreté,j’avaistroppeurdeluipourêtredésordonnée.Une fois le dîner dans le four, nous avons tout rangé.Rose et Iris étaient
tellement obsédées par l’idée que tout devait être parfait que ça me faisaitflipper.—Jevaisjustemebrosserlescheveux.Je me suis éloignée. Je n’avais pas envie d’être dans cette pièce à son
arrivée.L’angoisse était trop forte. J’avais l’impressionquemon cœur allaitexploserenl’attendant.Jemesuisassisesurlelitetj’airespiréàfondpourmecalmer.Joue le jeu.C’était tout ce que j’avais à faire.Tout.Mais c’était déjàbeaucouptrop.Desvoixontfiltréàtraverslebattantetj’aicomprisqu’ilétaitlà.J’aiévacuémapeur,ouvertlaporteetjemesuisforcéeàsourire.— Ah, Lilas, c’est gentil de nous rejoindre, s’est-il exclamé, avenant. Le
dînerestpresqueprêt–pasvrai,Rose?—Encoredeuxminutes,Trèfle.Jesuisentraindeservir.Jel’aiignorédumieuxquejepouvaissansqueçaseremarquetropetj’ai
aidéRoseetIrisàservirlesassiettes.Quandjemesuisinstalléeàtable,ilm’aobservée.Jemesuisenfoncéedansmachaise.J’étaismalàl’aise.Quandtoutlemondeeut terminé, j’avaisàpeinemangé lamoitiédemonrepas,mais jen’arrivaispasàavalerunemiettedeplus.—Tun’aspasfaim,Lilas?m’ademandéIris.—Pasvraiment.Enfait,jesuisunpeufatiguée.Ce n’était pas vrai. J’avais juste envie d’être n’importe où sauf en sa
compagnie.Dèsquejeleregardais,jelerevoyaispoignarderJennifer.— Allons regarder le film, ça nous détendra, a suggéré Rose en
s’empressantdedébarrasser.S’ilyavaitunrecorddumondedurangement,elleauraitremportéletitre
hautlamain.Était-cel’effetdetroisansd’enfermement?Iris a versé le pop-corn dans un large saladier en plastique et nous nous
sommes serrésdans le canapé, prévupourquatre.Notre ravisseur était assis
entreRoseetmoi–beaucouptropprèsàmongoût–,maiscommejevoulaisêtreleplusloinpossibledelui,jemesuiscolléecontreIris.J’étaisdansunepositionsibizarrequej’aicommencéàavoirmalauxmuscles.J’avais regardé N’oublie jamais avec Lewis. Il s’était plaint d’un bout à
l’autre. S’il n’y avait pas de voitures, de bagarres ou de nudité, ça nel’intéressaitpas trop.Là, j’auraisdonnén’importequoipourqu’il soit ici etl’entendregeindreparcequ’iltrouvaitlefilmennuyeux.Trèfleapassésonbrassurledossieretj’aiserrélesdents.Moncœurs’est
accéléréetjen’arrivaisplusàmeconcentrersurl’écran.Verslamoitiédufilm,sesdoigtsontfrôlémescheveux.Jemesuisraidie.
Non ! J’ai dégluti, j’ai baissé les yeux et j’ai fermé les paupières enm’imaginantailleurs.J’aiessayédecontrôlermarespiration: troissecondesd’inspiration,troissecondesd’expiration.N’importequoipourpenseràautrechoseetmecalmer.Ilm’acaressé lescheveuxjusqu’à lafindufilm,puis ils’est levéennous
souhaitantbonnenuitetestparti.J’aicourudanslachambremeréfugiersousla couette. J’avais l’impression qu’unmillion de bestioles couraient sur mapeau.Jemesuisrouléeenbouleet j’aiéclatéensanglotsdans l’oreiller,quis’estretrouvétrempéauboutdequelquessecondes.
SAMEDI31JUILLET2010
ÇafaisaitseptjoursqueSummeravaitdisparuetj’avaisàpeinedormi.Jemereposaisjusteassezpourteniretpassaislerestedemontempsàlachercher.J’avais une mine atroce, comme la famille de Summer et la mienne.L’inquiétudeselisaitsurchaquevisage.Mêmesi lazonedefouillesavaitétéétendue, il n’y avait toujours pas lamoindre trace de Summer. La retrouversemblaitsansespoir,maisjenem’arrêteraisjamais.Saphotoapparaissait tous les joursdans les journaux locauxetnationaux.
Desgensavaientdébarquéd’unpeupartoutpournousaideràlachercher.J’avais entendu dire que les premiers jours étaient essentiels pour relever
desindices.Aprèsunesemaine,quellesétaientleschancesdelalocaliser?S’ily avait des empreintesoudes tracesd’ADN, avaient-elles été effacéespar leventetlapluie?Combiendetempscesélémentsrestaient-ils?Jevoulaisàtoutprixlesavoir,maisj’avaistroppeurdelaréponsepouroserposerlaquestion.Quelqu’undevaitsavoirouavoiraperçuquelquechose.C’était impossible
desevolatiliser.NousétionsconvaincusqueSummeravaitétéenlevée,maisiln’y avait aucun suspect sérieux. Beaucoup de gens avaient téléphoné pourpartager leurs hypothèses et leurs soupçons, mais ces pistes n’avaient riendonné.Dutempsgaspilléetriendeplus.JesuisalléchezSummer,oùnosdeuxfamillesdevaientseretrouverpour
undînerrapideetanticipé,avantderepartir.Ilyadeuxjours,j’avaiscédéetacceptédepasserchezlesRobinsonpourmangeraulieudegrignoteruntrucen route. Je me sentais coupable à chaque fois que je m’arrêtais. Et si unélémentimportantm’échappaitparcequejefaisaisunepause?—Lewis.Mamanm’aserrécontreelledèsquej’aifranchilaporte.Jedétestais leurprésenceencemoment. Je lesaimais,mais ils semblaient
tenir bienmieux le coup quemoi. Ils se reposaient etmangeaient, alors quej’arrivaisàpeineàrespirer.Mamèreaexaminémescernesenfronçantlessourcils.—Monchéri,tudoisdormirplus.J’avais une gueule de déterré, mais c’était bien normal dans une pareille
situation.J’aiignorésoncommentaireetjesuisentrédanslacuisine,oùDawns’affairait.Ellerâpaitdufromageets’arrêtait toutes les trentesecondespourmélanger les haricots secs qui cuisaient. Elle s’affairait en permanence cesderniers jours–cetteactivité luiévitaitdedevenirdingueà forced’attendre.Letéléphonedelamaisonnelaquittaitpas,oùqu’elleaille;siellebougeaitd’uncentimètre,ellel’emportait.—Lewis,assieds-toi.C’estpresqueprêt.Ellem’a jetéuncoupd’œil avantdepoursuivre sespréparatifs.Monpère
étaitàtable.IlétudiaitunecarteavecDanieletHenry.Danielalevélesyeuxetm’aadresséundemi-sourire.— Nous passons en revue les zones qui ne sont pas couvertes par les
recherchesofficielles.C’étaitunautreélémentquimeperturbait.Etsilechampdesfouillesn’était
pasassezlarge?EtsiSummerétaitjusteàl’extérieurdecepérimètre?Àunkilomètre ou même à un mètre ? C’est pour cette raison que nous avionsdécidéd’étendrenosinvestigations.Levoisinageétaitlargementcouvertparlequadrillagedelapolice,leboisaussi.Etquandonsemetàfouillerdesbois,c’estqu’onchercheuncadavre.Jemesuisassisenrepoussantl’idéequeSummersoitmorte.Cen’étaitpas
possible.Jenepouvaispasimaginersoncorpsblêmeetfroid.Jusqu’àpreuveducontraire,elleétaitvivanteetenbonnesanté.—Apparemment, les fugueurs vont dans cette partie de la ville, a déclaré
monpèreenindiquantunquartieràvingtminutesàpiedd’ici.—Summern’apasfugué,luiai-jeassuré,furieuxdecettesuggestion.—Jesais,Lewis,maisçanesignifiepasqu’ondoitrenonceràjeterunœil.
Elleapeut-êtreétéaperçueavecquelqu’un.Lapersonnequil’akidnappée.—D’accord,allons-y.—Ah, non ! Pas tant que tu n’as pasmangé, a protestémamère. Je suis
sérieuse,Lewis.Ellem’a regardé sévèrement. J’avais l’impression d’être un gamin qui se
faitgronderaprèsunebêtise.Enquelquesminutes à peine, j’ai englouti la nourriture.Cen’est qu’après
avoirvidémonassiettequej’airéaliséàquelpointj’avaisfaim.
—C’estbonmaintenant?ai-jedemandé.Enroute.Papa,DanieletHenrysesontlevés.—Lewis,tupasseschercherTheoàlamaison,puisvousallezdanslapartie
estdelaville.Noustrois,nousallonscommenceràl’ouestetonseretrouveraaucentre-ville.Concentrez-voussurleszonesàl’écart.Ilyaplusdechancesd’ytrouverdesinformations.Monpèreétaitdouépourl’organisation.Ilnesavaitsansdoutepasplusque
nouscequ’il faisait,mais il étaitcapablede réfléchiraveccalmeet logique,alorsquej’étaisprêtàcourirentoussensetàfouillerlaplanèted’unpôleàl’autre.DanieletHenryaussi restaientmaîtresd’eux-mêmes,contrairementàDawn.IlsessayaientsansdoutedesemontrerfortsetrefusaientdecroirequenousneretrouverionspasSummervivante.—Theoestprêt?Iln’étaitpasquestiondeperdredetemps.Papaaapprouvédelatête.—Ilt’attend.Allons-y.
Jemesuisarrêtédevantchezmoietj’aiklaxonnéenpianotantsurlevolantavec impatience.Allez,Theo.Laported’entrée s’estouverteetmon frèreestsorti. J’ai enclenché lapremière,prêt àdémarrerdèsqu’ilmonteraitdans lavoiture.—Alors,onvaenville?Jemesuismisenrouteàlasecondeoùilaclaquélaportière.—Oui.Il a hoché la tête et a regardé par la vitre. Quand on ne parlait pas de
retrouverSummer,onéchangeaitàpeinequelquesmots.Avantladisparition,onparlaitdetout.Theon’avaitqu’unandeplusquemoi,nousétionsproches,mais pas en ce moment. Nos sujets de discussion et nos centres d’intérêthabituelsn’avaientpluslamoindreimportance.—C’estquoi,leplan?—On fouille d’est en ouest et on retrouvepapa,Daniel etHenryquelque
partaucentre-ville.—Tuasdesphotos?Seulementdesmilliersdansmontéléphone.—Ouais.
J’avaisunecopiedecellequelapresseavaitpubliée.C’étaitungrosplandeSummer. Ses cheveux blond clair encadraient son joli visage. Ses yeux vertémeraude souriaient, comme toujours. J’adorais me réveiller en voyant cesyeux,justeavantdequittersachambreendouce.—Lewis…—Quoi?—Commenttuvas…vraiment?L’horreur.Nepassavoiroùelleétaitnicommentelleallaitétaitunetorture.
Jevoulaisàtoutprixqu’ilneluiarriverien.J’aisoupiré.—Çava.Theoafroncélessourcilsets’estànouveautournéverslavitre.—Queveux-tuquejetedise,Theo?—Lavérité.—Lavérité!J’ail’impressiond’êtreentraindecrever,putain!C’estçaque
tuveuxentendre?—Oui.Onvalaretrouver.J’ai continué à rouler en réfléchissant aux paroles de Theo. On va la
retrouver. Je n’en doutais pas, mais quand ? N’importe qui pouvait laséquestrer et je ne voulaismême pas imaginer le calvaire qu’elle traversait.J’ai serré le volant si fort que les jointures demes doigts ont blanchi. Et siquelqu’unluifaisaitdumal?—Gare-toiici,m’asuggéréTheoenm’indiquantunvieuxparkingdélabré
surplusieursniveaux.Desgraffitisrecouvraientpresqueentièrementlesmursdebéton.Mavoiture
ne serait sûrement plus là à notre retour. Quelques semaines plus tôt, jen’aurais jamais accepté de stationner là. Désormais, ma voiture pouvaitexploser,jem’enfichais.Jeme suis rangé le plus près possible de la sortie et nous avonsmarché
jusqu’àlaruellequilongeaitlebâtiment.—Jenesaispasparoùcommencer.Theos’estgrattélatête.—Moinonplus.Derrièrelarueprincipale?Nous sommes passés entre deux magasins et nous avons longé une rue
interminable.Deuxados,ungarçonetunefille,étaientassissurleseuild’uneboutiquedepiercingetricanaient.Ilsétaientsansdoutedéfoncés.—Excusez-moi, les ai-je interrompus, trop impatient pour attendre qu’ils
cessent de rigoler. Vous n’auriez pas vu cette fille ? Elle s’appelle SummerRobinson.Elleaseizeans.La filleaplissésesyeux injectésdesangpourexaminer laphoto.Lemec
semblaitprendrebeaucoupdeplaisirà reluquerSummer. J’ai serré lesdentspourgardermoncalmeetmeretenirdebalancermonpoingdanslagueuledececonnard.Lananaasecouélatêteenagitantsescheveuxenpétard.Ellem’aadresséunsouriredetravers.—Nan,désolée,monvieux.—Jamaisvue,maisj’aimeraisbien,aréponduletyped’unevoixtraînante.J’ai espéré de tout cœur que Summer ne soit pas dans le coin avec un
minabledanssongenre.—Merci,amarmonnéTheoenseremettantenroute.J’avais l’impression horrible que nous perdions notre temps. Même si
quelqu’un l’avaitvue, est-cequ’il ledirait ?C’était legenred’endroitoùonsemblait accepter l’idée que des gens aient envie de disparaître. Summer nevoulaitpasdisparaître.Ellenevoulaitpass’enaller.J’aimarchéavecTheopendantuneheureetdemieendemandantàtousceux
quenouscroisionsde jeterunœil à laphoto.Évidemment,personnen’avaitrienvu.C’estdumoinscequ’onnousadit.—Jenesaisplusquoifaire,ai-jeavoué.J’auraisdûlesavoir.—Oncontinueàchercher,c’estlaseulechoseàfaire.—OK,onrejointlesautresetontentelecoupailleurs.Ellememanquait tellement que l’absence était douloureuse, comme si on
medonnait des coups de poingdans le ventre. J’avais beau la chercher sansrelâche,çan’allégeaitpaslepoidsquejeportais.Jeluiavaisjurédenejamaislaisserpersonneluifairedumaletjen’avaispastenupromesse.
DIMANCHE1ERAOÛT2010
J’aiétééveilléparlesoleilquitombaitsurmonvisage.J’ai jetéunœilauréveildeSummeretjemesuisredresséd’unbondenretenantuncri.Merde,jenem’étaispasréveillécommeprévu!Ilétaitpresquedixheures.J’airejetélacouetteetj’aibondihorsdulit.Putain,commentest-cequej’avaispudormiraussi longtemps, alors que Summer avait disparu ? J’ai enfilé les mêmesvêtementsque laveilleet j’aicouruenbas.Pourquoiest-cequepersonnenem’avaitréveillé?—Lewis,viensprendretonpetitdéjeuner,aappelémamèrequandjesuis
passéentrombedevantlacuisinepourattrapermonsacàdos.Aujourd’hui,jeconcentraismesrecherchessurleboisàcôtéduparc.
—Pasletemps.—Lewis!Vienst’asseoiretmangerquelquechosetoutdesuite,m’a-t-elle
ordonné.J’aisoupiréetj’aifoncédanslacuisine.—Prépare-moiviteuntruc,alors!Dawn était assise à la table, le regard perdu sur une tasse de café, le
téléphoneposéàcôtéd’elle,commetoujours.Mamèrem’atenduunsacenplastiqueremplidenourriture.—Merci,ai-jemarmonnéenrepartantencourant.Je transportais des victuailles dans mon sac à dos, mais je n’avais pas
l’intentiond’y toucher.C’étaient les trucspréférésdeSummer :desboissonsénergisantes,desMaltesers,desoursonsenguimauve,unebarredechocolatauxfruitssecsetdesbonshommesenpaind’épice.Enfranchissantleseuil,j’aiétéstupéfaitdevoirlenombredegensdehors.
Des journalistes étaient alignés le long du muret en brique qui entoure lamaison.—Lewis!Lewis!ont-ilstouscriéenmêmetemps.Desflashesontcrépité.J’ai ignoré lesquestionsqu’ilsme lançaientet j’ai
sauté dans la voiture. Juste au moment où je tournais la clé de contact, laportièrepassagers’estouverte.—Jeviensavectoi,adécrétéHenryenbouclantsaceinture.J’ai acquiescé enmedisant : Aujourd’hui, je vais la retrouver.Mais jeme
répétaiscettephrasetouslesjours.
VENDREDI11MARS2005
J’aigarélacamionnettedanslecoinleplusreculéduparkingabandonné,puisjemesuisdirigéverslegrandmagasin.Jenem’étaisjamaissentiaussivivant.Ellem’appartiendraitbientôt, j’avaishâtedeprendresoind’elle.Ma Violetteparfaite.Mêmes’ilfaisaitdouxpourunmoisdemars,larueétaitdéserte.Elleavait
passé les deux dernières nuits réfugiée dans l’entrée d’un magasin dechaussures démodé. J’ai emprunté la ruelle qui y menait et, comme jel’espérais, Violette était assise contre la porte de la boutique ChaussuresBentley.—Bonsoir.J’aisouriàlaplusbellecréaturequej’aiejamaisvue.Jenel’auraisjamais
admisàvoixhaute,maissabeautééclipsaitcelledemaman.Elleétaitpureetinnocente,ellem’aimmédiatementattiré.—Heu…bonsoir.Sesyeuxavaientlacouleurturquoisedesocéanstropicauxet jesavaisque
ses cheveux brun foncé en désordre pouvaient être coiffés pour devenirprésentables.—Jepeuxvousaider?—J’aimeraisvousoffriruncafé.J’aisouri.Mapropositionl’alaisséebouchebéeuninstant.—Pourquoi?Elleafroncélessourcilsetsonregards’estassombri.—Jenesuispasdecegenre-là.J’ailevélesmains.—Non,non,cen’estpasdu toutceque jevoulaisdireet je suis ravique
vous ne soyez pas ce genre de… personne. Je voudrais juste vous inviter àprendreuneboissonchaudeetpeut-êtreaussiquelquechoseàmanger. Ilyaunecafétériaouvertevingt-quatreheuressurvingt-quatreunpeuplusloindanslarue.—Jenecomprendspas.Qu’est-cequevousattendezdemoi?—Rien.Jeveuxjustet’aider.—Jevousenprie,laissez-moivousoffrirunrepas.—Justeunrepas?J’aiconfirméd’unsignedetêteensouriant.—Biensûr.Elleahésitépuiss’estrelevéelentement.—D’accord.Moncœurabondidejoiedansmapoitrine.—Super.Allons-y.—Moic’estCatherine.Ceprénomneluiallaitpasdutout.Elles’appelaitViolette.—Colin.Jeluiaitendulamain.—Vousavezfaim,Catherine?—Oui,a-t-elleréponduavecunsourireenbaissantlesyeuxausol.—Lacafétérian’estpasloin.Elle marchait à mes côtés en laissant un espace d’une trentaine de
centimètresentrenous.Çanemeplaisaitpas.—Depuiscombiendetempsest-cequevousvivezicidehors,Catherine?—Heu…presqueunan.—Silongtemps?Commentest-cequesaprétenduefamillepouvaitlalaisserdormirnefût-ce
qu’unenuitdanslesruescrasseusesetsordides?—Unejoliejeunefemmecommevousnedevraitpaspasserlanuitdansle
froid.Quelqu’undevraitveillersurvous,voustraitercommevousleméritez.Violette a rougi et a caché son visage avec ses cheveux. Sa timidité était
charmante. Je n’y étais pas habitué. Maman était une personne forte etdéterminée. Les autres femmes que j’avais rencontrées vendaient leur corps.Violetteétaitlapremièrefemmedouceetinnocentequejerencontrais.—Oùestlacafétéria?—Pasloin.Vousyêtesdéjàallée?Elleasecouélatête.—Non,jerestedel’autrecôté,làoùilyaplusdemonde.
—Ce coin n’est pas si mal, Catherine, il est juste un peu abandonné. Lacafétériaestcorrecte.Elleajetéunœilpar-dessussonépauleensemordantlalèvre.Est-cequ’elle
envisageaitdes’enfuir? Iln’yavaitpersonnedans les rues,à l’exceptiondequelquessans-abridansl’embrasuredesentréesdemagasins.—On est à quelle distance ? a-t-elle insisté en regardant encore derrière
elle.Macamionnetteétaitvisible,àquelquesmètres.Nousétionspresquearrivés.—Jeferaismieuxderetourneroùj’étais.Nousétionsdéjààhauteurdelaportearrière.J’aiplongélamaindansma
pocheet j’aiouvertmonvéhiculeàdistance.Violetteapousséunpetitcrienentendant le cliquetis du système de déverrouillage et en voyant les feux depositionclignoter.—Qu’est-ceque…?Elleasecouélatête,lesyeuxécarquillés.—Toutvabien,Violette,jevaisprendresoindetoi.—Violette?Quoi?Jenesuispas…Elleafaitunpasenarrièreenregardantpar-dessussonépaulepourdécider
paroùprendrelafuite.J’aisoupiré.Ellenecomprenaitpas–pasencore–cequej’essayaisdefaire,dequoijevoulaislasauver.Elles’estmiseàtremblerets’estécrouléesurlesol.Jen’enrevenaispas:elles’étaitévanouie.Àlahâte,j’aiouvertlaportearrière,jel’aisoulevéeetjel’aidéposéeàl’intérieur.
Unefoisarrivés,j’aiportésoncorpslégeretjel’aiallongéesurlecanapé.Elle était revenue à elle quand je descendais les escaliers et s’était mise àpleurer. Elle examinait la pièce, sous le choc. Malgré ses larmes, sestremblementsetlemaquillagequiruisselaitsursonvisage,elleétaittoujourstrèsbelle.—Violette?— P… Pas Vi… Violette. Je ne suis pas… a-t-elle bégayé en tentant de
reprendresonsouffle.—Jet’enprie,arrêtedepleurer,Violette.Calme-toi.Toutvabiensepasser.Elle a pris quelques profondes inspirations pour se calmer. Elle laissait
encoreéchapperdetempsentempsunsanglotquimetransperçaitcommeunelame de couteau. Les femmes fortes ne pleurent pas. Maman n’avait jamais
pleuré.—Qu’est-cequevousvoulez?a-t-ellemurmuré.—Unefamille.Elleatressailli.—Jeneporteraipasvotrebébé!—Unbébé?Jen’aijamaisditquej’envoulais.Est-ce que j’avais envie d’un enfant ? Non. Certainement pas maintenant,
avecquelqu’unquejeconnaissaisàpeine.—Violette,jeneveuxpasd’enfants.Unefamille,cen’estpasforcémentune
descendance.Jeveuxquenousformionsunefamilletouslescinq.Jeveilleraisurvouset,enretour,vousveillerezsurmoi.C’estainsiquefonctionnentlesfamilles.—Quoi?Cinq?Quisontcescinqpersonnes?— Un peu de patience, ça viendra. En attendant, mets-toi à l’aise. J’ai
construitcelieupourtoi,pourvoustoutes.Violette,tunedoispasavoirpeurdemoi,jeveuxjustet’aider,prendresoindetoi.—Pourquoiest-cequevousn’arrêtezpasdem’appelercommeça?J’aifroncélessourcils.—Tuparlesdetonprénom?—Oui.—Parcequec’estainsiquetut’appelles.Jeluiaisouri.—Bien.Jedescendraiprendrelepetitdéjeuneràhuitheuresdemainmatin,
puisledîneràdix-huitheurestrente.Malheureusement,montravailm’obligeàquitter la maison en semaine. Nous ne pourrons déjeuner ensemble que lesweek-ends.Violette m’a fixé, l’air de ne pas comprendre, la bouche grande ouverte,
d’unefaçontrèspeuféminine.—Nemeregardepascommeça,s’ilteplaît.Elleaserréleslèvres.—Pourquoivousfaitesunechosepareille?Jemesuis levéensoupirant.Quellepartiedemesexplicationsn’avaitpas
étéclaire?—Jeviensdetel’expliquer.Jevoudraisquenousformionsunefamilleetje
voudraisprotégermesprochesde…Jemesuisarrêtépourchercherlesmotsjustes,qu’ellecomprendrait.—…lacorruption,ladouleur,l’humiliation.—Oh,a-t-ellerépondu,àmagrandesurprise.Est-cequ’elleavaitcompris?
—Jeneressensriendetoutça,jeveuxjustem’enaller.—Violette,s’ilyabienunechosequejedéteste,c’estl’ingratitude.Elleadenouveauouvertgrandlaboucheethaussélessourcils.Elleavaitun
visagetrèsexpressif.—Bon,maintenant,jevaist’expliquercommentleschosesvontsepasser.Sesyeuxsesontagrandisetelleahochélatêted’unairhébété.—Bien.Jevaisprendresoindetoi.Jem’occuperaidetout.Enéchange,jete
demandedegardercetendroitpropreetrangéàtoutmoment.Jenetolèrepaslacrasseetledésordre:c’estdégoûtant.Elleacommencéàlarmoyer.—Tudoistedoucherdeuxfoisparjour:lesmicrobesserépandentvite,ai-
jepréciséenplissantlefront.—Oui,d’accord,a-t-ellemurmuré.—Je te fournirai tout ce dont tu as besoin : la nourriture, les produits de
toilette,ledivertissement.Nousformonsunefamille,Violette,et,bientôt,tuneserasplusseuleici.Ellearetenuunpetitcri.—Ahoui?— Oui. Je sais que ça fait beaucoup d’informations à digérer. Tout est
encore nouveau et exaltant.Nous aurons tous les deux besoin d’une périoded’adaptation,alorspendantquelquesjours,habitue-toisimplementàtonnouvelenvironnement.Noustesteronsnotreroutinelundi,d’accord?Jevoyaisbienqu’elleavaitencoreunmilliondequestionsàformuler,mais
cen’étaitpaslemoment.—Jetelaissetereposerett’installer.Oh,est-cequetuveuxquejetefasse
visiterleslieuxoutupeuxtedébrouiller?—Jemedébrouillerai,a-t-ellechuchoté,assisetouteraidesurlecanapé.—Trèsbien.Dans leur logement, il n’y avait que le séjour, la chambre commune, une
salle d’eau et notre chambre, dans un coin. C’était charmant, parfait pouraccueillirmesquatrefleurs.
SAMEDI12MARS2005
—Bonjour,Violette,ai-jelancéendescendantlesescaliers.J’avais l’estomac noué. Je voulais qu’elle aille bien et que tout se passe
commeprévu.Jeluiavaistoutexpliquélaveille,maisjen’étaispassûrqu’elle
ait tout compris. Elle était assise recroquevillée en boule dans le canapé.Çam’arappelélapositionqu’elleadoptaitquandellevivaitdanslarue.—Toutvabien?Ellea levé lesyeuxversmoietm’aregardébouchebéecommesi j’avais
deuxtêtes.—Çava,a-t-ellefiniparrépondre.J’aieuungrandsourire,lecœurgonflédejoie.Elleestàmoi.
SAMEDI31JUILLET2010
Jemesuisréveilléeavecunmaldecrâne,commesij’avaislagueuledebois.J’avaistellementpleuréquemagorgemebrûlait.Jesentaisencoresesmainsdansmescheveuxetçamedonnaitdesfrissonsdedégoût.Jenevoulaisplusjamaisqu’ilmetouche.Roseestvenues’asseoirsurmonlit.—Lilas,çava?Summer.J’aidécidédementir.—Oui.Elleahochélatêteetm’aadresséunsourirechaleureux.— Il faut que tu prennes ta douche. Trèfle descendra déjeuner dans une
demi-heure.Jedevraislelaissermetuer.Jemesuislevéeavecunsoupirdedésespoir.Jenevoulaispasabandonner.
J’étaisplus forteque ça.L’imagedes retrouvailles avecLewis etma famillemepermettaitdemecramponneràl’espoirdesortirunjour.Quoiqu’ilarrivedans ce sous-sol, je pourrais le surmonter parce que je finirais par sortir etrentrer chez moi. Fais comme si ça arrivait à quelqu’un d’autre. Tout ceciarriveàLilasetjenesuispasLilas.J’ai attrapé les fringues suspendues devantma garde-robe et je suis allée
danslasalled’eau.Unpantalonnoirlégèrementévasédanslebas,untopbleuclair avec un cardigan assorti : malgré la coupe plutôt moderne de cesvêtements, ilsmevieillissaient, j’avais l’aird’avoiraumoinsvingtans.Toutétaitaussitropgrandd’unetaille,maisc’étaitunebonnechose:masilhouetten’étaitpasdutoutmiseenvaleur.Jen’avaispasenviequ’ilmereluque.Après une douche rapide, jeme suis habillée et j’ai tenté deme préparer
mentalement à endosser mon rôle. Avant, je passais des heures sous le jet,maintenant,çaprenait rarementplusdecinqminutes.L’étapesuivanteétait lemaquillage léger pour paraître naturelle. En réalité, j’avais envie d’enappliquer des couches, juste pour le contrarier. Comment pouvait-il sepermettre de dictermon apparence ? Je ne laissaismême pasLewis décidercommentjemecoiffaisoumemaquillais.—Lilas,viens.Rosem’aappeléeàtraverslaporteferméeaumomentmêmeoùj’entendais
laserruredusous-solgrincer.Prisedepanique, je suis sortie pour rejoindre le séjour. Jenevoulais pas
qu’il me cherche, si je n’étais pas présente à son arrivée. Il a descendu lesescaliers d’un air sûr de lui. J’étais à chaque fois estomaquée de constater àquel point il avait l’air normal. Les gens comme lui n’étaient-ils pas censésressembler à des monstres ? Quelque chose dans son physique aurait dû letrahir–maisnon,ilétaitonnepeutplusordinaire.Ilnousasaluéesd’untonjoyeux:—Bonjour,lesfleurs.J’airéponduimmédiatement,enmêmetempsqueRoseetIris,pournepas
me faire remarquer. Il s’est installé à saplacehabituelle etm’a fait signedem’asseoirenfacedelui.J’aiobéienretenantmonsouffle.Est-ce qu’on pouvait soupçonner que quelque chose clochait chez lui ?
Quelqu’un devait bien avoir remarqué un truc. D’après ce que je savais, ilvivaitseul.Est-cequedesgenstrouvaientçabizarre?Untyped’unetrentained’annéesplutôtasocialquivitseul?J’aipriépourquequelqu’unremarqueceque cachait son numéro de parfait gentleman et que ça suffise à alerter lapolice.—Çaal’airincroyablementbon,a-t-ildécrétéensouriantàRose.C’étaientjustedesœufsbrouilléssurdupaingrillé,putain!—Aujourd’hui,jevaisallervousacheterdenouveauxvêtements.Que cet adulte réservé débarque seul dans une boutique de prêt-à-porter
pour femmes et en ressorte les bras chargés de fringues devait intriguer. Àmoinsqu’onneleprennepourunmecquijouelestravestis.Aprèstout,cetteversionétaitplusfacileàimaginerquelaterribleréalité.—C’esttrèsgentil,merci,aréponduIris.Il s’est tourné vers moi et j’ai souri, en espérant que ça ait l’air plus ou
moinssincèreetqueçaneressemblepasàunegrimace.—J’espèrequeçavousplaira.Roseasouridetoutessesdents.—Jesuissûrequenoustrouveronstoutesçatrèsbien.
Peuprobable.— Bon ! Ce que vous portez en ce moment est très bien, mais si vous
emballeztouslesautresvêtementsdansunsac,jelesemporteraiàmonretourcesoir.Préparezledînerpourvingtheures,s’ilvousplaît.Lesilenceestrevenu,cequisemblaitconveniràtoutlemonde.Jemesuis
forcéeà avalerquelquesbouchéesd’œufet j’aigrignotéma tranchedepaingrillé.IlneregardaitpasRosedelamêmefaçonqu’Iris;ilyavaitautrechose.S’il
n’avait pas l’air si glacial et mort à l’intérieur, j’aurais presque cru qu’ill’aimaitvraiment.Pourquoielle?—Est-cequetucroisquetupourraisnousrapporterdenouveauxmascaras
aussi,s’ilteplaît?luiademandéRose.J’aifailliéclaterderire,mêmesilasituationn’avaitriendedrôle.Quand leurs assiettes ont été vides et que jeme suis écartée de la table, il
s’estlevé.—Jevousdonneraiégalementlejournaltoutàl’heure.Un journal ! Pourvu queLewis soit dedans.Ou quelqu’un d’autre. J’avais
simplementenviedevoirunepersonnequej’aimais.AprèsavoirembrasséRoseet Irissur la joue, ils’estapprochédemoi.Je
mesuisfigéeetmarespirations’estcoupée.Qu’est-cequ’ilfait?Ils’estpostéjuste devantmoi. Jeme suismordu la langue. Il s’est penché et a collé seslèvressurmajoue.Tousmesmusclessesontraidiset j’airetenuunhaut-le-cœur.J’avaisenviedehurler.Uninstantplustard,ils’estécarté,puiséloigné.Dèsquejemesuisretrouvéehorsdesavue,j’aicourudanslasalled’eau.
Mes poils étaient hérissés de dégoût, je me sentais sale et nauséeuse. J’aisoulevélalunettedestoilettesetj’aivomi.Irisestvenues’agenouillerprèsdemoi.—Lilas.Çavaaller.Calme-toi,ilfautquetusoisforte.Jeme suis affalée contre lemur et j’ai éclaté en sanglots. Jevoulais juste
rentreràlamaison.—Je…jeneveuxpasqu’ilmetouche,ai-jebalbutié.Jedevaisl’empêcherdemettresessalespattessurmoi.—Chuuut,a-t-ellemurmuréafindem’apaiserenmetendantunmouchoir
pourquejem’essuielesyeux.Moinonplusjen’enaipasenvie,maisilfautcequ’ilfaut…C’étaittout?Ilfautcequ’ilfaut?Ilpouvaitfairecequ’ilvoulait?—C’est provisoire, j’espère. Jusqu’à ce qu’on nous trouve. Tiens bon, je
t’enprie.J’espère n’était pas suffisant, mais nous n’avions que l’espoir pour nous
aideràtenir.J’aihochélatêteetjemesuisrelevée.Ressaisis-toi.—D’accord.Irisa souriet indiqué laported’unmouvementdumenton,pourque je la
suive.J’aiprisuneprofondeinspiration,jemesuisencouragéeintérieurementetsuissortiedelasalled’eau.—Onregardeunfilm?—Roseetmoi,onavaitl’intentiondelire,maistupeuxregarderunDVDsi
tuveux.J’aisecouélatête.—Jevaislireaussi.Meperdredansunautreuniversétait tentant…quecesoitavecunfilmou
unlivre.J’aichoisileplusgrosouvragedelabibliothèqueetjemesuisassise.Jen’avaisencore luquequelqueschapitresquandRoseaposé son romanets’estlevée.Elles’estdirigéeverslacuisineetaenfilédesgantsencaoutchouc.Jemesuisinterrompuedansmalecturepourlaregarder.Lessurfacesétaientdéjà impeccables : en comparaison, une salle d’opération ressemblait à unedécharge publique. Iris ne nettoyait pas aussi souvent que Rose. Je n’avaisd’ailleurs pas l’impression que Rose le faisait uniquement pour éviter queTrèfle nepète un câble.Elle était aussimaniaqueque lui.Elle a vaporisé duproduitsurlecomptoiretafrottéaveclechiffonendécrivantdesmouvementscirculaires.Cen’étaitpourtantpassale!L’odeurpuissantedecitronaenvahilapièce.J’ai jeté unœil autourdemoi et jeme suis rendu compteque la propreté
n’étaitpassaseuleobsession.Danslabibliothèqueentrelachambreetlasalled’eau, les livres et lesDVD étaient classés par ordre alphabétique. Tous lesobjetsposéssurlesétagèresaupieddel’escalierétaientdisposésàintervallerégulier.Est-cequeTrèfleallaitjusqu’àmesurerl’espaceentredeuxchoses?PersonnenepouvaitavoirdetelsTOC.J’aitournélatêteverslacuisineetj’aiconstatéquetoutyétaitalignédela
même manière. Malade ! Deux des vases contenaient des roses et des irisflétris.Seullebouquetdelilasétaitrestéfrais.Quelétaitl’intérêtdegarderdesbouquetsdansunsous-soloùilsfanaientsivite?Quellesdépensesinutiles!Lewismerapportaitdes tournesols–parcequ’ilpensaitàmoiquandilen
voyait, apparemment –, mais c’était en général pour se faire pardonner.J’auraisdonnén’importequoipourêtreà lamaisonetadmirer les fleursdeLewisaulieudecroupirdanscetteprisonavecdeslilas.—Bien,aconcluRoseenrangeantsoigneusementlesgantsdecuisinedans
unplacard.Maintenant,nousdevonssortirnosvêtementsdenosgarde-robes.Trèfleademandéquenouslesayonstousplacésdansunsacavantsonretour.
Ilallaitnousdonnerdenouvellestenues.Aumoins,ceneserapasdestrucsportésparunedesesvictimes.Roseabrandideuxsacs-poubellenoirsavecunlarge sourire, commesi le tri était uneactivité super sympaqu’elle attendaitavecimpatience.—Allez,venez.Jelesaisuiviesàcontrecœurdanslachambreetj’aiouvertmagarde-robe.
Roseasecouélessacsetlesaposésaumilieudelapièce.Nousmanquionsdeplace:l’espaceentreleslitsétaitjusteassezlargepouruneseulepersonneàlafois.—Ondoittoutjeter?ai-jedemandé.—Tout,aconfirméRose.JemechargeaussidesaffairesdeViolette.Nous avons empaqueté les habits en silence. Rose et Iris ont échangé
quelquesregardsentendusquejen’aipascompris.J’aifroncélessourcils.—Pourquoiest-cequ’ilfaitça?—Jenesaispas,Lilas,acommentéRose.—Summer!Rose a soupiré en secouant la tête. C’était peut-être plus facile pour elle
d’accepter cette situation parce qu’elle avait coupé les liens avec sa familledepuisplusieurs années,mais cen’était pasmoncas. J’adoraismesproches,mêmes’ilsmerendaientdingue.Jenepouvaispasmerésoudreànejamaislesrevoir.— Ton prénom, c’est Lilas désormais, a-t-elle décrété avec un air dur et
sévère.Jel’aifusilléeduregard.Peut-êtrequetucèdesàcemalademental,maisje
ne le ferai jamais !Nousnous sommesdévisagées.Aucunedenousdeuxnevoulait baisser les yeux. Iris se concentrait sur les vêtements à sortir. Ellen’étaitpasaussidérangéequeRose.J’étaissûrequesil’opportunitédes’enfuirseprésentait,ellelasaisirait.Roseafiniparsoupirer.—Terminonsceci.Jevaisdéjàemporterlepremiersac.Elle a pris le paquet qu’Iris avait ficelé et a quitté la chambre.N’importe
quoi.—C’estquoisonproblème?Irisahaussélesépaules.—Troisansd’enfermementdanscettecave,c’estlong.Troisminutesc’étaitdéjàtroplong.—Ilfautqu’onseserrelescoudes.Ce n’était pas la première fois qu’elle disait ça. Je me demandais si elle
répétaitlaformulepourtenterdeseconvaincre.
Enquoiseserrerlescoudesnousaiderait-il?Celanouspermettraitdenousretrouvercheznousparmagie?Laréalitém’afrappéedurement.Non.Elleneparlait pas d’évasion… juste de survie. Nous n’étions pas sur la mêmelongueurd’onde.Ceconstatm’afendulecœur.J’ai fourré les derniers vêtementsdemagarde-robedansunnouveau sac,
sansménagement.C’étaitidiot;nousétionstroiscontreun.Nouspouvionslefrapper sur la tête avec un objet lourd : une chaise, la télé, n’importe quoi.Hélas,seule,jen’arriveraisàrien.J’aisoulevélelourdsacnoiretjel’aiportéjusqu’auséjouroùjel’aiposéà
côté de l’autre. Ces deux sacs-poubelle contenaient tous les habits que nouspossédions :principalement les tenuesde fillesmortesavantmonarrivée. Jemesuisimmobilisée.Oùétaientmesaffaires?Jenem’étaispasencoreposélaquestion.Est-cequ’illesavaitemportées?Est-cequeçaavaituneimportance?—Beautravail,lesfilles,nousafélicitéesRose.Jevaistricoter.Quelqu’un
veutsejoindreàmoi?Irisaacquiescé.—Lilas?—Jenesaispastricoter.J’aiseizeans,passoixante!—Cen’estpasunproblème,onpeut t’apprendre. Iris,donnedesaiguilles
enplastiqueàLilasetonvas’ymettretoutdesuite.J’aifermélespaupièresetinspiréàfond.Nepleurepas.—Quelestl’intérêtdetricoter?Jen’avaisrienvudetricotédanslesous-sol:qu’est-cequ’ellesfaisaientde
cequ’ellesavaientréalisé?—Nousnetricotonspaspournous,maispourd’autres.—Quoi?—Trèflefaitdondenosouvragesàdesœuvres.Ouc’estcequ’ilvousraconte.Siçasetrouve,ilbrûletout.—Çan’éveillepaslessoupçons,unhommedesonâgequioffredeshabits
tricotésmain?Roseaplissélefront.— Je ne crois pas. De toute façon, il met tout dans des sacs avant de le
donnerauxœuvresdecharité.Ainsipersonnenelevoyait.Ilposaitlesacdevantchezluietlesbénévoles
passaientrécolterlesdons.Ilétaitmalin,cetaré.LaleçondetricotdeRoseaduréuneheureetétaitbeaucouptropdétaillée.
C’était ennuyeux comme la pluie.Mais j’étais tellement nulle que je devaisconcentrer toute mon attention sur chaque geste. Du coup, j’ai eu l’esprit
ailleurspendantunbonmoment.C’étaitsansdoutepourcetteraisonqu’ellespratiquaient le tricot : pour oublier ce qui se passait vraiment. C’était unequestiondesurvie.
Nousvenionsdeterminerlapréparationdudînerquandlacléatournédansla serrure. J’ai pâli et ma tête s’est mise à tourner. Il arrivait. Est-ce qu’ilapportait un journal ? Pourvu que la presse ait publié une photo demoi encompagniedequelqu’und’autre.Peuimportequi:j’avaisjustebesoindevoirunedespersonnesquej’aimais.Iladescendulesmarchesennousregardant.—Bonsoir,lesfleurs.J’aifaitunpasenarrièreendéglutissant.Moncœurs’estmisàbattreàtoute
vitesse.—Voicivosnouveauxvêtements.Ilaplacéaumoinsunedizainedesacsàcôtédenosdeuxpoubellesetnous
asouri.—Vousaveztoutemballé,jevois.Trèsbien.RoseetIrissesontapprochées,toutsourires.Ellesavaientl’airréellement
excitées.Faiscommeelles. J’ai effectué unpetit pas dans lamêmedirection,pour faire semblant dem’intéresser aux achats, tout en vérifiant la positionexactedeTrèfledans lacave.Leséjourétait troppetitpourquejesoisaussiloindeluiquejel’auraisvoulu.—J’aimeraisquevousenfiliezvosnouvellestenuesetquevousmedonniez
cellesquevousavezsurvous.Tout de suite ? Je n’avais aucune envie de découvrir ce qu’il voulait que
nousportions.Aumoins,ceneserait riendecourtoudedégradant.Dans lesens sexuel du terme, dumoins – tout ce que nous devions porter pour luiplaireétaitdégradant.Rose a hoché la tête. Elle était obéissante,mais j’avais vu ce dont il était
capablequandonn’obtempéraitpas.—D’accord,a-t-elledéclaréenluiprenantlesaffairesdesmains.Venez,les
filles.Je me suis dirigée vers la chambre, encore sous le choc. Nous allions
vraiment nous exécuter ? Rose a renversé les sacs et quatre tenues en sonttombées,parfaitementidentiques.Unpantalongrischic,uncaracorosepoudré
pasdutoutdécolletéetuncardiganassorti.Legenredevêtementsqu’onportepourallertravailler.—C’esttouslesmêmes,aconstatéIrisenenfonçantuneporteouverte.C’étaitçasonfantasme:quenoussoyonstoutesidentiques?— Changeons-nous vite, a suggéré Rose. Il n’y a qu’une taille, prenez
n’importelesquels.J’aichoisiunensembleet j’ai jetéunœilà l’étiquette.Taille38.Pourquoi
est-ce qu’il n’achetait pas la taille qui nous correspondait ? Est-ce qu’ilimaginaitquenousavionstouteslemêmeformat?—Vous êtes splendides, les filles, a-t-il conclu en souriant dès que nous
sommesrevenuesdansleséjour.Taré,taré,taré!Rosesemblaitravie.—Merci,Trèfle,etmercipourlesvêtements.J’avaisenviedelasecouer.Soitelleavaitbesoind’urgenced’untraitement
psychiatriquesoitelleméritaitunoscar.Trèfles’estapproché,asoulevélamaindeRoseetyaposéunbaiser:—Avecgrandplaisir.Mon estomac s’est soulevé pour elle, mais elle n’a pas tressailli. Il s’est
tournéversmoi.—Net’enfaispas,Lilas,nousramèneronsbientôttonpoidsàlanormale.Àlanormale.J’aiserrélamâchoireetjemesuisforcéeàsourire.Iln’était
pasquestionquejeprennedeskilosetsurtoutpaspourlui.S’ilvoulaitmevoirplusgrosse,jeferaistoutpourmaigrir.—EtIris,tuesincroyableaussi.Elleainclinélatête.—Merci.Ilafrappédanssesmains,l’airtrèscontentdelui.—Bon,sionpassaitàtable?
J’aipoussé la stupideaiguilledans le stupide trou– jene savaisplusqueltermeRoseutilisaitexactement–ettouts’estdétricoté…unefoisdeplus!Jevoulaisunedistraction,pasunpasse-tempsquimedonnaitenviedemependre.—Jelaissetomber,ai-jegrondéenjetantmontricotparterre.—Tuyarriveras,Lilas,m’aencouragéeRoseenriant.
—Jeneveuxpasyarriver.Je.Veux.Rentrer.Chez.Moi!RosearegardéIris.—Jecroisqu’onferaitmieuxdeleluidonner.—Medonnerquoi?mesuis-jeénervée.—Trèfleaachetélejournal.Ilétaitdansundessacs.Onnevoulaitpastele
donnertoutàl’heureparcequetuétaisbouleversée,m’aexpliquéIris.Onnevoulaitpasaggraverleschoses.Jemesuispenchéeenavant,lesyeuxécarquillés.—Oùest-il?—Jevaislechercher.Irisafilédanslachambreetestrevenueavecunquotidiennational.—Voilà.Je le lui ai pris desmains et l’ai tournépour voir la première page.Mon
cœur a cessé de battre. Lewis ! C’était une photo de nous deux, prise l’étépassé,quandnousétionsallésauparcd’attractionsd’AltonTowers.Letitreetl’articlesesontbrouillés,jenevoyaisplusquelevisagedeLewis.Ilsemblaitsiheureux,sonimmensesourireilluminaitsesyeux.Undesesbrasceinturaitmes épaules et sa tête était penchée vers lamienne. Tout à coup, porter desvêtementschoisisparunpsychopathenem’aplusautantdérangée.Jepouvaislesupporter,siçasignifiaitquej’avaisunechancederevoirLewis.J’étaistellementabsorbéeparlejournalquejen’aipasremarquéleretour
denotreravisseuravantd’entendreunhurlementstrident.J’aibondietj’ailevéles yeux. Il poussait une fille dans l’escalier. Elle est tombée au milieu desmarchesetaatterriens’étalant.J’aiserrélejournalcontremapoitrine.Ils’estpenchésurlecorpsmaigrelet.—Saleté,a-t-ilcraché.Salepute!CommequandilavaittraitéViolettedemerde.Puten’étaitpassongenrede
mot. C’était aussi incongru que d’entendre un enfant de dix ans dire qu’unefilleestsexy.Ilaattrapélamalheureuseparlescheveuxpourlasouleversansménagement. Elle a poussé un cri en portant la main à ses longuesmèchesnoires.—Laissez-moipartir.Jevousenprie, laissez-moipartir, l’a-t-ellesupplié,
secouéepardeviolentssanglots.—Laferme,a-t-ilhurléenlajetantcontrelemur.Salepute,a-t-ilrépété.Moncœurbattaitàserompre.—Iris,ai-jegémienmeréfugiantcontreelle.Jemesentaispresqueensécurité.Çamerappelaitquandj’étaispetiteetque
jemeblottissaiscontremamèrependantlefeud’artifice.—Chuuut,a-t-ellemurmuré.
Ilacollél’inconnuecontrelemuretelleapousséuncridedouleur.—Non!Parpitié.—Laferme!Laferme!Elle s’estmiseàpleurerdeplusbelleet a tourné la tête sur lecôtéquand
Trèfles’estpenchéverselle.—Lesgenscommetoimedégoûtent.—Jevousenprie,laissez-moipartir,jenedirairien.Les larmes dévalaient le long de son visage, emportant avec elles le
maquillagequiformaitdelargestraînéessombres.—Tuesrépugnante.Vousêtestoutesrépugnantes.—Je…jesuisdésolée.Laissez-moipartir,s’ilvousplaît.Ilasecouélatêteetasortiuncouteaudesapoche.J’aiétoufféuncri.J’ai contemplé la scène, horrifiée, incapable de détourner le regard. La
prostituée–puisquecedevaitenêtreune–implorait,impuissante.—Non,pitié!J’aivouluintervenir,maisIrism’aretenue.—Non,a-t-ellesiffléentresesdents.Trèfleatiréànouveausavictimeparlescheveux.Elleatentédesedébattre
en criant. Comme avecViolette, sans lamoindre hésitation, il a plongé sonarmedans l’estomacde lapauvre fille. J’aiétéprised’unhaut-le-cœuralorsqu’ellelaissaitéchapperunhurlementbestial.J’aifermélespaupièresetjemesuisrecroquevilléederrièreIris.Tous les sons semblaient amplifiés : la respiration haletante de Trèfle, la
jeunefemmequiétouffait.Auboutdequelquessecondes,ellen’aplusémislemoindre bruit. Elle s’est écroulée sur le sol et on n’a plus entendu que lesoufflecourtdeTrèfle.Ill’avaittuée.Jen’osaispasrouvrirlesyeux.J’avaistroppeurdecequejeverrais.—Nettoyez-moiçatoutdesuite.Savoixempliedecolèrem’afaittrembler.Ilnoustraitaitcommesic’était
nousquil’avionspoignardée.Iris a bondi, ce quim’a fait tituber et relever les paupières. J’ai vuTrèfle
remonterlesescaliersencourantetclaquerlaportederrièrelui.J’aibaisséleregard tout doucement et j’ai dûme retenir devomir. Je tremblais depeur ;RoseetIrisétaientdéjàoccupéesàrassemblerlesproduitsdenettoyage.Ellessesontmisesautravail.J’auraisvouluêtredansleurstêtes.Ellesnelaissaientrienentrevoirdeleursémotions.Était-ceplusfacilecettefoisparcequ’ellesneconnaissaientpaslavictime?Elles formaient un véritable tourbillon. Rose passait la brosse avec une
efficacité redoutable, les lèvres serrées par la concentration. Iris était plusréservée.Mêmesielleétaittoutàsatâche,ellesemblaitunpeuplusébranlée.Peut-êtretriste,même.Nousneconnaissionspaslenomdecettepauvrefille.Avait-elle une famille ?Des enfants ? C’était une personne, une vie, dont ils’étaitemparécommesicen’étaitrien.Jemesuisretournéelentementetmesuisenferméedanslachambre.Jene
voulais pas être présente quand il reviendrait chercher le corps ni regarderRoseetIrisagircommes’ilnes’étaitrienpassé.Jemesuislaisséetombersurmonlitetj’aipleuré,levisagedansl’oreiller.
VENDREDI15JUILLET2005
—Bonjour,Violette,j’aideschosesàt’annoncer,ai-jedéclaréendescendantlesescaliers.C’étaituneexcellentenouvelle.Jen’aimaispasquenousnesoyonsquedeux
àtable.Cen’étaitpaséquilibré.Ilrestaittroisplacesvides.J’avaisbienramenéIrisdeuxjoursplus tôt,mais jenel’avaispasrevuedepuis.Elleavaitbesoind’un petit temps d’adaptation ; Violette l’aidait à s’acclimater et j’étaisconvaincuqu’elleseraitparfaitebientôt.Mêmesijemouraisd’enviequ’ellesejoigne à nous, je pouvais lui accorder quelques jours. J’attendais depuis silongtemps…Violettealevélesyeuxducomptoiroùelles’affairaitàbattredesœufs.—Dequois’agit-il,Trèfle?—D’unesurprise.Tulesaurasbientôt,peut-êtredansunjouroudeux.Violetteétaitunejeunefemmeintelligente.Elledevaitavoirdevinéquema
surpriseétaitunnouveaumembredelafamille.—Qu’ya-t-ilpourlepetitdéjeuner?ai-jedemandé.Desœufsbrouilléssur
dupaingrillé?—Oh,d’accord.Oui,desœufsbrouillés.J’aisouri.—C’estundemesplatspréférés.—Tusaiscuisiner?—Oui,mamanm’aappris.Jemesuismaudit intérieurementde luiavoir livré tropd’informations.Je
nevoulais jamaisparlerdemamandevantmanouvelle famille.Jesouhaitaisquecettepartiedemaviesoitséparéedureste.—Quandest-cequeceseraprêt?—Danscinqminutes.Nousn’avonsplusbeaucoupdeprovisions.
—Lalivraisonalieucesoir.Jevousapporterailescourses.—Merci.Jemesuisinstalléàtableenjetantunœilauxsiègesvides.Mesdoigtsont
tambouriné la surface en bois, comme s’ils avaient une vie propre. J’étaisnerveux et angoissé. Le processus n’aurait pas dû prendre autant de temps ;notre famille aurait déjà dû être complète. J’avais beau avoir de l’affectionpourViolette, jenesupportaispas l’idéequ’onpasse tropde tempsen têteàtêtetouslesdeux.Elles’estassiseenplaçantlesassiettessurlatable.—Merci,Violette.Est-cequejepeuxteposerunequestion?—Biensûr.—Est-cequetutesensseule?Elleabaissélesyeux,confirmantmessoupçons.—Violette,réponds-moi,s’ilteplaît.Jen’aimepasquandtumecachesdes
choses.—Oui,jemesensseule.Jesuisdésolée.—C’estbiencequejepensais.Tun’aspasàt’excuser.J’avaisdumalàcontenirmonexcitationàl’idéederamenerRoseetLilas.
Quatrebellesfleurspures.—Irisn’estpasdebonnecompagnie?Violetteaparuaffolée.—Si,c’estjustequ’illuifautunpeudetempspours’habituer.Toutiratrès
bien,jetelepromets.—Oh,j’ensuissûr.C’estnaturelqu’elleressentedel’appréhension:c’estsi
nouveaupourelle.Est-cequ’elleseremetbiendesesblessures?—Oui.Elleaencoredesdouleursàlatête,alorsjelalaissedormir.—C’estcequejepensais.J’aibuunegorgéedejusd’orange.—Quelest tonprogrammepour la journée? Jen’aipasoublié les livres
quetum’asdemandés.Labibliothèqueserapleine,trèsbientôt.—Merci.Jecomptaislire.Elleapoussésesœufsavecsafourchette.—Trèfle?—Oui?Elles’estmordunerveusementlalèvre.—Avant,jetricotaisetjemedemandaissituaccepteraisdemeprocurerdes
aiguillesetdelalaine.—Tusaistricoter?Je savais que ma grand-mère était douée pour ça, mais maman n’avait
jamaispratiquécetart.Dumoins,jenem’ensouvenaispas.— Oui, ma grand-mère m’a appris quand j’étais petite. Je faisais des
cardigans,desécharpes,desgants,deschaussettes…N’importequoi,en fait.Tricoterdétendetj’aimebienfabriquerdeschosesuniques.Iln’yaplusassezd’objetsfabriquésàlamaindanslemonde.Toutestproduitindustriellement,aujourd’hui.J’aisouri.— Tu as raison, il en faudrait plus. Je ne sais pas ce que je dois acheter
exactement.Tupourraispeut-êtredresseruneliste?Sesyeuxsesontéclairés,cequiafaitbondirmoncœurdejoie.—Biensûr.Merci.Jetetricoteraiunbonnetpourl’hiver.—Ceseraitformidable,Violette,merci.Jedoispartiràmontravail.Qu’est-
cequ’ilyaurapourledînercesoir?—Deslasagnesetdelasalade.Çateconvient?—C’estparfait.J’aifaitletourdelatablepourdéposerunbaisersursajoue.—Mercipourlepetitdéjeuner.Passeunebonnejournéeàlire.—Derienetpasseunebonnejournéeautravail,m’a-t-elleréponduavecun
grandsourire.J’aiacquiescéetj’aiquittélapièce.
SAMEDI16JUILLET2005
Jemesuisgarédanslepetitparkingderrièrelesespacesdestockageàloueret j’aiexaminél’autrecôtédelarue.Oùsont-elles? J’ai froncé lessourcils.Avais-jelaisséfilermachance?J’espéraisnepasavoirratéRoseetLilasparmanquederapidité,maisplustôtn’auraitpasencoreétélemoment.—Allez,ai-jemurmuré.J’avais le cœur lourd. C’était horrible de penser qu’elles étaient seules
dehors,alorsquejepossédaisunemaisonoùellespourraientvivreensécuritéetunefamillequin’attendaitqu’elles.Quelqu’unestvenuseposterdansmonchampdevisionetafrappéàmafenêtre.J’ai eu un sursaut de surprise et ai baissé la vitre. Une jeune femme très
légèrementvêtues’estpenchée.—Jepeuxvousaider?ai-jelancéd’untonsecdèsquej’aidevinécequ’elle
faisaitlà.Ellem’asourieninclinantlatêtesurlecôté.
—Tuveuxqu’onfasseuntour?Çam’arendumaladequ’elleimaginequejevoulaisavoiraffaireàelleouà
unedesescollègues.Desimagesdecettefemmeavecmonpèreontdéfilédansmonesprit.Salepute.—Jesuismarié,ai-jementipourtestersonsensdelamorale.Elleahaussélesépaules.—Etalors?Etalors?Meslèvresontfrémi,jebouillonnaisderage.—Montez.Ellen’apashésitéuninstant,malgrémaréactionpeuenthousiaste.Elleafait
le tourde lavoiturepourvenir s’installer sur le siègepassager.Sonparfumbonmarchém’asoulevél’estomac.—Leboisn’estpasloin,ilsuffitdeprendreàgaucheaucarrefour.J’aiserrélevolant.—Jeconnaisunendroit.Enroulantversmamaison,jepensaisàmaman.Serait-ellefièrequejen’aie
pas laissé tomber ? Depuis samort, j’étaismoins dévoué à sa cause que jen’aurais dû l’être. Je n’en avais plus vraiment envie ; le temps était venu defonderunefamilleetderepartirdezéro.Mêmesicelapouvaitsemblerégoïstedemapart,j’étaismalheureuxd’êtreseuletjevoulaisunefamilleàtoutprix.Et pourtant, la réactionquedes femmesde cegenreprovoquait enmoi étaitinévitable.Jedevaisréglerceproblème,c’étaitplusfortquemoi.Dixminutesplustard,jemerangeaisdansmonalléeetjecoupaislemoteur.
J’avaisl’estomacnouéetlecœurbattant.Jenem’attendaispasàrevenirsivite.Mavieavaitchangé,maisjen’étaispasnaïfaupointdecroirequejepouvaistournerledosàtoutcequemamanetmoiavionsconstruit.Pourtant,jevoulaisaussicréerunefamillequin’appartiennequ’àmoi.—Onestcheztoi?—Oui.Elles’estmiseàglousser.—Petitcoquin.Ilyaunsupplémentpourça,tusais?Jesuissortisansluiprêterattention.N’avait-elleaucunamour-propre?Elle
avait dû le perdre. Jeme suis demandé à quel âge elle avait commencé à seprostituer.Deplusenplusd’adolescentesdevenaientdepetites traînées.Riend’étonnant à ce que certaines perdent leur sensmoral : ilmourait avec leurinnocence.Jel’aiconduiteàl’intérieur,j’aifaitcoulisserlabibliothèqueetj’aiouvert
laportedusous-sol.—Waouh,t’ascarrémentunesalledebaiselàenbas?BDSM?
Jel’aiànouveauignorée.D’ungeste,jel’aipriéedepasserlapremièreetelles’estengagéedansl’escaliersanshésitation.Arrivéeaubasdesmarches,elleavulesfilles.—Qu’est-ceque…?—Mets-toicontrelemur,luiai-jeordonné.Elleareculéets’estexécutée.—Qu’est-cequetuvasfaire?Etquisontcesfilles?Jenefaispascegenre
detrucs.—Cen’estpastoiquiposeslesquestions.Fermelesyeux.Toutdesuite!—Non.Écoute,jeveuxjustemebarrer,d’accord?Jeneparleraiàpersonne
decequisepasseici;c’estpasmesoignons.—Ferme.Les.Yeux.Àmagrandesurprise,elleaobéi.—Adieu,ai-jemurmuréensortantmoncouteaudemapoche.Ellearouvertlespaupières,j’aibondisurelleenplongeantlalamedansses
entrailles.Uncriperçantaenvahilapièce.C’étaitunedesfillesquihurlait.Jen’aipas
détourné le regard de la pute. Elle s’est écroulée sur le sol. J’ai poussé unsoupirdesoulagementetjemesuisretournéverslesautres.—C’estfait.C’estterminé.Moncorpss’estdétendu.Violettemefixaitd’unairépouvanté.—Qu’est-cequetuasfait?—Cequejedevaisfaire.Netetracassepas,Violette,c’estfinimaintenant.
Ellenepourraplusjamaisfairedemalàpersonne.Jeluiairéglésoncompte.Jem’enchargeraitoujours.C’étaitplusfortquemoi.—M…Mais,Trèfle,c’estmal,amurmuréViolette.Sesyeuxétaienthorrifiésetsesmainstremblaient.Mal,ai-jerépétédansma
tête.Non,c’estcequelaputefaitquiestmal.Moijel’avaisempêchéedenuire.Désormais,aucunenfantneperdraitsafamilleàcaused’elle.Moncœurbattaitàcentàl’heure.Commentpouvait-ellem’accuserd’avoir
faitquelquechosedemal?J’aiserrélespoingssansm’enrendrecompte.J’airespiré à fondpour évacuerma colère.Elle ne comprendpas ce que je fais,c’esttout.—Violette,tunecomprendspas.— Non, a-t-elle répondu en secouant lentement la tête, je ne comprends
vraimentpas.—Jen’airienfaitdemal.Tusaiscequ’elleest,non?
Violette a acquiescé pour signifier qu’elle savait qu’il s’agissait d’uneprostituée.— Bien. Tu trouves qu’elle et ses semblables devraient être autorisées à
déchirer des familles ? À s’habiller comme des traînées et à se donner àn’importequicontredel’argent.Tutrouvesçabien,Violette?—Non.Unelarmeacoulélelongdesajoue.Ellecommençaitàcomprendre.—Exactement,c’estmal.Iris?Jemesuistournéverselle.Elleétaitfigéesurlecanapé,toutetremblante.—Tupensesqu’ellesdevraientresterimpunies?Aprèstout,lapolicenefait
rienpourlesempêcherdemeneràbienleurtraficsordide.Irisasecouélatête.Elleétaittouteraide,avaitlabouchegrandeouverteet
lesyeuxcommedessoucoupes.J’aisouri.—Vousvoyez, jenefaisqueredresseruntort.Maintenant, ilfautnettoyer
toutça.—Nettoyer?acouinéViolette.—Oui.Remplisunseaud’eauchaudesavonneuse,vachercherdelaJavelet
dessacs-poubelle.NiVioletteniIrisn’ontbougé.—Toutedesuite!ai-jeordonnésèchement.Ilyavaitencorequelqueshoussesmortuairesdansleplacardsousl’évier.Je
n’enavaisplusachetédepuislamortdemaman,maisj’allaisdevoirlefaire.J’aitenduunehousseàViolette.ElleétaitdéjàautravailavecIris.J’aicollé
monpoingcontremabouche.—Fourrez-lalà-dedans,ai-jemurmurécontremamainserrée.Dusangs’écoulaitdesablessureauventre,çamerévulsait.Marespiration
s’est accélérée et j’ai été parcourude frissons de dégoût. Jeme sentais sale,commesilesmicrobesdelaputemontaientàl’assautdemoncorps.J’aiquittélesous-solencourant,j’aiverrouillélaporte,j’aifoncésousla
douchetouthabilléetaitournélerobinet.J’aienlevémesvêtementstrempés,j’ai pris l’éponge et je me suis frotté jusqu’à ce que ma peau soit rouged’irritation.
DIMANCHE17JUILLET2005
J’aigaré lavoitureaumêmeemplacementque laveilleet jesuissorti.Ce
soir, elles étaient là, serrées l’une contre l’autre sur un banc. J’ai fermé lespaupièresetpousséunprofondsoupirdebonheur.Ellesétaientsibellestouteslesdeux.Lilasavaitdelongscheveuxblondclair,quiressemblaientàunvoiledoré.
Rose était l’opposé exact avec des cheveux noir de jais qui descendaientjusqu’àsesépaules.L’unen’étaitpasplusséduisantequel’autre;ellesétaientparfaites.Jemesuisapproché,endissimulantmalmajoie.—Bonjour,mesdemoiselles.Ellesontsursauté,surprises.—Désolé,jenevoulaispasvousfairepeur.—Cen’estrien,onnevousavaitpasvuvenir,aréponduRose.—Oùallez-vous?—Heu…Lilasahésité.—Nousessayonsd’arriveràLondres.Londres?Ellesétaientàdeskilomètresetdeskilomètresdelacapitale.—Ilnousafallupresqueunesemainepourarriverjusqu’icietnousn’avons
parcouru que soixante-quinze kilomètres. Nous essayons de gagner un peud’argent,maisc’estdifficile.—Ehbien,jenesaispassiçavousaiderait,maisj’habiteàenvironsoixante
kilomètresdeLondres.Jesuisprêtàvousemmenerjusque-làsivousvoulez.LeregarddeRoses’estéclairé.—C’estvrai?Ceseraitgénial.—Pasdeproblème.Çameferaitplaisird’avoirde lacompagniepourun
trajet aussi long. Jeme suis arrêté pour acheter un sandwich et uneboisson.Vousenvoulezaussi?—Ohoui,s’ilvousplaît,s’estexclaméeLilasavecungrandsourire.Moi
c’estBreeetelle,c’estSadie.Jemesuiscontraintàsourire.—Bree,Sadie,onyva?Elles ont hoché la tête en même temps, comme si elles avaient répété le
mouvement,etm’ontaccompagné jusqu’àmavoiture. J’ai roulé jusquechezmoi le cœur léger. Jeme sentais enfin complet.Quatre fleurs.Quatre bellesfemmesparfaitesetinnocentes.Mafamilleétaitréunie.
MARDI14DÉCEMBRE2010
J’aiprofitédumomentoùRosenettoyaitlasalled’eaupourdiscuteravecIrisen privé.Ça faisait presque cinqmois que j’avais été enlevée et jetée ici. Jen’avaispasperduespoir,mêmeaprèsavoireudix-septanslaveille.Lesautresn’étaientpasaucourantetiln’avaitriendit,bienqu’ildoivelesavoir.Detoutefaçon,jen’avaisaucuneenviedecélébrermonanniversaire.Irislisaitunlivreetn’apasrelevélatêtequandjemesuisapprochéed’elle.— Iris, ai-je sifflé entre mes dents. Quand est-ce que tu as abandonné
l’espoirdesortird’ici?C’étaitunequestionquej’avaiseuenviedeluiposerunmillierdefois,mais
jen’avaisjamaisosélaformuler.Irisétaitmaseulechancedetenterquelquechose et je n’étais pas prête à l’entendre dire qu’elle ne voulait pas s’enfuir.Cinqmois,c’étaitdéjàtrèslong.C’étaitsurtouttropprochedelamoyennedessixàhuitmoisqu’ilmettaitpour«tomberamoureux»deses«fleurs»etlesvioler.JenepouvaispassuppliertropviteIrisdem’aideràm’enfuir–ilfallaitd’abordquejesoissûredepouvoirluifaireconfianceetquejesachesiellevoulait partir –, mais le moment d’aller dans la petite chambre approchaitdangereusement.Iris a paru mal à l’aise, comme si je lui avais posé une question très
personnelle.Laquestionesttoutesimpleetlaréponseest«jamais».—L’enjeun’estpasd’abandonnerounon,Lilas,c’estdesurvivre.Jenesais
passinoussortironsunjourd’icienvie,maisacceptersesconditionsestnotreseulechanced’yparvenir.Ildevaityavoirunautremoyen.—Tucroisquetafamilletecherche?Elleafaitnondelatêteetabaissélesyeuxausol.Jesavaisquelarelation
avecsesparentsn’étaitpasterrible,maispersonnenepouvaitabandonnerson
enfant,surtouts’ilavaitdisparu.—Je saisquenon.Ladernièredisputeétaitviolenteetmesparentsm’ont
fait comprendre que, si je partais, je ne pourrais jamais revenir. Au début,j’étaispersuadéequemonfrèremechercherait.Ill’asansdoutefaitpendantuncertaintemps,maisjedoutequecesoitencorelecas.—Jesuissûrequ’ilsnepensaientpasdeschosespareilles.Onditbeaucoup
debêtisesquandonestencolère.J’avaishurlédestrucshorriblesàmonpèreetmamère,surtoutaudébutde
monadolescence.J’auraisdonnén’importequoipourtoutretirer,maintenant.—Peut-être…Elleaesquisséunsouriresitristequej’enaieuleslarmesauxyeux.Jene
pouvais pas imaginer l’horreur que c’était de se savoir abandonné par safamille.—Tesprochestecherchent,eux,a-t-ellerepris.Onnesaitjamais,ilsvont
peut-êtretoutesnoussauver.J’aiacquiescé.—Oui, ilsdoivent essayerdeme retrouver. Je saisqueLewisnebaissera
paslesbrasavantdem’avoirrécupérée.Ilétaitbientroptêtupourça.HenryetTheosedisputaientpoursavoirlequel
d’entreLewisetmoiétaitleplusobstiné.Parfois,ilsfaisaientdesparissurquilaisseraittomberenpremier:luioumoi.C’étaitmoiquiétaistoujourslaplustenace,maispourtantjerestaispersuadéequeLewisétaitleplusbutédenousdeux.—Noussortironsd’ici,ai-jeaffirmé,autantpourmoiquepourelle.Elleaprismamainetl’aserrée.—C’estsûr.Quand ? Il fallait que jem’en aille avant qu’il neme conduise dans cette
petitepièce.—Pourquoies-tupartiedecheztoi?Irisadéglutiavecdifficulté.Elleavaitencoredumalàévoquercesouvenir.—Désolée,tun’espasobligéed’enparler.— Non, ça va. C’est juste que je n’ai jamais partagé les détails. Tout le
mondeicisemblerespecterlavieprivéedesautres,a-t-elleajoutéavecunclind’œilpourmetaquiner.Jeluiaiadresséunsourired’excuse.—Audébutdel’adolescence,jemesuismiseàsortirbeaucoup.Jen’avais
pasquedebonnesfréquentations.Mescopainsm’emmenaientàdesravesetjebuvaisaveceux.Jemetrouvaissupercooletj’adoraislaconfianceenmoiquejeressentaisquandj’étaissaoule.
Elle a secoué la tête en souriant. Je comprenais ce qu’elle disait… à partpour lesamispeu recommandables. Jen’étaispassûredemoinonplus…etj’étaistoujoursplusextravertiequandj’avaisbuunverre,mêmesijenebuvaispasbeaucoup,justeassezpourmesentirunpeujoyeuse.—Évidemment,çaneplaisaitpasàmesparents.Ilsontvoulum’interdirede
sortir,ilsm’ontconfisquédestrucs,ilsontfaitappelàd’autresmembresdelafamille, mais je ne voulais écouter personne. Mes nouveaux amis mecomprenaient…c’estdumoinscequejecroyais.Chaquefoisquejerentraisàla maison complètement bourrée, mes parents étaient plus énervés que laprécédente. Je pense qu’à la fin, ils en ont eu assez. Il y a eu cette grossedispute. Ils m’ont dit que je devais me faire aider et cesser de sortir. J’aipréparéunsacetjesuispartie.J’entendsencoremamère:Tuasbesoind’aide,Becca.Si tuquittescettemaisonmaintenant,n’envisagemêmepasderevenir.Ces paroles me hantent toujours. J’aurais dû rester. Je voudrais tellementretourner en arrière jusqu’à cette nuit-là et monter dans ma chambre enclaquantlaporteaulieudepartir.Elleasoupiré.—Etàprésent,jesuisici.Jenevoulaispas l’admettre,maisIris luiallaitmieuxqueBecca.Peut-être
parce que je l’avais toujours appelée Iris. Sa famille devait vivre un enfer,depuis cette terrible dispute qui s’était si mal terminée. Il fallait que noussortionsd’ici;Irisetsesprochesméritaientunesecondechance.—Bien,adéclaréRoseenrefermantlaportedelasalled’eauderrièreelle.
C’estfait.Onregardeunfilm?Qu’avions-nous d’autre à faire ?Nous avions déjà visionné tous lesDVD
deux fois. Il en achetait et en revendait sur Internet une fois parmois. Il enmettait une quarantaine à notre disposition, mais comme nous n’avions pasbeaucoupd’autresoccupations,nouslesépuisionsrapidement.Jecommençaisàdétestermesfilmspréférés.—Ouais,situveux,ai-jeréponduenm’affalantsurlecanapé,prêteàpasser
unesoiréedeplusdevantlatélé.
MERCREDI15DÉCEMBRE2010
Jemesuisséchéeenvitesseavantd’enfilerlesvêtementstropgrands.Jemesuis demandé si notre ravisseur finirait par céder et acheter des habits àmataille, au lieu de décider que je devais faire du 38. Ça n’avait pas vraiment
d’importance.Dès que j’ai étémaquillée et coiffée, j’ai ouvert la porte. Nous étions en
retard,Rose devait encore prendre sa douche. Elle a foncé à l’intérieur. Sesyeuxétaientagrandisparl’angoisseetelleétaitpâle.Qu’est-cequ’il ferait si nousn’étionspasprêtes ? Jen’en savais rien– je
n’avais jamais posé de questions à ce sujet – et je préférais ne jamais ledécouvrir.Irisbattaitdesœufsfrénétiquementdansunsaladier.J’étaisraviequecetaré
aime tant les œufs brouillés sur du pain grillé : c’était facile et rapide àpréparer. J’ai ouvert le sac à pain et j’ai sorti huit tranches pour les fairegriller.—Çava,Iris?Elleahochélatêteavecénergie,voulantnouspersuadertoutesdeuxqu’elle
allaitbien.—Faisgrillerlepain,tuveux?J’ai obéi. Mon cœur battait trop vite. Leur nervosité m’angoissait. Elles
semblaientgénéralementtrèsàl’aiseavecTrèfle,malgrélaterreurqu’ilauraitdûleurinspirer.LacléatournédanslaserrureaumomentprécisoùRosesortaitdelasalle
d’eauetoùIrisetmoifinissions lespréparatifsdupetitdéjeuner.J’aiattrapédeuxassiettes,quandj’aisentiquelquechosemetoucherdélicatement ledos.Leseffluvesd’after-shaveboisém’ontfaitcomprendrequec’étaitlui.—Çasentrudementbon.Jeme suis raidie, tout en lui adressant un sourire par-dessusmon épaule,
pourluicacherquesoncontactm’étaitinsupportable.Jemesuisretournéeetils’estécartépourmelaisserposerlesassiettessurlatable.Lesbattementsdemoncœursesontcalmés,dèsquejemesuiséloignéede
lui.Combiendetempsallais-jeréussiràévitercetaré?Ils’estassis,imitéparRose et Iris, et nous avons commencé à manger en silence. Il mâchaitlentement,l’espritailleurs.Ilafiniparleverlenezetdemander:—Commentétaitvotresoirée?Déprimanteetennuyeuseàpérir…commetouteslesautres.— Très bien, a répondu Rose. Nous avons regardé quelques comédies
romantiques.Dans ce maudit sous-sol, même Saw et Massacre à la tronçonneuse
ressemblaientàdescomédiesromantiques,sionlescomparaitàdesjournéesenferméessouslavigilancedecemaladedeTrèfle.Il a esquissé un sourire,mais son regard s’est assombri et il a froncé les
sourcils.Sonexpressionsinistrem’aglacélesang.Qu’est-cequ’ilavaitfait?Est-ce qu’il avait encore tué quelqu’un ? Est-ce que ça lui plaisait ou est-cequ’ilconsidéraitçacommeundevoir?Jenecomprendraissansdoutejamaisses raisons, même s’il passait le reste de sa vie à me les expliquer. C’étaitpourtantunhommeintelligent.S’ilvoulaitvraimentrendrelemondemeilleur,ilauraitpuemployeruneautreméthode.Touten lui inspirait laconfiance. Ilavait l’airnormal,gentil,honnêteetfiable.Jenecomprenaispascomment ilpouvaitêtreaussitordu.J’aisecouélatête.Pourquoiest-cequejem’interrogeaissurlesmotivations
decetaré?Lespsyss’endonneraientàcœurjoie,c’étaitleurmétier.—Qu’est-cequis’estpassé?a-t-ilaboyé.J’ai sursauté en l’entendant péter si soudainement un câble et je me suis
retournéepoursuivresonregard.Ohnon.Lesirisavaientnoircietpendaientmollementpar-dessuslerebordduvase.Monpoulss’estaccéléré.Lelilasetlesrosesn’étaientpasenformenonplus.Lesbouquetsétaienttousentraindeseflétrir…évidemment!D’un geste brusque, il a reculé son siège. Les pieds ont grincé sur le
carrelage,cequim’afaitserrer lesdents,puis lachaises’est renverséeavecfracas.RoseetIrissesontlevéesd’unbond,alorsquej’étaisclouéesurplace,complètementterrifiéeparlascènequejeredoutais.—Qu’est-ce.Qui.S’est.Passé?Sonregardétaitdevenufouetpresquevitreux.CetypeétaitDrJekylletMr
Hyde.Sonhumeurpouvaitbasculerenuninstant.Dansdesmomentspareils,jemedemandais s’il était capable demaîtriser sa réaction. Il devait savoir quedes fleurs coupées finissent par faner. Alors pourquoi entrer dans une tellerage?—Noussommesvraimentdésolées,Trèfle.Ellessontmortes,luiaexpliqué
Rosed’unevoixdouceetapaisante.Ellelesuppliaitdecomprendrequelquechosed’évidentetpourlequelelle
n’auraitpasdûs’excuser.—Mortes,a-t-ilrépétélentement.Sa respiration est devenue courte, comme s’il luttait pour garder le
contrôle…cequiétayaitmonhypothèse.—Oui,ellessontmortesparcequevousêtesincapablesdevousenoccuper
convenablement.Ilafrappédupoingsur la table,si fortquelesverressesontrenverséset
que du jus d’orange a coulé sur le sol. Évidemment qu’elles sont mortes,putain!Cesontdesfleurs!Gardéesdansunsous-sol,sanslumièrenaturelle.Commentest-cequequelqu’und’aussiintelligentnesaisissaitpasleprincipe?
Oualorsilrefusaitdel’accepter?Chezlui,rienn’étaitsimpleniclair.J’avaistoujours cru avoirun talentpour juger lesgens,mais soncasdépassaitmescompétences.J’aireculéquandils’estavancéversmoncôtédelatable.Nevienspaspar
ici.RoseetIrissesontapprochéesetnousavonsfaitfrontensemble.Sinousnousymettionstouteslestrois,nouspouvionssortir.Hélas,quandilétaitdansunefureurpareille,jen’auraisjamaisvouluprendrelerisque.—Avez-vousquelquechoseàdire?Sontonétaitcalmeetsavoixdoucecommelevelours,maisc’étaitencore
plusflippantques’ilavaitcrié.Ilétaittropcalmeetmaîtredelui.Jesavaisque,d’une seconde à l’autre, il se lâcherait.Un peu comme quand un chien joueavecunballondebaudruche;onsaitqueçavapéter,mêmesionnesaitpasquand.Nous n’avons rien dit.Ça n’aurait sans doute fait qu’attiser sa colère. Il a
contournélatabledansladirectionopposée.RoseetIrissetenaiententreluietmoi. Il a levé lamain et a gifléRose violemment. Elle a étouffé un cri et atitubé sur le côté. Iris l’a retenue et nous avons reculé. J’entendais marespiration s’emballer et j’ai tenté de la calmer. C’était quoi son problème,merde?IlarepousséRoseetaattrapélepoignetd’Irispourlatirerverslui.Non!
Unenouvellegifleaclaqué,laprojetantcontrelatable.Elleapousséuncriets’estserréleventre,làoùelles’étaitcognéecontrelebois.— Vous. Allez. Toutes. Apprendre, a-t-il grondé en bondissant vers moi
pourmecollercontrelemur.Monsouffles’estcoincédansmagorge.J’aitressaillietj’aifermélesyeux
pourmeprépareràencaisseruncoup.Lewis,Lewis,Lewis,ai-jecriédansmatêtepourêtreailleursmentalement.LepoingdeTrèfles’estenfoncédansmamâchoireetjemesuisécroulée.Ladouleurairradiélebasdemonvisage.J’aicollémamain surma bouche en respirant par le nez.Ne pleure pas, ne luidonne pas cette satisfaction. Ma mâchoire me lançait et mes yeux seremplissaientdelarmes,maisjemesuisretenue.Jeneluimontreraispasqu’ilm’avaitfaitmal.J’ai senti le goût métallique du sang sur ma langue et des picotements à
l’intérieurdemajoue.Mesdentsavaientdûl’entailler.J’aidégluti ; jesavaisquelavuedusanglemettraitdansunétatpireencore.Jemesuisécrouléesurlesol,paupièrescloses.Jenetiendraiplustrèslongtemps.—Nettoyez-moiçatoutdesuite.J’airouvertlesyeuxjusteàtempspourlevoirremonterlesescaliers.Jeme
suis relevée et j’ai couru dans la salle d’eaume rincer la bouche. J’ai alors
laissé mes larmes couler. Je me suis effondrée par terre, le cœur serré,accabléeparlapeuretlasolitude.
JEUDI16DÉCEMBRE2010
J’étais assise dans le canapé avec Rose et Iris. La télé était allumée,maispersonnene la regardait.Nousattendions avecangoisse son retour. Il n’étaitpasvenuprendre lepetit-déjeuner.L’idéede levoirdescendreétait flippante,mais c’était encore pire d’imaginer qu’il ne reviendrait jamais. S’il nousabandonnait,nousserionscondamnéesàmourirdefaimdanscesous-sol.Mamâchoire était gonflée et contusionnée. L’intérieur dema bouche était
tellementdouloureuxquejenepouvaisavalerquedelanourrituremolle.LesecchymosessurmonvisagemerappelaientenpermanenceàquelpointTrèfleétait taré et le danger quenous courions à toutmoment.À chaque fois qu’ils’en prenait à l’une d’entre nous, je remettais sérieusement en doute lapossibilité de m’évader. Je devinais que c’était pour cette raison qu’Iris nevoulait rien tenter : elle était persuadée que nous n’avions pas la moindrechancederéussir.—Qu’est-cequ’onvafaire?ademandéIris.Ilestdepireenpire,Rose,et
tulesais.Siellesétaientinquiètes,c’estquelasituationétaitvraimentflippante.Elles
avaientassistéàdestasd’horreursetétaienthabituéesànotremodedevie.Etpourtant, elles avaient peur. Je me suis demandé si c’était à cause de maprésence.J’avaisunefamilleetilm’avaitquandmêmechoisie:est-cequeçasignifiait que lemonde extérieur se rapprochait de lui ? Rose et Iris étaientperdues dans leurs pensées ; elles fixaient la télé sans la regarder, ailleurs,rongéesparl’angoisse.Roseasecouélatête.—Jenesaispas,maisjesuisconvaincuequetoutvabiensepasser.Onse
serrelescoudes,commed’habitude.J’en avais vraiment ras le bol de les entendre dire que tout irait bien.
Pourquoi chantaient-elles ce refrain ? Elles avaient accepté que leur vie serésumeàcetteprison,cequiétaituncauchemaréveillé.Quelquechoseenmois’estmisàbouillonneretjemesuislevéed’unbond,enrage.—Rose,putain,regardeautourdetoi!Onestenferméesdanslacaved’un
taré.Commentest-cequetupeuxdirequetoutvabiensepasser?Réveille-toi,bordel!
—Du calme, Lilas. Il nous entend peut-être, a-t-elle répondu d’une voixbasse,maispressante.J’aiprisuneprofonde inspirationet jen’aipas relevé le faitqu’ellem’ait
appeléeLilas.Lilasn’étaitqu’unpantindanslemondedemaladeinventéparcefou:cen’étaitpasmoi.— Réfléchis un peu, Rose. On ne perçoit rien jusqu’à ce que la porte
s’ouvre.Tucroisvraimentqu’ilnousentend?Aulieudejouerl’épousedecetaré, est-ce que tu pourrais te comporter comme une personne normale ? Ilnousakidnappées.—Jesuistoutàfaitconscientedelasituation,Lilas,maisqueveux-tuqueje
fasse?Était-ellevraimentconscientedecequisepassait?J’aiserrélespoings.Qu’est-cequiclochaitchezelle?—Sors la tête de ton cul et réfléchis à ce qui pourrait nous permettre de
nous enfuir. Arrête de faire comme si c’était normal qu’on soit enfermées.Pourquoiest-cequetuneveuxpastebarrer?Sions’ymettoutesensemble,onpeutêtreplusfortesquelui.—Çaadéjàététenté,m’arappeléIris.—Jesais,vousmel’avezdit,maisiln’yajamaiseudetentativeàtroisouà
quatre en même temps. Évidemment, il est capable de régler son compte àl’une d’entre nous,mais comment est-ce qu’il pourrait nousmaîtriser toutesles trois ? Réfléchissez : nous pourrions l’attaquer et nous enfuir. Ça peutmarcher.Qu’est-ce que je racontais ? Deux minutes plus tôt, ça me semblait
impossibleet,maintenant,jeralliaislestroupes!J’ai sursauté en entendant la porte du sous-sol grincer.Mon cœur a bondi
dansmapoitrineetmonestomacs’estnoué.—Çapeutmarchersions’ymetensemble,ai-jechuchotéavecunregard
suppliant.—Non,Lilas,atranchéRose.Jemesuisdétournéepournepasluihurlerdessus.Trèfleportait troisbouquetsde fleursetmarmonnaitentresesdents. Jene
comprenais pas exactement ses paroles, mais j’ai distingué quelques motscommecorpsetchameau,maisj’avaisdûmalentendre,pourlesecondentoutcas.Roseainspiréàfondetluiaadresséunsourirechaleureux.Elleparaissait
sûred’elleetdétendue,maissesmainstambourinaientcontresescuissesetelleétaitraidecommeunpiquet.—Bonjour,Trèfle.
Ilatressaillicommes’ilétaitsurprisdenoustrouverlà.—B…bonjour.Ilnebégayaitjamais.Ilétaittoujourspleind’assuranceetposé,saufquandil
pétaituncâbleàcausedesfleurs.Pourquoicetteréactiondesurprise?Qu’est-cequ’ils’imaginait?Quenousétionssortiesfaireunecourse?—Tuesvenupourdéjeuner?ademandéIrisenjetantunœilàl’horloge.Iln’étaitquemidi,ilauraitdûêtreautravail.Ilsecomportaitvraimentdefaçonétrange:ilparlaittoutseuletn’avaitpas
consciencedenotreprésence.Sonregardpartaitdanstouslessens,commes’ilcherchaitquelquechosedanslapièce.J’étaisinquièteetj’airemarquéqu’Irisreculaitd’unpas.—Desfleurs,a-t-ilditentendantsesbouquets.Roses’estavancéeetlesapristouslestrois.—Ellessonttrèsbelles,Trèfle,merci.Alors,onfaisaitcommesitoutétaitnormal?Pasdequestions?J’aisuiviRoseetIrisjusqu’àl’évieretnousavonsfaitcoulerdel’eaudans
lesvases.J’observaisTrèfleducoindel’œil.Ilcontinuaitàregarderdanstouslescoins,ens’attardant toutes lescinqsecondessur laporte.Quiest-cequ’ilattendait ? La police ? Son comportement était plus qu’étrange. Ça ne luiressemblait pas et jene savaispas comment réagir.Est-cequ’il valaitmieuxl’ignorercomplètement?—Alors,Trèfle,est-cequetuveuxmangeravecnous?ainsistéRose.—Nonmerci,s’est-ilempresséderépondreavecunsourire.Sansajouterunmot,ilaembrasséRoseetIrissurlajoueetm’aregardée.
J’ai retenu mon souffle quand il s’est approché de moi pour m’embrasserégalement.Mespaumesmepicotaientetc’estseulementquandils’estéloignéquej’airemarquéquej’yavaisenfoncémesongles.—Bonne nuit, les fleurs, nous a-t-il lancé depuis lesmarches avant de se
remettreàmarmonnertoutseul.Téléphoneetcorps.—Bonnenuit?arépétéIrisàRose,d’unairinterloqué.Est-ce qu’il ne viendrait plus aujourd’hui ou est-ce qu’il avait perdu la
notiondutemps?Roseahaussélesépaulesetajetéunderniercoupd’œilàlaportequivenait
desefermer.—Jevaisnouspréparerunbonchocolatchaud.Oh,çavatoutarranger,Rose!J’aibumonchocolattrèsvite,enmebrûlantlalangue.J’aitentédepenserà
autre choseque les lèvres de cemalade surmapeau,mais je sentais encore
leurpressionsurmajoueetjemesentaissouillée.—Jevaisprendreunedouche.J’avaisbesoindemesentirànouveaupropre,sic’étaitpossible.J’ai tourné le robinet pour que l’eau chaude arrive pendant que je me
déshabillais.Latempératureenétaittropélevéequandjemesuismisesouslejet.J’avaisbeaufrottermoncorps,jemesentaisencoresale.C’étaitcommesiTrèfleétaitgravédansmonépiderme.JemesuisdemandédepuiscombiendetempsRoseavaitcessédesefrictionnercommemoi,siellel’avaitjamaisfait.Lasituationsemblaitluiplaire.Jen’enarriveraisjamaislà.Jamais.
MERCREDI9MAI2007
J’étais installé à la table avec Violette, Iris et Lilas. J’aurais dû être encompagniedequatre fleurs. Je nepouvais pasm’empêcher de fixer le siègevide.Rosemanquait.Çan’allaitpasetjen’arrivaispasàmedétendre.—Çava,Trèfle?m’ademandéLilas.L’amouret l’inquiétude se lisaientdans sesyeux.Çam’a réconforté.Lilas
étaitbelle.Ellefaisaitpartiedelafamilledepuisprèsdedeuxansetelleétaitunexempleàsuivrepourlesautres.IrisetViolettel’admiraient.—Toutvabien,ai-jeprétenduensouriantpourmasquermonmalaise.J’ai mangé en silence, en écoutant leur conversation, ne m’y mêlant que
quandc’étaitnécessaire.Monpiedmartelait lesolen rythme.Lasituationnepouvaitdurer.IlfallaitquejevoieShannenetquejetrouveRose.Quandtoutlemondeaterminésonrepas,j’aipriscongéetjesuisremonté
dansmachambrepourmechangerenvuedelasoirée.IlfallaitquejevoiemaShannen. Cette fille occupait toutesmes pensées, elle ne quittait jamaismonesprit.C’estàellequejepensaisenm’endormanttouslessoirs.Mondésirleplus ardent était dem’occuper d’elle,mais j’avais envie qu’elle soit dans lamaisonàmescôtés.Mêmesi jene laconnaissaisquedepuis trois semaines,ellecomptaitdéjàénormémentàmesyeux.Shannenétaitmonuniquechanced’avoirenfinunerelationamoureuseclassique.J’aienfiléunpantalonnoirchic,unpullgrisetmonlongmanteaunoir.Tout
devait être parfait. Je me suis peigné puis j’ai aspergé mes cheveux d’unebonne couche de laque pour qu’aucune mèche ne dépasse. Jamais monapparencen’avaitétéaussicruciale.Jevoulaismemontrersousmonmeilleurjourpourelle,toutluidonner.Le trajet en voiture jusqu’au supermarché à proximité de son auberge de
jeunesse n’était pas long,malheureusement. J’aurais voulu qu’il se prolonge
pourcalmermonappréhension.Normalement,lesfemmesnemerendaientpasnerveux.L’impressioninhabituellenemedéplaisaitpaspourautant.Jemesuisgaré et je l’ai repérée immédiatement. Elle sortait de l’établissement où elleséjournaitetsedirigeaitverslepréàl’arrière.Mon cœur s’est accéléré. Elle était très belle,même si elle ne prenait pas
autantsoind’ellequ’elleauraitdû. Je l’aideraisàaméliorerça.Nousallionsveillerl’unsurl’autre.Jel’aisuivieenregardantseslongscheveuxbrunssesoulever doucement dans la douce brise de mai. Elle s’est retournée tout àcoup,sansdouteenentendantmespas.—Rebonjour,Shannen.Sesjouesontrosietelleasouri.— Bonjour, Colin. J’allais m’asseoir près des arbres. Tu veux
m’accompagner?—Avecplaisir.Nousavonstraversélapelouseensilence.Jemesuisinstalléparterreàcôté
d’ellesansprêterattentionaumalaisequemeprocurait lecontactaveclesolsale.—Comments’estpasséetajournée?—Commed’habitude,m’a-t-elleréponduenhaussantlesépaules,lesyeux
baissés.Maisçamefaitplaisirdetevoir.Cetaveul’afaitrougir.J’aisuàcemomentquenousétionsfaitsl’unpour
l’autreetquecetterelationallaitmarcher.Jeluiaiprislamainetjel’aiserrée.Ellenedevaitpassemontrertimideavecmoi;jevoulaisqu’ellesoitàl’aiseetsesentedétendue.—Moiaussi.Tum’asmanquéaujourd’hui.Tout était différent avec Shannen. C’était la bonne. Je le savais : elle me
rendait… heureux. Même si je me sentais un peu coupable d’avoir dessentimentsplus fortspourellequepour lesautres filles, jen’ypouvais rien.Shannenétaitparfaite ;elleavait toutes lesqualitésqu’onpeutattendred’unecompagne.J’avaisenviedevivreavecelle,jerêvaisqu’ellesoitmafemme…montout.Commeellemefaisaitpenseràmamèresurbiendespoints,j’étaispersuadéqu’ellecomprendraitpourlesfilles.—Commentças’estpassé,autravail?Saquestionétaitsincère:ellevoulaitvraimentconnaîtrelaréponse.C’estce
quimeplaisaitlepluschezelle.Ellesesouciaitdesautres,malgrélefaitqu’ellen’avaitpastoujoursétébien
traitée.Safamilleluiavait tournéledos,maisShannenétaitrestéegentilleetbienveillante.—Trèsbien,merci,mêmesilajournéeaététrèslongue.
Elleahochélatêteenjouantavecunbrind’herbe.J’aifermélespaupièreset j’ai tenté de calmerma respiration : elle ne se rendait pas compte à quelpointcevégétalétaitsale.Ilpouvaityavoirn’importequoisurcebrind’herbe.—Ettoi,àquoias-tuoccupétajournée?—J’ailuunpeupuisjesuisvenueici.—Etlesautresdel’aubergedejeunesse?J’aiplissélefrontenrepensantàl’incidentsurvenudeuxnuitsplustôt,dont
ellem’avait parlé. Une sale pute l’avait frappée pour tenter de voler le peud’argentquiluirestait.Elleenavaitgardédestracesrougesenformedemainsurlajoue.Elleaévitémonregard.—Çaallait.—Nememenspas!mesuis-jeemporté.Enlavoyanttressaillir,j’aiinstantanémentregrettémonénervement.Ellearetirésamaindelamienneets’estlevée.— Je ferais mieux d’y aller, a-t-elle murmuré en serrant ses bras autour
d’elle.Jemesuismisdebouttrèsvite,paniquéqu’elles’enailleetm’abandonne.—Non,Shannen.Jesuisdésolé.Jen’auraispasdûm’emportercommeça.
C’estjustequejedétestesavoirqu’ontemaltraite.J’aireprissamainetjel’aipresséedoucementavantdelalâcher.—Pardonne-moi,Shannen,s’ilteplaît.Ellem’asouri.—C’estbon,tuestoutexcusé.Tuveuxtepromener?—Volontiers.Nous avons emprunté le sentier.À chaque fois que je venais la voir, nous
nousretrouvionsdanslepré,puisnousallionsnousbalader.Jel’aimenéeverslelac–notretrajethabituel–etj’aiglissémamaindanslasienne.—Quellebellesoirée,a-t-elledéclaré.—Eneffet.— Mon père m’emmenait à l’extérieur le soir pour voir les premières
étoilesapparaîtredansleciel.Savoixétaitempreintedetristesseetderegret.Ellen’avaitjamaisévoquésa
famille,saufpourdirequ’ilss’étaientdisputésetqu’elleétaitpartie.—Qu’est-cequis’estpassé,Shannen?Commentes-tuarrivéeici?—Non,jet’enprie,a-t-ellesoufflé.Jen’aipasenvied’enparler.J’ai acquiescé en repoussant ma colère : j’étais furieux qu’elle ne me
répondepas.Mesfillesnelaissaientjamaismesquestionssansréponses.—Pourquoitunevienspaschezmoiquelquetemps?Aumoinsjusqu’àce
queturemettesdel’ordredanstavie.—C’estgentil,Colin,maisjenepeuxpas.J’aipousséunsoupirdefrustration.Pourquelleraisonnefaisait-ellepasce
quejevoulais?Jen’étaispashabituéaurefusetjen’aimaispasça.—Tuveuxqu’onailledînerquelquepart?ai-jedemandéenregardantavec
désapprobationsespoignetsmenusetfragiles.Ellearéfléchiàmapropositionensemordantlalèvre.—S’ilteplaît?Jet’invite.Çameferaitplaisir.Ungrandsourires’estaffichésursonbeauvisage.Çam’acoupélesouffle.—D’accord.Ceseraitchouette,merci.Noussommesarrivésàmonrestaurantindienpréféré,celuioùmesparents
m’emmenaientquandj’étaispetit.Monpèreadoraitlecurryetnousyallionssouvent,avantqu’ilnecoucheaveccetteputeetnedétruisenotrefamille.—Unetablepourdeux,s’ilvousplaît.Leserveurnousainstallésdansuncoinetnousatendulescartes.—Merci.Unefoisqu’ils’estéloignépournous laisserfairenotrechoix, jemesuis
tournéversShannen.—Tupeuxcommandertoutcequetuveux.Elleasouriets’estplongéedanslalecture.—Jecroisquejevaisprendreuntikkamasala,ai-jeannoncé.Tuaschoisi?—Lamêmechose.J’aifermélespaupières.Tuesfaitepourmoi,Shannen.—Depuiscombiendetempsest-cequetutravaillesdanslacomptabilité?J’étaisagréablementsurprisqu’ellemeposeunequestionpersonnelle.—Oh, ça doit faire à peu près cinq ans, je pense. Et toi, qu’est-ce que tu
faisaisavantl’incidentavectafamille?—Quandmonpèreaperdusonemploi,nousavionsbesoind’argent,alors
j’aiarrêtémesétudespourtravaillerdanslerestaurantquiemployaitmamère.Elleafroncélessourcils.—Ilavaittoujoursbesoindeplusd’argent.Qu’est-ce que ça signifiait ? Il n’avait pas l’air d’un très bon père… Un
hommedoitsubvenirauxbesoinsdesafamilleetnonl’inverse.J’auraisvouluen savoir plus, mais je ne voulais pas qu’elle se referme à nouveau. Çademanderaitdutemps;c’étaitparfait,nousenavionsbeaucoup.La conversation roulait facilement, entrecoupée de petits moments de
silence.J’avaisprislabonnedécision:Shannenneretourneraitpasdanscetteauberge de jeunesse. J’avais perdu le compte du nombre de fois qu’ellem’avaitfaitrireetsourire…or,jen’avaisplusridepuisdesannées.Shannen
étaitmonavenir,monuniquechance.Jeprofiteraisdutrajetauretourpourlaconvaincrequej’étaislapersonneidéalepourm’occuperd’elle.Nousavionsdeschancesderéussir:jepouvaislarendreaussiheureusequ’ellemerendaitheureux.Jemelepromettais.Jeluiaitenulaportedurestaurantpourlalaisserpasser.Sonbrasafrôléle
mienet j’aiétoufféuncriensentantunesortededécharge.Nousavionsuneconnexion,unvéritablelien.—Mercipourlerepas,Colin,a-t-ellemurmuré.Sesjouesparfaitementdessinéesontlégèrementrougi.—Derien,c’étaitavecplaisir.J’étaissincère,c’étaitunvéritableplaisir.Jenesavaispasquelesimplefait
d’emmener dîner une fille quime plaisait pouvaitme rendre aussi heureux.Combien de rendez-vous avais-jemanqués au cours des années ? Je n’avaisjamais ressenti tant de satisfaction et je comptais bien que ce ne soit pas ladernièrefois:jevoulaisàtoutprixqueShannennousdonneunechance.
Quandnous sommesmontés dansmavoiture, je n’ai pas trouvé lesmots.Mon cœur battait trop vite et j’étais rongé d’angoisse. Comment allait-elleréagir si je l’emmenais chezmoi ? Pour rejoindre l’auberge de jeunesse, ilfallaitpasserparmarue.Nousserionsquasimentàlamaisonavantqu’ellenecommenceàmeposerdesquestions.—Tuasfroid,ai-jeconstatéenallumantlechauffage.Elles’estfrottélesmainsl’unecontrel’autre.—Merci.Pourtout.—Jet’enprie.J’aipasséuneexcellentesoirée.Unpetitsouriretimides’estdessinésurseslèvres.—Moiaussi.Jeroulaismoinsvitequed’habitude.Pourcalmermesnerfs,j’aiorientéla
conversationvers les étudesqueShannenavait entamées.Nousarrivions ; jedistinguais mon toit en tuiles rouges au sommet de la colline. C’étaitmaintenant ou jamais. J’ai ralenti un peu trop brusquement pourm’engagerdansl’alléeetj’aicoupélemoteur.—Qu’est-cequ’onfaitici?a-t-elledemandéenregardantparlavitre.Jemesuistournéverselleensouriant.—C’estchezmoi,ici,Shannen.Jevoudraisjustepasserauxtoilettesavant
deteramener.Entreuneminute.Elleafixélaported’entréed’unairhésitant.—Jen’enauraipaspourlongtemps.Auboutd’une seconde, elle ahoché la têteet aouvert saportière. J’avais
gagnésaconfiance.—C’estjoli,a-t-ellecommentéquandjel’aifaitentrer.—Merci.J’étaiscontentqueçaluiplaise.J’avaisenviequ’ellesesentebienchezmoi.
Jelalaisseraischangerladécorationsiquelquechoseneluiplaisaitpas.Nouspourrionspeut-êtremêmelefaireensemble,enfairenotremaisonetnonpluslamienne.—Jevaistemontrerlesalonoùtupourrasm’attendrequelquesminutes.Elle s’est assise sur le canapé vert et je n’ai pas résisté à l’envie de
m’installer à côté d’elle. J’aimais bien que nous soyons tous les deux dansnotresalon.—Tunedevaispasallerauxtoilettes?—Shannen,j’aiunaveuàtefaire…jen’aipasvraimentbesoind’yaller.Je
suis désolé de t’avoir menti, je voulais juste t’emmener ici pour que nouspuissionsparler.Jet’airamenéeàlamaison.Sesyeuxsesontécarquillésd’horreuretelles’estlevéeenpoussantunpetit
cri.Jemesuismisdeboutd’unbondetl’aiattrapéeparlebrasavantqu’ellenepuisses’enfuir.—Laisse-moit’expliquer.Jet’enprie.—Non, lâche-moi, m’a-t-elle crié en se débattant comme un beau diable
pourm’échapper.Sescheveuxvolaientdanstouslessensetmefouettaientlevisage.—S’ilteplaît,laisse-moipartir.—Calme-toi,luiai-jeordonné.—Lâche-moi.Elles’estremiseàgigoteretm’afrappéletorsedesonpoinglibre.Çane
faisait pas mal – elle n’avait pas beaucoup de force –, mais ça m’amis encolère.J’essayaisdel’aider!Commentosait-elle?J’aiserrélamâchoire,j’aiagrippésonautrepoignetetjel’aiplaquéecontrelemur.Jen’entendaisplusquemonpoulsdansmesoreilles.Jenevoulaispasluifairedemal,maisellenemelaissaitpas lechoix.Sescrisperçantsétaientcommeunbruitdefond.Sonmanquederespectmerendaitfou.Jesavaiscequemamanauraitfaitàmaplaceetjel’entendaispresqueaboyerl’ordre:Tue-la.—Non,non,jet’enprie.Je n’aimais pas qu’onme supplie.Mamann’était pas commeça.Seuls les
faiblesimplorent.Tue-la.Toutdesuite.LesyeuxdeShannenétaientemplisd’effroiquandj’aiserrésesdeuxmains
dansunedesmiennesetquej’aiposéunepaumesursabouche.Jeluttaispourreprendrelecontrôledemoi-même.J’avaisenviedelatuer–lecouteauétaitdansmapoche–,maisj’avaisenvied’elle.Jeladésiraisetmamanvoulaitquejelatue.Elle gémissait contre mon bâillon. J’ai fermé les paupières et je me suis
concentrépourcalmermarespirationlourdeethachée.Elleferatoutcequejeveux,unefoisqu’elleauracompris.Ellen’estpasméchante.J’ai rouvert lentement les yeux. En voyant son expression terrifiée et son
visage baigné de sueur froide, j’ai réalisé combien elle était vulnérable.Shannenavaitpeur ;ellenesavaitpasceque j’avaisà luioffrirniceque jeressentaispourelle.Moncœurs’estgonfléd’amour.—Ça va aller, ai-jemurmuré. Il faut que tume fasses confiance. Je veux
justem’occuperdetoi.Tuescheztoi,maintenant,douceShannen.J’aicaressésajoueenlaregardantdanslesyeux.Crois-moi,jet’enprie.Elleadégluti.—Jetecroisquandtudisquetut’occuperasdemoi,Colin,maisjenepeux
pashabiteravectoiici.Monvisage s’est assombri.Elle n’avait pas écouté ce que je venais de lui
expliquer?Elleétaitchezelle.Saplaceétaitici.—Désolée,jenepeuxpas.Ilfautquejem’enaille.Elleafaitvolte-faceetjemesuismisàpaniquer.Jenepouvaispaslalaisser
partir.Elle avait à peine fait deux pas quand je l’ai rattrapée par-derrière en
plaquantdenouveauunemainsursabouche.Sescrisétouffésm’ontdéchiréetj’aicomprisqueçanemarcheraitpascommejelesouhaitais…pasencore,dumoins.Jel’aipousséedansuncoindusalon.—Netenterien,l’ai-jeprévenued’untonmenaçant,letempsderepousser
labibliothèqueducouloir.Shannenestrestéeimmobile,clouéesurplace,pendantquejedéverrouillais
laportedusous-sol.Jel’aipriseparlebrasetjel’aitraînéedansl’escalier.—Non,a-t-ellehurléquandelleacompriscequiluiarrivait.Je n’avais pas envie de ça non plus ; j’avais le cœur lourd et mes yeux
piquaientà l’idéedepasseràcôtédelaviequejevoulaispartageravecelle.Maisjen’avaispaslechoix.Jerefusaisdelaperdreetc’étaitleseulmoyen.Iris,VioletteetLilassesontlevéesducanapé,cequiasurprisShannen.Elle
acrié,sesjambessesontdérobéessouselleetelles’esteffondréesurlesol.
—Explique-luitout,Lilas,ai-jeordonnéavantderemonter.Non!Non,non,non.J’airefermélaporteetj’aitournélaclédanslaserrure
avantdemelaisserglisserlelongdumur.Jemesuismisàhurlerdedésespoirenm’arrachantlescheveux.J’auraistantvouluqu’elleresteavecmoi.Désormais,elleétaitdevenueRose.
LUNDI17JANVIER2011
J’ai consulté la penduletteposée surmonbureau et à la secondeoù lapetiteaiguilleabasculésur lecinq, j’aiéteintmonordinateuret j’aiempoignémaserviette.Jedevaispartir toutdesuite.Ledînerneseraitprêtquedansdeuxheures,
commejel’avaisdemandéauxfilles:j’avaisletemps.J’ai roulépendantunedemi-heurepour rejoindre laville, l’estomacnoué,
mesdoigtspianotantnerveusementsurlevolant.Ilfaisaitdéjànoir.L’aubergedejeunesseétaitjusteàlasortiedelaville,cen’étaitplustrèsloin.Cela faisait trop longtemps que la famille était incomplète… presque six
mois.Celan’avait jamaisétéaussi long.Lacirculations’est faiteplusdense,mais j’ai bifurqué avant que ça ne s’aggrave à l’entrée du centre-ville. Uneroute sinueusemenait à unepetite gare.L’auberge était tout près. Jeme suisgarélelongd’unimmeubledélabré.Allez,Violette.Elle allait arriver. Ça faisait tellement longtemps que je l’attendais. Jeme
suis adossé au siège et j’ai regardé par les vitres et dans le rétroviseur.L’horlogeorangedutableaudebordindiquaitdix-huitheurestreize.Jen’avaisplus que cinq ou dixminutes.Mon cœur battait trop vite. Je voulais qu’ellevienne.J’avaisbesoind’elle.Àdix-huitheuresvingt-deux,alorsquej’allais laisser tomber, je l’aienfin
repérée. Ses cheveux étaient sombres comme la nuit et tombaient jusqu’aumilieu de son dos. Violette. J’en ai eu le souffle coupé. C’était elle. Elleavançaitdansmadirection,sonsacàdosaccrochéauxépaules.J’aiouvertmaportièreetelleareculé,surprise.—Je suisdésolédevousavoir faitpeur, ai-jedéclaréen levant lesmains
pourluimontrerquejeneluivoulaispasdemal.
Elleasecouélatête.—Cen’estrien,jenefaisaispasattention.Ellem’aadresséun rapide sourireen remontant lesbretellesde sonsacà
dos.—C’estmafaute,a-t-elleajouté.—Vousvoulezquejevousdéposequelquepart?—Hum.Elleahésité.—Non,çavaaller,merci.J’aiserréleslèvres.J’essaiedetesauver.—Vousmerendriezservice,ai-jeprétendu.Jedoismerendreàlagareet,
danslenoir,j’aipeurdenepastrouvermonchemin.—Vousn’êtespasd’ici?J’aifaitnondelatête.—J’avaisuneréunionetj’aidécidédemegarericipourcontinuerletrajet
entrain.Jeneconnaispaslaville.Oùallez-vous?—Jenesaispasencore.Danslecentre,sansdoute.—Vousleconnaissezbien?Elleaacquiescé.—Alors je reprends la voiture et je peuxvousdéposer.Vousn’avezqu’à
m’indiquer où vous voulez aller, puis la direction pour repartir quand vousdescendrez.—D’accord,a-t-elleréponduensouriant.Merci.Jemesuis remisauvolantet elle s’est installée sur le siègepassager. J’ai
démarrédèsqu’elleaclaquélaportière.—Oùest-cequevoushabitez?m’a-t-elledemandé.—Pasloin,nousseronsbientôtàlamaison,Violette.J’aiverrouillélavoiture.Elleasecouélatêteenriant.Qu’est-cequ’ilyavait
dedrôle?Est-cequ’ellesemoquaitdemoi?J’aifroncélessourcils.Qu’est-cequ’elle croyait ? J’en avais assez de l’approche douce. Leur réaction étaittoujours la même au début, quelle que soit la façon dont je les sauvais. Enallantdroitaubut,toutétaitplussimple.—Vousdeveztourneràgaucheaufeu,vousvousretrouverezsurlaroute
quifaitletourdelaville.—Violette,nousrentronscheznous.Ducoindel’œil,j’aivusonexpressions’assombrir.—Quoi?—Net’enfaispas,jevaism’occuperdetoi.—Vousêtessérieux,là?
—Évidemment.Ses yeux se sont écarquillés d’horreur quand elle a compris que je ne
plaisantaispas.—Jet’aiditdenepast’inquiéter,Violette.Elleasecouélatête.—Putain,jenesuispasViolette.Vousvoustrompezdepersonne.J’aisoupiréetj’aiserrélesdentsfaceàsavulgarité.Elle s’est effondrée quand elle a enfin compris ce que j’avais dit et les
larmesontinondésonvisage.—Laissez-moipartir,jevousenprie.Jenesuispasquivouscroyez.Jene
suispasViolette,jevouslejure.Jem’appelleLayal.—Jesaisparfaitementquitues.—Non.Laissez-moi sortir.Toutde suite ! s’est-elle emportéeen tirant en
vainsurlapoignée.—Jene tepermettraipasdememanquerderespect.Jesuisen trainde te
sauver.Elleatressailli.—Calme-toiettoutirabien.Tais-toi.Elles’estrecroquevilléecontrelaportièrepassagerens’agrippantsifortà
la poignée que la jointure de ses doigts a blanchi. Mes mains aussi étaientcrispéessurlevolant.Sessanglotsprofondsettrèspeuséduisantsm’irritaient.J’aiserrélesdentsententantd’ignorersesgémissementspathétiques.—P…Pourquoiest-cequevousfaitesça?a-t-ellemarmonnéenbutantsur
lesmots.—Violette,jesuisentraindetesauver,ai-jerépété.Pourquoiest-cequetunecomprendspasça?Tuasvulaviequetumènes?Ellen’aplusrienditpendantlerestedutrajet.Sespleurssesontrésumésà
unhoquetdetempsentempstandisqu’elleregardaitdevantellesansmontrerd’émotions.Elleavaitenfincompriscequisepassait. J’aisouri ; lestressetl’angoisseontdisparud’uncoup.—Onarrive,ai-jeannoncéenempruntantlaruequimenaitàlamaison.Les
fillesvontêtrecontentesquetusoislà.Elleaposéunemainsursabouchepourétoufferuncri.—Qui?—Lesfilles.Tuvaslesadorer.Onyest,ai-jedéclaréenm’engageantdans
monallée.Tuesprêteàlesrencontrer?—Non.Laissez-moipartiretjevousprometsquejenedirairien.Jenevous
dénonceraipasàlapolice,jevouslejure.Jevousenprie,laissez-moipartir.—Violette, fais-moiconfiance. J’essaiede t’aider.Les fillespourront tout
t’expliquer.J’aicoupélemoteuretdétachémaceinturedesécurité.—Allez,entrons.J’ai déverrouillé la voiture et j’ai ouvert ma portière. Violette a bondi
dehorsetcouruverslaroute.—Ausecours!Ausecours!J’aifoncéetjel’airattrapéeparsonmanteau.—Non!Lâchez-moi.Lâchez-moi,espècedemalade!Sa voix haut perchéem’a percé les oreilles. Je l’ai tirée versmoi et j’ai
plaquéunemainsursabouche.—Calme-toi,Violette,ai-jegrondé.J’étais souspression, commeunvolcanprêt à entrer en éruption.Elleme
poussaitau-delàdemes limites.Je l’ai traînée jusqu’auseuilet j’aiouvert laporte.—Çasuffitmaintenant.Elles’estmiseàgémir.—Onyestpresque.Jel’aipousséedansl’entrée.—Jevaisdéplacerlabibliothèque.Tuvasresterlàgentimentouest-ceque
tupréfèresquejet’attache?—Jenebougeraipas, a-t-ellepromisd’unevoix rendue rauqueaprès ses
cris.J’aisouri.—Trèsbien.Je l’ai lâchée. Elle s’est écartée de quelques pas puis s’est arrêtée. J’ai
déplacél’étagèreetj’aitournélaclédanslaserrure.—Viens,ai-jeditenouvrantlaporte.Elleétaittétanisée,leregardrivésurl’ouverture.—Viens,Violette.—Mais…a-t-ellemurmuré.Je l’ai attrapéeen lâchantun soupirde frustration.Pourquoiest-cequ’elle
n’obéissaitpas?—Non!Elles’estdébattuepourtenterdem’échapper.—Non.Pitié,non.Je l’ai tenue fermement par les deux bras pour la pousser dans l’escalier.
Pourunejeunefilleaussimince,elleavaitdelaforce.Rose,IrisetLilasnousattendaienttouteslestroisaubasdesmarches.—Bonsoir,lesfleurs.
Violettes’estraidie.—S’ilvousplaît, accueillezVioletteetaidez-laà s’installer. Je reviendrai
bientôtpourledîner.Jel’ailâchéeetj’airemontélesescaliers.Jedevaismelaver.
Jesuisretournéchezlesfillesaprèsm’êtredouchéetavoirprislalainequeRosem’avaitdemandée.Lesous-solsentaitbonlehachisParmentier.L’odeurm’arappelémonenfance,quand jen’avaispasencoresixansetquemamanpréparaitdedélicieuxrepas.Évidemment,ças’étaitarrêtédèsl’instantoùnousavions surprismonpèreaveccettepute.M’asseoir à tableen famille etvoirmamanservirdesportionsgénéreusesdenourritureétaitl’unedeschosesquimemanquaientleplus.—Bonsoir,lesfleurs,ai-jedéclaréenm’arrêtantaubasdel’escalier.—Bonsoir,ont-ellesréponduenchœur.Violetteétaitprostréesurlecanapé.Ellefixaitlesol,immobilecommeune
statue.J’aifroncélessourcils.—Est-cequeViolettevabien?ai-jedemandéàRose.Elleétaitcenséel’aideràs’adapter.Roseahochélatête.—Çavaaller.C’estnouveaupourelle,ilfautqu’elles’habitue.J’aisouri.Bienentendu.C’étaitlapérioded’adaptation.—Etledîner?—Ilestprêt.Violette,viensàtable.Onmange.Lilasl’aaidéeàseleveretl’aguidéejusqu’àsachaise.Mon cœur s’est rempli de joie. Lilas était parfaite : elle était exactement
commeje levoulaismaintenant.J’avaisété tellementobnubilépar l’enviedetrouverVioletteetparlesrecherchessuiteàladisparitiondeSummeràtraverslepaysquejen’avaispasprêtéattentionàsonéclosion.Jem’envoulaisd’êtrepasséàcôté.—Mange,Violette,ai-jeordonné.Ellen’avaitpratiquementpastouchéàsonassiette,alorsquetoutlemonde
avaitpresquefini.Lilass’esttournéeversmoi.—Je croisqu’ellen’apas très faim.Onpeut lui garder sapart pourplus
tard.Ça devait faire unmoment queViolette n’avait pasmangé. Elle était trop
mince.Sesvêtementsseraientsansdoutetroplâches,commeceuxdeLilas.—C’estseulementsonpremiersoir,ilnefautpasl’oublier,aajoutéLilas.—Vousvousassurerezqu’elleavalequelquechoseplustard?—Oui.J’aihochélatêteetjemesuisconcentrésurmonrepas.—Oh,lalaineestsurladernièremarche.Roseasouri.—Merci.Jelarangeraidèsquenousauronsterminé.J’ai finimonassietteet j’aiattendu les filles.Toutallaitbiensepasser.La
situationétaitsouscontrôle.Roseet Irissesont levéespourdébarrasser.J’aiempêchéLilasdelesaider.—Viens,Lilas.Jesuispasséenpremierdanslapetitechambre.Ellem’avaitmontréqu’elle
était lapersonneaimanteetattentionnéequejevoulais.C’étaitàmontourdeluimanifesteràquelpointellecomptaitpourmoi.Elleestapparuedansl’embrasure.Elleavait l’air tendue,commesiellese
retenaitderespirer,etsesyeuxétaientexorbités.—Toutirabien,nesoispasnerveuse.J’airefermélaportederrièrenous.—Détends-toi,s’ilteplaît,jenevaispastefairedemal.Toutvaêtreparfait,
tunelecomprendspas?Jel’aiconduitejusqu’aulitetelles’estassisesurlebord,touterigide.—Tuaspristadouchecematin?Elleahochélatêteetjeluiaisourienremettantseslongscheveuxblonds
derrièresesoreilles.—C’estbien.Elleaclignétrèsvitedesyeuxetquelqueslarmesontcoulélelongdeses
joues.—Chuuut,ai-jemurmuréendéboutonnantmachemise.N’aiepaspeur. Je
t’aime,Lilas.
MARDI18JANVIER2011
J’étaisincapabledebouger.Jetremblais,j’étaisdansunétatsecond.Plusriennemesemblaitréel.Jenevoulaisplusdecetteréalitédetoutefaçon.Ledrapétaitenrouléautourdemoncorpsetjem’yaccrochaiscommeàunebouéedesauvetage.L’étoffeétait imprégnéedesonodeur.Moiaussi. Jevoulaisà toutprixmedébarrasserdecefumet,maismonmauditcorps,cetraître,refusaitdebouger.Unevoixs’estélevéedanslapièce.J’airelevélatête.—Lilas.Lilas,chuuut,toutvabien,aditIrisdoucement.Çavaaller.J’ai ouvert la bouche, mais aucun son n’en est sorti, à part une sorte de
croassementaufonddemagorge.—Net’enfaispas,çavaaller.Non,çanevapasaller,putain!—Tuveuxquejet’aideàallerterafraîchir?Dansmonétat de zombie, j’ai hoché la tête et Irism’amisedebout.Nous
avons fini par rejoindre la salle d’eau, je ne me souviens plus comment.J’avais l’impression d’être sous l’eau, le sol me paraissait irrégulier, toutflottait. Je n’arrivais pas à croire que ce que je venais de subir était réel. Jesavaisquec’étaitvrai,maisçasemblaitflou.J’étaisenchaussettesdanslasalled’eau,toujoursaccrochéeàmondrap,à
fixerlesol.Pourquoineressentais-jerien?J’auraisdûêtreenlarmes.Irisatourné le robinetde ladoucheet aplacéune serviettepropre sur leborddulavabo.—Appelle-moisituasbesoind’aide,d’accord?Elleestressortieenfermantlaportederrièreelle.Çan’auraitpasdûêtredifficiledelâchercedrap,maisj’enétaisincapable.
C’étaitlaseulechosequimecouvrait–meprotégeait–etjen’arrivaispasà
m’en détacher. J’ai pris une profonde inspiration et je me suis encouragéementalement :Tupeux y arriver.Lâche ce truc et tu te débarrasserasde sonodeur.J’aiexpiréetlaissétomberletissuparterre.Jeme suisglissée sous le jet, impatientedeneplus sentir sonafter-shave.
L’eau chaude ruisselait sur mon corps, emportant les traces de ce monstre.Pourquoinem’étais-jepasdébattue?Jenevoulaispasluicéderet,pourtant,jen’avaisrienfaitpourrésister.Est-cequeçaauraitvaluquejerisquemavie?Oui.Savoirquejen’avaisrienfaitmerendaitmalade.Jemesentaissale,nulle.Sijem’étaisdéfendue,aumoins,jeseraismorteensachantquejeneluiavaispaspermisdemevioler.Ilétaittroptard.Jenepouvaispasrevenirenarrière.J’allaisdevoirvivreaveccetteidée.Jemesuismiseàsangloter.J’avaiseutroppeurpourtenterquoiquecesoit,jel’avaislaisséfaire.Mesjambesontcédésousmoietjemesuisécrouléedanslebacdedouche
en pleurant. J’ai attrapé l’éponge et je me suis frottée avec l’énergie dudésespoir,jusqu’àcequemapeausoitrougevif.Jemesentaissisalequ’aucunlavagenemeparaîtraitjamaissuffisant.Quand mon épiderme est devenu douloureux au point que le moindre
contactétaitinsupportable,j’ailâchél’éponge,jemesuisrelevéeetj’aicoupél’eau. Jeme suis emballée dans la serviette sans cesser de pleurer. Le cotonfrottaitcontremapeauàvif. Je tremblaisdenouveauet jemouraisdefroid,malgréladouchechaude.Àchaquefoisquejefermaislespaupières,jevoyaissonvisagepenchésur
moi.Lafaçondontilmeregardait–avecamour–merendaitmalade.J’aiétéprise d’un haut-le-cœur et j’ai placé une main sur ma bouche. Je me suispenchéeaussitôtau-dessusdestoilettes,justeàtempspourviderlecontenudemonestomacdanslacuvette.—Lilas,aappeléIrisàtraverslebattant.Ellemeparlaittoutdoucement,commesij’étaisunnouveau-né.J’aiserréla
servietteplusfort.Moncœuraaccéléré.Jenevoulaispasqu’onmevoie.—Jepeuxentrer?Rienn’estsortiquandj’aitentéderépondre,àpartunpetitgémissement.Je
mesuisassisesurlacuvette.Irisapoussélaporteetajetéunœilàl’intérieur.Jeme suis détournée pour ne pas lire la pitié dans son regard. Elle s’est
agenouilléedevantmoietjemesuisraidie.—C’estunequestionquivateparaîtrestupide:est-cequeçava?J’aifaitnonensecouantlatêteetj’aiserrélesbrasautourdemoi.Elleavait
raison,laquestionétaitstupide.—Jesuisdésolée,jesaisquecen’estpasunegrandeconsolation,maisje
t’assurequecesmomentsavecluinedurentjamaistrèslongtemps.Cen’étaitvraimentpasréconfortant;laduréen’avaitaucuneimportance.Je
nevoulaisplusqu’ilm’approcheneserait-cequ’uneseconde.—Chuuut,jesais.Tun’espasobligéedeparler.Irisaessuyémeslarmes.Jen’avaismêmepasl’énergiedelarepousser.—Viens,jet’emmènedanslachambre.Tuasbesoindesommeil.Jesuisrestéedeboutàcôtédemonlitpendantqu’Irism’enfilaitunpyjama.
C’étaitcommesij’avaisoubliécommentaccomplirlesgesteslesplussimples.Ellem’aaidéeàm’allongersurlematelasetm’abordée.J’avaisl’impressiond’êtresafille.Violettedormaitdéjà,jel’enviais.J’avais envie de parler à Lewis, ne serait-ce qu’un instant, juste pour
entendresavoix.J’aienfouilatêtedansl’oreilleretj’aipleuréensilence.Lelit était secoué parmes sanglots. J’avais encore l’impression que son corpsétaitsurmoi.Jemesentaishorriblementmal,maisjen’avaispaslecouragedeme leverpourvomir.Mes jambesétaient trop lourdes, j’avais juste enviedemeroulerenbouleetdelaisserlesommeilm’envahir.J’aifermélesyeuxetjemesuisreprésentélevisagedeLewis,sonsourire,
son rire, la façon dont il prononçait mon nom. Je l’entendais encoreparfaitement dans ma tête. Sum. La plupart du temps, il était trop paresseuxpour articulermon prénom en entier. Çame donnait des chatouillis dans leventre à chaque fois que je l’entendais. Ses yeux s’illuminaient quand ilm’appelait,commesilesimplefaitdediremonnomlerendaitheureux.AvecLewis,toutétaitexceptionnel.Jemesentaisspéciale,commesij’étais
la seule fille de l’univers. Il était doux et délicat. Je me savais aimée etprotégée. J’aipleuréencoreplus fortenme rappelantcombiencesmomentsétaient extraordinaires. Je n’éprouverais plus jamais ça. À présent, je mesentaissale,souillée,etLewisnemeregarderaitjamaisplusdelamêmefaçon.Commentlepourrait-il?J’aienfoncémonvisagedansl’oreillerdéjàtrempéetj’aifermélesyeux.Je
voulaism’endormirettoutoublier.Cemonstren’avaitplusrienàmeprendre.Est-cequecequ’ilmeferaitsubiravaitencorelamoindreimportance?Jemesuis roulée enuneboule lapluspetitepossible, en serrant les jambes contremoi.J’aipleuréjusqu’àneplusavoirdelarmesetquemagorgemebrûle.J’aifini par m’endormir, terrassée par la fatigue. La seule chose qui me faisaittenir,c’étaitl’idéequecen’étaitpasmapremièrefois:ça,aumoins,ilnemel’avaitpasvolé.
SAMEDI2MAI2009
Lewisavait l’airnerveux. Iln’arrêtaitpasde semordiller l’intérieurde lajoue. Ilnedevraitpas semettredansunétatpareil, lui?Quant àmoi,moncœur battait à cent mille pulsations à la minute et j’avais l’impression quej’allaisdéfaillir.Ils’estredresséetapasséunbrasautourdemoi.Nousétionsdansmon lit.Mesparents étaient partis fêter leur anniversairedemariage etHenry avait rendez-vous avec une fille zarbie qui riait à toutes ses blaguesdébiles.Nousavionslamaisonpournoustoutseuls.Cesoir,nousallions faire l’amourpour lapremière fois. J’étaisviergeet
l’angoisse me rendait presque malade. Et si je faisais un truc de travers ?J’étaisàcôtédemespompes,maisLewismerépétaitenbouclequetoutiraitbien.Ilétaitpersuadéquejem’ensortiraisetjenevoulaispasluidonnertort.—Çava?luiai-jedemandé.Jenecomprenaispaspourquoiilavaitpeur:ill’avaitdéjàfait,lui!—Ouais.Ilahochélatêteetessuyésespaumessursonjean.—Ettoi?—Çava,ai-jemurmuré.J’étaisprête.Jel’étaisdepuisunmoment,maistoutlemondedisaitque,la
premièrefois,çafaisaitmal,alorsj’étaisanxieuse.Malàquelpoint?Nousavionsdiscutéplusieursfoisdumomentidéal.Jenevoulaispasqu’on
fasseçaà lava-vite,avantquemesparents rentrentduboulot,ouà l’arrièred’unevoiture.Ducoup,nousavionsplanifiél’événementpourcesoir.N’était-cepasàluidefairelepremierpas?Jel’aiobservédiscrètement.Ets’ilavaitchangéd’avis?J’airi intérieurement.Quelmecdedix-septansdécideraitdepassersontour?—Tuasl’airnerveux,ai-jefaitremarquerenrougissant.—Unpeu.—Pourquoi?Ilahaussélesépaulessansrépondre.—Lewis?—J’saispas,c’estdifférentcettefois-ci.Etpuistuesvierge.Désolée!J’aifroncélessourcilsetilaéclatéderire.—Cen’estpasunemauvaisechose,Sum.—Jesais,ai-jeadmisenplissantlesyeux.—Tupréfèresattendre?—Non.Ettoi?Ilaeuunpetitrireetsesprunellesontpétillé.—J’interprèteçacommeunnon,ai-jedécrété.
Ils’estpenchépourm’embrasser.J’airessentideschatouillisdansleventre,comme à chaque fois. Ses lèvres étaient collées aux miennes, mais avecdouceur.Matêtetournait.—Jesuisprête,ai-jesoufflé.Lewisapousséunpetitgrognementetapassélesdoigtsdansmescheveux:—Attends, j’auraispasdûrépandredesrosessur le litouun trucringard
commeça?—Ouais,c’estbienconnu,touteslesfillesveulentavoirdesépinesquileur
rentrentdans lesfesses lapremièrefoisqu’ellesfont l’amour.T’inquiète.Ceseraspécial.Pasbesoindemiseenscène.Ses lèvres se sont à nouveau collées aux miennes. Au bout de quelques
secondes de baiser passionné, nous sommes tombés à la renverse sur lematelas. Mes vêtements ont disparu comme par magie. Il était doué. Je mesentaisnulledenepassavoirquoifaire.Lewisétait trèsdélicat, il s’est introduitdoucementenmoi,maisça faisait
vachementmal.J’aifermélespaupièresenm’agrippantàsondos.J’adoraislafaçon dont il me traitait et j’avais l’impression que nous ne formions plusqu’une seule personne ; malheureusement, je ne pouvais pas ignorer ladouleur.Jemesuismordulalèvre.—Tuveuxarrêter?—Non!J’airougienentendantmontondésespéré,maisc’étaitvrai : jenevoulais
surtoutpasarrêter.Jevoulaisdépasserlaphasedouloureuse.—J’aimetropêtretoutcontretoi.Et,dansquelquesminutes,çairamieux.J’espère. Kerri a intérêt à avoir raison ! Il m’a embrassée et je me suis
perduedans l’étreinte sanspluspenser à la douleurqui diminuait peu àpeu.C’étaitparfait,mêmesanslesbougiesetlesroses.
Jemesuisblottiecontrelui,latêtesursontorse.—Çava?Tuasencoremal?Jepeuxallertechercherquelquechose?Pendantqu’ilmebombardait dequestions, il dessinait sur lapeaudemon
dosdesformesimaginairesduboutdesdoigts.—Lewis,détends-toi,jevaistrèsbien.—Tuasditqueçafaisaitmal…
J’ailevélesyeuxauciel.—Jesurvivrai.—Tuasmal,maistuneveuxrienprendreparcequeladouleurnetetuera
pas?Ilasecouélatêteenmeregardantd’unairamusé.—Tonentêtementestpasséauniveausupérieur.— Ou alors, je ne suis tout simplement plus un bébé. La sensation est
agréableetçanefaitpresqueplusmal.—T’esvraimentzarbie,m’a-t-iltaquinéeenm’embrassantsurlefront.—Moiaussi,jet’aime.
JEUDI20JANVIER2011
Irism’aréveilléecematinenmecaressantlescheveux.Elleamurmuré:—Lilas.Summer,Summer,Summer,Summer,Summer!J’ai fermé lespaupières très fort etune larmes’est échappéepour tomber
sur le lit. J’ai serré la couette autour demoi et j’ai cachémon visage dansl’oreiller.Laisse-moitranquille.—Hé,nepleurepas,ilestdéjàreparti.Jel’aientendueposerquelquechosesurlatabledenuit.J’airelevélatêteet
j’aivuunetassedethéfumantetuneassiettedepaingrillé.Jepouvaismangerici?Etilétaitparti?—Qu’est-cequisepasse?J’aiclignérapidementdesyeuxpourchasserleslarmes.Nousnemangions
jamaisdanslachambre.—Ilestdéjàvenuprendrelepetitdéjeuner.Onluiaditquetunetesentais
pas bien et que tu te lèverais plus tard. Essaie de manger quelque chose,d’accord?J’aiacquiescé.J’allaismal,maismonestomacgargouillaitpourmesupplier
delenourrir.—Jetelaisse.Appelle-moisituasbesoindequoiquecesoit.Elle est sortie en refermant la porte. J’ai combattu la panique qui s’est
emparéedemoiaprèssondépart.Mêmesij’avaisenvied’êtreseule,jenemesentaispasensécurité.Aucunedenousn’étaitensécuritéici,maisc’étaitplussupportable quand nous étions ensemble. Je savais qu’il n’apparaîtrait pasdevantmoicommeparmagie,maisjenepouvaism’empêcherd’avoirpeur.Ilexerçaitun tel contrôle surnous. Jemesuis redressée, assisedosaumur, etj’aitirélacouettesurmoipourmeprotéger.
Latassedethéfumantmefaisaitenvie.Jel’aisaisieetj’aibuunpeu.Aprèsquelquesgorgées,jemesuissentieplushumaine.Magrand-mèresetrompaittoutdemême:une tassede thénepouvaitpas tout régler.Çanes’appliquaitqu’entempsnormaletiln’yavaitpasgrand-chosedenormalici.J’avais l’impression que ce qui s’était passé la veille était un cauchemar.
Était-ce vraiment arrivé ? Parfois, quand je pensais trop à un truc, il mesemblaitirréel.Quandunévénementétaittropchoquant,ilperdaitaussidesaréalité.J’auraissansdoutemieuxfaitdem’occuperpourmechangerlesidées,maisjen’avaisaucuneénergie.J’avaisl’impressiond’êtrevide.Summerétaiten train de m’échapper et pourtant je tentais de m’accrocher à cette adoinsoucianteettêtue.Jenevoulaispaslalaisserpartir.JenevoulaispasdevenirLilas.Lachairdepoulecouvraitmesbrasetun frissondedégoûtm’aparcouru
tout le corps. J’ai sauté au bas du lit et j’ai attrapé des vêtements et uneserviette.—Jevaismedoucher,ai-jemarmonnéenrouteverslasalled’eau.—OK,aréponduRoseenlevantlenezdesonlivre.J’airéglélerobinetsurlachaleurmaximaleetjemesuisassiseparterreen
attendantquelavapeurm’indiquequelatempératureétaitassezélevée.Est-cequejemesentiraisjamaispropreànouveau?N’ypenseplus…Summer.Jemesuis déshabillée et je me suis glissée sous le jet. L’eau était brûlante et j’aipousséunpetitcri.J’aiserrélesdentsetj’aiprisappuicontrelemur.La chaleur était insupportable. J’avais l’impression d’être piquée par une
nuéed’abeilles,maisjerefusaisdebouger.Quandmoncorpsestdevenutoutrougeetendolori,jemesuisenveloppée
délicatementdansune serviette.Lecotonmoelleux frottaitmapeauàvif.Çapiquait tellementqueles larmesmesontmontéesauxyeux.Heureusement, lemiroirétaitembuéetjenepouvaism’yvoir.Jetrouvaisquelesautresétaientfolles de se doucher deux fois par jour, mais je comprenais qu’elles ne sesententpeut-êtrejamaispropres.Lesseulsvêtementsàmatailleétaientunpantalonblancetunpullvertclair
à manches longues. J’ai brossé mes cheveux en comptant jusqu’à cent. Mamère m’avait appris à le faire quand j’étais petite. À l’époque, je le faisaiscommeunjeu,encriantleschiffresjusqu’àarriveràcent.J’aifaitpareilcettefoisenénumérantmentalementlescoupsdebrosse.J’avaisenviedereveniràcetteépoque,quandj’étaisgamine,assisesurlesgenouxdemonpèreetquejebrossaismescheveuxencorehumides.—Lilas,çava?m’ademandéRosedèsquejesuissortiedelasalled’eau.J’aifaitouidelatête,mêmesic’étaitcomplètementfaux.
Iriss’estassisedanslecanapéquandRoses’enestlevée,etjesuisalléelarejoindre. J’avais l’impression qu’Iris n’abordait pas certains sujets devantRose. Je ne savais pas si c’était parce qu’elle ne lui faisait pas confiance oupournepaslacontrarier.—Çairamieux, je te lepromets.Tunetesentiraspas toujoursaussimal,
m’a-t-elledit.—Tuenessûre?—Oui.Çadevient… tolérable.Moiaussi, j’aihorreurdeça,Lilas. Il faut
juste que tu arrives à te concentrer sur autre chose pendant que ça se passe.Moi,jepenseàcommentjevoudraisquesoitmavieet,pendantcesquelquesminutes,jesuisdansunautremonde.Ellesouriait,leregardperdudanslevide.—Tuvoudraisqu’ellesoitcomment,tavie?—Heureuse.Jem’imaginevivredansunebellepetitemaisonavecdulierre
surlafaçadequepercentdesfenêtres.Lejardinestjoliaussi,avecdesfleurscolorées et un potager. Mon mari est un homme formidable, qui travaillebeaucoup pour faire vivre sa famille, pendant que je m’occupe des enfants.J’imaginecommentsedéroulerontmesgrossesses,àquoiressemblerontmesenfants, nos vacances, les jeux dehors. On est heureux, tu sais, vraimentheureux.J’airéussiàesquisserunsourire.—Çaal’airbien.Avant,jerêvaisdevivreàLondresdansunimmenseappartementavecvue
sur la Tamise, un bon salaire, des bars à cocktails. Maintenant, je mecontenteraisden’importequoi–mêmed’uneboîteencarton–tantquec’estendehorsdecettemauditecave.—Jesaisquec’estidiot,maisj’aitoujoursvouluunebellepetitemaisonet
unefamille.—Non,cen’estpasidiot.Ettupeuxencoreavoirtoutça.Ilsuffisaitqu’onsorted’ici.Est-cequesonrêvedevieparfaitesuffiraitàla
convaincredem’aider?Ànousdeux,nouspourrionsluifairedumal.J’étaiscertainequeVioletteseraitpartante.Elleasoupiréetasecouélatête.—Non,Lilas.Cen’estqu’unrêve,riendeplus.Tuveuxuneautretassede
thé?Avantquej’aieeuletempsderépondre,elleestalléeprendrelabouilloire.
Faire bouillir de l’eau…On pouvait faire beaucoup de dégâts avec de l’eaubouillante.—Lilas,tuveuxunsucreenplus?
Pourquoiest-cequejevoudraisunsucreenplus?J’aifroncélessourcils.—Non,merci.Irism’asouriets’estremiseàpréparerlethé.Elleauraitdûêtreentrainde
servirduthéàsonmarietdujusdefruitsàsesenfants.Elleméritaitcettevie.Pourlapremièrefois,j’aivraimentréaliséquejen’étaispaslaseuleàpasseràcôté de quelque chose. Rose et Iris n’avaient peut-être pas de famille quandelles avaient été enlevées,mais ça ne voulait pas dire qu’elles n’avaient pasenvied’enavoirune.Ellesauraientpu,siellesn’étaientpasenferméesici.Irisadéposéunetasseetuneassiettedepaingrillédevantmoi.Jenesavais
pass’ilsortaitdugrille-painousielleavaitréchaufféceluiauqueljen’avaispastouchédansnotrechambre,maisçan’avaitpasd’importance.—Merci.J’aigrignotéunboutdepain,maismonestomacs’estsoulevé.Jemesentais
troprépugnantepourgarderdelanourriture.LanouvelleVioletteaouvertlaportedelachambreetenestsortied’unair
craintif.—Toutvabien,luiai-jemurmuré.Waouh,j’étaiscommeRoseetIris,jedonnaisdefauxespoirsàlanouvelle.
Elles’estapprochéeets’estperchéesurl’accoudoir.Irism’aditàl’oreille:—Elle n’a pas prononcé unmot. Elle refuse de nous parler oumême de
nousécouter.Probablementparcequ’ellen’apasenvied’écoutercequevousavezà lui
expliquer.Violetteétaitencoresouslechoc.Elleexaminait lapièce, lesyeuxcommedessoucoupes.Moncœurs’estserréquandjemesuisrappelécombienje me sentais perdue et terrifiée à mon arrivée. Violette avait besoin dequelqu’unquilacomprenne,pasd’entendredèslepremierjourqu’elledevaitêtreforteettenirlecoup.—Commentt’appelles-tu?Elleatournélatêteversmoisibrusquementquej’aisursauté.—Layal,a-t-ellemurmuré.—Layal,cen’estpascourant.—JeviensdeFrance, je suisvenue ici avecmamèrepour rejoindremes
grands-parents,quandj’avaisdeuxans.J’arrivaisàunrésultat.Aumoins,ellem’avaitparlé.—Pourquoiest-cequetuasdéménagé?Elleaplissélefront.—Monpèrenousmaltraitait,jecrois.Jen’aiaucunsouvenirdelui.—Jesuisdésolée,adéclaréRose.
Layalahaussélesépaules.Violette,mesuis-jecorrigée.Jenepouvaispaslelaissermesurprendreàl’appelerparsonprénom.Sijegaffaisdevantlui,çarisquaitdedéclencheruneréactiondémesurée.Violettes’esttournéeversmoi,commesiellenevoulaitpastenircomptede
laprésencedeRoseetd’Iris.—Qu’est-cequ’ilveut?—Ondiraitqu’ilveutlafamilleparfaiteouquelquechosedecegenre.Jene
comprendspas,maisjeneveuxpascomprendrecetaré.J’aifaitsemblantdenepasremarquerleregarddésapprobateurdeRose.Tu
assubiunvrailavagedecerveau.Violetteafroncélenezd’unairdégoûté.—C’estunvraimalade.J’aiacquiescé.Tun’aspasidée.—Qu’est-cequ’ilt’afaithiersoir?J’aibaissélesyeuxetjemesuisraidie.—Ilt’aviolée,c’estça?a-t-ellemurmuré.Non!Non,non,non,non,non!J’aifixéunpointsur lesolet j’aiessayédemedébarrasserdunœuddans
magorge.Jenepleureraipas.—Jenemelaisseraipasfaire,aaffirméViolette.J’ai serrémes jambes contrema poitrine. J’avais dit à peu près lamême
chosequandj’étaisarrivéedanscetteprison.Roseareplacésescheveuxderrièresesoreilles.—Tuveuxquelquechoseàmanger,Violette?—Layal.Non,merci.Pourquoiest-cequenoussommesencoreicialorsque
noussommesquatrecontreun?Bonnequestion.Lapeur.C’estcequinousempêchait,Irisetmoi,d’essayer
denousenfuir.PourRose,enrevanche,c’étaitautrechose.Violette voulait clairement s’enfuir : nous avions peut-être des chances de
réussir. Nous en mourions d’envie toutes les deux. Iris ne se laisserait pasconvaincrefacilement,mais j’étaispersuadéequ’onpouvait larallierànotrecause.Rose,elle,étaitunecauseperdue.Quoiquenousfassions,nousdevionsnousassurerqueleplanseraitminutieusementpréparéetqueRoseneseraitaucourantderien.—Onpourraitl’empoisonner,asuggéréViolette.—Non,tropdechosespourraientmaltourner.Ilfaudraityallerpetitàpetit,
pourqu’ilnesenterien,etiln’yauraitalorsaucunegarantiequ’ilrendraitsonderniersouffleici.Jeneveuxpasmourirdefaim.
On pouvait le poignarder, mais nous n’avions pas d’objets pointus. Lefrapper sur la tête avec quelque chose de lourd,mais les seules possibilitésétaient lapoêle, la téléouunechaise,etnousnepourrionspas l’attraperparsurprise.—Commentest-cequ’ilt’atrouvée?IlfallaitquejechangedesujetparcequeRoseétaitdanslesparagesetjene
voulaispasqu’elleserendecomptequej’envisageaisdem’évader.—Jevaispréparerdelasoupepourledéjeuner,aannoncéRose.Je l’ai regardée s’éloigner vers le coin cuisine. J’espérais qu’elle s’en
tirerait quand nous sortirions de cette cave. Sa famille allait devoir prendresoind’elleaprèstoutcequ’elleavaittraversé.Quandelleasortidescasserolesduplacard,j’aichuchotéàViolette:—Onreparlera,quandonseraseules.Elles’esttournéeversRoseetsesyeuxsesontélargisuninstant,aumoment
où elle comprenait la raison pour laquelle je ne voulais pas prolonger laconversation.J’étaisplusdéterminéequejamaisàm’échapper.QuandRosenousaappeléespourmanger, j’aiprisplaceàtableenfaisant
semblantderien,mêmesijen’étaispasdansmonétatnormal.Moncœurétaitserréet jen’avaisqu’uneenvie:meroulerenbouledansuncoinetyresterjusqu’àcequ’onnousretrouve.—Çasentbon,adéclaréIris.De la vapeur s’échappait de nos assiettes en dansant. J’ai regardé les
tourbillonss’élever.Moiaussi,j’auraisvoulum’envoleretdisparaître.—Tun’aspasfaim,Lilas?m’ademandéRose.Jen’avaisavaléquequelquescuillèresdepotageetj’avaisàpeinetouchéau
petitpain.—Non.Évidemment.J’avaisperdul’appétitdepuismonarrivéedanscesous-solet,
aprèsleshorreursdelaveille, jemesentaistropdégoûtéepourmangerplusquequelquesbouchéesdepaingrillé.Elleareprismonassiette.—JevaismettreçadansunTupperwareaufrigoetonlegarderapourplus
tard.—Jen’envoudraipasplustard.Elleasouri.—Justeaucasoù.Aprèslerepas,RoseetIrissesontlancéesdanslenettoyagequotidiendela
salle d’eau. J’aurais dû leur donner un coup demain enme chargeant de lacuisine,maisjen’avaisnil’énergienilamotivation.Mêmesijetenaisàrester
enviepourrevoirmafamille,chaquejourl’idéedemourirmelaissaitunpeuplusindifférente.Violettes’esttournéeversmoi.—Ellesontditqu’ildescendaitpourledîner,non?J’aihochélatête.—Onleferaàcemoment-là.Onattrapera toutes lesdeuxun trucpour le
frapperleplusfortpossible.Merde,ellevoulaitfaireçacommeça,sanspréparatifs?—Quoi?Non.Ilfautunplan.Onnepeutpasjusteluitaperdessus.Elleaplissélefront,l’airfurieuse.—C’estunplan.Non, pas du tout. On ne pouvait pas s’attaquer à lui sans une stratégie
réfléchie.Ilyavaittropderisquesetbiend’autresavaientéchouéavantnous.—Violette,d’autrescaptivessesontlancéessansavoirbienréfléchi.Onne
peutpasfaireça,pastoutdesuite.—Onnepeutpasrestersansrienfairenonplus.Ilfautagir.Commentpeux-
tudirepastoutdesuite?—Tuasdéjàvuquelqu’unsefairetuersoustesyeux?Elleafroncélessourcils.—Quoi?Non.—Ehbien,moisi.Etc’estpourçaqu’onnedoitpasselancermaintenant.Jemesuislevéesansmeretourner.Lenettoyagenemesemblaitpasunesi
mauvaiseidée,pourunefois.
Laportedusous-sols’estouvertepileàl’heureetmonsangs’estglacédansmesveines.J’aisentidelabiledansmagorgequandiladescendulesescaliersensouriant,unbouquetdeviolettesàlamain.—Bonsoir,lesfleurs.Cestroismotsmerévulsaient.J’aireculépourmeréfugierderrièrelatable
etj’aiagrippéunechaise.Égoïstement,j’étaiscontentequeViolettesoitlà;ilseplaceraitenboutdetable,loindemoi.Violette l’observait avec une moue de dégoût. Ne fais pas ça, l’ai-je
imploréeensilence.Sielle tentaitquoiquecesoit,elleseferait tueret jenevoulaispasunautremeurtre.CetteViolettedevaitresterenvie.Elleaposé lesyeuxsur levasevideposésur lecomptoirde lacuisine. Il
étaitbeaucoup trop finet légerpourcauser lemoindredégât. Ilne lui feraitmêmepasmal.Elleacherchémonregardetm’aadresséunmouvementdelatête.Jeluiaisignifiéunrefus.—Summer,aditViolette.Merde!Elleavaitutilisémonvrainom.Marespirations’estaccéléréeetje
luiaiànouveausignifiénon.Heureusement,Trèflen’avaitrienentendu,ilétaitaccaparéparRoseetIris.Non, ai-je articulé en silence. Elle ne voulait pasm’écouter. Trèfle était à
côtéd’elle,luitournantledos.Oh,monDieu,non!Monsouffles’estcoupéquandVioletteasoulevélevaseetl’aabattusursa
tête d’un geste rapide. Rose et Iris ont poussé un petit cri de surprise. Leplastiques’estbriséenplusieursmorceauxquisonttombésparterre.Trèfleatitubéenavant,dequelquespasseulement.Il allait la tuer. Mes yeux se sont écarquillés d’horreur en le voyant se
redressertrèslentementetseretourner.Violettelecontemplaitbouchebée.LeregarddeTrèfleétaitduretglacé.Mesmainssesontmisesàtrembler.
VENDREDI21JANVIER2011
Trèflel’agifléeavecforceetlebruitarésonnédanslapièce.Violetteapousséuncridedouleurets’estécrouléeausolensetenantlajoue.Jenepouvaispasassisteràcettescène.Jenepouvaispasresterpassivecommepourl’autrefille.Tantpiss’ilmetuaitaussi.Ilmerendraitpeut-êtreservice.J’aitendulamainpourattraperunautrevase.Çaneletueraitpas,maisça
n’avait pasd’importance.L’essentiel, c’était demebattre, de faire cequimesemblait juste.Mes doigts avaient à peine frôlé l’objet qu’Irism’a attrapé lebrasetm’atiréeversl’arrière.—Non,m’a-t-ellesouffléàl’oreille.Jeme suis débattue,mais elleme serrait fermement. Je n’y arriverai pas.
C’étaittrop.Jen’enpouvaisplusdemeforceràsourireetdejoueràlafamilleheureuse.Violette s’était relevée, elle tentait d’avoir l’air sûre d’elle et de cacher sa
peur,maissesmainstremblaientetsesyeuxétaientexorbités.J’admiraistoutde même son courage. Elle était terrifiée, et pourtant elle tenait tête à sonadversaire.Ilafaitunpasenavant.Sonregardavaitunelueurmaléfique.Ils’estjetésur
elleets’estmisàlarouerdecoupsdepoingetdecoupsdepied.Ellecriaitàchaque impact, les bras levés pour protéger son visage, puis elle s’estrecroquevilléeenpositionfœtale.Jen’arrivaispasàdétachermesyeux,mêmesi j’auraisvouludetoutmon
cœurcontemplerunautrespectacle.Cen’étaitpasplusfacilequelapremièrefois. Rose et Iris tressaillaient et reculaient,mais elles étaient plus habituéesque moi. Elles ne donnaient pas l’impression d’être au bord del’évanouissement ou de la syncope. Les hurlements deVioletteme clouaientsur place.Mes jambes ont cédé et jeme suis effondrée sur le sol. Iris s’est
agenouillée près de moi et m’a prise dans ses bras. Trèfle était en train demassacrer lamalheureuse. Je voulais lui venir en aide,mais jem’en sentaisincapable.Irismemaintenaitdetoutessesforces.DusangdégoulinaitdunezdeViolettejusqu’àsonmenton.Lescoupsétaient
violentsetchacunmedéchiraitendeux.J’aiéclatéensanglots.Letaréaattrapésavictimeparlescheveuxpourlasoulever.Elleahurléde
douleur. Avec unemoue demépris, il lui a boxé le visage. Elle a titubé enarrière,aheurtélemurets’estànouveaueffondréesurlesol.Elleaétéprisedehaut-le-cœuretacrachédelasaliveteintéedesang.Trèfle
abondienarrièreens’essuyantlefront, lesyeuxrévulséset lenezplissédedégoût. Il ablêmien remarquant le sangsur sesmainseta tourné les talonspourremonterlesescaliersencourant.Irism’alâchéedèsqu’ileutrefermélaporte. Je me suis précipitée vers Violette. Elle gisait par terre, couverte deliquiderougeetpoisseux.Sescheveuxcollaientàsesjoues.— Violette, a murmuré Rose en posant délicatement une main sur son
épaule.Çavaaller.Onvatenettoyer.Est-cequeçaavaitlamoindreimportance?Ilallaitrevenirl’acheverd’un
instantàl’autre.—Vachercherdesserviettes,Lilas,m’aordonnéRose.J’ai couru en chercher dans l’armoire. Je voulais l’aider autant que je
pouvais.Jen’yconnaissaisrienenpremierssoins.Jesavaisjustequ’ilfallaitarrêterl’hémorragieauplusvite.Rosem’aarrachéuneserviettedesmainsetl’apresséecontrel’entaillequeVioletteavaitàlatête.—Occupe-toidel’autrecôté.L’autrecôté?J’ai contournéViolette et j’ai compris cequeRosevoulait dire.Elle avait
unesecondeblessureprofonde.Ellefaisaitàpeineuncentimètredelong,maislesangencoulaitàflots.J’aisangloté,incapablederetenirmeslarmes.—Jesuisdésolée,Violette,tellementdésolée,ai-jemurmuréenappliquant
letissusurlaplaieavecforce.Sousladouleur,elleagémi.J’auraisvoulunepasluifairemal,maisc’était
indispensable.C’était peut-être une perte de temps, car il la tuerait à son retour, si elle
n’agonisaitpasavant,maisnousnepouvionspaslalaisserdansunétatpareil.Nousdevionsessayerdelasauveràtoutprix.
Iriss’estagenouilléeprèsdemoiavecunbolenplastiqueremplid’eau,ducotonetdesbandesdegaze.— Il faut la porter au lit dès qu’on aura lavé ses blessures. Tiens bon,
Violette.Iris a plongé une boule de ouate dans l’eau et a tamponné délicatement la
zoneautourdel’entaillequeRosenettoyait.—Aah!ahurléViolette.Non,çapique.—Jesais, je suisdésolée, il fautqu’on tenettoie. Je teprometsqueçane
durerapaslongtempsetquejeserailaplusdoucepossible.Irisafrottédélicatementlecotonlelongdubasdelaplaie.J’aiprislamain
deVioletteetelleaserrélamiennetrèsfort.Dusangavaitimbibélaserviettequej’appuyaissursablessure,teintantmesdoigtsderouge.L’angoisse me nouait l’estomac. J’étais terrifiée à l’idée qu’elle puisse
mourir.Elleétaitmonseulespoir.Sonétatétait-iltropgrave?Elleavaitpeut-êtresubidesdégâtsinternesinvisiblesetsatêteétaitenpiteuxétat.J’entendaisencorelebruitaffreuxdescoupsqueTrèfleluiavaitassenés.Jenesavaispasce que je deviendrais si elle mourait. J’aurais dû l’aider. Face à son visagegonfléettuméfié,jemesentaisimpuissanteethonteuse.Irisapansé l’unedesdeuxentaillesetestvenueprèsdemoipourfairede
même avec la seconde. J’ai déplacé la serviette pour qu’elle puisse nettoyeravecducoton.RoseétaitpenchéesurVioletteettenaitlagaze,prêteàlapasseràIrisdèsqu’elleauraitterminé.—Bien,aconcluRoseunefoisquel’essentielétaitaccompli,emmenons-la
danssonlit.Roseet Iris l’ont soulevéechacuned’uncôtépendantque je soutenais son
dos.Violetteapousséuncridedouleurquiarésonnédanslesous-soletm’afait
tressaillir.Ellesetenaitlapoitrineetsarespirationétaitlourde.Avait-elledescôtescassées?—Onyestpresque.Ilnousfallaitdesantidouleurs.Trèflecontrôlaitlesmédicamentsqu’ilnous
donnaitetn’enautorisaitquedeuxàlafois.J’aicourupourécarterlacouette.Rose et Iris l’ont posée précautionneusement sur lematelas. Je l’ai couvertejusqu’auxhanchespourévitersescôtes.—Est-cequejevaismourir?a-t-ellesoufflé.Sa respiration était difficile, on aurait dit que chaque expiration et chaque
inspirationluidemandaituneffortsurhumain.Jemesuispenchéeàsonchevet.—Non,tuvast’ensortir.Onvas’occuperdetoi.
Ce taré ne l’emporterait pas. Je ferais tout mon possible pour qu’elle seremette.Jevoulaismerattraperdel’avoirlaissélamassacrer.Àcettepensée,leslarmesmesontmontéesauxyeux.—Essaiededormir.Pendantsonsommeil,aumoins,ellen’auraitpasmal.Violetteafermélespaupièresetacontinuéàrespireravecdifficulté.Ellene
dormiraitsansdoutepasbeaucoup,maisaumoins,ellesereposeraitunpeu.J’aiessuyémeslarmesetj’aitentédemecalmer.Qu’allait-ilsepasser?Il
finirait par revenir. S’attendait-il à trouver un cadavre dans une houssemortuaire?J’ai poussé un petit cri en me souvenant soudain que nous avions des
antidouleurs.QuandIrisetRoseavaientfaitcroireàTrèflequej’étaismalade,ilm’enavaitapportédeux.J’aifoncéjusqu’àmatabledenuitetjelesaisortisdutiroir.—Prendsça,Violette!Ellearouvertlesyeuxetaécartéleslèvrespourlesavalersansattendre.—Tuveuxdel’eau?Elle a refusé en tournant tout doucement la tête. J’étais incapable d’avaler
comme ça ces comprimés : c’était dégueu et ça collait à la gorge. Violettedevaitavoirvraimentmalpourrefuserl’eau.—Justeun,Lilas,aconseilléRose.Ilfautlesrationner.Mêmesi j’avaisvraimentenviede luidonner lesdeux, jesavaisqueRose
avaitraison.Ceneseraitpasfaciled’enobtenird’autres.—Merci,amurmuréVioletteaprèsavoiravalélemédicament.Roses’estredressée.—Nousallonstelaissertereposer.J’aisecouélatête: ilétaithorsdequestiondel’abandonner.Rosem’afait
signedequitterlachambreenmefixantavecdegrosyeux.EllevoulaitnousdirequelquechosesurViolette.Jemesuislevéeetjelesaisuivies.—Qu’est-cequ’ilya?ai-jedemandéquandRosearefermélaporte.—Ilfautqu’onréfléchisseàcequ’onvafairequandilreviendra.Ilnesera
pascontentdutout.Quesavictimeaitsurvécu.Queltaré!—JevaisluiexpliquerqueViolettepensaitqu’ilallaitnousfairedumalou
quelquechosedugenre.Jenesaispasencoreexactement…J’ai reniflé et je me suis essuyé les yeux. J’avais du mal à tenir debout.
J’avais envie de me rouler en boule et de pleurer, mais je ne voulais pasbaisserlesbras.Jen’avaispasperdutoutespoir.—Vouscroyezqu’ellevamourir?
Roseasoupiré:—Jenesaispas.J’espèresincèrementquenon.Violette ne pouvait pasmourir. Je ne la connaissais que depuis peu,mais
dans ce sous-sol c’était l’équivalent de plusieurs années. Tout semblait pluslong. C’était la seule à vouloir à tout prix sortir d’ici comme moi. J’avaisbesoind’elle.
Moncœurabondidansmapoitrinequandj’aientenduTrèfledescendreausous-sol. J’ai saisi la main de Violette et j’ai fermé les yeux en implorantsilencieusementTrèfledelalaissertranquille.Laportede lachambres’estouverte.J’aisursauté,avantdeconstateravec
soulagement que c’était Iris.Elle a refermé le battant derrière elle.Elle étaitseule.Était-ilentraind’écouterlaversiondeRose?—Qu’est-cequisepasse?—Rosediscuteaveclui.—Onnedevraitpasessayerdelesespionner?—Non,s’ilnoussurprenait,çaneluiplairaitpas.J’aiserrélamâchoirepourluttercontreunesoudaineenviedehurlercontre
cedingue. J’avais tantdechosesà luidire,mais rienque jepuisseexprimersanssignermonarrêtdemort.— Combien de temps est-ce que tu crois qu’il faudra à Rose pour le
convaincre?Irisahaussélesépaules.—Çapourraitprendredu temps,sielleyarrive. Ilnechangepassouvent
d’avis.Unvraimalademental. Ilavaitdûvraimentsubirun truchorriblepouren
arriver là, mais rien ne pouvait justifier ses agissements. Iris et moi noussommesassisessurmonlitetavonsattenduRosesansriendire.Je pensais à toutes les choses que je serais prête à endurer s’il laissait
Violettetranquille.Jenemeplaindraisplusjamaisd’êtreenferméedanscettecave.JenemefâcheraispluscontreIrisouRosequandellesm’appelleraientLilas.Jen’essaieraisplusdetrouverlemoyendenuireàTrèfle.JemesuistournéeversIrisenentendantlaportedusous-sols’ouvriretse
refermer.Jenevoulaispasnourrir tropd’espoirs,mais iln’étaitpasvenu lachercher…c’étaitbonsigne.Rosenousarejointesavecunsourire:
—Toutvabien.—Quoi?Jen’encroyaispasmesoreilles.Ilnerevenaitpaspourl’achever?Malgré
tout,jenem’attendaispasàcetteissue.Roses’estassisesurlelitdeViolette.—Jeluiaiexpliquéqu’elleavaiteupeur,qu’elleavaitcruqu’ilallaittoutes
nous tuer et qu’elle avait tenté de nous protéger. Il amarmonné des parolesincohérentespendantdixminutes.Jen’aipascomprislemoindremot.Elles’estinterrompue,lefrontplissé.—C’étaitétrange…eteffrayant.Cen’étaitpasrassurantqueRosel’aittrouvéflippant.—J’aifiniparleconvaincrequ’ellenesavaitpascequ’ellefaisait,qu’elle
n’avaitpascomprisquenousformionsunefamille.J’aiserrélamâchoire.Nousneformonspasunefamille.—Alorsilvanousaideràlaguérir?ademandéIrisd’untonétonné.Roses’estmordulalèvreenréfléchissantàlaréponse.—Ilpermetquenouslasoignions.Pourlapunir,ilneluiapporteraaucun
médicament.J’étais clouée sur place. Il allait la laisser souffrir… J’avais l’impression
d’avoirencaisséuncoupdepoingdansleventre.Commeelleluiavaitdéplu,il fallait qu’elle en bave. La haine que je ressentais pour lui me brûlait del’intérieur.J’auraisvouluqu’ilmeuredanslessouffrancesatrocesqu’ilavaitfaitsubiràtantdevictimes.— Bon, a enchaîné Iris. Ça ira, on va s’occuper d’elle. Elle s’en sortira
grâceànous.Elle finirait par s’en remettre, mais pendant combien de temps allait-elle
endurerlasouffrance?J’aidétournéleregardducorpsfragileetcontusionnéde Violette. Elle aurait mieux fait de mourir. Vivre ici, dans une situationpareille,étaitpirequelamort.Jetedemandepardon.Nous sommes restées à son chevet pendant des heures. Soudain, un gros
bruitsourdsuivideplusieurspluslégerssesontfaitentendredepuislesalon.J’aipousséunpetitcridesurpriseetmoncœurs’estaccéléré.—Qu’est-cequec’est?Jeme suis dirigée vers la porte.Unhurlement de femme a répondu àma
question:—Non!Nousdevionsnousrendreàl’horribleévidence.Rose fixait le battant fermébouchebée.Entendre ce qu’il était en train de
fairesuffisaitànoustétaniser.Jemereprésentaislesang,laviolence.
—Non,non,jevousenprie,asuppliél’inconnue.Deslarmesmesontmontéesauxyeux.—Rose,qu’est-cequ’onfait?—Onnefaitrien.Jevaismetenirdansl’embrasurejusqu’àcequecesoit
fini.Ilvoudraaumoinsvoirl’unedenous.Iris l’aaccompagnée,ellesontentrebâillé laporteetsesont tenuesdebout
sur le seuil. J’avais l’estomac noué par l’angoisse en entendant lessupplications de la jeune fille. Comment pouvait-il tuer avec une telleindifférence?—Qu’est-cequisepasse?m’ademandéVioletted’unevoixrauque.Unnouveaucrigutturalarésonnédanslesalonetjemesuisraidie.—Qu’est-cequec’est?—Chuuut.Leslarmesdévalaientlelongdemesjoues.—C’estpourçaquenousluiobéissons.
VENDREDI21JANVIER2011
Lesmainsencoretremblantes,j’aiverrouillélaportedesfillesetj’airepoussélabibliothèque.Sale.J’étaissaleetdégoûtant.Dusangmaculaitmespaumesetmes habits. Il fallait que jeme lave, que je reprenne le contrôle.Mes doigtss’agitaientetmoncœurbattaitàtoutrompre.Lasalled’eauétaitàl’étage.J’ysuisarrivécomplètementhébété.J’aitourné
lerobinetdeladouche,jemesuisdéshabilléetj’aijetémesvêtementsdanslelavabo.J’allaisdevoir lesbrûler.Mêmesi je les lavais, ilsneseraient jamaispropres.Çan’avaitpasd’importance;j’avaislamêmetenueendouble.Jemesuismissouslejetetl’eaubrûlantem’adétendu.Jesentaisqu’elleemportaitlesmicrobes.L’angoisseetlatensionontdiminuépetitàpetit.Je suis sorti de ladoucheet jeme suis enveloppédansune serviette.Mon
corps s’était endurci sous l’eau bouillante. Plus jeune, j’avais la peau à vifquand jeme lavais à cette température,mais c’était bien fini.Propre. J’étaispropre.Jepeuxlefaire.Jen’échoueraipas.J’yarriverai.Mamansetrompait.Je n’avais pas besoin d’elle pour survivre. Je m’en sortais très bien. Jen’échoueraipas.Maman n’aurait pas aimé les filles, évidemment. Ça ne lui aurait pas plu
qu’ellesm’aident et quemoncœur leur appartienne.Mais ellen’était plus làpour me dicter mon comportement. Je pouvais faire ce que je voulaisdésormais.C’étaitmoiquicontrôlaismavie,paselle.Pastoi.Lesfillesenauraientbientôt fini, j’aidoncenfilédesvêtementspropreset
enfournélessalesdansunsac.Ducharbonetduboisétaientdéjàprêtsdanslacheminéedusalon.Jelesaiallumésetj’aijetélesacdessus.J’airegardélesflammes s’élever et lécher le paquet, qui a noirci en quelques secondes.Leshabits se sont transformés en cendres sous mes yeux et je me suis un peudétendu.Ilmerestaitunechoseàfaireavantdepouvoirvraimentmerelaxer…
emmenercettesaleputehorsdelamaisonetloindesfilles.Quandjesuisrevenudansleurséjour,elleslisaientsurlecanapé.Lahousse
mortuaire,aveclapute,étaitprèsdel’escalier.LeregarddeLilasétaitperdudans le vide, par-dessus son livre.Cette vie était très différente pour elle decellesansintérêtqu’ellemenaitavecsonanciennefamille.Elles’étaittrèsbienintégrée.Rosem’asourien inclinant la tête sur lecôtéet ses longscheveux foncés
sontàmoitiétombésdevantsonvisage.Elleétaittrèsbelle,trèsfemmeettrèsaimante. Je regrettais encore que les choses se soient passées ainsi. Rose –Shannen–etmoi,nousaurionsdûêtreensemble.C’estellequiauraitdûalleracheterlalaineetlesvêtementsdesfilles.J’auraisdûmeréveilleràsescôtéschaquematinaulieudetrouveruneplacevideetfroidedansmonlit.J’airamassélahoussemortuairesansunmotetjel’aiportéejusqu’aurez-
de-chaussée.Lefardeauétaitlourd,maismoinsqueletributquelesputesdanssongenrefaisaientpayeràlasociété.Ilyenavaitunedemoinsdanslemonde.Je savais qu’il y en aurait d’autres ; la tâche était infinie. Contrairement augouvernementetàlapolice,jerefusaisdecroiserlesbrasetdelaisserfaire.J’aiportélecadavrejusqu’àlavoitureetjel’aihissédanslecoffre.Ilfaisait
noir,toutétaitparfait.Letrajetjusqu’aucanaln’apasdurélongtemps.J’avaiseffectuéceparcours
tantdefoisquejenedevaismêmeplusréfléchir.C’étaitautomatique,j’auraispu m’y rendre les yeux fermés. L’eau trouble était le cimetière de cesaberrations.J’aiouvertlecoffre,j’aiprislecorpsdansmesbrasetjel’aiposéparterre.
Non loin de là, près des bâtiments abandonnés, des fragments dematériaux,des pierres, des briques cassées et des blocs de béton étaient entassés. Laconstructiondecettezoneétaitcenséeprendrefindansunan,maislestravauxavaient déjà été reportés deux fois. Ils auraient mieux fait de laisser toutpourrir.J’ai lesté la housse avec unmaximumde ces débris et je l’ai lâchée dans
l’eau.Elleacouléetj’aipousséunsoupirdesoulagement.Unedemoins…
LUNDI24JANVIER2011
J’aidescendulesmarches.—Bonjour,lesfleurs.Lilasétaitàtableetjouaitavecsescouverts.Ellealevélatêteetm’aadressé
unsourire timide.Sesyeuxvertsavaient l’air tristes,usés.Quelquechosenetournaitpasrond.Elleétaitpeut-êtremalade.—Bonjour,Trèfle,ontréponduRoseetIris.JemesuisassisenfacedeLilas.—Tuasbiendormi?Elleabaisséleregard.—Oui,merci,a-t-ellemurmuré.—Tunetesenspasbien?—Çava.J’aisaisimacuillère,quandRoseaplacéunboldemueslidevantmoi.Nous
avonsmangénotrepetitdéjeunerensilence.—Bon,jevaistravailler.Passezunebellejournéeetjevousretrouveraiau
dîner.Jesuisarrivéaubureauquaranteminutesplustard.—Bonjour,Christy,ai-jeditenarrivantàlaréception.Commentvas-tu?Elleasouri.Sescheveuxétaientattachésenunchignonserréetelleportait
unetenuetrèspeuconvenable.Jenesavaispaspourquoielleétaitautoriséeàs’habillercommeuneprostituée.—Super,Colin,ettoi?—Trèsbien,merci.Je suis entré dans mon bureau et j’ai posé ma serviette. Tandis que mon
ordinateur démarrait, je suis allé préparer un café instantané. Je suis passédevantlebureaudeGregoryHart;c’étaitunavocatexpérimentéquitravaillaitpour le cabinet depuis sa sortie de l’université. Il était en conversation avecChristy, qui semblait avoir foncé sur lui dès son arrivée. Elle gloussait. J’aireculéd’unpaspourlesécouter.—Alors, tues librece soir ?Onpourrait étrenner la lingeriedont je t’ai
parlé,aronronnéChristy.Mon estomac s’est noué. Greg était marié et sa femme était enceinte de
plusieursmois.— Hmm, oui. Natalie rend visite à sa mère et sa sœur, elle sera absente
pendantplusieursnuits.Jevaismeretrouverbienseuldansmagrandemaison.Le visage de Christy s’est illuminé comme celui d’un enfant face à ses
cadeauxdeNoël.— Je serai là à sept heures. Je repasserai juste chezmoi pour enfiler une
tenuemoinsconfortable.J’aiserrélespaupières.Était-celegenred’horreursquemonpèredisaitàsa
putequandmamanetmoiallionsfairelescourses?Est-cequ’ilseréjouissaitautantqueGregHartàl’idéedetrompersafemme?J’aitournélestalonsetje
mesuisdirigéverslacuisine.Commentest-cequecettesalopeosaitdétruireunmariage?J’aimislabouilloireenmarcheetj’airegardél’eaufairedegrossesbulles
commeunvolcanprêtàentrerenéruption…c’étaitunmiroirdemacolère.—Ilyaassezd’eaupourdeux?LavoixdeChristym’a faitgrincer lesdents. J’ai ravaléma rageet jeme
suisretournéavecunsourire.—Biensûr.Tupeuxretourneràl’accueil,jem’enoccupe.—Merci,ceseraitsuper,j’aiunetonnedetrucsàfaire.—Çaneprendrapaslongtemps.Christy a souri et est sortie juste au moment où deux autres collègues
entraient.—Bonjour,Jane,bonjour,Jessica.— Salut, Colin. On parlait de la fille qui a disparu, Summer. On ne l’a
toujourspasretrouvée.Lespauvresparents,aconcluJaneensecouantlatête.— Qui est capable de faire une chose pareille ? a soupiré Jessica. C’est
horrible. Ses proches doivent vivre l’enfer. Et elle ? Qu’est-ce qu’elle doitsubir?Onsetracassetoujourspourlafamille,maislavictime?Elledoitêtremortedepeur.—Sielleestencoreenvie,apréciséJane.Lilas était bien mieux avec moi que dans ce monde où elle aurait été
corrompuebientroptôt.Cettesociéténevoyaitriendemalaufaitdecoucheravecn’importequioudesecomportercommeunepetiteputeégoïste.IlvalaitmieuxqueLilassoitprotégéeparunepersonnequisesouciedesonaveniretdesonintégrité.Mêmesonpetitami,quiseprétendaitamoureux,lalaissaitsepromenerseuledanslesrueslesoir.—Onneconnaîtpastoutel’histoire.Elleatrèsbienpufuguer,ai-jetenté.Ellesontacquiescé.—En tout cas, faites bien attention toutes les deux, leur ai-je conseillé en
emportantlesdeuxtassesdecafé.—Voilà,Christy.Deuxsucres,exactementcommetul’aimes.Enposantsoncafésursonsous-verrerosevif,j’airemarquéqu’elleétaiten
chatavecGregsurSkype.Ellearéduitl’écranavantquejenepuisselire.Elleaquelquechoseàcacher.Ellearelevélatêteavecunsourire.—Merci,Colin.Enfinvendredi,hein?Tuasdesprojetspourleweek-end?—Pasbeaucoup.J’aiunpeudebricolageàrattraper.Ettoi?—Heu,jevoisunamicesoiretpeut-êtredemainaussi.Unamimarié…avecunenfantenroute.
—Amuse-toibien,alors,luiai-jeditlesdentsserrées.Je suis parti en pensant à la femme de Greg et au bébé qui allait naître.
Qu’est-cequiarriveraitquandellel’apprendrait?Est-cequ’elleencaisseraitlanouvelle aussi bien que maman ? Elle n’avait pas pleuré une seule fois. Niquand mon père était parti, ni quand elle avait appris qu’il avait loué unappartementaveclapute.Nimêmequandleurdivorceavaitétéréglé.Moij’aipleuréunefois,puisellem’afrappéetj’aicomprisquejedevaismemontrerfortetprendrelecontrôle.Leslarmesnemènentàriendebon.Ilfallaitquej’intervienne.LafemmedeGregneméritaitpasderentreretde
trouversonmariaulitavecunesalepetitepute.—Oh,Colin,jedoism’absenter.Siquelqu’unmedemande,jereviensdans
dixminutes,m’alancéJessicapar-dessussonépauleencourantverslasortie.J’aisouri. Jessicapartaitetsacollèguedes ressourceshumaines,Miranda,
était en vacances. J’ai posé mon café sur ma table et je suis monté audépartementRH.Leurbureaun’étaitpasgrandetiln’yavaitpasdevitreàlaporte.J’étaissûrdenepasmefairevoir.J’ai poussé le battant et jeté unœil à l’intérieur. Personne, comme jem’y
attendais. Jesuisentréen refermantderrièremoi. J’avaisvu lesarmoiresoùétaient classés les dossiers des employés lors de mon évaluation. Je savaisdoncexactementoùchercher.J’aitiréletiroirdubasetj’aiparcourulafichedeChristy.Ellen’habitaitpastrèsloindechezmoi,àvingtminutesenvoiture.J’aimémorisésonadresseetremislespapiersenplace.J’ai refermé le tiroiret jemesuis relevé lecœurbattant.Ledernierétage
n’était pas grand, il n’abritait que les ressources humaines et le bureau dudirecteur,Bruce. Je ne l’avais pas vu cematin,mais il venait quand bon luisemblait.J’allaisposerlamainsurlapoignéelorsquelaportes’estouverte.Jemesuisraidiuninstant.—Bonjour,Bruce.—Bonjour,Colin.TunesaispasoùestJessica?—Elleestsortiequelquesminutes,ellerevientbientôt.—Qu’est-cequetucherches?— Je voulais un formulaire de demande de congés. J’avais oublié que
Mirandaétaitenvacances.J’aisouriensecouantlatêtel’airdedire:Quelidiotjefais.Ilaacquiescéenfrottantsongrosbide.—Ahoui.ElleestdanslesuddelaFrance,non?—Jecrois.C’estjolilà-bas.Tuyesdéjàallé?—Non.Jesuisplusdugenreàflâneraubordd’unepiscineavecunebière
bienfraîche.Bon,ehbien,jeviendraivoirJessicaunpeuplustard.
Il m’a adressé un signe de tête et est sorti. J’ai poussé un soupir desoulagementetj’aiquittélebureauenrefermantderrièremoi.
Ledînerallaitêtreprêtetj’avaishorreurd’êtreenretard,maisjedevaismepréparerpourcesoir.Monsacdesportétaitouvertsurlelitetcontenaitdéjàune houssemortuaire, des gants en caoutchouc épais et des détergents.Monestomacs’estsoulevéàl’idéedem’introduirechezChristyetdelapunir,maisilfallaitbienquequelqu’unlefasse.C’étaitsafaute,paslamienne.Tunefaisquemaîtriserunesituationavantqu’ellen’empire.Oui,voilàcequejefaisais,jegéraisunproblème.Jemesuispeignéenrépétantl’adressedeChristy.Jenesuispasfaible.Je
peuxlefaire.Mamansetrompe.Mamansetrompe.J’aireposélepeignesurmatable,j’ailissémachemiseetjesuisdescenduvoirlesfilles.
—Bonsoir,lesfleurs.—Bonsoir.Comments’estpasséetajournée?m’ademandéIris.Rose a levé les yeux vers moi avec un immense sourire. Ses yeux bleus
brillaient dans la lumière. Je me suis forcé à me détourner d’elle pourm’intéresseràIris.—Trèsbien,merci.Mêmesij’aiencoredestrucsàfaireaprèsledîner.JemesuisassisenfacedeLilas.—Commentvas-tu?Elles’estmordulalèvre.—Bien,merci.Irisaposéuneassiettedevantmoi:—Durosbif,undetesplatspréférés.—C’estvrai.Iris était une femme extraordinaire. Elle était aimable et attentionnée, elle
prenait le temps de connaître les gens. J’étais fier qu’elle fasse partie de lafamille. Elle ne m’avait jamais déçu. J’ai regardé autour de moi, le cœurrempli d’orgueil. Toutes mes filles étaient belles, surtout à l’intérieur,contrairementàcetteputedeChristy.
J’ailaissémavoituresurleparkingd’unsalondemanucure.Ilmefaudraittrente secondes pour arriver chez Christy. Elle habitait à l’arrière d’uneboucherie,àl’écartdelarue.Àpartunevieillemaisonentravaux,quiétaitentraind’êtretransforméeenappartements,c’étaitlaseulepropriétérésidentielledelarue.Jenerisquaispasd’êtreinterrompu.J’aicroisélesbrassurmontorse.Leventdejanvierétaitmordantetj’avais
enviederetournerauchaudaveclesfilles.J’aibaissélatête,jetémonsacsurmonépauleetjemesuisdirigéverschezChristyd’unpasrapide.Iln’yavaitqu’unelumièrealluméeàl’étage.Lebâtimentn’étaitpashaut,on
aurait dit que l’appartement était sous les toits. Rien ne correspondait àChristy : le lieu était chaleureux, douillet et accueillant – ces adjectifs nepouvaientpasserviràladécrire.Dechaquecôtédelaported’entréeenpinétaientdisposésdefauxoliviers,
quisemblaientbonmarchéetdétonnaientcomplètement.J’aidéplacéceluidedroiteetj’aitrouvéuneclésouslepotenterrecuite.MapauvreChristy,tunet’aides pas. J’ai collé l’oreille contre le battant et j’ai entendu la voix deRobbieWilliams résonner à l’intérieur.Mamanmettait sa musique préféréequandellesepréparaitàsortirenvilleavecmonpère.Jem’asseyaissurlelitetjelaregardaischanterdevantlemiroir,tandisqu’ellesemaquillait.J’aijetéunrapidecoupd’œilpar-dessusmonépauleetj’aiintroduitlaclé
danslaserrure.Quandj’aipoussélaporte,j’aientenduChristychanteràtue-têtepar-dessuslamusique.Commentpouvait-elleêtresienthousiasteà l’idéedebousillerunmariage?Jen’avaisjamaiscomprispourquoilesfemmessemontraientaussiinsensiblesaubonheurdeleurscongénères.Mon cœur s’est accéléré quand j’ai posé le pied sur la premièremarche.
L’adrénaline me donnait le sentiment d’être invincible. Je me suis arrêté ausommetdel’escalier.Lachambreàcoucherétaitjusteenface,laportegrandeouverte. Un long miroir était installé dans un coin, elle n’avait pas encoreaperçumonreflet.J’ai posé discrètementmon sac et je l’ai regardée se brosser les cheveux.
Elle n’était vêtue que d’un soutien-gorge de mauvais goût qui ne laissaitaucune place à l’imagination et d’un string assorti. Son corps étaitmince etmusclé ; c’était son arme. Elle s’en servait pour obtenir ce qu’elle voulait,surtoutavecleshommes.J’aiavancésansplusmecacher.J’aivusesyeuxs’agrandirdanslemiroir.
Elle a poussé un cri de surprise et s’est retournée. Elle m’a regardé,
estomaquée,lesbrasencroixsursesseinspourtenterdelesdissimuler.—C…Colin?Qu’est-ceque…qu’est-cequetufaislà?Jesuisentrédanslachambreenrefermantlebattantderrièremoietjeluiai
souri.—Je suis contentque tumeposes laquestion,Christy.Tu saisque tu t’es
trèsmalcomportée.Elleadéglutietfaitunpasenarrière.—Qu’est-ceque tu racontes ?Qu’est-ceque tu fais ?C…Commentes-tu
entré?—Chut.Cen’estplusà toideposerdesquestions.C’estàmon tour, si tu
veuxbien.Jen’aipasattendusaréponse.—Pourquoiest-cequetucouchesavecunhommemarié?—Quoi?Greg?Commentes-tuaucourant?—Tuasrencontrésafemme?Elleafaitnondelatête.—Est-ceque tucroisqu’ellemérite l’humiliationde se faire tromperpar
sonmari?Christyaouvertgrandlaboucheetareculéd’unpas.Sondosestentréen
contactaveclemur.—C’étaitunequestion,Christy.—Non.—C’estbiencequejepensais.Commentcrois-tuqu’ellesesentiraitsielle
apprenaitcequetuavaisprévudefairecesoir?Elles’estmiseàtrembleretunelarmearoulésursajoue.—Je…jenesaispas.Commentsais-tuoùj’habite?—Assezbavardé.Jenevoulaispasperdreplusde tempsavecelle.Sansajouterunmot, j’ai
sortimoncouteaudemapocheetelles’estmiseàhurler,dressant lesmainsdevantellepourseprotéger.—Non!Qu’est-cequetufais,putain?BonDieu,jesuisdésolée,d’accord?
Jet’enprie,Colin,nefaispasça!Réfléchis.—Çasuffit!mesuis-jeemporté.Elle a tressailli et s’est collée au mur en gémissant. J’ai horreur qu’on
pleureetqu’onimplore.Mamanavaithorreurdeçaaussi.—S’il te plaît. Je t’en supplie, je ferai tout ce que tu veux,Colin, je te le
promets.Toutcequejevoulais!Ellemeproposaitdusexealorsquec’étaitlasource
de ses ennuis. Souillure. J’ai poussé un grognement quand la colère enmoi
s’estmiseàbouillonner.D’ungesterapide,j’aientaillésonjolivisage.Elleacriéenmefixant,terrifiée.Elleatentédeportersesmainstremblantes
àsajoue.Sonhurlementrésonnaitencoredansmesoreilles.—Adieu,Christy.J’ai plongé la lame dans ses entrailles. Quand je l’ai retirée, son corps,
coincéentrelemuretmoi,s’estdoucementaffaissésurlesol.—Non,a-t-ellemurmuréenpressantunepaumecontre sablessure.Aide-
moi.S’ilteplaît.Ellecommençaitàrespireravecdifficulté.—Christy, lamort est ta punition. Il faut une punition, sinon personne ne
retiendralaleçonetlasociéténes’améliorerajamais.Elleaété traverséeparunhaut-le-cœuretacrachédusang,puiselles’est
jetéeenavantpour tenterderamperhorsde lachambre.Jemesuisretournéquandelleestpasséeprèsdemoi,lesonglesenfoncésdanslamoquette.—Àl’aide,a-t-elleimploréd’unevoixmourante.J’aipousséunsoupiretjemesuisapprochépourlaretournersurledosde
lapointedupied.Sarespirationétaitlourdeetirrégulière.—Laisse-moipartir.Jet’enprie.Sesyeuxétaientremplisdelarmes.J’ailevélecouteauunedernièrefois.—Christy,ilesttempsdedormir.J’aiabattu la lameavecune telle forceque j’aientendu lescôtessebriser.
Elleahurlé,puissoncorpsestdevenutoutmouetsesyeuxsesontrévulsés.J’ai pris une profonde inspiration et j’ai fermé les paupières. Je contrôle lasituation.Jemesuismisrapidementautravail.J’aiplacésoncadavredanslahousseet
j’ainettoyé.Çafaisaitlongtempsquejen’avaispluseffacédestracesdesangdesmurs et du sol. Le sac contenant le corps attendait en haut de l’escalierpendantquejeversaisdel’eaudeJavelsurlamoquette.Une foisquesachambres’est retrouvéeenmeilleurétat, jemesuis frotté
énergiquementlesmainsaulavabodelasalledebains.Sale.J’étaissale.Jemesentaissale.J’aiactionnélapompepourmesavonnerunetroisièmefois.Mespaumesétaientpropres,maisçan’étaitpasassez.Tuneserasjamaisassezbien.J’aifrottéencoreplusfort,enserrantlesdents.C’étaittrop.Jen’étaispasassezbien…rienn’étaitjamaisassezbien.J’aijeté
le distributeur de savon contre lemur, j’ai agrippé le bord du lavabo et j’airespiréàfondparlenez.Jepeuxêtreassezbien.Jesuisaussifortquemaman.Non, je suis plus fort.Je suis une personne plus forte et je n’échouerai pas.Je…n’échouerai…pas.
Lamusiques’estinterrompueetlelecteurdeCDestpasséaudisquesuivant.Unevoixdefemmeacomblélesilence.Jeneconnaissaispaslachanson,maiselleétaittrèsdouceetapaisante.L’interprèteavaitunebellevoixrauque.Jesuissortide lasalledebainset j’aihissé lecadavresurmonépaule.Je
l’ai déposé devant le bâtiment pendant que j’allais chercher ma voiture. Lecanal n’était pas loin. Je retrouverais bientôtmes filles. J’ai déposé le corpsdanslecoffre,lancémonsacàcôtédelahoussemortuaireavantderefermer.—Adieu,salepute.
VENDREDI28JANVIER2011
Unbruitsourdm’aréveilléensursaut.Onfrappaitàlaporte,enbas.J’aijetéunœil au réveil, il était à peine cinqheures et demiedumatin.Mon cœur abondidansmapoitrine.Summer!Est-cequec’étaitelle?J’aisautéhorsdulitet j’ai dévalé les escaliers enmanquant de renverserDawn etHenry.Danielétaitdevantnous,lamainsurlapoignéedelaported’entrée.Ellememanquaittellement.Sixmoisde savie !Sondix-septièmeanniversaire ! Jenevoulaispaspasserunesecondedeplussanselle.Danielaouvertlebattantetj’airetenumonsouffleenpriantpourquecesoit
elle.Moncœur s’est serréquand l’inspecteurMichaelWalshest apparu.Sonexpressionsombrem’aglacélesang.Ilétaitarrivéquelquechose.—Que…qu’est-cequis’estpassé?abafouilléDawn.Deslarmescoulaientdéjàlelongdesesjoues.—Oùestmonbébé?Michael était accompagné d’un autre policier. L’inspecteur Walsh était le
seuldel’équipeànousavoirdemandédel’appelerparsonprénom.Sansdoutepourqu’onsoitplusdétendusensaprésenceetqu’onluifasseplusconfiance.Ou parce qu’il avait une fille de l’âge de Summer et ressentait plus decompassion.—Est-cequ’onpeuts’asseoir,s’ilvousplaît?J’aireculépourmelaissertomberdanslecanapé.Letempss’estarrêté.La
Terreacessédetourner.Jen’avaispasenvied’entendrecequ’ilavaitànousannoncer.—NousavonsretrouvéleportabledeSummer.Dansunebenneàordures,
prèsducanal.Non,cen’étaitpaspossible.—Vousêtessûrquec’estlesien?
—Oui.Quelqu’unl’atrouvéetl’aimmédiatementapportéàlapoliceaprèsavoirvulaphotodefondd’écran.C’étaitunephotodenousdeuxallongéssursonlit.Ellel’avaitpriseaprèsle
dînerdenotrepremieranniversairederencontre.C’étaitlapremièrefoisquej’avaisledroitdepasserlanuitdanssachambre,àconditiondelaisserlaporteouverte.Dawnapousséunpetitcri.—Est-cequ’ilestencoreallumé?Ellenelecoupaitjamais.Michaelafaitunemouetristeet j’aidétournélesyeux.J’aiserrélesdents
poursupporterladouleurquim’atranspercé.Sielleneseservaitpasdesontéléphone,çavoulaitdirequ’onlaséquestrait.Ouqu’onl’avaittuée.—Nouspensonsquequelqu’und’autrequeSummerajetésontéléphone.Ça
paraît peu probable qu’une adolescente qui n’a pas de raisons de quitter sondomicile se débarrasse de son portable.Nous sommes en train de constitueruneéquipeet,dèsqu’il feraclair,noussonderons l’eau.Jesuisdésolédenepasavoirdemeilleuresnouvellesàvousannoncer.—Vouscroyezquemafilleestaufondducanal?amurmuréDawn.Michaelahochélatête,lesyeuxbaissés.—C’estunepossibilité.Jesuisdésolé.J’aibondi.J’avaisencorelecouragedemebattre.Cen’étaitpaspossible.—Ellen’estpasmorte!Jelesauraissiellel’était.Pourquoirefusaient-ilsdem’écouter,putain?Magorgeestdevenuesèche
d’uncoup.Ellen’estpasmorte,toutdemême?—Calme-toi.Henry s’est levé et s’est placé devant moi. Ses yeux étaient de la même
couleurqueceuxdeSummer.J’auraistantvouluquecesoitsonregardàellequisoitplongédanslemien.— Son téléphone a été retrouvé près d’un canal, Lewis, a-t-il insisté, les
larmesauxyeux.Sontéléphone,paselle.Jeneperdaisjamaisespoir.J’aireculéensecouant
latête.—Ellen’estpasmorte, ai-je répété, avantde remonterencourantdans la
chambredeSummer.Elleétaitenvieetpersonnenemepersuaderaitducontraire.Pas question de me remettre au lit, j’ai décidé d’y aller moi-même. On
manquaittoujoursdetemps.Touslessoirs,quandlesoleilsecouchait,j’auraisvoulu avoir quelques heures de clarté en plus. Jeme demandais toujours sinousn’étionspasrentréscinqminutestroptôt.Jesuissortidelamaisonetjesuismontédansmavoiture,impatientdeme
rendresurleslieux.Jenepouvaispasresterlà.Commentpouvaient-ilsperdreespoir?Ceputaindeportablenevoulaitriendire.Ellen’estpasmorte.Quandelle
avaitunproblème, je lesavaisavantelle.Elleétaitcommeun livreouvert…pourmoientoutcas.Jelacomprenaisd’unsimpleregard,j’étaiscapabledefinir ses phrases et de deviner à quoi elle pensait rien qu’en regardant sonvisage.Nousétionstropproches:sielleétaitmorte,jelesaurais.J’airespiréàfondetj’aienclenchélapremière.J’allaismemettreenroute
quand j’aiaperçuHenrydans le rétroviseur. Il couraitversmoienagitant lebras.Qu’est-cequ’ilyaencore?J’aiouvertlaportière.—Situviensavecmoi,Henry,monte…—Non,m’a-t-ilinterrompusèchement.Ils’estassisets’esttournéversmoi.—Tunepeuxpaspartir.Ilsonttrouvéquelquechose.La Terre a cessé de tourner pour la deuxième fois en moins de vingt
minutes.—Qu’est-cequ’ilsonttrouvé?ai-jemurmuréenravalantmapeur.—Deux corps.Aucun d’eux n’est celui de Summer,mais ils continuent à
chercher.—Commentest-cequ’ilssaventquecen’estpasSummer?Ilsensontsûrs?Henryahochélatête.—Lescadavressontlàdepuistroplongtempspourquecesoitelle.Mon estomac s’est soulevé. À quoi peut ressembler un cadavre immergé
pendantplusdecinqmois?J’aifermélesyeux.—Ilfautqu’onyaille,Lewis.—Est-cequ’ilsvontlaretrouveraussi?J’avaisl’impressionqu’onm’avaitouvertlapoitrineetarrachélecœur.Je
n’avaisjamaisressentiunedouleurpareille–j’enavaislesoufflecoupé.Est-cequejem’apprêtaisàallervoirlecadavredemapetiteamiesefairepêcherdufondducanal?—Je…je…Les mots n’avaient plus de sens. Plus rien n’avait de sens. Elle était trop
jeune,tropintelligenteettropbellepourqu’onluiôtelavieainsi.Nousavionstropdeprojetsensemblepourqueçanoussoitarraché.—Ondoityaller.Toutdesuite.Henryaclaquélaportière.Michael, l’autrepolicieret lesparentsdeSummersontsortisdelamaison
entrombepoursauterdansleursvéhicules.Merde,ças’annonçaitmal.Ilssontpartissurleschapeauxderoues.
—Démarre,Lewis.Allez,vas-y.J’aifoncépourlessuivre.
Il faisait super froiddehors.Leventglacém’amordu levisage,monpullétait tropfin.J’ai longélecanalàpaslentsencompagniedeHenryetdesesparents.Nousn’étionspaspressésdedécouvrirquenotrepirecauchemarétaitdevenuréalité.Devantnous,delarubalisedélimitaitunezoneauborddel’eau,justeavant
untournant.Sionnousobligeaitànepasallerau-delà,onneverraitriendutout. Quand nous nous sommes approchés, mon cœur pesait une tonne. J’aiserrélespoingsetretenumonsouffle.—Daniel,vaauxnouvelles,s’ilteplaît,aimploréDawn.C’était la première fois qu’elle quittait lamaison. Personne n’aurait pu la
convaincred’yrestercettefois.Elleavaitappelémamèrepourluidemanderdevenirchezeuxaucasoù,parmiracle,Summerappellerait.Unmiracle,c’estcequ’ilnousauraitfallu.Soudain, lesflicssesontagités.Ilssontpartisencourantdansladirection
opposée–jenevoyaisrien.—Qu’est-cequisepasse?ai-jecrié.—Restezlà.Jeviendraivousprévenirdèsquej’ensauraiplus,nousalancé
Michaelpar-dessussonépauleenrejoignantsescollèguesaupasdecourse.—Summer!ahurléDawn.Non,çanepeutpasêtreelle.—Pasmapetitefille!Quequelqu’unmedisecequisepasse!Daniel!Savoixchevrotaitetsoncorpsétaitsecouédesanglotshystériques.J’avaisdumalàrespirer.Jemesuiscourbéenprenantappuisurmescuisses
pouressayerderetrouvermonsouffle.SiSumétaitlà-dedans,commentétait-ellemorte?Avait-ellesouffert?Est-cequeçaavaitétérapide?J’aiprisuneinspirationprofonde.Nepensepasàça.—Michael,qu’avez-vousvu?aappeléDaniel.J’aitendulecoulepluspossible.Michaelasprintépournousrejoindre.—Cen’estpasSummer.J’ai fermé lespaupièreset laissééchapperungrossoupirdesoulagement.
Dieumerci.
—Alors,ilyenatroismaintenant?ademandéDanielsanstropycroire.Michaelaconfirméd’unsignedetêteets’estgrattélecrâne.—Oui.Jenepeuxpasvousendireplus.Jepensevraimentquevousdevriez
attendrechezvous.Jevousappellerais’ilyadunouveau.— Vous pensez que Summer est là-dedans ? ai-je demandé, espérant que
quelqu’unmedétromperait.—Lewis, jenepeuxpas ledire. J’espère sincèrementquenon,maisnous
allonscontinuerlesrecherchesjusqu’àcequ’iln’yaitplusriendanscecanal.
SAMEDI19DÉCEMBRE1987
Maman me serrait la main bien fort pour traverser la rue encombrée devoitures.Nousallionsacheter lecadeaudeNoëldepapaetdequoipréparerdesbiscuitsetdescupcakes.—Maman,onpourrafairedessaucissesenrobéesdansdelapâtecesoir?
J’adoreça!—Quellebonneidée,Colin.Papaadoreçaaussi.J’aifaitdespetitsbondsdejoie.Nousenraffolionstousetj’avaishâted’en
avalercinqd’uncoup.—Parici,moncœur.Ellem’atirédansunmagasindevêtements.Jetrouvaisçaennuyeux,j’avais
horreurdefairelescourses.Lanourriture,c’étaitlepire.—Qu’est-cequ’onfaitici,maman?Ellem’asouri.—OnvaacheterunepairedegantsetunpullpourleNoëldepapa.J’aifroncélessourcils.— On pourrait plutôt lui offrir une nouvelle voiture. Il a dit que son
ancienneétaitpresquemorte.Elles’estpenchéepourmepincerlajoue.— C’est très gentil, mon cœur, mais on n’a pas assez d’argent pour ça.
Maman et papa régleront le problèmede la voiture après la nouvelle année,d’accord?—D’accord.Est-cequ’onpeutluiprendredesgantsbleus?—Biensûr.Elle m’a ébouriffé les cheveux avant de se relever. Elle me décoiffait
toujours,puismedisaitdelesaplatirpourquecesoitbeau.Mamanétaitunpeusotte.
—Ceux-là?J’aipointédudoigtlaplusjoliedesdeuxpairesqu’elleavaitenmain;les
autresétaientd’unbleutropordinaire.—Jelesaimebien.—Alors,onlesachète.Viens,allonstrouverunpullpuisonpourraboireun
chocolatchaudavecdesmarshmallowspourseréchauffer.J’ai à nouveau sautillé de joie. J’adorais ça et il faisait vraiment froid
dehors.Mamanachoisi lepulldepapa,unpantalonetdeuxpairesdechaussettes.
J’avaisenviedesortirprendrelechocolatchaud.— Bon, a-t-elle fait après avoir payé ses achats. Le chocolat, puis au
supermarchépournosingrédients.—Ouais!mesuis-jeréjoui.Je l’ai suivie en sirotant mon chocolat brûlant. J’avais déjà mangé les
marshmallows, c’était lemeilleur et jeme jetais toujoursdessus enpremier.Maman s’arrêtait dans chaque allée,même si nous avions déjà tout ce qu’ilnousfallait.Elles’estpenchéepourhumerdesfleurs.—Tuveuxsentir,Colin?—Non,j’aimepas,c’estbeurk.Elleaplissélefront.—Moncœur,lesfleurs,cen’estpasbeurk.C’estlaplusbellecréationdela
nature.Allez,approche.Elleasaisiunetuliperougevifetl’acolléecontremonnez.J’aiinspiré.Ça
allait.—Tuvois.C’estunparfumdélicieux,non?J’aihaussélesépaules.—Pastropmal.Mamans’estredresséeets’esttournéeverslavieilledamepréposée.—Pourrais-jeavoirunbouquetdetulipess’ilvousplaît?—Excellentchoix.—J’adoreégayerlessombressoiréesd’hiveravecdesfleurscolorées.J’ai regardé les jouets exposés à côté parce que je m’ennuyais à mourir.
J’avais envie de rentrer à la maison préparer des biscuits et des saucissesenrobées.—Prêt,Colin?m’ademandémamanenmetirantparlamain.Jepenseque
nousavonsterminé.—Prêt,ai-jeréponduavecungrandsourire.
—Qu’est-cequec’estqueça,nomd’unchien?Lescrisdemamanm’ontfaitsursauteretjesuisarrivéencourant.Elleétait
surleseuildesachambre.—Sorsdelà,espècedepute!a-t-ellehurlé.Moncœurbattaitàtoutrompre.J’avaistrèspeur.Qu’est-cequec’était,une
pute?—Maman?ai-jeappeléenpleurant.Ellenem’apasentendu…elleétaittropénervée.Jemesuisapprochéetj’ai
vupapaaulit,ledrapserrécontrelui,etunedameentraind’enfilerunerobe.Qu’est-cequ’ilsfaisaient?—Beatrice,jepeuxt’expliquer.—Laferme!Fiche lecamp.Jeneveuxplus jamais tevoir.Etemmèneta
saleputeavectoi!Mamannecriaitjamais.Jemesuisréfugiédansuncoinducouloiretjemesuisassisparterre.J’ai
jeté unœil au-dessus demes genoux et j’ai vu la dame sortir très vite de lachambre et descendre les escaliers à toute vitesse. Papa l’a suivie, puis s’estarrêté.—Fichelecampetnenouscontacteplusjamais.—Beatrice, s’il te plaît, je vais t’expliquer. Je te demande pardon. Ça ne
signifiaitrien;c’étaituneerreur.— Tu regrettes juste de t’être fait pincer, sale pervers. Laisse-nous
tranquilles.—MaisColin…Mamanaeuunrireméchant.—Tunel’aimespas.Tunenousaimespas.Tul’aschoisieelle.Va-t’en.Malèvres’estmiseàtrembler.Monpapanem’aimaitpasetmamamanétait
encolère.J’aifermélesyeuxetjemesuismisàpleurerenmetenantlatête.
DIMANCHE30JANVIER2011
J’aiadresséunsourireunpeufigéàLewisetàquelqu’unquidevaitêtresonfrère.—Merci d’être venu, a déclaré Lewis. Les groupes sont déjà organisés,
maisvouspouvezvousjoindreànous.—D’accord.J’irailàoùonabesoindemoi.Jem’appelleColinBrown.—Lewis.Il m’a tendu la main. Je l’ai serrée, avant de me tourner vers celui qui
l’accompagnait.—Monfrère,Theo.Jeluiaiaussiserrélamain.—Allons-y,jeneveuxpasperdreplusdetemps.Je n’avais aucune idée d’où se concentreraient nos recherches, mais ça
n’avait pas d’importance. Je voulais juste me tenir au courant et m’assurerqu’onmevoieprendrepartauxrecherchespourretrouverLilas.Lewisetsonfrère sont sortis de lamairie et ont traversé la rue.Le parc était presque enface.Nous l’avons longé, en direction des terrains à l’arrière. Quatre autres
personnesnousaccompagnaient,touteséquipéesdecartesetpointantdudoigtdesdirectionsquiparaissaientchoisiesauhasard.C’étaittrèsmalorganisé.Enpassantdevantleparc,j’airepenséàlapremièrefoisquej’avaisposélesyeuxsur Lilas. Elle était belle, naturelle, innocente et sa voix était mélodieuse.Commepourchacunedemesfilles,j’aisutoutdesuitequ’ellefaisaitpartiedemafamille.Jesavaisqu’elles’intégreraitetj’avaisraison.—C’est lapremière foisquevousvousportezvolontaire ?m’ademandé
Lewisenécartantunebranchepourexaminerunehaiederonces,àl’entréeduterrain.—Oui.Quandj’aientenduquelapoliceréduisaitlesrecherches,jemesuis
ditquejepouvaisoffrirunpeudemontempspourcompenser.Lewisafaitlamoue.—Çavousmetencolère,jevouscomprends.—Toutçapourunequestiondebudget.Mapetiteamieadisparuettoutce
qui les intéresse c’est de savoir combien coûtent les recherches. C’estdégueulasse.Cen’étaitpas le seulpoint sur lequel lapolice faisaitmal sonboulot.Les
autres volontaires étaient commemoi, ils prenaient les choses enmainpourrendrelemondemeilleur.—C’est vrai que, de nos jours, tout tourne autour de l’argent. C’est bien
dommage.—C’estgentildevousjoindreànous.Vousêtesseul?Jen’aivupersonne
avecvous.Laplupartdesgensviennentàdeux.—Jesuisseul,ai-jeconfirmé.Allons-nouspassertoutelajournéeàfouiller
ceterrainouest-cequenousdevonsallerailleurs?
Il faisait extrêmement froidetnousétionsexposésauvent.Lechampétaitsituéderrièrelecoinoùj’avaisrencontréLilas.MêmesiLongThorpen’étaitqu’àquelquesminutesenvoituredechezmoi, jeneconnaissaispasbien lesenvirons.— Nous allons bientôt changer de zone de fouilles. Mais nous devons
encoreexplorerlesdeuxterrainsdansnotredos.Ah,nousnouséloignionsduparc. J’admirais sapersévérance. Il auraitdû
veillerdeplusprèssurlafillequ’ilprétendaitaimer.—Vousdevezpartir?—Non,jesuisicipourlajournée.Jevoulaisjusteconnaîtreleprogramme
quinousattend.Ilahochéla têteets’est remisàscruter lesol,à larecherchedeDieusait
quoi.Jel’aiimitéenfoulantlesfeuillesmortesetlesbrindilles.Cesrecherchesmesemblaienttellementinutiles.Le plus logique aurait été d’interroger les habitants, d’arpenter les rues,
commelapolicelefaisait.Cetteinitiativecitoyennemesemblaitdésespéréeetmalorganisée.—Vousavezuneidéed’oùsetrouveSummer?Jen’aimaispasutiliserceprénom;Summerétaitmorte.Il a levé lesyeuxetm’a examiné. Jeme tenaisbiendroit, le cœurbattant.
Pourquoiest-cequ’ilmefixaitainsi?Ilafiniparfroncerlessourcils.—Malheureusementnon.Maisoùqu’ellesoit,jenem’arrêteraiquequand
jel’auraitrouvée.J’aidétournélesyeux.—Biensûr.Désolé,jen’auraispasdûvousposercettequestion.Il continuait à m’examiner ; je sentais son regard me fouiller, comme il
fouillaitleterrain.—Pasdesouci,a-t-ilréponduens’éloignant.J’ai entendu ses pas fouler les feuilles rendues craquantes par le givre.
Pourquoim’avait-ilscrutéainsi?
VENDREDI4FÉVRIER2011
JemesuisréveilléeenentendantlesgémissementsetlescrisdeViolette.Celafaisaitdeuxsemainesqu’ill’avaittabassée.Elleavaitcommencéàserétablir,puis hier soir, il l’avait encorepoussée, elle avait heurté une chaise enbois,s’étaitfaitmalauxcôtesetavaitunenouvelleentailleàlatête.Ettoutçapourquelquesfleursfanées!Alors qu’Iris dormait encore tranquillement – je l’enviais –, Rose
tamponnaitlefrontdeVioletteavecuntissuhumide.Iln’étaitquecinqheuresetquartdumatin.J’airepoussélacouetteetjelesairejointessurlapointedespieds.—Depuiscombiendetempsest-cequetuesdebout?ai-jechuchoté.Roses’esttournéeversmoi,surprisedemevoir.—Environunedemi-heure. Jevaisbientôtchangersesbandages. J’espère
qu’elle se réveillera complètement et qu’elle pourra avaler un antidouleur.Sinon,j’enécraseraiunetjelemélangeraiàl’eaudesonverre.LarespirationdeVioletteétaitrapideetpesante.Lasouffrancesevoyaitsur
sonvisageetsamainétaitcrispéesursapoitrine.Elleavaitbesoind’urgenced’un comprimé, mais nous n’avions réussi à n’en accumuler que quatre. Ilfallaitlesfairedurer.J’aihochélatêteetconcentrémonattentionsurViolette.—Çava?Elle abattudespaupières et son regard s’estposé surmoi,puis elle les a
referméesauboutdequelquessecondes.Elles’estremiseàgémir.—Jesuisdésolée.Çavaaller.Onveillesurtoi.Quoiqu’ilarrive, jene la laisseraisplusseule.Sielle faisaitunenouvelle
tentative,jeseraislàpourluiprêtermain-forte.—Mal.Çafaitmal,asouffléVioletted’unevoixéraillée.
—Jesais.Onpeuttedonnerunantidouleurmaintenantsituveux.Tucroisquetuarriverasàavaleruncachet?luiademandéRose.Elle a hoché la tête en grimaçant. N’aurait-elle pas dû se remettre plus
rapidement?Quelquechoseclochait.—Tiens.Roseluiatendulapetitepiluleblanche.VioletteaouvertlaboucheetRosea
posé le médicament sur sa langue, avant d’approcher le verre d’eau de seslèvres. Je détestais me sentir aussi impuissante. Il ne nous restait que troisantidouleursetelleneseraitjamaisremisesurpiedd’icilelendemain.Elle s’est laissée retomber sur son oreiller en geignant. Ses yeux se sont
remplisdelarmes,maisjedevinaisqu’elleluttaitpournepaspleurer.Violetteétaittrèsforte…beaucoupplusfortequemoi.—Qu’est-cequ’ilvamefaire?Roseluiaserrélamain.—Riendutout.Çavaaller.C’estarrangé,tutesouviens?Ilneteferarien.Était-cetellementmieux?Notre«vie»selimitaitàcecirque.Sijen’avais
pas conservé l’espoir, si minuscule soit-il, de revoir Lewis et ma famille,j’auraislaissécemalademetuerdessemainesplustôt.Violetteaposélesyeuxsurmoiuninstant.Sonvisageétaitdénuédetoute
émotion,commesielles’étaitéteinte.Jenesavaispasàquoiellepensaitetjenepourraislesavoirqu’unefoisseuleavecelle.Jesavaisqu’elleneparleraitpasenprésencedeRoseetd’Iris.Jesuisrestéeàsonchevetlepluslongtempspossible.Iris s’est réveillée. Nous nous sommes douchées chacune à notre tour et
nousavonsenfilénostenuesassorties.J’aiaidéRoseànettoyerlesblessuresdeViolette et à changer les bandages. Son entaille à la tête semblait sévère,maisellenesaignaitplus.—Çavaaller,luiaassuréRose,enrepoussantunemècheblondeduvisage
de Violette. Il faut qu’on s’occupe du petit-déjeuner maintenant, mais onreviendra.J’ai jeté unœil au réveil. Il serait ici dans une demi-heure.Mon estomac
s’estnouéàl’idéedem’attableraveclui.Lahainequejeressentaispourluimeconsumait.Àchaque fois quequelqu’unprononçait sonnom, je bouillais derage.— Lilas, arrange-toi pour nous rejoindre dans vingt minutes, d’accord ?
m’ademandéRoseenme laissantseuleavecViolette. Ilne faudraitpasqu’ilviennetechercherici.—Çavaaller?achuchotéViolette.—Oui,ai-jementi.Commenttutesens?luiai-jedemandépourdétourner
l’attentiondemoi.Elleaétoufféunpetitcridedouleur.—J’aitrèsmal.—L’antidouleurvabientôtfaireeffet.Jesuisalléeluichercherdel’eauetj’aiportélapailleàseslèvres.J’avais
enviedeluidonnerundeuxièmecachet,maisjenepouvaispasencore…—Ilvavraimentmelaissertranquille?—Jetel’aiexpliqué:l’épisoded’hierc’étaitàcausedecesfleursdébiles!
TusaisqueRosel’aconvaincuilyadeuxsemainesquetuavaispeuretquetuessayaisjustedenousprotéger…J’aibaissélesyeuxavantd’ajouter:—…etquetunevoulaispasluifairedemal.Jeluiavaiscachécettepartiejusqu’ici.—Jenevoulaispasluifairedemal,a-t-ellerépétélesyeuxécarquillés.Je
voulaisletuer.Jen’aipaschangéd’avis.Ça faisait longtemps qu’elle ne s’était pas exprimée d’une voix forte. Au
moins,elleavaitencoreenviedesebattre.—Chut, elles pourraient t’entendre. Je sais que tu enmeurs d’envie.Moi
aussi.Maistunepeuxl’avoueràpersonned’autre.Promets-le-moi.Nous avions réussi à ce que ce monstre la laisse en vie, jamais il ne
l’épargneraitunesecondefois,surtouts’ilapprenaitlavérité.Violetteafixéleplafond.Jenesavaispasquoiluidired’autre.Mêmesielle
n’avait rien promis, elle savait qu’elle ne pouvait tenter à nouveau un coupaussiidiot.Ellevoulaitencores’enprendreàluimaisensuivantunestratégiecette fois, je l’avais bien compris. Quand elle irait mieux, nous pourrionsplanifieruneattaqueconjointe.Irisnenousenempêcheraitpas.Rosepeut-être,maisnousserionsplusnombreuses.—Lilas,ahéléIrisparlaporteentrouverte.Ilarrive.Ma respiration s’est emballée et j’ai cru quemon cœur allait exploser. Il
arrive. J’avais envie de rester dans la chambre en faisant croire que j’étaisindisposée,maisjenevoulaispasqu’ilvienneprendredemesnouvellesetseretrouve face à Violette.Même s’il avait dit qu’il lui ficherait la paix, il nefallaitpasprendrelemoindrerisqueavantqu’ellenesoitrétablie.Jemesuislevéedulittrèslentementetjesuissortie.—Jereviensvite,ai-jejuréavantderefermerderrièremoi.—Situt’asseyais,Lilas?m’asuggéréIrisavecunsourireexagéré.Elleenfaisaitdestonnes,cen’étaitpasdutoutsongenre.J’aiobéienpriant
pourquecetarénem’adressepaslaparole,mêmesijen’ycroyaispas.Laportedu sous-sol s’estouverteet jemesuis figée. Il estdescendu sans
hâte.Unimmensesourirebarraitsonvisagedetaré.—Bonjour,lesfleurs.—Bonjour,avons-nousréponduenchœur.J’avais l’impression de réciter un dialogue de film. Nous répondions en
modeautomatique,sansmêmeréfléchir,commes’ilavaitcrié:«Action!»IlaembrasséRoseetIrissurlajoueets’esttournéversmoi.J’aiagrippéles
bords de la chaise et serré lamâchoire quand il s’est penché versmoi. J’airetenu un haut-le-cœur lorsque ses lèvres se sont collées sur ma tempe. Àchaque fois qu’il me touchait, j’avais envie de m’enfuir en hurlant.Malheureusement, c’était impossible. Je ne le ferais que si je finissais parperdretoutespoirdesortird’icietquejevoulaisenfinirauplusvite.J’arrivaisplusoumoinsàgarderSummeràdistance, àmepersuaderque
Lilas et elle étaient deux personnes différentes.Mais c’était de plus en plusdifficile.Jemesentaiscoupable,commesijetrompaisLewis.Jesavaisquecen’était
paslecas,maiscetteidéemehantait.Commentest-cequ’ilréagirait?Ilseraiten colère, blessé, dégoûté, évidemment. Se sentirait-il trahi ? Non, c’étaitimpossible. Je ne désirais pas Trèfle et je ne le désirerais jamais. Ilm’avaitviolée.Lewisnepouvaitpasvoirçacommeunetrahison,toutdemême?Rose avait préparé un généreux petit déjeuner avec des pancakes et de la
saladedefruits.J’étaisincapabledemanger.—Alorsqu’est-cequevousavezprévupouraujourd’hui?a-t-ildemandé
d’unevoixforte,eninterrompantmespensées.Nousallonsprendresoindelafilleàquituasrecassélescôtesetentailléde
nouveaulatêtehier,saletaré!—Nouspensionslireunpeu;çafaitunmomentquenousnenoussommes
pas plongées dans un roman, a répondu Rose en me décochant un regardd’avertissement.Mêmesij’avaisenviedelagifler,j’airadoucimonexpressionetjemesuis
forcéeàsourire.—Ilfaudraquejevousachèted’autreslivres,bientôt.Roseahochélatête.—Ceseraitformidable,Trèfle,merci.—Derien.Leurpetitéchangemefilaitlanausée.J’aiplantémafourchetteenplastique
dans une framboise en prenant une profonde inspiration. Qu’est-ce qu’ilfaudraitpourquejeparaissenaturelleaveclui?J’avaistoujoursl’impressionde trèsmaldissimulermahaine.Alorsque je cherchais à éviter son regard,mesyeux se sont posés sur le calendrier : l’anniversaire deLewis était dans
unesemaine.Serions-nousencoreséparés?Ilsouhaitaitassisterauxcoursesdechevauxcejour-là.Nousyétionsallés
chacunde soncôtéen familleavantde sortir ensembleetnousavionsadorétouslesdeux.Commeilvoulaitabsolumentyretourner,nousavionsprévudenous y rendre ensemble pour ses dix-neuf ans. J’espérais qu’il irait quandmême sansmoi. J’étais sûre qu’il ne le ferait pas, bien que j’aie envie qu’ils’amusependantcettejournéeparticulière.—J’aimeraisbeaucoupqu’onsefasseunesoiréeDVDprochainement,a-t-il
annoncéentredeuxbouchées.J’aifailli tomberdemachaise.C’étaituneactivitépourlesgensnormaux,
paspourlui.—Jen’aipaspassébeaucoupdetempsavecvouscesderniersjours,jeme
senscoupable.J’avaisenviederépliquer:Net’enfaispaspourça,maisjemesuisretenue.—Bonneidée,adéclaréIrisprudemment.Il a souri une seconde, avant de reprendre l’air nerveux qu’il affichait en
permanencedepuisquelquetemps.—Bien.C’estparfait.Vraiment?J’aimisunedeuxièmeframboiseenboucheet j’aimastiquéen
fixantmonassiette.RoseetIrismangeaientensilence,ellesaussi,maisenleregardant bien trop souvent à mon goût. D’habitude, elles lui faisaient laconversation,maisçadevenaitrare.Commesiellesnesavaientplusquoiluidire ou comme si elles redoutaient la façon dont il pourrait réagir à leurspropos.Trèfle mâchait trop longuement et son regard était fuyant. Il a posé sa
fourchette et s’est gratté le menton avant de l’empoigner à nouveau. Rosel’observaitducoindel’œil,latêtelégèrementinclinée.Monmalaiseagrandi.Jemesuisfaitetoutepetiteenavalantcequejepouvais.J’avaisl’impressionquenousattendionsqu’unvolcanentreenéruption.—Super,a-t-ilmarmonnédanssabarbe,avantd’engouffrerdesharicotsen
sauceetdelasaucisse.Nous n’avons pas réagi parce qu’il ne s’adressait à personne. Je n’étais
même pas sûre qu’il parle de la nourriture. J’étais impatiente de retournerauprèsdeVioletteetdemeretrouverloindecemonstre.—Bon,mercipourlepetitdéjeuner,a-t-ilconcluenselevantbrusquement.
Jevousverraiaudîner.Bonnejournée.Rose et Iris l’ont salué, puis se sont mises à débarrasser la table. Leurs
gestes étaient nerveux et trop rapides, comme si elles voulaient ranger deuxfoisplusvitequed’habitude,aucasoù…quoi?
J’aidécidédenepaslesaideretdenepasm’inquiéterdeleurcomportementétrangepourfilerdanslachambrem’asseoirsurlelitdeViolette.—Salut,amurmurécelle-ciensoulevantlespaupières.—Salut,çava?Elleahochélatête,maisjenesavaispassiçavoulaitdireoui.Elleétaitpâle
etavaitlescheveuxgrasetemmêlés.—Tuveuxprendreunedouche?Elleaplissélefront.J’aicomprisqu’elleenmouraitd’envie.—Tuveuxbienm’aider?J’ailevélesyeuxauciel.—Biensûrquenon.Jeme suis levéeet je lui ai tendu lesmainspour la tirer.Elle a essayéde
masquersadouleur,maissesyeuxsesontembués.—Aujourd’hui,leprogramme,c’estlecture,apparemment.—Génial.Sa remarque sarcastiquem’a amusée. Je ne savais pas ce que j’aurais fait
sansViolette.C’estgrâceàellequejerestaissained’esprit–danslamesureoùc’était possible dans ce sous-sol cauchemardesque. Elle comprenait à quelpointj’étouffais:elleavaitautantenviequemoidesortird’ici.—Voilà, ai-je annoncé en poussant la porte de la salle d’eau. Je vais vite
chercheruneservietteetdesfringueshyperàlamode.Violetteatournélerobinetdeladoucheensouriant.—Merci.J’ai déposé de quoi s’essuyer et sa tenue assortie aux nôtres, avant de
retournerdanslachambre.Lewisayantdix-neufansdansunesemaine,c’étaitson dernier anniversaire d’ado et je voulais à tout prix le fêter avec lui.Combien allais-je encore en rater ? J’ai respiré à fond et j’ai aplati mescheveux,pourtantdéjàbiencoiffés. Jemepréparaisàaffronterunenouvellejournéeàmourird’ennui.Çavaaller.
MERCREDI11FÉVRIER2009
Theom’aouvertlaporte.—Oùest-cequ’ilest?Ilm’aréponduavecunsourireamusé.—Iln’estquedixheures.Lewisestencoreaulit,tuleconnais.—C’estsonanniversaire,ai-jeprotestéenrâlant.
J’ai tiré sur la ficelle de mon ballon Happy Birthday. J’adorais lesanniversaires,touslesanniversaires.Theoahaussélesépaules.—Queveux-tuquejetedise?Monfrèreestungrosparesseux.—Ehbien,avecmoi,ilvaselever.J’aimontél’escalierquatreàquatre,entapantdespieds.C’estvraimentnul
defairelagrassematinéeunjourpareil.J’aipoussélaportedesachambreetj’aisourienlevoyantdormiravecunbrassurlafigure.—Joyeuxanniversaire!ai-jecriéenmejetantsursonlit.Ils’estréveilléensursautavecunpetitcri,puisaregardéautourdeluid’un
airdésorienté.J’airi.Ilétaitvraimentmarrantausautdulit.—Qu’est-ceque…a-t-ilgrommelé.Sum,qu’est-cequetufous?Jeluiaitendulaficelleduballon.—Joyeuxanniversaire!Ils’estlaisséretombersurlematelasengrognant.—Ah non, pas question ! Debout ! Allez, tu as dix-sept ans aujourd’hui.
C’estl’âgelégalpourconduire.Bon,ilfautencorequetupassestonpermis,maistupeuxapprendre.Vas-y,raconte,qu’est-cequetuveuxfairepourfêterça?—Dormir,a-t-ilbougonné,lavoixétoufféeparlesoreillers.—Pfff,t’esvraimentpasdumatin.J’ai soupiré et je l’ai escaladé pour m’asseoir sur lui. Ses yeux se sont
ouvertsd’uncoup.Ah,j’avaistoutesonattentionàprésent.—Hum,cetteidéemeplaîtaussi.Évidemment.Ilm’acaressélescuissesenremontantdoucement.—J’en suis sûre,obsédé sexuel.Malheureusementpour toi, jene suispas
une fille facile. Debout. Ta mère est en train de préparer des pancakes, ilssententsuperbon.Jemesuispenchéeversluipourl’embrasser.—Viens.J’aisautéaubasdulit.—Tuveuxquejedescendet’enchercher,pendantquetut’habilles?Ilacomplètementignorémaquestionetaplongésonregarddanslemien.—Jet’aime,Summer.Moncœurs’estremplid’amour.Parfois,j’avaisdumalàlecroirequandil
prononçait ces mots. En fait, je ne le croyais pratiquement jamais. Il étaittellement…beau,grand,sombre,incroyablementsexy.Alorsquej’étais…moietriendeplus.—Jet’aimeaussi,mastardujour.
Ilapouffé,s’estlevéetm’aprisedanssesbras.Waouh, il était à moitié nu ! Il ne portait qu’un pantalon de pyjama. J’ai
dégluti.Mes hormones ont surchauffé etmon corps s’est enflammé.Waouh,waouh, waouh ! J’étais secrètement ravie qu’il s’entraîne tant pour le footparcequeçafaisaitdesmerveilles,ilsuffisaitdevoirsontorse.—Ah,ah,c’estquil’obsédémaintenant?m’a-t-iltaquinéeenm’observant
d’unairmoqueur.J’ailevélesyeuxaucieletjemesuisdirigéeverssagarde-robe.—J’ail’impressiond’êtreunmorceaudeviande,a-t-ilrenchéri.—Soittut’yhabitues,soittutecouvres,ai-jerétorquéenluilançantunT-
shirt.Ill’aattrapéjusteavantdelerecevoirenpleinefigureetl’aenfilé.—Bon,ben,allonsdéjeuneralors.Etmerci,a-t-ilajoutéenindiquantd’un
gestedumentonleballonquis’agitaitauplafond.—Avecplaisir.Etcen’estpastoncadeau.Sesyeuxsesontilluminés.—C’esttoi,moncadeau?J’aisoupiré,découragée.—Allez,fileenbas.Toutdesuite!Ilm’a adressé un salutmilitaire et a enfin quitté sa chambre. Je l’ai suivi
jusqu’à lacuisineensouriantcommeune idiote.Ça faisaitdesannéesque jerêvaisd’êtreavecluietmonvœus’étaitréalisé.C’étaitlepremieranniversairequenous célébrions ensemble et je pouvais enfin lui offrir un trucvraimentchouetteparcequ’ilsavaitquej’étaisdinguedelui.Ils’estarrêténetenatteignantlebasdel’escalier.—T’étaisaucourant?Ilaindiquétouteslesdécorations.— Évidemment. C’est moi qui les ai presque toutes choisies, ai-je avoué
avecunsourirefier.Ilaplissélefront.—Faispaschier,Lewis.C’esttonanniversaire,toutlemondeestsurexcité.Enfin,moi,surtout.C’étaitcommeunrêvedevenuréalité:pasquestionqu’il
ronchonne.Detoutefaçon,riennepourraitgâchermonenthousiasme.—C’estbon,a-t-ildéclaréenpoussantunsoupirthéâtral.J’aipassélesbrasautourdesoncouetilm’aembrassée.—Jesaisquejetel’aiditgenreyadeuxsecondes,maisjet’aime.Ilacollésonfrontcontrelemienetm’asouri.—Jesaisquejetel’aiditgenreyadeuxsecondes,maisjet’aimeaussi.
LUNDI7FÉVRIER2011
Jemesuisréveillétôt.Lesoleilpointaitàl’horizon.J’aitoutdesuitepenséauxrecherches pour mettre la main sur ma Lilas. Je me suis frotté les yeux enbâillantet jemesuisforcéàsortirdulit. Il fallaitque j’aille travailler.Fairecomme si de rien n’était. Personne ne devait soupçonner quoi que ce soit.Toutemafamilleétaitsurlasellette,jedevaiscontinuerletrain-trainquotidienafindenousprotéger.J’ai examinémon reflet dans lemiroir pour tenter d’apercevoir l’homme
que j’étais quand maman était en vie. Je n’étais pas encore aussi fort qu’àprésent, mais je rêvais de le devenir. Désormais, j’essayais de l’être. Pasquestiondeladécevoir.Jepouvaisrendrelemondeunpeumeilleurenrendantlemien plus heureux.Une petite voix à l’arrière dema tête continuait àmetraiterderaté.Ellenesetairaitpastantquejen’auraispasatteintmonobjectif.Jeprouveraisàmamanqu’ellesetrompaitetjelarendraisfière.Jeme suis douchée enme lavant à fond – deux fois –, puis j’ai enfilé un
pantalon noir avec une chemise et une cravate bleues, sans jeter lemoindrecoup d’œil aumiroir. Je n’étais plus que l’ombre d’un homme, qui tenait àpeinelecoup.Tun’asplusbesoind’elle;tupeuxyarriverseul.Mêmesijenevoulaispasl’admettre,saprésencem’étaitindispensable.J’ai poussé un grognement de frustration, j’ai claqué la porte de la salle
d’eau et je suis descendu retrouver les filles. J’avais besoin de les voir, deconstater combien elles avaient besoin de moi, combien elles appréciaientnotrefamilleetmaprésence.—Bonjour,lesfleurs,ai-jelancéendescendantlesescaliers.Une délicieuse odeur de petits pains aux raisins tout chaudsmontait de la
cuisine.—Bonjour,Trèfle,ont-ellesréponduenchœur.
Lilasabaissé lesyeuxausol.Sa timiditéétaitcharmante.J’espéraisquandmêmequ’ellesortiraitbientôtunpeuplusdesacoquille.Elleétaitenfamille,ellen’avaitaucuneraisondesesentirmalàl’aise.JemesuisassisàmaplaceetLilasaposédevantmoiuneassiettechargéede
petitspainstartinésdebeurrefondant.—Merci,Lilas.Elleasourietmarmonné:—Derien.Elleavaitquelquechosede triste.Sonsourirenefaisait jamaispétillerses
yeux.—Tunetesenspasbien,Lilas?—Si,si.Elles’estassise.Jenelacroyaispas.Elleétaitlegenredejeunefemmequi
neseplaignaitpaspourunrien,cequejerespectais.Elleétaitforte.—Alors,qu’est-cequevousavezprévuaujourd’hui?leurai-jedemandéen
mordantàbellesdentsdansmonpetitpain.J’aifermélesyeuxunesecondepourmieuxsavourer.Roseasourietsesbeauxyeuxbleussesontilluminés.—Nousallonstricoter.Nousnel’avonsplusfaitdepuisunmoment.Çame
rappelle:est-cequetupourraisnousacheterdelalaine?Nousn’enavonsplusbeaucoup.—Biensûr,jepasseraienacheterenrentrantdutravail.—Merci.Jemesuispenchépar-dessuslatablepourluiserrerlamain.—Jet’enprie.Avecplaisir.Roserayonnaitdebonheur.Moncœurs’estserré.Quandjelatouchais,elle
mefaisaitbeaucoupplusd’effetque lesautres.J’aurais tantvoulurevenirenarrièrepourquenotrerendez-voussepassemieux.—Commentçava,autravail?—C’estennuyeux,maisçava.Leproblèmen’étaitpasmonboulot.Cequimetracassait,c’étaitquetoutle
monde soit au courant pour les cadavres du canal. Ce n’était plus qu’unequestiondetempsavantquelapolicenedécided’interrogerlescollèguesdeChristy,dontjefaisaispartie.Siellenes’étaitpascomportéecommeunesalepute,riendetoutçaneseraitarrivé.Ellel’avaitbiencherché.Jeme suis levé dès que j’ai avaléma dernière bouchée, je ne voulais pas
repousser l’inévitable plus longtemps.Les filles n’avaient pas fini, ce n’étaitpaspoli,maisjedevaisabsolumentm’éclipser.—Excusez-moidenepasrester,maisj’aideschosesàfaire.Mercipourle
petitdéjeuner.—D’accord, a acquiescéRose.Nous te verrons ce soir. Passe une bonne
journée.Jeluiaisourienhochantlatête.—Toiaussi.Merci.Quandjesuisarrivéaucabinetd’avocats,jemesuisdirigéversmonbureau
sansattendre.—Bonjour,Colin,tuveuxuncafé?m’ademandéJemmaenpassantlatêteà
l’intérieur.—Bonjour,Jemma.Avecplaisir,merci.Elles’estéloignéeetj’aiallumémonordinateur.Untasdedossiersétaient
posés dans mon bac.Qu’est-ce qui va se passer ? me suis-je demandé enfeuilletant le premier.Quand est-ce qu’ils vont arriver ? J’ai jeté un œil auparking par la fenêtre. Rien. J’ai tenté de me concentrer sur les tâches quim’attendaient,sanssuccès.Monpiedmartelaitlesolcommes’ilétaitmûparsavolonté propre et le moindre petit mouvement à l’extérieur attirait monattention:desoiseaux,unchat,desvoitures,desgens,n’importequoi.Jemma est revenue avec une tasse de café qu’elle a posée surmon sous-
verre.—C’esthorriblecequiestarrivéàChristy,hein?Jen’arrivepasàcroire
quequelqu’unaitvoululuifairedumal.—Merci.Oui,c’estaffreux.C’étaitunejeunefemmesibrillante.Quifaisaitdeschoixdéplorables.—Çava,Jemma?Elleafaitnondelatête.— Je suis sous le choc. Je n’y crois pas. Et puis ils ont retrouvé tant de
femmesdanslecanal…C’estflippant.—Soisprudente,entoutcas.—Oh,oui.Àpartirdemaintenant,monpetitamivientmechercher.Jene
mesentiraiensécuriténulleparttantquecetueurseraenliberté.J’aiclignédesyeux,choquépar la réflexiondeJemma,qui repartaitdéjà.
Untueur.Cetermenemecorrespondaitpasdutout.Lasociétéétaitconfrontéeàunproblèmecolossaletj’avaisdécidédeleprendreenmain.Est-cequelesgensmeconsidéraientcommeunvulgaireassassin?Un coup frappé à ma porte m’a ramené à la réalité. Sarah, la nouvelle
réceptionniste,apoussélebattant.—MonsieurBrown,lapoliceestàl’accueil.Lesagentsveulents’entretenir
avectoutlemonde,encommençantparlesdirecteurs.Jepeuxlesfaireentrer?Mon cœur s’est accéléré. Je n’avais pas vu de véhicule de police. J’ai
regardéparlafenêtre:riensurleparking.Ilss’étaientpeut-êtregarésdevantl’immeuble.—Biensûr,Sarah.Faites-lesentrer.Elleaacquiescéetaquittémonbureau.J’airespiréàfondpourmepréparer
mentalementetj’airemisdel’ordredansmespapiers.Quelques instants plus tard, deuxpoliciers, un hommeet une femme, sont
entrésetSaraharefermélaportederrièreeux.—Bonjour,asseyez-vous,jevousenprie.Jeleuraiindiquélesdeuxsiègescontrelemur.—Merci.Nousn’enavonspaspourlongtemps.Justequelquesquestionsde
routine.—Jeferaitoutcequejepeuxpourvousaider.Lafemmeaouvertuncalepinetaenfoncé leboutondesonstylo, laissant
parlersoncoéquipier.— Merci. Je suis l’inspecteur Brook et voici ma collègue, le lieutenant
McKinney.—Christyétaitunejeunefemmeadorable,ellen’hésitaitjamaisàdonnerun
coupdemain.Elleavaittoujoursquelquesmotsàéchangersiquelqu’unavaitenvie de parler.C’est tellement dommage qu’elle se soit fourrée dans un telpétrin.—Pétrin?arépétéBrook.Dequoiparlez-vous?—Oh,jecroyaisquevousseriezdéjàaucourant.ChristyetGregHart,qui
estundesavocatsducabinet,avaientuneliaison.IlsontrelevélatêteetMcKinneyagribouilléquelquechosedanssoncarnet.
Trèsbien.—Est-cequevoussavezdepuiscombiendetempsçadurait?—Non, je ne l’ai appris que récemment, en les entendant se disputer au
bureau.—Pourquoisedisputaient-ils?—Jen’aipastoutsaisi,maisChristyvoulaitqueleurrelationsoitexclusive.
J’imagine qu’elle voulait qu’il quitte sa femme. L’épouse de M. Hart estenceinte. J’imagine que Greg avait dû revenir à la raison et décider de seconsacreràsafamille.—Etqu’est-cequeM.HartattendaitdeChristy?m’ademandéBrook.—Jesuisdésolé,jenepeuxpasm’exprimeràsaplace,maisjen’aipaseu
l’impressionqu’ilsavaient lamêmeenvie. Il luia répétéqu’ilnevoulaitpasêtre avec elle. Comme je vous l’ai expliqué, j’ai cru comprendre qu’il serendaitcomptequeleurliaisonétaituneerreur.VousnepensezpasqueGregaquelquechoseàvoiraveccettehistoire,toutdemême?Ilneferaitpasdemal
àunemouche.Allez,allez.Ilsn’ontpasréponduàmaquestion.—Quandavez-vousvuChristypourladernièrefois?—Autravail.Elleestpartieunpeuplustôtqued’habitude.Ilétaitàpeuprès
cinqheuresmoinslequart,jepense.Quandellen’estpasvenuelelendemainmatin,j’aipenséqu’elleétaitmalade.—Personnen’aeudesesnouvelles?Ellen’apasappelépourprévenirde
sonabsence?—Jenesaispas,cen’estpasmoiquiprendscegenred’appels.Ilfautque
vous demandiez à une personne des ressources humaines : Jessica Peterson,parexemple.Ilahochélatêteetsacollègueanotéautrechose.—Avez-vousjamaisentenduM.Hartparlerd’uneautrefemme?J’aisouri.LeurinterrogatoireseconcentraitsurGreg.—Pasàmoi.Ilparlesouventdedînersaurestaurant.Jecroisquesafemme
n’estpasbonnecuisinière.Brookasouri.Ilsontcontinuéàmeposerdesquestions.LaplupartconcernaientGreg.Ils
essayaientdedéterminersapersonnalitéetquelgenrederelationsilentretenaitavec lesautres…les femmessurtout.Quand ilsm’ontdemandéoù j’étais cesoir-là, ils ont semblé satisfaits de mon « chez moi, je regardais Ocean’sEleven».Ils vérifieraient, évidemment,mais je savais que le filmpassait à la télé à
l’heureoùChristyétaitmorte.—Ehbien,jepensequec’esttoutpourlemoment,monsieurBrown.Voici
mescoordonnéessiquelquechosed’autrevousrevient.Ilm’atendusacartedevisiteets’estlevé.—Mercidenousavoirconsacrédutemps.J’aiprislepetitcartonetjeleuraisouri.—Aucunproblème.C’étaitpresquetropfacile.
MERCREDI9FÉVRIER2011
J’ai jetéuncoupd’œilà l’horloge. Iln’étaitquevingtheures trente, trop tôtpour aller au lit. Si je me couchais à cette heure, je me réveillerais avantl’aurore et je passerais plusieurs heures à stresser jusqu’à ce que cemaladedescendeprendrelepetitdéjeuner.Ça faisait sixmois que je vivais cet enfer, que je suivais lamême routine
entre cesmurs déprimants. Jeme demandais comment je n’étais pas encoredevenue folle. Peut-être que je l’étais depuis si longtemps que je ne m’enrendaispascompte!Laportedusous-solagrincé.C’étaitmauvaissignequ’ilrevienneaprèsle
dîner.Ensemaine,ilnevenaitquepourlepetitdéjeuneretledîner.Est-cequ’ilallaitencoreassassinerunepauvrefemmesousnosyeux?Ilenavaitdéjàtuétrop,jenecomprenaispascommentilnes’étaitpasencorefaitarrêter.Uncri suraigum’a transpercé les oreilles. Jeme suis raidie.Qui serait la
victimecettefois?Jeparvenaispresqueàm’enfermerdansunebullepournepasêtreaffectée.Assisteraumeurtredequelqu’unmerendaitmalade,maisjefaisaiscommesirienn’étaitréel,commesilesangétaitfaux,façontrucagedecinéma.Irisappelaitçamonmécanismededéfense.Jemefichaisdunom,cequicomptaitc’étaitqueçam’aide.Jemesuislevéepourm’approcherdumurprèsdenotrechambre.Lesautresm’ontsuivie.Nousaurionsdûintervenir.Jeme le disais à chaque fois, mais nous ne le faisions jamais. La peur noustétanisait. C’est grâce à elle que ce monstre n’avait pas été égorgé par sesquatreprisonnières.Ilapoussélafilleaubasdesmarchesetelleahurlédedouleur.Elleavaitles
cheveux courts, une coiffure que Trèfle jugeait certainement pas assezféminineà songoût– il aimait les longscheveux.Elleportaitdesvêtementstropcourts, tropmoulantset trop sexy.Ellen’avait aucunechance.Trèflene
savaitpaspourquelleraisonellevendaitsoncorpsetils’enfichait.Ilétaitàlafoisjuge,juréetbourreau.Ellesanglotaitetsonvisageétaitinondédelarmesquifaisaientcoulerson
mascara.Recroquevilléeaubasdel’escalier,elleafiniparreleverlatêteetatressailliennousapercevant.—Aidez-moi,nousa-t-ellesuppliéesd’unevoixtremblante.Mes yeux se sont remplis de larmes. Elle avait l’air tellement paniquée et
impuissante.Nousétionsaussi terrifiéesqu’elle.J’auraisvoulupouvoir fairequelque chose, mais je savais que c’était inutile. Je n’arriverais jamais àl’emporterseulecontrelui.Trèfleluiabalancéuncoupdepoingdansleventre,cequiafaithurlerla
malheureuse.Uncraquementavaitsuivilecoupetj’aipressélesmainscontremabouchepourcontenirmanausée.Jemesuiseffondréesur lecanapéet jemesuisrouléeenboule.—Neleuradressepaslaparole.Ellesnesontpascommetoi,a-t-ilaboyé.Son visage était cramoisi et son regard si froid qu’il ressemblait à un
cadavre.Ildevaitêtremortàl’intérieurpourcommettredepareillesatrocités.Ill’aencorefrappée,undeuxièmecraquements’estfaitentendre,aumilieudescris.J’aiserrémesjambescontremontorse.Pourquois’acharnait-il?Avant,ilsecontentaitdelespoignarder.Pourquoi
lesfaisait-ilsouffrirainsi?Est-cequ’ilyprenaitduplaisir?Larespirationdelajeunefemmeétaitlourdeetlaborieuse.Ilainclinélatête
sur le côté en souriant. J’ai été parcourue d’un frisson de dégoût quand j’airéaliséqu’ilsemblaitsavourerladouleurdecettepauvrefille.—C’est ta faute !Si tunegâchaispas la vied’innocents, je ne serais pas
obligéde te frapper, a-t-ilgrondéen lui expédiantuncoupdepoingdans lafigure.Elleesttombéeparterresouslaviolencedel’impactetacrachédusang.Trèfleasembléhorrifiéenvoyantlestachesrougessurlesol.Ohnon!Lesveinesdesoncouontgonfléetilestentrédansuneragefolle.Ilasorti
soncouteau.Çayest.Elles’estmiseàcognerdespiedsetdesmainsentoussenspourtenterdelemainteniràl’écart.—Non,non,non!Pitié,jevousenprie.Ses supplications ne serviraient à rien. Il ne laissait jamais une prostituée
repartirvivante.Les larmesdévalaientmes jouescommeun torrentdemontagne.Jesavais
cequiallaitarriver.Illuiadonnéunnouveaucoupdepieddanslescôtes.Elleaétéprised’unhoquet terribleets’est tenu lacage thoracique.Dèsqu’elleabaissé les yeux, il a plongé sa lame dans son estomac et l’a retirée aussitôt
pourl’enfoncerànouveau.Lesangs’écoulaitdesblessures.Jemesuisretenuedevomir.Elles’estmiseàétoufferetdusangajaillidesabouchesurlesol.Elles’est
effondréeenpoussantunrâlequim’afaitfrémir.Elleatentéunedernièrefoisderetrouversonsouffle,puiss’estimmobilisée.Malèvretremblait.Nepensepas que c’est une personne. Je me suis représenté une pièce de viande, lesrestesd’unanimalmassacré.Ilfallaitquejem’extraiedelaréalité.— Nettoyez-moi ça tout de suite, a-t-il ordonné avant de remonter les
escaliersencourant.Est-cequ’il tuerait encore, si c’était lui qui était obligéde leur fermer les
paupièresetdenettoyer les tracesdesoncarnage?Une flaquedesangs’estforméesous lafilleets’estmiseàavancerversmoi.Je laregardaisgrandiravec une fascination morbide. Il y avait tant d’hémoglobine dans le corpshumain, tant de liquide dans nos veines si fines. Il n’y avait pas besoin d’enperdrebeaucouppourêtrefichu.—Lilas!LavoixdeRosem’aramenéeàlaréalité.—Tuviensnousaider,s’ilteplaît?J’aihochélatête.—OK.Jemesuisdirigéelentementverslecadavreetjemesuisaccroupie.L’odeur
dusangm’aemplilesnarinesetmonestomacs’estsoulevé.Jemesuisrelevéed’unbond,lesyeuxembuésdelarmes.—Jenepeuxpas,désolée,ai-jemarmonnéencourantverslasalled’eau.J’aivomidanslacuvettedestoilettes,puisjemesuismiseàsangloter.J’ai
tentédereprendremonsouffle.Jenepouvaispas faireça.Jenepouvaispasnettoyerlestracesdesmeurtresdecetaré.—Lilas?aappeléIrisàtraverslaporte.J’aifermélesyeux.Laisse-moitranquille!Jemesuisaffaléecontrelemurenserrantmatêteentremesmains.J’avais
l’impressiond’étouffer.Jeledétestaisetjen’enpouvaisplusd’êtreici.Irisestentréedanslapetitepièceets’estaccroupiedevantmoi.—Jenepeuxpas.Le nœud dans ma gorge était de plus en plus gros et je me suis mise à
pleurerdeplusbelle.—Chhhhuuut,çavaaller.Tupeuxlefaire,Lilas.Tudoislefaire.J’aisecouélatête.—N…non,jen’ysuispasobligée,ai-jebalbutié.—Neréfléchispastant.Çavaaller.Onvas’ensortir.
Jemesuisrouléeenboule,lesgenouxcolléscontremapoitrine.J’avaistellemententenducerefrain:çavaaller.Quandest-cequeçaallait
vraiment aller ? Quand Lewis me prononçait ces mots, ils avaient un sens.Quandilmeserraitdanssesbras,toutallaitbien,mêmesiçaneduraitpas.Iln’étaitpasici,encemoment,etj’avaisplusquejamaisbesoindelui.J’avaismal à la tête, comme si quelqu’unme cognait le crâne à coups de
marteau. J’ai essuyémes larmes du revers de lamain et j’ai inspiré le plusprofondémentpossible.—Jenepeuxpasvousaideràfaireça.Irism’acaressélescheveux.— Je sais et, tu as raison, tu n’y es pas obligée. Reste ici, je viendrai te
chercherquandceseraterminé.Lave-toiavantqu’ilnerevienne.Elles’estlevéeetestsortie.J’avaisenviedemerafraîchir,maispaspourlui.
Jemesentaissaleetj’avaisungoûtdevomidanslabouche.Jemesuisrelevée,j’aiouvertlerobinetetj’aiplacémabouchesouslejet.
L’eau froide m’a fait du bien. Je m’en suis éclaboussé le visage.Mes yeuxétaientrougesetgonflés,j’avaisunemineatroce.Commentest-cequej’allaisencoretenirunjourdeplus?Surtoutquejen’avaisaucuneidéedequandmoncalvaire prendrait fin… s’il se terminait un jour. J’allais peut-être rester icipendantdesannées.Sij’avaiseuuneidéedeladurée,j’auraispuprendreunedécision.J’étaissûred’uneseulechose:jenevoulaispasvieillirenacceptantlasituation.Jepréféraismourirplutôtquedefinirparpenserquejen’étaispassimalici.—Lilas,onaterminé,jepeuxentrer?ademandéIrisenfrappantàlaporte.Ellesavaientétéefficaces.Dixminutesàpeine.S’ilyavaitunrecordpourle
nettoyageleplusrapidedumondeaprèsunmeurtre,ellesl’auraientdétenudelonguedate.Ellem’asouriquandjeluiaiouvert.—Çaal’aird’allermieux.L’air,oui.Jenemesentaispasmieux.Elleasoupiré.—Prends tadouche, je luidiraique tune tesentaispasbienetque tu t’es
couchéetôt.—Tucroisqu’ilserad’accord?—Nousavonsledroitdedormirquandçanouschante,Lilas.Àconditionqueçan’interfèrepasavecseshoraires!Leséjourétait impeccablequandjesuissortiedelasalled’eau.J’avaisdu
malàcroirequ’unedemi-heureplustôt,unefilles’étaitfaitassassineraupiedde l’escalier. Ça paraissait presque irréel, comme si j’avais rêvé. Parfois jedoutaisdecequej’avaisvécuparcequeçamesemblaittropincroyable.Avais-
je imaginé cette scène ?Mon sens de la réalité était de plus en plus flou etj’avais peur de perdre le nord peu à peu, comme Rose. Ni elle ni Iris nem’avaientjamaisdemandédelesappelerparleursvraisprénoms.Un nouveau journal était posé sur la petite table, mais je ne voulais pas
l’ouvrir.Voirlevisagedemesprochesétaitdésormaisunetorture.Jesuisalléedanslachambre,sansfaireattentionàRosequimesuivaitdu
regard,etjemesuisglisséedansmonlit.Jemesuisditquec’étaitmoilaplusmalenpoint.RoseetIrisn’avaientpeut-êtrepersonnequilescherchait–pourautantquenous lesachions–,maisaumoinsaucunêtrene leurmanquaitaupointdelesrendremalades.Touslesbonsmomentsquej’avaispartagésavecmafamilleettoutcequej’avaisfaitencompagniedeLewis,mêmedestrucsbêtes, comme le bowling ou une séance de shopping le week-end, memanquaientatrocement.Jemesuistournéesurleventreetj’aienfouimatêtesousl’oreiller.J’avais
vraimenttouchélefond,sij’enétaisréduiteàsouhaitern’avoirpersonnedansmavie.Moncœurs’estbriséetjemesuislaisségagnerparleslarmes.
SAMEDI5JUIN2010
—Allez,Lewis,ilfautquetutelèves.Jeluiaisecouélebrasdoucement.Chaquefoisquenousdevionspartirde
bonne heure, le combat pour le tirer du lit recommençait. Il était pire qu’unenfant!—Moncœur,laisse-moidormir,a-t-ilbougonné.—Pasquestion.Debout.Jeluiaiarrachélacouette.Ils’estretournéetaenfouisatêtesousl’oreiller
en poussant un grognement. Nous allions au mariage de sa tante et nousdevionspartirdansuneheure.J’étaisdéjàsurpieddepuisdeuxbonnesheures,j’avaisprismonpetitdéjeuner,jem’étaisdouchée,habilléeetcoiffée.—Lewis,sérieusement,onn’aqu’uneheure.—Uneheure?a-t-ilmarmonnédansl’oreiller.—Oui!—Alorsréveille-moidansunedemi-heure.J’aisoupiré. Ilétaitvraiment impossible, lematin.J’ai toutàcouppenséà
quelquechosequileréveillerait.— Bon, d’accord, dors. Je vais enlever mon soutien-gorge, il est trop
inconfortable,ai-jeannoncéd’untondétachéenenlevantmonhaut.
Jel’aivutressaillir,maisiln’apasquittésaposition.Jenem’attendaispastoutàfaitàcequ’illefasse.J’aijetémontopparterre.Lelégerbruitaattiréson attention. Il s’est retourné aussi vite qu’un ninja et s’est redressé sur lescoudes.—Eh,jecroyaisquetuenlevaistonsoutien-gorge?a-t-ilprotestéd’unair
malicieux.J’aihaussélesépaules.—Ilnemefaitplusmal.Maiscommetuesréveillé,tudevraistelever.Ilaessayédem’attraperetj’aireculéd’unbond.—C’estpasjuste!Allumeuse!Jesuispartieenrianttouteseule.—Summer?J’aifaitvolte-faceetaiétoufféuncridesurpriseenlevoyantprèsdemoi.
Jene l’avaispasentenduapprocher. Ilapassé lesbrasautourdema tailleetm’atiréecontresontorse.—Jet’aime.Il m’a dit ces mots en me regardant droit dans les yeux, ce qui m’a fait
fondre.—Moiaussi.Allez,vatepréparer!Jel’airepousséet,commeilavaitétésurpris,ilalégèrementtitubé.Ilafait
lamoueetj’ailevélesyeuxauciel.Quelgamin!
Noussommesarrivésàl’égliseavecdixminutesderetardetnousavonsétéobligés de nous installer dans le fond. Tout lemonde s’est retourné. J’étaisfurieuse contre Lewis. Je lui ai lancé un regard noir, quand il a articulé ensilence je t’aime pour tenter de rentrer dansmes bonnes grâces. Tu ne t’entireraspascommeça,monvieux !Le front plissé, j’ai reportémonattentionsurlesfutursmariés.La tante de Lewis, Lisa, et son fiancé, Ben, ont prononcé leurs vœux.
C’étaient eux qui les avaient écrits et le texte était très beau. J’adorais lesmariages,surtoutquandlacérémonieétaitaussipersonnelle.—Tupleures?achuchotéLewisenmedécochantuncoupdecoude.Onauraitditqu’ilmouraitd’enviedesemoquerdemoi. Ilme taquinaità
chaquefoisquejepleuraispourunévénementheureux.—Désoléedenepasêtretoutedesséchéecommetoi,ai-jesouffléentremes
dents.Ilaréfrénéunéclatderire,cequis’estrapidementtransforméentoux.Le
silence est tombédans l’église et tous les regards se sont à nouveau tournésvers nous.Mes joues se sont enflammées. Parfois quand j’étais avec Lewis,j’avaisl’impressiondefairedubaby-sitting.Laplupartdutemps,jecrois.—Désolé.Lewisaprétenduêtresecouéparunenouvellequintedetouxets’estfrappé
letorse.Est-cequejepouvaischangerdeplacesansmefaireremarquer?Àlafindelacérémonie,l’assembléeestsortiepourboireunverre,manger
descanapésetprendredesphotos.Lewism’asaisilamainetl’aserréedanslasienne.J’avaisdumalàresterfâchée.—Enretardcommetoujours,Lewis?l’ataquinéLisaenleserrantdansses
bras.—Ouais,désolée,ilafalludesplombesàSummerpoursecoiffer.J’ensuisrestéebouchebée.Ilmettaitvraimentçasurmondos?— Ne te tracasse pas, chérie, je connais la vérité, a répliqué Lisa en
m’adressantunclind’œil.— Heureusement, ai-je commenté en fusillant Lewis du regard. Enfin,
félicitations!Jel’aiserréecontremoietjel’aiembrasséesurlajoue.—Ouais,moipareil,aajoutéLewis.—Merci,aréponduLisad’untonunpeusarcastiqueenpinçantlajouede
sonneveu.Il a froncé les sourcils et a donné une tape sur la main de sa tante pour
qu’ellecesse.—Bon, il faut que je bouge, a-t-elle repris. Je dois saluer tout lemonde
avantd’avoirtropbu.Ellenousasouriets’estdirigéeverslesparentsdeLewis.—Viens, ma chérie, allons chercher du champagne. Je vais avoir besoin
d’alcoolpoursurvivreàcettejournée.Lewis m’a embrassée sur la tempe et m’a prise par la taille. Sa famille
pouvait se montrer un peu… excentrique quand elle se réunissait. J’avaisencoredesimagesd’unedanseirlandaiseàl’occasiondel’anniversairedesamère.J’ailevélesyeuxauciel.—Tuesbeaucouptropjeunepourêtreaussigrincheux.Lewis n’aimait pas non plus que sa grand-mère raconte un million
d’anecdotessurluiquandilétaitbébé.Moij’adoraisça.—Ah,tumetrouvesjeune,maintenant?Tumerépètestoutletempsqueje
suisvieux.Tutedécides?Ilm’afixée,unsourcillevé,attendantlaréponse.J’aihaussélesépaules.—Çadépenddemonhumeur.Ilarietm’apresséecontreluipourm’embrasser.
JEUDI24FÉVRIER2011
J’étaiscouchésurlelitdeSummer,éveillé.Ilétaitdeuxheuresetdemieetjen’avais dormi qu’une heure à peine. Un horrible pressentiment me nouaitl’estomac.Jen’avaisqu’uneidéeentête:quelquechosenetournaitpasrond.Pireencoreque ladisparitiondeSummer.Aujourd’hui,çafaisaitexactementseptmoisqu’elles’étaitvolatilisée.Était-ce trop longpourqu’onlaretrouveen vie ? Je refusais de penser qu’il n’y avait aucune chance, même si,statistiquement, leschancesétaientvachementfaibles.Jedevaiscroirequ’elleétaitencoreenvie.Ilfallaitqu’ellereviennevite.Jen’arrivaisplusàréfléchircorrectement.Je
nesupportaispasdel’imaginersedemandantsinouslacherchionsencore.Àchaque fois que je pensais à ce qu’elle devait traverser, j’en étais malade,j’avais envie de cogner n’importe qui ou n’importe quoi. Quelqu’un devaitsavoircequiluiétaitarrivé,maispersonnenes’étaitfaitconnaître.Jehaïssaislecoupable.Jedétestaistoutlemonde…etsurtoutmoi.Je n’aurais pas dû la laisser aller à ce putainde concert. Je sais que je ne
seraisjamaisparvenuàl’enempêcher,maisj’auraisdûm’yopposer.J’auraisdû me comporter en petit ami chiant et l’obliger à rester avec moi. Ellem’auraitdétesté,j’ensuiscertain,maisaumoinselleseraitencorelà.Jemesuisassissurlelitetjemesuismassélestempes.Jesentaismonterun
autremalde tête,àcausedumanquedesommeil.Jedétestaismeréveiller lematinetentamerunenouvellejournéederecherches,ensachantquelesoirjeme coucherais seul dans sa chambre, alors qu’elle subissait je ne sais quelenfer.Henryaouvertlaporte.—Lewis,jevoudraisallerparleràHart.Enfin!JevoulaisallerdiscuteravecGregHartdepuisquelapolicel’avait
relâchéaprès son interrogatoire. Iln’aurait jamaisdûêtre libéré, surtoutpasavec les huit cadavres repêchés dans le canal. Les flics pensaient que lesmeurtress’étendaientsurunepériodedequatreans.Lesfouillesn’étaientpasterminées;ilss’attendaientàretrouverd’autrescorps.—Jepensequetuesd’accordpourm’accompagner,apoursuiviHenry.J’aiinclinélatêtesurlecôté.Àlabase,c’étaitmonidéed’allerinterroger
Hart,maisHenryavaitrefuséentrouvantmilleraisonspourmeprouverquec’étaitunebêtise.Jelesavais,maiscen’étaitpasçaquiallaitm’arrêter.Jenepourrais pas me détendre ou passer une bonne nuit tant qu’on n’aurait pasretrouvéSummer.Letempss’étaitarrêtépourmoietj’étaiscoincé.—Biensûr.Si je pouvais lui parler, j’arriverais peut-être à lui faire avouer où était
Summer.—Henry, le type qui nous a aidés à fouiller le bois, Colin Brown, tu le
trouveszarbi?Theo m’avait dit que j’étais obsédé, que je m’imaginais voir des pistes
partout, mais je ne pouvais m’empêcher de trouver ce mec chelou. Jen’arrivaispasàmesortirsonvisagedelatête.—Pasvraiment.Qu’est-cequetuveuxdireparzarbi?—Jenesaispas,ai-jesoupiré.Peut-être que Theo avait raison et que je cherchais si désespérément des
pistesquej’eninventais?—Ilm’asemblétellement…renfermé.Touslesautresbénévolesnousont
aidésparcequ’ilsveulentqu’onretrouveSummer.Luionauraitditqu’ilfaisaitçajusteparcequ’ilpensaitquec’étaitsondevoir.Henryafroncélessourcils.—Commentt’asdéduitçaenluiparlantjustetroisminutes?—Jenesaispas.Ilétait…J’aisecouélatête.Jenesavaispastropoùjevoulaisenvenir.—Laissetomber.—Ilnesavaitsansdoutepascommentréagir.Oublie-le,Lewis.Ilfautqu’on
seconcentresurHart,qu’onlefasseparler.Ilestsoussurveillancepolicière,cene serapas facile.On trouveraune stratégiedemainmatin.Dors,m’a-t-ilordonnéenquittantlachambre.Jeme suis allongé et j’ai fixé le plafond.Henry avait sans doute raison à
proposdeceColin.IlfallaitquejemeconcentresurHart,leseulvraisuspect–ou laseulepersonneprésentantun intérêtpotentiel,commeondit–que lapolicepouvaitsemettresousladent.Impossible de trouver le sommeil. Je n’arrivais pas à me détendre et
pourtant j’étais épuisé par une journée demarche. Jeme suis tourné vers latabledenuit,oùSummeravaitposéuncadreavecunephotodenousdeux.Onavait l’air tellementheureux…on l’était.Même si elleme rendait dingue, jel’aimaisetj’auraisfaitn’importequoipourelle.Regarderceclichéétaitunetorture,maisjenepouvaispasm’enempêcher.J’avaislesyeuxrivéssursonvisageparfait.— Dis-moi où tu es, mon cœur, ai-je murmuré en ravalant la boule qui
m’entravaitlagorge.—Lewis,acriéquelqu’unàtraverslebattant.Jemesuisredresséd’unbond,sortantdemondemi-sommeil.—Lepetitdéjeunerestprêt,dépêche-toi.Jeveuxpartirbientôt,m’aprévenu
Henry.Jemesuisfrottélesyeuxenbougonnant.—C’estbon,jesuislevé.Ilétaitsixheuresdumatin.Ladernièrefoisquej’avaisconsultéleréveil,il
était quatre heures vingt-trois. Avec le manque de sommeil, mes yeux mepiquaient et je me sentais vidé. J’avais besoin de nourriture et de boissonsénergisantes.J’aiétirémesmembresendolorisenregardantunedernièrefoisla photo de Summer. Je me suis préparé pour une nouvelle journée dequestionssansréponses.J’avais l’estomacnoué. J’étaisnerveuxà l’idéed’interrogerHart.Dansun
sens, jen’avaispasenvied’entendrecequ’ilavaitàdire.Çadeviendrait tropréel.MamèreetDawnétaientseulesdanslacuisinequandjesuisdescendu.Jeme suis assis à table et j’ai tenté d’avaler quelques bouchées de pain grillé.C’étaitinutile:jemesentaistropmalpourmanger.J’aidéposélerestedemapremièretranchesurl’assiette.Toutavaitungoûtdégueudetoutefaçon.Dawnaplissélefront.—N’oubliepas.Ses cernes étaient encore plus sombres que d’habitude. Elle ne devait pas
dormirbeaucoupnonplus.Jel’entendaissouventmarcherauxpetitesheures.—Oùest-cequevousallezaujourd’hui?m’ademandémamère.—On retournedans le centredeLongThorpe et puis peut-être plus loin,
verslaville.Jenesaispasencoreexactement.—Prêt,Lewis?Henrym’attendait,appuyécontrelechambranle.Jemesuislevé,impatientdememettreenroute.—Ouais.Dawnahochélatêteenessuyantunelarme.—Donnez-nousdesnouvellesetsoyezprudents.
—Promis,maman,aréponduHenry.Àplustard.Jesuispassédevantluietjesuismontédansmavoiture.—Alors,cettestratégie?ai-jedemandé. Il faudraitqu’onprépareun truc,
mêmesilapremièreidéequimevient,c’estletabasser.Henrys’estgrattélementonenfronçantlessourcils.—Heu…t’asuneidée,toi?—Non.Allons-y,onverradéjàcommentlesflicslesurveillent.—OK.Onaprislabonnedécision,tucrois?—PourSum,oui.Tucroisqu’onarriveraàs’introduiredanssamaison?—Peut-êtrepas.Commecambrioleurs,onseraitnuls,a-t-ilajoutéavecun
rirenarquois.—J’ail’impressiondejouerdansunfilm.—Ouais, VinDiesel va débarquer dans une bagnole de sport tunée et va
noustirerdessus.Septmois plus tôt, jeme seraismis à rouler comme unmalade etHenry
auraitfaitsemblantdetirersurdestrucsparlavitrebaissée.J’auraisadorémeremettreàfairel’imbécile.
PlusnousnousapprochionsdechezHart,plusmacolèremontait.Jesentaislaragebouillonneraucreuxdemonventre.Nousnoussommesgaréslelongdutrottoirpourqu’ilnenousvoiepasdechezluietnousavonsjetéunœilauxalentours.—Apparemment,pasdeflics,aconcluHenry.—C’estlebut,Henry,ai-jemarmonnéd’untonsec.Jeme suis tournévers lamaison. Il était là. J’ai serré lamâchoire et tous
mesmusclessesonttendus.Ilétaitsortipourramasserunjournalsurleseuil.J’avais l’intention de rester calme, mais en l’apercevant j’ai pressenti quej’allaispéteruncâble.Pousséparl’adrénaline,j’aibondihorsdelavoiture.Jenepensaisplusàgardermonsang-froidouàluiarracherdesaveux.Letypequi m’avait enlevé Summer n’était qu’à un mètre de moi et j’allais le tuer.Mêmel’idéedefinirenprisonnesuffisaitpasàm’arrêter.Jem’enfichais.Iladressélatêteetm’avucourirverslui.Ilalevélesmainspourmefaire
signedereculer.Pasquestion,connard.J’aibondisurlui,jel’aiempoignéparson T-shirt et je lui ai flanqué un coup de poing de toutes mes forces. Lasatisfactionquej’airessentieenentendantsamâchoirecraquern’aduréqu’une
seconde.IldétenaittoujoursSummer.—Oùest-elle?ai-jecriéenm’apprêtantàlefrapperànouveau.Jen’avaispluslesidéesclaires.Jevoulaisdesréponses,jevoulaisqu’onme
diseoùelleétaitetquequelqu’unpaie.—Dites-moioùelleest!Je lui ai écrasé une seconde fois mon poing dans la figure et sa lèvre a
éclaté.Jenetrouvaispaslesmotspourexprimermahaine.—Jenesaispas,jen’airienfait,jelejure!s’est-ilemportéententantdeme
repousser.—Jevousjurequesivousnemeditespasoùelleest…ai-jegrondé.Jen’aipaseuletempsdeterminermaphrase.Soudain,j’aiétéattrapépar-
derrièreetplaquéausol.Jecroyaisquec’étaitHenry,maisquandj’ailevélesyeux,j’aivuunpolicier.Jemefichaispasmald’êtrearrêté,j’enrageaisqu’ilm’aitempêchédefinirleboulot.Lepolicierm’alumesdroitsetm’apassélesmenottes.—Lewis,jevousassurequejen’airienfaitàSummer,aprotestéHart.—Jenevouspermetspasdeprononcersonnom,putain!Dites-moijusteoù
elleest.Henryétaitàcôtédemoi, l’airperduetchoqué.Sympa,Henry,mercipour
tonaide,monvieux!—Attendez,vousnepouvezpasl’arrêter,s’estinsurgéHenry.Enfin!—Ilajustefaitcequetoutlemondemeurtd’enviedefaire.—Laferme,Henry!Àquoiest-cequeçaservaitqu’ilprennemadéfensemaintenant?J’ai tiré
surlesmenottesetj’aigrimacédedouleurquandlemétals’estenfoncédansmespoignets.—Çava,jesuiscapabled’avancertoutseul,ai-jelancélorsqu’unautreflic
m’apousséverslavoiturebanaliséeàmoitiécachéeparlahaied’unvoisin.Je n’arrivais pas à y croire. Ce salaud pouvait rentrer chez lui boire une
tassedethépendantqu’onmetraînaitauposte!— Ne le dis à personne, ai-je prévenu Henry quand la portière s’est
referméesurmoi.J’ai fermé lesyeux.Summerpéterait un câble si elle savait que jem’étais
fait arrêter. J’ai souri en me représentant son visage furieux. Ses yeux serétréciraientetdeuxlignesverticalessecreuseraiententresessourcils.J’avaisvucetteexpressionunmilliondefois,surtoutquandjerefusaisdemeleverlematin.Quelquesminutesplustard,nousnousgarionsdevantlecommissariatetje
mesuisrenducomptequej’avaismesclésdevoiture.Merde!CommentHenryallait-il rentrer ? J’espérais qu’il appellerait Theo et pas ses parents. Je nevoulaispasqu’ilssoientaucourant.Onm’aouvertlaportièreetjesuissorticomme un criminel. Qu’est-ce que j’allais faire si Hart portait plainte ? Jesavais que je n’aurais pas dû lui casser la figure, mais quand je l’avais vuj’avaisétéincapabledemeretenir.Onm’afaitentrer,lesmainsattachéesdansledos.Michaelalevélatêteet
estrestébouchebée.Iladitquelquechoseàsoncollègueets’estdirigéversmoi.— Qu’est-ce qui se passe ? a-t-il demandé en regardant tour à tour le
policierquimetenaitetmoi.—Onl’aappréhendéchezHart.Onadûlemaîtriser,ils’étaitjetésurlui.Michaelahochélatête.—Jem’encharge.Vouspouvezluiretirerlesmenottes.Le flicquim’avait arrêté était interloqué. J’ai essayédenepasavoir l’air
victorieux. Le métal s’est à nouveau enfoncé dans ma peau quand on m’alibéré.J’airetenuunegrimace.—Suis-moi,amarmonnéMichaelenavançantdanslecouloir.Il a poussé une porte et m’a fait signe d’entrer dans une petite salle
d’interrogatoire. Son expression était sévère. J’avais l’impression d’être aulycée,convoquédans lebureauduprincipal. Jemesuisassisd’uncôtéde latable.—Attends-moiici,m’a-t-ilordonnéavantdequitterlapièce.J’ai examiné les lieux en me demandant si c’était ici que Hart avait été
interrogé,qu’ilavaitréussiàconvaincrelesflicsdesoninnocence.Jemesuisadosséà la chaiseenplastique inconfortableet jeme suismasséunpoignet.Qu’est-cequeMichaelfichait?Ilestrevenudixminutesplustardetaprisplaceenfacedemoi.—Etalors?J’aiposémescoudessurlatableensoupirant.—Jevoulaisjustel’obligeràmedireoùelleest.—Ettupensaisqueluimettreuneracléeétaitlameilleureméthode?—Cen’étaitpasprévu.J’aipasréussiàmemaîtriserenlevoyant,avecson
airsuffisant.J’avaisenviedeletuer.J’aienviedeletuer.Michaelalevélesmains.—Ilfautquetutecalmes.JeviensdeparleràM.Hartet ilneporterapas
plainte.Maisnetecroispastiréd’affaire.Situtentesencoreuntrucpareil,jet’arrêteraimoi-même.Tut’ensorsbiencettefois,Lewis,maistun’auraspas
desecondechance.— Je m’en sors bien ? ai-je répété, abasourdi. Ma petite amie s’est fait
enlever, on n’a aucune idée d’où elle est ou de ce qui lui est arrivé et voustrouvezquejem’ensorsbien?—Tusaisparfaitementcequejeveuxdire,Lewis.JeterappellequeM.Hart
n’aétéreconnucoupabled’aucundélit.Ils’estpenchéversmoi.—Écoute, jesaisquetuveuxdesréponses,maistudoisnouslaisserfaire
notreboulot.—Etquandest-cequevousallezcommenceràlefaire,votreboulot?me
suis-jeénervé.VoilàseptmoisqueSummeradisparu.Sonvisages’estdurci.—Tupeuxt’enaller,maintenant,Lewis.Je me suis levé d’un bond en renversant la chaise et j’ai quitté la salle
furieux.Jelesemmerde!Henryétaitàl’accueil,ilsedisputaitavecunpolicier.Jel’aitiréparlebras.—Henry,allons-y.—Hé,qu’est-cequis’estpassé?Ilm’a couruaprès. Il fallait que je sortede cet endroit auplusvite. Ilsne
faisaientrien.Ilss’enfichaient.J’airepérélavoituredemonfrère.—Rien.Pasdepoursuites.OùestTheo?—Jel’airamenéàsontravailaprèsqu’ilestvenumechercher.Ilm’aprêté
sabagnole.Alors,tun’aurasrien?—Apparemment,Hartneveutpasporterplainte.Jemesuisposésurlesiègepassageretj’aiclaquélaportière.—Allons en ville avec sa photo.On reprendrama caisse en rentrant à la
maison.Jeneveuxpasperdreplusdetemps.—OK.Tun’abandonnerasjamais,hein?J’aifroncélessourcils.—Non!Pourquoitumeposescettequestion?Il a secoué la tête.Çan’arriverait jamais. Jenepourrais jamais tourner la
pagesanssavoiroùelleestetcequiluiestarrivé.Magorgeestdevenuesècheetmesyeuxsesontmisàpiquer.Nepleurepas,putain!—Tuveuxlaissertomber?—Non,ellemerenddingue,mais jen’arrêterai les recherchesquequand
machieusedepetitesœurauraétéretrouvée.Ilarienpensantàelle.—Ellem’énervaitvraiment.
J’aisouri.—Jesais.J’aientenduvosdisputes.—C’esttoujoursellequicommençait,a-t-ilaffirmé.Nousavonstouslesdeuxéclatéderire.J’auraisdonnén’importequoipour lesentendresecrierdessus,avantque
Summerneclaquelaportedesachambre.Touslesjourss’illefallait.Henrys’estgarésurMainStreet.—Onsesépareouonresteensemble?—Restonsensemblejusqu’auprochaincarrefour.Nousavonsavancéet j’aivuColinsortird’unmagasin,avecdeuxsacsen
mains.Lepremierétait remplide livreset le seconddébordait depelotesdelaine.Qu’est-cequ’ilfichaitavecça?—Henry,ai-jeditenindiquantladirectiondumenton.—Tontypechelou?—Mmm.Ilyavraimentuntrucbizarre.Regardecequ’ilaacheté.Qu’est-
cequ’ilpeutbienfabriqueravecça?Henryahaussélesépaules.—Tricoterdesbouquins?J’saispas.Colins’estarrêtédevantnous.—Lewis,Henry.—Bonjour,amarmonnéHenry.—Commentallez-voustouslesdeux?Qu’est-ce que tu caches ? J’ai haussé les épaules, je n’avais pas envie de
rentrerdanslesdétailsdemaviedemerde.—Jecompterevenirvousaiderpourlesrecherches.—Çanousseraitutile.Plusonest,mieuxc’est,ai-jerépondu.Jevoulaisqu’ilnousaccompagne.J’arriveraispeut-êtreàensavoirplusà
sonsujet.—Vousvousretrouveztoujoursaumêmeendroit?—Ouais.LamairiedeLongThorpe,àseptheurestouslesmatins.Nousavionsplusdemondeleweek-end,maisensemainecen’étaitpasmal.
Beaucoup de gens appréciaient Summer et avaient envie qu’elle rentre à lamaison.— Je viendrai ce week-end. Vos parents tiennent le coup ? a-t-il ajouté à
l’intentiondeHenry.—MonpèrepassetoutsontempséveilléàchercherSummeretmamèreà
pleurer,a-t-ildéclaréavecfranchise.Colinahochélatêted’unaircompatissant,maissesyeuxn’exprimaientpas
lamoindre émotion. Son regard était vide. Il paraissait s’ennuyer. Il y avait
quelque chose qui clochait chez ce mec et, cette fois-ci, je ne pouvais plusl’ignorer.Lesgensnormauxavaientdel’empathie,ilsavaientquelquechoseàajouter.Mêmeceuxquinetrouvaientpaslesmotssemblaientaumoinsdésoléspournous.—Bon,ehbien,j’espèrequevousallezbientôtlaretrouveretjemejoindrai
àvousdimanche.—Merci,aréponduHenry.Colin a tourné les talons et est parti dans l’autre direction. Je l’ai regardé
s’éloigner. Il serrait ses sacs si fort que les jointures de ses doigts avaientblanchi.Pourquoi?J’aidûmeretenirpournepaslesuivre.—Aumoins on passera du temps avec lui dimanche. Il laissera peut-être
échapperuntruc.Henryafroncélessourcils.—Genre?—Jenesaispasencore.Tucroisqu’ondevraitleprendreenfilature?Ilallaitmerépondrequenon,évidemment.—Quoi?Tunepeuxpasharcelerlesgens.Putain,Lewis!J’aiserrélamâchoire.J’allaismegêner!— J’essaie de retrouver ma petite amie. Je ferai tout ce qu’il faut et je
harcèleraiquiilfaudra.J’aurais cru qu’il comprendrait. Il aimait Summer.Comment pouvait-il ne
pasêtre,luiaussi,prêtàtoutpourlaretrouver?J’aiarrêtédeuxvieillesdamesquipassaientpourleurmontrerunephotode
Summersurmonportable.—Excusez-moi.Vousn’auriezpasvucettefille?
DIMANCHE27FÉVRIER2011
Jesuisarrivéàlamairie,leQGdesrecherchespourLilas.Ilyavaitunmilliond’autres choses que j’aurais préféré faire, mais je voulais savoir où ils enétaient.Jevoulaisaussiqu’onmevoieaider.Jen’avaispasaimélafaçondontLewism’avait regardé la dernière fois que je l’avais croisé. Jem’étais sentiparanoïaque en sa présence, j’avais l’impression qu’il m’avait percé à jour.Moncœurbattait tropviteet je regardaissanscessepar la fenêtreau travail.L’angoisseme rongeait, il fallaitque jemetteun termeà ses soupçons. Ilnepouvaitpassavoir.Lasalleauxmurscrèmeétait rempliedegens. J’ai froncé les sourcils. Ils
étaient encore nombreux à la chercher, alors que la police avait réduit seseffectifs.Pourquoiest-cequ’ilsnelalaissaientpastranquille?Elleétaitmieuxavec moi. Les autres aussi. Je me suis écarté d’un sans-abri couvert demicrobes qui crachait ses poumons près de la porte. Il était sans doute justevenuseréchauffer.Peuaprèsmonarrivée,desgroupessontsortisenétudiantunecarte.J’étais
volontairement arrivé un peu en retard. La tête de Lilas s’étalait sur desaffiches punaisées à un panneau en liège. Elle était jolie sur la photo, sonvisageparaissaitfraisetnaturel.Çafaisaitplaisirdevoiruneadolescentequin’étaitpastropmaquillée,mêmesielleauraitfinicommelesautresparimiterlestraînéesqu’onvoitdanslesmagazines.—Colin,mercid’êtrevenu!J’aisursautéetjemesuisretourné.Lewisainclinélatêteetsesyeuxsesont
assombris.—C’estsympadenousaideràretrouverSummer.Ilm’a adressé un sourire forcé. Il sait quelque chose. Il lit en toi comme
dansunlivre.Jeluiairendusonsourireetjemesuisrassuré.Ilnepouvaitpas
savoir.Jeluiaitendulamainetill’aserréebrièvement.—Pasdeproblème,vraiment.Jesuisprêtàfaire toutcequejepeuxpour
vousaider.Jecommencetoutdesuite,ai-jeconcluenm’éloignant.—Super,a-t-ilrépondu,m’obligeantàm’arrêter.Votregroupeestprêt.Mon groupe ? J’ai regardé autour de moi en plissant le front. Ils avaient
encoreassezdevolontairespourformerdeséquipes?J’espéraisêtreseulcettefois.—VousêtesavecDan,KateetRick…m’a-t-il informéen lisantdesnoms
griffonnéssurunpapier.Ilarelevélatêteensouriant.—…etmoi.J’aihochélatêteenserrantlesdents.—Allons-y,a-t-ilconclu.Lesautresdoiventnousattendredehors.J’aipaniquéetmoncœurs’estemballé.Jesavaisquecen’étaitpasunhasard
si j’étais dans son équipe. Je devais le prendre positivement. J’en profiteraispour le convaincre que je voulais les aider, sans arrière-pensée. Je devais lemenerenbateau.—Auboulot,ai-jerépliqué.Ilm’aadresséunnouveausourireforcéetjel’aisuivi.—Paroùest-cequ’oncommence?Ilfixaitunpointdroitdevantluienévitantmonregard.Ilétait tendu.Trop
tendu.—Unchampàquelqueskilomètresd’ici,àlasortiedelaville.J’aisouri.C’étaitàdeskilomètresdechezmoi.—Pourquoilà?C’estloindelaville.Ilasoupiré.—Lesendroitslogiquesontdéjàétéfouillésdefondencomble.Jepasserai
toutlepaysaupeignefinjusqu’àlaretrouver.Jem’enfichequecesoitlàouailleurs.Ce qui était tragique, c’est qu’il l’aimait. S’il avait été un petit ami plus
attentionné,elleauraitétéensécuritéaveclui.Lewisétaitlegenredepersonnequineréaliseseserreursquelorsqu’ilesttroptard.Ilneréfléchissait jamaisavant.Ilagissaitd’abordetpensaitensuite…c’estexactementpourcetteraisonquej’étaisplusàmêmedeveillersurLilas.NoussommesmontésdanslavoituredeDan,quiaquittéLongThorpeen
directiondeschampsetdesterrainsagricoles.J’étaisàl’arrière,collécontrela portière. Kate, l’épouse deDan, était une femme ronde qui s’était laisséealler.C’étaitdifficiledegardersesdistancesàl’arrièred’unesipetitevoiture.—Est-cequetuveuxqu’onsesépareouqu’onresteensemble?ademandé
KateàLewis.Sescheveuxétaient rassemblésenunchignonmaladroitetsonmaquillage
semblait dater de plusieurs jours. Ses dents étaient jaunes et elle avait unehaleinedecaféetdecigarette.J’aiavalémasaliveavecdégoût.J’avaisenvied’êtren’importeoùsaufici.Monpiedmartelaitleplancheretjenem’ensuisrenducomptequelorsqueLewiss’esttournéversmoi.Jemesuisarrêtéetj’airegardédroitdevant.—Onresteensemble.Onpartiradubordetonavanceraaumêmerythme,à
unmètrededistance.Oncherche…n’importequoi.Iln’yapasdeplantationdanscechamp,çadevraitdoncêtrerapideetfacile.Ilparlaitcommeunprofessionnel.
JemesuisplacéentreLewisetDanetnousavonsprogressétrèslentement.Jegardaislesyeuxbaissésenfaisantsemblantd’inspecteravecminutielazonedevantmoi.Jem’arrêtaisdetempsentempsetjemepenchaispourramasserundétritus,afindeprouverquejemedonnaisàfondetquejevérifiaistoutcequej’apercevais.Letempsnepassaitpas.Alorsquej’auraispuprofiterd’unejournéeaveclesfilles, jemegelaisàfouillerunchampàlarecherched’unepersonnequin’avaitjamaismislespiedsicietétaitensécuritédansmacave.Lewiss’esttournéversmoi.—Encoremercidevotreaide,a-t-ildéclaréavantdebaisserànouveaules
yeuxverslesol.Pourquoiest-cequ’ilmeremerciaitencore?—Commejevousl’aidit,jeveuxjustedonneruncoupdemain.Çaneme
posepasdeproblème,jevoudraispouvoirenfaireplus.Ilaplissélefrontetasemblétriste.—Quoiqu’ilarrive,laviecontinue.LaviecontinuaitpourLilas.Elleallaitbien.Ellefaisaitpartiedemafamille
etelleallaitresterlà.Eux,ilsn’avaientplusrienàluioffrir.—Jesupposequeoui.Vousavezarrêtédetravailler?—Rienn’estplusimportantquedelaretrouver.Jen’arrêteraiquequandje
l’aurairetrouvéeetquelesalopardquil’aenlevéeauraeucequ’ilmérite.Magorgeestdevenuesèche.Pourquoiest-cequ’ilsemblaitparlerdemoi?
J’aidétournélesyeux.Ilsait.Ilt’adémasqué.Mamanavaitraison:tunefaisrien comme il faut. Tu es un incapable. Pathétique. Un loser. J’ai serré les
lèvresenessayantd’ignorerlapeinequejeressentais.—Elle a beaucoup de chance de vous avoir.D’autres auraient déjà laissé
tomber.— C’est moi qui ai de la chance. Vous vivez seul ? Vous ne manquez à
personneaujourd’hui?Lechangementdeconversationm’aprisparsurprise.—Jevisseul.Jepeuxdisposerdemontempsàmaguise.—Hum.Où voulait-il en venir ? Pourquoi ces questions personnelles ? Il voulait
savoirsij’avaisunefemme.Ilmijotaitquelquechose…Ilvatecoincer.—Pourquoi?ai-jedemandéd’untoncalme,malgrémonagitation.— Désolé, c’était indiscret. C’est juste que je ne vous ai jamais vu avec
quelqu’un et je ne voudrais pas que votre femme vous attende à lamaison,furieusequevoussoyezabsent.Ce n’était pas pour cette raison qu’ilm’avait interrogé. Il sait qu’elle est
cheztoi.Ilsaitcequetuasfait.Détrompe-le.Reprendslecontrôle.—J’auraiplusdetempsàconsacrerauxrecherches,maintenantquejesuis
deretour,ai-jeaffirméenécrasantunpetitmonticuledeboueduboutdemasemelle,pouravoirl’airdenerienlaisserauhasard.Lewisahaussélessourcils.—Oh?J’avaispiquésonintérêt.— Oui, j’étais absent ces deux dernières semaines. Notre bureau à
Édimbourgavaitbesoind’aide.Leurcomptableestpartisansprévenir.Sij’avaispassélesquinzederniersjoursenÉcosse,ilnepouvaitpascroire
que je détenais Lilas. Son front s’est plissé.Ça semblait être son expressionhabituelle,quandiln’étaitpasétonné.—Lapolice n’a pas de preuves solides contreHart, a-t-il déclaré. Je suis
pourtantconvaincuqu’ilyestpourquelquechose.Pourquoiest-cequ’ilpasseàGreg?Est-cequ’ilétaitvraimentpersuadéque
jen’avaisrienàvoiravecladisparitiondeLilasouest-cequ’ilvoulait justemelefairecroire?Est-cequ’iltentaitdememettreenconfiance,deprétendrequ’ilnemesoupçonnaitplus,pourquejemetrahisse?J’aisouripourmasquermondébatintérieur.—Entoutcas,jesuissûrques’ilestprouvéqu’ilestliéàladisparitionde
Summer,justiceserarendue.Jepriaispourque lapoliceaitassezdepreuves indirectespour l’inculper.
Hélas, ce n’était pas garanti. Si la police n’était pas capable de m’attraper,j’avaisdebonnesraisonsdedouterdesonefficacité.C’étaitmoiquileuravais
fournileuruniquesuspect.Jeleuravaisdévoiléassezdepistes;c’étaitàeuxd’assembler lespreuvespour l’incriminer.Cen’étaitpascommesiGregoryHartétaitunhommehonnêteetinnocent.Ilméritaitd’êtrepuni.—Jel’espère.Ilfautqu’elleretrouvesafamille,aréponduLewis.Il a pris une profonde inspiration, comme s’il essayait de contenir ses
émotions.Elleestavecsafamille.
De retour à la maison, j’ai pris une douche rapide et je suis descendurejoindrelesfilles.Lewisétaitinfatigabledanssesrecherchespourretrouversa«petiteamie»,j’étaisépuisé.Jenecomprenaispascommentquelqu’unquil’aimaitavaitpusemontreraussinégligent.Quandonaimequelquechose,onleprotège.Inutiled’essayerdelefairequandilesttroptard.—Bonjour,Trèfle,m’aditRoseenmedévisageantd’unairsurpris.Toutva
bien?—Trèsbien,merci.Désoléd’avoirratéledîner.Letempsm’aéchappé.Roseasecouélatête.—Cen’est rien.Tu veuxmangermaintenant ?Nous avonsmis ton repas
danslefour.J’aipris samaindans lamienneet j’ai souri.Elleétait siattentionnée.Ma
Rose.MaShannen.Ma…femme?Peut-être.—Ceseraitformidable.Ellem’asourietestalléepréparermondîner. Iris l’asuivieetaposédes
couvertssurlatable.—OùestLilas?Iriss’estretournée.—Danslachambre.Jevaislachercher.Elleadisparuderrièrelaporte.LilasétaitprobablementavecViolette,elle
s’occupaitd’elle.Violettedevaitencoregagnermonpardon.Jenesavaispassielleconvenaitpournotrefamille.Letempsledirait.Sansl’interventiondemabelleRose, si loyale et si aimante, ellene serait plus là. J’avais accordéunesecondechanceàViolettepourfaireplaisiràRose,c’étaituncadeauquejeluifaisais. Si je ne pouvais pas lui donner la vie dont je rêvais pour nous, jepouvaisaumoinsluioffrirça.Irisestrevenue,suivieparLilas.J’aisouri.JecomprenaispourquoiLewis
l’aimait.Elleavaitunebeauténaturelle,qu’elleacceptaittellequelleaulieudesecouvrirdemaquillage.Quandlesfemmescomprendraient-ellesquetouscesartificesleurdonnaientdesairsdeputes?Jemesuisavancéverselleetjeluiaiprislamain.Elles’estraidie.—Çanevapas?Tuestendue.Elles’estmordulalangue.—J’aimalàlatête,maisçavapasser.—Jevaist’apporterdel’aspirine,Lilas,jeneveuxpasquetusouffres.Ellem’aobservéd’unairabasourdi.—Merci,a-t-ellemarmonné.J’aiportésamainàmeslèvreset je l’aiembrassée.Elleabaissélesyeux.
Elle était encore si timide. Combien de temps faudrait-il pour qu’elle soit àl’aise, qu’elle se sente chez elle ?Ce n’était peut-être pas notre faute. Si sesparents ne lui avaient pas appris à être sociable, elle était probablementréservée avec tout le monde. Lilas n’était avec nous que depuis sept mois.J’auraisaiméquecesoitpluslong…pourelle.Jemesuisassisdanslecanapéetj’aitapotélecoussinàcôtédemoi.—Vienst’asseoir,Lilas.Elle avait plus besoin demon aide que les autres. Elle avait besoin d’être
plusguidéequelesautres.Elles’estavancéelentementversmoi,lesyeuxrivéssur le sol, lesmains jointes.En la regardant, je n’ai jamais autant détesté safamille.C’étaitunejeunefemmebelleetbrillante,mêmesisapersonnaliténelemontraitpastoujours.— Dis-moi comment tu te sens vraiment, lui ai-je demandé en plaçant
doucementmamainsur lessiennes.C’est justeunmalde têteou ilyaautrechose?Elleavaitledosvoûté.—Cen’estqueça.J’aisoupiré.Ellenemeregardaitjamaisdanslesyeux.C’estimpoli.—Regarde-moiquandjeteparle,Lilas,ai-jeordonnéavecsévérité.Sesyeuxsesontécarquillésetelleaimmédiatementobtempéré.—Désolée,a-t-ellemurmuréenseraidissant.Ilyavaitduprogrès.—C’estmieux.J’aimemeplongerdanscesbeauxyeux.—Cesontceuxdemamère,a-t-ellemarmonné.RoseainterrompumaconversationavecLilas:—Trèfle,tupensesquetupourraisnousenapporteruneautre,s’ilteplaît?Ellebrandissaitunecuillèreenboisfendueaumilieu.Est-ce qu’elles étaient toutes fatiguées ? Leurs bonnes manières
disparaissaientdepuisquelquesminutes.—J’yvaistoutdesuite.Jemesuislevéetjeluiaiprisl’ustensiledesmains.J’avaisuneréservedans
unplacard,j’avaisdesexemplairesderemplacementpourtout.J’étaispréparépourfairefaceàtouslesbesoins.J’ai fermélaporteàcléderrièremoiet jesuisalléchercherunenouvelle
cuillèreenbois.J’aientenduunbruitderrièremoi.Moncœurabondidansmapoitrineet jemesuisretourné.Quiétait là?J’aiexaminélapièce.Lesacdepelotesdelaineétaitparterre.Ilétaitsurladesserteenattendantd’êtrerangé.J’aipousséungrossoupirdesoulagement.Ilétaitprobablementauborddelatableetavaitdûtomber.Était-ce bien ça ? Est-ce que ça aurait pu être autre chose ou quelqu’un ?
Lewis?Est-cequ’ilétaitici?Est-cequ’ilsavaitoùj’habitais?Est-cequ’ilmesuivait,m’épiait?J’aiposélacuillèresurlatableetjemesuisdirigéverslaporteàpasfeutrés,lesoreillesauxaguets.J’aipassématêteparl’ouverture:le couloir était désert. C’est ridicule. Lewis m’avait rendu parano. Il tesurveille.Jesuis retournérechercher l’ustensile.Jene le laisseraipasgâcherça.Je
gardelecontrôle.Ilnemeprendrapasmafamille.Quandjesuisrevenuauprèsdesfilles,ellespapotaient.Lilassemblaitplus
animéeets’étaitjointeàlaconversation.—Tacuillère,ai-jeannoncéenlaplaçantsurlecomptoir.Roses’estlevée.—Merci.Tondînerestprêt.J’aimangérapidement.Monpiedmartelait lesolautomatiquementpendant
quej’enchaînaislesbouchées.C’estlafautedeLewis.Entièrement.—C’est à cause de lui ! C’est sa faute ! ai-je hurlé en bondissant dema
chaise.Lesfillesontétouffédescris.—Qu’est-ce qui se passe ?m’a demandé prudemment Rose d’un filet de
voix.—Lewis,ai-jecrachéenfusillantLilasduregard.Sonvisages’estassombrietaprisuneexpressionhorrifiée.—Quoi?Ma colère ne cessait demonter, j’avais l’impression que j’allais exploser.
J’étaishypertendu.Moncœurs’estaffoléetleboutdemesdoigtss’estmisàpicoter.Jen’avaisplusaucuncontrôle.J’avaisbesoindecasserquelquechose,detoutdétruire.Jen’avaisjamaisétédansuntelétat,c’étaitterrifiant.—Qu’est-cequ’ilafait?Qu’est-cequetuvasfaire?m’ademandéLilas,les
yeuxchargésdelarmes.Ledésespoirquej’entendaisdanssavoixmerépugnait.—Laferme,ai-jetonné.Ferme-la!Tupètesuncâble.Onvatoutteprendre,ilneteresteraplusrien.Tuesun
raté.J’aipousséungrognementetj’ailancémonassietteenplastiqueàl’autreboutdelapièce.Elleaatterricontrelesmarchesetsoncontenuamaculélesolet lemur.Le seulbruit dans la caveprovenaitdema respiration.Mesmainstremblaientetmesdentss’entrechoquaient.Lesfillesétaientclouéessurplace.Tudoistereprendre.Tuasperdulecontrôle.Ils allaient retrouver les filles et mettre la main sur moi. Ils les
emmèneraientetm’arrêteraient.Jelesavais.—Non,ai-jecriéenremontantlesescaliersàtoutevitesseetenclaquantla
portederrièremoi.
Jemesuisrangésurlecôtédelarouteetj’aiattendu.Ellesallaientvenir;ellesvenaient toujours.J’ai jetéunœildans lerétroviseuret j’ai rabattumescheveux ébouriffés. Mes mains tremblaient encore et mon pied martelait leplancher. J’étais incapable deme détendre. J’avais dumal àme reconnaître.Physiquement, je n’avais pas changé, mais à l’intérieur, je n’étais plus quel’ombred’unhomme,ilfallaitàtoutprixquejemelibère.Un petit coup à la vitre m’a ramené à la réalité. Je me suis tourné en
souriant.—Salut,aronronnélasalepute.Çam’asoulevél’estomac.Ellesouriaitenagitantsesfauxcils.—Moic’estCantrell.Qu’est-cequejepeuxfairepourtoi?Tuvasmeréparer.Sansunmot,j’aiindiquélesiègepassageretelleestmontée.J’aidémarré,
lesdoigtscrispéssurlevolant,etj’aiprisladirectiondubois.Ellenem’avaitmêmepasdemandéoùnousallions.—Alors,commentt’appelles-tu,chéri?—Monnomneteregardepas.—Mmm,j’aimebienlestempéramentsforts.Ahoui?Est-cequecettevieluiplaisaitouest-cequ’ellejouaitlacomédieà
monintention?—Tunemedemandespassijesuismarié?
Elleaéclatéd’ungrosrire.—Non,monchou.Tantquet’aslepognon,c’estbon!Soneffronteriem’achoqué.Fière.Elleétait fièredequielleétait etdece
qu’ellefaisait.J’aiprisuneprofondeinspiration.Monespritétaitbrouilléparlacolère,j’avaisdumalàconduire.Jevoulaisqu’elledisparaisse.Mes doigts frémissaient sur le volant et j’avais peur que ma respiration
lourde neme trahisse. Je devais agir sans attendre. J’étais accablé par l’idéeque j’allais perdre le contrôle, que j’étaisun raté.Ce sentimentme rongeait.J’avaistoujoursétépatient.J’avaisattendulongtempsavantd’avoirlesfilles.Àprésent,j’étaisincapabled’attendre.Lamaisonesttroploin.Labifurcationestenfinarrivée.J’aiprislesentierboueuxquejeconnaissais
sibien,pourm’enfoncerdanslebois.Ellenesemblaitpaslemoinsdumondeinquiète.Elleavaitjustel’airdes’ennuyerunpeu.Elleregardaitparlavitre.Jemesuisarrêtéetj’aicoupélemoteur.—Alors comment tuveuxmeprendre?m’a-t-elledemandéenpassant la
languesurseslèvres.—Capot,ai-jerépondulamâchoireserrée.Elleaouvertlaporteenpouffantderire.—Oh,tonstylemeplaît.J’ai répriméun frissondedégoûtet je luiai fait signedemesuivre.Mon
couteau était dansma poche ; je l’ai touché à travers le tissu épais demonmanteau.Elles’estavancéeversmoiàpas lents,enbalançant leshanches.Jemesuisretenudemejetersurelletoutdesuitepourplongerlalamedanssoncœurnoir.Elle s’estarrêtéedevantmoi. Je l’aipoussée sur lecapotet ellea levé les
yeux versmoi en respirant bruyamment.Est-ce que ça lui plaisait ?Non, cen’étaitpaspossible.—Soulèvetontop.Elleaobéi.Delabileestremontéedansmabouche.Sontoproseviftransparentcouvraitunsoutien-gorgeassorti.Qu’est-cequi
lui était arrivépourqu’elleen soit réduiteàça? J’ai sorti le couteaudemapoche et j’ai appuyé la pointe sur sa trachée. Elle a poussé un cri, les yeuxécarquillésdeterreur.—Q…Qu’est-cequetufais?—Jereprendslecontrôle.J’aienfoncélalame,quiatranspercélapeau.Soncorpss’estmisàtrembler
et ses yeux se sont remplis de larmes. J’ai tracé une ligne de la pointe ducouteau, créant une fente rouge dumilieu de son cou jusqu’à ses seins. Ellegémissaitet serrait lesdentspourencaisser ladouleur.Elleouvraitdesyeux
commedessoucoupes.—Arrête,jet’enprie.Je…jeferaitoutcequetuvoudras,a-t-ellebredouillé
entremblant.J’aisoupiré.Ellenecomprenaitpas.—Jeveuxquetumeuresetjeveuxtetuerdemespropresmains.—Non!Elles’estmiseàsangloter.Sespleursonteuuneffetapaisantsurmoi.J’étais
douépourça.Jenepouvaispaséchouer.—Non,non,jet’enprie!m’a-t-ellesupplié.J’aiposélalamesursoncœur.—Chut!Sesyeuxsesontencoreagrandis.J’aisaisi lapoignéeàdeuxmainset j’ai
plongé le couteau de toutes mes forces dans sa poitrine. Son corps s’estécroulésurlecapotsansbruit.Jemesuisécartéetjel’airegardéeglisserlelongduvéhiculeets’affaisser
surlesol.J’aifermélesyeuxetj’aiinspiréprofondément.J’aireprislecontrôle.
LUNDI28FÉVRIER2011
Dawnétait assiseà la tablede lacuisineet examinaitdesphotosdeSummerétaléessurlanappe.—Elleestbelle,hein?a-t-elledemandésansleverlesyeux.—Oui.Elleapassélesdoigtssurundesclichés.—J’aibesoinderevoircesourire.—Vousallezlerevoir,Dawn.Vousvoulezunautrecafé?—Oui,merci.J’aiprissatassevideetj’aiallumélamachine.—Depuiscombiendetempsêtes-vousdebout?—Jenesaispas.Çafaitunmoment.Summern’étaitjamaissatisfaitedeses
cheveux.Jenesaispaspourquoi.Ilsm’onttoujourssembléparfaits.J’aieuunpetitriresansjoie.—C’estuneado.Jecroisqueçafaitpartiedupackage.—Tupleuresencore?Saquestionm’asurpris.—J’ail’impressiond’êtrelaseule,a-t-ellecontinué.Mêmesicen’estpasle
cas.—Non,vousn’êtespaslaseule,ai-jemurmuré.Elleaesquisséunsouriretriste.—Tun’abandonneraspas,hein?Onnepeutpasabandonner,peuimportele
tempsqueçaprend.J’étaisunpeublesséqu’ellemeledemande.Ellesavaitcequejeressentais
pour Summer. J’avais consacré les sept derniers mois de ma vie auxrecherches. Pourquoi est-ce que je laisserais tomber tout à coup ? J’étaiscoincé.Jenepourraispasavancertantqu’onnel’auraitpasretrouvée,tantque
jenesauraispascequiluiétaitarrivé.—Jamais.Dawnaécraséunelarme.— Je déteste penser qu’elle a peur quelque part. Tu crois qu’elle attend
qu’on la retrouve ? Elle sait qu’on ne la laissera jamais tomber. Je nesupporteraispasqu’ellepensequ’onabaissélesbras.—Dawn,ellenepeutpasimaginerça.Sumsaitcombiennousl’aimonstous.Jen’enétaispassûr,maisjel’espérais.Iln’yavaitaucunegarantie.Toutse
résumait à de l’espoir.Connaissant Summer, elle était capable d’espérer quenous abandonnions les recherches pour que nous soyons heureux. Maisrenoncerétaitimpossible.Quandquelqu’unmeurt,onpeutluifairelesdeniersadieuxetacceptersondépart.Cen’étaitpaslecas:nousnesavionsnioùelleétaitnicequi luiétaitarrivé.Nousn’avionsaucune réponse, riennepouvaitavoirdefin.—Voussavezqu’ellevousferaitlamoralesurlasurconsommationdecafé,
si elle était ici en cemoment, ai-je plaisanté quandDawn a pris une grossegorgéedeboissonbrûlante.Elleaeuundemi-sourireetahochélatête.—Oui,c’estvrai.Çalatracassait,sansdouteparcequelacaféinelarendait
nerveuse.TutesouvienslesoiroùelleavaitprisplusieursRedBulletqu’ellesautaitpratiquementauplafond?J’airi.— Oui, comment oublier ? Vous étiez tous allés vous coucher et vous
m’aviez laissé la gérer. À unmoment donné, elle a voulu aller courir, puisnager,puispartiràDisneyland.J’aifiniparlapersuaderderegarderdesfilmsà la place.Des comédies romantiques ! Il devait être quatre heures dumatinquandelles’estenfintueetqu’onapus’endormir.—Onl’emmèneraàDisneyland,quandellerentrera.Est-ce que Summer voudrait encore y aller à son retour ?Nous n’avions
aucuneidéedecequ’elletraversaitencemoment.Çapouvaitêtretrèsdur.J’aiserré lamâchoire en repoussantdes imagesque jenevoulaispasvisualiser.L’idée qu’on lui fasse du mal m’était insupportable.Elle s’en sortira. Quoiqu’elletraverse,jel’aideraisàs’enextirper.
JesuispassélentementenvoituredevantlamaisondeColinenfouillantdu
regard le jardin de devant. Il n’y avait pas de voiture dans l’allée,mais il yavait ungarage.Est-cequ’il était chez lui ? Il était quatre heures de l’après-midi,ilyavaitdeschancespourqu’ilsoitautravail.Summerpouvaitêtre là.S’ilallaitbosser,elleavait l’occasiondes’enfuir,
non?Àmoinsqu’ilne la retienneàunautreendroit. Je trouveraispeut-êtredes indices à l’intérieur. Je suis sorti en jetant un œil dans mon dos pourm’assurerqu’onnerepéreraitpaslabagnoledelaroute.J’ai commencé à faire le tour de la haie qui encerclait la maison. Le
feuillage m’arrivait à l’épaule. L’adrénaline pompait dans mes veines.Pourquoiest-cequelesbuissonsétaientaussihauts?Sapropriétéétaitisoléeetilnepouvaitpasêtreobservéparsesvoisins,plusloindanslarue.Quiest-cequ’ilessayaitdemainteniràl’écart…oudegarderàl’intérieur?J’aiprofitéd’uneouverturedanslahaiepourpénétrerdanslejardin.J’aiétéfrappédeconstateràquelpointsamaisonavaitl’airnormale.C’était
une grosse bâtisse familiale, alors qu’il vivait seul. Pourquoi avait-il tantd’espace? Ilne semblaitpas si richequeçaetpasdugenreàdépenser sansréfléchir.Pourquoiacheteruneénormebaraquepouruneseulepersonnepeufortunée?Àmoinsqu’iln’enaithérité.Jemesuisgifléintérieurement.Peut-être que ce zarbi avait simplement flashé dessus ? Je voyais lemal partout,Theoavaitraison.Je me suis approché de la maison en courant. Mon cœur battait à cent à
l’heureet jemesentaismal. Jenesavaispasceque jecherchaisexactement.N’importequoi,enréalité.Ilyavaitdeforteschancespourqu’ilsoitinnocent.Unmecunpeutorducommeilyenadestas.Jen’avaisriencontrelui,sicen’estunesortedemauvaispressentiment.La première fenêtre était grande. J’ai jeté un œil à l’intérieur en retenant
monsouffle.J’entendaismonpoulscognerdansmesoreilles.Lapièceétaitunvaste salondécoréde façon traditionnelle,maisplutôtaugoûtdu jour.Deuxcanapés se faisaient face, séparés par une table basse en bois foncé.Unmurétaitoccupéparunelargecheminéeavecunmiroirsuspenduau-dessus.Rienquisortedel’ordinaire.—Allez,connard,ai-jemurmuré.Ildevaityavoirquelquechose.J’aicontournéunefenêtrequidevaitêtrecelledelasalledebainsetjesuis
arrivéàl’arrièredelamaison.Lemuravaittroislonguesfenêtres,dontdeuxétaient séparées par une porte. C’étaient la cuisine et la salle àmanger. J’aiexaminélespiècesenmeconcentrantsurlesdétails.Rien.Est-cequetoutétaitnormalparcequ’iln’yavaitrienouparcequ’ilcachaitquelquechose?Tropdequestionsquisebousculaientdansmatête,çamerendaitdingue.
J’aicontinuémesrecherchessansrésultat.Surlecôté,ilyavaituneréserveet la seule chose bizarre était une pile de vêtements bien pliés. Tout étaittellement en ordre que c’était étonnant qu’ils ne soient pas rangés dans undressing,maisçanefaisaitpasdeluiunravisseur.Dansuneautrepièce, ilyavaitunetable,unfauteuilrougefoncéàhautdossieretunepetiteétagère.Àcôtédelaported’entrée,ilyavaitunevitre.J’aijetéunœilàl’intérieuret
j’aivu lehallet l’escalier. Jemesuis rapprochéen fronçant lessourcils.Aubas des marches, il y avait quatre boîtes de chaussures de chez New Look.Qu’est-cequ’il fichait avecdespompesde femmes?Summerm’avait traînédans ce magasin un million de fois. Qu’est-ce qu’un type de trente balaispouvaitbienallerfairelàetpourquiest-cequ’ilavaitachetéça?Jemesuisretournéenentendantunbruitdemoteur.—Merde!J’aicouruverslahaieàgauchedelafaçade…endirectiondemavoiture.
J’avaisl’impressionquemoncœurallaitjaillirdemapoitrineetmonestomacétaitnoué.Lesbranchesm’ontgriffélevisagequandjelesairepoussées,justeaumomentoùsabagnoledéboulaitdans l’allée.Est-ceque j’arriveraisàmecacherlà-dedans?Lebasdelahaieétaitdénudé,maislesoirdescendaitdéjà.J’espéraispouvoirsortirdelapropriétésansêtrerepéré.Il a coupé le contact et je l’ai entendu sortir. Je me suis figé, à moitié
enfoncé dans cette maudite haie. Je l’ai regardé se diriger vers la ported’entréeavecsaserviette.Dèsqu’ilareferméderrièrelui,jemesuisenfoncédanslesbranchesenmeprotégeantlevisage,pourpasserdel’autrecôté.J’aicourujusqu’àmavoitureetj’aidémarréauplusvite.Est-cequ’ilm’entendait?J’ai foncé vers chezSummer en espérant que non. Putain, il avait étémoinsune.Maisçavalaitlecoup.Maintenant,jesavaisqu’ilcachaitquelquechose.
—Salut,ai-jelancéenrefermantlaporte.—Danslacuisine,aréponduDawn.Elle était à table et remuait des spaghettis dans son assiette, du bout de sa
fourchette.—Rien?Si.Peut-être. J’ai fait non de la tête. Je ne voulais pas lui donner de faux
espoirs.Elleasoupiré.
—Tondînerestdanslemicro-ondes.Tesparentsrentrerontbientôt.—Oùest-cequ’ilssont?ai-jedemandéenréglantlaminuteriedufour.—Ilssontpartisfairedescourses.—DanieletHenry?—Danieln’estpasencorelàetHenryprendunedouche.JemesuisinstalléenfacedeDawnetnousavonstouslesdeuxpicoré.Nous
n’avions pas faim. Je neme souvenais pas de la dernière fois où j’avais étéaffamé.—Moiaussi,j’aienviedepartiràsarecherche.J’ai acquiescé. Ça devait être encore plus dur dans sa position. Elle ne
pouvaitrienfairesinonattendre.Ilfallaitbienquequelqu’unresteiciaucasoùSumappelleraitourentreraitàlamaison.—Jesais,maisonpourraitavoirdesnouvelles.EtsiSummerrevenait,elle
voudraitvousvoir.Dawnarelevélatêteetm’aregardéavecunemouemoqueuse.— Lewis, si Summer franchissait cette porte maintenant, c’est vers toi
qu’elle courrait. Avant, j’étais persuadée que les amours d’adolescencen’étaient pas sérieuses. Puis quand j’ai vu combien ma fille t’aimait, j’aicompris. Rien qu’à la façon dont elle te regardait. C’est comme ça que jeregardaisDaniel.J’airéaliséquejemetrompais.J’ai avalé ma salive. C’était dur à entendre. Je ne pensais pas que Sum
m’aimaitainsi,pasautantquejel’aimais.Cen’estpasqu’elleneledisaitpasounelemontraitpas,c’estjustequeçanemesemblaitpaspossible.—J’espèrequ’onseraencoreensembledanscentans,commevousdeux.Dawnaoséafficherunlargesourire.—Jel’aime,Dawn,etjen’abandonneraijamais.Etpuis,jeluiaipromisde
l’épouseràDisneyland.—L’épouseràDisneyland?Nous avions décidé de ne rien dire à personne. Ce n’était qu’un rêve, de
toutefaçon,maisj’enavaisplusenviequejamais.—Ehoui.Jenel’aijamaisvueaussiemballéequelejouroùelleaappris
qu’onpouvaitsemarierlà.—Faites-le,dèsqu’ellerentre.Si la situation avait étédifférente,Dawnm’aurait dit que j’étais dinguede
vouloir épouser sa fille de dix-sept ans. J’enviais les gens qui avaient desproblèmes aussi légers.On ne sait jamais ce qui nous attend. Plus jamais jen’auraispeurduqu’en-dira-t-onetjen’hésiteraisàfairecequiestimportantàmesyeux.Après m’être forcé à avaler la moitié de mon assiette, j’ai monté les
escalierspourallerdanslachambredeSummer.Jenesavaispasquoifaire.Jen’avaisqu’uneenvie:retournerchezColinetfouillerchaquecentimètrecarrédesamaison.—T’étaisoù?m’ademandéHenrydèsquej’aiouvertlaporte.IlétaitsurlelitdeSummer.Detouteévidence,ilm’attendait.—Tulesaistrèsbien.Ilasoupiréensecouantlatête.—Etalors?—Jen’aipasvugrand-choseparlesfenêtres,maisj’airepéréquatrepaires
dechaussurespourfemmesrangéesdansdesboîtesaupieddel’escalier.—Commenttusaisquecesontdeschaussurespourfemmes?—EllesvenaientdechezNewLook.Colincachedestrucs.Henryaouvert labouchepourmefairelamorale,maisjel’aiarrêtéd’un
gestedelamain.—C’étaitsuperchelou, je te jure.Jen’exagèrepaset jenecherchepas le
mallàoùiln’estpas.Cemecestcélibataire,ilvitseuletilachètedespompesde filles. Sa maison est impeccable, c’est une énorme baraque familialeentouréedehauteshaiesetd’arbres.—Bon,d’accord,lecoupdeschaussures,c’estbizarre.Admettons.—Mais?ai-jeinsisté.—Çaneprouverien.Je me suis approché de la coiffeuse de Summer, où elle avait accroché
quelquesphotosdenous,autourdumiroir.—Je lesaisbien.C’estpourçaque j’y retournedemainmatin. Il fautque
j’entre.
MARDI30DÉCEMBRE2008
—Jecrèvedefaim,avanceplusvite,s’esténervéHenry.—TunevaspasmourirdefaimentreicietlePizzaHut,quiestàunmètreà
peine,aironiséSummerenlevantlesyeuxauciel.—C’estbon.Qu’est-cequetufichesavecnousdetoutefaçon,Sum?—Ilyauradeuxamiesàmoietunàtoi:c’estplutôtàmoideteposerla
question.—Arrêteztouslesdeux,atranchéKerri.SumetHenry se disputaient à tout bout de champ. Ils s’adoraient,mais la
plupart du temps, ils n’avaient qu’une envie : s’étranglermutuellement.À la
placedeleurpère,jeseraisdevenudingue.Henry a ouvert la porte du resto et est passé en premier. Je suis resté en
arrièreavecSummeretjeluiaitenulebattant.—Merci.Ellem’asourietjeluiaisourienretour.Enentrant,jemesuisarrangépour
quemonbrastouche«accidentellement»lesien.Çafaisaitunmomentquejela soupçonnaisd’avoir enviedeplusqu’une simpleamitié et,dèsque je l’aicompris,çam’afrappécommeuneévidence:moiaussij’enavaisenvie.Henry, Kerri et Beth suivaient déjà une serveuse pour rejoindre la table
qu’ellenousavaitattribuée.Waouh,qu’est-cequeSummermarchaitlentement.—Alors,t’asfaim?ai-jedit.Oh là là, quelle questionnaze !Putain,Lewis, quel nul ! Jeme suis giflé
mentalementenretenantunegrimace.Summerari.—Oui.—Tuvascommandertapizzazarbie?Elles’estarrêtéeets’estretournéeversmoi,l’airvexée.Elleavaitunemoue
boudeusequimedonnaitenviedel’embrasseretdeluimordillerlalèvre.—Çan’ariendebizarre.Tun’asqu’àgoûterettuverraslalumière.Moncœurs’estemballéquandjemesuisimaginéqu’ellemeferaitgoûter
unebouchéedepizza…àpoil.—Euh…Toute pensée cohérente s’était volatilisée, j’étais coincé avec l’image
splendidedeSummersansvêtements.Ellea levélesyeuxaucielets’estassiseà table.Jemesuis installéàcôté
d’elle en pressantma jambe contre la sienne. Elle a essayé demasquer sonsourireensemordantl’intérieurdelajoue,sansyparvenir.Elleaempoignéla carte alors qu’elle venait d’admettre qu’elle savait ce qu’elle allaitcommander.Elleprenaitunepizzaaupoulet,aumaïs,àl’ananasetaubacon.Moi j’aurais enlevé tous lesmachins jaunes. Je ne comprenais pas commentellearrivaitàmangerça.—Alorscettepizza?ai-jelancé.Elles’esttournéeversmoiavecuneexpressionmoqueuse:—Oui?—Commentest-cequetuenesarrivéelà?—Jesaispas,j’aimebientoutcequ’ilyadessus.Fais-moiconfiance,c’est
bon.—Tuvasm’enfairemangerunbout?—Pourquoi?T’aspasencoreapprisàlefairetoutseul?
J’airi.J’auraisdûm’attendreàcelle-là.J’aigrimacé.—Non,vafalloirquetum’aides.Ellearicané.—C’estsûrquet’asbesoind’aide.—Venantdelafillequimélangedupoulet,duporc,dumaïsetdesfruits…—Ilaraison,Sum,c’estdégueu,estintervenuHenryenprenantmadéfense.Summerasoupiréavantdemarmonner:«N’importequoi.»La serveuse est arrivée pour noter nos commandes et j’ai passé toutmon
temps à me retenir de ne pas reluquer Summer comme un pervers. Çam’embêtait de l’aimer autant. Si je n’avais jamais réalisé que je lui plaisais,est-ce que j’aurais été aussi obsédé par elle à longueur de temps ? Çam’agaçait,j’avaisl’impressiond’êtreunevraiemidinette.J’aiscrutésonvisage,quandlesplatssontarrivés.Sesyeuxvertvifsesont
illuminésetelleasourienreconnaissantsapizza.Jemesuisforcéàdétournerleregardetj’aiattaquémapizzabarbecueréservéeauxgensnormaux.— Goûte, m’a ordonné Summer en me tendant un morceau de son truc
zarbi.J’aimordudedans enplissant le nez.Cen’était pasmauvais – pas du tout
aussidégueuquecequej’imaginais–,maisjen’auraisjamaiscommandéça.J’aimastiquélentement,d’unairunpeudégoûté.Elleaencoresoupiré,excédée.—T’exagères.Tujoueslacomédie.C’estlameilleure.J’aiavalécequej’avaisenbouche.—Non,Sum,t’asjustedesgoûtsbizarres.—Menteur.Çateplaît.Ellem’aflanquéuncoupdecoude.J’aiattrapésonbrasetelles’estdébattue
enpiaillant.Elleétaitcolléeàmontorse.Je l’aiserréecontremoiet j’aifaitminedelachatouiller.—Photo,aannoncéKerri.Summer s’est immobilisée et a tourné la tête vers sa copine en souriant.
Nousn’avionspaschangédeposition,elleétaitcontremoietj’avaislesbrasautour d’elle, mais nous fixions l’objectif. Si je n’avais pas peur de passerpourunefillette,j’auraisdemandéàrecevoirlaphotomoiaussi.
MARDI1ERMARS2011
—C’estpasunebonneidée,amarmonnéHenryensecouantlatête.Ilavaitdéjàditçaaumoinsmillefois,putain.—Il fautpourtantqu’onfassequelquechose.Tusaisqu’ilyaun trucqui
clocheavecColin.Mavoitureétaitgaréedansunchampprèsdechezlui,à l’abriderrièrede
hautsfourrés.Onapercevaittoutjusteledébutdesonallée.Jenesavaispasàquelleheureilpartaitbosser,nousétionsicidepuisseptheuresdumatin:uneheurevingtdéjà.—Quandest-cequetucroisqu’ilvasortir?achuchotéHenry.—Tusaisqu’onestdanslabagnoleetqu’ilnenousentendpas?J’ignore
quandilvasepointer.Ilhabitaitaumilieudenullepart.IlavaittrèsbienpufaireuntrucàSummer.—C’estlui,hein?a-t-ilcommenté.—Oui.Pourquoienes-tusisûr,toutàcoup?—Jesuisàcourtd’autrespossibilités.Jeveuxretrouvermasœur,mêmesi
ellen’estpas…—Elleestvivante,l’ai-jecoupésèchement.Henryaclignédesyeux,surprisparmonton.—Désolé.Jemesuispassélamainsurlevisage.—J’enpeuxplusquelesgenspensentqu’elleestmorte.—Cen’estrien.—Ellen’estpasmorte,Henry,ai-jeaffirméavecconviction.Ilahochélatête.—Jesais.Attends,t’asentenduça?—Entenduquoi?
Nousnoussommestusetnousavonsreconnuleronronnementd’unmoteur.—Allez,va-t’enconnard,ai-jemurmuré.Uneminuteplustard,uneBMWargentéeadébouchésurlaroute.Colinétait
seuldansl’habitacle.Ilaaccéléréets’estéloigné.—Allons-y,ai-jeannoncédèsquelavoituren’étaitplusvisible.Noussommessortisetnousnoussommesdirigésverslamaison.—Commentest-cequ’onvaentrer?avoulusavoirHenry.—Ontrouveraunmoyen.—Commentlesais-tu?Jemesuisarrêtéenpleinmilieudelarue.—Putain,Henry,onarriverabienàentrer.Maisqu’est-cequ’ilavaitbouffé,cematin?—Retourneàlabagnolesituneveuxpasm’accompagner.—C’estmasœur,jeviens.—Arrêtedeteplaindrealors.Tentonslecouppar-derrière.Nous avons fait le tour de la maison. Ce jardin impeccable et cette haie
épaisseprotégeaientlavieprivéedecetypesanséveillerlessoupçons.Ilétaitbizarre,maisintelligent.—C’esttropnormal,c’estchelou,amurmuréHenry.Ilavaitraison.SionneconnaissaitpasColin,onauraitcruqu’unefamille
vivait ici. Il avait aménagé les lieuxde façon tropordinaire.Pourquoiest-cequepersonned’autrenel’avaitjamaisremarqué?—Là,regarde!Henry a pointé du doigt la grande fenêtre de la cuisine, dans laquelle se
découpaitunrectanglepluspetitet…entrouvert.—Tuesmoinsgrandquemoi,ai-jeobservéensouriantetenindiquantdu
mentonl’ouverture.Ilasoupiré.—Etmerde.Jesavaisquet’allaisdireça.—T’avaisqu’àutiliser tonabonnementà lasalledegympour fairede la
gonflette.Allez,jevaist’aideràmonter.Ilaposésesmainssurlavitreetunpieddansmesmainsjointes.J’aiserré
lesdentsenlehissant.Henryétaitmince,jem’attendaisàcequ’ilsoitléger.Jemetrompais.—Putain,combientupèses?Ilaignorémaquestionetaouvertcomplètementlafenêtre.—Pousse-moi.J’aibandé lesmusclesdemesbraspoursoulever lepieddeHenry leplus
hautpossible.Ils’estagrippéaucadreets’estglissédansl’ouverture.Jen’ai
paspum’empêcherderireenlevoyantsuspendudel’autrecôté.Ilesttombéparterreavecungrosboum.—Çava?— Ouais, c’était juste un sol en carrelage hyper dur, a-t-il ironisé en se
massantlecoude.Ilatournélaclérestéedanslaserruredelaportevoisinedelafenêtre.—Merci,Colin.J’ai poussé le battant et je suis entré. La cuisine était d’une propreté
irréprochable. Il n’y avait rien sur le comptoir. On aurait dit une cuisined’exposition.—Paroùest-cequ’oncommence?—Toi, tu fouilles ici etmoi, j’explore l’étage, ai-je décrété enquittant la
pièce.Regardepartout,d’accord?—Pigé.J’aimonté lesmarchesquatre àquatre. Jemouraisd’enviede trouverdes
réponses. J’aipoussé lapremièreporteet jesuisentrédans lachambre.Uneodeur de citron m’a piqué les narines. C’était pire que dans un hôpital,l’effluvemontaitàlatête.La salle de bains était étincelante. Je voyais presque mon reflet dans le
lavabo.Iln’avaitpasdeshabitudesd’hommeseul.Moiquin’aijamaistouchéunbidond’eaudeJaveldemavie,jenecomprendspascommentunmecpeutbriquer sa salle de bains comme ça. Deux flacons de désinfectant pour lesmainsétaientposéssurlereborddulavabo.Unobsédédesmicrobes.Jesuisressortienrefermantderrièremoi.Çasentaitvraimenttropfort.Commentest-cequ’ilpouvaitvivrelà-dedans?J’aiouvert lasecondechambreet j’aientenduHenryfouillerlesarmoires.
SoitilcherchaitSummer,soitilcambriolait.—Henry?—Ouais?—Situdéplacesuntruc,remets-leexactementaumêmeendroit,sinonille
remarquera.—T’asraison,jevaisfairegaffe.J’ai écarquillé les yeux en entrant dans la chambre trop bien rangée : les
mursétaientpeintsd’untonpêchecomplètementdémodé,lecouvre-litavaitunhorriblemotifàfleursassortiauxlampesdechevet.Quipouvaitbiendormirici ? Pas lui. C’était une chambre de femme, et la décoration n’en était pasrécente.Est-cequ’ilhabitaitavecquelqu’un?Samèreousagrand-mère?Jeme suis immobilisé.Merde, est-ce qu’il y avait quelqu’un dans lamaison ?Nousaurionssûremententendudubruit.JenevoulaisriendireàHenrypour
nepaslefaireflipper.Troptardpourreculer,detoutefaçon.Jem’apprêtaisàpartirquandj’aieuleregardattiréparunesériedecadres
enboisblancposéssurlacommode.Jemesuisapprochéetmonestomacs’estsoulevé. Ils contenaient tous des photos de Colin et d’une femme qui luiressemblait:samère.Surladernière,ilss’embrassaient.Quellehorreur!J’aitournélestalonsenravalantmonmalaise.S’ilfaisaitçaavecsamère,
qu’est-cequ’ilfaisaitàSummer?—T’astrouvéquelquechose?ai-jecrié.Je me fichais de savoir s’il y avait quelqu’un d’autre dans la maison ; il
fallaitquejeretrouveSummertoutdesuite.—Pasencore.Henryparaissaitaussifrustréquemoi.J’aiouvertunenouvelleporteavecfureuretj’aicontinuémonexploration.
J’étaispressé,jevoulaisabsolumentlatirerdelà.Etsiellen’estpaslà?Non,elleestlà.Illefaut.Toutes les pièces étaient immaculées et désertes. Dans la dernière, il n’y
avaitrienàpartunmurdeplacardsauxportesenacajou.J’aidégluti,lecœurbattant.Jemesuisimaginétouslestrucstordusquejepourraistrouverenlesouvrant.J’aifaitunpasenavant,j’airetenumarespirationetj’aiposélamainsurunepoignée.Des fringuesde femmes?Qu’est-cequ’il fabriquait avec toutundressing
pournanas?Lapremièreétaitrempliederobesetdegilets.Lestyleétaittropmoderne pour qu’ils appartiennent à sa mère, à en juger par la déco de sachambre.RienneressemblaitàunetenuequeSummerporterait.ElleétaitdugenreàenfilerunjeanetunT-shirtetportaitrarementdesrobesoudesjupes.Pourquoiest-cequ’ilgardaittoutça?Uneidéem’estvenue:ets’ils’habillaitenfemme?C’étaitpossible,mêmesiçasemblaitpeuprobable.Était-cepourçaqu’ilparaissaitsisecret?J’airefermélaporteetj’aiouvertcellesd’àcôté.Simonhypothèseétaitjuste,ColinnedétenaitpasSummeretj’étaisànouveaudansuneimpasse.J’aiprisuneboîtesuruneétagère.Non,ilnes’agissaitpasd’un travesti. Le carton contenait des paquets de tampons et de servietteshygiéniques.Çanepouvaitpasêtrepourlui.Jemesuisdépêchédesortir lesautresboîtesetdelesfouiller:maquillage,produitspourlescheveux,crèmehydratanteettubesdedentifrice.—Lewis!Moncœurabondidansmapoitrineetj’aisursauté.Jem’étaisfaitchoper.—Putain,Henry,tum’asfichuunedecestrouilles!Ilétaitblanccommeunlinge.—Qu’est-cequ’ilya?ai-jemurmuré.
Il tenait un paquet de journaux. Ou, plutôt, de pages découpées. Toutesaffichaient le visage de Summer. Je les ai saisies et je les ai feuilletées.ChacunecontenaitunarticleconsacréàSumetleplusancienétaitlepremiergrostitresursadisparition.Ilremontaitaumoisdejuillet.J’airelevélatêteetj’aivuHenryregarderlestamponsetlesserviettespar
terre.—C’estlui,a-t-ilconclu.J’ai hoché la tête. J’avais l’impression que mon corps était devenu
insensible. Je devais être aussi pâle queHenry. Cemalade avait fait quelquechoseàSummer.Heureusement, cequ’onvenaitde trouver laissait supposerqu’elleétaitencoreenvie.Elledevaitavoirbesoindecestrucs.Maisoùétait-elle?Était-elledétenueailleurs?Çasemblaitprobable.—Oùest-elle,alors?Unfrissonm’aparcouru l’échine.Nousétionssiprèsdubut,siprèsde la
retrouver ou de savoir ce qui lui était arrivé. Je suis parti en courant et encriantàpleinspoumons:—Summer!Summer,c’estmoi,moncœur.Criesitum’entends!—Putain,Lewis,qu’est-cequetufous?Henrym’arattrapésurlepalier.Jel’airepoussépourqu’ilmelaissetranquille.Elleétaittoutprès.—Àtonavis?Summer!J’aidévalélesescaliersetfoncédanslapremièrepièce.—Summer!Henrym’asuivi,ilregardaitautourdelui,l’aircomplètementpaumé.— Lewis, elle n’est pas ici. Arrête, bordel ! s’est-il énervé. Tu pètes un
câble!Calme-toi.Ilfautfaireleschosescorrectement.J’aisortiletéléphonedemapoche.—Tuasraison.—Qu’est-cequetufais?—J’appelleMichael.LeschienspolicierspourraientdécouvrirsiSummerétaiticiouétaitpassée
parici.Ilslatrouveront.J’ensuissûr.—T’esfou,Lewis,raccroche!Jeluiaisaisilebras.Henryavoulum’arracherleportabledesmains.—Va-t’en,Henry.—Quoi?—Fichelecamp,j’aidit.Henryasecouélatête,commesij’étaisdevenufou.—Allez,dégage.
Il a soupiréeta tourné les talons justeaumomentoùMichael répondait àmoncoupdefil.
Jel’attendaisprèsdelaportearrière.J’étaisimpatientqu’ilarrive.J’avaislagorgesècheetdumalàrespirernormalement.—Ceneseraplustrèslong,Summer,ai-jemurmuréenpriantpourqu’elle
m’entende,mêmesijesavaisquec’étaitimpossible.J’aisursautéenvoyantMichaelapparaîtreàmescôtés.Pourquoiest-ceque
je n’avais pas entendu la voiture du policier ? Il m’a regardé d’un airdésapprobateur.—Qu’est-cequetufabriques,Lewis?J’ailevélesmains.Jen’avaisvraimentpasbesoinqu’ilmefasselamorale.
Ilfallaitqu’ilm’écoute.—Jevousdemande justed’entendreceque j’ai àvousdire,d’accord? Il
stockepleindevêtementsde femmes…etdesproduits. Il agardédevieillescoupuresdepressesurSummer.Pourquelleraison?Michaelasoupiré.—Lewis,tunepeuxpasrentrerchezlesgenspareffraction.—JevousjurequeSummerestlàouestpasséeparlà.J’aifermélesyeuxenpoussantungrognement.— Je ne sais pas. Je ne sais plus rien. Mais c’est bizarre. Il est bizarre.
Fouillezlamaisonvous-mêmeetvousverrez.—Leshabitspeuvent trèsbienappartenir à sa femmeouà sapetite amie.
Sanscompterquedestasdegensgardentdevieuxjournauxououblientdelesjeter.— Il est beaucoup tropmaniaque pour ça. Vous n’avez qu’à jeter unœil,
vousverrez.Michaels’estpassélamainsurlafigure.—Jen’aipasledroitdefaireçaettudoisveniravecmoitoutdesuite.—Pourquoi?— Parce que tu n’as pas le droit de t’introduire chez les gens sans leur
autorisation!s’est-ilénervé.J’aidenouveaulevélesmains.—Vousaviezpromisdenepaslaissertomber.—Jen’abandonnepas,mais tunepeuxpas fairedescoupspareils.Onne
peut pas arrêter tous ceux qui gardent des coupures de presse, ce n’est pascommeçaqueçafonctionne.—Alorsilfautpeut-êtrechangerlefonctionnement!—Jenesuispasvenupourdiscuterdeça.Ilasoupiré.—Je te comprends,Lewis.Si j’étais à taplace, je feraispareil.Écoute, je
vaisluiparlerencoreunefois,c’estlemaximumquejepuissefaire.—Alors,vousnetrouvezpasçaétrange?Ilasecouélatête.—Pasvraiment.Ilfautplusqueçapourobtenirunmandatdeperquisition.
Est-cequetuastrouvéunobjetappartenantàSummer?Moncœurs’estserréetmesépaulessesontaffaissées.Iln’allaitrienfaire
dutout.—Non.— Je l’interrogerai. Et maintenant, il faut que tu viennes avec moi, a-t-il
répété.Michaelm’aconduitdehorsetarefermélaportearrière.Jemesuisdirigé
verssavoitureavecunehorriblesensation.Qu’est-cequiallaitsepasser?Est-cequeColinapprendraitqu’onétaitvenus? Jesuismontéà l’arrière. Jemesuis retourné vers la maison en me demandant si on retrouverait jamaisSummer.Ellen’étaitpaslà.Michaels’estinstalléauvolantetadémarré.—Vousm’arrêtez?— Je ne peux pas te laisser entrer par effraction chez les gens, tu
comprends?J’aiacquiescéet,quandnousnoussommeséloignés,jemesuisretournéune
dernièrefois.Jesuisdésolé,Sum.
JEUDI3MARS2011
J’étaisdeboutdevantlemiroirdelasalled’eauetj’appliquaisdufonddeteintpourmasquermonœilaubeurrenoir.Lesecchymosessurmonbrasétaiententrain de disparaître, on ne les voyait déjà presque plus. Il ne restait qu’uneauréole jaune.Trèfleétaitpirede jourenjour. Ilavait l’espritailleursetsonregardétaitplusabsentqued’habitude.Quelquechoseletracassait,maisquoi?Aveclui,çapouvaitêtretoutourien.J’espéraisensecretquec’étaitparcequela police était sur le point de me retrouver… de nous retrouver. Je mecramponnaisàcetteidée.Mesespoirsd’êtresauvéeaugmentaientàmesurequelanervositédeTrèfle
s’amplifiait.Jerêvaisd’êtreensécuritédanslesbrasdemonpère,desentirleparfumdemamère,d’entendreLewismedirequ’ilm’aimaitoumêmeHenrymehurlerdessusparceque je l’agaçais. J’aidétourné le regarddumiroiretj’airegagnélasalledeséjour.Rose,IrisetViolettelisaientdanslecanapé.—Çava?m’ademandéRoseendéposantsonromanetenselevantpour
examinermonœil.Pasvraiment.—Oui,çavabeaucoupmieuxaujourd’hui.Elle m’a adressé un sourire compatissant et m’a fait asseoir près d’elles.
Nousétionsunpeuserréesàquatre,maisjemesentaisensécuritédanscetteposition.Iln’étaitpasdescendudîneret ilétaitvingtheures trente.Sonrepasl’attendaitdanslefouréteint,prêtàêtreréchauffés’ilarrivait.Roseaconsultél’horloge.—Ilneviendrapeut-êtrepas,ai-jeobservéenpriantpouravoirraison.Elleaplissélefront.—Jevaisnettoyerlacuisine.Quand elle était inquiète, elle s’occupait les mains. Je devinais toujours
quand quelque chose la tracassait, parce qu’elle récurait tout de fond encomble.Iriss’estlevéepourl’aider,commed’habitude.Violettes’esttournéeversmoietaarticuléensilence«chambre».Ellevoulaitqu’onparleenprivé.Jel’aisuivieetnousnoussommesinstalléessursonlit.— Il se passe un truc, a-t-elle commenté. Et s’il lui était arrivé quelque
chose?Sesyeuxsesontécarquillésd’horreur:—Merde,Lilas,ets’ilestmort?S’ilétaitmort,nousétions fichues. Je ledétestaisplusque tout,maisnous
dépendionsdelui.—Jene croispasqu’il lui soit arrivéquoique ce soit. Il a dûoublier de
nousprévenirqu’ilavaitchangésonprogrammepourcesoir,c’esttout.Mon ton était calme et convaincant, alors que j’étais tétanisée à l’idée de
mourirenferméeici.—Il estpeut-être en traind’astiquer son trophéeduTaréde l’année, ai-je
plaisantépourdétendrel’atmosphère.—Mais…Elleasecouélatête.—Violette,nepaniquepas.Ilajusteratéledîner.—Aupetitdéjeuner,ilétaitailleurs.C’estparcequec’estunmalade.—Lilas,ilyauntrucquinevapas.J’aiacquiescé.—Jesais,maisondoitgardernotrecalme,d’accord?Elleaprisuneprofondeinspiration.Quelquesmoisplustôt,c’étaitmoiqui
paniquaisetIrisetRosequitentaientdemeraisonner.—Quoiqu’ilarrive,nousnousensortirons.—S’ilestdevenufou…J’airicané.—Si?Violetteaesquisséunsourire,ellenes’estpasautoriséeàrire.—Plusilperdlaboule,mieuxçavautpournous.—Commentça?—Ilpourraitsemettreàfairedeserreurs.Elleahochélatêteetj’aisouri.—Tuvois?Toutirabien.N’enparlepasàRoseouIris.S’ilestencoreplus
taréqued’habitude,nousavonsunechance.—Deluifracasserlecrâne?Waouh.
—Heu…s’illefaut,pourquoipas.Elleétaitsérieuse.Sonexpressionétaitindifférente.Étais-jecapabledetuer
quelqu’un ? La pensée me rendait malade, mais si c’était une question desurvie,jepourraissansdoute.Lui,jepouvaisletuer.—TuveuxregarderN’oubliejamais?Jevoulaischangerdesujet.C’était le filmpréférédeVioletteet j’espérais
queçal’aideraitàpenseràautrechose.Jeconnaissaischaquescèneparcœurmaintenant.Elleaacquiescéavecunsouriretriste.—D’accord.Quandjemesuislevée,ellem’aretenueparlepoignet.—TucroisqueLewistechercheencore?Saquestionm’asurprise.—J’espèrequenon.—Maistul’aimes.—Biensûretc’estpourçaquej’espèrequ’ilnemechercheplus.Ellem’aregardéecommesij’étaisfolle.Cen’étaitpasça.J’aimaisLewis.
S’ilétaitencoreàmarecherche,ilnepouvaitêtreheureux.Etpourtant,j’étaispersuadée qu’il n’avait pas baissé les bras.À sa place, je n’aurais pas laissétomber.JesuissortiedelachambrepourqueViolettenepuisseplusmeposerdequestions.Jen’avaispasenviedecreuserlesujet.Rose et Iris étaient en train d’essuyer le comptoir de la cuisine, étincelant
commetoujours.J’allaisleurdemandersiellesvoulaientregarderlefilmavecnousquandlacléatournédanslaserrure.Jemesuisimmobiliséeetmoncœurs’estemballé.Letaréétaitenretard.Qu’est-cequeçasignifiaitqu’ilarriveàcetteheure?—Trèfle,toutvabien?Tondînerestdanslefoursituasfaim,aannoncé
Rose en retirant ses gants en caoutchouc jaune tandis qu’il descendait lesescaliers.Mesyeuxsesontposéssur laportedusous-soletsesontécarquillés.Elle
n’étaitpasfermée!Moncœurabondidansmapoitrine.Elleétaitentrouvertedequelquescentimètres.L’avait-ilremarqué?IlaembrasséRosesurlajoueets’esttournéversnous.Violetteestsortiedelachambreets’estarrêtéeàmescôtés.—Ils’estpasséquelquechose,maisnevousinquiétezpas.J’airéfléchiàun
moyenpourquenousrestionstousensemble,a-t-ildéclaréennousregardanttouràtour.Quoi?Qu’est-cequis’estpassé?LamaindeViolettea trouvé lamienneet l’a serrée très fort. Je sentais sa
peur. Elle était terrifiée par ce qu’il avait prévu.Un moyen pour que nousrestions tous ensemble. Qu’est-ce que ça voulait dire ? Il allait essayer des’enfuiravecnous?Moncœurasursauté:ilavaitétédémasqué.Ilaindiquélapièced’ungrandgeste.—Desgensveulentnousséparer,maisjeneleslaisseraijamaisfaire.Sontonétaittropcalme,commes’ildiscutaitdelapluieetdubeautemps.— Nous ne serons pas séparés. Nous ne pouvons pas être séparés, a-t-il
marmonné.Ces affirmations m’ont donné des frissons. Son regard était sombre et
distant.J’aicomprisqu’iln’avaitpasl’intentiondes’enfuiravecnous.Ilallaitnoustuer.Touteslesquatre.Mon sang s’est glacé etmonestomac s’est noué.Lapolice était-elle à ses
trousses ? Est-ce que c’était pour ça qu’il voulait nous tuer sans attendre etqu’ilavaitfaituneentorseàsaroutine?Fais-leparler.J’avaislagorgeserrée,maisjenepouvaispasrestermuette.—Trèfle,personnenepeutnousséparer,sinousnelevoulonspas.Violettem’aserréencoreplusfortlamain.Ilaposélesyeuxsurmoietainclinélatêtesurlecôté.—C’estpourtantcequivasepasser,Lilas.—Onn’aqu’àdirequ’onveutresterici.Il a froncé les sourcils, comme si c’était nouveau pour lui. Est-ce qu’il
croyaitvraimentquenousvoulionsresterdanscesous-soldenotrepleingré?Il ne pouvait pas délirer à ce point. Je commençais à me demander s’ildiscernait encore lebiendumalou s’il vivait dans sonpropremonde,où ilavaittoujoursraison.— Lilas, tu ne m’écoutes pas. Je vous ai dit qu’ils veulent nous séparer.
Maintenant,vousallezêtregentilles.Jevousprometsqueceserarapideetqueçaneferapastropmal.Il a sorti un couteau de sa poche. L’air a quitté mes poumons. Il était
impassible.Ilétaitdéjàmortàl’intérieur.Vaincu.Violettes’estmiseàgémiretm’a tiréeenarrière. Irisa reculéaussi,vers
nous, mais Rose n’a pas bougé. Rose, putain, écarte-toi ! Il ne fallait pasqu’elle reste là.Mêmesiellemerendaitdingueparfois, jenesupportaispasl’idéequ’illuiarrivequoiquecesoit.Avecletemps,elleétaitdevenuecommeunmembredemafamille,commeunegrandesœur.—T…Trèfle,a-t-ellemurmuré.Sesmainstremblaient.Illuiasouri:—Tucomprendsqu’onnepeutpasêtreséparés,non?Jenepeuxpasvivre
sansvousetvousnepouvezpasvivresansmoi.Çaneferapasmal,promis,a-t-ilrépétéens’approchantd’elle.Ellen’amêmepastressailli.Merde,ellen’allaitpasessayerdel’arrêter!Je
voyaislascènesedéroulerdansmonesprit,commedansunfilm:Trèfleallaitla poignarder. Rose allait s’écrouler. Je ne pouvais pas laisser faire ça. J’aibondiverselle,jel’aiattrapéeparlebrasetjel’aitiréedetoutesmesforces.Elles’estcognéecontremapoitrineetjel’aipousséederrièremoi.Trèflem’ajetéunregardnoir.Sonvisages’estdurciquandilacomprisque
je neme laisserais pas faire. Si je devaismourir ici, ce serait en tentant dem’enfuiravecIris,RoseetViolette.—Trèfle, je t’en prie, ne fais pas ça, l’a imploré Iris pour essayer de le
raisonner. Nous trouverons un moyen de rester ensemble. Personne ne ferarien, si nous leur expliquons que nous formons une famille et que noussommesiciparcequenouslevoulons.—Jenesupportepaslessupplications!a-t-ilhurlé.Laporten’étaitpasfermée;nouspouvionsnoussortirdelà.Jegardaiscette
idée en tête. La respiration de Trèfle était lourde et irrégulière, comme àchaquefoisqu’ils’apprêtaitàtuer.J’airegardéautourdemoipourtrouverunobjet dont nous pourrions nous servir pour le blesser ou détourner sonattentionassezlongtempspourfuir.Rien!Toutàcoup, il abondietaattrapéViolettepar-dessusmonépaule.Uncri
silencieuxaretentidansmatête.J’aitentédelaretenir,maisilétaittroprapide.Il l’aplaquéeviolemmentcontrelemureta levésoncouteau.IrisetVioletteont hurlé si fort quemes oreilles ont sifflé.À travers leurs cris, j’entendaisTrèfleprononceruneespèced’incantationdontjenedistinguaispaslesmots.Toutsepassaitsivitequejemesentaisimpuissante.VioletteatentédesaisirlepoignetdeTrèfle,mais il l’a prise devitesse : il a plongé sa lamedans sonabdomenetelles’estécroulée.—Non!ahurléIris.Je me suis agenouillée pour tenter d’examiner la blessure. Est-ce qu’elle
s’en sortirait ? Le couteau avait-il pénétré profondément ? Ma vue s’estbrouillée. J’ai tenté d’avaler la boule quim’obstruait la gorge, en vain. J’aiéclatéengrossanglots.J’aiétoufféuncrienrelevantlatête.Trèflevenaitdeplongersalamedans
le ventre d’Iris. Elle a titubé, a posé une main sur le mur et l’autre sur lablessure.Dusangruisselaitentresesdoigtsetelles’estmiseàhyperventiler.Ellesemblaitterrifiée…terroriséeàl’idéedemourir.Jemesuisrelevéed’unbondet j’ai tiréRoseversmoi.Nousavonscouru
nousréfugierderrièrelatable.Trèflesetenaitentrel’escalieretnous.Ducoin
del’œil,j’aivuIristanguerversnous,levisagetordudedouleuretbaignédelarmes. J’ai essuyé lesmiennes et j’ai fixéTrèfle. Il était simenaçant qu’onauraitditlemalincarné,commesitoutetraced’humanitéenluiavaitdisparu.Je ne voulais pas abandonner les autres,mais il fallait que je tente le tout
pour le tout, sinon nous allions mourir ici. Si j’arrivais à monter dans lamaison,jetrouveraisquelquechosepourl’arrêter.Sonvisages’estadoucietilasouri.—Çavaaller.N’ayezpaspeur.Nousallonsfaireçaensemble,enfamille.—Nousnesommespasunefamille,putain!ai-jeexplosé.Qu’est-cequejevenaisdefaire?Jouersonjeuétaitbeaucoupplusdifficile
quejenel’imaginais.Ils’esttournéversmoi.Rosedevaitenprofiter.—Va-t’en,luiai-jemurmurédiscrètement.File,Rose!Ilafait lentement le tourdela tableet jesuisrestéeplantéeàmaplace.Je
comptais lui flanquerungrandcoupdepiedentre les jambesdèsqu’ilseraitassez près. C’est ce que Henry m’avait conseillé de faire, si je voulais medébarrasserd’unmec.Frappedetoutestesforcessanst’arrêter.C’étaient lesparolesdemonfrèreet,pourunefois,jecomptaisluiobéir.Trèfles’estpostédevantmoi.Jenem’étaisjamaisbattueetj’étaispersuadée
quejeseraisnulle,maisjemesentaisforte.Mahainepourluiexsudaitdetouslesporesdemapeau.J’aicrispélamâchoire,déterminéeànepasmelaisserfaire.Ilalevélamainetj’aicomprisqu’ils’apprêtaitàmefrapper.J’airetenumonsouffleetj’aiavancémonbraspourparersoncoup.J’ai réussi. Je n’arrivais pas à le croire, mais je n’avais pas le temps de
savourerma victoire. J’ai repensé à toutes les horreurs qu’il nous avait faitsubir,àmoietàtouteslesautresfilles,etjeluiaibalancémonpoingdanslafigure.J’aireculéenpoussantuncridedouleur.Trèfleatitubéetavouluseretenir.
Je sentais que j’allais mourir, mais je voulais me battre jusqu’au bout, luimontrerquejen’acceptaispaslestraitementsqu’ilm’avaitinfligés.Jevoulaisqu’ilcomprenneàquelpointilétaitmaladeetdangereux.—Salepetitepute,a-t-ilcrachéavecuneagressivité tellequesavoixétait
méconnaissable.J’ai pris une profonde inspiration avant de me mettre en position pour
appliquerlesrecommandationsdemonfrère,prêteàluibalanceruncoupdepiedavectouteslesforcesqu’ilmerestait.Pousséeparl’adrénaline,j’ailevélajambe,quandRosem’atiréeenarrière.
Merde,non!Pourquoiest-cequ’ellem’arrêtaitenpleinélan?Pourquoiest-cequ’ellen’étaitpaspartie tantqu’elleenavait l’occasion?Trèfleenaprofité
pourm’écrasersonpoingdanslamâchoire.Ma vue s’est troublée et j’ai cligné des yeux très vite pour améliorerma
vision. J’ai été projetée contre lemur.Ma tête a heurté les briques et je suistombée par terre. Je ne voyais plus rien, c’était comme si mon regard étaitobstruéparunvoilenoir.Jemesuisfrottélesyeuxenignorantladouleurquimemartelaitlestempes.Oùest-il?Oùsont-elles?J’ai tentédeme releverenplissant lespaupièrespourdistinguercequi se
passaitautourdemoi.J’avaisl’impressiondechuterauralenti.J’entendaisdesvoix et des cris,mais je n’arrivais àme concentrer sur rien. Je sentais justel’odeurdedésinfectantaucitron,maismoinsfortqued’habitude.Jeflottais,j’étaisàladérive.J’avaismoinsmal.Toutàcoup,par-dessusle
vacarme,j’aientenduungrosboum.Jemesuislaisséeallersurlesoljusqu’àêtre étendue et j’ai essayé de voir qui venait d’entrer.Ma vue était toujoursaussivoilée.J’étaisépuisée.Jevoulaisdormir.J’aifermélesyeuxetj’aisentiqu’onmedéplaçait.—Resteavecmoi,Summer.Çavaaller.Ilfautjustequeturestesavecmoi.Summer?Je ne sentais plus la douleur, juste le mouvement. Quelqu’un me portait.
Quelqu’unquim’appelaitSummer.Est-cequejerêvais?Je me suis sentie chuter de plus en plus bas, jusqu’à être engloutie par
l’obscurité.
JEUDI3MARS2011
J’ai garé la voiture sur le parking de l’hôtel et je me suis frotté les yeux.Depuisplusieursjours,jesillonnaislepayspourvérifierdespistesetexplorerlesdifférentsendroitsoùdesgenspensaientavoiraperçuSummer.Lapolices’en occupait aussi, évidemment, mais plus le temps passait, moins j’avaisconfiance en leur travail. Sept mois s’étaient écoulés depuis sa disparition :j’étaisdansleslimbes,jemesentaisincapabled’avancertantquejenesauraispasaveccertitudecequiluiétaitarrivé.Quelqu’unsavaitoùelleétait.Jesuissortidelavoitureenbâillant.LavilledeLondresétaitbeaucouptrop
grandepouryretrouverunefilleetjedoutaisqueSummerysoitretenue,maisjem’enseraisvouludenepasessayer.La police avait encore réduit les recherches ; il n’y avait presque plus
d’hommessur l’affaireetnospropreseffortsn’étaientplus financésquepardesdons et desbénévoles.End’autres termes, nous allionsdevoir retournertravaillerpourgagnerdel’argent.Sansdouteàmi-tempsseulement.Heureusement, je n’avais passé qu’une nuit en prison pourmon intrusion
chezColin–pourmedonneruneleçon,j’imagine–etmoncasierjudiciaireétait toujoursvierge. Jepréféraisnepaspenseràcequi sepasserait si jenetrouvaispasdeboulotetquejenepuisseplusfinancerlesrecherches.J’auraisl’impressiondelaissertomberSummer.Monarrestationn’avaitpasété inutile : lapoliceavaitpromisd’interroger
Colin.Cemecchelouétaitdansleurradardésormais.Ilétaitvraimentbizarreetlesflicsfiniraientpartrouvercequ’ilcachait.Montéléphoneavibrédansmapocheets’estmisàsonner.Jel’aiempoigné
etj’airéponduimmédiatement:—Allô?—Lewis,ilsontunmandat.Ilsvontentrerchezluibientôt.
C’étaitDaniel.—Quoi?Enfin!—Commentest-cequ’ilsl’ontobtenu?—Ilsl’ontinterceptéalorsqu’iltransportaituncartonpleindechargeursde
téléphoneetdevêtementsdefemmes.Ilallaits’endébarrasser.Heureusementqu’ils venaient l’interroger à ce moment précis, sinon les preuves auraientdisparu.—Est-cequ’ilavaitlechargeurduportabledeSummer?—Jenesaispas,ilsn’ontpasvoulumeledire.J’aisoupiréetjemesuispincél’arêtedunez.Jecommençaisàavoirmalà
latête.—Appelez-moidèsquevousavezdesnouvelles.Quellesqu’ellessoient.—Biensûr.—Merci.J’airaccroché.Si laperquisitionnedonnaitrien, jenesavaisvraimentpas
ce que je ferais. Continuer à suivre la moindre piste pour aboutir à denouveauxculs-de-sac?— Bonjour, m’a dit le réceptionniste. Vous avez une réservation ? Vous
voulezunechambre?J’aihésité.Est-cequejerestaispourcontinuerlesrecherchesouest-ceque
jerentrais?—Enfait,non.Désolé.Et sans donner d’explication, j’ai couru rejoindremavoiture.Le trajet de
retourseraitlongetnemèneraitpeut-êtreàrien.Maisjedevaisêtresurplace,justeaucasoù.Mon cœur a bondi à l’idée de revoir Summer. Je ne voulais pas trop
espérer;jemesentiraisencoreplusanéantisionnelaretrouvaitpas.Je t’enprie,moncœur,quetoutaillebienpourtoi.J’arrive.Theo avait dit que je chargeais tropColin. Il avait raison,mais c’étaitma
seulepiste.J’aivoulutournerlaclédecontact,maismesmainstremblaientsifortque
j’aidûm’yreprendreàtroisfois.Allez,putain!J’aienfinréussiàdémarreretj’aipoussélesgaz.Cettebagnoledemerden’iraitjamaisassezvite.Jen’auraisjamaisdûquitterLongThorpe.Quelcon!Mon téléphone a sonné et mon cœur a de nouveau bondi. C’était encore
Daniel.—Lewis.Savoixétaitchargéed’émotion,commes’ilavaitpleuré.Non!
—Oui,ai-jemurmuré.J’aiprisuneprofondeinspiration.LaTerres’étaitarrêtéedetourner.—Ils…ilsl’ontretrouvée.Ilsl’ontretrouvée.Elleestaveceux.Illerépétait,commes’ilavaitdumalàlecroirelui-même.—Quoi?Qu’est-cequis’estpassé?Oùest-elle?Ellevabien?J’étaisfoudejoie.Lapolicel’avaitretrouvée!—Danssamaison,danslacave.Elleestvivante,Lewis.Ils’estmisàsangloter.—Elleestvivante.Est-cequejerêvais?J’avaisl’impressionquetoutsedéroulaitauralenti.La
voixdeDanielme semblait lointaine, irréelle. J’avais imaginécemoment sisouvent.Leslarmesmesontmontéesauxyeux,mebrouillantlavue.—Oùest-elle?—Àl’hôpital.Noussommesenroute.Elles’estcognélatête,maiselleest
là.Elleaétéblesséeaucoursd’unebagarre.Onarrive,jedoisraccrocher,ilfautquej’ailleprèsd’elle.Rejoins-nousleplusvitepossible.—Àtoutdesuite,ai-jesouffléavantderaccrocher.Les paroles deDaniel résonnaient dansma tête.Elle est vivante. Je rêvais
d’entendrecesmots,depuisseptmois.Etj’étaisàLondres,putain,àdesheuresderoute.Jemesentaishyperfrustré.Jem’envoulaisàmortdenepasêtreàLongThorpe.J’aimartelélevolant.—Merde!Il y avait eu une bagarre et elle était à l’hôpital. Était-elle gravement
blessée ? Elle s’était cogné la tête. Est-ce que c’était sans complication ? Ilfallait qu’elle aille bien.Nousnepouvions pas avoir traversé un enfer aussilongpourqu’ellemeureàlafin.J’avaisbesoind’elle.Laculpabilitémerendaitmalade.J’avaisenvied’êtredéjààsescôtés.Sielle
était éveillée, est-ce qu’elle demanderait après moi ? Est-ce qu’elle m’envoudraitdenepasl’avoirretrouvéeplustôt?J’avaispromisdeprendresoind’elle.J’ailaissééchapperungigantesquesoupir…jenem’étaismêmepasrendu
compte que je retenais mon souffle. J’ai cligné des yeux et des larmes ontroulésurmesjoues.Toutiraitbienàprésent.Elleétaitenvieetjeferaistoutpour l’aider à panser ses plaies, morales et physiques. Les émotions mesubmergeaient, je n’arrivais pas à comprendre ce que je ressentais. Dusoulagement. De la peur. De la joie. De la colère. De l’excitation. De laculpabilité.J’aiserrélevolantd’unemainenessuyantmeslarmesdel’autre.Quoiqu’il
luisoitarrivéaucoursdecesseptmois,cen’étaitpasgrave,puisqu’elleétait
deretour.J’aiappuyésurl’accélérateur.—Oùest-elle?ai-jedemandéàTheoàlasecondeoùj’aifranchilesportes
del’hôpital.—Parici,a-t-ilditensemettantàcouriravecmoi.—Tul’asvue?—Non.—Quelqu’unl’avue?Ellevabien?—Elleestréveilléemaintenant.DanieletDawnsontavecelle.Lewis,avant
quetun’yailles,Henryvoudraitteparler.—Quoi?J’ai secoué la tête.C’est quoi ce bordel ? Je n’avais pas envie de papoter
avecHenry,jevoulaisvoirmapetiteamie!—Jeveuxd’abordmerendreauprèsdeSum.—Ilestdevantlachambre,tudoisluiparleravant.Pourquoi?Qu’est-cequeçavoulaitdire?Est-cequeSummerétaitfâchée?Nousavonsbifurquédansunautrecouloiretnoussommesentrésdansun
servicedontjen’aipasregardélenom.Çasentait ledésinfectantet l’hôpital.Henry était posté devant une porte.Mon cœur s’est arrêté. Summer était del’autrecôtédelacloison.Henrys’estavancéversmoi,lesmainslevées.—Lewis.Pasencore,monvieux,ilfautqu’onparle.J’aisoupiré.—Pourquoi?Jeveuxjustelavoir.Ellevabien?Elleneveutpasmevoir,
c’estça?—Viensavecmoiàlacafétéria,jet’expliquerai.—Henry,j’aipasenviedem’asseoirpourboireuncafé,putain!—Alorsonrègleçadanslecouloir.Réglerçadanslecouloir?Onauraitditqu’ilvoulaitsebattre…— Je t’en prie, Lewis, fais-le pour elle. Avant d’entrer, il faut que tu
comprennescequiestarrivé.Ellen’estpas…elle-même.Monvisages’estassombri.—Qu’est-cequetuveuxdire?— Viens par ici et je t’expliquerai, m’a-t-il promis en m’écartant de la
chambre.J’aijetéunœilàlaporte.Summern’étaitqu’àquelquesmètresdemoi,mais
jenepouvaistoujourspasêtreàsescôtés.—Çava,c’estbon.Jel’aisuivi,tandisqueTheoentraitdansunepièceenfacedelachambrede
Summer–unesalled’attente?
Quandnoussommessortisduservice,j’aidemandé:—Alors,qu’est-cequ’ilya?—Elleestdifférente.Ilafroncélessourcils.—C’estcommesiellenenousreconnaissaitpasvraiment.Elleneréagitpas
trop.ElleajusteréclaméRose,IrisetViolette.J’étaisabasourdi.—Quoi?Elleveutdesfleurs?Henryabaissélesyeuxausol.—Non,cesontlestroisautresfillesaveclesquelleselleétaitenfermée.Mesyeuxsesontécarquillésetjesuisrestébouchebée.—Elleaditqu’elles’appelaitLilas.Quoi?Çan’avaitaucunsens.Jen’arrivaispasàcomprendre.Pourquoiest-
cequ’elleseseraitfaitappelerLilas?— Écoute, on ne comprend pas tout. Aucune d’elles n’a dit grand-chose,
maisilsembleraitqueBrown,ouTrèfle,aitchangéleursnoms.—Je…J’aisecouélatête.J’essayaisd’emmagasinerlesinformations.—Trèfle?Qu’est-cequec’estquecesconneries?Jene…—Écoute,ellen’estpasdanssonétatnormal,alorsnet’attendsàrien.Ilfaut
qu’onl’aideàs’ensortir,àretrouverlamémoire.Elle aoubliéqui elle était ?Qu’est-ceque ce taré lui avait fait subir pour
qu’elleenarrivelà?—Jeveuxlavoir.Toutdesuite!J’arriveraisàraviversessouvenirs.Ilfallaitquejesoisavecelle,quejela
prennedansmesbras,quejesentesonodeur.J’avaisenviedelaserrercontremoietquetouts’arrangeparmagie.Nousnoussommesarrêtésdevantsaporteetmoncœurs’estemballé.
VENDREDI4MARS2011
Moncorpspesaitunetonne,commes’ilétaitenplomb.Unedouleuràlatêtem’élançait. J’ai tentéd’ouvrir lesyeux,maisonauraitditquemespaupièresétaientsoudées.Qu’est-cequisepassait?Unbrouillardnoirm’aenveloppéeetjemesuisrendormie.Je me suis à nouveau éveillée dans le noir le plus complet. Mon corps
refusaittoujoursdebougerd’uncentimètre.Ouvrelesyeux!Concentre-toilà-dessus. J’entendais des voix inconnues autour de moi. Petit à petit, j’aicommencéàdistinguercertainsmots,puisdesphrases.—Elleestforte,ellevas’ensortir…Moi?Jenemesentaispasforte.—Jepensaisqu’onl’avaitperdue.À qui appartenait cette voix ? À mon père ? Était-ce lui ? Qu’est-ce qui
s’était passé ? Tout à coup, j’ai assemblé les pièces du puzzle : l’odeur dedésinfectant – pas celui au citron –, les voix familières. J’étais sortie de laprisondeTrèfleetj’étaisàl’hôpital.Commentétait-cepossible?J’ai chassé tout le reste ; je m’en occuperais plus tard. Pour le moment,
l’essentielétaitdemeréveiller.Moncorpsrefusaitd’obéir,maisj’aifiniparbattre des paupières pendant une fraction de seconde. Un rai de lumièreblanchem’aaveugléeavantquejenereplongedanslenoir.Unocéandevoixaenvahilapièce.Toutlemondeparlaitenmêmetemps.
Avaient-ilsaperçumonexploit?—Summer?Summer?Ouvrelesyeux!ai-jehurléintérieurementenredoublantmesefforts.Cette
fois,mesyeuxnesesontpasrefermés,maisj’étaisépuisée.J’aigrimacéfaceàl’éclairagetropfort.Mavueétaittroubleaudébut,puiss’estajustéelentement.—Summer?Machérie?
Lavoixdemamèresemblaitétrange.Jem’ensouvenaisjusteassezpourlareconnaître vaguement. Elle a éclaté en sanglots et j’ai souri pour tenter del’apaiser.Être libremesemblaitaussi irréelquequandj’étaisarrivéedanslesous-sol.—Chérie,çava?J’étaisincapabledeparler,jen’avaispasassezd’énergie.J’aihochélatête
tantbienquemal.—Jevaischercherunmédecin,aannoncéHenry.Je ne le voyais pas, mais je reconnaissais avec certitude la voix de mon
emmerdeurdefrère.J’aisourifaiblement.—Oh,tuvasbien…Mamanm’acaressélescheveux.J’aitournélégèrementlatêtepourmieuxla
voir. Elle avait l’air plus âgée, comme si elle avait vieilli de huit ans enquelquesmois.Sescheveuxétaientgrisetelleavaitdeprofondscernessouslesyeux.Était-cemafaute?Uneinfirmièreenuniformebleuclairm’adévisagéeenmesouriantcomme
sij’étaissafille.—Bonjour,Summer.Jem’appelleTara.Commenttesens-tu?J’ai ouvert la bouche,mais j’ai juste réussi à émettre un grognement.Ma
gorgeétaitaussisèchequesij’avaisavalédusable.J’aihaussélesépaules.—Tuasmalquelquepart?J’aifaitsignequeoui.J’avaismalpartout,surtoutàlatête.—Bon,jevaist’apporterquelquechose.Ilyadel’eausurlatabledechevet.—Jem’enoccupe,aprévenumonpère.J’aisouri.Évidemment,ilprenaitlesaspectspratiquesenmain.— Je vais chercher un antidouleur et je reviens avec un médecin qui va
l’examiner.—Merci,aditmamanenagrippantmamain.Summer?Machérie…Elles’esttueetaessuyéleslarmesquiluiinondaientlesjoues.Mavues’est
brouillée. J’ai battu plusieurs fois des paupières pour essayer d’y voir clair.J’avaistrèsmalàlatêteetenviededormirànouveau.Papaaversédel’eaudansungobeletetyamisunepaille.Ilcroitquej’ai
trois ans ? J’ai entrouvert les lèvres, impatiente de boire. J’ai dû tout boirepourquemagorgeretrouvesonétatpresquenormal.—Commentallons-nous?ademandéuneautreinfirmièreenentrant.Elle avait une seringue enmain… l’antidouleur. J’ai poussé un soupir de
soulagement.Vite!—Summer, jem’appelleBrienna.Net’inquiètepas, tun’asrienàfairedu
tout. Je vais t’administrer le médicament par intraveineuse. Elle a planté
l’aiguilledansuntube.Jen’aipassentid’amélioration.Combiendetempsest-cequ’ilfallaitpourqueleproduitagisse?—Lemédecinvabientôtvenir.Situasbesoindequoiquecesoit,appelle.Elleaquittélapièceetnoussommesrestésseulsànouveau.Desbribesdecettedernièresoiréedanslacavedéfilaientdansmatête,mais
jen’arrivaispasàlesassembler.OùétaientRose,IrisetViolette?—Que…Qu’est-cequis’estpassé?Maman,papaetHenrysesontapprochésetsesontassissurleborddemon
lit. Ilssesontpenchéssurmoiet jemesuisreculée,malà l’aise.Jen’auraispasdûmesentirmalàl’aiseavecmafamille.—Tunetesouviensderien,machérie?m’ademandépapa.—Trèfle.IlaattaquéViolette…nousaattaquées.Oùsont-elles?—Lesautresfilles?Mamanmeparlaitd’unevoixtoutedouce,commesiellepensaitquej’étais
encristaletqu’unbruittropfortrisquaitdemebriser.Oùétaientlesautres?—Ilfautquejelesvoie.Voussavezoùellessont?—Summer,calme-toi.—Oùestl’infirmière?Je me suis appuyée sur les bras pour me redresser et une douleur m’a
transpercé la tête. Je me suis laissée retomber sur le matelas avec ungrognement.—Trouvez-les,s’ilvousplaît,ai-jemurmurélesyeuxpleinsdelarmes.—Chérie,calme-toi,m’aimploréemaman.Elleaéchangéunregardavecpapa,dontjen’aipascomprislasignification.—Tonpèrevaallerserenseigner.Quelqu’un a frappé à la porte et est entré. Cette femme n’était pas une
infirmière ;elleportaitunpantalonetun topnoirs,maiselleavaitautourducouunbadgedel’hôpital.—Bonjour,Summer,jesuisCecilia.Commenttesens-tu?—Oùsont-elles?Elleasouri.Ellesavaitdequijeparlais.Est-cequ’elles’occupaitd’elles?— Je viens de quitter Iris. Elle s’est levée de son lit et est capable de
marcher.ElleestavecViolette.Violetteestdansunétatcritique,maisstable.J’aidégluti.Étatcritique.C’étaitgrave.Trèstrèsgrave.—Rose?ai-jemurmuré.—Physiquement,ellevabien.Mesyeuxsesontremplisdelarmes.Évidemment,elleavaitbesoindelui.—Ilfautquejelesvoie.—Dèsquetuirasmieux,jeferailenécessaire.
—Jemesensbien.Jevousenprie.Elleasecouélatête.—Jesuisdésolée.Repose-toietjeverraisijepeuxt’emmenervoirViolette.Ellem’avaitappeléeparmonvraiprénom,maisn’utilisaitpaslesleurs.Iris
ne leur avait pas révélé comment elles s’appelaient. J’avais presque enviequ’onm’appelleLilas…d’êtreànouveau commeelles.Pendant près dehuitmois, je n’avais euqu’elles et en être séparéeme rendait vulnérable. J’avaisl’impression que Summer était très loin. Mais je n’avais aucune envie deconserverlenomquem’avaitdonnécemalade.Jenevoulaisrienavoiràfaireaveclui…justeavecelles.—Ilestenprison?Ceciliaaregardémesparents.—Jen’aipasl’information,Summer.Tudevraisenparleravectesparents.Elle a écrit quelque chose dansmon dossiermédical,m’a examinée, puis
s’estredressée.—Bon, je reviendrai tevoirbientôt etnousauronsuneconversationplus
approfondiedèsquetutesentirasmieux.Cen’étaitdécidémentpasuneinfirmière.—Tuasfaim?m’ademandémamandèsqueCeciliaestpartie.—Non.Oùest-cequ’ilest?—La police l’a arrêté,m’a expliqué papa. Tu es en sécurité,maintenant,
Summer.Ilneteferaplusdemal.Àchaquefoisqu’onm’appelaitSummer,jem’attendaisàcequequelqu’un
d’autre réponde, comme si on ne s’adressait pas à moi. Je n’avais pasl’impression d’être Summer. C’était aussi bizarre que lorsqu’on m’appelaitLilas,audébut.Laportes’estouverteetj’aisursauté.C’étaitbizarred’êtrederetourdansle
monderéel.Presqueeffrayant.Mêmesijen’avaispasenvied’êtreseule,j’enavaisassezquetoutlemondem’examinecommeunebêtecurieuse.—Summer,acriéHenryenagitantunemaindevantmonvisage.Çava?Ça
faitplusieursfoisquej’essaiedeteparler.J’aifroncélessourcils.Ahbon?—Heu…oui.Ils’estassissurleborddemonlitetm’asouri.—Lewisarrive.Lewis.Moncœurabondidansmapoitrineetj’aisentideschatouillisdans
leventre.Ilarrivait.Maintenant.—Tuveuxlevoir?Est-cequejevoulaislevoir?Pendantseptmoisetdemi,jen’avaisqu’une
idéeentête:leretrouver.Maintenant,jenesavaispluscequejevoulaisnicequejeressentais.Jenevoulaispasinspirerlapitié,surtoutpascelledeLewis.J’avaisenvied’êtreavecRose,IrisetViolette.Jevoulaismesentirensécurité.—Oùsont-elles?—Qui?—Rose,IrisetViolette.— Je ne sais pas, Sum, mais Lewis arrive, a-t-il répété en me regardant
commesij’avaisperdulatête.Mamans’estassisedel’autrecôtéetm’asaisi lamain.Jel’airetirée:son
contactmeparaissaitétrange.—Machérie?J’ai réfléchi à ce que je voulais enmemordillant la lèvre. Tout était très
confus, rien ne paraissait avoir de sens. Je ne ressentais pas la moindreémotion.—Vousvoulezbientouspartir?S’ilvousplaît?—Quoi?Qu’est-cequinevapas,machérie?s’estinquiétépapa.—Partez,s’ilvousplaît,ai-jemurmuréenmecachantlesyeux.J’avaisenviedemeroulerenbouleetdedormir.Ilsm’ontlaisséetranquillependantdouzeminutes.Auboutdecerépit,mes
parents–sansHenry–sontrevenuss’asseoirsurdessiègescontrelemur:ilsnemeconcéderaientpasplusdelibertéqueça.Ilsm’ontjusteexpliquéqu’ilsneme laisseraient pas seule puis n’ont plus prononcé unmot.Même si leurprésenceétaitplusquediscrète,ellem’étaitdifficileàsupporter.J’auraisvouluqu’ilssortentdelachambre.Jeculpabilisaisdemesentirperdueàchaquefoisqu’ilsm’observaientd’unairtriste.Henryaumoinsétaitcapabledebavarderdetoutetderien.Laporte s’estouverte et, avantmêmede lever lesyeux, j’ai suquec’était
Lewis. L’atmosphère de la pièce a changé, mon cœur s’est accéléré. Mesparents se sontpenchésenavant,Henryestvenu seposterdevantmon lit enregardant vers la porte. Qu’est-ce qu’ils s’imaginaient ? Que Lewis avait lapotionmagiquequiallaittoutarranger?J’auraisaiméquecesoitlecas,maisjen’étaisplusnaïveaupointdel’espérer.Il est ici.Mon souffle s’est coupé et j’ai eu l’impression que la Terre
s’arrêtait de tourner. Jeme sentaisnerveuse, perdue et paniquée.Rien àvoiravec de l’enthousiasme. J’avais du mal à respirer. Personne n’a parlé et jen’avaispasencorerelevélatête.C’étaitdouloureuxd’êtredanslamêmepièceque lui. Ses pas se sont approchés, lematelas s’est enfoncé et j’ai aperçu sajambe du coin de l’œil. J’ai dégluti et j’ai enfin levé les yeux. La premièrechose que j’ai vue, c’est ma famille devant la porte. Ils n’allaient pas nous
laisserseuls.J’ai tourné la têteversLewiset j’aiarrêtéde respirer. Jemesouvenaisde
son visage dans lesmoindres détails, y compris la petite cicatrice sous sonsourcil.—Summer,a-t-ilmurmuré.J’aifermélespaupières.Ilavaitprononcémonnomexactementcommeje
l’avais imaginé tant de fois quand j’étais enfermée dans la cave. Ses yeuxbrillaientaveclamêmeintensité.Toutàcoup,monnomnemeparaissaitplusaussiétrange.Ses beaux yeux verts ont transpercé lesmiens. Ilme regardait exactement
comme avant. Comment était-ce possible ? Est-ce qu’il m’avait vraimentattendue?Jevoulaisàtoutprixlecroire,maisseptmoisetdemi,c’étaituneéternité.Quands’était-ilmisàpenserquej’étaismorte?Est-cequ’ilavaittentéde m’oublier ? Il me cherchait encore, mais est-ce que ça signifiait qu’ilm’aimaittoujours?Je n’osais pas lui poser les milliers de questions qui me taraudaient. À
plusieurs reprises, il a ouvert la bouche et l’a refermée sans rien dire. Jesupposequeluinonplusnetrouvaitpaslesmots.Ilétaitaussiperduquemoi.J’avaistoujoursimaginéquenosretrouvaillesseraientromantiques:unejeunefillesauvéesejettedanslesbrasdesonamoureuxetilss’embrassent.—Lilas?J’ai sursauté en entendant la voix d’Iris. Elle regardait autour d’elle
nerveusementenévitantdecroiserleregarddesautres.J’aiécartéledrapetjemesuislevée.Matêtes’estmiseàtournerunefoisquej’aiétédeboutet j’aititubéententantdefaireunpas.Lewisaétoufféuncrienseredressant.—Summer!Mamère s’est énervée etm’a ordonné de retourner au lit. J’ai ignoréma
famillepourcourirdanslesbrasd’Iris.Elleafonduenlarmes.J’avaisenviederentrerà lamaison.Pasdans lacave,maisquelquepartavecRose, IrisetViolette.Jenemesentaispasensécuritésanselles.—Çava?luiai-jedemandéenl’examinantdelatêteauxpieds.Ill’avaitpoignardée!Elleahochélatête.—Çava.Lablessuren’étaitpasprofonde.Violette…Ellealaissééchapperungrossanglot.Quoi?—Qu’est-cequ’ilya?Tuétaisavecelle, ilsme l’ontdit.Commentva-t-
elle?Irisasanglotésurmonépauleensecouantlatête.Non.
—Cen’estpaspossible.Violetteétaitmorte.Trèflel’avaittuée.Je me suis effondrée contre Iris en tremblant de tout mon corps. C’était
horrible.Aprèstoutcequ’elleavaittraversé,Violetteétaitmortequandmême.Leslarmesdévalaientlelongdemesjoues.Pourquoiest-cequeçanepouvaitpasbienseterminer?—Rose,oùestRose?ai-jedemandé,entredeuxsanglots.—Elleestici,maisonnemelaissepaslavoir.Jeme suis écartée et j’ai séchémes larmes – c’était inutile, de nouvelles
surgissaientaussitôt.—Jeveuxlavoir.Ilfautqu’ontrouvequelqu’un.—Summer,arrête!aprotestéHenryenm’attrapantparlebras.Jemesuisdégagée.—Tudoisretourneraulit.Je lui ai tourné le dos.Mon propre frère était devenu comme un inconnu
pourmoi.—Tusaisoùelleest?ai-jedemandéàIris.—Non,j’aiposémillefoislaquestion,onrefusedemerépondre.Laportes’estouverteetCeciliaestentrée.—Iris,tunepeuxpasêtreici.Ettoi,Summer,tudoisresteraulit.—Lilas,l’ai-jecorrigéeautomatiquement.Jemesuis immobilisée,horrifiée.Lilas?J’étaischoquéedeceréflexe.Je
suisretournéemecoucher,enveloppéedansuneépaissecouchedebrouillard.Pourquoiavais-jeditça?— Est-ce que vous pourriez essayer de savoir comment va Rose ? ai-je
imploréCecilia,lesyeuxpleinsdelarmes.—Jeferaimonpossible.Iris,retournedanstachambre.Tupourrasrevenir
plustard,jetelepromets.Pourquoiest-cequ’ilsne l’appelaientpasBecca?Personnen’étaitvenu la
voirpourdirelavéritéauxmédecins?Moncœurs’estserré.J’étaispersuadéeque sa famille se manifesterait. Iris est sortie sans protester et je me suisretrouvéeseuleànouveau.Enfin,pasvraimentseule.Du coin de l’œil, je voyais Lewis m’observer comme si j’étais devenue
folle. C’était probablement le cas, je ne savais plus trop. Est-ce que j’avaisenviedeluiparler?Oui,maisjenesavaispascommentm’yprendre.Qu’est-cequejepouvaisluidire?Leschosesdevaientavoirchangépourlui…plusde sept mois s’étaient écoulés !Même si, techniquement, nous n’avions pasrompu, étions-nous encore ensemble ?Qu’est-ce que je voulais ?Ensemble.J’avais envie qu’on soit ensemble, mais je ne savais plus comment me
comporter. Je n’étais pas la même Summer que celle dont il était tombéamoureux.Jen’avaisrienàluioffrir.Mesyeuxmepiquaient.Ilesticiavecmoi.J’avaisenviedecourirverslui,
maisj’avaispeur.—Vouspouveznouslaisseruneminute?ai-jedemandé,lesyeuxfixéssur
lelit.IlscomprendraientquejevoulaisparleravecLewis.Mafamilleestsortiede
lachambreetils’estrassissurleborddumatelas,levisagetournéversmoi.J’étais obligée de le regarder. Je n’avais plus aucune excuse. C’est Lewis.Pourquoiest-cequej’aisipeur?—Sum,a-t-ilmurmuré.Monnomnesonnaitpasfauxquandil leprononçait.Ilavaitunsensetme
rappelaittouteslesfoisoùLewism’avaitappeléeavant.—Regarde-moi,moncœur.L’air aquittémespoumons.Moncœur. Je n’arrivais pas à reprendremon
souffle. J’ai dégluti et j’ai levé les yeux. Il m’observait avec amour, l’airsoulagé.J’aivumonavenirdanssonregard.Iln’avaitpaschangé.Moncœurapalpitéetjemesuissentieànouveauenvie.L’atmosphère a changé, elle était plus légère, le soulagement et le désir
avaientremplacéd’autresémotionsplussombres.Ilm’avaittellementmanqué.Pasun journ’avaitpassé sansque jepenseà lui. J’avais entendudireque levéritable amour ne peut naître qu’après qu’un couple a traversé et surmontéuneépreuvemajeure.Était-cenotrecas?J’aimaisencoreLewisetilsemblaitpartagermessentiments.Jen’étaispasnaïveaupointdecroirequejequitteraisl’hôpitalavecluietquenousvivrionsheureuxavecousansenfants–lesfinsparfaites sont réservées aux contes de fées –, mais j’avais l’espoir que leschosess’arrangent.LeslèvresdeLewisontlentementesquisséleplusbeaudessourires.—Salut,toi,a-t-ilchuchoté.J’aisouriàmontour.—Salut.C’étaitunpeuétrange.Nousn’avionsjamaisétémalàl’aise.Commejele
connaissaisavantdesortiraveclui,iln’yavaitjamaiseudegêneentrenous.Le silence est retombé. J’ai joué avec le tissu dema tenue d’hôpital. S’il teplaît, dis quelque chosedeplusqu’unbête« salut » !Est-ceque cemalaiseallait durer longtemps ? Nous allions peut-être devoir réapprendre à nousconnaître. Je n’étais plus la même et je ne savais pas si je serais un jourpareilleàlaSummerd’avant.—Commentvas-tu?
Il s’est mordu la lèvre, les sourcils froncés comme s’il s’en voulait dem’avoirdemandéça.Oui,Lewis,laquestionétaitidiote.—Çava.Ilahausséunsourcil.—Qu’est-cequetuveuxvraimentsavoir?ai-jedemandé.Ilasoupiré.—Sum,j’aiunmilliondequestionsetj’aidestasdechosesàtedire,mais
jenetrouvepaslesmots.Ils’estpenchéversmoietmoncœurs’estemballé.Qu’est-cequ’ilfait?—Pour lemoment, j’ai juste envie de te prendredansmesbras.Tum’as
tellementmanqué.Jeme suishisséevers lui. Il apassé sesbras autourdemoi etm’a attirée
verssontorse.Sesmainssesontagrippéesàmescheveuxavecundésespoirtelquemesyeuxsesontànouveauremplisdelarmes.J’aienfouilatêtecontrelui et j’ai éclaté en sanglots. L’horreur, le chagrin et la peur de tous cesderniersmois sont sortisd’uncoupet j’aihoqueté jusqu’àenavoirmalà lagorge.Lewismeserraitenmedonnantdetempsentempsdesbaisersdanslecou.—Toutvabien,moncœur,tuesensécuritémaintenant.Jet’aimesifort.Ilétaitpenchébizarrement,çanedevaitpasêtreconfortable,maisiln’apas
bougé d’un millimètre. J’ai senti son corps trembler et j’ai compris qu’ilpleuraitaussi.Jenel’avaisjamaisvupleurer.Çam’afendulecœur.J’avaisenviedeleconsoler,delesupplierd’arrêter,maisjen’arrivaispas
moi-même à cesser. Le soulagement que je ressentais était si fort qu’il mesubmergeaitcomplètement.Ilétaitvraimentlà,cen’étaitpasunrêve.Jenesaispascombiende tempsnous sommes restésainsi. J’ai eu l’impressionqueçaduraitdesheures.Sonodeurm’enveloppait,j’étaisàlamaison.Quand ilm’a enfin lâchée, je suis retombée contremon oreiller, épuisée.
Mêmesijen’avaisfourniaucuneffort,jen’enpouvaisplus.—Désolé,tudoistereposer.Ilatirélesdrapsjusqu’àmonmenton,puism’aobservée,enseconcentrant
sur chaque parcelle de mon visage. Je devais être affreuse à voir, avec desbleusetdeségratignurespartout.J’aibaissélesyeux,c’étaittropintensedelevoirmedévisagercommeça.Jemesentais tellementvulnérable.Lewis lisaitenmoimieuxquepersonne,sansdouteparcequejepartageaistoutaveclui.Iln’yavaitpasmoyendeluifaireavalerdescouleuvres.Jemesuismordulalèvreetjemesuismiseàjoueravecmesdoigts.—Tut’envas?—Jenevaisnullepart.Plusjamais.
J’airicané.—Harceleur.Sonrirearemplilachambre.Ilm’aprislamainetaposéseslèvresdessus.
J’aisourienm’endormant.
SAMEDI26MARS2011
JemesuisagenouilléepourdéposerlesmargueritessurlatombedeLayal.Iris–Becca–ainstalléungrosbouquetderosesrougessurcelledeRose.C’estcesfleurs-làqu’elleauraitvoulues.Beccaetmoi,nousnousappelionsparnosvrais noms depuis que nous étions sorties de l’hôpital, mais l’appeler«Becca»etl’entendredire«Summer»étaitencoreétrange.RoseetLayalmemanquaient tellementque j’enétaismalade.Ellesétaient
devenuesmafamilleetjemeréveillaisencorechaquematinenm’attendantàlestrouverprèsdemoi.JemesentaiscoupabledenepasavoirpuaiderRose,maisjenesavaispassij’auraispufairequoiquecesoit.Elleavaitpassétropdetempsdanslacave.Elleétaitsansdoutedevenueincapabledevivrelibre.Etpourtant, à chaque fois que je repensais au jour où j’étais enfin rentrée à lamaison et qu’elle s’était retrouvée seule à l’hôpital et avait avalé desmédicamentsjusqu’àenfaireuneoverdose,jemehaïssais.—Jesuisdésolée,ai-jemurmuré,àl’intentiond’ellesdeux.DésoléedenepasavoirtrouvécommentaiderRose,désoléedenepasavoir
réussiàempêcherTrèfledes’enprendreàViolette.Beccam’aprislamain.—Cen’estpastafaute,Sum.Je le savais, mais jeme sentaismal tout demême. C’est le syndrome du
survivant,apparemment.Ellessontmortesalorsquejem’ensuistiréevivante.—Allons-y,tudoisbientôtrentrercheztoi.J’ai hoché la tête. Ma famille m’avait à peine laissée sortir depuis mon
retour.Ilssurveillaientmesmoindresmouvementsetjenepouvaispasmettrelenezdehors,sansquel’und’euxm’accompagne.—Jereviendraibientôt,ai-jepromisàRoseetViolette.Nousavonsmarchéjusqu’auparking.
—Alors,tuvienscesoir?ai-jedemandéàBecca.—Oui,jeserailààdix-huitheurestrente.—Génial!Beccaaglissésonbrassouslemien.Aucoursdesdixderniersjours,nous
avionspassépresquetoutnotretempsensemble.Elles’entendaitbienavecmafamille etmoi avec son frère.La situationnous rapprochait.Becca etHenryétaient aussi devenus proches. J’avais l’impression qu’il ne faudrait paslongtempsavantqu’ilsnesoientensemble…siBeccaarrivaitàsurmontersacraintedenepasêtreà lahauteur.J’enavaisenviepourelle,mêmesiçamesemblaitdégueuqu’ellesorteavecmonfrère.Elleméritaitd’êtreheureuse.JemesuisrappeléquejedevaisdireàHenrydeluiacheterunepetitemaisonàlacampagne,pourqu’ellepuisseenfinvivresonrêve.La voiture du frère deBecca et celle de Lewis étaient garées côte à côte.
Lewism’attendaitauvolant.Ilestsortidèsquenousavonsfranchilagrille.Ilavait l’air inquiet – j’étais étonnée que ses cheveux ne soient pas devenusprématurémentgris.—Toutvabien?—Oui,j’aijusteenviederentreràlamaisonetdemedétendre.J’aiprisplacesurlesiègepassager.Il a froncé les sourcils, semblant blessé que jemonte directement dans la
voitureaulieud’allerverslui.Suistonpropreconseil,Summer.DepuisTrèfle,jenemesentaispasassezbienpourLewis.J’avaisl’impressionqu’ilétaitavecmoi par pitié. Il était au courant de tout, aussi comment pouvait-il encorem’aimer?Ilétaitamoureuxdel’ancienneSummeretilfiniraitparserendrecomptequecen’étaitpasmoi.Lewis m’a rejointe dans la voiture et s’est tourné vers moi. Le frère de
Beccaadémarréetjelesairegardéss’éloigner.—Jet’aime,amurmuréLewisenmeregardantdanslesyeux.Jen’endoutaispas,maisj’étaispersuadéequecetamournes’adressaitpasà
cellequej’étaisaujourd’hui.—Jet’aimeaussi,Lewis.—Mais?—Iln’yapasdemais.Ilahaussélessourcils.—Jeteconnais,Summer.Jesaisqu’ilyaquelquechosequetunemedis
pas.J’aisoupiré.—Lewis,est-cequ’onpeutlaissertomberetrentrer,s’ilteplaît?Nousnoussommesfixés.Jenecéderaispas.Jenevoulaispasadmettrece
quejeressentais,depeurqu’ilneconfirmemescraintes.—Beccaviendracesoir.—D’accord.Tucroisqu’onpourrabientôtpasserunesoiréeseulstousles
deux?Jemesuisfigée.Seulspourfairequoi?—Jen’attends rien ! s’est-il exclaméenvoyantmonexpressionpaniquée.
Summer,jenet’obligeraijamaisàfairequoiquecesoit.Jen’attendsriendetoi.Merde,j’aienviedetuercesalopard!J’aisouri.—Surveilletonlangage.Ilaréponduàmonsourireets’estcalmé.—Désolé.Tunedevrasjamaisrienfaireavecmoiquetunevoudraispas.
Tulesais.—Oui,jelesais.Écoute,Trèfleétait…Je n’ai pas achevé ma phrase, je ne savais pas comment m’exprimer ou
commentdireleschosesdefaçonmoinsbrutale.—Aveclui,jen’avaispaslechoix,etmaintenant,jemesens…Salie,utilisée,foutue.Jen’avaispasenviededirelesmotsàhautevoix,ça
rendraitcequim’étaitarrivétropréel.—Jenemesenspasmalquandtuesprèsdemoi,maisjenesuispasencore
prête.Jenesaispasquandjeleserai.Ousijeleseraiunjour.—Summer,écoute-moi,jet’enprie.Jenetepresseraijamais.Jet’attendrai
aussilongtempsqu’illefaudra.Touslesmecsnesontpasguidésparleurbite.Jen’aipasbesoindesexe.Jesuiscapabledemecontrôler,tusais.J’aisouri.— C’est vrai. Désolée. Je le sais. C’est juste que je ne veux pas que tu
t’ennuiesavecmoi.—Jenem’ennuiepas.Jenepensaismêmeplusterevoir,Sum.Lesexen’est
pasuneprioritépourmoi.Oublieça,net’ensouciepas.Jen’enparleraiplus.Quandtuserasprête–situesprêteunjour–,nouspourronsenreparler.—Vraiment?—Vraiment.Bon,tuveuxvoirunfilmquifaitflipperouquifaitrire?Est-cequ’unefictionpouvaitencorem’effrayer?Toutcequimeterrorisait
avantmesemblaittellementbêtedésormais.Unefoisqu’onavécusonproprefilmd’horreur,onestblindé.—Commetuveux.—SionlaissaitHenrydécider?J’aihaussélesépaules.—Ouais,çam’estégal.
LevisagedeLewiss’estfendud’unimmensesourire.—Quoi?—Tuasditçam’estégal,çafaitunmomentquejenet’avaispasentendue
direça.J’ailevélesyeuxauciel.
—Qu’est-cequetuveuxregarder?ademandéLewisàHenryquandilestentrédansmachambre.—Halloween?a-t-ilsuggéré,avantdesereprendre:Heu…Summer…—Jenesuispasunbébé,choisiscequetuveux.—Maiscen’estpastrop…—Henry,mets-le.Jeneveuxpasqu’onmetraitedifféremment,OK?Mêmesij’avaisvécudeshorreurs,jen’avaispasenvied’êtretraitéecomme
unepoupéedeporcelaine.AvantTrèfle,onseseraitmoquédemoiparcequej’avaispeurdufauxsangetdesacteursquihurlaient.Sijevoulaistournerlapage sur ce qui m’était arrivé et redevenir Summer, il fallait que l’on secomporteavecmoicommeavant.Henryn’aplusriendit.IlaglisséleDVDdanslelecteurets’estassisàcôté
demoi.—T’asdéjàpeur?m’a-t-iltaquinée.Le film n’avait même pas encore commencé. J’ai souri en le remerciant
intérieurementd’êtrenormal.—Pasencore,tulesauras.Etoùestlepop-corn?Ilari.—Mamanl’apportedansuneminute.Halloweenacommencé.J’espéraisqueçameficheraitlatrouille,commeça
jesauraisqu’ilrestaitencoreunepetitepartintactetoutaufonddemoi.Quandlespersonnages se sont fait assassiner lesunsaprès lesautres, jen’aimêmepascillé.C’étaitcommesijeregardaismamèrefairelacuisine.J’avaisassistéàcegenredescènes–etcen’étaitpasdelafiction–tropsouventpourqueçam’affecteencore.Est-cequejeneressentiraistoujoursriensiquelqu’unétaittué sousmesyeux? Je l’espéraisunpeu. Jenevoulaisplus jamais ressentirunetelleterreur.J’étaisarrivéeàunpointoùjepouvaismedétacherdecequisepassait,surtoutsijeneconnaissaispaslavictime.—Çava,Sum?m’ademandéHenryd’unairmoqueur.
—Trèsbien.Çanemefaitpluspeur.Comme je savais qu’ils allaient échanger des regards et avoir de la peine
pourmoi, je me suis concentrée sur l’écran. Dès que le générique de fin adébuté,Henryaquittélachambreencourant.C’étaitmafaute,jen’auraispasdûluidireça.C’étaitidiot,j’auraisdûgardercetteréflexionpourmoi.Lewism’aadresséunsouriretriste.Ilnevapass’ymettreluiaussi!— Je veux aller à la soirée d’Ethan ce soir, ai-je annoncé, espérant lui
changerlesidées.Kerrim’avaitparléd’une fêteenpetit comitéorganiséepar sonpetit ami,
Ethan.J’avaishésité.Avantj’adoraisallerchezluiavecdesamisetdéconnerpendantlasoirée.—J’aiuntrucàrégleravecRachel,ai-jeajouté.Lewism’aregardéed’unairméfiant.—Pourquoi?Jevenaisdeleluidire.—PourrégleruntrucavecRachel.—Ça,j’aicompris,Summer,maispourquoi?—Parcequec’estmonamieetqu’elles’enveut.Cequis’estpassén’estpas
safaute.Ilatressaillietabaissélesyeux.Ilpensaitquec’étaitsafauteàlui.—Lewis, cen’est la fautedepersonneàpart celledeTrèfle.S’il teplaît,
arrêtedeculpabiliser.Jemesuisapprochéedeluietj’aiposématêtesursonépaule.—Jet’aime.Ilasoupiréetm’aprisedanssesbras.—Jet’aimeaussi,Sum,c’estjuste…—Chut.Ne dis rien. Tu ne pouvais pas savoir. Je déteste que tu te sentes
coupablepourunesituationquetunepouvaispasmaîtriser.Ilm’asourid’unairtenduenacquiesçant.Jesavaisqu’iln’étaitpasencore
convaincu.J’auraisvouluqu’ilcomprennequecen’étaitpassafaute,maisilétaittêtu:ildevaitarriverlui-mêmeàcetteconclusion.J’espéraisqueceseraitbientôtlecas,jen’aimaispasqu’ilsesentenul.—Alorstuveuxvraimentalleràunesoirée?—Oui.Iln’yauraitquecinqousixamis.NousserionstranquilleschezEthan,nous
jouerionsàGuitarHero.Ceneseraitpasvraimentunemégateuf.—D’accord,a-t-ilfiniparrépondre.Onira.—J’yseraisalléedetoutefaçon.Ilaeuunsourireamuséetsesyeuxontpétillé.
—Toujoursaussibutée.—Commetoi.Beccavientaussi.Ilahochélatête.—Attends,tuneveuxpastepréparer?Ilaconsultésamontreetj’aidevinécequ’ilallaitdire.—Ilnerestequecinqheuresavantledépart.J’ailevélesyeuxauciel.—Jenemetspasautantdetempsqueça,tulesaistrèsbien.—Jesuissifierdetoi.Quoi?D’oùest-cequeçasortait?Changementdesujetparunvirageàcent
quatre-vingtsdegrés.—Tugèresvraimenttrèsbien.Mieuxquequiconque.Est-cequej’avaislechoix?Jenevoulaispaslaissercemaladegâcherma
vie,même si, au fond demoi, je sentais que je gérais tropbien. Le numérod’unbonthérapeutefiguraitsurundépliantqu’onm’avaitdonnéàmasortiedel’hôpital.Pourlemoment,j’avaisenviedeprofiterdufaitquej’étaisenvieetlibre.—Jevaisprendreunbain.Lewisafroncélessourcils.—D’accord.Çava?—Oui,Lewis.Si j’avais reçu une pièce à chaque fois que quelqu’un me posait cette
question,jeseraismilliardairedepuislongtemps.Lewism’a lâchéeà regret. Je suis sortiedemachambreenme retournant
unedernièrefoisverslui.Ilavaitl’airsoucieux,commetoujours.Jen’arrivaispas à croire qu’il avait passé tout son temps àme chercher. Pendant que jecroupissais dans cette cave, il s’était introduit dans la maison de Trèfle.J’aurais aimé le savoir sur lemoment, deviner qu’il était à nouveauprès demoi.Çan’avaitplusd’importance,j’étaisderetouràlanormale–mêmesijenesavaispascequenormaleallaitsignifierpourmoi,désormais.J’aiverrouillé laportede la salledebainset jemesuisexaminéedans le
miroir. J’avais l’impression d’être deux personnes.Lilas était celle qui avaitétéblesséeetabusée;Summer,celleversquij’étaisrevenue.Trèflem’avaitaumoins apporté ça : en me collant un faux prénom il m’avait aidée à medéconnecter de toute cette horreur. Combien de temps faudrait-il pour queSummeretLilasnefassentplusqu’une?Trèfleétaitdésormaisenfermédansuneunitépsychiatriquesécurisée.Jeme
demandais quel effet ça lui faisait, s’il paniquait, s’il avait l’impressiond’étouffer,commemoi.Jel’espérais.Aumoinsilrecevraitl’aidedontilavait
besoinpour remettrede l’ordredanssoncerveaudétraqué.Audébut, j’avaisété furieusequ’il échappeàunprocès :on l’avait considéré comme inapte àêtre jugé,cequin’avait riend’étonnant.J’avaisfinipar l’accepter.Tantqu’ilétaitenferméetqu’ilnepouvaitfairedemalàpersonne…
Lewisaserrémamainquandnoussommespassésenvoituredevantleparcsur le trajetpournousrendrechezEthan.J’ai tournéla têtepourregarder lelieu où Trèfle m’avait enlevée et mon estomac s’est noué. Mon sang s’estglacé.J’airepenséàlapremièrefoisoùilm’avaitappeléeLilas,avantdemetraînerverssacamionnette.J’aifermélesyeux.N’ypensepas.—Tuessûredevouloiryaller?ainsistéLewisenarrêtantlevéhiculedans
l’alléed’Ethan.—Oui,allons-y.Mêmesij’étaissûred’enavoirenvie,j’étaisnerveuseàl’idéederevoirtout
lemonde.Henry nous suivait avecBecca. Il passait beaucoup de temps avecelleetellesemblaitheureuse.Kerri est sortie de la maison en courant et a pratiquement arraché ma
portière.—Summer!s’est-elleexclaméeenmetirantverselle.J’aisourietjemesuisserréecontreelle.CescâlinsoùKerrimebroyaitles
côtesm’avaientvraimentmanqué.—Salut,ai-jetentéd’articulerencherchantàreprendremarespiration.Ellem’arepoussée,lesbrastendus,unimmensesouriresurlevisage.—Jesuistropcontentequetusoislà.Jen’étaispassûrequetuviendrais.Nous ne nous étions parlé au téléphone que deux fois depuismon retour,
maisnousavionséchangédestextospresquetouslesjours.—Jenemesuisdécidéequ’ilyaquelquesheures.Rachelestlà?—Oui,elleestàl’intérieur.Tun’espasfâchéecontreelle,toutdemême?—Non,tulesaisbien.Pourquoi avait-ondumal à croireque jen’étais fâchéecontrepersonneà
partTrèfle?—Entrons,çacaille.J’aisuiviKerri–Lewissurmestalons,commed’habitude.J’airetenumon
souffletandisqu’Ethan,Beth,RacheletJacktournaientlatêteversmoi.—Salut,ai-jemarmonné,unpeunerveuse.
EthanabrandiunebouteilledeMalibu.—T’assoif?Etc’estainsiquej’airetrouvémesamis.
—Onpeutseparler?ai-jedemandéàRachel.Nousétionsdans lesalonetnousbuvionsengrignotantdessnacksdepuis
unedemi-heure.J’avaisvraimentenviedemettreleschosesaupointavecelle.Ellen’avaitpratiquementrienditdelasoiréeetfuyaitmonregard.—D’accord.Danslacuisine?Nousavonsmarchécôteàcôté,légèrementmalàl’aise.Jemesuisassiseà
latablehauteetjemesuismordulalèvre.—Summer,jesuisdésolée…Jel’aiinterrompued’ungestedelamain.—Rachel,arrête,jeneveuxpasquetut’excuses.Jenevoulaispasqu’onmedemandepardon.—Cen’étaitpastafaute,nedispasquetuesdésolée.Jeveuxjustequeçase
passebienentrenous.J’avaisl’impressiond’êtreunperroquet:jerépétaistoutletempslamême
chose.Elleestrestéebouchebée.—Commentveux-tu?Aprèscequit’estarrivé,cequ’ilt’afait…Sansmoi,
tun’auraispasétélà…—Tun’yespourrien.Cequiestfaitestfaitetc’étaitentièrementàcausede
lui.OK?Leslarmesluisontmontéesauxyeuxetj’aisentimoncœurseserrer.Super,
nousallionsnoustransformerenfontainestouteslesdeux!—Nepleurepas,sinonjevaism’ymettreaussi.Elles’estessuyélesyeux.—J’arrivepasàmeretenir.Maistoi,çava?Ouietnon.—Çaira.—Tuconsultesquelqu’un,pourparlerdetoutça?—Non,maisjecroisquejevaisbientôtlefaire.Elleahochélatête.—Jepensequeceseraitunebonneidée.
— Dans le fond, je sais que je dois passer par là, mais j’ai envie decontinueràvivreencoreunpeudansledéni.—C’estvachementpopulaire,ledéni.J’aisourietjemesuispenchéeverselle:—Jecomprendstrèsbienpourquoi.Onyretourne?De la cuisine, je pouvais voir Becca avec Henry : ils étaient dans leur
monde,bavardaienten têteà tête,mais jenevoulaispas la laisser seule troplongtemps.Pourelle,commepourmoi.—Biensûr,onyva,a-t-ellerépondu.C’estrégléalors?J’aiacquiescéenmeglissantaubasdutabouret.—Totalement.Jel’aiserréedansmesbrasavantderegagnerlesalon.
DIMANCHE10AVRIL2011
Je suisdescendueen entendant lavoixdeLewis. Ilm’avait àpeinequittéed’unesemelledepuismonretouràlamaison,maislaveille,jel’avaisobligéàpasser la nuit chez lui. J’étais une grande fille et, même si je n’aimais pasdormir seule, il le fallait.Les choses revenaientdoucement à lanormale.Enapparenceentoutcas.Lesgensmarchaientencoresurdesœufsavecmoi,maismoinsqu’audébut.J’arrivaisàresterauxtoilettestranquillementsansquel’onselanceàmarecherche.LevisagedeLewiss’estéclairéquandilm’avueetmoncœurabondidans
ma poitrine.Mes sentiments pour lui étaient identiques, mais quelque choseavait changé. Moi. Je n’étais plus celle dont il était tombé amoureux. Ilm’assurait que ça n’avait aucune importance, qu’ilm’aimait autant qu’avant,peut-êtreplus.Nousfaisionsdenotremieuxet,tantqu’ilétaitpartant,jel’étaisaussi.—Salut.Ilm’aenlacéeetaenfoui la têtedansmescheveux,puis ilm’aembrassée
dans le cou.C’était plus intime que d’habitude et,même s’ilm’avait promisqu’ilattendraitletempsqu’ilfaudraitetresteraitmêmechastejusqu’àlafindenosjours–cequiétaitridicule,quelmecferaitça?–,jemesentaiscoupabledenepasledésirer.—Salut.T’asvu?J’aisurvécu,ai-jeplaisanté.Jenesavaismêmepascequ’ilredoutaitquipuissem’arriverpendantlanuit
s’iln’étaitpaslà.Jedormais,c’esttout.
Ilainclinélatêtesurlecôtéetsesyeuxsesontilluminés.—Ravidel’entendre.Jenet’aipasmanqué,alors?— Tu veux savoir si les coups de coude dans les côtes m’ont manqué ?
Absolumentpas,non.—Merci,jemesensapprécié.J’aiaffichéunlargesourire.C’étaittellementnormaldesetaquinercomme
ça.—Allez,dehors.Ilaplissélefront,abasourdi.—Tuveuxtebattre?—Non,imbécile,bar…be…cue,ai-jearticulélentement.—Enavril?J’aihaussélesépaules.—Ilfaitdouxetmonpèreadusteakàrevendre.Fallaitvraimentuneexcusepourfaireunbarbecue?Aprèsavoirpassésept
moisetdemienferméedansunecave,j’adoraispasserdutempsàl’extérieur.Audébut,c’étaitpresquedouloureux;mesyeuxmefaisaientmal,jemesentaistropexposée.Maisàprésent, jen’arrivaisplusàmepasserdecetteliberté…mêmesijenevoulaisplusjamaismeretrouverseuleàl’extérieur.—T’asraison.—J’aiparléàMichaelaujourd’hui.Lewiss’estimmobiliséetsonvisages’estassombri.—Qu’est-cequ’iladit?C’étaitausujetdecesalopard?Pour Lewis, Trèfle ou Colin, quel que soit le nom qu’on utilise pour
évoquercemalade,c’étaituniquement«cesalopard».—Oui,ai-jemurmuréenignorantsonexpressionfurieuse.Apparemment,
ilréagitbienautraitement.—Hum,agrognéLewis.Ettulecrois?—Jepensequelesmédecinslecroient.Trèfle était intelligent et très doué pour donner l’illusion d’être un type
normal.Jenedoutaispasqu’ilsoitcapabled’embobinersesthérapeutes.Çanel’aideraitdetoutefaçonpasbeaucoup:ilneseraitjamaislibéré.—Ça va ? Tu sais que, quoi qu’il arrive, il ne t’approchera plus jamais,
hein?—Biensûr,ai-jedéclaréavecplusd’assurancequejen’enressentais.J’aisourietjemesuisdirigéeverslejardin.Lewism’asuivieetm’aserré
lamain très fort, commes’il avait peurquepersonnenepuissemevenir enaide,siTrèflesortait.J’étaisconvaincueques’ilréussissaitàs’évaderous’ilétaitrelâchéunjour,mêmesic’étaitcensénejamaisseproduire,iltenteraitde
nous récupérer. Pour lui, nous formions une famille et il avait prouvé, àchaquefoisqu’ilkidnappaitoutuaitquelqu’un,àquelpointilétaitdéterminéquandils’agissaitdeprotégersafamille.Pourl’instant,jenem’inquiétaispaslemoinsdumonde.J’allaismangerdu
steak avec les gens que j’aimais et profiter de ce doux après-midi d’avril.L’espace de quelques heures, je ne devrais même pas faire semblant d’allerbien.
Couverture:©ScottBergstrom.
Traduitdel’anglais(États-Unis)parAliceDelarbre.
L’éditionoriginaledecetouvrageaparuenlangueanglaisechezFeiwelandFriends,sousletitre:
THECRUELTY
©2017byScottBergstrom.©HachetteLivre,2017,pourlatraductionfrançaise.HachetteLivre,58rueJeanBleuzen,92170Vanves.
ISBN:978-2-01-161314-1
PourJana,l’intrépide
« L’une des raisons de la laideur des adultes, dans le regard del’enfant,tientàcequecelui-ciaengénérallesyeuxlevés,or,vusd’endessous,peudevisagesapparaissentsousleurmeilleurjour.»
GEORGEOrWELL
N3WYORK
UN
Les garçons attendent la décapitation. Assis sur leurs chaises, captivés, ondiraitdeschacalsàl’affût,impatientsdevoirlecouperettomber.S’ilss’étaientdonnélapeinedelirelebouquin,ilssauraientqueçan’arriverapas.Lelivresefinitsansprévenir.Commeunfilmarrêtéjusteavantladernièrescène.Oucommelavie,plutôt.Onnevoitpresquejamaisarriverlecoupfatal.Notreprof,M.Lawrence,détachebienchaquemot et caresse sonaffreuse
petitebarbichetteraseenarpentantlasalledecours.Lediscrettambourinementdesespiedssurlelino–talon-orteils,talon-orteils–donnel’impressionqu’ilcherche à prendre lesmots par surprise, en arrivant par-derrière.Comme sicette grande colère m’avait purgé du mal, vidé d’espoir, devant cette nuitchargéede signes et d’étoiles, jem’ouvraispour lapremière foisà la tendreindifférencedumonde.LespassesuspendentquandM.LawrenceatteintlatabledeLukeBontemp:
il lui tapesur la têteavec ledosdu livre.Luke,quiétaiten traind’écrireuntexto,tentedeplanquersontéléphonesoussaveste.—Range-moiçaoujeteleconfisque.L’appareildisparaîtdanslapochedeLuke.—Àtonavis,dequoiparleCamusdanscepassage?Luke luidécochece sourirequi le sort de toutes les situations.Lepauvre.
Beau, naze et débile. Son arrière-arrière-grand-père aurait fait fortune envendant du pétrole aux Allemands et de l’acier aux Anglais pendant laPremièreGuerremondiale.Etaucunmembredesafamille,depuis,n’auraiteuà travailler. Ça vaudra aussi pour lui, alors pourquoi s’emmerder à lireCamus?—«Latendreindifférencedumonde»,répèteM.Lawrence.Dequois’agit-
il,àtonavis?
Lukegonfle ses poumons. J’entendspresque les rouages encrassés de soncerveaugrincersoussacoiffureimpeccable.—L’indifférence,c’est…Peut-êtrequ’ilveutdirequ’ils’enfout.Vingt-huit élèves sur les vingt-neuf que compte la classe éclatent de rire,
Lukecompris.Jesuislaseuleànepaslefaire.J’ailuceroman,L’Étranger,àquatorzeans.Mais je l’ai ludanssa langueoriginale,en français,et lorsqueM. Lawrence a inscrit sa traduction anglaise au programme du cours de«littératureétrangère»,jen’aipaseuenviedelerouvrir.C’estl’histoired’untypequis’appelleMeursaultetdontlamèremeurt.Ensuite,iltueunArabeetestcondamnéàavoirlatêtetranchéeenplacepublique.Ças’arrêtelà.Camusnousprivedelamiseàmort.Jeme tournevers la fenêtre, contre laquelle lapluie crépite toujours.Son
bruit régulier plonge tout le monde dans une sorte de demi-sommeil.J’aperçois la silhouette des gratte-ciel sur la Soixante-Troisième Rue, lesgouttes d’eau qui s’accrochent aux vitres les déforment, estompent leurscontours et les font ressembler à des souvenirs d’immeubles plutôt qu’à desvrais.Onabeauêtreen traind’étudier la findeL’Étranger, ce sont toujours les
premièreslignesduromanquim’obsèdent.Aujourd’hui,mamanestmorte.Oupeut-êtrehier,jenesaispas* .Moi,jesais.Jesaistrèsexactementquandmamanestmorte.Çafaitdixans
aujourd’hui.Jen’avaisqueseptansàl’époqueetj’étaisprésente.Desimagesmereviennentparfois,vignettesoupetitsextraitsanimés,parflashs.C’estrarequejemerepasselascènedeboutenbout.Lapsyquejevoyaisàuneépoquedisaitquec’étaitnormal,queçadeviendraitplusfacileavecle temps.Elleseplantait.—Qu’endis-tu,Gwendolyn?J’entends la voix deM. Lawrence. Je comprends même la question.Mais
mon esprit est parti beaucoup trop loin pour y répondre. Je suis sur labanquettearrièrede lavieilleHonda, lesyeuxmi-clos, la têtecontre lavitrefroide. Bercée par les cahots de la voiture sur la piste en terre battue desfaubourgsd’Alger,jem’assoupis.Soudain,jesensquelefrottementdespneussurlaroutes’atténue,lavoitureralentitetmamèreétouffeuncri.J’ouvrelesyeuxetjedécouvredesflammesderrièrelepare-brise.—GwendolynBloom!Icilaterre!Je reviens brusquement à l’instant présent.M. Lawrence a placé ses deux
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mainsenporte-voix.—GwendolynBloom,icilaterre!Peux-tunousexpliquercequeveutdire
Camusquandilparlede«latendreindifférencedumonde»?Mêmesiunepartiedemonespritest toujoursdans laHonda, je luidonne
une réponse.Une réponsedétaillée, etpertinente jecrois.Bizarrement, ilmeregarde avec un petit sourire amusé. Ce n’est qu’après avoir parlé unevingtainede secondesque jem’en rendscompte : tout lemondeestmortderire.—Enanglais,s’ilteplaît,dit-ilavantdesetournerverslerestedelaclasse,
unsourcilhaussé.—Pardon,jem’empressededireentirantsurlajupedemonuniformeeten
jouant avec une mèche de mes cheveux aussi rouges qu’un camion depompiers.Je…quoi?—Tuparlaisenfrançais,Gwendolyn.—Désolée,jedevais…penseràautrechose.—Tuescenséepenseràlatendreindifférencedumonde.Unefilleassisederrièremoilance:—Maisquelleespècedecrâ-neu-se!Elleétirelederniermotpourbienenfoncerleclou.AstridFoogle.Onale
même âge, pourtant on lui donnerait au moins vingt et un ans. Son pèrepossèdeunecompagnieaérienne.—Assez,cingleM.Lawrence.Je la foudroie du regard. Astrid Foogle – dont la seule paire de boucles
d’oreilles vaut plus que tout le contenu demon appart – me traite, moi, decrâneuse?Etellenes’arrêtepaslà.—C’estvrai,elledébarqueilyasixmois,onnesaitpasd’oùellevient,elle
secroitsupérieureàtoutlemondeetmaintenant,ohlàlà,elleparlefrançais,etpas anglais comme ces abrutis d’Américains. Elle se prend pour qui,franchement?—Tais-toi,luiintimeM.Lawrence.Immédiatement.Une poignée d’élèves hochent la tête pour signifier qu’ils partagent l’avis
d’Astrid,d’autresrient.Jesenslestremblementsmonter,etmonvisagerougir.Chacune des synapses de mon cerveau cherche à combattre cette réaction
instinctive,mais elle est plus forte quemoi. Pourquoi la colère ressemble-t-elleautantàl’humiliation?Levoisind’Astrid,ConnorMonroe,s’affalecontre ledossierdesachaise
ensouriant.—Matezunpeu!Ellepleure,bouhouhou…Cequiestfaux.Saufquecesmotsvontremplacerlaréalitédansl’espritdes
autres élèves. Mdrmdrmdr gwenny bloom a chialé en cours #craneuse#ausecoursLasonneriedanslecouloirproduitalorsunphénomènepavlovien:toutle
monde se rue vers la porte.M. Lawrence brandit son exemplaire du romandansunetentativeridiculepourrétablirl’ordreethurle:—Onpoursuitdemain!Àlamêmeheure!Puisilajouteàmonintention:— Et tu prendras la parole en premier, Gwendolyn. Ça te laisse toute la
soirée pour méditer sur la tendre indifférence du monde. Alors j’attendsquelquechosed’élaboré.Etenanglais,porfavor.J’acquiesce enhochant la tête et rassemblemes affaires.AstridFoogle est
devant son casier, entourée comme toujours de sa cour. Elle est en train dem’imiter, lancée dans un monologue en pseudo-français, épaules voûtées,indexpressécontresonnezpourl’aplatir.Yeux baissés pour bienmarquerma déférence, je passe devant elle et ses
amis dans l’espoir de rejoindre mon propre casier sans m’attirer d’ennuis.MalheureusementAstridm’a repérée. Je le sais parce qu’elle se tait, et avecelle toute sa bande. J’entends les talons de ses chaussures – des Prada,évidemment–serapprocher,ilsclaquentdeplusenplusvite.Elleestsuiviedeprèsparsesamies.—Hé,Gwenny,j’aiunequestiondetraductionpourtoi.Commentondit«le
suiciden’estpasunesolution»enfrançais?L’ignorant,jecontinuemaroute,priantpourunemortsubite–lasienneou
lamienne,peuimporte.Lachaleur irradiedemonvisage, lacolèrevireà larage, qui vire…àun sentiment plus violent que la rage. Il n’y a pas demotpourledécrire,jemecontentedel’imaginer.Jecroisemesbrastremblantssurmapoitrine.—Sérieux,insiste-t-elle,unefillecommetoipenseforcémentausuicidede
tempsentemps.Etquipourraittelereprocher,hein?Alors,s’ilteplaît*,onditcomment,Gwenny?Enfrançais*?
Jefaisvolte-faceetlesmotsm’échappentdansuneexplosion:—Vatefairefoutre*!Astrid se figeet, l’espaced’unedemi-seconde–non, çanedurepasaussi
longtemps –, la peur transparaît sur son visage. Presque aussitôt elle serappelleoùelleest,danssonroyaume,entouréederenforts,etellereprendsesesprits. Ses sourcils soigneusement épilés s’arquent. L’une de ses amies,Chelsea Bunchman, sourit et lui traduit ce que je viens de lui balancer. Labouched’Astrids’arronditdesurpriseetj’entendsuncriluiéchapper.—Espècedepetiteraclure,dit-elleenfaisantunpasdansmadirection.Je vois la gifle avant de la sentir. Je la vois, mais je ne fais rien pour
l’arrêter.Non,jemecontentedemerecroqueviller,derentrerlatêtedanslesépaules.Laclaqueestviolente–Astridymet toutsoncœur–etmonvisagepivotesur lecôtésous laforcedugeste.Undesesonglesseplantedansmapeauetm’égratigne.Unefoules’estformée.J’aperçoislessouriresdeLukeBontempetConnor
Monroe, et peut-être une dizaine d’autres élèves qui m’observent avec degrandsyeuxronds,moinssurprisqueréjouisdecequisedérouledevanteux.Ils forment un demi-cercle autour d’Astrid et moi, on se croirait dans unearène. Ils sont au spectacle, en fait.Et la scène estparfaitement codifiée. J’aibienremarquéqu’Astridnem’avaitpasdonnéuncoupdepoingouuncoupdepied,qu’ellenem’avaitpastirélescheveux.Non,ellem’atrèscalmementettrès délibérément giflée. La Maîtresse, avec une majuscule, qui humilie laservante,avecuneminuscule.Au lieu de lui rendre sa claque – et à qui je voudrais faire croire que
Gwendolyn Bloom en est capable ? –, je ferme les yeux. L’humiliation merappelle les vents du Sahara, brûlants, violents et qui durent plusieurs jours.Unevoixd’adulteordonneàtoutlemondedesedisperseretjerouvrelesyeuxsurunprofesseurd’unecinquantained’annéesdontjeneconnaispaslenom.Ilalesmainsdanslespoches.Sonregardcirculed’Astridàmoi,puissereposesurelle.—Qu’est-cequis’estpassé?luidemande-t-il.—Ellem’aditd’aller…Jenepeuxpasrépéterlemot.C’estungrosmot,
explique-t-elled’unevoixtimide,blessée.—Vraiment?s’étonne-t-ilenmedévisageant.J’ouvrelabouche,prêteàbalancerAstridpoursagifle.—Oui,jerépondsàlaplace.
L’Étranger,voilàletitreduromanqu’onétudieencours.Ilmedéfinitàla
perfection : l’étrangère. Techniquement, je suis américaine. C’est ce qui estécrit sur mon passeport. Mais je ne suis pas née ici et, jusqu’à la rentréedernière, en septembre, je n’avais vécu aux États-Unis que dix-huitmois entout,justeaprèsl’assassinatdemamère.Ons’estinstallés,monpèreetmoi,àNewYorkpourqu’ilpuisseoccuperunposteauxNationsunies,dontlesiègen’estpastrèsloindemonlycée,DantonAcademy.Monpère n’aurait jamais pume payer un endroit pareil tout seul. Jamais.
Mais il travaille pour le département d’État en tant que diplomate, ce quis’accompagnedecertainsavantages–uneinscriptionenécoleprivéepourles«diplogosses»parexemple.Danscertainspays,cegenred’établissementestle seul correct à des kilomètres à la ronde et on se retrouve dans lamêmeclassequelefilsoulafilled’unprésident,d’unroioud’unhorribledictateur.Çam’estarrivéunefois.Letrouducdefilsd’untrouducdeprésidentétaitassisà côté de moi en cours de maths. Il portait des chaussures sur mesure,fabriquéespourluiàVienneetquicoûtaientcinqmilledollarslapaire,alorsquedanslarue,àquelquesmètresdelà,desgaminsmouraientdefaim.NonqueleschosessoienttrèsdifférentesàDanton.Iciaussilesélèvessont
les enfants de présidents, de rois et de dictateurs – sauf qu’ils dirigent desentreprises et pas des pays. La plupart de ceux que je croise en cours onttoujours été riches. En général, la seule personne pauvre qu’ils connaissent,c’est le jeune étranger qui vient leur livrer leurs courses ou leur rapporterleursvêtementsdupressing.Sidanslerestedumonde,lesalairedemonpèreferaitdenousdesgensaisés,comparésauxélèvesdeDanton,onestfauchés.Assise devant le bureau de la directrice adjointe, je triturema jupe – bon
sang,cequejepeuxdétesterça–,jetiresurl’ourletpourqu’elledescendeplusbassurmescollantsnoirs,jelisselesplis.Lesuniformessontlàpournivelerles différences entre les élèves, sans doute… En revanche, côté chaussures,aucunerestriction.Ducoup,onafficheauxpiedssarichesse,etleclanauquelon appartient : escarpins Prada ou moccassins Gucci pour les fortunesanciennes,ballerinesLouboutinetbasketsMiuMiupourlesnouveauxriches.Je suis l’undesdeuxmembresdu clandesDocMartens–hors depropos àDanton.Lesmiennessontrougesetéraflées.Cellesdel’autre,unmecdiscret,fils d’artiste et toléré par les autres parce qu’il est une source fiabled’amphétamines,sontnoiresetbienbrillantes.Enfin,mêmesijedébarquaissubitementenPrada,çanechangeraitrien.Je
ne ressemble pas àAstrid Foogle, ni à aucun d’entre eux, à vrai dire. Tropgrande. La taille trop épaisse, le nez trop épaté, la bouche trop large. Enrésumétoutestunpeutropchezmoi.Monpèreetmonmédecindisentquejesuis très bien comme je suis – ils attribuent ça aux hormones, auxmusclesdéveloppéspardesannéesdegym.Personnen’estbâtidelamêmefaçon,ilnefaut pas accepter une définition unique de la beauté, etc. etc. etc. C’est leurboulot de débiter ce genre de platitudes. Voilà pourquoi je me colore lescheveuxàdomicile avec la teinture lamoins chèredu supermarchédu coin,quej’enfilemesDoctouslesmatinsetquejeprétendsquejem’enfous.La directrice adjointe finit par sortir de son bureau, tout en sourires
condescendantsetfaussesinquiétudes.MmeWasserman,c’estsonnom,baigneenpermanencedansdeseffluvesdeparfumetflottesurunpetitnuagerose.Ondiraitqu’elles’attendàvoir,d’unesecondeàl’autre,unoiseaudedessinanimésurgirdenullepartetvenirseposersursondoigt.—Commentonvaaujourd’hui?medemande-t-elleaumomentdemefaire
entrerdanssonbureau.— Formidable, je dis en m’enfonçant dans le siège rembourré au cuir
couleursang.Parfait.MmeWassermanjointsesmainsparleboutdesdoigtsdevantelle,signeque
nousallonsentrerdanslevifdusujet.—J’aientendudirequeturencontraisdesproblèmesrelationnelsavecune
detescamaradesdeclasse.Je dois rassembler toute ma volonté pour ne pas lever les yeux au ciel
devantunteltasdeconneries.Ilfautsavoirquecebahutestfréquentéà95%pardesélèvestrèsfriquésettrèsbourges.Les5%restantssontdesboursiersouontdesparentsemployésparlesNationsunies.Lesautresn’aimentpasles« 5 % ». Ce qui ne nous empêche pas de contribuer à entretenir lesMmeWassermandecemondedans l’illusionqueDantonAcademyn’estpasqu’uneusineàorduresélitistes.Elleouvreundossierposésursonbureau.—Commenttefais-tuappeler,magrande?GwenouGwendolyn?—Gwendolyn.«Gwen»estréservéàmonpère.— Gwendolyn, dans ce cas, dit-elle avec un sourire à faire fondre une
tablette de chocolat. Et ce que je lis ici est vrai, Gwendolyn ? Tu parlescouramment…mondieu!Cinqlanguesétrangères?Jehausselesépaules.
—Onasouventdéménagé.—C’estcequejevois.Moscou,Dubai…Iln’empêchequetuas…unsacré
don.Ellelitunelignedudossier,enlasuivantduboutdudoigt.—Çanedoitpasêtrefaciled’avoirunbeau-pèreaudépartementd’État.Une
nouvellevilletouslesdeuxans,unnouveaupays…—Vouspouvezdire«père»toutsimplement.—Jetedemandepardon?—Cen’estpasmonbeau-père.Ilm’aadoptéequandilaépousémamère.
J’avaisdeuxans.—Ah,oui.Père,situveux.Ellesecouelatêteennotantquelquechosesurunefeuille.—Bien,venons-enà la raisonde taprésence ici :Dantonestunhavrede
paix,Gwendolyn,etnousavonsunepolitiquedetolérancezéroenmatièredegrossièretés.—Oui,c’estécritdanslerèglement.—Cela inclut le fait d’injurier un enseignant ou un élève, ce qui signifie
qu’eninsultantunedetescamaradestuascommisuneinfraction.—J’aiparléenfrançais.Astridn’auraitriencomprissiChelseaBunchman
n’avaitpastraduit.—Cequicompte,c’estquetuasditquelquechosedeblessant,Gwendolyn.
Quetuaiesparléenfrançaisouenswahilin’aaucuneimportance.—Çafaitquandmêmeunedifférencequ’ellen’aitpascompris.—Simplequestiondesémantique.Tuconnaiscemot,Gwendolyn?—C’estl’étudedelasignificationdesmots.Cequisemblebienêtrelesujet
ici.Jevois lesmusclesdesonvisagesecrisper.Elleserre tellementsonstylo
quejeneseraispasétonnéedelevoirsebriserentresesdoigts.—Jesuisconscientequec’est l’anniversairede lamortde tamèreet j’en
suisdésolée,reprend-elled’untonradouci.Jevoisbienqueçalametmalàl’aise,qu’ellehésitesurl’attitudeàadopter
avec moi. Me punir pour mes problèmes relationnels alors que c’estl’anniversairedelamortdemamère?MmeWasserman toussedanssamainpuispoursuit:
—Normalement,toutélèveayantinjuriéundesescamaradesestsanctionnéparunjourd’exclusion.Toutefois,comptetenudescirconstances,jesuisprêteàpasserl’épongesituprésentes,parécrit,tesexcusesàMlleFoogle.—VousvoulezquejedemandepardonàAstrid?—Exactement.Lechoixn’estpasdifficile,etj’opteévidemmentpourlasolutiondefacilité.
Melaissantallercontreledossierdemachaise,j’essaiedesourire.—Non,merci.Jepréfèrel’exclusion.
Il pleut encore, le genre de pluie glaciale qui pourrait bien tourner à la
neige.Marsnenousapasgâtéscetteannée,pasunseulrayondesoleiletpaslamoindretracedeprintemps.Rienqu’uncielcouleurd’acieretlapuanteurdeNewYorkavecsabouillied’orduresquicouledanslescaniveaux.Degrossesvoitures noires sont garées le long du trottoir – les bus scolaires versionDanton Academy. Les élèves les plus riches montent à bord de cesminilimousinesprivéesquiviennentleschercheraprèslescours,afindeleuréviterl’affrontd’avoiràrentrerchezeuxàpiedouenmétro.Je prends la direction de la station à quelques rues de là. N’ayant pas de
parapluie,jerabatslacapuchedemavieillevestemilitaire.Elleappartenaitàma mère à l’époque où elle était lieutenant, bien avant ma naissance. Àl’occasiond’undenosderniersdéménagements–deDubaiàMoscou,jecrois,lesdeuxdernierspostesdemonpèreavantNewYork–,jel’aitrouvéedansuncarton.Enmevoyantavec,ilaeuleslarmesauxyeux.Ducoupj’aivoulularetirer, mais il m’a dit qu’elle m’allait bien, que je pouvais la garder si jevoulais.Mamère.J’aiévitéd’ypensertoutelajournéeetçaaplutôtpasmalmarché
jusqu’aucoursde littératureétrangère.Difficilede faire l’autruchequandonpasseuneheureàcauserdejusticeenAlgérie.La pluie qui tambourine sur mon visage m’apaise. Sur Lexington, juste
devant lastationdemétro,untypeavecunkeffiehnoiretvertautourducous’abritesousl’auventdesonstand.Jeluicommandeunkebabenarabe–avectouslessupplémentspossibles,etqu’ilnelésinepassurlaquantitédeviande.Avecunsouriresurpris, ilm’observeenplissant lesyeux.Jemedemande
s’ilm’acomprise.Monarabeestméchammentrouilléetjeconnaislaversionlittéraire,quepersonneneparlevraiment,saufàlatélé.—Égyptienne?melance-t-ilensemunissantd’unepincepourglisserdes
morceauxd’agneauàl’intérieurd’unepita.—Non…américaine.Je suis habituée à ce qu’on s’interroge sur ma nationalité. J’ai les yeux
noisetteetleteintpâlemaiscuivré.Quantàsavoird’oùjeviensréellement…Jen’enaipaslamoindreidée.Jenepeuxpasposerlaquestionàmamère,etl’hommequejeconsidèrecommemonpère,parcequ’iljouecerôleauxyeuxdelaloi,etdanstouslesautressensduterme(saufun),n’ensaitrien.Lenomdemonpèrebiologiquene figuremêmepas surmoncertificatdenaissanceémisenAllemagneàLandstuhl,l’hôpitalmilitaireaméricainoùj’aivulejour.— Un kebab spécial pour Cléopâtre, dit-il en ajoutant des oignons avant
d’arroser le tout de cette sauce blanche amère dont je raffole (j’enconsommeraisdeslouchesauquotidiensijepouvais).Sur le quai du métro, je dévore mon sandwich. Je ne m’étais pas rendu
comptequej’étaisaussiaffamée.C’estpeut-êtreàcausedemagiflepublique.J’aimeraisquemon trainpour leQueensarrive.J’aimeraisqu’ilarrivepourquejepuissem’éloignerdeManhattanetdessouvenirsexhumésparCamus.Pileàcetinstant,commesij’avaiscepouvoir,larameentredanslastation
ets’arrêtedansuncrissementdefreinssinistre.Aprèsavoirlancél’emballagegraisseuxdukebabdansunepoubelle,jemonteàbord.Laplupartdesgensdétestent lemétro,pasmoi.C’estunechoseétrangeet
merveilleused’êtreseuleaumilieud’unecentained’étrangers.Jesorsunlivredemonsacàdosetm’adosseà laportealorsquele trainfiledans le tunnelsouslefleuve.Je lisunedystopiepourados,peuimporte lesdétails,ellesseressemblent toutes. Une pauvre héroïne obligée de partir en guerre alorsqu’elle rêve surtout de s’enfuir avec unmec sublime et de vivre d’amour etd’eaufraîche.Desmondesdepapieroùleshérossontbienréels.Alorsque leswagonsfilentdans lenoir,oscillentsur les railsaupointde
donner l’impression qu’ils pourraient, d’une seconde à l’autre, s’envoler, jesuis soudain incapable de suivre l’histoire ou même de transformer lasuccessiondesignessurlapageenmots.Lessouvenirsnevontpasmelaissertranquille cette fois. Ils réclamentmon attention avec autant de force que lagifled’Astrid.C’est l’anniversairedemonpèreaujourd’hui.Lepire jourdumondepour
unanniversaire.Ouplutôt,lepirejourdumondeàcausedesonanniversaire.Il y a dix ans jour pour jour, tout est arrivé au retour d’un dîner de fêteorganiséparsescollèguesdetravaildansunrestaurantd’Alger.
Ilfautbienypenserdetempsàautre,non?Onserendmaladeàforcederefoulerdeschoses…D’accord.Finiderésister.Retournelà-bas,Gwendolyn.Reviscemoment,Gwendolyn.Soiscourageusepourune fois. Ilyadixans,jourpourjour…Mamèreétouffeuncriaudétourde la route,c’estcebruitquime tiredu
sommeil.J’aiseptans,donc.Derrièrelepare-brisejedécouvredesflammes.Je distingue des visages éclairés par l’incendie d’un fourgon de police.Deshommes,douze,vingt.Presque tousbarbus,presque tous jeunes.La lueurdufeucoloreleurpeauenorange.Noussommestombéssurunaffrontementquine nous concerne pas. Et qui a tourné au désavantage de la policemilitaire.Notre arrivée excite la curiosité de la foule qui scrute les vitres de notrevoiture,cherchantàdevinerlanationalitédespassagers.Ma mère hurle à mon père de reculer. Il enclenche la marche arrière et
regardepar-dessussonépauleavantdefairerugirlemoteur.LaHondabonditpuispilebrusquement.Ilyadesgenssurlaroute!criemonpère.Écrase-les!criemamère.Mais il s’y refuse.Ou peut-être pas, peut-être qu’il n’a simplement pas le
temps.Pasletempsparcequ’unebouteilledeverresebrisesurletoitetqu’unfeuliquidedégoulinesursavitre.UncocktailMolotov.Unebouteilleremplied’essencedanslegoulotdelaquelleonafourréuntissuenflammé.Lagrenadedupauvre.Onapprendauxdiplomatesànesurtoutpass’arrêtersiuncocktailMolotov
explose, à fuir le danger le plus vite possible, le plus loin possible. Lesvoitures ne brûlent pas comme dans les films. Elles n’explosent pas tout desuite.Çaprenddutemps.Etletemps,c’estcequ’ilfautgagnersionveutresterenvie.Saufque la foule se rapprocheetquelquechosearrive,quelquechosequi
nous fait caler.Monpèremet le contact, lemoteur tournedans levide et neredémarre plus. La portière de ma mère s’ouvre et elle invective leresponsable. Elle hurle littéralement. À croire que s’attaquer à sa voiture etouvrirsaportièresontlespiresdesimpolitesses,àcroirequ’ellevaexigerdeparleràunresponsablesur-le-champ.Je ne vois pas la suite parce que mon père se retourne vers moi pour
détacher ma ceinture. Il me soulève comme une poupée de chiffon. Je mesouviens de la brutalité de ses gestes, de la douleur quand ilme fait passerentre les deux sièges avant. Ilme serre contre son torsemais ça n’a rien de
tendreetsortdelavoitureparlamêmeportièrequemamère,cellequin’estpasenfeu.Unepluiedemassuesetdebattess’abatsurlui.Jesenslaforcedel’attaqueà
travers l’onde de choc dans son corps. Il encaisse les coups pour moi, laplupartentoutcas.Troisouquatrem’atteignentauxjambes,quidépassentsoussesbras. Jeveuxcrierdedouleuretn’yparvienspas, tellement ilmepressecontrelui.Ilnes’arrêtequ’unefoisqu’ilaéchappéàlafoule.Ilm’aposéeentravers
desonépauleetilseretournepouruneraisonquim’échappe.Ilseretourneetcourt à reculons. Je suis brusquement assourdie par les détonations de sonpistolet. J’ai l’impression que la fin du monde se produit à quelquescentimètres dema tête. Il tire encore et encore, et encore, et encore…Monchamp de vision rétrécit au point de devenir quasiment inexistant et de seréduireànéantlorsquejem’évanouis.Quatorzeblessuresàl’armeblanche,surlapoitrineetlecou.Voilàlacause
officielledudécèsdemamère.Cequiestécritdanslerapportd’autopsie,cequemonpèrem’aréponduquandj’aiétéassezgrandepourl’interrogersurlesujet.J’avaisneufans,oupeut-êtredix.Maiscen’étaitpastout,biensûr.Illuiétait arrivé certaines choses après avoir été sortie de force de la voiture etavantd’avoirétépoignardée.Deschosesdontmonpèremeparlerait,disait-il,lorsque je serais plusgrande. Je n’ai jamais poséune seulequestion sur ceschoses,pourtant,etilnelesajamaismentionnées.C’estsansdoutemieuxpourluidenepasavoiràprononcerlesmots,etmieuxpourmoidenepasavoiràlesentendre.On est arrivés dans le Queens maintenant, le métro est propulsé hors du
tunnel. Il fait une embardée dans un virage et les roues poussent des crisdémoniaques,protestantsifortquejem’entendsàpeinepenser.Mesdoigtssecrispentsurlabarreau-dessusdematêtepourm’éviterdetomber.Moncorpsestentraînéparlemouvementdutrain.Ilfinitparralentirencouinantsurlesrailsmouillés.OnestàQueensboroPlaza,unpaysagedebâtimentsindustrielsgris, d’immeubles neufs et de vitrines généreusement éclairées, vantant lesméritesduloto,demarquesdecigarettesetdebières.Je hissemon sac à dos surmon épaule aumoment où le train s’arrête et
sautesurlequai,laissantlessouvenirssetraînerenboitillantderrièremoi.Jedescends lesmarches deux par deux, puis trois par trois, une course vers laterre ferme. Dès que je l’atteins, je me faufile dans la foule de vieux qui
prennent leur temps pour rejoindre le tourniquet. Des types sur le trottoir,devantlesboutiques,mesifflent.Ilsadorentça:l’uniformescolaire,lafillededix-septansquimontresesjambes.Jememetsàcouriretnem’arrêtepas.Jetraverseuneruesansregarder;un
taxi donneun coupdevolant pourm’éviter et klaxonne. Je cours jusqu’à cequemesmusclesmebrûlent,jusqu’àêtretrempéedepluieetdesueur.Jecoursjusqu’à ce que la rage aveuglem’ait purifiée, débarrassée de tout espoir. Etpour la première fois de cet après-midi vibrant d’enseignes lumineuses etd’étoiles,j’ouvremoncœuràlatendreindifférencedumonde.
1.Lesphrasesouexpressionsenitaliquessuiviesd’unastérisquesontenfrançaisdansletexte.(Touteslesnotessontdelatraductrice.)
D3UX
L’espaced’une fractionde seconde, jedécris un arcdans les airs, loinde laterre ; je suis une flèche qui a quitté son arc et pas encore atteint sa cible.J’aimerais pouvoir prolonger ce moment indéfiniment, me libérer de lagravité,flotter.Maislaterreneveutrienentendre.Ellem’attireàelleaprèslefliparrière,
sansménagementnigrâce,commelegrosaimantdébilequ’elleestaufond.Jesuis trop rapide pour elle,malgré tout, et je l’empêche de tout gâcher.Mesmainsreprennentcontactaveclasurfacedelapoutre.Unefinecouchededaimrecouvre le bois, et on peut facilement se rompre le cou si on ne fait pasattention.Puismesjambesremontentau-dessusdemoncorps,un,deux.Quand on est en équilibre sur ses mains, le centre de gravité devient
l’élément clé. La poutre est large de dix centimètres, ce qui ne laisse pasbeaucoup demarge. Un léger décalage d’un ou deux centimètres, c’est déjàtrop.Unoudeux centimètres, et au lieu de décrocher unemédaille d’or auxjeuxOlympiquesonseplantedanslesolcommeunjavelot,detoutsonpoids.Lagravitén’enapasgrand-choseàcogner.Lagravitéfaitpreuved’unetendreindifférence.Je change de prise, exécute une roue, repose les pieds,marque enfin une
pause juste le temps de prendre une inspiration. Je placemesmains sur lesarêtesde lapoutrepourunnouvelappui renversé. Jevacillebrièvement,majambegauches’agitealorsquejecommenceàbasculer.Jereprendsaussitôtlecontrôleetretrouvemonéquilibresansproblème.Pourtantuneonded’hésitation,quinaîtdansmesbraset remontedansma
poitrine, me fait pencher en avant. Je pousse les hanches en arrière pourcorriger ma posture, mais j’ai exagéré le mouvement et maintenant mesjambessonttropdésaxées.Monbrasdroittrembleetjevoislemondeautourdemoisedéformeretculbuter.J’essaied’agiterlesjambespourinterrompre
lachute…Ilest troptard.Mapoitrinepercutele tapisenpremieretmacagethoracique comprimemes poumons : tout l’air qu’ils contenaient s’échappeparmabouche.Ungaminquis’entraînaitauxanneaux–unUkrainiendeBrooklynquej’ai
déjàaperçuplusieursfois–seprécipiteversmoi.—Çava?Appuirenversépeut-êtretropdurpourtoi…Ilm’aideàmerelever,metenduneserviette.Jefermelesyeuxetlaplaque
surmonvisage.—Pasgrave,dit-ilenposantunemainsurmonépauletremblante.Je le remercie et m’éloigne en chancelant comme si j’étais ivre. Je suis
lessivéeet j’ai l’impressionquequelqu’una injectédudéboucheurdansmesmuscles.Arrivéedanslesvestiaires,jem’affalesurunbancetmecachelatêtesousuneserviette.Lescoudesappuyéssur lesgenoux, j’aiunerespirationsisaccadéeque l’air siffleenentrantetensortantdemespoumons, laissantunvaguegoûtdesangsurmalangue.Çapeutparaîtrebizarremaisj’aimeça,ladouleur, lesouffleprécipité, lepetitgoûtmétallique.Çamerappelleque j’aiuncorps,quejesuisuncorps.Quejesuisbienréelleetnemelimitepasauxpenséesdansmatête.J’abandonnelaservietteparterreetretiremonjustaucorps.Ladouchemet
dutempsàdevenirchaude,pourtantjenem’écartepasdujetglacial.C’estuneeaudure,quisentlechloreetlarouille,quicoulefort.Ellemartèlemapeau,desmilliardsdepetitesaiguillesquimepiquent.Jemesuismiseà lagymà lamortdemamère.Pendantunoudeuxmois
aprèscedrame,jesuisrestéedansmonlit,rouléeenboule,recroquevilléesurmoi-même,hurlantdetoutesmesforcesdansunoreillergorgédelarmesetdemorve.Monpèremeserraitdanssesbras,biensûr,maisilpleuraitaussi.Nosdeux tristesses se sont alimentées l’une l’autre pendant un temps, jusqu’à cequ’elless’assèchent.Justeaprèsnotredéménagementd’AlgeràWashington.Un samedi, on est allés dans une boutique d’électronique parce que mon
pèreavait fait tombersonportabledans le lavaboense rasantetqu’il luienfallaitunneuf.Ungymnasejouxtaitlemagasin.Onestrestésplantésdevantlavitreunmoment,àregarderungarçonsuruncheval-d’arçons,quisebalançaitd’uncôtéàl’autrecommesilagravitén’avaitaucuneprisesurlui,commes’ilfaisaitexceptionà larèglequiveutque toutfinissepars’écraserausol.Uneprofestvenuenousvoir,uneAsiatique.J’aicruqu’elleallaitnousdemanderdepartir,aulieudequoiellenousaproposéd’entrerjeterunœil.
J’étaisdéjàaccro.Ledéménagementsuivantm’apermisdedécouvrirquelaplupart des pays possèdent des centres d’entraînement olympiques dans leurcapitale – où se trouvait bien sûr l’ambassade de mon père. Les meilleursentraîneurs étaient toujours partants pour prendre une nouvelle élèveaméricaine,surtoutsiellepayaitendollars.Personne n’a jamais tenté de me faire croire que j’avais l’étoffe d’une
championne olympique. Trop grande, trop lourde, ils le disaient tous. Etaucunegrâce.Toutenpuissancebrute.Unechaînebienplusqu’unfouet.Maisce n’était pas pour prendre part aux jeuxOlympiques ou à n’importe quellecompétition que j’avais commencé la gym. Et ce n’était pas pour ça que jecontinuais. Je recherchais ces fractions de secondepassées dans les airs, cesinstants à tromper la gravité, cette drogue qu’on appelle liberté. Et quelleimportancesicetrip–fairelevidedanssatête–neduraitqu’undizièmedeseconde ? Quelle importance si la cruauté des autres, l’isolement et lessouvenirsm’attendaientsurlaterreferme?Jepouvaistoujoursremontersurlapoutre…Dehors, la pluie a cessé et, dans l’obscurité du début de soirée, les rues
paraissent lavées.Toutes les surfaces brillent,Manhattan sent l’eaupropre etfroide,etnonplus lesordureset l’essence,pour lapremière foisdepuisdesmois. Je traverse la Troisième Avenue puis descends la Seconde, avant deprendreàgauche.Premierarrêtàlaboulangeriedel’angle,oùilmefautdixminutespourchoisirdeuxcupcakes:unauchocolatavecunglaçagerouge,unautreaucitronavecunglaçage rose.Leboulanger les rangedansunepetiteboîte.À quelques immeubles de là, les lumières de la papeterie Atzmon sont
toujoursallumées.Jesonneetunesilhouetteémergede l’arrière-boutiqueentraînantlespieds.Lebourdonnementélectriquedelaportem’inviteàentrer.— Guten Abend, Rotshuhe ! s’exclame Bela Atzmon à l’autre bout du
magasin.Bonsoir, Chaussures Rouges ! Ce sontmesDoc quime valent ce surnom.
Belaesthongroisdenaissance,maisilparlaitallemandàl’école.Jenavigueentrelesétagèresdeboissombrequicontiennentdespilesetdes
pilesdepapieràlettres,danstouslesgrainsetcouleurspossibles.Deslampesen laiton à abat-jour verts baignent les lieux d’une lumière chaleureuse etdémodée, à croire que cette boutique n’a pas changé depuis un siècle.J’aimeraisqu’ellenedisparaissejamais,maisquiécritencoredeslettres?
À l’avant dumagasin se trouve un présentoir vitré rempli de stylos. Belam’y rejoint, m’observant par-dessus la monture de ses lunettes. Malgré sesquatre-vingts ans bien sonnés, peut-être même quatre-vingt-dix, il conserveunegrandeforcephysique.Ilm’aracontéunjourqu’ilétaitgarçondefermeautrefois, dans un petit village très loin de ce qu’on pourrait appeler unegrandeville.—C’est aujourd’hui le grand jour,ChaussuresRouges ?medemande-t-il
avecunaccentaussipoisseuxquedubeurredecacahuètes.Enplusde lapapeterie,Belaetsa femme,Lili,possèdent lesappartements
au-dessus. Avec mon père, on occupe celui du troisième. Eux celui duquatrième.Onestdevenusamisquasimentdèsnotreemménagementetondînechez eux aumoins deux fois par semaine. Bela oblige toujoursmon père àboire une eau-de-vie hongroise, la palinka.On s’assied tous les quatre et ondiscute.Depolitque.Dereligion.Deleursviespassées–d’abordenHongrie,puisenIsraël,oùilsontposéleursvalisestrenteansavantdevenirauxÉtats-Unis.Belaagitesaquatrième,sacinquièmeoumêmesasixièmepalinkadelasoirée comme un chef d’orchestre sa baguette à mesure que les anecdotesdeviennent plus sombres. Lili finit par le gronder. En général, au bout d’unmoment,jedescendsfairemesdevoirs.BelaetLilim’embrassenttoujourssurlajoueenmepressantlamainquandjepars.J’imaginequec’estcequefontlesgrands-parents.Ilsmeregardentcommesij’étaisprécieuse.Ilmefautuneminutepourfouillertouteslespochesdemavesteetremettre
lamainsur l’enveloppequej’aiembarquéecematin.Ellecontientdixbilletsdevingtdollarsquej’étalesurlecomptoir.Belasecouelatêteenclaquantlalangue.—Beaucouptrop,petite.Tun’aspasvulepanneauenvitrine?Aujourd’hui,
etaujourd’huiseulement,ilyacinquantepourcentderemisepourtouteslesjeunesfillesportantdeschaussuresrouges.—Cen’estpasjustepourvous.Belamerendlamoitiédel’argent.—Si lemondeétait justeavecmoi, jerouleraisenBentleyetvivraisdans
uneimmensebaraqueàBeverlyHills.Ilsortunepetiteboîteenplastiqued’untiroirsouslecomptoir.—Maisalors,jevivraisenCalifornie,ettoi,tudevraispayerleprixfort.Il pose la boîte sur un petit tapis en velours avant de l’ouvrir. Le stylo à
plume–noirlaqué,aveclesmotsPourpapa,taG.gravésencursivessurun
côté–luitautantques’ilétaitmouillé.Jeretiresoncapuchonetlefaistournerdansmamain,scrute lapointeargentéequiprendla lumièrecommela lamed’unscalpel.Jegravislestroisvoléesdemarchesquimènentànotreappartement.Iln’y
enaqu’unparétage, traversant.Dèsque je franchis le seuil, j’entendsMilesDavis jouer tout bas un morceau mélancolique et élégant, une trompetteesseuléedansunepièceobscure,quiseconsole:cen’estpassigrave,non,passigrave.Monpèreditqueçaluiremontelemoraldesavoirquequelqu’un,àuneépoque,asuaborderlatristesseavecunetellegrâce.Je retiremes chaussures et traverse la cuisine. Sur la petite table, dans le
coin,j’aperçoisdesrécipientsencartondenotrerestaurantindienpréféré.—Papa?C’estquoicettebouffeindienne?Tuasoubliélesspaghettisàla
Gwendolyn?Depuisquej’aihuitans,jeluipréparedesspaghettispoursonanniversaire.
Ilétaittroptristepouralleraurestaurantl’annéesuivantlamortdemamère,etc’estdevenuunesortedetraditionparlasuite.Étendu sur le canapé, son corps forme une ligne presque parfaite à
l’exceptiondesoncou, légèrement recourbépour luipermettred’apercevoirl’écrandesonordinateurportable,poséenéquilibresursontorse.Laplupartdutemps,ilestcommeçaquandilrentredutravail:épuisé,abattuaprèsunejournée à se débattre héroïquement avec les notes de service et les rapports.Sontitre,spécialistedesaffairespolitiques,peutparaîtreprometteur,maisilnefait,àlecroire,quebrasserdespapiersetassisteràdesréunions.Lespapiersen question sont classés top secret, en tout cas d’après lui, et les réunionsl’envoient parfois à Nairobi ou Singapour, du jour au lendemain. Enfin çarestedespapiersetdesréunions…riendebienpassionnant,si?—Salut,lamôme!Ilmesourit,l’écrandesonordisereflètedanslesverresdeseslunettes.Ila
perdudupoidsrécemment,sonvisages’estallongéetétréci.Lestress,m’a-t-ilrépondu la semainedernière lorsque je luiai faitpartdemon inquiétude.Lestressestlasolutionpourgarderlaligne.Jem’assiedsentailleuraupiedducanapé.—Joyeuxanniversaire,levieux.Ilmeconsidèred’unairinterloquécommes’iln’avaitpaslamoindreidée
qu’aujourd’huionfêtesanaissance.J’aidroitaumêmenumérotouslesans.Il
mecaresselesommetducrâne.— Désolé pour l’indien, j’en avais assez des pâtes. Je voulais essayer
quelquechosedenouveaucesoir.—L’indienn’ariendenouveau.—Bon…Tupréfères la soupevégétariennedu restau hipster ?Çameva
aussi.Jesourisetrepoussesamain.Jen’arrivepasàlirecequiestécritsurson
écran,maismesyeuxsonattirésparlaphotod’ungrosaucrânerasé,lesyeuxécarquillés,unpointnoirdelatailled’unepiècedemonnaieaucentredufront.Ilme faut une seconde pour comprendre que ce point noir est un impact deballe.—Bah!Lavache!C’estqui?Monpèrerabatlecouvercledesonordi.—ViktorZoric.Abattuparun flic ilyadeux jours, chez lui, àBelgrade,
précise-t-ilenselevant.Ceseradanslesjournauxdemain.Uncaïddelapègreserbetuélorsdesonarrestation.—Qu’est-cequ’ilavaitfait?—Detrèsvilaineschoses, lâche-t-ilensedirigeantd’unpas lourdvers la
cuisine.Jelesuis.—Quelgenredevilaineschoses?—Lespires.—Çanerépondpasàmaquestion.Ildévisse lebouchond’unebouteilledevin rougebonmarché, le renifle,
puissesertunverre.—Aucuneimportance.Contente-toid’êtreuneadolescente,Gwen.Je lui prends son verre des mains et avale une gorgée. On a conclu un
marché,luietmoi.Jesuisautoriséeàaccompagnermondînerd’unverredevin,unseul,quandlesadultesboivent.—Alors,l’arrestationdeViktorZoric…Tuasjouéunrôlededans?Ilsortdeuxassiettesetmelestend.—J’aidéplacéquelquespapiersetrédigéunrapport.Cettefois,quelqu’un
s’estdonnélapeinedelelire.
Jeposelesassiettessurlatable,l’uneenfacedel’autre.—C’étaitquoi?Unassassin?Unmagnatdeladrogue?Quoi?—Assez,Gwen.—Jelislapresse,papa.J’aivaguementconsciencequelemonden’estpas
uniquementcomposéd’arcs-en-cieletdepapillons.—Tuveuxsavoir?Trèsbien.Ilmetendunverreàpied.—Meurtres,drogues,j’enpasseetdesmeilleures.Savraiespécialité,c’était
le trafic d’armes et d’êtres humains. Pour la prostitution. Des femmes. Desenfants.Jefroncelenez.—OK.J’aipigé…— Essentiellement envoyées en Europe, mais aussi à Abou d’Abi,
Shanghai…Dansdesconteneursmaritimes.VoilàcommentillesaexpédiéesàLosAngeles.—Merci,maintenantj’ail’imagedanslatête.Jeremplislesassiettesderizetdevindaloo.—Entasséesdansuneboîteenmétalavecunpeudenourriture,d’eauetun
seauenguisedetoilettes,poursuit-il.Ellesétaientmortesquandladouanelesadécouvertes.Quatorzefilles,russesetukrainiennes.—Tais-toi,papa!Jetesignalequ’onestàtable!—Tuvoulaisuneréponse,lavoilà.Ilmemontremachaise.—Profites-enlepluslongtempspossible,Gwen.Tun’aspasencorebesoin
desavoiràquelpointlemondeestmerdique.Jem’assieds et ilme sert du vin avec un geste aussi grandiloquent qu’un
serveurdansungrandrestaurant.—Votrevin,mademoiselle*.—Merci*.J’enfourneunebouchéedevindaloo.Onmange en silence pendant quelques minutes, on n’entend plus que les
bruitsdemastication,lebourdonnementduréfrigérateuretlespalpitationsdeManhattanderrière les fenêtres.Lavilleest toujours làpourvous rappelerà
coupsdeklaxons,desirènesetdecrisquemêmelorsqu’onestseul,onestseulaubeaumilieud’uneruchecontenantunmilliardd’autresabeilles.—Aufait…ils’estpasséuntrucaujourd’hui.Untrucaubahut.J’aibesoin
detasignature.Monpèrehausselessourcilstoutenessuyantlasaucesursonmentonavec
uneservietteenpapier.Jevaisrécupérer,dansmavestesuspendueàuncrochetprèsdelaporte,leformulaired’exclusiondeMmeWasserman.Monpèredéplielafeuilleetl’étudieuninstant.—Qu’est-cequetuasfichu,Gwen?—C’estjustepourunjour.—Justepourunjour?Çan’estpasrien.J’inspireprofondémentavantderépondre.—Jesais.Pardon.—Commentc’estarrivé?—AstridFoogle,elleaditdes…choses.Alorsjel’aiinsultéeenfrançais,
unprofm’aentendueet…j’aiécopéd’uneexclusion.Tupeuxsigner, s’il teplaît?—Elleaditquoi,exactement,cetteAstridFoogle?—Destrucspassympas,d’accord?Onpeutchangerdesujet?S’ilteplaît?—Cequimechagrine,Gwen,c’estquetunetombespasdanscegenrede
piège,normalement.Ilsuffitdelesignorer,cen’estpaspluscompliqué.Une sorte de brouillard électrique s’abat sur moi. Je détourne le regard,
agrippelereborddemachaise.Riennemeferaitplusplaisirqueluiraconterlagifled’Astrid,maisalorsilseraitdéçuquejenemesoispasdéfendue.Ouquejenel’aiepas,aumoins,dénoncée.—Enpluscen’estpaslapremièrefois,Gwen.IlyavaitcegarçonàDubai,
tu te souviens ? Comment il s’appelait ? Et cette fille à Moscou, Sveta.Exactementlamêmehistoire,d’ailleurs.—Tuvassigneràlafin?Lesmotsm’échappentavantquej’aiepulesretenir.Jemelève,l’oxygènese
coincedansmagorgequandj’essaiederespirer.Jeprendsladirectiondemachambre.Ilm’appelleetmesuit.Jeluiclaquelaporteaunez.Il frappe poliment, veut savoir si je vais bien.Oui, je réponds. Très bien.
Qu’est-ce qui ne va pas, Gwen ? Cette fois, je garde le silence. J’aperçois
l’ombrede sespiedsà travers lepetit interstice sous laporte. Ilpatienteuneseconde,hésitantentredeuxoptions :melaisser tranquilleou insister. Il finitpars’éloigner.Cequinevapas?Cequinevapasc’estquejedétestecetendroit.Jedéteste
Dantonettouslesgensquis’ytrouvent.JedétesteceboulotauxNationsuniesettoutcequis’yrattache.Ilyadesgensdemonâgequiontpassétouteleurviedanslamêmemaison.Ilyadesgensdemonâgequiontlesmêmesamisdepuis lamaternelle.Quiontunchien,unpetit jardin, etquiont envoyéuneballedetennissurleurtoitl’annéedeleursdixans.Je fouille le tiroir de ma table de nuit à la recherche de mon flacon de
Lorazépam. J’attends d’avoir accumulé assez de salive dans la bouche pouravalerl’undesminusculescomprimés.Ilyaplusieursannéesquejeprendscetanxiolytique.À lademande, précise l’étiquette.Mais j’arrive au bout demesréserves parce que la « demande » a été beaucoup plus forte depuis notreinstallationàNewYork.Lemédicamentcommenceraàagird’iciunevingtainede minutes, recouvrira mes épaules d’une couverture chaude, me diraqu’AstridFoogle,sagifleetl’humiliationn’ontpasautantd’importancequejemelefigure.Unesortedemeilleureamiequel’onmetdanssabouche.Àcôtéduflaconsetrouvemonautreanxiolytique,unpaquetdecartes.Jeles
sorsdeleurboîteencartonabîméeetmemetsàlesbattre.Sansm’arrêter.Lecontactrégulier,rythmédupapierplastifiésurlapeaudemesdoigtsetdemapaumem’apaise,bizarrement,àlafaçond’untoc.Unehabitudecontractéeenobservantdesescrocsdans les ruesduVenezuela,quiplumaient les touristesavec des « jeux » qui étaient en réalité des arnaques. Je suis devenue douéepourdes tasde toursaufildesans,etaujourd’hui lescartes remplissentunefonction thérapeutique le temps que les premiers effets du Lorazépam sefassentressentir.Des sirènes de pompiers me parviennent à travers la fenêtre close, de
grossesvoix retentissantes.Quelquepart, il y aun incendie.Rassemblant lescartespourlesbattreànouveau, j’identifielesifflementdesfreinsàaird’unautobus,puisleklaxond’untaxi.Univrognedanslaruebeugle:quelqu’unluiaprissonargentetlebonDieuvarevenir.Cequejevoudraisdégagerd’ici!Je repousse cette pensée pour me concentrer sur mes cartes, mes doigtsrecréantsansrelâcheunmondedeplastiqueordonnéoùrègnent lachanceetlesprobabilités,ununiversdegagnantsetdeperdants.Jemeréveilleà23h36–foutuLorazépam…L’anniversairedemonpère
estpresqueterminé.Jesorsdulit.Assissurlecanapé,ilamisseslunettes,etsonordinateurestouvert.Jeme
faufiledanslacuisineetsorsdufrigolaboîtedelapâtisserie.Lecupcakeauglaçagerouges’estrenversésurlecôtéetneressembleplusàgrand-chose.Ceseralemien.J’explorelestiroirsetfinisparmettrelamainsurdesallumettesetunebougied’anniversaire–uncinq,quenousavonsutiliséàMoscoupourmes quinze ans et que nous avons gardé pour une raison qui m’échappe.L’attachementsentimentaldemonpèrepourcegenrededétailsestdéroutant.Jeresteplantéesurleseuildusalon,avecleplatcontenantlesdeuxcupcakes
jusqu’à ce qu’il relève la tête et m’aperçoive. Il referme son ordinateur etrangeseslunettesdanssapoche.— Désolée pour l’anniversaire foireux, je dis en m’asseyant au bord du
canapé,àcôtédelui.—Tunechantespas?—Horsdequestion.Faisunvœu.Une seconde s’écoule le temps qu’il réfléchisse, puis il souffle la bougie.
D’ungestetrèsprécautionneux,ilsoulèvesongâteauetmorddedans.—Citron,dit-il.Tun’aspasoublié.Je remarque un livre de poche sur le canapé, à moitié caché par son
ordinateur.—Qu’est-cequetulis?Ilmelemontre.1984,deGeorgeOrwell.Unevieilleéditionquiabienvécu.—Jenelelispas,jeleprêteàunami,explique-t-il.Tul’aslu?—Non.—Tudevrais.Çasepassedansunfuturdystopique.Àmoinsquecesoitun
présent…Je pense brusquement au cadeau. Je furète dans mon sac à dos jusqu’à
remettrelamainsurlapetiteboîte.—Jet’aiachetéquelquechosecetteannée.Ilfermeàdemilesyeuxetfroncelenez.—C’est…unecanneàpêche?—Arrête.—Non!Unenouvellevoiture!
—Arrête!Ouvre!Ilsoulèvelecouvercledequelquesmillimètres,commesilecadeaurisquait
delemordre.Puisilsedécompose.—GwendolynBloom,qu’as-tufait?lance-t-ild’untondecolèrefeinte.Il laisse tomber la boîte sur ses genoux et tient le stylo avec autant de
délicatesseques’ils’agissaitd’unpoussin.Jesorsuncarnetdemonsacàdos.—Tiens,essaie-le.Il griffonne quelque chose qui ressemble à une signature, sauf qu’il n’y a
pasd’encreaudébut,justelatraceinvisibleforméeparlaplumesurlepapier.Enfin,l’encresemetàcouler,unbleuélégant,unbleuroi.J’adore!écrit-il.—Vraiment?Tupromets?— Je ne l’adore pas, j’en suis dingue. J’ai l’impression d’être un vrai…
aristocrate,dit-ilavecunepiètreimitationd’accentbritish.J’éclate de rire et ilm’enlace. La tête posée sur son épaule, j’entends son
cœurquibatlentementetrégulièrement.Alorsj’oublielepavillondebanlieue,latripotéedepotesquim’auraienttrahieunjouroul’autredetoutefaçon,et…Même à deux, une famille reste une famille. Ça me suffit. C’est ce que jem’apprêteàluidire,etçaabeauêtreultracucul,jecompteleclamerhautetfort.Saufqu’ilmecoupel’herbesouslepied.—Jel’emporteraienvoyage,demain,pourmaréunion.Toutlemondeva
êtrejaloux.Demain?Jemeredresse.—Tuvasoù?Ilfaitlagrimacecommetoujoursquandilaoubliéquelquechose.—Jecomptaist’enparler,maistut’esendormie.JesuisattenduàParis.Mesépauless’affaissent.—C’est juste pour deux jours. Je décolle demainmatin, j’ai une réunion
demainsoiretlesurlendemainjeserairentréavantquetutecouches.
TROIS
C’est toujours lemêmemessage.Nemange pas n’importe quoi. Je te laissequarantedollarsaucasoù.BelaetLilisontlàsituasbesoindequelquechose.Saufquecettefois,lesmotsontétéélégammentgriffonnésàl’encrebleuroi.Jem’adosseaustrapotindumétroquifileverslesuddeManhattanetretournelemorceaudepapier.Auverso,j’ainotél’adressedudisquaired’occasiondeStMark’sPlace.Surpresquetoutcequitoucheàlamusique,onestendésaccord,monpère
et moi. À l’exception du jazz. Il m’emmenait parfois dans des clubs àl’étranger. Je me pinçais le nez pour ne pas sentir les odeurs de tabac etécoutais attentivement deux sets d’affilée. C’était devenu une sorte de rituel,essayer de dégoter les clubs les plus petits, les plus inattendus, et lesenregistrements les plus rares. Dommage que sa platine soit arrivée à NewYork enmillemorceaux. Je lui en offrirai une belle un jour, quand je serairiche.Ilestunpeuavantmidi,etj’aidéjàgaspillémamatinéeàmangerlesrestes
de nourriture indienne, froids, devant la télé. Mais j’ai bien l’intentiond’exploiteraumieux le restedecette journéesanscours. JedescendsdoncàAstorPlaceetmedirigeversStMark’sPlaceavecsesbarshipsters,sessalonsde tatouage, son restaurantmexicain devant lequel est installé unmannequincoifféd’unsombrero.Jedevraispeut-êtremefairetatouer.Monpèrem’aracontéquesafamilles’estinstalléedansunimmeubledece
quartierilyaplusd’unsiècle.Ilsétaientdouzedansuneseulepièceouuntrucaussi absurde. À l’époque, la plupart des Juifs fraîchement émigrés vivaientdanscesconditions.Safamilleestlituanienne.Àladescentedubateau,àEllisIsland, Blumenthal est devenu Blum, puis un peu plus tard Bloom.Théoriquement,cenesontpasmesancêtres,puisquejenepartagepaslemêmesang.J’aienviededirequ’ons’enfout.
Monpèreestfilsuniqueetsesdeuxparentssontmortsavantmanaissance.AccidentdevoitureàSanDiego,oùilagrandi.Lesseulsvraisparentsquejepossède–dupointdevuedel’ADN–sontlasœurdemamèreetsafille.MatanteaépouséunrabbinauTexas.Jenelesaivusqu’uneseulefois,justeaprèsl’assassinatdemamère,etjenemesouviensmêmepasàquoiilsressemblent.Ilyaunepetiteclocheau-dessusdelaportedelaboutique,quisignalemon
arrivée. Derrière le comptoir, un type au crâne rasé, le lobe troué par unécarteurd’oreille,lèvelatête.Çasentbon,unmélangedepoussière,devinyleetd’ozone.Desrangéesdebacscourentsurtoutelalongueurdumagasin.Je sors quelques disques : Bitches Brew, de Miles Davis, Ellington at
Newport…Soudain,mesyeuxseposentsurdesmainsquifouillentdanslebacàcôtédumien,puisremontentjusqu’àunvisage.Cesont lesvêtementsquimedéroutent.Jesuishabituéeà levoirdansson
uniformedeDanton,enchemiseblancheetcravaterayée.Aujourd’hui,ilporteuncolroulérougeetunpantalonencotonbienrepassé–ondiraitqu’ilsorttoutdroitd’uneséancephotopourunepubRalphLauren.Sapeau,d’unbrunfoncé,parfaitement lisse,possèdeunéclatparticulier,commesiune lanternel’illuminaitdel’intérieur.ÀDanton,ilnesemêlepasauxautres,mangeseul,n’adresselaparoleàquasimentpersonne.Ils’appelleTerrancemaislesélèveslesurnommentleBoursier–l’administrationluiauraitdérouléletapisrougeàcausedesestalentseninformatique.—Salut…Ilrelèvelatête.—Salut,merépond-il.—Terrance,c’estbiença?—Ouais.—Moi,c’estGwendolyn.—Jesais.Unsilencegênants’étire.Unsilencesigênantquejemerappellepourquoi
jen’adressejamaislaparoleauxgarçons.PuisTerrancesourit.—Tun’espascenséeêtreencours?—Ettoi?— Trois jours d’exclusion pour avoir trafiqué le registre de présence.
Aucunsensdel’humour,danscelycée.Ettoi?— Un jour d’exclusion, pour avoir dit à Astrid Foogle d’aller se faire
foutre.Ilhausseunsourcil,l’airsincèrementimpressionné.—Courageux.T’astrouvéquoi?J’observe bêtement l’album entre mes mains et remarque que celles-ci
tremblent.—SonnyRollins.Maisjesuisjusteicipourjeterunœil.—Sonnyestcool.CharlieParkerestmeilleur.—Évidemment!C’estdelatriche,jetelaisseunesecondechance…Ilhausselesépaules.—J’aitoujoursétéunfandeColtrane.Jesourismalgrémoi.—Moiaussi,jesuisfan.Ilritetjedeviensaussirougequesonpull.—Désolé, je nevoulais pas…Alors commeça, tu aimes le jazz.Ondoit
êtrelesdeuxseuls.Jedésigned’unlargegestelaboutique.—ÀDanton,jeveuxdire.Ilbaisselesyeux,joueaveclesbretellesdesonsacàdos.— Je… j’ai rien prévu de particulier cet aprèm, ajoute-t-il. Alors si tu
veux…jenesaispassitoi,tu…—Avecplaisir,jedisavantderéfléchir.
Unefoisdehors,onconstatequelesoleiladisparu,remplacépardesnuages
d’un violet sombre qui s’accumulent au-dessus des buildings de la ville.Personnenenousattend,nil’unnil’autre,etc’esttantmieux.Ilsembleaussicontent que moi d’être là. On remonte deux blocs d’immeubles. Manhattanserait-il anormalement désert aujourd’hui, ou n’ai-je simplement pas prêtéattentionauxautres?Onparledelamusiqueetdeslivresqu’onaime,desélèvesdeDantonqu’on
déteste. Ilme croyait « grecque ou un truc dans le genre ». Je le détrompe.Passeportaméricain,maisfilledediplomate.Iltrouveçacool.Nos pas nous conduisent de l’autre côté de l’Avenue A, dans le parc de
TompkinsSquare.Ons’engagesurunealléepavéesouslesbranchesdénudées
desarbres.UnSDFdortsousdescartonsaplatis.Sesmains,seschaussuresetdesballotsdevêtementssalessontvisiblessurlescôtés,ondiraitunsandwichquidéborde.—Alors…tuasunebourse?Ilplisselesyeux.—Quoi?—Tonsurnom.Lesautrest’appellentleBoursier.—Ilsm’appellentcommeçaparcequejesuisnoir.Conclusion…—Conclusionquoi?—Conclusion:commentjeseraisentréàDantonsinon?Ilsecouelatête.Ungestedeméprispoureux.Pourmoiaussipeut-être.—Lesseulsmomentsoù j’existe,c’estquand ilsontbesoind’herbe.Mais
qu’ilsaillentsefairefoutre.Jerefusedejouercerôle.Mavien’arienàvoiraveclefilmclichédanslequelilsveulentmecaster.Mamaineffleurelasienneaccidentellement.—Fais-toiletien.Tupeuxchoisirtonrôle.Unsourirefrémitsurseslèvres,l’idéeparaîtluiplaire.—Tujouesquelrôledansletien?—Dansmon film ? Je n’en ai pas vraiment…Ça ressemble plutôt à une
successiondescènesprisesauhasard.—N’empêche,c’esttoil’héroïne.—L’héroïne?—Tusaisbiencequejeveuxdire.Tutebatscontrelesméchants,tusauves
lemonde,letoutavecclasse.Ils’amuseàdonnerdescoupsdepoingdanslevide.C’estuncompliment,
enfinondirait:GwendolynBloom,sauveusedumonde.GwendolynBloom,laclasse.Jeluisouris.—Tuasraison.Terrance vient de s’arrêter pour observer deux gosses à côté de l’enclos
pourchiens.Suruncartonretourné,ilsontinstalléunbonneteau.Unjeuderuequi n’en est pas réellement un mais en a l’apparence. L’arnaque est là,justement.L’undesgossesmélangelestroiscartesfacesretournéesetcrieauxjoggeursetauxemployésdebureauenpausedéjeuner:
—Elleestoùladame,elleestoùladame?Autrefois, ce jeu était présent dans tout New York, d’après mon père. Je
supposequeçaachangé:Terrancen’enajamaisvu.Moi,j’aiassistéàdestasdepartiesautourduglobe.J’adoraisregarderlesescrocsplumerlestouristes.À l’aide de vidéos sur YouTube, j’ai même appris le truc, et je me suisentraînéeavecmonpèrecontredesbilletsdeMonopoly.Pendant que l’un des gosses manipule les cartes, l’autre fait semblant de
gagner.Ilaunegrosseliassededollarsdanslamain.—Onessaie?meproposeTerrance.—C’estunearnaque.Tunepeuxpasgagner.—L’autregagne.—C’estsonboulot,ilsertderabatteur.Ilssontdemèche.Terranceneselaissepasdécouragerets’approched’eux.Ilsortunbilletde
vingt dollars et le pose sur le carton.Après l’avoir pris, lemanipulateur luimontrelescartes,unedameetdeuxvalets,légèrementpliéesdanslesensdelalongueurpourlesattraperplusfacilement.Puisillesretourneetleschangedeposition,faisantpasserladameàgauche,àdroite,aumilieu.Audébutc’estfastoche,etc’estvoulu.Letruc,lecœurdel’arnaque,c’estde
réunirladameavecuneautrecarte,puisdereposerostensiblementlasecondecarte. Le joueur est dupé, convaincu que le manipulateur vient de placer ladameàteloutelendroit.Legaminvasivitequejenelevoismêmepasfaire.EtmaintenantTerrancesuitlamauvaisecarte.Lorsquelemanipulateurlâchelescartes,Terranceindiquecelledegauche.
Avecunpetitsourire,legosselaretourne.Valetdetrèfle.UnautrebilletdevingtdollarssortdelapochedeTerrance,maisonluidit
qu’ildoitdoublersamises’ilveutcontinuer.Iljouedoncquarantedollars,etletourd’aprèsquatre-vingts.—Commenttusavais?medemande-t-ilquandonfinitpars’éloigner.—YouTube.Etdesheuresd’entraînementavecunpaquetdecartes.Aubout
dedixmilleparties,j’étaisaussidouéequ’eux.—Danscecas,ondevraitmonternotreproprestand.Toietmoi.
On s’enfonce au cœur du parc, au-delà du terrain de basket bondé, et on
dépasseuneaffichemanuscrite,scotchéeàunpoteau,quisignaleladisparitiond’uncochond’Inde,Otto.On trouveunbancpropre,ouplutôtpas tropsale,
sousdesarbressquelettiques,etons’assied.—Alorsc’esttonpèrequibossepourlesAffairesétrangèresoutamère?—Monpère.—Ettamère,ellefaitquoi?J’envisagedementir.Engénéral,lemalaises’installeunefoisquej’aiditla
vérité.Maiscettefois,sansquejepuissemel’expliquer,jen’esquivepas.—Elleestmorte.Ilyadixans.—Lamienneaussi.Ilyahuitans.Accidentdevoilier.J’ouvre la bouche pour lui préciser les circonstances dans lesquelles la
mienneadisparuetilm’interromptenposantsamainsurlamienne.—Tun’espasobligéed’enparler.—Merci.Unsilences’installe,parfaitementdétendu.Personnenefaitunehistoirede
cetteréalité,personnen’enfaitundrame.—Alors,tuveuxalleroù?melance-t-il.—Jesuisbien,ici.—Non,jeparledelafac.—Jen’yaipasvraimentréfléchiencore.Uneuniversitéoùilfaitchaud.Et
toi?—Harvard.Monpèreyafinancéunechaire,alors…—Unechaire?—Un poste d’enseignant, si tu préfères. La chaireMutai pour l’étude de
l’économiemachinbidulechose.Jenemesouvienspasdunomcomplet.Aufin fonddemapoche,mon téléphonesemetàsonner.Je jetteuncoup
d’œilàl’appareil:monpère.Aulieuderépondre,jecoupelasonnerie.Jelerappellerai plus tard, inutile d’interrompre ce moment, de briser la magie.L’horlogedemontéléphoneindique14h42.Jen’aipasvuletempsfiler.Levents’engouffreentreleslamesdubancenbois.Jerelèvelecoldemavestemilitaireetcroiselesbras.—Qu’est-cequinevapas?s’inquièteTerrance.—J’aifroid.—Tuveuxbouger?—Non.
Il passe alors son bras autour demes épaules et se serre contremoi.Mesmusclessecontractent.Jesenslachaleurdesoncorpstraversersavestepuislamienne. Est-ce que je suis censée dire quelque chose ? Non, Gwendolyn,ferme-laet laisse lasituationévoluerd’elle-même.J’inclinela têteet laposesurl’épauledesavesteendaim.Ilsentlesavondeluxe,legenrequ’ontrouvedansleshôtelschicos.—Etaprèslafac?jedemande.C’estquoi,leplan?—Monpèreditquejepeuxchoisircequejeveuxtantquecen’estpasla
mêmechosequelui.Lesfondsd’investissement,précise-t-ilenm’effleurantlebras. Mais je ferai sans doute… je ne sais pas. J’adore la programmationinformatique,laprécisionmentalequeçaexige.Ilyauneformedebeautélà-dedans.L’artdesmaths.C’estbizarre…deparlerd’artpourlesmaths?Unéclatderirem’échappe.—Lamusiquedesmaths.—Quoi?—Lamusiquedesmaths.C’estdébile,jesais,c’estcommeçaquej’appelle
les duos entreDizzy et Charlie Parker, entre Coltrane et un autre. On diraitn’importequoi,alorsquec’estdel’algèbre.—Lamusiquedesmaths.Çameplaît.Sonbrasmeserreunpeuplusfortetjemerapprochedelui,centimètrepar
centimètre.Unegrossegouttedepluies’écrasesurmongenou.Uneautresurmamain.
Elleséclatentetcrépitent toutautourdemoi,obscurcissant le trottoircommedesprojectionsdepeinturemarron.Onsaitaussibien l’unque l’autrequ’ondevrait aller se mettre à l’abri – d’ici une minute il tombera des cordes –,pourtantaucundenousnebouge.Ungrondementsourdsetransformeencoupde tonnerre tonitruant. Au loin, un nuage violet au-dessus des buildingss’éclairebrièvement,ondiraitqu’uneampoules’estalluméeàl’intérieur.—Lesdieuxsesontliguéscontrenous,jedis.—Onferaitmieuxd’yaller.
Onfileà travers leparc, lecielsedéchaîneau-dessusdenostêtes, lâchant
des rideaux de pluie ondulants qui évoquent des fantômes furibonds. Si jecroyais en Dieu, ça pourrait presque ressembler à une punition pour cesquelques heures volées avec un inconnu si fascinant. De l’autre côté de
l’Avenue A, on trouve refuge sous le porche d’un immeuble. Il n’y a pasbeaucoup de place et on doit se plaquer contre la porte en acier noir pouréchapperauxricochetsdesgouttesdepluie.—Tutrembles,vienslà,medit-il.Jenem’enétaispas renducompte.D’ailleurs, jen’aiplus froid,cequine
m’empêchepasdemeblottircontrelui.Ilm’enlace.—Alorssi j’aibiencompris,c’est lachaireMutaimachinbidulechouette
d’économie…Ilritetjesenssontorsebougercontremajoue.—Pourêtreprécis,c’estlachaireTerranceMutaiIII.—Latroisièmechaire?—Non,monpèreestletroisièmedunom.CequifaitdemoiTerranceIV.C’estàmontourderire.J’espèrequ’ilneleprendrapasmal.—Tonnomcomporteunchiffre?Tuasdusangroyalouquoi?—Non,jeviensjusted’unelignéedesnobsprétentieux.—Aucunproblème.Moiaussi.Lesorts’acharnesoudaincontremoi.Contretouteprobabilité–jerappelle
qu’onestàNewYorkenpleineaverse–,untaxisegarelelongdutrottoiretune femme en sort. J’aurais pu rester sous ce porche d’immeuble, avecTerrance, toute la journée, pour ne pas dire toute la semaine.Malheureusement, jen’aipas le tempsdeprotester,Terrancem’entraînedéjàverslavoiture.Il indique au chauffeur de prendre la direction du nord, sur la Première
Avenue,etluidonnemonadresse.—Ensuite,oniraàl’angledelaSoixante-DouzièmeetdelaCinquième,au
Madisonian.Jenesuispeut-êtrepasnew-yorkaisedepuislongtemps,j’ensaisassezpour
reconnaîtrelenomdel’undesmicro-quartierslesplusprestigieuxdel’îledeManhattan.Ici,mêmelesgenstrèsricheshabitentdansdesimmeublescommele mien, dans des appartements trop petits et qui donnent sur des rues tropbruyantes.Terrance,lui,vitdansunbâtimentréservéauxgrandesfortunes.LaplupartdesélèvesdeDantonseraientvertsde jalousies’ilsdécouvraient sonadresse.
Le taxi file dans les rues que la pluie a laquées en noir. Le chauffage estpousséàfond.Affaléesurlabanquette,jeremarquequej’ailesdoigtsrougesetengourdis.Ilmeprendlesmainspourlesfrictionner.Onapprochedemadestinationetj’expliqueauchauffeuroùs’arrêter.Alors
qu’il ralentit, jeplonge lamaindansmapochepour sortir de l’argent,maisTerranceneveutrienentendre,lacourseestpourlui.Jetournelatêtepourleremercier et il est juste là, sonvisage à quelques centimètres dumien.C’estfini avant que je comprenne ce qui se passe, un rapide baiser chaste. Jemedemandequelletêtejepeuxbienfaire,parcequ’iléclatederire.—Àplus,Gwen.
Mon esprit est déjà en surchauffe, décortiquant et analysant la moindre
seconde de ces dernières heures, quand j’entre dans mon immeuble etm’engage dans l’escalier. Premier, deuxième, troisième, Terrance quatrièmedunom.Unefoischezmoi,jeprendsletempsdefermerlesdeuxverrousdelaporte
d’entrée et demettre la chaîne.Terrance vient-il vraiment dem’embrasser ?Mondieu,qu’est-cequ’ilfautenconclure?Pendant les heures qui suivent, je me débats avec mes devoirs. Demain,
commetouslesvendredis,ilyainterroenmaths,etj’aiprisduretardmêmesijen’ailoupéqu’uncoursaujourd’hui.J’aibesoindetousmesneuronespourcettematièreetc’estparticulièrementdifficilequandmonespritserepasseenbouclelemomentoùTerranceaprismesmainsentrelessiennesdansletaxi,desmainsauxlongsdoigtsfins,desmainsd’aristocrateavecunchiffredanssonnom.C’étaitçaleplusimportant,non?Paslebaiser.Lafaçondontilm’africtionné lesmains.Mince,Terranceest littéralement laseulechosedecettevillequin’estpasdouloureuse.Je réussis,par jene saisquelmiracle, àvenir àboutdemesdevoirs, et à
23heuresjemeprépareunsandwich.Aprèsm’êtreversélerestantdevindansun gobelet en plastique, je m’installe devant le feuilleton mexicain que jeregardepourentretenirmonespagnol.Deux amants secrets dans une grande fête – elle en robe de soirée, lui en
smoking. Ils se donnent rendez-vous dans le cobertizo. La cabane ? Labaraque?Non,pasdansununiversaussiraffiné.Uneélégantemaisonnetteauborddel’eau,abondammentpourvueenhorlogesencuivreetfauteuilsencuirrondouillards, sans oublier le faucon empaillé sur une étagère. C’estdangereuxdeseretrouverainsi,ilsenconviennent,alorsquelafêteestjusteà
côté, on peut même encore l’entendre. Tu m’aimes ? lui demande-t-il. Sí,Emilio,luirépond-elle,siempre,siempre.Pourtoujours.Levinme réchauffe leventreetunedoucebrumeenvahitmespensées. Je
m’allongesurlecanapé,matêtes’enfoncedansuncoussinmoelleux.Jepenseà Tompkins Square pour la millième fois de la soirée, à la pluie quiressemblait à des gouttes de peinture sur le trottoir. Terrance est riche, jecrois… Il l’est forcément pour habiter dans un endroit pareil. Et alors ? Lafaçondontilm’aserréecontreluialorsqu’onseprotégeaitdelapluien’apasdeprix,elle.Voilà ce que je suis en train deme dire aumoment oùmes paupières se
fermentetoùjemesenspartir,glisserdanslesommeil,bercéeparlachaleurréconfortanteduvin.Lefeuilletonn’estpasterminé.Unegrossedisputealieu,entreEmilioetquelqu’und’autre…Lepèredel’héroïne?Quelqu’unfrappeàla porte aussi, mais Emilio et l’autre l’ignorent, parlent comme si de rienn’était.Zutàlafin,répondez!J’ouvrebrusquementlesyeux.Cen’estpasàlatéléqu’onfrappe.Non,c’est
àlaportedemonappartement,descoupssecsetinsistants.Veneztoutdesuite,intiment-ils.Jem’approchedelaporte,sonnéeetpourtantsurmesgardes.Jecollemonœil contre le judas.C’estBela, en robede chambre.Derrière lui,deux silhouettes en costumes mal coupés. Une femme, avec une queue-de-cheval d’un blond terne. Elle est jolie, sportive, la quarantaine je dirais.L’autre,unbrunquidoitapprocherdelatrentaine,aunépaisvisagerougeaudetunecoupemilitaire.Jetirelesdeuxverrousetouvrelaporteautantquelachaînemelepermet.
Belasetordlesmains,maiscen’estpasdenervosité.C’estautrechose.—Cespersonnes…doiventteparler,Gwendolyn.—Tupeuxnouslaisserentrer,s’ilteplaît?medemandelafemme.Je referme la porte pour retirer la chaîne et leur ouvre. Elle avance la
première et sort un portefeuille contenant un insigne ainsi qu’une carted’identitéavecsaphoto.—Bonsoir,Gwendolyn.Jesuisl’agentspécialKavanaugh,etl’agentspécial
Mazlow m’accompagne. Nous appartenons au service de sécuritédiplomatique.C’estautourdel’hommedeproduiresoninsigneetsapièced’identité.Jene
medonnemêmepaslapeinedelesregarder.Jelesconnaisparcœur:pascesdeuxagentsenparticulier,maisl’espèceàlaquelleilsappartiennent,legenre
deboulotqu’ils font, lasignificationde leurprésence ici. Jedevine lesmotsquivontsortirdeleurboucheavantqu’ilsnelesprononcent.—Monpère,jedisd’unevoixàpeineplusfortequ’unmurmure.Qu’est-ce
quiluiestarrivé?L’agentKavanaughposeunemainréconfortantesurmonépaule.—Onaimeraitquetunoussuives,d’accord?C’estpossible,Gwendolyn?Jelarepousse.— Qu’est-ce qui est arrivé à mon père ? je répète plus fort, presque en
criant.Ilvabien?—Gwendolyn,merépond-elle.Tonpèreadisparu.