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D OSSIER PÉDAGOGIQUE B ARBELO , À PROPOS DE CHIENS ET D ENFANTS CRÉATION FRANÇAISE DE B ILJANA S RBLJANOVIC MISE EN SCÈNE A NNE B ISANG DU 29 SEPTEMBRE AU 18 OCTOBRE 2009 MARDI , VENDREDI , 20 H MERCREDI , JEUDI , SAMEDI 19 H DIMANCHE 17 H CONTACT C ORALIE L A V ALLE + 41 / (0)22 320 52 22 CLAVALLE @ COMEDIE . CH WWW . COMEDIE . CH

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  • DOSSIER PÉDAGOGIQUE

    BARBELO, À PROPOS DE CHIENS ET D’ENFANTS C R É A T I O N F R A N Ç A I S E

    DE B ILJANA SRBLJANOVIC

    MISE EN SCÈNE ANNE B I SANG

    DU 29 SEPTEMBRE AU 18 OCTOBRE 2009

    MARD I , VENDRED I , 20H MERCRED I , JEUD I , SAMED I 19H

    D IMANCHE 17H CONTACT

    CORAL IE LA VALLE + 41 / ( 0 )22 320 52 22 CLAVALLE@COMED I E .CH

    WWW .COMEDIE .CH

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    BARBELO, À PROPOS DE CHIENS ET D’ENFANTS DE B ILJA NA SR BLJA N OVIC

    MISE EN S CÈ NE AN NE B ISA NG

    Dans le f r acas d ’un monde en t rans i t ion , l es en fan ts ne p leuren t p lus mais mangent t r op .

    En fan ts bou l im iques, f emmes fan tômes, ch iens ma terne ls e t f l i cs e r ran ts fo rment une ronde

    carnava lesque au mi l i eu des ru ines . Un poème, hymne à l ’ amour o r ig ine l , par B i l j ana

    Srb l j anov i c , l ’au teure la p lus marquan te de l ’Es t européen.

    Avec :

    Fabr ice Adde D r a g a n Cél ine Bo lomey M i l i c a

    Gabrie l Bonnefoy Z o r a n

    Nico le Co lchat M i l a Armen Gode l D r a g o , 2 m é d e c i n s

    Yvet te Thérau laz L a f e m m e à c h i e n s

    Jean-Beno î t Ugeux M a r k o , l e v a g a b o n d Lise Wit tamer M i l e n a D r a m a t u r g i e Stephanie Janin A s s i s t a n t e à l a m i s e e n s c è n e Stéphanie Lecle rcq S c é n o g r a p h i e Anna Popek C o s t u m e s Solo -Mât ine C r é a t i o n l u m i è r e Laurent Junod C r é a t i o n s o n Jean-Bapt is te Bosshard R é g i e g é n é r a l e Edwige Dal lemagne D o s s i e r r é a l i s é p a r C a r i n e C o r a j o u d I l l u s t r a t i o n s : S i l v i a F r a n c i a

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    PRÉSENTATION

    Ce doss ier péd agogiq ue est consacré à la p ièce de l ’auteure serbe Bi l jan a Srbl janovic , Barbelo , à propos de chiens et d ’enfants , présen tée à L a Comédi e de Genève dans un e mise en scène de Anne Bisan g. I l s ’ ad resse à tous le s enseignants dés i reux de découvr i r e t de fa i re découvr i r à leurs é lèves une grande voix du théâtre contemporai n, qui por t e un regard luc ide sur l ’ h is to i re récen te de son pays. Par une écr i ture dense, S rb l jano vic nous p lon ge dans l ’ expér ience doulou reuse de la guer re, sans jamais céder au sent imenta l isme, n i à la comp la isance. Barbelo… est une p ièce de la réconci l ia t ion , au cœur d ’une Se rbie fa i t e de ru ines et d ’erra nce, mais dont la populat ion dét ien t , com me parto ut a i l leu rs , u n p otent ie l d e lu t te et d ’esp oi r . Le spectac le Barbelo, à propos de chiens et d ’enfants o f f re une voie d ’accès pr iv i lég iée à l ’é tude des écr i tures contempo rain es. I l s ’ inscr i t dans les enseignements d’histoi re, de géographie, de l i t térature et de phi losophie . N ous vo us proposons dans ce doss ie r deux pe rspect ives d ’an alyse : Point de vue historique. Un ra ppel des évén e ments en ex-Y ougoslav i e contextual ise la p ièce et les pr ises de pos i t ion de l ’au teur e sur son pays. En c l asse, i l sera poss ib le d ’ét udier le contexte des Balkans : guer re c iv i le (1992 -19 95), g uerr e du Kosovo ( 1998-1 999) , m ontée des nat ion al isme s, évolut ion des l imi tes terr i tor ia l es, procès de Mi lošev ić ( 20 02-2006 ), s i tua t ion actu el le de la Se rbie. Plus généralemen t les probléma t iques l i ées aux confl i ts e thniques , aux génocides e t aux national ismes pourr ont êt re env isagées. I l sera également poss ib le de réf léchi r à l ’engagement des écrivains , à la ques t ion de la censure e t de l ’exi l . Point de vue l i t téra ire . Une prése ntat io n de la Nouvel le écri ture théâtrale anc re la p ièce de S rbl janovic da ns les dramat urg ies co ntemporain es. L ’analyse thématique de la p i èce ( l a quê te d es or ig ines , la f i l ia t io n, le monde à l ’ e nvers …) est une po rte d ’entrée dans l ’un ive rs de l ’auteure . Avec les é lèv es, outre un t rava i l te xtuel , i l y aura la poss ib i l i té de comp ar er le théât re de Sr bl jan ovi c avec d’autres auteurs des pays de l ’Est , témoins d ’une autre é poque. En complémen t , deux e ntret iens m enés avec Anne Bisang , me t teu re en scène, et Anna Popek , scén ograp he, of f rent des c lés d e l ecture à la cré at ion d u s pectac le. Des pistes pédagogiques e t des sources documenta ires (o uvrages, ar t ic les, f i lms) sont proposées . Nous restons à votr e ent iè r e d ispos i t ion pou r tout complément d ’ in format i on : Co ral ie L a Val le , c laval le@ comed ie.ch. Nous vous souhai tons u ne bonne lecture e t nou s nous ré jouissons de vous accuei l l i r , vos é lèves et v ous-mêm es, dans les m urs de La Coméd ie de Genève !

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    EN MARGE DU SPECTACLE

    Samedi 26 septembre 2009 à 16h Lecture d e textes de B . Srb l j anovic dans l e c adre de l a Fur eur d e l i re , mise e n lectu re de Anne Bisang. Lundi 5 octobre 2009 à 19h Débat publ ic « L’Es t et nous, à la recherche d ’une consc ience européenne » .

    Avec : Florence Hartmann , jo u rnal is te spéci a l is te des Balkans, Michel Foucher , géog ra phe et d i p lomate, Miloš Laz in , me t teu r en scène, Tanja Ostoj ic , p last ic i e nne, Galin Stoev , met t eur e n scène

    Modérat ion : Thérèse Obrecht , jo urnal is t e. Dimanche 11 octobre 2009 dès 11h30 Brunch et r encontr e ave c l ’équipe du spectac le .

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    SOMMAIRE

    Biljana Srbljanovic, auteure.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6

    Biljana Srbljanovic, témoin de son temps ..................................................................... 7

    Quelques repères . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8

    Esqu isse d ’un engagement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9

    A t ravai l le r en c lasse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12

    Ecrire pour réinventer le réel ............................................................................................ 14

    La Nouve l le éc r i tu re théâ tra le . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14

    Déjouer l e sens du monde . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15

    A t ravai l le r en c lasse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20

    Barbelo, à propos de chiens et d 'enfants - le spectacle ...................................... 22

    Rencont re avec Anne Bisang, met teure en scène . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22

    Rencont re avec Anna Popek, scénographe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24

    Pour en savoir plus ............................................................................................................... 26

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    BILJANA SRBLJANOVIC, AUTEURE

    Bi l jana Sr bl janovic fa i t par t ie des dramat urges les p lus joués de l 'ex-Yougosl av ie. Née à Stockholm e n 1 970, e l le g randi t à Bel grade. El le y ét udie le théâtr e et la dramatur g ie à l 'Acadé mie des Arts drama t iq ues, où e l le présent e La Tr i log ie de Belgrade comme texte de f in d 'é tudes. La p i èce, créée dans sa v i l le n ata le en 1997 puis à Bonn dans le ca dre de la Bienn ale 98, susc i te immédiatement l 'a t t ent ion pa r son s ty le novateu r. Le s uccès est fu lgur ant : e l l e fa i t le tou r des scènes européenn es. Son deuxième texte , Histo i res de fami l le , jou é à Belgrade pou r la première fo is , obt ient le pr ix de la mei l leure no uvel le p ièc e au Fest iva l de N ovi Sad ( Serbi e) . Anselm Weber la met e n scène au Deutsche S chauspie l haus de Hamb ourg. Nouv eau succès : p lus de v ingt théâtres a l leman ds l ' insc r iv ent au répe rto i re et l e texte voyage en Polog ne, en Ro umani e, en Slovénie, en Suiss e, au Pays-B as ou e nco re aux Etats-Unis . En 2000 , sa t ro is ième p ièce, La Chute , ouvr e l e Fest iva l d 'é té Grad -T eatar à Budva (Monténég ro) . La mêm e année, à Av i gnon, Michel Didy m en d i r i g e une lecture publ ique dans le cadr e du cyc le de lectu res de dram atu rg ie d 'E urope d e l ' Est . Et en août , c 'est Je an- Claude Berut t i qu i l a met en esp ac e, au F est iva l de Buss ang. L 'anné e suivante, Thom as Ostermeier crée Supermarket , en première mondia le. La créat ion f rança ise de c et te qu atr ième pièce es t ass urée par C hr is t ian Benedet t i , a u Théâtre -St udio d 'Al f or t v i l le , où sera mis en scène, quelques moi s p lus tard, L'Amér ique, su i te . En 2 005, e l le s ign e Sautere l les e t reçoi t en 200 7 à T hessalonik i le Pr ix Europ e pou r le T héâtre dans la sect ion « No uvel les Réal i tés Théâtra l es ». Barbelo , à propos de chiens et d 'enfants est sa dern ière p ièce. El l e a été créée à Belgrad e en 2 007. El le e st donnée en cré at ion f r anç aise au t héâtr e de L a Comédi e. Bi l jana Sr bl janovic v i t aujourd 'hui ent re Pa r is et l 'Azer baïd jan . El le est le premier écr iva in ét range r à avoi r reçu le pr ix Ernst Tol le r (1999 ).

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    BILJANA SRBLJANOVIC, TÉMOIN DE SON TEMPS

    La Ser bie qu’a connue Bi l jana Srbl j anovic es t ce l le de Mi loš ev ić : e l le a 19 a ns lorsque le d ic ta teur a rr i ve au pouvoi r (19 89), 2 2 ans au début de la gu erre c iv i le en ex-Yougosl av ie (1992 -1 995), et 29 ans quan d les f rappes aér ien ne s de l ’OTAN tombent su r Bel grade , lors du con f l i t du K osovo. El le se d i t ap parteni r à une générat io n sacr i f iée : C’est la généra t ion de mes étudiants qui peut représenter l ’ image d ’une Serbie nouvel le . La mienne n ’ex is te pas. El le a été déc imée par la guerre e t l ’émigrat ion. 1

    Si S rb l janovic ne d éfen d pas de pro gramme po l i t ique da ns son théât re , e l le n ’ hés i te pas à dénoncer, quan d e l le le peut , la v io lence du régime qu’e l le a su bi . El le a été une des rares voix à s ’o pposer ouver tement au r égim e de Mi lošev ić . El le a l iv ré, sous les bombard ements, u ne chroni que qu ot id ien ne des év é nements, p arue da ns le journal i ta l ien La Repubbl ica . Dans ses p ièces , e l le témoigne des v io l ences subi es par la popula t ion et d énonce, p lus gén érale ment , tout e forme d’ o ppress ion, de v io lence, de ter reur pol i t ique, de tyranni e. Ses p remières œuv res t ra i ta ie nt de l ’ex i l e t de la décomp osi t ion fam i l ia le. La grande His to i r e é ta i t d i rectem ent ap ostrophée . D ans Barbelo… , e l le nous par le du temps de l ’après-g uerre : que reste- t - i l d ix ans après le conf l i t , d ans un pays dé vasté par la pa uvreté , m enacé par les na t ional is mes locaux et dont la seule porte de sor t ie est l ’ouvertu re à un l ibéra l isme tentacula i re ? Quel les perspect ives, q uels dés i rs , quel le réal i té ? Le con stat est pess imis te, mais s ’ouvre sur une n ote d ’ espoi r . Pet i te et grande h is to i r e se fo nt do nc écho e t c ’es t à t r avers les y eux des ge ns ord inai res qu’e l le donn e à l i r e le mo nde. Ca r Srb l j anovic a vécu de l ’ in tér ie ur u n conf l i t don t e l le s e re lèv era avec d i f f icu l té : C’éta i t une guerre b izar re, une guerre qu’on ne voi t pas. La nui t on entendai t le bru i t des av ions et des bombes, on voyai t les lumières, des explos ions, et le mat in, c ’est la té lév is ion qui nous fa isa i t réal iser que c ’éta i t v ra i , que nous ét ions v ivants . C’est une guerre qui a « dérac iné » beaucoup de monde, je me suis sent ie perdue dans mon propre pays, dans mon cerc le d ’amis, dans ma fami l le e t jusqu’à l ’ in té r ieur de moi-même. 2

    1 Odile Quirot, « Biljana contre Ubu », Le Nouvel Observateur, 21 mars 2002. 2 Jacques Papi , « Le bonheur de Biljana Srbljanovic », Nice-matin, 2006.

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    Quelques repères La Ser bie de Mi lošev ić 1987 Mi lošev ić (1941 -2006 ), chef du par t i commu niste serb e, sou t ient l es

    revendicat io ns nat ional is tes des Serbes d ’Al banie pour asseoi r s on pouvoi r .

    1989 Mi lošev ić dev ient pr és ident de la Se rbie. I l abol i t l ’auto nomie d es prov inces du K osovo e t de l a Vovoïd ine . I l v eut ré uni f ie r la « Gran de Serbie » ( t ous les Serb e s réunis en un seul ter r i t o i re) .

    1990 Mi lošev ić est réélu à la prés idence serbe . I l fon de son propre mouveme nt pol i t ique, le P art i Soc ia l i s te Se rbe.

    1991 Déclara t ion d ’ in dépend ance de la Cr oat ie , de l a Slovénie, de la Macédoine, référ endum des Alban ais du Kosovo en fav eur de l ’a utonomie .

    Mai 1991 Premiers inc id ents sa nglants entr e Serb es et Croat es. Les Ser bes s ’emparent de la v i l le croate de Vukova r. I ls sont major i ta i r es au sein de l ’armée féd érale . Les Croa tes et l es Sl ovènes proc l ame nt le ur « désassociat ion » de la Fédéra t ion you goslave.

    1992 Début d u conf l i t yo u goslave. Le lon g s iè ge de Sa rajevo ( Bos nie-Herzégovi ne) p ar l ’a rmé e de Mi lošev ić d ébute.

    Fév. 1993 Le consei l de sécur i t é d éc ide la créat ion d ’un T r ibunal pénal i n tern at ion al pour l ’ex -Youg oslav ie ( T PIY ).

    Ju i l . 1995 Srebr enica (Bosnie ) . L ’ armée se rbe mass ac re p lus ieurs mi l l ie rs d ’homm es et de ga rçons de confes s ion musulmane.

    1995 Interven t ion des gouve r nements occ iden taux. L ’ ONU e nvoie un e « f orce de réact ion rapide » e t l ’O TAN engage des f rapp e s aér i enn es sur la S erb ie. La défa i t e est rapide .

    Nov. 19 95 Accords de Dayt on (Ohi o, Eta ts- Unis) sous l ’ég i de du pr és ident amér ica in. Mi lošev ić est l ’un iq ue in ter locute ur du côté se rb e pour négocier un acco rd de paix qui se conclut par un f ragi le pa r tag e entre Se rbes d ’un côté et Croat o-Musulmans de l ’ autre.

    Mars 1998 Mi lošev ić f rappe le Kos ovo. Le mouvement in d épendant is t e U CK ( Arm ée de L ibéra t ion d u Kosov o ) se consol id e.

    1999 Massacre de Racak (v i l lage du Kosovo ). N ég ociat ions de R amboui l l e t . Leur échec entraî ne l ’ in tervent i on de l ’OTAN ( mars) . Le Kosovo est mis sous protec torat de l ’O N U.

    2000 Elect ions prés id ent ie l le s. Raz-de-m arée en fa v eur de l ’opposi t ion , mais annulat ion d u scrut in . Mani festat io n popula i re mass ive et insur rect io n à Belgrad e. F inalemen t , r econnaissance de la v ic to i re de Voj is lav Koš tun i ca, professeu r de d ro i t nat io nal is te et ant icommunis t e. Mi lošev ić est év incé.

    2001 Ce der nier se rend aux autor i tés de son pays a près 24 heu res de s ièg e de sa rés idence. I l est incu lpé par le Tr ib unal de L a Haye pour c r imes cont re l ’humani té depuis mai 1999, son s tatut de prés ident le protége ant auparavan t de toute po ursui te. Son procès du r e quatre ans, jusq u’à s a mort en 2006.

    2008 Bor is Tadić du Par t i dé mocrat ique est réélu à l a prés idence de la Serb ie. I l s ’engage vers un e ouv erture à l ’ Union e uropé e nne.

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    DRAGO Q u i v a d i r e à c e t t e f e m m e / q u e s e s f i l s s o n t m o r t s . / A l a g u e r r e , d a n s l e q u a r t i e r v o i s i n . /D a n s l a r u e a u - d e s s u s . / l à , j u s t e à c ô t é d u m a r c h é . /T o u s l e s q u a t r e s o n t m o r t s l e m ê m e j o u r . /E t a l o r s ? /P o u r q u o i e l l e l e s a l a i s s é s p a r t i r s e b a t t r e ? /U n h o m m e m ’ a r a c o n t é q u e q u a n d u n é c l a t d ’ o b u s /p e r d u /a f r a p p é s a c h i e n n e , / e l l e l ’ a r e g a r d é , / d r o i t d a n s l e s y e u x /p u i s e l l e a r e m u é d e u x f o i s l a q u e u e , / c o m m e p o u r d i r e , / O n s e r e v e r r a , t u s a i s . /C a r t o i a u s s i / l a m ê m e c h o s e t ’ a t t e n d .

    Barbe lo , s c è n e X V I I

    Esquisse d’un engagement Même s i Srb l janovic n ’ évoque pas expl ic i teme nt dans ses p ièces l ’h is to i re de son pays, ce l le-c i ap paraî t e n arr iè re- fo nd, e l le en c onst i tue le co ntexte. Et l ’auteure s ’ est souvent expr imé e publ i quement sur d es quest i ons imp ortan tes l iées à l ’engagement des in te l lectuels , que c e soi t sur leur respons abi l i té face aux événem ents, sur leur analyse de la s i tuat ion , sur les perspect ives de ch angement, et sur tout , comme dramatur ge, e n met ta nt en scène la guer re vécu e par les ind iv idus. Cependa nt , son e ngage ment a évolué au f i l du temps, passant d ’un c ombat c i toy en act i f , e l le qui se d i t « ê t re en d ésaccord av ec l e monde » 3, à un ton p l us conci l iant , p lus modéré. Son chemi nement la pousse même, en 2008, à se lancer dans la lu t te é lectora le e n vue d ’acc éder à la mair ie de B e lgrade. El le vo i t déso r mais dans le combat pol i t ique l ’un iqu e moyen de fa i re entrer son pays dans l ’Europe et de l ’ouvr i r à p lus de t ranspa renc e. En ce sens, l ’eng a gement de S rbl janovic ref lè te la v ie pol i t ique se rbe, hér i t iè re d ’un régime tyra nni que et s ’ acheminant v ers p lus d e démocrat ie . Pa rcours da ns les pr ises de pos i t i on de l ’aute ure. 1999 Faut-i l fuir son pays ? Un théât re a l lemand propose en 1999 à S rbl janovic une rés iden ce d ’auteure. Pourta nt , e l le ne qui t te r a pas son pays af in de lu t ter avec ses compatr i o tes contre le régime de Mi loš ev ić . El l e v i t chaque j our les bo mba rdements , en hab i ta nt au cent re de Belgrad e. El le l iv re a lors des chroniques à La Repubbl ica , p renan t des r isques év idents , qui lu i fon t su bi r des menaces du go uvern ement : « Ec r i re c omme vous le fa i tes n ’est pas t rès in te l l igent » lu i sou f f le A rk an, un bras d ro i t de Mi lošev ić . I l l ’ass imi le également à d eux autres « t raî t res » d e la nat ion, assass inés peu de temps après. Journal de Be lg rade , ext ra i t

    S I J E P A R S M A I N T E N A N T , q u ’ e s t - c e q u e j e g a g n e ? L a s é c u r i t é , c ’ e s t s û r . G é n é r e u s e m e n t , m e s

    a m i s a l l e m a n d s m ’ o f f r e n t t o u t : l a v i e d a n s u n e t r è s b e l l e v i l l e , l e t r a v a i l q u e j ’ a i m e , l e

    c o n f o r t e t l a p a i x . J e d i v i s e : s i j e p a r s m a i n t e n a n t , q u ’ e s t - c e q u e j e p e r d s ? L a p e u r p o u r m a

    p r o p r e v i e , l ’ a n x i é t é e x i s t e n t i e l l e , l a p e u r d ’ u n f u t u r i n c e r t a i n . L e s c h o s e s d e l a v i e

    a u x q u e l l e s j e r e n o n c e f a c i l e m e n t . E t p u i s , s o u d a i n , j e m e l è v e . J e r e n o n c e a u x

    m a t h é m a t i q u e s , j e r e g a r d e a u t o u r d e m o i , j e r e g a r d e p a r l a f e n ê t r e , j e m e l a v e , j e p r e n d s u n

    s o m n i f è r e e t , t r a n q u i l l e , j e v a i s m e c o u c h e r . N o i r . L e m a t i n m ’ a t r o u v é e à B e l g r a d e , l e c a r e t

    l e s a v i o n s p a r t i s s a n s m o i . D e p u i s q u e l a g u e r r e a c o m m e n c é , j e n e m e s u i s j a m a i s s e n t i e

    3 Biljana Srbljanovic, « Je suis en profond désaccord avec le monde et j’ai besoin de le dire dans mes pièces », entretien avec Chantal Boiron, Ubu Scènes d’Europe, n° 42, mai 2008.

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    a u s s i b i e n . A u m i l i e u d e m e s a f f a i r e s , p e n d a n t q u e j e p r e n d s m o n c a f é d u m a t i n , j e r é f l é c h i s

    : c o m m e n t s e r a i t m a v i e s i j ’ é t a i s p a r t i e ? ( … ) C o m m e n t p o u r r a i s - j e m e r e g a r d e r d a n s l e

    m i r o i r e n s a c h a n t q u e j ’ a i t o u t a b a n d o n n é , m e s a m i s , m a v i l l e , m o n i d é e d e l a c r é a t i o n d ’ u n

    m e i l l e u r p a y s , m a l a n g u e , p o u r n e s a u v e r , a u m o m e n t d e l a p l u s g r a n d e c r i s e , q u e m o n

    e x i s t e n c e p h y s i q u e ? E t l e s g e n s q u i n ’ o n t p a s o ù p a r t i r ? E t c e u x q u i o n t i n t e r d i c t i o n d e

    f r a n c h i r l a f r o n t i è r e ? Q u e f a i r e a l o r s a v e c m o i - m ê m e ?

    Y’a-t-i l une raison de se sentir responsable ? Dans ses pr ises de pos i t ion, Srb l jan ovic n ’épa rg ne person ne, à commen cer par e l le : « Mes écr i ts ont- i ls suf f i ? Ai - je par lé suf f isamment for t ? Aurais- je pu et dû fa i re

    encore p lus et mieux ? » 4 El le point e du doigt l a responsabi l i t é de cha cun s ur les événements, même s i e l le est consc iente de la la t i t ude rest re inte confé r ée au peuple sous un régim e dic tat o r ia l . El le vo i t d ans la contestat ion de ses co mpatr io tes les seules persp ect ives d e changements, par le p e uple e t pour le peuple. El le ap pel le à l ’ac t ion, t out en se mont rant scep t ique. N O U S N O U S P R É S E N T O N S T O U J O U R S c o m m e l e s v i c t i m e s d ’ u n r é g i m e b r u t a l , a l o r s q u e

    p e r s o n n e d ’ e n t r e n o u s , d a n s s o n p r o p r e d o m a i n e , n ’ a f a i t q u o i q u e c e s o i t p o u r a p p o r t e r d e s

    c h a n g e m e n t s . L o r s q u e l a c i r c u l a t i o n s a n g u i n e d e c e p a y s s e r a b l o q u é e p a r l e s p r o t e s t a t i o n s ,

    l ’ U n i v e r s i t é b l o q u é e p a r l e b o y c o t t d e s é t u d i a n t s e t d e s p r o f e s s e u r s , l o r s q u e l e s j o u r n a u x n e

    p a r a î t r o n t p l u s e t q u e c h a c u n d ’ e n t r e n o u s b o y c o t t e r a l e u r t r a v a i l , l o r s q u e n o u s a u r o n s d e

    c e t t e m a n i è r e p a r a l y s é t o u t c e p a y s , a l o r s n o u s p o u r r o n s m é r i t e r d e s c h a n g e m e n t s . L o r s q u e

    l e s c h a n g e m e n t s a u r o n t c o m m e n c é , i l s i m p l i q u e r o n t a u s s i q u e n o u s n o u s c o n f r o n t i o n s à

    n o u s - m ê m e s , a v e c l e s q u e s t i o n s q u e n o u s n o u s p o s e r o n s : o ù é t i o n s - n o u s , q u ’ a v o n s - n o u s

    f a i t ? C ’ e s t d e c e l a q u e b e a u c o u p o n t p e u r . C a r M i l o š e v i ć n ’ e s t p a s s e u l e m e n t u n t y r a n ,

    c ’ e s t a u s s i u n c h e f é l u . N o u s n e p o u v o n s p e u t - ê t r e p a s p a r l e r d e c u l p a b i l i t é c o l l e c t i v e , m a i s

    n o u s n o u s d e v o n s d e p a r l e r d e c u l p a b i l i t é g é n é r a l e . 5

    4 Citée par Miloš Lazin, « A quoi tient le succès de Biljana Srbljanovic ? », Revue des études slaves, t. LXXVII, fasc. 1-2, Institut d’études slaves, 2006. 5 Biljana Srbljanovic, revue Vreme,1999.

  • 11

    2006 Faut-i l censurer les amis de Milošević ? En mars 2006, l ’ écr iva in a l lemand Peter Ha ndke , qui af f iche des pos i t io ns proserb es, ass is te à l ’ent errem ent de Mi lošev ić . P eu ap rès, le d i rect eur de la Comé die- f ra nçaise, Marcel Bozonnet , annul e les représentat io ns de sa p ièces Voyage au pays sonore ou l ’ar t de la quest ion pa r respect pour les v ic t ime s des combats. Cet te d éc is ion ouvre un large dé bat sur la c ensure dans le monde ar t is t i que . Ol iv ier Py, El f r iede Jel in ek, Emir K ustur ica , Sr b l ja novic réponde nt à H andke. C et te d ern iè re at taque sa ns équivoque. E N T O U T C A S , M . H a n d k e a a u m o i n s e u b e a u c o u p d e c h a n c e , c a r s i c e q u i l u i a r r i v e e s t d e l a

    c e n s u r e , i l a a u m o i n s é v i t é l a c e n s u r e à l a S l o b o d a n M i l o š e v i ć . J e v e u x d i r e : à c h a q u e f o i s

    q u e s o n ( à p r é s e n t d é f u n t ) a m i d é c i d a i t d e c e n s u r e r q u e l q u ' u n , i l l e f a i s a i t p l u s e f f i c a c e m e n t

    e t a v e c m o i n s d e b r u i t : u n e b a l l e d a n s l a n u q u e , e n g é n é r a l s u r l e p a s d e l a p o r t e , o u

    d e v a n t u n e f o s s e c r e u s é e à l ' a v a n c e , t o u t a u f o n d d e l a f o r ê t , f o s s e d a n s l a q u e l l e t o m b a i t l e

    c e n s u r é . A p r è s l a c e n s u r e , d u c o u p p l u s p e r s o n n e n e l e r e t r o u v a i t .

    Le peuple serbe est-i l associé à son gouvernement ? Dans le même ar t ic le , l ’ auteure pou rsui t en de mandant que l ’o n cesse d ’associer le peuple serbe à la pol i t iq ue de l ’anc ien d ic tateur : ê t re ami de la Serbie n e s igni f ie pas souteni r Mi lošev ić , mais b ien reconna î t re l a for ce de rés is tance e t de r econstruct io n du peuple serbe. J E P O U R R A I S C O N T I N U E R c o m m e ç a e n c o r e l o n g t e m p s , e t p u i s r é a l i s e r q u e c ' e s t f u t i l e . C a r

    l ' e s s e n t i e l , d a n s c e t t e h i s t o i r e , v r a i m e n t i m p o r t a n t e , c ' e s t q u e l e p o u v o i r p u b l i c e t l ' o p i n i o n

    p u b l i q u e a r r ê t e n t d ' u t i l i s e r l e t e r m e « p r o s e r b e » q u a n d i l s p e n s e n t a u x p a r t i s a n s d e

    S l o b o d a n M i l o š e v i ć , d e s c r i m i n e l s d e g u e r r e , d e s p r i s o n n i e r s d e L a H a y e , d e s m e u r t r i e r s et

    d e s v i o l e u r s . J e n e s a i s p a s s i v o u s v o u s s o u v e n e z , m a i s S l o b o d a n M i l o š e v i ć , a v a n t d e

    m o u r i r , a v a i t é t é r e n v e r s é p a r l e s S e r b e s , p a r l a f o r c e e t l a v o l o n t é d e s o n p r o p r e p e u p l e

    ( … ) . E t r e a m i d e S l o b o d a n M i l o š e v i ć n ' e s t p a s ê t r e a m i d e l a S e r b i e . J e v e u x j u s t e q u ' à m o i ,

    q u ' à n o u s t o u s , s o i t r e n d u l e d r o i t à n o t r e n o m .

    2007 Quel engagement pour quel théâtre ? Les pr ises de pos i t ion de Srbl janovic son t t r aversées par la dén on ciat ion de la corrupt io n pol i t ique, d u défer l ement de la v io lence, du refus de la pol i t iq ue nat ional is te . Mais sa pa rt icu lar i t é est de ne jam ai s perdr e de vu e le p oi nt de vue des habi tants , la sou f f ra nce subie par les c iv i ls , dont e l le a déc idé de fa i re p ar t ie jus qu’au bout : « C’est l ’é terne l le quest ion. Ma fami l le v i t là depuis toujours. J ’avais cet te v is ion naïve des choses : s i j ’a ide mon pays, tout pourra changer. » 6 Son théâ tre est l e ref l e t de cet te p réoccupa t ion. I l n ’est jamais pa r t isan. I l se présente p lutôt comme la radi ographi e d ’un e soc iété dét ru i te . : « Mon théât re est pol i t ique parce qu’ i l décr i t le dest in de gens peu importants , à l ’écar t du courant

    pr inc ipal . Je veux t rouver une p lace dans la l i t térature pour leurs pet i tes h is to i res, à

    tous. » 7

    6 Françoise Delbecq, « Biljana Srbljanovic met la Yougoslavie en pièce », référence 7 Julien Lambert, « Entretien : Biljana Srbljanovic », Scènes magazines, 1er juillet 2007.

  • 12

    Srbl janovic fa i t un const at d ’échec v is -à-v is de l a lu t te pol i t ique act ive q u’e l le menai t sous le régime de Mi l o šev ić . Au f i l du temps, e l le met en év ide nce l ’ i mportance de l ’express ion ar t is t ique c omme témoignage de s on tem ps, c ’est -à -d i re p ar la v io lence subie au quo t id ien. So n théât re res te enga gé , mais dans le sens d ’ une pr ise de paro le luc ide e t percut a nte, su jet t e à ébranl er les spectateurs e t à su sc i ter en eux des in ter rogat i ons, des r emises en ques t ion. A U J O U R D ’ H U I o n n e p e u t p l u s r i e n c h a n g e r a v e c d e g r a n d s m o u v e m e n t s . Q u a n d j e v o i s u n e

    m a n i f e s t a t i o n , m ê m e p o u r u n e c a u s e j u s t e q u e l l e q u ’ e l l e s o i t , ç a m e f a i t d r e s s e r l e s c h e v e u x

    s u r l a t ê t e . J ’ a i t e l l e m e n t m a n i f e s t é d a n s m a v i e e t ç a n ’ a r i e n c h a n g é . P a s l a m o i n d r e p e t i t e

    c h o s e . J e c r o i s q u e j ’ a i d û f a i r e e n v i r o n m i l l e m a n i f e s t a t i o n s , v i o l e n t e s , p a s v i o l e n t e s , a v e c

    d e s b o u g i e s , a v e c d e s g a z l a c r y m o g è n e s , e t ç a n ’ a r i e n c h a n g é . J ’ a i v o t é m i l l e f o i s e t c e l a

    n ’ a r i e n c h a n g é a u f o n d d e l a s o c i é t é . A v e c l e t h é â t r e , i l p e u t a r r i v e r q u e d e s g e n s c h a n g e n t

    p e r s o n n e l l e m e n t . I l s v o i e n t q u e l q u e c h o s e , i l s v i v e n t q u e l q u e c h o s e a u t h é â t r e . D e s g e n s

    v i v a n t s l e u r d i s e n t q u e l q u e c h o s e . C e l a l e s t o u c h e . C e l a l e s f a i t p e n s e r . C e l a c o n t r i b u e à u n e é v o l u t i o n . 8

    Pourquoi entrer dans la lutte poli tique ? Pourta nt , Srb l j anovic dé c ide en 20 08 de f igur er sur la l is t e é lecto ra le du part i l ibéra l -radical d e Cedomir Jova novic , pr oche col la borat eur de Zo ran Dj indic , pr emier min is t re serbe assass iné en 2 00 3. El le dés i re agi r de l ’ i n tér ieu r pou r la mise e n p lace d ’u ne réel le dém ocrat ie dans son pays. El le lu t te aus s i c ontre toute fo rme de nat ional isme en défend ant u ne pos i t i on proeu ropée nne. J E V E U X F A I R E e n t r e r B e l g r a d e d a n s l ’ E u r o p e , m a i s o n p a r m a i s o n , v i l l e p a r v i l l e , q u a r t i e r p a r

    q u a r t i e r . ( … ) L e m o n d e n o u s c o n n a î t s u r t o u t g r â c e à n o s h o m m e s p o l i t i q u e s c o r r o m p u s e t

    d a n g e r e u x , a c c r o c h é s à l e u r s i n t é r ê t s p e r s o n n e l s e t i n c a p a b l e s d e s e m e t t r e a u s e r v i c e d e s

    c i t o y e n s . P o u r t a n t , l a S e r b i e e s t u n b e a u p a y s , a v e c u n i m m e n s e p o t e n t i e l h u m a i n . J e s u i s

    c e r t a i n e q u ’ e l l e e s t c a p a b l e d e r e m p l a c e r l ’ é c h e c d e l a r é v o l u t i o n p o s t m i l o s e v i c i e n n e e n u n e

    é v o l u t i o n p e r m a n e n t e . 9

    A travailler en classe A part i r des déc l arat i ons de Bi l jana Sr bl jan ovic , i l es t poss ib le d ’aborder des thémat iques à déba t t re ou à pr oposer s ous fo rm e de d isser tat ion ou d ’ex posés. Contexte Retrac er l ’h is to i re de l ’e x-Yougoslav i e dès la f in de la P remièr e Guer re m ondia le. Retrac er l ’h is to i re du T P IY. Qu’en est- i l de la Ser bie actuel le ?

    8 Biljana Srbljanovic, « Je suis en profond désaccord… », op. cit. 9 « Biljana Srbljanovic, une nouvelle entrée en scène », www.orlovi.com, mai 2008.

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    La censure Quels types de censu r e se sont mani festés au cours de l ’h is to i r e et sous quels régimes ? Commen t se sont expr im és les ar t is t es en Europ e de l ’Est s ous le régime communiste et après l a chute du mu r ? Peut-o n ne pas d i f f user un ar t is t e pou r ses p r ise s de pos i t ion ? �Voir le doss ier com plet des pr ises de po s i t ion sur le « cas Ha ndke », sous ww w.aidh .org / l ib-esp res s �Voir l es procès d ’ar t is t es célèbres, comme Fla ubert o u Ba udela i r e. � Voi r le dest in d ’ in t e l lectuels censurés so us le ré gime sov iét ique (Pastern ak, Sol jeni tsyne ) L’engagement art is t ique Comment se pe rçoi t l e d iscours de S rbl janovic sur s on pays dans Barbelo, à propos de chiens et d ’enfants ? Dans quel cont exte évo luent les person nages ? Com ment se t issent la p et i te et la gra nde h is to i re ? En quoi l ’eng agement de Srbl ja novic a évolu é, en fonct io n du cont exte et de ses propres expér ienc es ? P our quel l e Se rbie Srb l ja novi c se bat -e l le au jourd ’hui ? Un écr iv a in enga gé écr i t - i l nécessai r ement u ne « l i t téra ture à thès e » ? Les in te l lectuels on t- i ls une part de resp onsa bi l i té dans les événem ents de leur pays ? L’exi l Thème impo rtan t dans la l i t téra ture : po urqu oi par t i r , pour quoi res ter ? Raiso ns pol i t iques, économiques , de t ra jecto i re ind iv id ue l l e , etc . Comparais on avec d ’aut res auteurs : dans quel contexte chaque au teu r a qui t té son pays ou, au co ntra i re, a déc idé d ’y deme urer ? Comm ent ont - i ls vécu l ’ ex i l po l i t iq ue ? Comment se fa i t le l ien entre le pays de départ et le pays d ’accuei l ? Compare r des auteurs o r ig inai res de contextes d i f fére nts . →→→→ Voir la bibl iographie en f in de dossier

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    ÉCRIRE POUR RÉINVENTER LE RÉEL

    La Nouvelle écriture théâtrale Dans le coura nt d es ann ées 1990, une jeune gé nérat i on d ’aut eurs dram at iques (entr e autres Sarah Kan e, Dan ie l Keene , Dea Lo her) é merge, q ue le me t teu r e n scène Mi loš Laz in dés igne sous le terme de la Nouvel le écr i ture théât ra le . Laz in voi t dans ce théâtre le r etour à un e pr ise de paro le su r le monde qui rompt avec une l i t téra ture p lus formal is te ou « es t hét isante ». C e nouveau théâtre dépasse les f ro nt ières : i l es t moins le ref le t d ’un l ieu que celu i d ’un temps, l e temps la f in des g rande s idéologies, après la chute d u régi me sov iét ique, et de l ’ i mposi t ion du modèle né ol ibéra l : « Le l ibéra l isme économiqu e, la mondia l isat ion , la g loba l isat ion, mais auss i l ’a l termondi a l isme ( …) o nt été i ncarnés et p roblé mat isés sur scèn e. » 10 Les auteu rs pa r lent d ’un monde en cr ise, mais i l s n ’adopten t pas une éc r i ture réal is t e pour au tant . I ls p réfè re nt s ’empar er d u ré el p our l e d is tord re e t le r é inventer . I ls s ’é lo ignent de toute vol onté d ’ i l l us ion, af in de ne pas t rompe r le spect ateur, mais a u contra i re de le p lace r face à ses propres in ter rogat ions . Leur cr i t iqu e du monde ne passe donc pas à t rave rs des conte nus pol i t iq u es, m ais s ’expr ime dan s l ’écr i ture , à t ravers la mise en doute d ’une réal i té que l ’on nous fa i t ten i r pour uniqu e. Ains i , les auteurs de la « Nouvel le écr i ture théâtra le ex p osent les specta teurs à des scènes fantasmago r iques, “pa r ce qu’ i ls veulent rée xaminer les not ions communément admises de la normal i t é , d ’humani té , de n atur e e t de ré el ” . » 11 Pour Mi l oš Laz in, comm entateu r at t ent i f de Srbl j anovic , l ’aut eure serbe est une f igure de proue de cet te gé nérat ion : e l le s ’y inscr i t par sa verve, sa lu c id i té et son t ra i temen t des événements h is tor iques en dénon çant , au-delà des cr ises de son pays, les maux de notre temp s : « Bi l ja na dévoi le les mécanismes de fonct ionnement d ’une époque de perte de repères . Car , la Se rbie e t les Balkans ne son t pas dans s es p ièces des t ro us noi rs géographi ques et h is tor iques (… ). La t ragé die de sa patr ie ( laquel le ? La Yougosla v ie ?. . . L a Se rbie-Mo nt énégro ? . . . la Se rbie ?. . . ) , e l l e la v i t comme un événement d ans un monde uniqu e et g lobal is é. » 12 Le publ ic o cc identa l s ’y est rapidem ent r econnu , le publ ic se rbe un pe u moins : la p la ie é ta i t t rop v ive, le s ty le t rop p ercutan t , co mme en témoigne l ’ éch ec de sa t ro is ièm e piè ce, La Chute , représen tée quelques jo urs après la dest i tu t ion de Mi lošev ić , où l ’auteur e r id icu l ise le pouvoi r d ic tat or ia l . « L ’h is to i re de la l i t t ératu re d ramat ique en la ngue ser bo-croat e est ce l le d ’une course pour essayer d e ra t t rap er l ’ Occ i dent . ( …) Bi l jana e st le p remier auteur dramat i que écr iv ant en se rbo-c roate qui non seulemen t a co nn u un succès in ternat i onal , mais qu i a été perçu comme un acteur des cha ngement s qui se sont produi ts dans le théât r e européen. » 13 Barbelo… est un magni f ique e xemple de ce nouveau th éâtre .

    10 Miloš Lazin, « A quoi tient le succès de Biljana Srbljanovic ? », op. cit. 11 Idem., citant Aleks Sierz. 12 Idem. 13 Idem.

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    Déjouer le sens du monde Pièce au t i t r e énigmat ique, Barbelo, à propos de chiens et d ’enfants joue de s i tuat ions imp rév is ib les et d ’at te ntes t rompées. Dans une Se rbie en rec omposi t ion se t rament de no uvel les h i s to i res de fami l le , mar q uées par une réal i t é cru el le mais no n désespérée. Les l i ens af fect i fs , sources de ré générescence , ouvr ent la vo ie à une poss ib le réconci l ia t io n. Zoran, jeun e enfant de 8 ans, essaie de grandi r chez son père démiss ionnai re , Marko , dange reux che f pol i t i que d ’u n obscur par t i . L ’enfan t est marqué par le su ic ide d e sa mère, Mi l ica, qui v ient par fo is ren dre v is i t e aux v ivants . Zoran comble s on man que d ’af fec t ion pa r une boul imi e hors d u com mun. Mi lena, nouvel le amie de Ma rko, s ’at tach e a lo rs rapi d ement à cel u i qui rem place l ’enfa nt qu’e l le ne peut pas av oi r . El le renoue ég ale ment av ec sa mère, Mi la , rebât issan t a ins i , f ra gi lement , une nouvel le f i l ia t ion. Alo rs que les p récéden te s p ièces de Srbl janovic s ’at ta quaie nt f ro nta lemen t à l a c r ise de l a soc iété ser be, Barbelo… propose une t ra nsposi t i on p lus grande de la réa l i té . L ’auteu re ne par le p lus de guerre n i d ’ex i l , ma is des d ébr i s du conf l i t , da ns un m o nd e en abandon , et des conséquences morales pa rmi la p opulat ion. La re lat ive s impl ic i té d e la fable es t déjou ée pa r un jeu com plexe d ’enc hevêtremen ts, de confus ions i dent i ta i res, de rô les inve rsés et de s i tu at ions renv ersantes. Ic i , l ’« ordr e du monde » e st chamboulé : l ’an imal se fond dans l ’humain , la v ie i l lesse dans la jeunesse, l ’ inan imé dans l ’an imé ; un f i ls vaut un père qui vaut un chien qui vaut un mur, un v ivant vaut un mort , une f i l le va ut une mère qui vaut un e grand-mè re. Rien ne ressemble p lus à r ien parc e que to ut a perdu fo rme humaine . C ’est un monde en t rans i t ion e t qui n e d emande qu’à rena î t re . Barbelo , à propos de chiens et d ’enfants est un e œuvre vaste, qui abor de tout autant une d imension m étaphy s ique et univ ersel le que la ré al i t é h is to r ique, le tout dans une langue d i recte et p oét i que, aux scènes ry thm ées et synco pées. El le emplo ie une var iété fo iso nnante d e jeu et d ’écr i tu re : l e comique côto ie le d ra mat ique et le fantast iqu e t r ansperce l e réel . Que signifie Barbelo ? Barbelo es t un concept r e l ig ieux qui renvoie à l ’ i dée de matr ice or i g inel l e . Srb l jan ovic nous en donne la s ig ni f icat ion : « Barbel o est une not i on qui , da ns l ’ h is to i re de la Chrét i enté, fa i t ré féren ce à la premi ère éma nat ion d e Dieu, sa p ro to-or ig i ne, La Cause premiè re, le pr i nc ipe or ig inel , une sor t e d ’espace métaphys iq ue qui est la source de tou t , même la nôtre. Pour mo i , Ba rbelo es t la mat r ice d ’ une mère, un endroi t pro tégé et cha ud, hors du temps et précédent le début de tout (…). Sa d imension r e l ig ieuse n ’e st pas esse nt ie l le du to ut , au cont ra i re . B arbel o est l ’ endro i t d ’où nous venons et où beaucoup voudr aient r etourne r se cacher, et chacun devr a i t pouvoi r déc i der ce que c ’est . » Pourquoi le retour aux origines ? « Barb elo » est l e t i t re d ’une scè ne cha rnièr e de l a p ièce, met t ant en scène un vagabond qui erre dans un c imet ière avec son chien. Ce compagnon d ’ in for tun e est pour lu i une f ig ure mat ernel le . Présen t à ce seul m oment de la p ièce , le c lochard s ’adresse au p ubl ic pa r un monologue qui abo rd e des quest io ns fondam entales. I l est le côté p i le du mond e. I l mène une « v ie de chi en », mais reg arde , te l le fou du ro i ,

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    l ’ag i ta t ion d es hommes avec la sagesse de celu i qui s ’en écart e : seul compte l ’endro i t ret ranché d e l a matr ice or ig inel l e , da ns le creux de sa mè re, un monde de chaleur et de p le i ns, a l ors que tout r ef lè te au t our l ’err ance, la ru in e e t le v ide. I l est l ’ impensé de la réal i té décr i te pa r l ’au teure : l e sent iment de p rotect i on auquel s es personnages aspi ren t , t out en v ivan t dans les d écom bres d ’un pays dév asté.

    LE VAGABOND O n e s t t r a n q u i l l e i c i , m a m a m a n e t m o i . P e r s o n n e n e n o u s r e g a r d e , p e r s o n n e n e n o u s p l a i n t . / N o u s n e s o m m e s p a s à p l a i n d r e ! N o u s s o m m e s s e m b l a b l e s à v o u s . / C ’ e s t

    j u s t e q u e l a v i e n o u s a é c h a p p é , q u e l q u e p a r t . / ( … ) L ’ é t é , q u a n d i l f a i t b o n , o n d o r t s o u s l e s

    é t o i l e s . O n c o n t e m p l e l e c i e l , c o m m e l a V i e r g e . / E l l e n o u s e n v e l o p p e d e s o n m a n t e a u b l e u ,

    e l l e n o u s r e g a r d e d e s e s y e u x b r i l l a n t s , e l l e n o u s d i t – n ’ a y e z p a s p e u r , l e s e n f a n t s , n ’ a y e z

    p a s p e u r ! / A l o r s j e p o s e m a t ê t e s u r l e v e n t r e d e m a m a n , j e m ’ e n f o n c e d a n s s o n a b d o m e n , j e

    m ’ e n f o u i s d a n s s a p e a u f l é t r i e e n t r e s e s m a m e l l e s a s s é c h é e s . / J e m ’ e n f o u i s d a n s l a c h a l e u r

    e t j e m ’ e n d o r s p a i s i b l e m e n t . / E t c ’ e s t l à q u e j e s u i s l e m i e u x .

    Barbe lo , s c è n e V I I I

    Quelle famille dans quelle époque ? La p ièce soul ève la q ue st ion des l ie ns f i l iaux : l ’ abandon e t l ’absenc e ; l ’amour et les at taches recomposées . Les enfants ont besoin de leurs parents et leur lancent des appels , en quêt e des re pères que le pays ne le ur donne p lus. Les pa re nts eux-mêmes ne savent pas où cherc her pou r leu r répond re. Les l iens af fect i fs son t emprein ts de v io lence et de ten dress e. Les de ux pro tagonis t es, M i lena, la femme t r entenai re , qui fa i t le vœu de deveni r m ère mais n ’accouche qu e d ’une bague, et son b eau-f i ls Zor an, abandonné par sa mè re et incompr is par son p ère, f i n isse nt pa r se re n contrer . Alo rs que chacun re je t te l ’en f ant , Mi lena r econnaî t p rogress ivemen t ses b le ssures, to lè re sa boul imie et l ’ap pel le par le nom qu’ i l reven diqu e, ce lu i de s on pèr e, comme pour s ’assurer d ’une f i l ia t ion . Ames « pures », les deux personnages f rap pent par leur f ranchise dans un mond e de pol ic iers corrom pu s, de f l ics fouineurs, d e chiens errants et de pare nts démiss ion nai res. I ls re jet te nt f ina l ement Marko, l e père d e Zoran, e n lu i demandant de s ’é lo ig ner pour qu’ i ls puiss ent t rouver la t ran qu i l l i té de leur at tachement :

    M I LENA N e t ’ i n q u i è t e p a s p o u r n o u s . O n s e d é b r o u i l l e r a . S a n s t o i e t s a n s t a v a l i s e d e l i n g o t s d ’ o r , d e d e n t s e n o r , d ’ â m e s e n o r / p e r d u e s , / m o r t e s , / u s é e s , / t u é e s d ’ u n e

    b a l l e d a n s l a n u q u e , / p o u r q u e l q u e c h o s e d e m e i l l e u r . / Q u e l q u e c h o s e q u e t o i t u n ’ e s

    p a s . / A d i e u M a r k o , n e t ’ e n f a i s p a s p o u r n o u s .

    ZORAN O u i , n e t ’ e n f a i s p a s . / C a r n o u s o n v a b i e n . P a s v r a i , M i l e n a ?

    M I LENA P a s v r a i , p e t i t ? ZORAN N e t ’ e n f a i s p a s p o u r n o u s . E n t o u t c a s , c ’ e s t s û r , n o u s o n e s t m i e u x s a n s

    t o i .

    Barbe lo , s c è n e X V I

    Pourquoi les chiens… et les enfants ? Les chiens et les enfants hantent l ’un ivers de Srbl janovic . I ls sont le symbole de la d is locat ion. Dans un m o nde où les r ègles n ’ex is t ent p lus, l ’o rdre des cho ses bascule : les enfants jouent aux a dul tes et les chiens rempla cent les humains. Ou le contra i re : les hommes se comp ortent comme d es chi ens, i ls so nt ramenés à l ’é t at d e sauvager ie. Barbelo… j oue de ce renversemen t des valeurs et mêle les regis t res en g l issant subt i lement d ’u ne réal i té à une autre , « parabol es décalant le réal isme des s i tuat ions. I ronie e t d i s tance que pr end l ’aut eure avec le système même de la

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    représen tat ion ( …) », é cr i t Anne Bisang dans s es notes de mise en scène. Au même t i t re , l es v ivants côt o ie nt les morts , et les id ent i tés se pe rden t dan s le f lou des prénoms : t ous s ’appel le nt Mi la , Mi lena, Mi l ica, Draga n, D rago. Dans le même temps, les chiens so nt les co mpagnons de sol i tu de. Les enf an ts , q uant à e ux, devra ient , dans le mei l leur des cas, por ter en eux quelq u es messages d ’aveni r : « Dans mes p ièces, i l y a touj ours d es enfants , qui sont la no uvel le forc e d ’un pay s, même s i , en ef fet , c e monde cruel ne les fa i t pas gr andi r m ai s v ie i l l i r t rès v i te » 14

    L’homme peut ê t re b ien p lus terr ib le que n ’ importe quel animal . I l est rare qu’un

    homme soi t auss i loyal qu’un chien. (…) Dans notre pays en p le ine t rans i t ion, je cro is

    que l ’é tat de no tre soc iété se l i t l e mieux en observant la t r is te v ie des chiens

    abandonnés. (…) Ic i , on voi t des chiens avec des mises en p l is se mélanger avec des

    chiens errants , et avec nous, de sales cabots tout ce qu’ i l y a de p lus ord inai res qui

    se moquent b ien d ’un pedigree b idon. Le pays auss i est comme ça, le luxe et la p i re

    pauvreté, tou t est ensemble dans la même rue , dans la même maison, dans le même

    c imet ière. Voi là la ra ison de cet te métaphore, et de mon obsess ion des chiens. 15

    La peti te et la grande histoire Barbelo , à propos de chiens et d ’enfants évoque de façon moins expl ic i te l ’h is to i re de la Serbie contem poraine que les premières p ièc es de Srbl janovic . Dans les premières d idascal ies, l ’auteu re pr éc ise pourtant l ’anc rage d e son h is to i re : « L ’ac t ion se passe aujourd ’hui , dans la Serbie en t rans i t ion. Chez moi , en-bas dans un t rou. Et autour. » Plus ieurs s i tu at ions fo n t référ ence aux d ic ta tur es qu’a connues son p ays, dont les t races sont encore pate ntes chez les d i r igeant s et les représentants de l ’autor i té : homme pol i t ique mani pu lé et crapuleux, pol ic ier retors qui sao ule une fe mme pour lu i sous- t i re r des in format i ons. Mais c ’est un personnage secondai re, l a « femme à chiens », qui racon te l e p lus expl ic i tem ent le pouv oi r d e quelq ues-u ns, re layé par l ’œi l d i f fus de « b i g br other » , et le mut isme des autr es ; pouv oi r également d e l ’argent , dans u n pays m iné par l es maf f i as local es .

    LA FEMME À CH IENS I l f a u t f a i r e a t t e n t i o n . I l f a u t f a i r e t e r r i b l e m e n t a t t e n t i o n . / T o u t l e t e m p s o b s e r v e r , t e n d r e l ’ o r e i l l e , t o u j o u r s t o u t s a v o i r l a p r e m i è r e . / T o u t e t s u r t o u t l e

    14 Julien Lambert, « Entretien : Biljana Srbljanovic », op. cit. 15 Biljana Srbljanovic, extrait du programme de Barbelo… à sa création, Belgrade 2007.

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    m o n d e . / E u x , i l s f o n t c o m m e ç a , c ’ e s t d ’ e u x q u ’ i l f a u t a p p r e n d r e . / I l s r e g a r d e n t t o u t ,

    i l s s u i v e n t t o u t . / I l s s a v e n t t o u t . / D e p u i s t o u j o u r s . / I c i , d a n s c e p a y s , i l s g o u v e r n e n t

    d e p u i s t o u j o u r s . / D e p u i s t o u j o u r s . / I l s s e l i g u e n t , p u i s i l s n o u s t o u r m e n t e n t . / I l s

    p e u v e n t f a i r e t o m b e r l e s t ê t e s . / I l s s e d i s e n t : « M i e u x v a u t q u ’ o n s o i t s u r l e u r d o s ,

    q u ’ e u x s u r l e n ô t r e » . C o m m e v o u s . / V o u s m e c o m p r e n e z ? / P a r m i n o u s , i c i , c ’ e s t e u x

    e n f a i t q u i g o u v e r n e n t . / I l s s a v e n t t o u t s u r t o u t l e m o n d e , i l s m e n a c e n t t o u t l e m o n d e

    o u f o n t d e s o f f r e s a l l é c h a n t e s . / I c i , c h a c u n a s o n p r i x . / I c i p e r s o n n e n e p e n s e à

    l ’ a u t r e . / N i à c e q u i a r r i v e r a a p r è s n o u s . / I c i l e s g e n s v e n d e n t t o u t , i l s n e l a i s s e n t

    r i e n p o u r c e u x q u i a r r i v e n t . / I c i l e s g e n s n e p e n s e n t q u ’ à e u x - m ê m e s e t à s a u v e r l e u r

    t ê t e , / A s e p r o t é g e r d ’ e u x .

    Barbe lo , s c è n e X V

    Mais les événements c i rconstanc ie ls sont p lus un po int de départ qu’ u ne f in en soi . La gra nde His to i re est p lutôt d onnée à voi r à t ra vers le f i l t re des person nages, t outes ces « pet i tes » h is to i res qui son t le témoigna ge co ncret d ’ une é poque, a vec leur force d ’opposi t ion et leu r par t d ’humani té : « L ’expér ience se t radui t chez S rbl janovic par un ret our à l ’ in t im e qu i const i tue dans le th é âtre d ’ aujour d ’hui u ne voie d ’accès renouvelée au pol i t ique. » 16 La pièce se termine-t-elle bien ? La f in de la p ièce est ce l le de la réconci l ia t i o n e t de la renaissance avec, comme image-symbole que lque peu i roniqu e après ta nt de désolat i ons, le t ableau de De Vinc i , Sainte Anne ( le t r io fami l ia l Mi la-Mi l ena- Z oran remp lace Sai nte A nne, la V ierge et l ’enfant Jésus, et u n chiot remplace l ’agn eau) : « Mi la prend Mi lena sur ses genoux. Mi lena prend Zoran sur ses genoux. Zoran prend le pet i t ch iot câ l in . Sur ses

    pet i ts genoux. Ça vous paraî t bête ? Presque grotesque ? La v ie auss i est comme ça. Regardez Léonard de V inc i s i vous ne le croyez pas. » (scèn e XV II I ) . La p ièce se termine donc su r un e no te d ’espoi r , m ême s i c et te der n ière scène s e pa sse, comme à l ’ouvertu re du texte, dans un c imet ière : s igne de renouvel leme nt , de monde recomposé su r les dé br i s . Cette p ièce ne par le pas tant de la mort que de ce qui res te après la mort , de ce qui surv i t à la mor t même, et en cela évoque l ’au-delà. L ’aspect le p lus important de la mise en scène est l ié au thème de l ’amour . Dejan Mi jać, met teur en scène

    16 Claudine Galéa, « A l’heure des chiens dans le théâtre de Biljana Srbljanovic », Ubu Scènes d’Europe, n° 42, mai 2008.

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    Comment traiter le tragique ? Le réal isme des s i tuat io ns est déjoué par une p r ise de d is tance créée par l ’écr i tu re. Les rô les inve rsés, la déformat i on de la réal i té , m ais auss i l ’hum ou r gr inçan t et i ronique met tent à mal les codes de la représe ntat i on et r endent impo ssib le l ’accès d i rect au réel . L e doute remplace les ce r t i tudes , l e v ide remplac e le p le i n et mine de l ’ in tér ieur une réal i t é fuy ante. Le procédé le p lus sp ectacula i re de cet te pr ise de d is tance s e per çoi t dans les d idascal ies confess ionn el les de l ’auteure. C on tra i reme nt à l ’usage, ce l les-c i sont rédigées à la premiè re personne, et pe rmette nt des commentai res q ui empêchent toute t entat ive d ’adhésio n, tout en r e lat iv isan t la par t t ragique du t exte : « U n l o n g s i l e n c e . L o u r d . T r i s t e . Q u i p o u r r a i t ê t r e é m o u v a n t , s i l a p i è c e n ' é t a i t p a s d e m o i . »

    Chez Bi l j ana Srbl janovic , les enfan ts ne p leurent p lus depuis long temps. I ls passent à l ’a t taque et dev iennent des ogres dans des contes fabuleux et redoutab les. Dans son œuvre, les enfants , les chiens sont une parabole décalant le réal isme des s i tuat ions. I ronie et d is tance que prend l 'auteure avec le système même de la représentat ion , un jeu poussé aux extrêmes : le joueur se perd dans un jeu sans f in . Car pour Bi l jana Srbl janovic , i l n 'y a pas de l imi te dans l ' in terprétat ion au théâtre. Dans le même espr i t , la d idascal ie n 'est p lus seulement une indicat ion scénique, mais le « je » de l 'auteure, une paro le mordante , un commentai re, une paro le errante. Parfo is , cet te paro le je t te le doute sur ce qui se passe sur scène. Toute tenta t ion d 'adhérer à une représentat ion du monde est déf in i t ivement con t rar iée. Traduct ion de sa v is ion acérée des pouvoi rs , du pouvoi r pol i t ique en part icu l ier , qui mine le sens du monde, le conduisant à l ' impasse. Anne Bisang

    L'aut eure s ' inv i te donc sur scène jusque dans la de rn ière répl iq u e de Mi lena s 'adressa nt au publ ic :

    M I LENA V o u s c o m p r e n e z , b i e n s û r , q u e m o i d e p u i s t o u t c e t e m p s , c e t e m p s s i l o n g ,

    t e r r i b l e m e n t l o n g , j e p a r l e d e m o i ?

    I l s nous regardent ,

    S i d rô les , su r l es genoux l es uns des au t res ,

    Vous auss i les regardez.

    Je su is la seu le à m 'en a l l e r .

    Je ne sa is v ra iment pas où .

    F in

    Barbe lo , s c è n e f i n a l e

    L ’humour , c ’es t essent i e l pour mo i . C ’es t p lu tô t de l ’ i ron ie , de l ’au to - i ron ie . I l ne fau t jamais

    se p rend re au sér ieux . S inon tu perds la tê te . Même dans l es moments l es p lus g raves de ta

    v ie , i l fau t un peu de cyn isme. (…) C’es t pour ça que j ’a i déc idé , dans l es t ro is , qua t re

    dern iè res p ièces , d ’écr i re de longue d idasca l ies . Pour met t re une poss ib i l i t é de d i s tance. S i

    tu l i s une de mes p ièces sans l es d idasca l ies , Ba rbe lo par exemp le , e l le peut t e pa ra î t re

    t rag ique. C ’es t p réc isément ma vo i x , mes commenta i res qu i von t donner de la d is tance . 17

    17 B i l j a n a S r b l j a n o v i c , « J e s u i s e n p r o f o n d d é s a c c o r d … » , o p . c i t .

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    A travailler en classe Thèmes de la pièce Le vagabond dans la l i t t ératur e contemp oraine , notamment ch ez Becket t . Que s igni f ie v ivre à côté du monde soc ia l ? Que s ig ni f ie l ’errance , que l le métaphore dans la l i t térat ure d u X X e e t X XI e s ièc les ? Barbelo : quel les son t les f igures de l ’origine du monde dans le s d i f féren tes re l ig ions e t mytholo gies (Gaïa chez l es Grecs pa r e xemple) Le monde de l ’après-guerre : à pa rt i r de te xtes évoquant la f in d e la Secon de Guerre mon dia le La materni té : rep résent at ion de l a f i l ia t ion da ns la l i t té ratu re F igure du chien : vo i r les propos de Jean Ro l in sur le symbole du c hien dans la l i t térat ure « Dans des t extes fond a teurs comme la Bib l e, le s ch iens sont présen ts sous la forme de dévorate urs de cad avres. C 'est d 'a i l l eurs l 'un d es g rands mythe s re lat i fs aux chiens erran ts . ( …) J 'a i souvent observé , lors de repor tages mais aus s i au cours de voyages que j 'a i fa i t à t i t re pe rsonnel , des c hiens erra nts dans l es s i tuat ions de guerre , d 'exode, de pas sage à un nouveau régi me pol i t ique , de désorga nisat ion…

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    Dans la l i t tér ature , le ch ien erran t est souvent as socié à ces s i tuat ions de cr ise, de désastre.» 18 Ouverture sur d’autres auteurs Comparaison avec des pièces d’auteurs occidentaux sur le conf l i t Fabr ice Mel quiot , Le d iable en partage Laurent Gaudé, Cendres sur les mains Sarah Kane , Les Anéant is Ol iv ier Py, Requ iem pour Srebrenica Comparaison avec d’autres générations d’auteurs originaires des pays de l ’Est , marqués pa r la Seconde Guerre m ondia le, l ’ex i l ou l e communisme . Mi lan Kund era, notamme nt L’ Ignorance , réc i t sur l ’émigrat ion Heiner Mül ler , auteu r dr amat ique, vo i r not amme nt Germania, mort à Ber l in , La Route des chars , Phi loctète Chris ta Wol f Imre K ertész Auteurs or ig i nai res d es pays de l ’Es t écr iva nt en Suisse : Agota Kr is t of , Le Grand cahier Mar ius D anie l Popescu, La Symphonie du loup , r éc i t autobi ograph ique Bessa Myf t iu (d ’o r ig ine a lbanaise, v i t à Genève ) , Confess ions des l ieux d isparus

    18 T h o m a s F l a m e r i o n , « L e m e i l l e u r a m i d e l ' h o m m e » , e n t r e t i e n a v e c J e a n R o l i n , www.evene . f r ; Jean Rolin a écrit Un chien mort après lui (2009).

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    BARBELO , À PROPOS DE CHIENS ET D’ENFANTS LE SPECTACLE

    Rencontre avec Anne Bisang, metteure en scène Propos recuei l l is par An gel ina Be rfo r in i La rencontre entre Anne Bisang et Bi l jana Srbl janovic étai t inévitable. Leur quête art is t ique fai te d'hyper lucidité e t d'humour corrosi f est un précip ité qui condui t à une transgression salutaire des conventions. Depuis lon gtemps, Ann e Bisang t ravai l le les l ignes de fa i l le , là où l ' h is to i re e t la norme p énètr ent dans l ' in t ime , sans bru i t mai s avec f racas. Méphis to r ien qu 'un acteur de Mat hieu Be r tholet , Tableau d 'une exécut ion de Howa rd Barker , Sain te Jeanne de Georg es B ernard Sha w, Les Larmes amères de Petra von Kant de Fassbinder, Les Corbeaux de He nry Becque … t outes ces p ièces s ais issent des hé ros confrontés au pouvoi r et aux convent ions. Mê me dans Roméo et Ju l ie t te , der r ière l 'amou r fou et le romant i sme, e l le a su ca pter le v er t ige d 'a dolescents au x pr ises avec la mise en scène de leur s propr es v ies, épr is d 'a bs olu, dans une fu i te ép erdue ve rs la mort . Barbelo, à propos de chiens et d 'enfan ts est la dern ière p ièc e de Bi l jana Srbl janovic , auteur e ser be v is ionnai re, ar t is te in c lassable et fondament a le, à l 'humou r b lasphématoi re et b ien fa isant . A t r avers une fami l l e rédui te à sa p lus s imple express ion ( le couple parenta l , l 'en fant) , Bi l j ana Srbl jan ovic ta i l le en p ièces nos croyances, nos ce r t i tud es et nos re pères, nous inc i tant à d e nouvel les in terro gat ions salvatr ices.

    ANGELINA BERFORINI Comment défin issez-vous votre parcours à travers les textes et comment s 'y intègre Barbelo, à propos de chiens et d'enfants ? AN NE BIS ANG Qu el q ue soi t ce pa rcours , je ne l 'a i pas p réméd i té. Je suis par t icu l iè rement sensib l e à la quest ion de l 'ém a nci pat ion des indiv idus. Les héros de la t ransgress ion m 'at t i rent , ceux qui rés is te nt aux modèles, qui s 'empoign ent phys iquement avec le monde. Très lo in d 'un théâtre mor al isateu r ou d idact ique. Barbelo… es t exempla i r e : la p ièce p ossède un e capaci té in t r ins èque à pulvér ise r la log ique des ax iomes qui nous gouve rnent . Mais e l le le fa i t dans sa poét ique même : e l le ne repr odui t pas la réal i té , ne d énonce pa s, ne dél iv re pas de me ssage, ne se referme jamais sur une v is ion at tend ue. L'auteure avai t 20 ans pendant le conf l i t de l 'ex-Yougoslavie. La pièce porte- t-el le la marque de ce vécu ? Oui , son écr i ture est p étr ie de cet te expér ie nc e, m ais jamais e l le ne nous entraîne vers la compassion ou l e mani feste. Cet t e oppo sante faro uche au nat i o nal isme serbe a tenu à reste r dans sa v i l le au moment des bo mbardements de l 'OTA N sur Bel grade . El le a d 'a i l leurs rédigé chaque semaine une ch roniq ue sur ces évé nem ents t ragiq ues pour le grand quot id i e n i ta l ien L a R epubbl ic a. La p lu part de ses p ièces sont empreintes de cet te h i s to i re. C 'est le cas not amment de La Chute , d 'Histo i res de fami l le et de La Tr i log ie de Belgrade . Dans Barbelo… , plus encore q ue dans ses

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    autres p ièces , l 'h umour et l ' i ron ie t ranscenden t ce t te réal i té pou r en fa i re une œuv re t raversée par un vér i tabl e souf f le poét iqu e. Comment ce souff le poétique s'exprime-t - i l dans des scènes apparemment t rès quotidiennes ? Les personn ages, l 'en f ant boul imiq ue, le pol i t ic ien dang ereux, la j eune femme enceinte, n e se déf i n i ssent pas comme ca ra ctères ps ychologi ques et quand u n é lément du réel est don né, t r ès v i te i l g l isse ve rs le f antast iq ue. I l y a d 'a i l l eurs un parfum du f i lm "Rosem ary 's baby" dans cet te in terro gat ion sur l ' acco uchement qui taraude Mi lena, l e pe rso nnage pr i nc ipal , tout au long de la p ièce. Une gran de l iber té est la issée au jeu, a igui l lonné de surcroî t par l ' in t rus ion de l 'aute ure à t ravers les d idascal ies. El le d i t par exemple à la f in d 'une scène : "Les deux vagabonds se cajo lent . Tend res l 'un env ers l 'a ut re, i ls s 'en von t quelque part . Ou c 'est nous qui par t on s. Comme v ous voud rez. Et s u r tout comme ça vo us arran ge." Cet te p i èce éminemmen t pol i t ique s 'of f re des dé tours symbol is tes et f l i r t e même avec le théâtre de l 'absur de ; e l le agi te les profonde u rs, met en jeu l 'é t range t é au sens où el le met l e specta teur e n s i tuat io n de rega rder, comme ét ranger , un é l ément qui lu i est fami l ier . Mais cet te l iberté n 'est-el le pas t roublante ? Comment aborder sur le pla teau cette écri ture qui semble toujours se dérober aux af f irmations ? Très concrètem ent à vr a i d i re, car les scènes s 'amu sent du quo t id ien. I l faut donc ancrer les s i tuat i ons et se la isser imprégne r du texte comme d 'un e lang ue étrangè re. C'es t une écr i tur e ry thm ique, t rès concrèt e et t r ès é laborée ; i l n 'y a n i sent iments n i é tats d 'âm es. La p ièc e semble accompagné e ou habi té e par les d idascal ies confess ionnel les de l 'a uteure qui s e présen te nt com me des poss ib i l i t és et non des contra int es. C'es t un magni f ique texte à jou er avec u n évent a i l t r ès vaste de regis t res , passant du bur lesque à l ' i ron ie noi re e t de la poé sie oni r ique à l 'hyper réal isme. Pou r l es comédiens c ' est un e part i t i on "extr a-or d in ai re" au sens l i t téra l , qu i ex ige d 'a l le r lo in dans l 'e ngageme nt, qui con tourn e l 'émot ion à laquel l e Bi l jana Srbl ja novic fa i t d es croche-p at tes, pour v i ser le cœu r du sens et de l 'ac t ion. L'engagement ? Pouvez-vous tenter de défin i r votre rapport à la scène ? Je pr iv i lég i e un théâ tre qui me t to ut son poid s dans les v i r tu al i tés d e changemen t d 'une soc ié té. Tout se cherche, s ' expér imen te et se t rouve sur le p lat eau. Je fa is conf iance à l 'ac t eur : le théâtre doi t a dveni r e t non être prémé di té . Barbelo… évoq ue un monde mu tant . Bi l ja na Srbl j anovic je t te , su r la scène, u n bazar d ' é l éments de la v ie ord inai r e dont l 'usa ge est constamment d é tourné. El le l iv re d es codes qu 'e l le t ransgresse auss i t ôt . C ' est un théâtre qui joue a vec le théâtre comme avec le réel . Un théâtre comme je l 'a ime . Le comédien doi t p lus que jamais je ter son c orps dans la bata i l le .

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    Rencontre avec Anna Popek, scénographe Propos recuei l l is par Ca r ine C orajou d Anna Popek a conçu e t réal isé la scénograph ie du spec tac le Barb el o… D’or ig ine polonaise, e l le étudie la peinture et la scénographie à l ’Ecole supér ieure des beaux-

    ar ts de Cracovie, puis e l le t ravai l le pour p lus ieurs théât res et met teurs en scène

    polonais . En 2005, e l le s ’établ i t à Genève où e l le rencontre Anne Bisang. Barbel o… est leur c inquième col laborat ion . Anna Popek nous en expl ique le processus de

    créat ion et nous l iv re sa v is ion de la scénograph ie.

    CARINE CORAJOUD Comment avez-vous élaboré la scénographie de Barbelo… ? A N N A P O P E K Nous n ’av i ons pas d ’ i dée p réc ise dès le début . Avec An ne Bisan g et Stephani e Janin, la dra maturge du spectac le , nous avons d ’abord imagi né un espace réal is te, car la p ièce e st b ien ancrée à Belgra de, se lon l ’ ind icat ion q ue Srbl janovic donne dans ses premi èr es d idascal ies : L’act ion se passe aujourd ’hui , dans la Serbie en t rans i t ion . Chez moi , en-bas dans un

    t rou. Et autour .

    Par la su i te, no tre t rav ai l a pr is d ’a utres d i re ct i ons, en suivan t là e ncore cer t a ins consei ls de l ’aute ure. El le d i t qu e les l ieux n ’ont en fa i t pas d ’ impo rtance en soi . Nous no us sommes al ors détac hées du réal isme. Le texte d épass e la r éal i té h is tor ique de la Se rbie e t touche à des quest ions beaucoup p lus vastes : i l par le de la sol i tude, des gens en q uête de soi et de repè r es. Nous en avons don c conclu qu’ i l n ’est pas nécessai r e de s igni f ier conc rètemen t l es l ieux ( la maison, le r estaurant ) et nous avons p r iv i lég ié , s ur la scè ne, d eux mot i fs ré pét i t i fs du texte : le b anc du pa rc et le muret du c imet ière . Les autres espaces sont uniquement symbol isés par des accessoi res in t rod ui ts p rogress ivemen t . Et mêm e les scènes d ’ in tér ieu r se déroulent dans cet espace ouver t , car l es pe rsonnages er rent p lus qu’ i ls ne sont rat tachés aux l ieux de manière fonct ionnel le . I ls po urra ient s ’entreten i r tou t à fa i t a i l leurs . I ls entrent a lors en d ia log ue sur le banc, mo bi l i er urbain qui perme t d es rencontr es imprévues.

    D’où est venue l ’ idée du cerc le ? Dans mes spectac les , j ’a ime t r ansposer les p roposi t ions drama turg iq ues par des s t ructures géomé tr iques . Tade uz K antor le d is a i t : « On po urra i t dess iner pa r d es f igures gé ométr iq ues l ’évolut ion d ramat iq ue d ’un text e. » De s mouvements c i rcu la i res, répét i t i fs , c aractér ise nt le texte, d ’ où l ’ idée de cerc le. N ous l ’av ions d ’abord posé à l ’hor izo nta le, p our d él imi ter l ’ espace des p ersonna ge s, mais nous l ’avons ensui te red ress é, pour of f r i r du jeu : d es objets e t , b i en sûr , l es comédiens pourron t f ranchi r cet anneau immense de sept mètre de d iamètre , sor t e de focale qui guide le rega rd ve rs un espace in déf in i au lo i n ta in , un dése rt , un no man’s land. Le

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    cerc le, c ’est év i demmen t le cyc le imper turba ble du temps et de l ’ His to i re. Mais cela renvoie auss i à l ’annea u, à la bague de mar iage et sur tout à la matr ice , le centre du monde, l ’or ig ine . On par le beaucoup dans le te xte d ’une force féminin e et du dés i r d ’enfanteme nt . En f a i t , d ’une cer t a ine faç on, c ’es t une p ièc e sur l es femm es. Quel les sont les premières images qui te sont venues à l ’espri t à la lecture du texte ? Je n ’a i pas eu d e ré el les images en l isant p our la premiè re fo is Barbelo… . Les descr ipt ions des l i eux s ont assez énigmat i ques . Au débu t , b ien sû r , o n pense à la Serbie , mais en même temps les expl icat ion s données par l ’auteu r e sont assez personnel les , e l les sont en quelque so r te sub je ct iv es. Srb l janovic dép e int l ’espace à part i r d e son pro pre r es sent i . Et dans le même temps, e l le of f re un e gr ande l iber té, une grande souplesse . Ce sont des espaces « ouverts » , également da ns le sens où i ls la issent l ib re cou rs à l ’ in terpr état io n. Comment se déroule la création d’une scénographie ? La premiè re lec ture du texte a l ieu env i ron s ix moi s avant les ré p ét i t ions. Les premières i n tu i t io ns, le pressent ime nt de dép art sont t rès import ant s . Nous nous met tons d ’accord avec la met teure et scène et la dramaturge sur ce que nous entendons pa r le text e. Puis nous concevons l ’ e spac e et je réal is e une maquet te da ns laquel le nous jouons pour teste r le décor et pour v oi r commen t ce monde va fonct ionne r. Les com édi ens feron t b ien sû r évol uer les choses, car i ls i nvest i ront l a scène à leur manière e t proposeron t donc des modi f i cat ions. Apr ès cet te phase de concept ion, n ous const ru isons le déco r aux a te l iers , e n fa isant appe l à d i f fé rents corps de mét i ers : des menuis iers , des serru r ie rs , des pein t res, en fon ct ion du type de décor. L ’éc la i ragis te ou l ’ ingénieur du son, q ui font par t ie de l ’équip e de créat ion, se calquent u l té r ieur ement sur not re esp ace, e n fonct io n du c l imat qu e nous a urons créé. C’est un t ravai l d e col labo rat ion, où i l fa ut savoi r êt re à l ’écou t e des a utres , tout en garda nt sa l i gne et en p renant les u l t im e s déc is ions.

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    POUR EN SAVOIR PLUS…

    De Bil jana Srbljanovic Tr i log ie de Belgrade (19 97) Histo i re de fami l le ( 1998 ) La Chute ( 2000) Supermarché (2001) Amerika, su i te (2003 ) Sautere l les ( 2005) Barbelo , à p ropos de chiens et d ’enfants (2007 ) T o u t e s l e s p i è c e s s o n t p u b l i é e s e n f r a n ç a i s à L ’ A r c h e . Sur Bil jana Srbljanovic Miloš Laz in, « A quoi t i ent le succès de Bi l jan a Srbl janovic ? », Revue des études s laves , t . L XX VII , fasc. 1-2, Ins t i tu t d ’étud es s la ves, 2006. Bi l jana S rbl janovic , « Je suis en profond désacc ord avec le monde et j ’a i besoin de le d i re dans mes p ièces », entret ien avec Chant a l Boi ron, Ubu Scènes d ’Europe , n°42, mai 2008. Artic le reproduit en annexe du dossier Claudine Galéa, « A l ’h eure des chiens da ns le théât re de Bi l jan a S rbl j anovic », Ubu Scènes d ’Europe , n°42 , mai 2008. Contexte Jean-A rnaud Dérens et Cathe r ine S amary, Les Conf l i ts yougoslaves de A à Z , Par is , Edi t ions ouvr ièr es, 200 0 . E n t r é e s p a r o r d r e a l p h a b é t i q u e . Edgar M or in, Les Fratr ic ides, Yougoslav ie-Bosnie 1991-1995 , Ar léa , fév r ier 1995 . R e c u e i l d ’ a r t i c l e s d e M o r i n p a r u s d a n s l e s j o u r n a u x p e n d a n t l e c o n f l i t . C h r o n o l o g i e d é t a i l l é e e n f i n d e v o l u m e . Cathe r ine Samary , Yougoslav ie. De la Décomposi t ion aux enjeux européens , Par is , Cygne, 2007. R e c u e i l d ’ a r t i c l e s p u b l i é s d a n s Le Monde d ip lomat ique s u r q u i n z e a n s . � Voi r le s i te du mon de d ip lomat ique , w w w.mond e-dip l omat iq ue. f r Plus ieurs ar t ic les s ur le s Balkans son t arch ivés. � Voi r égalemen t le s i te du cour r ier des B alkans : w ww .balkans.co urr i ers . in fo Littérature des Balkans Ivo And r ić (1 892-19 75) R o m a n c i e r y o u g o s l a v e d ’ e x p r e s s i o n s e r b o - c r o a t e , p r i x N o b e l d e l i t t é r a t u r e , c o n n u p o u r s e s c h e f s - d ’ œ u v r e I l es t un pont sur la Dr ina e t La Chron ique de Travn ik .

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    Bora Ćosić , Un Consul à Belgrade M é m o i r e s u r u n d e m i s i è c l e d e v i e l i t t é r a i r e à B e l g r a d e . E c r i v a i n s a t i r i q u e s e r b e , n é e n 1 9 3 2 . V i t à B e r l i n . Mihr i ja Feković -Kulov ić , Vivre e t mour i r pour Srebrenica L ’ a u t e u r a l o n g t e m p s v é c u e n S u i s s e . I l a r e c u e i l l i p o u r c e r o m a n d e s t é m o i g n a g e s d e d e m a n d e u r s d ’ a s i l e e n S u i s s e , q u i o n t s u r v é c u a u m a s s a c r e . Lojze Kovacic , L’Enfant de l ’ex i l N é e n 1 9 2 8 e n S u i s s e , d ’ u n e m è r e a l l e m a n d e e t d ’ u n p è r e s l o v è n e , i l e s t c o n t r a i n t à l ’ e x i l p a r l e s a u t o r i t é s h e l v é t i q u e s à l a v e i l l e d e l a g u e r r e . R é c i t a u t o b i o g r a p h i q u e . Vladimir Piš ta lo , Mil léna i re à Belgrade L ’ h i s t o i r e d e l a g é n é r a t i o n q u i a e u 2 0 a n s e n 1 9 8 0 à B e l g r a d e Littérature Jean Rol i n , Un chien mort après lu i (2009 ) P é r i p l e a u t o u r d u m o n d e à p a r t i r d u s t a t u t d u c h i e n e r r a n t d a n s l e s z o n e s d e c o n f l i t s . Théâtre Pièces sur le conf l i t des Balkans : Fabr ice Mel quiot , Le d iable en partage Laurent Gaudé, Cendres sur les mains Sarah Kane , Les Anéant is Ol iv ier Py, Requ iem pour Srebrenica Hélène K untz, « Ecr i re sur la guerre en Ex - Yougoslav ie : le théât r e européen à l ’épreuve d e l ’h is to i re co ntemporain e », Théât re/publ ic , n° 1 88, ma rs 200 8. « L ’Est désor ie nté. Esp oi rs et co ntra dic t ions » , Al te rnat ives théât ra les , n° 64, ju i l le t 2000. N u m é r o s p é c i a l c o n s a c r é à l a c r é a t i o n t h é â t r a l e d ’ E u r o p e d e l ’ E s t . « R wanda 94 . Le t hé âtre face au génocid e. Groupov, réc i t d ’ u ne créat ion », Al tern at ives th éâtra l es, n° 67-68 , mai 20 01. N u m é r o s p é c i a l c o n s a c r é a u s p e c t a c l e - d o c u m e n t a i r e q u i a r e t r a c é l e s é v é n e m e n t s d u R w a n d a . A r t i c l e s d e r é f l e x i o n s u r l ’ e n g a g e m e n t a u t h é â t r e . Cinéma Zel imir Z i ln ik , r éal isateu r serbe rés is ta nt , connu pour son Travaux précoces (1960) ou encore Soulèvement au Jazak (1972 ) et Ti to , de retour parmi les Serbes (1994 ). Résolut ion 819 (2008 ) d e Giacomo Ba t t ia to L e f i l m d u r é a l i s a t e u r i t a l i e n r e t r a c e l ’ h i s t o i r e d ’ u n c h e r c h e u r e n v o y é p a r l e T P I s u r l e s t r a c e s d e s p r e u v e s d e S r e b r e n i c a .