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Daniel Alaphilippe G. Chasseigne Construction d'une échelle de représentation du contrôle chez les personnes âgées In: L'année psychologique. 1993 vol. 93, n°2. pp. 269-282. Abstract Summary : Control and aging, a scale of internality for old people. The study reports the elaboration of a French evaluative scale of Locus of Control internality in old people. A growing literature investigates the positive relation between the control experience of elderly people and their social and psychological adaptation, health and well-being. The dimensional aspect of this cognitive process constitutes a central problem in that field. An original French translation of the Rotter initial IE scale was used. Eleven items were selected by a Guttman hierarchical analysis on a first population. Secondly this scale has been proposed to 322 persons. Responses were analysed with a multifactorial method analysis (AFCM). A main unidi-mensional hierarchical structure of the items was confirmed. We propose a hierarchical scale of internality for elderly people (EHIPA), composed of 15 items : 11 relevant, 4 filling, scaling from 0 to 22, the internality control attribution in elderly French people. Key-words : internality, aging, locus of control. Résumé Résumé Nous proposons de construire une échelle d'évaluation de l'internalité éprouvée à propos du contrôle de soi et de son environnement, chez les personnes âgées. La dimensionnalité de cet aspect de la conscience de soi a suscité de nombreux travaux aux conclusions souvent divergentes. Nous avons soumis une traduction originale de l'échelle IE de Rotter à une population de per- sonnes âgées. Sur les réponses obtenues nous avons procédé à une analyse hiérarchique de Guttman afin de sélectionner une série de onze items hiérarchisables. Cette nouvelle échelle a été proposée à une population de 322 sujets âgés. Une analyse factorielle des résultats (AFCM) conclut à l'existence d'une seule dimension prévalente. L'échelle ainsi construite (EHIPA) se compose de quinze items, onze critiques et quatre de remplissage, et permet d'exprimer par un score de zéro à vingt-deux la tendance à imputer une série d'événements à des sources internes à la personne. Mots clés : internalité, vieillissement, locus de contrôle. Citer ce document / Cite this document : Alaphilippe Daniel, Chasseigne G. Construction d'une échelle de représentation du contrôle chez les personnes âgées. In: L'année psychologique. 1993 vol. 93, n°2. pp. 269-282. doi : 10.3406/psy.1993.28697 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/psy_0003-5033_1993_num_93_2_28697

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Daniel AlaphilippeG. Chasseigne

Construction d'une échelle de représentation du contrôle chezles personnes âgéesIn: L'année psychologique. 1993 vol. 93, n°2. pp. 269-282.

AbstractSummary : Control and aging, a scale of internality for old people.The study reports the elaboration of a French evaluative scale of Locus of Control internality in old people. A growing literatureinvestigates the positive relation between the control experience of elderly people and their social and psychological adaptation,health and well-being. The dimensional aspect of this cognitive process constitutes a central problem in that field. An originalFrench translation of the Rotter initial IE scale was used. Eleven items were selected by a Guttman hierarchical analysis on a firstpopulation. Secondly this scale has been proposed to 322 persons. Responses were analysed with a multifactorial methodanalysis (AFCM). A main unidi-mensional hierarchical structure of the items was confirmed. We propose a hierarchical scale ofinternality for elderly people (EHIPA), composed of 15 items : 11 relevant, 4 filling, scaling from 0 to 22, the internality controlattribution in elderly French people.Key-words : internality, aging, locus of control.

RésuméRésuméNous proposons de construire une échelle d'évaluation de l'internalité éprouvée à propos du contrôle de soi et de sonenvironnement, chez les personnes âgées. La dimensionnalité de cet aspect de la conscience de soi a suscité de nombreuxtravaux aux conclusions souvent divergentes. Nous avons soumis une traduction originale de l'échelle IE de Rotter à unepopulation de per- sonnes âgées. Sur les réponses obtenues nous avons procédé à une analyse hiérarchique de Guttman afinde sélectionner une série de onze items hiérarchisables. Cette nouvelle échelle a été proposée à une population de 322 sujetsâgés. Une analyse factorielle des résultats (AFCM) conclut à l'existence d'une seule dimension prévalente. L'échelle ainsiconstruite (EHIPA) se compose de quinze items, onze critiques et quatre de remplissage, et permet d'exprimer par un score dezéro à vingt-deux la tendance à imputer une série d'événements à des sources internes à la personne.Mots clés : internalité, vieillissement, locus de contrôle.

Citer ce document / Cite this document :

Alaphilippe Daniel, Chasseigne G. Construction d'une échelle de représentation du contrôle chez les personnes âgées. In:L'année psychologique. 1993 vol. 93, n°2. pp. 269-282.

doi : 10.3406/psy.1993.28697

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/psy_0003-5033_1993_num_93_2_28697

L'Année psychologique, 1993, 93, 269-282

Laboratoire de Psychologie expérimentale Université François-Rabelais - Tours1

CONSTRUCTION D'UNE ÉCHELLE

DE REPRÉSENTATION DU CONTRÔLE

CHEZ LES PERSONNES ÂGÉES

par Daniel Alaphilippe et Gérard Chasseigne

SUMMAR Y : Control and aging, a scale of internality for old people.

The study reports the elaboration of a French evaluative scale of Locus of Control internality in old people. A growing literature investigates the positive relation between the control experience of elderly people and their social and psychological adaptation, health and well-being. The dimensional aspect of this cognitive process constitutes a central problem in that field. An original French translation of the Rotter initial IE scale was used. Eleven items were selected by a Guttman hierarchical analysis on a first population. Secondly this scale has been proposed to 322 persons. Responses were analysed with a multif actor ial method analysis (AFCM). A main unidi- mensional hierarchical structure of the items was confirmed. We propose a hierarchical scale of internality for elderly people (EHIPA), composed of 15 items : 11 relevant, 4 filling, scaling from 0 to 22, the internality control attribution in elderly French people.

Key-words : internality, aging, locus of control.

La représentation du contrôle en psychologie sociale cognitive a connu ces dernières années un succès théorique indéniable, bien qu'elle donne lieu à des interprétations divergentes et que l'uni- dimensionnalité de ce phénomène constitue un problème notoire.

Rappelons que la conception originale de Rotter (1966) s'inscrit dans la perspective des théories néo-behavioristes sur l'appren-

: 1. 3, rue des Tanneurs, 37041 Tours Cedex.

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tissage social envisagé du point de vue du sujet. Le locus de contrôle désigne la « perception qu'un individu peut avoir de l'existence d'un lien entre un renforcement donné et l'un ou l'autre des deux registres suivants de causes possibles de ce renforcement : les caractéristiques et conduites personnelles, les forces et facteurs agissant dans la situation » (Dubois, 1991e). Cette dimension constituerait à la fois un facteur de personnalité et un fonctionnement variable sous l'effet spécifique de situations particulières.

L'importance de ce facteur lors de la dernière partie de la durée de vie n'a pas manqué de retenir l'attention des chercheurs. A partir de la soixantaine, le vieillissement s'accompagne de pertes de contrôle. Dans le domaine du travail, par exemple, la proximité, puis le passage à la retraite font perdre à l'agent actif une source importante de valorisation et de réalisation de soi, même si à certains égards la retraite peut aussi entraîner un gain en contrôle à travers la disparition des contraintes qu'entraîne le travail (Heil, Krampen, 1989). Dans un autre domaine, l'involution sur le plan corporel peut conduire elle aussi à une perte de contrôle sous la forme de moindres capacités physiques, et aller parfois jusqu'à des manifestations fort invalidantes.

Introduits par les recherches de Langer et Rodin (1976), Schulz (1976), puis Peterson, Seligman et Vaillant (1988), les travaux sur les relations entre l'âge et le contrôle aboutissent à des résultats à la fois nombreux et contradictoires (Baltes et Baltes, 1986 ; Gurin, Brim, 1984 ; Lachman, 1986). En règle générale, les auteurs tendent plutôt à faire l'hypothèse d'un accroissement de la dimension interne du contrôle avec l'âge et ce jusqu'à l'adolescence (Dubois, 1987), mais aussi au-delà au cours du vieillissement (Schulz, Heckhausen et Locher, 1991). D'autres résultats mettent cependant en évidence l'évolution inverse chez les personnes âgées (Lachman, 1983 ; Siegler et Gatz, 1985).

Les outils de recueil d'information sur la représentation du locus de contrôle prennent le plus souvent la forme de questionnaires. Lesquels peuvent cependant être de natures différentes en fonction de leur spécificité et de leur dimensionnalité.

S'il existe des échelles générales de locus de contrôle sur le modèle proposé par Rotter (1966), à côté sont apparus des outils plus spécifiques, soit à une population : échelle pour les adolescents de Dubois (1985a, 19856, en français par exemple), ou pour personnes âgées (Levenson, 1974), soit à un domaine tel que celui

Internalité chez les personnes âgées 271

de la santé (mhlc : « Multidimensionnal Health Locus of Control », Wallston et Wallston, 1981).

Le nombre de dimensions impliquées par ces échelles varie également, de deux (Gurin, Lao et Beattie, 1969) à sept (Coan, Fairchild et Dobyns, 1973) selon Dubois (1985a). L'une des plus utilisées parmi ces échelles multidimensionnelles est celle de Levenson (1974). Elle comprend trois dimensions : la croyance dans la chance, le sentiment d'être contrôlé par d'autres individus détenteurs de pouvoir et le degré de maîtrise par le sujet de sa propre vie. Une analyse factorielle effectuée sur une population de 329 garçons étudiants de premier cycle a mis en évidence le caractère orthogonal de ces trois facteurs.

Toutefois une recherche de Lachman (1986) qui reprend ces échelles de Levenson montre que la multidimensionnalité elle- même peut évoluer selon l'âge. Les trois dimensions précitées apparaissent bien pertinentes pour décrire une population âgée de plus de soixante ans, mais seulement par rapport à des domaines spécifiques tels que les capacités intellectuelles ou la santé. En revanche, elles s'avèrent non pertinentes au niveau d'une population plus jeune. Le débat reste largement ouvert puisqu'une publication de Shewchuk, Foelker et Niederehe (1990) conteste à son tour le caractère multidimensionnel des résultats de Levenson, sur une population de personnes âgées, cette fois.

En dépit, ou peut-être à cause de cette apparente confusion, il nous a paru intéressant de reprendre l'étude à son point de départ. Tout d'abord, parce qu'il existe un problème imputable à l'effet de l'environnement culturel, alors que la quasi-totalité de ces travaux portent sur des populations anglo-saxonnes et qu'on a pu montrer la force des phénomènes normatifs dans ce domaine (Beauvois et Dubois, 1988). Par ailleurs, les recherches françaises se sont adressées uniquement à des adolescents (Dubois, op. cit.) ou à des enfants (Dubois, 1991a) ou bien à des adultes en relation avec leurs différents milieux professionnels (Beauvois, Bourjade et Pansu, 1991).

En outre, les difficultés rencontrées tiennent beaucoup à des problèmes de méthode. Les outils mathématiques utilisés consistent pratiquement toujours en des analyses factorielles essentiellement descriptives, à l'occasion desquelles les seuils d'acceptation des hypothèses d'existence ou de non-existence des différents facteurs laissent une large marge d'interprétation au chercheur.

272 Daniel Alaphilippe et Gérard Chasseigne

Enfin, il demeure que la représentation du contrôle constitue une dimension déterminante quant à l'adaptation d'un individu humain à son environnement et tout particulièrement lorsqu'il s'agit de personnes vieillissantes. C'est pourquoi nous nous sommes efforcés de construire un instrument de mesure de l'inter- nalité adapté à une population française de personnes âgées.

Nous avons cependant cherché à éviter que cet outil soit spécifique à cette population afin de permettre des études comparatives, tout en évitant que certains items apparaissent peu pertinents pour une population âgée, tels ceux qui font référence aux succès scolaires. Pour répondre à ces différentes contraintes nous avons cherché à isoler à l'intérieur du questionnaire de Rotter, traduit par nos soins, un sous-ensemble d'items homogènes, constituant une échelle pour une population de personnes âgées, et tel qu'il puisse rendre possibles des comparaisons avec des populations d'âges différents.

1. CONSTRUCTION D'UNE ÉCHELLE D'INTERNALITÉ POUR PERSONNES ÂGÉES

Nous nous proposons dans un premier temps d'élaborer une échelle sur un échantillon restreint de personnes âgées, avant de la valider sur une population plus large, en utilisant la technique de l'analyse hiérarchique de Guttman qui garantit l'homogénéité de la série d'items et permet de fonder sur un principe logique fiable le calcul d'un indice de positionnement du sujet sur la dimension sous-jacente à partir des réponses initiales de ce dernier.

1.1. Matériel utilisé

II consiste en une traduction française originale du questionnaire initial de Rotter (op. cit.). Il se compose de 29 items qui comportent chacun deux propositions, l'une exprimant une représentation externe du locus de contrôle, et l'autre une représentation interne. La personne interrogée désigne celle des deux propositions qu'elle estime la plus proche de sa propre façon de penser2. Parmi ces items, 6 ont une fonction de remplissage. Il reste donc 23 items pertinents. La position relative des réponses « interne » et « externe » est distribuée aléatoirement.

2. Exemple : item 18. a) Beaucoup de gens lie réalisent pas combien leur vie est déterminée par la chance ; b) Le hasard n'existe pas.

Iniernalité chez les personnes âgées 273

1.2. Population

Quarante et une personnes âgées de 62 à 95 ans (âge médian : 70 ans) ont été sollicitées pour répondre à ce questionnaire. Il s'agissait de 30 femmes et 11 hommes, qui participaient à des activités occupation- nelles diverses dans le cadre de « l'Université du temps libre » de la ville d'Orléans. Ils étaient volontaires pour répondre à notre investigation proposée par la directrice de l'établissement.

1.3. RÉSULTATS

Rappelons que l'analyse hiérarchique de Guttman est une méthode qui se propose d'établir une hiérarchie entre une série de modalités constitutives d'une variable. Ce traitement s'applique à une matrice de n items figurant en colonne, et de i individus représentés en ligne. Le croisement de la ligne 1 et de la colonne e indique la réponse binaire du sujet 1 à l'énoncé c.

L'analyse consiste à construire à partir des réponses initiales, par permutations successives des lignes et des colonnes, une matrice terminale dans laquelle les items sont ordonnés de celui qui reçoit le plus de réponses positives (ici « internes ») à celui qui en reçoit le moins, de telle sorte que tout sujet qui a répondu positivement à l'item de rang n ait répondu positivement également à l'item de rang n — 1, et à tous ceux qui le précèdent. Toute configuration de la forme n = 1, n — 1=0, constitue une dérogation au modèle ou « erreur ». Plus ces dernières s'avèrent nombreuses, plus on s'éloigne du cas de hiérarchie et de ses propriétés. Le coefficient de reproductibilité (Gr)8 permet d'évaluer la proximité entre le modèle hiérarchique et les données recueillies. On retient l'hypothèse de hiérarchie lorsque ce dernier est supérieur à 0,75. Dans notre cas, Cr = 0,80, E = 193, n — 24, i = 41.

Nous avons éliminé tous les items qui présentent un nombre d' « erreurs » élevé, en l'occurrence supérieur à 9, et tous ceux auxquels plus de 90 % des sujets avaient répondu de la même façon. Il nous reste une échelle constituée de 1 1 énoncés d'opinion dont nous sommes assurés qu'elle est hiérarchique (Cr = 0.83) : l'Echelle hiérarchique d'internalité pour personnes âgées, ehipa (en annexe) .

E 3. Cr = 1 — ■ — ; (E = nombre d'erreurs, n — nombre d'items, i — nombre de sujets). "'

AP — 10

274 Daniel Alaphilippe et Gérard Chasseigne

Cette hiérarchie rend possible le calcul d'un score qui traduit la position de chaque sujet sur la dimension qui oppose ceux qui expriment une représentation du locus de contrôle plutôt « externe » à ceux qui se montrent plutôt « internes ». Pour le calcul de ce score, on comptabilise pour chaque item : deux points lorsque la réponse « interne » est choisie, zéro point pour la réponse « externe », un point lorsque les deux opinions sont retenues. Cette procédure se justifie à nos yeux dans ce dernier cas, car l'option d'internalité se trouve atténuée par le choix conjoint dans le sens de l'exter- nalité. Dans la population concernée nous avons relevé 40 cas de double choix (4,5 % de l'ensemble des réponses), présentés par 6 sujets (25 %).

Le score calculé sous cette forme varie de 0 (externalité extrême) à 22 (internaute extrême). L'étude de la dispersion comparée de la population sur I'ehipa et l'échelle Rotter-iE montre que cette dernière donna lieu à une distribution bimodale de moyenne : 12,1, médiane : 11,7, écart type : 3,5. L'ehipa présente une distribution de moyenne : 9,4, de médiane : 9,1, d'écart type : 4,5. L'ajustement à une distribution normale est vérifié : khi2 = 4,86, DDL = 5, p = 0,43.

L'échelle définitive que nous proposons comporte 15 items : les 11 hiérarchisés et 4 de remplissage, dont 1 placé en première place du questionnaire afin de diversifier les formulations et de masquer la thématique de l'investigation.

2. ANALYSE FACTORIELLE DES SCORES D'INTERNALITÉ

2.1. Distribution des scores

Dans un second temps, le questionnaire ehipa a été soumis à une population de 322 personnes, âgées de 60 à 99 ans, d'âge moyen : 74 ans, et composée de 57 % de femmes et de 43 % d'hommes. Leur origine sociale, professions, niveau scolaire étaient variés, ainsi que leur mode de vie et lieu d'habitation, bien que tous domiciliés dans la région Centre.

Les scores d'internalité s'échelonnent de 2 à 21, et présentent une distribution symétrique et unimodale de moyenne 10,96 et écart type 3,45, mais dans laquelle les valeurs centrales appa-

Internaute chez les personnes âgées 275

raissent sur-représentées, et les valeurs marginales sous-représen- tées pour que cette distribution puisse être considérée comme gaussienne (fig. 1).

1-2 3 4 5-6 7-8 9-1011-1 13-1 15 1 17-1 19 2 21-22. scores

Fig. 1. — Scores d'internaute

Inlernality scores

L'homogénéité des 11 questions a en outre été vérifiée sur cette population par le calcul d'un coefficient alpha de Cronbach : alpha = .88.

2.2. Analyse factorielle des réponses

La nature et le nombre des dimensions sous-jacentes à la représentation du locus de contrôle constituent, comme nous l'avons dit, un des principaux problèmes soulevés par ce champ de recherche. C'est la raison pour laquelle nous avons procédé à une analyse factorielle, afin de mettre en évidence les éventuels facteurs inhérents à l'échelle proposée.

Nous avons utilisé pour ce faire une Analyse factorielle des correspondances multiples (afcm). Celle-ci s'applique aux données recueillies par des questionnaires à réponses disjunctives complètes et codage binaire (Benzécri et Benzécri, 1984). Le logiciel utilisé était stat-itcf, version 4,0.

Cinq axes ont été recherchés, qui contribuent à expliquer 58 % de l'inertie totale (tableau I).

276 Daniel Alaphilippe et Gérard Chasseigne

Tableau I. — Valeurs propres et contribution à l'inertie de chaque axe

Absolute values and percent explained by each axis

Axe Valeur propre

0,15 0,12 0,11 0,10 0,09

% expliqué

15 12 11 10 9

% cumulé

15 27 38 49 58

Les scores d'internalité apparaissent étroitement liés à l'axe 1. Les deux sous-populations extrêmes constituant les quartiles inférieur et supérieur des scores d'internalité se retrouvent en effet aux deux pôles extrêmes de ce premier axe. Les différentes questions se projettent de façon linéaire, les réponses « internes » à gauche de l'origine, les réponses « externes » à droite. On vérifie par ailleurs la traduction de « l'effet Guttman » dans le plan des deux premiers axes : les observations se distribuent sous la forme d'un nuage de forme quasi parabolique qui témoigne

Tableau II. — Contribution relative de chaque item à V inertie expliquée par chaque axe

Relative contribution of each item to the inertia explained by each axis

Question Axe 1 Axe 2 Axe 3 Axe 4 Axe 5

2 3 4 6 7 9

10 12 13 14 15

3,4 0,1 8,1

17,3 14,6 13,3 12,8 2,2 3,4 8,4

16,4

35,1 0,3 4,1 9,5

27 0,7 9,8 2 2 5,4 4,1 1,9

2,4 2 4 1,1

1,3 1,5 1

38,2 24,8 16,8 11,3

6,2 14,6 16,7 9,4 0,8

25,5 5,8 2,5

16,7 1,4 0,4

0,4 61,8 7,1 4,6 0,2 0,0 3,6 3,2 3

15,8 0,2

Inlernalité chez les personnes âgées 277

d'une forte dépendance entre l'ensemble des lignes (sujets) et l'ensemble des colonnes (questions), découlant du principe de hiérarchie décrit en 1 . 1 (Benzécri et Benzécri, op. cit.).

Afin d'interpréter les cinq axes calculés nous nous fonderons classiquement sur les contributions relatives de chaque question à l'inertie expliquée par chaque axe (tableau II).

Si, pour chaque axe et chaque question, nous retenons exclusivement la contribution relative la plus élevée, nous aboutissons au constat suivant.

L'axe 1 qui exprime avant tout la distribution des scores d'internalité se trouve associé de façon privilégiée aux questions :

Q6 : « ... je préfère décider de mes actes moi-même » ; Q10 : « Le hasard n'existe pas » ; Q15 : « Nous sommes responsables des hommes politiques... »

L'axe 2 se trouve associé aux questions :

Q2 : « Le peu d'intérêt porté à la politique est la principale cause des guerres... » ;

Q7 : « Le citoyen moyen a une influence réelle sur les décisions du gouvernement... »

L'axe 3 se trouve associé aux questions suivantes :

Q12 : «Le nombre de nos amis dépend de notre gentillesse » ; Q13 : « ... relation étroite... entre les études... et la situation... » ; Q14 : « ...je n'ai qu'une faible influence sur les choses qui me concer

nent ».

Questions associées à l'axe 4 :

Q4 : « Sans une bonne part de chance, personne ne peut accéder à des responsabilités » ;

Q9 : « ... obtenir ce que je désire n'a rien à voir avec la chance ».

Question associée avec l'axe 5 :

Q3 : « Chacun reçoit le respect qu'il mérite. »

Seul l'axe 1 peut donner lieu à une interprétation consistante et opératoire puisqu'il distribue les scores d'internalité. Les autres axes se trouvent associés avec des questions apparemment disparates, alors que des thèmes voisins tels que l'intervention du hasard, la conception de la carrière, ou le contrôle de la politique apparaissent liés à des facteurs orthogonaux. Nous considérerons

278 Daniel Alaphilippe et Gérard C hasseigne

en conséquence que l'échelle proposée a fait la preuve d'une homogénéité suffisante pour permettre la mesure de la représentation de l'internalité sur une population de personnes âgées.

3. CONTRÔLE ET VIEILLISSEMENT

Bien que ce ne soit pas l'objet de cet article, nous donnerons cependant un exemple d'utilisation de cette échelle. Nous avons étudié la variation des scores d'internalité en fonction de l'âge sur la population décrite ci-dessus. Sur l'ensemble de la population on n'observe aucune corrélation entre les deux mesures (r = — .077). En revanche, si l'on répartit cette population par rapport à la médiane de chacune des deux variables âge et inter- nalité, on met en évidence un déficit de sujets parmi les plus « internes », chez les plus âgés (khi2 = 5,834, ddl = 1, p = .015).

21

13

ß 68 6974 75 81 AGES

82-99

INT FAIBLE INT ELEVEE

Fig. 2. — Ages et internaute

Age and internality

Enfin, si l'on s'intéresse aux seuls individus appartenant aux deux quartiles les plus extrêmes en fonction des scores d'internalité, on note que les plus jeunes (de 65 à 74 ans) sont plus nombreux à présenter une forte internaute, alors que les plus âgés (de 75 à 99 ans) apparaissent plus nombreux parmi les scores d'internalité les plus faibles (khi2 = 6,89 ; ddl = 3 ; p = .07)

Internaute chez les personnes âgées 279

(fig. 2). Ces résultats n'ont pour but ici que d'illustrer l'usage qui peut être fait de l'outil proposé ; nous ne les commenterons donc pas.

CONCLUSION

Notre ambition était de proposer un instrument de mesure de l'internalité fiable et applicable aux personnes âgées. L'ehipa devrait désormais permettre l'étude des fluctuations de cette variable selon aussi bien les caractéristiques propres aux personnes telles que l'âge ou la personnalité qu'en fonction des modes d'insertion sociale et selon la forme du contrôle réel exercé sur soi-même ou sur autrui. ' >

Annexe. — Echelle hiérarchique d' internaute pour personnes âgées (EHIPA)

Madame, Monsieur,

Vous allez lire une série d'opinions présentées par deux. Pour chaque paire, vous voudrez bien choisir celle qui vous paraît la plus proche de ce que vous pensez vous-même en cochant la case correspondante.

Efforcez-vous de prendre position pour toutes les propositions, le plus spontanément possible.

1) a- Les enfants à problème ont souvent reçu une éducation trop sévère.

b - Aujourd'hui les enfants ont des problèmes parce que les parents leur laissent faire tout ce qu'ils veulent.

2) a - Le peu d'intérêt que les gens portent à la politique est la pale cause des guerres (I).

b - II y aura toujours des guerres quels que soient les efforts que l'on fasse pour les empêcher (E).

3) a - Chacun reçoit le respect qu'il mérite (I). b - Bien souvent la valeur d'un homme passe inaperçue quels que

soient ses mérites (E). 4) a - Sans une bonne part de chance personne ne peut accéder à des

responsabilités (E). b - Si une personne capable ne parvient pas à occuper une bonne

position, c'est parce qu'elle n'a pas su profiter de la situation (I). 5) a - L'hérédité est déterminante dans la personnalité de quelqu'un.

b - C'est l'expérience de la vie qui nous fait ce que nous sommes.

280 Daniel Alaphilippe et Gérard Chasseigne

6) a - J'ai toujours pensé que ce qui devait arriver finissait toujours par se produire (E).

b - Faire confiance au destin ne m'a jamais réussi, je préfère décider de mes actes moi-même (I).

7) a - Le citoyen moyen a une influence réelle sur les décisions du vernement (I).

b - Le monde est dirigé par un petit nombre de personnes au pouvoir, et le simple citoyen ne peut pas y faire grand-chose (E).

8) a - II y a des gens méchants. b - II y a du bon en chacun.

9) a - Pour moi, obtenir ce que je désire n'a rien à voir avec la chance (I)-

b - Très souvent nous ferions bien de prendre nos décisions en tirant à pile ou face (E).

10) a - Beaucoup de gens ne réalisent pas combien leur vie est déterminée par la chance (E).

b - Le hasard n'existe pas (I). 11) a - On doit toujours reconnaître ses fautes.

b - II est généralement préférable de dissimuler ses erreurs. 12) a - II est difficile de savoir si une personne nous aime ou non (E).

b - Le nombre de nos amis dépend de notre gentillesse (I). 13) a - Quelquefois, je me demande comment certains professionnels

sont arrivés au niveau qu'ils occupent (E). b - II y a une relation étroite entre la difficulté des études suivies et

la situation à laquelle on peut accéder (I). 14) a - II m'arrive souvent de penser que je n'ai qu'une faible influence

sur les choses qui me concernent (E). 6-11 m'est difficile d'accepter que la chance ou le hasard jouent un

rôle important dans ma vie (I). 15) a - La plupart du temps, je ne saisis pas très bien où veulent en venir

% les hommes politiques (E). b - A long terme, nous sommes responsables de ceux qui nous gou

vernent aussi bien sur le plan local que national (I).

NB. — (I) désigne la réponse dans le sens de l'internante ; (E) la réponse dans le sens de l'externalité.

Le score d'internalité se calcule en décomptant deux points pour chaque réponse I, et un point lorsque les deux réponses I et E ont été retenues.

RÉSUMÉ

Nous proposons de construire une échelle d'évaluation de V internaute éprouvée à propos du contrôle de soi et de son environnement, chez les personnes âgées. La dimensionnalité de cet aspect de la conscience de soi a suscité de nombreux travaux aux conclusions souvent divergentes. Nous avons soumis une traduction originale de V échelle IE de Rotter à une population de per-

Internaute chez les personnes âgées 281

sonnes âgées. Sur les réponses obtenues nous avons procédé à une analyse hiérarchique de Guttman afin de sélectionner une série de onze items hiérar- chisables. Cette nouvelle échelle a été proposée à une population de 322 sujets âgés. Une analyse f actor ielle des résultats (A FC M) conclut à l'existence d'une seule dimension prévalente. L'échelle ainsi construite (EHIPA) se compose de quinze items, onze critiques et quatre de remplissage, et permet d'exprimer par un score de zéro à vingt-deux la tendance à imputer une série d'événements à des sources internes à la personne.

Mots clés : internalité, vieillissement, locus de contrôle.

BIBLIOGRAPHIE

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(Accepté le 24 février 1993.)