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Contact : Département International et Tropical, < [email protected] > 1 Cas d’infection par Ebola-Reston, Philippines 30 mars 2009 Des cas humains d’infection par le virus Ebola- Reston ont récemment été décrits aux Philippines. 1. LE VIRUS EBOLA-RESTON (EBO-R) La famille des Filovirus est composée des virus Marbourg (1967) et Ebola (1976), responsables de fièvres hémorragiques virales (FHV). Le virus Ebola-Reston (EBO-R) est une des 5 espèces connues de virus Ebola. Trois espèces de virus Ebola (Zaïre, Soudan et Bundibugyo) ont été responsables d’épidémies de FHV chez l’homme avec une létalité élevée en zone d’endémie. L'espèce Ebola Côte d’Ivoire a entraîné un cas humain isolé (qui a survécu). Manifestations cliniques dues à EBO-R : Chez le singe Macaque : syndrome hémorragique avec 80% de mortalité ; Chez le porc : inconnu. EBO-R a été isolé simultanément avec le virus du syndrome dysgénésique et respiratoire du porc (SDRP) lors d'épidémies à forte mortalité aux Philippines ; son rôle exact dans la clinique observée est en cours d'étude ; Chez l’homme : pas de signe clinique décrit. Incubation d’EBO-R : Elle n’est pas connue avec précision. Elle est de 2 à 21 jours pour les 4 espèces Ebola pathogènes chez l’homme. Répartition géographique : EBO-R a été isolé à plusieurs reprises aux Philippines mais son aire exacte de répartition demeure inconnue. 2. CAS CONNUS DE TRANSMISSION D’EBO-R DU SINGE A L’HOMME (USA, EUROPE) Entre 1989 et 1996, six épisodes de transmission ont été décrits impliquant des singes originaires des Philippines importés aux USA et en Europe (Tab. 1). Les investigations ont identifié une source commune : un centre exportateur d’animaux (Ferlite Farms) à Calamba, Province de Laguna, à 40 km au sud de Manille, Philippines (Fig. 1). Reston (Virginie, USA), 1989 Le virus a été isolé pour la première fois en 1989 chez le singe (Macaca fascicularis encore appelé Macaque crabier ou Macaque de Java). 100 singes avaient été exportés de Calamba vers un centre de quarantaine animale de Reston, Virginie (USA) en Octobre 1989. La létalité élevée observée parmi ces singes après leur arrivée (60 morts, les autres euthanasiés) a conduit à une investigation : - L’autopsie menée par le vétérinaire du centre, a évoqué une infection par virus de la Fièvre Hémorragique Simienne (virus SHF, non transmissible à l’homme, isolé chez 3 de 10 singes testés). - Identification microbiologique fortuite d’un virus Ebola-like chez 12 primates de deux contingents dans 2 zones séparées du centre. 149 employés exposés à ces singes ont alors été placés sous surveillance (Tab. 1) : - Aucun des employés n’a développé de signe clinique d’infection ; - Des anticorps IgG anti-EBO-R ont été retrouvés chez 4 (2,7%) d’entre eux ; - L’un d’eux a présenté une virémie détectable à EBO-R après exposition percutanée (coupure par un bistouri lors d’une autopsie) mais il n’a développé aucun symptôme. Philadelphie (Pennsylvanie, USA) 1989 L’enquête menée autour de l’épisode de Reston a permis de repérer l’arrivée en Pennsylvanie (USA) d’un autre groupe de singes de Calamba. Plusieurs de ces primates étaient morts et du virus EBO-R a été isolé chez eux. Aucune infection n’a été identifiée cliniquement ou biologiquement chez les employés du centre. Reston (Virginie) et Alice (Texas, USA), 1990 En Janvier 1990, la ferme de Calamba a livré 100 macaques au centre de Reston et 100 autres dans un autre centre de quarantaine à Alice (Texas, USA). Entre le 01/02/90 et le 15/03/90, 46 de 52 singes d’une zone de quarantaine sont morts. Les 6 restants étaient positifs pour EBO-R (certains étaient co-infectés par le virus SHF). Deux cas (asymptomatiques) ont été identifiés biologiquement chez des employés de ces centres. Ebola-Reston 30 mars 2009 Département International & Tropical

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Contact : Département International et Tropical, < [email protected]> 1

Cas d’infection par Ebola-Reston, Philippines

30 mars 2009

Des cas humains d’infection par le virus Ebola-Reston ont récemment été décrits aux Philippines.

1. LE VIRUS EBOLA-RESTON (EBO-R) • La famille des Filovirus est composée des virus

Marbourg (1967) et Ebola (1976), responsables de fièvres hémorragiques virales (FHV).

• Le virus Ebola-Reston (EBO-R) est une des 5 espèces connues de virus Ebola.

• Trois espèces de virus Ebola (Zaïre, Soudan et Bundibugyo) ont été responsables d’épidémies de FHV chez l’homme avec une létalité élevée en zone d’endémie. L'espèce Ebola Côte d’Ivoire a entraîné un cas humain isolé (qui a survécu).

• Manifestations cliniques dues à EBO-R : Chez le singe Macaque : syndrome

hémorragique avec 80% de mortalité ; Chez le porc : inconnu. EBO-R a été isolé

simultanément avec le virus du syndrome dysgénésique et respiratoire du porc (SDRP) lors d'épidémies à forte mortalité aux Philippines ; son rôle exact dans la clinique observée est en cours d'étude ;

Chez l’homme : pas de signe clinique décrit. • Incubation d’EBO-R : Elle n’est pas connue

avec précision. Elle est de 2 à 21 jours pour les 4 espèces Ebola pathogènes chez l’homme.

• Répartition géographique : EBO-R a été isolé à plusieurs reprises aux Philippines mais son aire exacte de répartition demeure inconnue.

2. CAS CONNUS DE TRANSMISSION D’EBO-R DU SINGE A L’HOMME (USA, EUROPE)

Entre 1989 et 1996, six épisodes de transmission ont été décrits impliquant des singes originaires des Philippines importés aux USA et en Europe (Tab. 1). Les investigations ont identifié une source commune : un centre exportateur d’animaux (Ferlite Farms) à Calamba, Province de Laguna, à 40 km au sud de Manille, Philippines (Fig. 1).

• Reston (Virginie, USA), 1989 Le virus a été isolé pour la première fois en

1989 chez le singe (Macaca fascicularis encore appelé Macaque crabier ou Macaque de Java).

100 singes avaient été exportés de Calamba vers un centre de quarantaine animale de

Reston, Virginie (USA) en Octobre 1989. La létalité élevée observée parmi ces singes

après leur arrivée (60 morts, les autres euthanasiés) a conduit à une investigation :

- L’autopsie menée par le vétérinaire du centre, a évoqué une infection par virus de la Fièvre Hémorragique Simienne (virus SHF, non transmissible à l’homme, isolé chez 3 de 10 singes testés).

- Identification microbiologique fortuite d’un virus Ebola-like chez 12 primates de deux contingents dans 2 zones séparées du centre.

149 employés exposés à ces singes ont alors été placés sous surveillance (Tab. 1) :

- Aucun des employés n’a développé de signe clinique d’infection ;

- Des anticorps IgG anti-EBO-R ont été retrouvés chez 4 (2,7%) d’entre eux ;

- L’un d’eux a présenté une virémie détectable à EBO-R après exposition percutanée (coupure par un bistouri lors d’une autopsie) mais il n’a développé aucun symptôme.

• Philadelphie (Pennsylvanie, USA) 1989 L’enquête menée autour de l’épisode de

Reston a permis de repérer l’arrivée en Pennsylvanie (USA) d’un autre groupe de singes de Calamba.

Plusieurs de ces primates étaient morts et du virus EBO-R a été isolé chez eux.

Aucune infection n’a été identifiée cliniquement ou biologiquement chez les employés du centre.

• Reston (Virginie) et Alice (Texas, USA), 1990 En Janvier 1990, la ferme de Calamba a

livré 100 macaques au centre de Reston et 100 autres dans un autre centre de quarantaine à Alice (Texas, USA).

Entre le 01/02/90 et le 15/03/90, 46 de 52 singes d’une zone de quarantaine sont morts.

Les 6 restants étaient positifs pour EBO-R (certains étaient co-infectés par le virus SHF).

Deux cas (asymptomatiques) ont été identifiés biologiquement chez des employés de ces centres.

Ebola-Reston

30 mars 2009

Département International & Tropical

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• Sienne (Italie), 1992 55 singes ont été importés des Ferlite Farms

vers l’Italie en Mars 1992. 8 singes sont morts entre mars et avril, les

autres ont été abattus. EBO-R a été isolé chez 3 singes. Aucun signe clinique ou biologique d’infection

à EBO-R n’a été détecté parmi 16 contacts humains.

• Alice (Texas, USA) 1996 En Mars 1996, deux singes d’un nouveau

groupe de 100 primates importés des Ferlite Farms sont morts d’une infection confirmée à EBO-R. Des singes étaient également infectés par SHF.

Aucun cas d’infection par EBO-R n’a été identifié chez les 8 employés du centre de quarantaine exposés.

Par ailleurs, une étude sérologique menée à titre systématique chez 55 personnels de l’animalerie des CDC à Atlanta (USA) hors notion de circulation chez les singes a retrouvé 1 cas (1,8%) asymptomatique.

3. EPISODES CONNUS DE TRANSMISSION A L’HOMME D’EBO-R AUX PHILIPPINES

• 1989 - 1996 : Exposition aux singes L’animalerie des Ferlite Farms, située à

Calamba, Province de Laguna, Philippines (cf. Fig. 1) centralisait des animaux nés en captivité ou capturés pour l’essentiel sur l’île de Mindanao.

Suite aux épisodes décrits en 1989-1990, la plupart des singes de la ferme ont été abattus.

Entre 1989 et 1996, des études sérologiques menées aux Philippines ont permis d’identifier 5 porteurs d’anticorps anti-EBO-R chez des personnels d’animalerie ayant eu des contacts avec des Macaques malades ou morts. Tous étaient des employés de la ferme de Calamba, le seul centre d'exportation de singes où EBO-R a été identifié (Tab. 1).

Une enquête a été menée aux Philippines en 1996 après les cas survenus à Alice (Texas, USA). Les résultats ont montré que :

- De nombreux singes étaient morts au cours des semaines précédentes, certains singes étant infectés par EBO-R ;

- Parmi les 18 employés de la ferme dépistés, un cas d’infection (asymptomatique, déjà connu en 1992) a été diagnostiqué. Aucun autre cas n’a été retrouvé parmi 228 ouvriers d’autres centres de primates de la région ;

- Quatre contacts exposés à une personne présentant ou ayant présenté des anticorps anti-EBO-R ont été identifiés : aucun ne présentait de signes biologiques d’infection.

L’élevage de Ferlite Farms à Calamba a été définitivement fermé suite à l'épidémie de 1996.

Tableau 1 : Données disponibles sur 9 cas asymptomatiques de transmission du virus

Ebola-Reston (EBO-R) du singe à l’homme, 1989-1996 (Source : littérature, OMS et CDC)*.

Lieu et année des foyers N Exposés

N infectés (%)

Reston (USA), 1989 149 4 (2,7%)

Philadelphie (USA), 1989

Reston et Alice (USA), 1990 29** 0* (0%)

Sienne (Italie), 1992 16 0 (0%)

Philippines, 1989-1990 18 3 (16,7%)

Philippines, 1992 21 2 (9,5%)

Alice, 1996 10 0 (0%)

Philippines, 1996 18 0 (0%)

Total 261 9 (3,4%)

* Les résultats en IFAT (considérés non spécifiques) ont été écartés au profit de résultats en ELISA lorsque ceux-ci étaient disponibles ; ** Données calculées : 178 personnes exposées au total aux USA en 1989-1990, dont 149 à Reston en 1989. Restent 29 personnes exposées à Philadelphie et à Reston et Alice, USA, en 1990.

Figure 1 : Distribution géographique des foyers Ebola-Reston aux Philippines, 1989-2008.

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• 2007 - 2008 : Exposition aux porcs En 2007-2008, des morts inexpliquées de

porcs ont été rapportés aux Philippines. Les investigations menées autour des

élevages ont permis d'isoler le virus EBO-R chez des cochons malades en septembre 2007 dans la province de Pangasinan et en mai et juin 2008 dans la province de Bulacan (Fig. 1).

Des prélèvements effectués chez 28 porcs malades ont été analysés. Plusieurs étaient positifs pour le virus du syndrome reproductif et respiratoire porcin (PPRS) et 6 (provenant de deux élevages distincts) pour Ebola-Reston.

Le virus EBO-R isolé chez le porc en 2008 est considéré comme assez similaire mais différent des souches isolées chez le singe en 1989, 1992 et 1996.

Par ailleurs, sur 141 personnes exposées à des cochons malades dans les deux fermes affectées ou travaillant dans les abattoirs voisins, 6 (4,2%) présentaient des anticorps IgG anti-Reston :

- Le propriétaire d’un élevage familial à Valenzuela City (Grand Manille) ;

- 3 ouvriers : 2 d’un élevage porcin de Bulacan et 1 autre d’un élevage de Pangasinan, (tous deux fermés suite à l’identification d’EBO-R chez le porc en 2008) ;

- 1 employé d’abattoir à Pangasinan - 1 employé d’abattoir à Cabanatuan, province

de Nueva Ecija. Selon les autorités philippines, aucune de ces

6 personnes n’a présenté de symptôme notable au cours des 12 derniers mois.

4. VIRUS EBOLA, RESERVOIRS ET TRANSMISSION

• Sur le continent africain, les chauves-souris joueraient un rôle important (réservoir) dans le maintien du cycle des Filovirus au vu : De cas humains d’Ebola ou de Marburg

documentés après contact avec des chauves-souris ou leurs déjections dans des grottes en Afrique ;

D’études récentes montrant que certaines espèces de chauves-souris capturées vivantes étaient porteuses des virus Ebola ou Marburg ;

Du constat que des chauves-souris infectées expérimentalement par Ebola deviennent virémiques mais ne meurent pas systématiquement de l’infection.

• Les chauves-souris seraient un réservoir et un vecteur pour les Filovirus en Afrique. L’infection d’autres espèces de mammifères surviendrait de manière accidentelle par contact avec des

liquides biologiques (déjections, consommation de fruits souillés ou de chauves-souris) (Fig. 2).

• L’infection par le virus Ebola chez d’autres animaux est bien documentée : en Afrique, des épidémies chez l’homme sont survenues après contact avec des chimpanzés, gorilles, singes, antilopes forestières ou des porcs-épics malades ou morts.

• Les élevages porcins impliqués dans les épizooties à EBO-R aux Philippines en 2008 sont très proches de vergers abritant de nombreuses chauves-souris.

• Par ailleurs, le rôle des chauves-souris dans la transmission de virus émergents dans des élevages porcins est bien documenté en Malaisie (par exemple, virus Nipah).

COMMENTAIRES Le foyer 2007-2008 aux Philippines est le premier évènement d’infection EBO-R documenté chez le porc. Cependant, de nombreux porcs étaient co-infectés par d’autres virus connus pour leur pathogénicité chez cet animal. Il est donc important de documenter et quantifier avec précision le pouvoir pathogène spécifique du virus Ebola-Reston – très probable - chez le porc. Depuis l’identification du virus Ebola-Reston aux USA en 1989 à ce jour, la transmission à l’homme a été documentée chez 15 personnes, toutes asymptomatiques. Tous ces cas humains avaient été exposés à des animaux chez lesquels la circulation d’EBO-R a été confirmée (9 cas sur 261 personnes ayant une exposition à des singes - voir Tableau 1 - et 6 cas sur 141 exposés à des porcs). On ne dispose d’aucune donnée épidémiologique concernant la transmission éventuelle à l’homme en-dehors de ces épisodes révélés par des foyers animaux détectés aux USA, dans une partie des Philippines et en Europe. Au vu du rôle important des chauves-souris dans la transmission des Filovirus en Afrique ainsi que dans celle d’autres virus à des porcs en Asie, l’implication de chauves-souris est fortement suspectée. Des études sont en cours pour documenter l’épidémiologie d’Ebola-Reston et le rôle exact des chauves-souris (réservoir, transmission) autour des foyers porcins décrits en 2007-2008 aux Philippines. Les données disponibles à ce jour ne semblent pas indiquer que ce phénomène émergent constitue à l’heure actuelle une menace majeure pour la santé publique. En l’absence de données spécifiques de surveillance, l’existence d’une

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circulation plus importante et la survenue de cas humains présentant des formes symptomatiques voire sévères ne peut cependant être formellement exclue. D’autres éléments doivent inciter à la prudence : les infections asymptomatiques à Ebola-Reston suite au contact avec des animaux ou leurs tissus ont été décrites chez des personnes en bonne santé et on ignore les conséquences d’une infection par EBO-R chez des sujets plus vulnérables. Par ailleurs, on ne

dispose d’aucune donnée sur la circulation de ce Filovirus chez l’animal ou chez l’homme ni dans le reste des Philippines ni dans d’autres pays de la région. L’évolution d’une espèce Ebola dont plusieurs autres espèces sont connues pour leur pouvoir pathogène élevé chez l’homme et notamment en l’absence de données épidémiologiques plus complètes, doit être étudiée chez l’animal et chez l’homme et suivie avec la plus grande attention.

Figure 2 : Distribution géographique des foyers de fièvre hémorragique à virus Ebola dans l’Ancien Monde et aire de répartition des chauves-souris frugivores de la famille des Pteropodidae (adapté de OMS).