[carlo m. cipolla] les lois fondamentales de la stupidite

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Cippola, stupidite

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  • Carlo M. Cipolla

    Les lois fondamentales de la stupidithumaine

    Traduit de langlais par Laurent Bury

  • Presses Universitaires de FranceTitre original : The Basic Laws of Human Stupidity 1988

    by Societ editrice Il Mulino, BolognaISBN 978-2-13060701-4 Dpt lgal 1re dition 2012, mai

    Presses Universitaires de France, 20126, avenue Reille, 75014 Paris, pour la traduction franaise

  • Note de lditeurInitialement rdig en anglais, ce livre a t publi en 1976 en

    dition limite et numrote, chez un diteur arborant le nomimprobable de Mad Millers , les Meuniers Fous.Lauteur pensait que ce court essai ne pourrait tre pleine-

    ment apprci que dans sa langue de rdaction. Il refusa doncpendant longtemps de le faire traduire. Ce nest quen 1988 quilaccepta lide dune version italienne, dans le cadre dun volumeintitul Allegro ma non troppo, qui incluait galement lessai LePoivre, le vin (et la laine) comme facteurs dynamiques du d-veloppement socio-conomique au Moyen ge, dabord rdigen anglais et publi par Mad Millers pour Nol 1973.

    Allegro ma non troppo est devenu un best-seller internatio-nal. Pourtant, par une ironie que lauteur de ces lois aurait ap-prcie, il dut attendre prs dun quart de sicle pour tre publidans sa langue de rdaction initiale : lautomne 2011, lditeuritalien Il Mulino faisait paratre, en anglais, The Basic Laws ofHuman Stupidity. Cest ce texte original qui sert ici de base latraduction franaise.

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    Les Mad Millers au lecteurLdition prive de 1976 tait prcde de cette note de

    lditeur, rdige par lauteur :Les Mad Millers nont imprim quun nombre limit

    dexemplaires de ce livre qui sadresse non aux gens stupidesmais ceux qui ont parfois affaire ces gens. Il est donc super-flu de prciser quaucun de ceux qui ce livre sera offert ne sau-rait se situer dans la zone S du schma de base (figure 1).Nanmoins, comme la plupart des choses inutiles, il est bon dela mettre noir sur blanc. Car comme dit le philosophe chinois, lrudition est la source de la sagesse universelle, mais celanempche pas quelle soit parfois cause de malentendus entreamis .

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    IntroductionLhumanit est dans le ptrin. Ce nest pas une nouveaut, ce-

    la dit. Aussi loin que lon puisse remonter, lhumanit a toujourst dans le ptrin. Le fardeau des soucis et des misres que doi-vent porter les tres humains, comme individus ou commemembres de socits organises, est la base la consquence dela manire hautement improbable, joserais mme dire stupide,dont la vie fut vcue ds lapparition de lhumanit.Depuis Darwin, nous savons que nous avons des origines en

    commun avec les membres infrieurs du royaume animal ; lesvers de terre comme les lphants ont supporter leur lot quo-tidien dpreuves, dennuis et de tracas. Les humains ont pour-tant le privilge den supporter une dose supplmentaire, dontla source est un groupe dindividus appartenant ladite racehumaine. Ce groupe est beaucoup plus puissant que la Mafia, lecomplexe militaro-industriel ou linternationale communiste ;cest un groupe dnu de statut, sans structure ni constitution,sans chef ni prsident, qui russit pourtant fonctionner parfai-tement lunisson, de telle sorte que lactivit de chaquemembre contribue amplifier et rendre plus forte et plus effi-cace celle de tous les autres. Les pages qui suivent sont consa-cres la nature, au caractre et au comportement des membresde ce groupe.Permettez-moi de souligner ici que ce petit livre ne saurait en

    aucun cas tre tax de cynisme ou de dfaitisme, pas plus quene pourrait ltre un ouvrage de microbiologie. Ces pages sonten fait le rsultat dun effort constructif visant dtecter, con-natre et peut-tre neutraliser lune des plus puissantes forcesobscures qui entravent le bien-tre et le bonheur de lhumanit.

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    I. Premire loi fondamentaleLa Premire Loi fondamentale de la Stupidit humaine af-

    firme sans ambigut que Chacun sous-estime toujours invitablement le nombre dindividus

    stupides existant dans le monde1 .Cette affirmation peut au premier abord sembler triviale,

    vague et affreusement peu charitable. Un examen plus attentifen rvle pourtant la vracit et le ralisme. Si lev que lonjuge le niveau de la stupidit humaine, on est rgulirementfrapp, de faon rcurrente, par le fait que :a) Les gens que lon croyait rationnels et intelligents savrent

    outrageusement stupides.b) Jour aprs jour, avec une monotonie imparable, chacun est

    harcel par des individus stupides qui surgissent limproviste,dans les lieux les plus malcommodes et aux moments les plusimprobables.La Premire Loi fondamentale mempche dattribuer une va-

    leur numrique prcise au pourcentage de lhumanit que re-prsentent les gens stupides : toute estimation chiffre serait ende de la ralit. Dans les pages qui suivent, jemploierai doncle symbole pour dsigner le pourcentage dtres stupides ausein dune population.

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    II. Deuxime loi fondamentaleDans la culture occidentale, lgalitarisme est aujourdhui en

    vogue. On aime considrer les tres humains comme le pro-duit dun appareil de production en masse qui fonctionne laperfection. Sappuyant sur une quantit impressionnante deformules et de donnes scientifiques, gnticiens et sociologuesse donnent beaucoup de mal pour prouver que tous les hommessont naturellement gaux et que si certains sont plus gaux quedautres, cest le fait de la culture et non de la nature.Je moppose cette ide reue. Aprs des annes

    dobservation et dexprimentation, jai la ferme conviction queles hommes ne sont pas gaux, que les uns sont stupides et lesautres non, et que la diffrence dpend de la nature et non defacteurs culturels. Tel individu est stupide de la mme faon quetel autre a les cheveux roux ; on appartient au groupe des stu-pides comme on appartient un groupe sanguin. Lhomme stu-pide nat stupide par la volont de la Providence.Mme si je suis convaincu quun pourcentage dtres hu-

    mains est stupide et lest pour des raisons gntiques, je ne suispas un ractionnaire et je ne tente pas de rintroduire subrepti-cement une discrimination de classe ou de race. Je suis certainque la stupidit est la chose du monde la mieux partage etquelle est uniformment rpartie selon une proportion cons-tante. Ce fait est scientifiquement exprim par la Deuxime Loifondamentale, qui dit que

    La probabilit que tel individu soit stupide est indpendante detoutes les autres caractristiques de cet individu .Sur ce point, la Nature semble bien stre surpasse. On sait

    que la Nature russit, assez mystrieusement, maintenir lafrquence relative de certains phnomnes naturels. Parexemple, que lespce humaine se multiplie au Ple Nord ou lEquateur, dans les pays riches ou en voie de dveloppement,

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    que les parents soient noirs, rouges, blancs ou jaunes, la propor-tion hommes/femmes est constante parmi les nouveau-ns,avec un lger avantage pour les mles. On ignore comment laNature parvient ce rsultat remarquable mais nous savonsquelle doit pour cela brasser des quantits importantes. Ce quily a de plus remarquable, dans la frquence de la stupidit, cestque la Nature la maintient gale la probabilit , indpen-damment de la taille du groupe. On trouve donc le mme pour-centage dindividus stupides dans les groupes humains les plusnombreux comme dans les plus restreints. Aucun autre en-semble de phnomnes observables noffre une preuve aussifrappante de la puissance de la Nature.Que lducation nait rien voir avec la probabilit , cela a

    t prouv par des expriences menes dans quantitduniversits travers le monde. On peut subdiviser la popula-tion composite dune universit en cinq groupes principaux : lestravailleurs en col bleu, les employs en col blanc, les tudiants,ladministration et les enseignants.Chaque fois que jai analys la population en col bleu, jai d-

    couvert quun pourcentage dentre eux tait stupide. Commela valeur de tait plus leve que prvu (Premire Loi), jaidabord attribu ce rsultat, suivant une ide dans lair dutemps, la sgrgation, la pauvret et au manquedinstruction. Mais, en abordant les chelons suprieurs de lahirarchie sociale, jai pu observer le mme pourcentage parmiles cols-blancs et les tudiants. Plus impressionnant encore taitle rsultat parmi les professeurs. Que luniversit soit grande oupetite, prestigieuse ou obscure, jai constat que la mme frac-tion des enseignants y tait stupide. Cela ma tellement tonnque jai veill tendre mes recherches un groupe spciale-ment choisi, une authentique lite : les laurats du prix Nobel.Le rsultat a confirm la puissance suprme de la Nature : unefraction des prix Nobel est stupide.Lide fut difficile admettre et digrer, mais trop de rsul-

    tats empiriques prouvent cette vrit incontournable. La Deu-xime Loi fondamentale est une loi de fer, qui ne tolre aucune

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    exception. Le Mouvement de Libration des Femmes ne man-quera pas de soutenir la Deuxime Loi puisquelle montre queles individus stupides sont proportionnellement aussi nom-breux parmi les hommes que parmi les femmes. Le Tiers-Monde, de son ct, trouvera sans doute une consolation dansla Deuxime Loi puisquelle prouve que les habitants des paysdvelopps ne sont pas si dvelopps que a. Quon aime ou noncette Deuxime Loi, cependant, les consquences en sont terri-fiantes : que lon volue dans les cercles les plus distingus ouque lon se rfugie parmi les chasseurs de ttes de Polynsie,que lon senferme dans un monastre ou que lon dcide depasser le reste de sa vie en compagnie de femmes belles et las-cives, on rencontre toujours le mme pourcentage dindividusstupides, pourcentage qui (en vertu de la Premire Loi) dpas-sera toujours vos attentes.

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    III. Intermde techniqueIl est prsent ncessaire dclairer le concept de stupidit

    humaine et de dcrire les parties en prsence.Les individus se caractrisent par leur degr de sociabilit.

    Pour certains, tout contact avec dautres individus est une p-nible ncessit ; ils doivent supporter les gens et les gens doi-vent les supporter. lautre extrmit du spectre, certains nepeuvent absolument pas vivre seuls et sont mme prts passerdu temps avec des gens quils naiment pas vraiment plutt quedaffronter la solitude. Entre ces deux extrmes, il existe unegrande varit de conditions, mme si la grande majorit desindividus se situent dans le camp de ceux qui redoutent dtreseuls et non parmi les misanthropes. Aristote en avait pris actelorsquil dclarait que lhomme est un animal politique , vri-t dmontre par le fait que nous voluons au sein de groupessociaux, quil y a plus de gens maris que de clibataires, quelon consacre beaucoup de temps et dargent des ftes en-nuyeuses et puisantes, et que le mot solitude est normale-ment charg de connotations ngatives.Que lon soit un ermite ou un mondain, on a toujours des

    contacts humains ; seule lintensit varie, car mme les ermitesrencontrent parfois des gens. De plus, lhomme affecte ses sem-blables mme en les vitant. Ce que jaurais pu faire pour unepersonne ou pour un groupe mais que je nai pas fait est uneoccasion manque, un gain ou une perte pour cet individu ou cegroupe. Moralit, chacun de nous a un compte courant avectous les autres. Par laction ou par linaction, chacun de noustire de quelquun dautre un gain ou une perte, et en mmetemps cause un gain ou une perte pour autrui. Ces pertes et pro-fits peuvent tre reprsents graphiquement, et la figure 1 pro-pose le schma de base utiliser dans ce but.

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    Ce schma correspond un individu, que nous appelleronsPierre. Laxe X mesure le gain que Pierre tire de ses actes. Surlaxe Y, le schma reprsente le profit quun autre individu ougroupe tire des actes de Pierre. Le gain peut tre positif, nul oungatif (un gain ngatif est en fait une perte). Laxe Xmesure lesgains positifs de Pierre droite du point O et les pertes de Pierre gauche du point O. Laxe Ymesure les gains et les pertes du oudes individus qui Pierre a affaire, respectivement au-dessus eten dessous du point O.Pour rendre cela plus clair, prenons un exemple et rfrons-

    nous au schma n1. Pierre accomplit une action qui affecteJean. Si Pierre tire un gain de cette action alors quelle entraneune perte pour Jean, laction figurera sur le schma sous laforme dun point dans la zone B.

    Fig. 1

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    Les gains et les pertes peuvent tre indiqus sur les axes X etY en dollars ou en euros, si lon veut, mais il faut aussi inclureles avantages et satisfactions psychologiques et affectifs, ainsique les pressions psychologiques et affectives. Ces donnes sontimmatrielles et donc trs difficiles mesurer selon des critresobjectifs. Lanalyse cot-bnfice aide rsoudre le problme,mais en partie seulement, et je ne voudrais pas ennuyer le lec-teur avec ce genre de prcisions techniques : une margedimprcision est invitable, mais elle ninvalide en rien le rai-sonnement. Il faut nanmoins prciser un point. En envisageantlaction de Pierre, il faut lestimer du point de vue de Pierre,mais pour valuer les gains de Jean, positifs ou ngatifs, il fautadopter les valeurs de Jean et non celles de Pierre. Cette rgledquit est trop souvent oublie, et lomission de cette politesselmentaire entrane bien des difficults. Quil me soit permisune fois de plus de recourir un exemple trivial. Pierre frappeJean la tte et tire de cet acte une certaine satisfaction. Il peutfeindre de croire que Jean est ravi davoir t frapp. Jean, enrevanche, ne partage pas forcment lopinion de Pierre. Il peutmme considrer le coup la tte comme un vnement dsa-grable. Le coup port sa tte est-il un gain ou une perte pourJean ? Cest Jean den dcider et non Pierre.

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    IV. Troisime loi fondamentale (qui estaussi une rgle dor)

    Sans le formuler de manire explicite, la Troisime Loi fon-damentale part du principe que lhumanit se divise en quatregrandes catgories : les crtins, les gens intelligents, les banditset les tres stupides. Le lecteur perspicace aura compris que cesquatre catgories correspondent aux quatre zones C, I, B et S duschma de base (voir figure 1).Si Pierre accomplit une action et subit une perte tout en en-

    tranant un gain pour Jean, Pierre se situe dans la zone C : il aagi comme un crtin. Si Pierre accomplit une action qui lui ap-porte un gain tout en en apportant un aussi Jean, Pierre sesitue dans la zone I : il a agi de faon intelligente. Si Pierre ac-complit une action qui lui permet un gain tout en causant uneperte pour Jean, Pierre se situe dans la zone B : il a agi en ban-dit. La zone S correspond la stupidit et toutes les positionssitues en dessous du point O sur laxe Y.La Troisime Loi fondamentale lexplique parfaitement : Est stupide celui qui entrane une perte pour un autre individu ou

    pour un groupe dautres individus, tout en nen tirant lui-mme aucunbnfice et en sinfligeant ventuellement des pertes .Lorsquils dcouvrent la Troisime Loi fondamentale, les es-

    prits rationnels ragissent instinctivement avec scepticisme etincrdulit. De fait, les tres raisonnables ont du mal conce-voir et comprendre les comportements draisonnables. Maisquittons les sphres leves de la thorie pour nous pencheravec pragmatisme sur le quotidien. Nous avons tous le souvenirdoccasions o un individu a accompli une action qui lui a valuun gain et qui nous a caus une perte : nous avions affaire unbandit. Nous nous rappelons aussi certains incidents lors des-quels un individu a accompli une action qui entranait une pertepour lui-mme et un gain pour nous : nous avions affaire un

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    crtin2. Nous nous remmorons des cas o un individu a agi demanire procurer un bnfice tous les intresss : ctait untre intelligent. Ces cas se produisent, en effet, mais tout bienrflchi, il faut avouer quils ne sont pas lgion dans notre vie detous les jours. Notre quotidien est surtout fait dincidents quinous font perdre de largent, et/ou du temps, et/ou de lnergie,et/ou notre apptit, notre gaiet et notre sant, en raison delaction improbable dune crature ridicule qui na rien gagneret qui ne gagne effectivement rien nous causer de lembarras,des difficults ou du mal. Personne ne sait, ne comprend ni nepeut expliquer pourquoi cette crature ridicule agit ainsi. Enralit, il ny a pas dexplication ou, mieux encore, il ny a quuneseule explication : lindividu en question est stupide.

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    V. Distribution des frquencesLa plupart des gens nont pas un comportement cohrent.

    Dans certaines circonstances, tel individu agit de faon intelli-gente, mais se conduira en crtin dans dautres circonstances.La seule exception importante cette rgle est incarne par lesgens stupides qui font en gnral preuve dune forte tendance la cohrence parfaite dans tous les domaines de lactivit hu-maine.De tout cela il rsulte que les individus stupides ne sont pas

    les seuls pouvoir figurer sur le schma de base. Nous pouvonscalculer la position moyenne de chaque personne indpendam-ment de son degr dincohrence. Un crtin peut parfois se con-duire intelligemment et parfois agir comme un bandit. Maispuisque lindividu en question est fondamentalement un crtin,la plupart de ses actions prsenteront les caractristiques de lacrtinerie. La position moyenne de toutes les actions de ce per-sonnage le situera donc dans la zone C du schma de base.Le simple fait quil soit possible de placer sur le schma un

    individu plutt que ses actions autorise quelques digressionssur la frquence des bandits et des tres stupides.

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    Fig. 2

    Le bandit parfait est celui qui, par ses actions, cause auxautres des pertes individuelles gales ses gains.La forme la plus flagrante de banditisme est le vol. Celui qui

    vous vole cent euros sans vous causer dautres dommages est unbandit parfait : vous perdez cent euros, il gagne cent euros. Surle schma de base, les bandits parfaits figurent sur la diagonalequi divise 45 la zone B en deux sous-zones parfaitement sy-mtriques (ligne OM sur la figure 2).Pourtant, les bandits parfaits sont relativement rares. La

    ligne OM divise la zone B en deux sous-zones, BI et Bs ; lagrande majorit des bandits se situent dans lune de ces deuxsous-zones.Les bandits de la zone BI sont les individus qui leurs actions

    apportent un profit suprieur aux pertes causes autrui. Tousles bandits qui mritent une place dans la zone BI sont des ban-dits tendance intelligente ; plus ils se rapprochent du ct

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    droit de laxe X, plus ils partagent les caractristiques de ltreintelligent. Hlas, les individus mritant une place dans cettezone ne sont pas trs nombreux. La plupart des bandits se si-tuent en fait dans la zone Bs. Les individus placs dans cettezone sont ceux qui leurs actions procurent des gains infrieursaux pertes infliges autrui. Si quelquun vous tue pour vousdrober cinquante euros ou pour passer un week-end Monte-Carlo avec votre pouse, on peut tre sr que ce nest pas unbandit parfait. Mme en mesurant ses gains selon ses valeurs(tout en mesurant vos pertes selon vos valeurs), il se situe dansla zone Bs, tout prs de la frontire sparant de la stupidit pure.Les gnraux qui causent des dgts colossaux etdinnombrables victimes pour obtenir une promotion ou unemdaille sont placer dans la mme zone.Pour les tres stupides, la distribution des frquences nest

    pas du tout la mme que pour les bandits. Ceux-ci sont rpartis travers toute leur zone, mais les gens stupides, eux, se concen-trent sur une ligne, en loccurrence sur laxe Y en dessous dupoint O. La raison en est simple : la majorit des tres stupidessont fondamentalement et inbranlablement stupides. Endautres termes, ils font preuve dune grande persvrance dansleur volont dinfliger des maux et des pertes autrui sans entirer aucun gain, positif ou ngatif. Il existe pourtant des gensqui, par leurs actions improbables, nuisent non seulement autrui mais aussi eux-mmes. Dans notre systme, ces tresatteints de sur-stupidit figurent quelque part dans la zone S gauche de laxe Y.

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    VI. Stupidit et pouvoirComme tous les tres humains, les tres stupides varient

    normment dans leur capacit affecter leur entourage. Cer-tains personnages stupides ne causent en gnral que des perteslimites, alors que dautres russissent infliger des dommagespouvantables non seulement un ou deux individus, mais aus-si une communaut, voire une socit tout entire. Le poten-tiel dvastateur des gens stupides dpend de deux facteurs prin-cipaux. Premirement, le facteur gntique : certains individushritent du gne de la stupidit dose exceptionnelle et appar-tiennent ainsi par la naissance llite de leur groupe. Le secondfacteur qui dtermine le potentiel dun tre stupide est li laposition de pouvoir et dminence quil occupe dans la socit.Parmi les bureaucrates, les gnraux, les hommes politiques etles chefs dtat, on trouve sans peine de superbes exemplesdindividus fondamentalement stupides dont la facult de nuireest ou a t rendue beaucoup plus redoutable par la position depouvoir quils occupent ou occupaient. Et il ne faut pas oubliernon plus les hauts dignitaires de lglise.Les tres raisonnables se demandent souvent pourquoi et

    comment les gens stupides peuvent atteindre une position depouvoir et dminence. lre prindustrielle, la classe et la caste taient les struc-

    tures sociales qui favorisaient la nomination rguliredindividus stupides des positions de pouvoir dans la plupartdes socits. La religion tait un autre facteur contributif. Dansle monde industriel moderne, les termes et les concepts de classe et de caste ont t bannis, et la religion est en d-clin. Mais les partis politiques et la bureaucratie se sont substi-tus aux classes et aux castes, et la dmocratie sest substitue la religion. Dans un systme dmocratique, les lections gn-rales sont un instrument tout fait efficace pour garantir le

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    maintien dune fraction a parmi les puissants. Noublions pasque, selon la Deuxime Loi fondamentale, un pourcentage a deslecteurs est compos dindividus stupides et que les lectionsleur offrent tous la fois une occasion formidable de nuire tous les autres sans rien y gagner. Et cest ce quils font en con-tribuant au maintien de la fraction parmi les individus aupouvoir.

  • 20

    VII. Puissance de la stupiditOn comprend sans mal comment le pouvoir social, politique

    et institutionnel renforce le potentiel dvastateur dun individustupide. Reste expliquer et comprendre en quoi la stupiditrend un individu dangereux pour autrui, autrement dit en quoiconsiste la puissance de la stupidit.Les cratures essentiellement stupides sont dangereuses et

    redoutables parce que les individus raisonnables ont du mal imaginer et comprendre les comportements draisonnables.Un tre intelligent peut comprendre la logique dun bandit. Lesactions du bandit obissent un modle rationnel ; dune ratio-nalit dplaisante, peut-tre, mais rationnel tout de mme. Lebandit veut avoir plus sur son compte. Puisquil nest pas assezintelligent pour concevoir le moyen dobtenir ce plus tout envous offrant un plus vous aussi, il crera ce plus en provo-quant un moins sur votre compte. Cest une mauvaise action,mais elle est rationnelle, et si on est rationnel, on peut sy at-tendre. On peut prvoir les actions dun bandit, ses manuvresmalfaisantes et ses aspirations dtestables ; on peut donc sou-vent sen dfendre.Face un individu stupide, tout cela est absolument impos-

    sible, comme lexplique la Troisime Loi fondamentale. Ltrestupide vous harcle sans raisons, sans aucun avantage pour lui,sans aucun programme ni projet, dans les moments et dans leslieux les plus improbables. Il nexiste aucun moyen rationnel dedterminer quand, comment ou pourquoi la crature stupideattaquera. Quand il se prsente vous, vous tes entirement la merci de lindividu stupide.Parce que les actions des gens stupides ne sont pas conformes

    aux rgles de la rationalit, il sensuit que :a) Leur attaque nous prend en gnral au dpourvu ;

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    b) Mme lorsquon prend conscience de lattaque, nous nepouvons organiser aucune dfense rationnelle, parce quelattaque est elle-mme dpourvue de toute structure ration-nelle.Lactivit et les mouvements dun tre stupide tant par na-

    ture erratiques et irrationnels, toute dfense savre problma-tique, et contre-attaquer est extrmement difficile, comme silon essayait de tirer sur une cible capable des mouvements lesplus improbables et les plus incongrus. Cest quoi pensaientDickens et Schiller lorsque le premier dclarait que lhommepeut tout affronter, arm de stupidit et dune bonne diges-tion , et lorsque le second crivait que contre la stupidit lesdieux mmes luttent en vain .

  • 22

    VIII. Quatrime loi fondamentaleLes crtins, ceux qui occupent la zone C dans notre systme,

    ignorent en gnral quel point les gens stupides sont dange-reux. Rien dtonnant cela : ce nest quun signe de plus deleur crtinerie. Ce qui est vraiment surprenant, cest que lestres intelligents et les bandits ne sont gure plus capables dereconnatre la puissance destructrice propre la stupidit. Il estextrmement difficile dexpliquer pourquoi il en est ainsi, et lonpeut seulement observer que, face des gens stupides, deshommes intelligents et des bandits commettent souvent lerreurde se laisser aller lautosatisfaction ddaigneuse au lieu defaire des provisions dadrnaline et de btir leurs dfenses.On pourrait croire que lhomme stupide ne nuit qu lui-

    mme, mais ce serait confondre stupidit et crtinerie. Noussommes parfois tents de nous associer avec un tre stupideafin quil serve nos objectifs. Les consquences sont toujoursdsastreuses parce que a) ce calcul repose sur un malentenducomplet quant la nature essentielle de la stupidit et b) il offre lindividu stupide une marge de manuvre encore plus vastepour lexercice de ses talents. On espre toujours manipulerltre stupide, et dailleurs on y parvient, jusqu un certainpoint. Mais, en raison du ct erratique de leur comportement,on ne peut prvoir toutes les actions et ractions des gens stu-pides et on se retrouve trs vite pulvris par les dcisions im-prvisibles de lassoci stupide.Cest ce que rsume clairement la Quatrime Loi fondamen-

    tale, stipulant que Les non-stupides sous-estiment toujours la puissance destructrice

    des stupides. En particulier, les non-stupides oublient sans cesse quentous temps, en tous lieux et dans toutes les circonstances, traiter et/ousassocier avec des gens stupides se rvle immanquablement tre uneerreur coteuse .

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    Depuis des sicles, depuis des millnaires, dans la vie pu-blique comme dans la vie prive, dinnombrables individus ontomis de prendre en considration la Quatrime Loi fondamen-tale, ce qui sest traduit par des pertes inimaginables pourlhumanit.

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    IX. Macroanalyse et cinquime loifondamentale

    La conclusion du prcdent chapitre nous mne une ma-croanalyse o, au lieu de se limiter au bien-tre dun individu,on envisage le bien-tre de la socit tout entire, prise dans cecontexte comme la somme algbrique des conditions indivi-duelles. Une pleine comprhension de la Cinquime Loi fonda-mentale est essentielle lanalyse. Soit dit entre parenthses,des cinq Lois fondamentales, la cinquime est sans doute la plusconnue et son corollaire est trs souvent cit. La Cinquime Loifondamentale nonce que

    Lindividu stupide est le type dindividu le plus dangereux .Le corollaire de cette Loi est que Lindividu stupide est plus dangereux que le bandit .La formulation de la Loi et son corollaire relvent encore de

    la microanalyse. Comme on la dit, cependant, la Loi et son co-rollaire ont des consquences non ngligeables pour la macros-tructure.Lessentiel retenir est ceci : le rsultat de laction dun par-

    fait bandit (lindividu qui se situe sur la ligne OM de la figure 2)est purement et simplement un transfert de fortune et/ou debien-tre. Aprs laction dun parfait bandit, le bandit disposesur son compte dun plus qui quivaut exactement au moinscaus autrui. La socit dans son ensemble ne sen porte nimieux ni plus mal. Si tous les membres dune socit taient deparfaits bandits, la socit stagnerait mais on ny constateraitaucun dsastre majeur. Lconomie se limiterait dnormestransferts de richesses et de bien-tre en faveur de ceux quiagissent. Si tous les membres de la socit agissaient tour derle, non seulement la socit dans son ensemble mais aussi les

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    individus se trouveraient dans une situation parfaitementstable, excluant tout changement.Quand les gens stupides sont luvre, cest une autre his-

    toire. Les gens stupides causent des pertes aux autres, sans gainpersonnel en contrepartie. La socit dans son ensemble en estdonc appauvrie.Le systme de comptabilit qui sexprime sur les schmas de

    base montre que, si toutes les actions des individus se situant droite de la ligne POM (voir figure 3) ajoutent au bien-tredune socit, des degrs divers, les actions de tous les indivi-dus situs gauche de cette mme ligne POM entranent unedtrioration.

    Fig. 3

  • 26

    En dautres termes, les crtins tendance intelligente (zoneCI), les bandits tendance intelligente (zone BI), et surtout lesintelligents (zone I) contribuent tous, des degrs divers, ac-crotre le bien-tre dune socit. En revanche, les bandits tendance stupide (zone Bs) et les crtins tendance stupide(zone Cs) russissent ajouter des pertes celles que causent lesgens stupides, renforant encore la puissance destructrice de cedernier groupe.Tout cela inspire quelques rflexions sur le fonctionnement

    des socits. Selon la Deuxime Loi fondamentale, la fraction degens stupides est une constante qui nest affecte ni par letemps, ni par lespace, ni par la race, ni par la classe, ni par au-cune autre variable socioculturelle ou historique. Ce serait unegrave erreur de croire que le nombre dindividus stupides dansune socit sur le dclin est plus grand que dans une socit enplein essor. Lune comme lautre souffrent du mme pourcen-tage de membres stupides. La diffrence tient ce que, dans lasocit moins performante :a) Les autres individus laissent les stupides tre plus actifs et

    accomplir plus dactions ;b) On remarque un changement dans la composition de la

    section non stupide, avec un dclin relatif des populations deszones I, CI ; et BI et une hausse proportionnelle des populationsdes zones Cs et Bs.Ce prsuppos thorique est amplement confirm par une

    analyse exhaustive des cas historiques. En fait, lanalyse histo-rique nous autorise reformuler les conclusions thoriques demanire plus factuelle, avec des dtails plus ralistes.Que lon envisage lAntiquit, le Moyen ge, les temps mo-

    dernes ou lpoque contemporaine, on est frapp de constaterque tout pays sur la pente ascendante a son invitable fraction dindividus stupides. Les pays en plein essor comptent aussi untrs fort pourcentage de gens intelligents qui russissent teniren respect la fraction et en mme temps garantir le progrs

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    en produisant assez de gains pour eux-mmes et pour les autresmembres de la communaut.Dans un pays sur la pente descendante, la fraction dtres

    stupides reste gale ; cependant, dans le reste de la popula-tion, on remarque parmi ceux qui dtiennent le pouvoir uneprolifration inquitante de bandits tendance stupide (sous-zone Bs de la zone B, figure 3) et, parmi ceux qui ne sont pas aupouvoir, une augmentation tout aussi inquitante du nombre decrtins (zone C du schma de base, figure 1). Ce changementdans la composition de la population non stupide renforce in-vitablement la puissance destructrice de la fraction , et le d-clin devient inluctable. Et cest la chienlit.

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    AppendiceDans les pages suivantes, le lecteur trouvera plusieurs sch-

    mas de base quil pourra utiliser pour noter les actionsdindividus ou de groupes auxquels il a affaire. Cela lui permet-tra dtablir une valuation utile des individus ou groupes tu-dis, et dagir de faon rationnelle.

    X=Y= (Le lecteur)

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    X=Y= (Le lecteur)

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    Notes1. Les compilateurs de lAncien Testament avaient connais-

    sance de la Premire Loi fondamentale et la paraphrasrentquand ils notrent que stultorum infinitus est numerus ,mais ils cdrent aux tentations de lexagration potique. Eneffet, le nombre dindividus stupides ne peut tre infini puisquele nombre dtres vivants est fini.2 Evidemment, tout dpend du sujet de la phrase un indivi-

    du a accompli une action . Cest l ce qui prouve sa crtinerie.Si cest moi qui accomplis une action se traduisant par un gainpour moi et une perte pour lautre, alors la situation est diff-rente : cest moi qui suis un bandit.