berdiaev-le grand inquisiteur
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socialisme qui prétend remplacer la religion
et
construit
la
tour de
Babel. Partout où l homme est pris sous tutelle, partout où l apparent
souci de son bonheur
et
de son bien-être va de pair avec le mépris, le
refus d admettre son origine et sa destination supérieures, l esprit du
Grand
Inquisiteur est bien vivant. Partout où l on préfère
le
bonheur
à
la liberté, où le temporel prime sur l éternel, où l amour des hommes
s oppose celui de Dieu,
l
est vivant. Partout où l on affirme que pour
être heureux l homme n a pas besoin de vérité, qu on peut vivre bien
sans connaître le sens de la vie, il est présent. Partout où l humanité
succombe aux trois tentations du diable, la transformation des pierres
en pains, le miracle matériel et l autorité sur les royaumes de ce
monde, on rencontre le
Grand
Inquisiteur. Son esprit se cache sous
des apparences diverses, souvent incompatibles. Le
Grand
Inquisi
teur, manifestation du principe mauvais, du mal métaphysique dans
le monde et dans l histoire, fut présent dans l Église ancienne, qui
niait la liberté de la conscience et brùlait les hérétiques, plaçant l auto
rité au-dessus de la liberté; il est présent dans le positivisme, cette
religion qui idolâtre l homme et sacrifie la liberté suprême au bien
être; il est présent dans les institutions de l État qui adore César et
son glaive, dans toutes les formes de l absolutisme où l État est ido
lâtré, la liberté bannie et l homme protégé tel
un
animal méprisable,
dans
le
socialisme qui nie l éternité et la liberté au nom d un ordre ter
restre, de la satiété terrestre du troupeau humain.
Les premières paroles que le
Grand
Inquisiteur adresse au
Christ
en prison, sont : «
De
quel droit voudrais-Tu, du reste, ajouter quoi
que ce soit
ce
que
Tu
as enseigné jadis? Pourquoi donc viens-Tu,
aujourd hui, nous déranger?
Car Tu es
venu
pour
nous déranger, c est
certain, et Tu ne l ignores pas Toi-même. »
Toujours, toujours dans l histoire, lorsque le
Christ
est apparu
dans la vie des hommes
pour
apporter une parole de liberté venue
d ailleurs, pour rappeler l éternelle destination de l homme, chaque
fois que Son Esprit est descendu sur les hommes il fut accueilli de la
sorte par les puissants de
ce
monde. Le
Grand
Inquisiteur, représen
tant du catholicisme, lui dit:
«Tout
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mettant de transformer les pierres en pains, les prouesses techniques.
Ils n ont pas besoin de liberté non plus, ils ne recherchent que le bon-
heur
et
la satisfaction; ils n ont point besoin d amour, car
on
peut les
unir par la violence, on peut les contraindre à la vie sociale. La parole
libre, qui empêche de construire l édifice, ne pourra être prononcée,
elle sera étouffée,
par
une force physique
ou
spirituelle.
Déjà
on
entend mal ceux qui tentent de rappeler l origine et la vocation supé
rieures de l homme.
Le Grand Inquisiteur ne recule devant aucune ruse; son esprit se
manifeste
aussi bien
dans
le conservatisme, gardien des valeurs
anciennes - l autorité de l État qui organisa naguère la vie des
hom-
mes - que dans les tendances révolutionnaires qui créent de nouvelles
valeurs,
une
nouvelle organisation sociale où la vie humaine sera
définitivement arrangée pour le
bien
de tous. Mais nous, nous
disons : la parole de vérité
et
de liberté
doit
être prononcée, même au
péril de tout l édifice du bien-être humain, dussent toutes les fonda
tions anciennes
et
nouvelles et tous les royaumes de la terre en être
ébranlés
et
le monde empirique se désagréger
et
s envoler
dans
l abîme.
Nous
disons ceci au nom de la dignité absolue de l homme,
en croyant au sens du monde, à l éternité, et nous ne voulons pas sou
tenir e monde par le mensonge
et
l illusion. D ailleurs, l humanité ne
périrait ni le
monde
ne se désagrégerait à cause d une parole libre
et
vraie. Cette parole, la seule à même de conduire l humanité vers une
vie éternelle, entière, libre et sensée ne pourrait que sauver le monde.
La tour de Babel s écroule, la prison de la condition terrestre tombe,
le mirage du monde empirique se dissipe : qu il en soit ainsi. L éter
nelle liberté
et la dignité absolue de l homme, ses liens avec l intem
porel sont bien plus précieux que toute organisation sociale, toute
quiétude,
tout
bien-être,
tout bonheur
indigne, pitoyable, inconsis
tant. On ne saurait éviter la dernière tragédie de l existence humaine;
autant marcher vers elle librement et dignement. Aucun positivisme
ne pourra nous cacher le sens de la vie, aucun socialisme ne pourra
nous masquer la fin du
monde
libératrice.
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8/19/2019 Berdiaev-Le Grand Inquisiteur
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Lui dit-il, les bons conseils et les avertissements ne
T ont
pas manqué
jadis, mais Tu n as pas voulu en tenir compte. Tu s rejeté l unique
voie qui pouvait mener les hommes au bonheur. Ce fut une chance
qu en quittant la terre
Tu
nous aies confié la tâche d achever Ta mis
sion.
Tu
nous
s
chargés de diriger l humanité.
Tu
nous a donné
Ta
promesse,
Tu
s
établi
notre
autorité sur
Ton
Verbe,
Tu
nous
s
donné le droit de lier et de délier, et ce droit, Tu ne saurais évidem
ment nous le retirer désormais. Pourquoi donc
es-Tu
venu nous
d
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eranger.
»
Ainsi parle le catholicisme qui a quitté les voies du Christ, rem
plaçant la liberté par l autorité, l amour
par
les tortures de l Inquisi
tion, sauvant de force les
«rebelles»
méprisables.
Mais
l esprit
du
Grand Inquisiteur est également présent dans les autres Églises qui
ont,
elles aussi,
« vaincu
la liberté afin
de rendre
les
hommes
heureux
»,
sauvant des
«
rebelles
»
contre leur volonté et leur dignité,
empruntant des voies où l homme pouvait trouver le bonheur, mais
qui ont été rejetés par le Christ. L État faisait la même chose en pre
nant
sous sa tutelle le genre
humain
rebelle et en privant les hommes
de leur liberté pour mieux arranger leur existence, exerçant
s
violence
sur eux au nom d un bonheur
animal.
La
religion positiviste, le socia
lisme suit l Inquisiteur sur cette voie afin d ériger une tour de Babel
sans Dieu et oublier la liberté et le sens de la religion. De nouveau,
on
tente d organiser l humanité, en lui ôtant sa dignité suprême, en
la contraignant au
bonheur
obligatoire.
Le
socialisme naissant et le
catholicisme déclinant qui a succombé à la tentation des royaumes
terrestres ont bien des choses en commun, ils sont habités par un
même esprit. La nouvelle religion, le socialisme positiviste et athée,
qui cherche
à
installer l humanité dans une existence sans Dieu et
contre Dieu, croit que c en est fini de la liberté, fini pour de bon. Et
les hommes
dont
ils veulent le bien-être et le
bonheur
sont plus que
jamais persuadés d être complètement libres. Oubliant leur origine et
leur destination, renonçant au rêve de gagner le ciel, ils croient que
«
c est maintenant, pour la première fois, que nous pouvons songer au
bonheur de l humanité ».
330
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8/19/2019 Berdiaev-Le Grand Inquisiteur
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-
8/19/2019 Berdiaev-Le Grand Inquisiteur
14/43
d une
intelligence humaine ordinaire, mais d un
Esprit
éternel et
absolu.
Car
elles contiennent en elles, car elles englobent toute l'his
toire ultérieure de l'humanité, et offrent trois symboles qui résument
les contradictions insolubles de la nature humaine.
Ces
vérités
n'apparaissent pas alors en pleine lumière, car l'évolution future du
monde n'était pas encore connue, mais aujourd'hui, après quinze siè
cles révolus, nous constatons que tout ce qui avait été prévu et prédit
dans ces trois questions s'est réalisé
si
complètement qu'on ne pour
rait rien y ajouter ni en retrancher désormais.
»
Voici ce que dit
'Inquisiteur au
Christ
apparu devant lui.
Toute
l'histoire du monde chrétien est une
lutte
continue du
Christ,
principe de la liberté,
du
sens, de la
nature
supérieure
en
l'homme et de la vie éternelle, contre les trois tentations
du
diable. Et
aujourd'hui, vingt et
non
plus quinze siècles plus tard,
tout
cela n'est
pas encore suffisamment clair. Aussi, «
La
Légende » demeure-t-elle
un
livre prophétique. Chez Vladimir Soloviev, l'Antéchrist
186
séduit
également les hommes au moyen de trois tentations : il réalise le rêve
de la religion socialiste, la transformation des pierres en pains; il
nourrit tous les hommes, accomplit des prodiges qui les assujettissent
et fonde le royaume terrestre universel.
LA PREMIÈRE TENTATION
«Tu
veux aller vers les hommes et
Tu
vas vers eux les mains vides,
avec, seulement, la promesse d'une liberté qu'ils sont incapables de
comprendre dans leur simplicité et leur indignité innées,
dont
ils
ont
peur par surcroît, car il n'y a et il n'y a jamais eu d'état plus intolérable
aux hommes et
à
la société que la liberté. Vois-Tu ces pierres dans le
186. Il s'agit de
l Histoire
e
l Antéchrist
intégrée dans
Trois entretiens
de Vladimir
Soloviev, œuvre littéraire influencée par La Légende », dans laquelle trois per
sonnages conversent sur l'Apocalypse, le problème du mal et la société.
-
8/19/2019 Berdiaev-Le Grand Inquisiteur
15/43
désert aride
et
brûlant? Change-les en pains,
et
l'humanité accourra
vers Toi tel un troupeau reconnaissant et docile; elle Te sera recon
naissante
et
soumise, mais tremblera sans cesse de
Te
voir retirer
Tes
mains
et
Tes bienfaits.
Mais
Tu n'as pas voulu priver
l'homme
de la
liberté
et
Tu s rejeté l'offre, en Te disant qu'il n'y aurait plus de vraie
liberté là où l'obéissance s'achèterait par le pain.
Tu
s
répondu que
l'homme ne vit pas de pain seulement. Ne savais-Tu donc pas que
l'Esprit de la terre
se
dresserait contre Toi au
nom
de ce pain terrestre
précisément, qu'il lutterait contre Toi
et
Te vaincrait? Alors la foule
accourra vers lui en disant : Qyi donc
peut se
comparer à la Bête, car
elle nous a donné le feu
du
ciel?" Des siècles s'écouleront et un jour
viendra
où
la sagesse
et
la science humaines proclameront qu'il n'y a
ni mal ni péché, mais seulement des affamés. "Nourris-les
et
ensuite
seulement exige d'eux la vertu "
C'est
avec ce cri qu'on lèvera l'éten
dard contre
Toi
et qu'on détruira Ton temple. On élèvera un autre
édifice à sa place, une seconde tour de Babel terrible. Elle restera ina
chevée comme la première fois, mais Tu aurais
pu
épargner à
l'huma
nité
les
tourments
de
cette
nouvelle
tentative
et
abréger
ses
souffrances de mille ans. Car c'est à nous que les hommes viendront
ensuite, après avoir peiné dix siècles à bâtir leur tour Ils viendront
nous trouver comme jadis
et
nous chercheront dans les catacombes
où
nous nous serons réfugiés (car nous serons de nouveau persécutés).
Ils viendront, disant :
Donnez-nous
à manger, car ceux qui nous
ont
promis le feu
du
ciel nous
ont
trompés."
Nous
achèverons alors
la
construction de la tour, car ceux-là seuls qui nourriront les hommes
pourront
mener cette entreprise à
bonne
fin.
Et
nous les nourrirons,
nous
et
personne d'autre, nous le ferons en Ton nom, en
mentant et
en nous réclamant de Toi. Oh, jamais, jamais ils n'arriveront à se
nourrir sans nous La science ne leur donnera pas de pain aussi long
temps qu'ils demeureront libres, mais ils finiront par
jeter
leur liberté
à nos pieds en nous
disant
: "Asservissez-nous, mais nourrissez
nous." Ils comprendront eux-mêmes que la liberté
et
le pain terrestre
pour tout le monde sont incompatibles, car jamais, jamais ils ne par
viendront à partager le pain équitablement. Ils se convaincront aussi
4
-
8/19/2019 Berdiaev-Le Grand Inquisiteur
16/43
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8/19/2019 Berdiaev-Le Grand Inquisiteur
17/43
annonçant que Dieu n existe pas et que l humanité doit devenir
un
dieu sur la terre. Oh, bien sûr, le socialisme recèle une grande vérité,
car le mensonge de la société capitaliste et bourgeoise est grand. Je
pense même qu en
un
sens, on ne peut qu être socialiste, c est une
vérité élémentaire, et en aucun cas
on
ne saurait réduire le socialisme
une tentation
du diable.
Toutefois,
cette
tentation
naît
dans
1 atmosphère d un socialisme qui n est pas neutre et qui ne se soumet
pas la religion, mais prétend être lui-même une religion. Elle con
duit non pas
à un
bien neutre, mais
à un
mal définitif. Le
Grand
Inquisiteur est démagogue, il se fait passer pour un démocrate, pour
un ami des faibles et des opprimés qui aime tous les hommes. Il
reproche au
Christ
son aristocratisme, son désir de sauver seulement
quelques-uns, les élus, les forts.
«
N aimerais-Tu que quelques dizai
nes de milliers de grands et forts, et les autres millions innombrables
comme le sable de la mer, qui sont faibles, mais qui T aiment, ne ser
viraient-ils que d engrais aux grands et aux forts? Non, les faibles
nous sont chers aussi.
»
C est un passage très important. Le
Grand
Inquisiteur méprise
tant
les hommes et croit
si
peu
en
la nature supé
rieure de l être humain qu il considère que peu seulement sont capa
bles de suivre la voie du sens suprême de la vie, de conquérir le ciel
et
de préférer le pain céleste au pain terrestre. La religion de l homme,
la religion sociale qui cherche à faire passer le désir du pain céleste en
lui substituant le pain terrestre méprise l homme.
O ;te
personne ne
gravisse des montagnes trop hautes, nous enseignent les faux démo
crates, que tout soit aplani, que tous
demeurent
égaux dans leur
médiocrité terrestre. L esprit du Grand Inquisiteur met en doute le
droit
de grandir et de gravir de hautes
montagnes;
au nom d un
amour non véritable, terrestre, et non céleste, au nom d une compas
sion envers nos frères il nous enjoint de partager notre pauvreté,
et
non notre richesse. La richesse spirituelle est interdite. Il est défendu
de penser au ciel,
on
appelle cela de l égoïsme; seul le souci du tem-
porel est louable. Soyez tous petits, pauvres, renoncez toujours votre
liberté, et vous recevrez votre pain terrestre, vous trouverez la paix, et
ce
sera bien pour tout le monde. C est ce qu enseignaient les vieux
336
-
8/19/2019 Berdiaev-Le Grand Inquisiteur
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8/19/2019 Berdiaev-Le Grand Inquisiteur
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ché leur amour libre, a condamné toute violence, il n a pas voulu pour
eux de bonheur forcé, les respectant comme il respectait son Père
céleste. Il n a pas voulu faire naître la foi par le miracle, il a rejeté une
foi contrainte, basée sur un événement extérieur qui assujettit les
hommes. Le Fils de Dieu est venu dans le
monde
sous l apparence du
Crucifié,
non
pas
en tant
que roi
et
souverain, mais humilié
et
sup
plicié afin que
l homme
connaisse et aime librement son Dieu.
Le
miracle de la libre fusion en Dieu et de l amour doit venir de la foi.
Dans
la foi, le plus important, c est une conscience libre. L histoire
universelle n a de sens que si les hommes choisissent Dieu librement.
L Inquisiteur, tout comme le tentateur du désert, promet des miracles
purement
extérieurs capables d assujettir l homme, de le contraindre
au bonheur, de le priver de sa dignité d enfant de Dieu, de sa part de
vie en Dieu à laquelle
l
a droit; le mystère dont il
s
sert pour hyp
notiser ses victimes n est qu aveuglement et ignorance.
Le
miracle
et
le mystère sur lesquels cet esprit bâtit son édifice ne sont que trom
perie, mensonge, charlatanisme et violence.
De
nouveau, c est au
nom
de tous les hommes, au
nom
d un prétendu
esprit démocratique
que le Grand Inquisiteur se dresse contre le Christ.
Il
veut faire croire
que seuls quelques élus ressusciteront en Christ. «Tu peux être fier
de ces enfants de la liberté, qui
T ont
donné librement leur amour et
se sont de plein gré sacrifiés pour Toi dans
un
élan sublime. Souviens
Toi cependant qu ils ne sont que quelques milliers, et plus semblables
à des dieux qu à des hommes.
Et
les autres?
En
quoi sont-ils fautifs,
les autres, de n avoir pas été capables de supporter les mêmes épreuves
que ces forts? L âme faible est-elle coupable de ne pas savoir s élever
à des vertus aussi redoutables? Serais-Tu venu pour les seuls élus
et
ne songes-Tu qu à eux?[ ... ] N avons-nous pas aimé l humanité, nous
qui avons reconnu avec tant de résignation sa faiblesse, allégé son far
deau avec sollicitude, nous qui,
tenant
compte de sa débilité morale,
l avons même autorisée à pécher, à condition de nous en demander la
permission? Pourquoi viens-Tu maintenant nous déranger? » De
nouveau, le
Grand
Inquisiteur se
donne
le rôle d un démocrate
défenseur des hommes, et accuse le
Christ
de ne pas aimer suffisam-
339
-
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22/43
de miracles pour croire, nous avons besoin d une foi capable de faire
des miracles. Nous voulons la liberté et non l autorité. Nous ne vou
lons pas de mystère qui nous assujettit et nous enchaîne à notre cécité,
nous voulons percer le mystère, comprendre la vie.
La
théorie de
l autorité qui s impose par la violence est un produit de l incroyance,
elle ne croit pas en la puissance naturelle du divin
et
invente
une
puis
sance artificielle, elle agit par la peur.
187
LA TROISIÈME TENTATION
C est la tentation la plus forte, et dans l histoire de l humanité elle
occupe une place importante. «Nous ne sommes pas avec Toi, mais
avec
lui
Voilà notre
secret.[
... ] nous avons accepté de lui e que
Tu
avais rejeté avec indignation, le dernier don qu il T avait offert en Te
désignant les royaumes de la terre : nous avons consenti à recevoir de
ses mains Rome et le glaive de César, et nous avons décrété que nous
serions les seuls rois de e monde, bien que nous n ayons pas jusqu ici
parachevé notre œuvre. »
Le
catholicisme, avec son papisme et
l orthodoxie, avec son césarisme, ont succombé à la troisième tenta
tion, celle de l impérialisme, la tentation des royaumes de ce monde.
L État romain, qui idolâtrait César, un État absolutiste qui ne con
naissait rien au-dessus de lui, fut l incarnation la plus terrible, la plus
extrême de la troisième tentation. On eût pu penser que seule la cons
cience préchrétienne admettait l existence de Rome et
du
glaive de
187.
On
pourrait citer, comme un exemple de raisonnement dans l esprit du
Grand
Inquisiteur, les paroles d un jésuite : A l heure actuelle, personne ne peut
croire en la plupart des dogmes chrétiens, par exemple, en la divinité du Christ.
Mais, vous en conviendrez, une société humaine civilisée ne peut se passer d une
autorité solide
et
d une hiérarchie inébranlable. Or, l Église catholique est la seule
qui puisse
se
prévaloir d une telle autorité
et
d une telle hiérarchie. C est pourquoi
tout homme cultivé, qui se préoccupe des intérêts de l humanité, ne peut qu être
du côté de l Église catholique, autrement dit, ne peut être que catholique. »
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l encontr
e des ten
ta t ions d
e
l absolut i
sm e, de
l i mpér i
alisme, j
am ais en
core la
na ture ant
ichré-
ti
enne de l
em pire
terrestre
ne fut ré
vélée ave
c u ne tel
le force.
Jam ais
encore on n a entend u une telle louan ge
à
la liberté,
à
la hardiesse de
l esp
rit d u C
hrist. a
is cette
an archie
a une b
ase relig
ieuse, ce
n est
pas un«
anarch
isme my
stique »
c est un a
narchism
e théocr
atique, u
ne
révolut
ion créat
rice de l
es prit. A
n archis
te et rév
olutionn
aire, cett
e
œ uvre l
est, mais
d estruct
rice, non
. Elle re
fuse tout
pouvoi
r huma in
,
tou te déi
fication d
e la vo lo
nté hum
aine, tou
te organ
isation d
e la pla
nète au
nom
d un pouvoir divin, d une un ion d u ciel e t de la terre.
On
a p
e ine à
c
o m prend
re que l
au teur d
u « Gra
nd Inquis
iteur»
ait pu
défe
ndre l au
tocratie,
se laisser
sé duire
par l État
byzanti
n.
4
-
8/19/2019 Berdiaev-Le Grand Inquisiteur
25/43
Enfin, le
Grand I
nquisite
ur s'élève
jusqu'au
x som m
ets ou p l
utôt,
d
escend ju
squ'aux
tréfonds
d 'une pe
nsée sat
anique.
Une idée
surhu-
maine, d 'un autre mon
-
8/19/2019 Berdiaev-Le Grand Inquisiteur
26/43
-
8/19/2019 Berdiaev-Le Grand Inquisiteur
27/43
Gr
and
In
qui
siteu
r ne s
'est
pas
enco
re i
ncar
né d
éfin
it ive
m en
t, il
dem
eure
cac
hé, il
fau
t le d
ém a
sque
r pa
rtou
t où
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e trouv
e. L
es ho
m-
m
es s
édui
ts pa
r
le G
rand
In
qui
siteu
r ne
son
t pas
enc
ore d
even
us d
es
« e
nfan
ts h
eure
ux
» ils
ne
se son
t pa
s en
core
com
plèt
em e
nt so
umi
s.
Ils
son t
les p
lus
fiers,
les
plus
rebe
lles,
ils
n
e v é
nère
nt qu
e le
ur pr
opre
personne, que l 'hum ain en eux. Cependant la déification de l 'hum ain
c
ond
u it f
atale
m en
t, d
'aprè
s un
e lo
i de
la d
ialec
tique
m y
stiq
ue, à
la
d
éific
ation
d 'u
n se
ul ho
m m
e. Le
s ge
ns, s
édui
ts pa
r le
bonh
eur
enfa
n
tin
que
leur
don
nera
it le G
ran
d In
quis
iteu
r, de
vien
dron
t des
esc
laves
,
des
être
s p
itoy
able
s et
sen
tiron
t le
b
eso
in de
s
e sou
me
ttre
défin
itive
m en
t. D
éjà,
on
v
oit
pass
er qu
elqu
e ch
ose
de c
et o
rdre
sur
les visages des foules hypnotisées par des idées révolutionnaires e t
do
nc,
en a
ppar
ence
, lib
ératr
ices.
Tra
nsfo
rm é
e en
trou
peau
, l 'h
um a
nité
tro
uver
a la
paix
, ren
onc
era
à son
org
ueil
, s'in
clin
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deva
nt le
Gran
d In
qui
siteu
r, e t
o
n aura
une
belle
tyr
anni
e.
L
'esp
rit d
u Gr
and
Inqu
isite
ur p
répa
re sa
just
ifica
tion
au Ju
gem
en t
D
erni
er.
«M
ais
m
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e m e
lèv
erai
alors
e t j
e T
e dés
igne
rai c
es m
il
liards d'enfants heureux, ignoran t tout péché.
Et
nous, qui aurons
pr
is su
r no
us le
urs f
aute
s po
ur ré
alise
r leu
r bo
nhe
ur, n
ous
nous
pré
sen
teron
s de
vant
Toi et T
e di
rons
: J
uge-
nous
si T
u
le
peux
et
s
i Tu
l
'oses
. S
ache
que
je n
e T
e cra
ins
pas.
A pp
rend
s qu
e j'a
i véc
u, m
oi
a
ussi,
dan
s le
dése
rt, m
e no
urri
ssan
t de
saute
relle
s e t
de r
acin
es, q
ue
j'ai
bén
i la l
ibert
é do
nt
T
u
a
s fait
don
aux
hom
m es
. Je
m e p
répa
rais
à
en trer dans la cohorte de
Tes
élus, à faire partie des puissants e t des
orgu
eille
ux q
ui fo
rm e
nt la
pet
ite a
rmée
de T
es f
idèle
s, e t
je b
rûlai
s d u
d
ésir
d 'en
com
plé
ter le
nom
bre
. M
ais
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e sui
s res
saisi
à te
m ps
et
n
'a i pl
us v
oulu
serv
ir un
e ca
use
folle
. Je
suis
reve
nu d
e 1
e
rreur
e t j
'a i
rall
ié le
cam
p d
e ce
ux q
u i tr
ava
illen
t à
corr
iger
Ton
œu
vre
. J 'a
i
quit
té le
s ran
gs d
es o
rgue
illeu
x et
je m
e su
is jo
int a
ux h
um b
les p
our
coopérer à leur bonheur.
Ce
que je
T an nonce
aujourd 'hui s'accom
pl
ira e
t no
tre ro
yau
m e s
'inst
aure
ra en
e m
on
de. »
Il a
reno
ncé
au c
iel
au
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du«
bo
nheu
r de
mill
ions
d'ho
m m
es
»
du
bonh
eur
des
hum
-
bles
, de
tous
. I l a
ren
oncé
à l'o
bjec
tif o
rgue
illeu
x de
con
quér
ir le
ciel,
de «
com
plét
er le
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bre
» de
s jus
tes.
Cet
te jus
tific
atio
n est
sou
vent
46
-
8/19/2019 Berdiaev-Le Grand Inquisiteur
28/43
proposée par ceux qui
sont
contaminés par l esprit du Grand Inqui
siteur. Les voilà qui nous reprochent d avoir oubl