banlieuerougesang 03-11-15

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  • 8/18/2019 BanlieueRougeSang 03-11-15

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    Manuscri t en date du 03/11/2015

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    Banlieue rouge… sang –  Manuscrit 2/33

    SommaireSommaire ................................................................................................................... 2 

    1 - Prologue ................................................................................................................ 3 

    Chapitre 1 - Prologue –  1 ....................................................................................... 3 

    Chapitre 2 -Prologue –  2 ........................................................................................ 5 

    Chapitre 3 - Prologue –  3 ....................................................................................... 7 

    2 –  L’entr etien ............................................................................................................ 9 

    Chapitre 4 - L’entretien –  1 .................................................................................... 9 

    Chapitre 5 -L’entretien –  2 ................................................................................... 12 

    Renaissance .............................................................................................................. 15 

    Chapitre 6 –  Renaissance - 1 ................................................................................ 15 

    Chapitre 7 –  Renaissance –  2 ............................................................................... 18 

    Chapitre 8 - Renaissance –  3 ................................................................................ 21 

    Enquête sur un double meurtre ................................................................................ 23 

    Chapitre 9 - Enquête sur un double meurtre - 2 ................................................... 23  

    Chapitre 10 - Enquête sur un double meurtre - 2 ................................................. 26  

    Premier jour ............................................................................................................. 28 

    Chapitre 11 - Premier jour –  1 .............................................................................. 28 

    Chapitre 12 –  Premier jour –  2 ............................................................................. 31 

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    Banlieue rouge… sang –  Manuscrit 3/33

    1 - Prologue

    Chapitre 1 - Prologue –  1

    La sonnerie du smartphone retentit. Lionel Parme détourne brièvement les yeux de

    l’écran de son ordinateur pour celui de son mobile : « numéro masqué ». « Etmerde … » jure-t-il, jetant à terre le téléphone dans un accès incontrôlable de rage.Depuis une semaine, ces appels anonymes se succèdent ; le rendent irritable,

    nerveux. « Samedi, je vais à la police, ça ne peut plus continuer  » se dit-il. « Il est

    19h30, dans cet état, je ne ferais rien de plus d’utile au bureau, autant rentrer.  ».Le jeune cadre dynamique rajuste sa cravate, repasse un coup de peigne dans ses

    cheveux en se regardant dans l’écran éteint de son ordinateur. Il range rapidementses papiers, prend sa mallette et son manteau, ferme la lumière derrière lui. En cette

    fin d’automne, la nuit tombe déjà et la plupart des autres bureaux sont plongés dans

    le noir. Mais en tant que jeune directeur de recherches des laboratoires

     pharmaceutiques Goji, Lionel Parme se doit de faire des heures supplémentaires ;ne serait-ce que pour montrer qu’il est un cadre dévoué à son entreprise. 

     Ne r este à l’étage que le patron. Un type étrange, qui ne vient en général au bureauqu’en fin de journée, à la nuit tombée. Toujours en rendez-vous et en déplacement

    aux heures habituelles de travail. Enfin, qui poserait des questions au boss sur sonemploi du temps ? Pas Lionel Parme en tout cas.

    Le garage souterrain des laboratoires Goji résonne des pas de Lionel, perdu dans

    ses projets pour la soirée - une virée entre amis dans un restaurant japonais branchéau cœur de Paris - quand soudain il s’arrête, et se retourne vivement, prêtant une

    oreille attentive. Mais rien, le silence. « Pourtant, j’ai vraiment cru entendred’autres pas dans ce parking… Cette histoire d’appels anonymes commencevraiment à me porter sur le nerf, voilà que j’ai l’impression d’être  suivi ». D’un pas

     pressé, il monte dans sa voiture, un crossover japonais, symbole de sa réussite

    sociale. En démarrant, il remarque une lumière rouge au tableau de bord « Sur la

    réserve, déjà ? J’aurais juré qu’il y’avait encore la moitié du réservoir ce matin.

    Vraiment une journée de merde… »

    A peine quelques minutes plus tard, alors qu’elle s’engage sur la N7 qui ramèneson conducteur à son immeuble en coupant à travers la banlieue sud, la voiture

    commence à tousser, avant de caler définitivement. Panne sèche ! « Quand ça veut pas, ça veut pas… » se dit Lionel. « Et je vais être à la bourre pour ma soirée… Il

     y’aura Marie- Françoise, je ne peux pas manquer ça. Tant pis… allons-y pour le

    taxi, on verra demain pour la voiture. » Alors que Lionel cherche le numéro d’unecompagnie de taxi sur son smartphone, il en voit un arriver au bout de la rue.

    « Enfin, de la chance », se dit-il.

    -  A la plus proche station de RER, ordonne-t-il au taxi avant de s’yengouffrer.

    Perdu dans ses espérances pour la soirée à venir, Lionel ne prête qu’une attention

    modérée à la direction prise par le taxi. Aussi, lorsque celui-ci tourne à droite, met-il quelques –  fatales - secondes de trop à réagir. 

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    Banlieue rouge… sang –  Manuscrit 4/33

    - Eh, je connais le chemin ! La gare RER de Choisy le Roi, c’est tout droit,

     pas à droite !

    Mais pour toute réponse, il ne reçoit en retour que le rugissement du moteur qui

    accélère, malgré le feu au rouge, quelques dizaines de mètres plus loin.

    - STOOOP ! Arrêtez-vous, c’est quoi ce bordel ?!  Hurle Lionel pris d’une panique soudaine quand toute la tension accumulée par les appels anonymes,

    le parking sombre, la panne d’essence ressurgit.

    Sa paranoïa semble devenir soudain réalité, ou plutôt un horrible cauchemar. Iltente de saisir le chauffeur du taxi par l’épaule pour le contraire à s’arrêter. D’une

    seule main, celui-ci le repousse avec une force surhumaine et le projette sur la

     banquette arrière ; sans même que ses yeux ne quitte un instant la route. Autour dela voiture, les rues défilent à vive allure.

    Lionel inspire, tente de se calmer de réfléchir. Il sent l’adrénaline se déverser dans

    ses veines, lui redonner un regain d’énergie. Pour la première fois de sa vie, ilcomprend réellement ce que veut dire lutter pour sa survie. Alors, quand

    l’opportunité se présente, il la saisit sans hésiter. A un croisement, un bus RATPentame lentement son virage, bouchant le passage au taxi fou. A contrecœur, le

    chauffeur appuis légèrement sur le frein, juste ce qu’il faut. Lionel tente sa chance,ouvre la portière et se jette sur le trottoir malgré la vitesse. Il roule au sol mais

     parvient à se rétablir. Son beau costume est foutu, il a quelques égratignures. Mais

    il est libre. Pris d’un fol espoir, il se redresse malgré la douleur et part en courantdans les ruelles.

    Tranquillement, Narjess gare le taxi sur un bas-côté. Sans hâte, elle sort duvéhicule, inspire profondément l’air froid de ce début de soirée et balaye la routeautour d’elle. De l’autre côté de la voie bitumée, là où sa proie a fuie, se dresse de

    grandes barres d’immeuble entourée de vastes dalles de bétons. Quelques lumières

    sont allumées aux étages, mais le niveau du sol est plongé dans une inquiétante pénombre. Elle devine au loin, sans les percevoir distinctement, les murmures

    étouffés de quelques jeunes faisant tourner un joint pour se réchauffer au pied deleur cage d’immeuble. 

    Sur sa gauche, une vaste place ornée de hautes colonnes carrelée. Décidemment,

     Narjess a bien du mal à comprendre les goûts architecturaux de cette époque. Ellene doit pas être la seule, les colonnes étant devenu au fil du temps le lieu de bataillefavori des colleurs d’affiches de la ville, qu’ils soient politiques ou musicaux  ; en

    témoigne les nombreuses couches superposées d’appel au dernier concert et deslogans politiques qui laissent à peine entrevoir le carrelage originel. Une cité

    « sensible », son terrain de chasse préférée. La traque peut commencer… 

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    Banlieue rouge… sang –  Manuscrit 5/33

    Chapitre 2 -Prologue –  2

    Lionel Parme court à en perdre haleine, droit devant lui, s’enfonçant entre les barres d’immeubles de la cité HLM. Il lui semble entendre derrière lui le bruit de pas réguliers et calme, frappant le bitume à intervalle répété. Il se retourne

    vivement, scrute les zones d’ombres entre les immeubles, là où l’éclairage publicdéfaillant laisse place à toutes les imaginations. Mais non, rien … 

    Devant lui, un petit groupe de jeunes discute devant l’entrée d’un immeuble. En

    d’autres circonstances, il aurait pressé le pas, les yeux baissé, évitant tout contactavec ces personnes d’un univers si éloigné du sien et que les stéréotypes  s’attachent

    à relier à la délinquance. Mais en cet instant, ces jeunes lui semblent d’uneincroyable humanité comparés à son mystérieux poursuivant. Il s’approche d’eux à

     pas rapide. Les jeunes lèvent la tête, posent leurs joints et évaluent l’arrivant. «  Non

    vraiment, on ne dirait pas un flic, et ce n’est personne du quartier. En tout cas, il a

    l’air vraiment paumé  », se disent-ils. Ils se tournent vers lui et s’apprêtent àl’apostropher, à le menacer vaguement, bref à jouer le rôle que la société leur a

    donné quand… 

    Derrière Lionel Parme, dans la lumière d’un lampadaire se découpe une forme

    noire. Une forme indiscutablement féminine, de long cheveux tombant jusqu’à lataille, une silhouette fine, presque féline, le visage masqué par la pénombre. LionelParme, les jeunes, l’observent fixement, comme des papillons fascinés par la

    lumière. Puis soudain ils entendent … un rugissement sombre, profond, qui ne peutémaner que de cette silhouette à demi-cachée et pourtant un grondement

    indiscutablement inhumain. Un rugissement qui les emplit tous instantanément deterreur. Lionel, les jeunes se trouvent subitement plongé dans la peau du lapin qui

    voit le loup venir à lui. Ils redécouvrent le sentiment depuis longtemps oublié d’êtreune proie. Un instinct ancestral refait surface à l’écoute de ce grondement sourd,

    chacun comprend qu’il doit fuir pour sa vie. Les jeunes se volatilisent en un clind’œil, Lionel Parme reprend sa course au hasard. Il court toujours plus vite, à en

     perdre haleine. Et toujours derrière lui, ce bruit de pas obsédant et irréel.

    Il sort enfin de la cité HLM pour déboucher dans un quartier pavillonnaire. Il

    ralentit le rythme, se croit enfin sauvé. Mais devant lui, au prochain croisement, il

    aperçoit de nouveau la silhouette noire qui débouche d’une rue perpendiculaire,calme, comme si elle ne faisait que marcher. La silhouette se retourne vers lui, etmalgré la distance, il sent deux yeux bleus, d’un froid glacial le transpercer.  

    Il repart en courant, plus vite, toujours plus vite. Sa course folle le conduit dans uneruelle longeant les voies ferrées. Un RER passe à toute vitesse à côté de lui. Lionel

    Parme hurle, fait de grands signes à l’adresse du conducteur, des passagers,

    espérant que quelqu’un le verra, donnera l’alerte. Mais non… 

    « Un abri, il faut trouver un abri, n’importe lequel. Sonner à une maison, peut -

    être ? » Alors qu’il s’apprête à traverser la rue pour frapper à la première porte

    venue, il entend de nouveau le grondement sourd, très bas, presque inaudible et pourtant pénétrant. Il se retourne. La silhouette est de nouveau là, du côté opposé à

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    Banlieue rouge… sang –  Manuscrit 6/33

    celui dont il vient. « Comment est-ce possible ?  » . A sa droite, une passerelle

    métallique enjambe les voies de chemin de fer. « Elle ne pourra pas traverserailleurs, si j’y par viens, je serais peut-être sauvé ! ». Lionel Parme monte les

    escaliers de métal quatre à quatre, s’engage sur la passerelle en courant à touteallure, quand … 

    La silhouette noire est face à lui, de l’autre côté de la passerelle, comme si elle

    venait d’en monter les escaliers. « Impossible ! ». Il se retourne, prêt à dévaler lesescaliers qu’il vient de monter. La silhouette est de nouveau là, juste devant lui, à

    une portée de bras. Une panique totale s’empare de Lionel Parme, pris d’effroi

    devant l’irrationnel, l’inexplicable. 

    Il inspire profondément. Il raidit ses muscles, lève les yeux pour croiser enfin ceuxde son poursuivant. Deux yeux bleus profond qui encadrent un visage en olive,

    indiscutablement féminin, le teint mat, les cheveux noirs. « Vous .... »

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    Banlieue rouge… sang –  Manuscrit 7/33

    Chapitre 3 - Prologue –  3

     Narjess regarde calmement sa proie terrifiée. Elle l’a amenée exactement là où ellevoulait, dans l’état d’esprit qu’elle voulait. Elle lui sourit, d’un sourire carnassier,dévoilant deux canines aiguisées. Sa langue passe sensuellement sur ses lèvres, se

    délectant du repas à venir … puis elle bondit sur sa proie. Lionel Parme bande sesmuscles, essaye de la repousser. Peine perdue, ses bras sont balayés, rabattu contre

    ses côtes avec violence. Il tente un coup de genou, bloqué par ce qui lui semble êtreun bloc de béton, en réalité la jambe de Narjess. « Oui, débats-toi, petit lapin, tu

    n’en auras que meilleur goût  » susurre-t-elle.

    L’instant d’après, Lionel Parme sent deux piqures à la base de son coup, puis lesang s’écouler de ses veines à gros bouillon. Il n’a plus peur, il n’a plus froid. Ses

    muscles se relâchent et s’apaisent, il s’abandonne sans plus de résistance à

    l’étreinte du vampire tandis qu’il se sent emporté par une douce chaleur, un

    sentiment d’extase que même l’héroïne de ses années d’étudiant n’a jamais su lui procurer. Il se sent flotter, partir. Il voit une petite lumière qui grandit au loin et se

    rapprocher de lui.

     Narjess pose sa victime, désormais inerte contre la rambarde de la passerelle

    métallique et lèche les dernières gouttes de sang sur ses lèvres. Pour les vampires,le sang à le goût des dernières émotions de leurs victimes ; et comme la plupart deses congénères, Narjess apprécie tout particulièrement le goût de l’Effroi, encore

     plus avec la pointe d’adrénaline de celui qui tente vainement de lutter. Certains prétendent que l’Amour serait le nectar le plus savoureux, mais bien rare sont ceux

    de son espèce à avoir pu y goûter… Tandis que le sentiment d’euphorie s’estompe dans sa bouche, le sang vivant etchaud pénètre dans son corps froid et irrigue sa chair morte depuis des siècles, lavivifiant, la renforçant ; Narjess se sent plus vivante que jamais. Même autrefois,

    avant de revenir d’entre les morts. Ses sens déjà exacerbés s’amplifient encore. Ilne lui faudrait qu’un peu de concentration pour percevoir le murmure amoureux de

    ce jeune couple, dans le pavillon d’à côté, les conversations animées d’un grouped’amis sur le quai du RER à quelques centaines de mètres de là. Ces yeux percent

    l’obscurité et distinguent sans peine la minuscule souris qui se terre dans le talus

    d’un jardin en contrebas, tandis qu’un chat scrute également l’obscurité sans lavoir. « Tu la trouveras, mon ami  ». Par solidarité entre prédateurs, ses pensées

     pénètrent dans la tête du chat et lui indique la proie… 

    Puis elle revient en elle-même. Elle fouille rapidement Lionel Parme, se saisit deson smartphone. Elle a déjà ramassé depuis longtemps l’ordinateur portable

    abandonné dans son « taxi ». Elle consulte le journal des appels, un numéro revient

    régulièrement, en plus des appels anonymes. Mais ceux-là, elle en connaît l’auteur.L’autre numéro l’intrigue. Est-ce ce la preuve qu’elle cherche ? Elle vérifiera plus

    tard.

    Scrutant le carnet d’adresse, elle trouve sans peine le numér o des parents de LionelParme et compose un SMS : « Adieu, je ne peux plus continuer. Désolé pour tout ».

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    Banlieue rouge… sang –  Manuscrit 8/33

    Puis, d’une seule main, elle jette le cadavre de Lionel encore chaud par -dessus la

    rambarde. Celui-ci s’écrase sur le rail en dessous de lui, tandis qu’un RER arrive enklaxonnant.

     Narjess s’esquive rapidement… Un suicide de plus, personne ne remarquera que le

    cadavre n’a pratiquement plus de sang. 

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    Banlieue rouge… sang –  Manuscrit 9/33

    2 –  L’entretien 

    Chapitre 4 - L’entretien –  1

    « Se raser ou ne pas se raser, telle est la question  ». Eric regarde indécis tour à tour

    le rasoir dans sa main et le miroir embué. Celui-ci lui renvoie le visage d’un jeunehomme au teint mat, cheveux brun-noir, yeux noisette. Et surtout une barbe de trois jours ainsi qu’un fin anneau d’or à l’oreille gauche, tous deux objets de son

    questionnement philosophique : «  Pas franchement le look d’un jeune cadre

    dynamique … »

    Eric jette un coup d’œil à son smartphone posé sur le rebord de l’évier, en équilibre

    instable. L’appareil se met à vibrer et manque de tomber dans   la cuvette des

    toilettes en contrebas quand l’alarme se déclenche en affichant le message : «Rappel, Entretien d’embauche, Société Goji 19h00». « Oui, je sais, je suis à la

    bourre, il faut que je me dépêche » maugrée Eric à l’adresse de l’objet inanimé. 

    Ses études sont terminées depuis 2 ans maintenant, avec à la clef un brillantdiplôme de Pharmacien Biologiste, mais aucun travail. Pour entrecouper les

    longues périodes de chômage, il a bien fait quelques stages - sous-payésévidemment. C’est toujours de quoi remplir le précieux CV, mais pas de quoi

    remplir la gamelle. Alors pour cet entretien, après tant d’autres soldés par des «onvous écrira», Eric veut mettre toute les chances de son côté. Se raser de prêt, ôter sa

     boucle d’oreille –  souvenir d’une année sur un autre continent  –  s’il faut en arriver

    là, pourquoi pas ?

    « Oh et puis merde, je vais foirer de toute façon…   »Se dit Eric en jetantrageusement le rasoir dans l’évier. « Je n’y vais que pour que Pôle Emploi me

    laisse tranquille 5 mn. Pas la peine de ressembler à un pingouin ; tout ce que je vaisy gagner, c’est de ne pas me sentir bien dans ma peau et perdre tous mes moyens.

    Sans compter le sourire moqueur des potes du karaté quand ils me verront avec une

    tête de petit bourge… » 

    Le visage appuyé contre la vitre du RER, Eric regarde miroiter la Seine dans le

    soleil couchant. De l’autre côté de la rive, défilent tour à tour l’alternance de petitesmaisons pavillonnaires et de barres d’immeubles qui définissent sa banlieue sud. Ilfut un temps où un laborieux petit peuple d’ouvriers vivait dans ces pavillons, et

    allait travailler dans les nombreuses usines qui fleurissaient au bord de Seine. Puis

    il a fallu loger les ouvriers chassés de Paris par la hausse des prix. On a alors raséune partie des maisons pour construire à la place des barres HLM. Celles-ci ont

    depuis bien mal vieilli. Ensuite, ce sont les cadres moyens qui ont été chassé de

    Paris. Ça tombait bien, entre temps, les usines avaient fermées. Alors, on a pu raserles usines pour construire des résidences « de standing » avec vue sur la Seine… et

    sur les HLM de la rive d’en face. Et le RER traverse tout cela dans un grand fracasmétallique. Une péniche glisse paresseusement… Les derniers rayons du soleil

    disparaissent, plongeant la rive opposée dans l’obscurité tandis que le RER

    commence à ralentir.

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    Banlieue rouge… sang –  Manuscrit 10/33

    « 19h00 un soir d’hiver, vraiment pas une heure pour fixer un entretien

    d’embauche. Ca promet pour les horaires dans cette boîte.  » Eric se remémore unedernière fois les notes préparée en vue de l’entretien. Le laboratoire Goji est une

     petite start’up en recherche pharmaceutique. Son nom vient d’une baie soi-disantmiraculeuse des contreforts de l’Himalaya ; en tout cas vendue un bon prix dans

    toutes les pharmacies bobo. Le laboratoire Goji s’est spécialisé dans l’étude des

     plantes exotiques et leurs vertus médicinales. Un marché sans doute porteur, maisrisqué pour une petite entreprise familiale ainsi plongée dans la grande compétitionmondiale. En ces temps de capitalisme débridé, pour réussir un entretien

    d’embauche, mieux vaut savoir qui sont les actionnaires. Et à ce titre, Goji fait

    également dans l’original… La société a été créée de toutes pièces il y’a quelquesannées par un richissime entrepreneur en recrutant les laissés pour compte d’un «

     plan de sauvegarde de l’emploi » des laboratoires Sanofi voisins. Mais malgré des

    heures de recherche sur le web, Eric n‘a rien trouvé sur son PDG, M. Theophraste..

    «  Au XXIème siècle, comment ce gars a-t-il fait pour ne pas laisser de tracenumérique ?», se demande-t-il encore une fois.

    Le RER ralentit. Les panneaux bleu et blanc du quai annoncent « Les Ardoines », Il

    descend. Par une froide soirée d’automne, la gare des Ardoines à Vitry -sur-Seinen’a rien de folichon. Un vaste parking s’étend au pied de la gare, puis une double

    voie. Plus loin encore, une zone industrielle qui a du connaître des heures plus

    glorieuses. Au-delà, la lumière blafarde des lampadaires éclaire un entrepôt mité par la rouille puis se perd dans un trou béant d’obscurité ; un terrain vague. Encore plus loin, Eric discerne les lumières plus vive d’un immeuble de bureau récent, sa

    destination. Déprimant. Pourtant, la municipalité a fait des efforts, le parking est planté d’arbres, la double voie ornée d’un terre-plein central fleuri. Mais contre la

    désindustrialisation rampante, difficile de lutter.

    Eric s’engage sur le long trottoir bordant la rue. Quelques quidams passent en sensinverse, le regard fixé sur le quai de la gare, guettant leur RER. A cette heure, les

    gens normaux rentrent chez eux, ils ne vont pas au bureau. D’autres, plus chanceux,

     passent en voiture à vive allure, pressés d’arriver. Au contact des flaques d’eaux,les pneus projettent des éclaboussures qui manquent de tacher le costume d’Eric. «

     Il ne manquerait plus que d’arriver trempé à un entretien d’embauche… »

    Enfin, celui-ci parvient devant un bâtiment sur le front duquel brillent les néonsfluo affichant « Laboratoires Goji ». Nous y voilà… Eric marque une pause pour

    s’imprégner des lieux. Derrière de hautes grille, une cour pavée, puis les façades en baie vitrées tant à la mode dans les immeubles de bureaux modernes. Quelques

    voitures haut de gamme sont garées à l’entrée. Bien que de taille modeste,l’immeuble des Laboratoires Goji renvoie une image de modernité, de puissance,de richesse.

    - M. Miran, oui, je vous ai dans l’agenda de M. Théophraste. Je le préviensde votre arrivée, murmure la secrétaire d’une voix sucrée, avant de faire

    signe à Eric de s’installer dans la salle d’attente 

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    Banlieue rouge… sang –  Manuscrit 11/33

    « Rendez-vous avec le PDG en personne… va pas falloir se louper mon gars », se

    dit Eric. Une demi-heure plus tard, histoire de bien lui faire comprendre où est sa place dans l’échelle de priorité du PDG, la secrétaire lui fait signe d’entrer. 

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    Banlieue rouge… sang –  Manuscrit 12/33

    Chapitre 5 -L’entretien –  2

    Au dernier étage, le bureau de M. Théophraste est le stéréotype du lieu de pouvoir.Un immense bureau, vide à l’exception de quelques stytos - Mont Blancévidement- et d’un sous-main en cuir ; ni ordinateur, ni photos des enfants. De

    grandes baies vitrées donnent sur la Seine et sur les lumières nocturnes de la ville.Aux murs, quelques toiles anciennes ; style peinture flamande. Dans un coin, un

    canapé profond, une table basse.

    Au centre de la pièce, le maître des lieux occupe tout l’espace par sa seule présence. M. Theophraste, PDG des laboratoires Goji est d’une prestance qui ne

    laisse pas indifférent. Le costume bleu nuit, coupe italienne du dernier chic, et lalourde chevalière en argent à son doigt n’en sont pourtant pas la cause principa le.

    L’homme est de taille moyenne voir petit, âgé d’une quarantaine d'année, les

    cheveux poivres et sel, une barbe impeccablement taillée. Mais ce qui frappe avant

    tout, ce sont ses deux yeux d’un bleu profond braqué sur Eric. Des yeux sans âgesqui semblent voir au-delà de son enveloppe charnelle et lire directement dans son

    âme.

    En croisant ce si étrange regard, Eric se retrouve subitement plongé vingt ans en

    arrière. Un souvenir enfoui, refoulé depuis sa plus tendre enfance. Il revoit unhomme sur le pas de la maison - pas le même homme il en est sûr, mais le mêmeregard - qui lui demande d’une voix douce « Puis-je entrer, petit ? ». A ce souvenir,

    Il est parcouru d’un frisson. 

    M. Theophraste tend une main ferme à Eric pour le saluer et lui souhaiter la

     bienvenue. Une main ferme mais froide, presque glacée. Eric chasse ses souvenirs,tente de se redonner une contenance.

    - Asseyez-vous au salon, que nous puissions discuter, jeune homme … Lavoix est douce, charmeuse, et respire pourtant une autorité qui ne semble pas

    souffrir la moindre contradiction.

    Eric retire vivement sa main, soudain devenue moite, et l’essuie furtivement sur

    son costume. Essayant de rester droit et ferme dans un canapé beaucoup trop profond pour l’exercice, il débite son CV d’une voix monocorde. Depuis le temps,

    il le connaît par cœur : Bac scientifique, études de médecine avant d’être gentiment

    mais fermement ré-orienté vers la pharmacie. Bien sûr, à un entretien d’embauche,on évite de s’étaler sur ses échecs : adieu le rêve d'une carrière brillante dechirurgien célèbre entrecoupé de séjours humanitaires. On positive sur la diversité

    des expériences, l’ouverture d’esprit. Arrive ensuite l’étape des différents stages bidons qu’on édulcore savamment, un peu mais pas trop pour que ça reste crédible.M. Theophraste écoute poliment ce qu’il a déjà lu dans le CV et la lettre de

    motivation. Son attention ne s’éveille qu’au récit du stage de fin d’étude : six moisen Bolivie à étudier l’impact sanitaire de la consommation de feuilles de Coca chez

    les Indiens Quechua. Un stage payé par une bourse du gouvernement boliviensoucieux d’améliorer l’image de la feuille de Coca en occident.  

    - Et comment avez-vous obtenu ce stage si … original ?  

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    Banlieue rouge… sang –  Manuscrit 13/33

    «  Et merde, pas question de lui dire que j’ai été pistonné  par un prof de fac,

     gauchiste sur les bords, qui a des relations dans le gouvernement socialiste de la Bolivie, ça fera désordre » se dit Eric.

    - Un lien avec vos activités, comment les qualifier … militantes ?  

    « Et re-merde. Il sait… »

    - Je ne suis pas un spécialiste, mais M. Germand, mon DRH adore les

    nouvelles technologies, Google, les réseaux sociaux… Beaucoup plus

    instructif qu’un CV d’après lui. Il dit que vous n’avez pas le profil d’unchercheur dans un groupe privé. Vous avez un bon niveau en Karaté semble-

    t-il, et un goût certain pour arroser un peu trop vos victoires ou celles de vos petits camarades d’après les quelques photos qu’on m’a transmis. Positivons,

     j’en retiendrais que vous avez l’esprit d’équipe.  Mais le plus amusant, ce

    sont les photos où on vous trouve un fumigène à la main, foulard sur la tête

    dans des manifestations étudiantes… Si les autres DRH font aussi bien leurtravail que le mien, je comprends que vous soyez toujours au chômage, monami.

    La voix de M. Theophraste est douce, presque paternelle, mais aussi un brin

    ironique, condescendante.« Et je réponds quoi à ça, moi ?» 

    - C’est pourquoi vous n’allez pas refusez l’offre que je vais vous faire. 

    Le ton a changé. Ferme, net, ne souffrant aucune contradiction. Eric réprime un

    geste  pour s’essuyer le front où la sueur commence à perler. Ses mains sont denouveau moites, il les étale à plat sur son pantalon… avec pour seul résultat visible

    deux auréoles grandissantes juste au-dessus des genoux. Il réprime un frisson,déstabilisé par une attaque aussi frontale.

    - Mais avant, reprends M. Theophraste, je vous saurais gré de satisfaire une

     petite curiosité personnelle. Nos recherches sur votre nom ont fait ressortirun autre profil curieux, Mrg Miran, Exorciste catholique rattaché à laCongrégation pour la Doctrine de la Foi  –   heureuse héritière de la très

    regrettée Inquisition. Un parent à vous peut-être ?

    « On est chez les fous ici… Mais où il veut en venir  ?» se dit Eric. Il parvient à

     peine à murmurer :

    - Je ne vois pas le rapport avec mon entretien d’embauche. 

    - Il n’y en a aucun en effet, répond M. Theophraste. Mais c’est là tout le seldes entretiens d’embauche. Je n’ai à me justifier de rien, car rien ne sortira

    de cette pièce. Mais si vous voulez le poste, il va falloir me séduire. Soyez

    heureux que je ne vous demande rien de plus… 

    Eric déglutit. Il ne peut s’empêcher d’entendre le sous-entendu de menace à peine

    voilée tout autant que d’invitation. Il sent ses barrières mentales s’effondrer.L’autre n’a pas bougé d’un pouce, n’a pas élevé la voix, et pourtant, il se sent

    totalement à sa merci.

  • 8/18/2019 BanlieueRougeSang 03-11-15

    14/33

    Banlieue rouge… sang –  Manuscrit 14/33

    - C’est mon demi-frère. Je n’ai que peu de rapport avec lui. Il voyage

     beaucoup et reste discret. Je ne sais pas ce qu’il fait exactement pour l’église. - Sans importance… Je vous disais que je vais vous faire une offre, que vous

    ne refuserez pas. J’ai un projet personnel, pour lequel j’ai besoin d’unchercheur capable de sortir des sentiers battus. Votre stage en Bolivie me fait

    dire que vous pouvez être celui-là. Mais j’ai aussi besoin de quelqu'un qui ne

     pose pas de questions et reste discret.. La paye sera en conséquence.- En, en quoi consiste ce travail ? bafouille Eric, dépassé par la tournureimprévue de l’entretien. 

    - Vous ne le saurez qu’après avoir signé une clause de confidentialité, le 

     premier jour de votre embauche. 

    « Dans quoi je suis encore tombé, moi … » se demande Eric.

    - Je vous ai fait préparer un exemplaire du contrat à emporter chez vous. Je

    vous laisse y réfléchir au calme. Mais pas trop longtemps quand même… je

    suis assez pressé. Je pense que le zéro supplémentaire à votre paye, comparéà votre RSA devrait être un solide argument.

  • 8/18/2019 BanlieueRougeSang 03-11-15

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    Banlieue rouge… sang –  Manuscrit 15/33

    Renaissance

    Chapitre 6 –  Renaissance - 1

    « Biiip, biiip, biiiip » le buzzer insistant réveille enfin Monseigneur Miran. Il ouvre

    les yeux sur le plafond blanc d’une chambre d’hôtel. D’un geste machinal, il éteintl’alarme et se redresse. 19h, l’heure de se préparer pour une longue et éprouvantesoirée.

    Alexandre Miran se lève de tout son long, regarde à la fenêtre. Le soleil jette sesderniers rayons sur l’immeuble d’en face. La vue depuis un Ibis Budget de banlieuen’a décidément rien de comparable avec celle de sa chambre au Vatican : Une rue

     passante, quelques bâtiments industriels vétustes et à la limite de son champ de

    vision, l’autoroute A86. Le doux parfum des rues romaines lui manque.

    Il s’habille, d’un geste hésitant. Ce soir, pas de col romain pour habiller le strict

    vêtement noir des prêtres. Il enfile jean, chemise, basket, une tenue passe partout. Ilse console en se disant que si l’affaire tourne mal, le vêtement ne gênera pas sesmouvements. Devant le miroir de la salle de bain, il se rase, se parfume, se coiffe

    de prêt et se regarde dans la glace.

    La quarantaine bien sonnée, type italien héritée de sa mère, les cheveux courts et

    les yeux bruns, Alexandre Miran a le teint burinée d’une vie dure, la joue marquéed’une cicatrice. Pas le genre à faire craquer les filles ; mais de toute façon, il a faitvœu de chasteté. Il chasse bien vite de ses pensées un bref soupçon de vanité : non,

    aucune fille ne songera à l’inviter ce soir. Et tant mieux, il lui faudra passer le plus

     possible inaperçu.Alexandre sort ensuite de sous le lit une petite mallette, aux armes du Vatican. Il

    l’ouvre et en étale le contenu sur le lit: une tenue de prêtre, un co llier décoré d’unimposant crucifix, une bible finement reliée et laquée d’or. Il passe le crucifixautour de son coup, le dissimule sous sa chemise. Puis il fait jouer le mécanisme

    secret de sa valise.. Un compartiment dissimulé s’ouvre. Ce qu’il y’a à l’ intérieur

    lui poserait quelques difficultés à la douane si son bagage ne passait pas par la «

    valise diplomatique » du Vatican.

    Du geste rapide et sûr de l’habitude, il saisit les différents éléments du pistolet

    automatique et les assemble, s’assure que le mécanisme coulisse bien, que la viséeest droite. Il prend le chargeur et en vérifie le contenu. Contre le gibier qu’il comptechasser ce soir, il n’a pas le droit à l’erreur. Il étale devant lui une collection de

     balles en métal blanc, de l’argent. Il charge le pistolet, et le glisse dans son

    costume. Sa main s’arrête un instant, par respect, avant de saisir une nouvelle arme,un pieu en chêne, gravée d’inscription latine. Il le pose de côté, et enfile à son brasun bracelet au complexe mécanisme à ressort. Il y enchâsse le pieu, le recouvre de

    la manche de sa chemise et le fait jouer. Sans bruit et avec fluidité, le pieu jaillitdans sa main, prêt à frapper.

    Alexandre referme la valise et la range. Il prend son smartphone pour le glisserdans sa poche et arrête un instant son doigt sur une icône. La touche d’appel rapide

  • 8/18/2019 BanlieueRougeSang 03-11-15

    16/33

    Banlieue rouge… sang –  Manuscrit 16/33

    à son frère Eric. Alexandre passe sa vie à parcourir le monde au service de la Très

    Sainte Inquisition. Mais ce soir, les hasards de la traque l’ont amené à quelqueskilomètres de chez son demi-frère. La tentation est grande de l’appeler, prendre de

    ses nouvelles, l’inviter à dîner ensemble. Il range le smartphone dans sa poche.Demain, peut-être, s’il est toujours en vie. 

    Quelques heures plus tard, Alexandre est accoudé au comptoir du bar d’une petite

    salle de spectacle municipale. La pièce est sombre, surchauffée. Il sirotetranquillement un coktail sans alcool en observant la danseuse : Sur la scène, une

     jeune femme vêtue d’une ample robe rouge et dentelles virevolte aux accents d’une

    musique flamenco enjouée, rythmée par trois musiciens vêtus tout de noir. Sonéventail vole et dessine de complexe arabesque dans les airs, tandis que sa longue

     jupe tournoie en tous sens.

    Le regard d’Alexandre scrute le public. Il doute que sa proie aie placé des guetteurs

    dans la salle, mais mieux vaut un excès de prudence. Si la soirée est à l’initiatived’une association de quartier, elle attire un public plus large. Une bonne partie de lacommunauté espagnole locale est là, ainsi que d’autres habitants du quartier venusen spectateur. Quelques jeunes filles, 8-10 ans à peine, veulent jouer aux grandes

    dans un coin. Vêtue de robes chamarrées, rouge, jaunes ou bleues, elles s’essayentelles aussi à la dance. Tout au fond de la salle, le responsable est aux commandesde la table de mixage, d’un air sûr et habitué. Non, personne de louche. 

    Alexandre retourne à son coktaïl, adossé à un vaste pilier en béton couvertd’affiches invitant aux concerts de groupes locaux. Il attend patiemment. Si sesinformateurs ont vu juste, Il sera là ce soir. Il n’y a plus qu’à attendre. Cela fait des

    années qu’il traque cette proie. Mais les dernières minutes lui semblent les plus

    longues. Et si les informations étaient fausses ?

    Un homme entre alors sur scène, au son du battement lent et rythmé de ses mains.

    Il s’avance vers la danseuse d’un pas sûr et majestueux, rythmant sa danse duclaquement de ses talons. Les musiciens l’entourent et lui cèdent la place

    d’honneur. Il est entièrement vêtu de noir, le teint mat. Ses cheveux noirs de jaissont réunis en une longue queue de cheval qui lui descend en bas de ses reins,

    tandis qu’il porte une courte barbe taillée en pointe. L’homme entame sa danse,

    donnant le ton à la danseuse mais bien vite, sa prestance et sa majesté l’éclipse.

    Emporté par le rythme, les spectateurs retiennent leur souffle. Hommes et femmesont le regard rivé sur le danseur.

    Alexandre lui-même pose son verre, fasciné. De ce danseur de Flamenco émaneune mâle assurance, une majesté, une virilité à nulle autre pareille. Le spectacle de

    ses gestes nets et fluides éclipse tout le reste. Ses mains claquent, tandis qu'il pivotesur lui-même. Chacun se sent emporté par la danse.

    Il faut un instant à Alexandre pour se reprendre. Il sort son smartphone de sa poche,

    et y affiche une image : une vieille peinture du XVIIIème siècle, le portrait d’undanseur flamenco. La ressemblance avec l’homme qui danse sur la scène estfrappante, aussi semblable que peut l’être une peinture et son modèle. Le cœur

  • 8/18/2019 BanlieueRougeSang 03-11-15

    17/33

    Banlieue rouge… sang –  Manuscrit 17/33

    d’Alexandre se met à battre plus vite. Il le tient, enfin ! Après tant d’année de

    traque…. 

    Il range son téléphone, vide son verre d’un trait et ne lâche plus sa proie des yeux.

    Il n’y a plus qu’à attendre le bon moment. Il sent l’adrénaline monter dans ses

    veines, ses nerfs se tendre, son corps se préparer au combat. Il sent aussi une petite pointe acide dans le bas du ventre, un soupçon de peur. Qui n’en aurait pas, avant

    d’affronter un pareil adversaire ? Mais un autre sentiment monte au fond de lui, bien peu chrétien. Il le refoule aussi vite qu’il le peut. Non, ce soir, il n’est pas là

     pour la vengeance. Seul le devoir le guide.

  • 8/18/2019 BanlieueRougeSang 03-11-15

    18/33

    Banlieue rouge… sang –  Manuscrit 18/33

    Chapitre 7 –  Renaissance –  2

    La soirée se termine enfin. Maître Luigi descend de scène, acclamé par la foule.Même Alexandre éprouve une forme d’admiration.  Ce soir, si Dieu le veut, lemonde va être débarrassé d’un terrible monstre… et perdre un grand artiste. Maître

    Luigi est plus qu’un grand danseur de Flamenco. La légende veut qu’il en ait étél’un des fondateurs, il y a près de trois cent ans… 

    Autour du danseur, les fans s’attroupent pour lui demander un autographe, être pris

    en photos avec lui. Maître Luigi se prête au jeu complaisamment. Il prend la poseavec un sourire, dit un mot gentil avec les uns ou les autres, bavarde autour d’un

    verre. Alexandre n’est pas dupe, Maître Luigi est en chasse, occupé à choisir sa proie pour la nuit. Il voudrait leur crier de ne pas l’approcher, révéler à tous sa vraie

    nature. Mais il se tait. Le vampire doit mourir ce soir. Il ne peut prendre aucun

    risque. Il reste dans un coin, bouillant d’impatience et priant pour qu’il n’y ait pas

    ce soir une dernière victime avant que le cauchemar ne s’arrête. Son estomac se tord quand Maître Luigi sort enfin de la salle de spectacle, bras-

    dessus, bras-dessous avec une jeune femme. Trop jeune, trop belle pour mourir.

    Alexandre espère qu’il est encore temps de l’empêcher. Il part à leur suite.  

    Alexandre gravit les marches de la salle de spectacle en sous-sol et ressort à l’air

    libre. L’esplanade devant le Centre Social est vide. Où Maître Luigi a-t-il puentraîner sa proie ? A sa droite et devant lui commencent des rues pavillonnaires. A

    sa gauche, la rue emmène vers un ensemble d’immeubles. Aucun endroit discret.Si, derrière lui, les bâtiments désert d’une école. Oui, ce doit être par là…. 

    Alexandre sort de son veston son pistolet mitrailleur. Arme au poing, il enjambe le

     portail, tous les sens en alerte. Il entend au loin comme un rire clair et sonore. A

     pas de loup, il traverse la cour en longeant les murs, prenant bien soin de resterdissimulé dans l’ombre. Il guette chaque bruit, chaque mouvement. A la périphérie

    de sa vision, il lui semble que quelque chose à bouger. Il pivote brusquement, braque son pistolet, mais non, rien. La nervosité sans doute. Il reprend sa

     progression.

    Il avance encore, sans pouvoir se débarrasser de ce sentiment d’être épié. Non, il a bien vu, il n’y avait pas de guetteur. Et s’il y en avait ? Il est trop tard maintenant, il

    ne peut plus reculer. Dans la pénombre, Alexandre devine une porte entrouverte.

    Silencieusement, il se glisse à l’intérieur. Il entend encore une fois un éclat de rire,

    à l’étage du dessus. La jeune femme est inconsciente du piège qui est en train de se

    refermer sur elle. Arrivera-t-il à temps ? Il voudrait se précipiter, mais il ne peut pas. Sa seule chance est de rester inaperçu. Il reprend sa progression avec prudence.

    De nouveau, il lui semble entendre des pas, derrière lui. Il se fige, les pas s’arrêtent

    aussi. Non, ce ne devait être qu’un écho dans ce long couloir désert. Alexand rereprend sa progression. Son cœur bat au plus vite, l’adrénaline coule dans ses

    veines.

  • 8/18/2019 BanlieueRougeSang 03-11-15

    19/33

    Banlieue rouge… sang –  Manuscrit 19/33

    Soudain, ils sont là. Il devine dans la pénombre d’une salle de classe deux corps

    enlacés. La jeune femme est plaquée contre le mur, Maître Luigi devant elle ladomine de toute sa haute taille. Il la tient dans ses bras et la soulève du sol. Elle

    sourit. Alexandre voit son visage éclairée par la lune. Elle n’a pas vingt ans, elle est belle, insouciante. La peau couleur de lait, des cheveux roux, les yeux en amandes.

    Elle croit toucher au bonheur, dans les bras d’un danseur légendaire de flamenco.

    Elle se penche pour l’embrasser. Maître Luigi lui répond par ce qui pourrait de loin passer par un baiser dans le cou. Alexandre n’a pas besoin de voir pour devinerdeux canines aiguisée se planter dans la gorge.

    Il voudrait intervenir, mais il sait qu’il ne le peut pas. Le moindre mouvementrévélerait sa présence aux sens exacerbés du vampire, le mettant lui-même endanger sans pour autant sauver sa proie. Il serre rageusement les poings et attend

    son moment.

    De loin, il voit le visage de la jeune femme passer du bonheur à la surprise alorsque les crocs du monstre se plantent dans sa chair. Puis la surprise devientincompréhension quand son sang chaud jaillit de la plaie ouverte et enfin terreurquand elle comprend qu’il ne cessera de couler qu’à sa mort. Un instant, elle tente

    de se débattre, de se sauver. Puis l’extase de l’étreinte la prend, elle cesse alors delutter et s’abandonne contre son prédateur. 

    Le moment est venu. Entièrement absorbé par l’Etreinte, Maître Luigi n’est plus

    attentif au monde extérieur. Alexandre sait qu’il n’a que quelques minutes pouragir. Moins encore, s’il veut pouvoir éviter que le vampire ne fasse une victime.Sans un bruit, il pénètre dans la salle de classe. Bientôt plus qu’à quelques mètres.

    Il lève son arme de poing et ajuste sa cible. Il grimace. A cette distance, les balles

    risquent de traverser le vampire et d’atteindre sa proie. Tant pis, il n’a pas le choix.

    Il est d’ailleurs sans doute déjà trop tard pour elle. « Dieu reconnaîtra les siens »murmure-t-il en appuyant sur la détente.

    Trois petits bruis secs, trois détonations atténuées par le silencieux au bout de son

    arme, trois balles en argent qui fusent et se fichent dans le corps du Vampire. Lemétal précieux déchire les chairs de la créature, les brûlants tout autant qu’il les

    transperce. Maître Luigi hurle de douleur autant que de surprise, et tombe à la

    renverse. Il lâche sa victime, qui tombe elle aussi au sol, inanimée.

    Alexandre se rapproche, tenant toujours le vampire en joue. Du coin de l’œil, il voitque la jeune femme ne bouge plus. Le vampire, lui se redresse déjà. Alexandre

     presse à nouveau la détente. Une nouvelle salve de trois balles d’argent foudroiel’immonde créature et l’envoie rouler un peu plus loin contre un mur. Alexandre

    franchit les quelques mètres qui l’en sépare, le braquant toujours de son arme. Levampire tente encore de se relever, mais, affaibli, il s’appuie sur le mur, relève latête. Alexandre distingue les blessures qui bouillonnent, et se referment peu à peu.

    Il sait qu’il n’a pas beaucoup de temps, et s’apprête à lâcher une nouvelle salve. 

    Le regard de Maître Luigi croise celui d’Alexandre. Il n’affiche aucune peur, etmême un sour ire qui se voudrait moqueur s’il n’était défiguré par la douleur :  

  • 8/18/2019 BanlieueRougeSang 03-11-15

    20/33

    Banlieue rouge… sang –  Manuscrit 20/33

    - Ainsi, tu m’as retrouvé, Chasseur… Félicitation ! Tu crois que l’heure est

    venue ? Enfin, après des décennies de traque, tu tiendrais ta vengeance ?

  • 8/18/2019 BanlieueRougeSang 03-11-15

    21/33

    Banlieue rouge… sang –  Manuscrit 21/33

    Chapitre 8 - Renaissance –  3

    Le vampire éclate de rire, crachant un peu de sang au passage.

    - Mais c’est ton jour de chance. Je vais t’éviter de commettre un péchémortel et de connaître la damnation.

    Alexandre sent alors une présence derrière lui. Cette fois-ci, ce n’est pas uneillusion, il y a bien quelqu’un dans son dos. Il pivote sur lui-même pour faire face.

    Trop tard pour éviter le coup, juste assez pour l’absorber sans trop de casse.L’attaque est pourtant d’une violence extrême, portée au niveau du bras. Alexandre

    est projeté au sol, son pistolet-mitrailleur volant au loin.

    Allongé, il lui suffit d’un seul coup d’œil pour comprendre que sa situation est

    mauvaise, très mauvaise. Son arme git à plusieurs mètres de lui, hors d’atteinte.Maître Luigi commence déjà à se redresser. Alexandre perçoit distinctement le son

    de trois balles en argent qui tombent par terre, repoussées hors du corps du vampire

    alors que ses plaies se referment.

    Mais surtout, son agresseur s’avance vers lui, décidé à en finir. Vêtu Il a

    l’apparence d’un jeune homme, en jean, basket, une vaste veste à capuche rabattuesur le visage ; un visage terriblement blanc, pourvue de deux canines acérées et

    illuminé de deux yeux injectés de sang. Un second vampire… 

    « Impossible, les vampires ne chassent pas en groupe » murmura Alexandre. Maisil n’a pas le temps de se poser des questions. Il lui reste une infime chance de voir

    se lever le soleil encore une fois, à condition d’agir au bon moment. 

    Alexandre se force à calmer le rythme de son cœur. Il se redresse lentement,observant le vampire s’approcher de lui. Celui-ci marche à pas lents, confiant, sûr

    de son fait, sûr de tenir sa proie, savourant par avance le prélude à sa victoire, le

    festin à venir. Alexandre porte lentement la main à son col, alors que le vampire parvient à portée de bras.

    Soudain, Alexandre dégrafe le col de sa chemise, révélant le lourd crucifix en boisd’if. Celui-ci semble luire d’un éclat insoutenable pendant un court instant,

    aveuglant le vampire. D’un geste rapide, Alexandre arrache le crucifix de son couet plaque la croix contre les chairs mortes de son adversaire. Aussitôt, celles-ci se

    mettent à crépiter, tandis qu’une odeur de brûlé s’élève dans les airs. Le vampirehurle de douleur.

    D’un geste rapide et fluide, Alexandre fait jaillir de sa manche le pieu de bois qui yétait dissimulé et l’enfonce dans le cœur du vampire. Le regard de la créature

    devient instantanément vitreux puis s’éteint, avant qu’elle ne s’écroule au sol. 

    Le vampire gisant à ses pieds, Alexandre balaye la salle de classe de son regard. La jeune femme git toujours inerte au sol, de même que son pistolet à quelques mètres

    de lui. Mais de Maître Luigi, plus aucune trace. Il a disparu.

    Dans la salle de classe plongée dans l’obscurité, il règne un silence de mort ;

    entrecoupé de la seule respiration haletante d’Alexandre. Il n’a pas besoin de

  • 8/18/2019 BanlieueRougeSang 03-11-15

    22/33

    Banlieue rouge… sang –  Manuscrit 22/33

    s’approcher du corps inanimé de la jeune femme baignant dans son sang pour

    savoir qu’elle ne respire plus. Est-ce la morsure du vampire qui lui a été fatale ?Alexandre aimerait le croire ; mais les trois points rouges, l’impact de ses propres

     balles laissent planer un insupportable doute. A-t-il achevé la jeune femme ententant de la sauver ? Aurait-il pu éviter le drame s’il avait été plus rapide, s’il avait

     pris plus de risque pour lui-même ? Il ne le saura jamais et un visage accusateur, un

    de plus, hantera désormais ses nuits et ses cauchemars.

    Alexandre se tourne vers le second cadavre, un pieu en bois planté dans le cœur. Il

    s’arrête, stupéfait. La peau du vampire est devenue sèche et fripée, ses yeux vitreux

    et enfoncés …. Quand il n’y aurait dû avoir plus que quelques os au milieu d’un tasde poussière.

    Lorsqu’un vampire meurt, le temps reprend immédiatement ses droits sur son

    corps, et celui-ci se décompose alors presque instantanément. Nul besoin d’être

    médecin légiste pour reconnaître que la première mort de celui-ci ne pouvait daterque de quelques semaines à peine. Ce qui est impossible… 

    Mais ni le lieu, ni l’heure ne prêtent à s’interroger. Un autre monstre rode toujoursdans la nuit, guettant la moindre faille, la moindre faiblesse pour frapper. Le

    crucifix n’offre qu’une faible protection, qui ne saurait durer. Les vampires sont les prédateurs, et les humains les proies ; même le Chasseur. Alexandre quitte l’école

    en redoublant de prudence. Chaque recoin d’ombre est un piège potentiel, le plus

    infime bruit peut être le seul avertissement pour éviter le pire. Le dernier couloir àfranchir avant de sortir dans la vaste cour extérieure lui semble infiniment long ; lesminutes s’étirer en heure. Mais non, aucune menace ne surgit. Maître Luigi s’est

    volatilisé… 

  • 8/18/2019 BanlieueRougeSang 03-11-15

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    Banlieue rouge… sang –  Manuscrit 23/33

    Enquête sur un double meurtre

    Chapitre 9 - Enquête sur un double meurtre - 2

    Le lieutenant de police Elisa Alvarez est adossée contre le tableau noir de la salle

    de classe, les bras croisés. Son regard va de techniciens de la police scientifique enmédecins légistes. Pour une jeune lauréate du concours, tout juste affectée dans uncommissariat de banlieue, l’occasion est inespérée : un VRAI crime. Non pas un

     petit trafic de drogue dans l’une des cités sensibles du coin, ou un cambriolage dans

    les quartiers plus cossus. Non, un meurtre, un double meurtre même. Mais sontuteur a été clair : elle doit rester dans un coin, observer, prendre des notes et

    surtout ne pas interférer. Ça lui fait drôle, c’était son école primaire lorsqu’elle étaitenfant. Son père vit toujours deux rues plus loin, dans un petit pavillon, avec vue

    sur les tours de la cité d’à côté, pas loin des voies ferrées. Décidemment, le coin

     porte la poisse. Il y a quelques jours, on a ramassé un suicidé qui s’est jeté de la

     passerelle du RER, à moins de 200 mètres de là.

    Elisa a fait du chemin, depuis qu’elle fréquentait le centre social voisin. A l’époque,

    c’était une structure jeunesse, elle y allait souvent écouter des concerts. Elisa estaujourd’hui une belle jeune femme de 25 ans, les traits fins, espagnols aux cheveux

    noirs et yeux marron. D’un geste machinal, elle tâte la poche de sa veste en cuir,vérifiant que son arme de service est toujours là, essuie ses mains sur son jean. « Ne

     stresse pas, Elisa…  » se dit-elle. « On t’a dit de rester en retrait, tu n’as rien à

    démontrer. »

    Son tuteur, le capitaine Régis Gauthier mène l’enquête. C’est un flic compétent, la

    quarantaine qui refuse de se voir vieillir. Il s’ag ite, étouffant de chaud sous sonveston malgré la fraîcheur de l’automne qui commence. Il fait signe à Elisa des’approcher pour qu’elle entende avec lui les conclusions de la médecin légiste.Celle-ci est penchée sur le cadavre d’une jeune femme. Une vingtaine d’année, type

    européen, les cheveux roux, les yeux en amandes. Elle est affalée dans une marre

    de sang, le long du mur. Son visage dit vaguement quelque chose à Elisa. Une fille

    de la cité, de l’âge de sa sœur. Elle a déjà dû la croiser dans le quartier, plus jeune.Anita Jermine, le médecin légiste, l’air qui en a déjà beaucoup vu, enfoncée dansune tenue blanche jetable est penchée sur elle et relève la tête.

    - Bonjour capitaine, dit le médecin en arrivant. On se croise tout le temps ces jours-ci. Des nouvelles du cadavre qu’on a retrouvé sur les voies du RER la

    semaine dernière ?

    - Ah oui, comment s’appelait-il déjà. Oui, Lionel Parme. L’enquête arapidement conclu a un suicide, il a envoyé un SMS d’adieu à ses parents

     juste avant de sauter.

    « Envoyer un SMS, tout le monde peut le faire, ça ne prouve rien » murmure Elisa à

    voix basse. « D’après ses amis, ses parents, il allait très bien. Il était juste un peu

     fatigué depuis une semaine. On aurait dû creuser… »

    - Vos premières constatations docteur ? demande le capitaine Gauthier en se penchant sur le cadavre.

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    Banlieue rouge… sang –  Manuscrit 24/33

    - Vous voyez ces trois points rouges, au niveau du ventre ? Trois impacts de

     balles, très rapprochés. Sans aucun doute la cause de la mort. L’analyse balistique le confirmera, mais vue l’emplacement des impacts, je parierais

     pour un tir semi-automatique, une salve de trois balles. Une arme de guerre,maniée par un professionnel. Mais il y a un détail surprenant.

    - Et là, c’est quoi ? demande Elisa en pointant du doigt le cou de la

    victime… 

    Son tuteur fronce les yeux, visiblement mécontent de son intervention. La médecinlégiste fait légèrement basculer la tête de la victime, révélant deux petits points

    rouges, juste à la hauteur de la carotide.

    - Votre stagiaire a un bon sens de l’observation, ca pitaine, répond-elle.- Je vois, bougonne-t-il. C’est quoi ? 

    - Si nous étions dans un film d’horreur, je vous dirais que ça ressemble à une

    morsure… Si vous voyez ce que je veux dire. 

    Les trois policiers se regardent en silence. Personne n’ose prononcer à vo ix hautel’idée absurde qu’ils ont tous en tête, de peur de sombrer dans le ridicule.

    - Pour déterminer ce que c’est en réalité, on attendra l’autopsie. Je peux déjà

    vous donner l’heure de la mort, c’était hier soir, entre 23 heures et minuit.Sinon, aucune trace de lutte, pas d’agression sexuelle. 

    Elisa se penche sur le cadavre. Le capitaine tend une main pour l’interrompre, mais

    elle ne se laisse pas intimider.

    - Son chemisier est à moitié déboutonné, et son rouge à lèvres a légèrement

    coulé.- Et que nous apporte ces magnifiques constations, Lieutenant Alvarez ?Questionne son tuteur d’une voix dure. 

    Elle se retourne, sourit et lui répond de ce ton trop sûr d’elle-même qui lui a valuquelques inimitiés à l’école de police : 

    - Que la jeune femme s’apprêtait à batifoler juste avant le crime. Puisque le

    docteur nous précise qu’il n’y a eu ni lutte ni acte sexuel, on peut supposerqu’elle était consentante et qu’ils ont été interrompu juste avant de passer à

    l’acte. 

    - Et pour l’autre cadavre ? demande le capitaine Gauthier, visiblementdésireux de changer de sujet de conversation. Il ne jette pas un regard à sastagiaire.

    «  J’aurais dû la fermer   » murmure Elisa pour elle-même. «  J’ai encore voulu

    briller, je vais apparaître pédante, et me faire mal voir… »

    Elisa tourne son regard vers le deuxième corps allongé au milieu de la salle de

    classe. C'est celui d’un jeune homme, type européen, jean, basket, veste à capuche.Mais surtout, le cadavre a un trou béant dans le cœur et la peau fripée, comme

    momifiée. La médecin légiste est déjà agenouillée au-dessus de lui.

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    Banlieue rouge… sang –  Manuscrit 25/33

    - Encore plus surprenant. L’autopsie nous donnera peut-être plus de détail,

    mais la mort remonte à plusieurs semaines, minimum. Causée par un objet pointu enfoncé avec grande violence dans le cœur. Et avant qu’un plaisantin

    ne me pose la question, je tiens à préciser que notre cadavre a les caninescertes un peu pointues, mais tout à fait dans les normes

    Le silence se fait, chacun médite les constatations du médecin légiste. Le capitaine

    Gauthier se tourne vers Elisa et demande d’une voix ironique et froide : 

    - Une première hypothèse, officier stagiaire Alvarez ? . Sa voix appuielonguement sur le mot « stagiaire ».

    Elisa Alvarez sent le pourpre monter à ses joues. « Tout le monde pense la même

    chose, tout l e monde sait que c’est absurde. Et c'est à moi de le dire. Je l’ai biencherché… »

    - Je dirais qu’on a un malade qui s’amuse avec une mise en scène évoquant

    le mythe du vampire. Mais ça rime à quoi ????Personne ne lui répond.

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    Banlieue rouge… sang –  Manuscrit 26/33

    Chapitre 10 - Enquête sur un double meurtre - 2

    Quelques heures plus tard, Régis Gauthier a rassemblé toute son équipe dans lasalle de réunion du commissariat, pour faire un premier point d’étape sur l’enquête.Sur un vaste tableau velleda sont affichées plusieurs photos de la scène de crime,

    des deux morts. Le capitaine est assis sur une table, un stabilo à la main, regardantson équipe : Une demi-douzaine de jeunes hommes et femmes, assis en rond autour

    de lui, calepin à la main, dont sa jeune adjointe, Elisa Alvarez.

    - Bon, si je résume, commence le capitaine, voici où nous en sommes :

    La jeune femme s’appelle Louise Malenne, d’après les papiers retrouvée sur elle.

    Elle est morte de trois balles dans le ventre. Nous attendons les résultats del’autopsie pour déterminer le calibre de l’arme. 

    Régis Gauthier ne dit pas un mot des étranges blessures au cou. «  Mais pourquoi

    n’en parle-t-il pas ? » se demande Elisa. « Ok, il n’est pas à l’aise avec ça. Moi

    non plus, mais ça n’est pas en cachant un détail troublant à l’équipe qu’onavancera. » Le capitaine poursuit son exposé :

    - D’après les premiers éléments de l’enquête, Louise est une jeune étudiantesans histoire. Elle est venue avec plusieurs copines à une soirée flamenco

    organisée par une association espagnole dans le centre social. Ses amies l’ontvu pour la dernière fois repartir bras dessus, bras dessous avec « Maître

    Luigi » guest star de la soirée. Elles ne se sont pas inquiétées en n’ayant pas

    de nouvelles de Louise ; elles ont imaginées que celle-ci passait la soirée enagréable compagnie.

    La localisation de « Maître Luigi » doit être notre priorité. Il est notre principal témoin, pour ne pas dire suspect.

    Quant à l’autre cadavre, nous l’avons identifié. Kevin Bréhaut, jeunechômeur de la cité Barbusse, porté disparu il y a 3 mois. Il est sans doute

    mort peu après, si on en croit les estimations du médecin légiste.

    « Mort il y a trois mois, mais cadavre momifié et préservé… Ça aussi, il faut le dire  

    » bougonne Elisa dans son coin.

    - Pas de mobile, pas de piste. C’est maintenant qu’il va falloir se creuser lacervelle. Reprend le capitaine.

    - Pas la peine ! Rugit une voie au fond de la salle.

    Elisa se tourne vers le nouvel arrivant. Un homme d’une cinquantaine d’année, legenre vieux beau : cheveux poivre et sel, barbe de trois jours, blouson de cuir, botte

    de motard. Régis Gauthier le prend immédiatement en grippe.

    - Et vous êtes ? dit-il d’une voix froide. - Commandant Martel, Brigade Criminelle dit l’inconnu en s’avançant

    vivement au milieu des agents du capitaine.Vous êtes dessaisi de l’enquête. C’est la Crim qui reprend l’affaire. Donc,

    merci pour ce beau dossier, je l’embarque chez moi au 36 quai des orfèvres

    et je vous laisse retourner à vos petits dealers de shit. Ciao la compagnie…  

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    Banlieue rouge… sang –  Manuscrit 27/33

    Assise dans un coin de la salle, Elisa Alvarez reste comme pétrifiée. Le

    commandant Martel, le capitaine Martel à l’époque. Elle ne l’a pas oublié, elle ne pourra jamais l’oublier. Elle se revoit, dix ans auparavant, dans le bureau du juge,

    le capitaine explique à son père, l’air navré, qu’il n’y a aucune piste pour éluciderla disparition de sa mère et qu’il faut donc clore l’enquête. Il est désolé... La colère

    de l’époque, celle qui lui a donnée la motivation pour entrer dans la police, est

    toujours là, intacte. « Il va enterrer l’enquête, ce salaud… » murmure Elisa. « Mais je ne le laisserai pas faire cette fois-ci. La famille de Louise Malenne a le droit à la justice.»

    Le commandant de la Crim n’est pas parti depuis 5 minutes qu’Elisa Alvarez entredans le bureau du capitaine telle une furie. Elle claque la porte avec fracas derrièreelle :

    - Capitaine, on ne peut pas laisser faire ça ! Hurle-t-elle. De quel droit se

     permet-il ça, ce connard ? C’est notre enquête. - Si, il peut. Répond Régis Gauthier d’une voix lasse. Et oui, beaucoup degars à la Crim ont pris le melon. Réfléchis-y bien, avant de faire du 36 ton

     plan de carrière.

    - Et donc, une étudiante du quartier se fait dessouder. Et nous, on ne fait rien? On continue à traquer les petits dealers, à enregistrer les vols de voitures ettout ça ?

    - Oui, tu as très bien compris… Ça ne me plait pas plus que ça, mais on n’a

     pas le choix.

    Le capitaine Gauthier tourne ostensiblement la tête pour plonger son regard dans

    son écran d’ordinateur, signifiant que la conversation est terminée. Sans un mo t,mais non sans claquer une nouvelle fois la porte, Elisa Alvarez quitte le bureau de

    son supérieur. Elle introduit vigoureusement une pièce dans la machine à café,

    saisit brutalement le gobelet encore chaud, l’avale d’un trait avant de l’écraser entreses mains et le jeter dans une poubelle. « Non, ça ne se passera pas comme ça. Je

    ne vais pas laisser un crétin prétentieux de la Crim qui ne connaît rien au quartier faire son prétentieux comme ça. Ici, c’est chez moi. Et je ferais mon taf, quoi qu’ils

    en pensent là-haut … ».

    A peine sortie du commissariat de police, le commandant Martel sort son téléphone

     portable et compose un numéro de téléphone en Italie.

    - Oui Monseigneur. J’ai bien récupéré le dossier. J’ai été sans équivoque

     pour mettre les flics locaux sur la touche. Je vais enterrer le dossier. La

     police française ne retrouvera jamais le coupable. Puis, après un silence :

    J’espère que votre Chasseur réussira… Savoir l’un d’Eux à Paris, j’en aifroid dans le dos.

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    Banlieue rouge… sang –  Manuscrit 28/33

    Premier jour

    Chapitre 11 - Premier jour –  1

    En cette froide matinée d’automne, Eric Miran marche à pas lent vers l’immeuble

    des laboratoires Goji. Aujourd’hui, c’est son premier jour  ; le contrat est signé, unCDI en bonne et due forme assorti d’un salaire très au-dessus de ses prétentions. Etce sans même avoir eu besoin de négocier. Il devrait se réjouir. Après des mois de

    galères, d’intérims et de stages bidon, une telle issue était inespérée   ! Pourtant il

    n’y parvient pas. Il veut croire que c’est seulement une gêne due à son costume trop  neuf, à sa cravate trop serrée ou à ses nouvelles chaussures pas encore à son pied.

    Mais au fond de lui, il sait que ce n’est pas ça. Il ne peut se défaire d’une bouled’angoisse depuis son si étrange entretien d’embauche. Il a recommencé à faire des

    cauchemars sur de la mort de ses parents. Cela ne lui était plus arrivé depuis des

    années.

    En arrivant à proximité des bureaux de son nouvel employeur, Eric remarque toutde suite le petit attroupement devant les grilles d’entrées. Ils sont une demi-

    douzaine, réunis autour d’une table où fument deux belles thermos de café. Au-dessus d’eux, un drapeau est accroché à la grille. Il est floqué de lettres noires  :

    CGT. Les syndicalistes tendent des tracts aux salariés qui rentrent. La plupartd’entre eux les prennent sans les regarder, les enfouissent dans leur poche et

     poursuivent leur chemin sans même ralentir, les yeux baissés. Une petite minorité

    leur serre la main, dit bonjour avant de passer bien vite. Une poignée à peine

    s’arrête pour discuter et se voir offrir un verre de café chaud. "Et en plus, il faut que

     je tombe en plein conflit social " se dit Eric. "Bon, c’est mon premier jour, pasquestion de se faire remarquer avant la fin de la période d’essai…. "

    Il  prend instinctivement l’attitude de la majorité des salariés : soumis au patron,voulant se faire discret. Il avance à pas rapide, la tête baissée, comme perdu dans

    ses pensées. Peine perdu, un des cégétistes lui tend néanmoins un tract. Eric en

    aperçoit le titre: "Non au brevet sur le vivant ! Halte aux recherches sur l'Aconit". il

    fait signe de la main que non, il ne veut pas le tract. L’autre l’apostrophe :

    - Et toi, je ne te connais pas ? T’es de la boîte ?

    Difficile de ne pas répondre sans paraître complètement impoli. A contre cœur, Eric

    se retourne, en gardant bien ses distances :

    - Oui, c’est mon premier jour. 

    - Alors, mon gars, faut que je t’explique où tu mets les pieds… Réponds le

    syndicaliste en s’approchant d’un air aimable. 

    « Et merde », se dit Eric, « comment je vais me sortir de là ? »

    - Laisse tomber, intervient un second syndicaliste qui se tourne à son tour vers Eric.

    Vous devez être mon nouveau chef. J’aurais bien le temps de tout vous expliquer àla pause-café. Mais je ne veux pas vous mettre en retard à votre rendez-vous avec le

    DRH.Sauvé par le gong ! » soupire Eric en adressant un bref sourire à son sauveur et

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    Banlieue rouge… sang –  Manuscrit 29/33

    semble-t-il futur collaborateur. L’homme est plutôt petit, le front dégarni, une barbe

    en collier. Il porte une veste en cuir élimée et un foulard rouge vif autour du cou.« L’air sympa, mais un peu soupe au lait  », juge Eric d’un coup d’œil. «  Et donc,

     pour couronner le tout, je vais devoir manager le délégué syndical de la boîte.Super… »

    Quelques minutes plus tard, changement radical de décor. Eric sert la main ferme et

    vigoureuse de Jean-Marc Germand, DRH des laboratoires Goji, venu l’accueillir pour son premier jour. Un type grand, la quarantaine, plutôt rondouillard et portant

    de grandes lunettes. Il est vêtu d'un costume dernier cri, taillé sur mesure. Ses

     premiers mot sont tout sauf amicaux :

    - Le PDG m’a chargé de vous accueillir. Bon, je mets les choses au pointtout de suite : j’avais recommandé à M. Theophraste de ne pas vous

    embaucher. J’ai déjà assez de gauchistes en bas (il désigne par la fenêtre la

    table des syndicalistes), je n’ai pas besoin d’en avoir parmi mes cadres. Donc je vais être clair. Je ne peux –  hélas –  pas empêcher les opérateurs et agentsde maîtrise de se syndiquer. Mais vous, vous êtes cadre : Dans la « lutte desclasses », maintenant, vous êtes du côté du patron. Tachez de ne pas

    l’oublier. Je ne veux pas de 5ème colonne dans l’encadrement. Donc, vousrestez loin d’eux, vous ne faîtes pas de vagues et tout ira bien. Sinon, je vous

     jure que je ne vous rate pas.

    Jean-Marc Germand marque une pause, puis reprend tout sourire, comme si sa phrase précédente n’était pas lourde de menace :

    - Cette petite mise au point effectuée, je vous souhaite la bienvenue dansl’entreprise. Vous prendrez bien un café, pendant que je vous en explique les

    grandes lignes ? Puis je vous emmène faire un tour pour vous présenter à

    l’équipe avant de vous montrer votre nouveau bureau. Yves Lagneul, notrenouveau directeur du service Recherche et Développement vous y présenteravotre mission.

    « Génial l’accueil  », se dit Eric. « T rop sympa le DRH, on va bien s’entendre »

    Guidé par celui-ci, Eric entame alors un long périple à travers tous les bureaux de lasociété. A chaque fois, c’est le même rituel. Jean-Marc Germain entre dans le

     bureau, serre la main à tout le monde en appelant chacun par son prénom. « Voilà bien un truc de DRH, ça, de montrer aussi ostensiblement qu’on connaît tous lesemployés par leur prénom » se dit Eric, tandis qu'il est présenté :

    - Voici notre petit nouveau, Eric Miran. Eric est notre dernière recrue commeingénieur de recherche.

    Eric serre les mains, murmure un vague « enchanté », pendant que chacun desmembres du bureau lui souhaite la bienvenue et explique ses fonctions. Il y’a

    Mathilde à la compta, Abdel au courrier, Salomé est aussi ingénieure de recherche,

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    Banlieue rouge… sang –  Manuscrit 30/33

    à moins que ça ne soit Fatima ? Il s’embrouille.

    Au cinquième bureau, il sourit toujours mais a complétement abandonné l’idée deretenir les prénoms. Ça sera déjà bien s’il se souvient encore ce soir d’où se trouve

    le bureau administratif, la cafétéria et deux ou trois autres lieux stratégiques. Pour

    les noms, on verra plus tard.

    En approchant du bureau du PDG, Eric ressent une brusque acidité dans l'estomac.Les locaux de M. Theophraste lui paraissent être l'antre d'une bête féroce. " Merde,

     pourquoi je réagis comme ça ? Je n'arrive pas à contrôler cette peur. Pourquoicette impression que j'ai déjà connu ça ?  " L'idée de croiser à nouveau ces deux

    yeux bleus lui est insupportable.

    Heureusement, le DRH passe devant la porte sans ralentir.

    -M. Theophraste est absent aujourd'hui.

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    Banlieue rouge… sang –  Manuscrit 31/33

    Chapitre 12 –  Premier jour –  2

    Enfin, après un long parcours de présentation qui lui a plutôt semblé être un parcours du combattant, Eric se tient devant l’entrée de son nouveau bureau : Uneépaisse porte blindée, munie d’un clavier à empreinte tactile. Le DRH y appose son

    doigt et la porte coulisse en silence. Elle s’ouvre sur une salle en sous-sol, sansfenêtre. Un laboratoire de biologie, à la vue des nombreux équipements de la pièce.

    Deux hommes semblent l’y attendre. Le syndicaliste croisé à l’entrée et un secondau physique de sportif, la trentaine et le crâne rasé. Il tient entre ses mains une fine

    enveloppe en papier kraft.

    - Bonjour, commence celui-ci. Je m’appelle Yves Lagneul, directeur duservice Recherches et Développements. Je serais votre nouveau N+1. Et

    voici Christophe Zalmer, le laborantin qui vous assistera dans vos

    recherches.

    Il marque une pause, et reprend d’une voix tendue ; ce qu’il dit ne semble pas lui plaire :

    - Le projet pour lequel vous avez été embauché est confidentiel. Vous n’enrendrez compte qu’à notre PDG, M. Theophraste. Mon rôle vis -à-vis de vous

    sera uniquement managérial. Je vous remets dans cette enveloppe le code ducoffre sécurisé qui se trouve au fond de votre laboratoire. Vous y trouvereztoutes les indications nécessaires à votre projet, m’a-t-on dit.

    Jean-Yves Lagneul tend l’enveloppe à Eric, lui sert la main, et sort rapidement. Ilsemble pressé de partir. « C’est tout ? » se demande Eric. Vraiment rapide comme

    introduction. Il n’y a décidemment rien de normal dans cette boîte ». Il se tournevers son nouveau « collaborateur ». Christophe Zalmer a fait tomber l’écharperouge et le badge CGT. Son front dégarni et sa barbe en collier surmontentdésormais une blouse blanche de laboratoire. Il sourit :

    - Et bien, bienvenue dans la boîte, « chef » dit-il. Il faut excuser M. Lagneul,il n’a été embauché qu’avant-hier. Et encore, dans des conditions très…

     particulières. Son prédécesseur, Lionel Parme s’est suicidé la semaine

    dernière. M. Lagneul l’a remplacé au pied levé, sans passation de consigne.Il commence à découvrir que les laboratoires Goji ne sont pas une entreprise

    ordinaire… Vous aurez rapidement l’occasion de vous faire votre propreidée.

    Bon, je nous fais un café, pendant que vous faîtes le tour du propriétaire ?

    Tandis que celui-ci part vers la machine à café, Eric balaie des yeux « son » bureau,ou plutôt son laboratoire. La salle est vaste et contient tout le matériel basique

    d’analyses pharmaceutiques. Larges paillasses, rangées de tubes à essai, étuveétanche, microscope, frigo, armoires remplies de différents produits

     pharmaceutiques et même un spectromètre de masse. Un ensemble de cages setrouvent un peu plus loin ; où s’ébattent une douzaine des indispensables souris de

    laboratoire. « De quoi faire du bon boulot » se dit Eric. Séparé par une paroi vitrée,

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    Banlieue rouge… sang –  Manuscrit 32/33

    un espace « bureau », avec deux plans de travail. Sur l’un d’eux, un petit cadre

    numérique fait défiler des photos. La première montre Christophe Zalmer, enlaçantune femme et tenant un enfant en bas-âge dans les bras ; sur fond de décor alpin.

    Une photo de vacances sans doute. La deuxième le montre, drapeau rouge dans unemain, torche d’alarme dans l’autre, le visage masqué par un keffieh, sur fond de

    manifestation. Un peu plus loin sur le bureau, un carton emplie de papeteries

    diverses. Visiblement, son collaborateur a déjà commencé à s’installer. Le second bureau est entièrement vierge excepté un ordinateur  –   fixe et visiblement encastrédans le bureau, impossible à bouger. Particularité de ce laboratoire, entièrement en

    sous-sol, il n’a aucun accès à une lumière naturelle. « Sinistre » murmure Eric.

    Christophe Zalmer arrive avec une tasse de café chaude à la main.

    - Je vous offre maintenant le café que vous n’avez  pas pu prendre ce matin.Vous verrez, les Laboratoires Goji, ça n’est pas une boîte comme les autres.Le PDG est aussi l’unique actionnaire. Il refuse d’ouvrir son capital, même sila boîte aurait bien besoin d’argent frais. Notez qu’on ne se plaint pas de  ne

     pas être dépendant d’un fond de pension américain. Mais notre « bon PDG »M. Theophraste gère sa petite entreprise à la mode capitaliste du XIXèmesiècle. Je suis le seigneur chez moi, je fais ce que je veux. Le code du travail,

     je ne connais pas, mais si je vous ai à la bonne, vous pouvez compter sur

    moi. Et son DRH, il l’a bien choisi pour ça aussi. Un vrai dur, qui fait peur àtout le monde.

    Un exemple en est le projet phare du laboratoire Goji : le séquençage en vuede le breveter d’une nouvelle variété d’Aconit récemment découverte dans

    les Andes. Ses propriétés médicinales restent à démontrer ; les indiensl’utilisent pour chasser les mauvais esprits. Une lubie du patron, comme

     beaucoup d’autres. Des fois, je me demande comment notre entreprise tient

    financièrement.

    Mais vous avez sans doute d’autres priorités, comme de connaître le contenudu coffre ? »

    Après avoir fini son café, Eric s’approche du coffre mural derrière son bureau. Il

    ouvre l’enveloppe kraft. Elle ne contient qu’un papier avec une longue suite decaractères, la combinaison du coffre. Celui-ci s’ouvre sans un bruit, révélant pour

    tout contenu une chemise au logo des laboratoires Goji avec un tampon en lettre

    rouge « Confidentiel ». Il est étonnamment peu épais, quelques pages de notes,

    écrites à la main. Une écriture fine et délicate, celle de M. Theophraste.

    -  Le PDG n’aime pas écrire à l’ordinateur, explique Christophe Zalmer. 

    La lecture ne leur prend que quelques minutes. Une fois celle-ci terminée, sans un

    mot, Eric se lève et ouvr e le frigo du laboratoire, suivi de Christophe. A l’intérieur,ils trouvent une série de petits tubes à essais, emplis d’un liquide rougeâtre. Du

    sang, sans aucun doute. Ils les regardent en silence, interloqué.

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    «  Pour un projet de recherche étrange, il est   étrange », se dit Eric. D’après le

    dossier, les tubes à essais contiennent un sang de synthèse, qui aurait été crééartificiellement en laboratoire. Eric a entendu parler de recherches sur le sujet, mais

    rien d’aussi proche d’aboutir. 

    Pourtant le dossier laisse entendre que ce sang serait plus qu’un sang de synthèse.Qu’il aurait des propriétés particulières, à charge pour Eric et son collaborateur de

    les découvrir, les étudier, les analyser, les documenter.

    Le dossier reste étrangement muet sur la provenance de ce sang. Interrogé,Christophe Zalmer lui répond que non, il n’a jamais entendu parler de recherches

    sur un sang artificiel aux laboratoires Goji ; le laboratoire serait d’ailleurs trop petit

    et n’aurait pas les ressources pour conduire un projet d’une telle envergure. 

    « On ne me demanderait quand même pas d’analyser les résultats d’un laboratoire

    concurrent ? Une sorte d’espionnage industriel ? Ca expliquerait les extravagantes

    clauses de confidentialité de mon contrat  » s’interroge Eric. «  Et pour un projet sensible, me donner comme collaborateur principal un délégué du personnel, c’est

    un choix surprenant… Comme tout le reste ».