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HAL Id: halshs-00730320 https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00730320 Submitted on 9 Sep 2012 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Aux origines de la construction. Sophie A. de Beaune To cite this version: Sophie A. de Beaune. Aux origines de la construction.. R. Carvais, A. Guillerme, V. Nègre, J. Sakarovitch. Édifice et artifice. Histoires constructives. Premier Congrès francophone d’histoire de la construction, Paris, 19-21 juin 2008., Picard, pp.77-89, 2010. halshs-00730320

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HAL Id: halshs-00730320https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00730320

Submitted on 9 Sep 2012

HAL is a multi-disciplinary open accessarchive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come fromteaching and research institutions in France orabroad, or from public or private research centers.

L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, estdestinée au dépôt et à la diffusion de documentsscientifiques de niveau recherche, publiés ou non,émanant des établissements d’enseignement et derecherche français ou étrangers, des laboratoirespublics ou privés.

Aux origines de la construction.Sophie A. de Beaune

To cite this version:Sophie A. de Beaune. Aux origines de la construction.. R. Carvais, A. Guillerme, V. Nègre, J.Sakarovitch. Édifice et artifice. Histoires constructives. Premier Congrès francophone d’histoire de laconstruction, Paris, 19-21 juin 2008., Picard, pp.77-89, 2010. �halshs-00730320�

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Aux origines de la construction

Sophie A. de Beaune

Il n’est pas question de faire ici un inventaire exhaus-tif des vestiges de construction connus depuis l’ori-gine de l’humanité jusqu’au Néolithique. Il existedéjà d’excellentes synthèses sur le sujet (pour lePaléolithique archaïque, voir Alain Gallay, 19991 ;pour les périodes suivantes, voir René Desbrosse etJanusz Kozlowski, 19942 ; Bérengère Yar et PhilippeDubois, 19993). À partir de quelques exemples, cetarticle tente de montrer que les techniques deconstruction des habitats se sont mises en place trèsprogressivement au fil des millénaires. Les premièresconstructions, qui se réduisent à l’aménagementsommaire d’opportunités naturelles, ne sont guèreplus élaborées que les nids des chimpanzés. Peu àpeu, de nouvelles techniques apparaissent et se per-fectionnent jusqu’à aboutir à l’érection de cabanes oude tentes. Mais on ne peut parler d’architecture avantque n’apparaissent, au Mésolithique, des maisonsédifiées selon des principes géométriques rigoureux.

Deux questions principales se posent. D’abord,à quel moment apparaissent les premières construc-tions humaines dignes d’être considérées commetelles ? Nous allons parcourir les grandes étapes duPaléolithique pour tenter de répondre à cette ques-tion. Ensuite, l’association communément admiseentre l’apparition des premières maisons et celle dela sédentarité est-elle pertinente ? Pour y répondre,nous examinerons ce qui se passe au Proche-Orientau Mésolithique et au Néolithique.

1. Paléolithique archaïque (3,6 à 1,5 millions d’années)

Le Paléolithique archaïque débute avec les plusanciens outils de pierre taillés, vers 3,6 à 3,4 mil-

lions d’années. Il est confiné en Afrique etconcerne différentes espèces d’Australopithèqueset les premiers représentants du genre Homo.

Les homininés ayant vécu entre 2,9 et 1,8 mil-lions d’années occupaient un paysage de savane etn’ont laissé que des traces d’installation discrètes,indiquant un mode de vie organisé autour de laquête de la nourriture et sans doute de l’eau. Lesplus anciens sites se trouvent dans la région du lacTurkana au Kenya et dans les vallées de l’Awash etde l’Omo en Éthiopie. Traces probables d’activitésde boucherie, des concentrations de restes d’ani-maux sur les rives d’anciens lacs ou de cours d’eausont les vestiges de brèves haltes ou de courts séjours.

La permanence de certaines haltes pourrait êtreliée à la présence d’arbres qui fournissaient l’ombreet constituaient un refuge potentiel en cas de dan-ger ; un même lieu pouvait ainsi être fréquenté tantque l’arbre était présent, pendant quelques dizainesd’années. L’utilisation du terme « habitat » parfoisemployé par les préhistoriens pour désigner cesconcentrations de vestiges est évidemment fautivepuisqu’il s’agit tout au plus de vestiges d’airesd’activités (lieu de dépeçage d’un gros animal, d’unatelier de taille de la pierre, voire d’une simplehalte). Les lieux de repos se situaient sur des falaisesou des rochers, ou dans des arbres, à quelque dis-tance de l’eau. Ces homininés avaient sans douteun comportement proche de celui des chimpanzés,qui ont une niche écologique restreinte.

À partir de 1,8 million d’années, il semble quele territoire commence à être occupé de manièreplus réfléchie. Les accumulations indifférenciéesde vestiges paraissent faire place à de véritablescamps d’où l’on rayonne pour des activitéspériphériques : boucherie, taille… Et c’est d’ailleurs

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à ce moment qu’apparaissent les plus ancienstémoins d’aménagement de l’espace : des galets etde petits blocs, vestiges de construction fugaces,sont associés aux accumulations d’outils et d’osd’animaux. Le site de Gomboré I à Melka Kun-turé (Éthiopie), daté de 1,7 à 1,6 million d’années,a ainsi livré un cercle de pierres qui pourrait signa-ler l’emplacement d’une structure d’habitat, peut-être une hutte.

Dans deux autres sites de la gorge d’Olduvai, lesite DK (Douglas Korongo), daté de 1,8 milliond’années et le site FLK Zinj, on a dégagé des cerclesde 5 m de diamètre, constitués de blocs de pierresde différentes tailles empilées sur 30 cm de hauteur,à proximité de reliefs de repas et d’outils taillés. Ilpourrait s’agir des fondations de soutien d’unestructure de branchages (fig. 1), mais le caractèreintentionnel de ces cercles a été mis en doute.

2. Paléolithique inférieur (1,5 million d’années à 200 000 ans)

Vers 2 millions d’années, certains homininés quit-tent l’Afrique pour peupler l’Europe et l’Asie. Ilfaut attendre le Paléolithique inférieur et les Homo

heidelbergensis européens (anciens Homo erectus)pour observer les premières traces d’aménagementdu sol pouvant être considérées comme des ves-tiges d’habitat. Ces premiers hommes ont une éco-nomie fondée sur la chasse, la pêche et la cueillette.Ils se déplacent selon leurs besoins, occupant dessites de plein air, des abris-sous-roche ou desgrottes dont ils investissent plutôt l’entrée ou leporche, éclairé par la lumière du jour. Cherchantdes lieux propices à la quête des ressources natu-relles, ils s’installent à proximité des points d’eauou des gîtes de matière première, et de préférencedans les fonds de vallée ou sur les surplombs d’oùils peuvent guetter les passages de gibier. Les pre-miers aménagements sont sommaires : à la Caunede l’Arago (Tautavel, Pyrénées-Orientales), cer-taines accumulations de pierres évoquent unempierrement destiné à se protéger de l’humidité.Les sols empierrés pouvaient atteindre 1 m d’épais-seur, ce qui témoigne de la continuité de l’occupa-tion de la grotte à partir de 690 000 ans tout aulong du Paléolithique inférieur.

Les premiers habitats organisés font leur appa-rition il y a environ 500 à 450 000 ans, à peu prèsen même temps que l’usage du feu. Les hommesse protègent des intempéries en aménageant les

Fig. 1. Habitat du Paléolithique archaïque. Plan d’un emplacement de vie d’Homo habilis présentant une concentration circulairede vestiges osseux et de pierres taillées au centre d’une nappe de vestiges épars et reconstitution d’une cabane inspirée descabanes de chasseurs-cueilleurs actuels. Site FLK Zinjanthropus, Olduvai, Tanzanie, horizon I. Oldowayen (vers 1,8 milliond’années). D’après M.D. Leakey et F. Facchini dans A. Gallay, Op. cit.

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abris offerts par la nature ou en construisant deshuttes, des cabanes ou des tentes.

Des aménagements intentionnels tels quepavages de sols, alignements de blocs, muretsconstitués de blocs empilés, calages de poteaux,foyers divers, emplacements de litières, montrentl’existence de cabanes construites aussi bien enplein air qu’en grotte. L’un des exemples le mieuxconnu est celui de Terra Amata (Nice, Alpes-Mari-times), où l’on a retrouvé les vestiges d’un campe-ment de chasseurs de cerfs et d’éléphants installénon loin du rivage, à proximité d’une source, datéde 380 000 ans. Plusieurs cabanes ovales de 7 à15 m de long sur 4 à 6 m de large ont étéconstruites à l’aide de piquets biseautés plantésdans le sol et de blocs de pierre calant l’ensemble(fig. 2.1).

Entre 300 et 200 000 ans, dans plusieurs sites,comme à la grotte d’Orgnac III (Ardèche) ou àPort-Pignot (Manche), les hommes adossent leurcabane contre la paroi rocheuse ou la falaise(fig. 2.2). On ignore si la couverture était faite debranchages ou de peaux assemblées.

Plus on s’approche de la fin du Paléolithiqueinférieur, plus les dallages empierrés et les foyersse font abondants. Fréquentée entre 275 et250 000 ans, la grotte de la Baume-Bonne (Quin-son, Alpes-Maritimes), a révélé plusieurs solsempierrés de forme ovale, de 5 m de long sur2,50 m de large, vraisemblablement installés parl’homme pour se protéger de l’humidité.

3. Paléolithique moyen (200 000 à 40 000 ans)

En Europe, Homo heidelbergensis évolue graduel-lement vers l’homme de Neandertal. Les habitatsde cette période sont un peu mieux connus. Ils sesituent surtout en grotte, en avant des porches ousous abri. Aux installations en bord de rivières oude lacs, la rigueur accrue du climat aura sans douteincité les hommes à préférer des abris rocheux qui,surtout lorsqu’ils sont exposés au sud, conserventet restituent la chaleur.

Qu’ils s’installent en entrée de grotte ou dansdes vallées, ils utilisent les mêmes techniques deconstruction qu’au Paléolithique inférieur, repé-

rables grâce aux alignements de pierres, aux trousde poteaux et aux dallages de fonds de cabane. Deshuttes de branche ou de peaux sont adossées à uneparoi rocheuse qui peut être une falaise comme àGoaréva (île de Bréhat, Côtes d’Armor ; fig. 3.1)ou une paroi de grotte comme à Arcy-sur-Cure(Yonne).

Deux innovations apparaissent cependant.D’une part, des cabanes sont parfois érigées surdes cuvettes creusées dans le sol, sans doute pourse protéger du froid et du vent. C’est une tech-nique de construction bien connue des popula-tions vivant en Sibérie et dans le grand Nord.

Fig. 2. Habitats du Paléolithique inférieur. 1. Reconstitution ducampement de Terra Amata, Nice (Alpes-Maritimes). Environ380 000 ans. Dossiers pédagogiques audio-visuels CNDPdans B. Yar et P. Dubois, Op. cit. ; 2. Reconstitution de l’habi-tat de Port-Pignot, Fermanville (nord Cotentin). Entre 300 000et 200 000 ans. D’après D. Michel dans R. Desbrosse et J.Kozlowski, Op. cit.

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D’autre part, l’os est parfois utilisé comme maté-riau de construction, en particulier en Europecentrale mais aussi en France. Ainsi, à l’abri deRoc-en-Pail (Maine-et-Loire), une muraille d’ossemi-circulaire mesurait 2 m de haut. À Kaj (prèsde Kielce, Pologne), une accumulation de deuxcent soixante-sept bois de chute de renne formaitune paroi en demi-cercle dans le couloir d’accèsde la grotte. En Ukraine, à Molodova I, des os demammouths ont servi à l’élaboration d’unecabane ovale de 8 × 5 m dans laquelle on aretrouvé une quinzaine de foyers (fig. 3.2). ÀRipiceni-Izvor (Moldavie), une structure ovale de8 × 6 m, constituée d’une charpente de défenseset d’os de mammouths, soutenait des paravents depeaux complétés par des branches et des blocs depierre (fig. 3.3).

4. Paléolithique supérieur (40 000 à 10 000 ans)

Le Paléolithique supérieur correspond à l’arrivéede l’homme moderne en Europe. Comme leursprédécesseurs, les hommes d’alors s’abritent pré-férentiellement sous les surplombs des abrisrocheux, dans les entrées de grotte ou les grottespeu profondes largement ouvertes sur l’extérieur.Mais ils vivent aussi dans des habitats de plein aircar de nombreuses régions n’offrent pas d’abrisrocheux naturels. La densité de populations’accroît, les habitats se diversifient considérable-ment, et les sites connus sont beaucoup plus abon-dants.

Les vestiges signalant les constructions sont lesmêmes que ceux que l’on connaissait déjà, maisils sont plus nombreux et surtout plus lisibles. Cesont encore des alignements de pierres, d’os ou detrous des poteaux qui permettent de restituer assezprécisément la forme des habitations. Celles-ci ontreçu des appellations qui varient d’un auteur àl’autre : tentes, huttes ou cabanes. On a tendanceà parler de tente lorsque la structure est légère etqu’elle a au moins une couverture transportable ;de hutte ou de cabane, lorsque c’est une construc-tion lourde, probablement inamovible.

Le choix des matériaux pour la construction desstructures lourdes varie en fonction de leur dispo-

nibilité. En Europe occidentale, on emploie lapierre pour les fondations et le bois pour la super-structure. En Europe orientale, on préfère les oset les défenses de mammouths, sans doute en rai-son de la rareté des arbres et de l’abondance de cesproboscidiens.

À partir de 28 000 ans (Gravettien), on distin-gue trois types de construction, les habitationsrondes, quadrangulaires et longues, les premièresétant de loin les plus nombreuses.

Les constructions rondes ou ovalesEn Europe occidentale, les habitations rondes ouovales avaient une charpente en bois. L’inclinai-son des trous de piquets ou des éléments de blo-cage permet de préciser si les murs étaient obliquesou verticaux.

Ces tentes légères étaient parfois coniques,comme à Pincevent (Seine-et-Marne). Lespoteaux de ces sortes de tipis d’environ 3 m dediamètre n’avaient pas été enfoncés, mais les détri-tus gisant sur le sol des habitations ont été peu àpeu repoussés le long des parois pour former desbourrelets qui témoignent aujourd’hui de l’exis-tence d’une paroi souple de forme arrondie. Cetype de tente est attesté dans d’autres sites du Bas-sin parisien avec quelques variantes. Parfois c’estun bourrelet de limon qui permettait de maintenirla paroi en place, parfois de grandes dalles ou desblocs qui servaient à caler les perches, comme àÉtiolles (Essonne), où deux tentes mesuraient 6 mde diamètre à leur base (fig. 4.1).

La nature de la couverture de ces tentes – peaux,écorce ou branchage – n’est pas connue. Lesgroupes qui chassaient intensivement le rennepouvaient utiliser sa peau. Pour couvrir une tenteconique de 3 à 4 m de diamètre et près de 3 mde haut, comme à Pincevent, il fallait au moinstrente-cinq peaux de renne. Une fois assemblées,les peaux résistaient parfaitement aux intempérieset constituaient même un remarquable isolantthermique. Elles étaient sans doute transportées àdos d’homme lors des déménagements, ce qui per-met d’en déduire qu’elles n’étaient pas toutes cou-sues ensemble, car une couverture trop grandeaurait pesé beaucoup trop lourd pour ces chas-seurs ne disposant d’aucun moyen de transport.

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Fig. 3. Habitats du Paléolithique moyen. 1. Reconstitution de l’habitat sous abri de l’Île de Bréhat (Côtes d’Armor). D’aprèsP.þGiot dans R. Desbrosse et J. Kozlowski, Op. cit. ; 2. Plan et reconstitution d’une cabane du Moustérien (foyers en noir). Molodova þI(Ukraine). D’après A.P. Tchernych dans J. Jelínek, 19764 ; 3. Reconstitution d’un habitat moustérien, Ripiceni-Izvor, vallée duPrut (Moldavie). D’après A. Paunescu dans R. Desbrosse et J. Kozlowski, Op. cit.

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Des constructions rondes d’un type plus massifsemblent avoir existé à Gönnersdorf (Allemagne).La plus vaste présentait un pavage circulaire de7 m de diamètre. Dotées de parois verticales, d’unpoteau central et d’une solide charpente de boisrecouverte de peau, elles ressemblaient sans douteà des yourtes (fig. 4.2). L’abondance des vestigesretrouvés sur leur sol permet d’envisager des struc-tures permanentes non démontables. D’autantqu’on a estimé qu’une quarantaine de peaux decheval était nécessaire pour couvrir chacuned’entre elles, ce qui représente un poids total de240 kg.

La technique consistant à creuser des cuvettes,exceptionnelle auparavant, se répand au Paléoli-thique supérieur. Le site de la Vigne-Brun (Loire),a ainsi révélé l’emplacement de cinq cabanes semi-enterrées, de 4 à 5 m de diamètre intérieur, dis-posées en arc de cercle. Le pourtour des habita-tions était délimité par un cercle de gros blocsjointifs ou par un bourrelet de terre. Leur solcreusé en forme de cuvette était coloré par del’ocre rouge. La superstructure était sans doutefaite de peaux assemblées en coupole sur unearmature, et soutenue par des poteaux dont lestrous d’implantation ont été repérés. Un groupede cinq à six personnes pouvait vivre dans ceshabitats, dont les dimensions et l’élaboration sup-posent des occupations de longue durée, voirepermanentes.

Mais les constructions rondes les plus spectacu-laires de cette époque sont les habitations dont lacharpente est faite d’os de mammouths. Elles sontnombreuses en Europe centrale et orientale, avecune concentration particulière dans le bassinmoyen du Dniepr. On en trouve dès 27 à 25 000ans (Pavlovien) et jusque vers 17 500 à 15 000 ans(culture de Mezin-Meziric ou Mézinien).

Elles étaient soit semi-enterrées, soit construitesau ras du sol. Les ensembles les plus remarquablesont été découverts à Meziric et à Mezin en Ukraine.À Meziric, il a fallu pas moins de cent cin-quante squelettes de mammouths pour construirequatre cabanes de 2,50 à 5 m de diamètre. Danscertains sites pavloviens de Moravie comme àPredmost, ce sont les carcasses d’environ milleindividus qu’il a fallu pour monter ces cabanes.

La cabane 4 de Meziric présente des séries d’osqui se répètent rythmiquement et d’autres dispo-

sées en miroir. Son mur de fondation composéd’os divers était surmonté d’un autre mur fait uni-quement de quatre-vingt-quinze mandibulesemboîtées les unes sur les autres en vingt-quatrecolonnes (fig. 4.3). D’autres os, fragments decolonne vertébrale, crânes ou omoplates, ren-forçaient l’ensemble. Quinze tonnes d’os ont éténécessaires à la construction de cette habitation.La recherche d’une certaine esthétique dansl’agencement de ces étranges éléments d’architec-ture a été observée sur d’autres sites, comme à Iou-dinovo où des fragments de colonne vertébralealternent avec des crânes.

Plusieurs reconstitutions de ces cabanes ontété proposées, avec un arc de façade formé dedeux grandes défenses réunies par un manchonréalisé à partir d’un fragment de défense. Laforme hélicoïdale des défenses de mammouthsuggère que l’entrée devait être large et basse,fonctionnant ainsi comme un coupe-vent. Cer-tains os longs et des poteaux en bois alignés sem-blent avoir été fichés dans les crânes, peut-êtrepour empêcher leur pourrissement. La couver-ture a pu être faite de peaux de renne cousuesensemble et maintenues par des ramures derenne entrecroisées, le tout peut-être coiffé d’unbourrelet de terre destiné à assurer étanchéité etstabilité à la construction.

Repérables de loin, ces cabanes ont été réutili-sées à diverses reprises. On suppose qu’elles ser-vaient d’habitat permanent car elles sont parfoisregroupées en véritables campements, mais onn’ose parler de véritables villages à leur sujet.Encore que, dans certains cas, comme à DolníVestonice (Moravie), on a pu parler de sédentaritéau moins saisonnière avec fréquentation cycliquede ces habitats.

Les habitations quadrangulairesQuelques cas de cabanes quadrangulaires ont

été observés en Europe occidentale. Dans la valléede l’Isle (Dordogne), tout un groupe de construc-tions carrées et rectangulaires se caractérisent parl’utilisation systématique de galets ou de plaquesrocheuses sous forme de pavages ou de murets.Ces pavages étaient sans doute destinés à isoler lesol du froid et de l’humidité et à éviter la forma-tion d’une couche de boue. Les galets étaient par-

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Fig. 4. Habitats du Paléolithique supérieur. 1. Reconstitution d’un campement magdalénien du Bassin parisien. D’après M. Juliendans B. Yar et P. Dubois, Op. cit. ; 2. Reconstitution d’une des habitations en forme de yourte de Gönnersdorf, Rhénanie (Alle-magne). Magdalénien. D’après G. Bosinski dans R. Desbrosse et J. Kozlowski, Op. cit. ; 3. Plan et reconstitution de la cabane 4en os de mammouths de Meziric (Ukraine). Culture de Mezin-Meziric. D’après I.G. Pidoplicko dans G. Bosinski, 19905 et J. Herr-mann et H. Ullrich dans M. Otte, 19996 ; 4. Plan et essais de reconstitution de la cabane du Cerisier, vallée de l’Isle (Dordogne).Magdalénien. D’après J. Gaussen, 19807.

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fois chauffés avant leur mise en place, peut-êtrepour amollir le sol gelé. Des caniveaux ont aussiété creusés pour évacuer les eaux de pluie, et dusable a parfois été ajouté pour parfaire l’assainis-sement et régulariser la surface de l’ensemble. Cespavages en galets mesuraient 16 m2 dans le site duCerisier (fig. 4.4), environ 4 m2 dans celui duBreuil, et permettent d’évoquer l’existence desolides parois de cabanes semi-enterrées. Celles-cisemblent bien avoir été généralement verticales,mais la forme du toit est inconnue. Le petitnombre d’outils recueillis dans ces constructionssuggèrent une occupation de courte durée.

Les habitations longuesL’existence de constructions longues dont la dimen-sion exclut peut-être la présence d’une toiture a étéexceptionnellement observée. On les trouve au Gra-vettien principalement en Europe centrale et enRussie. Les plus remarquables sont connues dans laplaine russe à Kostienki IV-Alexandrovskaïa, où unestructure avec neuf foyers alignés sur 30 m de lon-gueur était entourée d’une concentration de vestigesde 5 m de largeur (fig. 5.1). De telles structures seretrouvent en Ukraine à Pushkari (fig. 5.2) et dansles sites moraves de Petrkovice, Pavlov I et DolníVestonice.

Fig. 5. Habitats du Paléolithique supérieur. 1. Plan et reconstitution de la hutte allongée de Kostienki IV-Alexandrovskaïa (Rus-sie). Culture de Kostienki-Avdeevo. D’après A.N. Rogatchev et P.P. Jefimenko dans J. Jelínek Op. cit. ; 2. Plan et reconstitutionde la cabane allongée de Pushkari I (Ukraine). Pavlovien. D’après P.I. Boriskovskij dans G. Bosinski Op. cit.

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Certaines d’entre elles, comme à Kostienki I(Poljakov) et Avdeevo, sont d’une grandeur inha-bituelle. À Kostienki I, elles couvrent un espacecontinu de 35 m de long sur 17 de large et il estpresque impossible qu’un seul et même toit aitsurmonté l’ensemble.

5. Le Mésolithique

À la période post-glaciaire, à partir de 9 500 avantnotre ère, certaines régions permettent une occu-pation plus sédentaire, car l’environnement four-nit en abondance de quoi subvenir aux besoins dela population. C’est le cas le long de la côte atlan-tique, en particulier au Portugal mais aussi dansles zones septentrionales, comme au Danemark ouen Irlande. D’autres régions sont particulièrementfavorables à l’installation, comme les rives duDanube ou le Proche-Orient. Ces populationsvivant de la chasse, de la pêche et de la cueilletteont suffisamment de ressources dans leur environ-nement proche pour s’attacher à un territoire fixe.On considère parfois leurs habitations comme lespremières véritables maisons.

Faute d’espace, nous nous arrêterons ici uni-quement sur le cas du Proche-Orient. La régiondu Croissant fertile a vu naître l’agriculture etl’élevage autour de 8 500 av. J.-C. La culture quiprécède, appelée le Natoufien, se situe entre12 000 à 9 500 av. J.-C. Elle est le fait de popu-lations prédatrices vivant dans un environnementassez riche pour éviter d’avoir à nomadiser. Onobserve dans certains sites une nette tendance à lasédentarisation et de véritables maisons.

Le site de Ain Mallaha (Israël) a été occupé pen-dant toute la durée du Natoufien et a livré unesuccession de véritables petits villages pouvantregrouper jusqu’à une vingtaine de maisons(Valla, 2008)8. Les habitants, plus ou moinssédentaires, y vivaient de la chasse aux gazelles, dela collecte de céréales sauvages et des produits dulac voisin.

Le mode de construction des maisons consistaità dégager un espace en creusant à la base d’unepente et à revêtir l’incision d’un parement depierres ou d’un enduit. Ces structures circulaires,creusées parfois sur plus d’un mètre de haut,

étaient bordées par un muret le plus souvent faitavec des pierres brutes juxtaposées ou empilées(fig. 6). D’autres détails techniques complètent laconstruction : des trous de poteaux avec pierres decalage se retrouvent dans certaines cuvettes ;quelques murs sont doublés intérieurement parune couche de terre tassée. Le mur d’une des habi-tations du Natoufien récent est enduit de pisépeint en rouge. Quelques cabanes ont un dallagecalcaire et des foyers intérieurs quadrangulaires.

Ces structures nombreuses étaient soit creuséesles unes à côté des autres, soit emboîtées. Elles ontnécessité des travaux de terrassement importantsqui n’auraient certainement pas été consentis pourde brefs passages. Doit-on considérer ces habitatscomme de simples abris, comme l’on fait prudem-ment les premiers fouilleurs de Mallaha, ou biencomme des maisons ?

Fig. 6. Habitat du Mésolithique. Essai de reconstitution del’abri 131. Ain Mallaha (Israël). Natoufien. D’après F. Valla,Op. cit.

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6. Le Néolithique

Le Néolithique désigne avant tout une modifica-tion profonde des relations entre l’homme et sonenvironnement puisque de prédateur, l’hommedevient producteur. Cette modification s’accom-pagne d’un certain nombre d’autres innovationsqui ne sont pas forcément concomitantes. Ainsi,le début du Néolithique est acéramique, d’où sonnom de PPNA et PPNB (Pre-Pottery Neolithic Aet B).

Au PPNA (vers 9 500 à 8 800 av. J.-C.), lesmaisons sont encore circulaires. À cette époque,malgré le nom de la culture, l’agriculture et l’éle-vage ne sont pas encore avérés. Les maisons ontun plan d’ensemble ovale ou circulaire qui rappel-lent celles du Natoufien. Comme celles-ci, ellessont peu enterrées. Ces maisons rondes présententdes murets intérieurs et des plateformes qui maté-rialisent une répartition fonctionnelle de l’espace :pièce de séjour dans l’axe de l’entrée, comportantau fond une banquette de couchage, cuisine etespace de stockage à droite de l’entrée (fig. 7.1).

Au PPNB (8 800 à 6 900 av. J.-C), périodependant laquelle les premiers indices d’agricultureet d’élevage apparaissent (vers 8 600-8 400av. J.-C.), les maisons changent subitement deforme : elles passent d’un plan circulaire à un planquadrangulaire (fig. 7.2). Ce changement brutalest observé dans plusieurs sites, comme à Murey-bet en Syrie ou à Jéricho en Jordanie, ce qui sug-gère qu’il s’agit bien des mêmes populations quiont modifié leur mode de construction. L’archi-tecture rectangulaire et pluricellulaire à sols etmurs enduits de chaux est très caractéristique decette période.

Plusieurs hypothèses ont été avancées pour expli-quer cette modification de la forme de la maison.On a dit par exemple que, la maison d’origine étantau départ une simple fosse, il était normal qu’elleait été arrondie. On a aussi pensé que la maisonronde était spécifique des communautés nomades,semi-nomades ou en voie de sédentarisation tandisque les maisons rectangulaires caractériseraient lesvillages agricoles pleinement sédentaires. Mais cen’est pas aussi simple puisque les villageois del’horizon du PPNA, sédentaires mais pas encorepaysans, vivaient dans des maisons rondes.

On a également avancé des raisons pratiques,en arguant que la forme quadrangulaire était cal-quée sur celle du parcellaire imposé par l’agri-culture. On a aussi estimé que les maisonsrectangulaires permettaient des adjonctions sousforme de nouvelles pièces, tandis que la maisonronde atteignait d’emblée sa surface d’occupationdéfinitive. Il y a là certes un progrès, mais on pou-vait aussi adjoindre des cellules rondes partielle-ment mitoyennes pour multiplier les pièces,comme cela a d’ailleurs parfois été fait comme àBeidha en Jordanie.

Par ailleurs, le progrès technique qui a consistéà faire tenir des murs droits ensemble perpendi-culairement à l’aide de nouveaux systèmes d’arma-tures en bois n’était pas tout à fait nouveau. Eneffet, il arrivait déjà qu’on édifie des murs droitspour diviser l’espace intérieur des maisons rondes.La technique a seulement été perfectionnée pourédifier des bâtiments délimités par quatre mursdroits. Ce passage de la maison ronde à la maisonrectangulaire s’explique peut-être aussi par descauses plus profondes, d’ordre culturel, difficiles àévaluer.

À partir de ce moment (IXe millénaire), ou auVIIIe millénaire au plus tard, la panoplie technique,quasiment complète, correspond déjà à ce que l’ontrouve encore aujourd’hui dans l’architecturelocale traditionnelle9. Très rapidement, cettepanoplie technique a gagné l’ensemble du Procheet du Moyen-Orient, en même temps que le nou-veau mode de production agro-pastoral.

La pierre était presque toujours utilisée brute,sous forme de galets de rivière, de blocs ou dedalles, selon leur disponibilité, les blocs de grandetaille étant réservés aux grands bâtiments commu-nautaires ou à des aménagements spécifiques(seuils, banquettes ou piliers monolithes) (fig. 8).Tantôt utilisée à sec avec au besoin des élémentsde calage plus petits, tantôt liée avec un mortierd’argile, la pierre a d’abord servi à tapisser lesparois d’édifices enterrés, puis employée pour laconstruction proprement dite. Le plus souvent,elle n’intervenait que dans le soubassement,davantage soumis aux remontées d’humidité etaux intempéries, mais quelques murs pouvaientêtre entièrement en pierre. Elle servait aussi àl’occasion à confectionner des radiers.

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Aux origines de la construction 87

Fig. 7. Habitats du Néolithique pré-céramique. Passage de la maison ronde à la maison rectangulaire. 1. Reconstitution de lamaison circulaire XVLII de Mureybet (Syrie). Phase III A, Mureybétien (PPNA) ; 2. Plan d’une structure rectangulaire de Mureybet(Syrie). Phase III B, Mureybétien final (fin du PPNA). D’après J. Cauvin, 199410.

Fig. 8. Grand bâtiment communautaire de Nevali Çori, sur le haut Euphrate (Turquie), IXe millénaire (PPNB). Cliché H. Haupt-mann. D’après H. Hauptmann, 199911.

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Introduction / Préhistoire88

Comme aujourd’hui, le matériau le plus cou-ramment utilisé était la terre, facile à manipuleret omniprésente, certaines régions comme laplaine alluviale du Tigre et de l’Euphrate étantdépourvues de pierre. La terre à bâtir était consti-tuée d’un mélange de terre, généralement argi-leuse, d’eau et d’un dégraissant le plus souventvégétal comme de la paille hachée. On pouvaitl’utiliser telle quelle, à l’état humide, et sous cetteforme – appelée pisé – elle était plutôt réservée àla confection d’enduits ou de revêtements, rôledans lequel on lui préférait parfois la chaux ou duplâtre. Ou bien on en faisait des briques, généra-lement crues car leur cuisson aurait nécessité detrop grosses quantités de combustibles. Lesbriques apparaissent dès le Xe millénaire, d’abordsous la forme de simples pains modelés à la main.Puis, jusqu’au VIIe millénaire, elles sont mouléesentre deux planches en longs éléments qu’on casseéventuellement aux dimensions voulues. Lesmoules parallélépipédiques au format standardisén’apparaissent qu’au VIIIe millénaire. Les briquesles plus anciennes présentent souvent des aména-gements – trous ou nervures tracés avec les doigtssur la surface bombée – destinés à faciliter l’adhé-rence du mortier. Un autre matériau d’origineminérale mérite d’être mentionné. C’est lebitume, dont la présence n’est guère surprenanteeu égard à la richesse de la région en hydrocar-bures. Il n’a d’abord été utilisé que pour l’étan-chéité et n’a servi que bien plus tard pourliaisonner des briques cuites.

Les matériaux d’origine végétale étaient parfoisutilisés. Le bois, rare en Mésopotamie, était sansdoute réservé à des usages particuliers, comme lescouvertures probablement légères, coniques ou enbâtière, associées à des charpentes plus ou moinsélaborées. Mais les couvertures étaient le plus sou-vent en terrasse, et la poutraison, associée ou nonà des solives transverses, soutenait, commeaujourd’hui, des roseaux ou des nattes qui bou-chaient les interstices pour recevoir une épaissecouche de pisé. Dans la plaine alluviale, on utili-sait surtout le peuplier, bois peu dense à croissancerapide. La lourdeur du pisé dont on recouvrait lesterrasses limitait la portée des poutres de peupliersà 3,50 ou 4 m. Ce n’est qu’au IVe millénaire, avecdes sociétés très hiérarchisées disposant de grosmoyens, qu’apparurent des portées bien plus

considérables, impliquant l’importation de boisde meilleure qualité comme le cèdre.

Des poteaux verticaux, isolés ou alignés, pou-vaient à l’occasion avoir un rôle porteur, soutenirla charpente ou accroître les portées. Des élémentsverticaux noyés dans la maçonnerie en pierre ouen brique, parfois attestés, rappellent la techniquedu colombage, mais ils servaient plus vraisembla-blement à ancrer des superstructures légères. Lebois pouvait néanmoins servir d’armature à desmurs et former un clayonnage enduit de pisé.

Enfin, des constructions très particulières enroseau, pouvant atteindre 6 m de haut et unesuperficie de 150 m2, sont encore visiblesaujourd’hui dans les zones de marais du sud ira-kien. Des faisceaux de roseaux courbés en arceauxet maintenus par des cordons de même natureconstituent une sorte d’armature habillée denattes. Or, elles apparaissent déjà dans l’iconogra-phie vers – 3000, et il y a toutes raisons de croirequ’elles remontent à des époques bien plusanciennes (pour plus de détails sur l’architecturede cette période, voir Aurenche, 1981)12.

Quid de l’origine de la maison et de l’architecture ?

On observe ainsi un passage progressif des pre-mières constructions du Paléolithique inférieuraux huttes ou cabanes du Paléolithique supérieurpuis aux maisons mésolithiques et néolithiques. Ils’agit donc d’une évolution graduelle et continuesans rupture technique évidente, et seule une dif-férence de degré dans la complexité de ces diffé-rentes formes de construction les sépare.

À partir de quel stade peut-on parler de mai-son ? Doit-on utiliser un critère technique etréserver ce terme aux constructions qui résultentd’un art de bâtir déjà élaboré, mis en évidence parla relative complexité et la récurrence d’un mêmeplan ? Ou bien doit-on utiliser un critère socio-économique lié au type d’occupation, périodique(saisonnier) ou permanent ?

L’opposition que fait Olivier Keller entre lescabanes des chasseurs-cueilleurs, et l’architecture,qu’il date du Néolithique, se fonde sur des critèresà la fois techniques et cognitifs. Il considère que

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les cabanes de chasseurs-cueilleurs « n’ont pasvéritablement de plan au sol ni d’élévation ; le faitde construire un abri autour et au-dessus de soi,avec des adaptations diverses dues aux particulari-tés du lieu, ne produit des formes que spontané-ment […] comme le nid de l’oiseau ou duchimpanzé. En particulier, la cabane n’a ni murni toit, mais une “couverture” d’un seul tenant.On ne peut parler d’architecture qu’avec uneforme bien définie et voulue en plan et en éléva-tion, avec la possibilité de murs et de toits biendistincts, et une indépendance suffisante par rap-port aux particularités du lieu. »13.

Or les constructions témoignent dès le Paléoli-thique inférieur d’un effort de prévision et d’élabo-ration trop concerté pour qu’on y voie de simplesnids spontanés à la manière de ceux des oiseaux oudes chimpanzés. Soumises certes aux contraintes dumilieu, les techniques utilisées laissent tout demême leur place à des choix culturels et peut-êtreà des soucis esthétiques. Quant au critère tech-nique, pourquoi faudrait-il lier la notion d’architec-ture à l’existence de murs dissociés du toit ?

Le critère lié au type d’occupation, nomade ousédentaire, mérite lui aussi d’être discuté. Nous

avons trop tendance à imaginer que les chasseurs-cueilleurs sont forcément nomades et réduits às’abriter dans des cabanes, des huttes ou desentrées de grotte, et que les agropasteurs sont toussédentaires et pourvus de maisons. En Europe etau Proche-Orient, on a vu que la sédentarité avaitprécédé la domestication des plantes et des ani-maux. Il existe du reste encore dans le mondecontemporain des populations de chasseurs-cueilleurs à forte sédentarité. À l’inverse, certainsagropasteurs vivent dans des huttes ou des tentes,comme les Touaregs sahéliens qui déplacent leurcampement autour des jardins irrigués ou lesagriculteurs néo-guinéens qui vivent sous deshuttes de branchages. Tout au plus peut-on direque, dès qu’ils doivent s’attarder en un lieu, leshommes, qu’ils soient nomades ou sédentaires,sont portés à investir du temps, de l’énergie et desmatériaux de prix dans la construction de leurhabitation. Et cela est vrai dès le Paléolithique, oùles campements prolongés se distinguent deshaltes temporaires par le soin que l’on a mis dansleur construction et leur aménagement. Dans cesoin, n’est-ce pas l’architecture qui est déjà engerme ?

NOTES

1. A. Gallay, « À la recherche du comportement despremiers hominidés » dans A. Gallay (dir.), Commentl’homme ? À la découverte des premiers hominidésd’Afrique de l’Est, Paris, Errance, Genève, Géo-Décou-verte, 1999, p. 9-94.

2. R. Desbrosse et J. Kozlowski, Les Habitats préhistoriques.Des Australopithèques aux premiers agriculteurs, Cracovie,Université Jagellon de Cracovie, Paris, Éditions du Comitédes Travaux historiques et scientifiques, 1994.

3. B. Yar et P. Dubois, Les Structures d’habitat au Paléo-lithique en France, Montagnac, Éditions Monique Mer-goil, 1999.

4. J. Jelínek, Encyclopédie illustrée de l'homme préhisto-rique, Paris, Gründ, 1976.

5. G. Bosinski G., Homo sapiens. L'histoire des chasseursdu Paléolithique supérieur en Europe (40000-10000avant J.-C.), Paris, Éditions Errance, 1990.

6. M. Otte, La Préhistoire, Bruxelles, De Boeck Univer-sité, 1999.

7. J. Gaussen, Le Paléolithique supérieur de plein air enPérigord, Paris, Éditions du CNRS, 1980.

8. F. Valla, L’Homme et l’habitat. L’invention de la mai-son durant la préhistoire, Paris, CNRS Éditions, coll. LePassé recomposé, 2008.

9. Les paragraphes qui suivent s’appuient sur un texteque Daniel Forest m’a aimablement communiqué.

10. J. Cauvin, Naissance des divinités. Naissance de l’agri-culture, Paris, CNRS Éditions, 1994.11. H. Hauptmann, « The Urfa region » dans M. Özdo-gan et N. Basgelen (eds), Neolithic in Turkey: The cradleof civilization, Istanbul, Arkeoloji ve Sanat Yayinlari,1999, p. 65-86.

12. O. Aurenche, La Maison orientale. L’architecture duProche-Orient ancien des origines au milieu du quatrièmemillénaire, Paris, Librairie orientaliste P. Geuthner,Institut français d’Archéologie du Proche-Orient,Bibliothèque archéologique et historique, t. CIX,1981.

13. O. Keller, Une Archéologie de la géométrie. Peuplespaysans sans écriture et premières civilisations, Paris,Vuibert, 2006, p. 44.

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