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Gabrielle Varro
Analyse de contenu et analyse de discours : à propos du
prénomIn: Sociétés contemporaines N°18-19, Juin / Septembre 1994. Langage en pratique. pp. 121-144.
Abstract
It may be briefly said that when people talk about their children's first names they speak as "givers" and that when they talk about
their own first names, they speak as "bearers". A rapid glance at the existing literature in the social sciences dealing with the
naming process shows that most authors have concentrated on the givers, few have dealt with what the bearers have to say. We
also open the discussion as to the kind of results obtained according to which analytical methods one decides to apply. In this
article, content and discourse analysis are discussed in relation to two recorded interviews of a couple in which both members
spoke separately about their first names.
Résumé
Les discours sur le prénom sont schématiquement de deux sortes : quand une personne parle du prénom de son enfant, elle
parle en « donneur » ; quand elle parle de son propre prénom, elle parle en «porteur». Jusqu'ici, l'intérêt des chercheurs en
sciences sociales a surtout porté sur la dation des noms ; peu d'études existent sur le point de vue des porteurs. Par ailleurs,
manque, le plus souvent, une interrogation sur le lien entre la méthode adoptée et les interprétations qui sont avancées. La
présentation de deux entretiens enregistrés dans lesquels les membres d'un couple parlent séparément de leur prénom sera l'occasion de comparer les mérites respectifs de l 'analyse de contenu et de l 'analyse de discours.
Citer ce document / Cite this document :
Varro Gabrielle. Analyse de contenu et analyse de discours : à propos du prénom. In: Sociétés contemporaines N°18-19, Juin /
Septembre 1994. Langage en pratique. pp. 121-144.
doi : 10.3406/socco.1994.1167
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♦
♦♦♦♦♦♦
OAIRIILLI VAIIO
♦♦♦♦♦♦♦
ANA LYSE DE CONTENU
ET ANALYSE
DE DISCOURS
:
À PROPOS DU PRÉNOM
RÉSUMÉ
t
Les discours sur le prénom sont schématiquement de
deux
sortes : quand une
ersonne
parle du prénom de son enfant, elle parle en « donneur » ; quand
elle
parle de son
ropre
prénom,
elle
parle en
«porteur». Jusqu ici,
l intérêt des chercheurs en sciencesociales a surtout porté sur la
dation
des noms ; peu d études existent sur le point de vuees
porteurs.
Par ailleurs, manque, le
plus
souvent, une interrogation sur le lien entre laéthode adoptée et les interprétations
qui
sont avancées. La
présentation
de
deux
entretiensnregistrés dans lesquels les membres
d un couple parlent séparément
de leur
prénom
seraoccasion de
comparer
les mérites respectifs de l analyse de contenu et de l analyse de dis
cours.
On peut
schématiquement
classer les différents types de discours produits dans
des entretiens
sur
le
prénom en disant que quand
une
personne
parle
du prénom de
son
enfant,
elle
parle
en
«
donneur
»,
quand elle
parle de son
propre
prénom,
elle
parle en
«
porteur
» La littérature en sciences sociales
portant sur la
(predomination
rassemble nombre de recherches sur les premiers
[discours
de
dation), mais
peu d études sur les
seconds
{discours de
réception). Par ailleurs,
on
peut
s interroger sur
le lien entre
les
méthodes adoptées et
les résultats obtenus.
Après une rapide
évocation
du champ, de la comparabilité des recherches,
du
pro
blème
du sens
des
noms
en général et
des sens que
le
prénom peut
avoir pour
son
porteur
en particulier
(résultats
obtenus
par
analyse de
contenu),
nous présenterons
deux entretiens
enregistrés sur
lesquels nous avons effectué une
analyse de
dis
cours. La question
à laquelle nous tentons
de
répondre est
la suivante :
l'analyse
de
discours
permet-elle
de contourner l obstacle de la transparence postulée par
l'analyse
de
contenu et d entendre
autre
chose que
nos propres
projections dans les
discours
des
personnes
interviewées,
et,
dans
l affirmative,
de
quelle
manière
doit-
elle
s y
prendre ?
1 .
Une
personne peut
également
parier du prénom d un
tien,
que nous appellerons ici discours de
«témoin ». Pierre
Achard (1982,
p. 26) a également analysé le discours d usage : « la dénomination
des
individus
met
en
jeu deux chaînes
discursives
: celle
par laquelle
le nom
est
attribué [discours de
dation], celle au sein de laquelle
ce
nom est utilisé [discours d usage] ».
Dans
celui-ci, il différencie
l adresse (interpeller
quelqu un par son nom ou prénom) de la référence
(désigner
un tiers par son
appellation,
notre discours de « témoin
»).
Sodhh Contemporaines (1994) n° 18/19
(p.
121-144)
121
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GABRIELLE
VARRO
♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦
1
.
UN
APERÇU DE
QUELQUES
RECHERCHES SUR LA
(PRÉ)NOMINATION
Le questionnement sur la nomination est une
vieille
tradition, comme le
signale
Jacques
Dupâquier en
introduisant Le prénom,
mode et histoire
(1984).
Selon lui,
le
plus ancien
ouvrage
consacré au
sujet {Traité
de
l origine
des noms
et des
sur
noms
a été publié en
1681,
époque
où,
dit-il,
«
les auteurs s intéressent
plutôt
à
l'aspect liturgique de la prénomination qu'aux
hypothèses
qu'elle
permet sur
la
transmission
des comportements et les consommations symboliques dans les
socié
tés
'hier
et
d'aujourd'hui »
(p.
S).
L interrogation sur la
part
de la tradition et de
l innovation
étant
aujourd hui
posée comme fondamentale dans nos
sociétés
contemporaines
(idem.,
p.
10),
les
chercheurs
s intéressent
aux
pratiques
de dation,
en répertoriant les prénoms dans les registres paroissiaux et de l état
civil,
en
observant les régularités et les changements des
pratiques nominatives
sur
la
longue durée dans
un
même
lieu
et en comparant les
pratiques
en différents lieux.
Dans son chapitre
introductif au
volume Formes de
nomination
en Europe (1980),
Françoise
Zonabend
posait
déjà
une
question
qui concerne
plus
directement le por
teur
:
« quels
sont la
nature,
le sens et la fonction
de
ce terme,
que
d autres nous
octroient et
qui
pourtant nous est propre
? »
(p. 7),
mais
par la suite l ouvrage déve
loppait peu ce point de vue. De la même manière, seule une petite partie de
l'abondante
littérature consacrée
au
sujet2 s est
attachée
à la manière
dont
les
gens
parlent de
leur
prénom
et
à ce
que
celui-ci peut
signifier
pour eux. Certes sa signi
fication sociale est, quant
à
elle, reconnue comme un élément important
de
l élaboration
identitaire
(le
nom
est
indissociable
de
l identité3),
mais
elle
a
été
reconstruite à
partir
de données d enquêtes
dans lesquelles
les
gens sont considérés
comme des informateurs et
ce
qu'ils ont à dire
sur
leur appellation
traité
comme un
renseignement,
à
la manière
des autres données
factuelles.
I. 1.
LA
COMPARABILITE DES TRAVAUX
Devant la diversité des études menées
sur le choix
du prénom, la question de
leur comparabilité se pose, dès lors que l objectif des auteurs
n est
pas
toujours
le
même. Le thème
du
prénom pourrait se concevoir comme un champ en soi (à tel
point
que
nous avons entendu un auteur en caractériser un autre comme
« prénomologue
»).
Mais la plupart des
recherches
ne
s y
limitent pas :
le choix
du
prénom sert d outil
pour
analyser
divers
faits sociologiques. Néanmoins,
la
question
de
la
comparabilité
se
pose
:
il
s agit
d examiner
comment les
divers
auteurs
cons
truisent
cet
objet, même
s'il
n est,
pour
eux,
qu'un
objet « secondaire ». L article
Le choix d'un prénom, actualité de la
méthode
durkheimienne
de
Philippe
Besnard
(1991),
par
exemple,
illustre
comment l attribution
des
prénoms,
obligatoire et
gratuite,
possède
toutes
les
caractéristiques
d'un fait social qui
permet
d aborder les
phénomènes de
transmission
et de
consommation
des
biens
symboliques,
puisqu'elle ne
fait pas intervenir de variable
économique
et
permet ainsi
de « saisir
2 . Rien que dans le volume Le
prénom,
mode et histoire, la
bibliographie
comporte plus de 250 titres.
3
.
«Un
sujet n est en aucun
cas
une entité autonome,
même si le nom propre peut
lui en
donner
l illusion :
les
étayages de ses identifications sont multiples, et ses identités de même. Se
surdéterminant
les unes les
autres, mais jamais entièrement cohérentes,
les
identités sont offertes et
promues
par les
institutions qui
fondent
la
vie
des
communautés
humaines et qui fonctionnent
généralement
comme les
instruments
d une
cohésion
identitaire
qui
a
vertu
de
symbole
»
(Tabouret-
Keller 1987, p. 6).
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♦
♦♦♦♦♦♦♦ ANALYSE DE CONTENU ET ANALYSE DE DISCOURS
le
goût
débarrassé
du
coût». Le prénom est aussi
présent
dans
de
nombreuses
recherches sur l identité, la migration et
la
famille, où
il
interagit avec d autres
facteurs dont il est
parfois
difficile
de démêler
la
place relative et où
il est mis
à
contribution pour
évaluer
le degré
d intégration sociale,
le positionnement des
individus
à
l'égard
de
leurs
pays
d origine
et
d'accueil,
les
rapports
de forces
au
sein des familles,
etc.
Dans des situations de contact de cultures,
par
exemple, le
prénom
a
été interprété comme un marqueur
qui
inscrit un enfant dans l'une ou
l autre de ses lignées, ou à mi-chemin entre elles
(Varro, 1984,
Streiff-Fénart,
1990).
Il
peut
aussi devenir le seul «
marqueur
» subsistant d'une culture ou
d'un
pays
autrement «
perdus
»
dans l assimilation consécutive
aux migrations
(Varro,
Lesbet
et
Ang, 1986).
Cependant,
si la
finalité
des recherches diffère, elles ont
en
commun
le
fait de poser
le
prénom comme
un
facteur intermédiaire, révélateur des
mécanismes
sociaux.
1.
2.
LA
QUESTION
DU SENS
Le
problème
de
savoir
si
le nom
propre
(et,
partant,
le
prénom)
possède
un sens
est
un
sujet
de débat constant
dans
diverses
disciplines.
« Du fait
que
le
réfèrent
d'un nom propre est
normalement unique,
on conclut parfois que
le
nom propre
est
une
simple étiquette collée sur
une
chose, qu'il a
un
réfèrent, mais pas de sens, ou,
comme
dit
J.S.
Mill, une
dénotation,
mais
pas
de
connotation.
Frege soutient au
contraire qu'aucune référence
n est possible sans un
sens » (Ducrot
et
Todorov,
p. 321). Paul Siblot,
linguiste,
a
remis
en cause
le
principe « à peu près
uniformé
ment
econnu
en
linguistique
de
l insignifiance
du
nom propre» (sa «vacuité
sémantique
»
ou
son «
évidement
du sens
»),
car « il
est
apparu,
en
analyse tex
tuelle
qu'une telle théorisation ne
rendait
que partiellement
compte des
fonctionnements
des noms
propres
en discours
»
(1987, p. 3).
Il
propose
de
parler
plutôt
de la
«
suspension
du
sens »
du
nom propre rendue nécessaire
pour
qu'il
puisse
fonctionner,
ce
qui
n entraîne pas
qu'il
y
ait
vacuité
de
sens.
Le
sens
produit
ne
serait d'ailleurs pas
seulement dans le
réfèrent
(même s'il est
refoulé), mais
aussi dans l effet de
classement
des noms. Les
diverses
capacités à signifier
du
nom
propre exercent
leur
efficace
sur l individu
désigné
(1987,
p. 1
12)
4 Cette
façon
de
voir
revient
à dire
que
tout mot, fut-il un nom
propre,
a un contenu. À mi-chemin
entre les deux positions
extrêmes
(« certains mots
n ont
pas
de contenu
»
et
«
tous
les
mots ont un
contenu
»), un
psychanalyste parle de la «
valeur
ajoutée » au nom
propre,
qui fait
que
son « pouvoir de dénotation (permanence) et de connotation
(valeur ajoutée à la
signification initiale) empêche
d'exclure de l'usage
des noms
toute référence à la signification
»
(Clerget,
1990,
p. 16).
En
fait, toutes
les théories
sur le sens sont basées sur la
notion
de contenu. L'approche
psychanalytique,
par
exemple,
est une quête
du sens et, en
cela, elle
ne
peut guère le bannir
du
nom pro
pre.
Jean-Pierre
Bauer
a
constaté que,
bien
que
les
personnes
en
analyse
parlent peu
de
leur
prénom,
celui-ci peut surgir au
cours de
séances
de
psychothérapie (surtout
avec
de jeunes sujets).
La
cure semble
démontrer
que
le
sens
d'un
nom ne
s efface
4 •
II
donne
pour
exemple
le
slogan entendu
à l université Paul
Valéry i
Montpellier en
1987
«
Pandraud,
Pasqua, Chalandon, démission, nous sommes des millions de Malik ». Malik,
prénom
d origine arabe,
« véhiculait i lut
seul, dans
ce
contexte,
tout le
sens de la
manifestation
anti-raciste
»
(Siblot, 1987,
p. 107). Si le
prénom est
signifiant pour
les
acteurs
sociaux
présents,
il
l est également pour son
porteur.
123
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GABRIELIE
VARRO
♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦
pas et
que,
même s'il a pu être oublié,
il
suffit de
peu
de
chose
pour
qu'il
se réac
tualise. Quand le
sujet
en arrive
à
parler
de
son
propre nom
et surtout
de
son pré
nom, il
bute
sur la
matérialité de sa
désignation comme
objet
externe et signifiant.
La «faille»
(le
clivage
du
sujet)
est
contenue
dans
le
fait
que
«je»
s'appelle
«
Chose
» :
le
sujet se demande « qui
suis-je
à m appeler ainsi ? » (Bauer,
1987,
p.
84)
5
Mais, alors que le discours
sur
le prénom est un
biais
singulier pour appro
cher
a subjectivité, l analyste fait remarquer un
paradoxe
: d'une part, le prénom
s'ouvre
sur
l histoire
personnelle et
familiale
du sujet, qui se
déroule
à partir de son
évocation,
d autre paît, il se ferme devant l interrogation sur son
sens puisque
le
sujet
se voit projeté hors de lui-même.
Pour ces
raisons, sans doute, quand les gens
parlent
de leur prénom, c est son
ouverture
sur l histoire familiale
qui mobilise le plus
longuement leur
parole,
leur
faisant
rechercher
dans leur
appellation les intentions de
ceux
qui les
ont nommés.
On
obtient
ainsi des discours de porteurs sur
la dation
de
leur
propre
nom.
Ainsi,
bien
que
la
nomination dans
nos sociétés
suive
effectivement
la mode
plutôt
que
la
tradition, cette
appellation «
librement choisie
» peut
se
trouver d autant
plus
«
chargée
»
pour le sujet,
qui l investit du
pouvoir
de symboliser
les sentiments des
parents à son égard. Ce qui se
produit
dans les entretiens non-directifs
que
prat
iquent l anthropologue
ou le
sociologue se retrouve dans la situation
clinique, bien
que la relation
à
l autre change, notamment en
raison du transfert
(Weil,
1992).
Le problème
du
nom
propre semble
donc insoluble
du
point de vue
du
« contenu » à cause de la contradiction irréductible
entre l arbitraire
de
l étiquette
et
les motivations
dites connotatives.
L'analyse de
discours
devrait
permettre
de
régler ce problème,
en
montrant
que
l arbitraire et la connotation relèvent d'actes
et
de temps discursifs différents (cf.
plus
loin,
2a
et 2b).
1
.
3.
LE
SENS D UN
PRÉNOM
POUR SON
PORTEUR D APRÈS
UNE ANALYSE
DE
CONTENU
Lors
d'une
précédente série d entrevues
(Varro,
1992) dans lesquelles les
gens
étaient interrogés
sur
les sentiments qu'ils
éprouvaient vis-à-vis
de
leur propre pré
nom, l'analyse
de
contenu faisait apparaître le prénom comme un mot effectiv
ement
ignifiant
et opérationnel dans la construction identitaire. Recoupant
des
observations faites ailleurs, l'analyse
isolait
un certain nombre de
thèmes,
sans
épuiser
toutes les possibilités, des thèmes supplémentaires
pouvant apparaître
à
d autres
moments
du
discours, ou dans
des
entretiens effectués dans des
circonstan
es
ifférentes.
Les
thèmes
identifiés
étaient
les
suivants
:
1.
Parler
de son prénom fait se dérouler
l histoire personnelle
et
familiale
du sujet
(réactualisée
par le prénom)
;
2. Il
y
a
projection imaginaire
du
sujet sur
son prénom, qui l interprète comme
symbolisant les sentiments de ses parents à son égard ;
3.
Le
prénom
posséderait une
«
essence commune
»
partagée par tous ceux
qui
ont
le même, renvoyant parfois à
un modèle
(personnage réel
ou
légendaire) associé au
nom ;
S .
On
peut
évoquer
aussi
les hypothèses
d une prédestination
par
la nomination, voir l exergue a l article
de J. Clerget : « Ton nom
propre
est
ton destin,
comme
l indice cristallin d une
blessure
infinie » signé
par Abdelkebir
Khatibi
(cf.
Clerget,
1990).
Voir
sur
ce
point,
Alleton,
1993.
124
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♦ ♦♦♦♦♦♦♦ ANALYSE DE CONTENU
ET ANALYSE
DE
DISCOURS
4.
Il est essentiel pour un individu de
pouvoir
se singulariser par son prénom ;
5.
Certaines personnes ont le sentiment de
«
coller
»
avec leur prénom,
d autres pas
(elles
iront
parfois
jusqu'à
en
changer)
;
6. Avoir
un
prénom classant
(type
« algérien »
en France,
« masculin » si on
est
une
fille,
etc.)
enferme
son
porteur
dans une
catégorie
sociale.
Plusieurs
remarques viennent
à l esprit :
1) le
fait
que
ces résultats sont
toujours
obtenus dans l interaction avec un
enquêteur
2) dans tous les discours il y a
l intrinsèque
(le
pré-construit, c est-à-dire
les
ressources dont
disposent les
sujets
parlants
au moment
de
parler) et le réactionnel.
Au total
il y
a
surtout
du
relation
nel.a
«
projection imaginaire
»
aussi est obtenue
en
interaction avec
l enquêteur.
Ce ne sont donc
pas les sentiments du
sujet,
mais
des représentations
de ces sent
iments qu'il reconstruit
pour
sa
mise
en scène
;
il ne s'agit donc pas
d'« informations objectives ».
Ensuite,
il faut distinguer entre la
postulation
d'une
essence
commune partagée
par
des homonymes6 et sa réelle existence7 Enfin,
on
doit se poser la question de savoir
comment l importance
accordée au prénom
ren
voie à l élément du fonds
idéologique
et
social
qui
interpelle
le sujet : comment
dégager
la
signification
des
catégories
sociales
dans
lesquelles
il
se
situe
?
Disons
cependant
à ce propos
que
notre
approche
est bien
loin
de celle qui considère
que
l interviewé serait un
«
élément d'un collectif
dont il
est
censé
être le
porte-parole
au
moins partiel
»,
comme le
dit André Grêlon
dans un
article présentant
une
revue
critique de
la
technique
de
l interview
(1978,
p.
47).
Au
lieu
de partir de
la
notion
que les
individus
expriment des attitudes représentatives de telle
ou
telle
catégorie
sociale,
nous avons
fait
le chemin inverse, vers ce qui, dans leur discours, est
mobilisé
par
le fait de
parler
de
leur propre
prénom
(où
la
catégorie sociale
peut
éventuellement
figurer, mais pas
forcément).
2. QUESTIONS
DE MÉTHODE
La
(predomination
a
été
analysée
principalement de
deux
manières,
macros
ociologique
ou microsociologique : soit
par
«
séries
globales » (travail sur les
grands
nombres
grâce
à
l établissement
de
statistiques
à
partir
d'archives
ou
d enquêtes
permettant
d inventorier les prénoms
attribués
à différentes époques),
soit par une
analyse
de contenu thématique d entretiens recueillis sur la
nomination
ou lors d enquêtes
effectuées
dans
un autre
champ.
Les
séries globales (approche macrosociologique) débouchent sur des modèles
explicatifs.
En
repérant
la
transmission des
biens symboliques
à
travers la dation
des
prénoms et en suivant ses
variations
au
cours du
temps, a
pu être
mis en évi
dence par
exemple,
le phénomène
de la
hiérarchisation
et de la diffusion de
la
mode.
Dans la
société
française
actuelle, on
assisterait
à
la fin
du modèle de
diffu
sionverticale du haut
en
bas de l'échelle sociale (Desplanques, 1986)
et
à
la polari
sation des
goûts
selon
les
groupes sociaux
(Besnard
P.
et
Grange
C,
1993).
L hypothèse d une « essence
commune
» à tous ceux qui
portent
le même
prénom a
été évoquée
par
Françoise Zonabend
(1980,
p. 13).
L essence commune
d un nom
ne semble pas
être la même
pour
tout le
monde.
Ainsi, le cas d une
femme qui désirait appeler sa fille « Alice », rêvant
i
celle qui était
au pays
des
merveilles
(« cette fille
qui utilise sa tête »\
mais
qui
y
a renoncé
parce
que son frire et « pas mal de gens » associaient
ce
nom
i
une vieille
tante
méchante (Combes
et
Devreux, p.
197).
125
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GABRIELLE
VARRO ♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦
L'approche
microsociologique,
par
contre,
emploie
volontiers l'analyse
de
contenu,
censée
apporter une clarification des discours recueillis.
Grâce à
l inférence, elle a
permis
de mettre en évidence, à
travers
l étude
d'indices
identi
taires
tels
que
le
prénom,
la
religion,
la
langue,
etc.,
des
phénomènes
de
marginali
sationu
d'adaptation sociale. L'analyse
thématique et
l interprétation
des résultats
obtenus par observation
directe,
entretiens ou questionnaires, a ainsi établi
l importance du prénom dans
la construction
des identités personnelles,
familiales
et
sociales
(cf. par
exemple,
Lafont, 1986, Varro et. al, 1986,
Bauer,
1987,
Streiff-
Fénart,
1990).
Notons
que
les
deux
approches macro
et
microsociologiques sont parfois combi
nées
l étude statistique ou documentaire allant de pair avec l'analyse d entretiens
menés dans divers contextes.
Les études menées dans des contextes psychanalytiques avaient
débouché
sur
des
conclusions
générales concernant le
sens
et
la
valeur
du prénom
pour le
sujet,
en dévoilant
le
contenu
des
discours
produits
pendant
la
cure
en
regard
d'un
certain
nombre de « signifiants clés »
8
. Hors du champ analytique,
on
parle
plutôt
de
«
concepts
» ou « notions
clés
» : psychosociologues
et
sociologues ont
adopté
des
techniques semblables pour décrypter
le
contenu des entretiens qu'ils recueillent en
fonction de paradigmes sociologiques (dominant/dominé, majoritaire/minoritaire,
français/étranger, hommes/femmes, etc.).
L entretien
non-directif emprunté à
la
clinique cherchait,
en
quelque
sorte, un «
équivalent de la connaissance
psychanal
ytique (Grêlon, 1978, p. 45).
À
ce sujet,
Grêlon
(p.
49)
cite
D.
Legras :
«
La
différence sans doute
essentielle
[entre
entretien
clinique et
entretien
d enquête]
réside
dans ce qu'on peut
appeler
la
«
cible
»
de l enquêteur. Dans l entretien clini
que,
la
personne,
le
sujet,
le
client sont
considérés par l interviewer
comme
un
tout...
alors
que
dans
l entretien
d enquête,
c est
l information
(attitudes,
images,
opinions..) qui
est
privilégiée.. ». Dans l'analyse
effectuée ainsi,
le discours des
sujets est
alors
considéré comme une partition
à
déchiffrer. L intelligibilité
du
texte
(discours)
est
posée a
priori, le présupposé
étant
qu'il contient
une
signification
«
déjà-là
» qu'il
s agit
de dé-couvrir. C'est
le
propre de l'analyse de contenu,
depuis ses
origines
aux
États-Unis
(bien avant les années
cinquante),
de
chercher
à
« savoir
ce
qui
est
derrière
les paroles
sur
lesquelles
elle
se penche.
La linguistique
est une étude
de
la
langue,
l'analyse de contenu est une quête, à travers des
messa
ges9,
de
réalités
autres »
(Bardin,
1977, p.
44).
L'analyse de contenu
la
plus
class
ique
considère le matériel d étude comme un donné
»
et
sa visée
principale est de
pouvoir inférer ;
à
partir des indices contenus dans
le texte,
les prédispositions
du
locuteur,
ses
attitudes,
ses
valeurs,
ses
mobiles,
etc.
(ibid.
p.
1
16).
L'analyse
de
discours partage avec l'analyse de contenu l objectif
de
faire appar
aître le sens d'un discours,
mais
elle
s en
distingue essentiellement sur deux
points
d importance
: a) lorsqu il s agit de dire de
quel
sens il s agit ;
b)
lorsqu il s agit de
prendre en compte
la dimension temporelle.
Ш ♦ «Signifiant
(unité
du code): Terme
emprunté
à de Saussure dans
une
conception où l on tient
l inconscien t
pour structuré
comme
un langage
(Lacan).
(...) Tout un jeu du sens et de la lettre
est
livré
au
niveau du
discours
inconscient.
(...)
Dans
le
déroulement de toute analyse
apparaissent
des
« signifiants clés » (la
mort,
le
phallus,
le
nom
du père) etc. »
(Mannoni
1967, p. 79, n.1).
• A
l époque
fondée
sur
les théories de la communication, l analyse de contenu
traitait
le discours (texte)
comme
un message
(signification et code)
entre
émetteurs) et
récepteur(s),
comme le montre
L.
Bardin.
126
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♦ ♦♦♦♦♦♦♦ ANALYSE
DE
CONTENU
ET ANALYSE DE DISCOURS
a) L'analyse
de
discours
s attache
à la construction
de
la situation
ď
nterlocution
(cf. Achard, ici-même) comme
génératrice
d'un
sens
local.
Dans
cette perspective.,
le discours
sera
considéré d'abord dans son actualisation, c est-à-dire comme pro
duisant un sens interne
au
corpus10. Repartant des signifiants (éléments de
contenu),
l analyste
tente
de les
mettre
à
distance
pour
voir
comment un
sens
local
est
reconstruit
par le discours.
Il considère qu'il n'a pas affaire à la manifestation
d'un sens pré-existant
mais
à des éléments signifiants qui prennent
leur
sens par
leur
usage effectif
et
local.
Comme
dans
l'analyse
de
contenu,
la thématique
est
essentielle, et
il
ne s agit pas de distinguer mécaniquement
«
la
forme
et le
fond
».
Il
s agit bien au contraire de montrer comment forme et contenu sont
indissocia-
blement liés,
mais en
partant
de
l étude
des
formes plutôt
que
des
thèmes,
c est-à-
dire
de
la
description de
la
situation
d énonciation et
de l environnement grammat
ical
es mots
«
pleins
»
(substantifs,
adjectifs,
verbes, etc.) dans leur
relation
aux
mots
«
outils
»
ou
« vides »
(articles, prépositions, etc.), par exemple.
Il
arrive
d ailleurs, comme nous le verrons, que des thèmes non explicités, mais
sous-
jacents, émergent de
cette
attention
prêtée
aux formes. Dans l exploration des sens
qu'un
prénom
peut
avoir
pour
le
porteur
d'un
nom
(comme pour
le
donneur),
on
considère
que
son discours n'est pas le reflet d'une réalité pré-existante à
«
découvrir
» mais
que, dans
chaque énoncé,
il y a production et
non
reproduction
de sens
(cf.
par exemple, Brès, 1986,
Combes
et Devreux, 1991, Varro,
1994).
Enfin,
l extrapolation
du sens produit
localement vers
d autres situations
d interlocution ne
peut
se justifier que s'il y a concordance entre elles : c'est
l'aspect
réitératif qui peut donner à
plusieurs
discours individuels leur homologat
ion
n tant que « discours raciste », « identitaire », « de
domination
»,
etc. Cette
extrapolation
s avère délicate, parce qu'il est évident que la spécificité de chaque
situation rend une telle concordance approximative. La question
plus
générale de
savoir comment l'analyse de discours
permet
cette
articulation
du singulier au col
lectif
trouve
sa
réponse
principale
dans le
fait
que
l'énoncé local
s insère
dans
un
discours
social plus
large qui le conditionne.
b) L'analyse de discours qui prend
pour
objet la
nomination prête
attention au fait
que
le prénom appartient à un temps
précis
d attribution. La représentation ou la
non représentation de sens
n est donc
pas
une
constante :
le
prénom n'a pas
un
sens
dans
toutes
les situations.
Il
faut distinguer
par
exemple la signification qu'il a
pour
le donneur au moment de la dation, le sens
qu'il
prend en
usage
et le sens
qu'il
prend
pour le porteur
quand
il
s interroge sur
le discours
de
dation dont il
a été
l objet. La connotation se trouve
donc
liée au temps de la dation (et au
donneur).
La
dénotation,
elle, appartient
au
temps
«
vécu
»
en
tant que
Pierre ou
Paul,
aussi
longtemps que
rien
n'amène
à
devenir
énonciataire/énonciateur
de son
prénom. Les
gens
ne sont
pas
généralement
appelés
à
motiver
leur
appellation, sauf
dans
des
situations particulières
comme la séance
de
psychanalyse, par
exemple,
ou quand
leur
nom
est mis en
question (par
une
remarque,
ou une boutade, ou
à
l'occasion
10.
Nous
avons
ainsi
pu
montrer, par
exemple, que
les
propos
tenus
par
des enfants migrants,
perçus
comme «
racistes
» par
l institutrice
(et aussi par le chercheur avant qu il entreprenne une analyse
de
discours),
ne l étaient pas
i proprement parler
dans l univers
de
leur classe,
même
s ils risquaient
de
le devenir
en franchissant les murs
de l école
(Achard, Varro
et
al.
1992).
127
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GABRIELLE
VARRO
♦ ♦
♦
♦ ♦
♦♦♦♦♦
d'un
entretien..). C'est en de telles occasions qu'ils sont amenés à lui
donner
un
sens.
Il
se trouve
que
les membres du couple
que
nous
avons
interviewés
et
que
nous
allons
maintenant présenter ont eu l'un et l autre à remotiver leurs prénoms dans
la
vie
(situation
naturelle) avant d être
amenés
à le faire, comme nous
allons
le voir
maintenant, dans la
situation
artificielle
de l entretien.
3. L ANALYSE
DE
DISCOURS APPUQUÉE À
DEUX
CORPUS D ENTRETIEN ORAL
En
avril
et
novembre
1992,
nous
avons
interrogé
individuellement Jean-Karim
et
Marie
(par
ailleurs
parents
de
Kahena,
4
ans) au
sujet
de
leurs
prénoms.
D'après
ce
que
nous savons du couple
(aucune grille
d identité n'a été remplie à l'occasion
de l'enquête mais
nous les
fréquentions depuis
quelques années), ils sont tous deux
issus de
familles
d intellectuels :
le père
de Marie
est
professeur à l université, sa
mère
artiste
; le
père de
Karim
est
pasteur,
théologien
spécialiste
de l'islam
et
conférencier
et
sa mère (dont
le
père était pasteur alsacien),
est
enseignante. Marie
(32
ans) est musicienne et
travaille à l'occasion dans des
théâtres. Karim
(30 ans) a
une formation de
philosophe
et
travaille
dans un musée. Leurs entretiens
contien
nentes détails
sur
la composition nationale et
religieuse
de leurs familles (cf. plus
loin, 3.2.3 et Tableau 1).
Constellations
familiales de Karim et Marie
(personnes
evoquees
dans
les
deux
entretiens)
graad-
pèrepat.
kabyle
(converti
parl*Év.
•dm
StJeaa
Rémi
grand-père
mat
mort
pasteur
«de
renom»
beBe-mère
- suisse
ale-
mande
(grand-père div.
mat.)
R.
— (grand-
mère
mat.)
mère
grande
famille
akacienne
pro
tes
tuile
-drv.* Marc A.
(Père)
Marie
K*km*
[en
encadré : personnes désignées par leurs prénoms]
On peut résumer les histoires qu'ils racontent de la manière suivante :
Marie
a
reçu à sa naissance
le
prénom Laurence mais
à
l'âge de
15 ans elle en
a changé,
choisissant
le prénom
Marie
;
elle
a
changé
également
de
patronyme, prenant
comme
nom
d'usage
celui
de sa
mère.
Karim
avait
reçu
le
double
prénom
Jean-
128
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♦ ♦♦♦♦♦♦♦
ANALYSE
DE CONTENU
ET
ANALYSE
OE DISCOURS
Karim
;
bien qu'on
l'appelle couramment
par le second, il
a dû
et
doit
toujours
gérer ce
dialogisme
familial.
3. 1.
LE
CADRAGE DES
ENTRETIENS
Dans
nos exemples,
il
ne
s agit
pas d'une situation
anonyme où
les interlocu
teurs
e seraient
rencontrés pour
la
première fois
à l'occasion de l enquête.
L enquêtrice
(désormais
désignée par G...)
connaissait
le couple, ce
qui
explique
plusieurs éléments
de
l interaction
(tutoiement
réciproque,
allusions
et références
communes).
G...
savait
que Marie
avait changé de prénom, c est la
raison
pour
laquelle elle a voulu l interviewer.
Elle
savait aussi
que
les
parents
de Karim était
un couple
franco-algérien
protestant et
que
Karim
avait
été
élève
dans un
collège
protestant. Karim,
de son côté,
savait
que G... effectuait
des
recherches
sur
la
sco
larisation des enfants migrants et
sur
les
couples «
mixtes ».
Il
est important de
signaler ces
facteurs,
même si la
place
manque
pour
les
développer ici,
parce
qu'ils
contribuent
à
définir
le
contexte
dans
lesquels
s insèrent
les situations
d entretien.
Il
faut remarquer
aussi
que
ces entretiens semi-directifs sont différemment structu
rés
celui
de Marie
est
entièrement
un discours
de
porteur,
mais ceci
est peut-être
dû au fait
que G...
ne lui a posé aucune question ni sur son compagnon, ni sur leur
fille. Son discours de
porteur
est particulier en ce
qu'il
est également
un
discours
ď auto-dation. L entretien
de Karim,
par contre, est découpé (par
les
questions
de
l enquêtrice)
en
trois
corpus distincts
:
Karim
porteur
(G... lui
demande de parler
de son propre prénom) ; Karim témoin
(G...
lui
demande
de parler du prénom de
Marie),
Karim donneur
(G... l interroge sur
le prénom
de
leur fille
Kahena).
Ces
précisions soulèvent déjà
un problème
d interprétation : peut-on déduire de
l entretien de Marie,
par
exemple, qui ne parle
que
de son propre prénom,
que
le
prénom est plus
important
comme marqueur
identitaire
pour elle
que
pour Karim ?
Il
est
clair
qu'une
telle
conclusion
serait
abusive,
puisque
les
deux
entretiens
n ont
pas respecté le même protocole.
3. 2.
LA
MISE EN DISCOURS
Karim
déclare ne jamais
avoir
eu de
problème avec son prénom.
Marie
s est
révoltée
contre
le sien. Au-delà de ces positions
assertées,
l'analyse de discours,
devrait nous permettre
d aborder
la relation dynamique de chacun à son prénom,
telle
qu'ils la
construisent ici en
parlant.
Nous partirons
du
prénom lui-même (élément constitutif
de l identité)
et
du
mot
«
prénom
» (sujet de
l'enquête) comme
mots «
pleins
»,
pour étudier l élaboration
d'un
sens
où
ce
qui
est
régulé
par
le
discours
social
sur
le prénom constitue
l arrière-plan. Par exemple, certaines études ont souligné la valeur
stigmatisante de
certains prénoms « étrangers »
en
France, liée à la
tradition assimilationniste et la
volonté de francisation (cf. Taboada-Leonetti,
1990,
p. 73, Costa-Lascoux
et
alii.,
1984, Lapierre, 1993) ;
on
s attendrait donc
a
ce
que
cette
notion interpelle
part
iculièrement
Karim, porteur
d'un prénom « arabe »
en France
(cf.
note
4)
et
on peut
se
demander
comment il se positionne
vis-à-vis
de la
catégorisation
«
français/étranger ».
129
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GABRIELLE
VARRO
♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦
Маме : discours
de porteur
(Extraits)
Début de
l entretien
:
G...
: tu te rappelles on avait parlé
du
prénom (1) (M... oui oui oui)
est-ce
que
tu
peux encore une fois
me parler
de
ton prénom (2) ?
M... : mon prénom (3) mon
vrai
prénom (4) ou pas mon
vrai
prénom (5) /rire/
euh oh
ça
s est passé,
je sais pas, vers
les quinze ans
en pleine crise d adolescence et j'ai voulu
chan
ger e prénom (6) j'avais dans
l idée
que le mien ne m allait pas du tout,
qu il
n allait pas
avec mon caractère et ma tête et ce qu on
veut
et je me suis dit que il me fallait un prénom
(7) qui
me
colle mieux et surtout qui
soit
plus
féminin
-
est-ce
que
je
dis
les
prénoms
(8) ?
(G...
:
oui) alors
mon prénom
(9)
et mon seul prénom (10)
de
baptême enfin
de
baptême non
mais /rire/ civil c est Laurence (1
1)
et
j'ai donc
décidé
qu il
me fallait un autre prénom (12)
et j'ai choisi
Marie (13),
alors pourquoi
j'ai
choisi
Marie
(14),
c est surtout
pour
ça parce
que je
voulais
un prénom (15) féminin, j'avais dans
l idée
que Laurence (16) mes parents
avaient choisi
à cause
de
Lorenzo
le
Magnifique
à cause
de
Lawrence d Arabie,
à cause
de
tout ce qu on
veut
et que
c était
un
prénom
(17)
masculin,
j'étais d ailleurs assez
garçon
manqué curieusement /rire/ donc j'ai changé, c est-à-dire que j'ai commencé à dire autour
de moi que c était comme ça et que je ne répondrais
plus
à l autre ;
ça
a marché très vite par
rapport
à ma maman curieusement et c'a été
beaucoup
plus
long
par rapport à
mon
père
mais maintenant
ça
fait, ça
fait
vingt ans de
ça
et maintenant il y a très peu de gens
qui
me
connaissent sous
le prénom ( 1
8) de Laurence
( 1
9) et il est
bien
sûr sur ma
carte
d identité et
pour
ma
sécurité
sociale mais tout
le monde
me connaît sous
le prénom
(20) de
Marie
(21) à
mon travail,
euh
mon ami, ma fille, enfin c est fini
quoi
y a
plus
de Laurence (22)
quoique
maintenant,
autant ça a
pu
m exaspérer au
début
quand
on
se trompait, autant maintenant
si
je
m entends
appeler
Laurence (23) par un vieil ami de la
famille
ça
me
fait plutôt rigoler
mais
ça
me donne
pas
d urticaire
/rire/.
Voilà
en
gros
c est ça
euh-
enfin
je
crois
que c est
surtout par rapport à mon père qui
y
avait un
refus
G... :
un
refus de
quoi
?
M... : d être sa fille, j'sais
pas
du tout, enfin il était ce
qu on
appelle insuffisant
au niveau
paternel
aux dires des
amis (G...
:
mmm)
et bon, j'ai
un peu sauté là-dessus
pour
- de
toute
façon comme tu es insuffisant le prénom (24) que tu m as donné m intéresse pas -
enfin
voilà, c est c est peut-être..
G... : mais euh par rapport à
ton
père comment..
M...
je
sais
pas comment
expliquer
ça, je le
voyais pas comme père
donc
j imaginais qu il
m avait pas voulue comme fille /.../ voilà mon prénom (27) oui et puis
j'ai
même changé
mon nom (28) de
famille, enfin j'ai rajouté
celui de
ma mère, du
coup comme
ils
avaient
divorcé
(G...
:
ah
oui) donc mon nom (29)
d usage
c est le nom (30) de ma mère., en plus
j'ai
commencé
à
faire
du
théâtre
alors
je
trouvais
que
Marie
S
(31)
sonnait
beaucoup
mieux
que
Laurence A
(32) /rire/
là,
les
avis
étaient partagés,
mais
bon
-
et maintenant j'ai la
moitié de mes
papiers
avec écrit Laurence S A (33)
l autre
moitié avec Marie S (34), c est
fou hein
?
ceci
dit,
j'ai
fait aucune
procédure
au
niveau
de
la
mairie
etc.
je crois que
c est
très
compliqué
/.../ bon,
ceci
dit,
maintenant on
me dirait
non,
c est
plus possible,
tous tous
tous les
gens
que j'aime m appellent
Marie
(38),
donc
voilà
si on
veut m appeler Laurence
A (39), la sécurité
sociale peut
m appeler
comme ça, ça
me
gêne pas trop /rire/ (G... : mmm)
voilà toute l histoire
(G...
: mmm) c est
pas seulement un
prénom (40) tu vois c est aussi le
nom (41) c est aussi le nom (42) /.../
130
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♦ ♦♦♦♦♦♦♦ ANALYSE DE CONTENU
ET
ANALYSE DE DISCOURS
Karim... discours
de porteur
(Extraits)
(Début
de l entretien)
G...
: alors parle-moi de
ton
prénom (1)
K... : mon prénom (2) mon prénom (3) en fait complet c est Jean-Karim (4), étrangement
Jean
(5)
à cause de
mon
grand-père kabyle
/rire/
et
Karim
(6) par
mon
père
pour
mon
père
par mon père quoi, parce que mon grand-père kabyle
s étant
converti
au
protestantisme
tenait à
un
nom (7) protestant un nom (8) chrétien et mon père avait
envie
de garder
un
nom
(9) des
origines
kabyles I...I
G... : et
alors
l association entre Jean (10) et Karim
(1 1)
pour
toi ça n'a
jamais
euh posé un
problème ou paru étrange ou
euh
?
K... : pas du tout euh ça a d ailleurs fonctionné mon nom (12) comme nom (13) composé
jusque,
si j'y
pense,
jusque quelque
chose comme 12
ans
ou
11 ans
et
par la suite
le choix
s est
fait plus ou
moins consciemment pour Karim (14), mon
père et
ma mère doivent
encore
m appeler Jean-Karim (15), je
pense,
mais /pour/ la grande majorité de mes amis et moi-
même /je/ reste Karim (16), c est
plus
court et des
deux
c est le
préféré,
c est le
préféré,
pourquoi, le son, c est moins commun, des choses de cet ordre-là /.../ non non
un
prénom
(19) sans problème
comme
ça
G...
:
mmm
et
est-ce
que
tu te
souviens
comment
on
t a
donné
le nom
(20)
?
pas
pourquoi
mais
comment ?
K... :
ah
si,
c est
une drôle d histoire
oui en
fait le Jean
(21) de mon
nom
(22) il
faut racont
era comme ça, parce que
c est vrai
que c est plus
trouble
que ça puisque tu
m en
parles
-
le Jean
(23) a
été
rajouté en
fait
plutôt
par
ma mère pour des circonstances très étranges,
c est que sa belle-mère,
au
moment du baptême en Suisse,
commandant le
gâteau de bap
tême,
la
marchande
lui
demande le
nom (24) à mettre sur le
gâteau
et blocage,
elle
a pas pu
dire Karim
(25),
elle a dit «je ne sais pas
»
et effectivement ma mère
étant
là un peu gênée,
à la rescousse, a
donné les
deux prénoms (26) et
bon,
et après c est,
eh
oui,
effectivement,
peut-être
qu après c est venu
comme
justification d un
partage des
cultures
; toujours
est-il
que
ça
a
été apprécié par mon grand-père, c est-à-dire
que le Jean
(27)
a été bien choisi,
parce qu il
semblerait
que
ce soit l évangile selon
Saint Jean
(28)
qui
effectivement
ait
fait
tilt
au
moment
de sa
conversion
(G...
:
ah
oui)
donc
le Jean
(29),
le
Jean
(30)
a
été
très
apprécié
du
côté de mon grand-père euh algérien mais effectivement probablement que
à
toute l origine de ma
nomination,
probablement qu il ne devait
y avoir
que Karim
(31),
que
c était
cette
histoire de gâteau qui a
fait
que ça /rire/ - pour pas laisser sa
belle-mère
en
carafe,
elle a donné
les
deux prénoms (32) /.../ et
je
sais pas si
tu
connais Saint-Moritz ?
G... : je
connais
oui et mais enfin, tu étais
donc
nommé déjà, à quatre
mois
tu avais
déjà
un
nom (33)
K... :
oui non
mais, étrangement
il
faudrait que -
c est
dommage que je peux
pas
te le dire
comme ça,
je sais
pas s ils
ont
transformé
le nom (34)
ou
bien si
dans
les registres
j'étais
marqué seulement
Karim (35)
et ils
ont
ajouté Jean
(36)
;
la
seule
chose
(G...
:
t as jamais
vu ton
acte de
naissance
?)
la
seule chose que je sais
c est
que sur mes papiers y
a Jean-
Karim (37)
G...
: mmm mais ton certificat de naissance d origine tu l'as
jamais vu
?
(K...
non)
mm
/.../
c est-à-dire
qu'au
moment
de
ton
baptême,
tu
n es
pas
très
sûr
maintenant
quel
était ton
nom
(38) officiel ?
K...
:
non
et
s'il
y a eu
lieu
à transformation
après,
en tout
cas
dans mon souvenir
pour moi,
tu vois, c est
étrange,
parce que la
première fois
que j'en
ai
parlé je
t ai donné
la deuxième
version en fait, c est-à-dire Jean-Karim (39) comme
concerté
et prévu puis après que Karim
(40) et la transformation ; après
si
je devais le raconter vraiment
définitivement
je serais
assez
embêté A../
G...
:
mais
enfin pour l instant tu te souviens
que
l histoire que tu as
entendue
c est que-
131
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GABRIELLE
VARRO
♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦
К...
:
parce
qu'il
faudrait tout
simplement
que quand
ma grand-mère
ait
dit
«
je ne
sais
pas
»
il se pourrait tout
simplement qu elle l ait
dit
pour
pas dire Karim (41), c est-à-dire
qu elle
a pas
eu
le culot de dire seulement Jean (42) (G... : oui)
-
sur le gâteau il se
pourrait
que ce
soit ça aussi
/.../
c est
donc une
grand-mère devant commander un gâteau de baptême avec
Karim (43) dessus en Suisse /rire/ /.../ voilà /.../
L'impact
des prénoms
pour
les énonciateurs peut être recherchée (entre
autres)
dans l étude
de
leur environnement syntaxique et des positions
énonciatives
:
Karim
et Marie
répondent d'abord de
façon
quasi-identique au lancement du
thème
par l enquêtrice
(en
répétant
:
«
mon prénom
»),
mais, par
la
suite,
ce
mot,
et
les
prénoms eux-mêmes,
figurent
dans
des environnements
très différents
:
1)
La comparaison
entre le discours
de Marie
et le discours
de
Karim porteur
mont
re es
positions énonciatives différentes
des
interviewés
par rapport au thème
de
l entretien.
Marie
dit
«
mon
»
ou
«
son prénom
»
deux fois plus souvent
que
Karim.
Elle marque
ainsi
formellement que
le prénom appartient
à
celui qui le porte, alors
que Karim, notamment par son emploi des
articles,
établit souvent une distance
entre le
prénom
et
son
porteur,
se
plaçant en
observateur
des
prénoms
(y compris
du sien)
et sur le
même plan que l enquêtrice. On
en
a
un
exemple dans l emp loi
appuyé qu'il fait de l article défini
pour
présenter son premier prénom Jean n : «
le
Jean (21)
de
mon nom (22)
»
;
«
le Jean (23)
a
été
rajouté »
;
«
le Jean (27)
a
été
bien
choisi »
;
«
le Jean
(29),
le Jean (30)
a
été très apprécié) ».
On
s aperçoit que,
alors
que
le
prénom
Jean
est
ainsi
cinq
fois mis
à
distance, le
prénom
Karim
(«
le
préféré
»)
est
toujours
associé
à
un
verbe
d état
(être
marqué,
35,
ou rester
Karim,
16) ou d'actualisation
(dire Karim,
41). Sa
distance par rapport
à la
partie
Jean de
son nom
est
repérable non seulement dans ce que
dit Karim
mais dans
la mise
en
discours.
2) Dans son discours de
porteur,
Karim emploie le
mot
«
prénom
»
(ou
«
nom
»
au
sens
de «
prénom
»)
15 fois et
cite
23 fois les prénoms Jean et
Karim,
ensemble ou
séparément,
plus
une
référence à
Saint-Jean, dont l'Évangile (dit-il)
« a fait
tilt
» au
moment
de
la
conversion de son grand-père kabyle
(cf.
tableau p. 133).
Marie
em
ploie
16
fois
le
mot
«
prénom
»
et
cite
14 fois les prénoms Laurence
et
Marie ainsi
que
les
modèles
historiques supposés du prénom
«
masculin
»
qu'elle a rejeté
(Lorenzo le Magnifique et Lawrence d'Arabie). Karim introduit le
mot
«
nom
»
quand
il
explique
son
prénom
«
complet
»
(Jean-Karim)
:
«
mon
grand-père kabyle
s étant
converti
au
protestantisme
tenait
à
un
nom
(7)
protestant
un
nom
(8)
chré
tien et mon père avait envie
de
garder un nom (9) des
origines
kabyles
».
On
cons
tate
ette alternance entre
« nom »
et
« prénom » dont la co-référence (« prénom »)
est claire,
mais
dont la
distribution montre
qu'ils dénotent des valeurs différentes :
«
nom
»
renvoie
soit
au
«
nom composé
»
reçu (Jean-Karim)
soit
à
chacune
de
ses
composantes par rapport
à
leur
signification
pour
son père ou son grand-père.
Comme
le mot
« nom »,
le
mot « Jean »
est plusieurs fois précédé
d'un
article,
comme
un
nom commun. Celui qu'il préfère
et
qui le particularise
est
Karim, qu'il
ne
désigne jamais
par le
mot «
nom
» (ni
par un
article). Mais
ce
discours
établit un
sens local
qui
vaut pour son discours de porteur.
Dans
son discours de témoin, il
11.
Les
chiffres entre
parenthèses
renvoient
aux
transcriptions,
dans
lesquelles
à la
fois
les
prénoms
et
le
mot
«
prénom
»
(ou
«
nom
»
au
sens de prénom)
sont
numérotés.
132
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♦
♦♦♦♦♦♦♦
ANALYSE DE
CONTENU
ET ANALYSE DE DISCOURS
adopte par contre
la
classification
de
Marie,
qui n'emploie jamais « nom » au sens
de « prénom » mais toujours au sens de « patronyme ».
Les
deux termes entrent
alors dans un rapport
d'opposition
équipollente (les deux
sont
non-marqués), alors
que dans
le discours
de
porteur
de Karim, « nom »
et
« prénom » sont dans
un
rapport
d opposition
privative
(où
«
nom
»
serait
le
pôle non-marqué
et
«
prénom
»
le
pôle marqué)
n C est-à-dire
que Karim
peut employer
«
nom
»
avec une valeur
plus générale,
la
particularité de «
prénom
»
par rapport à
« nom » étant construite
localement à la place de
«
prénom
»
dans certain
cas,
alors que Marie,
actualisant
la valeur patronymique du
mot «
nom
»
(de famille),
ne
le fait jamais (ici).
Il
n est
donc
pas possible d aborder
l alternance
« nom/prénom »
comme
si
les deux
termes
renvoyaient
indifféremment
à
un
même contenu (« prénom »), ce qu'on serait tenté
de
faire, considérant le thème des
entretiens.
Il n y
a ni synonymie, ni stabilité
des
valeurs pour les
personnes
:
on
a
la preuve que
Karim n'emploie
pas
toujours
«
nom
»
au
sens de
«
prénom », puisque quand
il
parle de Marie
il
utilise
«
nom
»
au sens de
«patronyme»
mais
on
ne peut
pas
non plus postuler
que
Marie
n emploierait
jamais « nom
»
au sens de
«
prénom
».
La
valeur des mots n est
construite
ni
en
langue,
ni
de façon
stable
pour les locuteurs.
Elle
se reconstruit
à
chaque
fois,
localement, dans
chaque
entretien ou
segment
d entretien.
LES
PRÉNOMS DANS
LES QUATRE CORPUS
désigné :
Karim
porteur
G. (enquêtrice)2
Karim témoin3
G.
Karim donneur4
G.
Marie porteur3
G.
par
le
prénom
lui-même
04
-
05
03
14
-
53
par
le mot
«
prénom
»
06
01
03
02
21
-
1С
04
52
par
le mot
«nom
»
09
04
04
01
04
03
(+)
-
27
Total
38
09
12
03
30
06
30
04
132
( 1 ) К 4 occurrences
de
Jean-Karim, 9 de Jean, 10
de
Karim (+1
occurrence de Saint-Jean)
(2)
G. 1 occurrence de Jean-Karim, 1 de Jean, 2 de Karim
(3) К
3
occurrences
de
Marie,
2
de
Laurence
(4) К
(+ 1 occurrence de La Kahena)
(5) M 6 occurr. de Marie, 8 de Laurence (+ 1 occurr. de Lorenzo le
Magnifique
et de
Lawrence
d Arabie)
M(+)
Marie énonce 8
fois
le mot
«
nom » au
sens de
patronyme
12. pour une elucidation de
ces concepts,
voir
Wald
ici-même.
133
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GABRIELLE
VARRO ♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦
KARIM
:
DISCOURS
DE TÉMOIN SUR LES
PRÉNOMS
DE MARIE (EXTRAITS)
G... : est-ce que est-ce que tu euh tu
peux
me raconter sur le prénom (1) de Marie (K...: aha)
qui
est
une
autre
histoire
K... :
oui
alors
Marie
ma
compagne,
elle
son origine familiale c est du côté
de
sa
mère
moit
ié olonais moitié normand
du côté
de
son
père
c est français
;
son
père a
été élevé avec sa
mère parce
qu'il
ne s entendait pas avec ses parents /.../ d ailleurs jusqu'à sa mort, c était la
figure
tutélaire
puis quand elle est
morte le couple
s est un peu
désagrégé, le
père
est
parti
et
là,
rejet violent du père par Marie
qui
en a
transformé
et son nom (2) de famille et son
prénom (3), l inscrivant tellement dans l usage d ailleurs que maintenant quasiment tous ses
papiers
sont
faits
avec
le
nom (4)
de jeune
fille
de
sa mère c est-à-dire le nom (5)
polonais
(G... : oui) et
la
transformation de
son
prénom (6) de Laurence (7) en
Marie (8)
- un choix
comme ça -
donc
elle
s appelle
Marie S (9)
au
lieu de s appeler Laurence A (10) /rire/
(G... :
d accord /rire/)
alors
qu elle
a
une
sœur et un frère qui
ont gardé le nom
(11) de leur
père
G...
:
donc
euh
pour
des
gens
qui
savent
pas, en
fait
elle
n est
pas
elle
n est
pas
la
sœur
des
deux autres par
le
nom (12) /inaudible/ et ça c est elle qui te Га
raconté
? (K... oui) ou
tu
l'as
déduit
comme ça ?
K... :
non non non enfin
la question a sûrement été posée puisque - mais en fait
j'ai
beau
coup moins
vu son
père que
sa
mère ;
sa mère
s appelle
S, a priori
c est
pas
très
frappant
qu elle
s appelle S aussi, ça
peut être
un
cas
de
fille
mère ou
autre
mais elle
le raconte
sans
réticence /.../ lui, je suis même quasiment sûr
qu il
ne lui a
pas
posé la
question
G...
:
ah
oui tu crois que mais il se rend compte qu elle ne
s appelle
plus comme lui ?
K... : oui oui oui mais je ne sais
même pas si
ça
le
choque spécialement /rire/ - drôle de
type
(G...
: mmm) et pour son prénom
(13) il
lui a
pas
posé de
question
?
K... :
non
plus, je ne pense pas (G... : et
sa
mère
non
plus ?)
ah
entre elles, elles
ont
peut-
être
parlé du
pourquoi
Marie
mais
Marie
donne pas de
raison très
précise, je
crois franche
ment
ue c est
un
prénom
(14)
qui
lui plaît
comme
ça, la
sonorité
peut-être,
ça
lui
rappelle
peut-être
des choses mais
c est
rien de très précis (G... : mmm)
c est
pas un choix militant
3)
La
compilation des
noms
propres
fait
apparaître
les
rapports avec
les
autres
personnages
cités : dans les deux entretiens, la quasi-totalité sont les
parents
proches. Des constellations familiales
se
mettent en
place (cf. figure p. 128) :
Marie,
entre
mère
et
père, parle
beaucoup
de sa mère
et
la mère de sa mère.
Karim
met
en
scène son père
et le
père de
son
père
comme responsables
de sa
prénominat
ion
ais
c'est sa mère et la mère de sa mère qui jouent le rôle d intermédiaires
dans
la
transmission
des
identités
masculines.
Le
prénom
Karim
figure
comme un
maillon dans la
chaîne des
prénoms «
kabyles
» (cases grisées
de
la figure p. 128),
bien qu'à la lecture
de
l interview lui-même
semble
présenter Marie comme
re
sponsable du prénom de
leur
fille. C est là qu'apparaît
le
contraste
entre
l explicite
et
l implicite du discours :
Karim
ne dit jamais qui a
véritablement choisi le
pr
énom
de sa fille, mais
son discours l établira
finalement
lui-même comme ce don
neur (nous
reviendrons
sur ce point, cf. 3.6.).
En
effet, ce
qu'il dit
doit être étudié
du double point de vue de ce qui est
asserté
et de ce qui
est
construit
par
le
dis
cours.
Mais on ne
peut
aborder
cette
question avant d avoir examiné
le problème
de
la
présupposition.
134
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♦ ♦♦♦♦♦♦♦ ANALYSE DE CONTENU
ET ANALYSE
DE
DISCOURS
3. 3.
LES POSÉS
ET
LES PRÉSUPPOSÉS DU
DISCOURS
Le discours
de
Karim l inscrit dans sa lignée paternelle :
«
étrangement Jean (5)
à cause de mon grand-père kabyle /rire/ et Karim (6) par mon père pour mon père
par
mon
père
quoi ». L'alternance
par/pour
signale
le
double
statut
de
son
père,
à
la
fois
donneur et bénéficiaire du
nom
kabyle. L'expression
« étrangement
Jean
»
désigne son grand-père kabyle comme responsable
paradoxal
du prénom chrétien.
Elle est aussi la première
d'une
série
de réflexions
dans lesquelles le paradigme
«français/étranger»
semble
sous-jacent
(souvent ponctué par un
rire).
Mais
« étrangement
Jean
»
révèle aussi
que
Karim pose ce paradigme comme
un
présup
posé
e
l enquêtrice : en disant
«
étrangement
»,
il indique
qu'il suppose
que
G...
trouvera étonnant qu'il
s'appelle
Jean
«à
cause
de»
son
grand-père kabyle et
pointe la présupposition
que
Jean refléterait
plutôt
la partie française
(chrétienne) de
la
famille. Or
la
partie kabyle de
la
famille
est également
protes
tante u fait du grand-père
converti.
Du coup, l hypothèse que la catégorisation
français/étranger devrait
interpeller
Karim parce qu'il
porte un
prénom «
arabe
»
en France
et
l amener
à
se repositionner
personnellement
vis-à-vis
de
ce
paradigme
particulier ne
semble
plus
pertinente : l opposition
serait ici
interne
à
la Kabylie
plutôt qu'à
la famille franco-algérienne. S'il est néanmoins obligé de
prendre
posi
tion sur ce point, c est justement à
cause des
présupposés de
ses
interlocuteurs,
ici
ceux de l enquêtrice qui demande : « et
alors
l'association entre
Jean
(10)
et
Karim
(11), pour
toi
ça n'a jamais euh
posé un problème
ou paru étrange ou euh ? ». La
réponse de Karim se
fait
sous la
forme
de la dénégation :
« non
non
un prénom (19)
sans problème
comme ça », reprise plus tard dans son discours de donneur :
« d'ailleurs ce prénom (S) [Kahena] je pense
que
c'est une des
preuves
d'ailleurs
que
le mien n'a
posé
aucun problème, c est
que
ça m'a
pas
effleuré
que
le
fait qu'il
soit
d'ailleurs puisse
être un problème
quelconque,
et ça
n'en pose d'ailleurs pas du
tout
(G...
:
non)
tout
le monde
l'appelle
Kahena
(6)
/../
mais
je
dois
dire
que
le
fait
qu'il soit juif
d Afrique du
nord, ça me plaît bien /rire/ ». Par là,
«
le fait d élargir
quelque
chose
de
trop
spécifiquement
national peut-être
», comme
il
dit au sujet du
prénom de sa fille, rentre
moins
dans le
paradigme
français-étranger
(notre présup
posé ue dans la problématique
d une famille
kabyle marquée par des
conversions
au christianisme
(son grand-père
et son
père) dans
un
contexte
musulman
(Kabylie-
Algérie)
où
l identité
d'un
prénom «juif d Afrique du
nord
» peut constituer
une
provocation.
KARIM... DISCOURS DE
DONNEUR DU
PRÉNOM DE
SA
FILLE
(EXTRAITS)
G...:
et
alors
ta
fille
K...
: ah,
ma fille n'a
qu un
prénom (1)
d origine d Afrique
du nord, juif
d Afrique
du
nord,
qui est Kahena
(2)
-
ce serait
pas très juste de commencer par l histoire
du
prénom (3)
puisqu en fait il n'a pas
vraiment
été choisi pour ça, il
a, le prénom
(4) a été choisi relat
ivement tardivement,
c est-à-dire après la
naissance de Kahena et
le
choix
s est
vraiment
fait
pour
une sorte d attirance
phonétique surtout du côté de Marie
et puis comme ça,
voilà, ça
s est
fait
euh - d ailleurs ce prénom (5), je pense que c est une des preuves d ailleurs que le
mien n'a posé aucun problème,
c est
que ça m a pas effleuré que
le
fait qu il
soit
d ailleurs
puisse être un
problème
quelconque
et
ça n en pose d ailleurs pas
du
tout (G...
:
non) tout le
135
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GABRIELLE
VARRO
♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦
monde l appelle
Kahena (6)
avec, mais après,
je
dois dire que
le
fait qu il
soit juif
d Afrique
du
nord
ça me plaît
bien
/rire/
G... : mais il fallait le
trouver
aussi euh c est pas un nom (7) qui vient spontanément
(K...
c est vrai) à l esprit, enfin comment
est-ce
que euh
c est Marie
qui
l'a
choisi
?
K...
: c est Marie
qui
Га retenu
(G...
:
mais elle
a dû avoir)
mais
je crois
que
c est comme on
fait comme
on
fait tout le
temps,
on
cherche les
prénoms (8) mais
je
dois dire (G... :
mais
comment
elle a trouvé)
je
dois dire assez
vite
quand
même
que
les
prénoms (9)
courants,
genre
calendrier des postes,
ont
tous été
très
vite rejetés
/.../y
avait
quoi
comme prénoms
(10) retenus -
étrangement si
c avait été un garçon
c aurait
pu
être
Camille (11) des choses
comme
ça
G...
:
oui
je
me
souviens
(K...
donc
euh)
mais
de
toute
façon
c est
un
[ka]
quoi
/rire/
K...
:
oui
c est
vrai
/rire/
comme
le début
du
mien oui,
Kahena
(12)
d où
c est
venu -
après
ça se mélange
déjà
en fait, c est ça, hein,
les
mémoires (G... : oui c est
fou)
les mémoires se
/inaudible/ étrangement,
ben
je me souviens après
comment
ça
s est passé, quelqu un m a
offert un livre trouvé chez un bouquiniste qui
s appelle
La Kahena (13) /inaudible/
puisque
c est
un
personnage
d Afrique
du nord, un
livre
absolument terrible écrit
pendant
la guerre
d Algérie pour parler des
vertus
civilisatrices de la colonisation
française
en Algérie,
un
livre assez redoutable
G...
: après c est-à-dire
bien
après la naissance de Kahena ? (K... pas tellement après mais
j'sais pas) mais enfin après
qu elle
était (K... oui après
qu elle
était
déjà
nommée)
G... : mais tu te souviens pas
comment
le
nom
(14) de Kahena (15) est
venu
dans le réper
toire
de
Marie ? parce que
ça
c est..
K...
: non ça
le
nom (16), il a dû sûrement sortir avant dans des discussions -je me souviens
pas
d ailleursG...
:
mais
avec
qui
?
(K...
dans..)
tu
connaissais
Kahena
(17)
?
K... : peut-être avec mes
parents
oui (G... : tu connaissais ?)
oui,
parce que c est un person
nage
ssez
intéressant en
fait
puisque dans la -pas exactement
d ailleurs
tout
à fait
mais
disons
dans la
mémoire
je dirais je pense kabyle spécifiquement,
plus qu algérienne, elle
fait un peu fonction de
Jeanne
d Arc (18) (G... :
ah
oui)
c est-à-dire
qu en fait, cette femme-
là
était la
princesse la reine de
la
diaspora juive anté-musulmane /.../ et
l histoire veut
/../
qu elle
ait été perdue par l amour (G... : aïe) /.../
donc
c est pas exactement
pour
un modèle
de destin qu on a choisi ce prénom (19) mais
pour
un son agréable,
donc porté
par, oui,
peut-être
le fait d élargir
quelque
chose de
trop spécifiquement national peut-être
G... : oui
et
la famille
de
ton père est plutôt kabyle? (K... oui) oui
alors donc mais alors
c est
(K...
:
mais non
juive /rire/, oui mais
le
nom (20) de Kahena
c est
vous qui
l avez
choisi
ensemble
ou comment
?
K...
:
c est-à-dire
qu on
était
simplement
un
peu
désemparés
-
pas
savoir
quel
prénom
(21)
choisir,
vu
que
on
s intégrait
pas
dans
une
espèce
de
tradition
où
c était
systématiquement,
je sais pas, le prénom (22) du grand-père paternel associé à je ne sais quel prénom (23) de la
famille
/../ -je t avouerai que
je ne
sais
même
pas
le prénom
(26) de
mon grand-père matern
el
émi
(27) peut-être /rire/,
donc
on
devait
choisir un
prénom
(28)
avec
/inaudible/ - qui
venait
de nulle
part, donc
on
s est
dit que ça valait
le
coup de prendre un
prénom
(29) si ça
n avait une signification ou un sens très
précis,
un prénom (30) apprécié
pour
lui-même,
donc ont
dû
défiler
beaucoup beaucoup de prénoms (31) et à
l hôpital
au troisième jour,
c était le
jour
limite
de l inscription ayant l amende, c est
celui-là qui
tout d un coup a
émergé
chez Marie ; je dois dire
ça
m a,
bon, aucune
réticence, le prénom (32)
m a
plu,
c est
Marie
qui a dit voilà Kahena (33) et je suis
allé
à
la
mairie
du
lOème
arrondissement
inscrire
Kahena /../
136
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♦ ♦♦♦♦♦♦♦ ANALYSE OE
CONTENU ET ANALYSE DE DISCOURS
3. 3.
I.
UNE
CASCADE DE PRESUPPOSITIONS
De
fait, c'est Karim lui-même
qui a introduit d'emblée
un paradigme
d opposition
en
disant
« étrangement
Jean
»
(auquel l enquêtrice a fait écho :
«
ça
n'a
amais.,
paru
étrange
ou
euh..
»).
Sur
le
plan
de
l asserté,
il
affirme
que
les
pré
noms
kabyles
(le sien,
celui
de sa
fille Kahena)
ne
posent aucun problème
mais
le
problème
n'en existe
pas
moins
en
tant
qu'un
présupposé que
Karim attribue à son
interlocutrice, renvoyant
au
discours
général
sur
les
prénoms
« étrangers » tel qu'il
est
tenu
en France. Dans
la
cascade
de
présuppositions
qui
s emboîtent dans
l interaction (qu'on ne peut
que
suggérer
ici), il
faut mentionner l origine même de
l'enquête si G...
interroge
précisément
Karim
sur son prénom,
c est
qu'elle
avait
une idée derrière
la tête...
3. 3. 2. LE RIRE
Le
rire
de Karim
vient
ponctuer
la présence des présupposés (cf. Karim porteur,
occurrences
5,
43
et
Karim
donneur,
6).
Autre
exemple
:
G...
:
«
et
la
famille
de
ton
père est plutôt kabyle ? » K... « oui
/../ mais
non juive /rire/ ». Dans son
discours
de
témoin sur le prénom de Marie, le rire partagé avec
G...
marque leur complicité
dans la reconnaissance du présupposé, à la manière d'un mot d esprit : K...
«
donc
elle s'appelle
Marie
S
(9) au lieu de s'appeler
Laurence
A
(10)
/rire/»
G... « d'accord /rire/ ». Le
rire
commente
le changement
de prénom
et
de
patr
onyme par Marie,
soulignant
l ironie d'un choix où elle n est
pas
socialement
« gagnante »,
puisqu'elle a
délaissé Laurence
A (identité
« franco-française ») au
profit
de Marie
S (il s'agit d'un patronyme à consonance juive). Dans l entretien
de
Marie,
on
voit
qu'elle
n est
d'ailleurs pas
dupe
(occurrences
31,
32).
3. 4.
CE QUI
EST
AFFIRMÉ
PAR LES
ENQUÊTES
ET
CE QU ILS PRODUISENT
EN
DISCOURS
Nous
allons
examiner quelques autres de leurs affirmations pour tenter de décel
er
es
positions
que Marie
et Karim actualisent
dans leurs
discours.
La
prénomination possède
au
moins
trois valeurs
que
l'on
peut
rapidement qual
ifier d esthétique, de symbolique et
d historique. Sur
le plan de ce qui
est
assertè
par Karim et Marie,
on
constate
que
la valeur
historique
est présente dans les quat
re orpus par
l évocation de modèles
:
Saint-Jean
pour le
Jean du
prénom Jean-
Karim,
la princesse judéo-arabe pour Kahena (et Jeanne d Arc, que Karim propose
comme une sorte d équivalente
chrétienne)
ou Lorenzo le
Magnifique
et Lawrence
d Arabie,
personnages
que Marie
suppose
avoir présidé au
choix
de ses parents du
prénom
Laurence.
L'analyse
de contenu
montre
que
Karim,
dans
ses
trois
discours,
défend
manifestement la valeur
esthétique des
prénoms (du sien :
«
Karim (16)
c'est
plus
court et des deux
c est le préféré.,
pourquoi
?
le son, c'est
moins
commun,
des
choses de cet ordre-là » ; de Kahena
« on
a choisi ce prénom (19)..
pour un
son
agréable..
» ; de sa
compagne
: «
c est un
prénom (14) qui
lui plaît
comme
ça, la sonorité peut-être
».
Il va jusqu'à
nier toute valeur symbolique au
choix de
Marie
:
«
c était un choix comme ça
», «
c'est
pas
un choix militant ».
C'est effectivement la valeur symbolique
du
prénom
que Marie
met en avant quand
elle dit que
le
prénom «
masculin
» qui lui avait
été
donné constitue la
preuve que
137
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GABRIELLE
VARRO
♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦
son père
ne l'avait
pas
désirée
(cf. le
passage
autour de
l occurrence
24 de
son
extrait,
qui
se
termine
par :
«
il
m avait pas voulue
comme fille »).
D'après ces
observations,
on
dirait qu'ils n attribuent
pas
du tout les même valeurs aux pré
noms. Mais l'analyse de contenu
relève
également
que
pour Karim, son prénom
composé représente une inscription dans les traditions
protestante
et kabyle de sa
famille
et que Karim reconnaît
que
Marie a changé de nom dans sa révolte contre
son père (discours de témoin, occurrence 2). Par ailleurs, dans le
corpus
de Marie,
on s aperçoit
qu'elle explique son désir de changer de prénom aussi
en termes
d esthétique
(occurrences
6,
7).
Il n y
a
pas là contradiction, mais nécessité de
dis
tinguer
entre Y acte
de
changer
de
prénom,
qui est
bien un acte
«
militant
» basé
sur
une
interprétation
symbolique,
et
le
jugement
sur
le prénom choisi, qui, pour
Marie
comme pour
Karim,
rentre dans un paradigme esthétique.
Et
il y a co-occurrence de
paradigmes lorsque, dans son discours de donneur, tout en
affirmant
le côté
euphonique du
prénom Kahena, Karim lui accorde une
certaine
valeur de symbole :
«
le
fait
d élargir
quelque
chose de trop
spécifiquement
national peut-être ».
Ce qu'il importe de signaler ici, c est que,
du
point de vue discursif,
ces
trois
valeurs doivent être définies par
des
considérations formelles et distributionnelles
(types de verbes, positions énonciatives des locuteurs, etc.).
Une
telle analyse
per
met
d étayer
ce
que
l'on ressent comme
relevant du
symbolique, de l esthétique, de
l historique. Si l'analyse de contenu affecte telle ou telle valeur
à
un énoncé,
l'analyse
de discours doit articuler les différentes dimensions les unes
par rapport
aux
autres.
Les trois dimensions
s articulent
dans les argumentations données puis
que,
par exemple,
l évocation
de
Lawrence
d'Arabie
ou
de
Lorenzo
le
Magnifique
suscite la
«
masculinité
» du
prénom qui représente le
fait que
le
père
de
Marie
ne
l'avait
pas
désirée comme fille.
Son
discours «
historique »
renvoie le prénom au
donneur et devient une sous-catégorie
du
symbolique. Dans
l'optique de
l'analyse
de discours,
on
peut
remarquer que la valeur esthétique d'un prénom comprend des
caractéristiques
énoncées
par
des verbes de jugement comme
«
je trouve
»
ou
«
me
plaît », des comparatifs comme
«
qui me
colle
mieux
»
ou « qui
soit
plus féminin »,
établissant
une
relation
entre le porteur et le prénom,
puisque
le
porteur
le
juge.
La
valeur
symbolique,
au contraire, établit une relation entre le
prénom
et le porteur
(ou
dans
le
cas de
Marie,
/
auto-donneur)
: le prénom
devient signifiant d autre
chose
et
exerce des
effets
réels
ou virtuels sur
le porteur,
le poussant par
exemple à
changer de nom (comme
Marie
:
«
donc
j'ai
changé,
c est-à-dire
que
j'ai
commencé
à
dire
autour
de
moi
que
c était
comme
ça
et
que
je
ne
répondrais plus
à
l autre.
»),
ou à
assumer
un rôle de médiateur
entre
deux cultures (comme Karim).
On a, généralement, du
mal à
concevoir
que le discours puisse « faire
»
;
on
pense qu'il «
contient
» simplement des
informations et
qu'il
communique.
Nous
avons
cherché à démontrer ici
que
l on
pouvait
aller au-delà et
que
l'on
pouvait
contourner
la difficulté.
3. 5.
LE
DISCOURS SUR
LE PRENOM,
UNE
SOURCE D'INFORMATIONS
INCERTAINE
II
est
donc pertinent
de s interroger
sur
l entretien comme source
d informations «fiables». Dans ses
questions sur
le
prénom
Kahena ,
G...
insiste
auprès
de
Karim
pour
savoir
qui
était
le véritable donneur
du
prénom de
sa
fille,
comment
ce
prénom
leur
était
«venu».
Karim semble
d abord
désigner
138
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♦
♦♦♦♦♦♦♦ ANALYSE DE CONTENU
ET
ANALYSE DE
DISCOURS
Marie
:
«
le choix
s est vraiment fait
pour une sorte d attirance phonétique surtout
du côté de Marie »,
mais
plus loin il corrige une intervention de
G...
:
«
c'est Marie
qui Га choisi? »,
par
la précision :
«
c est
Marie
qui l'a retenu ». Ce n est
pas
lui
non plus,
car
il
ne se
situe qu'en récepteur
appréciatif du
prénom...
«
le prénom
(32)
m'a
plu
»,
comme
son
grand-père
face
au
prénom
Jean
que
quelqu'un
(non
précisé) a
choisi
pour lui faire plaisir.
Considérant la question de
l agent du
choix
du
prénom, trois hypothèses vien
nent à
l esprit
:
1) dans la négociation conjugale pour l appropriation des enfants, le choix des pré
noms
est le plus souvent laissé
aux
femmes, leur permettant de
«
rattraper
»
le sens
symbolique
de la
dénomination
patronymique
dont
elles
sont
privées, grâce au
choix d'un prénom dans
leur
lignée (Combes
et
Devreux, p. 229). Cependant,
même en supposant qu'elle
l'ait
choisi,
Marie
n'a
pas
choisi un prénom dans sa
propre lignée mais dans celle de Karim.
2)
on
pourrait dire
qu'elle l'a
choisi,
ou
retenu,
à
la
fois
«
pour
»
lui
et dans sa
lignée, pour
que
leur fille
n ait
pas
à
souffrir
(comme
elle)
du sentiment
de
n'avoir
pas
été désirée par son
père.
3) si
on
compare
les
discours
de
Karim porteur et donneur, une troisième hypothèse
surgit,
liée au
« sens
local » dans le
contexte
précis
de cet
entretien : lui-même
avait reçu le prénom Jean à cause de son grand-père paternel
et
le prénom Karim
par/pour son père, mais c est
sa
mère qui en
fait a «
donné les deux prénoms
»
et
« rajouté » le prénom Jean. Sa mère avait
donc agi en
intermédiaire, arbitrant
entre
les désirs
du
père et
du grand-père. De
fait, Karim ne
dit
jamais
qui a choisi
son
propre
prénom, mais il
dit
qui Га
donné.
Le parallèle avec le prénom de
sa
fille est
frappant : Marie
apparaît
comme l intermédiaire
privilégiée
: K... «
c'est
celui-là
[Kahena]
qui tout
d'un
coup a émergé chez
Marie, je dois dire ça
m'a,
bon,
aucune
réticence,
le prénom
(32)
m'a
plu,
c est
Marie
qui
a
dit
voilà
Kahena
(33)
et
je
suis
allé
à la mairie du
lOème arrondissement inscrire
Kahena». Cette conclusion
(circonstance en soi
banale, puisque c est très souvent
le
père qui va à
la mairie
pendant
que
la mère est à la clinique), est un acte discursif par lequel Karim se
désigne comme
le
donneur effectif du prénom de sa fille.
On a souvent tendance à
assimiler
l agent du
choix
et l agent de la
dation
effec
tived'un prénom, supposant
que
le donneur est aussi celui ou
celle qui
l'a
choisi
;
cette analyse montre
qu'il
n en est rien. Le récit par Karim
de
la
dation de
son pro
pre prénom
est
entouré d un brouillard d incertitude, confirmée
par
son évocation
de l existence
d'une «
autre version
»
(occurrences 39,
40).
Si l incertitude de
Karim entourant les circonstances de
sa propre prénomination
peut paraître
comp
réhensible
il
est
intéressant
de
remarquer
qu'une
incertitude
aussi
grande
affecte
son récit
du
prénom de
sa propre fille,
à peine âgée de quatre ans :
«
oui Kahena
(12),
d'où
c est venu.. G... (insiste) : « mais
tu te
souviens pas comment
le
nom
(14) de Kahena (15) est venu dans le répertoire de M.. ?» K...
«
non ça le nom (16)
il
a
dû sûrement sortir
avant
dans des discussions je me souviens
pas d'ailleurs »
G... : « mais avec qui
(K...
dans)
tu connaissais Kahena
?» (17) K... «
peut-être
avec mes
parents oui (G...
: tu connaissais ?) oui, parce que... ». L'enquêtrice l'a
acculé
à
dire
« oui »,
mais
on n'en
sait
pas
plus finalement sur les circonstances
dans lesquelles
le
prénom
Kahena a été
trouvé
et choisi,
d autant plus
que
les
139
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GABRIELLE
VARRO
♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦
« informations » que fournit
Karim
sont situées
après
que
leur fille
avait déjà
été
nommée.
4, CONCLUSIONS
Du
point de vue
thématique,
l entretien de Marie confirme la plupart des
points
énumérés plus haut (cf. I, 3). Parler de son prénom
fait
effectivement se
dérouler
l histoire
familiale (point 1) ; le prénom attribué
par
ses
parents
symbolise pour elle
leurs
sentiments (surtout
ceux
de
son
père)
à son
égard
(point 2). Pas
plus que
Karim, elle
n'évoque explicitement
la notion
d une « essence
commune
»
(point 3)
mais la «
féminité
» du prénom Marie pourrait
s y
rattacher
(cf.
Casper, 1992), et le
rire
de Marie signale
la possibilité
que
son
«
vrai » prénom
«
masculin
» aurait pu
la
« prédestiner »
à devenir un garçon manqué.
Elle
trouve apparemment essentiel
de pouvoir se
singulariser par
son
prénom
(point 4) et
dit
avoir cherché un prénom
qui
lui
«
colle
mieux
»
(point
5),
parce
que
le prénom qui
lui
avait
été
donné la
«
classait
»
dans une catégorie (masculine) qui n était pas la
sienne
(point 6).
Il
faut souligner une
différence
notable avec l entretien de son compagnon.
Pour
Marie, nom et prénom sont indissociables dans la construction identitaire : « c est
pas seulement
un
prénom (40)
tu
vois,
c est aussi le nom
(41),
c est
aussi
le
nom
(42)
»
(cf. aussi Bauer, 1987, p.
88).
Hormis le fait que Karim ne mentionne jamais
son patronyme,
on
retrouve les mêmes thèmes dans son discours de porteur, bien
qu'ils
soient
évoqués
d'une manière moins
explicite
que
par Marie. Certainement le
point 1, même s'il s agit dans son cas
d une
histoire
non seulement incertaine mais
fragmentaire. Le point 2, « projection imaginaire » sur le prénom comme
pouvant
symboliser les sentiments des
parents,
se profile dans son
interprétation
du
«
pourquoi Jean
(à
cause
de son grand-père)
»
et
«
pourquoi
Karim
(par/pour
son
père) », mais il ne
va
jamais jusqu'à formuler la question d avoir été, ou non, un
enfant
désiré.
Il
accepte
le prénom composé
marqué
sur ses papiers,
mais
en
disant
«
je reste Karim
»,
il
répond
au désir de son père
qui « avait
envie
de garder
un
nom (9)
des
origines kabyles ». Karim aussi maintient ces
origines, tant
par
son
choix
de s'appeler
Karim
dans la vie quotidienne que
par
son appréciation du pr
énom kabyle
de sa
fille.
Celui-ci lui permet d ailleurs de
faire
d'une
pierre deux
coups :
il
réconcilie les conversions chrétiennes de son père et grand-père avec les
origines
kabyles,
tout en échappant à l enfermement dans une identification « trop
spécifiquement nationale » (puisque
Kahena serait
un nom
juif d Afrique du nord).
Se
singulariser par
son prénom
(point 4)
est
bien un
de
ses
soucis (« c est
moins
commun
»),
même
s'il
n'évoque
pas
explicitement
le
sentiment
de
«
coller
»
avec
lui (point 5).
Quant
au point 6 (avoir un prénom classant),
on
a vu qu'il est l un des
présupposés de son discours. A ce
stade,
il semble
important
de signaler un nou
veau thème suscité par l entretien :
Y
incertitude
du porteur
entourant
les
circons
tances
de
sa
prénomination. Dans son discours de donneur apparaît également le
thème de la tradition (occurrences 21-27). Au moment du choix, à
une tradition
familiale de prénomination (selon lui absente) s'oppose la volonté de
trouver un
«
prénom
qui
venait de nulle part » (28) qui serait « apprécié pour lui-même
»
(30).
Le prénom
Kahena
qui a «
émergé
chez Marie » a plu à Karim, mais c est a poster
iori, grâce à
un livre
que « quelqu'un » lui a
donné,
qu'il a
pris
la
connotation
actualisée dans son discours
de
donneur (occurrences 1, 2).
140
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♦
♦♦♦♦♦♦♦ ANALYSE DE CONTENU ET ANALYSE DE DISCOURS
Le
travail
sur
les
présupposés,
sur
ce
qui
est affirmé par l'enquêté(e) et ce
qui
est produit
en
discours,
permet
de dégager,
parallèlement
aux opinions assenées,
des thèmes parfois inattendus (par exemple, la
suggestion
d'un paradigme interne à
la Kabylie, là où
on attendait
un paradigme «français/étranger»).
En
fait,
ces
entretiens
contiennent
deux seuls
types
de
données
attestées
:
1) Facilement
verifiable,
le
prénom inscrit
sur la carte
d identité du
porteur et
dans
les registres : K...
«
la seule
chose
que je
sais
c est
que
sur mes papiers y a
Jean-
Karim (37)
»
; M...
«
mon seul prénom.,
civil
c est Laurence (11)
»
;
«
il est., sur
ma
carte
d identité
et pour ma sécurité
sociale (19) » ;
К
donneur : «
ma fille n'a
qu'un prénom /../
qui
est Kahena (2)
»
; « et je suis allé à la mairie.,
inscrire
Kahena ».
2) Verifiable par l observation,
la pratique de l'adresse à la cantonnade : K...
«
mais /pour/ la grande majorité de mes amis et moi-même je reste Karim (16)
»
;
M...
«
tout le monde me connaît sous le prénom de
Marie
(20) ». К donneur :
«
tout
le monde
l'appelle
Kahena (6) ».
Tous
les autres assertés sont
pris
dans le discours de la
reconstitution
de
l histoire.
Ils
y
sont
subordonnés,
forcément
invérifiables
(ou
difficilement)
et
par
ticipant
précisément
à
la production
du sens
local (par exemple Karim porteur,
occurrences
12,
13,
30).
Nous
avons
essayé
de
montrer
quels sens s'actualisaient
dans le discours, ind
épendamment des
intentions
affichées
par
le locuteur et des impressions produites
sur
l interlocuteur. Il
ne
s agit
pas
de
prétendre
que
ce
que
l'on
retire d'une
analyse
de
discours est
plus « vrai »
que
ce que
l'on
retire d'une analyse de
contenu. Le
lecteur
a
pu constater d'ailleurs
que
les
méthodes
d'analyse sont les
mêmes.
La
technique à elle seule ne garantit pas qu'on est
passé
à une analyse
discursive
;
la
seule chose
qui
peut le montrer est qu'on interprète
en termes
& actes
de discours
et
non
en
termes
^information.
Les
ressources
dont
dispose
le
sujet
parlant
(disponibles au moment
où
il ou elle parle), que l'analyse de contenu classique
infère à partir
du
discours,
n existent qu'en tant
qu'elles sont mobilisées dans
son
discours. La technique même de
l entretien
est
basée sur
le
présupposé
d'un
contenu qu'il s agit de faire «
accoucher
»
par
l interviewé(e). Le recentrage effec
tué
ar l'analyse de discours devrait idéalement déboucher sur l'abandon
de
l entretien pour ne s occuper que de
données naturelles (ce
qui est dit « dans
la
vie ») et examiner le discours comme
des
actes effectués dans le vrai monde. La
seule
façon
de
« sauver l entretien » est de
l interroger
comme un acte
interlocutif
effectif.
Envisager
le
prénom comme
un acte
de langage qui produit
des
effets, pas seu
lement
sur
autrui
mais sur
soi, revient à dire
que
des affirmations
du
type
«
Je
m'appelle...
»
signifient «
c est
dit
et
j'en
suis comptable
».
Ni
Karim
ni
Marie
n emploie jamais
cette
forme,
sans
doute
à
cause de la
mise en route
de
l entretien
(« parle-moi de ton prénom
»
-> « mon prénom c est »),
mais
nous
avons vu
que
tous deux
valident
le
prénom
qui leur a été donné,
ne
serait-ce
qu administrativement.
Cette validation
de la réception d'un prénom
le
rend
per-
formatif pour son porteur, et l'on pourrait parler de la performativité de toute pré
nomination
En effet, que
«
font
»
les prénoms de
Karim et
Marie dans ces
entre
tiens ? Le prénom Jean est validé par son
porteur au
nom de la
charge
symbolique
141
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GABRIELLE
VARRO ♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦
qu'il représente
pour le
grand-père, mais il
est tenu
à
distance
dans sa propre prati
que en
s affirmant
Karim,
il maintient face à la
société
française
une
certaine
origine (qui n est
pas anodine).
Les prénom et nom
(indissociables
pour elle)
que
Marie a rejetés ont
été performatifs
aussi,
puisque,
transformés,
ils sont devenus
les
moyens
par
lesquels elle a construit son
identité.
On peut
également dire
que les noms qu'elle s est
choisis
constituent un discours à
l'adresse
de son père.
Bien d autres
analyses de discours de
porteur
seraient nécessaires pour
voir
s'il
est
possible d'en
dresser une typologie, d affiner la liste
des points
qui semblent les
caractériser, de pouvoir
se
prononcer
sur
les rapports entre discours de porteur, de
témoin et de
dation
; l'analyse de
l entretien
de
Karim montre
que son discours de
donneur
contient
des
éléments
d identification à rapprocher
de
son
discours
de
porteur.
Les discours de
porteur
de Karim et de Marie, le discours d auto-dation de
Marie,
sont
aussi
des
discours
sur
la dation
de
leur prénom par les donneurs suppos
és
a
méthode présentée ici
indique en
tout
état
de cause que les
« informations
»
recueillies
valent d abord pour la situation où elles ont été produites en interaction
avec l enquêteur. Elles demandent,
avant
de
passer
à l interprétation et
surtout
à
la
généralisation,
à être
étroitement
surveillées
et
replacées en situation.
GABRIELLE VARRO
CNRS-PROPARLAN-LADISIS
12 rue
Goethe,
67000
STRASBOURG
142
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♦ ♦♦♦♦♦♦♦ ANALYSE
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