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Jacques-Philippe Saint-Gérand Les normandismes de Barbey d'Aurevilly : fonction poétique et/ou fonction politique ? In: L'Information Grammaticale, N. 37, 1988. pp. 25-32. Citer ce document / Cite this document : Saint-Gérand Jacques-Philippe. Les normandismes de Barbey d'Aurevilly : fonction poétique et/ou fonction politique ?. In: L'Information Grammaticale, N. 37, 1988. pp. 25-32. doi : 10.3406/igram.1988.2053 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/igram_0222-9838_1988_num_37_1_2053

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Jacques-Philippe Saint-Gérand

Les normandismes de Barbey d'Aurevilly : fonction poétiqueet/ou fonction politique ?In: L'Information Grammaticale, N. 37, 1988. pp. 25-32.

Citer ce document / Cite this document :

Saint-Gérand Jacques-Philippe. Les normandismes de Barbey d'Aurevilly : fonction poétique et/ou fonction politique ?. In:L'Information Grammaticale, N. 37, 1988. pp. 25-32.

doi : 10.3406/igram.1988.2053

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/igram_0222-9838_1988_num_37_1_2053

LES NORMANDISMES DE BARBEY D'AUREVILLY : FONCTION POÉTIQUE ET/OU FONCTION POLITIQUE ?

Jacques-Philippe SAINT-GERAND (*)

"Dans tous les cas, je veux faire de la Normandie mon majorat de renommée" (1), ainsi s'exprime Barbey d'Aurevilly, le 18 février 1852, dans une des si importantes lettres à Trébutien. On connaît les marques d'attachement au sol natal que décline régulièrement l'auteur de L'Ensorcelée, celle-ci- par exemple- parmi bien d'autres : "Rappelez-vous que je veux des Rondes Normandes, chansons de routiers, charbonniers, pêcheurs, mendiants, enfin tous les Auld Synes {sic) de notre pays. Je n'ai pas été élevé pour rien en Normandie, et le patois que j'en parle à émerveiller toutes les orières du Cotentin, vous verrez l'effet qu'il fera sous ma plume" (2). Les différents éditeurs de Barbey d'Aurevilly, ainsi que les critiques de son oeuvre, ont relevé cette particularité qui consiste à revendiquer le droit, pour les patois, d'être élevés à la dignité littéraire. Mais le constat ne permet guère d'évaluer l'apport spécifique du romancier dans un débat qui, au milieu du XIXe siècle, devient une véritable question d'actualité : quelle importance faut-il accorder à une étude "scientifique" des patois, et quelles sont les implications idéologiques de chacune des tendances qui se partagent ce champ d'investigation ? En effet, comme si l'on oubliait subitement que Barbey d'Aurevilly avait des positions politiques et religieuses hautement revendiquées (3), l'irruption de cette question dans le projet d'une épopée normande, autour de 1850, ne donne lieu qu'à des condamnations (4) ou des considérations vagues d'esthétique langagière, au nom desquelles se réaffirme le stéréotype du primat d'un besoin d'expressivité et de son corollaire : l'élargissement du

(*) L'auteur est heureux de retrouver Id, par une autre voie, les conclusions de Ph. Berthier dans : L'Ensorcelée, Les Diaboliques : une écriture du désir, champion 1987 (cf. : "J'Irai revoir ma Normandie").

(1 ) La Correspondance Générale de Barbey d'Aurevilly a vu son édition lancée grace aux travaux de Jacques Petit, dont Philippe Berthier a assuré la succession ; les volumes publiés aux éditions des Belles-Lettres, Annales de l'Université de Besançon, depuis 1980, sont aujourd'hui au nombre de sept. C'est à cette édition que Je fais référence, sauf exception mentionnée ; elle sera désormais abrégée dans les notes en Corr. Gén. suivi de la tomaison. Ici, Corr. Gén. Ill, p. 136.

(2) Corr. Gén. Il, p. 170. (3) On se reportera à la thèse déjà ancienne - mais d'une description

chronologique précieuse -de P. J. Yarrow : La Pensée politique et religieuse de Barbey d'Aurevilly, Genève, Paris, Droz, Minard, 1961.

(4) L'exemple le plus fameux de ces éreintements - quoique bien contestable dans ses principes et la Justesse de sa critique à l'égard d'une histoire de la langue française - est celui de Charles Bruneau, dans F. Brunot : Histoire de la langue française, rééd. Armand Colin, 1968, L XIII, seconde partie, pp. 181-192.

spectre lexical déployé par le romancier (5). Je voudrais montrer ici, par le témoignage des farts linguistiques replacés dans l'évolution des sciences du langage, que le dessein de Barbey d'Aurevilly est bien différent, et qu'il procède d'une autre nécessité que celle - trop évidente - d'une représentation réaliste du monde.

Philippe Berthier cite opportunément l'aveu de l'engagement acharné de Barbey d'Aurevilly dans son travail : "Rages de coeur, misères matérielles, ambitions trompées, c'est vraiment trop.

[...] Voyez-vous, Trébutien I sans le travail solitaire, sans cette lime de fer donnée aux dents du dragon, je crois que je serais mort de mes propres pensées, comme on meurt d'une lésion au coeur ou d'une congestion au cerveau" (6). La nécessité cathartique de cet engagement s'appuie sur une attention scrupuleuse portée aux éléments de l'écriture (7) et aux détails documentaires. Ce sont là les qualités qui président à la réalisation de L'Ensorcelée, et - comme l'affirme le texte suivant fréquemment cité pour son caractère anecdotique - le patois normand est amené à jouer son rôle dans cette élaboration : "J'ai une moitié de volume écrite. On y reconnaîtra la main du normand, cette main crochue qui prend et qui garde, cette main de la force, moitié serre d'aigle, moitié pince de crabe, qui devrait étreindre une poignée d'épée et n'a qu'une plume, mais dans laquelle il coule la vertu de l'acier. Vous verrez que je n'y parle pas Normand du bout des lèvres, mais hardiment, sans bégaiement, comme un homme qui n'a pas désappris la langue du terroir dans les salons de Paris, et qui porte, comme un descendant des Pêcheurs-Pirates, d'azur à deux barbets adossés et écaillés d'argent. J'ai déjà dit deux mots de ma vieille Normandie. La

(5) Dans les notes qu'il consacre à L'Ensorcelée, J. Petit conclut son étude du patoi de Barbey d'Aurevilly sur cette remarque deceptive : "La langue commune ne lui suffit pas", (éd. Pléiade I, p. 1 349). Certes I

(6) Philippe Berthier : Barbey d'Aurevilly et l'Imagination, Droz, 1978, p. 47.

f7) Barbey d'Aurevilly cite constamment - et se donne donc - des références littéraires : Balzac, Scott, Bums, etc. N se révèle d'une minutie comparable à celle de Vigny, par exemple - qui demande la môme chose, en 1 852, à son éditeur Charpentier -, pour ce qui est de la typographie : "Je vous recommande la ponctuation et les grandes lettres comme Je les al marquées. Pour mol, l'emploi des grandes lettres est chose importante en matière de style. Ce sont les dièses et les bémols de la langue et de la pensée, comme les points et les virgules en sont les soupirs et les demi-soupirs.", 28.XII, 1850, Corr. Gén. Il, p. 205.

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côte de la Manche est peinte à grands traits dans le second volume de Vellini, et les poissonniers y parlent comme des poissonniers véritables. Est-ce que Shakespeare, s'il avait été Normand tout entier, au lieu de l'être à moitié, aurait eu peur de notre patois? Ettoute langue n'est-elle pas le moule- à-balles du Génie dans lequel il coule son or et en fait de ces projectiles qui cassent toutes les résistances sur leur passage et traversent les siècles avec un sifflement harmonieux?" (8). Il est bien établi que Barbey d'Aurevilly se documente aux meilleures sources : Par Trébutien, il est introduit auprès des "archéologues des lettres", Francisque Michel, Leroux de Lincy, Jubinal, Julien Travers (9), auprès des archivistes et des historiens La Sicotière, Gerville. Il est enfin d'autant plus étroitement apparenté à la famille des philologues Alfred et Edeléstand Dumeril que le cousinage s'est éprouvé dans les collaborations à La Revue de Caen (1832) et à la Revue Critique de la Philosophie, des Sciences et de la Littérature (1 834), quels qu'aient été les succès de ces entreprises .. Or, ces deux érudits publient, en 1 849, un Dictionnaire du Patois Normand, qui, malgré bien d'autres travaux postérieurs, fait encore autorité pour Behrens, à la fin du XIXe siècle, et pour Wartburg, peu après 1930 (10). Il est étonnant que les mentions de cet ouvrage n'aient jamais incité à voir au-delà de l'élucidation métalinguistique des difficultés lexicales du texte de L'Ensorcelée. L'image du "moule-à-balles" et du "projectile" est suffisamment forte, cependant, pour laisser présager la finalité offensive de l'utilisation des normandismes par Barbey d'Aurevilly. Il reconnaît là, certes, une "coquetterie" (11) dont il atténuera les effets par des notes en pied de page, mais, que l'on donne à cette dénomination le contenu étroit de terme emprunté au patois normand, ou large de phraséologie mêlant aux vocables du patois normand les éléments français d'une oralité familière, il appert que cette recherche est au service d'une stratégie littéraire, qui, en tant que telle, recèle une idéologie dont le "réalisme" n'est qu'un moyen, nullement une finalité, et qui s'assigne sa propre ambition, celle de soutenir une conception politique : "J'ai pesé, dans ma misérable sagesse, ce que vous me dites sur l'emploi du patois, et la balance, qui n'a point tremblé, n'a pas penché du côté de l'opinion que vous m'exprimez. J'ai pour moi Walter Scott, mais c'est un Anglais ; j'ai Burns, mon favori Burns, même objection, c'est un Ecossais I - J'ai Balzac, un martre et un grand Martre i Mais laissons les noms I La poésie pour moi n'existe qu'au fin fonds de la réalité, et la réalité parle patois. Les langues sont le clavier des Artistes, ils les animent, ils les idéalisent ; ils en doublent, triplent, multiplient le jeu, les

(8) Corr. Gén. Il, p. 1 41 . On sera évidemment sensible, dans ces lignes privées, a. la rencontre intertextuelle des Intérêts de Barbey d'Aurevilly et du projet biographique et poétique de Vigny dans L'Esprit Pur, que l'écriture seule _ par la seule arme de la plume qui reste à l'aristocratie nostalgique - permet de réaliser.

(9) Ce que l'on peut déduire des propos tenus par Barbey d'Aurevilly à Uzanne, et rapportés par Louis YVer, fondateur du Musée de Saint-Sauveur- le-VIcomte. Voir l'édition Bemouard des Lettres à Trébutien, réédition Slatklne, 1979, t. IV, p. 383.

(10) Dictionnaire du Patois Normand - désormais abrégé en D.P.N. - Caen, B. Mancel, 1849 ; voir Behrens : Bibliographie des patois gallo- romans, Berlin, 1893, pp. 150 et suivantes, ainsi que Von Wartburg : Bibliographie des dictionnaires patois, Paris, Droz, 1934, p. 78.

(11) Corr. Gén. Ill, 17 Janvier 1852, p. 84.

fonctions, la portée, et, qui le croirait? le sens et même le son. [...] Les patois, - la plupart sont de la langue arriérée. Quand ils sont davantage, ils sont des provincialismes, presque des dialectes, - Diable, Diable, c'est de la perdrix Rouge que cela I Mais quand je vous accorderais, Trébutien, que ce sont des vices, des maladies de langage, des membres déjetés d'une langue qui devrait être saine, des espèces d'écrouel'es, les Grands Artistes sont des Rois et les Rois touchent les écrouelles et ils les guérissent en les touchant I" (12). Que cette affirmation soit proférée alors que la République, qui a tué la Royauté, est elle-même sur le point de défaillir devant l'Empire, n'est pas sans signification ; et l'on trouvera là de quoi alimenter encore le commentaire des fantasmes régressifs de Barbey d'Aurevilly. Mais, ce qui me paraît plus pertinent dans cette affirmation relève d'une problématique quelque peu différente. Si l'on s'attache précisément à son contenu, on s'aperçoit que, par les termes de patois, dialectes, provincialismes, maladies de langage, Barbey d'Aurevilly reprend à son compte toute une argumentation contemporaine sur les rapports qui unissent les parlures régionales au parler national. C'est cette argumentation, et sa situation dans le discours scientifique sur la langue au milieu du XIXe siècle, qu'il faut maintenant envisager.

Admettons que, dans le cas de Barbey d'Aurevilly, qui en a souvent déploré l'occurrence, la Révolution de 1 789 soit - en matière de langue et de rapport au monde par le langage - un événement décisif. On se rappelle la circulaire n° 72 du 28 prairial an II que signent Robespierre et les autres membres du Comité du Salut Public, entérinant les conclusions du rapport de l'abbé Grégoire : "Dans une République une et indivisible, la langue doit être une. C'est un fédéralisme que la variété des dialectes ; il faut le briser entièrement ; la malveillance s'en servirait avec avantage." (1 3). En dépit des craintes, l'extinction des patois ne s'est pourtant pas réalisée, et - paradoxalement - le danger qui a pesé sur eux servit plutôt à les entretenir en suscitant de multiples travaux ethno- ou anthropolinguistiques, lorsqu'ils eurent dépassé le stade des pures et simples cacologies. Ce mouvement général ne peut être ressaisi qu'au sein de l'évolution des idées linguistiques en cette première moitié du XIXe siècle.

(1 2) Ibid. p. 1 08. Concernant les références aux dialectalismes de Burns et Walter Scott, on notera que c'est Justement en 1 844 que H. Nabert délimite géolingulstiquement la frontière du gaélique d'Ecosse et de l'anglais ; voir sur ce point la Revue Celtique de 1872, L II, p. 179, et la Bibliographie linguistique de la Suisse Romande, L I, n° 30 et 36.

(1 3) Je me réfère ici aux Lettres à Grégoire sur les patois de France, éd. AGazIer, Paris, 1880, p. 71. Faceàces textes, on comprendra mieux ce que Barbey d'Aurevilly écrit de l'Histoire, et comment il envisage les rapports de cette dernière à la langue, singulièrement sous son aspect oral et dans ses particularismes régionaux : "Comme on ramasse quelques pincées de cendre héroïque, J'avais recueilli tous les détails de cette entreprise sans égale [la chouannerie] parmi les plus merveilleuses crâneries humaines. Je les avals recueillis là où, pour mol, gît la véritable histoire, non celle des cartons et des chancelleries, mais l'histoire orale, le discours, la tradition vivante qui est entrée par les yeux et les oreilles d'une génération, et qu'elle a laissée, chaude du sein qui la porta et des lèvres qui la racontèrent, dans le coeur et la mémoire de la génération qui l'a suivie." L'Ensorcelée, éd. Bouquins, R. Laffont éditeur, p. 380. Toutes les références de ce texte seront désormais prises à cette édition.

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Pour faire bref, je proposerai les repères suivants : condamnation des patois par la Révolution en raison de l'obstacle qu'ils sont à la diffusion des Lumières ; mais création de l'Académie Celtique en 1804-1805 et début de nombreux travaux portant sur les origines comparées du français et des parlers de l'Ouest ; lancement, en 1813, du programme d'enquête systématique que dirige la Société des Antiquaires de France. On se situe alors dans une période de sympathie à l'égard des patois, qui donne naissance à une multitude de monographies lexicologiques, historiques, ou littéraires. Les compilations linguistiques sont essentiel-lement-cependant-des manuels correctifs ou des dictionnaires (14) principalement destinés à faciliter le passage de la parlure régionale à la langue française nationale. C'est à cette même époque de la fin du premier tiers du XIXe siècle, que les frères Bescherelle envisagent leurs projets de Grammaire Nationale et de Dictionnaire National, qui verront respectivement le jour en 1834 et en 1843. Ces deux ouvrages sont significativement disjoints par la date de 1 838, qui marque en quelque sorte le clivage épistémologique au terme duquel la linguistique passera, en France, des conceptions métaphysiques et idéologiques à l'observation des faits et à la reconstitution historique de leur évolution. Epoque à laquelle le Journal Grammatical, par exemple, vieux refuge des adeptes de Gérando, perd ses dernières forces en suscitant la première Société de Linguis-tique (1 5). C'est en 1838, effectivement, qu'est réédité - avec le succès que l'on sait auprès de George Sand - le Vocabu-laire du Berry du Comte Jaubert, et que se marque l'insensible mais désormais effectif passage a l'histoire. Le mouvement s'est développé à partir des anciens travaux sur les parlers romans de Champollion-Fïgeac et Raynouard (16), affirmé en 1831 dans les Mélanges sur les langues, dialectes, et patois de Coquebert de Montbret, qui insistait sur la difficulté de reconstituer la généalogie des parlers celtes en comparaison avec l'étranger, c'est en 1836 que Friedrich Diez publie sa Vergleichende Grammatik der romanischen Sprachen, qui contient les bases du comparatisme linguistique et qui ne sera traduite en français qu'en 1874 par Brachet et Gaston Paris. Il faut se contenter, en France, des considérations poétiques sur la question que Charles Nodier développe, en 1834, dans ses Notions élémentaires de Linguistique : "Il n'est pas besoin d'avoir beaucoup exercé son esprit à la réflexion pour comprendre que le patois, composé plus naïvement et selon l'ordre progressif des besoins de l'espèce, est bien plus riche que les langues écrites en curieuses révélations sur la manière dont elles se sont formées. Presque inaltérable dans la prononciation, dans la prosodie, dans l'orthographe même - quand on l'écrit -, il rappelle partout l'étymologie immédiate, et souvent on n'y arrive que par lui. Jamais la pierre ponce de l'usage et le grattoir barbare du puriste n'en ont effacé le signe

(1 4) Il faudrait alléguer ici les dictionnaires de Beronle (1 81 9), Dupleich, Delmasse et bien d'autres encores ; voir Behrens, op. cit. à la note 10.

(1 5) Sylvain Auroux : "La première Société de Linguistique" dans His- toriographia Unguistica, X, n° 3 (1983), pp. 241-266.

(16) Raynouard : Lexique roman, Paris 1818 ; Champollion-Rgeac : Nouvelles recherches sur les patois ... , Paris, 1809.

élémentaire d'un radical. Il conserve le mot de la manière dont le mot s'est fait, parce que la fantaisie d'un faquin de savant ou d'un écervelé de typographe ne s'est jamais évertuée à détruire son identité première dans une variante stupide. Il est immortel comme une tradition. Le patois, c'est la langue native, la langue vivante et nue. Le beau langage, c'est le simulacre, c'est le mannequin I" (1 7). Avec ce recours à la permanence d'une valeur originelle inscrite dans le signe, gageons que Barbey d'Aurevilly partage encore la conclusion - s'il n'en admet peut-être plus toutes les prémisses - lorsqu'il affirme à Trébutien, en 1853, sa certitude d'être "dans le vrai local" (18). Mais il y a plus révélateur encore dans ces années de dépassement du point de vue onto-lo- gique au profit du point de vue phylogénétique : Schnaken- burg, en 1840, montre que la révolution dans la littérature française, au début du XIXe siècle, en tendant à abolir l'autorité et à émanciper la parole, a réactivé les prestiges de l'archaïsme, "rencontrant à moitié chemin le patois que le romantisme exploita également pour ses buts... " (19). C'est également ce qu'expose Pierquin de Gembloux en 1841, dans son Histoire littéraire, philologique et bibliographique des patois (20). Il s'ensuit un élargissement de l'intérêt porté à cette question et du débat qu'en suscitent les enjeux socioculturels désormais plus clairement perçus. C'est - notoirement-ce que soulignent les frères Dumeril dès les premières lignes de la Préface de leur Dictionnaire du Patois Normand : "La philologie n'est plus cette science de pédant qui disséquait les mots et dissertait sur les particules ; elle retrouve dans les idiomes la généalogie des peuples et projette des clartés nouvelles dans la philosophie de l'histoire" (21). Le Journal de la Librairie française officialise cette avancée, puisque c'est en 1850 qu'il ouvre dans ses pages la rubrique spécifique Patois. Et l'on peut dire que, de 1845 - avec Des Variations du langage français depuis le Xille siècle de Génin (22) - à 1881 , date de la création de la chaire de Dialectologie à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes, la discussion des contenus respectifs à accorder aux notions d'idiome, patois et dialecte, en raison des contraintes internes de l'épistémologie linguistique et des contraintes externes des accidents de l'histoire (révolution de 1848, second Empire, défaite de 1871, difficultés d'établissement de la troisième République), prend un tour de plus en plus nettement politique. Et Barbey d'Aurevilly n'y saurait rester

(17) Paris, Rendue!, 1834, p. 246-47. (18) Corr. Gén, III, 22 novembre 1853, p. 261. (1 9)J.F. Schnakenburg : Tableau synoptique et comparatif des Idiomes

populaires ou patois de la France, contenant des notices sur la littérature des dialectes, Bruxelles, 1840, pp. 24-27.

(20) Cet ouvrage se signale, d'ailleurs, par une bibliographie spécialement accueillante aux thèses du celticisme.

(21) D.P.N. p. II. (22) Publié par la grande imprimerie de Rrmin Didot, laquelle

composera également, et tirera à cinq exemplaires seulement, l'oeuvre d'un autre patoisant, mais charentais celui-ci : Burgaud des Marests, Dictionnaire du patois charentais, 1850, qui seront - comme pour préfigurer le mot du Malien Hampate Bâ - perdus à la mort de leur auteur (1873) dans la dispersion de sa bibliothèque.

(23) Cité par Sonia Branca, dans "Les débats sur la variation au milieu du XIXe siècle", Recherches sur le français parié, Groupe Alxois de Recherches en Syntaxe, 1983/5, p. 279.

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insensible dans les termes littéraires de sa représentation du monde. On notera, significativement, que l'auteur de L'Ensorcelée souscrirait volontiers - en dépit de positions diamétralement opposées au républicanisme - à l'idée de Génin : "Beau livre à faire : de l'influence réciproque de la politique sur la philologie" (23).

On connaît les étapes de cette histoire. La Bibliographie de l'Ecole des Chartes, revue - à partir de 1 839 - de l'institution fondée en 1821, diffuse des travaux marqués par l'orthodoxie scientifique et morale de la doctrine, fortement teintés - selon leurs détracteurs - de monarchisme. C'est le lieu d'origine des "Antiquaires" que consulte Barbey d'Aurevilly pour la composition de L'Ensorcelée, singulièrement Ger- ville. Et le lieu à partir duquel se développe l'antagonisme du répétiteur Guessard, philologue attentif, et du professeur strasbourgeois Génin, reconstructeur aventureux de l'ancienne langue et futur "Chef de la division des établissements scientifiques et littéraires" sous la seconde République. Ce dernier combat tout ce qui, de près ou de loin, rappelle l'influence de la religion sur les langues, tant dans les explications de l'origine (thèse du monogénétisme divin accréditée naguère par Court de Gebelin et reprise par Nodier) que dans l'exposition d'une homologie de fonctionnement ayant nécessairement ses retombées d'ordre social (catéchisme grammatical, fautes d'expression vécues par Vigny ou Hugo, autour de 1830, comme des "péchés" I). Les Dumeril, pour leur part, critiquent vivement l'ouvrage de Génin (24), en raison de leur origine institutionnelle et de leurs intérêts socio-culturels. Faisant l'apologie du progrès social en se référant à la notion de Providence (25), ils souscrivent à l'idée que les patois ne peuvent plus être qu'un objet d'érudition philologique, qui transcende par-là même les implications politiques de son étude, et qui révoque toute tentative de récupération littéraire (26). Cette sorte de neutralisation scientifique de l'objet, au nom d'une idéologie épurée de la science, anticipe le mouvement qui conduit à la nomination de Gilliéron dans la chaire de Dialectologie de l'E.P.H.E.. Elle oblitère les tensions qui traversent le corps social en dissociant celui-ci des variations de langage qui le fragmentent, et en occultant - comme l'affirmaient déjà les Bescherelle - la question de l'unité nationale en matière de langue. Les thèses défendues par Paul Meyer et Gaston Paris

(24) D.P.N., Préface, p. XXXI. Je conjecturerais volontiers que Barbey d'Aurevilly avait connaissance de ce texte lorsqu'il écrit sur le patois des paysans de Molière (Corr. Gén. Ill, p. 108). Les Dumeril, critiquant Genin, notent en effet que ce dernier peut avoir - parfois - de bonnes idées : "[...]" le patois des paysans de théâtre n'est autre chose que l'ancienne langue populaire, c'est-à-dire la véritable langue française, notre langue primitive, qui est déposée au fond de la société et y demeure immobile. C'est de la vase, disent avec dédain les modernes ; Il est vrai, mais cette vase contient de l'or, beaucoup d'or."

(25)D.P.N., préface p. XXXIil : "Mais les intérêts de la philologie ne sont ici que secondaires : bien des germes d'opposition et de méfiance disparaîtraient avec les diversités du langage, et toutes les provinces, désormais plus unies et plus compactes, marcheraient du môme pas aux destinées communes auxquelles la Providence appelle la France."

(26) D.P.N., préface, p. XCVII : "[à propos des tentatives de poésie populaire normande] Eussent-elles habilement copié la langue du peuple, ces poésies d'un bel esprit prétentieux nous auraient été bien inutiles : ce singulier patois est trop essentiellement différent"

en réaction contre les provincialistes dangereux pour l'identité du corps social (Boucherie, Chabaneau, Tourtou- lon), dès la fondation de l'E.P.H.E. en 1867, iront dans ce même sens d'une reconnaissance de l'unité de la langue française sur fond d'innombrables diversifications régionales, auxquelles, selon leur extension, on conférera les dénominations de dialecte ou de patois. Les Dumeril écrivaient déjà : "Créée [...] par les rapports et le mélange des patois, la langue commune participe de tous ; elle prend à l'un ses habitudes de prononciation, à l'autre ses tours de phrase ; elle conserve les idiotismes d'un troisième, et comble, en puisant indistinctement dans tous, les lacunes qui existaient dans les différents vocabulaires." (27). L'effondrement politique de la France après la défaite de 1 871 , et les questionnements centrifuges qu'il induit dans les milieux félibrenques, implique de réaffirmer cette thèse, et même de la légitimer institutionnellement par le décret qui fonde la discipline dialectologique en en faisant matière à enseignement d'Etat et collation de grades. Le phénomène est bien connu (28). La langue est un objet de spéculation sociale.

Certes, il serait impertinent de penser que Barbey d'Aurevilly, composant ses romans normands, ait pu entrevoir de tels développements. Mais, ce qu'il est légitime de constater, c'est qu'il rencontre là, indépendamment de la relation privilégiée avec les Dumeril, une interrogation partagée à la même époque par d'autres écrivains, qu'elle soit plus spécialement orientée vers les applications pratiques comme chez Brizeux, ou vers des réflexions historiques et philosophiques comme chez Alfred de Vigny, pour lequel Barbey d'Aurevilly avait l'admiration que l'on sait. Les réponses de chacun sont fonction de leurs préoccupations idéologiques, et celles de notre romancier ne vont pas dans le sens de la neutralisation philologique du débat ; il y est question - je le rappelle - de "moules-à-balles" ... La correspondance avec Trébutien est encore parfaitement révélatrice sous cet aspect. Barbey d'Aurevilly s'adresse bien sûr à lui pour obtenir des précisions ou des corrections sur tel ou tel point du patois normand qui lui paraît sujet à discussion, mais il affirme hautement sa compétence et ne vient pas quémander des leçons, même si - manifestement, au témoignage du D.P.N. - il n'est pas toujours dans la vérité (29) : "J'en prendrai beaucoup, de vos corrections, mais pas tout. Voici pourquoi : il y a mille choses qui diffèrent dans le langage et les coutumes de la Manche et du Calvados. Ces deux départements sont plus loin l'un de l'autre que sur la carte. Or je ne me trompe jamais en ce qui est coutume ou

(27) D.P.N., préface p. III. Le terme même de lacune métaphorise les landes au début du roman, et donne à voir la contextualisatlon même du principe de la littérature.

(28) Gabriel Bergountoux : "La science du langage en France, de 1 870 à 1885 : du marché civil au marché étatique" In Langue Française, n° 63, septembre 1984, pp. 7-41.

(29)On pourrait relever ainsi nombre de termes que Barbey d'Aurevilly, sous couvert d'un kxalisme étroit, utilise en dehors des acceptions recensées par les Dumeril : "Hargagne" (p. 374) qui renvoit à "argaigne" (D.P.N., p. 19b) et "hargoter" (p. 129b) : ou "Flanière" (p. 414), au sens de flâneuse, quand le D.P.N. donne "avare" (p. 104b). Et bien d'autres cas encore.

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langage manchois. J'ai cela net et incisé dans la tête. J'ai cette infernale mémoire qui n'oublie rien, pas les moindres détails I et qui est guillochée de toutes les empreintes de la vie. Donc, en bien des points, ce qui ne vous paraît pas exact sur votre terrain, l'est sur le mien et de la plus scrupuleuse exactitude. Ainsi, par exemple, les bidets d'allure des meuniers (j'en ai assez monté I) ; ainsi ma fingue et ma f inguette. Ainsi Tainnebouy. Le fermier de mon père s'appelait Louis Dainnebouy, et c'est lui qui est peint en pied avec une ressemblance digne du daguerréotype colorié. Ainsi, le jambon sur le gril (diable de bonne chose I), Marie Otto I J'ai embrassé bien des fois une fille de ce nom en cachette, quand mon sexe commençait de montrer, comme le Printemps, ses pointes de verdure I Ainsi Trémaine, nom manchois du Trèfle." (30). On pourra toujours noter ici les éléments d'une recherche de l'effet de réel, mais celle-ci ne saurait masquer le mépris que Barbey d'Aurevilly nourrit à l'égard des philologues, des philosophes, de tous les savants officiels, accusés de châtrer les implications de la connaissance. Le normandisme, par Trébutien et Edélestand Dumeril, est ici lié aux enjeux plus généraux de la Société Asiatique (1822), par Bazin et Pauthier interposés, et du Prix Volney (institué en 1 820) ; le danger de l'investigation érudite réside dans l'oubli du fait que l'homme - intelligence et sensualité mêlées-exposé dans le langage son rapport au monde : "Vous êtes de la Société Asiatique, Monsieur le baron de Tribioutine, comme ils disaient si adorablement en Angleterre, et vous avez peut-être pour confrères les sinologues Bazin et Pauthier. Vous devez en prenant votre thé de ce matin, voir comment je les ai arrangés, ces deux Trissotins en chinois. Comme je hante peu les savants, je ne connais de ces deux messieurs que leur ouvrage et c'est trop encore I Mais cependant je me rappelle avoir vu en redingote blanche fl'ai la plus étonnante mémoire des costumes) le Pauthier chez mon pauvre et toujours cher Edélestand Du Meril, dans le temps que nous voulions faire cette revue Critico-Germanico-Impossible qui devait révolutionner la pensée et régénérer la littérature. Le Pauthier était là pour son contingent de chinois, comme Paris (i.e. Paulin), pour son contingent d'autres ennuyeuses sornettes. Vous vous rappelez ? Quelles séances I J'étais là avec l'inexpérience de ma jeunesse I Je fis un prospectus que les Rinn, les Pauthier et autres cuistres trouvèrent romantique (c'était le mot d'alors) et ridicule, et il l'était peut-être ; ce qui n'empêchait pas qu'ils ne fussent encore plus ridicules à leur façon que mon prospectus ne l'était à la sienne. On le remplaça par un autre, dû à la plume sèche de Ravaisson qui a fart son chemin dans les bibliothèques sous le règne de la Médiocratie et des Guizot et des Cousin. Ravaisson à la figure de congre cuit dans un court-bouillon tourné et froidi I Ravaisson, l'eunuque de la pensée, qu'on n'a pas eu besoin d'opérer I Eh bien, voilà comme on se retrouve I Au bout de quinze ans, il vous passe dans les mains un livre du Pauthier, et la cravache qui dormait bien indifférente dans son coin, s'allonge sur la redingote blanche du cuistre dont on se souvient avec un plaisir 111" (31). Toute l'ambition de la création littéraire, par

(30) Corr. Gén. III. p. 143, voir également p. 134 et p. 261. (31) ibid. p. 260.

opposition avec une froide analyse intellectuelle, est ici désignée par Barbey d'Aurevilly : que l'écriture serve un projet, soutienne un engagement spécifique de l'homme ; et cette ambition relève d'une véritable prise de position esthétique : "Si je ne suis pas un grand Artiste, j'ai tort, - mais j'ai tort dans ma propre langue, j'ai tort dans la phrase de l'Académie. Rien ne vous sauve d'être médiocre quand on l'est. Tout ceci revient à dire que, dans les arts graphiques ou plastiques, l'exécution est tout. Parbleu, je le sais bien I Quand j'ai lu votre lettre, j'ai consulté Renée auquel vous me renvoyiez. Renée, un poseur d'or fin, comme Sainte-beuve, un homme à trébuchet littéraire ; timoré en littérature comme un dévot en religion ; ayant une peur d'hermine de gâter sa belle douillette blanche en matière de goût I eh bien, Renée a pensé comme moi. Il connaît à peu près la moitié de ma Chronique et il n'a été choqué de rien ; il a trouvé mon patois bon comme le cidre, et ses entrailles de vieux Normand se sont dilatées en voyant, sous une plume qui ne manque pas de vie et de coloration vermillonnée, les langages et les souvenirs de sa jeunesse. Quoi I ce sont des Normands, - des Normands qui ne veulent pas qu'on parle le normand, la langue qui sent le terroir de notre fière province, et qui s'opposent à ce qu'on introduise dans la langue littéraire des dialectes de province que l'Angleterre et l'Ecosse ont bien introduits dans la leur I Que le Diable m'emporte dans le côté d'Enfer où cuit le vieux Rollon, si je vous comprends, mes amis, Normands infidèles, trap'rtres au pays et à son patois I" (32). D'autres que Normands s'y laissèrent prendre, comme Baudelaire dont une lettre de Barbey d'Aurevilly à Léon Dutacq (33) nous apprend qu'il voulut corriger ces effets de dialectalisme sans connaître lui-même le patois normand I Ce n'était pas seulement un manque présomptueux de connaissance, mais - plus gravement - un défaut rédhibitoire de clairvoyance, car L'Ensorcelée révèle d'une part que les patois, et singulièrement le normand, seuls possèdent la qualité de la plus forte expressivité, qui est la plus parfaite corrélation de l'expression et de son contenu eu égard à la situation : "Maître Tainnebouy, qui n'était pas un moraliste et qui regardait plus au poil de ses boeufs qu'à l'âme humaine, m'avait peint d'un mot rude et terrible, dans son patois de mots et d'idées, ce que je cherche à exprimer avec des nuances. "Les femmes se perdent avec des histoires I - me dit-il. - La vieille sorcière de la Clotte avait écopi sur maîtresse Le Hardouey le venin de ses radoteries. A dater de ce moment, elle s'hébéta comme la Malgy, - ajouta-t-il ; - elle avait le sang tourné." (34).

D'autre part, le roman de Barbey d'Aurevilly expose les modalités de réalisation du dessein historiographique que l'écrivain présente a posteriori dans la préface de l'édition de 1858 : "/.../ la Chouannerie du Cotentin, la soeur de la Chouannerie du Maine, a pour tout Xénophon un sabotier, dont les mémoires, publiés en 1 81 5 et recherchés du curieux et de l'antiquaire, ne se trouvent déjà plus. Dieu, pour montrer

(32) Ibid. p. 108. (33) Journal de Rouen. 24 février 1930 (p. 2t>-c), B.N. Versailles,

J. OB. 17. (34) L'Ensorcelée, p. 435.

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mieux nos néants sans doute, a parfois de ces ironies qui attachent le bruit aux choses petites et l'obscurité aux choses grandes, et la Chouannerie est une de ces grandes choses obscures auxquelles, à défaut de la lumière intégrale et pénétrante de l'Histoire, la Poésie, fille du Rêve, attache son rayon. C'est à la lueur tremblante de ce rayon que l'auteur de L'Ensorcelée a essayé d'évoquer et de montrer un temps qui n'est plus." (35). Lignes qui font directement écho à la fin de la narration du drame par Maître Tainnebouy ; les visites de l'abbé de La Croix-Jugan à la comtesse de Montsurvent laissent progressivement le silence envelopper les deux personnages, d'une manière qui rend compte de l'impossibilité pour la parole en français d'écrire l'Histoire de faits typiquement cotentinais et vécus à travers les formes du patois : "En vérité, ce silence de trappiste étendu entre ces deux solitaires restés les derniers d'une société qui n'était plus, cette amitié ou cette habitude d'un homme de venir s'asseoir régulièrement à la même place, et qui frappait de la contagion de son silence une femme assez hautaine pour que rien jamais pût beaucoup influer sur elle, oui, en vérité, tout cela fut comme le dernier coup d'ongle du peintre qui m'acheva et me fit tourner cette figure de l'abbé de La Croix- Jugan, de cet être taillé pour terrasser l'imagination des autres et compter parmi ces individualités exceptionnelles qui peuvent ne pas trouver leur cadre dans l'histoire écrite, mais qui le retrouvent dans l'histoire qui ne s'écrit pas, car l'Histoire a ses rapsodies, comme la Poésie. Homères cachés et collectifs, qui s'en vont semant leur légende dans l'esprit des foules 1 Les générations qui se succèdent viennent pendant longtemps encore brouter ce cytise merveilleux d'une lèvre naïve et ravie, jusqu'à l'heure où la dernière feuille est emportée par la dernière mémoire, et où l'oubli s'empare à jamais de tout ce qui fut poétique et grand parmi les hommes." (36). Ainsi se définit, et se comprend, la fonction narratologique de Maître Tainnebouy : la reviviscence de faits passés, qui risqueraient de tomber dans un oubli définitif, ne peut s'effectuer que par l'intermédiaire d'un personnage dont les "idées ne sont plus dans la donnée de notre temps" (37). Et le patois utilisé par le romancier pour donner la parole aux personnages imaginaires de l'histoire devient un moyen pour l'Histoire d'échapper au silence, un mode politique et poétique de l'historiographie selon Barbey d'Aurevilly, qui, en l'occurrence, oscille -comme chez Alfred de Vigny (38) - entre les tentations du roman historique et de l'histoire romanesque. La simple revendication d'un élargissement du vocabulaire à des fins de "somnambulisme très lucide"

(39) paraît dès lors bien faible pour rendre compte des valeurs que Barbey d'Aurevilly attache à l'emploi du patois normand, au sens strict, et des tournures orales familières de l'idiome, en un sens plus large.

On peut ainsi examiner, en conclusion, les formes orales et patoisantes employées à cette double fin poétique et politique par Barbey d'Aurevilly (40). Je ne pense pas que les exigences du concours imposent une étude philologique approfondie de ces formes, hormis les cas les mieux reconnus par la linguistique historique ; les ouvrages classiques de philologie aideront, dans la plupart des cas à résoudre les difficultés phonétiques et morphologiques ; on y adjoindra les diverses études de R. Lepelley : ici même en janvier pour le vocabulaire, puis le volume des actes du colloque de Caen : Dialectologie et littérature des domaines d'Oil occidental {Cahiers des Annales de normandie, n° 15, pp. 45-51), et son article "Les régionalismes dans le mémoire de Pierre Rivière, paysan normand du XIXe siècle" dans La Linguistique, n° 16 (pp. 67-90), ainsi que sa contribution au Français Moderne de janvier 1975 : "Français régional de Basse- Normandie : les marques du genre et du nombre dans les adjectifs à finale vocalique" (pp. &-1 1 ). A ces documents, qui permettent une description précise des faits enregistrés par Barbey d'Aurevilly, il est nécessaire d'adjoindre les témoignages du XIXe siècle, dont le romancier a pu avoir l'usage ou qu'il a méconnus, mais qui, dans tous les cas, renseignent sur la constitution idéologique du patois normand et les enjeux ou les intérêts dont il fut l'objet. Essentiellement, la réédition augmentée par Julien Travers, secrétaire de l'Académie Impériale des Sciences, des Arts et des Belles-Lettres de Caen, du Glossaire du Patois Normand de Du Bois, pour lequel les Dumeril ne sont pas tendres, mais qui a le mérite de la priorité ; les analyses de Ch. Joret, dans les Caractères et extension du patois normand, étude phonétique et d'ethnographie, Vieweg (Paris, 1883) ; et surtout la plaquette de Le Joly-Senoville : Le patois parlé dans la presqu'île du Cotentin, et singulièrement dans le canton de Saint-Sauveur le Vicomte, quarante-huit pages d'un amateur attentif et informé (Avranches et Valognes, 1882). Une autre personnalité en marge de l'institution universitaire et scientifique- bien qu'il fût membre de la Société de Linguistique à l'instigation de Paul Meyer - se fait connaître par ses recherches sur le normand : celle de Henri Moisy, à qui l'on doit des analyses anthroponymiques (Paris, Franck 1875), "De quelques modes de prononciation usités en patois normand" dans la Revue historique de l'ancienne langue française, publiée à Paris par L Favre, un Dictionnaire du patois normand (Blanc-Hardel, 1885) dont l'abondance dépasse celui des Dumeril, mais dont les explications sont souvent contestées ; et plusieurs articles traitant "De l'influence du dialecte normand dans la transformation de la langue française", dans la même revue, au cours de l'année 1878. Bien sûr, pour toutes les raisons précédemment évoquées, le D.P.N. des Dumeril reste un ouvrage de consultation (41).

(35) ibld. p. 357-58. (36) Ibid. p. 515-516. (37) Ibid. p. 439. (38) C'est ce qui apparaît dans le Journal (d'un poète), à la date du 15

octobre 1856, en corrigeant la leçon erronée de Baldensperger d'après le carnet de Vigny, voir Pléiade, t. Il, Paris 1948, p. 1325.

(39) Corr. Gén. Il, 1er mal 1850, p. 154.

(40) Ibid. Ill, 22 novembre 1851, p. 112. (41 ) Les ouvrages déjà anciens de Chartes Gueriln de Guer ne pourront

malheureusement pas être d'une grande utilité sous cet aspect, ayant l'inconvénient de ne plus répéter les mêmes préoccupations idéologiques que ceux des contemporains exacts de Barbey d'Aurevilly, d'une part, et d'autre part, ne possédant pasentièrementencoretoutes les qualités quifont aujourd'hui le caractère scientifique d'une monographie dialectale.

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Ce qui est important, c'est l'usage stylistique et littéraire que Barbey d'Aurevilly fart de ces inclusions étranges. Le lexique est évidemment la part du champ sémio-linguistique dans laquelle le recours à des éléments patoisants est le plus développé et le plus notable. Dénotation de realia ("frater", p. 368, "trémaine", p. 369, "mittan", p. 376, "bu(h)an", p. 377, "grasset", p. 391, 479, 480, etc.), et connotation simultanée de l'étrangèreté du récit pour qui ne pratique pas journellement ces signes. En règle générale, lorsque ce signe est employé à plusieurs reprises, la première occurrence voit sa particularité soulignée par les italiques ; une fois homologué dans le système des signifiants du texte, il se présente banalement en romains (ex. "mirette", p. 410 sqq.). Les substantifs jouissent, en ce domaine, d'une substantielle prépotence Mais les verbes offrent également - quoiqu'on moindre abondance - des emplois caractéristiques, car ils semblent être choisis, en tant que signes de procès, en relation avec un protosémantisme de lutte, d'agressivité, bien en situation pour illustrer les épisodes du récit : "capu- cher" (p. 381 ), "joster" (p. 385), "écaler" (p. 491 ), "écopir" (p. 435), "épanter" (p. 517), etc. Certains verbes aux multiples occurrences prennent rapidement une valeur superlative dans la désignation de l'infamie : "touser" (p. 439, 447, 461, etc.), de la crainte des maléfices : "épeurer" (p. 448, 473, 481 , etc.). L'adjectif qualificatif semble d'une utilisation relativement rare : le monde vu à travers les catégories du patois normand et un monde peuplé d'objets signifiants dont la singularité exclut le recours aux phénomènes divers de caractérisation, traversé d'action qui se suffisent à elles- mêmes et qui s'accordent guère d'une modalisation ; l'adjectif se présente alors sous la forme d'un attribut : "hargagne" (p. 374), "chigaillée" (p. 404), "jodu" (p. 517). Par contre, on notera que la structure comparative est utilisée comme moyen d'apporter une précision par équivalence et de relier deux univers disjoints : "comme le mouvement d'un ber" (p. 371), "comme la vieille casserole de cuivre d'un magnan ... " (p. 373), "comme toutes les hanteuses du château de Haut-Mesnil" (p. 433), "comme un caf" (p. 471), "comme un faraud" (p. 503), etc.

Les traits morpho-syntaxiques de ce patois sont - à vrai dire - peu caractéristiques du patois normand, ils présentent le normandisme sous les espèces mille et mille fois recensées dans les cacologies (Boinvilliers, etc.) d'une incorrection diathétique : "ce que les bandits étaient usagés à faire" (p. 373), "la malheureuse Barbe qui n'est pas trop coeurue" (p. 404), "vous êtes bien désheurée" (p. 440) ; d'une erreur de complémentation : "il faut que je voie à cela" (p. 376) ; d'une formulation orale familière : "m'est avis" (p. 377), "joint à cela" (p. 404), "tant il y a donc" (/cf.) ; d'une tournure de réduplication lexico-syntaxique à valeur phatique : "Parleflêt du démon I je vous affie et certifie que ... " (p. 418). Connotation de la fantasmatique médiévale.

Comme l'emploi du patois normand est profondément médité par Barbey d'Aurevilly et asservi à une finalité bien précise, on ne s'étonnera pas de remarquer, à plusieurs reprises dans L'Ensorcelée, des effets de discordance mor- pho- ou lexico-syntaxiques. Ils servent, en quelque sorte, à

rappeler le délicat travail de la narration et les difficultés de son feuilletage, puisqu'ils télescopent dans une seule phrase ou portion de phrase différents énonciateurs : "pour peu surtout qu'il se fût amusé" (p. 363), "mais elle ne comprit pas que le cidre, fart pour un chrétian, fût la baîsson d'oune anima" (p. 365), "quéque méritant et exemplaire qu'il pût être" (p. 404), et accordons que l'imparfait du subjonctif est à mettre au compte de la facture du romancier, comme la bonne auxiliation de convenir dans la bouche de la Mahé : "où il est convenu que fia mettrons" (p. 471), en association avec la désinence typique d'un verbe au futur de l'indicatif première personne du singulier, selon un phénomène qui peut s'appliquer aussi bien au présent et aux autres "temps" de l'indicatif, et que Benveniste (42) explique en fonction d' un "je dilaté". En effet, toutes les occurrences d'emploi de ces formes substituant la flexion de personne IV à celle de personne I apparaissent dans des contextes qui montrent que l'énonciateur s'implique - à l'instant de renonciation - dans un ensemble qui intègre au minimum l'allocutaire ("[pouvons, si vous le trouvez bon, faire route ensemble", p. 368), et qui peut s'étendre jusqu'à une communauté (le berger rappelle à lui la puissance du groupe : " J'n'avons pas paoû de vos colères de Talbot, car j'vous rendrons aussi aplati ... ", p. 465). On comprend indirectement, par ce trait de morphologie dialectale ayant des effets sémio-stylistiques, l'importance déléguée dans le texte aux énoncés formulaires de la sagesse populaire, parémiologie normande qui accentue l'opposition du monde réaliste et du monde onirique ("juste comme bon poids", "pot aux roses", etc.), et qui met au premier plan la voix du groupe.

Pour s'écarter d'un degré supplémentaire des strictes contraintes de lexique ou de syntaxe, la notation d'approximations phonétiques donne l'occasion d'envisager l'écriture de l'oralrté normande. L'aphérèse, comme on vient de le voir, joue ici un rôle de premier plan : 'Vlà un monsieur qui demande le quemin de la Haie-du-Puits, et qui, i vous v'Iez, va s'en aller quant et vous" (p. 366), "j'n'avon pas paoû ... ", etc. Mais on relèvera également les occurrences de conservation d'une gutturale initiale (non-palatalisation) en position antévocalique : "Pas de jouerie de mains I il y a du quemin à côté. Ne burguez pas votre quevâsû nous ... " (p; 464) ; ceux de dégagement d'une chuintante, subsistance d'une forme archaïque du développement : "guettez ichin" (p. 466, 467) ; l'amuisement de la consonne terminale et la vélarisation corrélative de la voyelle précédente : "su" pour sur" (p. 464), mais aussi pour "sud" (p. 465), "quevà" pour "cheval" ; la notation d'une diphtongue : "paoû" (p. 465) ; etc. On observera que les formes les plus abondamment employées apparaissent notoirement dans les chants et éléments de dialogue des pâtres bohémiens, porteurs de maléfices, comme si le respect scrupuleux de leur expression était un moyen dramatique d'accroître l'impression qu'ils exercent sur le narrateur et son narrataire, d'une part - ce qui implique le lecteur -, et sur leurs propres interlocuteurs d'autre part.

(42) E. Benveniste : Problèmes de linguistique Générale, Gallimard, L II, 1974, pp. 79-88.

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Comme si la séduction d'une mimographie de la voix devait susciter dans notre imaginaire, par l'intermédiaire de la connivence que le patois établit entre Maître Tainnebouy et son allocutaire, l'écho ultime et poétique qui éveille les sortilèges et re-produrt les charmes.

Ce caractère icônique de la voix patoisante est souligné, par les conditions générales d'emploi de l'oralité dans L'Ensorcelée. A l'exception des discours des bergers, qui généralement se suffisent à eux-mêmes - en dehors d'une occurrence parfaitement révélatrice (43) -, les traces de l'oral sont accompagnées, la plupart du temps, par un commentaire suprasegmental qui explicite non le contenu mais la valeur du dit : "une vieille femme [...] me demanda que que j'voulais, d'une voix traînante et hargneuse" (p. 365), "j'nai jamais - me dit-il avec l'accent de son pays et une politesse simple et cordiale - refusé un bon compagnon" (p. 368). L'accent normand devient ainsi une part constitutive de l'authenticité du personnage, expression superficielle du réalisme que la critique accrédite dans les normandismes de Barbey d'Aurevilly, mais, au-delà, il gage l'existence du lieu littéraire dans lequel s'élabore la neutralisation du monde de la ville et de la campagne, grâce à laquelle l'Histoire peut-être formulée: "L'accent de son pays, que j'ai dit qu'il avait, n'était pas prononcé et presque barbare comme celui de la vieille hôtesse du Taureau rouge. Il était ce qu'il devait être dans la bouche d'un homme qui, comme lui, voyageait et hantait les villes ... Seulement, cet accent donnait à ce qu'il disait un goût relevé du terroir, et il allait si bien à tout l'ensemble de sa vie et de sa personne, que, s'il ne l'avait pas eu, il lui aurait manqué quelque chose", (p. 368). Et c'est en ce sens qu'il faut interpréter - me semble-t-il - la reconnaissance réciproque de Maître Tainnebouy et de son interlocuteur dans le partage de la spécificité la plus intimement liée à l'usage de la voix : "Je vois que vous êtes [...] un herbagerde la pointe de notre presqu'île ; car, quoique vous m'ayez pris pour étranger et que j'aie perdu l'accent qui dit à l'oreille d'un autre qu'on est son compatriote, je suis cependant du pays, et si l'oreille n'a pas oublié autant que ma langue les sons qui me furent familiers autrefois, vous devez être, à votre manière de parler, du côté de Saint-Sauveur-le-Vicomte, ou de Bri- quebec". (p. 372).

Et comme il faut bien, dans la création d'une oeuvre littéraire, que la communication s'établisse jusqu'aux plus virtuels des lecteurs, dont les compétences linguistiques et sémiologiques restent ignorées, l'écrivain accompagne les citations de normandismes d'une glose métalinguistique, dans la fonction est double, puisqu'elle souligne le trait dialectal et en même temps l'explicite à l'usage de l'étranger, qui se trouve ainsi progressivement associé au système des

valeurs connotées par l'usage du patois : "des mauvais bruits, comme on disait" (p. 363), ne pas connaître un chat, cuire dans son jus, comme le narrateur cite Maître Tainnebouy (p. 386), "dans le langage du pays", "pour parler comme dans le pays" (p. 398, 399), "comme dit l'expression populaire" (p. 400), "pour parler comme on parlait dans le patois de la contrée" (pp. 405, 452), "comme il dit dans son langage antique et populaire" (p. 409), "un de ces énormes morceaux de pain bis que l'on appelle un mousquetaire" (id.) ; etc. Le commentaire se réfugie parfois dans une note : "Guézette : dans la langue du pays, la branche de laurier bénit qu'on rapporte chez soi le jour des Rameaux et qu'on attache à la ruelle des alcôves" (p. 445), ce qui permet - conformément aux spécificités villageoises dont Barbey d'Aurevilly se fait le défenseur auprès de Trébutien - de compléter la notice du D.P.N. : "Fille étourdie, insolente" (p. 125 b) ; et de manière identique pour le terme custô (p. 446). Mais il peut aussi se dissimuler dans l'approximation progressive d'une suite d'attributs : "Cet homme, d'un tempérament sombre, était plus bilieux, plus morose, plus grinchard que jamais" (p. 483). Le degré maximal de cette pratique d'écriture est probablement atteint, d'ailleurs, lorsque le commentaire n'affleure plus que dans le procédé typographique de l'italique, qui, soulignant un pléonasme, occulte la faute de langue au profit de la désignation de l'instance énonciatrice et du rappel de ses conditions sociales: "Elle [Louisine-à-la-hache] monta en haut' (p. 410). Ainsi la césure qui oppose la langue nationale et le patois, tout comme l'antagonisme du monde citadin et du monde rural, des principes de la Chouannerie et de la démocratie, la lutte de l'oralité contre l'écriture, deviennent-ils les moyens de l'accomplissement de l'histoire, et la condition de fixation de l'Histoire.

Le projet défini par Barbey d'Aurevilly, au milieu des difficultés d'émergence d'un discours scientifique sur les patois et les traits de civilisation qui leur sont attachés, se réalise aujourd'hui pour nous bien au-delà des modèles de Shakespeare, de Bums ou de Walter Scott qu'il invoque, dans cette prise de conscience de l'historicité de la parole. A la fonction poétique du langage littéraire dont use le romancier, il convient donc d'ajouter - englobant toute sa réflexion esthétique - une fonction politique de l'écriture (44) grâce à laquelle la bigarrure et l'outrance stylistique du texte trouvent à s'intégrer dans une plus vaste structure signifiante.

Jacques-Philippe Saint-Gérand Université de Poitiers

(43) Le narrateur commente ainsi les paroles patoises du berger : "[...] ajouta-t-ll avec une espèce de fierté barbare, comme s'il eût, du fond de sa

poussière, proclamé d'avance l'axiome menaçant du Communisme moderne" (p. 464) ; et l'on retrouve ici, avec le soulignement de la majuscule qui "dièse" la hauteur à laquelle s'élève la crainte sociale du romancier, l'explicltation de ce rapport du langage au politique.

(44) On se rappellera, en effet, le contenu de cet extrait d'une lettre à Trébutien, dispensateur d'informations, dans lequel s'effectue la suture des divers intérêts esthétiques et politiques de Barbey d'Aurevilly : "Ne vous lassez pas. Envoyez-moi toujours ce que vous pourrez. Consultez pour mol dans votre pays, tout le monde. Walter Scott causait avec les postillons et les cabaretières. Des renseignements, pour être bons, doivent être pris à toutes les hauteurs de la société" (Corr. Gén. Il, 24 avril 1 850, p. 1 51 ). C'est la vertu d'un style véritable que de synthétiser ainsi dans une forme littéraire durable des préoccupations d'aussi diverses origines.

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