article_galia_0016-4119_2001_num_58_1_3172 (1)

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Michel Py Ramon Buxo i Capdevila La viticulture en Gaule à l'Âge du Fer In: Gallia. Tome 58, 2001. pp. 29-43. Abstract In the few available literary sources there is no evidence about the viticulture in Northern Gaul, but in the other hand we have accounts of its existence in the southern areas. Archaeological sources are mainly situated in the South, around Marseille, but also in Provence and Languedoc, where there are discoveries of pips, pollens, vine-shoots, land marks, implements and dolia. On the economical point of view, Marseille produces wine for exportation contrary to indigenous viticultural sites having a very low production. Lattes is a special case where we find an extensive vine cultivation during the 3rd -1st centuries BC. Résumé Les rares sources littéraires disponibles n'apportent guère de témoignage d'une viticulture dans la Gaule du Nord, mais affirment en revanche son existence dans le sud. Les sources archéologiques se placent dans le Midi surtout, notamment dans le territoire de Marseille, mais aussi en Provence et en Languedoc, avec la découverte de pépins de raisin, de pollens et de bois de vigne, de traces agraires, d'outils et de dolia. Sur le plan économique, Marseille produit du vin pour le vendre, s 'opposant aux sites viticoles indigènes dont la production est très faible. Lattes représente un cas à part avec une viticulture extensive aux IIIe-Ier s. avant notre ère. Citer ce document / Cite this document : Py Michel, Buxo i Capdevila Ramon. La viticulture en Gaule à l'Âge du Fer. In: Gallia. Tome 58, 2001. pp. 29-43. doi : 10.3406/galia.2001.3172 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/galia_0016-4119_2001_num_58_1_3172

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  • Michel PyRamon Buxo i Capdevila

    La viticulture en Gaule l'ge du FerIn: Gallia. Tome 58, 2001. pp. 29-43.

    AbstractIn the few available literary sources there is no evidence about the viticulture in Northern Gaul, but in the other hand we haveaccounts of its existence in the southern areas. Archaeological sources are mainly situated in the South, around Marseille, butalso in Provence and Languedoc, where there are discoveries of pips, pollens, vine-shoots, land marks, implements and dolia.On the economical point of view, Marseille produces wine for exportation contrary to indigenous viticultural sites having a verylow production. Lattes is a special case where we find an extensive vine cultivation during the 3rd -1st centuries BC.

    RsumLes rares sources littraires disponibles n'apportent gure de tmoignage d'une viticulture dans la Gaule du Nord, mais affirmenten revanche son existence dans le sud. Les sources archologiques se placent dans le Midi surtout, notamment dans le territoirede Marseille, mais aussi en Provence et en Languedoc, avec la dcouverte de ppins de raisin, de pollens et de bois de vigne,de traces agraires, d'outils et de dolia. Sur le plan conomique, Marseille produit du vin pour le vendre, s 'opposant aux sitesviticoles indignes dont la production est trs faible. Lattes reprsente un cas part avec une viticulture extensive aux IIIe-Ier s.avant notre re.

    Citer ce document / Cite this document :

    Py Michel, Buxo i Capdevila Ramon. La viticulture en Gaule l'ge du Fer. In: Gallia. Tome 58, 2001. pp. 29-43.

    doi : 10.3406/galia.2001.3172

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/galia_0016-4119_2001_num_58_1_3172

  • La viticulture en Gaule

    l'ge du Fer

    Michel Py et Ramon Bux i Capdevila

    Mots-cls. Archobotanique, viticulture indigne, Marseille, Martigues, Lattes, outillage, dolium, amphores massaliotes.

    Key-words. Archaeobotany, local viticulture, Marseille, Martigues, Lattes, implements, dolium, massaliote amphorae.

    Rsum. Les rares sources littraires disponibles n'apportent gure de tmoignage d'une viticulture dans la Gaule du Nord, mais affirment en revanche son existence dans le sud. Les sources archologiques se placent dans le Midi surtout, notamment dans le territoire de Marseille, mais aussi en Provence et en Languedoc, avec la dcouverte de ppins de raisin, de pollens et de bois de vigne, de traces agraires, d'outils et de dolia. Sur le plan conomique, Marseille produit du vin pour le vendre, s 'opposant aux sites viticoles indignes dont la production est trs faible. Lattes reprsente un cas part avec une viticulture extensive aux IIP-Pr s. avant notre re.

    Abstract. In the few available literary sources there is no evidence about the viticulture in Northern Gaul, but in the other hand we have accounts of its existence in the southern areas. Archaeological sources are mainly situated in the South, around Marseille, but also in Provence and Languedoc, where thereare discoveries of pips, pollens, vine-shoots, land marks, implements and dolia. On the economical point of view, Marseille produces wine for exportation contrary to indigenous viticultural siteshaving a very low production. Lattes is a special case where we find an extensive vine cultivation during the 3rd -1st centuries BC.

    La question de la viticulture et de la production de vin en Gaule prromaine a t souleve assez tt mais rarement traite de manire objective 19. Du fait de la connotation minemment symbolique de la plante et du produit, les archologues et les historiens ont longtemps abord le sujet sur le plan culturel, se dmarquant parfois

    19. Voir principalement Andr, 1954 ; Dion, 1959 ; Benoit, 1962, 1965, p. 202-203. La prise en compte d'une viticulture gauloise prromaine a cependant longtemps repos presque uniquement sur les mentions littraires et mise loin derrire la consommation de vin grec, trusque et italien. J. Jannoray, dans sa thse, n'en parlait pas et a d rajouter quelques mentions du bout des lvres la suite des remarques de son jury (Jannoray, 1955, p. 330, entre crochets) et B. Bouloumi crivait encore en 1983 : la vigne n'apparat pas en Gaule - et encore s'agit-il de la seule Gaule mridionale - avant le Ier s. avant J.-C. (Bouloumi, 1983a, p. 20).

    assez peu des auteurs de l'Antiquit classique pour qui vigne et vin, l'instar d'olivier et huile, taient signes de civilisation s 'opposant la bire et aux graisses barbares.

    Pour autant, le dossier de la viticulture gauloise s'avre l'examen assez vari, tant du point de vue des sources (littraires, archologiques, botaniques) que des lieux d'interrogation, selon que l'on se place aux environs de Marseille grecque, en Gaule mditerranenne ou en Gaule continentale, ou bien selon les priodes envisages, entre la Prhistoire et la colonisation romaine. Pour tre complet, il faudra encore distinguer attestation de la vigne et viticulture, mais aussi production de raisin et vinification - en quelque sorte viticulture et viniculture.

    On sait que la vigne est quasiment indigne sous forme sauvage (Vitis vinifera L. subsp. sylvestris) en

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    Mditerrane occidentale 20. On en retrouve sur le littoral des restes ds le Palolithique (Nice, Terra Amata, cf. Boone, Renault-Miskovsky, 1976), puis dans plusieurs gisements msolithiques et nolithiques 21. Les attestations de ppins de raisin sauvage persistent, en France mditerranenne, jusqu' la fin de l'ge du Bronze (Marinval, 1997, p. 147). Plus l'intrieur, la vigne sauvage est encore prsente au dbut du deuxime ge du Fer, comme au Cluzel (Toulouse, Haute-Garonne) vers 400-350 avant notre re (Marinval, 1988a). Envisager une longue tradition de cueillette du fruit de la lambrusque est donc possible, bien que l'extrme dispersion des restes laisse un doute sur la rgularit de cette pratique.

    Ce n'est en fait qu' partir du milieu de l'ge du Fer, et plus prcisment du Ve s., que la multiplication des dcouvertes de ppins de raisin dans les gisements archologiques a conduit envisager une consommation rgulire et une mise en culture.

    Plusieurs questions restent cependant poses concernant l'origine de cette arboriculture. L'analyse de la morphologie des ppins et de leurs mensurations a fait apparatre certains caractres qui ont t jugs parfois intermdiaires entre la varit sauvage prcdemment cueillie et la vigne cultive ( Vitis vinifera L. subsp. saliva) (Marinval, 1988a), telles qu'en tmoignent pour l'Antiquit les tudes botaniques menes dans le monde classique (Renfrew, 1973) ; cette observation a suggr l'hypothse d'une amlioration locale de plantes indignes 22. Mais par ailleurs la chronologie des dcouvertes, et une tradition historique bien ancre ont couramment port les chercheurs attribuer cette innovation aux influences coloniales mditerranennes, phniciennes dans le sud de l'Espagne, grecques ailleurs.

    LA TRADITION HISTORIQUE

    Les termes du dbat imposent d'abord d'examiner les sources littraires dans le cadre de la Gaule. De fait, le

    20. C'est ce qu'indique notamment la palynologie : voir par exemple les analyses ralises Marsillargues, sur les bords de l'tang de Mauguio (Hrault), confirmant l'indignat de Vitis vinifera subsp. sylvestris en Languedoc (Planchais, 1982). 21. Par exemple la Baume de l'Abeurador dans l'Hrault (Vaquer et al., 1986), Fontbrgoua dans le Var ou Font-Juvnal dans l'Aude (Marinval, 1988a). 22. L'ide est dj exprime par Jullian, 1908, p. 270, qui attribue la pratique aux Grecs.

    nombre de rfrences concernant la viticulture indigne est considrablement plus faible que celui concernant la viticulture grecque et surtout la vente de vin par les Grecs et les Italiens aux populations locales. En vrit, on ne peut retenir sur ce point que deux allusions directes et une indirecte, l'une concernant le Midi, les autres le reste de la Gaule.

    Pour le Midi, il s'agit du texte bien connu de Justin, rsumant en une phrase les bienfaits de la colonisation phocenne :

    Sous l'influence des Phocens, les Gaulois adoucirent et quittrent leur barbarie et apprirent mener une vie plus douce, cultiver la terre et entourer les villes de remparts. Ils s'habiturent aussi vivre sous l'empire des lois plutt que sous celui des armes, tailler la vigne et planter l'olivier, et le progrs des hommes et des choses fut si brillant qu'il semblait, non que la Grce et migr en Gaule, mais que la Gaule et pass dans la Grce (Justin, Abrg des Philippiques, LXIII, 4, 1-2, trad. E. Chambry et L. Thly-Chambry) .

    Ce passage ne cite pas proprement parler la production de vin, mais la taille de la vigne, et non la greffe, comme traduisent certains (par ex. Jannoray, 1955, p. 327, note 2) ce qui n'a pas empch les historiens modernes d'extrapoler 23. Le texte, bien que de date rcente (IIe s. de notre re), se rfre des sources plus anciennes (Trogue-Pompe et au-del) ; la mention de l'olivier, qui ne pousse en France qu'en contexte mditerranen, limite la porte gographique de l'allusion au Midi.

    Pour le Nord, on se rfrera Diodore de Sicile, dcrivant l'amour du vin des Gaulois au temps o les marchands romains envahissent la Gaule interne (fin IIe- dbut Ier s. avant notre re) :

    L'excs du froid dtruisant le caractre tempr du climat, le pays ne produit ni vin ni huile. Ainsi ceux des Gaulois qui sont privs de ces produits prparent partir de l'orge une boisson qu'on appelle zythos et usent galement du jus provenant du lavage des cires d'abeille. Mais, aimant la passion le vin, ils s'emplissent de celui qu'apportent les marchands sans le mlanger d'eau 24.

    23. Ainsi par exemple Clavel-Lvque, 1977, p. 170 : Le tmoignage de Justin est formel : ce sont les Grecs qui ont appris aux barbares la taille, et sans doute avec elle l'ensemble des procds si dlicats de la culture et des mthodes de vinification . 24. Diodore de Sicile, V, 26, 2-3 (trad. Lerat, 1977). Sur ce passage et le suivant, voir notamment les commentaires de Tchernia, 1986a, p. 88.

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  • La viticulture en Gaule 31

    Dans ce texte, o le climat rigoureux indique un cadre gographique continental, quatre choses concernent notre propos : premirement, les Gaulois de cette zone ne produisent pas de vin ni d'huile (indirectement cependant, la formule ceux des Gaulois qui en sont privs suppose que d'autres Gaulois et ce ne peut tre que ceux du Midi - possdaient une viticulture) ; deuximement, comme boisson, ils produisent une bire d'orge (dnomme vOo) et de l'hydromel ; troisimement, ils achtent leur vin des marchands ; enfin, signe de barbarie, ils boivent ce vin pur et s'en enivrent.

    Un texte d'Athne, reprenant des indications de Poseidonios et dcrivant donc une situation contemporaine (autour de 100 avant notre re) 25, confirme ces donnes et prcise que le vin import est rserv aux riches et qu'il provient d'Italie et de la chra mas- salite :

    Quant la boisson, c'est, pour les riches, le vin qu'on fait venir d'Italie ou de la rgion marseillaise, d'ordinaire servi pur, parfois ml d'un peu d'eau ; pour les moins riches c'est la bire d'orge prpare parfois avec du miel, mais chez la plupart telle quelle : on l'appelle karma (Athne, Les Deipnosophistes, IV, 152, c-d, trad. Lerat, 1977).

    Voici donc un tableau clair, opposant nettement le sud et le nord de la Gaule : d'un ct la Gaule grecque 26, qui prsente (mais depuis quand ?) tous les signes de l'hellnisation, parmi lesquels la culture de la vigne ; de l'autre la Gaule barbare , o l'on ne produit que de la bire 27 et o l'on ne sait mme pas boire de manire convenable (au sens d'hellniquement correct ) le vin que l'on importe de Mditerrane.

    Cette vision laisse bien entendu pleinement apparatre le topos de la supriorit des civilisations classiques et de leur rle civilisateur, et l'on doit se demander quelle part de vrit se cache derrire ce discours ethno-

    25. Poseidonios d'Apame a sjourn en Gaule et notamment Marseille la charnire des IIe et Ier s. avant notre re. Il a inspir de nombreux auteurs postrieurs, parmi lesquels surtout Strabon (voir Lafranque, 1964, p. 79-85 ; Barruol, 1976, p. 14-15). 26. Selon la formule de Jacobsthal, Neuffer, 1933. 27. R. Dion (1959) avait dj fait remarquer l'absence de toute rfrence la viticulture dans les Commentaires de Csar, dont le thtre d'opration ne descendit pas plus bas que les Cvennes ; voir aussi Benoit, 1965, p. 203.

    centrique 28. De fait les recherches archologiques (au sens large du terme, incluant observations de fouille, tudes de mobiliers et analyses de restes) conduites depuis une cinquantaine d'annes, si elles ont permis de renouveler quelque peu la documentation, ne sont pas venues contredire au fond ce que l'on avait dduit des textes : d'une part, le dossier de la viticulture en Gaule continentale reste peu prs vide 29 ; d'autre part, il est de plus en plus certain qu'une viticulture s'est dveloppe dans le Midi au cours de l'ge du Fer.

    PEU DE CHOSES EN GAULE INTERNE

    Hors du littoral mditerranen et de la basse valle du Rhne, on n'a en effet signal aucune trace convaincante de mise en culture de la vigne avant la conqute romaine. Malgr l'explosion des recherches en milieu rural, favorises par les fouilles prventives sur les grands tracs, peu de nouveauts sont apparues sur ce point. Citons quelques trouvailles de ppins de raisin apparemment cultivs signals dans le domaine circum-mditerranen, mais dans des contextes tardifs et particuliers : Agen par exemple, il s'agit de trois fragments retrouvs dans le remplissage de trois amphores Dressel 1 immerges dans un puits, qui paraissent bien tre venus avec les amphores 30 ; Feurs, de quelques ppins dans une tombe du Ier s. Il ne semble pas encore y avoir l de quoi ouvrir nouveau le dbat sur l'existence d'une viticulture gauloise (Marinval, 1994, p. 50), sinon de manire provocatrice 31.

    28. Bien analys, en ce qui concerne la consommation de vin, par Dietler (1992), qui insiste sur le rle social de l'alcool dans la socit gauloise, et sur celui de la fte en tant qu'instrument politique, incomprise des grco-latins et transcrite par eux comme une beuverie. 29. Constat prsent dans Audouze, Buchenschutz, 1989, p. 197 ; les auteurs crivent : De rares ppins de raisin attestent l'existence de la vigne sauvage, mais le vin reste un produit d'importation de trs grand luxe . 30. Le vin antique n'tait pas soutir et les amphores commercialises contenaient frquemment des restes de mot (ppins et fragments de rafle) : pour les amphores italiques, voir par exemple Tchernia, 1986a, p. 13 et note 4 ; pour les amphores de Marseille, Bertucchi, 1992, p. 189. 31. Selon le terme employ par Kaenel, 1985, p. 156, qui reconnat d'ailleurs (p. 152) : En Suisse occidentale, en Valais et sur les bords du Lman, aucune preuve archologique ne peut tre apporte en faveur de la culture de la vigne la fin de La Tne dj .

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    La documentation du Midi (Provence et Languedoc mditerranen) est bien plus abondante, et de ce fait plus complexe, et mritera une attention particulire.

    LA VITICULTURE MASSALIETE

    S'il est en Gaule prromaine un producteur de vin reconnu, c'est bien Massalia32. Les Phocens qui dbarquent sur le Lacydon en 600 avant notre re connaissent bien entendu de longue date la culture de la vigne et la vinification 33. Mais le premier contingent, dont la composante aristocratique a t souligne, venu s'installer dans le lointain Occident pour faire du commerce dans le cadre de Y emporta archaque (Mle, 1986), ne s'adonne pas tout de suite la culture de la vigne, du moins pour en faire commerce 34. Les nouveaux arrivants achtent dans un premier temps le vin qu'ils boivent aux trusques de Vulci et de Caere 35, qui trafiquaient dj sur les rivages gaulois depuis quelques annes36. Ce n'est que plus tard, aprs la prise de Phoce (en 545) et la bataille d'Alalia (vers 540-535), qui provoqurent sans doute l'arrive de nouveaux groupes de colons (Gras, 1985, p. 403), et aprs quelques conqutes territoriales aux dpens des indignes locaux pour constituer une chra suffisante, que les Massalites dveloppent un vignoble non seulement pour leur propre consommation, mais galement pour la vente l'extrieur : en tmoigne directement la cration d'une amphore de

    32. Un dossier assez complet concernant le vin marseillais de l'Antiquit au Moyen ge a t runi par Bertucchi, 1992, p. 193-230. 33. Cf. Andr, 1954, p. 363 sqq. Sur la viticulture et le vin en Orient et dans le monde grec archaque, cf. Lutz, 1922 ; Dion, 1952 ; Milano, 1975 ; Rives, 1975 ; Marinval, 1997, p. 148-152. 34. Une production locale de consommation serait nanmoins atteste par l'abondance des ppins de raisin ds la premire moiti du VIe s. dans les fouilles de la place Jules-Verne Marseille (Marinval, 1997, p. 159). Sur ce point, voir supra, p. 24. 35. Voir les rsultats des fouilles rcentes dans les niveaux archaques de Marseille, o dominent trs largement les amphores trusques (Gants, 1992 ; Sourisseau, 1997). 36. Cf. Py, Py, 1974 et Py, 1985. Contra : Bats, 1998, mais avec des arguments bien peu convaincants. Si l'on suit la tradition de la fondation de Marseille, notamment le texte d'Aristote (apud Athne, XII, 576) , le roi Nannos accueillant les Phocens leur fait offrir par sa fille une coupe de vin mle d'eau , ce qui suppose que les indignes connaissent le vin avant 600. Or l'archologie dmontre que dans cette rgion le vin en question ne peut tre qu'trusque.

    transport spcifique (l'amphore massalite), qui connat partir du dernier quart du VIe s. une diffusion dans une vaste zone, et surtout (quantitativement) en Gaule du Sud (Py, 1978 ; Bats dir., 1990 ; Bertucchi, 1992).

    Ce vignoble sera progressivement tendu mesure du dveloppement du territoire de Marseille (Bats, 1986a) ; au dbut du Ier s. de notre re, Strabon peut crire :

    Le pays est plant d'oliviers et couvert de vignes, mais il est trs pauvre en bl cause de son sol rocailleux ; aussi les Massalites ont-ils d'abord compt sur la mer plus que sur la terre, et tir parti, de prfrence, des avantages naturels qui s'offrent la navigation ; mais plus tard, leur courage les rend assez forts pour ajouter leurs possessions quelques-unes des terres qui les entourent (Strabon, Gographie, IV, 1, 5, trad. Lasserre).

    Dans cet extrait, Strabon rend compte du dveloppement de l'agriculture marseillaise qu'il met clairement en liaison avec une extension de la chra, mais il en souligne galement les limites (des oliviers et surtout de la vigne 37, mais peu de bl) , ce qui permet probablement de reprer l'une des contreparties essentielles du commerce du vin marseillais : les crales. Les traces agraires de tranches de plantation et de provignage repres dans la banlieue de Marseille au quartier de Saint-Jean-du-Dsert, datables de la priode hellnistique, sont venues rcemment tmoigner directement de ce vignoble (Boissinot, 1994 et infra, p. 55-58). La viticulture marseillaise est donc bien atteste, et la productivit peut en tre value par l'tude des conteneurs dans lesquels ce vin tait distribu 38.

    Du point de vue technique, outre le provignage, on ne possde que des rfrences assez disparates : vignes grimpantes, assez hautes pour y sculpter une panthre 39, qualit reconnue du vin marseillais : un bon cru, pais et cors 40, le meilleur des Pyrnes aux Alpes 41, avec plusieurs varits : rouges plus

    37. Cf. le sens renforc que donne katampelon le prfixe kata : Bats, 1988a, p. 31 ; Bertucchi, 1992, p. 199. 38. On pourra notamment se rfrer aux estimations du volume d'exportation vinaire de Marseille proposes pour le IVe s. avant notre re partir des paves (Long, 1990) et aux chiffres de consommation d'une ville comme Lattes la mme poque (Py, 1999b). 39. Pline l'Ancien, Histoire naturelle, XFV, 9. 40. Athne, Les Deipnosophistes, I, 27c. 41. Pline l'Ancien, Histoire naturelle, XFV, 68.

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  • La viticulture en Gaule 33

    ou moins forts {ibidem), blanc lger 42, vin doux 43. Insistons cependant sur le fait que toutes ces mentions concernent l'poque romaine 44, et qu'il n'est pas vident qu'on puisse les transposer telles quelles l'poque grecque 45.

    Bien qu'assez document donc, le dossier de la viticulture marseillaise n'en laisse pas moins quelques zones d'ombre : on pense notamment la gestion de la production et de la diffusion du vin par la cit, dont pourrait tmoigner le systme de marquage des amphores ; la participation possible des colonies marseillaises cette viticulture coloniale, en liaison avec la cadastration de leurs territoires 46 ; ou bien encore au devenir de cette viticulture durant les annes 125-50 avant notre re, o Marseille ne fabrique apparemment plus d'amphores 47. . .

    LA VITICULTURE INDIGENE EN GAULE MRIDIONALE TRAVERS LES PPINS : VIDENCES ET QUESTIONNEMENTS

    C'est travers la prsence rpte de ppins de raisin dans les niveaux archologiques, et les caractres morphologiques de ces ppins (mensurations, rapport largeur/longueur, longueur du bec, rapport longueur du bec/longueur totale) renvoyant Vitis vinifera, qu'a t valorise ces dernires annes la mise en place d'une viticulture indigne sur le littoral de la Gaule mditer-

    42. Galien de Pergame, Thrapeutique Glaucon, II, 372. 43. Martial, pigrammes, XXIII, 42. 44. Sur la production marseillaise de vin l'poque romaine, dont tmoigne la fois des sries spcifiques d'amphores et des inscriptions peintes sur celles-ci, voir Bertucchi, 1992, passim. 45. De mme qu'il est illicite d'tendre l'poque prromaine les indications que fournit Pline pour l'poque impriale, sur le vin doux des Voconces {Histoire naturelle, XIV, 83), le vin cuit des Helviens (XIV, 43) ou le vin poiss des Allobroges (XIV, 26-27), comme le fait Barruol, 1979, p. 16. 46. Voir les tudes sur les cadastres d'Olbia (Benoit, 1985) et d'Agde (Benoit, 1978; Nickels, 1981; Clavel-Lvque, 1982, 1989-1990). Concernant la viticulture agathoise prromaine, les donnes runies par Garcia, 1995, p. 156 sont encore relativement faibles. L'absence de tout indice de production d'amphores agathoises limiterait d'ailleurs cette viticulture une production de consommation. 47. Ce problme reprsente encore une nigme que ne rsout vraisemblablement aucune des diverses propositions de Bats, 1986b, p. 406. L'imitation par Marseille d'amphores Dressel 1, voque comme

    ranenne (Buxo i Capdevila, 1996 ; Marinval, 1997, p. 144-145). Sans entrer dans l'analyse proprement carpologique du problme, traite ailleurs 48, il faut dire quelques mots de la signification archologique de telles trouvailles, prsente souvent de manire imprcise par les tudes de botanique.

    Les dcouvertes archologiques de ppins peuvent avoir lieu dans diffrents contextes, mais l'immense majorit d'entre elles concerne des niveaux d'habitat, o ces restent se trouvent soit en position primaire (c'est le cas des sols, des sdimentations de sols, des fosses, des foyers, des entourages de foyers, voire parfois des fours) , soit en position secondaire (par exemple dans les vidanges de foyers, les dpotoirs issus des nettoyages de sols ou de foyers, les comblements de silos de mme origine, les remblais divers o se mlent des rejets en provenance des maisons, etc.). Ces ppins sont le plus souvent conservs par carbonisation 49. Dans de tels contextes, la carbonisation des ppins de raisin rsulte du fonctionnement normal de l'habitat, et notamment des activits recourant la combustion (cuisson, chauffage).

    Un autre contexte de dcouverte est constitu par les niveaux d'incendie, plus complexes analyser et qui rclament sur le terrain des stratgies d'chantillonnage spcifiques. Ces niveaux sont en effet susceptibles de livrer, outre des documents assimilables au cas prcdent (restes vgtaux carboniss lors de la vie du lieu, avant incendie), des concentrations particulires constituant des lieux clos : remplissage d'un rcipient, tas de vgtaux remiss dans une aire limite, etc.

    seule alternative possible n'est atteste pour l'instant que par le seul exemplaire du Marduel dat des dernires annes du Ier s. avant notre re (Py, Lebeaupin et al., 1986, p. 60, fig. 55, n 1). Des imitations ponctuelles de Dressel IB contemporaines sont par ailleurs attestes en Languedoc et dans la valle du Rhne (Sabir et al, 1983 ; Laubenheimer et al., 1989) ; mais ces documents doivent se comprendre dans un contexte de romanisation, et non de production indigne. Sur le problme que pose l'usage de tonneaux par les Marseillais durant cette priode de transition, que l'on pourrait fonder sur une allusion de Csar des cupae remplies de poix et de branches de pin enflammes (B. G, II, 11, 2), voir discussion dans Tchernia, 1997, p. 122. 48. Voir notamment Erroux, 1974, 1980a, 1987 ; Bux i Capdevila, 1989, 1992, 1996 ; Marinval, 1988a, 1988b, 1988c, 1997 et la contribution de ce dernier auteur dans ce mme volume. 49. Ils peuvent aussi parfois tre conservs par minralisation, ou, en milieu humide, l'tat naturel.

    Gallia, 58, 2001, p. 1-260 CNRS EDITIONS, Paris, 2001

  • 34 Jean-Pierre Brun, Fanette Laubenheimer et al.

    Tabl. Ill - Principales dcouvertes de ppins de raisin en Gaule mridionale (chantillons de plus de 1 00 graines de plantes cultives).

    Site (Dpartement) Mailhac (Aude) Pierredon, guitles (Bouches-du-Rhne)

    Martigues (Bouches-du-Rhne)

    Coudounu, Lanon-Provence (Bouches-du-Rhne) Le Marduel, Saint-Bonnet-du-Gard (Gard)

    Gailhan (Gard)

    Lattes (Hrault)

    Zone ou couche r.22

    80-C03 80-C03 81-032 salle A1 salle A1 salle A1 salle A2 salle A2 salle A2

    ensemble

    121-19 1 22-26 11-26 11-24

    1011-23 S2C4 S3C5 S3C6 S3C7 1393 1459 1515 1770 3195 4310 4330 4645 5153 7241 7317 9130

    1 5006-1 501 3 17067

    Date (av. n. .) 75

    200-1 50 225-175 225-1 75 400-375 400-375 400-375 400-375 400-375 400-375

    400-375

    250-200 450-440 450-440 450-440 475-450 500-350 500-475 500-475 500-475 325-300 325-300 350-325 375-350 125-75 25-1

    225-200 300-250

    1 00-50 350-325 375-350 175-125

    50 225-200

    Type de contexte incendie, clolium vidange de foyer contenu d'un clolium contenu d'un clolium niveau d'incendie contenu d'un vase en torchis contenu d'une amphore niveau d'incendie contenu d'un vase en torchis contenu d'un vase en torchis

    clolium II-3 plus pandages

    remblai dans une ruelle niveau d'incendie niveau d'incendie niveau d'incendie remblai de terrasse remblai remblai d'habitat remblai ou sdimentation remblai ou sdimentation remblai contenu d'un four remblai niveau d'incendie sol d'habitation comblement de fosse remblai dans une cour vidange de foyers remblai base de dpotoir remblai dans une cour remblai dans une cour vidange de foyer remplissage de puits fosse-foyer

    Crales 468 161 21 210 430 146 631

    1 81 48

    4 235

    71 417 431 474 161

    10 500 , 110

    252 195 109 133 81 280

    6 3 6

    42 2

    172 240

    2 28 95

    Lgumineuses 28 40 157

    1 235 32

    2 5

    301 75

    3 891

    31 12 7 5

    46 1 3 1 1 1 3 14

    4 6

    8

    Vigne 1 2 6 6 13 7 1

    730 8 1

    955

    2 57 30 21 17 7 3 25 15 19 2

    50 157 241 533 396 80 177 81 57 154

    57 990 55

    % Vigne 0,2 % 1 ,0 % 3,3 % 0,4 % 2,7 % 4,6 % 0,2 % 99,2 % 2,1 % 0,8 %

    10,5 %

    1 ,9 % 11,7% 6,4 % 4,2 % 9,6 % 0,1 % 2,6 % 8,9 % 7,1 % 14,7 %

    1 ,5 % 37,3 % 34,8 % 97,6 % 99,4 % 98,5 % 65,6 % 98,9 % 31,5 % 18,8 % 98,7 % 99,9 % 34,8 %

    Gallia, 58, 2001, p. 1-260 CNRS DITIONS, Paris, 2001

  • La viticulture en Gaule 35

    L'examen du contexte des principales dcouvertes de ppins de raisin publies ces dernires annes 50, tant en Provence (Pierredon, Martigues, Coudounu) qu'en Languedoc (Mailhac, Le Marduel, Gailhan, Lattes) rvle des situations relativement diverses (tabl. III).

    Hormis le site de Lattes, sur lequel nous reviendrons en dtail ci-aprs, la quasi-totalit des prlvements fait apparatre une prsence trs minoritaire du raisin par rapport aux crales et/ou aux lgumineuses ; les proportions dpassant rarement 10 % du total des graines d'espces cultives, les deux tiers des cas tant compris entre 0,1 et 3,3 %. Cette observation est valable dans tous les types de contexte, qu'il s'agisse de sols ou de remblais d'habitat, de remplissages de vases ou de niveaux d'incendie.

    Si la multiplication de telles attestations tmoigne bien de l'existence d'une culture de la vigne dans la zone considre (principalement pour l'heure le triangle bas- rhodanien) partir des environs de 500 avant notre re 51, la faiblesse des proportions, et l'association assez systmatique des ppins des grains de crales ont conduit envisager plusieurs utilisations possibles du raisin cultiv : en tant que fruit frais ou fruit sec, ces derniers ventuellement mlangs aux grains pour des raisons dittiques, ou entrant dans diverses prparations (pain au raisin notamment) ; mais galement transformation des ppins eux-mmes en produits drivs, tels que farine ou huile. Tous ces usages sont thoriquement possibles - car attests par les sources et l'ethnographie (Maurizzio, 1932 ; Andr, 1981) -, mais peu d'entre eux bnficient de confirmations archologiques 52.

    Seuls, dans le groupe des prlvements non lattois, deux chantillons s'individualisent ; il s'agit dans les deux cas de restes brls lors d'un incendie. Le premier exemple provient de la maison A2 du premier village de l'le-de-Martigues, dtruite lors de l'incendie qui a ravag

    50. Cet examen a t limit aux chantillons de plus de 100 graines permettant une approche statistique fiable. Dans cette approche, il convient d'liminer des comptages les graines de mauvaises herbes, dont la signification est tout autre. 51. Et non pas ds la fin du VIIe s. avant J.-C. comme l'crit Marinval, 1997, p. 159, en nous attribuant fallacieusement cette opinion (cf. ibid., notes 198 et 199) ! 52. On peut seulement rappeler les galettes dont la surface est parseme de ppins de raisin (mais aussi de figues) dcouvertes dans un puits de Cavaillon, et dates du dbut du Ier s. de notre re (cf. Dumoulin, 1965, p. 77-78).

    l'agglomration vers le milieu du Ve s. La composition de l'chantillon est relativement pure (Chausserie-Lapre, 1990, p. 65), puisqu' ct d'un grain d'orge et de 5 lgumineuses, on a dcompt 730 ppins de raisin qu'accompagnaient galement 66 fragments de pdoncules de Vitis. Cette homognit rend probable l'hypothse d'un dversement sur le sol de l'habitation d'un des nombreux conteneurs briss lors de la destruction. Le second cas, provenant de la pice II-3 de la ferme indigne de Coudounu, confirme cette observation : ici, un grand nombre de ppins de raisin ( l'exclusion de tout autre type de graine) a t brl lors d'un incendie au dbut du IVe s. au fond d'un dolium (chantillon 31-1050) (Marinval, 1996-1997). La prsence de pdoncules et de fragments de rafle tmoigne de l'existence non seulement de fruits mais galement de grappes, ce qui a fait penser une rserve de raisins secs 53.

    Une autre hypothse a t dveloppe partir des dcouvertes de Lattes. Ds l'origine des recherches menes sur le site, on a remarqu la frquence des restes de vigne cultive. Les sondages du Groupe archologique Painlev (GAP) ont rvl en effet ds 1964 de trs nombreux ppins de raisin dans la couche 8-9 du sondage GAP-3, date du dbut du Ve s. avant notre re ; l'analyse qui en a t faite ne laisse aucun doute sur l'appartenance Vitis vinifera, et reconnat deux varits diffrentes (Erroux, 1974). L'anne suivante, un cne de ppins de raisins attribu au IIe s. avant notre re est signal dans le sondage GAP-4te (Richard, 1973, p. 92). D'autres dcouvertes interviendront encore : dans le sondage GAP-16 en 1971, un canal combl aux IIF-IFs. livre une multitude de ppins et des restes de sarments (Py, 1988, p. 82) ; en 1984, dans le secteur 21 du sondage GAP-26, le puits 84-1 combl au IIe s. avant notre re contient des amas de ppins carboniss (Py, 1988, p. 105).

    Ces premires indications ont t largement confirmes par les fouilles programmes entames sur le site partir de 1983 54, qui ont permis de dvelopper des prlvements systmatiques de macrorestes (Buxo

    53. Sur la conservation des raisins secs en grappe (d'aprs le Trait d'agriculture de Palladius), cf. Blanc, Nercessian, 1992, p. 191. 54. Sur ces fouilles en gnral, voir une premire synthse dans Py, Garcia, 1993, et les comptes rendus rguliers publis dans la srie Lattara (nos 1-1988 14-2001).

    Callia, 58, 2001, p. 1-260 CNRS EDITIONS, Paris, 2001

  • 36 Jean-Pierre Brun, Fanette Laubenheimer et al.

    i Capdevila, 1989). Or, parmi les chantillons prlevs, qui couvrent actuellement cinq sicles de la vie du site (de la fin du Ve s. avant notre re au Ier s. de notre re), un grand nombre livrent des ppins de raisin 55. Parmi les cas statistiquement significatifs (contenant plus de 100 graines d'espces cultives) (tabl. III), le seul qui recle une trs faible proportion de vigne correspond au remplissage d'un four pain ; les autres chantillons mixtes (crales plus raisin) livrent entre 14 et 65 % de ppins, tandis que six concentrations ne se composent presque que de ppins (97 99 % des graines). Remarquable est l'amas retrouv dans un puits du milieu du Ier s. avant notre re dans l'lot 15 de la ville (PT615, Us 15006, 15011 et 15013), qui ne livre pas moins de 57 990 ppins et une quarantaine de fruits entiers.

    Cette abondance et les conditions de dcouverte, si elles confirment ici nettement la pratique de la viticulture, ne sont gure compatibles avec les interprtations prcdemment retenues. En effet, la carbonisation d'un tel nombre de ppins, la plupart du temps en milieu domestique et sans qu'intervienne d'incendie 56, ne semble pas pouvoir s'expliquer par la simple consommation du fruit. Si des pratiques de grillage et de torrfaction peuvent pour partie rendre compte de la prsence rgulire de crales autour des foyers et dans leurs vidanges, le mme raisonnement ne saurait en effet s'appliquer la vigne. Seule dans ce cas, pensons-nous, l'utilisation courante de rsidus de marc sch pour allumer ou entretenir le feu peut expliquer la frquence des restes de ppins carboniss (mais aussi de rafle), et l'existence de grands amas du type de celui du puits PT615. Or qui dit marc dit pressage, jus, et bien entendu vin.

    C'est donc vers la prise en compte non seulement d'une viticulture mais galement d'une viniculture indigne prcoce et continue durant l'ge du Fer que nous conduit l'analyse des donnes carpologiques de Lattes.

    55. Parmi les 124 chantillons tudis dans Buxo i Capdevila, 1992, pas moins de 90 (soit 72 %) contiennent de la vigne. 56. Plusieurs niveaux d'incendies ponctuels, ayant affect des maisons de l'habitat protohistorique de Lattes, ont t cependant retrouvs dans les fouilles rcentes, notamment pour le IVe s. (Roux et al, 1996, p. 360 ; Buxo i Capdevila et al., 1996, p. 388-395 ; Lebeaupin, 1999, p. 139 sqq), et les sdiments ont aussi livr des restes de vigne, mais dans les mmes proportions que les autres niveaux contemporains. Ces documents sont actuellement l'tude.

    AUTRES INDICES POSSIBLES DE LA VITICULTURE INDIGNE L'GE DU FER

    Trouve-t-on, dans les donnes sur l'ge du Fer mridional, d'autres arguments susceptibles de renforcer l'ide de l'existence et du dveloppement d'une viticulture indigne avant l'poque romaine ? Les documents utilisables sont la vrit plus divers que nombreux, et de valeur ingale.

    Parmi les restes vgtaux, les pollens peuvent tre mis contribution, bien qu'il soit difficile de distinguer parmi eux Vitis vinifera de Vitis vinifera sylvestris. Dans la rgion de Lattes, les diagrammes polliniques raliss aux environs de Palavas (Planchais et al, 1977 ; Planchais, 1987) et de Marsillargues (Planchais, Duzer, 1978 ; Planchais, 1982) ne traduisent qu'une faible augmentation de la prsence de vigne dans la plaine littorale l'ge du Fer et l'poque romaine. Par contre, certains carottages effectus dans les environs immdiats de la ville de Lattara, notamment dans le secteur d'Embouchac, montrent une trs forte augmentation des populations de Vitis et de Cerealia au Subatlantique, dans des proportions qui confirment nettement le dveloppement de ces cultures au cours de la Protohistoire (Puertas, 1998, p. 35-42).

    Les bois de vigne carboniss ou gorgs d'eau (racines, ceps et sarments) apportent une indication supplmentaire. Des ceps de belle allure ont t recueillis dans le deuxime village de l'le-de-Martigues (IIe s. : Blanc, Nercessian, 1992, p. 42, fig. 38) et dans un puits d'Espeyran (Barruol, Py, 1978, p. 80-81 : poque augus- tenne). Les charbons de bois recueillis dans l'habitat de Lattes confirment la prsence de la vigne (Chabal, 1997a, p. 124) et montrent une prsence particulirement marque dans les foyers domestiques du IVe et du Ier s. avant notre re (Ambert, Chabal, 1992, p. 22, fig. 7). Enfin, un sondage dans les niveaux inonds du port de Lattes a fourni plusieurs fragments de ceps et de sarments conservs par l'eau dans un horizon du Ier s. avant notre re (Us 37015, cf. Chabal, 1997b, fig. 6).

    Les traces agraires interprtables comme des plantations de vignes taient jusqu' prsent situes principalement dans des environnements coloniaux. Nous avons rappel ci-dessus celles de Marseille (Saint-Jean-du- Dsert) ; on peut mettre en parallle, dans un contexte de romanisation, les petites parcelles de vigne suburbaines dcouvertes rcemment Nmes et datables de

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  • La viticulture en Gaule 37

    la fin du IIe et du dbut du Ier s. avant notre re, qui sont peut-tre lies aux premires installations de colons italiens dans la cit (Monteil, 1999a ; Monteil tal, 1999).

    Bien diffrents, et d'une autre ampleur, sont les vastes champs de vigne rvls en 1999 par une fouille d'urgence aux portes de Lattes, dans le quartier de Port- Ariane, moins de 500 m des murs de la ville protohistorique. Ici, des rseaux de plantation des IIP-Ier s. avant notre re se succdent et s'entrecroisent sur plusieurs milliers de mtres carrs, tmoignant pour la premire fois d'une vritable viticulture extensive d'ge prromain 57.

    Les outils que l'on peut raisonnablement relier cette culture ne sont gure spcifiques : des pioches en fer 58 sans doute pour le creusement des tranches et des trous de plantation, des houes lame rectangulaire59, extrmit appointe 60 ou deux dents 61 pour le dchaus- sage et le binage 62 ; des serpettes {apnr\ ou pnavov) munies sur le dos d'un ergot 63 ou d'une courte lame faisant hachette {faix vineatica) 64, pour tailler la vigne, couper les rejetons et les chicots de bois mort, dont la forme est bien atteste par l'iconographie romaine du Midi, mais se rencontre dj l'ge du Fer ; peut-tre encore des serpettes de petite taille lame recourbe

    57. Fouille d'urgence mene durant l't 1999 sous la direction d'Isabelle Daveau. Cf. Jung, 2000, notamment p. 367, fig. 10. 58. Le Ve s. avant notre re connat en Languedoc oriental des pics douille en fer et emmanchement coud (Tendille, 1982, fig. 5, nos 32-34 ; Py, 1990b, doc. 87, nos 1-2) , dont la date d'apparition concide avec celle de la vigne cultive. On en connat aussi une variante soie (Py, 1993, p. 219, fig. 41, en bas gauche). Plus tard, au deuxime ge du Fer, sont attests des pics trou d'emmanchement de forme plus moderne (Py, 1979, p. 87, n 21 et p. 89, nos4-10 ; Py, Garcia, 1993, p. 54, fig. 35, nos6-7). 59. Voir des exemplaires provenaux et languedociens, datables pour la plupart des phases rcentes de l'ge du Fer, dans Py, 1979, p. 89, n 13 ; Tendille, 1982, fig. 5, nos 5-36 ; Py, 1990b, doc. 87, nos 3 et 5 ; Boissinot, 1990, p. 97, n 47. 60. Py, 1979, p. 89, n 15 ; Boissinot, 1990, p. 97, n 45. 61. Py, 1979, p. 89, n 14 ; Boissinot, 1990, p. 97, n 46. 62. Sur l'usage de la houe dans l'agriculture traditionnelle, cf. Benoit, 1947, p. 23-29 ; Leroi-Gourhan, 1973, p. 120-124. 63. Py, 1979, p. 87, n 13 ; Tendille, 1982, fig. 6, n 40. 64. Py, 1979, p. 87, nos9, 14, 18 ; Tendille, 1982, fig. 6, nos 39 et 41 ; en gnral : Benoit, 1947, p. 62-63. Une minuscule serpette hachette dorsale en argent a t recueillie La Lagaste (Rancoule, 1980, p. 100, pi. 5, n 4 et p. 119, fig. 57, n 4) : il s'agit vraisemblablement d'un objet votif.

    {falcula) pour vendanger 65. Cependant, il est douteux que ces instruments aient t cette poque strictement rservs au travail de la vigne, et il serait imprudent de dduire de leur rpartition 66 une carte de la viticulture.

    La fabrication du vin n'a pas non plus laiss en Gaule du Sud d'installations aussi claires que celles que l'on a signales rcemment dans le sud-est de l'Espagne pour l'poque ibrique ancienne 6

  • 38 Jean-Pierre Brun, Fanette Laubenheimer et al.

    d'olive, dont le dveloppement l'ge du Fer, parallle celui de la viticulture, a certainement t en partie sous- estim71.

    Par contre, il ne fait gure de doute que le pithos ou dolium, grosse jarre dont la fonction principale fut de stocker le grain 72, a effectivement pu servir de cuve de fermentation et de stockage en vrac pour le vin. Outre une tradition littraire bien documente dans le monde classique 73, plusieurs indices archologiques - en attendant d'ventuelles analyses tracologiques - en portent tmoignage, notamment des timbres et des inscriptions.

    Ce type de vaisseau, apparemment ignor dans le monde celtique continental jusqu' la conqute, mais aussi en Gaule mridionale avant le milieu du VIe s., a probablement t emprunt par les indignes aux Phocens de Marseille, qui en possdent ds le dbut du VIe s. 74. Bien que de nombreuses dcouvertes de dolia contenant du grain indiquent pour utilisation principale la conservation des crales, on ne peut s'empcher de remarquer que le premier dveloppement de l'usage de cet ustensile sur les sites littoraux, qui date des environs de 500, est contemporain de l'apparition des ppins de raisin cultivs.

    Les timbres doliaires et les inscriptions graves sur des dolia des IIIe-IIes. avant notre re retrouvs en Languedoc

    71. Cf. Leveau et al., 1991, notamment p. 87 et 91. Signalons la dcouverte rcente Lattes d'un pressoir intact des environs de 400 avant notre re, en position de fonctionnement dans une cour domestique de l'lot 27 (Lebeaupin, 1999, p. 134, fig. 5). Dans un niveau contemporain du mme lot a t retrouv un vase spcialis dans la conservation et le service de l'huile (grand lcythe globulaire en pte claire massalite) qui renforce l'ide d'une consommation locale d'huile d'olive (Py, 1999a, p. 175) : cet indice peut laisser penser que la rpulsion des Celtes pour cette denre dont parle Poseidonios (apud Athne, 151) ne concernait pas tous les Gaulois. 72. Sur les dolia mridionaux, voir Tardieu, 1976 ; Py, 1990b, p. 406-407 et 428 ; Garcia, 1987 et 1992a. 73. La liaison intellectuelle entre pithos et vin est telle que Strabon parle, pour dsigner les foudres ou les tonneaux, de pithoi en bois (Gographie, V, 1, 8 ; V, 1, 12). Pour la conservation du vin dans les dolia, voir par exemple l'expression vinum bebere e dolio de Pline l'Ancien, H. N., XFV, 89. 74. Cf. Garcia, 1997, p. 90-91. Cette origine phocenne du modle, qu'il serait intressant de valider par une tude typologique (mais il faudrait pour cela que les fouilleurs de Marseille commencent un jour publier leurs donnes), n'est pas forcment exclusive, comme le montre la prsence d'un fragment de pithos attique dans un niveau du IVe s. de Lattes (Py, 1996a, p. 97, fig. 20, n 20).

    occidental et en Roussillon (Ensrune, Montlaurs, Pech-Maho, Ruscino) ont t depuis longtemps voqus dans le sens d'une utilisation vinicole des jarres qui les portent. ct de nombreux timbres reprsentant des grappes 75, on relvera un timbre plus original d'Ensrune figurant un personnage tenant une grappe et surmontant l'inscription ibrique botiror (Jannoray, 1955, p. 263 et pi. 14, n 1). Le mme site a donn une inscription semblable grave sur le col d'un dolium, que J. Jannoray n'a pas manqu de rapprocher du cas prcdent. Un autre timbre doliaire d'Ensrune, comprenant deux petites grappes de raisin, comporte droite l'inscription en relief boture (Tardieu, 1976, p. 39) . Enfin un graffite ibrique sur dolium provenant de Pech-Maho, qui se lit burur, peut tre galement cit. Ces vocables voquent incontestablement une boisson, que la connexion avec les grappes invite identifier avec le vin (Jannoray, 1955, p. 437). L'association des grappes de raisin et des pis de crale sur certains timbres pourrait indiquer pour sa part que les dolia avaient, en Gaule du Sud comme ailleurs en Mditerrane, pour fonctions principales de conserver soit du grain, soit du vin (ibid., p. 262).

    Une autre inscription trace cru et deux fois rpte sur un dolium de Saint-Biaise, dont la chronologie est discute, est en lettres grecques et se lit MFPEEIKOX. Ce terme a t rapproch du grec juvperaiK qui signifie (vin) parfum et mis en relation avec le stockage de vin dans le rcipient 76.

    ESSAI D'INTERPRTATION ECONOMIQUE ET SOCIALE DE L'ACTIVIT VITICOLE

    Une fois inventoris les divers indices relatifs la viticulture prromaine, il reste s'interroger sur la place qu'occupait cette activit dans l'conomie. Malgr l'indi-

    75. Cf. Hlna, 1937, p. 302-303 et fig. 188-189 ; Jannoray, 1955, pi. 71, nos4-7. Les chapiteaux ioniques prsents sur plusieurs de ces timbres pourraient voquer des vrilles de vigne. 76. Le fragment de dolium provient d'un niveau hellnistique d'une maison proche de la porte mridionale du rempart, datation retenue par Arcelin, 1990, p. 203. H. Rolland (1951, p. 145-147) et G. Bertucchi (1992, p. 195-196) penchent pour une datation archaque en se fondant sur la forme des lettres. Notons que le digamma, employ ici pour transcrire le U, est encore utilis au FVe s. parmi les estampilles des amphores de Marseille (Bertucchi, 1992, p. 156).

    Gallia, 58, 2001, p. 1-260 CNRS EDITIONS, Paris, 2001

  • La viticulture en Gaule 39

    gence relative de nos informations actuelles (mais les donnes se multiplient rapidement), il parat vident que cette importance peut tre considre comme diffrente selon les lieux.

    Au cours de l'ge du Fer, le cas de Marseille s'individualise nettement par rapport aux autres zones par le fait que la production vinicole y apparat comme une activit visant plus au commerce qu' la consommation. Quel que soit le nombre considrable d'amphores micaces qu'ait livr ou que recle le sol de la cit, la quantit de celles susceptibles d'tre trouves l'extrieur est bien plus grande encore 77. Tout laisse penser que la viticulture tait pour Massalia, et plus spcialement pour sa classe dirigeante 78, une source de revenus considrables 79, probablement la source principale 80.

    Aucune donne, ni textuelle ni archologique, n'illustre avant l'poque romaine un tel processus hors de Marseille : nulle agglomration indigne de Gaule mridionale ne semble, dans l'tat actuel des donnes, avoir fabriqu d'amphores qui auraient permis une commercialisation de sa production viticole. Le seul cas signal d'imitations locales d'amphores massalites, qui est celui du Pgue 81, se situe prcisment sur un site qui n'a jamais livr de traces de culture de la vigne 82.

    77. On peut remarquer ce propos que le niveau de consommation marseillais traduit par les proportions d'amphores dans les mobiliers archologiques, si tant est qu'on puisse l'estimer partir des chiffres de Gants (1992), ne dpasse gure celui d' Olbia et parat infrieur celui de Lattes (Py, 1992, p. 327,' fig. 11). 78. Sur la liaison entre l'accs aux dcisions politiques et l'accs aux ressources du territoire dans la constitution marseillaise, cf. Bats, 1986a, p. 24. 79. Sur le prix du vin, voir les remarques de Gras (1985, p. 373). C. Vandermersch (1994, p. 110) calcule, pour Hrakleia au IVe s., une rentabilit moyenne de 750 1250 drachmes l'hectare, soit nettement plus que les crales. 80. La tradition de la richesse que procurait Marseille la vente de son vin est reste vivace jusqu'au Ve s. de notre re si l'on en croit Paulin de Pella : vineta, quitus solis urbis utitur ipsa omne ad praesidium vitae aliunde parandum (les vignobles, qui sont les seules richesses dont use cette cit pour se procurer au dehors ce qui est ncessaire la vie) (Eucharisticos, v. 526-527). 81. Cf. Lagrand, Thalmann, 1973, pi. XXX, nos 2-4 ; Bertucchi, 1992, p. 126-127. 82. Une des amphores locales du Pgue tait utilise comme conteneur de crales, ce qui semble bien avoir t sa fonction primaire (Bertucchi, 1992, p. 185-186). Sur la rutilisation des amphores de Marseille dans le mme but, voir Chausserie-Lapre et al., 1988, p. 77-78.

    Rappelons par ailleurs que les hypothses de fabrication d'amphores micaces hors de Marseille, qui auraient pu tmoigner d'une certaine dcentralisation de la production massalite, sont aujourd'hui abandonnes par la plupart des chercheurs 83. Quant l'ide de la diffusion de vin dans d'autres conteneurs, tels outres ou tonneaux que l'on ne reprerait pas parce qu'ils sont prissables, elle n'a reu jusqu' prsent aucune confirmation84.

    Dans la majorit des sites indignes o une activit viticole est atteste par les ppins, la production parat minime. Dans la plupart des chantillons en effet ( Mailhac, Gailhan, au Marduel, Pierredon, mais aussi aux Baux-de-Provence, au Baou-Roux, Entremont, Mouris, Mauressip, Nages, La Lagaste, etc.), le fait que quelques ppins de raisin soient mls des quantits bien suprieures de grains de crales a mme port douter de l'existence mme d'une production de vin.

    Les concentrations de ppins voquant des rsidus de mot observes Martigues et Coudounu ne concernent, dans les deux cas, qu'un vase isol de petite capacit parmi des dizaines de conteneurs de crales ou de lgumineuses : quand bien mme on aurait l les traces de fabrication de vin, ce qui semble tout fait possible, il ne peut s'agir que de quantits limites correspondant une production ponctuelle, insuffisante en tout cas pour concurrencer les importations de vin marseillais, qui, au demeurant, et malgr la proximit de Marseille, apparaissent elles-mmes comme assez faibles sur les deux sites en question. Il est difficile, dans ces exemples, de donner la viticulture locale un vritable rle dans l'conomie des populations correspondantes. Rappelons par ailleurs que la viticulture n'est pas atteste trs loin dans l'intrieur du pays : l'absence de ppins

    83. L'ide d'une dcentralisation de la production de Marseille est ne des analyses conduites par J.-C. challier sur les inclusions contenues dans la pte des amphores (voir notamment challier, 1982, 1983). Les conclusions de cet auteur ont cependant t contestes tant par les archologues que par les analystes : on consultera ce propos les deux dossiers consacrs ce problme dans Documents d'Archologie mridionale, 8, 1985 et Archologie du Midi mditerranen, 12, 1986. 84. Qu'il s'agisse du transvasement du vin import pour la redistribution en pays indigne (cf. par exemple Garcia, 1990, p. 116), ou de l'coulement d'une production excdentaire ou spculative. Sur cette question, la pseudo- embouchure d'outre en cramique grise monochrome prsente (avec un point d'interrogation) par Arcelin-Pradelle, 1984, fig. 52, n 436 (en fait probablement un support de vase) parat un bien faible indice.

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    dans les restes analyss au Pgue par exemple peut tre en ce sens tenue pour significative (Lagrand, Thalmann, 1973, p. 30-31 ; Marinval, 1988a).

    On ignore ce qu'il en est du Languedoc occidental, qui connat l'ge du Fer un dveloppement considrable de l'agriculture cralire, fondement d'un enrichissement certain des communauts protohistoriques littorales (Garcia, 1987; Py, 1993, p. 220-221) : ici, l'anciennet des fouilles et l'absence de prlvements et d'analyses empchent pour l'heure d'valuer correctement la place de la viticulture indigne dont on pressent l'existence, comme on l'a vu, travers des tmoignages indirects. Les recherches actuellement reprises, comme Montlaurs 85, pourraient amener prochainement des nouveauts dans ce domaine.

    Reste le cas de Lattes, seul site o l'on dispose actuellement d'un faisceau d'informations suffisant pour dpasser les simples suppositions 86. Les travaux pluridisciplinaires mens sur ce gisement ont en effet permis de disposer d'une priodisation des donnes carpo- logiques qui, compare d'autres types d'informations, apporte un clairage nouveau sur la place de la viticulture dans l'conomie indigne.

    La courbe diachronique des pourcentages de ppins de raisin parmi les restes de plantes cultives montre en effet plusieurs paliers (fig. 4, A) : Au rVc s. et au dbut du IIP s., les valeurs moyennes sont relativement faibles (entre 18 et 30 %), quoique bien suprieures celles observes sur les autres sites de Gaule mridionale. Ces chiffres indiquent certainement l'existence d'une viticulture rgulire, qui semble en place ds le dbut du Ve s., si l'on en croit les dcouvertes antrieures (Erroux, 1974), mais qui reste encore peu dveloppe87.

    85. Cf. Chazelles, 1997, 1999. Il semble nanmoins que les attestations de raisin soient, comme en Provence, trs rares dans l'intrieur des terres : quelques units seulement Mailhac (Marinval, 1988a) ou La Lagaste (Erroux, 1980b) par exemple, et encore date tardive (Ier s. avant notre re). 86. Sur la viticulture lattoise, on consultera Py, 1990a, p. 83-84 ; Py, Garcia, 1993, p. 52-53 ; Bux i Capdevila, 1989, 1992, 1997, p. 291-299. Synthse des donnes (notamment carpologiques) dans Buxo i Capdevila, 1996. 87. Les chiffres relevs pour cette priode (de 13 27 % de ppins dans les chantillons de graines) ne sont cependant pas ngligeables. titre de comparaison, rappelons que pour le site lucanien de Roccagloriosa, C. Vandermersch (1994, p. 37) considre que les 30 % de Vitis retrouvs parmi 800 restes vgtaux du IVe s. attestent la pratique d'une arboriculture intensive .

    Au milieu du IIP s. (entre 275 et 225 environ), on assiste une premire croissance des taux de ppins, qui s'tablissent entre 40 et 45 % des graines de plantes cultives. la fin du IIP s. a lieu une nouvelle et forte croissance suivie d'une domination durable, les pourcentages de ppins recueillis dans l'habitat s'tablissant entre 75 et 85 % de 225 125 avant notre re, et entre 92 et 99 % la fin du IIe et au Ier s. avant notre re. De tels chiffres nous avaient conduits supposer une expansion de la viticulture lattoise partir de la fin du IIP s. (loc. cit. supra). Or cette dduction vient de recevoir une confirmation clatante par la dcouverte de traces de plantations extensives de vigne aux portes mme de la cit, datables prcisment de cette priode.

    Deux comparaisons permettent d'asseoir une interprtation de ces chiffres dpassant le simple constat.

    D'une part, si l'on surimpose la courbe des ppins celle des proportions d'amphores dans le mobilier (fig. 4, B) 88, on constate que la premire est l'inverse de la seconde : la priode de frquence minimale des ppins correspond la priode de diffusion maximale des amphores, tandis que la croissance des proportions de ppins est synchrone avec un tassement progressif mais trs net des taux d'amphores (massalites et italiques cumules). Si l'on traduit la frquence des ppins en terme de production vinicole et la frquence des amphores en terme de volume d'achat de vin, on peut en conclure que le dveloppement d'une viticulture extensive par les Lattarenses est li une relative rarfaction du vin sur le march.

    D'autre part, si l'on compare les proportions de ppins de raisin celles de fragments de dolia retrouvs dans l'habitat (fig. 4, D), on constate que jusque vers 125 avant notre re, les courbes sont trs semblables (taux stables jusque vers 225, puis forte croissance), tandis qu'ensuite elles se sparent, les ppins restant trs frquents au Ier s. avant notre re alors que les dolia retrouvent les pourcentages des IVe-IIP s. Interprter le surplus de dolia constat entre 225 et 125 comme un trait li au dveloppement de la viticulture ne pose pas de problme majeur, vu le rle que l'on a reconnu ces vaisseaux dans l'laboration et dans la conservation du

    88. Cette courbe, comme celle des dolia {infra) est obtenue par le comptage de la totalit des fragments de cramique recueillis en fouille, seule approche quantitative rellement objective.

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    -375 -350 -325 -300 -275 -250 -225 -200 -175 -150 -125 -100 -75 -50 -25 -1

    Fig. 4 - Evolution compare des proportions de ppins de raisin parmi les graines de plantes cultives et des proportions d 'amphores et de dolia dans le mobilier archologique sur le site de Lattes (Hrault).

    -375 -350 -325 -300 -275 -250 -225 -200 -175 -150 -125 -100 -75 -50 -25

    A : ppins B : amphores C : massai ites D : dolia

    vin. Cependant, retenir cette hypothse entrane supposer, pour la fin du IIe et le Ier s. avant notre re o les courbes divergent, une dlocalisation de l'laboration et du stockage du vin, que l'on envisage la spcialisation de quartiers priphriques 89 ou la cration de fermes sur le territoire agricole 90.

    89. De la mme faon qu'apparaissent cette poque la priphrie de la ville des quartiers o l'artisanat semble se concentrer (par exemple dans le secteur du sondage 26 du GAP) . 90. Sur le dynamisme de l'occupation rurale entre la conqute et Csar dans la cit de Nmes, voir le tableau bross partir des prospections de surface par Durand-Dasts et al., 1998, p. 88-98. L'importance du phnomne sur le territoire de Lattes est certainement masque par le

    Les donnes issues des fouilles de Lattes permettent de pousser plus loin le raisonnement et d'avancer, avec toute la prudence requise, sur le terrain social. En effet, le rle des dolia dans la gestion des rserves de vin destines la consommation locale peut tre valoris aussi, sur ce site, par la dcouverte de salles spcialises, que l'on a interprtes peut-tre un peu vite comme des greniers91, mais qui pourraient bien correspondre plutt

    fort alluvionnement de la plaine littorale, comme le fait remarquer C. Raynaud dans le Bilan scientifique de la rgion Languedoc-Roussillon 1998, p. 174. 91. Cf. Py, Lpez, 1990, p. 241-242 ; Garcia, 1992b, p. 180.

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    des celliers (oivcove) 92. Il n'est sans doute pas fortuit que de telles structures, qu'elles soient indpendantes et places l'extrmit d'un lot (comme la salle 1 de l'lot 4-nord vers 150-125) ou bien intgres dans des demeures que leur taille ou leur plan mettent en marge des habitations ordinaires (maison 116 vers 225-200 et surtout maison 901 vers 175-125 et maison 1605 vers 200-150) 93, se situent toutes dans la phase de dveloppement de la viticulture locale. La prsence systmatique de tels celliers dans les maisons cour interprtes comme l'habitat d'une lite 94 pourrait, si l'on retenait une telle interprtation, permettre de relier le dveloppement de la viticulture une accentuation de la diffrenciation sociale sur des bases conomiques.

    Il faut pour finir envisager la porte historique d'une telle documentation. La chronologie de l'apparition de la viticulture dans le triangle bas-rhodanien ne laisse gure de doute quant au rle de la colonisation mditerranenne dans cette innovation. Que les Grecs, et notamment les Marseillais, s'en soient attribus le mrite n'tonnera gure. Pourtant le cas de Lattes, o les traces de viticulture sont la fois parmi les plus anciennes et les plus importantes en dehors de Marseille, invite envisager la possibilit d'autres apports ; on a en effet montr sur ce site la forte probabilit de la prsence d'trusques au moment de la fondation de la cit (Py, 1995), et rien n'empche de penser que ceux-ci ont pu galement contribuer la transmission d'une technique qu'ils matrisaient parfaitement95.

    Le dveloppement du commerce de Marseille entre la fin du VIe et le IVe s., illustr par la diffusion de ses amphores, a semble-t-il dans un premier temps limit l'extension de la viticulture locale. La logique des relations mises en place par Marseille cette poque avec

    92. Certaines de ces pices de stockage prsentent une organisation compatible avec les modles de celliers connus dans le monde classique, notamment le fait que les jarres y soient un peu enterres (se souvenir que Pline l'Ancien, H. N., XIV, 132, indique que les jarres vin doivent tre plus ou moins enterres selon le climat local) et qu'elles soient disposes de manire trs serre, paroi contre paroi (voir notamment le cas de la salle 1 de l'lot 4-nord), ce qui suppose une circulation par-dessus pour puiser. 93. Maison 116 (Py, 1996b, p. 162-163) ; maison 901 (ibid., p. 204-207) ; maison 1605 (ibid., p. 213-215). 94. Cf. Py, 1996b, p. 252 ; Garcia, 1996. 95. Sur le vin trusque, cf. Bouloumi, 1981, 1983b; Torelli, 1981, p. 66 sqq.

    les populations gauloises mridionales est fonde sur l'change de produits complmentaires, vin contre crales, avec toutes les consquences que l'on sait sur l'volution structurelle du monde indigne (Arcelin et al, 1982 ; Py, 1990b, 1993). Dans cette conjoncture, on peut envisager l'existence d'une viticulture indigne plus ou moins limite, dont tmoigneraient les restes observs Lattes, Martigues et Coudounu (concentrations de ppins, rafle, ceps...), mais aussi peut-tre au Marduel, Gailhan, Pierredon... (ppins assez nombreux). Cette production marginale en effet n'tait gure mme de concurrencer le vin grec, ni quantitativement ni sans doute qualitativement 96.

    La situation semble diffrente, du moins Lattes, aux IIIe-Iers., o se met en place de manire prcoce une viticulture extensive (illustre la fois par les informations recueillies dans l'habitat et sur son territoire) dont on ne connat pour l'heure l'quivalent qu' la priode romaine. La conjonction de ce processus et du retrait des amphores massalites (fig. 4, C) pose la question du sens d'une relation qui parat vidente : il n'est pas facile de savoir en effet, dans l'tat actuel des connaissances, si c'est la baisse de l'offre marseillaise (compense seulement en partie par les apports italiens) qui ouvre des possibilits nouvelles la viticulture locale ou ncessite son extension, ou bien si c'est cette extension qui provoque une baisse des achats extrieurs. L'isolement du cas de Lattes (si tant est qu'il ne s'agisse pas d'une situation provisoire) porterait plutt favoriser la premire hypothse, tandis que l'aspect graduel de la baisse des importations d'amphores entre la fin du IIP et la fin du IIe s. pourrait conforter la seconde. Il faudrait se demander aussi quel fut le rle des Marseillais eux-mmes dans cette volution, en tenant compte de leur prsence possible, cette poque, dans la cit de Lattara97.

    96. propos de la qualit mdiocre du vin de production locale par rapport aux vins grecs et italiens, citons Strabon parlant des Ligures : Ils acheminent sur le march de Gnes du bois, des peaux et du miel, qu'ils changent contre de l'huile et du vin d'Italie, car le vin qu'ils produisent est peu abondant, rsineux et pre au got. (Strabon, Gographie, IV, 6, 2). 97. La prsence demeure d'un petit contingent de courtiers grecs, et plus prcisment massalites, dans l'habitat de Lattes aux FVc-Iers. avant notre re a t plusieurs fois voque propos de l'tude de l'habitat, des cramiques (notamment de la vaisselle de cuisine grecque, couramment utilise sur le site alors qu'elle fait compltement dfaut dans les gisements indignes de la rgion, cf. Bats, 1992, p. 287) et des

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    La mme question se posera d'ailleurs encore dans cette rgion l'poque de la romanisation (entre 125 et notre re), o se mettent en place progressivement d'autres structures de production, lies l'arrive de colons italiens et l'implantation de vastes cadastrations. La relative indpendance de Marseille jusqu' sa chute en 49 a pu permettre la cit de maintenir dans les limites de son imperium98 un rle de contrle et

    tive". Le triangle bas-rhodanien aurait ainsi chapp aux limitations imposes par Rome au dveloppement d'une viticulture indigne 10, qui n'ont apparemment, si l'on se rfre aux donnes de Lattes, aucun impact sur la situation locale.

    graffites (abcdaires, mots grecs, anthroponymes possiblement grecs, c/Bats, 1988b). 98. Selon l'expression de Cicron, De Officiis, II, 8, 28.

    99. Voir sur ce point, en dernier lieu, Durand-Dasts et al, 1998, p. 90-93. 100. Cicron, De Republica, III, 9, 15-16. Sur la porte de ces mesures, discussion notamment dans Aymard, 1948, 1967 ; Clavel, 1970, p. 310-312 ; Van Rinsveld, 1981.

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    InformationsAutres contributions des auteursMichel PyRamon Buxo i Capdevila

    Cet article est cit par :Laubenheimer Fanette. Des amphores et des hommes. In: Dialogues d'histoire ancienne. Vol. 28 N1, 2002. pp. 155-173.Patrice Arcelin. Les prmices du phnomne urbain l'ge du Fer en Gaule mridionale : les agglomrations de la basse valle du Rhne, Gallia, 2004, vol. 61, n 1, pp. 223-269.Brato Jacques. L'tablissement rural de Saint-Martin Taradeau (Var), Ier s. av. J.-C. - VIIe s. ap. J.-C.. In: Revue archologique de Narbonnaise, Tome 37, 2004. pp. 35-108.Boissinot Philippe, Puig Carole. Archologie du champ et viticulture mridionale. Pourquoi les traces de vignobles sont-elles si peu frquentes au Moyen Age ?. In: Archologie du Midi mdival. Tome 23, 2005. pp. 17-26.

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    PlanLa tradition historiquePeu de choses en Gaule interneLa viticulture massaliteLa viticulture indigne en Gaule mridionale travers les ppins : vidences et questionnementsAutres indices possibles de la viticulture indigne l'ge du FerEssai d'interprtation conomique et sociale de l'activit viticole

    IllustrationsTabl. III - Principales dcouvertes de ppins de raisin en Gaule mridionaleFig. 4 - Evolution compare des proportions de ppins de raisin parmi les graines de plantes cultives et des proportions d'amphores et de dolia dans le mobilier archologique sur le site de Lattes (Hrault)