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     Directeur de la publication : Edwy Plenel

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    Les paradoxes du débat sur le BrexitPAR THOMAS CANTALOUBEARTICLE PUBLIÉ LE MARDI 7 JUIN 2016

    Le 20 mai à Londres. © Reuters

    On dit les Britanniques indifférents à l'Europe,et pourtant le débat autour du référendum fait

    rage au Royaume-Uni. Entre paranoïa populiste,

    désinformation et tactique de la peur, l'Union

    européenne est-elle le vrai sujet ou s'agit-il avant

    tout d'un débat domestique sur l’impuissance des

    gouvernants ?

    Londres (Grande-Bretagne), envoyé spécial.-

      Selon nombre d’observateurs du référendum

    sur la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union

    européenne, le Brexit, « le problème actuel n’est  pas l’euroscepticisme des Britanniques, mais leur 

    indifférence au projet européen », comme l'exprime

    Paul Copeland, directeur du centre de recherches

    européennes à l’université Queen Mary de Londres.

    « Les Anglais aiment bien l’Europe, ils y vont en

    vacances, mais elle leur apparaît toujours comme un

    endroit étranger », renchérit l’activiste Nick Dearden,

    défenseur d’un « oui de gauche »  au maintien de

    son pays dans l’UE. « Ils n’ont pas de sentiment 

    d’appartenance au continent, ils ne se sentent pas

    concernés car ils ne connaissent pas les bénéfices que

    la Grande-Bretagne retire de l’Union européenne. »

    « L’Union européenne est perçue comme un truc

     franco-allemand qui ne concerne que marginalement 

    les Britanniques », complète Renaud Thillaye, du

    think tank  Policy Network.

    Indifférence ? Au vu du débat qui fait rage autour

    du Brexit depuis plusieurs semaines, on a du mal

    à le croire. Et pourtant, c’est l’un des multiples

    paradoxes qui entourent ce référendum. Il y a d’un

    côté une élite londonienne extrêmement mobilisée,

    de l’autre une population qui place régulièrement la

    question européenne en bas de la liste de ses priorités

    dans les enquêtes d’opinion. Il y a d’un côté unepresse tabloïd taillant des croupières aux eurocrates

    bruxellois à coups d’approximations mensongères et,

    de l’autre, de longues études austères sur l’impact

    économique du Brexit. Il y a d’un côté un camp

    conservateur qui s’écharpe sur la réponse à donner

    au référendum, partagé entre les néolibéraux autour

    de David Cameron et les ultra-néolibéraux autour de

    Boris Johnson et Nigel Farage ; de l’autre une gauche

    divisée mais plus sereine, qui se demande si une

    Europe progressiste est possible aujourd’hui.Il y a surtout le paradoxe des promoteurs de la

    sortie de l’Union européenne, qui expliquent qu’ils

    étaient d’accord en 1975 pour rejoindre un partenariat

    économique et non pas une union politique, au

    moment même où l’UE est considérée de plus en plus

    comme une zone de libre-échange qui a abandonné

    ses ambitions sociales, humanitaires et culturelles.

    « Ce référendum est un accident », se lamente

    Paul Copeland.  « Il a été décidé pour des raisons

     politiciennes, et nous risquons donc de sortir de l’UE sur un accident ! Alors que les politiques bruxelloises

    sont une copie carbone des politiques néolibérales

    britanniques ! »

    Les europhiles ont en effet de quoi s’arracher les

    cheveux… D’autant plus que David Cameron et

    l’équipe qu’il a déléguée afin de faire campagne en

    faveur du « Remain »  (en français : rester, c’est-à-

    dire le camp favorable au maintien de la Grande-

    Bretagne dans l’UE) peinent à développer un message

    positif. « Toute leur communication consiste à parler des risques d’une sortie de l’UE, jamais des aspects

     positifs. Ce n’est pas très enthousiasmant mais, au

    bout du compte, c’est ce qui risque de marcher le

    mieux », soupire Tim Bale, professeur de sciences

    politiques à l’University of London. « Si nous restons,

    ce sera le résultat d’un calcul froid et non d’un

    sentiment européen. »

    http://www.mediapart.fr/node/627514http://www.mediapart.fr/

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     Directeur de la publication : Edwy Plenel

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    « Libres de tuer », les raccourcis de la presse tabloïd 

    britannique sur l'immigration au sein de l'UE © TC 

    Les enjeux économiques  sont les seuls à être mis

    en avant. Au-delà de la question des emplois, les

    promoteurs du « Remain »  semblent chaque jour

    brandir une nouvelle statistique inquiétante : unmatin, c’est la perspective d’une baisse de la valeur

    immobilière des maisons en cas de sortie de l’UE, le

    lendemain c’est la crainte de voir les vacances sur le

    continent augmenter de 300 euros en moyenne et les

    charges téléphoniques exploser !

    Cela a conduit les tenants du  Brexit   à ressusciter

    un vieux slogan qui avait déjà servi contre le

    gouvernement lors du référendum écossais de 2014 :

    « Project fear », le « Projet terreur », ou comment

    les défenseurs d’une Grande-Bretagne membre del’UE cherchent à instrumentaliser les peurs de leurs

    concitoyens. Il est évident que c’est effectivement

    le message souterrain qu’essaie de communiquer la

    campagne pour le « Remain ». « Nous préférons

    nous détacher de la question émotionnelle de

    l’appartenance à l’UE pour nous focaliser sur une

    question coût/bénéfice », explique un porte-parole de

    la campagne officielle qui, tout en niant l’idée du

    « Project fear », admet la décision de se concentrer sur

    les « risques » pour la population britannique d’unesortie de l’Union.

    Ce référendum dit aussi quelque chose de lasociété britannique

    Les anti-européens ont donc beau jeu de se draper dans

    une forme d’indignation qui ferait d’eux les tenants

    d’une ligne raisonnée et raisonnable. Sauf qu’ils sont

    eux aussi, et depuis des années, de joyeux pyromanes.

    Au-delà des outrances d’un Boris Johnson comparant

    le projet européen à la domination hitlérienne, cela

    fait des années que l’UKIP (le parti nationaliste et

    europhobe dirigé par Farage) désigne l’immigration

    comme le principal problème de l’appartenance à

    l’UE. « Chaque camp cherche à s’appuyer sur lethème le plus porteur, donc le débat sur le Brexit est 

     parfois réduit à un affrontement entre préservation de

    l’emploi versus  lutte contre l’immigration », analyse

    Renaud Thillaye, du Policy Network.

    En cela, la campagne des promoteurs de la sortie

    est grandement aidée par une partie de la presse

    tabloïd qui fait ses choux gras des réglementations

    européennes absconses (une vieille antienne), mais

    aussi de l’afflux d’immigrés, qui sont accusés

    ouvertement de tous les maux (chômage, servicessociaux débordés, criminalité…), à coups de gros titres

    qui font froid dans le dos et ne dénoteraient pas sur des

    tracts du Front national.

    « Des attaques sexuelles comme à Cologne "pourraient

    se produire ici si nous restons dans l'UE" » © TC

    Et pourtant, le Sun  de Rupert Murdoch (et son

    versant haut de gamme, le  London Times) n’a pas

    sorti l’artillerie lourde : le quotidien reste gentiment

    eurosceptique et ne déverse pas le vitriol qu’il avait

    autrefois réservé à Jacques Delors, à l’époque où

    Margaret Thatcher tapait sur Bruxelles. « Murdoch

    est prudent : il sait que le résultat du référendum

    sera serré et ne veut pas s’aliéner la moitié des Britanniques, il pense à vendre ses journaux », croit

    savoir un journaliste de Fleet Street. « Il n’a pas

    encore donné d’ordre de bataille pour ses médias, et 

    il est fort possible qu’il s’abstienne de le faire, voire

    qu’il s’oppose au Brexit, pour des questions d’intérêts

    économiques. »

    Malgré tout, au-delà de l’indifférence, des paradoxes

    et des petits calculs de chacun, ce référendum dit aussi

    quelque chose de la société britannique. L’aspect le

    plus évident est celui de la souveraineté, comme le

    http://www.bbc.com/news/business-36344425https://www.mediapart.fr/journal/international/260516/en-grande-bretagne-les-opposants-au-brexit-monopolisent-le-debat-economiquehttps://www.mediapart.fr/journal/international/260516/en-grande-bretagne-les-opposants-au-brexit-monopolisent-le-debat-economiquehttps://fr.wikipedia.org/wiki/Fleet_Streethttp://news.sky.com/story/1701060/pm-says-brexit-will-raise-cost-of-holidayshttp://news.sky.com/story/1701060/pm-says-brexit-will-raise-cost-of-holidayshttp://www.bbc.com/news/business-36344425http://www.bbc.com/news/business-36344425https://www.mediapart.fr/journal/international/260516/en-grande-bretagne-les-opposants-au-brexit-monopolisent-le-debat-economiquehttp://www.mediapart.fr/

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    pointe Renaud Thillaye : « Si l’on gratte derrière le

    discours de l’UKIP et des eurosceptiques, on aboutit 

    vite au thème de la souveraineté nationale et audiscours suivant : “Peu importe que l’on prenne des

    décisions bonnes ou mauvaises, ce qui compte, c’est 

    qu’elles soient les nôtres.” Cela renvoie également 

    à l’histoire du Royaume-Uni. Toutes les enquêtes

    d’opinion soulignent un clivage unique en Europe :

    les jeunes sont plus favorables à l’Union européenne

    que leurs aînés. C’est parce que, sur le continent,

    les personnes les plus âgées ont connu la guerre et 

    voient le projet européen comme un moyen de l’éviter.

     Alors qu’en Grande-Bretagne, c’est l’inverse : enrestant en dehors du continent en 1939, les Anglais

    ont le sentiment d’avoir évité la guerre et préservé la

    démocratie. »

    C’est cette émotion viscérale que les soutiens

    du Brexit tentent de capter, alors que ses opposants

     jouent sur le registre de la crainte d’un futur incertain,

    non pour l’ensemble des Européens, mais pour les

    sujets de Sa Majesté. Les europhiles britanniques ont

    clairement le sentiment d’un débat déprimant. Les

    eurosceptiques ont, eux, l’impression d’un combatpour les valeurs éternelles de leur Royaume.

    « Le vrai fond du débat autour du Brexit »,

    soutient Paul Copeland, «c’est qu’il s’agit d’un

    débat domestique à propos de la déconnexion de

    Westminster du reste de la population. Le personnel

     politique britannique, de droite comme de gauche,

    a échoué depuis plusieurs décennies, sur le plan

    économique et social, et l’Europe est devenue le

    bouc émissaire de cet échec.»  Autrement dit, sortir

    de l’Union européenne ou y rester aux conditionsposées par David Cameron sont simplement deux

    formulations différentes d’une même équation :

    comment blâmer une institution internationale pour la

    faillite des politiques domestiques à lutter contre la

    désindustrialisation, à créer des emplois, à préserver

    le filet de sécurité sociale, à répartir équitablement les

    richesses…

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