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     Directeur de la publication : Edwy Plenelwww.mediapart.fr 

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    Autriche: dans l'est du pays, l'extrêmedroite est déjà au pouvoirPAR AMÉLIE POINSSOTARTICLE PUBLIÉ LE LUNDI 23 MAI 2016

    « Le droit vient du peuple. » Affiche électorale du candidat duFPÖ, Norbert Hofer, à l'entrée du village de Nickelsdorf. © AP

    300 000 réfugiés fuyant l'Irak et la Syrie sont passésà l'automne dernier dans le village autrichien deNickelsdorf, à la frontière avec la Hongrie. Danscette région du Burgenland, l'extrême droite est déjàaux manettes, dans une coalition avec les sociaux-démocrates. Un scénario qui pourrait se reproduire auniveau fédéral, si le candidat Norbert Hofer remportaitl'élection présidentielle (suivre les résultats sous ce

    lien).Nickelsdorf (Autriche), de notre envoyée spéciale.-

    Sur le grand parking qui jouxte le poste-frontièrecampent deux gigantesques barnums. Les portes sontcloses, mais l'on peut voir, à travers les vitres, destas de couvertures et des lits de camps soigneusementempilés. « Quelque chose d’anormal se produit ici », écrivait, début septembre, notre collègueChristophe Gueugneau, lorsqu'il s'était rendu surplace pour observer les premiers passages organisés

    de migrants depuis la Hongrie voisine. En quelquesheures, des milliers de personnes étaient arrivéesdans le dénuement le plus total. Les villageois deNickelsdorf, de nombreux bénévoles venus de Vienneainsi que la Croix-Rouge s'étaient alors mobilisés encatastrophe. Distribution de nourriture, de vêtements,

    de duvets… Pour quelques heures, les exilés pouvaientse réchauffer, avaler un morceau, avant de poursuivre

    leur périple, en train, vers l'Allemagne.

    Au poste-frontière de Nickelsdorf, par lequel sont passéesquelque 300 000 personnes en septembre et octobre 2015. © AP

    Jusqu'à ce que la Hongrie décide, fin octobre, defermer ses frontières avec ses pays voisins desBalkans, le village autrichien de Nickelsdorf aconstitué le principal point d'entrée en Autriche. Parici sont passés quelque 300 000 personnes en sixsemaines. « Nous sommes prêts si le flux redémarrait ,assure le maire, Gerhard Zapfl.  Mais ce n'est pasce que nous souhaitons. »  Ce monsieur affable àl'élocution appliquée pour la journaliste étrangèreexplique comment il s'est efforcé, face à cette situation

    extraordinaire, de communiquer à travers le journalmunicipal, les réseaux sociaux, les discours… afin derassurer les habitants et d'éviter les tensions. « Noussommes un village de 1 800 habitants. Certains jours,il y avait jusqu'à 8 000 arrivées… Je n'ai pas observé d'hostilité en public, mais sur les réseaux sociaux, il

     y a eu des réactions négatives. Beaucoup d'habitantsavaient peur, tout simplement parce qu'on ne savait rien : ces gens arrivaient sans interruption, jour et nuit… Combien d'autres allaient encore venir ?

     Allaient-ils rester à Nickelsdorf ? On était incapablede donner une réponse ! »

    Gerhard Zapfl est social-démocrate (SPÖ). Mais ilest complètement désabusé par le chancelier sortant,pourtant issu du même parti, Werner Faymann, qui adémissionné à la suite du premier tour dévastateur del'élection présidentielle. Le SPÖ, pilier de la SecondeRépublique autrichienne, a connu le score le plusbas de son histoire : 11 %. Pour la première fois, iln'est même pas au second tour de la présidentielle,

    ce dimanche. Le parti semble complètement éclaté.

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    « Le 10 septembre dernier, il y avait près de 10 000migrants dans les rues du village, raconte le maire.

     J'ai appelé le chancelier. Sa secrétaire m'a réponduqu'il n'était pas disponible pour me parler… En fait,il n'a jamais réagi, jamais essayé d'aider face à lasituation à Nickelsdorf. » Le résultat dans les urnes aété sans appel. Dans le village, l'extrême droite du FPÖa récolté près de 44 % des voix au premier tour.

    Sur mediapart.fr, un objet graphique est disponible à cet endroit.

    Ce sentiment d'être délaissé par le pouvoir fédéral,par des partis de gouvernement complètementdéconnectés de la réalité, est largement partagé dans

    le Burgenland, cette région agricole orientale del'Autriche collée à la Hongrie voisine. « C'est larégion la plus pauvre du pays », assure Werner Friedl,élu social-démocrate au parlement régional. C'est unesituation inédite : le SPÖ y a formé une coalition avecle FPÖ… et les deux se sont réparti les postes au seinde l'exécutif du Land.

    Alliage annonciateur de ce qui pourrait se passer auniveau fédéral ? De fait, le candidat FPÖ NorbertHofer est en position de l'emporter, ce dimanche

    soir, à l'issue du deuxième tour de la présidentielle.S'il gagne, il a deux possibilités : soit convoquer denouvelles élections – une pratique qui ne s'est jamaisfaite en Autriche, où la tradition politique repose surle compromis et les coalitions ; soit chercher despartenaires du côté des partis de gouvernement – enl'occurrence le SPÖ, qui a nommé pendant l'entre-deux-tours un nouveau chancelier, précisément pourrester dans la prochaine équation politique.

    Werner Friedl n'est pas choqué par un tel scénario. « Si

    l'on se met autour d'une table avant, et que l'on se met bien d'accord sur le programme avec le FPÖ, je n'airien contre une coalition avec ce parti. Je ne souhaite

     pas exclure une formation a priori. » D'ailleurs, dansles instances régionales, le FPÖ se comporte selon luide manière tout à fait correcte. « Au gouvernement régional, il est en charge de la sécurité, de l'économieet du tourisme. Le SPÖ a tout le reste : éducation,

     finances, culture, énergie, environnement, politique familiale, agriculture. » Autrement dit, le FPÖ « est 

    complètement sous contrôle », selon cet élu qui estime

    que « ceux qui bloquent tout, aujourd'hui, ce sont lesconservateurs, et pas le FPÖ ». Sa seule crainte en fin

    de compte, en cas de victoire du FPÖ ce dimanche,c'est l'impact au niveau international. « J'ai peur quel'Autriche soit victime d'un embargo économique si

     Norbert Hofer devient président. »

    À l'époque du rideau de fer, déjà…

    Le maire de Nickelsdorf, lui aussi, est plutôt ouvertà une collaboration avec le FPÖ. « On le voit auniveau du Burgenland : quand il faut exercer desresponsabilités, le FPÖ change de discours. Il ne joue

     plus du tout le rôle de l'opposant. »  Tout sourire,

    Gerhard Zapfl explique qu'il ne voit pas pourquoi ilfaudrait mettre un cordon sanitaire. « En s'interdisant de faire alliance avec le FPÖ, on exclut tous lesélecteurs qui, déçus par notre parti, se sont tournésvers l'extrême droite. C'est le meilleur moyen de les

     perdre définitivement... Au contraire, si on leur tend la main, on les invite à revenir. »  Le maire en estconvaincu : l'expérience du pouvoir n'est pas favorableau FPÖ. « Après la coalition gouvernementale avecles conservateurs, au début des années 2000, l'extrême

    droite s'est effondrée. C'est un parti qui n'a pas d'idées,de toute façon. Il ne sait faire que critiquer… »

    Critiquer et monter les uns contre les autres. C'est celaqui hérisse Hans au plus haut point. Ancien soixante-huitard, gérant d'un bar-restaurant de Nickelsdorf quiorganise, chaque année, un festival de jazz réputé,cet homme, qui, à l'automne, a ouvert grand sesportes aux réfugiés, admet qu'il vit dans un pays« très conservateur ». « Mais ce sont les partis degouvernement qui créent ce climat d'intolérance, qui

    inventent des boucs émissaires, qui font comme sil'on n'avait rien appris de l'histoire. »  Hans s'ensouvient pourtant comme si c'était hier. Ici, quandle rideau de fer s'est ouvert, en 1989, ce sont desdizaines de milliers de personnes, déjà, qui avaienttraversé Nickelsdorf en quelques jours… Sans parlerd'une page d'histoire plus ancienne : 1956, lorsquele soulèvement à Budapest pousse des dizaines demilliers de Hongrois à l'exil. La plupart passèrent alorspar le pont d'Andau, situé à quelques kilomètres au sud

    de Nickelsdorf. Ils traversèrent à pied, avec presque

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    rien sur le dos, comme aujourd'hui. « L'Autriche a vuarriver beaucoup plus de réfugiés pendant la guerre

     froide et la guerre des Balkans qu'aujourd'hui »,estime Hans.

    Dans le Burgenland, le pont d'Andau, par lequel plus de 70

    000 Hongrois sont passés après le soulèvement de 1956. © AP

    La campagne électorale a pourtant tourné presqueexclusivement autour de cette question migratoire.La plupart des personnes arrivées l'an dernier enAutriche avaient en réalité pour objectif de rejoindrel'Allemagne ou la Suède. Seules quelque 80 000d'entre elles se sont arrêtées à Vienne, où elles ontdéposé une demande d'asile avant d'être réinstallées iciou là dans le pays. C'est le cas d'Abdelatif et Mamoud,tous deux passés par Nickelsdorf en juillet dernier,

    revenus au village une fois leur demande d'asileenregistrée. Nickelsdorf fait en effet partie de cescommunes autrichiennes à avoir accepté des réfugiésdans le cadre du programme fédéral de répartition.Vingt-cinq Syriens vivent ici depuis l'été.

    Abdelatif et Mammoud, demandeurs d'asile syriens,se disent « bien intégrés » à Nickelsdorf. © AP

    Les deux amis se débrouillent déjà en allemand. Ilsont des amis dans le village, dont Carmen, un sacrébout de femme qui ne compte pas son temps pour

    aider les réfugiés. Nous les retrouvons dans le jardinde la maison louée par Mamoud, en une belle journée

    ensoleillée. L'arrivée de l'extrême droite en Autriche ?Tous deux, venant de Syrie, en ont vu d'autres… MaisAbdelatif suit l'élection avec beaucoup d'attention.« Norbert Hofer n'est pas dangereux en tant que tel.

     Le vrai danger, selon moi, il vient de la progressionde ces partis en Europe. On le voit en Hongrie, onle voit aussi en France… Bientôt, on va avoir desmembres d'extrême droite dans des gouvernements un

     peu partout. C'est cela qui me fait peur. »

    Vingt-cinq demandeurs d'asile pour un total de 1 800

    habitants, c'est 1,5 % de la population. « Si toutesles communes d'Europe faisaient comme nous, on

     pourrait accueillir 11 millions de réfugiés et ce neserait pas un problème ! Malheureusement, ce n'est 

     pas ce qui s'est passé… », soupire le maire. Carmendéplore aussi l'égoïsme des dirigeants, autrichienscomme européens. « Cette façon de fermer les yeuxdès que cela se passe de l'autre côté de sa frontière,d'être uniquement préoccupé par le bien de son pays,ce n'est pas ma vision du monde. » Carmen vote ce

    dimanche pour le candidat des Verts, Alexander Vander Bellen. Sans grande conviction mais avec le minceespoir, malgré tout, d'empêcher la victoire de l'extrêmedroite.

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