art et comportements symboliques au paléolithique

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HAL Id: halshs-01138307 https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01138307 Submitted on 1 Apr 2015 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Distributed under a Creative Commons Attribution - NonCommercial - ShareAlike| 4.0 International License Art et comportements symboliques au Paléolithique : quelques points de vue actuels Patrick Paillet To cite this version: Patrick Paillet. Art et comportements symboliques au Paléolithique: quelques points de vue actuels. Gagnepain J. (Ed.), Actes du Colloque “ La Préhistoire de l’Europe occidentale : un bilan des connaissances à l’aube du 3ème millénaire ”, Quinson : Musée de Préhistoire des Gorges du Ver- don/Département des Alpes de Haute-Provence, Septembre 2005, 2016, pp.87-101, 2016. halshs- 01138307

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Page 1: Art et comportements symboliques au Paléolithique

HAL Id: halshs-01138307https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01138307

Submitted on 1 Apr 2015

HAL is a multi-disciplinary open accessarchive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come fromteaching and research institutions in France orabroad, or from public or private research centers.

L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, estdestinée au dépôt et à la diffusion de documentsscientifiques de niveau recherche, publiés ou non,émanant des établissements d’enseignement et derecherche français ou étrangers, des laboratoirespublics ou privés.

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Art et comportements symboliques au Paléolithique :quelques points de vue actuels

Patrick Paillet

To cite this version:Patrick Paillet. Art et comportements symboliques au Paléolithique : quelques points de vue actuels.Gagnepain J. (Ed.), Actes du Colloque “ La Préhistoire de l’Europe occidentale : un bilan desconnaissances à l’aube du 3ème millénaire ”, Quinson : Musée de Préhistoire des Gorges du Ver-don/Département des Alpes de Haute-Provence, Septembre 2005, 2016, pp.87-101, 2016. �halshs-01138307�

Page 2: Art et comportements symboliques au Paléolithique

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Art et comportements

symboliques au Paléolithique :

quelques points de vue actuels

Du temps de la reconnaissance

à l’archéologie des grottes

ornées

Édouard Lartet et Édouard Piette principalementont marqué le XIXème siècle par leurs extraordi-naires découvertes d’art mobilier et leurs effortspour les faire reconnaître par la communauté scien-tifique alors placée sous l’autorité dogmatique deGabriel de Mortillet et d’Émile Cartailhac. Ils ontaussi oeuvré, non sans mal, pour en faire admettrel’antiquité et l’authenticité. Une grande partie duXXème siècle fut celle des vastes synthèses analyti-ques et théoriques de Henri Breuil, puis d’AndréLeroi-Gourhan, qui ont abordé, notamment pour

l’art pariétal, le champ de l’interprétation et de lachrono-stylistique. Depuis environ 25 ans, l’indi-vidu s’est effacé au profit d’un collectif scientifiquemultidisciplinaire et l’époque des synthèses pré-coces ou anticipées a laissé la place à l’étudecontextualisée des documents, revus, corrigés, réin-terprétés parfois. Le retour au terrain et à l’analyseinterne des oeuvres a suscité le développementd’une archéologie des grottes ornées (Chauvet, LaGarma) qui nous donne une image renouvelée del’art pariétal, indissolublement lié à l’espace souter-rain de proximité, également à des territoires pluséloignés, exploités, habités ou parcourus. Lesfouilles, les analyses (paléo)environnementales,l’étude des empreintes, celle des modes de déplace-ment, etc., nous révèlent différemment l’universdes grottes, leurs oeuvres, leurs traces les plusténues, leurs usages ou leurs fonctions en quelquesorte. L’étude des oeuvres d’art proprement dites’est enrichie par l’approche naturaliste (anatomie,biologie, éthologie,...) des thèmes animaliers, parl’analyse détaillée des styles et des techniques per-mettant parfois l’identification des auteurs, par lesanalyses physico-chimiques des pigments et lesétudes macroscopiques des tracés gravés, égale-ment par l’expérimentation qui accompagne la plu-part de ces études technologiques. Devenus plusexigeants, objectifs et analytiques, plus respectueuxégalement des supports dans leur intégrité phy-sique, les relevés graphiques et photographiquesont accompagné cette évolution (fig. 1). Ils bénéfi-cient aujourd’hui de techniques photographiquesmodernes (filtrage différentiel, accroissement descontrastes, analyse du rayonnement lumineux, uti-lisation des radiations U.V. et infrarouges, méthodedes équidensités, stéréophotographie et photo-grammétrie) et du traitement informatique etnumérique de l’image. La conservation des oeuvreset les mesures de protection des sites sont aussisouvent intégrées dans les réflexions collectives.

Patrick Paillet

Muséum National d’Histoire Naturelle,Département de Préhistoire et CNRS, U.M.R. 5198

Figure 1. Bison gravé et peinten noir et signe tectiforme

rouge. Grotte de Marsoulas(Haute-Garonne).

Relevé C. Fritz et G. Tosello.

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Enfin, et il s’agit là d’un apport technique etméthodologique fondamental de ces dernièresannées, le développement des datations radiomé-triques carbone 14 et leur application à certainsdessins pariétaux grâce à la spectrométrie de massepar accélérateur ont permis de bousculer voired’invalider les positions dogmatiques les plus radi-cales relatives à l’évolution chrono-stylistique del’art préhistorique. En même temps, cette méthode,comme celles encore balbutiantes appliquées auxgravures ou aux vernis les recouvrant, ont pudonner l’impression de rendre accessible ce rêveinavoué de nombreux préhistoriens, dater les oeu-vres d’art de notre Préhistoire.

Dater et relever l’art

La majorité de l’art mobilier actuellement connuprovient de fouilles anciennes sans positions strati-graphique et chronologique précises. La datationde l’art pariétal n’est rendue possible la plupart dutemps que par le contact des représentations parié-tales avec des couches d’habitats datées ou définiesculturellement (La Viña, le Placard, Teyjat), par l’ob-turation naturelle (Fontanet, Chauvet) ou anthropiquede la cavité (accumulation de couches d’habitats)(Pair-non-Pair, La Mouthe) ou par la présence d’élé-ments issus des parois ornées et reposant au seinde couches archéologiques (Blanchard, Labattut, Roc-

aux-Sorciers). L’association stylistique d’objetsdécorés découverts en stratigraphie et de figurespariétales (Labastide) permet également d’établir desrapports directs ou indirects. En fait, durant la plusgrande partie du XXème siècle, les seules méthodesde datation en vigueur des oeuvres pariétales ontété l’étude des superpositions des peintures ou desgravures (Henri Breuil) et l’approche stylistique,évolutive et linéaire, des représentations figurativeset abstraites (André Leroi-Gourhan). Les datationsdirectes issues de la méthode des déséquilibres ducarbone ne sont possibles que sur les matières oules liants organiques (charbons de bois ou d’os,

Figure 2. Plafondpeint d’Altamira.Grotte d’Altamira(Espagne). RelevéM. Sanz deSautuola.

Figure 3. Grotte de Lascaux(Dordogne). Gravures de l’Abside.Relevé A. Glory.

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sang, végétaux, etc.). D’infimes quantités de car-bone 14 (quelques milligrammes) sont nécessaires.À ce jour, plus d’une centaine de dates ont étéobtenues sur une centaine de figures dans unevingtaine de grottes. Certaines de ces dates, malgréleur précision relative, restituent une anciennetéignorée des approches chronologiques classiques.Elles ne sont malheureusement pas toujours asso-ciées à des réflexions méthodologiques et scientifi-ques globales et à des études de sites complètes. Lepoids des interprétations, la fiabilité de la méthode,les contaminations naturelles ou anthropiques ducarbone daté et la variation de sa productionatmosphérique sont autant de facteurs qu’il fautintégrer dans l’analyse.

En matière de relevés, l’oeuvre monumentale deHenri Breuil a fait oublier l’entreprise expérimen-tale des précurseurs comme Marcelino Sanz deSautuola (Altamira) (fig. 2), Léopold Chiron(Chabot) et Émile Rivière (La Mouthe), dont lesreproductions étaient destinées à assurer la recon-naissance de l’art paléolithique à la fin du XIXème

siècle. Le travail de successeurs comme AndréGlory (fig. 3), Léon Pales, Denis Vialou, MichelLorblanchet (fig. 4), Brigitte et Gilles Delluc,Christian Servelle, Carole Fritz, Gilles Tosello ouJean Airvaux par exemple a contribué à restaurerun esprit et une finalité nouvelle du relevé.Aujourd’hui, l’enregistrement graphique intègre lacomposition et l’organisation spatiale des représen-tations. Dans les grottes, il prend en compte lecaractère des parois et la forme des galeries. Le

relevé n’est plus une simple copiedétachée du support, isolée desautres graphismes ou magnifiée.Débarrassé de tout esthétisme, ilconstitue une lecture scientifiqueactive de l’art, ponctuelle, progres-sive et raisonnée. Le relevé est undéchiffrement, une analyse interne,une interrogation, une compré-hension des faits qui associe laconnaissance des techniquesd’exécution et les interactions phy-sico-chimiques des images avec lessupports. Il intègre les donnéesévolutives et naturelles des sup-ports et les données graphiques. Ilcomporte donc une certaine partde déformations et d’arbitraire. Le

relevé constitue la première étape de l’étude scien-tifique de l’art paléolithique. Aucune lecture deparois ou d’objets ne peut en faire l’économie.L’exigence méthodologique des relevés modernesconduit à plus d’objectivité et de précision. Lerelevé graphique représente un processus dedécouverte. En cela il s’oppose à la perceptionimmédiate de l’oeuvre permise par la vidéo ou laphotographie. Pour des raisons de conservationbeaucoup de relevés, notamment pariétaux, sontaussi considérés comme des sauvetages. Un relevémoderne n’est pas un document unique. Il com-porte des points de vue différents, fait appel à destechniques complémentaires et est constitué parune série de dessins, de cartes, de photographies etde prises d’empreintes. On aura mesuré tout l’in-térêt méthodologique d’une lecture et d’un enre-gistrement technologiquement variés des tracéspréhistoriques.

L’analyse des peintures et des

gravures préhistoriques

L’apport de la science des matériaux, de la phy-sique et de la chimie et le développement de l’expé-rimentation ont récemment contribué à l’essor del’analyse des pigments. Des progrès ont été réalisésdans l’étude des procédés des peintres paléolithi-ques grâce à la microscopie Raman, à la microana-lyse X sur de petites quantités de matières, à l’ana-lyse élémentaire au MEB ou par accélérateur, à ladiffractométrie, la chromatographie en phasegazeuse et à l’analyse optique. Ces techniques ontété appliquées en Quercy (Cougnac, Pech-Merle,

Figure 4. Gravures de la 1ère salle (voûte). Grotte de Pergouset(Lot). Relevé M. Lorblanchet.

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Marcenac) et dans les Pyrénées (Niaux, Fontanet,Trois-Frères, Gargas). Elles permettent la détermina-tion des matières colorantes (caractérisation miné-ralogique et physico-chimique), des liants, descharges et des minéraux traces. Elles autorisentaussi des interprétations sur l’origine des produitsanalysés et sur la nature des mélanges éventuels.Dans certains cas elles renseignent sur l’originegéographique des pigments et permettent ainsi lareconnaissance des sources d’approvisionnement.Ces analyses favorisent également l’approchechrono-stylistique (étapes de réalisation, nombrede personnes, présence de rénovations et de retou-ches). Dans le cas d’identification de matière orga-nique résiduelle, elles peuvent déboucher sur desdatations radiométriques.

L’analyse des gravures a pour objet la reconstitu-tion de la genèse du trait et celle du comportementgestuel du graveur. Elle s’appuie toujours sur l’ex-périmentation. L’approche technologique s’estétendue à l’art pariétal (Brigitte et Gilles Delluc) età l’art mobilier (Henri Delporte, Lucette Mons,Christian Servelle). Dans ce dernier cas, elle a plussouvent concerné les supports en matière dure ani-male que les supports lithiques (Nicolas Mélard).Les recherches récentes (Francesco d’Errico,Michèle Crémadès, Carole Fritz, Nicolas Mélard),qui visent à mesurer par exemple le nombre et letype d’outils utilisés, le nombre et la direction despassages d’outils, la section des incisions, lenombre, l’ordre et la nature des superpositions detraits, les accidents survenus lors du passage del’outil, recourent à des moyens d’investigationsophistiqués (microscope optique ou électronique,microrugosimètre). Elles permettent une visionglobale de la technique de l’artiste en reconstituant

ses gestes, en mesurant le temps et les étapesnécessaires à la réalisation des oeuvres. Elles ser-vent aussi à vérifier des hypothèses interprétatives(Francesco d’Errico, Nicolas Mélard) (fig. 5). Cesanalyses font souvent appel aux moulages ou auxrépliques destinées à l’observation en microscopieélectronique. Les moulages et les empreintes doi-vent être réalisés par des spécialistes qui maîtrisentles produits utilisés (élastomères de silicone, vernismétallographiques, silicones dentaires) et mesurentles risques de dégradation des oeuvres. La tech-nique des empreintes aux vernis nitro-cellulosiqueaboutit à des répliques transparentes d’une trèsgrande fidélité qui sont examinées à la loupe bino-culaire sous lumière transmise ou au microscopeélectronique à balayage. Elle facilite le relevé depetites figures, la lecture des enchevêtrements de

traits et l’interpréta-tion des stigmatesd’outils. Supportsd’observations etd’analyses technologi-ques, les moulagespermettent égalementd’assurer la conserva-tion et la communica-tion de certains origi-naux très fragiles.

Figure 6. Grotte Chauvet(Ardèche). Félin (lion) dessinéen noir. Cliché Ministère de laCulture.

Figure 5. Grotte de La Marche (Vienne). Etude d’une pierre gravée(collections Musée de Sainte Croix/Poitiers). Etude, cliché etrelevés N. Mélard.

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La quête des premiers compor-

tements symboliques

Les résultats des datations carbone 14 sur certainesfigures parfaitement maîtrisées et composées deChauvet (plus de 30 000 ans) (fig. 6) ont révélé uneantiquité et une sophistication de l’art qui ont sur-pris le grand public, les médias et même certainspréhistoriens. On semblait découvrir alors que l’artne débutait plus systématiquement dans l’abstraitou le préfiguratif (vulves sculptées-gravées sur desblocs provenant du Périgord) (fig. 7) pour évoluervers un naturalisme académique le long d’uneunique trajectoire évolutive, mais qu’il était parfai-tement constitué dès son origine et sa région sup-posées, c’est-à-dire les premiers temps duPaléolithique supérieur en Europe occidentale.C’était d’abord oublier la dizaine de figurines ani-males sculptées dans l’ivoire de mammouth(cheval, bison, mammouth, félins, être composite,etc.), véritables chefs-d’oeuvre de la statuaire,datées de l’Aurignacien et découvertes depuis long-temps dans plusieurs abris du Jura souabe(Vogelherd, Hohlenstein-Stadel) (fig. 8). D’une certainemanière, c’était aussi ignorer qu’ailleurs dans lemonde, notamment en Afrique et en Australie, desmanifestations artistiques étaient connues àl’époque des premiers Homo sapiens. Enfin, c’étaitégalement réduire la nature des expressions ou descomportements symboliques de l’homme etnégliger leur diversité et leur très grande antiquité,exprimées avant le Paléolithique supérieur et autre-ment que sous la forme d’images figuratives scel-lées dans la pierre ou dans l’os.

L’Homme donne du sens ànombre de ses actes et de sesproductions. Le quotidiendes hommes de laPréhistoire est parfoisjalonné de symboles qu’ilnous faut identifier etdémêler des préoccupationsmatérielles ou triviales.Presque naturellement, lepréhistorien se tourne alorsvers l’art, vers les systèmes dereprésentations graphiques etplastiques qui incarnent lemieux ou de la manière la pluslisible la pensée symboliquemais qui n’en constituent paspour autant la matière exclu-sive. Cette remarque est fon-damentale dans le débatactuel sur l’origine desexpressions symboliques.Elle nous invite à distin-guer l’apparition de lapensée symbolique del’apparition des pre-mières oeuvres d’art. Lecentre cérébral du lan-gage, des opérations cog-nitives conscientes, de lacréation artistique, desreprésentations men-tales, de la conscience réflé-chie réside dans le lobe frontal ducerveau, celui qui a subi l’expansion

Figure 7. Bloc gravé de figurationssexuelles. Abri de la Ferrassie(Dordogne). Cliché Musée Nationalde Préhistoire.

Figure 8. Statuette mi humaine mi animaleen ivoire. Hohlenstein-Stadel (Allemagne).

Cliché Ulmer Museum.

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la plus importante au cours de l’hominisation, envolume, en complexité et en aptitude. La face ver-ticale et le crâne enroulé derrière un front surélevéest l’un des caractères majeurs de la boîte crânienne(en équilibre sur l’axe du rachis) des hommes ana-tomiquement modernes (Homo sapiens). Les « sym-boles » sont conçus dans la partie frontale du cer-veau qui permet donc à l’Homme de penser d’unefaçon que nous jugeons moderne. Les « symboles »constituent un domaine des cultures qui distin-guent l’Homme moderne et certains de sescontemporains des autres hommes, avec qui il par-tage pensée, images mentales, langage et technique.Mais la modernité culturelle ne se résume pasqu’aux « symboles » stricto sensu. Les indices archéo-logiques qui permettent de démontrer l’apparitionde capacités cognitives et de cultures supposées« modernes » sont nombreux même s’ils ne fontpas tous l’unanimité, pas plus que la définitionmême du concept de « modernité » culturelle. Unpréhistorique moderne peut être défini par l’asso-ciation de plusieurs traits relatifs à la technologie deses armes et ses outils (débitage de lames, diversifica-tion des formes et des styles des outils en pierre eten os, microlithisme, utilisation de nouveaux maté-riaux et développement de l’outillage sur matièresdures animales [poinçons, pointes ou sagaies en os,pointes barbelées], techniques d’emmanchement,échanges de matières premières à longues dis-tances), à son organisation sociale (échanges, chassesde grands animaux ou chasses spécialisées, adapta-tion des stratégies de subsistance aux contraintesde l’environnement, conquête de nouveaux terri-toires, exploitation de milieux écologiques différen-ciés, structuration de l’habitat) et bien sûr, in fine, àses comportements symboliques (traitements des pig-ments [usage de l’ocre notamment], pratiques funé-raires [sépultures avec ou sans offrandes], objetsportant des incisions, représentations corporellesou parures et arts ou plutôt représentations mobi-lières [objets], pariétales [grottes et abris] et rupes-tres [air libre], peintes, gravées et / ou sculptées).

Les origines du langage et de la

pensée symbolique

En Préhistoire, la notion de symboles est attachéeà celle de modernité culturelle et presque imman-quablement celle de modernité culturelle est assi-milée à celle de modernité anatomique. Des recher-ches et des découvertes récentes invalident ouplutôt nuancent cette équation. Les comporte-

ments symboliques, c’est-à-dire les premiers grandssystèmes de représentations, qui laissent une tracelisible et pérenne en se fossilisant, et dont onmesure les différents niveaux d’élaboration, decomplexité et d’abstraction, correspondent, noussemble-t-il, au plus haut degré de la modernitédans la culture matérielle des hommes préhistori-ques. On a longtemps pensé et écrit qu’ils étaientexclusifs des premiers hommes anatomiquementmodernes parvenus en Europe vers 40 000 ans(Homo sapiens ou hommes de Cro-Magnon), audébut du Paléolithique supérieur. Ce modèle estconnu sous le terme de « big bang culturel ». Lagenèse du symbolisme lato sensu ne peut plus êtretenue comme une éclosion aussi soudaine et stric-tement européenne. L’Europe n’est pas un foyerd’apparition et de diffusion des cultures symboli-ques, mais plutôt de ce strict point de vue une sortede cul-de-sac. Le modèle du « big bang culturel »est obsolète comme le confirment les morceauxd’ocre gravés de rangées de lignes parallèles etentrecroisées, les nombreux coquillages percés etles poinçons en os découverts dans des couchesd’environ 75 000 ans de la grotte de Blombos enAfrique du Sud (fig. 9). Á l’opposé, un autremodèle d’origine du langage et de la pensée symbo-lique (Out of Africa) affirme que les productionssymboliques seraient la conséquence directe d’unemutation biologique survenue en Afrique auPaléolithique moy-en, entre 200 000 et20 000 ans, dansdes populationsd’Homo sapiens quiauraient ensuitecolonisé progressi-vement l’Eurasie.Cette hypothèse neparaît pas plus satis-faisante que la pré-cédente et justifie laconception d’untroisième modèlealternatif dit « poly-centrique » et« polygénique ». Lesfaits archéologiquesdémontrent que la

Figure 9. Morceau d’ocregravé de lignes entrecroisées.

Blombos (Afrique du Sud). Cliché F. D’Errico

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pensée symbolique est apparue graduellement chezdifférentes espèces d’hommes (même ceux quin’appartiennent pas à notre espèce biologique etdont le front est moins développé dans sa hauteur)et sur plusieurs zones géographiques (Europe,Proche-Orient, Afrique) bien avant le début duPaléolithique supérieur. Le nouveau modèle sou-tenu par Francesco D’Errico et João Zilhão, conçucomme une alternative aux deux précédents, sug-gère que la modernité culturelle aurait émergé gra-duellement au sein de plusieurs populationshumaines d’espèces différentes. Il n’y a donc pasadéquation entre biologique et culturel. L’hommede Néandertal, par exemple, ne saurait être tenupour la sombre brute caricaturale dépeinte dans unimaginaire collectif encore vivace. Nous n’insiste-rons pas sur ses aptitudes sociales, son équipementet ses procédés techniques, ses stratégies de sub-sistance, etc. qui montrent déjà ses capacités lin-guistiques et cognitives comparables à celles deshommes modernes vivant à la même époque enAfrique et au Proche-Orient.

Les premiers symboles de la

Préhistoire. L’Art de réserver à

ses morts une sépulture

Il y a environ 100 000 ans, on voit apparaître chezHomo sapiens au Moyen-Orient (mont Carmel,Palestine), mais également chez les hommes deNéandertal en Eurasie un comportement symbo-lique remarquable, celui d’inhumer un défunt(fig. 10). La sépulture met en jeu tout un systèmede représentations sociales et d’actes (dépôts funé-raires, offrandes, épandages d’ocre rouge, etc.) quifondent une nouvelle symbolique de la mort. Lecorps se trouve au centre de ce système et semblede fait à l’origine des premiers comportementssymboliques collectifs des hommes modernes dela Préhistoire. Sur la soixantaine de sépulturesdatant du Paléolithique moyen en Afrique, auProche-Orient et en Europe, 35 sont attribuées àdes néandertaliens. L’utilisation de mobilier funé-raire est attestée aussi bien chez Homo sapiens(Qafzeh et Skhul en Israël) que chez Néandertal (LaFerrassie, Dordogne). Dans ce dernier cas, 8 sépul-tures néandertaliennes ont été fouillées, dont uned’adulte associée à des outils en pierre, des retou-choirs en os et une côte gravée et une d’un enfantd’environ 3 ans recouverte d’une pierre aveccupules. L’émergence de cultures néandertaliennesévoluées précède de plusieurs milliers d’années l’ar-rivée de la culture aurignacienne comme l’attestentles objets de parure et les outils en os (poinçonsparfois décorés de motifs abstraits) découvertsdans les niveaux moustériens de la grotte du Renneà Arcy-sur-Cure (Yonne).

Chez Cro-Magnon, les pratiques funéraires évoluentradicalement par rapport à celles de Néandertal. Letraitement des corps (position, orientation, seg-mentation,…) fait l’objet d’attention particulière.Enfin, les diverses offrandes (pierres, os, armes,statuettes,…), qui accompagnent l’individu, maiségalement le couple ou le groupe, abondent dansles fosses sépulcrales, creusées et parfois paremen-tées avec soin.

Les premiers symboles de la

Préhistoire. L’art d’utiliser les

colorants

Dans la plupart des sociétés traditionnelles l’utilisa-tion des colorants a une valeur technique ou cura-tive (abrasion, tannage des peaux, conservation desmatières organiques, etc.), mais également symbo-lique, attachée à la coloration du corps, des vête-ments ou des objets. Le ramassage, l’utilisation et letraitement (frottage, raclage, cuisson) des matières

Figure 10. Sépulture néandertalienne. Kebara (Israël). Cliché D.Grimaud-Hervé.

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colorantes sont connus depuis près de 500 000 ans.Les fouilles récentes du site de Twin Rivers(Zambie) ont permis la découverte de près de 200fragments de colorants de 5 couleurs différentes(avec traces d’utilisation) dans des niveaux datésentre - 260 000 et - 400 000 ans. La présence decolorants dans de nombreux sites africains estattestée entre - 150 000 et - 30 000 ans. On citeranotamment les quelques 8 000 fragments d’ocreportant des traces d’utilisation provenant des cou-ches de 75 000 ans du site de Blombos (Afrique duSud). Ces colorants étaient collectés à plusieurskilomètres des sites par des populations humainesqui ont précédé l’émergence de notre espèce dansce continent. L’utilisation de colorants à des finssymboliques est également bien connue chezNéandertal. Plus de 70 sites du Paléolithique moyenet du début du Paléolithique supérieur ont livré dudioxyde de manganèse et des fragments d’ocre. AuPech de l’Azé (Dordogne) nous connaissons plusde 5 000 colorants (dont la plupart montrent destraces d’utilisation [facettes d’abrasion] peut-êtresur des peaux) et des meules conservés dans descouches datées de 50 à 60 00 ans. L’usage de l’ocreest également attesté dans les couches châtelperro-niennes de la grotte du Renne à Arcy-sur-Cure(Yonne).

Les premiers symboles de la

Préhistoire. De l’art du corps à

celui de la parure

Le corps centralisé et ritualisé dans les sépulturesainsi que le corps vivant se retrouvent également

parés. La parure, comme le tatouage ou la peinturecorporelle, constitue l’un des signes sociaux lesplus forts des représentations corporelles et desrelations visuelles entre les individus. Peu avant ouau moment de son contact avec Cro-Magnon (entre38 000 et 32 000 ans), Néandertal va développer l’artde la parure (pendeloques en os ou en ivoire, dentsanimales percées et rainurées, pierres et coquillagespercés ou rainurés). Une quinzaine de parures ontété découvertes dans le Paléolithique moyen dequelques sites d’Europe et d’Afrique du nord etune quarantaine dans les couches châtelperro-niennes (entre 38 000 et 32 000 ans) de la grottedu Renne à Arcy-sur-Cure (Yonne) (fig. 11).Depuis 2002, nous savons que la production d’ob-jets de parure est une pratique plus ancienneencore. 41 coquillages percés ont été reconnusdans les niveaux d’au moins 75 000 ans (MiddleStone Age) du site de Blombos en Afrique du Sud.

Les premiers symboles de la

Préhistoire. Curiosités et belles

matières premières : l’art de la

nature

La nature est pourvoyeuse d’objets et de bellesmatières premières qui ont touché Néandertal aprèsavoir intéressé ses prédécesseurs. Une vingtaine defossiles et de pierres-figures curieuses, bruts ou àpeine retouchés ont été collectés au Paléolithiqueancien (Swanscombe en Angleterre, Combe-Grenal en Dordogne), au Paléolithique moyen etau Châtelperronien (Külna en RépubliqueTchèque, La Ferrassie en Dordogne, La Roche-au-Loup dans l’Yonne). La collecte de matières pre-mières exceptionnelles comme le jaspe, le cristal deroche (fig. 12), le quartz hyalin, l’obsidienne, latopaze, l’opale, etc. est attestée dès le Paléolithiqueinférieur et constitue un acte qui dépasse largement

Figure 11. Pendeloque (fossile et canines de renard). Grotte du Renne(Arcy-sur-Cure, Yonne). Cliché D. Baffier.

Figure 12. Outil taillé en cristal de roche(quartz). Chou-Kou-Tien (Chine). Cliché Muséede l’Homme.

Page 10: Art et comportements symboliques au Paléolithique

Figure 13.Biface. Seine-

Maritime.Cliché

Musée del’Homme.

72

les contingences matérielles. Les hommes ont putrouver une valeur magique ou symbolique danscertaines matières premières et certains fossiles,beaux à voir mais ingrats à travailler. De leurgamme colorée, ils ont peut-être tiré une partie deleur future palette.

Les premiers symboles

de la Préhistoire. L’art

des outils

Il arrive parfois que nous cher-chions aussi dans l’esthétiquefonctionnelle de certains vieuxoutils, comme les bifaces, lespolyèdres ou les sphéroïdesles indices de schémas men-taux abstraits à l’origine del’art ou des premiers compor-tements symboliques. Lesformes géométriques et symé-triques souvent assez pures etharmonieuses de ces outils duPaléolithique ancien et moyen

n’étaient pas nécessaires, eneffet, à leur efficacité matérielle ou

fonctionnelle immédiate.

Ces outils sont les premières formes géométriqueset symétriques, entièrement façonnées parl’Homme en trois dimensions. Eu égard à la diver-sité des matières premières utilisées (quartz, grès,

silex, jaspe, os,…) etdes formes du pro-duit fini (discoïde,ovale, triangu-laire,...), Homo erectusnous donne l’im-pression d’avoir prisdu plaisir à joueravec les formes deses outils, leur symé-trie ou leur dissymé-trie et leur géomé-trie courbe oulinéaire (fig. 13).

Les premiers symboles de la

Préhistoire. L’art de la gravure

non figurative

Les aptitudes symboliques grandissantes deNéandertal s’expriment également dans la gravure,certes non figurative, mais rythmée, ordonnée lelong de poinçons, de côtes, de tubes en os d’oiseaudécouverts notamment dans la grotte du Renne àArcy-sur-Cure (Yonne). On lui attribue égalementdes cupules et des motifs géométriques plus orga-nisés gravés sur pierre. Il reproduit des comporte-ments connus chez certains de ses prédécesseurset contemporains qui ont laissé de tels témoignagesil y a au moins 75 000 ans en Afrique australe(Klasies River, Blombos, Diepkloof) et auPaléolithique inférieur en Europe (Bilzingsleben enAllemagne, l’Ermitage, La Ferrassie, Vergisson IV,Vaufrey et La Chapelle-aux-Saints en France)(fig. 14). Au Moyen-Orient,seules 2 pièces gravées(cortex) sont connues,l’une à Qafzeh(90 000 ans) etl’autre dans leMoustérien deQuneitra (60 000ans). Une trentainede pierres et moinsd’une centaine d’ossementsconstituent le corpus graphiqueéclaté des temps précédant lePaléolithique supérieur. C’est peusurtout si l’on considère qu’une grande partie desmarques sur os sont naturelles (origines biologique,chimique ou mécanique des traces) ou sont le fruitd’activités techniques humaines liées au dépeçagedu gibier (écharnement, désarticulation, etc.). Ilexiste bien un fort contraste entre l’abondance desimages au Paléolithique supérieur et leur extrêmerareté dans l’immensité des temps qui précède.

Les représentations mobilières,

pariétales et rupestres au

Paléolithique supérieur

C’est au début du Paléolithique supérieur, durantl’Aurignacien, que des images peintes en rouge(hématite, ocre), en noir (bioxyde de manganèse,charbons de bois), en jaune ou brun (limonite, goe-

Figure 14. Os gravé.Bilzingsleben (Allemagne).Relevé D. Mania.

Figure 15. Tête de félinen ivoire. Vogelherd(Allemagne). ClichéUniversité de Tübingen.

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thite), rarement en blanc(kaolin), des images gravées(technique d’expression la plusrésistante au temps et donc laplus courante) ou sculptées surdes supports durables envahis-sent notre Préhistoire. En lesinscrivant sur la pierre ou surles matières dures d’origine ani-male (os, bois, ivoire,...),l’Homme de Cro-Magnon (Homosapiens) les a confiées au tempset d’une certaine manière à lapostérité. Le premier art figu-ratif exprimé sur les roches, àl’air libre (art rupestre) ou sousterre (art pariétal) et sur lesobjets (art mobilier) apparaîtdonc entre 28 000 et 35 000ans environ, soit plus de150 000 ans après l’apparitionsupposée de l’homme biologi-quement moderne, au momentde sa diaspora planétaire et deson arrivée tardive en Europecentrale et occidentale. Les ori-gines de l’art sont multiples etdiachroniques. Les premièresoeuvres sont connues dansl’Aurignacien en Europe(grotte Chauvet, GrandeGrotte d’Arcy dans l’Yonne,plaquettes peintes de Fumaneen Italie, blocs sculptés du

Périgord, sculptures humaines et animales duJura Souabe) (fig. 15), également en Afrique(plaquettes peintes de figures animales du sited’Apollo 11 en Namibie), en Australie(Kimberley et Queensland) et peut-être aussien Asie et en Amérique. Il n’y a donc pas unfoyer originel de l’art, européen, australien,asiatique, africain ou américain. Dès que lessociétés préhistoriques ont été aptes à créerpar le biais de moyens techniques naturelsrelativement modestes mais efficaces, commeles pigments minéraux ou organiques pour lapeinture et les outils en pierre pour la gravureet la sculpture, l’art est né de manière univer-selle. L’art du Paléolithique compte desdizaines de milliers d’images figuratives (ani-maux, humains, êtres fantastiques ou compo-sites) et géométriques (signes), dessinées,peintes, gravées, sculptées ou modelées sur

Figure 16. Bisons peints et gravés. Grotte de Font-de-Gaume (Dordogne). Cliché P. Paillet.

Figure 17. Cheval sculpté. Abri du Cap-Blanc (Dordogne). Cliché A. Glory.

Figure 18. Bouquetins gravés. Foz Côa (Portugal). Cliché A. et D. Vialou.

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les parois, les plafonds ou les sols de près de 300grottes (fig. 16), d’une cinquantaine d’abris ou d’en-trées de grottes (fig. 17), d’une dizaine de sites d’artrupestre à l’air libre (fig. 18) ou transportées surprès de 30 000 objets en matières minérales ouorganiques (armes, outils, objets d’usage indéter-miné [blocs, plaques, plaquettes, statuettes]) prove-nant de plus de 500 habitats de la Sibérie auxconfins méridionaux et occidentaux de l’Europe(fig. 19). Dans l’extrême diversité de leurs supportsces images montrent à l’évidence la symbolisationcroissante de l’espace souterrain, mais égalementdu quotidien et de l’habitat en quelque sorte sanc-tuarisés. Le réservoir des images durablementfixées est immense et précieux. Mais il est incom-plet puisqu’il nous cache un pan non négligeabledes expressions symboliques, celles du domaine del’instant ou de l’éphémère comme la musique, lechant, la danse et l’art inscrit sur les matières péris-sables.

Les animaux figurés : bestiaire

ou tableau de chasse

Tant ils sont omniprésents dans l’iconographie desgrottes, des abris, des parois à l’air libre et desobjets (armes et outils), les animaux nous semblentau centre de l’univers symbolique de tous leshommes de la Préhistoire. La composante anima-lière des arts préhistoriques est en effet dominantedans la mesure où nombre de représentationsoffrent des qualités figuratives et descriptives quiforcent l’admiration et marquent nos esprits. L’artanimalier est naturaliste parce qu’il est un art dechasseurs, d’observateurs. Mais il est égalementl’oeuvre d’artistes puisqu’il possède une dimensionesthétique, celle du style et de ses libertés presqueillimitées, propres à chaque culture. L’homme de laPréhistoire, notamment au Paléolithique, n’a pastout sacrifié à la fidélité de l’imitation de la nature.Il a recherché des effets visuels, artistiques enquelque sorte, comme on en voit dans les grottesde Lascaux et Font-de-Gaume (Dordogne)(fig. 20), de Chauvet (Ardèche) et d’ailleurs. Ici lestêtes sont trop petites et les membres trop grêles, làles bosses ou les cornes sont démesurées. Par ail-leurs, les artistes préhistoriques n’ont jamais repro-duit scrupuleusement une image exhaustive dumonde animal les entourant. Leurs oeuvres n’ex-priment ni l’abondance, ni la diversité naturellesdes espèces. Elles ne sont pas davantage un refletfidèle de l’économie de chasse. Entre faune figurée(bestiaire) et faune existante et consommée (gibier),s’il n’y a jamais une rupture radicale, il y a parfoisun monde, symbolique. Sélectionnés puis extraitsde leurs milieux naturels, les animaux sont recom-posés, réassociés et repensés de manière culturelle.Les arts de la Préhistoire oscillent ainsi entre repré-sentations du monde réel et du monde pensé.

De l’animal à l’homme : anticon-

formisme figuratif de l’image de

l’homme

A Lascaux (Dordogne), la vitalité des aurochs noirsdéployés sur les parois d’une rotonde nous impres-sionne, à Altamira (Cantabrie) ce sont les contor-sions des bisons polychromes, recroquevillés surdes bosses du plafond de la grotte, qui nous émer-veillent, à Rouffignac (Dordogne), les mammouthsaffrontés nous révèlent certains traits comporte-

Figure 19. Abri de La Madeleine (Dordogne). Bison gravé-sculpté surbois de renne. Cliché P. Paillet.

Figure 20. Aurochs et cheval peints du diverticule axial. Grotte deLascaux (Dordogne). Cliché A. Glory.

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mentaux des antiques proboscidiens et à Chauvet(Ardèche), les félins gravés et peints en une saisis-sante perspective il y a plus de 30 000 ans, nousétonnent par la force de leur réalisme. La plastiquedes uns et le naturalisme des autres marquent nosesprits et nous feraient presque croire que l’art dela Préhistoire est seulement un art animalierconventionnel. Certes, ces thèmes sont originauxpar rapport à la plupart des arts historiques, mais ilscachent la diversité et la richesse thématique irré-ductible de l’art préhistorique où l’homme est pré-sent de manière subjective. Sa représentation est,dans de nombreux cas, peu explicite. L’image deshumains échappe généralement à la recherched’objectivité visuelle et de fidélité figurative quicaractérise certaines représentations animales. Lespréhistoriques n’ont pas donné d’eux-mêmes desportraits (fig. 21). Leur expression est anticonfor-miste, sauf pour la série de 120 gravures humainesde La Marche où la tendance figurative est plusforte qu’ailleurs, notamment dans le dessin dessilhouettes corporelles, des postures ou de l’expres-sion des visages (fig. 22). Ces derniers font figured’exception par rapport à la plupart des têtes deprofil ou des visages de face à l’apparence animale,qui abondent ailleurs. Les humains sont animalisésou sont fréquemment représentés comme dessortes de pantins aux contours imprécis, dessilhouettes invraisemblables aux corps sansvolumes anatomiques, aux membres mal articulésou disproportionnés, déformés, stylisés, bestialisés.Que dire également de l’intense segmentation dontils font l’objet (sexe, main, tête, tronc) ou de leurhybridation graphique avec les animaux qui aboutità des images de monstres ou de figures irréelles etfantastiques (fig. 23).

Pictogrammes, idéogrammes

et/ou mythogrammes

Les représentations géométriques existent danspresque toute l’iconographie paléolithique et dansbien d’autres cultures préhistoriques. Globalement,elles sont même plus nombreuses que les représen-tations figuratives et pourtant elles s’éclipsent sou-vent derrière la beauté ou la simplicité plastique desgrands animaux ou l’étrangeté caricaturale ou dyna-mique des figures humaines. Pour désigner ces« représentations », abusivement qualifiées d’abs-traites dans la mesure où elles ne figurent rien d’im-médiatement identifiable, les préhistoriens utilisent

Figure 21. Masque humain. Grotte de Fontanet (Ariège). ClichéA. et D. Vialou.

Figure 22. Plaquettegravée d’un visage humain(moulage). Grotte de LaMarche (Vienne). ClichéMusée de l’Homme.

Figure 23. Être fantastique dit« Le Sorcier ». Grotte des Trois-Frères (Ariège). Relevé H. Breuil.

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le terme de « signes ». L’abstraction géométrique etsymbolique des signes révèlent les capacitésconceptuelles et sociales développées par leshommes dès le Paléolithique. Les idéogrammesque sont les signes contribuent à la forte codifica-tion graphique de l’art des grottes, de l’art rupestreet de l’art mobilier préhistoriques. Les signes ontune fonction de communication et associentconventionnellement un signifiant (caractéristiquesformelles stables) et un signifié. L’extrême variabi-lité formelle des signes dans l’espace et le temps asuggéré une multitude de classifications ou detypologies dont émergent deux grandes famillespolymorphes : les signes de structure simple ou élé-mentaire (bâtonnets, tirets, linéaires élémentaires,en ovale ou en cercle, ponctués,…) (fig. 24) et lessignes de structure construite ou plus élaborée(accolades ou aviformes, angulaires, claviformes[en forme de massue], barbelés, ramiformes ou

empennés, quadrangulaires à cloisonnement(fig. 25), scalariformes [en forme d’échelle], tecti-formes [en forme de toit],...). Si les premiersd’entre-eux montrent une distribution planétaire ettransculturelle, les signes les plus structurés présen-tent souvent des spécificités régionales, voirelocales. Ils discriminent des identités culturelles.André Leroi-Gourhan les définissait comme des« marqueurs ethniques », Denis Vialou comme des« marqueurs identitaires privilégiés » (blasons ouenseignes). Il en est ainsi dans tous les arts de laPréhistoire. Pour la période paléolithique les grandssignes quadrangulaires cloisonnés sont spécifiquesde certaines grottes des Cantabres (La Pasiega, ElCastillo, Altamira), les quadrilatères en damiers ouen blasons se rencontrent essentiellement àLascaux et Gabillou (Dordogne), les tectiformesgravés ou peints originalisent un petit groupe degrottes magdaléniennes de la vallée de la Vézère

Figure 24. Signes ponctués et linéaires. Grotte de Niaux (Ariège). Cliché A. et D. Vialou.

Figure 25. Signe quadrangulaire cloisonné. Grotte d’Altamira (Espagne). Cliché Centrede Recherches d’Altamira.

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(Font-de-Gaume, Combarelles, Bernifal etRouffignac en Dordogne) (fig. 26), les claviformesassociés à des points ne sont connus qu’en Ariègemagdalénienne (Niaux) et au nord de l’Espagne (ElPindal) et enfin les signes aviformes tissent un liensymbolique et territorial entre la Charente (LePlacard) et le Quercy (Cougnac et Pech-Merle).

Universalité et diversité des arts

de la Préhistoire

L’appropriation des paysages naturels par l’imageest exponentielle depuis au moins 30000 ans. Surles îles ou les continents, en plaines, en montagnes,en forêts, dans les steppes, les savanes et lesdéserts, partout les hommes de la Préhistoire ontconfié leurs oeuvres rupestres à la nature. Mais l’es-sentiel de l’art rupestre dit « préhistorique » dans lemonde (dizaines de millions de représentations surprès de 1 000 zones en Océanie [Australie], enAfrique saharienne, équatoriale et australe, en Asie[Inde, Chine, Sibérie, Arabie, etc.], en Amérique duNord et en Amérique latine, enfin en Europe occi-dentale, méditerranéenne, alpine, en Scandinavie,etc.) a été créé sur une période de 10 000 ans, duNéolithique jusqu’à il y a quelques siècles à peine.Le terme de « Préhistoire » ne doit donc pastromper, car il ne renvoie pas automatiquement àun passé très ancien. Du point de vue chronolo-gique, les multiples foyers de l’art rupestre à travers

le monde sont diachroniques et du point de vueculturel, ils portent évidemment un contenusémantique différent. Bien que très récentes, cer-taines pratiques sont dites « préhistoriques » parcequ’elles sont issues de sociétés ou de groupes dis-parus. Par définition elles sont muettes puisquepersonne ne sait aujourd’hui les décoder.Simplement peut-on supposer que l’art rupestre,comme l’art des grottes ou des objets préhistori-ques revêtent une fonction identitaire, qu’ils per-mettent d’identifier ou de singulariser le groupe, leclan ou l’ethnie qui vit pendant un temps donnédans un territoire physique et culturel, identifié dupoint de vue symbolique, économique et social etpartagé avec des groupes plus ou moins voisins.

Sur près de 40 000 ans, l’évolution de l’art préhisto-rique est évidemment marquée par de multiplesruptures symboliques. La diversité de ses formes(types de supports, thèmes, techniques d’expres-sion, etc.), immédiatement lisibles, traduit celle deses intentions, définitivement inaccessibles, syno-nymes de la pluralité des identités culturelles desgroupes qui l’ont créé. Par leurs symboles graphi-ques codés, qui varient en fonction des époques,des lieux, des groupes humains et de leurs activités(faune sauvage ou domestique, humains, créaturesfantastiques ou composites, divinités, signes,objets,...), les arts de la Préhistoire sont comme desportes entrouvertes sur les mythes, les rêves, lescroyances, peut-être les religions, en tout cas lespensées de leurs créateurs.

Figure 26 : Signe tectiforme gravé. Grotte de Bernifal (Dordogne). Cliché P. Paillet.

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