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ENSA Toulouse Cycle Master M23R Enseignant Daniel Estevez Architecture Mémoire et Conception Sujet de mémoire : Architecture et Psychanalyse. > Comment la psychanalyse intervient dans le processus de conception architectural ? Tuteur de mémoire : Daniel Estevez AURIMOND Caroline 2007/2008

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ENSA Toulouse

Cycle Master M23REnseignant Daniel Estevez

Architecture Mémoire et Conception

Sujet de mémoire : Architecture et Psychanalyse.

> Comment la psychanalyse intervient dans le processus de conception architectural ?

Tuteur de mémoire : Daniel Estevez

AURIMOND Caroline2007/2008

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Sommaire

Préface : Le point de vue FreudienIntroduction

I __ L’objet transitionnel

1. Définition de l’objet transitionnel selon Winnicott en psychanalyse

2. L’objet transitionnel en architecture, le dessin ou la maquette comme objet transitionnel dans le processus de conception.

3. Architectes utilisant ce processus d’objet transitionnel dans la conception du projet architectural.

4. La trace de ce processus d’objet transitionnel dans mes travaux

II __ Les Squiggles

1. Définition du Squiggle en psychanalyse

2. Le Squiggle comme processus dans la conception architecturale

3. Architectes utilisant le processus du Squiggle dans la conception du projet architectural.

4. La trace de ce processus d’objet transitionnel dans mes travaux

Bilan

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Préface

Les constructions dans l’analyse selon Freud.

La notion de construction est elle lié à la psychanalyse ? Le savoir issu de la psychanalyse peut il apporter un éclairage au travail de l’architecte ?L’architecture peut elle être mise en parallèle avec l’inconscient dans la mesure où, comme ce dernier, elle serait structurée comme un langage ?Freud donne une définition du mot construction en architecture mettant en lumière le lien entre architecture et psychanalyse.

Tout d’abord il renvoi à l’architecture dans sa dimension conceptuelle. Il s’agit de l’organisation d’un matériel, de la fabrication d’une hypothèse.

Au sens Freudien, le mot construction désigne le travail d’élaboration de l’analyste sur des morceaux épars, sur du déjà existant. Il se rapporte au matériel amené, dans une cure, par un patient. Ce matériel est composé de fragments de rêves, de souvenirs, bout de récits actuels, idées qui passent par la tête du patient. Allusions, digressions, répétitions, mots d’esprit, lapsus habitent le parcours discursif d’une cure, comme dans une analyse c’est des fragments qui reviennent avec lesquels le psychanalyste va devoir construire en composant avec. Le montage comme mode de connaissance.

L’architecture dans son procédé de conception est semblable à cela.

L’architecte est obligé de prendre en compte les multiples contraintes inhérentes à tous projets de constructions. Celles-ci peuvent être appréhendées comme des éléments formels à partir desquels s’organise et se structure le travail de l’architecte. Un mur peut être un obstacle ou un élément organisateur du projet.

L’architecture est un langage, un jeu de construction, de communication, de symbolisation. (Propos extrait d’un article paru dans la revue D’a)

L’architecture signifie, elle peut présenter, représenter l’histoire, incarner une mémoire, transmettre une culture, un culte, faire trace d’un passage.

Architecture et psychanalyse voilà un sujet pouvant s’aborder sous différentsangles, il a alors été nécessaire de trouver un angle de travail afin d’aborder ce sujet. C’est au fil de nombreuses recherches et notamment sur de nombreux forumsmédicaux que j’ai pu définir mon sujet plus précisément.

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Architecture et psychanalyse…

La psychanalyse s’est toujours jouée de la métaphore architecturale. De nombreux architectes et psychanalyses rêveurs et hésitants se sont penchés sur les résonances que se renvoient les 2 disciplines. Pour Freud, le moi serait bâti comme une maison avec portes, fenêtres, caves et greniers – sans oublier les placards(réf : l’interprétation du rêve dans Œuvres complètes) Alberti file également la métaphore du corps à l’architecture, la bouche est la porte, les fenêtres : les yeux, la charpente : l’ossature et les dessertes : les réseaux sanguins ; dans la ville, la grande place est associée au cœur, et les rues sont les artères. (réf : De re aedificatoria) Quant à Lacan, pour ce dernier, l’acte psychanalytique n’est pas étranger à celui de l’architecte. De plus on trouve dans les rêves certaines figures récurrentes, des figures architecturales, ayant une dimension symbolique. Le rêve est architecte, il construit suivant la métaphore architecturale de la construction psychique mais aussi avec des éléments et des images d’architecture.Dans la démarche de conception en architecture, il y a un réel lien avec la psychanalyse. Certains projets d’architectes contemporains conçus dans le déni résolu de toute donnée humaine, qu’elle soit physique, affective, sociale ou historique. On met en place de savantes équations que l’on passe ensuite à la moulinette de logiciels très perfectionnés. On produit alors des grilles, des trames, des schémas en tout genre avec l’espoir forcément déçu que, par le coup de baguette magique, d’un simple agrandissement leur nécessaire mise à l’échelle humaine lors de la réalisation ces figures deviennent enfin de l’architecture.L’architecture en elle-même renvoie à la psychanalyse, montre moi ta maison je te dirai qui tu es, nous avons un rapport très fort avec notre habitat, une histoire d’amour passionnelle, un lien affectif fort, elle est l’image de notre personnalité. Mais ce n’est pas cet aspect de la relation entre architecture et psychanalyse que je développerai. En effet en mon sens bien que ce coté soit riche, je vois une manière différente d’aborder ce thème d’un point de vue d’architecte, la psychanalyse dans l’acte de conception architectural.

Comment notre inconscient entre en jeu dans le processus de conception ?L’architecture est un univers complexe fortement lié à la psychanalyse car l’acte de création, acte lié à l’inconscient, en est l’essence même. En ce basant sur des théories psychanalytiques et notamment celle de Donald Winnicott, nous allons mettre en avant les similitudes entre ces théories et l’acte de conception architectural à l’aide notamment de la notion d’objet transitionnel et de Squiggle.

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I __ L’objet transitionnel

L’objet transitionnel est une notion mentionné pour la première fois par Donald Winnicott, un médecin pédiatre et psychanalyste britannique du XX nième siècle. Il se distingue en étant un psychanalyste profond et original qui a transformé la psychanalyse. De plus par la double pratique de son métier de pédiatre et psychanalyste, on lui doit d’importante découverte telle que l’espace transitionnel, et l’objet transitionnel chez l’enfant. C’est sur cette découverte que je tenterai d’établir un lien entre l’architecture et la psychanalyse, le dessin comme objet transitionnel chez l’architecte.

1. Définition de l’objet transitionnel selon Winnicott en psychanalyse

Qu’est ce que l’objet transitionnel en psychanalyse, il s’agit d’un processus simple de la petite enfance commun à nous tous dans la culture occidentale, plus rare voir inexistant dans les cultures hors occidentales.L’objet transitionnel est un objet utilisé par un enfant entre 4 et 12 mois pour représenter une figure rassurante. Il n’est rien d’autre que le doudou chez l’enfant. L’objet transitionnel est donc un objet privilégié, choisi par l’enfant. Il est la première possession du non moi. Il permet le cheminement de l’enfant du subjectif vers l’objectif. Cet objet permet à l’enfant de lutter contre l’angoisse tout en gardant un sentiment de contrôle. Les objets et les phénomènes transitionnels font partir du royaume de l’illusion, le rêve est à la base de l’initiation de l’expérience. L’image mentale personnelle est toujours inconsciente, cette image passe alors toujours par l’expérience personnelle de la frustration, c’est cette dernière qui entraîne la fabrication de l’image mentale. Cette image se modifie, toutes nos frustrations intérieures la rendant idéale, on passe alors dans le processus de l’idéalisation.En général l’objet transitionnel est progressivement désinvesti. L’objet transitionnel est un objet réel, le fameux doudou qui a valeur de symbole du lien mère/enfant. Pour l’enfant c’est un peu de la mère lorsqu’elle n’est pas là. C’est une image mentale forte, un monde rassurant créer.L’objet transitionnel présuppose une séparation incomplète avec la mère et il prend alors place pour représenter celle-ci, in absentia. Autrement dit cet objet rend la séparation réelle, possible et supportable lorsque la séparation mentale n’est pas encore d’actualité. C’est un cordon ombilical imaginaire qui représente cette fusion mère/enfant.Via cet objet, imparfaitement délimité, l’enfant possède constamment sa mère auprès de lui. C’est une individualité séparée, il a acquis une maîtrise de cette séparation, à la base insupportable. Il est une étape dans le processus de séparation mère enfant.Il est ce qui permet d’avancer dans un monde inconnu vers l’affirmation de soi. Il est une sorte d’objet quasi magique rassurant et protecteur. Sa fonction est de rassurer et de rendre l’intégration possible, le nounours rassure l’enfant. Cet objet n’a de sens que pour celui qui l’a élu, il ne se partage pas, ne s’échange pas et ne se change pas sauf si l’enfant le demande. Il a sa propre odeur, sa propre matérialité, un toucher, il est tout notre imaginaire, représente ce qui nous est propre et il est rassurant par cela. Il est sa propre possession et l’enfant exerce sur lui une sorte de

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domination. L’objet transitionnel, le nounours, devra survivre à l’amour instinctuel, à la haine, à l’agressivité, il sera choyé et parfois mutilé. Il accompagnera l’enfant dans son cheminement. On peut espérer que chez la majorité des adultes, l’objet transitionnel n’a plus ce statut quasi magique.En effet par la suite entre en jeu, le processus de désillusion, l’enfant va se détacher peu à peu de cette objet, c’est le processus de désillusion. L’objet transitionnel va mener l’enfant jusqu'à ce processus, il va l’aider à entrer dans la réalité, vers l’objectivité. L’enfant est alors peu à peu amené à percevoir la réalité autrement. Le doudou est peu à peu abandonné et perd de son effet magique. Cet objet est progressivement désinvesti surtout au moment où se développent les intérêts cultuels de l’enfant. Il passe alors du subjectif à l’objectif, de l’imaginaire à la réalité.

Pour résumer l’objet transitionnel permet à l’enfant de se détacher peu à peu de la mère. Il est issu de l’imaginaire, l’enfant se créer tout un imaginaire avec cet objet qui le rassure. Cet objet lui permettra peu à peu à se confronter à la réalité, il est une image, un objet auxquels on se raccroche dans le passage de l’imaginaire, la subjectivité au réel, à l’objectivité.

Y a-t-il alors un lien avec le processus de conception en architecture et l’objet transitionnel chez l’enfant tel qu’il est défini par Donald Winnicott ? Pour moi il y a un lien évident que je tenterai de démontrer dans cette deuxième partie.

2. L’objet transitionnel en architecture, le dessin ou la maquette comme objet transitionnel dans le processus de conception.

Dans cette partie, je vais tenter de démontrer en quoi ce processus découvert par Donald Winnicott est applicable à l’architecture, et plus particulièrement comment le dessin, l’esquisse ou la maquette fait par l’architecte au début d’un projet peuvent jouer le rôle d’objet transitionnel dans le processus de conception.

L’objet transitionnel permet à l’enfant de lier sa réalité intérieure inconsciente à la réalité extérieure, c’est un lien. En architecture, un dessin qui ferait le lien entre une intention inconsciente de projet, une envie, un rêve, une intention même abstraite et une réalité construite d’un projet d’architecture pourrait être considéré comme un objet transitionnel.

Pour le dessin de l’architecte, il y a un phénomène de transition entre la représentation mentale d’un projet et sa réalisation concrète. Le dessin est alors une étape intermédiaire entre l’abstrait et le concret.Au début de la conception d’un projet, l’architecte a une image mentale qui lui apparaît, une idée. Il va traduire cette idée, cette intention par un dessin, une maquette, qui deviendra l’objet transitionnel.Ces lignes posées par l’architecte sur un papier et qui sont souvent abstraite et profondément inconsciente, représentent un substitut à l’absence d’objectif

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réellement architectural car elles portent en elles l’essence du projet, sa véritable identité. Comme le nounours est un lien mère/enfant, remplaçant cette dernière quant elle est n’est pas la, le dessin que fait l’architecte au début du projet permet à l’architecte de lutter contre l’angoisse, assimilable à l’angoisse de la page blanche, du fait qu’il n’est pas encore une idée concrète du projet.Cet objet transitionnel devient pour l’architecte le but à atteindre et tout le processus de projet aura l’ambition de réaliser cet objectif.L’objet transitionnel, est alors le fil conducteur d’une démarche comme étant un élément porteur d’un sens profond, une intention forte, à partir de cela, le travail de conception commence. L’objet transitionnel donne une voie à suivre, la représentation mentale propre l’architecte, comme le nounours il est sa possession propre et cet objet, cette image tout comme le doudou, sera choyée, mutilée, souvent remise en questions.Le projet final est la représentation concrète d’une image mentale, d’une intention originelle. C’est la formalisation de ce lien qui déclenche le processus architectural, un substitut à l’angoisse du néant.On peut cependant émettre une nuance, en architecture l’espace transitionnel peut être plus parlant, bien qu’étant un peu différent de ce que nous voulons démontrer ici. C’est un espace où se joue une forme de métaphysique, le monde peut s’y trouver révélé, trop loin du monde tout n’est que rêverie, inaccessible et trop près du monde, la pesanteur de la contrainte tue l’imaginaire qui est associé au principe de plaisir.L’objet formalise une idée venant d’une rêverie métaphysique et qui pour l’architecte aura un sens dans le monde physique, il est un lien entre rêverie et réalité.Tout comme le processus décrit par Donald Winnicott, il y a également le phénomène de désillusion qu’on trouve chez l’enfant, que l’on retrouve aussi dans le processus de conception.En effet l’image mentale une fois réelle n’est pas le résultat espéré.On peut sentir cette désillusion dans certains projets d’architectures contemporaines qui ont été conçus dans le déni résolu de toute donnée humaine, qu’elle soit physique, affective, sociale ou historique. Cependant pour les réaliser ils mettent alors en place de savantes équations que l’on passe ensuite sous l’œil expert de logiciels très perfectionnés. On produit alors des grilles, des trames, des schémas en tout genre avec l’espoir forcement déçu que par le coup de baguette magique, d’un simple agrandissement, leur nécessaire mise à l’échelle humaine lors de la réalisation deviennent enfin de l’architecture.

On retrouve ici le phénomène de désillusion en effet le projet construit réel n’est rarement voir jamais, la modélisation parfaite de l’idée première qu’on s’en été faite. C’était une image, un projet idéalisé. Cette première image joue le rôle de l’objet transitionnel, tout comme ce dernier, elle va permettre à l’architecte d’effectuer une transition entre sa subjectivité, l’idéalisation de son projet et la réalité, le projet bâti. Le dessin comme objet transitionnel va permettre de se détacher progressivement de cette image idéale, et petit à petit l’architecte va s’en détacher pour se consacrer au projet réel.

Pour résumer, ce que l’on associe ici à l’objet transitionnel de Donald Winnicott propre à la psychanalyse, est le dessin d’esquisse ou la maquette, un élément fort qui va guider l’architecte dans son processus de conception. Un élément qui va le confronter peu à peu à la réalité, un lien entre image mentale et projet, comme le

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lien mère/enfant. Ce dessin, cette maquette sera parfois idéalisée et parfois mutilée, sans cesse remise en question. Il permet à l’architecte d’être dans un monde entre réel et virtuel, ainsi dans cette entre deux, cet espace de transition, il pourra être entre l’imaginaire, le rêve, où tout est possible et dans le réel en même temps sans y être trop proche pour que les contraintes ne les bloquent dans le processus de création. C’est un élément de passage. Il me semble alors que nous étudiants en architecture et architectes avons ce que Winnicott appelle un objet transitionnel prenant la forme de dessin ou de maquette. Certes il n’a pas la définition exacte qu’on lui donne en psychanalyse, il y a des éléments variants mais il reste cependant fort comparable au processus de conception en architecture.

On peut retrouver la présence d’objet transitionnel chez de nombreux architectes, les exemples ne sont pas rares. Cette partie permettra de démontrer et d’illustrer mes propos ci-dessus à travers, des propos d’architectes et de leurs projets.

3. Architectes utilisant ce processus d’objet transitionnel dans la conception du projet architectural.

Dans la démarche de création, du projet, certains architectes ont recours à un objet transitionnel certes ils ne parlent pas d’objet transitionnel mais certains sont conscient de ce phénomène particulier lier à une image mentale, à un premier dessin ou une première maquette qui vont les guider jusqu’au projet.Pierre Riboulet, architecte, en parle d’ailleurs dans l’un de ces propos où on l’interroge sur comment ‘’marche’’ la création : ‘’Prétendre répondre à une question aussi difficile serait bien présomptueux. Simplement relater mon expérience personnelle et pour l’architecture seulement, à l’occasion d’un travail. Incontestablement, il y a au début cette image mentale, surgit de quelles profondeurs ?, qui s’impose et suivant laquelle les premières réflexions et analyses s’établissent. C’est en fait cette image qu’on cherche à matérialiser le plus tôt possible (esquisses, maquettes, dessins). Cette petite chose matérielle devient ensuite le référant sur lequel on s’appuie pour prendre les grandes options, les conditions qui vont caractériser le parti. Cependant même pendant ce stade, cela reste essentiellement une intuition non vérifiée. Cette phase intuitive est très importante et riche. Naissent là beaucoup de choses, l’inspiration est active. [ …] C’est à partir de ce parti que s’organise désormais la lecture du programme.’’ On note ici que la maquette ou l’esquisse est la matérialisation d’une image mentale, devenant le ‘’doudou’’, un référant riche de sens.On ne trouve pas cette démarche que chez Pierre Riboulet, l’exemple le plus connu est le musée Guggenheim à Bilbao, Frank O’Gehry est parti d’une feuille de papier froissée étant la transcription de son image, de son intuition. Cependant par la suite ces maquettes complexes, intuitives étaient intranscriptible à modéliser par son équipe, ils ont du passer par un logiciel de numérisation afin de ne pas perdre la créativité exprimer par l’architecte. En retranscrivant cela sans logiciel, il se serait éloigné de cette image forte et aurait perdu de son caractère proche du rêve et de l’idéalisation. Gehry est une énigme car en lui se rencontrent deux traditions

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d’architecture, le froisseur de papier, le gribouilleur de crobars, le manipulateur de bouts de cartons, l’obsessionnel de la maquette à deux sous et l’utilisateur à outrance des plus puissants logiciels informatiques. Ces logiciels lui permettent alors de conserver cette liberté de conception que l’on a avec l’esquisse, ces objets sont dans son travail un véritable lien entre le projet rêvé et le projet construit, un objet transitionnel.

Exemples de dessins de FranckO’Gehry faisant office d’objet transitionnel. Ces croquis intuitifs mène l’architecte au projet final.

Exemple ici un croquis et une feuille de papier froissée ont conduit à la réalisation du Musée Guggenheim à Bilbao.

Musée Guggenheim, Bilbao

On trouve ce phénomène chez de nombreux architectes comme chez Zaha Adid.L’architecte Zaha Adid a elle recourt au dessin, souvent un dessin très esquissé, proche du gribouillage propre à elle-même, il est sa possession propre et difficilement compréhensible par d’autre. Au concours du Peak de Hong Kong en 1983 au lieu des plans et des coupes attendus elle avait stupéfait son monde avec une série de tableaux zébrés de ligne noire et rouge, magnifique mais en apparence inconstructible. Les membres du jury saluèrent la performance et la nommèrent lauréate et on enterra le projet. En 2004, elle reçu le Prix Pritzker, son architecture de brisures et de lames est devenu réalité. Ces dessins d’esquisses la suivent, la guident jusqu’au projet final.

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Un simple croquis, comme ci-dessus la guide à travers tout le projet, il lui est propre, et compréhensible par elle seule.Un enchevêtrement de lignes propre à sonTravail dans tout projet de l’architecture à L’urbanisme comme ci-dessous.

ORDRUPGAARD MUSEUM EXTENSION Copenhagen, Denmark

ONE NORTH MASTERPLANSingapore 2001

On retrouve également ce processus chez Peter Zumthor, qui décrit ainsi sa façon de concevoir : ‘’ Ma façon d’inventer l’architecture commence toujours avec une image forte. Ces images sont naïves dans un sens presque enfantin.’’Dans la conception de l’hôpital Robert Debré à Paris, l’architecte Pierre Riboulet a expérimenté ce phénomène de l’objet transitionnel à travers une image mentale : ‘’ En arpentant le terrain, l’image mentale d’une forme curviligne m’apparait.’’ On comprend très bien dans la lecture de ‘’Naissance d’un hôpital’’ que cette image mentale a conduit tout son projet.

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Hôpital Robert Debré, Paris

On pourrait trouver encore de nombreux exemples et d’autres architectes mais le but ici n’est pas de dresser une liste exhaustive, mais de mettre en lumière la notion d’objet transitionnel dans le processus de conception On voit alors que de nombreux architectes travaillent, créent à partir avec un objet transitionnel plus ou moins conscient chez certains, ils parlent plutôt d’image mentale, d’intuition forte. Ils agissent cependant comme des ‘’doudou’’, des objets quasi magique qui vont accompagner l’architecte. Ils sont le lien entre une image mentale et le projet bâti, ils sont la concrétisation de cette image.

On peut alors effectuer le travail inverse et alors s’amuser à interpréter un projet. Si on a en notre possession l’objet transitionnel et le projet final on peut interroger l’objet transitionnel, et ainsi isoler les principes formels et voir les effets ressentis sur le projet bâti.

4. La trace de ce processus d’objet transitionnel dans mes travaux

En effectuant un retour en arrière sur mes propres travaux, on retrouve la trace de ses objets transitionnels et plus particulièrement en MPPA1 (Maquette Pour Penser Avec) où l’objet transitionnel est un objet au sens propre puisque ce sont des maquettes.On peut analyser, et c’est ce que je proposerai ici, mes travaux selon deux parties. Tout d’abord en repérant les procédures de travail, de conception et par la suite en analysant les effets de représentation, d’interprétation et de perception.On pourra ainsi isoler un principe formel, le principe formel2 restera dans le projet et l’objet essaie de former ces principes formels.

1. MPPA : Options Maquette Pour Penser Avec, suivie en troisième année du cycle de licence à l’ENSA Toulouse, cette option a pour but de nous initier à conception architecturale à partir de maquette.

2. Principe formel : au sens de Luis Kahn : c’est le quoi, le projet étant le comment. Prenons l’exemple d’une cuillère pour illustrer ce concept, la cuillère c’est un récipient et un manche tous deux inséparable de la cuillère, c’est le principe formel.

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Dans cette option l’idée était sans le savoir de nous faire fabriquer des objets transitionnels, sans le savoir parce que l’exercice consistait à créer des objets représentant des verbes d’actions, comme recouvrir, dissocier, couper,…, mettant alors en place des schèmes d’actions.Mon premier objet est parti d’une fourchette, un objet usuel, de tous les jours, commun à tous. Le procédé de conception a été d’envelopper la fourchette avec de la ficelle grossière, avec un geste répétitif, méthodique et consciencieux j’ai enroulé ce fil autour de la fourchette.La fourchette est alors enveloppée, emballée, momifiée. Un objet quelconque est ainsi momifié, la momification d’une fourchette. Elle prend alors un nouveau statut, elle devient singulière. La perception en est transformée. L’objet est reconnaissable, mais par ce procédé on a une reconnaissance diffère de l’objet selon la mise en scène, l’identification est ralentie.On reconnait le principe formel, au sens de Kahn, de la fourchette. Même différentela fourchette est reconnue. Le geste de momification induit une dimension de mémoire, une momie tout le monde connait, cela fait appel à une mémoire commune. L’objet est transfiguré avec ce procédé simple.

Objet transitionnel ? ou pas ?Moi-même je ne savais pas que je venais de créer un objet transitionnel. C’est à partir des effets dégagés par cet objet que le projet s’est construit. Ce procédé est un peu différent de celui expliquer plus haut en cela que j’ai construit cet objet sans savoir pourquoi et à quoi il allait servir alors que dans le procédé décrit plus haut l’architecte exprime ses idées de départ dans l’objet qui est une représentation de son image mentale.L’exercice consisté par la suite à mettre en place un projet sur le thème living in motion3. Il fallu alors mettre en place un habitat modelable, modulable et transportable.

3. Living in motion : Design et architecture pour un habitat flexible.

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C’est en repartant de mes objets transitionnels que j’ai pu proposer une interprétation de mon projet fini. Ici j’avais décliné l’enveloppe sur un même objet, la constante étant la fourchette et le variant la ficelle, l’enveloppe. Un même objet, avec même procédé de conception devenait cependant unique, devenant un objet singulier avec ces propres caractéristiques. C’est pourquoi dans mon projet on retrouve une même forme simple conçue dans des matériaux différents. Chaque module a alors sa caractéristique, abritant à chaque fois une fonction lui étantspécifique, dormir, manger, […] travailler.

Un habitat modulable à assembler comme on le veut s’adaptant à tous les lieux, permettant ainsi le départ pour un autre lieu. Selon l’assemblage des modules, le parallélépipède est plus ou moins identifiable, dans son identité, on perd la forme de base, l’identification de l’objet en est retardée.

Ceci n’est qu’un exemple parmis tant d’autres, on pourrait passer tous les objets réalisé en MPPA, sous le coup d’une interprétation rigoureuse. Le but de l’exercice était de concevoir alors ces objets sans savoir pourquoi on les fait, puis par la suite de les interroger, d’en dégager des principes formels. Les principes formels alors dégagés, l’objet devient un objet transitionnel, sa force doit alors être réinjectée dans le projet. La maquette objet va induire le projet. Ici objet transitionnel prend tout son sens, il a servi de passage de la maquette objet au projet.

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II __ Les Squiggles

Le Squiggle, ce jeu qui ne comporte aucune règle.

Qu’est ce que le Squiggle, que signifie et en quoi consiste ce mot difficilement prononçable ? En fait rien de bien complexe, un mot complexe pour un jeu qui ne comporte aucune règle, un procédé pour le plus souvent utilisé en pédopsychiatrie.

1. Définition du Squiggle en psychanalyse

En psychanalyse le Squiggle est utilise par le thérapeute afin de faire parler de manière inconsciente le patient qui le plus souvent est un enfant.

C’est une sorte de gribouillis fait en séance par le psychanalyste que le patientcomplète pour en faire quelque chose, voir en dire quelque chose. L’enfant complète et parle à partir du Squiggle qu’il redonne au psychanalyste afin que ce dernier le complète de nouveau. Le but est de laisser aller l’imaginaire, l’inconscient des deux protagonistes. Le thérapeute qu’en a lui doit faire sans cesse des allers retours entre l’expression inconsciente de son patient et la sienne, pour l’interprétation du matériel alors créer et pour donner un mouvement à la thérapie.

D’un Squiggle il est possible d’en tirer une représentation de maison, de volume, une image en trois dimensions, quelque soit sa forme. Il est un gribouillage.Cependant un gribouillage est une définition simpliste du Squiggle, il est différent d’un gribouillage fait en cours au coin d’une feuille, ou au téléphone pendant une discussion s’éternisant, qui est alors plus de l’ordre du dessin automatique. Le Squiggle est un médiateur thérapeutique ayant pour fonction d’exprimer quelque chose d’inconscient de deux personnes, un Squiggle ne se fait pas seul. Il est à interpréter à travers ce qui se passe dans la relation au psychanalyste et en association avec les autres Squiggles fait précédemment dans la séance et dans les autres séances.Le thérapeute demande alors au patient de dire à quoi lui fait penser, spontanément, sans réfléchir, ‘’le gribouillis’’ qu’il vient de dessiner. Ce n’est pas une image créé de rien, mais à partir du gribouillis, d’une courbe, d’un trait fait par l’analyste, il y a toujours un support pour le patient.Le Squiggle en lui-même n’est pas inconscient mais la forme pensée, l’image mentale qui nous arrive spontanément, puis dessiné par l’autre, qui a des racines inconscientes. C’est le principe de l’association, le Squiggle est toujours une série, chacun ont un lien entre eux. C’est cette absence de contrôle qui amène des interprétations qui pourront être accepté ou pas par le patient, mais qui vont par la suite rebondir sur de nouvelles productions. Le but étant de créer un espace d’inconscient à inconscient proche du rêve.

Pour résumer, le Squiggle est un media, un moyen de communication entre inconscients, de ce fait un Squiggles doit toujours être interprété. Il est ne se fait jamais seul, il est le résultat d’un échange entre plusieurs protagonistes

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Y a-t-il alors un lien entre le Squiggle et l’architecture ? Le Squiggle intervient il dans le processus de conception architectural ?

2. Le Squiggle comme processus dans la conception architecturale

Le Squiggle pourrait initier un phénomène de processus architectural, en effet il pourrait être associé au dessin automatique chez les artistes, qui apparaissent en phase réveil – éveil. ‘’ Dans les rêves certaines figures récurrentes, des figures architecturales ont une dimension symbolique. On pourrait dire du rêve qu’il est architecte car le rêve construit, suivant la métaphore architecturale de la construction psychique mais aussi avec des éléments, des images d’architectures.’’ Bernard Roland

Il peut jouer le rôle d’objet transitionnel mais contrairement à ce dernier il est en état de construction, incomplet et se transformera, s’achèvera par la suite.Il joue le rôle d’un objet transitionnel, il va alors initier au phénomène de processus architectural. Cependant seul l’architecte sait lire son objet transitionnel, c’est le développement de cet objet qui permet le partage au sein du projet architectural, c’est alors qu’intervient le Squiggle. Le Squiggle est un processus de conception qui s’associe davantage au travail de conception en agence, au travail de groupe. On retrouve alors le principe d’association, du Squiggle avec différents intervenants. On obtient alors une image mentale négocié, elle est le résultat d’une négociation, qui va ouvrir le passage vers la réalisation.Le Squiggle est alors une actualisation d’une image mentale. Ici le terme actualisation prend le sens que lui donne Gilles Deleuze. Ici actuel est mis en opposition avec virtuel, ils substituent les associations comme intelligible/sensible, essence/existence et encore possible/réel. L’actuel désigne l’état des choses matérielles et présentes, le virtuel est le passé idéal, leur échange traduit la dynamique du devenir comme différenciation et création. Le subjectif, l’objet transitionnel, c’est le virtuel, qui va s’actualiser par le processus de différenciation, le Squiggle avec ces différents intervenants. Cette multiplicité possède trois propriétés, la continuité, l’hétérogénéité et la simplicité. Le Squiggle est objet transitionnel en train de s’actualiser, il est une force en cours d’actualisation.Les architectes tentent de rendre perceptible ce premier signe d’une plénitude, d’une richesse aussi, qui nous donne ce sentiment de déjà vu. Ils le traduisent alors comme ils peuvent, croquis, maquettes ou autres, et cette première image va évoluer à travers différents protagonistes. C’est cela la construction, c’est l’art de former à partir de nombreux éléments un tout cohérent. L’architecture imaginée devient alors petit à petit une part du monde réel. Les représentations architecturales de ce qui n’est pas encore bâti portent la marque des efforts visant à faire parler une chose destinée au monde concret mais qui n’a pas encore trouvé sa place, chacun essai de transcrire son idée, à travers un ajout sur le dessin de départ.Quand le réalisme et la virtuosité graphique dans une représentation devient trop présent quand il n’ya plus la moindre ouverture où nous puissions pénétrer avec

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notre imagination et laisser naitre la curiosité pour la réalité de l’objet. Le désir envers l’objet réel s’estompe, elle n’a plus de promesse à offrir. Une esquisse est alors une réalité encore à venir, permettre un retour en arrière, un regard et l’apprentissage de la compréhension qui n’est pas encore mais commence à exister. Les dessins d’atelier, détaillés et objectifs donnent une forme matérielle à l’objet imaginé et sont libres de toute mise en scène associative de la représentation, marqué par la certitude et l’assurance d’une aura mystique.3 On retrouve ici le principe du Squiggle, un dessin libre construit par l’inconscient qui permet toutes les interprétations possibles, il n’est pas fermé. En psychanalyse, lors de la séance, il arrive que le Squiggle se ferme, le patient est alors bloqué, tout comme l’architecte avec une image informatique trop lisse.Il est nécessaire de concevoir selon des principes rationnel et objectif mais le processus de projet est toujours perturbé par des idées subjectives et irréfléchies. On reconnait la signification des sentiments personnels dans le projet, les architectes ne dévoilent pas les passions secrètes qui donnent l’âme à leur travail. Le processus est une interaction entre les sentiments et la raison. Tout comme l’émotion et l’inspiration donnent naissance à la substance fondatrice propre de l’architecture. La raison examine, et les sentiments nous disent si c’est juste. Une image intérieure soudainement surgie, un nouveau trait se met en place sur le dessin, c’est alors tout l’édifice du projet qui parait se transformer et se reformer en une fraction de seconde. Tout apparait alors sous un jour nouveau, tout comme avec le Squiggle, la conception en architecture n’est pas un processus linéaire. Le dessin permet de rebondir sans cesse.Il y a aussi l’association, la superposition de toutes les images inconscientes, de tous les souvenirs antérieurs revenant en mémoire des divers protagonistes.L’architecture au moment où elle nait est liée d’une manière particulière au présent. Guider par une image et une atmosphère revenant en mémoire lier aux souvenirs personnels. L’objet prend en imagination certaines qualités des modules utilisés, superposer, entrecroiser donne alors un objet riche et profond. Une fois l’objet fini, le projet construit tout ce processus s’estompe, le spectateur ne voit pas tous ce processus antérieur de création, un peu comme dans un tour de magie, on ne voit que le résultat, personne ne sait quel a été le processus, et c’est ce qui donne au processus de conception un coté quasi magique, de l’ordre de l’imaginaire.

On peut alors voir que le Squiggle peut être utilisé dans le travail, le processus de conception architectural. Il permet un dialogue, conscient ou inconscient, et de rebondir, il devient un objet transitionnel commun à nous tous. C’est une image mentale négociée, une actualisation au sens de Deleuze. Le Squiggle est alors le ‘’doudou’’ de toute une agence, de tout un groupe.

4. Propos extrait de ‘’Penser l’architecture’’ de Peter Zumthor.

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3. Architectes utilisant le processus du Squiggle dans la conception du projet architectural.

Dans la démarche de conception, certains architectes ont recours à une sorte de Squiggle pour faire évoluer l’objet transitionnel, la première image. En effet le dessin de base très esquissé est petit à petit complété par différents protagonistes. C’est une manière de concevoir non linéaire, qu’on retrouve chez de nombreux architectes et notamment dans le mouvement déconstructiviste.

L’architecture déconstructiviste est un style contemporain qui s’oppose principalement à la rationalité ordonnée de l’architecture moderne. Les fondements de ce mouvement incluent des idées de fragmentation, des processus de design non linéaire, de la géométrie non euclidienne de polarités négatives comme une structure et une enveloppe et ainsi de suite. Ils partent alors de l’image du rhizome5

au sens de Deleuze pour début d’esquisse. Dans la tradition des architectes déconstructivisme on retrouve des architectes comme Coop Himmelb(l)au, Zaha Adid, Tschumi ou encore Peter Eisenman.Peter Eisenman est devenu la figure majeure de la déconstruction architecturale, il intègre régulièrement de façon explicite un questionnement philosophique dans son processus de conception. Dès l’origine de son travail, il esquisse une réflexion sur la forme afin de rompre radicalement avec le rationalisme industriel issu de la tradition moderne dans les années 60. Les notions auxquelles sont rattachées, en architecture, la métaphysique de la présence sont principalement pour Eisenman les notions d’unité et d’origine. Ces notions sont, selon lui, issues du désir nostalgique de l’homme de savoir d’où il vient et de celui de se situer par rapport à son univers, c’est l’homme qui va faire évoluer ce Squiggle avec les contraintes extérieures.L’homme occupe alors une place au centre du processus architectural et des notions telles que l’esthétique, la fonction, le programme ou l’échelle sont soumises à une conception, une attitude qui rapporte toutes ces choses à l’homme. ‘’Les volumes platoniciens avec lesquels travaillait Le Corbusier ne sont plus adéquats pour rendre compte des phénomènes actuels. La symétrie n’est plus capable de dire ce que sont nos rapports à l’environnement, ce sont des choses du passé.’’ L’architecture doit s’afficher comme un processus autonome, où la forme est libre de toute contingence anthropologique et renvoie avant tout à elle-même.

SHEIKH ZAYED NATIONAL MUSEUMAbu Dhabi, United Arab Emirates

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On retrouve également cette manière de travailler fortement ancré dans le travail de Coop Himmelb(l)au. La genèse de ses formes répond à une démarche singulière qu’il réinjecte dans la conception du projet une dimension subjective et aléatoire. Il renoue avec l’écriture automatique où l’idée surgit d’une expression spontanée qui se traduit dans des esquisses réalisées les yeux fermés. Un gribouillage, un dessin qui servira de base au Squiggle, au dialogue c’est ce moment où l’architecture se vit, ce jaillissement de l’idée qui au final transparaitra dans la construction avec toute la qualité de son énergie première. Il rompt ainsi avec l’idée de composition en architecture.

L’architecte Bernard Tschumi est également un adhérent à l’architecture déconstructiviste, son travail est basé sur une philosophie cohérente de conception, une relation entre une écoute attentive des besoins des usagers et la force d’un concept architectural est le fondement d’une architecture réussie, un dialogue avec les usagers qui vont alors participer et mettre en place un Squiggle. C’est à la lumière de l’expérience des futurs utilisateurs que nous faisons évoluer le projet en relation avec le programme et avec les conditions spécifiques d’un site. Il possèdeune certaine aisance pour passer de la pratique à la théorie. Sa force c’est sa capacité à accueillir d’autres concepteurs ce qui donne des projets vivants, c’est l’intervention du Squiggle, un dialogue se crée.

………………

Manhattan Transcripts, Travaux theoriques

5. Rhizome : il a des formes très diverses, depuis son extension superficielle ramifiée en tous sens jusqu’à ses concrétion en bulbes et tubérales. N’importe quel point d’un rhizome doit être connecté avec n’importe quel autre.

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On peut également s’attarder sur le travail de Peter Zumthor.Peter Zumthor évoque dans son travail ce processus de conception qu’il qualifie de mystique. Il cherche à comprendre pourquoi il fait cela ainsi, il cherche sans cesse à pénétrer les secrets de cette passion, afin de mieux la comprendre et de l’affiner.Il cherche à interpréter tout acte de conception comme un psychanalyste analysera un Squiggle.Pour lui enseigner l’architecture, apprendre l’architecture, faire de l’architecture c’est se poser soi même des questions, dans le but de s’approcher de sa propre réponse, interroger son inconscient. C’est en nous même que réside la force d’un bon projet, son essence. Un bon projet met en œuvre les sens et l’intelligence, l’architecturen’est pas abstraite mais concrète. Une esquisse ce n’est pas de l’architecture mais une représentation plus ou moins lacunaire d’architecture, elle a besoin d’êtreinterprété c’est alors que nait son corps. Comme le Squiggle, l’interprétation est nécessaire.

Nous avons en nous des images qui nous ont marqué, il faut les faire revenir et les questionner. Au début du processus l’image est incomplète, il est alors nécessairede la reprendre, de la clarifier afin d’en compléter les parties manquantes.Cette image, ce Squiggle nous aide à ne pas se perdre dans l’abstrait des hypothèses théoriques à ne pas perdre contact avec les réalités concrètes de l’architecture. Penser en images comme conception du projet. C’est en cela la magie du réel c’est l’alchimie de la transformation des substances matérielles en sensation humaine. Les architectes utilisent ce procédé différemment du Squiggle en psychanalyse. En psychanalyse, il est un dialogue entre un psychanalyste et un patient, en architecture il est un dialogue entre associés d’une même agence, entre architectes et usagers comme chez Bernard Tschumi ou encore entre architectes et les contraintes extérieures comme chez Peter Zumthor.

Pour ma part, c’est dans le travail de groupe que nous nous sommes confrontés à ce phénomène.

4. La trace de ce processus d’objet transitionnel dans mes travaux

Lors des intensifs AMC6, nous avons du confronter nos travaux de recherches sur le theme ‘’Utopie pour des réserves limites’’. Ces travaux étaient des productionsd’objets transitionnels, d’images mentales que chacun d’entre nous avait produitessur ce theme. Nous avons du confronter, nos objets transitionnels, chacun avait ses images mentales lui étant venu à l’annonce du sujet. Imaginer des enfants qui chercheraient à savoir lequel à le meilleur ‘’Doudou’’, il a fallu mettre en place la négociation d’une image mentale.

Le travail AMC s’est articulé autour de deux semaines d’intensif sur le semestre. Ces intensifs ayant pour but de confronter nos idées en groupe et de produire des éléments, produire et produire pour faire évoluer, avancer la pensée.

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Avant la première semaine intensive nous avions tous produit des images sur ce que nous évoquait le sujet d’AMC, ‘’Utopie pour des réserves limites’’. Pour moi la première image me venant à l’esprit fut les zones blanches urbaines, les no man’s land urbain où il n’y a rien mais cependant pour la plupart elles sont entourées d’une clôture. J’avais alors mis cela en confrontation avec l’ile de Thomas More, des nouveaux lieux d’utopie urbain, le plein, la densité de la ville faisant la limite et les contours de cette ile qui est matérialisée par le vide. Les autres étudiants étaientpartis sur des pistes de travail différentes mais très vite nous nous sommes mis d’accord sur le fait qu’il y avait des lieux d’utopie, précieux qu’il fallait mettre en réseau. Chacun de nous avons réalisé par la suite des maquettes objets trèsdifférentes. Dans mon travail j’ai utilisé des objets métalliques que j’ai encastré dans du savon. Cet acte d’incruster un objet dans du savon fait mémoire à un procédé commun à nous tous, la fossilisation. Marquer une empreinte, laisser une trace, rendre précieux, ce qui a été ordinaire, par la trace du temps.

Pour la réalisation de la maquette commune, nous avons alors mis en place tout un réseau de fil tendu sur lesquels reposait en équilibre précaire des boites, des écrinsprécieux comportant ces lieux d’utopie.Cette maquette de fil et de boites comportant des objets ordinaires ou extraordinaires était la transcription de notre vision du sujet : utopie pour des réserves limites. Les boites en équilibre peuvent basculer à tout moment, les fils, la ville, reprenant leur place, ces lieux d’utopies, ces vides sont précieux et précaires, pouvant accueillir le banal ou les choses les moins banales. Je fil(e) en utopie…

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Lors du deuxième intensif on nous a attribué un site, des échangeurs de rocade avec l’hypothèse que la voiture aurait disparu, que deviendrai alors ces infrastructures ?Le processus de création d’une image mentale s’est alors mis en place, une actualisation de chacune de nos images mentales pour n’en faire plus qu’une. C’est le processus du Squiggle qui est alors mis en place, chacun y allant de son idée : conserver la thématique des lieux d’utopie, ces écrins, introduire le sport avec la proximité d’Ernest Vallon et créer des iles, chacun apportait sa propre image mentale, sa propre vision du projet.Le résultat, le Squiggle final, fut d’inonder les voies afin de créer des iles, écrins de sociabilité avec chacune un sport ordinaire ou extraordinaire.

Image mentale commune.

Maquette du projet, des écrins de sociabilité.

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A travers ces intensifs nous avons pu expérimenter l’actualisation de nos différentesimages mentales. Nous avons alors mis en place un travail de conception autour d’un Squiggle, chacun y apportant sa vision, son intuition. Mais c’est en quelques sortes ce que nous faisons chaque jour à l’école, une confrontation entre notre image mentale et celle de notre professeur qui nous guidera pour nous amener à notre propre projet, comme un thérapeute aide son patient à comprendre, ils fournissent les éléments manquant pour avancer. On retrouve ici ce processus propre à la psychanalyse.

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Bilan

Tout cela n’est rien d’autre que l’image de la pensée, au sens que lui donne Gilles Deleuze. Une présupposition et une préconception que la pensée se donne d’elle-même, soit comme une recherche naturelle du vrai, soit comme une instaurationd’un plan de création des concepts. L’image de la pensée est assimilée au plan, un plan nécessaire que la pensée réclame et se donne à titre préalable pour se livrer à un processus de conception. Le choc de l’image particulière conduisant à penser le tout.

Cette image obsessionnelle qui ne nous quittera que le projet finalisé, elle va nous suivre jusqu’au bout et permettra le passage du virtuel, de l’imaginaire vers le réel. Elle sera l’image, l’objet auquel on va se raccrocher, s’accrocher lorsque le projet nous semblera trop difficile, dénué de sens. Elle permettra à l’architecte, aux étudiants futurs architectes de ne pas perdre pieds, de faire toujours revenir en mémoire cette intuition première, souvent elle est l’essence du projet, sa force. Cette intuition, devient alors un objet transitionnel tout comme pour l’enfant il rassure, aide à se détacher du subjectifMême si ici l’objet transitionnel est une production de l’inconscient, un objet venant du moi, alors que pour le ‘’doudou’’ il est le non moi, un objet extérieur à nous, il n’en est pas moins selon moi un objet transitionnel. Cet objet peut prendre plusieurs formes, une maquette comme pour Frank O’Gehry, ou encore un gribouillage pour Zaha Adid ou Bernard Tschumi.En s’accrochant à cette intuition nous étant propre, le projet en devient unique.Il est en cela important d’apprendre que les ressources sont en nous, si on suit nos intuitions, selon Peter Zumthor les professeurs enseignants à l’école d’architecture doivent alors nous inculquer cela. Nous avons tous en mémoire les solutions, l’imaginaire se nourrit du passé.Cet objet va se nourrir de ces références et petit à petit évoluer jusqu’à êtredélaissé. C’est alors un procédé propre aux séances de psychanalyse qui rentre en jeu, le Squiggle. Plusieurs intervenants, protagonistes vont alors prendre part au projet, les clients, les économistes, les ingénieurs, les contraintes géographiques et typologiques ou encore les associés. Chacun va modifier cet objet, l’image mentale en sera actualisée, un trait sur l’esquisse et le projet pourrait être remis en question, totalement chamboulé, voir abandonné pour un autre objet transitionnel, comme l’enfant qui changerai de ‘’doudou’’.Le squiggle devient alors une sorte d’objet transitionnel commun à tous, il est un dialogue entre les différents protagonistes et tout comme le thérapeute l’interprèteafin de connaitre les désirs inconnus de ses patients, l’architecte devra l’interpréterpour comprendre les attentes précises de ses clients.

L’acte de conception est étroitement lié à la psychanalyse, les deux disciplines ont des processus similaire associable à l’un et à l’autre. Ceci est un des nombreux points que ces deux disciplines se renvoient.

On peut également étendre la théorie de l’objet transitionnel à toutes les disciplines artistiques car la création est toujours un acte de l’inconscient, et pas seulement dans le domaine de l’architecture.

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On pourrait s’étendre davantage sur le sujet et même développer plus la partie sur mes travaux personnels mais il est toujours difficile d’interroger soi même son intuition. Peut être m’aurait il fallu une sorte de therapeute avec lequel j’aurai mis en place un Squiggle pour interroger mes objets transitionnels, les faire dire quelque chose dont je n’ai pas conscience ? C’est aussi en ayant un regard extérieur sur nos objets transitionnels que l’architecture, le projet devient réel, il se nourrie de l’expérience de chacun. L’architecture n’est elle pas cette discipline complexe où l’inconscient, l’imaginaire est primordial car à la base de tout projet, tout en gardant un contact avec le réel, sa capacité à être mis en œuvre ? Un nécessaire aller retour entre l’imaginaire et le réel.

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Bibliographie

Ouvrages traitant de psychanalyse.

_ Donald Woods Winnicott, Jeu et réalité : l’espace potentiel, Gallimard, Paris, 1975

Ouvrages traitant de philosophie.

_ Gilles Deleuze et Félix Guattari, Capitalisme et schizophrénie 2, Mille plateaux, Les éditions de minuit, Paris, 1997

_ R. Sasso, A. Villani, Le vocabulaire de Gilles Deleuze, Vrin, Paris, 2003

Ouvrages généraux traitant d’architecture.

_ Peter Zumthor, Penser l’architecture, Birkhauser, Basel, SUISSE, 2007_ Pierre Loze, L’éloge de la maison, CFC_Editions, Bruxelles, 2001_ François Vigouroux, L’âme des maisons, Hachette Pluriel Référence, Paris,

2003_ Pierre Riboulet, Naissance d’un hôpital, Editions de l'Imprimeur, Besançon,

1994_ Beaux Arts, Qu’est ce que l’architecture aujourd’hui ?, Beaux Arts Editions,

Paris, 2006

Revues

_ D’architecture 170, Architecture et psychanalyse, D’a, Paris, Fevrier 2008, p.41 à 52