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- 91 - Analyse acoustique des voyelles [y] et [u] d’apprenants japonophones du français : peu d’effet du dialecte en L1 ? Daisuke AOKI, Sylvain DETEY, Yuji KAWAGUCHI Introduction S’il existe en japonais un phonème /u/, relativement comparable, d’un point de vue phonologique, au /u/ français, d’un point de vue phonétique, en revanche, il en diffère sensiblement 1 . L’acquisition du [u] français pose ainsi des problèmes aux apprenants japonophones, tout comme celle du /y/, absent, tant phonologiquement que phonétiquement, du système japonais. Le phonème /y/ est souvent réalisé comme [jy] en position initiale et le /u/ comme [ ɯ] ou [ ə] par les apprenants japonophones 2 . Le traitement des voyelles françaises /y-u/ en isolation en production et en perception par des apprenants japonophones a été solidement analysé phonétiquement par Kamiyama, qui parvient aux trois résultats essentiels suivants (Kamiyama et Vaissières 2009 : 33) “1. [Japanese-speaking Learners of French (JSL)] have difficulty distinguishing /u-ø/ perceptually, less so for /y-ø/, and still less for /u-y/ […]. 2. Out of the 47 JSL examined, only 4 produced a native-like /u/, whereas 20 produced a more or less native-like /y/ at least once, and 31 JSL did so for /ø/ […]. 3. [Native French (NF)] listeners mainly perceived /ø/ when they heard stimuli intended as /u/ by JSL (but produced with a high F2 between 1100 and 1600 Hz), giving a mean rating of 2 to 4.5 out of 5 for /ø/, but less than 1 for /u/”. Le présent article est dédié au professeur Yoichiro T SURUGA. 1 Cette définition est toujours problématique : il est difficile de savoir jusqu’à quel point nous pouvons dire qu’il y a un ou des phonème(s) similaire(s) dans les deux langues. Pour les apprenants japonophones, la transcription /u/ de [u] et [ ɯ ] est plus ou moins trompeuse. 2 KAMIYAMA et V AISSIERE (2009). © Flambeau 38 (2012) pp.91–109. Revue annuelle de la section française, Université des Langues Étrangères de Tokyo

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Analyse acoustique des voyelles [y] et [u] d’apprenants japonophones du français : peu d’effet du dialecte en L1 ?

Daisuke AOKI, Sylvain DETEY, Yuji KAWAGUCHI

Introduction

S’il existe en japonais un phonème /u/, relativement comparable, d’un point de vue phonologique, au /u/ français, d’un point de vue phonétique, en revanche, il en diffère sensiblement1. L’acquisition du [u] français pose ainsi des problèmes aux apprenants japonophones, tout comme celle du /y/, absent, tant phonologiquement que phonétiquement, du système japonais. Le phonème /y/ est souvent réalisé comme [jy] en position initiale et le /u/ comme [ɯ] ou [ə] par les apprenants japonophones2. Le traitement des voyelles françaises /y-u/ en isolation en production et en perception par des apprenants japonophones a été solidement analysé phonétiquement par Kamiyama, qui parvient aux trois résultats essentiels suivants (Kamiyama et Vaissières 2009 : 33)

“1. [Japanese-speaking Learners of French (JSL)] have difficulty distinguishing /u-ø/ perceptually, less so for /y-ø/, and still less for /u-y/ […]. 2. Out of the 47 JSL examined, only 4 produced a native -like /u/, whereas 20 produced a more or less native-like /y/ at least once, and 31 JSL did so for /ø/ […]. 3. [Native French (NF)] listeners mainly perceived /ø/ when they heard stimuli intended as /u/ by JSL (but produced with a high F2 between 1100 and 1600 Hz), giving a mean rating of 2 to 4.5 out of 5 for /ø/, but less than 1 for /u/”.

Le présent article est dédié au professeur Yoichiro TSURUGA. 1 Cette définition est toujours problématique : il est difficile de savoir jusqu’à quel point nous pouvons dire qu’il y a un ou des phonème(s) similaire(s) dans les deux langues. Pour les apprenants japonophones, la transcription /u/ de [u] et [ɯ] est plus ou moins trompeuse. 2 KAMIYAMA et VAISSIERE (2009).

© Flambeau 38 (2012) pp.91–109.

Revue annuelle de la sect ion française, Universi té des Langues Étrangères de Tokyo

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Toutefois, cette analyse ne semble pas tenir suffisamment compte de la variation dialectale en japonais. Il existe en effet au Japon plusieurs systèmes dialectaux phonétiquement distincts du japonais standard, et l’on pourrait imaginer que certaines catégories phonétiques d’une variété donnée puissent, sinon être directement transférées, du moins influencer, dans certains cas positivement, l’acquisition du système vocalique du français, puisque l’on sait que la variété dialectale en L1 peut influencer le traitement phonétique en L2 (voir par exemple l’étude en perception de Escudero & Williams (2012) auprès d’ap prenants hispanophones (ibériques vs péruviens) du néerlandais). L’objectif de l’étude présentée dans cet article est précisément de tester le possible impact de la variation dialectale en japonais sur l’apprentissage des réalisations des voyelles /y/ et /u/ en français langue étrangère.

Ce travail se base sur les conclusions d’une étude précédente 3, dont l’objectif était d’examiner la qualité de réalisation des voyelles /y/ et /u/ d’apprenants hispanophones et japonophones du français. Les productions examinées étaient tirées du corpus InterPhonologie du Français Contemporain (ci -après IPFC) 4, à savoir quatre mots monosyllabiques comprenant un /y/ ou un /u/ : bulle, boule, bu et bout. Les sujets sélectionnés étaient 10 apprenants hispanophones (5 du corpus homoglotte de Genève et 5 du corpus hétéroglotte de Madrid) et 10 apprenants japonophones (5 spécialistes d’études françaises et 5 non spécialistes). Les productions de 5 locuteurs francophones natifs avaient également été intégrées à l’étude. Toutes les productions étaient issues de deux tâches (lecture et répétition de la même liste de mots) et ont été évaluées perceptivement 5 par 58 auditeurs francophones natifs.

Dans cette étude, un résultat inattendu a été mis au jour chez les japonophones : un taux d’identification de la voyelle /u/ en lecture plus élevé chez les non spécialistes (81.53%) que chez les spécialistes (63.10%) (voir Figure 1). L’examen du profil sociolinguistique des apprenants a conduit à la mise en avant d’un facteur possiblement explicatif : leur origine dialectale en japonais. En effet, parmi les apprenants spécialistes examinés, la majorité d’entre eux était originaire 3 RACINE et al. (2012). 4 Voir DETEY et KAWAGUCHI (2008) , DURAND et al. (2009) et RACINE et al. (2012) ainsi que le site internet du projet : http://cblle:tufs.ac.jp/ipfc/ 5 Les natifs devaient indiquer le degré de représentativité de la voyelle perçue sur une échelle de 1 (= très bon représentant) à 5 (= autre voyelle).

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de l’Est du Japon. En revanche, la majorité des non spécialistes était originaire de l’Ouest du Japon. Or, on sait que le deuxième formant (F2) du /u/ du japonais parlé à Tokyo (Est) se situe généralement entre 1000 Hz et 1500 Hz 6 , et que la production du /u/ par les japonophones est souvent interprétée comme / ø/ par les auditeurs natifs du français7. A l’inverse, celui d’Osaka (Ouest) est généralement inférieur à 1000 Hz et le /u/ se prononce d’habitude avec arrondissement labial. Ainsi, en se concentrant sur la voyelle /u/ en lecture, une hypothèse a été dégagée : il y aurait un effet dialectal en japonais sur la produ ction de la voyelle /u/ du français chez les apprenants japonophones (voir également Kamiyama (2012) pour des résultats préliminaires soutenant cette hypothèse).

Figure 1) Pourcentage de réponse correcte pour /y/ (à gauche)

et pour /u/ (à droite) en fonction du groupe (Natif, JapS et JapNS) et de la tâche (rep. vs lect.)8

Le but de l’étude présentée ici est de tester cette hypothèse, sur la base des

deux questions suivantes : 1) pouvons-nous classer les apprenants en deux groupes, selon leur prononciation des voyelles françaises /y-u/, qui correspondraient à une répartition dialectale Est-Ouest en japonais ? 2) les réalisations des voyelles /y-u/ en français des apprenants de l’Ouest sont-elles plus ou moins proches phonétiquement de celles du français « de référence » (Lyche 2010) que celles des apprenants de l’Est ? 6 KAMIYAMA (2012) 7 KAMIYAMA et VAISSIERE (2009) 8 RACINE et al. (2012).

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En répondant à ces questions, nous tentons d’établir une corrélation entre la prononciation du français et le dialecte d’origine des apprenants à l’étude.

1. Caractéristiques articulatoires distinctives des voyelles /y -u/

Comme nous l’avons précédemment mentionné, la voyelle française /y/, articulatoirement décrite comme une voyelle orale, antérieure, fermée et arrondie, n’existe pas en japonais, ni phonétiquement, ni phonologiquement. Il s’agit donc d’un phone et d’un phonème nouveau pour les apprenants japonais.

La voyelle /u/, quant à elle, existe phonologiquement dans les deux langue, mais sa description phonétique est sujette à discussion, en particulier e n japonais. En français de référence, le /u/ est classiquement décrit comme une voyelle orale, postérieure, fermée et arrondie. En japonais, si la réalisation du /u/ est généralement transcrite phonétiquement par le symbole [ɯ], le degré de non-arrondissement peut varier (protrusion vs compression labiale), si bien que certains phonéticiens préfèrent transcrire sa réalisation en japonais standard par le symbole [ų] ([u] moins arrondi)9.

Cependant, il est important de tenir compte des différences de réalisation du /u/ entre les apprenants de différentes origines dialectales. Une illustration schématique des différences vocaliques entre les systèmes de Tokyo et d’Osaka est fournie par Sugitô (1995) et reproduite dans la Figure 2.

Figure 2) Les deux premiers formants représentés en deux dimensions (F1 sur l’axe vertical et F2 sur l’axe horizontal) des cinq voyelles (voix masculine) du

japonais d’Osaka (à gauche) et de Tokyo (à droite)10

9 SAITO (2000). 10 Cité par KAMIYAMA (2012).

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2. Expérience 2.1. Participants Parmi les locuteurs enregistrés dans le corpus IPFC, nous avons choisi, de manière aléatoire, 7 apprenants originaires de l’Est et 7 apprenants originaires de l’Ouest. Le premier groupe est constitué de 5 femmes et 2 hommes ; le deuxième de 4 femmes et 3 hommes. Il faut noter que les participants de l’Ouest sont originaires de 4 quatre départements différents : Nara, Hyôgo, Mié et Osaka11. En revanche, les participants de l’Est sont tous originaires de Tokyo. Tous les participants sont des étudiants de l ’Université des Langues Etrangères de Tokyo qui étudient le français soit comme sujet de spécialité soit comme deuxième ou troisième langue étrangère. La plupart des participants ont commencé à apprendre le français à l’université et seulement deux participantes avaient déjà commencé l’étude du français précédemment. La durée d’apprentissage varie entre 2 et plus de 48 mois. Nous les identifions avec le code suivant : EF1 (E=East, F=female, 1= sujet 1 de cette catégorie) et WM1 (W=West, M=male, 1 = sujet 1 de cette catégorie). Les profils détaillés des participants figurent en annexe du présent article. 2.2. Matériel Parmi la liste de mots spécifiques du protocole IPFC -japonais, 9 mots comprenant un /u/ et 2 mots comprenant un /y/ ont été extraits : ou, houle, la houle, moule, foule, la foule, bout, boule, pou, bu et bulle. Chaque mot a été produit deux fois par chaque participant, la première fois en répétition et la deuxième en lecture. Les productions des participants ont été enregistrées avec le fo rmat d’enregistrement suivant : .wav, échantillonage 22’050KHz, 16 bits, Mono. 2.3. Procédure Pour l’analyse acoustique des mots que les participants ont prononcés, nous avons utilisé le logiciel phonétique PRAAT12. D’abord, chaque mot a été segmenté manuellement. Ensuite, trois mesures formantiques ont été extraites 11 Tous ces départements font partie de la région de l’Ouest appelée Kinki. Celle -ci comprend 7 départements : Kyoto, Osaka, Nara, Shiga, Hyôgo, Wakayama et M ié. 12 BOERSMA & WEENINK (2011).

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automatiquement, respectivement à 1/3, 1/2, 2/3 de la longueur de chaque voyelle, puis nous avons calculé la moyenne de ces mesures et adopté une valeu r unique13.

Figure 3) Exemple de la prise des mesures formantiques 14 ([u] dans « pou ») 2.4. Analyse des données

Afin de classer les apprenants et analyser leurs productions, nous avons eu recours aux mesures formantiques de Cal liope (1989) (voir Tableau 1).

[y] [u]

masculin féminin Premier Formant

(F1) 300 350 350

Deuxième Formant (F2)

1800 2050 850

Tableau 1) Valeurs référentielles des formants (en Hz) de [y] et de [u] Ensuite, nous avons calculé la distance euclidienne (DE) 15 entre les valeurs référentielles et celles de chaque voyelle produite par les apprenants. Selon la 13 GENDROT et ADDA-DECKER (2005). 14 MARUSHIMA et al. (2010). 15 DE (XY) =√( (F1x – F1y )2 + (F2 x – F2 y )2

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distance, tous les apprenants ont été divisés en 2 groupes. Pour la classification, nous avons abordé l’analyse statistique avec la méthode de Ward de l’analyse cluster. Cette méthode nous permet d’obtenir les groupes les plus contrastés possibles (minimisation de la variance intra -groupe), c’est-à-dire un groupe plutôt proche de la valeur référentielle et l’autre qui en est éloigné. Dans notre étude, F1 et F2 sont les facteurs de classification. Les résultats de l’analyse cluster sont montrés dans les lignes qui suivent. 3. Résultats 3.1. Résultats pour /u

Figure 4) Résultat de l’analyse cluster pour /u/ en lecture

Groupe A Groupe B

proche de la référence ⇔ éloigné de la référence EM1 EM2

WF3 WF4 WM2

EF1 EF2 EF3 EF4 EF5

WF1 WF2 WM1 WM3

Tableau 2) Classement des apprenants pour /u/ en lecture

A

B

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Le tableau 2 montre le classement des apprenants d’après la production de la voyelle /u/ en lecture. Dans le groupe A, proche de la référence, 5 apprenants ont été répartis entre l’Est (2) et l’Ouest (3) ; dans le groupe B, éloigné de la référence, 9 apprenants ont été répartis entre l’Est (5) et l’Ouest (4). Tel qu’il apparaît dans ce tableau, le classement obtenu ne révèle pas d’effet dialectal sur la production de la voyelle française /u/ en lecture.

Figure 5) Résultat de l’analyse cluster pour /u/ en répétition

Groupe A Groupe B

proche de la référence ⇔ éloigné de la référence

EF2 EF3 EF4 EM2

WF1 WF3 WF4 WM1 WM2 WM3

EF1 EF5 EM1

WF2

Tableau 3) Classement des apprenants pour /u/ en répétition

A

B

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Le tableau 3 présente le classement des apprenants pour la production de la voyelle /u/ en répétition. Dans le groupe A, 10 apprenants ont été répartis entre l’Est (4) et l’Ouest (6). Dans le groupe B, 4 apprenant s ont été répartis entre l’Est (3) et l’Ouest (1). A la différence des résultats en lecture, nous pouvons ici considérer la répartition comme inégale entre les deux groupes : le groupe A serait majoritairement constitué d’apprenants de l’Ouest, tandis que le groupe B serait plutôt constitué d’apprenants de l’Est. Ainsi, en tâche de répétition, il serait possible d’effectuer des regroupements entre les apprenants de l’Est et l’Ouest. En observant toutes les mesures formantiques de chaque apprenant par m ot, nous avons trouvé un effet particulier en ce qui concerne la paire minimale « pou »/« bout ». C’est ce que nous présentons dans les figures 6 et 7.

Figure 6) Tableaux des mesures formantiques pour « pou » (à gauche) et « bout » (à droite) en lecture

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Figure 7) Tableaux des mesures formantiques pour « pou » (à gauche)

et « bout » (à droite) en répétition Nous pouvons percevoir ici que 3 apprenants de l’Ouest, WF3, WF4 et WM2 ont constamment prononcé la voyelle de façon très proche de la valeur référentielle (« V.R. » dans les figures 6 et 7). Les cercles indiquent la distribution de ces apprenants qui se placent autour de la valeur référentielle (F1 : 350Hz, F2 : 850Hz). En lecture, F1 reste entre 250-450Hz et F2 reste inférieur à 1000Hz pour « pou ». Pour « bout », F1 reste entre 400-500Hz et F2 reste toujours inférieur à 1000Hz. En répétition, les résultats sont plus proches de la valeur référentielle. En ce qui concerne « pou », F1 reste entre 300-450Hz pour tous les apprenants. F2 reste inférieur à 1000Hz pour WF4 et dépasse cette valeur pour WF3 (1108Hz) et WM2 (1136Hz). De même, cette tendance ne change pas pour « bout » : F1 reste entre 350-450Hz et F2 reste inférieur à 1000Hz sauf pour WM2 (1157Hz).

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3.2. Résultats pour /y/

Figure 8) Résultat de l’analyse cluster pour /y/ en lecture (à gauche) et en

répétition (à droite) Contrairement aux résultats présentés pour /u/, nous n’avons pas pu obtenir de résultat clair en ce qui concerne le /y/ selon l’analyse cluster. Comme le montre la figure 8, les apprenants ne forment pas de groupe mais ils ont tendance à se ré partir de manière irrégulière. Sur la base de ce résultat, nous ne pouvons envisager d’influence dialectale en L1 sur la production de la voyelle française /y/. En ce qui concerne les réalisations du /y/, comme cela a été montré dans des études précédentes, on notera que certains apprenants l’ont prononcé avec le glide [j] comme [jy]. 4. Discussion Afin d’examiner l’hypothèse de l’étude précedente (Racine et al., 2012), nous avons effectué une expérience acoustique dans laquelle 7 apprenants de l’Est du Japon et 7 apprenants de l’Ouest du Japon devaient prononcer des mots français comprenant soit un /u/ soit un /y/. L’objectif était de savoir si les apprenants

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originaires de 2 régions dialectalement distinctes du Japon formaient deux groupes différents lorsqu’ils produisaient les mots en lecture et en répétition (celui de l’Est et celui de l’Ouest). Nous avons aussi analysé acoustiquement les productions des apprenants de l’Ouest afin de savoir si celles -ci étaient plus proches des valeurs référentielles que celles de l’Est. Les résultats de l’analyse cluster pour chaque apprenant montrent que globalement nous ne pouvons pas classer les apprenants en deux groupes selon leur origine dialectale. Toutefois, les résultats obtenus pour le /u/ en tâc he de répétition nous permettent d’avancer l’hypothèse que le groupe de l’Ouest prononce mieux le /u/ en répétition que celui de l’Est. Ce résultat pourrait s’expliquer par l’influence de la tâche : alors qu’en tâche de répétition, la production native (ar rondissement et postériorisation du [u]) pourrait activer en perception (puis conséquemment en production) les catégories phonétiques du dialecte de l’Ouest par effet de similarité, la tâche de lecture, en revanche, conduirait les sujets d’une part à subir l’influence de la graphie (activation du système « standard ») et d’autre part à ne pas bénéficier de l’effet de rappel du stimulus auditif natif. Globalement, l’analyse des productions de tous les apprenants (distance entre les valeurs des apprenants et les valeurs référentielles), ne nous permet pas de conclure que les apprenants de l’Ouest seraient plus performants que ceux de l’Est vis-à-vis des voyelles /u/ et /y/. Néanmoins, un examen plus détaillé des réultats, item par item, permet de mettre en évidence certaines tendances. Ainsi, en nous limitant aux résultats de la paire minimale « pou »/« bout », nous avons observé que 3 apprenants de l’Ouest ont de meilleurs résultats que les autres. En outre, parmi ces trois, une apprenante a prononcé le [y] de manière très proche de celle des valeurs référentielles. En réalité, l’examen de son profil biolangagier révèle que cette apprenante avait commencé ses études de français avant l’entrée à l’université et se spécialisait dans l’étude du français. Nous pouvons alors envisager ici que l’influence de la durée d’études (et donc de l’exposition au français) serait plus importante qu’un éventuel effet du dialecte d’origine en L1.

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Conclusion En effectuant l’expérience acoustique décrite dans cet article , nous avons essayé de tester l’hypothèse formulée par Racine et al. (2012) suite aux résultats obtenus dans leur expérience perceptive : la prononciation du /u/ en français par des apprenants japonophones pourrait être plus proche de celle de natifs en ra ison des propriétés phonétiques dialectales du /u/ en japonais de l’Ouest. Or, contrairement à ce qui était attendu, l’étude présentée ici n’a révélé sinon aucune, du moins qu’une très faible relation entre la réalisation de /y -u/ et la variété dialectale des apprenants. Plusieurs facteurs doivent être pris en compte pour expliquer ce manque d’effet, à commencer par le caractère généralement bidialectal des Japonais, qui utilisent tant leur dialecte d’origine dans le milieu dans lequel il est pratiqué, que le japonais « standard » hors de ce milieu. Or, tous les apprenants de notre étude résidaient à Tokyo ou dans l’Est du Japon lors de l’enregistrement. On pourrait donc imaginer qu’une étude similaire impliquant des enregistrements effectués dans l’Ouest du Japon pourrait aboutir à des résultats différents des nôtres. De plus, nous n’avons aucune information sur le degré d’exposition et d’utilisation du dialecte en question, durant leur enfance (ce qui impliquerait une étude du milieu langagier familial), ainsi que dans leur vie quotidienne, alors que l’on sait que la fréquence d’usage d’une L1 donnée peut affecter l’acquisition d’une L2, même chez des migrants arrivés très jeunes dans le milieu dans lequel la L2 est pratiquée (Flege, Frieda & Nozawa 1997). Afin d’approfondir notre étude, il conviendrait de réaliser d’une part une expérience perceptive semblable à celle de Racine et al. (2012) dans laquelle des auditeurs francophones natifs évalueraient les productions, et d’autre part la constitution d’un corpus mieux contrôlé vis-à-vis de la dimension dialectale : non seulement dans le choix des sujets, mais aussi dans l’environnement de passation. Bibliographie BOERSMA, P. & WEENINK, D. (2011). PRAAT : doing phonetics by computer

[logiciel]. Version 5.3.03, téléchargé en décembre 2011: http://www.praat.org/ CALLIOPE. (1989). La parole et son traitement automatique, collection Technique

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阪.

Annexe

1) Profils des participants

ID Origine Sexe Durée d’etudes Séjours Spécialité EF1 Tokyo femme 12 mois 5 jours français EF2 Tokyo femme 12 mois Aucun chinois EF3 Tokyo femme 2 mois Aucun français EF4 Tokyo femme plus de 48 mois Aucun français EF5 Tokyo femme 6 mois Aucun français EM1 Tokyo homme 2 mois Aucun mongol EM2 Tokyo homme 2 mois Aucun chinois WF1 Mié femme 12 mois 1 semaine anglais WF2 Nara femme 2 mois Aucun français WF3 Osaka femme 2 mois Aucun français WF4 Osaka femme plus de 48 mois N/A français WM1 Osaka homme 2 mois Aucun anglais WM2 Mié homme 2 mois Aucun anglais WM3 Hyogo homme 2mois Aucun français

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2) La liste des mots spécifiques du protocole IPFC-japonais (les mots encadrés sont analysés dans la présente étude.)

1. vase 2. aigle 3. tic 4. teinte 5. sic 6. rat 7. pou 8. port 9. teint 10. ponce 11. tant 12. peur 13. pont 14. tante 15. peau 16. meut 17. parade 18. panse 19. ou 20. once

22. les pas 23. pan 24. peu 25. le gras 26. la vase 27. meule 28. la rave 29. la houle 30. le pas 31. la base 32. là 33. l’arabe 34. Inde 35. houle 36. le glas 37. hors 38. la foule 39. heure 40. hachis 41. gras

43. exprimé 44. eux 45. bâti 46. chic 47. bulle 48. eau 49. bout 50. glas 51. boule 52. bu 53. base 54. balle 55. eu 56. expliqué 57. assis 58. ballade 59. anse 60. Andes 61. bar 62. aigre

21. moule 42. foule

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3) La distance euclidienne pour /u/ dans les deux tâches

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日本人フランス語学習者の[y]と[u]の音響音声学的分析

L1 の方言による影響

青木 大輔、シルヴァン・ドゥテ、川口 裕司

日本語の「ウ」は、音韻体系上でフランス語の /u/に近い関係にある音素であるが、

音声学的には明らかに異なっている。一方で、フランス語の /y/は音韻論的にも音声学的にも日本語の母音体系に存在しない。従って、これまでの研究においても日本

人学習者にとってこれらの発音は習得が困難であることが分かっている。 本研究の目的は、IPFC の学習者コーパスを用いてフランス語を学習する日本語

母語話者とスペイン語母語話者の[y]と[u]の発音を考察した Racine他 (2012)の仮説を検証することである。同研究におけるフランス語母語話者による知覚実験では、日

本語母語話者のうちフランス語を専攻する学生が副専攻の学生よりも読み上げタス

クにおいて正しく[u]を発音しているという結果が得られた。その要因の一つとして、フランス語専攻の学生の過半数が関東出身者であり、副専攻の学生の過半数が関西

出身者であったことが挙げられている。 本研究では、同コーパスから関東と関西出身の学習者をそれぞれ7人ずつ抽出し、

[y]と[u]を音響音声学的に分析する。被験者は東京外国語大学にてフランス語を専攻もしくは副専攻とする大学生である。分析試料として同コーパスから [y]と[u]を含む11 単語を抽出して用いた。これによって、[y][u]の発音において関東出身者と関西出身者の学習者グループを分けることが可能か、また関西出身者は音声学的に標

準フランス語により近い発音をしているかを分析した。分析のために音響分析ソフト

Praat を使用した。 まず被験者のフォルマント値を計測し、参照値と被験者の値との平方ユークリッド

距離を計算した。それをクラスター分析(Ward 法)し、被験者のグループ化を行った。結果として、ただ 1 つのミニマルペア(pou/bout)において、3 人の関西出身者でフランス語の[u]に近いフォルマント値が見られた。[y]については、その 3 人の中でフランス

語学習歴の特に長い 1 人について、フランス語の参照値に非常に近い値が見られた。しかし、先行研究で仮説として提示されたような、出身地による関西と関東のグルー

プ分けは不可能であった。結局のところ、関西方言の使用レベルや録音場所(本実

験の場所は東京)等、様々な要因が L2 における母音の実現に関係するように思わ

れる。