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AMNESTY INTERNATIONAL ÉFAI Index AI : AFR 02/24/95 DOCUMENT EXTERNE Londres, septembre 1995 RWANDA ET BURUNDI Appel à la communauté internationale Sommaire I. Le Rwanda 2 1. L'Opération sur le terrain pour les droits de l'homme au Rwanda 3 1.1. L'enquête sur le génocide 6 1.2. L'aide à la reconstruction du système judiciaire 9 1.3. La mise en place d'une présence humanitaire internationale 10 1.4. La surveillance de la situation des droits de l'homme 11 1.5. Conclusion 13 2. La création du Tribunal international pour le Rwanda 14 3. Le rôle des contrôleurs de la police civile des Nations unies 16 4. L'aide internationale pour la reconstruction du système judiciaire 17 II. Le Burundi 18 5. Une commission d'enquête internationale 20 6. L'aide internationale pour la reconstruction du système judiciaire 24 7. Une police civile nationale 25 8. La mission d'observation de l'Organisation de l'unité africaine (OUA) 25 9. Une opération sur le terrain pour les droits de l'homme au Burundi 27 III. L'action entreprise en dehors du Rwanda et du Burundi 29 10. Les personnes qui tentent de se soustraire à la justice 29 11. Les transferts d'armes 31 IV. Recommandations 32 V. Annexe 37 Texte de la résolution 1012 (1995) adoptée le 28 août 1995 par le Conseil de sécurité des Nations unies Le Rwanda et le Burundi connaissent une situation très différente dans les domaines politique et des droits de l'homme, mais ces deux pays ont souffert de l'indif férence et des promesses non tenues de la communauté internationale. Les gouvernements du Rwanda et du Burundi ont réclamé l'ouverture d'enquêtes internationales en vue de désigner les responsables des crimes horribles contre l'humanité commis dans les deux pays. Ils ont accepté le principe du déploiement d'observateurs étrangers de la situation des droits de l'homme sur leur territoire, et ont sollicité une aide pour reconstruire l'appareil judiciaire et la police. Les deux pays ont été déçus par la réponse à leurs appels. Une série de retards et de tergiversations ont suscité la frustration et le scepticisme de la population quant aux intérêts véritables de la communauté internationale. Le présent document complète trois rapports publiés récemment par Amnesty International et intitulés Rwanda. Pour qu'enfin justice soit rendue (index AI : AFR 47/05/95), Rwanda. Les auteurs du génocide reçoivent toujours des armes (index AI : AFR 02/14/95), et Burundi. Survivre. Sans une action immédiate, les massacres continuent (index AI : AFR 16/07/95). Il est fondé sur les conclusions

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  • AMNESTY INTERNATIONAL ÉFAI Index AI : AFR 02/24/95 DOCUMENT EXTERNE Londres, septembre 1995 RWANDA ET BURUNDI Appel à la communauté internationale Sommaire I. Le Rwanda 2 1. L'Opération sur le terrain pour les droits de l'homme au Rwanda 3 1.1. L'enquête sur le génocide 6 1.2. L'aide à la reconstruction du système judiciaire 9 1.3. La mise en place d'une présence humanitaire internationale 10 1.4. La surveillance de la situation des droits de l'homme 11 1.5. Conclusion 13 2. La création du Tribunal international pour le Rwanda 14 3. Le rôle des contrôleurs de la police civile des Nations unies 16 4. L'aide internationale pour la reconstruction du système judiciaire 17 II. Le Burundi 18 5. Une commission d'enquête internationale 20 6. L'aide internationale pour la reconstruction du système judiciaire 24 7. Une police civile nationale 25 8. La mission d'observation de l'Organisation de l'unité africaine (OUA) 25 9. Une opération sur le terrain pour les droits de l'homme au Burundi 27 III. L'action entreprise en dehors du Rwanda et du Burundi 29 10. Les personnes qui tentent de se soustraire à la justice 29 11. Les transferts d'armes 31 IV. Recommandations 32 V. Annexe 37 Texte de la résolution 1012 (1995) adoptée le 28 août 1995 par le Conseil de sécurité des Nations unies Le Rwanda et le Burundi connaissent une situation très différente dans les domaines politique et des droits de l'homme, mais ces deux pays ont souffert de l'indif férence et des promesses non tenues de la communauté internationale. Les gouvernements du Rwanda et du Burundi ont réclamé l'ouverture d'enquêtes internationales en vue de désigner les responsables des crimes horribles contre l'humanité commis dans les deux pays. Ils ont accepté le principe du déploiement d'observateurs étrangers de la situation des droits de l'homme sur leur territoire, et ont sollicité une aide pour reconstruire l'appareil judiciaire et la police. Les deux pays ont été déçus par la réponse à leurs appels. Une série de retards et de tergiversations ont suscité la frustration et le scepticisme de la population quant aux intérêts véritables de la communauté internationale. Le présent document complète trois rapports publiés récemment par Amnesty International et intitulés Rwanda. Pour qu'enfin justice soit rendue (index AI : AFR 47/05/95), Rwanda. Les auteurs du génocide reçoivent toujours des armes (index AI : AFR 02/14/95), et Burundi. Survivre. Sans une action immédiate, les massacres continuent (index AI : AFR 16/07/95). Il est fondé sur les conclusions

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    d'une délégation de l'Organisation qui s'est rendue au Rwanda et au Burundi en mai et en juin 1995. Ce rapport examine en particulier la contribution des Nations unies et de l'Organisation de l'unité africaine (OUA) au rétablissement du respect des droits de l'homme. Il ne constitue pas une évaluation complète des opérations des Nations unies et de l'OUA au Rwanda et au Burundi, mais il identifie certains domaines clés dans lesquels des actions doivent être entreprises pour remédier à la situation critique des droits de l'homme dans les deux pays. Ce document reprend, en les élaborant, certaines des recommandations émises dans les précédents rapports publiés par l'Organisation, notamment celles relatives aux différents types d'actions qui devraient être entreprises au niveau international. I. Le Rwanda En septembre 1995, plus d'un an après l'accession au pouvoir de l'actuel gouvernement rwandais, la population de ce pays vit toujours dans une atmosphère de tension, d'insécurité et de méfiance. Les souvenirs du génocide et des autres massacres perpétrés par les forces du gouvernement précédent ainsi que par les milices sont encore récents, et ils influent inévitablement sur l'évolution de la situation politique et des droits de l'homme dans le pays. Alors que le gouvernement actuel a déclaré à maintes reprises qu'il respectait les droits de l'homme, les violations n'ont pas cessé dans de nombreuses régions du Rwanda. Bien qu'elles soient beaucoup moins nombreuses que celles perpétrées par les membres et partisans de l'ancien gouvernement et par les forces armées en 1994, elles touchent de nombreuses catégories de la population, et il est à craindre que le cycle de la violence et de l'impunité ne soit pas encore rompu. Aucun progrès n'a été accompli pour rendre justice au peuple rwandais. En septembre 1995, on estimait que plus de 50 000 personnes étaient emprisonnées sans inculpation ni jugement ; la plupart étaient détenues sur la base d'accusations très vagues de participation au génocide. Il est peu probable que ces prisonniers entassés dans des prisons et dans des centres de détention surpeuplés soient jugés dans un avenir proche. Selon certaines sources, plus de 200 détenus meurent chaque mois. Le recours à la torture est fréquent dans les lieux de détention non officiels où les prisonniers sont incarcérés immédiatement après leur arrestation, avant d'être transférés dans les prisons officielles. De nombreuses informations font état de "disparitions" ; il n'existe par ailleurs ni registre ni liste fiables de prisonniers. Des cas d'exécutions extrajudiciaires continuent d'être signalés. Le massacre le plus grave a été perpétré le 22 avril 1995 dans le camp de personnes déplacées de Kibeho : plusieurs milliers de personnes auraient trouvé la mort lorsque des soldats de l'Armée patriotique rwandaise (APR) ont ouvert le feu sur une foule prise de panique. Une commission internationale d'enquête n'est pas parvenue à établir le nombre des victimes ; les estimations des témoins indépendants varient de 2 000 à 8 000 morts. Des groupes armés rwandais alliés à l'ancien gouvernement et basés au Zaïre tuent également des civils non armés au cours de raids lancés depuis l'autre côté de la frontière. Soucieuses de faire taire les critiques, les autorités rwandaises harcèlent les individus et les organisations qui dénoncent les atteintes aux droits de l'homme. Journalistes, militants des droits de l'homme, membres de l'appareil judiciaire et fonctionnaires de l'administration locale figurent au nombre des personnes prises pour cible par le gouvernement ou par l'armée. 1. L'Opération sur le terrain pour les droits de l'homme au Rwanda Les États membres des Nations unies n'ont pris aucune mesure pour empêcher le génocide au Rwanda. L'Opération sur le terrain pour les droits de l'homme au Rwanda, mise en place après la fin des massacres, a souffert d'un manque d'organisation et de lenteurs ; elle a par ailleurs manqué de personnel compétent et de ressources. Cette mission, qui a gagné en crédibilité au Rwanda, joue un rôle utile pour la protection des droits de l'homme, mais elle manque de moyens essentiels et aucun rapport n'est publié sur son action. Bacre Waly Ndiaye, rapporteur spécial des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, arbitraires ou sommaires, s'est rendu au Rwanda en avril 1993, soit un an avant le génocide et les

  • autres crimes contre l'humanité perpétrés entre avril et juillet 1994. Le danger était déjà ressenti à cette époque et, en août 1993, le rapporteur spécial avait instamment prié les Nations unies de protéger les civils contre les massacres. Il avait de nouveau réclamé une action en février 1994, déclarant devant la Commission des droits de l'homme des Nations unies : « Il faut tirer les leçons du passé et mettre un terme au cercle vicieux de la violence ethnique qui a plongé le Burundi et le Rwanda dans un bain de sang. » 11 Ses avertissements n'ont pas été pris en compte. Un million de Rwandais environ ont été délibérément et arbitrairement tués, entre avril et juillet 1994, dans le cadre d'une campagne organisée de

    génocide. Il aurait peut-être été possible d'éviter ce désastre pour les droits de l'homme si les États membres de la Commission des droits de l'homme avaient suivi les recommandations du

    rapporteur spécial. Plutôt que d'intervenir pour empêcher la tragédie, les États membres des Nations unies ont laissé la situation se dégrader, puis ont retiré la quasi-totalité de leurs troupes au

    moment où les Rwandais étaient massacrés.

    La Mission des Nations unies pour l'assistance au Rwanda (MINUAR) 22 n'était pas encore totalement déployée lorsque l'avion qui transportait les présidents rwandais et burundais Juvénal

    Habyarimana et Cyprien Ntaryamira s'est écrasé le 6 avril 1994, causant la mort de tous les passagers. Les violences politiques qui ont immédiatement éclaté étaient essentiellement dirigées contre

    les civils appartenant à l'ethnie minoritaire tutsi, et contre les opposants hutu du gouvernement rwandais. À l'issue d'efforts frénétiques pour évacuer les ressortissants étrangers du Rwanda et après

    le meurtre de 10 Belges de la MINUAR, le gouvernement belge a retiré son contingent de la force de maintien de la paix des Nations unies. Le 20 avril 1994, le secrétaire général des Nations unies a

    exposé au Conseil de sécurité différentes options. La première consistait à renforcer la MINUAR de plusieurs milliers d'hommes et à modifier son mandat « de façon qu'elle dispose des moyens

    d'obliger les forces adverses à un cessez-le-feu, de tenter de rétablir l'ordre public et de mettre fin aux tueries et qu'elle ait autorité pour le faire » 33. Cette option a été rejetée. La seconde option, qui

    a été retenue, était de réduire la taille de cette force. Le 21 avril 1994, le Conseil de sécurité a ramené de 2 000 à 270 environ le nombre des soldats de la MINUAR ; 1 515 hommes étaient déployés à

    l'époque.

    Le peuple rwandais et les organisations humanitaires, au Rwanda et dans le monde entier, ont été choqués de voir les gouvernements, par l'intermédiaire des Nations unies, se détourner du Rwanda

    au moment où le pays avait grand besoin d'aide. Bien que des massacres horribles aient été perpétrés dans tout le pays, les gouvernements n'étaient pas disposés à risquer la vie de leurs

    ressortissants dans une opération difficile et incertaine de maintien de la paix. La situation se détériorant, une opération humanitaire a été lancée pour faire face à un afflux considérable de réfugiés.

    Le 13 mai 1994, le secrétaire général des Nations unies, exposant le nouveau mandat de la MINUAR, a recommandé de faire passer à 5 500 hommes les effectifs de cette mission, qui se montaient

    alors à 444 hommes. Quatre jours plus tard, le Conseil de sécurité a autorisé le renforcement de la MINUAR, dotée d'un mandat élargi lui permettant de contribuer à la sécurité et à la protection des

    réfugiés et des civils en danger, et de leur apporter une aide humanitaire 44.

    Malgré la décision du Conseil de sécurité, les pays qui devaient fournir du matériel et envoyer des soldats, des observateurs militaires et des contrôleurs de la police civile, n'avaient pas déployé les

    effectifs promis à la date du 22 juin 1994. On estimait alors qu'un million de Rwandais avaient été massacrés. L'Opération Turquoise, une mission de maintien de la paix menée par la France en

    dehors du cadre des Nations unies, a été autorisée avec une certaine réticence, le 22 juin 1994, par le Conseil de sécurité, pour parer au plus pressé en attendant le renforcement de la MINUAR. La

    « zone humanitaire sûre » créée par les militaires français dans le sud-ouest du Rwanda est progressivement passée, en août 1994, sous le contrôle de la MINUAR dont la mission consistait

    désormais à encourager les réfugiés à rentrer chez eux. Les troupes du Front patriotique rwandais (FPR) avaient pris le pouvoir après avoir renversé l'ancien gouvernement, le 19 juillet 1994.

    La Commission des droits de l'homme des Nations unies s'est réunie en session extraordinaire, les 24 et 25 mai 1994. Malgré les demandes formulées par Amnesty International et par d'autres

    organisations non gouvernementales, la commission ne s'est penchée que sur le Rwanda sans évoquer formellement la situation au Burundi. Une résolution prévoyant la nomination de René

    Dégni-Ségui, originaire de Côte-d'Ivoire, comme rapporteur spécial pour le Rwanda, a été adoptée. La commission a en outre demandé à José Ayala Lasso, récemment nommé Haut Commissaire aux

    droits de l'homme, de mettre sur pied une équipe d'observateurs de la situation des droits de l'homme chargés d'aider le rapporteur spécial, et d'œuvrer en collaboration avec la force de maintien de

    la paix renforcée 55.

    Le rapporteur spécial pour le Rwanda a rédigé plusieurs rapports 66. Le document publié le 28 juin 1994 a eu un impact particulièrement important en raison de la réticence des principaux États

    membres des Nations unies à reconnaître qu'un génocide était perpétré au Rwanda. Le rapport concluait à l'existence d'un génocide et recommandait un renforcement de l'équipe d'observateurs de

    la situation des droits de l'homme, ainsi que la création d'un tribunal international pour poursuivre ceux qui avaient planifié et provoqué les massacres. Ces deux recommandations ont été suivies

    d'effets : l'Opération sur le terrain pour les droits de l'homme au Rwanda a été mise en place sous l'égide du Haut Commissaire aux droits de l'homme, et le Tribunal international pour le Rwanda a

    été créé en novembre 1994 (cf. ci-après). Ces deux organismes ont toutefois eu beaucoup de mal à démarrer et leur financement reste précaire.

    1. Doc. ONU E/CN.4/1994/7, add 1, paragr. 64-66 et E/CN.4/1994/7, paragr. 171.

    2. L'Organisation de l'unité africaine (OUA) avait mandaté son Groupe d'observateurs militaires neutres

    (GOMN II) pour surveiller le cessez-le-feu au Rwanda. Des membres de cette mission ont été incorporés dans la

    MINUAR, créée en octobre 1993 par la résolution 872 du Conseil de sécurité.

    3. Doc. ONU S/1994/470 paragr. 13.

    4. Résolution 918 du Conseil de sécurité.

    5. Le texte de la résolution de la commission est reproduit dans le doc. ONU E/CN.4/S-3/L.2 du 25 mai

    1993 et le rapport du Haut Commissaire a été publié dans le doc. ONU E/CN.4/S-3/3.

    6. Doc. ONU E/CN.4/1995/7 du 28 juin 1994, E/CN.4/1995/70 du 11 novembre 1994, E/CN.4/1995/71

    du 17 janvier 1995 et E/CN.4/1996/7 du 28 juin 1995.

  • 4

    Le rapport le plus récent, publié le 28 juin 1995, expose certains des désaccords internes graves et des obstacles bureaucratiques qui entravent le bon fonctionnement de la mission. Le rapport

    déplore par ailleurs l'absence de coopération et de communication entre la coordination de la mission basée à Genève et le rapporteur spécial.

    Le Haut Commissaire aux droits de l'homme qui s'est rendu au Rwanda en mai 1994, à la mi-août 1994 puis en mars et en avril 1995, a lancé un appel, le 2 août 1994, afin de recueillir 2,1 millions de

    dollars pour financer la mise en place de 20 observateurs supplémentaires, outre les six dont le recrutement était déjà prévu. Le rapporteur spécial pour le Rwanda a défini comme suit le rôle de ces

    observateurs : un rôle de persuasion (rétablir la confiance des réfugiés et des personnes déplacées), un rôle de dissuasion (contre les représailles), de prévention (empêcher le renouvellement des

    violations des droits de l'homme) et de défense (enquêter sur les violations, notamment sur le génocide).

    Il a souhaité le déploiement, dans un second temps, de 150 à 200 observateurs de la situation des droits de l'homme sur l'ensemble du territoire rwandais « afin de surveiller non seulement le retour

    [des réfugiés] mais aussi la reconstruction de l'État rwandais, tout en menant les enquêtes nécessaires en vue d'établir la manifestation de la vérité sur les massacres » 77. Dans son dernier rapport

    daté du 28 juin 1995, le rapporteur spécial a recommandé de porter le nombre des observateurs à 300.

    Malgré les efforts du Haut Commissaire aux droits de l'homme et du rapporteur spécial pour le Rwanda, seuls 20 observateurs étaient effectivement sur le terrain à la mi-septembre 1994. L'Opération

    sur le terrain pour les droits de l'homme n'a disposé de l'ensemble de son effectif, soit plus de 100 personnes, qu'en février 1995. Cette lenteur incombe en partie aux États qui ont tardé à fournir le

    personnel compétent, le financement et l'appui logistique requis. Citons également le manque d'expérience et de moyens du Centre des Nations unies pour les droits de l'homme pour assurer le

    déploiement d'une mission de terrain, auquel sont venues s'ajouter les rivalités bureaucratiques internes ainsi que la confusion quant au mandat et au rôle respectif du Haut Commissaire, du

    rapporteur spécial et du Centre des Nations unies pour les droits de l'homme (basé à Genève).

    Le mandat de l'Opération sur le terrain pour les droits de l'homme au Rwanda avait pourtant été énoncé de manière claire et précise dès le début. Il peut être résumé comme suit : 88

    1. « Enquêter sur les violations des droits de l'homme et du droit humanitaire et notamment sur d'éventuels actes de génocide » ;

    2. mettre en place des programmes « dans le domaine de l'administration de la justice » ;

    3. œuvrer avec d'autres pour rétablir « la confiance et faciliter le retour des réfugiés et des personnes déplacées ainsi que la reconstruction de la société civile » ;

    4. « Surveiller la situation des droits de l'homme et, par leur présence, contribuer à remédier aux problèmes existants et à empêcher le renouvellement des violations des droits de l'homme ».

    La mise en œuvre de ce mandat a été confuse dans bien des domaines.

    1.1. L'enquête sur le génocide

    L'Opération sur le terrain pour les droits de l'homme au Rwanda a été créée en réponse au génocide et aux autres crimes contre l'humanité perpétrés dans ce pays. Son action d'enquête sur le

    génocide est toutefois entourée d'un secret excessif. Ni le personnel de la mission ni le gouvernement et le peuple rwandais n'ont été correctement informés des investigations menées. Une confusion

    regrettable a également entouré la contribution de la mission au processus visant à traduire en justice les responsables du génocide ; celle-ci a été exacerbée par le retard avec lequel le personnel

    compétent – enquêteurs de police, procureurs expérimentés, avocats et médecins légistes – est arrivé, et par son insuffisance.

    Une confusion considérable entourait la question de savoir lesquels parmi les nombreux organismes des Nations unies étaient chargés d'enquêter sur le génocide. En juillet 1994, une commission

    d'experts a été constituée par le secrétaire général des Nations unies pour étudier les informations sur les graves violations du droit international humanitaire, et notamment les actes constitutifs de

    génocide commis au Rwanda. Le Conseil de sécurité a expressément demandé à l'Opération sur le terrain pour les droits de l'homme et au rapporteur spécial pour le Rwanda de transmettre leurs

    informations à la commission d'experts.

    En raison des lenteurs dans le recrutement du personnel de l'Opération sur le terrain pour les droits de l'homme et dans son déploiement, des groupes d'avocats, de procureurs, d'enquêteurs de

    police et de médecins légistes ont été détachés auprès des Nations unies pour quelques semaines par les États-Unis d'Amérique, les Pays-Bas, l'Espagne et la Norvège, à la fin de 1994 et au début

    de 1995. Un Groupe des enquêtes spéciales a été créé, en octobre 1994, au sein de l'opération pour mener à bien les investigations sur les violations des droits de l'homme, notamment sur les actes

    constitutifs de génocide, et pour coordonner le travail des experts détachés. La commission des experts avait demandé l'envoi de ces équipes, mais elle avait en grande partie terminé son travail lors

    de l'arrivée au Rwanda des experts détachés.

    La confusion régnait également sur le point de savoir quelle était la mission de ces équipes et au profit de qui elle devait être remplie. Les bénéficiaires pouvaient être la commission d'experts, le

    rapporteur spécial pour le Rwanda ou le Tribunal international pour le Rwanda, créé en novembre 1994 par le Conseil de sécurité. Il pouvait s'agir également du gouvernement rwandais, qui

    procédait alors à l'arrestation de milliers de personnes soupçonnées d'actes de génocide sans disposer d'un appareil judiciaire permettant de les juger. En l'absence de directives claires, chaque

    équipe détachée a défini son propre programme de travail.

    Les membres de l'Opération sur le terrain pour les droits de l'homme pensaient généralement que les nouveaux venus ne devaient pas participer aux investigations sur le génocide, alors que nombre

    d'entre eux étaient qualifiés pour le faire et pensaient être envoyés au Rwanda dans ce but.

    La distinction entre la collecte d'informations sur les massacres et les investigations judiciaires a été négligée : il existe une différence qualitative entre la collecte d'informations sur des violations

    des droits de l'homme, pour laquelle des cas individuels sont retenus comme exemples représentatifs du caractère systématique des violations, et le recueil de témoignages de première main et

    d'éléments matériels, recevables en justice, pour prouver que des personnes précises ont commis certains crimes. La collecte d'informations sur le génocide est un exercice descriptif éno rme qui

    continue à mobiliser une grande partie du personnel de l'opération, lequel collabore avec les fonctionnaires rwandais et les organisations non gouvernementales. Les investigations judiciaires

    7. Rapport du rapporteur spécial sur le Rwanda, doc. ONU E/CN.4/1995/12 du 12 août 1994, paragr.

    43.

    8. Toutes les citations sont extraites de l'accord conclu entre le Haut Commissaire aux droits de l'homme

    et le gouvernement rwandais. Le mandat est également résumé dans HRFOR, Overview, Infodoc, février 1995.

  • doivent être effectuées par des experts dépendant du procureur du Tribunal international pour le Rwanda. Celui-ci a prié le Groupe des enquêtes spéciales de ne pas préparer de dossiers en vue de

    poursuites et de ne pas mener d'enquêtes détaillées sur le terrain.

    Le procureur a demandé des informations d'ordre général, notamment des plans des lieux où des massacres ont été commis, ce qui a été fait au début de 1995 par l'Opération sur le terrain. Le

    Groupe des enquêtes spéciales, secondé par les équipes de personnel détaché, a recueilli de nombreuses déclarations sous serment ainsi que des photographies, des armes, des rapports et

    d'autres éléments qui ont été remis en avril 1995 au Tribunal.

    Le rapport final du Groupe des enquêtes spéciales est malheureusement resté confidentiel bien qu'aucun témoin ni auteur de crime ne soit identifié dans le corps du document. L'Opération sur le

    terrain pour les droits de l'homme n'a publié aucun autre rapport sur ses investigations concernant le génocide perpétré au Rwanda.

    Il est évident que l'identité des témoins et des suspects doit rester confidentielle jusqu'au procès et que les éléments de preuve doivent être conservés précieusement. Mais ces mesures nécessaires

    en sont arrivées à signifier que ceux qui participaient aux investigations ne pouvaient parler à quiconque de ce qu'ils faisaient, même dans les termes les plus généraux.

    Ce secret a généralement laissé à penser qu'aucune enquête n'était menée sur le génocide, ce qui n'est de toute évidence pas le cas. Dans une rare déclaration publique sur le sujet, le responsable

    de l'opération a dit :

    « L'Opération sur le terrain pour les droits de l'homme au Rwanda a mené des enquêtes approfondies sur les massacres commis entre avril et juillet 1994 dans un certain nombre d'endroits parmi

    lesquels les préfectures de Butare (Karama, M'Bazi, Nyumba, Nyakibanda), de Cyangugu (Shangi), de Gitarama (Ruhango), de Kibungo (Zaza, Nyarabuye), de Kibuye (Rwamatamu, Mubuga) et dans la

    préfecture rurale de Kigali (Ntarama). » 99

    L'impression que l'Opération sur le terrain pour les droits de l'homme n'avait pas enquêté sur le génocide et qu'elle ne s'intéressait qu'aux violations commises actuellement a toutefois persisté.

    Il conviendrait de faire savoir publiquement que les enquêteurs spécialisés dans le domaine des droits de l'homme continuent à recueillir des éléments de preuve concernant le génocide et à œuvrer

    en étroite collaboration avec le procureur du Tribunal. En juin 1995, on envisageait la création d'une base de données informatique sur les massacres ainsi que des conférences au plus haut niveau

    sur la question de l'impunité. Les initiatives émanant du personnel sur le terrain à propos du génocide et de l'impunité devraient être soutenues par les Nations unies et par les États membres.

    Amnesty International recommande la publication dans les meilleurs délais d'un rapport sur les investigations menées par l'Opération sur le terrain pour les droits de l'homme et concernant le

    génocide. Ce document pourrait être publié seul, ou en annexe du prochain rapport du rapporteur spécial pour le Rwanda. Le peuple rwandais a le droit de connaître la vérité sur les massacres, et

    les conclusions de l'opération peuvent y contribuer. Une telle publication renforcerait la crédibilité de l'opération et rendrait également service aux autorités rwandaises qui détiennent actuellement

    plus de 50 000 personnes, dans la plupart des cas pour des faits liés au génocide. Le rapport démontrerait en outre à la population du Rwanda que l'enquête sur le génocide reste une priorité pour

    la communauté internationale.

    1.2. L'aide à la reconstruction du système judiciaire

    L'Opération sur le terrain pour les droits de l'homme au Rwanda a vu sa contribution à la reconstruction du système judiciaire entravée par les désaccords et les rivalités bureaucratiques au sein du

    Centre pour les droits de l'homme. Elle n'a donc pas été en mesure de mettre en place les programmes de formation ni de fournir le matériel de base dont le système judiciaire rwandais avait un

    besoin criant, ce qui a porté atteinte à la crédibilité de l'ensemble de l'opération.

    Sous la pression des événements, le Haut Commissaire aux droits de l'homme a pris un certain nombre d'engagements et a fait des promesses. Le Centre pour les droits de l'homme n'était

    cependant pas disposé à modifier ses procédures habituelles face à l'une des plus terribles catastrophes pour les droits de l'homme survenues depuis la création des Nations unies. En juin 1995,

    soit neuf mois plus tard, la hiérarchie des rapports et de l'autorité n'était toujours pas définie.

    L'Opération sur le terrain pour les droits de l'homme dispose d'une cellule de coopération technique, mais au départ, celle-ci n'était pas rattachée aux services consultatifs ni au département de

    l'assistance technique et de l'information du Centre pour les droits de l'homme. Celui-ci n'a donc débloqué aucun financement pour les programmes de formation, d'éducation aux droits de l'homme

    et de reconstruction du système judiciaire qui étaient proposés par le personnel sur le terrain. Ces programmes de formation, qui sont de toute évidence nécessaires, ont toujours figuré au cœur du

    mandat des Nations unies au Rwanda.

    Le système judiciaire rwandais a été pratiquement détruit par les massacres, les pillages et le vandalisme orchestrés par l'ancien gouvernement rwandais et ses partisans avant leur départ en exil, à

    la mi-94. Lorsque les partisans de l'ancien gouvernement se sont réfugiés au Zaïre pour fuir l'avancée du Front patriotique rwandais (FPR), ils ont détruit tout ce qu'ils ne pouvaient pas emporter.

    Tout le matériel portable qui se trouvait dans les tribunaux – dossiers, classeurs, papier, machines à écrire, crayons, ampoules électriques, agrafeuses, voire poignées de porte – a été emporté. Les

    meubles et les fenêtres ont été brisés. On a assisté par ailleurs à un exode massif des anciens employés, fonctionnaires et avocats ; d'autres, accusés de participation aux massacres sont incarcérés.

    Lors de son accession au pouvoir, le nouveau gouvernement rwandais a reconnu qu'il ne disposait pas d'un nombre suffisant de juristes compétents pour mener à bien les enquêtes et les procès.

    En juillet 1995, l'Assemblée nationale de transition a toutefois refusé de promulguer une loi permettant à des juristes étrangers de travailler au Rwanda. Il est difficile d'envisager une remise en état

    du système judiciaire dans un délai raisonnable sans l'assistance de juristes étrangers ayant l'expérience, les connaissances et les aptitudes linguistiques requises.

    La reconstruction du système judiciaire afin de garantir l'équité des procès peut paraître une tâche immense, exigeant une aide étrangère considérable et des années de formation. Pourtant, ce dont

    le Rwanda a essentiellement besoin est très simple : il faut fournir de toute urgence du papier, des dossiers, des machines à écrire, des cadenas et des classeurs. L'Opération sur le terrain pour les

    droits de l'homme dispose d'une cellule responsable de la reconstruction du système judiciaire, dotée d'un personnel chargé d'évaluer les besoins et d'apporter une aide au niveau des préfectures

    et des sous-préfectures. Le personnel de l'opération, qui avait évalué les besoins, s'est trouvé de plus en plus frustré de ne pouvoir les satisfaire car ces programmes n'entraient pas dans le cadre

    des procédures habituelles du Centre des Nations unies pour les droits de l'homme.

    Les donateurs potentiels ont fini par se demander s'il était possible d'apporter une aide au Rwanda par le canal des programmes des Nations unies en faveur des droits de l'homme. Cette incapacité

    à répondre aux besoins les plus essentiels entrave l'action du personnel déployé dans les provinces, et représente un obstacle supplémentaire à la reconstruction du système judiciaire rwandais.

    Tout retard exacerbe les problèmes relatifs aux droits de l'homme, notamment le maintien en détention prolongée, dans des prisons surpeuplées, de plus de 50 000 personnes qui attendent d'être

    inculpées et jugées. Certains milieux gouvernementaux semblent par ailleurs faire preuve d'un manque de volonté politique pour commencer à examiner le cas de ces dizaines de milliers de

    prisonniers. Les autorités se contentent apparemment de faire de la détention prolongée sans jugement un substitut de justice. Si l'aide étrangère nécessaire était accordée sans délai, l'absence de

    volonté politique du gouvernement serait dévoilée, et le manque de moyens ne pourrait plus être présenté comme un obstacle au bon fonctionnement du système judiciaire rwandais.

    9. HRFOR/info-doc/ mai 95, 22 mai 1995.

  • 6

    Amnesty International estime que l'Opération sur le terrain pour les droits de l'homme au Rwanda devrait être autorisée à recevoir des fonds lui permettant de contribuer à la reconstruction d'un

    système judiciaire équitable, et excluant le recours à la peine de mort. L'utilisation des fonds recueillis devrait être basée sur l'évaluation et les recommandations effectuées par le personnel de

    l'opération.

    Les autorités rwandaises devraient veiller à ce qu'une loi soit promulguée qui permette à des juristes étrangers dûment qualifiés de travailler au Rwanda en qualité d'enquêteurs, de procureurs,

    d'avocats et de juges, jusqu'à ce que le pays dispose d'un appareil judiciaire compétent, indépendant et impartial.

    1.3. La mise en place d'une présence humanitaire internationale

    Le besoin largement ressenti d'assurer une présence humanitaire internationale au Rwanda a suscité une pression considérable pour que soient rapidement envoyés des observateurs de la

    situation des droits de l'homme. Le Centre pour les droits de l'homme n'avait ni l'expérience ni la capacité requises pour gérer une crise aussi grave que celle à laquelle était confronté le Rwanda. Le

    processus de recrutement des observateurs s'est montré inférieur aux normes acceptables. Les lenteurs de l'appui logistique, et notamment le manque de véhicules et de matériel de communication

    ont retardé le transfert du personnel entre Kigali et les provinces.

    Une partie du personnel déployé n'avait ni les compétences ni l'expérience adéquates. D'autres ont été déçus d'être retenus à Kigali pendant des semaines après leur arrivée au Rwanda. Pendant les

    premiers mois de l'opération, l'ensemble du personnel a souffert de l'insuffisance d'encadrement, de formation et de directives. Nombre de personnes pourvues de contrats à court terme ne sont pas

    restées longtemps au Rwanda ; par ailleurs, la rotation du personnel était importante, souvent à cause de diverses crises locales.

  • Un grand nombre de ces problèmes ont été résolus ; une formation générale est dispensée, et une cellule de coordination analyse l'évolution de la situation et réalise une synthèse des rapports

    émanant du personnel sur le terrain.

    Amnesty International recommande le recrutement exclusif de personnes dûment qualifiées et possédant l'expérience, les connaissances et les aptitudes linguistiques requises. Des contrats

    renouvelables d'une durée minimale de six mois devraient être proposés de façon à attirer des candidats dûment qualifiés et à accentuer la continuité sur le terrain. En cas de rotation du personnel,

    il faudrait veiller à perturber le moins possible les relations constructives établies avec les autorités locales et la population. Les Nations unies devraient établir un budget parfaitement équilibré de

    façon à éliminer l'incertitude qui porte atteinte à l'efficacité de l'opération.

    1.4. La surveillance de la situation des droits de l'homme

    La dernière partie essentielle de l'Opération sur le terrain pour les droits de l'homme au Rwanda – le fait de surveiller les droits fondamentaux et de remédier aux violations commises – s'est trouvée

    critiquée. Le fait que cette opération n'ait pas publié de rapport concernant les investigations sur le génocide et qu'elle n'ait pas fourni d'aide matérielle au système judiciaire a donné l'impression

    qu'elle ne s'intéressait qu'aux violations commises actuellement, et que son activité était dirigée contre le gouvernement rwandais actuel.

    La surveillance de la situation des droits de l'homme peut renforcer, au sein des forces de sécurité, l'obligation de rendre des comptes, et sauver des vies dans bien des cas grâce à une vigilance

    accrue sur le sort des détenus et des réfugiés rentrés chez eux. Mais la surveillance ne suffit pas : pour progresser, il faut dénoncer publiquement les cas de violations des droits fondamentaux. Ce

    n'est jamais le "moment opportun" pour publier des rapports sur la situation des droits de l'homme, surtout dans une situation aussi polarisée que celle que connaît le Rwanda depuis le génocide.

    La seule approche raisonnable consiste à publier régulièrement des informations sur les droits de l'homme. D'autres opérations humanitaires des Nations unies dans des pays comme Haïti, El

    Salvador, le Cambodge et le Guatemala, ont valorisé leur rôle préventif en publiant des rapports détaillés et utiles sur la situation des droits de l'homme. Ces documents, ainsi que des rapports

    exceptionnels sur des faits particuliers, étaient publiés tous les quelques mois, soit comme rapports du responsable des droits de l'homme dans le cadre de ces opérations soit comme émanant du

    secrétaire général, et ils étaient diffusés dans toutes les langues officielles en tant que documents des Nations unies.

    La confusion quant au rôle d'information du Haut Commissaire aux droits de l'homme a eu pour conséquence que l'opération n'a pas disposé des moyens de diffuser l'information auprès du public.

    Les bulletins d'information qui ont commencé à paraître récemment pour expliquer l'action de l'opération sur le terrain 1100 ne sauraient se substituer à des rapports plus complets, publiés par les Nations unies sur les investigations menées et sur la situation des droits de l'homme. Amnesty International estime que, pour garantir son efficacité et renforcer sa crédibilité, le personnel international spécialisé dans le domaine des droits de l'homme doit régulièrement rédiger des rapports sur ses activités et sur ses conclusions. Ces rapports devraient être diffusés tant au niveau national qu'international 1111. L'information devrait être mise à la disposition des médias, de tous les organismes des Nations unies et notamment des mécanismes chargés des droits de l'homme, ainsi que des organisations intergouvernementales et non gouvernementales. Un soin tout particulier devrait être apporté à l'information de la population locale. 1122

    Amnesty International prie le Haut Commissaire aux droits de l'homme de publier régulièrement des rapports détaillés sur les activités de l'opération et sur les efforts déployés par les autorités rwandaises pour mettre en œuvre les recommandations émises. Le Haut Commissaire aux droits de l'homme a été chargé par l'Assemblée générale d'empêcher les violations des droits fondamentaux. L'information du public et l'ouverture d'un débat sur la situation des droits de l'homme au Rwanda peuvent largement contribuer à empêcher le renouvellement des violations. L'Opération sur le terrain pour les droits de l'homme au Rwanda remplit désormais un véritable rôle de protection grâce à la détermination et au dévouement de certains de ses agents sur le terrain. Au milieu des critiques sur l'incapacité des Nations unies à empêcher la tragédie qui s'est abattue sur le Rwanda, ces résultats positifs ont eu très peu d'écho. Les délégués d'Amnesty International qui se

    10. Cf. les documents intitulés United Nations Human Rights Activities in Rwanda – Activités des Nations

    unies au Rwanda dans le domaine des droits de l'homme – HR/FOR/95/1, 24 mars 1995, HRFOR/Info-doc/mai 95,

    22 mai 1995, Practical Activities to Assist the Rwandese People – Activités pratiques pour aider le peuple

    rwandais – HRFOR/Fact/02/95, 24 mars 1995, Establishing a Human Rights Field Office in a Prefecture in

    Rwanda – L'ouverture sur le terrain d'un bureau des droits de l'homme dans une préfecture du Rwanda —

    Field/HRFOR/01, 24 mars 1995, Genocide Investigation — Enquête sur le génocide — HRFOR/infodoc/février 95,

    Overview — Vue d'ensemble — HRFOR/infodoc/février 95.

    11. Cf. le document publié par Amnesty International et intitulé Maintien de la paix et droits de l'homme

    (index AI : IOR 40/01/94) et notamment le point 7 du Programme en 15 points pour la mise en œuvre des droits de

    l'homme dans les opérations internationales de maintien de la paix.

    12. Cf. Honouring Human Rights and Keeping the Peace : Lessons from El Salvador, Cambodia and Haiti.

    Recommandations for the United Nations – Respect des droits de l'homme et maintien de la paix : l'expérience du

    Salvador, du Cambodge et de Haïti. Recommandations aux Nations unies – A. H. Henkin (ed), 1995. p. 23.

  • 8

    sont rendus au Rwanda en 1995 ont pourtant constaté que, dans des préfectures comme celle de Butare, les agents sur le terrain sauvaient des vies en protégeant les personnes qui rentraient chez elles dans des conditions extrêmement difficiles. Dans tout le pays, des agents sur le terrain ont découvert des centres de détention, ils ont négocié la libération de certains détenus et ont obtenu que les prisonniers soient mieux traités. L'aide qu'ils apportent au Parquet et à la police est essentielle pour permettre de traduire les détenus en justice et remédier ainsi à la surpopulation carcérale. Les représentants de l'Organisation qui ont visité la prison de Gitarama, le 7 juin 1995, ont été choqués par l'extrême surpopulation : 6 847 prisonniers étaient entassés dans un espace prévu pour 600 personnes environ. Selon certaines sources, quatre détenus décèdent chaque jour dans cette prison. La surpopulation et l'absence d'hygiène entraînent de graves problèmes de santé, notamment des infections aux pieds et la gangrène (plus de 10 amputations ont eu lieu) 1133. Le Comité inter-national de la Croix-Rouge (CICR) et Médecins sans frontières (MSF) ont plusieurs fois demandé aux autorités rwandaises de remédier à la surpopulation carcérale. On compte dans certaines prisons sept détenus au mètre carré 1144. Pour remédier à la surpopulation, il est impératif de transférer des prisonniers dans de nouveaux établissements ou d'agrandir ceux qui existent, mais cela ne résoudra pas à long terme le problème fondamental de l'absence de justice au Rwanda. Dans un premier temps, le tri des détenus (cf. ci-après) devrait être accéléré de façon à remettre en liberté ceux contre lesquels aucune charge n'est retenue. Il convient en outre de renforcer les moyens du système judiciaire afin d'accélérer les investigations et de veiller à la mise en place d'un système judiciaire équitable pour juger les prisonniers contre lesquels existent des charges suffisantes. La peine de mort, forme la plus extrême de peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant, devrait être exclue. Le gouvernement rwandais ne s'est pas engagé à abolir la peine capitale et il est à craindre que lorsque le système judiciaire commencera à fonctionner, la peine de mort soit largement appliquée pour répondre au désir de justice, et dans certains cas de vengeance, de la population. Amnesty International s'opposerait à l'extradition vers le Rwanda de quiconque risquerait d'être condamné à mort ou exécuté s'il était reconnu coupable par la justice rwandaise. Les pays qui ont aboli la peine de mort s'opposeraient probablement aux extraditions réclamées par les autorités rwandaises, lesquelles doivent supprimer cet obstacle à la justice. 1.5. Conclusion Les représentants d'Amnesty International ont rencontré, dans plusieurs provinces, un certain nombre d'équipes de l'Opération sur le terrain pour les droits de l'homme. Nonobstant les problèmes évoqués dans le présent rapport, il convient d'insister sur le fait que les délégués de l'Organisation ont rencontré des spécialistes hautement qualifiés dans le domaine des droits de l'homme, qui effectuaient un travail remarquable de protection de ces droits au Rwanda, travail correspondant exactement à ce que l'on attend des opérations humanitaires des Nations unies. L'Opération sur le terrain pour les droits de l'homme au Rwanda a maintenant un effet positif et son rôle de surveillance et d'information sera renforcé lorsque le contingent de la MINUAR sera réduit dans les prochains

    13. Cf. l'Action urgente 134/95 lancée par Amnesty International (index AI : AFR 47/14/95) et intitulée

    Fear of further deaths in custody – thousands held in appalling conditions in Gitarama prison – On craint de

    nouveaux cas de mort en détention – Des milliers de personnes sont détenues dans des conditions effroyables dans

    la prison de Gitarama – et Médecins sans frontières : Rapport sur la situation médicale dans la prison de Gitarama,

    juin 1995.

    14. "Le Rwanda. Cri d'alarme du CICR sur la situation dramatique dans les prisons". Communication à la

    presse n 95/8. Cf. également "Rwanda. Le CICR augmente son personnel pour les visites de prisons". Nouvelles

    du CICR n 18, mai 1995.

  • mois 1155.

    15. La résolution 997 du Conseil de sécurité a prolongé le mandat de la MINUAR jusqu'au 8 décembre

    1995, en ramenant le nombre des soldats à 2 300 à la date du 8 septembre, puis à 1 800 au 8 octobre. Le nombre

    actuel d'observateurs militaires et de contrôleurs de la police civile doit être maintenu.

  • 10

    Les secrétariats des Nations unies à Genève et à New York, ainsi que les gouvernements du monde entier doivent apporter un soutien accru à cette opération 1166. 2. La création du Tribunal international pour le Rwanda Le 8 novembre 1994, le Conseil de sécurité des Nations unies a créé le Tribunal international pour le Rwanda (le Tribunal). Celui-ci est chargé de traduire en justice les responsables du génocide et des autres violations du droit international humanitaire perpétrées en 1994. Les États ont toutefois beaucoup tardé à prendre les mesures nécessaires pour que cette juridiction soit efficace. Le Tribunal aura le même procureur – le juge Richard Goldstone – que le Tribunal pénal international mis en place pour l'ex-Yougoslavie. Celui-ci s'est rendu au Rwanda en novembre 1994 avec une petite équipe d'enquêteurs et d'avocats détachés par le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie afin de commencer les investigations préliminaires. Il s'est également efforcé de convaincre les États de contribuer au bon fonctionnement du Tribunal en accordant des fonds, du personnel et du matériel, et en adoptant des lois permettant aux autorités nationales de collaborer au recueil d'éléments de preuves et de déférer au Tribunal les suspects qui pourraient se trouver sur leur territoire (cf. paragraphe 10 ci-après). Il a fallu plus de cinq mois pour installer le bureau du Tribunal à Kigali. D'autres enquêteurs seront basés à Arusha (Tanzanie), où siégera le Tribunal, ainsi qu'en Europe occidentale et en Amérique du Nord. Le retard avec lequel les enquêteurs ont été recrutés et déployés a amené nombre de personnes, tant au Rwanda qu'à l'étranger, à douter de la volonté des États qui avaient participé à la création de ce Tribunal et qui l'avaient prônée. Honoré Rakotomanana a été nommé procureur adjoint en janvier 1995 pour diriger les poursuites. En septembre 1995, la comparution en justice des auteurs des violations massives des droits de l'homme et des actes constitutifs de génocide perpétrés au Rwanda semblait une perspective lointaine et incertaine. Les lenteurs bureaucratiques affectant les procédures de financement et de recrutement ont amené le procureur à organiser, le 19 mai 1995, à Kigali, une réunion spéciale d'annonce de contributions. À cette date, seuls trois millions de dollars environ avaient été alloués au Fonds de contributions volontaires mis en place en janvier 1995 1177. Par ailleurs, 25 enquêteurs avaient été dépêchés, 20 avaient été envoyés par les Pays-Bas ainsi que trois policiers par le Royaume-Uni et deux enquê-teurs par les États-Unis d'Amérique. Lors de la réunion de Kigali, les gouvernements se sont engagés à fournir six millions de dollars supplémentaires et 32 enquêteurs. Les Pays-Bas ont promis trois millions de dollars et 21 enquêteurs, les États-Unis 1,6 million de dollars et 10 enquêteurs, la Belgique un million de dollars, le Royaume-Uni 250 000 dollars, l'Espagne 150 000 dollars, la Norvège 100 000 dollars, la Suisse 90 000 dollars, la Suède 70 000 dollars et l'Allemagne un enquêteur. Le Saint-Siège a promis par la suite 3 000 dollars et la Belgique un million de dollars. 16. Les trois principaux pays qui financent l'opération sont le Royaume-Uni (3 606 155 dollars), les

    Pays-Bas (809 079 dollars) et les États-Unis (750 000 dollars auxquels s'ajoute un million de dollars promis en

    juin 1995). L'Union européenne a envoyé 33 spécialistes dans le domaine des droits de l'homme qui font partie de

    l'opération des Nations unies, et dont le coût s'élève à 6 377 551 dollars. Les autres gouvernements qui ont

    contribué au financement de l'opération sont l'Allemagne (213 035 dollars), l'Australie (219 490 dollars),

    l'Autriche (46 644 dollars), le Canada (66 500 dollars), le Danemark (100 000 dollars), l'Espagne (9 880 dollars et

    208 000 dollars pour les Volontaires des Nations unies), la Finlande (83 267 dollars), la France (231 376 dollars),

    l'Irlande (160 478 dollars), Israël (10 000 dollars), le Japon (500 000 dollars), le Luxembourg (16 791 dollars), la

    Nouvelle Zélande (29 598 dollars), la Norvège (105 617 dollars) et la Suisse (189 394 dollars).

    17. Les pays ayant annoncé leur contribution étaient le Chili (1 000 dollars), l'Égypte (1 000 dollars), les

    États-Unis d'Amérique (un million et demi de dollars), la Grèce (20 000 dollars), l'Irlande (80 000 dollars), Israël

    (7 500 dollars), le Liban (3 000 dollars), la Nouvelle-Zélande (32 000 dollars), les Pays-Bas (un million de

    dollars), la Norvège (50 000 dollars), le Royaume-Uni (250 000 dollars), la Suisse (76 000 dollars) et la Suède

    (69 000 dollars).

  • Ces ressources permettront aux enquêtes de progresser mais le Tribunal estime qu'il a besoin de plus de 100 enquêteurs. Le procureur a promis que les premiers actes d'accusation seraient prêts avant la fin de 1995, mais des moyens supplémentaires doivent être fournis immédiatement pour que le travail du Tribunal ait l'impact nécessaire au Rwanda. La création de cette juridiction avait suscité l'espoir que les procès commenceraient avant la fin de l'année 1995. La déception est grande à mesure que cette perspective semble s'éloigner encore davantage. En juillet 1995, la première commission de l'Assemblée générale des Nations unies a décidé d'allouer au Tribunal la somme de 12 914 900 dollars pour la période se terminant le 31 octobre 1995 ; ceci permettra au Tribunal de recruter du personnel. Aussi longtemps que l'Assemblée générale n'aura pas convenu d'un budget approprié au lieu de prendre des mesures de fortune, le Tribunal ira d'une crise financière à l'autre. Il est de toute évidence difficile de recruter des enquêteurs et des procu-reurs expérimentés pour une durée si courte. L'Assemblée générale a élu six juges en juin 1995 1 18 8. Ces derniers se sont réunis en session extraordinaire en juin avec les cinq juges de la chambre d'appel, lesquels siègent également dans la chambre d'appel du Tribunal pour l'ex-Yougoslavie 1 19 9. Ils ont adopté de nouvelles règles de procédure et d'administration de la preuve, et ont discuté des méthodes de travail. Les juges ont décidé que l'un d'entre eux irait à La Haye d'octobre à décembre 1995 pour examiner les mises en accusation en attendant l'installation du Tribunal à Arusha. Leïty Kama, de nationalité sénégalaise, a été élu à l'unanimité président du Tribunal international pour le Rwanda. Aucune mise en accusation n'a été soumise au Tribunal et aucun suspect n'est détenu. Le juge Goldstone a affirmé qu'il rédigerait des actes d'accusation avant la fin de 1995. Le Tribunal est toutefois habilité à rejuger des personnes ayant comparu devant des juridictions nationales si les procès ont été manifestement inéquitables ou s'ils n'étaient qu'une parodie de justice 2200. Le Tribunal est donc compétent pour réexaminer le cas des 50 000 suspects actuellement détenus au Rwanda dans des conditions effroyables, et dont la grande majorité seront jugés par le système judiciaire rwandais. Le besoin le plus pressant est l'ouverture d'enquêtes systématiques en vue de désigner les responsables de la préparation et de l'incitation aux massacres commis en 1994 au Rwanda. Tant que la communauté internationale semblera largement indifférente à ces enquêtes et aux procès, il est à craindre que le peuple et le gouvernement rwandais perdent tout espoir dans la justice internationale. 3. Le rôle des contrôleurs de la police civile des Nations unies Bien qu'il soit urgent d'entraîner une nouvelle force de police au Rwanda, les États membres des Nations unies n'ont pas fourni le personnel qualifié ni le matériel de base à cet effet. Lorsque le gouvernement de transition a pris le pouvoir en juillet 1994, il n'y avait aucune force de police au Rwanda, pratiquement tous les membres de l'ancienne police ayant quitté le pays. Les tâches qui sont généralement celles de la police sont en grande partie assumées par l'Armée

    18. Les juges élus sont Navanethem Pillay originaire d'Afrique du Sud, Leïty Kama du Sénégal, T. H.

    Khan du Bangladesh, Lennart Aspergren de Suède, Yalov A. Ostrovsky de la Fédération de Russie et William H.

    Sekule de Tanzanie.

    19. Il s'agit d'Antonio Cassese originaire d'Italie et président du Tribunal pour l'ex-Yougoslavie, de

    Georges Abi Saab originaire d'Égypte, de Jules Deschênes du Canada, de Haopei Li de Chine et de Sir Ninian

    Stephen d'Australie.

    20. L'article 9-2 des statuts du Tribunal international pour le Rwanda dispose :

    « Quiconque a été traduit devant une juridiction nationale pour des faits constituant de graves violations du droit

    international humanitaire ne peut subséquemment être traduit devant le Tribunal international pour le Rwanda que

    si :

    « a) Le fait pour lequel il a été jugé était qualifié crime de droit commun ; ou

    « b) La juridiction nationale n'a pas statué de façon impartiale ou indépendante, la procédure engagée

    devant elle visait à soustraire l'accusé à sa responsabilité pénale internationale, ou la poursuite n'a pas

    été exercée avec diligence. »

  • 12

    patriotique rwandaise (APR). Celle-ci, qui dispose essentiellement d'armes meurtrières pour contrôler la foule, a reçu un entraînement à la guérilla plutôt qu'au maintien de l'ordre et aux techniques de sécurité. Le nouveau gouvernement a demandé à la MINUAR de participer à la forma-tion d'une police nationale. Le mandat confié à la MINUAR en novembre 1994 l'appelait à contribuer « à la création et à l'entraînement d'une nouvelle force de police intégrée et nationale ». Le mandat de la MINUAR a été renouvelé pour six mois en juin 1995, et les contrôleurs de la police civile ont reçu pour mission de rétablir la confiance en assurant un contrôle et en participant à la formation d'une force nationale de police. Bien que le Conseil de sécurité ait autorisé, en février 1995, l'augmentation du nombre des contrôleurs de la police civile de 90 à 120, ceux-ci n'étaient que 64 au 31 mai 1995 (sept détachés par Djibouti, neuf par l'Allemagne, 10 par le Ghana, cinq par la Guinée-Bissau, trois par la Jordanie, 10 par le Mali, 10 par le Nigéria et 10 par la Zambie). Deux forces de police suivent un entraînement : la gendarmerie et la police communale. Quatre cents gendarmes formés en deux étapes étaient déployés sur tout le territoire à la fin d'avril 1995. La troisième phase doit permettre d'en former 400 autres entre juin et octobre 1995. La quatrième phase prévoit la formation de 100 instructeurs choisis parmi les gendarmes, et qui poursuivront leur formation jusqu'à ce que l'ensemble des forces de police, estimées à 6 000 hommes, soient en place. L'école de la gendarmerie nationale, qui se trouve à Ruhengeri (nord-ouest du pays), peut désormais accueillir 700 stagiaires. L'école de la police communale, à Gishari, peut en recevoir 1 500, soit une dizaine par commune. Selon les Nations unies, les recrues appartiennent à différents groupes sociaux et ethniques. Elles ont été sélectionnées mais leur formation a été retardée par la pénurie de matériel de base, notamment le papier et les machines à écrire. Amnesty International recommande qu'une police civile ayant une expérience de la formation de forces de police civiles, conformément aux normes relatives aux droits de l'homme et à la justice pénale internationale 2211 soit mise à la disposition du Rwanda pour créer les deux forces de police civiles. Les principes d'Amnesty International concernant la formation en question sont résumés à la fin du présent document. Le nouveau mandat de la MINUAR prévoit que l'action des contrôleurs de la police civile comprend la surveillance de la police locale. À mesure que la gendarmerie prendra en charge la sécurité, il deviendra essentiel de veiller au respect des normes internationales de justice pénale. 4. L'aide internationale pour la reconstruction du système judiciaire L'aide internationale au système judiciaire dévasté se caractérise par l'absence de ressources vitales et de compétences. Par ailleurs, l'Assemblée nationale de transition n'a pas adopté la législation qui aurait permis à des experts étrangers de collaborer avec le système judiciaire rwandais. Ce système a été dévasté lors des destructions et des pillages commis par les partisans de l'ancien gouvernement et par l'armée avant leur départ du Rwanda. L'appareil judiciaire ne dispose actuellement que du quart des anciens fonctionnaires. La cellule d'assistance technique dépendant de l'Opération sur le terrain pour les droits de l'homme au Rwanda, le Programme de développement des Nations unies et le Programme des Volontaires des Nations unies ont mis au point un projet qui prévoit que 50 juristes experts étrangers (procureurs, enquêteurs, juges, avocats et experts en matière de police) travailleront au Rwanda dans les six prochains mois. Les gouvernements belge, néerlandais, britannique et américain ont annoncé qu'ils soutiendraient financièrement l'appareil judiciaire. Citizens Network (Réseau de ci-toyens), une organisation non gouvernementale, participe à la formation des inspecteurs de police judiciaire et soutient la création d'une Association des avocats. Un certain nombre de « commissions de triage » ont été mises en place par le gouvernement

    21. Cf. celles contenues dans le manuel rédigé par le Service de la prévention du crime et de la justice

    pénale des Nations unies et intitulé Règles pénales établies par l'ONU à l'intention des forces de police chargées du

    maintien de la paix.

  • rwandais, en mars 1995, pour filtrer les détenus et libérer ceux qui sont indûment détenus sur la base d'accusations non corroborées. Beaucoup de prisonniers ont été arrêtés après avoir été faussement accusés, par des ennemis personnels, de participation au génocide. Les commissions doivent examiner les dossiers des prisonniers et libérer ceux contre lesquels les preuves sont insuffisantes. Amnesty International a accueilli favorablement cette initiative mais les commissions n'avaient remis que 22 personnes en liberté à la fin mai 1995. Les autorités rwandaises ont reconnu que plus du cinquième des détenus étaient innocents, mais elles ont affirmé n'avoir pas les moyens de déterminer lesquels devaient être libérés. Bien que des commissions aient été désignées dans tout le pays pour mener à bien le tri au niveau local, celle de Kigali est la seule à fonctionner en raison du manque d'officiers de police judiciaire. Les commissions comprennent des représentants de l'armée, des services de renseignements, de la gendarmerie et du Parquet. Amnesty International déplore que la présence de militaires ait empêché la libération de prisonniers, arrêtés en majorité par l'armée, et dont les représentants de la justice estimaient qu'ils étaient détenus illégalement. Les commissions ne peuvent se substituer aux tribunaux. Les prisonniers libérés peuvent être à nouveau arrêtés et poursuivis si des preuves sont ultérieurement recueillies à leur encontre, mais des prisonniers ne doivent pas être maintenus en détention en l'absence de preuves suffisantes pour qu'ils soient inculpés et jugés. Amnesty International déplore en outre que les prisonniers libérés pour absence de preuves deviennent la cible de représailles ou d'autres attaques dès qu'ils rentrent chez eux, certaines parties de la population les considérant toujours comme des criminels ayant participé au génocide. Le gouvernement rwandais, en accord avec les autorités locales, devrait prendre des mesures pour garantir la sécurité de ces personnes après leur libération et expliquer à la population le motif des remises en liberté. II. Le Burundi Des milliers de personnes, appartenant pour la plupart à l'ethnie majoritaire hutu, ont été victimes d'assassinats politiques au Burundi en 1995. Nombre des tueurs étaient membres des forces de sécurité, dominées par la minorité tutsi. Les responsables de ces tueries n'ont jamais été identifiés par aucune enquête officielle ni, à plus forte raison, traduits en justice. Aucune condamnation n'a été prononcée pour les massacres qui ont suivi la tentative de coup d'État d'octobre 1993 et qui ont coûté la vie à 50 000 personnes au moins. Un grand nombre de civils tutsi ont été tués par des groupes armés hutu, à la fin de 1993. De nombreux Hutu ont été sommairement exécutés par des membres des forces armées et par des bandes de Tutsi. Quelque 100 000 personnes auraient été tuées entre octobre 1993 et août 1995. Le gouvernement ne parvenant pas à contrôler les forces armées ni à empêcher les extrémistes hutu et tutsi de s'armer et d'exploiter les tensions entre les deux communautés, l'autorité de la loi n'existe plus au Burundi. Non seulement l'appareil judiciaire est largement paralysé, mais il est également dominé par les Tutsi et donc considéré par les Hutu comme favorable à la communauté tutsi. Amnesty International préconise depuis de nombreuses années une réforme du système judiciaire burundais de façon qu'il soit compétent, indépendant et impartial, conformément aux normes internationales. Les exécutions extrajudiciaires imputables à l'armée n'ont pas cessé. Les opérations officiellement destinées à désarmer la population se soldent fréquemment par des exécutions extrajudiciaires de civils hutu commises par des militaires. L'armée se joint souvent à des milices ou à des Tutsi déplacés pour agresser des civils hutu. Des bandes de jeunes Tutsi ont tué des Hutu dans la capitale, Bujumbura, et ailleurs, lors d'opérations de "nettoyage ethnique". Des personnalités appartenant à la communauté hutu ont été assassinées. Des groupes armés hutu se livrent au Burundi à des attaques violentes de plus en plus fréquentes : ils ont effectué un certain nombre d'incursions à partir du Zaïre et de la Tanzanie, au cours desquelles des civils ont été tués. Dans les cas, relativement rares, où des arrestations ont lieu, les suspects – presque tous hutu – sont maintenus en détention prolongée sans inculpation ni jugement, et rien n'est fait pour les traduire en justice. Des centaines de Hutu, arrêtés à la suite d'opérations de désarmement ou parce qu'ils étaient soupçonnés d'appartenir à des bandes armées, sont toujours détenus sans inculpation.

  • 14

    Des prisonniers politiques ont été torturés ou ont "disparu". Les représentants d'Amnesty International qui se sont rendus au Burundi en mars 1995 ont pu interroger des prisonniers qui présentaient des traces visibles de torture (cf. le document intitulé Burundi. Survivre. Sans une action immédiate, les massacres continueront - index AI : AFR 16/07/95). La nécessité de mettre un terme à l'impunité est largement ressentie au Burundi. Bien que les responsables des massacres politiques perpétrés au cours des trente dernières années n'aient pas été poursuivis, le débat actuel sur l'impunité porte largement sur la question de savoir jusqu'à quelle date il convient de remonter dans le temps. Du 22 au 24 mai 1995, de jeunes Tutsi ont paralysé Bujumbura pour obliger les autorités à libérer six de leurs camarades arrêtés peu auparavant pour des infractions de droit commun. Ils ont tiré en l'air, lancé des grenades, brûlé des pneus, menacé les personnes qui voulaient se rendre à leur travail et exigé des autorités qu'elles s'intéressent plutôt à ceux qui avaient planifié et perpétré les violences d'octobre 1993. Les six jeunes gens avaient été arrêtés à la suite d'une intervention des "commissions mixtes" 2222. Celles-ci ont été créées par le ministère de la Justice pour enquêter sur les crimes commis depuis octobre 1993 et tenter de remédier à l'impunité. Les neuf commissions couvrant chacun des quartiers de Bujumbura comprennent des représentants de l'appareil judiciaire et des différents services de police. Cette composition a pour but de garantir un certain équilibre et d'encourager les services de police à s'échanger des informations. À la fin de mai 1995, des combats ont éclaté dans les quartiers de Kamenge et de Kinama, derniers bastions hutu de Bujumbura. Les communautés hutu et tutsi, qui étaient accoutumées à vivre ensemble, se sont retranchées depuis octobre 1993 dans des zones séparées et la ségrégation est aujourd'hui presque totale. Des représentants d'Amnesty International se trouvaient à Bujumbura en mai 1995 lorsque l'armée, après avoir encerclé le quartier de Kamenge, en a chassé les habitants. Des milliers de civils se sont réfugiés dans les collines. Des observateurs qui ont été autorisés à pénétrer dans le quartier ont affirmé avoir trouvé les corps de plus de 30 enfants et personnes âgées qui, n'ayant pas réussi à s'enfuir, avaient apparemment été abattus ou achevés à coups de baïonnette. Le silence qui entoure de tels faits permet à l'armée burundaise ainsi qu'aux groupes armés hutu et tutsi de se livrer à des massacres dans une quasi-impunité. Les ministres et le chef de l'État lui-même ne disposaient pratiquement d'aucune information sur les faits en question. Le 2 juin, à la télévision nationale, le président burundais a été contraint de reconnaître qu'il n'avait pas de détails sur les événements qui s'étaient déroulés à Kamenge, entre le 31 mai et le 2 juin 1995. Un débat national sur l'avenir du pays a été proposé aux termes de la "Convention de gouvernement", un accord de partage du pouvoir conclu le 10 septembre 1994 entre le gouvernement et les partis d'opposition. Une commission technique a été chargée de préparer le débat national, et la communauté internationale a été invitée à y apporter une contribution matérielle et technique. La commission axe ses travaux sur quatre thèmes principaux : l'organisation de l'armée et des forces de sécurité, la protection des minorités, les problèmes liés à l'éducation et à l'emploi, enfin, l'indé-pendance et la neutralité du pouvoir judiciaire 2233. Les querelles politiques concernant le mandat de la commission technique et sa composition permettent de se demander si le débat pourra avoir lieu. Les massacres continueront au Burundi tant que l'impunité n'aura pas cessé. Dans le climat politique hautement polarisé que connaît le pays, l'aide de la communauté internationale est nécessaire pour identifier les auteurs de violations des droits de l'homme et mettre un terme à l'impunité. Le soutien international est également requis pour réformer l'appareil judiciaire de façon que les auteurs d'atteintes aux droits de l'homme soient traduits en justice, conformément aux normes internationalement reconnues en matière d'équité, et sans recours possible à la peine de mort.

    22. Appelées "Commissions de lutte contre la criminalité dans la municipalité de Bujumbura".

    23. Décret n 100/020 du 5 novembre 1994, article 3.

  • 5. Une commission d'enquête internationale Bien que les autorités burundaises n'aient cessé de réclamer la création d'une commission internationale chargée d'enquêter sur la tentative de coup d'État de 1993 et sur les massacres qui ont suivi, peu de progrès ont été accomplis dans ce sens. Une telle enquête est pourtant essentielle si l'on veut mettre un terme au cycle de l'impunité et de la violence au Burundi. À la fin de 1993, le gouvernement burundais a sollicité la désignation d'une commission d'enquête sur la tentative de coup d'État d'octobre 1993 et sur les massacres qui ont suivi. Les différentes délégations qui ont été envoyées au Burundi par les Nations unies ont recommandé l'ouverture d'une telle enquête. En mars 1994, une mission d'enquête de l'ONU a recommandé l'envoi d'une commission judiciaire internationale pour enquêter sur les crimes commis en octobre 1993 ou après cette date ou, si une telle initiative se révélait trop délicate à mettre en œuvre au Burundi, l'envoi d'un certain nombre d'experts qui agiraient en tant que conseillers auprès des autorités compétentes pour mener à bien la même tâche 2244.

    24. Doc. ONU. S/1995/157, paragr. 203 (c).

  • 16

    La Convention de gouvernement du 10 septembre 1994 a repris l'appel lancé par le gouvernement burundais : « Il est demandé de recourir dans un délai de trente jours à une mission d'enquête judiciaire internationale, composée de personnalités compétentes et neutres pour enquêter sur le putsch du 21 octobre 1993, sur ce que les partenaires politiques ont convenu d'appeler génocide sans préjudice aux résultats des enquêtes nationales et internationales indépendantes et sur les différents crimes à connotation politique perpétrés depuis octobre 1993. » 2255

    Le Conseil de sécurité a envoyé d'autres missions d'enquête en août 1994 et en février 1995. La dernière d'entre elles a recommandé la désignation, dès que possible, d'une commission internationale chargée d'enquêter sur la tentative de coup d'État d'octobre 1993 et sur les massacres qui ont suivi 2266. Le Conseil de sécurité a en outre insisté sur le rôle que pourrait jouer une telle enquête. Ce n'est pourtant qu'à la mi-juillet 1995, soit vingt mois après la tentative de coup d'État, que le Secrétaire général a annoncé la désignation d'une commission d'enquête 2277 dont le mandat et la composition restent à définir. Le 28 juillet 1995, le Secrétaire général a soumis au Conseil de sécurité un rapport rédigé par Pedro Nikken, envoyé spécial, qui s'était rendu au Burundi pour évaluer la faisabilité d'une commission d'enquête. Celui-ci recommandait la désignation d'une telle commission dont le mandat devait être triple : a) établir les faits s'agissant de l'assassinat du président burundais le 21 octobre 1993, des massacres qui ont suivi ainsi que des autres actes de violence et crimes politiques commis entre cette date et celle de l'adoption de la résolution du Conseil de sécurité ; b) préconiser la procédure à suivre pour le procès et les sanctions à infliger aux personnes désignées par la commission comme responsables des faits objet de son enquête ; c) recommander des mesures de nature juridique, politique ou administrative, prévoyant notamment une réforme législative ou constitutionnelle, en vue d'empêcher le renouvellement d'agissements similaires et de mettre, de manière générale, un terme à l'impunité au Burundi. L'envoyé spécial a laissé entendre que la collaboration pleine et entière des autorités burundaises et leur engagement à mettre en œuvre les recommandations de la commission étaient une condition nécessaire au succès de cette initiative. Le Secrétaire général, tout en approuvant les termes du rapport, a fait observer que la désignation de la commission risquait d'être une fois de plus retardée si l'on demandait aux autorités burundaises d'accepter ces conditions au préalable. Le 6 août 1995, le Burundi a informé le Conseil de sécurité qu'il était disposé à collaborer avec lui pour mettre en place une commission d'enquête semblable à celle proposée par l'envoyé spécial. Le Conseil de sécurité a adopté à l'unanimité, le 28 août 1995, la résolution 1012, qui prie le Secrétaire général d'établir « d'urgence » une commission d'enquête internationale chargée : « a) D'établir les faits concernant l'assassinat du Président du Burundi le 21 octobre 1993, ainsi que les massacres et les autres actes de violence graves qui ont suivi ; « b) de recommander des mesures de caractère juridique, politique ou administratif, selon qu'il conviendra, après consultation avec le Gouvernement burundais, ainsi que des mesures visant à traduire en justice les responsables de ces actes, pour empêcher que ne se reproduisent des actes analogues à ceux sur lesquels elle aura enquêté et, d'une manière générale, pour éliminer l'impunité et promouvoir la réconciliation nationale au Burundi. » Le texte intégral de cette résolution est reproduit en annexe du présent document.

    25. Article 36. Le texte de la convention est reproduit en annexe des documents ONU A/50/94, S/1995/190

    du 8 mars 1995.

    26. Doc. ONU S/1995/163, paragr. 21 et S/1994/1039.

    27. Allocution prononcée par le Secrétaire général, le 17 juillet 1995, à Bujumbura : « Je voudrais

    annoncer la désignation de la commission d'enquête internationale prévue par la Convention de gouvernement. »

  • Tout en reconnaissant qu'il est très délicat d'envoyer une commission d'enquête internationale au Burundi, Amnesty International estime que celle-ci est une composante fondamentale de l'action internationale visant à mettre un terme à l'impunité. Il est essentiel que cette commission respecte les normes énoncées par les Nations unies pour ce type d'enquêtes dans les Principes relatifs à la prévention efficace des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires et aux moyens d'enquêter efficacement sur ces exécutions. Le retard avec lequel une commission d'enquête a été mise en place au niveau international a été imputé par certains membres du Conseil de sécurité à la crainte de provoquer une nouvelle crise, voire une autre tentative de coup d'État. L'action de la commission renforcerait de toute évidence l'angoisse des auteurs de violations des droits de l'homme, et pourrait susciter des tensions au Burundi. La communauté internationale, et tout particulièrement le Conseil de sécurité, doivent toutefois prouver qu'ils sont convaincus de la nécessité de désigner une telle commission et de met-tre un terme à l'impunité. Le Conseil de sécurité doit par ailleurs s'engager à suivre de près la mise en œuvre des recommandations de la commission, de façon à garantir que les auteurs de violations des droits de l'homme seront traduits en justice. Le 7 avril 1995, le représentant permanent du Burundi auprès des Nations unies a lancé l'appel suivant dans une lettre adressée au Secrétaire général : « Au lieu de se perdre en conjectures et d'envisager des solutions qui ne rencontrent pas l'assentiment des partenaires politiques au Burundi, les amis de ce pays feraient œuvre utile en proposant des actions concrètes d'assistance dans les domaines convenus par l'Assemblée générale des Nations unies. » 2288

    Le représentant permanent a dénoncé dans les termes suivants l'absence de réponse de la communauté internationale à ses appels à l'aide : « Nous avons tenté d'obtenir une aide de la communauté internationale. Nous souhaitions la désignation d'une sorte de commission internationale qui aurait contribué à une information judiciaire sur l'assassinat du président ainsi que sur les massacres et l'impunité qui n'ont pas cessé. » 2299

    Les Nations unies devraient rapidement fournir l'aide politique et logistique requise afin qu'une commission internationale puisse effectuer sans délai une enquête exhaustive et impartiale sur la tentative de coup d'État d'octobre 1993 et sur les faits qui ont suivi. La commission devrait être chargée d'enquêter sur les exécutions extrajudiciaires et sur les autres homicides délibérés et arbitraires ainsi que sur les "disparitions" et les cas de torture afin que le peuple burundais sache ce qui s'est passé, quelles étaient les causes des événements et s'il y a lieu d'engager des poursuites. Pour que la commission soit crédible au Burundi, ses membres doivent être neutres en ce qui concerne l'histoire du pays et inaccessibles aux pressions politiques. Ils doivent être indépendants et avoir une expérience commandant le respect et garantissant leur impartialité en tant qu'enquêteurs et juges en matière pénale. La commission devra également avoir recours à des experts dans le domaine de la médecine légale et de la balistique. La commission d'enquête devrait aller au-delà de la « collecte d'informations ». Elle devrait se conformer aux Principes relatifs à la prévention efficace des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires et aux moyens d'enquêter efficacement sur ces exécutions, et notamment au principe 9 qui dispose que l'enquête doit avoir pour objet de déterminer la cause, les circonstances et le jour et l'heure du décès ainsi que le responsable. Amnesty International estime que la commission devrait également recueillir les éléments de preuve permettant de décider de l'opportunité d'engager des poursuites à l'encontre d'individus. Elle devrait avoir tout pouvoir, conformément à la législation in-ternationale relative aux droits de l'homme, de contraindre les témoins, qu'il s'agisse de membres des forces de sécurité ou de civils, à fournir des éléments de preuve et être en mesure de les protéger. 28. Doc. ONU A/50/158, S/1995/278 du 10 avril 1995, paragr. 10. Le paragraphe 4 de la résolution 49/7

    prie les États membres et les organismes des Nations unies de renforcer les capacités de l'appareil judiciaire afin

    de rompre le cycle de l'impunité et de permettre aux autorités burundaises de traduire en justice les auteurs de la

    tentative de coup d'État d'octobre 1993 et des massacres qui ont suivi. Il préconise également le déploiement

    « d'observateurs civils des droits de l'homme chargés d'épauler l'administration locale ».

    29. Rapport international, 23 juin 1995, p. 5.

  • 18

    Les conclusions de la commission devraient être rendues publiques. Elle devrait émettre des recommandations permettant la comparution en justice des responsables de violations des droits de l'homme, sans recours possible à la peine de mort, et empêchant le renouvellement de tels agissements. La commission, qui devra travailler dans des conditions très difficiles, aura besoin du renfort du personnel des Nations unies et de l'Organisation de l'unité africaine (OUA) présent au Burundi, ainsi que du soutien politique de ces organisations intergouvernementales. L'enquête ne sera utile que si ses conclusions sont suivies d'effets. Les ressources et l'aide appropriées doivent être mises à la disposition de la commission avant même que celle-ci ne commence ses travaux, de façon à garantir sa continuité une fois les investigations terminées. La commission devrait ensuite rédiger des rapports sur la mise en œuvre de ses recommandations par les autorités burundaises, notamment par l'appareil judiciaire. 6. L'aide internationale pour la reconstruction du système judiciaire Le système de justice pénale n'a pas jugé les responsables des massacres politiques perpétrés au Burundi. La majorité Hutu considère l'appareil judiciaire dominé par les Tutsi comme lui étant hostile et pense qu'il se refuse à prendre des mesures contre les Tutsi auteurs de violations des droits de l'homme. L'aide internationale pourrait contribuer à garantir un fonctionnement équitable du système judiciaire et redonner à la population confiance dans l'autorité de la loi. Nombre des quelque 4 000 personnes actuellement détenues, en majorité d'ethnie hutu, n'ont que peu de chances d'être jugées prochainement. La paralysie de l'Assemblée nationale sur la question de la réforme institutionnelle des tribunaux explique en partie cette impasse. Cette situation est largement imputable à l'absence de volonté politique et aux restrictions imposées à la liberté d'action du gouvernement après que celui-ci eut fait des concessions à l'opposition. Les réformes législatives soumises à l'Assemblée nationale visent à étendre aux affaires d'homicide la compétence des 17 tribunaux de grande instance. Les infractions dont les auteurs sont passibles de la détention à perpétuité ou de la peine de mort 3300 ne peuvent actuellement être jugées que par les trois cours d'appel. Celles-ci servant à la fois de juridiction de première instance et d'appel, il faut créer une instance supérieure. Le fait de priver les accusés du droit d'interjeter appel devant une juridiction supérieure serait une violation de l'article 14-5 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques auquel le Burundi est partie 3311. Les tribunaux de grande instance ont également été autorisés à juger les affaires d'homicide en raison des difficultés rencontrées par les témoins et par les accusés pour se rendre dans les trois villes où siègent les cours d'appel, à savoir Bujumbura, Ngozi et Gitega. L'élargissement de la compétence des tribunaux de grande instance ne résoudra rien si les dossiers soumis aux juges n'ont pas été correctement instruits. Le cycle de l'impunité ne sera brisé que lorsqu'une force de po-lice nationale sera en mesure de procéder aux arrestations et de recueillir les éléments de preuve. Toutes les catégories de la population doivent avoir confiance dans l'équité et l'impartialité du système judiciaire. La collaboration de juges étrangers et d'autres experts dans le domaine judiciaire, qui travailleraient pendant quelque temps avec leurs homologues burundais contribuerait à garantir que l'appareil judiciaire enquête sur les crimes et les réprime équitablement, en conformité avec les normes internationales, par des procès excluant le recours à la peine de mort, et montrerait également à la population que justice est rendue.

    30. Amnesty International est inconditionnellement opposée à la peine de mort qu'elle considère comme un

    châtiment cruel, inhumain et dégradant et comme une violation du droit à la vie.

    31. L'article 14-5 dispose : « Toute personne déclarée coupable d'une infraction a le droit de faire examiner

    par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation conformément à la loi. »

  • 7. Une police civile nationale Les autorités burundaises ont un besoin urgent de l'aide de gouvernements étrangers pour entraîner une force de police civile nationale chargée de maintenir l'ordre conformément aux normes internationalement reconnues. Il y a pléthore de services de police au Burundi. Outre les membres des commissions mixtes – la Police judiciaire des parquets (PJP), la Brigade spéciale de recherche (BSR) dépendant de la gendarmerie, la Police de sécurité publique (PSP) et la Documentation nationale (DN) – on trouve la Police de l'air, des frontières et des étrangers (PAFE) et l'Unité pour la sécurité des institutions (USI). La gendarmerie, forte actuellement de quelque 3 500 hommes, dépend du ministère de la Défense ; la PJP, rattachée au ministère de la Justice, compte 150 membres environ, et la PSP, rattachée au ministère de l'Intérieur, quelque 1 500. La DN (250 membres), l'USI (600) et la PAFE (400) dépendent directement du président de la République. L'armée, de loin la force la plus importante avec environ 20 000 hommes, effectue au jour le jour des missions de maintien de l'ordre. La gendarmerie, deuxième force par le nombre, est formée de personnel issu de l'armée. Les questions liées au maintien de l'ordre sont donc essentiellement abordées d'un point de vue militaire plutôt que civil. La Convention de gouvernement prévoit un audit des services de sécurité qui n'a toujours pas été effectué bien que des projets prévoyant sa mise en œuvre aient apparemment été élaborés. Le bureau du représentant spécial du secrétaire général et le Centre pour les droits de l'homme à Bujumbura travaillent sur la réforme de la police nationale. La transformation des services de sécurité en une force de police ayant pour mission de protéger les droits de l'homme et de les respecter requiert la présence d'un certain nombre d'experts travaillant sur le terrain aux côtés des policiers. Un tel projet va bien au-delà des séminaires et des conférences actuellement organisés sur les normes internationales. Il incombe aux autorités burundaises de décider de la répartition des fonctions entre l'armée et la police civile nationale. L'expérience d'un certain nombre de pays démontre que la formation qui doit être donnée à des policiers civils pour qu'ils exercent leurs fonctions conformément aux normes internationales en matière de droits de l'homme est différente de celle habituellement dispensée par l'armée. Le personnel militaire effectuant des opérations de maintien de l'ordre doit recevoir une for-mation similaire. Amnesty International a recensé un certain nombre de principes à respecter pour la formation de la police civile nationale ; ceux-ci sont résumés à la fin du présent document. 8. La mission d'observation de l'Organisation de l'unité africaine (OUA) La mission de l'OUA au Burundi est utile en ce qu'elle permet de réduire les tensions, notamment entre les militaires et les civils. Elle devrait toutefois bénéficier d'une plus grande liberté d'action et de ressources accrues, et son mandat devrait inclure la protection et la promotion des droits de l'homme.

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    À la fin de mai 1995, la Mission internationale d'observation de l'OUA au Burundi (MIOB) était autorisée à disposer de 47 observateurs militaires et de 18 civils. Les militaires étaient originaires du Niger, de Guinée, du Burkina Faso, du Mali et de Tunisie, tandis que les civils venaient du Burkina Faso, d'Égypte, d'Éthiopie et du Congo. Les observateurs militaires servent de témoins quand sont donnés et exécutés des ordres sur le terrain ; ils participent en outre à différentes initiatives en vue du rétablissement de la paix. La branche militaire de la mission comprend cinq médecins et quatre ingénieurs. Les médecins prodiguent des conseils et une assistance à l'occasion des visites de la MIOB dans différentes communes ainsi que dans les camps de réfugiés et de personnes déplacées. Les ingénieurs conseillent les autorités burundaises et leur apportent une aide dans certains domaines comme la construction de routes. La branche civile de la mission contribue à la poursuite des négociations entre les différents partis politiques en vue du débat national, et elle lance des appels au calme pour prévenir de nouveaux actes de violence. Le mandat de la MIOB a été prorogé jusqu'au 17 septembre 1995, et l'effectif de sa composante militaire a été porté à 67 officiers. Les 20 militaires supplémentaires ont déjà été recrutés et devaient arriver au Burundi à la mi-juin. Le gouvernement burundais a accepté ce renforcement de la MI