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§2 – DES MENACES ET DES RISQUES AVERES Le niveau de pollution de la lentille d’eau de Lifou est encore relativement faible mais la fragilité naturelle de la nappe est accentuée par le développement des activités humaines sur l’île. Les risques de pollution d’origine anthropique résultant du mode de vie des habitants (A) sont accrus par l’existence d’activités potentiellement dangereuses pour l’équilibre naturel de la nappe souterraine (B). A - Des pollutions anthropiques quotidiennes A Lifou, la pression démographique exercée sur le milieu est encore réduite : avec 9 614 habitants permanents, l’île présente une densité moyenne de population de 8,4 habitants au kilomètre carré. Au rythme de croissance actuel de 1,86% par an 159 , la population aura cependant doublé dans quarante ans. Les pratiques quotidiennes à l’origine de pollutions de l’eau seront alors d’autant plus importantes si elles ne sont pas dès maintenant identifiées et, dans la mesure du possible, corrigées. Les rejets proviennent à la fois des activités domestiques (1) et agricoles (2). 158 La mise en place de l’observatoire de l’eau est prévue pour 2004-2005. 159 En métropole, la croissance démographique moyenne est de 0,51%. A Lifou, les chiffres ont encore augmentés est sont passés à 2, 04% par an entre 1989 et 1996. 45

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§2 – DES MENACES ET DES RISQUES AVERES

Le niveau de pollution de la lentille d’eau de Lifou est encore relativement faible mais la fragilité naturelle de la nappe est accentuée par le développement des activités humaines sur l’île. Les risques de pollution d’origine anthropique résultant du mode de vie des habitants (A) sont accrus par l’existence d’activités potentiellement dangereuses pour l’équilibre naturel de la nappe souterraine (B).

A - Des pollutions anthropiques quotidiennes A Lifou, la pression démographique exercée sur le milieu est encore réduite : avec 9 614 habitants permanents, l’île présente une densité moyenne de population de 8,4 habitants au kilomètre carré. Au rythme de croissance actuel de 1,86% par an159, la population aura cependant doublé dans quarante ans. Les pratiques quotidiennes à l’origine de pollutions de l’eau seront alors d’autant plus importantes si elles ne sont pas dès maintenant identifiées et, dans la mesure du possible, corrigées. Les rejets proviennent à la fois des activités domestiques (1) et agricoles (2).

158 La mise en place de l’observatoire de l’eau est prévue pour 2004-2005. 159 En métropole, la croissance démographique moyenne est de 0,51%. A Lifou, les chiffres ont encore augmentés est sont passés à 2, 04% par an entre 1989 et 1996.

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1 - Les pollutions d’origine domestique Les rejets d’eaux usées : Les activités les plus élémentaires des habitants de Lifou sont à l’origine de rejets polluants : les eaux utilisées pour la lessive, la vaisselle ou les sanitaires, sont quotidiennement déversées dans la nature sans traitement préalable efficace. Ces eaux usées, très riches en bactéries et virus de toutes sortes, sont les vecteurs d’un grand nombre de maladies. On retrouve leurs traces dans les analyses d’eau effectuées au niveau des forages. Le risque de pollution de la nappe par les eaux usées dépend étroitement de l’implantation des différentes tribus sur le territoire de l’île. La population de Lifou n’est pas répartie de manière uniforme : 57% des habitants sont installés en bordure immédiate du littoral et 72% d’entre eux se trouvent sur la zone périphérique où la nappe est la plus mince et la plus vulnérable aux activités humaines. Le secteur de Wé, sur la côte Est, est le plus peuplé : il regroupe quatre tribus, soit plus de 1 500 habitants, et concentre les activités les plus importantes de l’île160. Il s’agit d’une zone attractive dont la population augmente progressivement au détriment d’autres tribus qui se dépeuplent161.

160 Le port, les administrations, les infrastructures d’enseignement et de tourisme notamment. 161 Tel est le cas de Jokin au nord ou Luengoni et Mu au sud.

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L’équipement sanitaire des habitations n’est pas systématique et souvent défaillant. L’installation de fosses septiques permettant de récupérer et de traiter les eaux usées constitue pourtant le meilleur moyen d’éviter que celles-ci ne s’infiltrent directement dans le sous-sol. Assez répandus dans le nord de l’île et à proximité de Wé, les équipements souffrent majoritairement d’un défaut d’entretien. En pratique, les fosses sont vidées par un camion spécial qui, faute d’installation adaptée, déverse son chargement dans un lieu jugé suffisamment éloigné de la vue et des habitations. Il s’agit le plus souvent d’un trou du substrat ou d’une ancienne carrière ; les matières polluantes atteignent ainsi d’autant plus facilement la lentille d’eau. Les rejets anarchiques dans la nature, liés au sous-équipement de certaines zones de l’île, présentent pour la nappe souterraine un risque majeur de contamination. Les analyses effectuées aux points de forages ont démontré la présence de streptocoques provenant d’une pollution fécale. Ces bactéries, dangereuses pour l’homme, peuvent être à l’origine de pathologies importantes. Il semble que le niveau d’équipement sanitaire des tribus soit directement lié à la concentration de streptocoques relevée dans l’eau analysée162.

Dans l’immédiat, la mise en place d’un système d’assainissement collectif ne semble pas indispensable. La généralisation des équipements individuels doit par contre être encouragée voire imposée. La municipalité et la Province financent intégralement les nouvelles installations et les travaux de mise en conformité des systèmes existants. La

162 Dans certaines zones, les concentrations de bactéries restent faibles malgré l’absence d’équipements sanitaires. Cette situation concerne les secteurs peu peuplés et ceux où la circulation de l’eau dans le sol déplace la pollution qui se diffuse ou se concentre dans d’autres zones.

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réalisation de mini-réseaux est envisagée dans le cas de tribus très recentrées. A Wé, par exemple, une installation de ce type permettrait de collecter l’ensemble des eaux usées des habitations, des entreprises et des administrations afin de procéder à un traitement global. Un schéma directeur d’assainissement, actuellement à l’étude, envisage l’implantation d’une station d’épuration dans la zone la plus peuplée de chacune des Iles Loyauté. La production de déchets : Comme dans toutes les îles du Pacifique, le stockage et le traitement des déchets constitue à Lifou un problème environnemental majeur. La quantité de déchets produite est encore relativement faible163 mais la pratique générale consiste à disperser dans le milieu naturel les matières usagées de toutes natures. Les déchets verts sont réabsorbés directement par les animaux domestiques ou d’élevage. La production d’emballages reste encore limitée mais le nombre de plastiques rejetés augmente chaque année. Très visibles, les rejets de déchets métalliques sont considérables : le paysage calédonien et particulièrement celui des Iles Loyauté est sévèrement marqué par la dissémination des canettes en aluminium. Les déchets métalliques volumineux164 sont le plus souvent évacués dans des sites de décharge sauvages. Leur multiplication résulte de la demande croissante des ménages en matériel électroménager et en véhicules. Deux décharges municipales semi-contrôlées accueillent l’essentiel des déchets de l’île. Situées dans d’anciennes carrières, elles sont entretenues par compactage et par brûlage. Les petits chefs encouragent les habitants à évacuer leurs déchets vers ces sites plutôt que vers les décharges tribales. Lifou compte pourtant encore une cinquantaine de décharges sauvages dispersées sur le territoire de l’île. Les décharges tribales sont des sites de dépôt communs à une ou plusieurs tribus. Elles sont ponctuellement entretenues par la bonne volonté de ceux qui décident d’y mettre le feu afin d’en diminuer le volume. Certaines sont aujourd’hui abandonnées. Les familles utilisent aussi les « trous » situés à proximité immédiate de leurs parcelles pour déposer les ordures. Il s’agit de conduits ou cavités du substrat rocheux accessibles depuis la surface. Trop nombreux et souvent invisibles ou difficiles d’accès, ces trous n’ont pu être recensés. Il abritent généralement des déchets domestiques peu encombrants. Ce mode de stockage traditionnel présente aujourd’hui, du fait de la nature des produits rejetés, un risque de pollution considérable pour le milieu naturel. Les produits dangereux d’utilisation courante, tels les piles ou les batteries, déversent dans le sol des matières extrêmement nuisibles qui s’infiltrent dans le sous-sol et sont susceptibles d’atteindre la lentille.

163 Elle est estimée à 200g/jour/habitant, soit 73kg/an/habitant ; la quantité de déchets produite à Nouméa est cinq fois supérieure. 164 Carcasses de voitures, gros appareils électroménagers, diverses machines usagées… Ils sont habituellement regroupés sous le terme de « monstres ».

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Un centre d’enfouissement technique, en activité depuis le mois de mai 2000, a été implanté à Wé. Exploité en régie directe par la municipalité de Lifou, il assure le stockage et le traitement des déchets ménagers de l’île. La durée de vie du site est estimée entre 5 et 6 ans. En Nouvelle-Calédonie, aucune réglementation spécifique ne définit les conditions de réalisation et de fonctionnement des installations de ce type. Le centre est cependant soumis au régime des installations classées pour la protection de l’environnement ; un dossier comprenant une étude d’impact et une étude de danger a donc été constitué à ce titre165. De nombreux disfonctionnements entravent déjà la gestion du centre. Ils résultent principalement du manque d’équipements spécifiques. L’enfouissement des déchets, par exemple, n’est effectif qu’une fois par semaine, lorsque le matériel nécessaire est disponible. Les habitudes des habitants de l’île font aussi obstacle à l’efficacité du système de collecte : la population très dispensée sur l’île, n’est pas encore familiarisée avec ce type de service public payant. La Province des Iles Loyauté envisage de mettre en place des schémas globaux de gestion des déchets. Elle souhaite ainsi favoriser la modernisation de ce domaine d’action par le développement des moyens de collecte, la mise en place d’installations de stockage et de

165 La réglementation des ICPE dans les Iles Loyauté résulte de la délibération n° 65/90/API du 20 juillet 1990 (JONC du 18 sept. 1990, p. 2372).

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traitement, ainsi qu’à terme, la fermeture des décharges sauvages. La préparation de filières de collecte sélective, de recyclage et de traitements adaptés est aussi en projet. Une fourrière municipale, destinée à recevoir les épaves de véhicules, les huiles, batteries et pneus usagés, devrait ouvrir prochainement. 2 - L’impact des activités agricoles : Les exploitations agricoles : L’agriculture est le premier secteur d’activité de la population de Lifou. La surface agricole utilisée ne représente pourtant que 2,6% de la superficie de l’île. Les exploitations agricoles sont essentiellement tournées vers les cultures vivrières. Le travail de la terre constitue une donnée fondamentale dans la société kanake ; chaque famille pratique au moins la culture traditionnelle de l’igname. Ces petites plantations, d’une superficie moyenne inférieure à un demi hectare, comprennent un ou plusieurs champs sur lesquels l’épandage et l’arrosage sont pratiqués. A l’échelle des exploitations familiales, on considère que les quantités d’intrants et les prélèvements d’eau sont encore trop faibles pour représenter un risque quelconque pour la nappe souterraine. Les exploitations à vocation commerciale, plus consommatrices d’eau et potentiellement plus productrices de produits chimiques et organiques, sont par contre susceptibles d’affecter la ressource en eau. La plupart d’entres elles ont une superficie comprise entre un et trois hectares, les plus importantes n’excédant pas six hectares. Les quantités d’engrais utilisées, encore mal connues, semblent faibles dans l’ensemble et irrégulières quant à leur dispersion dans le temps et dans l’espace. Ces exploitations étant néanmoins amenées à se développer166, leur situation par rapport à la lentille doit être prise en compte. Parmi les vingt exploitations recensées, on distingue essentiellement des plantations d’arbres fruitiers167 et des cultures maraîchères et vivrières168. Leur consommation d’eau est le plus souvent fonction des contraintes climatiques. A Lifou, aucune exploitation ne pratique en permanence la culture irriguée, le mode principal d’alimentation en eau étant l’aspersion occasionnelle. Les proportions et la nature des engrais utilisés sont encore mal connus. Le lisier de porcs ou de bovins constitue la principale source d’engrais organique. Les seuls chiffres disponibles concernant l’utilisation d’engrais chimiques sont ceux de la Chambre d’agriculture sur les quantités de produits annuellement importées à Lifou169. S’agissant des pesticides et des herbicides, aucune information n’a pu être obtenue.

166 Les agriculteurs de Lifou souhaitent développer des cultures spécialisées pour le marché de Nouméa. L’extension des surfaces cultivées ne peut donc que s’amplifier à court et à moyen terme. 167 Avocats, bananes, citrons, mandarines, litchis, oranges, pamplemousses, mangues, papayes… 168 Ignames, patates douces, taros, pommes de terre, salades… 169 20 450 kg d’engrais étaient vendus à Lifou en 1996, 1 500 kg en 1997, 3 380 kg en 1998 et 1 160 kg en 2001. Il s’agit principalement de sulfate de potassium, de 13-13-21 et de 17-17-17.

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Après le développement important de l’agriculture commerciale dans les années 1970, les agriculteurs de Lifou semblent avoir pris conscience des dangers que pouvait représenter l’utilisation abusive d’engrais chimiques et de pesticides. Ils se disent peu nombreux à en utiliser et affirment recourir à ces produits de façon modérée170. Les agriculteurs des Iles Loyauté tentent aujourd’hui de redynamiser leur secteur grâce à des initiatives originales et écologiques telles la culture hors-sol de salade à Hmeleck ou la production de vanille lancée à partir de Mucaweng. Ces démarches ne peuvent qu’être encouragées. Les élevages : Presque toutes les familles de Lifou pratiquent, à titre personnel, une activité d’élevage. Il s’agit essentiellement de petits élevages de porcs, de trois ou quatre têtes, réservées aux fêtes coutumières et aux mariages, auxquels s’ajoutent quelques volailles pour la consommation du ménage. Ce type d’élevage familial, difficile à recenser, n’est précisément connu que par les populations. Les élevages identifiés au cours du travail de terrain mené à Lifou correspondent à ceux régulièrement visités par le service vétérinaire de la Province171. On dénombre sur l’île

170 Le travail de sensibilisation et de conseil en matière de pratiques agricoles mené par la Maison Familiale et Rurale et les associations semble efficace. Les entretiens et enquêtes réalisés ont montré une forte conscience environnementale des agriculteurs qui cherchent à connaître les impacts que peuvent avoir leurs activités sur la nappe d’eau souterraine. 171 Cette visite traduit l’importance de l’activité puisqu’elle implique une diffusion commerciale de la viande.

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cinq élevages bovins, quatre élevages aviaires, deux élevages porcins et un élevage de canards. Les installations bovines et porcines sont de petites tailles : elles comprennent entre quatre et douze bêtes, seuls les deux élevages bovins les plus importants atteignent quarante cinq têtes172. On peut donc difficilement parler d’élevages « intensifs ». La réglementation territoriale relative aux installations classées pour la protection de l’environnement soumet cependant à déclaration les élevages bovins ou porcins comprenant plus de vingt bêtes, ainsi que les élevages de volailles supérieurs à 2 500 têtes173.

La situation actuelle laisse à penser que l’extension des activités d’élevage se fera sans doute en direction de la branche aviaire, la production étant actuellement insuffisante. L’élevage de canards figurant sur la carte a été arrêté en 1998 mais il est en cours de repeuplement avec 3 000 têtes prévues. Une autre installation de 1 000 têtes serait aussi en projet à Hnathalo. Dans l’ensemble, l’impact de l’activité d’élevage sur la nappe reste faible. Cependant, la répétition des épandages de lisiers, les stockages ou les déversements localisés peuvent présenter des risques sérieux de contamination de l’eau, ceci particulièrement à proximité des forages. 172 Certains des élevages bovins de Lifou comportent des bêtes ayant pour origine la race limousine. 173 Les mêmes élevages sont soumis à autorisation lorsque leur capacité atteint 100 bêtes pour les bovins, 200 pour les porcs, et 10 000 pour les volailles.

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B - L’existence de risques particuliers A la différence des pratiques quotidiennes des habitants de Lifou qui constituent, surtout par effet de masse, une menace pour la lentille, certaines activités présentent en elles même des risques considérables. Il s’agit des installations à l’origine de pollutions particulières (1) ainsi que de celles qui affectent directement le sous-sol de l’île (2). 1 - Les installations polluantes Les risques de contaminations bactériologiques : En matière de gestion des déchets, l’absence de réglementation applicable au territoire calédonien valide une négligence fréquente, à l’origine de risques de contamination des milieux naturels. Cette situation est d’autant plus grave lorsqu’elle concerne le problème de l’évacuation et du traitement des déchets provenant des centres médicaux174. Si la quantité de matières résultant des activités de soins est moindre comparée au volume des déchets ménagers, leur nature particulière justifierait pourtant une attention renforcée. Officiellement, les déchets les plus importants, tels les seringues, les flacons de produits dangereux, le matériel chirurgical tranchant, les pièces anatomiques, sont conditionnés dans des récipients solides et hermétiques avant d’être expédiés au Centre Hospitalier Territorial de Nouméa qui procède à leur incinération. Les compresses, pansements, ainsi que les emballages de produits et médicaments divers devraient quant à eux être brûlés sur place. Dans les faits, certains sont purement et simplement jetés à la décharge, comme n’importe quel déchet ménager. Des seringues et autres résidus de soins ont été observés dans les décharges sauvages sans que l’on puisse en identifier la provenance. De même, l’eau utilisée par les établissements médicalisés ne transite pas systématiquement par une unité de traitement avant d’être rejetée dans la nature. Ces pratiques présentent, dans leur ensemble, des risques considérables pour la santé publique. La Province des Iles Loyauté envisage, dans le cadre de la définition des schémas globaux de gestion des déchets, de traiter de façon particulière le cas des déchets d’activités de soins. La création prochaine d’un incinérateur est prévue à cet effet. La manipulation, en raison des risques qu’elle comporte, devrait être strictement encadrée175. La multiplication et la dispersion des cimetières et sites d’inhumations à Lifou doivent aussi être soulignés, en raison des risques qu’ils présentent pour la ressource en eau souterraine. Au grand nombre de cimetières municipaux176, s’ajoutent les tombes et les

174 A Lifou, il s’agit essentiellement du dispensaire de Wé. 175 Une note interne de la Province présente la nécessité d’un moyen de transport spécial et de contenants spécifiques afin de minimiser les risques lors des manipulations. 176 37 cimetières municipaux ont été recensés à Lifou : ce chiffre est particulièrement élevé au regard de la superficie et du nombre d’habitants présents sur l’île. Sur la localisation des cimetières, voir annexe VIII.

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cimetières familiaux, situés sur les parcelles mêmes des habitations, conformément à la pratique coutumière. Le risque de contamination par les lixiviats provenant de la décomposition des corps dépend de la taille du cimetière et du lessivage par les eaux d’infiltration. Il est donc plus élevé durant la saison des pluies. Les risques chimiques et industriels : Plusieurs installations présentes sur Lifou sont à l’origine de rejets dangereux de type industriels ou chimiques. En Nouvelle-Calédonie, une réglementation relative aux installations classées pour la protection de l’environnement a été adoptée en 1985 ; elle est calquée sur le système français177. Le texte initial, d’origine territorial, a été repris et adapté au niveau provincial. Sur les Iles Loyauté, le régime applicable résulte de la délibération n° 90/65/API du 20 juillet 1990178. La plupart des installations présentant une menace chimique ou industrielle pour la lentille relèvent de la nomenclature ICPE. Les risques devraient donc normalement être identifiés et analysés dans le cadre de la constitution du dossier préalable à l’autorisation ou la déclaration de l’installation concernée. En 2001, un inventaire complet des établissements et activités soumis au régime ICPE a été réalisé sur les Iles Loyauté. Parmi les quatre vingt onze installations recensées179, celles dont la situation juridique est en règle ou en cours de régularisation sont peu nombreuses. La Province souhaite programmer à court terme la mise en conformité de ces établissements et prioritairement celle des ateliers mécaniques, à l’origine des risques les plus importants pour l’environnement et l’hygiène publique. Les garages et stations services produisent en effet des rejets polluants potentiellement dangereux pour la nappe d’eau souterraine180. La production moyenne d’huiles usagées est d’environ six cent litres par garage et par mois. Depuis 1997, les garagistes disent stocker les huiles en attendant de les envoyer à Nouméa afin qu’elles puissent y être traitées. Avant cette date – et sûrement encore occasionnellement aujourd’hui – les huiles étaient déversées dans la nature, à proximité des installations ou dans d’anciennes carrières. Les batteries usagées sont aussi fréquemment retrouvées éventrées dans les décharges sauvages. Si elle ne garantie pas toujours une protection efficace des milieux contre les pollutions éventuelles, la soumission des projets d’installations au régime des ICPE présente l’intérêt d’obliger l’exploitant à intégrer une dimension environnementale dans ses considérations. Elle permet aussi à l’administration, par l’exercice d’un contrôle préalable, de s’opposer à l’implantation anarchique d’installations nuisibles.

177 Délibération n°14 du 21 juin 1985 (JONC du 16 juillet 1985, p. 942). Cette délibération reprend le régime des ICPE tel que défini par la loi du 19 juillet 1976. Seule la durée de l’enquête publique a été ramenée à quinze jours au lieu d’un mois en métropole. 178 JONC du 20 juillet 1990, p. 2372. 179 Il s’agit essentiellement de dépôts de gaz et de carburants, pour la plupart situés à Lifou. 180 Huiles de vidanges, batteries et leurs acides, pneus, essence, mazout…

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Conformément à la législation en vigueur, le centre de stockage des déchets ménagers de Lifou a fait l’objet d’une autorisation au titre des ICPE. Le dossier constitué préalablement à la demande d’autorisation présente classiquement une étude d’impact et une étude de dangers relatives à l’installation181. L’analyse des effets sur l’environnement s’attache à démontrer la prise en compte, dans les choix effectués, de la vulnérabilité de la lentille d’eau souterraine. Tel qu’il a été conçu, le centre de stockage ne présenterait donc que des risques réduits pour l’alimentation en eau potable182. Le dépôt d’hydrocarbures de Wé, bénéficiaire d’une autorisation accordée au titre des ICPE, est actuellement en cours d’agrandissement. Ce projet a fait l’objet d’une nouvelle demande d’autorisation qui intègre les risques générés par l’extension de l’installation. Ces risques, liés au fonctionnement normal du dépôt, sont accrus par l’éventualité d’une pollution accidentelle. Afin de prévenir un tel incident, l’étude de danger figurant au dossier prévoit des mesures préventives de vérifications régulières du bon fonctionnement de l’installation183. 2 - L’exploitation du sous-sol Les carrières : Dans les Iles Loyauté, de nombreuses carrières sont ou ont été exploitées pour l’extraction des matériaux nécessaires aux travaux publics, aux bâtiments ou à la voirie184. Ces carrières ne représentent pas de danger pour la ressource en eau, tant que leur fond n’atteint pas le toit de la nappe. Cependant, les sites aujourd’hui abandonnés sont propices au dépôts de déchets divers dont les lixiviats peuvent très facilement affecter la nappe puisque l’épaisseur du substrat filtrant est réduite. La carrière de Hmeleck notamment abrite quelques centaines de fûts de goudron ayant servi à l’asphaltage des routes. Certains de ces fûts rouillés sont encore pleins et laissent s’échapper de petites nappes de goudron qui s’écoulent à même la roche et s’introduisent dans les fissures. La situation est d’autant plus critique que certaines carrières se trouvent à proximité immédiate des points de forages185. Consciente des problèmes engendrés par ces friches, la Province des Iles a initié un programme de réhabilitation des carrières. La première phase de travail a consisté, en 181 A2EP, Commune de Lifou, Dossier ICPE, Centre de stockage des déchets ménagers de la commune de Lifou, Province des Iles Loyauté, mars 2001, Rapport A2EP NCE 01/03 05. 182 Le document indique que le site a été choisi prioritairement en fonction de sa localisation par rapport à la ressource en eau potable : il est implanté dans une zone optimale pour la protection de la lentille et se trouve à l’opposé des écoulements d’eau alimentant les forages actuels. Une réduction de la perméabilité du fond de la décharge a été réalisée par la mise en place d’une couche de xaca compactée de 70 cm d’épaisseur et l’installation d’un drainage des lixiviats vers un bassin de récupération. 183 Province des Iles Loyauté, Commune de Lifou, Groupement des pétroliers, Dépôt d’hydrocarbures de Wé, Demande d’autorisation au titre des ICPE, Etudes Techniques, sept. 1999. 184 On dénombre 123 sites de carrières à Maré, 134 à Lifou et 51 à Ouvéa, soit 308 sites pour l’ensemble de l’archipel. Y sont extraits du carbonate de calcium (xaca ou calcaire) et du sable corallien. 185 Sur la localisation des carrières, voir l’annexe VIII.

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2001, à inventorier et à décrire l’ensemble des sites186. Les enquêtes effectuées sur le terrain font apparaître que 85% des carrières sont actuellement abandonnées, alors que 1% seulement ont été réaménagées. Environ 20% des sites visités sont l’objet de dépôts de déchets occasionnels ou réguliers. Le second volet du programme consiste à étudier les conditions de réaménagement des sites, définies par ordre de priorité en fonction de l’état d’activité et de l’impact environnemental de chaque carrière187. Le domaine de la réglementation des carrières, qui figure au nombre des compétences provinciales188, souffre d’un vide juridique important. La Province des Iles Loyauté n’a adopté aucune délibération en la matière et demeure soumise aux dispositions d’un texte de 1913189. Cette réglementation ancienne soumet à déclaration l’exploitation des sites de carrières mais ignore la dimension environnementale des projets. Le service environnement de la Province des Iles prépare actuellement une modification de la nomenclature ICPE pour y intégrer les carrières. A l’image du système métropolitain, ces installations pourraient ainsi faire l’objet d’un contrôle renforcé. La création d’une commission provinciale des mines et des carrières, consultée sur les demandes d’autorisations, est aussi prévue. Enfin, la définition d’un « schéma provincial des carrières », inspiré des schémas départementaux, est perçu comme un outil indispensable à une gestion durable de l’environnement. La modification du régime ICPE applicable dans la Province des Iles devrait rendre obligatoire cette planification. Les projets miniers : Le renforcement du droit applicable à l’exploitation du sous-sol des Iles Loyauté apparaît d’autant plus important lorsque l’on sait que les potentialités en calcaire de l’archipel intéressent vivement les sociétés minières établies en Nouvelle-Calédonie. Dans le cadre du développement actuel de l’exploitation du nickel sur la Grande Terre, deux grands projets miniers sont conduits, l’un au Nord par la société canadienne Falcon Bridge, et l’autre au Sud, à Goro, par la société INCO. Le procédé de traitement retenu pour ce second projet consiste en une attaque acide des minerais latéritiques du gisement. La neutralisation des boues et effluents générés par cette réaction nécessite l’utilisation d’une quantité importante de carbonate de calcium (CaCO3) qui constitue l’élément principal des roches calcaires. 186 Nouvelle-Calédonie, Province des Iles Loyauté, DEA, Service de l’environnement, Programme de réhabilitation des sites de carrières, Rapport de phase 1, Inventaire des sites, février 2002. 187 Les mesures curatives préconisées prennent différentes formes : mise en place d’une signalisation interdisant les dépôts d’ordures, purge des déchets, interdiction des stockages d’hydrocarbures, création d’un écran végétal, reprofilage du site. La réalisation des travaux est prévue pour l’année 2003. 188 Cette compétence, précédemment exercée par le Territoire et par le Service des mines et de l’énergie, a été transférée aux provinces par l’arrêté n° 89/64/CC du 26 déc. 1989 (JONC du 9 janv. 1990, p 31). 189 Il s’agit de l’arrêté n° 690 du 4 juillet 1913 régissant l’exploitation des carrières en Nouvelle-Calédonie et Dépendances (JONC du 1er août 1913). Les provinces Nord et Sud ont pour leur part adopté des délibérations spécifiques portant réglementation des carrières : délibération n° 04-94/APN du 29 mars 1994 (JONC du 10 mai 1994) et délibération n°47/APS du 6 déc. 1996.

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En matière minière, les substances non stratégiques – dont le calcaire – sont l’objet, depuis les accords de Matignon, d’une compétence provinciale. En l’absence de réglementation propre, la Province des Iles Loyauté appliquait encore récemment les textes d’origine territoriale190. L’existence du projet GoroNickel l’a cependant poussé a exercer sa compétence et à adopter un texte spécifique. La délibération n° 2001-20/API du 12 novembre 2001 relative à la réglementation minière191 fixe les adaptations apportées, pour leur application sur les Iles Loyauté, aux dispositions territoriales. Il s’agit essentiellement d’une actualisation des textes : le régime applicable aux droits miniers demeure mais les autorités provinciales sont cette fois expressément désignées comme compétentes en la matière. L’attribution de droits miniers procède en deux temps : l’autorisation personnelle minière (APM) confère aux opérateurs un droit de prospection superficielle ainsi que la possibilité de solliciter des permis de recherche ; ces permis attribuent à leur détenteur un droit exclusif de prospection et de recherche (investigation du sous-sol, sondages…). La transformation des titres miniers en titres d’exploitation est de droit si l’exploitabilité du gisement est démontrée. La Province, engagée dans la procédure d’autorisation, n’est alors plus en mesure de s’opposer à l’exploitation des gisements découverts. Afin d’encadrer au mieux les projets miniers envisagés sur son territoire, la Province des Iles a introduit, dans sa délibération minière, une disposition nouvelle192 qui prévoit, pour les activités jugées particulièrement importantes pour le développement de la Province, l’existence d’une convention définie avec le pétitionnaire. Cette convention fixe, préalablement à l’octroi des autorisations minières et des permis d’exploitation, les modalités relatives au contrôle interne de la société, à la conduite des travaux, à la protection de l’environnement ainsi qu’au respect des droits coutumiers. Le 8 décembre 2000, la société INCO s’est vu délivrer une autorisation personnelle minière pour quarante cinq titres équivalents à Maré et autant à Lifou. Onze permis de recherches ordinaires ont été demandés pour Maré en janvier 2001. Si les Chefs coutumiers ne disent favorables à la prospection envisagée sur leurs îles, les autorités provinciales demeurent plus réservées. A Lifou, les sites potentiels d’extraction de calcaire retenus par INCO se situent sur la couronne périphérique de l’île. Les recherches s’orientent vers des plateaux de 1,5 à 2 kilomètres de long sur 500 mètres de large

190 Décret n° 54-1110 du 13 nov. 1954 portant réforme du régime des substances minérales dans les TOM, au Togo et au Cameroun ; loi n° 69-4 du 3 janv. 1969 modifiant la réglementation minière en Nouvelle-Calédonie et son décret d’application n° 69-598 du 10 juin 1969; décret n° 73-109 du 22 janv. 1973 fixant les conditions à remplir par les personnes physiques ou morales pour pouvoir exercer une activité minière dans les Territoires de Nouvelle-Calédonie, de la Polynésie Française, de Saint-Pierre et Miquelon et de Wallis et Futuna ; délibération minière n° 128 du 22 août 1959 modifiée fixant les conditions d’application du régime des substances minérales chimiques en Nouvelle-Calédonie. 191 JONC du 27 nov. 2001, p. 6046. 192 Article 11 de la délibération n° 2001-20/API du 12 nov. 2001.

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culminant à 90 ou 100 mètres et proches de la côte193. De tels sites permettraient le développement continu d’une ou deux carrières pendant vingt ans. A l’échelle des Iles Loyauté, encore vierges de toute exploitation à des fins minières, de tels projets semblent considérables. Les impacts environnementaux, esthétiques, touristiques n’ont fait l’objet d’aucune étude détaillée. Il est cependant évident que des projets de ce type portent une atteinte certaine au caractère naturel encore préservé de l’archipel. S’agissant de la lentille, les rapports d’INCO rappellent la vulnérabilité de la ressource sans pour autant présenter les moyens de sa protection. L’implantation d’une ou plusieurs carrières en bordure côtière affecte la zone où la lentille est la plus mince et bien sûr la plus vulnérable. Les auteurs des études préalables avancent l’éloignement des forage ainsi que la profondeur de la nappe. Ils ajoutent que la profondeur finale des carrières sera fonction de la position exacte de la nappe et préconisent l’implantation d’instruments de contrôle et de suivi à long terme de la ressource. Aucune précision complémentaire ne concerne cependant ces contrôles dont on imagine aisément qu’ils fourniront, s’ils ont lieu, une garantie très certainement insuffisante sur le plan de la protection environnementale de la ressource. Il faut alors souhaiter que la Province, si elle définit avec INCO une convention relative à l’exploitation des carrières, y introduise les modalités d’une protection efficace de la ressource. Les éléments de connaissance disponibles sur la lentille d’eau démontrent ici toute leur importance.

193 GNI Géologie, Etude préliminaire sur les potentialités en calcaire des Iles Loyauté – Potentialité sur l’île de Lifou, Présentation aux autorités coutumières le 25 février 2000. Un rapport similaire a été effectué pour Maré.

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