9- article 27- espag

21

Upload: others

Post on 18-Jun-2022

1 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: 9- Article 27- Espag
Page 2: 9- Article 27- Espag

Germivo i re 12/2020 ISSN 2411-6750

12/2020

Directeur de publication:

Paul N’GUESSAN-BÉCHIÉ Université Félix Houphouët-Boigny Abidjan-Cocody

Editeur:

Djama Ignace ALLABA

Université Alassane Ouattara - Bouaké

Comité de Rédaction:

Brahima DIABY (Université Félix Houphouët-Boigny Abidjan-Cocody)

Ahiba Alphonse BOUA (Université Félix Houphouët-Boigny Abidjan-Cocody)

Djama Ignace ALLABA (Université Alassane Ouattara – Bouaké)

www.germ-ivoire.net

www.germ-ivoire.net

www.germ-ivoire.net

Page 3: 9- Article 27- Espag

Germivo i re 12/2020

ISSN 2411-6750

Comité scientifique de Germivoire

Prof. Dr. Dr. Dr. h.c. Ernest W.B. HESS-LUETTICH Stellenbosch University Private Bag X1 Dr Gerd Ulrich BAUER Universität Bayreuth Prof. Stephan MÜHR University of Pretoria Prof. Dakha DEME Université Cheikh Anta Diop - Dakar Prof. Serge GLITHO Université de Lomé - Togo Prof. Augustin DIBI Université Félix Houphouët-Boigny (Abidjan) Prof. Aimé KOUASSI Université Félix Houphouët-Boigny (Abidjan) Prof. Paul N’GUESSAN-BECHIE Université Félix Houphouët-Boigny (Abidjan) Prof. Kasimi DJIMAN Université Félix Houphouët-Boigny (Abidjan) Prof Kra Raymond YAO Université Félix Houphouët-Boigny (Abidjan) Prof Daouda COULIBALY Université Alassane Ouattara (Bouaké)

Page 4: 9- Article 27- Espag

Germivo i re 12/2020

ISSN 2411-6750

TABLE DES MATIÈRES Editorial ……………………………………………………………………… 7 Allemand Boaméman DOUTI : Revision der europäischen Kolonialgeschichtsschreibung. Zu kulturellen Grenzgängern in Hermann Schulz´ Roman Auf dem Strom .............................. 8-21 KOUASSI Djoukouo Josiane Eunisse : La littérature comme arme du combat féminin dans les romans Die Liebhaberinnen d’Elfriede Jelinek et C’est le soleil qui m’a brûlée de Calixthe Beyala ................................................................................................................................ 22-33 TRAORE Moustapha : Deutschland und der Maghreb: Die Entwicklung einer Migrationsbeziehung mit vielfältigen Gesichtern seit den 1960er Jahren ........................ 34-53

Communication AKÉ Affoué Hélène : Communication pour un nouveau regard sur les interdits alimentaires dans le traitement des maladies chez les Baoulé ............................................................... 54-73

Napo Mouncaïla GNANE : Fondements d’une communication pour un changement de comportement face aux pratiques néfastes de veuvage chez les Konkomba au Togo ...... 74-91

François Koffi AWOUDO / Gérard Wandji AGOGNON : La revue de presse à l’épreuve des réseaux sociaux au Bénin : Diagnostic du système de production des mass médias de proximité .......................................................................................................................... 92-110

Espagnol TUO Nambélifoly : Camilo José Cela et le tremendisme: Entre paternité et Continuité ...................................................................................................................... 111-123 Karidjatou Diallo / N´dré Charles Désiré : Didáctica de poesías española e hispanoafricana en la universidad Alassane Ouattara de Costa de Marfil ............................................... 124-143 Pascal BOKA KOUASSI : Le sens et la construction des noms des personnages principaux dans La ciudad y los perros de Mario Vargas Llosa ..................................................... 144-157

Géographie Adama Cheikh DIOUF / Dramane CISSOKHO / Aïcha Idy Seydou Wally BA: L’économie de l’anacarde : aspects tarifaires et les revenus des producteurs dans les communes de Diossong et Djilor (Centre-ouest du Sénégal) ........................................ 158-167 Ibrahima SAGNON : L’aménagement touristique face au défi de l’attractivité des curiosités à l’échelle de la région de Gbêkê (côte d’ivoire) ........................................................... 168-185

Page 5: 9- Article 27- Espag

Germivo i re 12/2020

ISSN 2411-6750

Omar DIARRA / Sidia Diaouma BADIANE : L’exploitation illégale du bois d’œuvre à Netteboulou (Sénégal). Caractéristiques et conséquences sur les ressources forestières ...................................................................................................................... 186-204

Elhadji Cheikh NDOYE : Problématique de la cogestion des pêcheries artisanales à Mbour (littoral sénégalais) ........................................................................................................ 205-221

Histoire KAMARAAdama/KONÉDrissa:L’influencedesmusulmanssurlesAbron-KoulangoduGyaman(Nord-EstdelaCôted’Ivoire)……………………………………………………….222-238

Lettres (Littérature / Stylistique) TIAHO Lamoussa : Lecture du social et du discours idéologique dans Pouvoir de plume de Fidèle Pawindbé Rouamba ............................................................................................ 239-253

KOUASSI Oswald Hermann : Langage simple et rupture poétique dans Paroles de Jacques Prévert ............................................................................................................................ 254-272 Antoine N’guessan KOUADIO : La fatalité : une caractéristique de la poésie de Pierre

Reverdy .......................................................................................................................... 273-287

Ernest AKPANGNI / Zié OUATTARA : Procédés linguistique et stylistique de l’ethos dans le discours du Président Alassane Ouattara : exemple de la fête du travail du dimanche 1er Mai 2016 ............................................................................................................................... 288-301

DIDE Kamondan Vincent : Représentation du «gla» (masque) dans le conte du décepteur : justice et abus d’autorité dans le conte wê .................................................................... 302-315 Adamou KANTAGBA / Michel SAWADOGO : Fonctions de l’apparat du magicien dans la littérature africaine ......................................................................................................... 316-328 TCHENDO Yao : Les enjeux du le dialogue interreligieux dans Ce jour-là … de Ferdinand Farara ............................................................................................................................. 329-345

Philosophie AMEWU Yawo Agbéko : La déconsolidation de l’État-nation en Afrique : Regard philosophique sur les enjeux d’un nouvel humanisme politique ...................................... 346-369

Psychologie DUGLI Koku / TCHABLE Boussanlègue / AKAKPO-NUMADO Yawo Séna : Perception de son activité et citoyenneté organisationnelle chez les enseignants des établissements publics de la région éducative Lomé- golfe au Togo ........................... 370-384

Page 6: 9- Article 27- Espag

Germivo i re 12/2020

ISSN 2411-6750

Amaèti SIMLIWA PITALA / Kouami ADANSIKOU / Boussanlègue TCHABLE : Stress post-traumatique, conflit interne et comportement en milieu universitaire au Togo .... 385-399

Sociologie William S. DEGBEKO / Charles L. BABADJIDE / H. Dodji AMOUZOUVI : Manifestations de la culture de l’acceptation des résultats de l’élection présidentielle de mars 2011 au Bénin ................................................................................................................ 400-415 Jean-Arsène Paumahoulou GUIRIOBE : Les manifestations et les déterminants de l’incivisme fiscal dans la commune de Bouaké ............................................................. 416-431 KACOU Fato Patrice : Fligué-tibé : une pratique de soins contre l’albinisme chez les Sénoufo-Palaka en Côte d’Ivoire ................................................................................... 432-443 WEKE Léopold Codjo / AMOUZOU Gérard Kouessi / GAGA André : Déterminants socioculturels de la scarification clanique chez les Xwela deKpomassè (Bénin) ......... 444-456 TAKPE Kouami Auguste : Dynamique socioculturelle de la chasse coutumière dans la communauté baatonou de Nikki au Bénin ………………………………………….... 457-473

Abdourahamane DICKO / DARI MOSSI Massaoudou : De la radicalisation à l’extrémisme violent au Sahel : Controverses et vérités sur l’engagement des jeunes violents à Zinder au Niger .............................................................................................................. 474-493 GANOU Souleymane : Pratiques artistiques et figurations transculturelles : le masque bobo à l’ère contemporaine ....................................................................................................... 494-510

Page 7: 9- Article 27- Espag

Germivo i re 12/2020 ISSN 2411-6750

7

Editorial

« Et c’est reparti pour une autre moisson ! Dans le jardin ivoire, l’on ne cesse de faire germer

des céréales variées ! » C’est ainsi que l’on serait tenté de s’écrier à la vue du répertoire

impressionnant de semeurs ayant œuvré dans cet autre numéro de Germivoire, ce paysage virtuel de

production resté toujours arable nonobstant la sécheresse également digitale qu’a occasionnée le virus

à couronnes dans l’interface internationale. Il faut croire que la ferveur et la détermination, qui ont

toujours caractérisé ces producteurs diligents d’ici et d’ailleurs, l’ont emporté sur l’atrophie et la

procrastination intellectuelles que le petit virus croyait pouvoir distiller comme opium dans l’esprit des

cultivateurs avertis de l’ivoire jardin.

La scène est saisissante. C’est la saison des pluies. La période est favorable, la terre est

cultivable. Il faut bêcher pour semer afin d’assurer une récolte agréable ! Les velléitaires endurcis ont

eux-mêmes fait place aux prestataires hardis. On voit ces derniers à l’œuvre. À l’entrée du jardin, trois

ouvriers germanistes agissent avec dextérité : ils donnent respectivement des coups culturel, littéraire

et historique de bêche comme pour inaugurer la campagne de semence. Et voilà que leurs collègues

communicateurs s’invitent au travail, non sans avoir pris le soin d’en faire une magistrale diffusion.

Celle-ci aura atteint un public finalement éclectique : le jardin est aussitôt envahi par des laboureurs

hispanistes, géographes, qu’accompagne, sans complexe, un historien – on aurait dit pour servir de

témoin et de rapporteur des faits –, littéraires, linguistes et une éminente vague de céréaliers

philosophe, psychologue et sociologues. Chacun, selon sa méthode et ses outils propres de production,

façonne le matériau commun pour proposer, in fine, un produit personnalisé, spécialisé. Le jardin ne

manquera donc pas de céréales variées !

C’est dire que Germivoire, ce jardin où germe l’ivoire matière première, n’aura assurément

rien perdu de sa spécificité. Son idiosyncrasie demeure l’humanité. Sa magnanimité, qu’illustre son

ouverture au monde, lui attire chaque semestre, tel un lieu touristique, des visiteurs d’horizons

intellectuels et culturels divers. Certes, divers par la forme, mais convergents dans le fond. Ces

jardiniers-opérateurs n’ont-ils pas en commun les substrats même de l’humanité ? Ou, mieux, des

Humanités ? Que ces substrats s’appellent « langues », « lettres », « sciences humaines » ou

« sciences sociales », cela ne change rien à l’affaire ! Ils restent, par essence, un faisceau prouvant la

nature multiforme voire transdisciplinaire de Germivoire. On comprendra alors pourquoi chacune des

productions est habitée du souffle unitaire et inaltérable du couple opératoire demens-sapiens, seule

dyade apte à saisir dans sa totalité la réalité nouménale ou phénoménale par un discours à la fois

sentant et pensant, intuitif et discursif, subjectif et objectif.

Tout le mérite revient donc à ces contributeurs « humanistes » que la rédaction de Germivoire

remercie et à qui elle assure une fructueuse récolte par le biais de ses lecteurs.

Dr BOUA Alphonse

Université Félix Houphouët-Boigny, Abidjan

Page 8: 9- Article 27- Espag

144

Le sens et la construction des noms des personnages principaux dans La ciudad y los perros de

Mario Vargas Llosa

Pascal BOKA KOUASSI Enseignant-chercheur

Université Félix Houphouët-Boigny Département d'études ibériques et latino-américaines

Spécialité : Littérature et civilisation latino-américaines [email protected]

RÉSUMÉ Le présent article révèle le caractère empirique, connotatif et esthétique des noms des

protagonistes dans La Ciudad y los perros, (Vargas Llosa, 1986). Pour cette étude, nous avons

choisi trois méthodes théoriques: l’onomastique, la sémiotique et la sociologie de la littérature.

L’objectif de ce travail est de montrer qu’au-delà du signe linguistique, les appellatifs, génèrent une

signification qui s’inscrit dans la cohérence interne du texte. Nous avons découvert deux types de

personnages-référentiels : les personnages historiques et mythologiques, qui renvoient à des pans de

l’histoire tels que les guerres, le métissage, l’esclavage, les croyances ancestrales. Il en ressort que

les relations interpersonnelles, les références textuelles et intertextuelles, sont porteuses de charges

de violence, fondées sur l’histoire et la sociologie. L’intention de l’auteur, dévoiler l’agressivité au

sein du collège militaire, se fonde sur une construction qui donne une illusion réaliste au texte.

MOTS-CLES : Personnage, personnage- référentiel, symbolique, violence, histoire.

ABSTRACT :

This article reveals the empirical, connotative and esthetic nature of the names of the

protagonists in La Ciudad y los perros, a romantic writed by Mario Vargas Llosa. For this study, we

favored three theoretical methods: ononomastics, semiotics and the sociology of literature. The

interest of this work is to show that these names convey a meaning which is inscribed in the internal

coherence of the text, oriented in the mysteries of violence. We have two types of referential

characters: historical and mythological characters. These characters recall a part of history: wars,

miscegenation, slavery, ancestral beliefs. It turns out that interpersonal relationships, textual and

intertextual references, carry loads of violence, based on historical and sociological facts. The

author’s intention to expose the violence is based on a story-based construction to give the text a

realistic illusion.

Page 9: 9- Article 27- Espag

145

INTRODUCTION

Nombre de théoriciens s’intéressent à l’étude du personnage en littérature. Pendant

longtemps, formalistes et structuralistes ont considéré les protagonistes comme une simple

composante du système narratif. Vladimir Propp (1970) assigne trente et une fonctions au

personnage. A.J. Greimas et Roland Barthes posent les fondements de l'étude narratologique. Selon

Roland Barthes (1981 : 22), Greimas dépeint et classe les personnages du récit, « non selon ce

qu’ils sont, mais selon ce qu’ils font (d’où leur nom d’actants) », réduisant à six actants, leurs

fonctions. La description formelle du personnage prédomine. Mais le statut du personnage évolue,

comme l’atteste Umberto Eco (2002 : 20), « certains personnages sont devenus en quelque sorte

collectivement vrais parce que la communauté a fait, sur eux, au cours des siècles ou des années,

des investissements personnels [….] de la même manière, par des processus d’identification ou de

projection, nous pouvons nous émouvoir.» D’après Umberto Eco, le protagoniste s’apparenterait

parfois, à un être humain. En nous fondant sur cette dynamique, nous pouvons admettre avec Laure

Helms (2018 : 8), que « le personnage est revitalisé ». C’est autour de lui que se construit l’intrigue ;

polarisant de ce fait, l’attention du lecteur.

Aujourd’hui, la préoccupation majeure des théoriciens dans ce domaine, est relative au sens

du nom dans le récit et à ses modalités d’inscription. Ainsi, une nouvelle interprétation le conçoit

comme une entité capable de générer un sens au récit. Par l’étude du sens et de la construction des

noms des personnages principaux dans La ciudad y los perros de Vargas Llosa, nous voulons

montrer que les appellatifs véhiculent une signification qui s’inscrit dans la cohérence du texte et

orientée vers les arcanes de la violence. Quelle est la signification manifeste de ces désignations ?

Quelle est la charge connotative de l’identité des actants?

La réponse à ces questions nous permettra de mieux saisir les enjeux des noms propres des

personnages ou des lieux d’une part, et d’autre part leurs origines, leur formation et leur sens. Elle

permettra également de comprendre que ces dénominations, en tant que marqueurs identitaires se

fondent sur des sources historiques et mythologiques et contribuent à la compréhension globale du

récit. Pour répondre à ces préoccupations, nous chercherons à vérifier les hypothèses suivantes : Ces

dénominations traduisent la violence. Elles obéissent à des techniques de construction.

Pour mener à bien notre travail, nous avons opté pour trois méthodes : l’onomastique, la

sociologie de la littérature et la sémiotique. Ce choix se justifie dans la mesure où ces méthodes

nous permettent de faire une étude complète. Par la méthode onomastique, à travers

l’anthroponymie qui étudie les noms propres et la toponymie qui se charge, elle, des noms des lieux,

Page 10: 9- Article 27- Espag

146

l’on comprendra clairement les noms des personnages et leurs enjeux relatifs aux lieux. La

sociologie de la littérature nous permettra d’établir un rapport entre la société et l’œuvre à partir des

sources historiques et mythologiques. Enfin, la sémiotique, discipline qui explore les signes

linguistiques, nous permettra de distinguer les personnages référentiels, à savoir les personnages

historiques et les personnages mythologiques. Cette étude se mènera sur trois axes. Le premier est

relatif aux personnages historiques. Il traitera de Leoncio Prado, des personnages liés à l’esclavage ;

et de ceux liés au métissage. Le deuxième portera sur les personnages mythologiques, en

l’occurrence, Le Jaguar d’une part, et Le Boa, d’autre part. Quant au troisième, il tentera d’établir la

corrélation entre ces appellations et l’histoire, en se fondant sur les sources historiques et

mythologiques.

1- LES PERSONNAGES HISTORIQUES

Les personnages historiques sont ceux qui renvoient à des êtres appartenant à l’histoire ou qui sont

rattachés à ce domaine. Nous étudierons Leoncio Prado, en raison de son rôle politique. Il sera

également question des noms liés à l’esclavage, mais également au métissage.

1-1- Leoncio Prado

Notre étude commence par Leoncio Prado1. Avant d’aller plus loin, nous précisons avec

Alain Robbe-Grillet (1961 : 27), qu’ « un personnage doit avoir un nom propre, double si possible :

nom de famille et prénom. Il doit avoir des parents, une hérédité. Il doit avoir une profession […]

Enfin il doit posséder « un caractère », un visage qui reflète, un passé qui a modelé celui-ci et celui-

là ». Robbe-Grillet décrit les critères d’élaboration des noms en six points essentiels: le patronyme,

le prénom, la parenté, l’hérédité, la profession, le caractère.

Composé d’un patronyme et d’un prénom, Leoncio Prado, prend en compte quelques-uns

des critères définis. Le patronyme nous renvoie à une famille qui existe réellement. Issu de la

bourgeoisie, Leoncio représente l’archétype d’un homme de bonne famille, élevé par les institutions

militaires. Colonel de l’armée péruvienne, il remémore un évènement historique: la guerre contre le

Chili qui fait de lui un héros national.

Leoncio Prado est aussi un toponyme. Le collège militaire porte son nom parce qu’il est un

héros. Les différents directeurs du collège, exhortent les adolescents à lui ressembler. Vargas Llosa

adopte ce nom par stratégie narrative pour montrer la volonté des autorités à magnifier la violence. 1 Leoncio Prado (1853-1883), Fils du Général Mariano Ignacio Prado, (deux fois président du Pérou de 1865-1868 et de 1876-1879 et de María Avelina Gutiérrez). À 9 ans, le jeune Leoncio Prado entre au Collège Guadalupe de Lima et devient plus tard colonel de l’armée péruvienne. Le collège militaire de Lima est créé le 27 août 1943 par décret du président Manuel Prado y Ugarteche. Leoncio Prado participe à plusieurs guerres contre l’Espagne. À la fin de la Guerre du Pacific, il meurt fusillé par l’armée chilienne en juillet 1883 après la bataille de Huamachuco. Http://www.laguerradelpacifico.c1/heroes, consulté le [16 03 2015].

Page 11: 9- Article 27- Espag

147

C’est pourquoi, la formation des élèves est basée sur l’hostilité. D’ailleurs, la plupart d’entre eux

deviennent des voleurs, d’autres des bourreaux. Formés dans des conditions où seule prévaut,

comme le dit José Luís Martín (1979 :95), « la ley de la jungla »2 et où selon Jean de la Fontaine

(1986 :78), « la raison du plus fort est toujours la meilleure », les élèves se servent de la violence

comme un instrument pour voler, faire du mal ou tuer. Le Jaguar, chef du groupe des nouveaux

élèves, organise le vol de l’épreuve de chimie. Le vol découvert, lorsque l’Esclave le dénonce, il

assassine ce dernier. Les formateurs ne sont pas en reste. À force d’appliquer un règlement intérieur

trop rigoureux, ils deviennent malveillants. Le cas du lieutenant Gamboa est révélateur, alors qu’il

est initialement passif et le plus accessible de tous les formateurs, comme le révèle cette

conversation entre Alberto et l’Esclave : -«Está de turno el teniente Gamboa»- «Ya sé – responde

Alberto-. Tengo tiempo»- «Bueno- dice el Esclavo»-. Creí que estabas durmiendo»3 (Vargas Llosa,

1963:56).

Gamboa se conforme finalement à la règle, contraint de sévir, comme les autres, par déformation

professionnelle.

La correspondance entre le personnage et l’institution est mise en relief par la description de

l’univers spatial, illustration parfaite d’un lieu s’accommodant à la violence4. Aussi, la topographie

présente divers espaces de brutalité : dortoirs, réfectoires, toilettes, terrain de sport, cour, place

Leoncio Prado. La violence est permanente et le bizutage a lieu partout. Par exemple lorsque

l’Esclave arrive au réfectoire et qu’il veut se servir, le brigadier Arróspide lui donne un coup de

coude sur le bras et le morceau de pain qu’il tient dans la main tombe. Lorsque Cava brise la vitre,

pendant le vol de l’épreuve de chimie, Le Jaguar le séquestre dans les toilettes, au point qu’il

s’urine dessus. Par ailleurs, c’est dans les environs du collège, qu’au cours d’un exercice de tirs,

Ricardo Arana, « l’Esclave », un élève de la troisième année, prend une balle dans la tête. À

proximité de l’effigie de Leoncio Prado, chaque année, le directeur de l’institution profère son

discours d’endoctrinement : Eso de dormir cerca del prócer epónimo habrá que ganárselo. En adelante, los cadetes de tercero ocuparán las cuadras del fondo. Y luego, con los años, se irán acercando a la estatua de Leoncio Prado. Y espero que cuando salgan del colegio se parezcan un poco a él, que peleó por la libertad de un país que ni siquiera era el Perú. En el Ejército, cadetes, hay que respetar los símbolos, qué caray.5 (Vargas Llosa, 1963: 30).

2 Notre traduction : la loi de la jungle 3 Notre traduction : c’est le lieutenant Gamboa qui est de service.- Je sais, répond Alberto. J’ai le temps.- Bon, dit l’Esclave. J’ai cru que tu dormais. 4- Situé à la Perla, dans la province de Callao, au bord de la mer, l’établissement est entouré de terrains non bâtis et de fermes. Les entraînements aux tirs se font dans les environs du collège, sur un terrain accidenté. 5 Notre traduction : Pour dormir près de notre héros éponyme, il faudra le mériter. Désormais, les cadets de troisième année occuperont les dortoirs du fond. Ensuite, avec le temps, ils se rapprocheront de la statue de Leoncio Prado. Et j’espère que lorsqu’ils quitteront le collège ils lui ressembleront un peu, lui combattit pour la liberté d’un pays qui n’était même pas encore le Pérou. Dans l’armée, messieurs les cadets, il faut respecter les symboles, mon Dieu ! »

Page 12: 9- Article 27- Espag

148

À travers cet extrait, le directeur du collège exhorte les élèves à ressembler au héros, pour sa

bravoure.

L’établissement est encore le lieu de toutes les dépravations. Si Leoncio Prado, s’inscrit dans

l’histoire à travers la guerre, d’autres dénominations rappellent l’histoire en raison de l’esclavage et

du métissage.

1-2- Les personnages et l’esclavage

Le deuxième groupe de personnages est encore lié à l’histoire. Ils sont en relation avec

l’esclavage. Il s’agit de: Porfirio Cava, « Le Serrano » et de Ricardo Arana, « L’Esclave ». Ces

noms révèlent la paternité et l’hérédité des personnages; mais Vargas Llosa ajoute un déterminant

pour indiquer leur genre.

Relativement à Porfirio Cava, « Le Serrano », le patronyme Porfirio révèle une origine

européenne et Cava qui s’apparente à un prénom, est en réalité un surnom. À ce premier surnom

inspiré du monde agricole et de la boisson, s’ajoute la particule « Le Serrano ». Formée d’un

déterminant et d’un mot, c’est un autre sobriquet qui rappelle l’origine indienne du personnage. Les

« Serranos » sont les habitants de la « Sierra », les hauts-plateaux des Andes ; les indiens. En

Amérique latine, les indiens sont marginalisés. Cava, « Le Serrano » en est un exemple: « no juego

con serranos [….] serrano cobarde.»6 (Vargas Llosa, 1960:33). Du fait de certains préjugés sur les

indiens, Alberto s’éloigne de Cava. Clair Sourp témoigne de la fracture sociale : Cette situation est à amputer au sentiment de supériorité qu’éprouve le blanc à l’encontre des autres y compris de l’indien. La bourgeoisie blanche, bien que minoritaire, constitue au Pérou une véritable caste, celle des privilégiés. Elle a traversé des siècles, cramponnée à sa suprématie, méprisant d’abord l’indigène, puis insensiblement le métis, pourtant la majorité sociale du pays7.

La crise identitaire est profonde en Amérique latine. Elle existe depuis la rencontre brutale entre les

européens, les esclaves africains et les autochtones indiens. Dans El laberinto de la soledad,

Octavio Paz (2001: 225), parle de « la condition déchirée ». L’écrivain mexicain (2001: 225),

affirme: «El mexicano no quiere ser ni indio, ni español. Tampoco quiere descender de ellos. Los

niega. Y no se afirma en tanto que mestizo, sino como abstracción: es un hombre. Se vuelve hijo de

la nada. El empieza en sí mismo»8. Octavio Paz évoque, clairement le problème identitaire de

l’indien, une question également présente dans La ciudad y los perros.

6 Notre traduction : je ne joue pas avec les serranos.- Froussard de serrano. 7 Sourp, Clair 2013 : “ Mario Vargas Llosa, violence in fabula ou violence dans la fiction”, in http://www.openedition.org/6540 [10 06 2020] 8 Notre traduction : le mexicain ne veut être ni indien ni espagnol. Il ne veut pas non plus être leur descendant. Il les nie. Et il ne s’affirme pas comme métisse, mais comme abstraction : c’est un homme. Il devient un fils du néant. Il commence en lui-même.

Page 13: 9- Article 27- Espag

149

Ricardo Arana, « L’Esclave » associe un prénom européen à un sobriquet en lieu et place

d’un patronyme. Ce premier surnom Arana semble être lié à l’araignée. Selon le Dictionnaire des

symboles, de Jean Chevalier et Alain Gheerbrant (1982), « l’araignée apparaît tout d’abord comme

une épiphanie lunaire, dédiée au filage et au tissage. [….] La bible et le coran s’accordent à

souligner sa fragilité »9. Nous pensons que cette fragilité caractérise bien ce personnage qui, pour se

faire accepter des autres, est obligé de faire le tour de garde de tous. Ainsi, dans l’internat où règne

la loi du plus fort, il reçoit alors le surnom d’Esclave et devient le bouc émissaire, le souffre-douleur

de tous ses camarades. Ce mépris est dû au sentiment d’infériorité dont il est victime, du fait de son

origine noire.

Quant au deuxième surnom, c’est une particule qui rattache un déterminant au mot esclave.

Par ce procédé, nous découvrons l’origine du personnage et comprenons mieux son caractère de

soumission qui le rend victime de tous les abus. Il est obligé de faire le tour de garde du Jaguar pour

éviter le courroux de celui-ci. En tant qu’esclave, il représente les minorités marginalisées qui, pour

se faire accepter dans la société sont obligées d’être les souffre-douleurs.

En étiquetant ainsi les protagonistes, Vargas Llosa relève la fracture sociale. En outre, il

montre comment ces situations historiques deviennent de véritables sources de frustrations, comme

en atteste Luís Martín (1979:135), « […] Casi todos los personajes de Vargas Llosa son frustrados

[….]» 10 . La plupart des personnages de l’œuvre sont frustrés y compris Cava. Pourtant,

historiquement, les amérindiens sont les autochtones. Les premiers arrivent d’Asie vers 25.000 ans

avant notre ère. C’est à partir de la découverte du nouveau monde (1942), date relativement récente,

que s’initie le contact avec les européens et les esclaves africains et les indiens.

La fracture sociale est encore visible à travers les relations interpersonnelles. Porfirio Cava,

est repoussé, parce qu’il est indien. Il en est de même pour Ricado Arana, l’Esclave ou Alberto

Fernández. Si l’esclavage est l’un des motifs du rejet, la bâtardise en est un autre qui a

profondément perturbé la société latino-américaine. La bâtardise fait allusion aux enfants illégitimes

et aux orphelins. À ce propos, parlant de la révolution mexicaine Silvia Lorente- Murphy affirme :

La revolución mexicana destruyó miles de hogares en los que los niños vieron morir a sus padres, quedando abandonados, solos. A su vez, la estructura feudal y el caciquismo, tal como aparece en Pedro Páramo, multiplicó la población de niños ilegítimos, a los que rara vez se les reconoció. [….] El caciquismo, el éxodo rural, la vida mónada, dieron relieve a un tema poderoso en la literatura mexicana: la orfandad y, consecuentemente, la búsqueda del padre (Silvia Lorente-Murphy, 1985:79).

9 Le Guide de la symbolique de l’araignée, in https://www.luminessens.org.prop [10 06 2020] Notre traduction : Froussard de serrano Je ne joue pas avec les serranos 10 Notre traduction: presque tous les personnages de Vargas Llosa sont frustrés.

Page 14: 9- Article 27- Espag

150

La révolution, le nomadisme, le caciquisme, la conquête, l’exode rural, ont favorisé l’abandon des

progénitures. Ainsi, nous comprenons pourquoi, Alberto Fernández est rejeté, bien que d’origine

blanche. Prototype des enfants métisses abandonnés par les espagnols pendant la colonisation, il se

sent frustré et vit en marge du groupe. En outre, alors que Cava et Alberto sont, tous les deux,

marginalisés dans le Cercle, ils ne parviennent pas à se mettre ensemble. La réaction d’Alberto par

rapport à Cava apporte la preuve de leur relation conflictuelle.

«Serrano cobarde »11(1963: 21). «No juego con serranos »12 (1963: 33).

Alberto traite Cava de lâche et refuse de l’approcher. Son attitude traduit clairement son antipathie

et son mépris pour Cava et, partant, pour les indiens. Comme bon nombre de latino-américains,

s’interrogeant sur leur origine, Alberto ne sait à qui s’identifier.

L’esclavage est à imputer au racisme latent et au sentiment de supériorité qu’éprouve le

blanc à l’encontre des autres. Outre l’esclavage, Vargas Llosa s’inspire du métissage pour inventer

ses personnages.

1-3- Les personnages et le métissage

Après les noms liés à l’esclavage, trois autres évoquent le métissage. Notamment, Alberto

Fernández, « Le Poète » ; Paulino, « Le Griffon » ou le «Frisé » ; Vallano, « Le Noir ».

Selon Robbe- Grillet (1961 : 26), « Le « vrai » romancier crée des personnages ». En tant que

romancier, Vargas Llosa crée ses protagonistes en manipulant divers procédés. Ainsi, le premier

nom Alberto Fernández, « Le Poète », a un patronyme et un prénom suivi d’un surnom lié à la

profession. Le patronyme précise l’origine blanche d’Alberto, prototype des enfants issus de

familles séparées.

Quant à Paulino, « Le Griffon » ou le « Frisé », au lieu d’un patronyme, le prénom est suivi

d’un surnom. Contrairement aux autres surnoms, celui-ci est péjoratif et rappelle son origine

indienne ou asiatique. En l’absence d’une indication sur la paternité, l’origine est doublement

révélée par sa peau et ses cheveux.

Le troisième personnage porte un nom particulier. Sans patronyme ni prénom, il est suivi d’un

surnom qui rappelle son origine africaine. En réalité, l’auteur crée ce nom à partir de l’adjectif

« vallano » qui signifie la force, la bravoure. Vu sous cet angle, ce surnom n’est pas péjoratif ; il

souligne le courage de l’africain devant la difficulté et l’adversité et fait référence à la résistance des

africains durant les épisodes douloureux de l’histoire. L’Unesco célèbre par exemple, le courage des

esclaves qui se sont révoltés en 1791 en Haïti. Des hommes et des femmes arrachés à l'Afrique et

mis en esclavage se sont insurgés contre le système esclavagiste pour obtenir la liberté et

11 Notre traduction: froussard de serrano 12 Notre traduction: je ne joue pas avec les serranos

Page 15: 9- Article 27- Espag

151

l'indépendance d'Haïti, en 1804.13 Malgré les préjugés, l’histoire universelle redonne à l’homme

noir la place qui lui revient. Dans ce sens, Vallano est le prototype de l’africain arraché à sa terre.

Le métissage est un phénomène important en Amérique latine. Les circonstances historiques de

la découverte, en mettant en présence les différents groupes raciaux, favorisent la miscégénation,

origine du problème identitaire, comme en témoigne Magnus Mörner (1971 : 11), en affirmant que

«es imposible hoy determinar exactamente el estado social de la mayoría de los latinoamericanos

sin emprender una investigación genética »14. Ce phénomène qui a modifié profondément la

configuration de la population latino-américaine a inspiré certains noms.

Pour créer ces noms, Vargas Llosa manipule un chapelet de critères. S’il fait allusion à

l’esclavage et au métissage, sous leurs aspects les plus étendus, pour mieux cerner le contexte

sociologique des noms, il n’oublie pas les mythes.

2- LES PERSONNAGES MYTHOLOGIQUES

À la suite des personnages historiques, objet de la première étape de notre étude, nous en

venons à présent aux personnages mythologiques. Rappelons qu’un personnage mythologique ou

anthropomorphique est celui auquel l’on l’attribue des caractéristiques du comportement ou de la

morphologie humaine comme, les dieux, les animaux. Vargas Llosa se fonde sur les mythes pour

créer un autre type de personnages. Il s’agit notamment, du Jaguar et du Boa, des noms inspirés du

monde animal et liés aux croyances ancestrales amérindiennes. Contrairement aux autres appellatifs,

ces noms obéissent à un autre procédé de construction.

2-1- Le Jaguar

Le Jaguar est le premier personnage mythique. Si la création des personnages historiques

prend en compte un certain nombre de critères fondamentaux, celle des personnages mythologiques

ne respecte guère cette méthodologie. Elle suit, au contraire, un mode opératoire de type particulier

se présentant sous une forme qui s’apparente à un simple surnom. Sur le plan scriptural, ce nom

commence par un déterminant ; il s’agit d’un article défini, masculin singulier, en lettre majuscule

suivi d’un nom d’animal dont la première lettre est également en majuscule. Les majuscules ne

jouent pas seulement un rôle grammatical ; leur importance vient du fait qu’ils servent à transformer

le nom commun de l’animal en nom propre de personne. Une importante remarque s’impose ; ce

personnage n’a ni patronyme, ni prénom, critères fondamentaux de toute création de noms. Selon la

13 Souvenir de la traite négrière, in https://news.un.org>story>2016/08 consulté le [11 06 2020] 14 Notre traduction : il est impossible de déterminer exactement le statut social de la majorité des latino-américains sans entreprendre une recherche génétique.

Page 16: 9- Article 27- Espag

152

branche anthroponymique de l’onomastique, le patronyme sert à assurer le lien de parenté et donne

parfois des indications sur l’hérédité.

Cette appellation est en réalité un simple surnom qui fait référence au monde animal. En

créant ce personnage, Vargas Llosa se base sur le jaguar, mammifère féroce et doté d’une agilité

exceptionnelle, afin de montrer que ce personnage s’apparente à l’animal. Dans la civilisation

amérindienne, le jaguar est déifié et adoré. Assimilé au pouvoir royal et à la fertilité, il est considéré

comme le symbole protecteur des guerriers aztèques15. Par le jeu des connotations et de métaphore,

l’auteur attribue les caractéristiques et les fonctions de l’animal à cette figure et nous mène au cœur

de la cosmogonie amérindienne qui considère cette créature, non pas comme un animal, mais

comme un dieu.

Dans ce sens, le caractère du personnage n’est pas modelé par une origine sociale ; mais par

la nature de l’animal. Ainsi, par ses réactions au sein du collège militaire, Le Jaguar est assimilé à

un dieu. La force physique et l’agilité dont il fait preuve, ne sont pas vues comme de simples

qualités humaines. Aux yeux des adolescents, cela ne peut être que la manifestation des valeurs

surnaturelles dont il est porteur. C’est la raison pour laquelle les élèves de la quatrième année

n’osent guère le surnommer et encore moins l’affronter. C’est également ce qui lui donne l’autorité

nécessaire pour se proclamer Le Jaguar. Son habilité à éviter les coups et sa dextérité à les donner,

constituent autant de preuves qui achèvent de convaincre qu’il est hors du commun, un Être

surnaturel. En prenant l'initiative de créer le Cercle, afin de lutter contre la violence et l'injustice

que subissent les premières années, il se rend maître des lieux et des circonstances à l’image d’un

Être suprême.

Les cadets pensent effectivement que ces considérations préconçues sont une réalité. Tel un

dieu, ils considèrent que Le Jaguar peut les protéger tant physiquement que mystiquement. En

conséquence, ils le vénèrent et croient indéniablement en sa capacité de protection et de défense.

Estimant également qu’il pourrait leur lancer des sorts, les membres du Cercle et même les anciens

élèves du collège le craignent et le déifient. La preuve en est qu’il est le seul qui n’est pas bizuté

dans l’établissement. À force de battre, terroriser, rouer de coups tous ses adversaires,

individuellement et même collectivement, il règne en maître incontesté et craint par tous. Aussi, son

autorité et son intransigeance le dispensent de toute corvée, même de son tour de garde. Il est

encore doté de pouvoir de réaction et de décision très étendus. Tel un dieu, omniscient et

omnipotent, Le Jaguar agit selon sa volonté et les autres élèves considèrent toujours normal ce qu’il

fait.

15 Le Jaguar dans la mythologie amérindienne, in https://www.dinosoria.com/jaguar-mythe.html consulté le [11 06 2020]

Page 17: 9- Article 27- Espag

153

Comme nous le voyons, Vargas Llosa puise dans les profondeurs de la civilisation

amérindienne pour nommer ce personnage. En témoigne cette description: «El Jaguar se mira en el

espejo y trata en vano de apaciguar sus cabellos: las púas, rubias y obstinadas, se enderezan tras el

peine.»16 (Vargas Llosa, 1963 : 57). Par son physique, nous voyons bien que Le Jaguar se distingue

clairement des autres élèves. Cette métaphore accentue le caractère sacré du personnage et constitue

la preuve palpable de cette sacralisation.

Au total, par divers procédés, Vargas Llosa représente Le Jaguar en lui attribuant des

pouvoirs surnaturels. Cette caractérisation transparaît clairement dans ses réactions et dans ses

relations avec les autres. De même que Le Jaguar, Vargas Llosa peint une autre divinité en

s’inspirant encore des mythes ; il s’agit du Boa.

2-2- Le Boa

Le Boa est le deuxième personnage mythique. Créé à l’image du Jaguar, ce personnage n’a

aucun indice de paternité visible, ni aucun prénom, alors que selon l’onomastique, ces références

sociologiques sont nécessaires pour identifier l’origine des personnages. Seul un surnom inspiré de

la légende du serpent boa permet de l’identifier. Par l’usage de ce surnom, l’auteur attribue

métaphoriquement les caractéristiques de ce reptile à ce personnage. Dans la mythologie

amérindienne, le serpent est considéré comme un Dieu ; et le serpent boa est le Dieu de l’énergie

vitale17. Ainsi, Vargas Llosa décrit ce personnage comme un être ayant des pouvoirs surnaturels.

En créant ce deuxième personnage qui incarne Dieu, l’auteur semble poursuivre un double

objectif : montrer la pluralité des dieux dans l’univers cosmogonique amérindien, mais également,

souligner que l’équilibre et l’harmonie dépendent de la mutualisation des forces des différents dieux.

Dans ce sens, Le Boa joue un rôle important : assurer la médiation entre Le Jaguar et les membres

du groupe et l’harmonie en leur sein. C’est pourquoi, Le Boa apparaît comme le meilleur ami du

Jaguar, alors que tous les autres craignent ce dernier. L’auteur crée un rapprochement entre deux

êtres de même nature. Aussi se suivent-ils fidèlement, se respectent et se complètent, même s'ils ne

sont pas toujours d'accord. Le Boa est le seul qui défend Le Jaguar, quand toute la section le

soupçonne de trahison.

Comme le Dieu-Serpent, Le Boa représente deux forces opposées : le Bien et le Mal. En tant

que force du Bien, il a le pouvoir de créer la cohésion entre les élèves du collège ; il sert également

de trait d’union entre les divinités et les élèves. En tant que force du Mal, il pense par exemple, qu’il

16 Notre traduction : Le Jaguar se regarde dans le miroir et s’efforce en vain de discipliner ses cheveux, blonds et obstinés, de vraies soies, ils se rebiffent dès que le peigne est passé. 17 Le guide de la symbolique du serpent, in https://esprit-serpent.com Consulté le [09 06 2020]

Page 18: 9- Article 27- Espag

154

faut être brutal. Ainsi, il finit par se battre avec l’un des formateurs du collège, le brigadier

Arróspide.

Avec le Boa, l’auteur trouve une figure analogue au Jaguar qui est non seulement son adjuvant,

mais aussi cette force, capable de préserver l’équilibre. Les deux se reconnaissent mutuellement et

se suivent régulièrement. Tel qu’il se présente, Le Boa joue le rôle de médiateur entre Le Jaguar et

le Cercle, contribuant ainsi à maintenir l’harmonie et l’équilibre psychologique nécessaire des

cadets. Si l’histoire inspire les noms, à travers l’esclavage, le métissage et les mythes, il convient

d’analyser la corrélation entre les noms et l’histoire.

3- LA CORRÉLATION ENTRE LES NOMS ET L’HISTOIRE

La corrélation désigne le lien, mais aussi le rapport réciproque entre deux ou plusieurs variables.

Il s’agit de prouver la relation entre les appellatifs et l’histoire. C’est la sociologie de la littérature

qui nous aidera à répondre à cette hypothèse. Elle considère qu’il existe un lien entre le texte et la

société, comme l’affirme Mikhaïl Bakhtine, cité par Dominique Maingueneau (2004 : VI), « […] le

texte et son contexte sont indissociables ». La conception bakhtinienne des sources sociologiques de

l’œuvre, s’appuie d’une certaine manière sur celle de Gustave Lanson, qui considère que toute

œuvre littéraire est un produit social. Leur position est réaffirmée par Georg Lukács (1965 : 10), qui

proclame : «un homme, une œuvre, un genre littéraire ne surgissent jamais « ex-nihilo », ils sont au

contraire préparés, conditionnés par un certain contexte historico sociologique».

Georg Lukács souligne l’importance du contexte historico-culturel dans toute œuvre humaine.

Fort de ce qui précède, nous postulons que les noms des personnages ont une origine dans l’histoire

qu’il convient de révéler. Il s’agit de prouver que les appellatifs sont inspirés de l’histoire.

3-1- Les sources historiques

Le lien entre les noms et l’histoire est d’abord à rechercher à travers les sources historiques de

l’œuvre. Vargas Llosa exploite plusieurs sources historiques pour inventer les noms des

protagonistes. Il se fonde sur l’origine des élèves et la question raciale. Dans les années 1950,

Vargas Llosa passe deux années scolaires à l’école militaire Leoncio Prado de Lima. Cette

expérience lui permet de connaître ce milieu, qui a en charge l’éducation des adolescents du pays.

L’Académie militaire accueille des enfants de diverses origines : blancs, métis, indiens, noirs, sans

distinction de classes sociales : paysans, fils de classe moyenne, riches et pauvres. La vie et les

interactions de ce microcosme, constitue le substrat de ces appellatifs. L’idée de Vargas Llosa vient

du fait que la société péruvienne est cosmopolite. S’il s’inspire de l’origine des adolescents, il se

Page 19: 9- Article 27- Espag

155

base encore sur la société péruvienne, car le collège est l’abrégé symbolique des réalités

existentielles d’une société cosmopolite.

D’autres faits mémorables déterminent les noms : la découverte du nouveau monde qui met en

présence, différents groupes raciaux : les européens (principalement espagnols et portugais), les

esclaves africains et les autochtones indiens. Ces circonstances engendrent le métissage, origine du

problème identitaire latino-américain. À cela, il faut ajouter la condition de l’indien. Au moment de

la rencontre des deux civilisations, les européens considèrent les indiens comme des créatures qui

n’existeraient que pour être esclaves, comme l’atteste Bernard Werber, à travers la “ Controverse de

Valladolid ”

Christophe Colomb a découvert l’Amérique depuis 1492 et l’Espagne utilise les indiens comme esclaves dans les mines, cependant l’église ne sait pas quoi penser de ces individus, « humanoïdes » dont quelques spécimens sont importés en Europe pour être présentés comme animaux de foire. Sont-ils des descendants d’Adam et Eve? Ont-ils une âme ? Doit-on les convertir ? Pour trancher ce problème l’Empereur Charles Quint réunit en 1550 au collège Saint-Grégoire de Valladolid des spécialistes qui vont discuter pour définir ce qui est et ce qui n’est pas un homme (Bernard Werber, 2018 : 247-248)

Il mentionne, notamment, les jugements de valeur particulièrement graves à l’encontre des

indiens, considérés comme des esclaves et des bons à rien. Ainsi, ils connaissent l’humiliation,

l’expropriation, la spoliation, l’assujettissement, mais aussi l’acculturation. La condition de l’indien

ou de l’africain, le métissage, la bâtardise, les guerres et les révolutions constituent autant de

problématiques qui motivent Vargas Llosa à créer ces personnages. Ces références ont une forte

connotation historique. Outre ce contexte, il urge de se référer encore à la mythologie et à la

cosmogonie amérindienne.

3-2- Les sources mythologiques

Les noms ont des sources historiques ; mais également des références mythologiques. Vargas Llosa

tient compte de la cosmogonie pour créer deux personnages : Le Jaguar et Le Boa. Dans la

mythologie amérindienne, les animaux jouent un rôle très important. Considérés comme des dieux,

Le Jaguar et Le Boa sont adorés et vénérés. Dans le récit, ces deux figures apparaissent comme des

êtres surnaturels aux yeux du groupe et même au sein de l’établissement. Ils se comportent en

éclaireurs ; ils interprètent la réalité, comprennent l’ordre des choses et donnent les orientations

nécessaires aux cadets. Comme des dieux, ils jouent aussi le rôle de protecteurs, épargnant au

groupe les attaques. Ils s’interposent entre les cadets et les anciens élèves et mettent tout en œuvre

pour préserver l’harmonie.

Le Boa est régulièrement avec Le Jaguar ; Les deux se complètent. Lorsque l’un est violent, l’autre

se doit d’être aimable afin de préserver l’harmonie dans le groupe. En retour, leurs condisciples leur

vouent un respect total. Tels les dieux amérindiens, Le Jaguar par exemple, ne fait pas autre chose

Page 20: 9- Article 27- Espag

156

que veiller au bon fonctionnement de sa communauté. L’esclave fait sa corvée à sa place. Cava

s’exécute quand il reçoit l’ordre de voler les épreuves de chimie. Craint par tous, Le Jaguar n’est

pas bizuté ; les différents groupes reconnaissent son autorité légendaire. Cependant, en tant que

guide, Le Jaguar reçoit des récompenses, comme on fait des offrandes à un être à qui l’on est

redevable. Ces noms incarnent les divinités.

Dans la cosmogonie amérindienne, chaque être humain ou animal, chaque chose est un esprit

relié au Créateur. L’homme appartient à un ensemble harmonieux et équilibré dans lequel il est

l’égal de toute autre chose. Il est l’expression d’une pensée, d’une manière d’appréhender la vie,

d’expliquer la nature et d’offrir une orientation spirituelle. C’est par la légende que les amérindiens

expliquent les phénomènes naturels. Les mythes permettent de renforcer la cohésion sociale. C’est

pourquoi, malgré leurs origines diverses, l’ordre établi par Le Jaguar et Le Boa permet de préserver

l’harmonie et la cohabitation au sein du Cercle. Si dans ce collège, la formation est basée sur la

violence, dans l’esprit des cadets, cela fait partie de l’ordre naturel, car en arrivant, ils y sont déjà

préparés, influencés par ce mode de vie dans leurs milieux respectifs. Les amérindiens sont

respectueux de la nature, qui selon eux contribue au bien-être. Ils rendent hommage aux symboles

protecteurs par des rituels, des offrandes ou des célébrations. La tradition amérindienne fait souvent

référence aux animaux, qui ont, au même titre que les humains, une âme et possèdent parfois des

qualités supérieures aux hommes. S’il existe une relation entre les noms et l’histoire, comme le

soutient la sociologie de la littérature, il serait utile de caractériser, la forme de cette relation. Dans

cette perspective, peut-on soutenir que si les noms véhiculent un sens dans le récit, l’interprétation

des appellatifs permet de capter le récit dans sa totalité.

CONCLUSION

Cette étude a porté sur les personnages référentiels dans La ciudad y los perros. Il a été

question de voir si les personnages-référentiels ont une fonction et un sens qui aident à la

construction de l’intrigue du roman. Notre hypothèse est que ces dénominations sont le résultat

d’une technique d’écriture qui rend compte de l’histoire de la violence. Pour mener à bien ce travail,

nous avons opté pour trois méthodes : l’onomastique, la sémiotique et la sociologie de la littérature.

Ainsi, parmi les protagonistes, certains sont empruntés à l’histoire et d’autres à la mythologie.

S’agissant des personnages historiques, nous avons trois types : le premier est un personnage

éponyme qui a un patronyme dont la caractéristique est liée à la guerre. Les deux autres

personnages historiques font penser à l’esclavage et au métissage, deux phénomènes qui ont marqué

profondément le sous-continent. Quant aux deux personnages mythologiques, ils invoquent les

croyances ancestrales. Ainsi, qu’ils soient liés à l’histoire ou à la mythologie, l’exploitation des

renseignements fournis montre que les appellatifs renvoient à une hostilité qui se trouve inscrite

Page 21: 9- Article 27- Espag

157

dans l’histoire. Pour capter cette lisibilité, nous avons eu besoin d’analyser l’histoire et la culture ;

substrat de l’œuvre. Au regard des résultats obtenus nous estimons que nous avons atteint nos

objectifs dans la mesure où nous pensons que nous avons prouvé que c’est à partir de l’histoire de la

violence, du métissage et de l’esclavage que Vargas Llosa crée les noms de ses protagonistes, et que

le récit peut se comprendre à partir des noms. En définitive, l’histoire inspire les noms et ceux-ci

contribuent à la compréhension du récit. Toutefois, si les noms permettent de comprendre l’histoire,

peut-on affirmer que l’histoire permettrait elle de donner un sens aux noms ?

BIBLIOGRAPHIE:

Corpus

Vargas Llosa, Mario (1963): La ciudad y los perros. Barcelona: Seix Barral.

Autres ouvrages

BAKHTINE, Mikhaïl cité par Dominique MAINGUENEAU (2004) : Le Discours littéraire.

Paratopie et scène d’énonciation. Paris : Armand Colin.

BARTHES, Roland et al (1981) : Introduction à l’analyse structurale des récits, in Communications,

8, l’analyse structurale du récit. Paris : Éd. du Seuil.

ECO, Umberto (2002): De la littérature. Paris : Ed. Grasset.

GREIMAS ALGIRDAS, Julien (1966) : Sémantique structurale. Recherche de méthode. Paris :

Larousse.

HAMON, Philippe (1972) : «Pour un statut sémiologique du personnage», poétique du récit. Paris :

Seuil.

HELMS, Laure (2018) : Le personnage de roman, Paris : Armand Colin.

ROBBE-GRILLET, Alain (1961) : Pour un nouveau roman. Paris : Les éditions de Minuit.

WERBER, Bernard (2018) : Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu. Paris : Albin Michel.