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INTRODUCTION

À LA SOCIOLOGIE

DU TRAVAIL

Seconde édition

par /

J e a n - C l a u d e R A B I E R

Maître de conférences à l'Université Paris X-Nanterre

E a A s m E

Éditions Européennes ERASME

89, rue Sartoris F-92250 La Garenne-Colombes

Tél. : (1) 47.82.97.32

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Photo de couverture : ENGTEX, Suède.

@ Édi t ions E u r o p é e n n e s E R A S M E , Nanterre, France Tous droits réservés pour tous pays. Toute reproduction,

même partielle, par quelque procédé que ce soit, est interdite (art. 425 et s. du Code pénal).

Nurpéftggjlffiiteur : 2-7388 Dépôt léga]ft|rcd^%Mon) septembre 1990

ISBN : � . ISSN : 0993-7153

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Avertissement

Le texte qui suit correspond à la retranscription d'un cours oral. Malgré les quelques corrections appor- tées, il conserve les caractéristiques, les erreurs et les ap- proximations inhérentes au style de l'exercice.

Il s'agit également d'un cours d'introduction, des- tiné à des étudiants qui n'ont qu'une connaissance limi- tée du travail industriel ou tertiaire. Son but est donc, dans un temps relativement court, d'illustrer l'approche sociologique des problèmes du travail en utilisant quelques-uns des concepts et quelques-unes des mé- thodes qui caractérisent la discipline. Ce cours s'inscrit également dans un processus de spécialisation progres- sive des étudiants dans une filière de formation débou- chant sur un second et troisième cycle, dont il ne consti- tue que la première étape. Ceci explique à la fois les li- mites de cet exercice et son caractère très concret.

Enfin, dans la préparation d'un tel cours, des em- prunts aux ouvrages de référence et aux travaux de re- cherche sont nombreux. Pour ne pas alourdir la présen- tation, nous avons supprimé toutes les références ponc- tuelles et indiqué en fin de chapitre les ressources utili- sées.

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INTRODUCTION

Il est toujours difficile de définir une discipline, d'autant plus que l'on pratique soi-même cette activité. La tendance est alors d'énumérer une liste plus ou moins longue de pratiques que l'on tient pour la défi- nition d'un champ de connaissance. En fait, je serai tenté de dire que la sociologie du travail c'est ce dont nous parlerons, en partant de ce principe que la définition d'une discipline n'est jamais meilleure qu'en désignant ce que l'on enseigne sous son nom.

Il reste que cette position est très insatisfaisante pour les étu- diants, puisqu'elle les laisse dans l'incertitude jusqu'à la fin de l'année. Aussi nous nous tournerons d'abord vers l'approche historique pour tenter de cerner le sens de ce que nous allons faire.

1 - AUX ORIGINES : LA SOCIOLOGIE INDUSTRIELLE

La première désignation qui a été utilisée pour décrire la disci- pline a été celle de "sociologie industrielle". Elle est relativement ré- cente et n'est d'usage courant que depuis 1945. L'apparition du terme avait été précédé d'un certain nombre de travaux menés par des per- sonnes qui n'étaient pas sociologues professionnels. Certaines études furent menées par des psychologues industriels s'efforçant d'élargir le champ de leurs travaux à des comportements humains qui n'étaient pas pris en compte par leur propre discipline ; d'autres furent réalisés par des anthropologues qui trouvaient dans les entreprises de petites communautés que leurs méthodes permettaient d'atteindre et de com- prendre ; quelques rares économistes dépassant le cadre de l'économie classique s'intéressèrent aussi au comportement humain dans le tra- vail ; enfin des spécialistes de sciences politiques, attirés par les rela- tions de pouvoir, s'intéressèrent à la gestion des conflits industriels.

La sociologie industrielle est donc née de travaux divers, dont elle a réussi une sorte de synthèse lui permettant après la seconde guerre de s'affirmer en tant que discipline autonome.

C'est en Amérique que les recherches ont été les plus nom- breuses, et c'est par là qu'il faut commencer notre cheminement. En effet, si l'on omet quelques enquêtes du XIXème siècle, celles de Marx et d'autres auteurs anglais sur le travail et sa condition, les premières enquêtes ont eu lieu aux Etats Unis au début du XXème siècle.

La première a été réalisée en 1907 et concerne les conditions de vie et de travail des salariés de la région de Pittsburg. Elle porte sur

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tous les domaines de l'activité : magasins, mines de charbon, aciéries. Elle aboutit, pour la première fois, à établir un diagnostic général sur les conditions de vie ouvrière. Pour indiquer le ton de cette enquête, je cite les huit points principaux sur lesquels les auteurs attirent l'attention en conclusion de leurs travaux :

1. Tous les salariés de Pittsburg sont soumis à une durée de travail excessive.

2. La grande majorité des travailleurs ne perçoit que de très bas salaires qui ne leur permettent pas de maintenir un "niveau de vie américain normal".

3. Les salaires des femmes valent la moitié de ceux des hommes qui ne sont pas syndiqués, et le tiers de ceux dont bénéficient les hommes qui appartiennent à une organisa- tion syndicale.

4. Les propriétaires des entreprises se désintéressent et ne se sentent pas responsables de ce qui se passe dans leurs usines.

5. De nombreux immigrants arrivent constamment sur le marché du travail. Ils représentent une main-d'oeuvre à bon marché et ne sont pas protégés.

6. Les conditions de vie détruisent la famille, du fait des exigences de la journée de travail, de la fièvre typhoïde et des accidents du travail.

7. Il n'existe pas d'institutions sociales adaptées à ces conditions.

8. Il y a un contraste frappant entre l'image de la plus prospère de toutes les nations de la civilisation occidentale et la précarité des conditions de vie à Pittsburg.

Ces conclusions valent autant pour leur intérêt historique que pour l'identification des problèmes qui vont devenir ceux de la sociolo- gie industrielle. Essayons d'en dresser une première liste :

- l'emploi de la population et de ses différentes catégories, dont les femmes et les immigrés ;

- les salaires et les modes de rémunération ;

- la syndicalisation et ses effets sur le monde du travail ;

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- le degré d'implication des propriétaires d'entreprises et des dirigeants ;

- les conditions de travail : accidents du travail, santé des travailleurs, durée du travail ;

- travail social et institution de prise en charge ;

- conditions de vie au travail et conditions de vie hors tra- vail.

Ces conclusions, et c'est une autre remarque, concernent des en- sembles sociaux très vastes (les travailleurs d'une grande cité indus- trielle) et s'inscrivent dans le cadre d'une sociologie générale basée sur une approche globale des communautés, au sein desquelles les com- munautés industrielles restreintes que sont les entreprises, n'apparaissent pas comme telles. Il s'agit donc plus d'une sociologie du travail et des travailleurs que d'une sociologie de l'entreprise.

Un des effets de cette enquête et de quelques autres va être la prise en compte dans les entreprises de la fonction personnelle et le développement d'axes de réflexion concernant les comportements hu- mains au travail. Parallèlement se développe un certain nombre de techniques de gestion du personnel destinées à favoriser la coopéra- tion entre les travailleurs et leur intégration dans la communauté qu'est l'entreprise.

C'est dans ce nouveau cadre qu'un ensemble d'enquêtes va se dérouler, de 1928 à 1932 : il s'agit des enquêtes d'Elton Mayo et de ses collaborateurs à la Western Electric Company.

II - LES ENQUETES D'ELTON MAYO

Ces enquêtes méritent que l'on s'y attarde un peu. Elles consti- tuent en effet le véritable point de départ de la réflexion sociologique, et le schéma d'interprétation qu'elles mettent en place restera jusqu'à aujourd'hui le schéma explicatif fondamental des sociologues. Elles sont en outre à l'origine du mouvement dit des relations humaines.

1. La première enquête : La rotation de la main-d'oeuvre dans une usine textile

En 1923, Mayo entamait une étude sur les causes pouvant expli- quer le fort taux de rotation du personnel que connaissait le départe-

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ment filature d'une usine textile de Philadelphie. Le taux de rotation des différents ateliers était estimé à 5 ou 6% l'an ; il s'élevait à 250% en filature. Auparavant, la direction de l'entreprise avait donné quatre plans d'amélioration de la situation des fileurs, basés sur des primes en argent, et qui tous avaient échoué à diminuer le taux de rotation et à améliorer la productivité du travail.

Les fileurs travaillaient 54 heures par semaine en 5 jours de 10 heures plus une matinée, chaque période de 5 heures étant séparée par un repos de 45 mn pour le repas. Le travail consistait essentiellement à marcher le long d'une allée bordée par deux machines à filer, longue d'une trentaine de mètres, et à réparer les fils cassés. Un autre opérateur conduisait les métiers à proprement parler (mule-jenny). Les fileurs considéraient que leur travail était sans intérêt, fatigant, peu rémunérateur. L'atelier de filature n'avait jamais dépassé le niveau de 70% de la production considérée comme normale par la direction. Le résultat de la situation était que les filateurs décidèrent brusquement, et individuellement, de quitter ce travail parce qu'ils en avaient assez.

L'étude va se dérouler d'octobre 1923 à septembre 1924, avec des démarches des chercheurs qui vont engager des modifications, et des interventions de la direction, souvent conduites indépendamment des chercheurs. Pendant la durée de l'étude, on peut distinguer cinq périodes :

a) introduction de périodes de repos (octobre 1923 à février 1924). Les chercheurs introduisent dans l'atelier de filature deux périodes de repos de 10 mn chacune, le matin et l'après-midi. Chaque demi-journée devient ainsi décomposée en :

- 2 heures de travail - 10 minutes de repos - 1 heure 30 de travail - 10 minutes de repos - 1 heure 10 de travail, avant le repas de midi ou la fin de

l'activité.

Les travailleurs sont encouragés à s'étendre et à dormir pendant les 10 mn. Les résultats sont encourageants : le moral des ou- vriers s'améliore et le taux de rotation diminue significativement chez le tiers des ouvriers soumis à l'expérience. Mais chose plus surprenante, une amélioration identique se produit chez les deux tiers des ouvriers qui ne participent pas à l'expérience. Face à ces résultats, l'ensemble de l'atelier est soumis au nouveau rythme de travail et la production augmente progressivement de 70% de

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la norme à plus de 80% en février 1924. Cela s'accompagne d'un accroissement des rémunérations de 5% (chaque pour-cent au- dessus de 75% de la norme de production se traduit par une augmentation d'un pour-cent de la rémunération de base). Une seule résistance se manifeste au niveau des chefs d'équipe et des contremaîtres qui n'apprécient guère de voir les hommes dormir entre les machines pendant les périodes de repos, alors que les machines tournent.

b) abandon des périodes de repos (10 jours en février 1924), parce qu'une exigence de production apparaît. En 5 jours, la production descend au-dessous de 70% de la norme et le pessimisme des travailleurs réapparaît.

c) réintroduction des périodes de repos (février-mars 1924), mais la production reste au niveau de 70% de la norme. Les travail- leurs n'ont plus confiance puisqu'ils ne sont pas assurés que le système de périodes de repos est définitivement installé.

d) périodes de repos avec arrêt des machines (avril 1924). Le chef d'entreprise ordonne alors que les machines soient arrêtées pendant les périodes de repos et que tous les travailleurs, y com- pris les chefs d'équipe et contremaîtres, observent ce temps de repos. A la fin du mois, la production est remontée à 77,5%, en- traînant un bonus de 2,5% en salaire et une nouvelle améliora- tion de l'ambiance et du moral des travailleurs.

e) la dernière phase de l'expérimentation redonne aux travail- leurs une autonomie de décision. Chaque groupe de trois tra- vailleurs peut décider quand il le souhaite de prendre son repos, mais les machines continuent de tourner. La production continue d'augmenter pour atteindre 86,5% de la norme, soit un bonus de 11,5% pour les travailleurs.

Les explications fournies par Mayo sont de nature psycholo- gique. Pour lui, si les périodes de repos sont efficaces c'est, d'une part, parce qu'elles permettent une récupération de la fatigue physique et, d'autre part, parce qu'elles introduisent une rupture dans les préoccu- pations mentales des travailleurs qui évoluent vers le pessimisme compte tenu de leurs conditions de travail.

En 1945, Mayo reprend les conclusions de cette étude et indique que le facteur explicatif le plus important est que la dernière phase de l'expérience a permis de transformer des travailleurs solitaires, isolés par les machines et le bruit, en groupe social, en leur donnant la charge de la décision de l'organisation des temps de repos. Ceci a

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conduit les travailleurs à se concerter dans l'ensemble de l'atelier et à changer le modèle de relations. Cette fois-ci, l'explication est sociolo- gique, et non plus psychologique.

C'est qu'entre 1924 et 1945, Elton Mayo et ses collaborateurs ont mené les enquêtes de Hawthorne, usine de la Western Electric Cy, qui leur ont fait prendre conscience de l'importance du facteur social dans l'explication des phénomènes industriels.

2. Les expériences à Hawthorne

En 1927, Mayo rencontre un ingénieur de la Western Electric qui lui raconte une expérience montée par lui et ses collègues dans l'usine d'Hawthorne (Chicago). Cette expérience repose sur l'idée qu'un ac- croissement de l'éclairage dans un atelier augmente la productivité du travail, donc qu'il existe un lien entre degré de luminosité et efficacité du travail.

Pour tester cette hypothèse, les ingénieurs ont monté un atelier expérimental dans lequel ils font varier l'intensité lumineuse dans des conditions très contrôlées, chaque variable étant fixée à une valeur, et une seule de ces valeurs variant à un moment donné de l'expérience. Un atelier de contrôle a également été monté, dans lequel la situation est identique à celle de l'atelier expérimental, sauf en ce qui concerne la variation de l'intensité lumineuse qui y reste inchangée.

Effectivement, on constate que la productivité des travailleurs augmente quand on accroît la luminosité de l'atelier. Mais, beaucoup plus surprenant, la productivité des travailleurs du groupe de contrôle, qui ne connaissent pas de variation de luminosité, s'accroît également.

Qui plus est, si l'on fait décroître l'intensité lumineuse dans l'atelier expérimental, tandis qu'elle reste constante dans l'atelier de contrôle, au lieu d'assister au résultat attendu (baisse de la productivité dans l'atelier expérimental et constance de celle-ci dans l'atelier de contrôle), on s'aperçoit que dans les deux ateliers, la productivité continue de s'accroître, lentement, mais régulièrement.

La seule conclusion que l'on puisse tirer de cette expérience est que si la luminosité agit bien comme prévu sur la productivité des tra- vailleurs, elle est loin d'être le seul phénomène explicatif, et n'est pro- bablement qu'une explication très minime de sa variation. D'autres facteurs entrent en jeu que l'on ne maîtrise pas, et c'est cette inconnue qui va motiver Elton Mayo dont l'objectif va être de comprendre et d'expliquer cette situation.

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3. The relay assembly test room. L'atelier expérimental d'assemblage de relais téléphoniques

Avec deux collègues, F. J. Roethlisberger et T. N. Whitehead, Elton Mayo va monter ce qui va devenir la première grande étude expérimentale de sociologie industrielle.

Le principe de l'étude est de rassembler dans un atelier expéri- mental un groupe de travailleurs en nombre suffisamment restreint pour pouvoir contrôler un maximum de variations et observer correc- tement les situations. Cette volonté de contrôler la situation conduit à choisir un travail particulier qui doit répondre aux spécifications sui- vantes :

- être suffisamment répétitif, ce type de tâches se développant dans l'industrie de l'époque ;

- tous les ouvriers doivent exécuter la même tâche, pour pouvoir faire des comparaisons entre les résultats individuels ;

- les opérations doivent être courtes de manière à pouvoir accu- muler de nombreuses observations (de l'ordre de une minute par opération) ;

- la vitesse de l'opération doit être entièrement contrôlée par l'opérateur, ce qui exclut les tâches imposant l'utilisation de ma- chines-outils.

Finalement, c'est le montage de relais téléphoniques qui est choisi. Le travail est exécuté par des femmes qui placent 35 éléments dans une boîte de relais et les fixent au moyen de 4 écrous. Une ou- vrière, utilisant ses deux mains, prenant les éléments en face d'elle, ef- fectue le montage dans un temps d'environ une minute. Chaque ou- vrière monte ainsi environ 500 relais par jour.

Les personnes sélectionnées pour l'expérience doivent bien connaître le travail (pour éviter les effets d'apprentissage) et être vo- lontaires pour travailler dans l'ambiance particulière de l'atelier expé- rimental. Deux ouvrières connues pour être de bonnes amies sont d'abord choisies, et celles-ci choisissent à leur tour quatre autres femmes avec lesquelles elles aimeraient travailler.

L'atelier est isolé de l'usine proprement dite et placé sous la res- ponsabilité d'un contremaître. Un observateur qualifié est présent en permanence dans la pièce. Les entretiens avec les ouvrières se passent hors de la pièce de travail.

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La seule chose qu'il faut remarquer dans ce montage soigneux de l'expérience qui doit, rappelons-le, permettre de mesurer l'effet de va- riables contrôlées une à une, est l'absence totale de réflexion sociolo- gique : à ce stade, pas un des concepteurs de l'expérience ne soup- çonne que les relations très particulières instaurées dans l'atelier expé- rimental entre les membres du groupe vont avoir une influence consi- dérable sur les résultats.

L'expérience elle-même se déroule en une douzaine de périodes de 4 à 12 semaines chacune.

- période 1 et 2 : conditions normales ; les ouvrières travaillent 48 heures par semaine, sans repos intermédiaire dans la journée et produisent chacune environ 2400 relais par semaine.

- période 3 : les ouvrières travaillent en groupe ; la production augmente à 2500 unités par semaine.

- période 4 : des périodes de repos de 5 mn sont introduites, la production augmente encore.

- période 5 : les périodes de repos passent à 10 mn, la production augmente fortement.

- période 6 : les périodes de repos sont ramenées à 6 mn, les ou- vrières se plaignent de leur rythme de travail et la production baisse légèrement.

- période 7 : les périodes de repos sont limitées à deux, dont une avec un repas chaud fourni par l'entreprise, la production re- passe au-dessus de 2500 unités par semaine.

- période 8 : mêmes conditions qu'à la période 7, mais les ou- vrières peuvent quitter le travail à 4 h 30 au lieu de 5 h, la pro- duction augmente fortement.

- période 9 : mêmes conditions qu'à la période précédente, mais les ouvrières peuvent quitter le travail à 4 h, la production ne va- rie pas.

- période 10 : mêmes conditions, mais la fermeture est repoussée à 5 h. La production continue d'augmenter et atteint 2800 unités hebdomadaires.

- période 11 : mêmes conditions qu'en période 10, pas de travail le samedi, la production reste inchangée.

- période 12 : retour brutal aux conditions de la période 3, après

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12 semaines passées au régime de la période Il : 48 heures de travail, travail du samedi, suppression des pauses et du repas chaud fourni par l'entreprise.

Ce changement drastique est provoqué par les observateurs qui n'y comprennent plus rien. Normalement, la détérioration des condi- tions de travail de la période 10 aurait dû se traduire par une baisse du rendement, d'où l'idée de relancer le cycle des avantages en libérant le samedi pendant une durée assez longue (12 semaines) avant de sup- primer l'ensemble de ces avantages.

Or, encore une fois contre toutes les prévisions, malgré le retour aux conditions de travail initial et la suppression des avantages acquis, la production augmente encore pour atteindre 3000 relais par semaine et par ouvrière. Les chercheurs pensaient avoir ramené les ouvrières à la période 3, plus d'un an en arrière, mais pour elles, cette période n'existait plus. En leur demandant leur aide, leur coopération, en les observant et interrogeant de manière permanente, les chercheurs les avaient rendues importantes à leurs propres yeux, les avaient valori- sées. Simultanément, elles avaient constitué un groupe stable, cohé- rent, dans lequel la satisfaction au travail était élevée.

Ce que l'on découvrait là, c'était qu'à côté de la fonction de pro- duction de l'entreprise, existait une fonction organisation humaine : le travailleur n'est jamais un individu isolé, mais un membre d'un ou plu- sieurs groupes et le travail est une activité sociale.

4. Le programme d'entretiens

Les données rassemblées dans l'étude du montage des relais té- léphoniques sont tellement nombreuses que l'un des protagonistes, Whitehead, passera plusieurs années avec des collaborateurs à les trai- ter. Parmi les résultats figure celui-ci : il existe une relation étroite entre le moral des travailleurs et l'encadrement. Les ouvrières travail- laient mieux quand elles avaient supprimé la contrainte et l'appréhension de l'autorité.

En septembre 1928, une enquête par entretien débute avec pour objectif @d'améliorer l'encadrement. La première forme d'interrogation était directe et fermée. L'enquêteur disposait d'une batterie de ques- tions à propos de l'encadrement, du travail et des conditions de travail. Dans la situation observée, ce type de questionnement plaçait l'ouvrier dans une position d'infériorité, entraînait des réponses stéréotypées et brèves, sans aucune expression des opinions propres du travailleur.

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Devant les difficultés pour obtenir le matériel souhaité, les cher- cheurs en juillet 1929 se tournent vers un mode d'interrogation non di- rectif, dans lequel le travailleur peut parler librement à l'enquêteur et aborder les sujets qui lui semblent importants dans ses propres termes.

En trois années, 21.000 employés furent interrogés, le résultat es- sentiel de l'étude étant que la non-satisfaction ou la satisfaction au tra- vail ne pouvait être rapportée à la seule influence de l'environnement physique du travail. Des individus travaillant dans un environnement semblable réagissent de manière différente aux composants de cet en- vironnement.

D'une façon plus détaillée, les résultats de cette phase de l'étude à Hawthorne peuvent être résumés en six points :

1. Une plainte formulée par un ouvrier ne se rapporte pas néces- sairement à un fait objectif facilement identifiable ; souvent la cause du trouble peut être beaucoup plus profonde qu'il apparaît à l'énoncé de la plainte.

2. Les objets, les personnes et les événements ont un sens social. Ils deviennent liés à la satisfaction ou la non-satisfaction du tra- vailleur seulement quand celui-ci est amené à les percevoir à par- tir de sa situation personnelle.

3. La situation personnelle du travailleur est une configuration de relations composée d'un ensemble d'éléments personnels in- cluant des désirs, des sentiments, des intérêts, et d'un ensemble d'éléments sociaux constitué à partir de l'histoire sociale de la personne et des relations inter-personnelles dans lesquelles elle est inséré actuellement.

4. La position du travailleur dans l'entreprise constitue un sys- tème de référence à partir duquel le travailleur donne un sens aux événements, aux objets et aux faits.

5. L'organisation sociale de l'entreprise constitue un système de valeurs à partir duquel le travailleur dérive sa satisfaction ou sa non-satisfaction, en fonction de sa propre conception de sa posi- tion sociale et des récompenses sociales qu'il est en droit d'attendre.

6. Les demandes sociales des travailleurs sont influencées par l'expérience sociale dans les groupes de la vie au travail et de la vie hors-travail dans lesquels ils s'insèrent.

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5. The bank wiring observation room : l'atelier expérimental de connexion des fils électriques

La dernière phase du programme de recherche de Hawthorne consiste en une étude détaillée d'un atelier, mais cette fois d'un point de vue sociologique. L'atelier test d'assemblage des relais télépho- niques avait montré l'importance de ces données. L'un des collabora- teurs de Mayo, Whitehead, qui manipulait les statistiques tirées des multiples observations émet l'hypothèse que c'est l'organisation sociale de l'équipe réunie dans l'atelier test qui est à l'origine des variations de la production des individus. L'atelier expérimental de connexion des fils a été conçu pour tenter de vérifier cette hypothèse. L'expérience a été réalisée avec 14 ouvriers hommes qui travaillaient selon le mode opératoire habituel, dans un atelier normal de l'entreprise. Elle dure un peu plus de six mois, de novembre 1931 à mai 1932.

Un point de méthode

Une remarque méthodologique s'impose ici. On sait combien la sociologie est dépendante des techniques de recueil des données. Dans la première expérience les chercheurs relevaient un certain nombre de valeurs de variables déterminées. Mais ils ne s'intéressaient pas à ce qui se passait dans l'atelier. Ils collectaient des informations essentiel- lement à caractère statistique.

Dans la seconde expérience, celle des entretiens, les chercheurs ont travaillé avec les déclarations, les entretiens des 21.000 personnes interrogées, sans avoir les moyens de relier les discours produits avec le vécu des opérateurs.

Cette fois, l'expérience demandait de développer une nouvelle technique de recueil des informations : l'observation. Et personne en- core ne l'avait jamais fait dans le cadre industriel. Ce problème mé- thodologique a été résolu grâce à l'aide d'un anthropologue social, William Lloyd Warner, qui a utilisé son expérience des pratiques d'enquête en sociétés de taille réduite pour concevoir quelques prin- cipes de méthode qui continuent aujourd'hui de guider un certain nombre d'observations en entreprise.

Ces principes sont les suivants :

1. Il est plus efficace de concentrer son attention sur un petit groupe de travailleurs réalisant une tâche unique ou ayant une cohérence plutôt que de disperser cette attention sur divers pe- tits groupes pratiquant des tâches diversifiées ;

2. Placer le groupe observé dans une pièce séparée ou de telle

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manière que l'observateur puisse faire son travail sans perturber la production ;

3. Effectuer des observations avant même de commencer, ou- vriers et encadrement ignorant qu'il y aura une expérience, de façon à constituer une observation de base qui pourra servir ulté- rieurement de point de comparaison avec la situation observée sur un groupe particulier ;

4. Les ouvriers sélectionnés doivent ignorer qu'ils participent à une expérience, ne pas avoir d'explications particulières, ne pas être déplacés significativement de leur zone de travail habi- tuelle ;

5. N'effectuer aucune démarche dans l'observation qui puisse in- quiéter les ouvriers ou leur faire soupçonner qu'une étude est en cours ;

6. L'observateur doit être aussi détaché que possible, participer amicalement à la vie du groupe sans lui donner d'informations sur ce qu'il fait, sans interroger directement les ouvriers, pour- tant tout en relevant correctement les informations nécessaires à son observation ;

7. Une observation, si elle doit être scientifique, ne doit pas se faire au hasard, mais doit être guidée par un ensemble d'hypothèses de travail permettant au chercheur de sélectionner les informations qui lui permettront de tester ces hypothèses.

Dans ce cadre, 3 types d'hypothèses furent formulées :

- il y a une différence entre la façon dont l'organisation tech- nique et l'organisation formelle sont supposées fonctionner et la façon dont elles fonctionnent réellement ;

- il existe une organisation informelle des ouvriers ;

- cette organisation informelle remplit des fonctions, joue un rôle, non seulement pour les individus qui y participent, mais aussi pour l'ensemble du système dont le groupe est une partie.

Sur la base de ces hypothèses, un guide d'observation donnait un certain nombre d'indications de travail à l'observateur :

- relever toutes les informations caractérisant la situation telle que réellement pratiquée et les différences et similarités avec la situation telle qu'elle devrait être ;

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- trouver les preuves de l'existence d'une organisation informelle en relevant les relations verbales entre les membres du groupe, toutes les manifestations de la participation des individus à une situation collective, les indications sur la solidarité dans le groupe et l'extension de cette solidarité ;

- identifier les fonctions de cette organisation informelle dans la vie des travailleurs.

Parallèlement à l'observation, les ouvriers étaient interrogés sur eux-mêmes, leur travail et ce qui arrivait dans la salle observée. Ces entretiens étaient menés séparément, sans interférence avec l'observation et avaient pour objectif de découvrir les caractéristiques de la vie de chaque ouvrier (histoire individuelle et familiale, vie hors de l'usine, valeurs et croyances, etc.).

L'expérience

Tous les ouvriers observés et interrogés avaient entre 20 et 36 ans, sauf un, âgé de 40 ans. La moitié avait un niveau d'instruction primaire, l'autre moitié un peu au-dessus ; 4 étaient mariés, les 10 autres étant célibataires, mais tous avaient une ou plusieurs personnes à charge. Tous étaient des américains blancs, mais d'origines diffé- rentes : 4 Américains, 4 venaient de Bohême, 3 Allemands, 2 Polonais, 1 Irlandais.

Pendant la première semaine d'observation, les ouvriers se com- portaient tout à fait différemment de la situation observée dans l'atelier : ils étaient tendus et considéraient l'observateur avec méfiance. Ce n'est qu'après la troisième semaine que l'observateur parvint à se faire accepter par le groupe et à avoir des relations "nor- males" avec ses membres.

Après cette période, le groupe se mit à travailler normalement et l'observateur poursuivit ses relevés de tous les événements significatifs arrivant dans la journée, tout en relevant la productivité deux fois par jour ainsi que des informations sur la qualité de la production. Au moins deux entretiens avec chaque personne furent réalisés pendant l'expérience. Chaque ouvrier subit un examen médical complet, ainsi que des tests d'intelligence et de dextérité manuelle, pour pouvoir éli- miner des explications les facteurs externes à la situation de travail. Les résultats

Les conclusions qui sont tirées de cette expérience sont les sui- vantes :

1. Chaque travailleur contrôlait et limitait sa production malgré

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le fait qu'un programme de rémunération très favorablement croissant avec la production ait été mis en place.

2. Le groupe dans son ensemble déterminait la production de chacun de ses membres par rapport à une référence, jamais dite ni formalisée en tant que telle, qui représentait la conception que le groupe se faisait d'une bonne journée de travail.

3. Cette norme de production du groupe n'était que l'une des manifestations de son caractère social. Les travailleurs se réunis- saient en sous-groupes divers possédant leurs propres habitudes, obligations, devoirs et même un certain nombre de rituels. Un contrôle collectif très fort était exercé par le groupe sur chacun de ses membres pour assurer leur conformité aux objectifs et au fonctionnement du groupe.

4. Dans les conflits entre les objectifs de la direction et les pra- tiques du groupe, la cohérence du groupe des travailleurs leur assure de conserver l'avantage et de pratiquer leur travail comme ils l'entendent.

5. Le pouvoir de contrôle du groupe est notamment montré par le fait que l'on n'a pu établir aucune relation entre la production (quantité et qualité) d'un travailleur et ses résultats aux divers tests d'intelligence et de dextérité. Par exemple, celui qui avait les meilleurs résultats aux tests d'intelligence était aussi celui qui avait le rendement le plus faible.

Ces résultats montraient donc, pour la première fois nettement, l'importance de la notion de groupe dans le travail et la force que re- présentaient ces groupes dans l'organisation industrielle.

6. Vers une typologie des groupes de travail

Dans les années qui suivirent, Elton Mayo et son équipe s'intéressèrent aux problèmes posés aux directions d'entreprise par dif- férents problèmes du type : absentéisme et taux de rotation du person- nel élevés, rendement faible, mauvaise ambiance de travail, etc.

Dans tous les cas, leurs conclusions aboutissaient à mettre en évidence l'importance des groupes de travail, pas tant dans leurs grandes dimensions (usine, département ou atelier) que dans leur dimension restreinte aux individus réellement en association quoti- dienne dans leur travail.

Sur ces bases, Mayo établit une théorie de la solidarité dans les

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groupes de travail dans laquelle il distingue trois types de groupes : le groupe "naturel", le groupe "familial" et le groupe "organisé".

Le groupe "naturel"

Le groupe "naturel" est un petit groupe unissant de 3 à 6 ou 7 travailleurs. Au sein de ce groupe se développe une sorte d'intimité, de compréhension, d'attention qui conduit à une forte cohésion. Ces groupes sont les produits "naturels" de la vie sociale. Mais le plus sou- vent, dans les entreprises, les obstacles organisationnels (existants ou délibérément créés par l'encadrement) sont tels que ces groupes ont du mal à se former ou à se maintenir à moins que des mesures favo- rables ne soient prises. Pourtant ces groupes, quand ils sont observés, ont une productivité remarquable.

Mayo les schématise de la manière suivante :

Le groupe "familial"

Le nom de groupe "familial" est un choix arbitraire pour désigner un groupe de grande dimension formé d'un noyau solide composé d'un nombre limité d'individus, auquel s'agrègent d'autres individus plus nombreux. Ce noyau détermine des règles de fonctionnement du groupe, notamment les normes de production pratiquées. Ce type de groupe, qui peut comprendre plusieurs dizaines de membres, peut demander plusieurs mois pour se former. Pour Mayo, c'est une forme organisationnelle importante qu'il engage les entreprises à favoriser en développant un climat favorable à leur développement. Quelquefois, dans des cas de tension forte ou d'incident, de tels groupes peuvent se former en quelques heures (grève par exemple).

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Mayo schématise ce groupe de la manière suivante :

Le groupe "organisé"

Le groupe "organisé" s'étend à l'ensemble de l'atelier ou de l'usine et inclut des personnes très différentes par leurs caractéristiques sociales ou personnelles. Tous les individus participent à un réseau serré de groupes "naturels" ou "familiaux" qui constitue la structure sociale de base de l'entreprise.

Mayo schématise ce groupe de la manière suivante :

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7. Les conclusions finales des enquêtes de Mayo

Cet ensemble de travaux permet donc de décrire ce qui constitue la base de la sociologie industrielle, tant du point de vue des problèmes posés que celui des méthodes mises en oeuvre pour réaliser des expériences et des relevés de données. Une seule équipe, celle de Mayo et de ses coéquipiers, est à l'origine de cet important travail.

Au terme de ces études, quel est l'acquis ?

1. L-e travail est une activité collective, une activité de groupe.

2. L'univers social de l'adulte, dans nos sociétés industrielles, est d'abord formé autour du travail.

3. Le besoin de reconnaissance, de sécurité et l'appartenance à un collectif de travail sont plus importants pour le moral, la satis- faction et la productivité du travailleur que les conditions phy- siques dans lesquelles il travaille.

4. Les revendications ne constituent pas des faits objectifs ; elles sont surtout les indicateurs de la détérioration de la situation d'un individu ou de sa position dans l'entreprise.

5. Le travailleur est un individu dont les attitudes et l'efficacité sont conditionnées par des demandes sociales dont l'origine se trouve à la fois à l'intérieur et à l'extérieur de l'entreprise.

6. Les groupes informels dans l'entreprise exercent un contrôle social très fort sur les comportements au travail et les attitudes du travailleur.

7. Le changement social, dans une société qui évolue toujours, tend à déstabiliser l'organisation sociale dans l'usine et dans l'industrie en général.

8. La coopération entre groupes dans une entreprise ne se pro- duit pas spontanément. Elle doit être planifiée et développée en tant que telle. Si la coopération des différents groupes dans l'entreprise est assurée, les relations de travail dans l'entreprise peuvent atteindre un niveau de cohésion tel qu'elles peuvent résister aux déstabilisations dues à l'évolution de la société.

Ce dernier point des conclusions que l'on peut tirer des enquêtes de Mayo indique l'orientation de sa réflexion : il s'agit, dans les années 1940, d'aider les entreprises à introduire une cohésion sociale forte et efficace dans l'entreprise et, pour cela, d'identifier les moyens néces-

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saires au développement de cette cohésion. Mayo s'oriente alors vers le conseil managérial, et on retrouvera ses travaux à la base des réflexions plus récentes sur le management.

8. Les critiques des travaux de Mayo et de son groupe d'étude

Dès les années 1950, des critiques s'élèvent contre les travaux de Mayo. Elles sont résumées par deux axes : les critiques tenant aux omissions de certains facteurs d'interprétation des situations obser- vées ; les critiques tenant aux biais introduits par les propres opinions des chercheurs.

- Les omissions dans l'interprétation

1. La première critique dérive de la pauvreté des résultats tirés de l'énorme masse d'informations rassemblées au cours des enquêtes. La raison en est, pour les critiques, que les travaux ont été entrepris sans que soient posées d'hypothèses concernant le système industriel dans son ensemble ou le système économique dans lequel il s'insère. Le résultat de cette absence est que les chercheurs ont tendance à "psychologiser" toutes les observations et à raisonner en termes de "sentiments" des travailleurs ou de la direction.

Par exemple, ces travaux ne tiennent aucun compte de la modifi- cation des structures sociales américaines, notamment la croissance des catégories intermédiaires de cols-blancs, d'employés de bureau ou de commerce, qui change les perspectives de valorisation sociale des professions. Ils ne tiennent pas compte non plus de l'accroissement du nombre des opérateurs qualifiés, lié aux changements des techniques de production, qui a pour résultat d'augmenter la distance, parmi les ouvriers entre les plus qualifiés et ceux qui voient leur qualification se dégrader.

Une étude de Warner, en 1947, montre comment cette rupture dans la hiérarchie des qualifications fait exploser la structure sociale de l'entreprise. La structure ancienne fondée sur l'acquisition progressive de la compétence, de l'apprenti à l'ouvrier âgé très qualifié, se trans- forme en une structure composée dé tâches parcellaires, demandant peu de Qualification, et pour lesquelles les machines réalisent la plu- part des transformations jadis dévolues à l'ouvrier.

2. La seconde critique dérive de la première. Mayo exclut systé- matiquement les organisations syndicales de ses préoccupations. Pas un mot sur celles-ci dans les 600 pages de l'étude sur la Western Electric.

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3. Dans la phase de l'enquête par entretien, les enquêteurs sem- blent avoir été très orientés dans leur pratique ou dans leur analyse des entretiens : dans les discours des quelques 21.000 travailleurs interro- gés on ne relève pas la moindre critique de la direction de l'entreprise.

4. Les "qualités sociales" des individus, c'est-à-dire leur capacité à gérer des relations avec les autres individus, ne sont jamais prises en compte ou très sous-estimées. Au contraire, Mayo écrit en 1945 que les qualités sociales au sens indiqué ont disparu. - Les biais

En plus de l'absence de prise en compte de tout facteur social, l'équipe de Mayo introduit deux types de biais dûs à leurs préjugés (au sens sociologique).

1. Une position systématiquement favorable à la direction de l'entreprise.

Toutes les études de Mayo ont été conduites avec l'approbation des directions d'entreprise et leur objectif initial était d'aider la direc- tion à solutionner des problèmes. Il n'est donc pas surprenant que pour toutes ces recherches le statu quo dans l'entreprise soit la règle des chercheurs.

Une telle critique ne peut pas concerner la méthode utilisée dans les expérimentations. On a vu le soin méthodologique apporté par l'équipe de Mayo à l'élaboration de ses programmes. Par contre, l'interprétation des données peut, elle, avoir subi l'influence des pré- supposés favorables à la direction des entreprises.

2. Un avantage systématiquement accordé aux méthodes de la psychologie clinique.

Pour Mayo, la méthode scientifique se compose de deux parties : la clinique et le laboratoire, comme on peut l'observer dans sa disci- pline de référence : la médecine. La caractéristique de la clinique est l'attention soigneuse et patiente d'une situation complexe ; celle du laboratoire, l'expérimentation et la construction logique des interpré- tations. En conséquence, la méthode de Mayo rejette la théorie et la confrontation des systèmes d'explication. Un chercheur doit gagner une connaissance intime de la situation observée, sans se préoccuper de théorie.

Or, on sait que toute hypothèse se réfère explicitement ou impli- citement à un corps de théories et que la définition de l'activité scienti- fique repose sur le va-et-vient entre les informations empiriques et les

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théories qui permettent de les construire.

Pour reprendre les termes employés par certains des critiques de Mayo, celui-ci confond science et technologie, ou plus exactement, il place les techniques de recueil des informations à un niveau qui ne saurait être le leur. Au lieu de simples techniques elles deviennent dans les expériences de Mayo, le centre des préoccupations et des réflexions, et le conduisent plus à décrire la réalité qu'à l'expliquer.

III - CONCLUSIONS

Malgré ces critiques justifiées et qui relativisent, pour l'avenir de la réflexion sociologique, la portée des analyses de l'équipe d'Elton Mayo, il reste que ces travaux ont conservé une influence considérable qui dépasse largement les Etats Unis.

En France, le premier des sociologues industriels consacre en 1946 de longs développements aux expériences de la Western Electric. Il s'agit de Georges Friedmann dans son livre sur "Les problèmes humains du machinisme industriel".

En Angleterre, en 1947, se crée le Tavistock Institute of Human Relations, dont les travaux, centrés sur la gestion sociale des entre- prises, sont à l'origine du mouvement des relations humaines et de la remise en cause de l'organisation taylorienne du travail.

IV - LA SOCIOLOGIE DU TRAVAIL EN FRANCE

Le premier traité de sociologie du travail paraît en France en 1962, dix ans après le premier traité américain. Entre ces deux dates, un retard et un changement d'intitulé.

Le retard est facile à expliquer. La sociologie dans son ensemble est contenue dans la philosophie associée à la morale, et à beaucoup de difficultés à faire reconnaître sa spécificité. Dans le domaine indus- triel, les travaux de Georges Friedmann ont donné lieu à des publica- tions remarquées.

Né en 1902, Georges Friedmann a fait des études de chimie avant de devenir professeur de philosophie. A partir de 1931 il étudie l'influence des techniques sur la mentalité de l'homme et, pour mieux comprendre ces problèmes, effectue un stage de mécanicien et passe un CAP. Entre 1932 et 1936 il effectue plusieurs séjours en URSS pour

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étudier l'industrialisation ("De la Sainte Russie à l'URSS" et "Pro- blèmes du machinisme en URSS et dans les pays capitalistes").

En 1946, il entre au Conservatoire National des Arts et Métiers, publie une thèse sur les "Problèmes humains du machinisme industriel" (1947), avant de diriger le Centre d'Etudes Sociologiques.

C'est dans son sillage que vont se former les sociologues indus- triels français et se développer la sociologie du travail.

Le changement des désignations, de sociologie "industrielle" à sociologie "du travail", relève lui d'une évolution plus profonde. La tradition sociologique française est plus généraliste, plus théorique que la tradition empiriste américaine dont nous avons vu une illustration avec les travaux de Mayo. Les psychologues industriels se reconnais- sent plus volontiers dans cette approche de l'entreprise. Le change- ment de désignation recouvre donc d'abord un changement d'approche, de la simple empirie à l'analyse théorique.

D'autre part le temps a passé et l'évolution économique et sociale tend à montrer que l'industrie n'est plus qu'une partie de la forme de développement de l'activité humaine. La sociologie du travail n'est plus seulement une sociologie de l'industrie au sens strict, mais l'étude des collectivités au travail, que celui-ci soit réalisé dans le commerce, les bureaux, l'administration ou l'agriculture.

Quelle est la conception de la sociologie que développe le traité du début des années 1960 ?

- L'objet de la sociologie

Le point de départ de la réflexion est constitué par un argument en deux points. Le premier concerne la définition du travail, conçu comme la transformation, à l'aide de la technique, de la nature. Le tra- vail, c'est "l'ensemble des actions que l'homme, dans un but pratique, à l'aide de son cerveau, de ses mains, d'outils et de machines, exerce sur la matière, actions qui, à leur tour, réagissant sur l'homme, le modi- fient". Le second pose que cette interaction entre l'homme et son milieu, à travers la technique, constitue l'élément moteur qui explique l'évolution des structures sociales.

L'argument qui fixe donc le travail comme élément premier de l'activité humaine et comme élément moteur du changement social permet donc de définir un objet propre à une sociologie qui, dans son extension la plus vaste, sera considérée comme l'étude, sous leurs divers aspects, de toutes les collectivités humaines qui se constituent à l'occasion du travail.

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BIBLIOGRAPHIE

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